Webinaire de jurisprudence

La chronique de jurisprudence est animée par le Professeur Jean-Claude RICCI sous forme de webinaire trimestriel d’environ 1h30 avec des sessions à inscription gratuite (places limitées).

Ces rendez-vous offrent non seulement une analyse ciblée des décisions les plus marquantes mais aussi l’opportunité d’échanger directement avec le Professeur RICCI.

Chronique de jurisprudence

De 2018 à 2023, le Professeur Jean-Claude RICCI a tenu chaque mois une chronique de jurisprudence du Conseil d'État en sélectionnant les principales décisions, les classant par thème et les analysant.

Depuis 2025, le webinaire est également accompagné de brèves.

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Juin 2020

Juin 2020

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Communication de documents administratifs - Communication de la liste des entreprises franciliennes sanctionnées pour non-respect de l'égalité salariale entre femmes et hommes - Indication des sanctions infligées - Refus - Absence de violation de l’art. 10 de la Convention EDH - Rejet.

Les associations requérantes ont demandé au tribunal administratif d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes a refusé de leur communiquer la liste des entreprises franciliennes sanctionnées, sur le fondement de l’art. L. 2242-9 du code du travail, pour non-respect de l'égalité salariale entre femmes et hommes, avec l’indication des sanctions infligées.

Leur demande de première instance ayant été rejetée, elles se pourvoient, en vain.

Le Conseil d’État s’appuie dans sa décision de rejet sur les dispositions du code des relations entre le public et l’administration (art. L.311-6 : « Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : (...) 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice (...) ».) et sur celles de l’art. 10 de la Convention EDH relatives à la liberté d’expression

Il juge que ces dernières, si elles n'accordent pas un droit d'accès à toutes les informations détenues par une autorité publique et n'obligent pas l'État à les communiquer, fondent cependant un droit d'accès à des informations détenues par une autorité publique « lorsque l'accès à ces informations est déterminant pour l'exercice du droit à la liberté d'expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, selon la nature des informations demandées, de leur disponibilité, du but poursuivi par le demandeur et de son rôle dans la réception et la communication au public d'informations ».

C’est pourquoi, en ce cas, le refus de fournir les informations demandées constitue une ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression qui, selon une jurisprudence traditionnelle de la Cour de Strasbourg, doit, pour être justifiée, avoir été prévue par la loi, poursuivre un des buts légitimes mentionnés à l'article 10 et être strictement nécessaire et proportionnée. Cette solution est importante et l’interprétation sur laquelle elle repose n’allait pas de soi.

Il convenait donc de vérifier si le refus opposé en l’espèce répondait à ces justifications d’autant que les requérantes se prévalaient de ce qu’elles contribuent au débat public en prenant position en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes, ce qui ressortit bien évidemment de la liberté d’expression.

C’est donc sans illégalité que la ministre défenderesse n’a pas accueilli leur demande de communication et que les premiers juges ont refusé d’annuler ce refus.

(3 juin 2020, Association « Pouvoir citoyen » et Association « Les Effronté-e-s », n° 421615)

 

2 - Décret d’application d’une disposition législative (art. L. 1311-1 du code de la santé publique) - Obligation de prendre un « règlement sanitaire national » - Obligation découlant des travaux parlementaires - Abstention irrégulière - Injonction, sans astreinte, de prendre ce décret sous neuf mois.

Les requérants, des particuliers et plusieurs personnes morales, demandaient l’annulation de la décision du ministre des solidarités et de la santé rejetant leur demande tendant à l'adoption d'un règlement sanitaire national par décret en Conseil d'État, en application de l'article L. 1311-1 du code de la santé publique, spécialement en tant que ce refus porte sur l'édiction de mesures nationales relatives à la salubrité des habitations.

Le Conseil d’État juge que si, en principe, l'article L. 1311-1 CSP n'implique la fixation, dans les matières qui relèvent de son champ d'application, de règles générales par décret en Conseil d'État que lorsque la situation l'exige, néanmoins, il résulte des travaux parlementaires préparatoires à la loi de 1986 dont est issu l’art. L. 1311-1, que le pouvoir exécutif devait prendre les décrets d’application dans les matières qu’il énumère, au rang desquelles figure « la salubrité des habitations ».

Constatant la défaillance du premier ministre à prendre dans un délai raisonnable le décret idoine, puisque plus de 34 ans ont passé (!!), injonction lui est faite d’agir sous neuf mois.

(10 juin 2020, M. X. et autres, n° 429957)

 

3 - Enseignement supérieur - Classe préparatoire de lettres - Attribution d'enseignement à un professeur de chaire supérieure - Mesure d'ordre intérieur - Absence - Mesure faisant grief - Rejet.

Une enseignante, titulaire de chaire supérieure de lettres, a demandé au juge des référés la suspension de l'exécution de la décision par laquelle le proviseur du lycée Louis-le-Grand a fixé son service pour l'année scolaire 2019-2020 et de lui enjoindre de la rétablir dans son enseignement de philosophie dans la classe de Khâgne 1, avec un demi-service dans l'enseignement de spécialité. Le juge des référés ayant suspendu l'exécution de cette décision et enjoint le réexamen de la situation de l'intéressée dans un délai de quinze jours suivant la date de notification de l'ordonnance, le ministre se pourvoit, en vain. 

Il contestait que la décision litigieuse fît grief car elle constituait, selon lui, une mesure d'ordre intérieur, contrairement à ce qu'avait jugé le premier juge.

Réfutant cette argumentation, le Conseil d'État, comme le premier juge, estime que dès lors qu'un professeur de chaire supérieure tient des dispositions du décret du 30 mai 1968 le droit d'enseigner sa discipline dans une classe préparatoire de deuxième année de la filière correspondante, la circonstance que les enseignements confiés à l'intéressée par cette décision n'étaient pas des enseignements de philosophie, alors qu'elle est professeur de chaire supérieure en philosophie, faisait grief.

(ord. réf. 29 juin 2020, Ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 434089)

 

4 - Ministre de l'intérieur - Détention de la compétence réglementaire pour fixer les dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public - Absence de texte permettant la délégation de cette compétence à la commission centrale de sécurité (cf. art. R.123-29 du code de la construction et de l'habitation) - Délégation irrégulière - Obligation d'abroger les décisions prises sur ce fondement par cette commission - Annulation avec injonction d'abrogation sous un mois.

Le ministre de l'intérieur détient le pouvoir réglementaire pour prendre les dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public. En l'espèce, c'est la commission centrale de sécurité (cf. art. R.123-29 du code de la construction et de l'habitation), non le ministre de l'intérieur, qui avait édicté l'instauration du principe d'un contrôle de certaines installations par des organismes agréés. La société requérante demandait au juge d'annuler le refus du ministre d'abroger une réglementation que la commission n'avait pas compétence pour prendre car aucune disposition n'a conféré au ministre de l'intérieur la faculté de déléguer à cette commission le pouvoir réglementaire qui lui est dévolu en cette matière. Le juge fait sien ce raisonnement, annulant le refus d'abroger et faisant injonction au ministre de l'intérieur d'y procéder sous un mois.

(29 juin 2020, Société Inspection Contrôle Événementiel (ICE), n° 430128)

 

5 - Actes susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir - Documents de portée générale - Actes susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou les individus - Cas d’une note de service émanée d’un service du ministère de l’intérieur - Vices pouvant être retenus - Conditions d’accueil au fond des demandes d’annulation - Rejet.

La décision ici rapportée est très importante à la fois par l’extension qu’elle réalise du nombre d’actes administratifs susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et par la dégradation dans un sens toujours plus subjectif du statut de ce recours à laquelle elle aboutit.

L’association requérante demandait l’annulation pour excès de pouvoir de la note d'actualité de la division de l'expertise en fraude documentaire et à l'identité de la direction centrale de la police aux frontières du 1er décembre 2017 relative aux « fraudes documentaires organisées en Guinée (Conakry) sur les actes d'état civil ».

Se posait la question de la recevabilité d’un tel recours contre un acte de cette nature.

Le Conseil d’État apporte deux séries de « précisions », terme qu’on hésite pourtant à retenir en raison des incertitudes nées du fait de la solution adoptée.

Tout d’abord, est opéré un élargissement de la catégorie des actes relevant de l’excès de pouvoir. Désormais, entrent dans cette catégorie « Les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, (…) lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. » C'est, au fond, l'achèvement, probablement ultime, d'une évolution inaugurée depuis l'arrêt Crédit foncier de France (1970), poursuivie par la solution Duvignères (2002) et amplifiée par la suite notamment jusqu'aux décisisions Fairvesta et Numericable (2016).

Ceci appelle deux remarques.

La première concerne les actes visés, il faut entendre par là, sans que cette énumération soit limitative, « les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif »

La seconde concerne le sens de l’expression « susceptibles d'avoir des effets notables ». En font partie notamment « ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices ». Donc sont concernées toutes espèces de mesures générales à effet notable dont celles à caractère impératif ou de lignes directrices ainsi que d’autres… à découvrir dans le prochain numéro.

Naturellement ne sont visés dans cette décision et par la solution qu’elle contient car ce n’était pas l’objet de l’espèce, ni les actes réglementaires ni les actes individuels ou à portée individuelle qui continuent à relever, le cas échéant pour les seconds, du régime de l’excès de pouvoir.

Ensuite, est exposé le régime contentieux du recours dirigé contre lesdites mesures générales, à l’exclusion de celles à caractère réglementaire ou à caractère individuel.

La formulation retenue est la suivante « Il appartient au juge d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il émane. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s'il fixe une règle nouvelle entachée d'incompétence, si l'interprétation du droit positif qu'il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s'il est pris en vue de la mise en œuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure. »

Ici encore des précisions s’imposent.

1°) On peut penser que rien n’est changé quant au régime contentieux gouvernant jusqu’ici la juridicité des actes réglementaires et de ceux à caractère individuel.

2°) Seuls trois motifs d’annulation de ces « mesures générales » sont énumérés : incompétence de l’auteur de la mesure générale, interprétation erronée du droit positif dont la mesure fait application ou sur lequel elle est fondée, mise en œuvre par cette mesure d’une règle illégale.

Pour le reste, l’utilisation de l’adverbe « notamment » conduit à s’interroger sur le point de savoir, d’une part, quels sont les autres motifs possibles d’annulation et, d’autre part, si les motifs énumérés doivent être considérés comme étant de droit commun - en ce cas d'autres motifs ne seraient invocables qu'exceptionnellement - ou bien comme étant le minimum minimorum du contrôle - et en ce second cas, avec possible utilisation, ad libitum, d'autres motifs -.

Dans cette affaire, la requérante reprochait à la « note d'actualité » contestée d’avoir, sur la base d’une simple présomption d’existence en Guinée d'une fraude sur des actes d'état civil et des jugements supplétifs, préconisé aux agents concernés de formuler un avis défavorable pour toute analyse d'un acte de naissance guinéen. Le Conseil d’État juge recevable, en fonction de sa nouvelle jurisprudence, le recours dirigé contre cette note.

Sur le fond le recours est rejeté, d’une part, car la note litigieuse n’est pas entachée d’incompétence et, d’autre part, car si elle préconise l'émission d'un avis défavorable pour toute analyse d'acte de naissance guinéen, elle n’interdit pas l'examen au cas par cas des demandes et d'y faire droit, le cas échéant, au regard des différentes pièces produites à leur soutien.

(Section, 12 juin 2020, Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), n° 418142)

 

6 - Acte faisant grief - Notion - Cas du projet stratégique et opérationnel d'un établissement public d'aménagement - Acte à caractère « exécutoire » - Acte ne faisant pas grief - Rejet.

Le projet stratégique et opérationnel d'un établissement public d'aménagement a pour objet d'établir une programmation des actions, opérations et projets que l'établissement entend mener en fonction des orientations stratégiques définies par l'État, des priorités énoncées dans les documents d'urbanisme et des objectifs de réalisation de logements précisés par les programmes locaux de l'habitat, en précisant les moyens qu'il entend y consacrer.

Selon le juge, il résulte des dispositions alors applicables des art. L. 321-18 à L. 321-28 et R. 321-14 et 321-15 du code de l’urbanisme que l'approbation de ce projet stratégique et opérationnel, d’une part, ne présente aucun caractère règlementaire et d’autre part, n'a ni pour objet, ni pour effet d'autoriser les opérations d'aménagement qu'il prend en compte, ni d'en valider les modalités de réalisation tant d'un point de vue technique que financier. Par suite, un tel projet n'emporte aucun effet pour les tiers à l'établissement public.

Si la transmission de ce document au préfet, en sa double qualité de représentant de l’État et d’autorité de tutelle, lui permet de devenir « exécutoire » (cf. art. L. 321-20 et R. 321-15 c. urb.), cette seule circonstance ne suffit pas à lui conférer le caractère d'un acte faisant grief.

Le recours est donc rejeté pour irrecevabilité.

(3 juin 2020, Association Collectif associatif 06 pour des réalisations écologiques (CAPRE 06), n° 423502)

 

7 - Acte insusceptible de recours - Refus du Défenseur des droits de faire usage de ses pouvoirs - Recours dirigé contre ce refus - Rejet du recours comme étant manifestement irrecevable sans communication préalable du mémoire opposant cette irrecevabilité - Irrégularité - Cassation mais reprise de la solution au fond.

Rappel de ce que le refus du Défenseur des droits de faire usage des pouvoirs qu'il tient de la loi organique du 29 mars 2011 ne constitue pas une décision faisant grief susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

(10 juin 2020, M. X., n° 427806) V. également sur cette décision le n° 41

 

8 - Motivation des décisions - Motivation du refus d’une autorisation - Absence de motivation de l’abrogation d’une décision unilatérale délivrée à titre précaire et révocable - Autorisation d’occupation d’un emplacement dans un port de plaisance - Annulation et rejet.

Était contesté par la commune requérante le jugement rejetant sa demande, fondée sur l’art. L. 521-3 CJA, d’expulsion du propriétaire d’un bateau occupant dans des conditions irrégulières un emplacement du domaine public portuaire de la commune. Ce rejet était fondé sur l’existence d’une contestation sérieuse résultant de l’absence de motivation de la décision de la commune.

L’obligation de motivation des décisions individuelles défavorables instituée à l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration s’applique notamment aux décisions qui : « 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits » ou qui : «  Refusent une autorisation (…) ».

En l’espèce, il ne s’agissait véritablement ni de l’un ni de l’autre cas mais d’une certaine combinaison des deux, d’où l’intérêt de la solution retenue.

Si la décision par laquelle l'autorité gestionnaire du domaine public rejette une demande de délivrance d'une autorisation unilatérale d'occupation du domaine public constitue un refus d'autorisation au sens du 7° de l'article L. 211-2 précité et doit par suite être motivée (en ce sens : 21 octobre 1994, Aéroports de Paris, n° 139970 ; Société des agents convoyeurs de sécurité et de transports de fonds, n° 140056, jonction), en revanche, la décision par laquelle elle met fin à une autorisation unilatérale d'occupation du domaine public, délivrée à titre précaire et révocable, notamment la décision de ne pas renouveler, à la prochaine échéance, une autorisation tacitement renouvelable constitue une abrogation de cette autorisation.

Or il résulte du 4° de l'article L. 211-2 précité que ne doit être obligatoirement motivée que l’abrogation d'une décision créatrice de droits au profit de son bénéficiaire.

Ce n’était pas le cas en l’espèce, d’où la cassation, sans renvoi, du jugement querellé et l’injonction du juge au propriétaire du bateau de libérer les lieux sans délai, sous astreinte après quinzaine écoulée.

(9 juin 2020, Commune de Saint-Pierre-de-la-Réunion, n° 434113)

(9) V. aussi, du même jour, en tous points semblables : Commune de Saint-Pierre-de-la-Réunion, n° 434114 ; Commune de Saint-Pierre-de-la-Réunion, n° 434115 ; Commune de Saint-Pierre-de-la-Réunion, n° 434117. 

10 - Motivation des décisions - Décision préfectorale refusant à l’employé d’une société l’autorisation d’accéder à la zone de sûreté d’un aérodrome - Décision devant être motivée - Absence de motivation - Illégalité - Rejet.

Doit être motivée, par application des dispositions du 7° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA), la décision par laquelle le préfet refuse, sur le fondement de l'article R. 213-3-1 du code de l'aviation civile, de délivrer ou de renouveler l'habilitation prévue à l'article L. 6342-3 du code des transports, permettant l'accès à la zone de sûreté d'un aérodrome, car elle constitue un refus d'autorisation.

Il n’en irait autrement que s’il était invoqué que la communication des motifs de ce refus serait de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par la loi.  

Tel n’était pas le cas en l’espèce, d’où la confirmation de l’annulation du refus préfectoral.

(10 juin 2020, Ministre de l’intérieur, n° 425593)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

11 - Fréquences radio-électriques - Demande de déploiement d’un réseau très haut débit radio - Refus de l’ARCEP d’autoriser l’utilisation des fréquences de la bande 3410-3460 MHz - Rejet.

La société requérante demande l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 21 décembre 2018 par laquelle l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a rejeté sa demande d'autorisation d'utiliser les fréquences de la bande 3410-3460 MHz afin de déployer un réseau très haut débit radio dans 213 communes du département de la Seine-Maritime.

Le recours est rejeté car aucun des arguments apportés à son soutien ne convainc le juge.

La décision contestée ne contrevient pas au principe de neutralité technologique car si ce principe  peut être invoqué à l’encontre de la décision qui restreint l'usage de la bande 3410-3460 MHz en France métropolitaine à la fourniture de services d'accès fixe, il ne saurait, en revanche, être utilement invoqué pour contester la décision en litige, eu égard à son objet qui refuse à la société requérante, pour la Seine-Maritime, l'attribution de fréquences qui ont été dévolues au très haut débit radio. Pas davantage ne saurait être invoqué, par voie d’exception, à l’encontre de cette décision, l’existence d’une discrimination entre opérateurs, cette décision poursuivant un objectif d'intérêt général d'aménagement numérique du territoire, et restreignant l'utilisation des fréquences de la bande 3410-3460 MHz de manière adaptée, nécessaire et proportionnée à l'objectif poursuivi. Enfin, ne sauraient être retenus à l’encontre de la décision querellée des propos du président de la république encourageant la construction de 3 à 5 millions de prises radio, ceux-ci étant dépourvus d'incidence sur la légalité de la décision attaquée.

(10 juin 2020, Société Weaccess, n° 427248)

 

12 - Règlement général sur la protection des données (RGPD) - Règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 - Traitement de données numériques à caractère personnel - Protection des personnes physiques - Sanction infligée par la CNIL à un opérateur en infraction - Interprétation de dispositions du droit de l’Union - Actes clairs - Refus de renvois préjudiciels - Rejet.

La société requérante contestait la sanction de cinquante millions d’euros qui lui a été infligée par la CNIL pour violations du RGPD et demandait le renvoi préjudiciel de deux séries de questions à la CJUE. L’ensemble de ses demandes est rejeté.

Tout d’abord, indiquons, pour n’avoir plus à y revenir, que in fine sera rejetée la demande d’annulation de la sanction pécuniaire, assez modeste au regard du chiffre d’affaires de sa débitrice.

Ensuite, le juge constate que les dispositions du RGPD en cause sont claires et ne donnent pas lieu à interprétation, ce qui aurait nécessité un renvoi à la Cour de Luxembourg. Le Conseil d’État livre, en conséquence, son analyse du texte la faisant surtout porter, puisque c’était là l’essentiel du litige, sur la notion de consentement et sur les conditions du recueil de celui-ci. Ceci permet de faire ressortir le caractère répréhensible du comportement sanctionné.

Le juge examine successivement le sens et la portée des art. 12 et 13 du règlement européen du 27 avril 2016, puis ceux de l’article 4, combiné, d’une part, avec ses art. 6 et 7 et, d’autre part, avec ses art. 16, 55 et 56.

Les art. 12 et 13 posent un cadre général dont la philosophie est que l'information fournie aux utilisateurs doit les mettre en mesure de déterminer à l'avance la portée et les conséquences du traitement afin d'éviter qu'ils soient pris au dépourvu quant à la façon dont leurs données à caractère personnel ont vocation à être utilisées. Sans être très détaillés, doivent être donnés à l’utilisateur, de façon aisément accessible, tous les éléments pertinents relatifs aux différentes finalités et à l'ampleur du traitement.

L'art. 4 (point 11) et les articles 6 et 7 du RGPD combinés avec lui ont été interprétés par la CJUE (Grande Chambre, 1er octobre 2019, Bundesverband der Verbraucherzentralen und Verbraucherverbände - Verbraucherzentrale Bundesverband eV c/ Planet49 GmbH, aff. C-673/17) comme imposant pour qu’un consentement soit libre, spécifique, éclairé et univoque, que ce consentement soit donné expressément par   l'utilisateur, donné en toute connaissance de cause et après une information adéquate sur l'usage qui sera fait de ses données personnelles. De là le Conseil d’État déduit : 1° qu’un consentement donné au moyen d'une case cochée par défaut n'implique pas un comportement actif de la part de l'utilisateur et ne peut dès lors être considéré comme procédant d'un acte positif clair permettant valablement le recueil du consentement ;

2° qu’un consentement recueilli dans le cadre de l'acceptation globale de conditions générales d'utilisation d'un service ne revêt pas un caractère spécifique au sens du RGPD ;

3° que le consentement n'est valide que s'il est précédé d'une présentation claire et distincte de l'ensemble des finalités poursuivies par le traitement. Cette dernière condition s’apprécie indépendamment des modalités techniques d’expression du consentement.

Enfin, il découle de l’art. 4 (point 7), combiné avec les art. 16, 55 et 56 du RGPD, qu’il est essentiel de déterminer le détenteur du pouvoir de contrôle dans l'établissement principal dans l'Union, responsable du traitement des données qui, en tant qu'autorité chef de file, est compétent pour contrôler le respect des exigences du RGPD. C’était là un argument « fort » de Google devant le juge administratif, car il s’appuyait sur une localisation irlandaise.

Dans le domaine du traitement transfrontalier des données, deux situations se présentent : soit ce traitement transfrontalier a lieu à l’intérieur de l’Union européenne soit il est mis en œuvre sur le territoire de l’Union mais par un responsable de traitement lui-même implanté en dehors de l’Union.

Dans le premier cas, pour déterminer l'autorité de contrôle compétente, c’est l'administration centrale du responsable du traitement, c'est-à-dire le lieu de son siège réel, qui doit en principe être regardée comme son établissement principal. Cependant, relève le juge, cette solution doit être écartée dans le cas où un autre de ses établissements est compétent pour prendre les décisions relatives aux finalités et aux moyens du traitement et dispose du pouvoir de les faire appliquer à l'échelle de l'Union.

Dans le second cas, où un responsable de traitement implanté en dehors de l'Union européenne met en œuvre un traitement transfrontalier sur le territoire de l'Union, mais n'y dispose ni d'administration centrale, ni d'établissement doté d'un pouvoir décisionnel quant à ses finalités et à ses moyens, le mécanisme de l'autorité chef de file prévu à l'article 56 du RGPD ne peut être mis en œuvre. C’est donc, alors, chaque autorité de contrôle nationale qui est compétente pour contrôler le respect du RGPD sur le territoire de l'État membre dont elle relève, conformément à l'article 55 précité.

Dès lors, l’infraction de Google est certaine et sa connaissance comme sa sanction relèvent, lorsqu’elle concerne des données recueillies en France, des autorités nationales de cet État.

(19 juin 2020, Société Google LLC, n° 430810)

(13) On lira aussi, portant sur plusieurs questions voisines et reprenant plusieurs des solutions ci-dessus : 19 juin 2020, Association des agences-conseils en communication et autres, n° 434684.

 

14 - Covid-19 - Commune - Installation de caméras thermiques, fixe dans un batiment municipal et mobiles à l'entrée d'écoles - Prise automatique de température corporelle - Signalisation en cas de température excessive - Traitement de données à caractère personnel permettant leur saisie - Connaissance de données personnelles de santé - Atteinte, par les caméras mobiles, à des libertés fondamentales (respect de la vie privée et liberté d'aller et de venir) - Urgence établie - Annulation de l'ordonnance de référé en ce qui concerne les caméras mobiles des écoles.

Une commune a installé des caméras thermiques destinées à mesurer la température corporelle des personnes afin de les informer d'éventuelles contaminations par le virus Covid-19. L'organisme requérant, dont l'action en référé liberté a été rejetée en première instance, interjette appel de celle-ci en Conseil d'État.

Pour déterminer si ce procédé est susceptible de constituer un recueil de données personnelles dans des conditions irrégulières, portant par là atteinte à des libertés fondamentales, le juge pratique une distinction.

La caméra fixe placée dans un bâtiment communal se déclenche librement par la personne qui, se mettant dans son axe, souhaite que soit prise sa température : il n'y a aucune manipulation humaine non plus qu'aucun enregistrement du résultat qui, au demeurant, est anonyme. Elle n'est donc pas un "traitement" de données personnelles et ne porte ainsi pas atteinte à des libertés fondamentales.

Tout autre est la situation des caméras mobiles, manipulées par des agents municipaux, destinées à la prise de température des élèves à divers moments de la journée, avec identification de ceux des élèves positifs à une température excessive, les parents étant immédiatement avisés d'avoir à conduire leurs enfants à leur domicile. Ceci est un vrai traitement de données personnelles de santé (au sens et pour l'application de l'art. 4 du RGPD), en tant qu'il les collecte et qu'il identifie les personnes concernées. Or il ne respecte pas les conditions légales d'un traitement de données personnelles de santé telles que prévues au g) sous 2. de l'article 9 du RGPD ainsi que, s'agissant d'une politique de santé, les conditions prévues au h) sous 2. de l'article 9 du RGPD, c'est-à-dire d'une part la nécessité du traitement au regard d'une politique de santé et d'autre part l'existence d'une base légale à cet effet. Enfin, fait encore défaut le respect de la condition prévue au 3. du même article 9, à savoir l'exigence que la manipulation de ces données soit réalisée par des professionnels de santé tenus au secret médical.

C'est donc à tort que les premiers juges ont rejeté la demande de la personne morale requérante alors qu'il était porté atteinte aux libertés fondamentales que constituent le respect de la vie privée et de la liberté d'aller et de venir.

(ord. réf. 26 juin 2020, Ligue des droits de l'Homme, n° 441065)

 

Biens

 

15 - Motivation des décisions - Motivation du refus d’une autorisation - Absence de motivation de l’abrogation d’une décision unilatérale délivrée à titre précaire et révocable - Autorisation d’occupation d’un emplacement dans un port de plaisance - Annulation et rejet.

(9 juin 2020, Commune de Saint-Pierre-de-la-Réunion, n° 434113) V. n° 8

 

16 - Domaine public fluvial - Notion de cours d'eau - Cas de l'Erdre - Ordonnance royale du 10 juillet 1835 - Délimitation du domaine public - Compétence - Mode de délimitation - Rejet.

Étaient contestés à la fois le principe même de la délimitation du domaine public fluvial de l'Erdre et les modalités retenues pour ce faire.

Le Conseil d'État rappelle d'abord que le président du conseil départemental est compétent pour délimiter le domaine public fluvial du département sur le fondement de l'art. R. 2111-15 du CGPPP.

Il indique ensuite que, contrairement à ce que soutenaient les demandeurs, l'Erdre fait partie du domaine public fluvial naturel car cette rivière - dont François Ier aimait à dire qu'elle était "la plus belle rivière de (son) Royaume" - figure, dans sa partie allant de Niort à l'embouchure de la Loire, au tableau annexé à l'ordonnance du 10 juillet 1835 auquel renvoie l'art. 67 de la loi du 26 décembre 1908 portant fixation des recettes et des dépenses de l'exercice 1909. Le 1° de cet article dispose que "Les cours d'eau, portions de cours d'eau et canaux ainsi définis ne pourront être distraits du domaine public qu'en vertu d'une loi".

Egalement, l'administration n'a pas commis d'irréguralité en appliquant, pour la détermination du plenissimum flumen, la méthode consistant à fixer le point le plus bas des berges du cours d'eau pour chaque section de même régime hydraulique, sans prendre en compte les points qui, en raison de la configuration du sol ou de la disposition des lieux, doivent être regardés comme des points exceptionnels à négliger pour le travail d'ensemble de la délimitation, puis, en faisant passer par le point le plus bas ainsi déterminé, un plan incliné de l'amont vers l'aval parallèlement à la surface du niveau des hautes eaux observé directement sur les lieux et, enfin, en fixant la limite du domaine public fluvial à l'intersection de ce plan avec les deux rives du cours d'eau. 

Enfin la cour n'a pas commis d'erreur de droit en retenant pour la partie du linéaire caractérisée par la présence de talus ou de francs bords, la limite physique de la berge et, s'agissant des zones dans lesquelles cette limite n'était pas identifiable en raison des caractéristiques physiques de la berge, en fixant cette limite à la cote de 4,60 mètres NGF-IGN 69, laquelle correspond au niveau de l'Erdre lors des crues hivernales dépourvues de caractère exceptionnel. 

(29 juin 2020, M. et Mme X. et autres, n° 426945)

(17) V. aussi, très largement comparable : 29 juin 2020, Société Les Enfas, n° 426954

 

18 - Droit de préemption - Régime applicable à Paris, Lyon et Marseille - Obligation d’informer le maire d’arrondissement des déclarations d’intention d’aliéner et des suites données à celles-ci - Absence de consultation préalable pour avis - Rejet.

(10 juin 2020, Société France Immo, n° 428072). V. n° 25

 

19 - Domaine public - Droits de voirie applicables à Paris aux commerces hôteliers - Droits principaux et droits additionnels - Obligation, pour les premiers, d'une appréciation de l'avantage retiré par les commerçants de leur occupation du domaine public - Annulation partielle.

L'union requérante poursuivait l'annulation de l'arrêté municipal portant, à Paris, fixation des tarifs applicables aux droits de voirie à compter du 1er janvier 2016, en tant, notamment, qu'il relève les tarifs des droits de voirie et fixe des droits de voirie additionnels, à la fois annuels et indivisibles, pour l'installation dans les terrasses ouvertes de tout mode de chauffage ou de climatisation et d'écrans parallèles rigides. 

Le recours est rejeté en tous ses griefs s'agissant des droits de voirie additionnels, le Conseil d'État adoptant la solution retenue par le juge d'appel.

En revanche, le recours est accueilli en tant qu'il porte sur les droits de voirie car le juge de cassation reproche aux juges du fond de n'avoir pas recherché si, eu égard aux avantages de toute nature que le titulaire de l'autorisation est susceptible de retirer de l'usage privatif du domaine public, la fixation du nouveau montant de la redevance avait ou non atteint un niveau manifestement disproportionné au regard de ces avantages.

(29 juin 2020, Union des métiers et des industries de l'hôtellerie Paris Ile-de-France (UMIH Paris IDF), n° 432453)

 

20 - Domaine public maritime - Servitude de passage longitudinale pour piétons - Projet de modification de son tracé ou de ses caractéristiques - Obligation de motivation dans le cadre du dossier d'enquête publique - Suspension de la servitude pour la conservation d'un site ou la stabilité des sols - Conditions - Cassation avec renvoi pour l'essentiel.

Commet une double erreur de droit la cour administrative d'appel qui, d'une part, écarte le moyen tiré de ce que le dossier soumis à enquête publique en vue de la modification d'une servitude de passage longitudinale pour piétons avait été constitué en méconnaissance de l'art. R. 160-14 du code de l'urbanisme, juge que le respect de ces dispositions n'imposait pas que le dossier indique la localisation et la nature des obstacles en cause et, d'autre part, juge que le motif d'atteinte à la stabilité du terrain d'assiette de cette servitude suffit à justifier l'arrêté suspendant cette servitude alors qu'il résulte de l'art. L. 160-6, b) et de l'art. R. 160-12, e) du code précité que la suspension de la servitude de passage sur certaines portions du littoral ne saurait être qu'exceptionnelle et que l'administration ne peut légalement décider cette suspension que si elle justifie que la stabilité des sols ne peut être assurée ni par la définition de la servitude dans les conditions prévues par l'article R. 160-8 du code, ni par une modification de son tracé ou de ses caractéristiques dans les conditions et limites prévues par la loi, et que la garantie de la conservation d'un site à protéger pour des raisons d'ordre écologique ou archéologique, ou, dans l'intérêt tant de la sécurité publique que de la préservation des équilibres naturels et écologiques ne peut être assurée, même après la réalisation des travaux qu'implique la mise en état du site pour assurer le libre passage et la sécurité des piétons mentionnés à l'article R. 160-25 du code.  

(29 juin 2020, Syndicat des copropriétaires de La Campanella, n° 433682 ;   M. X. Letulle et autres, n° 433665)

(21) V. aussi, très voisins : 29 juin 2020, SCI "Les Mouettes du Bois Marin" et autres, n° 433697 et n° 434118, deux espèces non jointes.

22 - Droit réel immobilier - Transmission - Moulin fondé en titre - Contestation - Décès du contestant - Reprise de l’action par la succession et le nouvel acquéreur du moulin - Rejet pour irrecevabilité - Annulation.

Doit être cassé l’arrêt d’appel qui déclare irrecevable la reprise de l’action contentieuse par le nouvel acquéreur d’un moulin fondé en titre, par suite du décès de son prédécesseur initiateur de cette action.

En effet, il résulte des dispositions de l’art. 1675 du Code civil que, le droit à l'usage de l'eau attaché à un moulin fondé en titre étant un droit réel immobilier, ce droit, en cas de vente du moulin, est normalement transmis à l'acquéreur qui est en conséquence fondé à reprendre l'instance introduite par le vendeur relativement à l'existence de ce droit.

En cas de décès du propriétaire initial ayant introduit l'instance, la reprise de celle-ci par le nouveau propriétaire est toujours possible dans le respect des règles du CJA relatives à la reprise d’instance.

(17 juin 2020, M. X. venant aux droits de M. Y., n° 426887)

 

 23 - Documents d’archives publiques - Loi du 15 juillet 2008 (art. L. 213-2 et suiv. code du patrimoine) - Documents émanant du président de la république, du premier ministre et des autres membres du gouvernement - Régime de communication anticipée au public - Existence d’un protocole d’accès - Protocoles conclus avant ou après la loi du 15 juillet 2008 - Régimes différenciés de communication - Rôle du mandataire désigné dans le protocole - Caractère plein et entier du contrôle du juge sur le refus d’autoriser une communication anticipée - Contrôle de proportionnalité - Cassation - Communication ordonnée.

 L'article L. 213-4 du code du patrimoine, dans la version qui lui a été donnée par la loi du 15 juillet 2008, dispose : « Le versement des documents d'archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement peut être assorti de la signature entre la partie versante et l'administration des archives d'un protocole relatif aux conditions de traitement, de conservation, de valorisation ou de communication du fonds versé, pendant la durée des délais prévus à l'article L. 213-2. Les stipulations de ce protocole peuvent également s'appliquer aux documents d'archives publiques émanant des collaborateurs personnels de l'autorité signataire.

Pour l'application de l'article L. 213-3, l'accord de la partie versante requis pour autoriser la consultation ou l'ouverture anticipée du fonds est donné par le signataire du protocole.

Le protocole cesse de plein droit d'avoir effet en cas de décès du signataire et, en tout état de cause, à la date d'expiration des délais prévus à l'article L. 213-2.

Les documents d'archives publiques versés antérieurement à la publication de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives demeurent régis par les protocoles alors signés. Toutefois, les clauses de ces protocoles relatives au mandataire désigné par l'autorité signataire cessent d'être applicables vingt-cinq ans après le décès du signataire. ».

Ces dans ces conditions que le demandeur, déjà auteur de deux ouvrages consacrés au rôle de la France au Rwanda relatant les événements liés au génocide perpétré en 1994, a sollicité l’accès à un certain nombre de documents figurant dans les archives déposées par le président Mitterrand en vue de la préparation d'un ouvrage consacré à la « politique africaine du président François Mitterrand en Afrique centrale (1981-1995) ». Ayant essuyé deux refus, il a, à deux reprises, saisi le juge administratif. En premier lieu, il a demandé au tribunal administratif d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née deux mois après l'enregistrement par la commission d'accès aux documents administratifs, de sa demande de consultation anticipée de certaines archives du Président François Mitterrand et d'enjoindre à la ministre de la culture et de la communication de lui communiquer les éléments sollicités dans sa demande du 14 juillet 2015. Le tribunal administratif a prononcé un non-lieu à statuer concernant le refus de communication des documents dont l'accès a finalement été autorisé par une décision du ministère de la culture et a rejeté, pour le surplus, ses demandes. Le requérant s’est pourvu en Conseil d’État. En second lieu, M. X. a demandé au tribunal administratif d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle la ministre de la culture a rejeté sa demande de consultation anticipée de certaines archives du Président François Mitterrand et d'enjoindre à celle-ci de lui communiquer les éléments sollicités dans sa demande du 14 juillet 2015. Le rejet de ses demandes par le tribunal le conduit à une seconde saisine du Conseil d’État. Les deux affaires ont été jointes.

Le juge rappelle qu’en adoptant les dispositions des art. L. 213-2, 3 et 4 du code du patrimoine qui régissent, d'une part, les protocoles de remise des archives publiques émanant du président de la république, du premier ministre et des autres membres du gouvernement signés postérieurement à la publication de la loi du 15 juillet 2008 et, d'autre part, les protocoles signés antérieurement à la publication de cette loi, le législateur a entendu favoriser la conservation et le versement de ces documents en leur accordant une protection particulière. S’ensuit alors la description de la balance à opérer entre les divers intérêts en cause, d’où cette affirmation : « Ces dispositions doivent être, d'une part, interprétées conformément à l'article 15 de la Déclaration du 26 août 1789 qui garantit, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 septembre 2017, le droit d'accès aux documents d'archives publiques et, d'autre part, appliquées à la lumière des exigences attachées au respect de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif à la liberté d'expression duquel peut résulter, à certaines conditions, un droit d'accès à des informations détenues par l'État. » Naturellement, quelle que soit la date de signature du protocole, antérieure ou postérieure au 15 juillet 2008, « l'autorisation de consultation anticipée des documents d'archives publiques est accordée aux personnes qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger, en particulier le secret des délibérations du pouvoir exécutif, la conduite des relations extérieures et les intérêts fondamentaux de l'État dans la conduite de la politique extérieure. »

Si la décision a été rendue en Assemblée c’est en raison du pouvoir considérable que se reconnaît ici le juge de l’excès de pouvoir - à travers le contrôle de proportionnalité - puisqu’il lui appartient « saisi de moyens en ce sens, de contrôler la régularité et le bien-fondé d'une décision de refus de consultation anticipée du ministre de la culture, prise sur avis conforme du signataire du protocole ou de son mandataire. Il lui revient, en particulier, d'exercer un entier contrôle sur l'appréciation portée, dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 213-4 du code du patrimoine, sur la proportionnalité de la limitation qu'apporte à l'exercice du droit d'accès aux documents d'archives publiques le refus opposé à une demande de consultation anticipée, par dérogation au délai fixé par le protocole. »

C’est d’ailleurs en raison de cette nécessité que, par exception, malgré sa qualité de juge de l’excès de pouvoir en cette matière, il apprécie la légalité du refus administratif non à la date de son édiction mais à celle à laquelle il statue, ceci « eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l'écoulement du temps et l'évolution des circonstances de droit et de fait afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention ».

C’est en raison de ces conditions procédurales d’origine purement prétorienne qu’il rejette l’argument d’inconventionnalité des dispositions législatives en cause avancé par le demandeur. En effet, de ce fait, les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 213-4 du code du patrimoine ne peuvent être regardées comme méconnaissant l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou l'article 13 de la même convention relatif au droit au recours effectif.

Enfin, pour faire bonne mesure, le Conseil d’État ajoute encore que le contrôle exercé par le juge de cassation ici porte sur la qualification juridique des faits.

Il se déduit donc de ce qui précède que, dans le contrôle qu'il a exercé sur les refus contestés devant lui, le tribunal administratif a commis une erreur de droit car il s'est borné à rechercher si les décisions litigieuses n'étaient pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation alors qu'il lui appartenait d'exercer, pour assurer le respect de la liberté d'expression et du droit au recours effectif que requiert le contrôle du respect de cette liberté, un entier contrôle sur la proportionnalité du refus d'autoriser une consultation anticipée.

Appliquant enfin cette longue analyse théorique aux faits de l’espèce, le juge de cassation conclut qu’ « Au terme de la mise en balance des intérêts en présence, il apparaît, à la date de la présente décision, que l'intérêt légitime du demandeur est de nature à justifier, sans que soit portée une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger, l'accès aux archives litigieuses. Il s'ensuit que les refus opposés aux demandes de M. X. sont entachés d'illégalité. »

(Assemblée, 12 juin 2020, M. X., n° 422327 et 431026, jonction)

 

24 - Exercice du droit de préemption - Action de l'acquéreur évincé - Présomption d'urgence - Exceptions à cette présomption - Renonciation du propriétaire du bien à son aliénation - Cessation de la présomption d'urgence - Délai de paiement du prix d'acquisition - Non-respect par la collectivité publique préemptrice - Conséquences - Annulation de l'ordonnance et rejet du recours.

Cette intéressante décision revisite un certain nombre de questions juridiques relatives à l'exercice du droit de préemption et y apporte parfois des réponses nouvelles ou innovantes.

Au plan procédural, en raison des effets d'une décision de préemption pour l'acquéreur évincé, la condition d'urgence, au sens et pour l'application de l'art. L. 521-1 CJA doit en principe être regardée comme remplie, lorsque sa suspension est demandée. Il n'en va autrement que dans le cas où existeraient des circonstances particulières invoquées par le titulaire du droit de préemption, comme par exemple, en l'espèce, le besoin de l'intervention rapide de mesures de protection de milieux naturels fragiles en cas d'exercice du droit de préemption sur des biens situés dans les espaces naturels sensibles.

Au fond, la renonciation par le propriétaire d'un bien à son aliénation par suite de la réception de la décision de préemption à un prix inférieur à celui qui figure dans la déclaration d'intention d'aliéner, fait obstacle à ce que le titulaire du droit de préemption en poursuive l'acquisition tout comme à que cette acquisition soit menée à son terme au profit de l'acquéreur évincé. Dans cette hypothèse, l'urgence cesse, le cas échéant, d'exister au profit de l'acquéreur évincé sauf circonstances tenant à la nécessité pour lui de réaliser à très brève échéance le projet qu'il envisage sur les parcelles considérées.

Enfin, la méconnaissance du délai de quatre mois (cf. art. L. 213-14 c. urb.) pour payer ou consigner le prix d'acquisition entraîne la caducité de la décision de préemption, dont le titulaire du droit de préemption ne peut plus poursuivre l'exécution, ce qui permet au vendeur d'aliéner librement son bien, entraînant par là la cessation de l'urgence éventuelle.

(29 juin 2020, SCI Eaux douces, n° 435502)

 

Collectivités territoriales

 

25 - Droit de préemption - Régime applicable à Paris, Marseille et Lyon - Obligation d’informer le maire d’arrondissement des déclarations d’intention d’aliéner et des suites données à celles-ci - Absence de consultation préalable pour avis - Rejet.

Les dispositions de l’art. L. 2511-30 du CGCT, qui ne sont applicables qu’à Paris, Marseille et Lyon, prévoient que le maire d'arrondissement soit préalablement consulté pour avis seulement sur les projets d'acquisition ou d'aliénation d'immeubles ou de droits immobiliers réalisées par la commune dans l'arrondissement.

En revanche, s'agissant des procédures de préemption, ces dispositions n’obligent qu’à tenir le maire d'arrondissement informé, d’une part, des déclarations d'intention d'aliéner des biens situés dans cet arrondissement et d’autre part, chaque mois, des suites qui leur ont été réservées.

En l’espèce, c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé que le maire du vingtième arrondissement devait seulement être informé de la déclaration d'intention d'aliéner que la ville de Paris avait reçue et non invité à émettre un avis sur le projet d'acquisition de l'immeuble en cause par voie de préemption.

(10 juin 2020, Société France Immo, n° 428072)

 

Contentieux

 

26 - Réfugiés et apatrides - Procédure devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Hypothèses de jugement par un seul magistrat - Procédure accélérée - Contrôle restreint du juge de cassation - Rejet.

La requérante qui contestait une décision de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) devant la CNDA, se plaignait de ce que sa situation personnelle n'était pas compatible avec un examen de sa demande d'asile en procédure accélérée comme ce fut le cas en l’espèce.

Le juge de cassation rappelle que le recours à la procédure accélérée, qui fait intervenir un magistrat statuant seul, est toujours possible lorsque ne se justifie pas l’intervention d’une formation collégiale (cf. art. L.731-2 CESEDA). Par ailleurs, le juge unique peut toujours décider de renvoyer l'affaire à une formation collégiale notamment lorsqu'il estime que la demande d'asile ne relève pas de la procédure accélérée, en particulier en raison de la vulnérabilité du demandeur, ou soulève une difficulté sérieuse.

Il rappelle qu’il ne saurait sanctionner que les cas de recours abusif à cette procédure.

En l’espèce, compte tenu de l’argumentation présentée par l’intéressée, l’utilisation de la procédure à magistrat unique n’a rien eu d’abusif.

(3 juin 2020, Mme X., n° 421888)

 

27 - Covid-19 - Demande d’inscription des infractions aux « gestes barrières » dans un fichier national - Refus portant atteinte au droit à la vie et au droit à la protection de la santé - Rejet.

Le requérant prétendait illégal le refus de la directrice des affaires criminelles et des grâces d'inscrire l'infraction correspondant au non-respect des « gestes barrières » dans la base de données nationale des infractions (NATINF) et demandait en conséquence au juge du référé liberté du Conseil d’État de lui donner injonction en ce sens.

Sera-t-on vraiment surpris du rejet de cette requête, faute que soit démontrée une urgence particulière à statuer sur celle-ci ?

(ord. réf. 3 juin 2020, M. X., n° 440902)

 

28 - Juridiction des référés - Juridiction du provisoire - Référé suspension - Injonction devant elle-même être provisoire - Suspension sans effet rétroactif - Cassation sans renvoi.

Rappel de ce que, d'une part, la suspension d'une décision sur référé n'a pas, à la différence d'une annulation sur recours pour excès de pouvoir, de caractère rétroactif, et d'autre part, le caractère provisoire de la juridiction de référé impose que les mesures ordonnées par voie d'injonction dans le cadre d'un tel référé aient elles aussi un caractère provisoire.

(29 juin 2020, Université des Antilles, n° 432029)

 

29 - Pension militaire de retraite versée à une ayant-cause - Demande de décristallisation - Délai de recours contre des décisions implicites prises dans une matière de plein contentieux - Entrée en vigueur et application du décret du 2 novembre 2016 - Annulation avec renvoi au tribunal administratif.

Un litige en contestation de décisions implicites prises en matière de décristallisation de la pension militaire de retraite versée à une ayant-cause conduit le Conseil d’État à préciser à nouveau le régime du délai de recours contre les décisions implicites portant sur des matières relevant de la pleine juridiction ou plein contentieux.

Alors que, en ces matières, seule une décision explicite pouvait lier le contentieux et qu’une décision implicite ne le liait pas (cf. ancien art. R. 421-3, 1° CJA), permettant au délai de recours de courir indéfiniment, sauf application - brinquebalante ces dernières années - de la théorie de la connaissance acquise, le décret du 2 novembre 2016 a supprimé cette seconde branche de l’alternative.

Implicite ou pas, la décision, lorsque son sens est négatif, doit être attaquée dans le délai de deux mois francs. Cette règle nouvelle est entrée en vigueur le 1er janvier 2017.

Pour celles des décisions implicites constituées avant le 1er janvier 2017, le délai de recours a expiré en principe le 2 mars 2017.

Toutefois, il demeure, d’une part, (art. L. 112-3, L : 112-6 et R. 112-5 du CRPA) que les délais de recours contre une décision implicite de rejet ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception prévu par ce code ne lui a pas été transmis ou que celui-ci ne comporte pas les mentions prévues par ce code, notamment celles relatives aux voies et délais de recours et, d’autre part, que persiste l’exception de connaissance acquise, lorsque cette connaissance est établie. Il s’ensuit que dans le cas où font défaut les accusés de réception ou mentions précitées mais où l’intéressé a acquis connaissance certaine de la décision implicite, celui-ci, dans un souci de sécurité juridique, dispose d'un délai raisonnable d’un an (sauf circonstances particulières invoquées par le requérant) pour saisir le juge d’un recours contre la décision implicite litigieuse par application de : Assemblée, 13 juillet 2016, Czabaj, n° 387763.

Appliquée au cas des décisions implicites de forme défectueuse constituées avant le 1er janvier 2017 et dont la connaissance doit être tenue pour acquise, ce délai raisonnable, qui n’a pu commencer à courir qu’à compter du 1er janvier 2017, contrairement à ce qu’avait jugé le tribunal administratif, a expiré le 31 décembre 2017.

(3 juin 2020, Mme X., n° 428222)

 

30 - Acte faisant grief - Notion - Cas du projet stratégique et opérationnel d'un établissement public d'aménagement - Acte à caractère « exécutoire » - Acte ne faisant pas grief - Rejet.

(3 juin 2020, Association Collectif associatif 06 pour des réalisations écologiques (CAPRE 06), n° 423502) V. n° 6

 

31 - Compétence du tribunal administratif - Refus préfectoral d’autoriser l’exploitation de parcelles agricoles - Lieu de situation de ces parcelles - Lieu d’exercice de la profession - Renvoi au tribunal ainsi déterminé.

Le recours dirigé contre le refus d'autorisation d'exploiter plusieurs parcelles opposé par le préfet en application des articles L. 331-1 à L. 331-11 du code rural et de la pêche maritime étant relatif à une législation régissant les activités agricoles, au sens de l'article R. 312-10 du CJA, le tribunal administratif territorialement compétent pour en connaître est celui dans le ressort duquel se trouvent les parcelles faisant l'objet de la demande d'autorisation d'exploitation, celles-ci devant être regardées comme constituant le lieu d'exercice de la profession au sens de ces mêmes dispositions.

(10 juin 2020, EARL Prest, n° 427630)

(32) V. également, comparable avec même solution, à propos d’une autorisation préfectorale d’exploiter des terres sans soumission au contrôle des structures agricoles : 10 juin 2020, M. et Mme X., n° 427877.

 

33 - Réalisation d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) - Déclaration d’utilité publique du projet (DUP) - Arrêté de cessibilité des parcelles concernées - Incompatibilité du plan d’urbanisme avec la DUP - Obligation de mise en conformité par modification du plan - Annulation du plan postérieure à la DUP - Remise en vigueur du POS immédiatement antérieur et devant être réputé compatible avec l’acte déclaratif d’utilité publique - Annulation de l’arrêt jugeant le contraire - Refus de régler de juges.

(3 juin 2020, ministre de l’intérieur, n° 421970) V. n° 170

 

34 - Détermination du périmètre et constitution de l’inventaire d’une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) - Nature juridique - Absence de caractère décisoire - Acte non susceptible de faire grief - Rejet.

(3 juin 2020, Commune de Piana, n° 422182) V. n° 109

 

35 - Recours Tarn-et-Garonne - Conditions de recevabilité du recours d’un tiers contre un contrat administratif - Contrat de conception-réalisation - Recours d’un conseil régional de l’ordre des architectes - Absence de lésion suffisamment directe et certaine des intérêts collectifs représentés par ce conseil - Défaut d’intérêt pour agir - Irrecevabilité - Rejet.

(3 juin 2020, Conseil régional de l'ordre des architectes des Pays de la Loire, n° 426932) V. n° 56

 

36 - Fonction publique - Classement à l’issue de la scolarité à l’ÉNA - Contestation - Demande de renvoi d’une affaire pendante devant le Conseil d’État pour cause de suspicion légitime - Irrecevabilité - Rejet.

Dans le cadre d’un recours dirigé contre le déroulement des épreuves de sortie de l’ÉNA, le requérant demande le renvoi pour cause de suspicion légitime de l’affaire dont le Conseil d’État est saisi.

Sa requête est évidemment irrecevable de ce chef car un tel renvoi doit être porté devant la juridiction supérieure à celle qui fait l’objet de la suspicion. Il n’en existe point au-dessus du Conseil d’État. Le recours est donc rejeté.

(3 juin 2020, Association Partage et Ambition et autre, n° 437638)

 

37 - Référé suspension - Permis de construire - Immeuble situé dans le champ de co-visibilité d'un édifice classé ou inscrit (art. L. 621-30 du code du patrimoine) - Appréciation de cette notion - Absence d’autorisation de l’architecte des Bâtiments de France (ABF) - Pouvoir, devoir et office du juge de cassation statuant sur une ordonnance retenant deux motifs d’illégalité de la décision délivrant un permis de construire dont l’un est censuré par lui et l’autre abandonné par le premier juge postérieurement à son ordonnance - Annulation intégrale de l’ordonnance frappée de pourvoi.

(ord. réf. 5 juin 2020, Association des riverains du Barbot-Chambre d’Amour et autres, n° 431994) V. n° 174

 

38 - Référé « mesures utiles » (art. L. 521-3 CJA) - Conditions de saisine - Office du juge saisi - Urgence à statuer - Absence - Annulation de l’ordonnance attaquée.

A la sortie d’une canalisation d’une station d'épuration, les eaux de celle-ci débouchent sur des terrains appartenant aux requérants et y causent des dommages.

A la suite d’un référé constat (art. R. 531-1 CJA), le juge des référés du tribunal administratif a enjoint au syndicat mixte gestionnaire de la station d’épuration de présenter avant le 31 décembre 2019 un programme d'intervention pour, dans un premier temps, réduire puis supprimer les dommages subis par les demandeurs du fait de la stagnation des eaux et du dépérissement des arbres sur une surface estimée à 2,4 hectares. Le syndicat se pourvoit contre cette ordonnance.

Le juge de cassation rappelle les conditions auxquelles est soumis un tel référé.

Tout d’abord, il doit se rattacher, comme c’est le cas en l’espèce, à un litige relevant de la compétence du juge administratif.

Ensuite, le juge saisi peut prescrire, comme il l’a fait ici, à des fins conservatoires ou à titre provisoire, toutes mesures que l'urgence justifie, notamment sous forme d'injonctions adressées à l'administration, à la double condition que ces mesures soient utiles et qu’elles ne se heurtent à aucune contestation sérieuse.

Également, le juge de ce référé peut, pour prévenir ou faire cesser un dommage imputable à des travaux publics ou à un ouvrage public, comme en l’espèce, enjoindre au responsable du dommage de prendre des mesures conservatoires destinées à faire échec ou à mettre un terme à des dangers immédiats, à condition que n’existe pas de contestation sérieuse tant sur l'imputabilité du dommage à ces travaux publics ou à  l'ouvrage public que sur la faute que commet la personne publique en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets.

Toutefois, l’ordonnance litigieuse est annulée car elle est défaillante sur deux points.

1° Fait défaut la condition d’urgence, les faits en cause existant depuis, au moins, 2010, sans que soit apparue depuis une évolution justifiant d’une urgence à statuer.

2° Le juge des référés a ordonné des travaux et études sans rechercher, comme il le devait pourtant, si un motif d'intérêt général ou le respect des droits des tiers justifiaient l'abstention de la personne publique et excluaient toute faute de sa part (application de : 6 décembre 2019, Syndicat des copropriétaires du Monte Carlo Hill, n° 417167, voir cette chronique, décembre 2019, n° 122).

L’ordonnance est cassée.

(ord. réf. 5 juin 2020, Syndicat intercommunal des eaux de la Vienne (SIVEER), n° 435126)

 

39 - Association culturelle - Contestation de la mise à sa charge de frais du service d'ordre assuré par les forces de police ou de gendarmerie - Allégation d'un coût supplémentaire pour ses adhérents - Absence de qualité de représentante des intérêts économiques de ses membres - Absence d'intérêt à agir - Rejet.

L'association requérante demandait l'annulation du refus du ministre de l'intérieur d'abroger une instruction relative à l'indemnisation des services de police ou de gendarmerie nationale engagés à l'occasion d'événements nécessitant un dispositif de sécurité particulier. Elle invoquait notamment au soutien de sa requête le risque, pour les manifestations organisées par ses adhérents, de coûts supplémentaires liés aux dépenses de services d'ordre.

Son recours est rejeté pour irrecevabilité car l'association, qui n'a pas pour objet la défense des intérêts économiques de ses membres, n'a donc pas d'intérêt pour agir à l'encontre de l'instruction précitée.

(29 juin 2020, Association Collectif des festivals, n° 433158)

 

40 - Changement de nom - Motifs - Invocation de motifs de caractère affectif - Invocabilité limitée à des circonstances exceptionnelles - Production d’un mémoire postérieurement à la clôture de l’instruction - Obligation de le viser - Obligation de le soumettre à la discussion contradictoire en cas de réouverture de l’instruction - Absence - Cassation sans renvoi.

Dans un litige relatif à un refus de changement de nom opposé par la garde des sceaux, cette dernière avait déposé son premier mémoire après la clôture de l’instruction mais le juge, tout en le visant, ne l’a pas communiqué au demandeur alors qu’il s’agissait du premier mémoire produit en défense et qu’il se fonde sur l’argumentation qu’il contient pour rejeter la demande du requérant.

La cassation était inévitable et elle a lieu ici sans renvoi, le juge annulant la décision ministérielle et plus rien ne restant donc à juger.

(10 juin 2020, M. X., n° 419176) V. aussi mention de cette décision à la rubrique État-civil - Nationalité, n° 112

 

41 - Requête introductive d’instance annonçant la production d’un mémoire complémentaire - Rejet du recours sur le fondement de l'article R. 222-1 CJA sans invitation préalable à produire dans un certain délai - Irrégularité - Rejet d’un recours comme étant manifestement irrecevable sans communication préalable du mémoire opposant cette irrecevabilité - Irrégularité - Cassation.

Doit être annulée pour irrégularité, alors que le demandeur a annoncé dans sa requête introductive d'instance la production d'un mémoire complémentaire, l’ordonnance, prise sur le fondement du dernier alinéa de l'article R. 222-1 CJA, rejetant son recours alors qu'aucun délai ne lui avait été imparti pour la production du mémoire complémentaire annoncé ou sans qu'il ait été averti du délai à l'issue duquel une ordonnance pourrait intervenir.

Cette ordonnance doit encore être annulée pour avoir rejeté le recours comme manifestement irrecevable car formé contre un acte insusceptible de recours sans communication préalable au requérant, en violation du principe du contradictoire, du mémoire en défense qui opposait cette irrecevabilité.

(10 juin 2020, M. X., n° 427806) V. également sur cette décision le n° 7

 

42 - Permis de construire - Annulation pour plusieurs motifs - Existence d’au moins un motif erroné - Pourvoi en cassation - Effet - Cas où le jugement se prononce sur une demande d’annulation pour excès de pouvoir - Existence d’au moins un motif de nature à justifier la solution retenue par le jugement frappé de pourvoi - Absence d’annulation.

Le litige portait sur le permis de construire un immeuble de 27 logements. Ce permis avait été annulé par le tribunal administratif et frappé de pourvoi en cassation.

La difficulté juridique principale résidait en ce que l’annulation avait été prononcée pour plusieurs motifs dont l’un au moins était juridiquement erroné.

Le juge de cassation rappelle qu’en cette hypothèse il convient de distinguer deux situations. Tout d’abord, normalement le juge de cassation n’a pas à rechercher si la juridiction aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur les autres motifs et il doit accueillir le pourvoi. Ensuite, et par exception, lorsque la décision juridictionnelle attaquée prononce l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif, dans la mesure où l'un quelconque des moyens retenus par le juge du fond peut suffire alors à justifier son dispositif d'annulation, le juge de cassation n’annule pas le jugement.

C’est le cas en l’espèce où des trois motifs retenus par les premiers juges pour annuler le permis de construire, seul le premier était erroné en droit, les deux autres justifiant, chacun, le jugement contesté.

Le pourvoi est donc rejeté

(10 juin 2020, M. X. et autres, n° 420447)

(43) V. aussi, comparable, à propos de de la délivrance d’un permis de démolir et d’un permis de construire : 12 juin 2020, Commune de Saint-Raphaël, n°428003

 

44 - Prorogation du délai de recours - Aide juridictionnelle - Conditions et effets - Recours gracieux formé après expiration du délai de recours contentieux - Absence de réouverture du délai de recours contentieux - Rejet.

Cette décision, rendue en matière de suspension des droits au revenu de solidarité active du requérant, intéresse de deux façons le régime de la prorogation des délais de recours contentieux.

En premier lieu, et c’est l’apport important de la décision, était en cause le régime prorogatoire des demandes d’aide juridictionnelle. Question compliquée par des textes qui ne sont pas toujours à l’unisson.

Il résulte de la combinaison, d’une part, de l’art. 23, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, et d’autre part, de l’art. 38 du décret du 19 décembre 1991 pris pour l’application de la loi précitée, qu'une demande d'aide juridictionnelle interrompt le délai de recours contentieux.

Un nouveau délai de même durée recommence à courir à l'expiration d'un délai de quinze jours après la notification à l'intéressé de la décision se prononçant sur sa demande d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, à compter de la date de désignation de l'auxiliaire de justice au titre de l'aide juridictionnelle.

Cette prorogation s’applique quel que soit le sens de la décision se prononçant sur la demande d'aide juridictionnelle : refus du bénéfice de l’aide, admission partielle ou admission totale à cette aide. Dans ce dernier cas, ni la durée ni la computation de ce délai ne sont modifiées par le fait que seul le ministère public ou le bâtonnier a vocation à contester une telle décision.

En second lieu, il est rappelé, très classiquement, qu’un recours gracieux ne peut proroger le point de départ du délai du recours contentieux que sous la condition péremptoire qu’il ait lui-même été formé avant l’expiration du délai du recours contentieux.

(10 juin 2020, M. X., n° 422471)

 

45 - Dénaturation des pièces du dossier - Affirmation de la réception régulière d’une décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) - Affirmation contredite par les pièces du dossier - Cassation.

Dénature les pièces d’un dossier la Cour nationale du droit d’asile qui rejette le recours d’un réfugié au motif que la décision de l'OFPRA qu’il conteste lui avait été régulièrement notifiée alors qu’il ressort du dossier qu'à l'appui des affirmations du requérant selon lesquelles il n'a jamais reçu ce pli, la directrice du centre d'accueil pour demandeurs d'asile où il est domicilié a, d'une part, certifié par un courrier adressé à l'OFPRA que le centre d'accueil n'avait pas reçu l'avis de passage du 1er février 2019 et, d'autre part, adressé une réclamation au bureau de poste correspondant le 14 mars 2019, faisant état de trois plis recommandés prétendument « présentés » par les services postaux sans aucun avis de passage dans la boîte aux lettres du centre d'accueil. 

(12 juin 2020, M. X., n° 431150)

(46) V. aussi, voisin par application de la même « philosophie » : 19 juin 2020, M. X., n° 431128, où une notification au centre de rétention administrative où se trouvait l’intéressé et qui n’a pas, ensuite, signalé son changement d’adresse est considérée comme régulière. Le demandeur ne pouvait exciper de ce qu’il n’avait pas signé lui-même le récépissé postal de réception.

 

47 - Annonce de la production ultérieure d’un mémoire complémentaire - Mise en demeure de produire - Mémoire au contenu identique à celui de la requête sommaire - Désistement d’office - Erreur de droit - Cassation.

Commet une erreur de droit le juge de la cour administrative d’appel statuant seul qui, constatant qu’après mise en demeure de produire le mémoire complémentaire qu’il avait annoncé dans sa requête sommaire, le demandeur se borne à produire un mémoire identique au mémoire sommaire, considère qu’il doit être réputé s’être désisté d’office. Il se déduit de l’art. R. 612-5 CJA que l’identité des contenus des mémoires ne saurait fonder le prononcé d'un désistement d’office.

(12 juin 2020, M. X., n° 434775)

 

48 - Aérodromes - Héliport - Acte autorisant la création d’un héliport - Acte sans caractère réglementaire - Acte autorisant sa mise en service - Acte réglementaire - Absence en l’espèce - Compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve implanté l’héliport - Renvoi à ce tribunal.

Dans le cadre d’un litige opposant les requérants à la commune de l'Île d'Yeu au sujet de la création d'une hélistation autorisée par arrêté du ministre des transports, se posait la question de la juridiction compétente pour en connaître.

Saisi, le Conseil d’État juge que s’il résulte de l'article L. 6312-2 du code des transports que « les conditions de la création et de la mise en service » des aérodromes ont une nature réglementaire et que leur contentieux relève de la compétence de premier ressort du Conseil d’État, il n’en va pas de même de l’arrêté qui se borne à autoriser la création d’un aérodrome. Celui-ci n’a pas de caractère réglementaire et les litiges qu’il soulève relèvent de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve situé l’aérodrome.

On a vu plus simple et moins alambiqué… Deux ans pour trouver le « bon » juge au sein de l’ordre administratif de juridiction, c’est beaucoup, c’est trop…

(10 juin 2020, Association Les Riverains du port et autre, n° 425417)

 

49 - Stationnement payant - Infraction - Forfait post-stationnement - Émission d’un titre exécutoire - Cession du véhicule entretemps - Contestation du titre exécutoire - Charge du paiement de la somme réclamée - Rejet.

Cette décision aborde plusieurs questions délicates du droit applicable en matière de post-stationnement. Le requérant a saisi le Conseil d’État d’un pourvoi dirigé contre l’ordonnance du magistrat désigné par la présidente de la commission du contentieux du stationnement payant rejetant sa demande d'annulation d’un titre exécutoire émis par l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI) en vue du recouvrement du forfait de post-stationnement mis à sa charge par la Ville de Paris et de la majoration dont il est assorti. Sa situation était encore compliquée par le fait qu’entre le constat du dépassement du temps de stationnement pré-payé et l’envoi de l’avis de payement, le requérant avait cédé son véhicule.

Il résulte des dispositions, d’une part du VI de l’art. L. 2333-87 du CGCT et, d’autre part, de celles de l’art. R. 2333-120-35 de ce code, respectivement, que « VI. - (...) Les recours contentieux visant à contester l'avis de paiement du montant du forfait de post-stationnement dû font l'objet d'un recours administratif préalable obligatoire auprès de la commune, de l'établissement public de coopération intercommunale, du syndicat mixte ou du tiers contractant dont relève l'agent assermenté ayant établi ledit avis. (...).

La décision rendue à l'issue du recours administratif préalable contre l'avis de paiement du forfait de post-stationnement peut faire l'objet d'un recours devant la commission du contentieux du stationnement payant. Le titre exécutoire émis en cas d'impayé peut également faire l'objet d'un recours devant cette commission. Il se substitue alors à l'avis de paiement du forfait de post-stationnement impayé (...). » et que « Lorsqu'un titre exécutoire est émis, il se substitue à l'avis de paiement du forfait de post-stationnement impayé ou à l'avis de paiement rectificatif impayé, lequel ne peut plus être contesté. Aucun moyen tiré de l'illégalité de cet acte ne peut être invoqué devant la juridiction à l'occasion de la contestation du titre exécutoire, sauf lorsque le requérant n'a pas été mis à même de contester le forfait de post-stationnement directement apposé sur son véhicule en raison de la cession, du vol, de la destruction ou d'une usurpation de plaque d'immatriculation dudit véhicule ou de tout autre cas de force majeure ».

Réglant d’abord la question du droit à contestation du titre exécutoire, le juge déduit de ces dispositions combinées que le redevable d'un forfait de post-stationnement qui entend contester le bien-fondé de la somme mise à sa charge doit saisir l'autorité administrative d'un recours administratif préalable dirigé contre l'avis de paiement et, en cas de rejet de ce recours, introduire une requête contre cette décision de rejet devant la commission du contentieux du stationnement payant. En cas d'absence de paiement de sa part dans les trois mois et d'émission, en conséquence, d'un titre exécutoire portant sur le montant du forfait de post-stationnement augmenté de la majoration due à l'État, il est loisible au même redevable de contester ce titre exécutoire devant la commission du contentieux du stationnement payant, qu'il ait ou non engagé un recours administratif contre l'avis de paiement et contesté au contentieux le rejet de son recours.

Audacieusement, le juge ajoute - contre l’intention claire du législateur -  que même si l'article R. 2333-120-35 précité dispose que le redevable qui saisit la commission du contentieux du stationnement payant d'une requête contre un titre exécutoire n'est pas recevable à exciper de l'illégalité de l'avis de paiement du forfait de post-stationnement auquel ce titre exécutoire s'est substitué, il ne fait cependant pas obstacle à ce que l'intéressé conteste, dans le cadre d'un litige dirigé contre le titre exécutoire, l'obligation de payer la somme réclamée par l'administration.

Abordant ensuite la question de la cession du véhicule, le juge déduit de dispositions combinées du CGCT (art. L. 2333-87, VII et art. R. 2333-120-13) et du code de la route (art. L. 330-1 et R. 322-4) que le débiteur du forfait de post-stationnement et de sa majoration éventuelle est la personne titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule à la date d'émission de l'avis de paiement de ce forfait. Toutefois, lorsque le véhicule a été cédé, son acquéreur est le débiteur du forfait de post-stationnement dès lors que le vendeur a cédé son véhicule avant l'émission de l'avis de paiement et a procédé à la déclaration prévue par l'article R. 322-4 du code de la route avant cette date ou, en tout état de cause, dans le délai de quinze jours prévu à cet article.

D’où cette conséquence très logique : lorsque l'ancien propriétaire d'un véhicule conteste un avis de paiement ou un titre exécutoire qui lui a été adressé à raison d'un stationnement de ce véhicule constaté après la date de la cession, il ne peut utilement invoquer, devant l'administration ou, le cas échéant, devant la commission du contentieux du stationnement payant, le fait qu'il n'était plus propriétaire du véhicule à la date d'établissement de l'avis de paiement que s'il justifie, en outre, avoir déclaré la cession de son véhicule au ministre de l'intérieur avant l'établissement de l'avis de paiement ou dans le délai de quinze jours prévu par l'article R. 322-4 du code de la route.

Au final, si l’ordonnance attaquée est annulée en tant qu’elle fonde le rejet du recours sur ce que l'intéressé ne pouvait utilement contester l'obligation de payer la somme réclamée par l'administration, au motif que cette contestation mettait en cause la légalité de l'avis de paiement auquel le titre exécutoire s'était substitué, en revanche, le pourvoi est lui aussi rejeté dès lors que le requérant n’a déclaré la cession de son véhicule au ministre de l'intérieur que le 5 juin 2018, soit plus de quinze jours après la cession du véhicule et postérieurement à l'émission de l'avis de paiement, le 2 mars 2018.

Où l’on voit que malgré les meilleures intentions du monde pour simplifier et accélérer un contentieux irritant et volumineux, la logique juridique, reprenant ses droits, transforme cette intention en chemin sinueux…

(10 juin 2020, M. X., n° 427155)

(50) V. aussi, avec solution favorable à la requérante pour avoir déclaré dans les délais légaux la cession de son véhicule : 10 juin 2020, Mme X., n° 429414.

(51) V. également, reprenant largement les éléments ci-dessus mais estimant sérieuse la QPC posée à propos des dispositions de l'art. L. 2333-87-5 CGCT en ce que, en subordonnant la recevabilité des recours devant la commission du contentieux du stationnement payant au paiement préalable, par le redevable qui conteste la somme mise à sa charge, du montant du forfait de post-stationnement et, le cas échéant, de la majoration dont il est assorti, sans prévoir aucune possibilité de dérogation, elles affectent le droit à recours juridictionnel effectif : 10 juin 2020, Mme X., n° 433276.

 

52 - Police des transports publics de personnes - Police des transports de matières dangereuses - Avis d’incompatibilité (art. L. 114-2 du code de la sécurité intérieure) - Distinction entre les avis selon les alinéas 1 (avis antérieur au recrutement ou à l’affectation sur un emploi) et 2 (avis sur une personne déjà en poste) de cet article - Portée - Avis faisant grief - Inopérance des moyens tirés d’erreurs dans l’identification de l’alinéa applicable.

(10 juin 2020, M. X., n° 435379) V. n° 150

 

53 - Ordre des pharmaciens - Conseil national saisi d’un recours en suspicion légitime contre une chambre régionale - Pourvoi en cassation de cette dernière contre l’arrêt du Conseil national - Pourvoi irrecevable - Rejet.

Des pharmaciens, ayant déposé des plaintes contre des confrères devant la chambre de discipline de l’ordre des pharmaciens de la Polynésie française, ont demandé à la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens de renvoyer - pour cause de suspicion légitime - ces plaintes à la chambre de discipline d'un autre conseil de l'ordre. La chambre nationale s’est attribuée le jugement de ces plaintes. L’ordre des pharmaciens de la Polynésie se pourvoit en cassation contre cette dernière décision.

Le pourvoi est rejeté pour irrecevabilité.

En effet, alors même que la chambre nationale de discipline a adressé une demande d’observations à la chambre requérante, celle-ci n’étant pas l’auteur des plaintes n’avait pas la qualité de partie dans l’instance frappée de pourvoi. Le principe constant en la matière est que : « La voie du recours en cassation n'est ouverte qu'aux personnes qui ont eu la qualité de partie dans l'instance ayant donné lieu à la décision attaquée. Doit être notamment regardée comme une partie à l'instance devant les juges du fond la personne qui a été invitée par la juridiction à présenter des observations et qui, si elle ne l'avait pas été, aurait eu qualité pour former tierce opposition contre la décision rendue par les juges du fond. » Précisément, en l’espèce, la chambre de Polynésie, à défaut de présentation d’observations devant la chambre nationale n’aurait tout de même pas eu qualité pour former tierce opposition alors même qu’elle était visée par l’action en suspicion légitime. Ce qui confirme une solution bien établie (Section, 28 juillet 1999, Sieur Le Goff, n° 165523).

(10 juin 2020, Ordre des pharmaciens de la Polynésie française, n° 423543)

 

54 - Appel - Arrêt rendu sans communication de l’avis d’audience à l’avocat constitué - Cassation.

Encourt la cassation l’arrêt d’une cour administrative d’appel rendu sans communication préalable à l’avocat de la demanderesse de l’avis d’audience et alors, au surplus, que l’instruction avait été rouverte par suite de l’indication par cet avocat qu’il se constituait, dans ce dossier, pour cette requérante.

(17 juin 2020, Mme X., n° 423323)

 

55 - Action en référé suspension - Urgence - Parties entrées en voie de médiation hors de toute procédure juridictionnelle - Incompatibilité de la démarche avec l'invocation d'une urgence - Erreur de droit - Cassation sans renvoi.

Commet une erreur de droit le juge du référé suspension qui, constatant que les parties sont entrées en voie de médiation hors de toute procédure juridictionnelle, rejette la demande de suspension au motif qu'en pareille hypothèse il " n'est pas possible de considérer qu'il y a urgence ". Il ui appartenait de tenir compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce qui lui étaient soumises pour déterminer l'existence ou non d'une urgence à statuer sans s'arrêter à la concomitance d'une procédure de médiation.

La solution du premier juge n'était pas sans fondement rationnel.

(29 juin 2020, Société Arcaro et société Au Cap de Bonne Espérance, n° 435356)

 

Contrats

 

56 - Recours Tarn-et-Garonne - Conditions de recevabilité du recours d’un tiers contre un contrat administratif - Contrat de conception-réalisation - Recours d’un conseil régional de l’ordre des architectes - Absence de lésion suffisamment directe et certaine des intérêts collectifs représentés par ce conseil - Défaut d’intérêt pour agir - Irrecevabilité - Rejet.

Rappel d’une solution bien établie (à partir de : Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994).

Si, indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du CJA, tout tiers à un contrat administratif est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles, c’est à la condition que ce tiers soit susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation du contrat ou par ses clauses.

En l’espèce, un conseil régional de l’ordre des architectes ne peut se prévaloir, pour la contester devant le juge administratif, de ce que l’attribution, à un groupement d’entreprises, d’un marché de conception-réalisation, en vue de la construction d'un collège, lèse de façon suffisamment directe et certaine les intérêts collectifs qu’il représente et dont il a la charge.

Son action, irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, est rejetée.

(3 juin 2020, Conseil régional de l'ordre des architectes des Pays de la Loire, n° 426932)

(57) V. aussi, en tous points identiques au précédent : 3 juin 2020, Conseil régional de l'ordre des architectes des Pays de la Loire, n° 426933 ; 3 juin 2020, Conseil régional de l'ordre des architectes des Pays de la Loire, n° 426938

 

58 - Marché à bons de commande - Marché à procédure adaptée - Formation de commissaires aux armées à la pratique des achats publics - Pondération des critères - Étendue de la faculté de pondération appartenant au pouvoir adjudicateur - Annulation de l’arrêt d’appel.

Des sociétés avaient demandé au tribunal administratif de condamner l'État à réparer le préjudice qui leur avait été causé par leur éviction, qu’elles estimaient irrégulière, du marché à bons de commande conclu par le ministère des armées en vue de la réalisation de prestations de formation « achats publics » au bénéfice du personnel militaire et civil du service du commissariat des armées. Leur action a été rejetée en première instance puis accueillie en appel. Contre cet arrêt la ministre se pourvoit en cassation.

Le marché en question, à bons de commande, a été conclu selon la procédure adaptée, celle-ci n’imposant au pouvoir adjudicateur qu’une obligation de hiérarchisation des critères. Cependant, le ministère des armées avait décidé de procéder à la pondération des critères de choix du marché : les offres seraient appréciées au regard d'un critère de valeur technique pondéré à 90 % et d'un critère de prix pondéré à 10 %.

La cour administrative d’appel estimant la pondération irrégulière au triple motif qu'elle était particulièrement disproportionnée, que sa nécessité n’était pas démontrée et qu'elle conduisait à neutraliser manifestement le critère du prix, avait annulé le marché.

Le Conseil d’État casse cette solution car il résulte du I de l’art. 53 du code des marchés publics alors applicable qu’il incombe au pouvoir adjudicateur de déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse. Il doit le faire en se fondant sur des critères pertinents, liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution et définis avec suffisamment de précision pour ne pas laisser une marge de choix indéterminée au pouvoir adjudicateur et ne pas créer de rupture d'égalité entre les candidats.

En revanche, la pondération des critères de choix des offres est laissée à la liberté d’appréciation du pouvoir adjudicateur sous cette limite que la pondération adoptée n’empêche pas de retenir l'offre économiquement la plus avantageuse.

En allant au-delà de ces exigences pour annuler le marché litigieux, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit.

On peut préférer la solution de la cour.

(10 juin 2020, Ministre des armées, n° 431194)

 

59 - Marché public d'assurance - Demandes de résiliation et d’indemnisation - Demandes émanées d’un candidat évincé - Publication de l’avis mentionnant la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation - Publication faisant courir le délai de recours contentieux - Appréciation erronée en droit d’une réserve - Annulation avec renvoi.

Le centre hospitalier d'Avignon, à la suite d’une procédure d'appel d'offres ouvert, a conclu un marché public d'assurance comportant quatre lots destinés à couvrir ses besoins en matière d'assurances pour une durée de cinq ans. Le lot n° 1 « responsabilité civile hospitalière » a été attribué à la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM). Le Bureau européen d'assistance hospitalière (BEAH), dont l'offre, classée en deuxième position, a été rejetée, a contesté la validité de ce marché conclu entre le centre hospitalier et la SHAM et demandé réparation des préjudices résultant de son éviction qu’il estimait irrégulière. Ses demandes, d’abord rejetées par le tribunal administratif de Nîmes, ont été accueillies par la cour administrative d'appel de Marseille qui a annulé le jugement, ordonné la résiliation du marché litigieux et décidé, avant dire droit, de procéder à une expertise contradictoire pour évaluer le préjudice subi par le BEAH.

Le centre hospitalier et la SHAM se pourvoient.

Le Conseil d’État annule sur deux points essentiels de l’arrêt d’appel.

En premier lieu, il censure l’erreur de droit consistant à décider que le délai de recours court à compter de la mention de la date de la conclusion du contrat dans l’avis mentionnant la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation et que, faute de cette mention, il ne saurait courir. En effet, le point de départ du délai de recours contentieux est constitué par la seule date de publication de l’avis.

En second lieu, l’attributaire du lot litigieux avait formulé une réserve ainsi conçue :

« les garanties sont étendues au monde entier (...).

Cette extension ne s'applique pas aux conséquences d'actes médicaux ou de soins effectués aux États-Unis et au Canada, ainsi qu'aux dommages causés par les produits livrés dans ces deux pays ».

La cour avait estimé que l'offre litigieuse ne pouvait dès lors être comprise que comme excluant ou réduisant une garantie au sens de l'article 6.2 du règlement de consultation du marché et devait en conséquence être regardée comme comportant une réserve « majeure » au sens de ces dispositions, « indépendamment de l'intérêt effectif de cette couverture pour l'établissement ». Le Conseil d’État lui reproche l’erreur de droit consistant à n’avoir pas recherché si cette réserve entraînait une dégradation réelle de la valeur économique du marché alors qu'elle avait relevé les stipulations du contrat lui imposant de procéder à cette analyse.

(3 juin 2020, Centre hospitalier d’Avignon, n° 428845 ; Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 428847, jonction)

 

60 - Délégation de service public - Procédure engagée par une personne publique qui n’est pas encore compétente à cet effet - Compétence en cours d’attribution - Absence d’irrégularité - Cassation sans renvoi.

Le litige portait sur les conditions de déroulement d’une procédure de délégation du service public balnéaire lors de l’attribution de sous-contrats de plage. Pour contester l’attribution faite de lots à leurs concurrents, les sociétés, évincées de cette attribution, avaient plaidé l’irrégularité des conditions de déroulement de la procédure de délégation de service public en ce qu’elle a été conduite de bout en bout par la métropole de Nice qui n’avait pas, alors, compétence en cette matière. Le juge des référés du tribunal administratif, saisi par ces sociétés sur le fondement de l’art. L. 551-1 CJA, avait annulé la procédure.

La métropole s’est pourvue en Conseil d’État et celui-ci lui donne raison.

D’emblée est posé le principe que le juge du référé contractuel n’a pas le pouvoir « de contrôler si, au regard de l'objet du contrat dont la passation est engagée, la personne publique est, à la date où elle signe le contrat, compétente à cette fin ». Appliquant strictement le texte de l’art. L. 551-1, le juge estime que la mission impartie par celui-ci est seulement de vérifier l’existence éventuelle d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation de certains contrats administratifs par les pouvoirs adjudicateurs.

Ensuite, il n’est pas possible pour le juge saisi de déduire ipso facto le caractère irrégulier d’une procédure de passation d’un contrat de commande publique de la seule circonstance que la personne publique qui la met en œuvre n’est pas encore compétente pour le signer.

Il faut et il suffit qu’au moment du lancement de la procédure de passation du contrat la personne publique fasse savoir que le contrat ne sera signé qu’après qu’elle aura reçu compétence à cet effet.

Et le juge d’enfoncer le clou : « Une personne publique peut par ailleurs signer un contrat dont la procédure de passation a été engagée et conduite par une autre personne publique, à laquelle, à la date de la signature du contrat, elle est substituée de plein droit, sans que cette procédure soit, en l'absence de vice propre, entachée d'irrégularité ».

L’ordonnance attaquée est annulée pour erreur de droit.

(ord. réf. 9 juin 2020, Métropole Nice-Côte d'Azur c/ société Les Voiliers, n° 436922 ; Métropole Nice-Côte d'Azur c/ société Lido Plage, n° 436925 ; Métropole Nice-Côte d'Azur c/ société Sporting Plage, 436926, jonction)

 

61 - Marché de partenariat - Résiliation anticipée du contrat dans l’intérêt général - Droit à remboursement des dépenses utiles à la collectivité publique contractante - Sort des frais financiers liés au remboursement anticipé de l’emprunt souscrit par l’entrepreneur - Sort des intérêts versés - Obligation d’indemniser - Cassation partielle avec renvoi dans cette mesure.

Une commune ayant résilié dans l’intérêt général le contrat de partenariat qui la liait à une société, celle-ci a mis en cause les responsabilités contractuelle, quasi-délictuelle et quasi-contractuelle de la commune. La cour administrative d’appel ayant refusé de faire droit à sa requête tendant à ce que soit mise à la charge de la commune le coût du remboursement anticipé des emprunts souscrits par la société Espace Habitat Construction pour la construction et l'aménagement de l'ensemble immobilier et le coût des intérêts d'emprunt versés par cette société entre la date de résiliation des contrats et la date du remboursement anticipé de l'emprunt, cette dernière se pourvoit.

Le Conseil d’État lui donne raison sur ce point en rappelant un principe bien établi : en cas d’annulation du contrat qui le lie à l’administration le cocontractant peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé.

Puis, se plaçant, puisque c’était le cas de l’espèce, dans le cadre d’un contrat de partenariat, il y définit ainsi les dépenses utiles : « Dans le cas d'un contrat de partenariat, par lequel la personne publique confie au co-contractant la construction d'un ouvrage et le financement de cette opération, en échange de droits réels sur cet ouvrage pendant une période au terme de laquelle cette personne publique devient propriétaire de l'ouvrage, les dépenses utiles incluent, dès lors que la personne publique a fait le choix de faire financer par le cocontractant l'investissement requis, et dans la limite du coût normal d'une telle opération, les frais financiers découlant, en cas de résiliation du contrat, du remboursement anticipé de cet emprunt et des intérêts versés au titre de cet emprunt entre la date de la résiliation et la date à laquelle la personne publique a remboursé au co-contractant la valeur utile de l'ouvrage concerné ». Ceci constitue mutatis mutandis une réitération de : 16 novembre 2005, MM. Jean-Paul et Bruno ZY, agissant au nom des coindivisaires exerçant le commerce sous l'enseigne Les Fils de Madame Géraud, n° 262360 ; Commune de Nogent-sur-Marne, n° 263709, affaires jointes ; et de : 9 mars 2018, Société GSN-DSP, n° 406669, interprétant les dispositions du I de l'article 56 de l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016, relatives à l’indemnisation des frais financiers.

L’arrêt d’appel est cassé sur ce point.

(9 juin 2020, Société Espace Habitat Construction, n° 420282)

 

62 - Marché public de travaux - Décompte général et définitif - Refus du pouvoir adjudicateur de l’établir dans le délai fixé au CCAG Travaux - Effets - Saisine du juge du référé provision - Action valant saisine du tribunal administratif au sens du CCAG Travaux - Cassation avec renvoi.

L'article 13.4.2 du CCAG applicable aux marchés de travaux, dans sa version du 8 septembre 2009, dispose que si le pouvoir adjudicateur, mis en demeure de notifier le décompte général, s'abstient d'y procéder dans le délai de trente jours, le titulaire du marché peut saisir le tribunal administratif d'une demande visant à obtenir le paiement des sommes qu'il estime lui être dues au titre du solde du marché.

A ces principes bien certains, le juge ajoute ici deux séries de précisions.

Tout d’abord, la circonstance que la personne publique notifie le décompte général postérieurement à la saisine du tribunal ne prive pas le litige de son objet et le titulaire du marché n’est donc pas tenu de présenter un mémoire de réclamation contre ce décompte.

Ensuite, il est possible au titulaire du marché d’obtenir du juge des référés qu'il ordonne au pouvoir adjudicateur le versement d'une indemnité provisionnelle sans être tenu de saisir, par ailleurs, le juge du contrat d'une demande au fond. En effet, selon cette décision, la saisine du juge du référé-provision doit être regardée comme la saisine du tribunal administratif compétent au sens des dispositions de l'article 13.4.2 du CCAG précité (solution comparable à : 27 janvier 2017, Société Tahitienne de construction (STAC), n° 396404, sous l’empire de ce qui était alors l'article 7.2.3. du CCAG Travaux).

(10 juin 2020, Société Bonaud, n°425993 et n° 428251)

 

63 - Convention de participation dans le cadre d’un programme d’aménagement d’ensemble (PAE) - Clause du contrat se bornant à rappeler une décision prise par ailleurs - Clause irrégulière - Indivisibilité prétendue avec le reste de la convention - Solution irrégulière - Cassation.

D’un litige à caractère fiscal portant sur l’exigibilité, en l’espèce, de la participation au titre d'un programme d'aménagement d'ensemble, ne sera retenu qu’un aspect de celui-ci intéressant le droit des contrats.

La cour administrative d’appel avait jugé l’article 5 de la convention d’aménagement tout à la fois illégal, déterminant et indivisible des autres stipulations de celle-ci, elle avait en conséquence annulé l’ensemble de la convention.

Cette solution est annulée par le juge de cassation qui y aperçoit une erreur de droit. En effet, cet article 5 se bornait en réalité à rappeler une décision prise par ailleurs et étrangère au contenu de la convention, par suite il ne pouvait être jugé indivisible de celle-ci.

(22 juin 2020, Société d'économie mixte Viaterra, venant aux droits de la SEBLI, 417968 ; Communauté d'agglomération Béziers-Méditerranée, n° 417976)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

64 - Impôt sur le revenu - Déduction des déficits fonciers résultant de travaux réalisés dans un immeuble situé en secteur sauvegardé (dispositif Malraux) - Conditions - Maitrise d’ouvrage des travaux - Notion - Rejet.

Les propriétaires d’un appartement dans un immeuble situé à l'intérieur d'un secteur sauvegardé de la ville de Chartres, ont - sur le fondement des dispositions du 3° du I de l'article 156 du CGI (dispositif Malraux) - imputé sur leur revenu global de l'année d’acquisition l'intégralité du déficit foncier correspondant à leur quote-part du coût des travaux réalisés sur cet immeuble. L'administration fiscale a remis en cause cette déduction et assujetti les intéressés à un supplément d'impôt sur le revenu au titre de l'année considérée. Ces derniers ont saisi, en vain, le tribunal administratif d’une demande de décharge de l’imposition supplémentaire, puis la cour administrative d’appel qui a annulé le jugement de rejet.

Le ministre se pourvoit en cassation. Son pourvoi est rejeté.

Après avoir rappelé que le bénéfice du dispositif fiscal en cause (imputation sur le revenu global les déficits fonciers provenant de dépenses de restauration d'immeubles situés dans un secteur sauvegardé) ne peut être accordé qu’aux propriétaires qui, agissant dans le cadre d'un groupement, constitué ou non sous la forme d'une association syndicale, ont satisfait à l'obligation d'assumer collectivement la maîtrise d'ouvrage des travaux à réaliser. Par « maitrise d’ouvrage », il convient d’entendre ici l'engagement des travaux, leur financement et leur contrôle.

En l’espèce avait été constituée en 2008 une association foncière urbaine libre (AFUL) afin de permettre aux propriétaires d'assurer, dans le cadre d'un groupement, une opération de restauration immobilière d'un immeuble situé en secteur sauvegardé. Les contribuables ici en cause avait acquis en mai 2010, un appartement non restauré avec un parking au sein de l'immeuble et simultanément adhéré à l'AFUL et payé ensuite la fraction de l'ensemble des dépenses engagées par l'AFUL leur incombant au titre de la quote-part affectée à leurs lots.

Le juge considère que c’est sans erreur de droit que la juridiction d’appel a jugé qu’ils avaient bien eu l’initiative des travaux (au sens des dispositions du 3° du I de l'article 156 du CGI) en leur qualité de propriétaires agissant dans le cadre d'un groupement assurant la maîtrise d'ouvrage de l'opération, l'initiative des travaux, et cela alors même qu'ils n'étaient devenus propriétaires au sein de l'immeuble que postérieurement au lancement du programme par l'AFUL mais à une date où les travaux étaient toujours en cours et où leur appartement n'avait pas été restauré.

(3 juin 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 423068)

 

65 - Impôts locaux - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Bien à usage d’habitation - Dégrèvement en cas de vacance ou d‘inexploitation - Conditions - Bien en vente tout en restant offert à la location - Refus de dégrèvement - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le tribunal administratif qui estime qu’il n’y a pas lieu à dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour un bien qui, d’abord loué puis à nouveau offert à la location, est mis en vente.

Le demandeur, désespérant de trouver un locataire après le départ du précédent et se trouvant dans une situation financière délicate du fait de mensualités d’emprunt que devaient couvrir les loyers perçus, a mis son bien en vente en juin 2014, la vente ayant été réalisée en janvier 2015.

Le tribunal avait jugé que la circonstance qu'un bien demeurant effectivement proposé à la location et, en même temps, étant mis en vente privait le contribuable du bénéfice du dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés bâties prévu au I de l'article 1389 du CGI.

Par suite, le tribunal a commis une erreur de droit en jugeant qu'aucun dégrèvement ne pouvait être accordé au contribuable au motif qu'en raison du mandat de vente signé le 3 juin 2014 le bien n'était plus exclusivement destiné à la location. Il relevait de l’office du juge saisi de rechercher si, alors même que le bien avait été mis en vente, l’intéressé avait effectivement poursuivi ses démarches pour trouver de nouveaux locataires ainsi qu'il le soutenait dans ses écritures.

(5 juin 2020, M. X., n° 423066)

 

66 - Impôts locaux - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Dégrèvement en cas d'inexploitation de l'immeuble - Notion - Cas d'une centrale nucléaire à l'arrêt par suite de défauts détectés - Soumission à la taxe - Rejet.

Invoquant la circonstance que la centrale nucléaire du Bugey est demeurée à l'arrêt durant plusieurs années à cause de défectuosités dans son fonctionnement, EDF se prévalait des dispositions du I de l'art. 1389 CGI pour solliciter le dégrèvement de la taxe foncière sur les immeubles bâtis instituée par cette disposition. Relevant que ce texte subordonne le dégrèvement à " l'inexploitation d'un immeuble utilisé par le contribuable lui-même ", le Conseil d'État considère que ce n'est pas le cas en l'espèce, l'inexploitation devant être indépendante de la volonté du propriétaire or la circonstance de défauts inhérents à l'immeuble en cause ne suffit pas " à caractériser le caractère contraint de l'inexploitation ".

Le raisonnement peine à convaincre.

(29 juin 2020, S. A. Electricité de France (EDF), n° 434521)

(67) V. aussi, tout aussi sévère sur l'assujettissement à la taxe foncière, à propos de l'Agence spatiale européenne et par interprétation stricte des stipulations de la convention de Paris du 30 mai 1975 créant cette Agence, notamment l'art. XV de la convention et les articles V.1 et VII de l'annexe I à cette convention : 29 juin 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 435282.

(68) V. cependant, très différent, à propos de la taxe foncière frappant un barrage et une micro-centrale électrique appartenant à un département : 29 juin 2020, Département des Pyrénées-orientales, n° 435778.

 

69 - Théorie de l’abus de droit fiscal et de la fraude à la loi - Remise en cause d’exonérations fiscales liées à un montage juridique et financier - Prétendue absence de réalité économique des structures créées - Régime de la preuve incombant au contribuable - Illégalité - Cassation avec renvoi.

L’administration fiscale ayant remis en cause une opération juridique et financière assortie d’exonérations fiscales, un contentieux s’en est suivi portant en réalité sur la nature et le degré de la preuve qu’il peut être exigé que le contribuable rapporte.

Le Conseil d’État casse pour erreur de droit l’arrêt de la cour administrative d’appel qui, pour écarter l'argumentation des requérants tirée de ce que la société en cause avait une réalité économique et de ce que sa constitution avait pour objectif d'associer un groupe au développement d’une société tout en préservant l'indépendance de cette dernière, s'est fondée sur la circonstance que les éléments apportés par les contribuables ne démontraient pas la nécessité de l'interposition de ladite société. Le Conseil d'État, à juste droit, juge que la cour ne pouvait pas exiger des requérants qu'ils « justifient de ce que l'architecture d'ensemble mise en place était la seule possible pour atteindre l'objectif économique poursuivi ».

(19 juin 2020, M. et Mme X., n° 418452)

(70) Voir aussi, semblable et avec solution identique : 19 juin 2020, M. et Mme X., n° 429393.

(71) V. également, un peu comparable mais avec approbation de la décision de l’administration fiscale : 19 juin 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 426832.

 

72 - Impôts dus par un ressortissant français impatrié en Chine - Convention fiscale franco-chinoise de 1984 - Notion de résident d’un État contractant (art. 4 de la convention) - Étendue de l’obligation fiscale dans cet État - Élément sans incidence sur la qualité de résident - Cassation de l’arrêt d’appel pour erreur de droit, avec renvoi.

La cour administrative d’appel avait jugé, se fondant sur les stipulations de l'article 4 de la convention fiscale du 30 mai 1984 conclue entre la France et la Chine, que le requérant ne pouvait être considéré ni comme ayant son domicile fiscal en France ni comme résident en Chine pour l’application de ces stipulations.

Solution assez incongrue créant une sorte d’apatridie fiscale…

Annulant cet arrêt sur requête du contribuable, le Conseil d’État estime qu’il découle de la stipulation précitée que, pour son application, la qualité de résident d'un État contractant est subordonnée à la seule condition que la personne qui s'en prévaut soit assujettie à l'impôt dans cet État en raison de son domicile, de sa résidence ou d'un lien personnel analogue et non en raison de la seule existence de revenus y trouvant leur source.

Il s’ensuit que, selon lui, l'étendue de l'obligation fiscale à laquelle le contribuable est tenu dans cet État est, par elle-même, sans incidence sur la qualification de résident, ces stipulations n'excluant pas, dans leur rédaction applicable, que puissent être regardées comme tel des personnes dont les seuls revenus pris en compte pour leur assujettissement à l'impôt dans cet État sont, en application des règles d'assiette applicables, les revenus qui y trouvent leur source.

(9 juin 2020, M. X., n° 434972)

 

73 - Société commerciale - Contribuable "maître de l'affaire" - Éléments de qualification - Conséquences sur le régime d'imposition - Rejet.

Un contribuable est, suite à un contrôle, imposé supplémentairement à raison des revenus perçus par une société dont il est seul maître. Se posaient deux questions, celle des critères de la maîtrise d'une affaire, celle du régime fiscal des sommes ainsi appréhendées.
Sur le premier point, le juge de cassation, estime que le requérant était bien maître de l'affaire que constituait la société, et retient, à l'instar de la juridiction d'appel, qu'il possédait le pouvoir d'engager juridiquement la société à l'égard des tiers, qu'il disposait de la signature à titre exclusif du compte bancaire de la société et qu'il avait effectué des retraits d'espèces depuis ce compte.

Sur le second point, il est jugé - et ceci nous semble plus discutable - que cette qualité emporte ipso facto présomption que le contribuable est le seul bénéficiaire des revenus réputés distribués par la société en cause (ce qui réitère mutatis mutandis : plénière, 22 février 2017, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 388887), sans que puisse y faire obstacle la circonstance qu'il n'aurait pas effectivement appréhendé les sommes correspondantes ou qu'elles auraient été versées à des tiers. La présomption semble être irréfragable : est-ce bien raisonnable ?

(29 juin 2020, M. X., n° 432815)

 

74 - Fonctionnaires issus de l’ÉNA - Engagement de servir l’État - Sanction financière du non-respect de cet engagement - Prescription quinquennale (art. 2224 du Code civil) - Annulation sur ce point du décret de radiation des cadres.

L’intéressé, magistrat des chambres régionales des comptes, contestait le décret le radiant des cadres et fixant le montant du versement de l’indemnité pour rupture de l’engagement de servir l’État qu’il a souscrit en qualité d’élève de l’ÉNA.

Si son action est rejetée sur le premier point, elle est accueillie sur le second. La créance de l’État sur le demandeur se prescrivant par cinq ans en application des dispositions du Code civil (art. 2224), elle était donc prescrite - plus de cinq années s’étant écoulées - quand son paiement en a été exigé par le décret du 2 mai 2019 alors que l'administration a eu connaissance le 30 mars 2014, au plus tard, de l'épuisement de ses droits à disponibilité pour convenances personnelles et de la rupture de son engagement de servir consécutive à son absence de demande de réintégration dans son corps d'origine.

(3 juin 2020, M. X., n° 432172)

 

75 - Impôts sur le bénéfice - Régime de la retenue à la source - Exonération de cette retenue pour des bénéfices distribués par une société filiale établie dans un État membre de l'union à sa mère établie dans un autre État membre de l’Union (art. 119 ter CGI) - Société mère devant justifier de sa qualité de bénéficiaire effectif des dividendes - Conventionnalité européenne de ce régime - Rejet.

Le 2 de l'article 119 ter du CGI, subordonne le bénéfice de l'exonération de la retenue à la source sur les bénéfices des sociétés à la condition que la personne morale justifie auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement des dividendes qu'elle en est le bénéficiaire effectif.

Dans cette décision, le juge estime, d’une part, que cette exigence est compatible avec les objectifs de l'article 5 de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990 tel qu’il est interprété dans les motifs de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 26 février 2019, Skatteministeriet contre T Danmark et Y Denmark Aps (aff. C-116/16 et C 117/16, point 113) et, d’autre part, qu’en l’espèce c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a souverainement constaté qu'aucune des pièces produites par les requérantes n'était de nature à établir que la société mère avait appréhendé les dividendes litigieux versés.

(5 juin 2020, Société Atlantique Négoce, n° 423809 ; Société Euro Stockage, n° 423810 ; Société Euro Stockage, n° 423811 ; Société Atlantique Négoce, n° 423812)

 

76 - Impôts sur le revenu - Régime fiscal des plus-values professionnelles - Conditions d’application - Époux placés sous le régime de la séparation de biens auquel est adossée, par voie conventionnelle, une société d'acquêts - Biens nouveaux apportés par l’un des conjoints à cette société pour l’exercice de sa profession - Soumission au régime de la communauté - Nature des droits acquis par le conjoint sur cet acquêt - Élément du patrimoine professionnel - Plus-value professionnelle soumise au régime fiscal régissant cette catégorie de plus-value - Droit au report d’imposition - Erreur de droit - Annulation sans renvoi (seconde cassation).

Des époux mariés sous le régime de la séparation de biens, ont adjoint à ce régime une société d'acquêts à laquelle l’époux a apporté le fonds de commerce de pharmacie qu'il avait constitué en 1962 et dont l'exploitation a ensuite été confiée à son épouse. En 2005, cette dernière a créé avec leur fils la Sarl Pharmacie X. à laquelle ce fonds de commerce a été apporté.

L’administration fiscale a estimé que l’époux aurait dû déclarer à l'impôt sur le revenu la plus-value d'apport correspondant aux droits qu'il détenait dans la société d'acquêts. Elle a, en conséquence, imposé cette plus-value comme plus-value et, en outre, relevant que l'intéressé n’exerçait plus alors l'activité de pharmacien, elle a considéré qu’il ne satisfaisait pas aux conditions prévues à l'article 151 octies du CGI pour pouvoir bénéficier du report d'imposition. Elle a également estimé sans effet sur cette décision la circonstance que son épouse aurait bénéficié de ce régime pour l'imposition de la fraction de la plus-value la concernant.

Le tribunal administratif ayant rejeté sa requête contre ces décisions, M. X. a interjeté, en vain, appel mais, après cassation de l’arrêt d’appel confirmatif par le Conseil d’État, la cour, à nouveau saisie, a confirmé son arrêt précédent.

M. X. se pourvoit pour la seconde fois en cassation, ce qui conduit le Conseil d’État à se prononcer définitivement sur le fond.

Le Conseil d’État juge avec raison - et c’est le principal apport de sa décision - qu’il résulte de l’art. 151 octies du CGI que « le bénéfice du report d'imposition de la plus-value réalisée à l'occasion de l'apport du fonds de commerce n'est subordonné qu'à l'affectation à une activité professionnelle de l'élément d'actif en cause, sans qu'ait d'incidence la circonstance que le contribuable n'en assure pas personnellement l'exploitation ».

(5 juin 2020, M. X., n° 425113)

 

77 - Bénéfices industriels et commerciaux - Rémunérations et autres versées à l’étranger à des non-résidents eux-mêmes placés sous un régime fiscal privilégié - Article 238 A du CGI - Reversement ou non à des tiers - Situation indifférente au regard de l’art. précité - Cassations et renvois partiels.

La société Faraday, installée à Paris, reverse des commissions aux guides et agences de voyages qui lui adressent des touristes chinois se trouvant dans la capitale, à raison des achats qu’ils font dans son établissement. L’administration fiscale a estimé trop élevé le pourcentage de 25% que, selon la société Faraday, représentaient ces commissions et l’a ramené, par comparaison avec la pratique suivie par une autre enseigne, à 10%, réintégrant le surplus dans le résultat imposable. Elle a également, sur le fondement de l’art. 238 A du CGI, réintégré dans le résultat d’un exercice, les sommes versées par la société Faraday à la société Eagle Vantage Limited, établie à Hong-Kong, en vertu d'un contrat de prestations de services prévoyant notamment le règlement par l'intermédiaire de cette société des commissions dues aux guides et aux agences de voyage apporteurs d'affaires.

Si le tribunal administratif a rejeté le recours dont la société Faraday l’avait saisi, la cour administrative d’appel a réformé ce jugement en déchargeant la société Faraday du surplus d’imposition auquel elle avait été assujettie à raison de la réintégration des sommes versées à la société Eagle Vantage Ltd dans les résultats de l'exercice clos en 2012 ; elle a rejeté le surplus des conclusions de l'appel de la société.

Le Conseil d’État est saisi de deux pourvois qu’il joint. L’un, du ministre de l’action et des comptes publics, est dirigé contre la décharge du surplus d’imposition qui résultait de la réintégration des sommes versées à la société Eagle Vantage Ltd, l’autre, est formé par la société Faraday qui conteste le rejet par la cour du surplus de ses conclusions.

Le juge de cassation, statuant sur le pourvoi de la société, annule l’arrêt d’appel en tant qu’il a rejeté les conclusions de celle-ci contestant le taux de 10% retenu par l’administration pour le montant des commissions versées au lieu de celui de 25% qu’elle avait déclaré en fournissant des factures régulières en attestant car la cour s’est bornée à retenir les bases de comparaison fournies par l’administration fiscale alors que celles-ci n’étaient pas pertinentes en l’espèce. En effet, cette dernière s'était fondée, pour remettre en cause le taux pratiqué par la société Faraday, sur un article de presse ainsi que sur un contrat conclu entre une agence de voyage et une grande enseigne parisienne disposant d'une notoriété internationale, dont la situation n'est en rien similaire à celle de la société requérante, laquelle exploite une boutique éloignée des principaux itinéraires touristiques, se consacre exclusivement à la clientèle de touristes chinois, n'engage aucune dépense de publicité et se trouve ainsi placée dans une situation de dépendance marquée à l'égard de ses apporteurs d'affaires.

Le juge de cassation, statuant sur le pourvoi du ministre, annule sur un second point l’arrêt d’appel en tant que pour dire inapplicable en l’espèce le premier alinéa de l'article 238 A du CGI, il a retenu  que les commissions étaient, en vertu du contrat de prestations de services passé entre les deux sociétés, destinées à rémunérer les guides et les agences de voyage apporteurs d'affaires et ne faisaient que transiter par la société Eagle Vantage Limited avant d'être remises aux intéressés, et il en a déduit que cette société ne pouvait être regardée comme en étant le bénéficiaire.

En effet, cette disposition est applicable aux sommes payées ou dues à des personnes domiciliées ou établies dans un État étranger ou un territoire situé hors de France et qui y sont soumises à un régime fiscal privilégié, sans qu'il y ait lieu de rechercher, lorsque ces conditions sont remplies, si ces personnes les reversent ensuite à des tiers.

(5 juin 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 425789 ; Société Faraday, n° 425962, jonction)

 

78 - Fusion de sociétés ou opérations assimilées - Transferts des déficits antérieurs non encore déduits par la société absorbée ou apporteuse - Obligation d’obtenir un agrément - Nécessité d’absence de changement significatif dans l’activité à l’origine des déficits - Rejet.

En cas de fusion ou d’opération assimilée à une fusion, les déficits de la société absorbée existant antérieurement à la fusion sont transférés à la société absorbante sous condition d’obtention d’un agrément préalablement à cette fusion (II, b de l’art. 209, CGI). Ce transfert n’est possible que si l'activité qui est à l'origine des déficits dont le transfert est demandé n'a pas fait l'objet de la part de la société absorbée de changement significatif (art. 209 précité).

Pour l’appréciation de cette condition, il convient de déterminer, d’une part, la période de référence et d’autre part, ce qu’il convient d’entendre par l’expression « changement significatif ».

Sur le premier point, la période durant laquelle s’apprécie le déficit s’étend de l'exercice de naissance des déficits jusqu'à celui au cours duquel est effectuée la demande tendant à leur transfert. Toutefois, le juge tire de la lecture des travaux préparatoires à la loi dont est issue l’actuelle version de l’art. 209 précité, que la circonstance que l'activité à l'origine des déficits ait été en tout ou partie transférée par anticipation, avant l'opération de fusion ou assimilée, à la société qui la poursuit et demande à ce titre le transfert des déficits qui y trouvent leur origine, ne saurait être regardée comme un changement significatif d'activité justifiant le refus de l'agrément sollicité.

Sur le second point, il est jugé ici que, comme l'avait estimé la cour administrative d’appel, la baisse prononcée du chiffre d'affaires de la société absorbée et la circonstance qu'elle n'employait plus aucun salarié étaient constitutives, en termes notamment de volume et de moyens, d'un changement significatif de son activité.

Le pourvoi est rejeté.

(9 juin 2020, Société ID Espace, n° 436187)

 

 79 - Règles d'évaluation des immobilisations et des stocks - Dispositions de l'article 321-5 du plan comptable général - Évolution de la réglementation applicable - Faculté d’option succédant à une période où cette option était impossible - Principe de permanence des méthodes comptables (art. L. 123-17 du code de commerce) - Option comptable incompatible avec les dispositions fiscales - Choix régulier - Cassation, sans renvoi, du jugement et de l’arrêt d’appel.

Jusqu’à l’entrée en vigueur de nouvelles dispositions du décret du 28 décembre 2005, relatif aux règles d'évaluation des immobilisations et des stocks portant application de l'article 53 A du code général des impôts et relatif aux renseignements à fournir par les entreprises en cas d'opération de fusion portant application de l'article 54 septies du code général des impôts, l'article 38 quinquies de l'annexe III au code général des impôts excluait expressément la prise en compte des frais financiers dans le prix de revient des immobilisations créées par une entreprise, qui ne pouvaient en conséquence être déduits qu'au titre des charges de l'exercice au cours duquel ils étaient supportés. La société requérante a donc, durant cette période, inscrit à l'actif de son bilan les ouvrages autoroutiers qu'elle réalisait, en exécution de contrats de concession, pour un prix de revient incluant les intérêts, dits « intercalaires », exposés antérieurement à leur mise en exploitation au titre des emprunts souscrits pour les financer.

Le décret du 28 décembre 2005 a créé, dans l’annexe III précitée, un article 38 undecies aux termes duquel : « Les coûts d'emprunt engagés pour l'acquisition ou la production d'une immobilisation, corporelle ou incorporelle, ou d'un élément inscrit en stock ou en encours, peuvent être, au choix de l'entreprise, soit compris dans le coût d'origine de l'immobilisation ou du stock, soit déduits en charge au titre de l'exercice au cours duquel les intérêts sont courus.

Les dispositions du premier alinéa s'appliquent aux coûts d'emprunt attribuables aux éléments d'actif et engagés jusqu'à la date d'acquisition ou de réception définitive du bien qui exigent une période de préparation ou de construction en principe supérieure à douze mois avant de pouvoir être utilisés ou cédés. Le choix offert au premier alinéa est irrévocable et s'applique à tous les coûts d'emprunt servant à financer l'acquisition ou la production d'immobilisations, de stocks et d'encours ».

Ainsi, alors que sous l’empire du droit antérieur, les frais financiers ne pouvaient pas être déduits des charges de l'exercice au cours duquel ils étaient supportés, le décret du 28 décembre 2005 a ouvert aux entreprises la faculté d'opter soit pour l'incorporation des frais financiers dans le prix de revient des immobilisations créées par elles, soit pour leur déduction au titre des charges de l'exercice.

La société Cofiroute a opté pour la déduction de ces intérêts du résultat fiscal des exercices au cours desquels ils étaient supportés.

L’administration fiscale a estimé qu’en réalité la société était tenue d'adopter un traitement fiscal des intérêts intercalaires identique au traitement comptable pour lequel elle avait opté, elle a donc réintégré ces frais financiers dans le bénéfice des exercices concernés.

Son recours contre cette décision ayant été rejeté en première instance comme en appel, la société Cofiroute a saisi le juge de cassation.

Le Conseil d’État rappelle que le choix d'inclure les intérêts intercalaires dans le prix de revient auquel elle a inscrit à son actif les ouvrages autoroutiers en litige, qu'elle a construits en exécution de plusieurs contrats de concession, a été fait par la société Cofiroute au cours d'exercices clos antérieurement à l’entrée en vigueur du décret du 28 décembre 2005 et que cette option était alors conforme aux principes généraux de la comptabilité et au demeurant explicitement recommandée par le guide comptable des entreprises cessionnaires adopté par le Conseil national de la comptabilité. 

Le principe de permanence des méthodes comptables énoncé à l'article L. 123-17 du code de commerce imposait donc à la société Cofiroute, sauf modification des règles comptables applicables à ces actifs ou changement exceptionnel dans sa situation, de continuer à appliquer cette méthode d'évaluation.

En conséquence, le comportement de la société requérante consistant à maintenir, pour les exercices ouverts à compter de 2005, le traitement comptable qu'elle avait antérieurement adopté pour l'ensemble de ses biens de retour ne traduisait pas - contrairement à ce que soutenait l’administration fiscale et à ce qu’a jugé la cour administrative d’appel - l'exercice par elle, à compter de ces exercices, d'une nouvelle option comptable dont elle aurait été tenue, dès lors qu'elle était désormais compatible avec la loi fiscale, de tirer les conséquences pour la détermination de son résultat fiscal. La société pouvait ainsi, parfaitement, comme elle l’a fait pour les exercices considérés, passer en charges les intérêts intercalaires.

Aussi paradoxal que cela ait pu sembler aux yeux du fisc, la seule circonstance que la société requérante ait maintenu, pour les exercices ouverts à compter de 2005, sa pratique adoptée antérieurement, consistant à inclure dans la valeur d'inscription à l'actif des ouvrages autoroutiers en litige les frais financiers afférents aux emprunts contractés pour leur production, ne faisait pas obstacle, alors même qu'une telle pratique comptable n'était plus incompatible avec la loi fiscale, à ce qu'elle n'opte pas pour un traitement fiscal identique et traite ces frais financiers comme des charges déductibles.

(9 juin 2020, Société anonyme Cofiroute, n° 416739)

 

80 - Article L. 190 du livre des procédures fiscales - Demandes de restitution d’impôt fondées sur l’inconstitutionnalité de la loi - Soumission au régime contentieux de droit commun non à celui de la QPC - Inconstitutionnalité - Rejets de la QPC et sur le fond.

(9 juin 2020, Société locale d'épargne de Haute-Garonne Sud-Est, n° 438822) V. n° 153

 

81 - Impôts payés spontanément - Demande de restitution après liquidation - Demande relative au montant de l’impôt non à son assiette ou à son calcul - Même solution lorsque le contribuable estime ne devoir rien payer au titre de cet impôt - Obligation de produire le relevé de solde (art. 360 ann. III CGI) devant l’administration saisie d’une demande de restitution avant qu’elle n’y statue - A défaut, irrecevabilité de l’action contentieuse devant le juge administratif - Rejet.

Lorsque le paiement d’un impôt s'effectue par voie de rôle, la contestation en vue de sa restitution en tout ou en partie concerne la détermination de l’assiette de cet impôt. Au contraire, lorsque l’impôt, comme ici l’impôt sur les sociétés, fait l'objet d'un paiement spontané par le contribuable, suivi d'une régularisation lorsque la société dépose sa déclaration de résultats, sa contestation concerne le montant de la dette fiscale de la société compte tenu des paiements déjà effectués et relève du contentieux du recouvrement même dans l’hypothèse où la société considère finalement ne devoir aucun impôt.

Il s’ensuit l’obligation impérative pour cette dernière de joindre à sa demande de restitution d'acomptes provisionnels d'impôt sur les sociétés versés au Trésor public, adressée à l’administration fiscale, le relevé de solde prévu par l'article 360 de l'annexe III au CGI avant que celle-ci ne statue de sorte qu'elle soit en mesure d'en apprécier l'existence et le montant. A défaut sa requête contentieuse serait irrecevable.

Une demande de restitution à l'appui de laquelle ne sont pas produites, devant l'administration, avant que celle-ci n'y statue, les pièces justificatives, nécessaires à l'appréciation de son bien-fondé, est, de ce fait, irrecevable.

C’est donc sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a opposé en l’espèce à la requête de la société Sofil l’exception d’irrecevabilité.

(9 juin 2020, Société Sofil, n° 417936)

(82) V. aussi, du même jour avec identique solution : 9 juin 2020, GSI Gervais Smaniotto industries, n° 418914

 

83 - Impôt sur les sociétés - Transfert du siège social de la société dans un autre État de l’Union européenne - Obligations déclaratives - Hypothèse de cessation partielle ou totale d’assujettissement à l’impôt sur les sociétés en France - Rejet.

Le juge rappelle que si, en principe, le transfert du siège social d’une société de la France vers un autre État de l’Union n'emporte pas, par lui-même, la mise en œuvre de la procédure d'imposition immédiate des bénéfices réalisés de l'entreprise qui n'ont pas encore été imposés et l'obligation de déclaration de ses résultats à l'administration fiscale (cf. art. 201 CGI), il en va différemment dans le cas où ce transfert entraîne la cessation totale ou partielle de son assujettissement à l'impôt sur les sociétés en France. Dans cette hypothèse, le texte précité assujettit la société à la procédure d'imposition immédiate de ses bénéfices qui n'ont pas encore été imposés ainsi qu'à l'obligation de faire parvenir à l'administration, dans un délai de soixante jours, la déclaration de son bénéfice réel, accompagnée d'un résumé de son compte de résultat. A défaut, l’administration est fondée, comme en l’espèce, à imposer la contribuable en recourant à la redoutable procédure de la taxation d’office.

(9 juin 2020, GSI Gervais Smaniotto industries, n° 418913)

 

84 - Impôts fonciers - Revenu brut foncier - Détermination - Déduction des intérêts des emprunts contractés pour l'acquisition de biens ou droits immobiliers destinés à procurer des revenus fonciers - Intérêts d’un emprunt contracté pour faire face à un remboursement de parts d’un associé ordonné par la justice - Déductibilité admise en appel - Rejet.

Constatant qu’une SCI qui avait été condamnée par décision de justice à rembourser les parts d'un de ses quatre associés et que l'inexécution de cette décision exposait cette société et les associés restants au risque, notamment de la vente du bien dont il s'agit, une cour administrative d’appel avait jugé que les intérêts de l'emprunt souscrit pour rembourser ces parts étaient déductibles en application des dispositions de l'article 31 du code général des impôts. Le ministre de l’action et des comptes publics contestait la déductibilité de ces intérêts du revenu brut foncier et il s’est pourvu en cassation.

Le Conseil d’État, confirmant l’arrêt d’appel, rappelle que seuls les intérêts des emprunts contractés pour l'acquisition de biens ou droits immobiliers destinés à procurer des revenus fonciers sont déductibles du revenu brut foncier et qu’il en va ainsi des intérêts des emprunts souscrits par un associé pour acquérir les parts d'une société de personnes dont les résultats sont imposables dans la catégorie des revenus fonciers. Il en est de même pour le remboursement des parts d'un associé par une telle société lorsqu'il est établi que l'emprunt est nécessaire pour la conservation du revenu foncier de celle-ci.

Le pourvoi est rejeté.

(9 juin 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 426342)

(85) V. aussi, du même jour et avec même requérant en cassation, la solution identique contenue dans : 9 juin 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 426339, ainsi que dans : 9 juin 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 426343

 

86 - Crédit impôt recherche (art. 244 quater B du CGI) - Dépenses de recherche effectuées par une société pour le compte d’une autre qui lui en a confié la réalisation - Éligibilité à ce mécanisme fiscal - Annulation avec renvoi.

Le code général des impôts (art. 244 quater B) institue un crédit d’impôt au profit des entreprises agréées à cet effet qui engagent des dépenses en vue d’effectuer des recherches en satisfaisant aux conditions posées.

En l’espèce, l’entreprise demanderesse avait exposé des dépenses pour réaliser des recherches qu’elle effectuait pour le compte d’une autre entreprise agréée et sur sa demande.

L’administration fiscale, confirmée par les premiers juges, avait refusé la déductibilité de ces dépenses en raison de ce que ces recherches n’avaient pas été effectuées par elle pour son propre compte.

Le Conseil d’État censure ce raisonnement : la déductibilité est possible que les recherches soient entreprises par une société agréée pour elle-même ou par elle pour le compte d’une autre entreprise agréée. Il ne pourrait en aller autrement que si était rapportée la preuve que cette situation résultait d’un montage frauduleux.

(9 juin 2020, Société Hays France, n° 427441)

 

87 - Impôt sur les sociétés - Impôts sur les revenus de capitaux mobiliers - Rehaussements des résultats d'une société - Imposition à raison de bénéfices distribués à hauteur de ces rehaussements - Absence de preuve de la distribution de ceux-ci - Caractère indifférent de ce que le contribuable a la qualité de maître de l'affaire - Annulation avec renvoi partiel.

Des précisions importantes sont apportées par cette décision.

Lorsque, à la suite du rehaussement des résultats d'une société, aucune cotisation à l'impôt sur les sociétés n'a été mise à la charge de celle-ci en raison de l'absence de solde bénéficiaire, l'administration fiscale ne saurait estimer que ce rehaussement suffit par lui-même à révéler l'existence de bénéfices ou produits non mis en réserve ou incorporés au capital, par conséquent taxables entre les mains de leur bénéficiaire comme revenus distribués.

C'est à l'administration qu'il incombe d'établir que des sommes ont été mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts pour prétendre les soumettre à l'impôt sur le revenu (2° du 1 de art.109, 1, 2° du CGI).

En outre, dans une telle situation est sans incidence le fait que le contribuable soit le maître de l'affaire.

(29 juin 2020, M. X., n° 433827)

 

88 - Taxe à la valeur ajoutée - Vente de terrains à bâtir - Soumission à la TVA en cas de cession à des fins de commercialisation foncière - Non-assujettissement à la TVA en cas de gestion ordinaire du patrimoine privé - Exercice en l’espèce d’une activité économique - Assujettissement à la TVA - Rejet.

Un particulier ayant vendu, après leur aménagement pour en permettre la viabilité, dix-huit parcelles de terrain à bâtir, l’administration a estimé qu’il était redevable de la TVA sur le prix de cession de ces parcelles et a rappelé les droits éludés assortis d’une pénalité.

Ayant contesté en vain cet assujettissement, le requérant se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État rejette son pourvoi car, confirmant le raisonnement de la cour administrative d’appel, il considère qu’en procédant à des travaux de viabilisation d'un montant de 552 281, 89 euros, représentant plus de 40 % du prix de vente et un montant unitaire de plus de 30 000 euros par parcelle, le demandeur a réalisé une opération qui ne relevait pas de la simple gestion d'un patrimoine privé mais qui caractérisait l'existence de démarches actives de commercialisation, révélatrice  d’une activité économique devant être soumise comme telle à la TVA, alors même qu'il n'aurait, par ailleurs, pas mis en œuvre des moyens de vente de type professionnel.

(9 juin 2020, M. X., n° 432596)

 

89 - Répression des abus de droit - Société mère s’étant constituée seule redevable de l’impôt sur les sociétés du par elle-même et par les sociétés qu’elle détient - Régime du contrôle fiscal en ce cas - Étendue de l’obligation d’information en découlant - Insuffisance d’information sur les pénalités encourues - Confirmation de l’arrêt d’appel sur ce point et rejet du pourvoi.

L'article 223 A CGI régit la situation née, au regard des obligations d’information s’imposant à l’administration fiscale, de ce qu’une société mère s’est constituée seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû par elle-même et par les sociétés qu’elle détient à plus de 95 %. D’une part, en ce cas, chacune de ces sociétés constitue une entité autonome pour ce qui est du contrôle fiscal et demeure soumise à l'obligation de déclarer ses résultats. Elle est, au reste, la seule interlocutrice de l’administration durant tout le cours de la procédure de vérification de comptabilité et de rectification. D’autre part, les rectifications apportées aux résultats déclarés par les sociétés membres du groupe constituent - du fait du choix opéré par la société mère - les éléments d'une procédure unique conduisant, après correction du résultat d'ensemble déclaré par la société mère du groupe, à la mise en recouvrement des rappels d'impôt établis à son nom sur les rehaussements de ce résultat d'ensemble.

Il résulte de cette dualité technique et procédurale :

1° que l'information qui doit être donnée à la société mère avant cette mise en recouvrement peut être réduite à une référence aux procédures de rectification qui ont été menées avec les sociétés membres du groupe et à un tableau chiffré qui en récapitule les conséquences sur le résultat d'ensemble, sans qu'il soit nécessaire de reprendre l'exposé de la nature, des motifs et des conséquences de chacun des chefs de rectification concernés ;

2° que cette information doit néanmoins comporter l'indication du montant des pénalités ainsi que les modalités de détermination mises en œuvre par l'administration, parce que ces indications constituent une garantie permettant à la société mère de contester utilement les sommes mises à sa charge.

En l’espèce, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit quand, après avoir relevé la circonstance non contestée que le montant des « pénalités pour abus de droit de 80 % (article 1729) », mentionné dans la lettre transmise avant la mise en recouvrement des sommes litigieuses ne résultait pas de l'application du taux de 80 % au montant des cotisations supplémentaires assignées à la redevable, elle a jugé qu’en l'absence de toute indication sur les modalités de détermination des pénalités, l'information donnée à la société mère sur ce point était insuffisante et qu’en conséquence il y avait lieu pour elle d’en prononcer la décharge.

(25 juin 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 421095)

(90) V. aussi, dans une affaire identique à la précédente, avec mêmes parties mais non jointe : 25 juin 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 421096.

 

91 - Impôts et taxes - Désignation par le contribuable d'un mandataire - Élection de domicile auprès de ce mandataire - Conséquences pour l'administrtation fiscale - Communication des pièces et actes - Rejet.

Rappel de ce que : "Pour l'application de ces dispositions (art. L. 48, L.57 et L. 76 LPF), le mandat donné à un conseil ou à tout autre mandataire par un contribuable, personne physique ou morale, pour recevoir l'ensemble des actes de la procédure d'imposition et y répondre emporte, sauf stipulation contraire, élection de domicile auprès de ce mandataire. Lorsqu'un tel mandat a été porté à la connaissance du service chargé de la procédure d'imposition, celui-ci est en principe tenu d'adresser au mandataire l'ensemble des actes de cette procédure, y compris dans l'hypothèse où un nouveau mandataire représentant le contribuable est désigné, à moins que ce nouveau mandat révoque le précédent ou qu'un acte emportant une nouvelle élection de domicile soit porté à la connaissance de l'administration. Si, cependant, l'administration procède à une notification non au contribuable lui-même, mais à une personne qui se présente comme son mandataire, il appartient au juge d'apprécier, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, si la notification est parvenue au contribuable et si, par suite, elle peut être regardée comme régulière.

(12 juin 2020, Société SMAP, n° 420306)

 

92 - Impôt sur les sociétés - Fiscalité des non-résidents - Régime fiscal privilégié du fait de l'application d'une loi fiscale étrangère - Notion - Obligations s'imposant à l'administration et, le cas échéant, au contribuable - Cassation avec renvoi.

L'art. 238 A du CGI décide que  " (...) les rémunérations de services, (payées) ou (dues) par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un État étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont (admises) comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré.

Pour l'application du premier alinéa, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'État ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies. "

Selon le Conseil d'État il incombe à l'administration de rapporter la preuve qu'une société est soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A précité et ce n'est pas le cas lorqu'elle se prévaut de la seule absence, au cours des exercices litigieux, d'un impôt sur les sociétés dans l'État en cause, sans prendre en compte les autres impositions directes sur les bénéfices et les revenus prévues, le cas échéant, par la législation de cet État. Elle commet donc une erreur de droit en se bornant à comparer des catégories d'impôts entre elles au lieu de tenir compte de l'ensemble de la fiscalité applicable en l'espèce. à un même objet.

En revanche, résultat d'un certain partage de la charge de la preuve, c'est au contribuable qu'il échet d'apporter la preuve que les dépenses en cause correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré.

(29 juin 2020, Sarl Bernys, n° 433937)

 

Droit public de l’économie

 

93 - Droit de la concurrence - Décision de l’Autorité de la concurrence - Autorisations données à des prises de contrôle de commerces - Demandes de suspension par voie de référé - Absence d’urgence à statuer - Rejet.

Le juge du référé suspension du Conseil d’État était saisi par les requérantes d’une demande de suspension d’autorisations accordées - dans l’île de La Réunion - par l’Autorité de la concurrence, respectivement à la prise de contrôle exclusif d’une société par une autre, puis à la prise de contrôle, par un groupe conjoint, de quatre magasins de commerce de détail à dominante alimentaire et, enfin, à la prise de contrôle exclusif de deux fonds de commerce à dominante alimentaire.

Constatant que le motif dominant de la requête, l’atteinte à la concurrence sur un marché relativement étroit, notamment le commerce de livres, ne révélait pas une urgence à statuer, le juge rejette la requête.

(ord. réf. 17 juin 2020, Société Excellence et autres, n° 440949)

 

94 - Services publics de transport en commun de voyageurs - Subvention accordée par une région en matière d’investissement dans ces services - Qualification de la subvention comme aide d’État - Conditions de versement ou reversement de la subvention - Vice affectant le contrat n’empêchant pas l’application des stipulations de son avenant - Rejet pour l’essentiel.

Cette décision fait suite à plusieurs autres (voir cette Chronique) nées de l’important contentieux découlant de ce que la région Ile-de-France avait créé un dispositif d'aides à l'investissement dans les services de transport en commun de voyageurs, dispositif qui a été jugé constituer une aide d’État au sens du droit de l’Union.

La région avait, en particulier, prévu, lorsque l'entreprise exploitante finance l'investissement, le reversement de la subvention versée à la collectivité publique maître d'ouvrage à ladite entreprise.

En l’espèce, une société de transports avait conclu dans le cadre de ce dispositif un contrat d'exploitation de lignes d'autobus ou d'autocars avec un département et financé leur équipement. Toutefois, le département n'ayant pas reçu l'aide régionale correspondant aux investissements financés par la société, s’est refusé à lui verser les sommes correspondantes, prévues par des avenants au contrat d'exploitation et qu’elle lui avait réclamées.

Postérieurement à cet incident, la Commission européenne a estimé que les subventions ainsi accordées constituaient des aides d'État mises à exécution illégalement car non déclarées préalablement mais compatibles avec le marché intérieur.

Le Conseil d’État approuve la cour administrative d’appel d’avoir jugé qu’eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles et compte-tenu des conséquences découlant de l'illégalité entachant les délibérations du conseil régional, cette illégalité ne présentait pas le caractère d'un vice d'une gravité telle qu'il doive conduire à écarter les stipulations de l'avenant au contrat d'exploitation permettant de mettre les sommes correspondantes à la charge du département dans le cas où les subventions régionales n'ont pas été versées à l'exploitant, comme ce fut le cas en l’espèce.

Ce litige doit donc être traité sur le terrain contractuel sauf s’agissant des intérêts dus au titre de la période qui précède la date de la décision de la Commission européenne déclarant les aides compatibles avec le marché intérieur.

(25 juin 2020, Département de la Seine-Saint-Denis, n° 418446)

 

95 - Demande d’attribution de terres agricoles - Terres situées sur une section de commune - Régime d’attribution - Cas où l’attribution agrandirait l’exploitation des pétitionnaires au-delà du seuil fixé par le schéma départemental des structures - Obligation d’obtenir une autorisation préalable d’exploiter - Absence d’obligation d’antériorité de cette autorisation par rapport à la décision d’attribution des terres - Erreur de droit à juger le contraire - Cassation avec renvoi.

Des agriculteurs demandent à une commune que lui soient attribuées des terres agricoles situées dans une section de commune, la réponse positive à cette demande ayant pour effet de porter la surface globale exploitée par les pétitionnaires au-delà de 50 hectares, seuil fixé par le schéma départemental des structures de l’Aveyron, ce qui nécessite une autorisation préalable d’exploiter. Pour refuser l’attribution sollicitée, le maire se fonde sur ce que les intéressés devaient avoir obtenu cette autorisation préalable avant de le saisir de toute demande d’attribution desdites terres.

Le juge de cassation relève l’erreur de droit des juges du fond pour avoir admis un tel raisonnement.

Les deux procédures (attribution de terres agricoles et autorisation d’exploiter) sont indépendantes l’une de l’autre et doivent, chacune, satisfaire aux exigences qui leur sont propres.

(25 juin 2020, M. et Mme X. c/ commune de Prades d'Aubrac, n° 423455)

(96) V. aussi, du même jour et concernant la même commune défenderesse, avec identité de litige et de solution : 25 juin 2020, MM. X. et Y. c/ Commune de Prades d’Aubrac, n° 423463.

 

Droit social et action sociale

 

97 - Contentieux sociaux - Pouvoirs et devoirs du juge saisi - Office du juge - Obligation de vider lui-même le contentieux - Annulation, sans renvoi, du jugement - Renvoi à la commune pour qu’il soit fait droit aux prétentions de la requérante.

Dans cette affaire, la requérante, ancienne fonctionnaire communale ayant démissionné de son emploi pour suivre des études d’infirmière, demandait l’annulation de la décision du maire de la commune de Castries lui refusant le bénéfice des allocations d'aide au retour à l'emploi ainsi que de sa décision implicite rejetant une seconde demande présentée, et d'autre part, d'enjoindre au maire de statuer sur ses demandes dans un délai de 8 jours assorti d'une astreinte. Le tribunal administratif a annulé la décision expresse du maire ainsi que la décision implicite qui ont rejeté ces demandes et lui a enjoint de réexaminer ces dernières. La commune se pourvoit.

C’est l’occasion pour le Conseil d’État de rappeler, avec beaucoup de pédagogie, le rôle particulier (et, pour tout dire, assez singulier) dévolu au juge dans les contentieux sociaux où il exerce un pouvoir mi-juridictionnel et mi-administratif, portant ainsi à son degré maximum (voire la dépassant) sa qualité de juge de la pleine juridiction.

Censurant le jugement qui lui est déféré, le Conseil d’État rappelle d’abord abstraitement ce qu’est ici l’office du juge puis fait application de cette directive générale au cas de l’espèce.

Il écrit tout d’abord ceci : « Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l'administration, sans remettre en cause des versements déjà effectués, détermine les droits d'une personne en matière d'aide ou d'action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs privés d'emploi, et sous réserve du contentieux du droit au logement opposable, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner les droits de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d'annuler ou de réformer, s'il y a lieu, cette décision, en fixant alors lui-même tout ou partie des droits de l'intéressé et en le renvoyant, au besoin, devant l'administration afin qu'elle procède à cette fixation pour le surplus, sur la base des motifs de son jugement. Dans le cas d'un contentieux portant sur les droits au revenu de remplacement des travailleurs privés d'emploi, c'est au regard des dispositions applicables et de la situation de fait existant au cours de la période en litige que le juge doit statuer ».

Il en déduit ensuite que : « En se fondant sur la seule circonstance que la commune de Castries s'était abstenue de vérifier si Mme X. avait effectivement recherché un emploi ou si elle pouvait être présumée en recherche d'emploi, pour annuler les décisions contestées, sans se prononcer lui-même sur le respect de cette condition, et en se bornant, au surplus, à enjoindre, par voie de conséquence, au maire de la commune de réexaminer les demandes rejetées, le tribunal administratif de Montpellier, à qui il appartenait de fixer lui-même tout ou partie des droits de l'intéressée en annulant ou réformant les décisions en cause, a méconnu son office. La commune de Castries est, par suite, fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque ».

Tout ceci est bel et bon mais est-ce encore là l’exercice d’une fonction véritablement et strictement juridictionnelle ?

(9 juin 2020, Commune de Castries, n° 420142)

 

98 - Droit du travail - Repos dominical - Dérogations - Alsace-Moselle - Commerces d’alimentation - Distinction selon la superficie (inférieure ou égale à 200 m2) - Distinction inconnue des textes - Légalité - Rejet.

L’art. L. 3134-7 du code du travail permet au préfet de déroger, à certaines conditions, à l’interdiction du travail dominical et les autres jours fériés édictée par l’art. L. 3134-2 de ce code dans le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle.

Ces dérogations ne peuvent être accordées qu'à des catégories d'activités dont l'exercice complet ou partiel est nécessaire les dimanches ou jours fériés pour la satisfaction de besoins de la population présentant un caractère journalier ou se manifestant particulièrement ce jour-là.

En l’espèce, le préfet de la Moselle avait autorisé l’ouverture de commerces d'alimentation générale d'une superficie inférieure ou égale à 200 mètres carrés. La cour administrative d’appel avait estimé que le préfet, ce décidant, n’avait pas fait une inexacte application du texte susrappelé. Le Conseil d’État approuve alors même que ce seuil de 200 mètres carrés ne se rattache à aucune distinction dans les textes de droit positif.

(10 juin 2020, Société Metzervisse Contact, n° 424344)

(99) V. aussi, sur cette question, voisin, également dans les départements alsaço-mosellan, mais posant également d’autres questions : 10 juin 2020, Commune de Strasbourg, n° 424353 ; Société Supermarchés Match, n° 424414, jonction.

(100) V. également sur ce sujet : 10 juin 2020, Département du Bas-Rhin, n° 424389.

 

101 - Aide sociale - Personne majeure handicapée - Prise en charge en accueil temporaire par le département - Montant maximum journalier de la participation de l’intéressé - Prise en compte des revenus disponibles après acquittement de sa participation par l’intéressé - Annulation de la Commission centrale d’aide sociale.

Le présent litige est né du refus d’un département de prendre en charge une personne majeure handicapée au titre de l'aide sociale les frais d'hébergement et d'entretien de l'accueil temporaire de celle-ci à raison de quatre-vingt-dix jours par an dans un foyer de vie.

Le département avait fixé la contribution journalière du demandeur à 121,09 euros et la Commission centrale d’aide sociale avait rejeté son recours contre ce montant.

Le Conseil d’État casse cette décision au motif qu’il résulte des dispositions des articles L. 314-8 et R. 314-194 ainsi que du 2° de l'article L. 314-8 du code de l'action sociale et des familles, éclairées par les travaux parlementaires ayant conduit à l'adoption de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale dont elles sont issues, que le législateur a entendu que la participation des personnes accueillies à titre temporaire dans un établissement pour adultes handicapés aux frais afférents à leur prise en charge n'excède pas, quelles que soient leurs ressources, un montant que l'article R. 314-194 du même code a fixé à hauteur du forfait journalier hospitalier prévu à l'article L. 174-4 du code de la sécurité sociale pour un accueil avec hébergement. Or le forfait journalier hospitalier était, au cours de la période en litige, de 18 puis de 20 euros. La Commission a donc commis une erreur de droit en laissant à la charge de cette personne une somme journalière de 121,09 euros.

(10 juin 2020, M.X., n° 425065)

 

102 - Licenciement d'un salarié protégé - Autorisation de l'inspecteur du travail - Licenciement pour motif économique - Contrôle du juge - Office du juge - Obligation d'apprécier lui-même directement ce motif - Cassation avec renvoi.

Dans un litige né de l'autorisation donnée par l'inspection du travail au licenciement pour motif écoonomique d'un délégué du personnel, salarié protégé, le Conseil d'État annule le jugement du tribunal administratif qui a estimé cette autorisation illégale.

Il est reproché aux juges du fond - s'agissant d'un licenciement pour motif économique - de s'être bornés à examiner les conditions dans lesquelles l'inspecteur du travail avait apprécié la définition du périmètre d'examen des difficultés économiques invoquées par l'employeur alors qu'il leur incombait de contrôler directement eux-mêmes le bien-fondé de ce motif économique en examinant la situation de l'ensemble des entreprises du groupe intervenant dans le même secteur d'activité.

Cette solution s'inscrit dans une tendance jurisprudentielle lourde à voir le juge administrtatif exercer un contrôle aussi complet que possible sur les motifs des décisions de licenciement.

(29 juin 2020, Société Les Papeteries du Léman, n° 417940)

(103) V. aussi, du même jour, relativement au même litige, et précisant que les juges du fond apprécient souverainement, sauf dénaturation, l'existence de secteurs d'activité distincts afin de contrôler la réalité des motifs économiques allégués à l'appui d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d'un groupe : 29 juin 2020, M. X., n° 423673.

 

104 - Salarié - Notion de "lieu de travail" - Salarié protégé - Contrat de travail ne comportant pas de clause de mobilité mais relatif à des fonctions impliquant une mobilité - Modification du contrat de travail - Notion - Rejet.

Quel est le lieu de travail d'un salarié protégé lorsque celui-ci n'est pas précisé dans le contrat de travail et comment s'apprécie l'exigence de mobilité quand ce même contrat, tout en ne l'évoquant pas, confie des fonctions qui ne l'excluent pas ?

Le Conseil d'État esquisse ici des solutions moyennes pour résoudre des situations difficiles dans le cadre d'un licenciement de salarié protégé pour refus de mobilité.

Tout d'abord, il est jugé que faute de mention, dans le contrat de travail, du lieu de travail d'un salarié, la modification de ce lieu de travail constitue un simple changement des conditions de travail, dont le refus par le salarié est susceptible de caractériser une faute de nature à justifier son licenciement, lorsque le nouveau lieu de travail demeure à l'intérieur d'un même secteur géographique, lequel s'apprécie, eu égard à la nature de l'emploi de l'intéressé, de façon objective, en fonction de la distance entre l'ancien et le nouveau lieu de travail ainsi que des moyens de transport disponibles.

Ensuite, il est également jugé que dans le cas où le contrat de travail comporte soit une clause de mobilité soit l'exercice de fonctions impliquant par elles-mêmes une mobilité, tout déplacement du lieu de travail du salarié, ce qui doit être distingué de déplacements occasionnels, dans un secteur géographique différent du secteur initial constitue une modification du contrat de travail.

Enfin, le juge de cassation laisse aux juges du fond un pouvoir souverain d'appréciation pour déterminer si les fonctions d'un salarié impliquent, par elles-mêmes une mobilité, pouvant justifier un déplacement du lieu de travail dans un secteur géographique différent du secteur initial non constitutif d'une modification du contrat de travail.

(29 juin 2020, Société Le Floch Dépollution, n° 428694)

 

Élections

 

105 - Covid-19 - Élections municipales - Second tour - Risque de contamination des électeurs - Risque d’homicides involontaires - Demande de suspension du décret convoquant les électeurs - Rejet.

Les requérants demandaient, sur le fondement de l’art. L. 521-1 CJA, la suspension du décret du 27 mai 2020 portant convocation des collèges électoraux pour le second tour des élections municipales et communautaires le 28 juin 2020.

Ils invoquent divers motifs tournant tous autour du risque sanitaire encouru de ce fait et de l’insincérité du scrutin résultant de cette situation du fait d’une campagne électorale guère possible.

La requête est - sans grande surprise - rejetée par le juge. Celui-ci n’aperçoit aucun motif d’illégalité tant en raison des précautions sanitaires prises pour le jour du scrutin qu’en raison de l’allongement de la durée de la campagne ainsi que de la diversité des moyens de propagande pouvant être utilisés.

(ord. réf. 11 juin 2020, M. X. et autres, n° 441047)

(106) V. aussi, à propos des conditions de recueil des procurations en vue du second tour des élections municipales et communautaires du 28 juin 2020, de leur possible obsolescence et des effets de cette dernière sur la sincérité du scrutin : 22 juin 2020, M. X. et autres, n° 441206 ou encore, répondant négativement à l’objection tirée de la théorie civiliste du mandat (art. 1989 c. civ.) : 22 juin 2020, M. X., n° 441284.

(107) V. également, concernant le rejet de recours dirigés contre les dispositions du décret n° 2020-642 du 27 mai 2020 fixant la date du second tour du renouvellement général des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon, et portant convocation des électeurs : 8 juin 2020, MM. X. et Y., n° 440900 ; Association 50 millions d'électeurs et autres, n° 440919 ; M. X., n° 440946.

Environnement

 

108 - Réserve naturelle nationale (classement en -) - Conservation d’espèces et/ou de milieu revêtant un intérêt scientifique ou écologique important - Classement des zones périphériques ou de transition - Rejet.

L’association requérante demandait l’annulation du décret du 10 mai 2017 portant extension et modification de la réserve nationale du banc d'Arguin ainsi que du refus implicite du premier ministre de faire droit à la demande d’annulation de ce décret dont elle l'avait saisi.

Cette décision se signale à l’attention par un rappel et par une précision.

La décision rappelle que le principe selon lequel un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie, est applicable indifféremment dans le cas où cette procédure est facultative que dans le cas où elle est obligatoire avec cette précision que dans cette seconde hypothèse, l’omission litigieuse ne doit pas avoir pour effet d'affecter la compétence de l'auteur de l'acte.

La décision innove quelque peu par l’interprétation extensive qu’elle donne des dispositions de l'article R. 332-14 du code de l'environnement (selon lesquelles : « L'extension du périmètre ou la modification de la réglementation d'une réserve naturelle nationale, son déclassement partiel ou total font l'objet des mêmes modalités d'enquête et de consultation et des mêmes mesures de publicité que celles qui régissent les décisions de classement.

L'extension du périmètre ou la modification de la réglementation est prononcée par décret. Elle est prononcée par décret en Conseil d'État en cas de désaccord d'un ou plusieurs propriétaires ou titulaires de droits réels. (...) »).

En effet, le juge tire de ce texte cette conséquence que « peuvent être classées en réserve naturelle nationale les parties du territoire au sein desquelles la conservation des espèces et du milieu naturel revêt une importance écologique ou scientifique particulière ou qu'il convient de soustraire à toute intervention artificielle susceptible de les dégrader, ainsi que les zones qui contribuent directement à la sauvegarde de ces parties du territoire, en particulier lorsqu'elles en constituent, d'un point de vue écologique, une extension nécessaire ou qu'elles jouent un rôle de transition entre la zone la plus riche en biodiversité et le reste du territoire ».

C’est là une logique constante du droit de l’environnement (cf. par exemple les zones Natura 2000) : tout régime de protection comporte une zone centrale qui est l’objet même de la protection instituée et une zone périphérique, plus ou moins étendue selon les cas, généralement concentrique, afin de ménager une transition entre la zone de non-protection et celle de protection maximum. Dans de très nombreux cas, en effet, l’absence de toute zone intermédiaire ne permettrait pas (ou permettrait mal) de donner à la protection toute son efficacité.

(3 juin 2020, Association Amis du banc d'Arguin du bassin d'Arcachon, n° 414018)

 

109 - Détermination du périmètre et constitution d’une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) et constitution de son inventaire - Nature juridique - Absence de caractère décisoire - Acte non susceptible de faire grief - Rejet.

La commune de Piana a sollicité l’annulation de la décision par laquelle le Préfet de la Corse-du-Sud a rejeté sa demande tendant à la réduction du périmètre de la zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique « Capo Rosso, côte rocheuse et îlots » ainsi que de la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique auprès du ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer. Le tribunal administratif a annulé les décisions litigieuses mais la cour administrative d’appel a annulé ce jugement. La commune se pourvoit.

Le Conseil d’État, adoptant le même raisonnement que la juridiction d’appel, juge que les inventaires des richesses écologiques, faunistiques et floristiques réalisés dans les ZNIEFF, ne constituent qu’un outil d'inventaire scientifique du patrimoine naturel permettant d'apprécier l'intérêt environnemental d'un secteur pour l'application de législations environnementales et urbanistiques mais, par eux-mêmes, ils sont dépourvus de portée juridique et d'effets. Par suite, n’étant pas des actes faisant grief, ces inventaires, tout comme le refus de modifier les ZNIEFF existantes, ne sauraient être déférés au juge de l’excès de pouvoir et cela alors même que les données qui y figurent sont susceptibles d'être contestées à l'occasion du recours formé contre une décision prise au titre de ces législations.

(3 juin 2020, Commune de Piana, n° 422182)

 

110 - Police spéciale des carrières - Autorisation préfectorale de réouverture d’une carrière de marbre blanc - Autorisation dérogeant aux interdictions de destruction d'espèces de flore et de faune sauvages protégées (art. L. 411-2 du code de l'environnement) - Nécessité d’existence d’une raison impérative d'intérêt public majeur - Cas en l’espèce - Cassation avec renvois.

Des requérants avaient demandé au tribunal administratif et obtenu l’annulation d’un arrêté préfectoral accordant à la société La Provençale une dérogation aux interdictions de destruction d'espèces de flore et de faune sauvages protégées, dans le cadre de la réouverture d’une carrière de marbre blanc, la carrière de Nau-Bouques. Ce jugement a été confirmé par la cour administrative d'appel qui a rejeté l'appel formé par le ministre de l'environnement et celui formé par la société La Provençale.

Les défendeurs appelants se pourvoient et le recours du ministre est accueilli tandis que celui de la société est déclaré irrecevable, cette dernière n’ayant pas eu dans l’instance d’appel la qualité de partie ou d’intervenante.

L'article L. 411-1 du code de l'environnement fixe un régime très strict d’interdictions diverses lorsque les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation d'espèces animales non domestiques. Le I de l’art. L. 411-2 eod. loc. prévoit en son 4° la possibilité de dérogations aux interdictions précitées sous trois conditions, généralement appréciées de façon restrictive : 1) il ne doit pas exister d'autre solution satisfaisante ; 2)  la dérogation ne doit pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ; 3) Cette dérogation ne peut être accordée que pour l’un des motifs limitativement énumérés par ce texte : intérêt de la santé et de la sécurité publiques, autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement.

Le juge en déduit donc, au cas de l’espèce, qu’un projet de travaux, d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée, comme celui faisant l’objet du présent litige, susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leur habitat ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s'il répond cumulativement aux trois exigences susrappelées.

Pour juger la dérogation justifiée au regard de ces exigences impérieuses, le Conseil d’État retient que l'exploitation de la carrière de Nau-Bouques devrait permettre la création de plus de quatre-vingts emplois directs dans un département dont le taux de chômage dépasse de près de 50 % la moyenne nationale, que ce projet de réouverture de carrière s'inscrit dans le cadre des politiques économiques menées à l'échelle de l'Union Européenne qui visent à favoriser l'approvisionnement durable de secteurs d'industrie en matières premières en provenance de sources européennes, qu'il n'existe pas en Europe un autre gisement disponible de marbre blanc de qualité comparable et en quantité suffisante que celui de la carrière de Nau-Bouques pour répondre à la demande industrielle et, enfin, que ce projet contribue à l'existence d'une filière française de transformation du carbonate de calcium.

C’est par suite d’une erreur de qualification juridique que la cour avait jugé que le projet en cause ne répondait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur au sens du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.

(3 juin 2020, Société La Provençale, n° 425395 ; Société La Provençale, n° 425399 ; ministre de la transition écologique et solidaire, 425425)

 

111 - Autorisation préfectorale d'installation d'une unité de production d'électricité d'origine éolienne - Directive du 13 décembre 2011 (art. 6 §1) - Évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement - Obligation de séparation fonctionnelle au sein de l'autorité publique compétente pour autoriser un tel projet - Juge tenu de rechercher d'office le respect des objectifs poursuivis par la directive - Absence - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui, saisie d'un recours dirigé contre la légalité d'un arrêté préfectoral autorisant l'implantation et l'exploitation d'un parc d'éoliennes au motif que le même préfet n'avait pu régulièrement accorder l'autorisation de réaliser le projet et donner sur ce projet un avis en tant qu'autorité environnementale, et alors que l'art. 6 de la directive européenne du 13 décembre 2011 relative à l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, n'a pas été, sur ce point, transposée, s'abstient de rechercher si les conditions dans lesquelles l'avis a été rendu répondent ou non aux objectifs de cet article 6.

(29 juin 2020, M. et Mme X. et autres, n° 429299)

 

État-civil et nationalité

 

112 - Changement de nom - Motifs - Invocation de motifs de caractère affectif - Invocabilité limitée à des circonstances exceptionnelles - Cas en l’espèce - Cassation du jugement.

Si, en principe, n’est pas autorisé le changement de nom pour des motifs de caractère affectif il en va autrement en présence de circonstances de caractère exceptionnel comme en l’espèce. La décision négative de la garde des sceaux était ici irrégulière et doit être annulé le jugement qui a tenu pour légale cette décision.

(10 juin 2020, M. X., n° 419176) V. aussi mention de cette décision à la rubrique Contentieux n° 40

 

Fonction publique et agents publics

 

113 - Agent public communal contractuel - Licenciement pour inaptitude physique - Réintégration après annulation du licenciement - Obligation de reclassement de l’agent par la commune - Office du juge - Cassation avec renvoi.

Rappel d’un principe traditionnel et constant inaperçu des juges du fond.

L'annulation, pour irrégularité de procédure, d'une décision licenciant un agent public implique nécessairement que celui-ci soit replacé dans la position administrative qui était la sienne à la date de cette décision et que l'autorité compétente reconstitue rétroactivement sa carrière en application de la réglementation applicable à cette position.

(9 juin 2020, Mme X., n° 425288)

 

114 - Magistrate de l’ordre judiciaire - Détachement dans les fonctions de directrice générale des services d’un département - Demande de réintégration dans la magistrature sur un emploi hors hiérarchie ou d'inspecteur général de la justice - Réintégration possible seulement dans le grade de la hiérarchie judiciaire occupé avant son détachement - Rejet.

Une magistrate détachée, comme en l’espèce, non dans un corps ou un cadre d'emplois mais dans un emploi fonctionnel, ne peut être réintégrée que dans le premier grade de la hiérarchie du corps judiciaire, grade qu'elle détenait avant son détachement, à l'échelon qu'elle avait atteint dans ce grade à la fin de sa période de détachement. Il n’aurait pu en aller autrement que si sa candidature pour un poste hors hiérarchie n’avait pas été retenue dans le cadre de la procédure prévue par les articles 27-1 et 37-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Enfin, cette décision n’étant pas non plus entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, la requête est redjetée.

(17 juin 2020, Mme X., n° 431588 et n° 434341, deux espèces)

 

115 - Professeur des universités - Recrutement par voie de concours - Absence de motivation des décisions d'un jury de concours - Absence de contrôle du juge sur les appréciations portées par un jury sur les mérites d'un candidat - Rejet.

Saisi par un candidat malheureux à un recrutement comme professeur des universités, le Conseil d'État rappelle, d'une part, que la délibération par laquelle le jury se prononce sur les candidatures aux postes de professeurs des universités n'a pas à etre motivée, et d'autre part, que l'appréciation portée par le jury d'un concours de recrutement d'enseignants sur les candidatures soumises à son examen n'est pas susceptible d'être discutée devant le juge de l'excès de pouvoir (principe dit de "la souveraineté des jurys").

(29 juin 2020, M. X., n° 426319)

 

116 - Fonctionnaire - Directrice des services de greffe judiciaire - Candidate aux fonctions de magistrat exerçant à titre temporaire - Refus de la garde des sceaux de transmettre sa candidature au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) - Erreur de droit - Annulation.

La requérante, fonctionnaire, avait fait acte de candidature pour un emploi de magistrate exerçant à titre temporaire mais la garde des sceaux avait refusé de transmettre sa candidature au CSM au motif qu'étant directrice des services de greffe judiciaire, elle ne pourrait, même en étant placée en disponibilité, exercer en tant que magistrat à titre temporaire car, selon elle, un fonctionnaire en disponibilité doit être regardé comme exerçant une activité d'agent public pour l'application de l'article 41-14 de l'ordonnance du 22 décembre 1958. En estimant que par le seul fait que l'exercice d'une activité professionnelle pendant sa période de disponibilité serait assimilée à des services effectifs dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 51 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d’État, la ministre a ainsi commis une erreur de droit en refusant de transmettre au CSM la candidature de la demanderesse.

(17 juin 2020, Mme X., n° 431681)

 

117 - Fonctionnaire nommé par décret - Litige relatif à un recrutement - Compétence directe du Conseil d'État - Refus de procéder à l'ouverture d'un poste au recrutement - Compétence de droit commun - Rejet.

Si les litiges relatifs au recrutement des fonctionnaires nommés par décret relèvent de la compétence du Conseil d'État en premier et dernier ressort (3° de l'article R. 311-1 CJA), tel n'est pas le cas d'un litige relatif à l'ouverture ou au refus d'ouverture au recrutement de postes de professeur des universités, hypothèse où il est fait retour à la compétence de droit commun, donc celle du tribunal administratif dans le ressort duquel à son siège l'organisme détenant le poste litigieux.

(29 juin 2020, M. X., n° 421601)

 

118 - Médecin ayant conclu un contrat de prestations avec un centre hospitalier - Résiliation anticipée du contrat - Recours en reprise des relations contractuelles - Absence de qualité d'agent public - Rejet.

Un médecin demande l'annulation de la décision par laquelle le directeur du centre hospitalier de Digne-les-Bains a résilié au bout de seize mois son contrat - d'une durée initiale de cinq ans - de participation à l'exercice des missions de service public attribuées à cet établissement. Son recours est rejeté en première instance et un non-lieu à statuer est prononcé en appel.

Le Conseil d'État, saisi d'un pourvoi, confirme ces solutions.

Tout d'abord, le juge relève que le demandeur n'a pas, du chef de ce contrat, la qualité d'agent public. Ce contrat permet la pratique par un professionnel de santé libéral d'une activité de soin au sein d'un établissement hospitalier, sa rémunération par des honoraires à la charge de l'établissement sur la base d'un état mensuel des actes dispensés et autorise l'utilisation des moyens du service public hospitalier en contrepartie d'une redevance prélevée sur ces honoraires. Il résulte de là qu'eu égard à la nature des liens qu'établit un tel contrat entre l'établissement hospitalier et le professionnel de santé exerçant à titre libéral, sa passation n'a ni pour objet ni pour effet de conférer au praticien la qualité d'agent public.

Ensuite, ainsi que l'a jugé la cour, l'action du demandeur s'analyse non pas en un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte unilatéral qu'a constitué la décision de résiliation mais en une action contractuelle tendant donc à la reprise des relations contractuelles. Or, à la date à laquelle le juge d'appel a statué, le délai de cinq ans d'exécution du contrat était expiré rendant donc sans objet l'examen de la requete contestant la résiliation du contrat

(29 juin 2020, M. X., n° 421609)

 

119 - Fonction publique territoriale - Fonctionnaire en disponibilité - Demande de réintégration - Offres d’emploi proposées - Etendue du contrôle du juge de cassation - Qualification juridique des faits - Cassation avec renvoi.

Le juge accentue son contrôle sur les offres d’emploi faites à un fonctionnaire territorial qui, à l’issue d’une disponibilité pour convenances personnelles, sollicite sa réintégration. Désormais, le juge de cassation exerce un contrôle de la qualification juridique des faits sur le caractère ferme et précis (selon les termes du III de l'article 97 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984) desdites offres d’emploi

Solution d’autant plus bienvenue que le refus par l’agent de ces trois offres entraine normalement son licenciement.

(25 juin 2020, Mme X., n° 421399)

 

120 - Agent public hospitalier - Médecin - Protection fonctionnelle - Autorité compétente pour l'accorder - Hypothèse d'un conflit entre cette autorité et le demandeur à la protection - Principe d'impartialité - Conséquences - Annulation sans renvoi.

Par cette importante décision rendue en matière de refus de la protection fonctionnelle d'un médecin agent public hospitalier, le Conseil d'État apporte des précisions assez innovantes.

Le contexte était assez particulier puisqu'un médecin s'était vu refuser la protection fonctionnelle par son supérieur hiérarchique alors que la cause de cette demande de protection était précisément un litige l'opposant à son supérieur hiérarchique.

Tout d'abord, est rappelé l'existence du principe général du droit de l'impartialité de l'administration active (posé par : Section, 29 avril 1949, Bourdeaux, Rec. p. 188), avec cette précision, capitale ici, que ce principe joue à l'encontre d'une décision prise à l'égard d'un fonctionnaire ou d'un agent public par son supérieur hiérarchique lorsque les actes de ce dernier sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

Ensuite, dans l'hypothèse de l'espèce, en raison de la concomitance de l'applicabilité du principe et de ce que l'objet de la demande était né d'un conflit avec l'autorité normalement compétente pour prendre la décision litigieuse, le juge estime, à grande raison, que le principe d'impartialité s'oppose - en dépit de ce qu'elle est l'autorité normalement compétente - à ce qu'elle se prononce sur la demande de protection fonctionnelle présentée pour ce motif par son subordonné. Le directeur du centre hospitalier ne pouvait donc pas se prononcer sur la demande dont il était saisi. Sa décision est annulée et il appartient au directeur de l'ARS de statuer sur la demande du praticien.

(29 juin 2020, M. X., n° 423996)

 

121 - Fonctionnaires et agents publics - Licenciement pour inaptitude professionnelle - Distinction selon que l’agent est contractuel ou titulaire de la fonction publique - Exigences propres à chacune de ces deux situations - Non-respect en l’espèce - Confirmation de l’arrêt d’appel et rejet.

Se prononçant sur les faits de nature à justifier un licenciement pour inaptitude professionnelle, le Conseil d’État précise ici sa jurisprudence antérieure récente (1er juin 2016, Commune de Sète, n° 392621 ; 13 avril 2018, Commune de Gennevilliers, n° 410411).

Il convient de distinguer en la matière selon la situation juridique de l’agent concerné.

Lorsque celui-ci est un agent contractuel, l’inaptitude doit concerner les fonctions pour lesquelles cet agent a été recruté. Lorsque celui-ci est un fonctionnaire l’inaptitude doit concerner l’exercice des fonctions correspondant à son grade.

Lorsqu’un fonctionnaire exerce des fonctions qui ne correspondent pas à son grade, l’administration qui le juge inapte à celles-ci doit mettre fin à ses fonctions. Ce n’est que si, exerçant des fonctions correspondant à son grade, il s’y révèle inapte durant une période de temps suffisante pour permettre cette appréciation, que l’administration est fondée à prononcer son licenciement pour inaptitude professionnelle.

En l’espèce, c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a estimé irrégulier le licenciement pour inaptitude professionnelle d'un adjoint administratif territorial de seconde classe, auquel avaient été confiées les fonctions de secrétaire de mairie d’une commune de plus de deux mille habitants, pour les manquements reprochés dans l'exercice de ces fonctions, et ce alors même que ces manquements auraient porté sur des tâches administratives d'exécution.

(9 juin 2020, Commune d’Ouveillan, n° 425620)

 

122 - Fonctionnaire territoriale - Demande de protection fonctionnelle - Propos tenus dans le cadre d’une campagne électorale - Protection due sous le contrôle souverain des juges du fond - Rejet.

Une fonctionnaire territoriale avait sollicité de la collectivité l’employant la mise en œuvre de la protection fonctionnelle instituée par l'art. 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Objectant que les propos incriminés avaient été tenus à son encontre dans le cadre d'une campagne électorale, la collectivité avait estimé que cette circonstance faisait obstacle au bénéfice de la protection sollicitée.

Pour le juge de cassation c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel avait jugé que, dès lors que ces propos présentaient un lien avec l'exercice des fonctions de l'intéressée, la protection lui était due. Il indique aussi que l’appréciation des mesures prises (ou non) au titre de cette protection relève du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond, sauf dénaturation.

(25 juin 2020, Collectivité intercommunale de collecte et de valorisation des déchets ménagers de l'Aude (Covaldem 11), n° 421643)

 

123 - Ouvriers de l’État - Exposition à l’amiante - Droit à une allocation de cessation anticipée d’activité - Personnes n’ayant plus la qualité d’ouvriers de l’État à la date de la demande du bénéfice de cette allocation - Droit à celle-ci - Rejet.

Doit être rejeté le pourvoi de la ministre des armées contre un arrêt d’appel confirmant un jugement de tribunal administratif reconnaissant à un ancien ouvrier de l’État, n’ayant plus cette qualité au moment où il en fait la demande, le droit au bénéfice d’une allocation spécifique de cessation anticipée d’activité du fait de son exposition à l’amiante. En effet, ce droit a été reconnu en raison du risque élevé de baisse d'espérance de vie pour les personnes concernées ; du fait de l’évolution lente de la maladie consécutive à cette exposition, le principe d’égalité impose l’octroi ce cette allocation même à ceux n’ayant plus la qualité d’ouvriers de l’État au moment de leur demande d’allocation.

(10 juin 2020, Ministre des armées, n° 431003)

 

124 - Fonctionnaire contractuel - Contrat à durée indéterminée - Disponibilité pour convenance personnelle - Demande de réintégration - Suppression de l’emploi pendant cette disponibilité - Existence d’emplois vacants - Absence d’obligation de les pourvoir - Licenciement régulier - Cassation.

Un ingénieur, agent contractuel sur contrat à durée indéterminé, en disponibilité pour convenances personnelles, demande à la métropole qui l’emploie sa réintégration anticipée. Cela lui est refusé en raison de la suppression de son emploi précédent et de l'absence d'emploi similaire vacant. Puis, l’agent est placé en congé sans rémunération et, enfin, licencié avec indemnité. L’intéressé conteste en justice la décision de licenciement tout comme le montant de l’indemnité allouée en conséquence.

Cassant l’arrêt de la cour administrative d’appel qui avait jugé illégal le licenciement et ordonné le reclassement de l’agent, le Conseil d’État énonce solennellement : « Il résulte d'un principe général du droit, dont s'inspirent tant les dispositions du code du travail relatives à la situation des salariés dont l'emploi est supprimé que les règles du statut général de la fonction publique qui imposent de donner, dans un délai raisonnable, aux fonctionnaires en activité dont l'emploi est supprimé une nouvelle affectation correspondant à leur grade, qu'il incombe à l'administration, avant de pouvoir prononcer le licenciement d'un agent contractuel recruté en vertu d'un contrat à durée indéterminée, de chercher à reclasser l'intéressé. Avant l'intervention des décrets prévus par l'article 49 de la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, la mise en œuvre de ce principe impliquait que l'administration, lorsqu'elle entendait pourvoir par un fonctionnaire l'emploi occupé par un agent contractuel titulaire d'un contrat à durée indéterminée ou supprimer cet emploi dans le cadre d'une modification de l'organisation du service, propose à cet agent un emploi de niveau équivalent, ou, à défaut d'un tel emploi et si l'intéressé le demandait, tout autre emploi, et que l'agent contractuel ne pouvait être licencié que si le reclassement s'avérait impossible faute d'emploi vacant ou si l'intéressé refusait la proposition qui lui était faite. »

Et le juge, examinant le cas de l’espèce, poursuit : « Ce principe trouve à s'appliquer, dans le cas où l'emploi occupé par l'agent contractuel est supprimé alors que celui-ci bénéficiait d'un congé pour convenances personnelles, à l'expiration de ce dernier. Toutefois, dès lors qu'une administration n'est jamais tenue de pourvoir un emploi vacant, il convient d'exclure des emplois susceptibles d'être proposés à l'agent concerné ceux dont l'administration établit qu'elle n'entendait pas les pourvoir. »

C’est, précisément, en s’appuyant sur cette dernière faculté que le juge de cassation reproche à la cour l’erreur de droit qui a consisté pour elle à juger illégal le licenciement du demandeur, en raison de ce que la communauté d'agglomération Toulon-Provence-Méditerranée n'établissait pas que les emplois vacants apparaissant notamment au tableau des emplois permanents n'auraient pas permis, eu égard à leurs caractéristiques ou aux nécessités du service, de procéder au reclassement de l'intéressé, alors qu’elle devait rechercher s'il était établi, comme le soutenait la communauté d'agglomération, qu'elle n'entendait pas pourvoir les emplois devenus vacants.

La solution nous semble manquer de considération à l’endroit des agents publics sur contrat à durée indéterminée faisant l’objet d’un licenciement et permettre bien des dérives.

(25 juin 2020, Métropole Toulon-Provence-Méditerranée, n° 422864)

 

125 - Sapeurs-pompiers professionnels - Durée hebdomadaire du travail - Durée calculée sur six mois glissants - Conformité à la directive européenne de 2003 relative à la durée hebdomadaire maximale de travail - Note de service fixant la durée du travail à un maximum de 1128 heures par semestre - Note muette sur le mode de calcul - Calcul sur six mois glissants - Rejet.

Le Conseil d’État était saisi d’un recours en cassation contre une ordonnance suspendant l’exécution d’une note de service du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Moselle en tant, principalement, que, par son article 1er, elle a suspendu l'exécution du point 4) de la note de service qui précise que la durée maximale hebdomadaire du travail effectif de 48 heures est décomptée du lundi 7 heures au lundi 7 heures.

Le Conseil devait se prononcer sur la conformité au droit de l’Union de la double règle fixée par cette note : un maximum de temps de travail de 48 heures par semaine décomptée d’un lundi à 7 heures à l’autre lundi à 7 heures et un maximum de 1128 heures par semestre. Il estime l’une et l’autre règles conformes à la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.

D’une part, en application des art. 6, 16, 17 et 19 de cette directive, lorsque le régime du temps de travail d'agents, tels que les sapeurs-pompiers professionnels, est déterminé en fonction d'une période de référence, la durée hebdomadaire maximale de travail de 48 heures prévue par l'article 6 de cette directive ne s'apprécie pas pour chacune des périodes de sept jours comprises dans cette période de référence mais uniquement, en moyenne, sur l'ensemble de celle-ci. Il faut et il suffit que la durée du travail effectif effectué au cours de chaque semaine civile, et non de toute période de sept jours, déterminée de manière glissante, n'excède pas quarante-huit heures.

D’autre part, s’agissant de la détermination de cette moyenne, et alors que la note imposant de « respecter les 1 128 heures maximales par semestre » est muette sur ce point, cette moyenne doit être calculée sur six mois glissants. Au prix de cette interprétation jurisprudentielle constructive, il n’y a pas lieu d’ordonner la suspension d’exécution de la note litigieuse.

(ord. réf. 9 juin 2020, Service départemental d'incendie et de secours de la Moselle, n° 438418)

 

126 - Fonctionnaires issus de l’ÉNA - Engagement de servir l’État - Sanction financière du non-respect de cet engagement - Prescription quinquennale (art. 2224 du Code civil) - Annulation su ce point du décret de radiation des cadres.

(3 juin 2020, M. X., n° 432172) V. n° 74

 

127 - Enseignant - Sanction disciplinaire - Illégalité partielle de la sanction - Annulation de la sanction par jugement du tribunal administratif - Décès de l’agent - Droit de sa veuve à l’indemnisation du préjudice ainsi causé - Annulation de l’arrêt contraire.

Un enseignant fait l’objet de la sanction d’exclusion temporaire des fonctions pendant deux ans pour fautes disciplinaires assortie d’un sursis d’un an. Cette sanction est annulée en première instance, l’intéressé décède et sa veuve saisit le tribunal d’une action à fins indemnitaires du chef du préjudice causé par les traitements non perçus durant une suspension temporaire d’exercice des fonctions jugée illégale. La cour administrative d’appel ayant jugé régulière la procédure disciplinaire suivie, a débouté l’épouse de son action en responsabilité.

En cassation, le Conseil d’État estime que si la sanction était irrégulière, le comportement de l’agent exonère l’administration d’un quart de sa responsabilité du chef du dommage résultant de cette illégalité.

(10 juin 2020, Mme X., n° 423228)

 

Libertés fondamentales

 

128 - Covid-19 - Entrée en France de ressortissants étrangers - Contrôle aux frontières - Non-respect du droit de l’Union - Défaut de clarté et de précision d’instructions primo-ministérielles - Rejet.

La requérante demandait, par la voie d’un référé liberté, que soient ordonnées les mesures adéquates pour faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes sollicitant l'entrée sur le territoire français en vertu du droit de l'Union européenne, résultant selon elle des carences de l'État à prendre des mesures claires, précises et légales au titre des contrôles aux frontières qui ont été rétablis, carences qui se manifestent à travers les consignes données aux services de la police aux frontières par les instructions des 18 mars, 15 avril et 12 mai 2020 du premier ministre.

Après avoir décrit et analysé les dispositions pertinentes en cause au regard de la hiérarchie des normes (art. 20, 21, 45 et 77 du TFUE, art. 45 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, code frontières Schengen, directive n° 2004/38/CE du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, art. L. 121-1, L. 213-1 et L. 213-2, L. 221-3 à 221-5 du CESEDA), le juge examine les trois arguments principaux de la requête dont il est saisi.

Concernant les refus d'entrée sur le territoire de ressortissants de l'UE, le moyen comportait deux branches.

Tout d’abord, était invoquée la violation du droit à la liberté de circulation garanti par le droit de l'Union. L’argument est rejeté car il résulte des faits et des règles concernés comme de l’instruction que, « compte tenu du niveau de risque persistant à la date de la présente ordonnance et des possibilités d'adaptation des mesures de gestion des frontières en cas d'évolution favorable plus rapide, les instructions (attaquées) du premier ministre des 18 mars, 15 avril, 12 et 20 mai 2020 qui ont fixé, de manière suffisamment précise, claire et intelligible, la position du Gouvernement français sur les mesures à appliquer par les services pour assurer les contrôles aux frontières en tenant compte de l'objectif de lutte contre la pandémie de Covid-19 et du droit de l'Union auxquelles elles se réfèrent, ne portent pas aux libertés fondamentales invoquées, et notamment à celles de libre circulation garanties par le droit de l'Union européenne, une atteinte grave et manifestement illégale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. »

Ensuite, s’agissant de l'atteinte alléguée à la liberté de circulation des travailleurs garantie par l'article 45 du TFUE, il est constant qu'en cours d'instruction de la présente affaire a été produite devant le juge des référés l'instruction du 20 mai 2020 du premier ministre étendant la dérogation, déjà octroyée aux travailleurs frontaliers, aux travailleurs saisonniers agricoles et aux travailleurs en détachement. Au surplus, la demanderesse n'a pas formulé d'observations ou de moyens complémentaires à la suite de cette production, le moyen ainsi soulevé est donc inopérant.

Concernant les atteintes que ces dispositions auraient porté au droit au recours effectif, le juge réfute l’argument car 1°) le code frontières Schengen ne confère pas de caractère suspensif aux recours dirigés contre les refus d’entrée, 2°) le cas de suspension lié à un référé prévu par l'article 31 de la directive 2004/38, ne concerne qu'une décision d'éloignement et non de refus d'entrée, 3°) le pouvoir exécutif ne saurait intervenir dans le fonctionnement interne des juridictions, qui plus est, par voie d'instructions du premier ministre, aucune règle ou aucun principe général du droit n’impose en cette matière le caractère suspensif de l’appel.

Concernant les atteintes liées aux placements en zone d'attente, les instructions contestées ne comportent pas de dispositions à cet égard.

(ord. réf. 2 juin 2020, Ligue des droits de l’homme, n° 440449)

(129) V. aussi, à propos d’un non-lieu à statuer sur la requête d’un ressortissant letton d’abord non admis à entrer en France pour y travailler en détachement pour la construction de serres horticoles puis admis en vertu d’une extension de dérogation intervenue en cours d’instance : ord. réf. 2 juin 2020, M. X., n° 440485 ou, solution identique, pour un ressortissant bulgare devant exercer en France une activité professionnelle de travailleur saisonnier en tant que chef d'équipe dans une exploitation agricole : ord. réf. 2 juin 2020, M. X., n° 440490.

 

130 - Etrangers - Etranger retenu ou en détention - Formation d’un recours enfermé dans un délai bref - Validité d’un recours formé en temps utile mais parvenu hors délai au greffe du tribunal - Obligation, depuis l’entrée en vigueur du décret du 28 octobre 2016, d’aviser l’intéressé de la possibilité de déposer son recours auprès de l'administration chargée de la rétention ou du chef de l'établissement pénitentiaire - Rejet.

Jusqu’à l’entrée en vigueur du décret n° 2016-1458 du 28 octobre 2016, l’étranger qui, se trouvant  en détention ou retenu, entendait contester une décision prise sur le fondement du CESEDA pour laquelle était prévu un délai de recours bref, la circonstance que sa requête ait été adressée dans le délai de recours, à l'administration chargée de la rétention ou au chef d'établissement pénitentiaire, faisait obstacle à ce qu'elle soit regardée comme tardive, alors même, d’une part, que l'administration n'était pas tenue de faire figurer, dans la notification de sa décision pour laquelle était prévu un délai de recours bref, la possibilité de déposer la requête auprès de l'administration chargée de la rétention ou du chef d'établissement pénitentiaire et, d’autre part, que cette requête ne serait parvenue au greffe du tribunal administratif qu'après l'expiration de ce délai de recours.

Depuis l'entrée en vigueur des articles R. 776-19, R. 776-29 et R. 776-31 du CJA, il incombe à l'administration, pour les décisions présentant les caractéristiques mentionnées ci-dessus, de faire figurer, dans leur notification à un étranger retenu ou détenu, la possibilité de déposer sa requête dans le délai de recours contentieux auprès de l'administration chargée de la rétention ou du chef de l'établissement pénitentiaire.

En l’espèce, la notification au requérant, alors incarcéré, de l'arrêté attaqué, du 28 juillet 2015, portant obligation de quitter le territoire français, est antérieure à l'entrée en vigueur des dispositions du code de justice administrative issues du décret du 28 octobre 2016. Il s'ensuit que la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'à cette date, l'administration n'était pas tenue de faire figurer dans la notification la faculté susmentionnée pour que le délai de recours contentieux soit opposable à l'intéressé.

(10 juin 2020, M. X., n° 431179)

 

131 - Covid-19 - Modifications des règles et conditions de fonctionnement de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Recours à une formation de jugement à juge unique - Article 4-1 de l’ordonnance du 25 mars 2020 - Suspension ordonnée.

L'article 11 de la loi du 23 mars 2020 a habilité le Gouvernement à prendre par ordonnances, pendant trois mois, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, toute mesure relevant du domaine de la loi afin de faire face aux conséquences de la propagation de l'épidémie de Covid-19, notamment en matière juridictionnelle. Prise sur le fondement de cette habilitation, l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif a temporairement adapté certaines règles de procédure applicables devant les juridictions administratives. Ses dispositions ont été modifiées ou complétées par l'ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020 dont l’art. 1er, 2° a ajouté à l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 un article 4-1 disposant que « la procédure prévue au deuxième alinéa de l'article L. 731-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, par laquelle le président de la Cour nationale du droit d'asile ou le président de formation de jugement qu'il désigne à cette fin statue seul, est applicable à l'ensemble des recours mentionnés au premier alinéa du même article ».

Les organisations requérantes demandaient à titre principal la suspension de l'exécution des dispositions de cet article 4-1.

Le juge des référés leur donne raison en ces termes :

« 14. En dépit des difficultés particulières de fonctionnement de la Cour nationale du droit d'asile dans les circonstances causées par l'épidémie de covid-19, de la proportion des membres des formations collégiales de la Cour susceptibles d'être regardés comme des personnes particulièrement vulnérables à cette maladie et de la durée d'application limitée des dispositions contestées, qui n'est en l'état prévue que jusqu'au 10 juillet 2020, le moyen tiré de ce que ces dispositions ne seraient pas justifiées et proportionnées au regard de l'habilitation donnée par l'article 11 de la loi du 23 mars 2020, compte tenu de l'état de la situation sanitaire à la date à laquelle elles ont été adoptées, est, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité des dispositions critiquées, eu égard au caractère général et systématique de la dérogation adoptée, qui n'est pas limitée à des hypothèses pouvant être justifiées par les caractéristiques des affaires, et à la particulière importance que revêt, pour les demandeurs d'asile, la garantie d'un examen de leur recours par une formation collégiale telle qu'instituée en principe par le législateur.
15. En second lieu, il ressort des éléments indiqués au juge des référés qu'il est prévu de tenir des audiences à la Cour nationale du droit d'asile sur le fondement des dispositions contestées à compter du 15 juin 2020. Compte tenu des effets de ces dispositions sur les conditions d'examen des recours portés devant la Cour et de l'importance de la garantie que présente, pour les demandeurs d'asile, la collégialité des formations de jugement en principe instituées par le législateur, la condition d'urgence requise par les dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie, sans que s'y oppose en l'espèce l'intérêt public qui peut s'attacher à la continuité du fonctionnement du service public de la justice ».

En revanche les autres demandes, à la vérité mineures ou devenues sans intérêt du fait de la présente ordonnance, sont rejetées.

(ord. réf. 8 juin 2020, Association ELENA France et autres, n° 440717 ; Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI) et autre, n° 440812 ; Conseil national des barreaux, n° 440867, jonction)

 

132 - Décret d’extradition - Obligation de motiver un tel décret - Refus d’abrogation d’un décret d’extradition - Obligation de motivation - Refus implicite - Régime de motivation - Décret d’extradition inexécuté et devenu illégal par suite du changement des circonstances postérieures à ce décret - Recours - Régime - Annulation pour défaut de motivation et injonction.

La présente décision est importante par les rappels qu’elle contient et les précisions qu’elle donne sur le statut juridique du décret d’extradition.

Il faut préalablement rappeler que l’extradition consiste pour un État, ici la France, à remettre à un autre État, ici la Pologne, une personne - à laquelle elle ne reproche rien - mais que cet État réclame pour les motifs qu’il fait connaitre au premier État.

Le juge réitère deux solutions jurisprudentielles assez anciennes. En premier lieu, les décrets d’extradition sont des décisions devant être motivées au sens et pour l’application de la loi du 11 juillet 1979. En second lieu, le refus d’abroger un décret d’extradition doit également être motivé ; lorsque ce refus est implicite, il incombe à son auteur d’en faire connaitre la motivation dans le mois suivant la demande en ce sens de l’intéressé.

Enfin, dans l’hypothèse d’un décret d’extradition inexécuté, l’intéressé peut faire valoir, s’il s’y croit fondé, que ce décret est devenu illégal à la suite de changements dans les circonstances de droit ou de fait postérieurs à son édiction et qu’il ne peut, en raison de ces changements, être mis à exécution sans que soient méconnues les exigences qui conditionnent la légalité de l'extradition, par exemple les réserves émises par la France à l'occasion de la ratification de la convention européenne d'extradition. En ce cas, il doit d’abord demander à l’autorité compétente l'abrogation de ce décret et, en cas de refus, il lui appartient de saisir le Conseil d'État d’un recours pour excès de pouvoir. La légalité du refus d’abrogation s’apprécie à la date à laquelle le juge statue et non à la date du refus, implicite ou explicite, d’abrogation ou à la date de la demande d’abrogation adressée à l’administration.

(10 juin 2020, M. X., n° 435348)

 

133 - Etrangers - Délivrance du récépissé de demande d’un titre de séjour - Délai raisonnable de fixation d’un rendez-vous - Solution comparable en cas de demande au moyen d’un site internet - Rejet.

Parce que la détention, par un étranger, du récépissé de demande d’un titre de séjour est très importante pour lui permettre de demeurer en France et, le cas échéant, pour y travailler, il importe que lui soit fixée rapidement la date du rendez-vous au cours duquel sa demande et les documents l’accompagnant seront examinés et, si son dossier est complet, un récépissé lui sera délivré. L’enregistrement de sa demande doit intervenir dans un délai raisonnable. Cette exigence s’applique également, mutatis mutandis, lorsque la procédure se déroule au moyen d’une connexion sur un site internet.

Après plusieurs tentatives infructueuses au cours de semaines différentes pour obtenir un rendez-vous, il peut demander au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L 521-3 CJA, d'enjoindre au préfet de lui communiquer, dans un délai qu'il fixe, une date de rendez-vous. Si la situation de l'étranger le justifie, le juge peut préciser le délai maximal dans lequel ce rendez-vous doit avoir lieu. Il fixe un délai bref en cas d'urgence particulière.

En l’espèce, il est jugé que le fait pour un étranger d’avoir effectué au cours d’une même semaine quatre tentatives infructueuses de demandes sur un site internet n’établit pas que l’administration aurait excédé le délai raisonnable pour fixer un rendez-vous.

(10 juin 2020, M. X., n° 435594)

 

134 - Litiges en matière de pensions militaires d'invalidité - Représentation en justice - Dispense du ministère d’avocat - Régime issu de la loi du 13 juillet 2018 - Dispense maintenue dans le silence sur ce point du code de justice administrative.

Répondant à une demande d’avis adressée par une cour administrative d’appel, le Conseil d’État estime qu’alors même que l'article R. 811-7 du CJA ne mentionne pas de dispense de ministère d'avocat pour les recours contentieux contre les décisions individuelles en matière de pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, l'obligation d'avoir recours à ce ministère ne s'impose pas devant les cours administratives d'appel saisies de ces litiges. 

Il déduit cette solution des travaux parlementaires préalables à l'adoption de la loi du 13 juillet 2018 dont résultent les dispositions de l'article L. 711-5 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, selon lesquels le législateur a entendu maintenir le droit dont disposait le pensionné, antérieurement à leur entrée en vigueur et depuis la loi du 31 mars 1919, d'être représenté par la personne de son choix ou de ne pas être représenté dans les litiges visés à l'article L. 711-1 du code des pensions précité.

Le juge rappelle à cette occasion que cette dispense existe également pour ces contentieux en cassation.

(avis de droit, 10 juin 2020, M. X., n° 437866)

 

135 - Covid-19 - Liberté de culte - Obligation du respect des distances sociales entre membres d’une même famille assistant à une cérémonie religieuse - Obligation du port du masque - Rejet.

Voilà une ordonnance assez confuse rendue en matière de précautions sanitaires à respecter au cours de cérémonies religieuses.

Tout d’abord, répondant à l’argument d’illégalité de l’obligation imposée aux membres d’une même famille de respecter la distance sociale minimale, le juge relève d’abord que « le ministre de l'intérieur s'est borné, dans sa défense, à indiquer que « cette circonstance n'est en tout état de cause pas de nature à porter atteinte à la liberté de culte » sans affirmer qu'une telle exigence est impliquée par les dispositions combinées des articles 1er et 47 du décret contesté. » Au total, nous ne sommes guère éclairés sur le droit applicable ou appliqué.

Ensuite, le juge estime de façon obscure que cette « interprétation, qui imposerait, dans les établissements de culte, une distance minimale d'un mètre entre des personnes qui sont conduits à ne pas la respecter à leur domicile, et ce alors même qu'ils doivent porter un masque de protection dans ces établissements, soit celle qui est communément mise en œuvre au sein de ces derniers. » L’ensemble laisse le lecteur assez désemparé quant à son sens général…

Ensuite, concernant le port du masque, il considère que si  « le fait de répondre au célébrant et de prendre part aux chants constituent deux éléments fondamentaux du culte que pratique le requérant, celui-ci n'établit pas en quoi le fait de porter un masque y porterait atteinte alors, au surplus, qu'il ressort des termes mêmes du deuxième alinéa du II de l'article 47 du décret contesté que les participants d'une cérémonie religieuses peuvent retirer momentanément leur masque de protection pour l'accomplissement des rites qui le nécessitent. » Second volet de l’argumentation, tout aussi incertain et abscons que le précédent.

(ord. réf. 12 juin 2020, M. X., n° 440840)

 

136 - Réfugiés - Décision de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) mettant fin au statut de réfugié sur le fondement de l’art. L. 711-6 du CESEDA - Saisine de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Office de la Cour en cas de non-contestation de la qualité de réfugié de l’intéressé - Article L. 711-6 du CESEDA - Interprétation par rapport aux objectifs de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 - Annulation.

Importante décision relative, d’une part, à l’office du juge de l’asile, et d’autre part, au régime d’interprétation de l’art. L. 711-6 CESEDA qui fonde le régime de la révocation de la qualité de réfugié.

Sur le premier point, est cassée la décision de la CNDA de vérifier d’office si un requérant remplit les conditions prévues aux articles 1er de la convention de Genève et L. 711-1 du CESEDA alors qu’en l’espèce elle était seulement saisie d'un recours dirigé contre une décision mettant fin au statut de réfugié prise sur le fondement de l’art. L. 711-6 sans que l'OFPRA ne remette en cause devant elle la qualité de réfugié de l'intéressé.  

Sur le second point est apportée une importante précision. Parce que l’art. L. 711-6 CESEDA a été pris pour la transposition d’une directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011, il doit être interprété à la lumière des objectifs de cette directive. Celle-ci, conformément d’ailleurs à la convention de Genève du 28 juillet 1951 et à son protocole signé à New York le 31 janvier 1967, poursuit deux buts : L’application par tous les États de l’Union de critères communs pour l'identification des personnes nécessitant une protection internationale et l’octroi par ces États d’un même niveau minimal d'avantages à ces personnes.

Interprétant l’art. 14 (§§ 4 et 5) de ladite directive, la CJUE (Grande Chambre, 14 mai 2019, X. c/ Ministerstvo vnitra, C-391/16, et X. c/ Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, C77/17 et C-78/17, deux espèces) a dit pour droit que la révocation du statut de réfugié ou le refus d'octroi de ce statut ne saurait avoir pour effet de priver de la qualité de réfugié le ressortissant d'un pays tiers ou l'apatride concerné qui remplit les conditions pour se voir reconnaître cette qualité au sens du A de l'article 1er de la convention de Genève. Et la Cour a ajouté que le paragraphe 6 de cet art. 14 doit être interprété en ce sens que l'État membre qui fait usage des facultés prévues à l'article 14, paragraphes 4 et 5, précité, doit accorder au réfugié relevant de l'une des hypothèses visées à ces dernières dispositions et se trouvant sur le territoire dudit État membre, à tout le moins, le bénéfice des droits et protections consacrés par la convention de Genève auxquels cet article 14, paragraphe 6, fait expressément référence, en particulier la protection contre le refoulement vers un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée, ainsi que des droits prévus par ladite convention dont la jouissance n'exige pas une résidence régulière.

Il se déduit de là, selon le Conseil d’État, que l'art. L. 711-6 du CESEDA ne permet à OFPRA de refuser d'exercer la protection juridique et administrative d'un réfugié ou d'y mettre fin, dans les limites prévues par l'article 33, paragraphe 1, de la convention de Genève et le paragraphe 6 de l'art. 14 de la directive du 13 décembre 2011, que dans le cas où il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de l'intéressé constitue une menace grave pour la sûreté de l'État ou lorsque l'intéressé a été condamné en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et que sa présence constitue une menace grave pour la société. La perte du statut de réfugié résultant de l'application de l'art. L. 711-6 ne saurait dès lors avoir une incidence sur la qualité de réfugié, que l'intéressé est réputé avoir conservé dans l'hypothèse où l'OFPRA et, le cas échéant, le juge de l'asile, font application de l'art. L. 711-6, dans les limites prévues par l'article 33, paragraphe 1, de la convention de Genève et le paragraphe 6 de l'art. 14 de la directive du 13 décembre 2011.

D’où cette solution d’importance que l'art. L. 711-6 n'a pas pour objet d'ajouter de nouvelles clauses d'exclusion et ne méconnaît, dans ces conditions, ni la convention de Genève ni les objectifs de la directive du 13 décembre 2011. Cet article n’échappe donc au vice d’inconventionnalité qu’au prix d’une véritable réécriture par le juge qui applique ici un remède de cheval.

(19 juin 2020, M. X., n° 416032)

(137) V. aussi, sur les pouvoirs et devoirs combinés et respectifs de l'OFPRA et de la CNDA à l'égard d'un réfugié condamné par une cour d'assises sous la prévention de tentative d'assassinat : 19 juin 2020, OFPRA, n° 422720.

(138) V. également, portant sur la question de la révocation du statut de réfugié à un Sri-Lankais convaincu de participation au financement d’entreprises terroristes : 19 juin 2020, M. X., n° 427471 ; n° 429803, deux espèces ou sur celle de savoir si un ressortissant bangladais qui adhère à une idéologie radicale présentant un caractère dangereux et cherche à dissimuler la réalité de ses convictions et activités, constitue une menace grave pour la sûreté de l'État : 19 juin 2020, M. X., n° 425231 (réponse positive) ou si un ressortissant vietnamien anciennement condamné constitue encore une telle menace eu égard aux circonstances dans lesquelles ont été commises les infractions reprochées, au temps qui s'est écoulé depuis comme à l'ensemble du comportement de l'intéressé après la commission des infractions : 19 juin 2020, M. X., n° 428140 (réponse négative).

139 - Refus du Défenseur des droits de faire usage de ses pouvoirs - Recours dirigé contre ce refus - Acte insusceptible de recours - Rejet du recours comme étant manifestement irrecevable sans communication préalable du mémoire opposant cette irrecevabilité - Irrégularité - Cassation mais reprise de la solution au fond.

Rappel de ce que le refus du Défenseur des droits de faire usage des pouvoirs qu'il tient de la loi organique du 29 mars 2011 ne constitue pas une décision faisant grief susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

(10 juin 2020, M. X., n° 427806) V. également sur cette décision les n°s 7 et 41

 

Police

 

140 - Police spéciale des carrières - Autorisation préfectorale de réouverture d’une carrière de marbre blanc - Autorisation dérogeant aux interdictions de destruction d'espèces de flore et de faune sauvages protégées (art. L. 411-2 du code de l'environnement) - Nécessité d’existence d’une raison impérative d'intérêt public majeur - Cas en l’espèce - Cassation avec renvois.

(3 juin 2020, Société La Provençale, n° 425395 ; Société La Provençale, n° 425399 ; ministre de la transition écologique et solidaire, 425425) V. n° 110

 

141 - Covid-19- Police sanitaire - Réouverture des restaurants et cafés - Mesures de restriction prétendues disproportionnées - Rejet.

La société requérante demandait, par une requête introduite les 22 et 25 mai 2020, la suspension de l’exécution des articles 2, 3, 7, 10 et 27 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 maintenant les dispositions du décret du 14 mars 2020 interdisant la pratique de son activité et qu’il soit enjoint à l'État, sans délai et sous astreinte, d'autoriser la réouverture administrative de son établissement ou, à défaut de réouverture dans des conditions normales, de l'indemniser des frais exposés en vue d'instaurer les mesures barrières, des frais nécessaires à la réorientation de son activité dans la restauration à emporter et des pertes de bénéfices subies par comparaison avec la période équivalente de l'année précédente. Elle fait valoir que ces différentes mesures combinées, en ce qu'elles font obstacle à tout fonctionnement économiquement viable de l'établissement de restauration qu'elle a pour objet d'exploiter, portent une atteinte grave à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie, ainsi qu'au droit de propriété, au principe de sécurité juridique, au principe d'égalité devant la loi, au principe de non-discrimination, à la liberté d'aller et venir et au droit à la vie. Ces mesures ne seraient pas justifiées par la situation sanitaire, ou à tout le moins ne le seraient plus à ce jour, de sorte que l'atteinte qu'elles portent à ces libertés fondamentales est disproportionnée et revêt un caractère manifestement illégal.

Pour rejeter l’ensemble de ces demandes, le juge du référé liberté du Conseil d’État indique qu’une partie des mesures restrictives édictées par le décret attaqué a été abrogée par celui du 31 mai 2020, prenant effet le 2 juin 2020.

Le juge considère que la distinction entre « zone verte » et « zone rouge » quant au degré de persistance de l’épidémie est pertinente et que les mesures accompagnant respectivement chacune de ces deux catégories de situations sanitaires sont proportionnées et nécessaires.

En conséquence, il n’y a plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à la suspension de l'exécution du décret du 11 mai 2020 et doivent être rejetées celles des conclusions de la société requérante qui doivent être lues comme tendant à ce qu'il soit enjoint à l'État de prendre, pour ce qui concerne les cafés et restaurants, des mesures moins restrictives que celles qui découlent de l'article 40 du décret du 31 mai 2020.

(ord. réf. 3 juin 2020, Société Kinoux's hôtel restaurant, n° 440759)

(142) V. aussi, du même jour, semblables en tous points concernant pour la plupart des services de restauration, café ou bar, ce qui en dit long sur le désarroi d’une profession : 9 juin 2020, Sarl Phanie et Fredo, n° 440761 ; Société Kinoux's camp, n° 440762 ; Société Lilipin, n° 440773 ; Société Ophélie D, n°440777 ; Société Le Chef Raphaël, n° 440788 ; Société des Faubourgs, n° 440791 ; Société El Toro Loco, n° 440792 ; Société Remontada, n° 440793 ; Société Yabaha, n° 440794 ; M. X., n° 440795 ; Société La Première Marche, n° 440796 ; Société Hovthi, n° 440797 ; Société Atre Actif, n° 440798 ; Société Etoile, n° 440779 (salons de coiffure) ;  Société SNRJ, n° 440870 (résidences de tourisme).

(143) V. également, avec des variations dans les demandes, toutes relatives à des établissements de restauration : 9 juin 2020, Société Villeneuve 26, n° 440782 ; 9 juin 2020, Société JMPL, n° 440783 ; 9 juin 2020, Société W 26, n° 440784 ; 9 juin 2020, Devi's café Brun, n° 440785 ; 9 juin 2020, Société Aldolino, n° 440786 ; 9 juin 2020, Société Aspeo, n° 440789 ; 9 juin 2020, Société Sinema, n° 440790, toutes ces décisions rappellent en outre qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés d'allouer une indemnisation du fait de dommages résutant de la mesure de police attaquée.

(144) V. encore, dans le meme sens concernant l'activité de camping et de caravanage : 9 juin 2020, Société du Camp, n° 440854

 

145 - Police municipale - Port du masque obligatoire en certains lieux et à certaines heures - Arrêté ayant cessé de produire effet - Non-lieu à statuer.

Le requérant, par une requête enregistrée le 29 mai 2020, interjetait appel de l’ordonnance rejetant sa demande tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté municipal rendant obligatoire de 8 heures à 18 heures, jusqu'au 1er juin 2020 inclus, le port d'un masque de protection couvrant le nez et la bouche, ou son équivalent, pour les personnes de plus de dix ans circulant à l'intérieur des bâtiments et équipements de la ville ainsi que celles empruntant certaines voies publiques. 

Le juge d’appel constate qu’à la date à laquelle il se prononce les effets de l’acte attaqué ont cessé et qu’il n’y a plus lieu d’y statuer.

(ord. réf. 3 juin 2020, M. X., n° 440943)

 

146 - Police spéciale des aérodromes - Motivation des décisions - Décision préfectorale refusant à l’employé d’une société l’autorisation d’accéder à la zone de sûreté d’un aérodrome - Décision devant être motivée - Absence de motivation - Illégalité - Rejet.

(10 juin 2020, Ministre de l’intérieur, n° 425593) V. n° 9

 

147 - Covid-19 - Interdiction de manifestations de plus de dix personnes - « Instruction » du ministre de l’intérieur décidant de ne pas appliquer cette réglementation en cas de manifestations contre le racisme - Propos tenus sur des chaines de radio et de télévision - Absence d’urgence - Texte devenu inapplicable - Rejet.

Le syndicat requérant demandait la suspension de l'instruction du ministre de l'intérieur révélée lors de l'entretien qu'il a donné sur RMC et BFMTV le 9 juin 2020 de ne pas verbaliser les manifestants enfreignant l'interdiction résultant du I du décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 participant à des rassemblements mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes lorsqu'ils se réclament de la lutte contre le racisme.

Le juge des référés rejette le recours pour défaut d’urgence.

Il relève que l'exécution des dispositions du I de l'article 3 du décret du 31 mai 2020 a été suspendue par une décision du juge des référés du Conseil d'État du 13 juin 2020 en tant qu'elle s'applique aux manifestations sur la voie publique soumises à l'obligation d'une déclaration préalable en vertu de l'article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure.

A la suite de cette décision, le décret du 14 juin 2020, a  inséré à l'article 3 du décret du 31 mai 2020 un II bis prévoyant que, par dérogation aux dispositions du I et sans préjudice de l'article L. 211-3 du code de la sécurité intérieure, les cortèges, défilés et rassemblement de personnes, et, d'une façon générale, toutes les manifestations sur la voie publique mentionnés au premier alinéa de l'article L. 211-1 du même code sont autorisés par le préfet de département si les conditions de leur organisation sont propres à garantir le respect des dispositions de l'article 1er du présent décret.

C’est pourquoi, il est jugé que « A supposer que les propos tenus par le ministre de l'intérieur révèlent l'existence d'une instruction qu'il aurait donnée à ses services de ne pas verbaliser les participants à une manifestation interdite sur le fondement du I de l'article 3 du décret du 31 mai 2020 lorsqu'ils se réclament de la lutte contre le racisme, les effets d'une telle instruction ne peuvent en tout état de cause être regardés à ce jour comme de nature à caractériser une urgence justifiant que l'exécution en soit suspendue sans attendre le jugement de la requête au fond dès lors qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le régime de l'interdiction posée par ces dispositions ne s'applique plus à ces manifestations. »

(ord. réf. 17 juin 2020, Syndicat VIGI, n° 441168)

 

148 - Covid-19 - Mesures de police sanitaire afin d’éviter la propagation d’une épidémie - Sanction disproportionnée de leur non-respect - Erreur manifeste d’appréciation - Caractère de recommandations - Rejet.

Les demandeurs sollicitaient la suspension de l’exécution de l’art. 1er du décret du 31 mai 2020  car le non-respect des mesures barrières est susceptible d'être réprimé par l'infliction de l'amende prévue pour les contraventions de 1ère classe : chaque personne qui se touche le visage, qui se trouve à moins d'un mètre d'une autre, qui ne jette pas immédiatement son mouchoir dans une poubelle après usage unique ou qui tousse ou éternue ailleurs que dans son coude encourt une amende de 38 euros, alors que le fait de se toucher le visage est un geste réflexe que chacun accomplit plusieurs dizaines de fois par jour, ainsi toute personne résidant sur le territoire français est exposée à plusieurs dizaines d'amendes par jour, par suite le décret est entaché d'erreur manifeste d'appréciation, édicte des interdictions manifestement disproportionnées et méconnaît le principe de légalité et des peines.

A quoi il est répondu que « Les dispositions dont la suspension est demandée sont des mesures de précaution destinées à freiner la contamination par le virus du covid-19 pour répondre à l'état d'urgence sanitaire. Contrairement à ce qui est soutenu, le décret n'édicte pas une interdiction de se toucher le visage, mais se borne à préconiser d'éviter de le faire. Si le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police est susceptible d'être puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 1ère classe, les mesures édictées, du fait de leur objet qui concerne des gestes accomplis des dizaines de fois dans la vie quotidienne et dans la sphère privée, et de leur généralité, ces mesures devant être observées « en tout lieu et en toute circonstance », s'apparentent davantage à des recommandations qu'à des règles de police susceptibles d'être sanctionnées par l'infliction de contraventions. Par suite, les moyens tirés de ce que ces dispositions seraient entachées d'erreur manifeste d'appréciation, seraient manifestement disproportionnées ou méconnaîtraient le principe de légalité des délits et des peines ne sont pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur leur légalité. »

Il est heureux de voir le bon sens triompher… même du Covid-19…

(15 juin 2020, M. X. et autres, n° 440269)

 

149 - Police du stationnement - Stationnement payant - Infraction - Forfait post-stationnement - Émission d’un titre exécutoire - Cession du véhicule entretemps - Contestation du titre exécutoire - Charge du paiement de la somme réclamée - Rejet.

(10 juin 2020, M. X., n° 427155) V. n° 49

 

150 - Police des transports publics de personnes - Police du transport de matières dangereuses - Avis d’incompatibilité (art. L. 114-2 du code de la sécurité intérieure) - Distinction entre les avis selon qu'ils relèvent de l'alinéa 1 (avis antérieur au recrutement ou à l’affectation sur un emploi) ou de l'alinéa 2 (avis sur une personne déjà en poste) de cet article - Portée - Avis faisant grief - Inopérance des moyens tirés d’erreurs dans l’identification de l’alinéa applicable.

Cette décision est importante et reçoit d’ailleurs l’honneur de la publication au Lebon. Il est regrettable qu’elle laisse un peu à désirer.

 L’art. L. 114-2 du code de la sécurité intérieure prévoit la possibilité que peuvent être précédées d'enquêtes administratives le recrutement ou l’emploi de personnes en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens au sein d'une entreprise de transport public de personnes ou d'une entreprise de transport de marchandises dangereuses soumise à l'obligation d'adopter un plan de sûreté. Ces enquêtes ont pour objet de vérifier que le comportement des personnes intéressées n'est pas incompatible avec l'exercice des fonctions ou des missions envisagées.

Ce texte envisage deux hypothèses, celle où l’avis est sollicité avant le recrutement ou l’affectation d’une personne (c’est l’alinéa 1) et celle où cet avis est sollicité pour une personne déjà en poste dans l’entreprise (c'est l'alinéa 2).

Cet avis est, naturellement, un acte faisant grief et, comme tel, susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Toutefois, le juge précise que dès lors que c’est à l’employeur d’indiquer à l’administration qu’il interroge au titre de quel alinéa il la saisit d’une demande d’avis sans que celle-ci soit tenue de vérifier l’exactitude de cette imputation scripturaire, il s’ensuit que sont inopérants les moyens tirés d’une erreur d’imputation de son employeur ou d’interprétation de sa demande par l’administration. Cette solution a sa logique dans la mesure où l’administration n’est pas l’auteur du choix de l’alinéa de référence mais il ne fallait pas faire un effort insurmontable pour juger qu’une décision fondée sur une erreur même non imputable à l’administration entache, le cas échéant, la légalité de celle-ci.

(avis de droit, 10 juin 2020, M. X., n° 435379)

 

Professions réglementées

 

151 - Chirurgiens-dentistes - Manquement aux obligations déontologiques - Mentions devant figurer sur un site internet professionnel - Site consacré au praticien non à la société d'exercice libéral où il officie - Obligation s'imposant à cette dernière non au praticien - Sanction disciplinaire entachée d'erreur de droit - Annulation avec renvoi à la chambre disciplinaire nationale.

Commet une erreur de droit la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens dentistes qui inflige à un praticien une sanction disciplinaire pour manquement à ses obligations déontologiques à raison de ce que son site internet professionnel ne comporte pas les informations exigées par l'article R. 4113-2 du code de la santé publique alors que ce texte n'est applicable qu'aux sociétés d'exercice libéral et que le site en cause n'est pas celui de la société où exerce le praticien sanctionné.

(29 juin 2020, M. X., n° 423036)

 

152 - Médecins - Sanction de l'incapacité d'exercer la médecine - Demande de relèvement partiel de la sanction - Impossibilité - Procédure d'appel - Motivation et forme de l'appel - Appel régulier ici - Rejet.

Le litige était relatif au refus d'une chambre disciplinaire de l'ordre des médecins de relever un médecin de l'incapacité d'exercice de sa profession résultant de sa radiation du tableau de l'ordre.

Tout d'abord, il est jugé que la chambre disciplinaire de première instance, statuant sur le fondement de l'art. L. 4124-8 du code de la santé publique, ne peut pas prononcer le relèvement partiel de l'incapacité d'exercer frappant un praticien à raison de sa radiation du tableau de l'ordre.

Ensuite, la requête d'appel formée par le président du Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) contre une décision de la chambre disciplinaire de première instance est, d'une part, régulière en la forme (cf. art. R. 4126-1 du code de la santé publique) et, d'autre part, dument motivée dès lors qu'elle se compose d'une lettre de ce président se référant explicitement à la délibération du CNOM, qui lui est jointe, laquelle soulève plusieurs moyens à l'encontre de la décision attaquée.

(29 juin 2020, M. X., n° 424133)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

153 - Article L. 190 du livre des procédures fiscales - Demandes de restitution d’impôt fondées sur l’inconstitutionnalité de la loi - Soumission au régime contentieux de droit commun non à celui de la QPC - Inconstitutionnalité - Rejets de la QPC et sur le fond.

Cette décision est intéressante au regard de la procédure de la QPC, d’une part dans ses rapports avec le régime de restitution des impots, droits et taxes institué par l’art. L. 190 du livre des procédures fiscales (LPF), et d’autre part, dans ses rapports avec le déroulement du procès administratif.

 

I - QPC et article L. 190 du LPF

L'article L. 190 du LPF dispose : « Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire. »

La société requérante  soutient par la voie d’une QPC que ces dispositions sont contraires à l'article 62 de la Constitution, à la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789, au principe de sécurité juridique et au droit de propriété « en ce qu'elles sont susceptibles de s'appliquer aux demandes de restitution de l'impôt fondées sur l'inconstitutionnalité de la loi et soumettent par suite ces demandes aux conditions de recevabilité de droit commun prévues par le livre des procédures fiscales ».

Le juge rappelle tout d’abord que l’art. L. 190 précité s'applique à l'ensemble des demandes formées par les contribuables tendant à la restitution d'impositions entrant dans son champ et en particulier à celles qui tendent à la restitution d'une imposition fondée sur des dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution.

Il rappelle ensuite que selon l'article 62, alinéa 2, de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. »

Il se déduit de là qu’il appartient au seul Conseil constitutionnel de prévoir la remise en cause des effets qu'une disposition déclarée inconstitutionnelle a produits avant l'intervention de cette déclaration.

En particulier lorsque, à la suite d’une QPC, il a déclaré contraire à la Constitution la disposition législative ayant fondé l'imposition litigieuse, il lui revient à titre exclusif de prévoir si et, le cas échéant, dans quelles conditions, les effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration sont remis en cause, au regard des règles, notamment de recevabilité, applicables à la date de sa décision.

Ainsi, lorsque ce Conseil précise, dans une décision déclarant une disposition législative contraire à la Constitution, que cette déclaration d'inconstitutionnalité est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de publication de sa décision, cette déclaration peut être invoquée dans toutes les procédures contentieuses en cours, quelle que soit la période d'imposition sur laquelle porte le litige, ainsi qu'à l'appui de toute réclamation encore susceptible d'être formée sur le fondement de l'art. L. 190 du LPF eu égard aux règles de recevabilité prévues par ce code.

Le Conseil rejette assez prestement l’argument d’inconstitutionnalité de cet article par rapport au deuxième alinéa de l’art. 62 de la Constitution en estimant que « l'absence de décision du Conseil constitutionnel statuant sur la question de l'invocabilité de cet alinéa au soutien d'une question prioritaire de constitutionnalité ne suffi(t) pas, par ailleurs, à permettre de regarder cette question comme nouvelle. »

Ensuite, l’éventuelle créance née du chef de l’inconstitutionnalité d’une disposition fiscale ne résulte pas ipso facto de la décision du Conseil constitutionnel mais de cette inconstitutionnalité elle-même ; il est donc logique que le régime de recevabilité de l’action en restitution soit celui prévu par l’art. L. 190.

Enfin, il est toujours loisible à un contribuable estimant inconstitutionnelle la disposition fiscale qui lui est applicable, de saisir le juge d’une QPC aux conditions habituelles.

L’invocation du principe de sécurité juridique à l’encontre de l’art. L. 190 dans le cadre d’une QPC est rejeté car il n’est pas au nombre au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution au sens et pour l'application de l'ordonnance portant loi organique régissant la QPC.

 

II - QPC et marche du procès administratif

Lorsqu’est présentée à la juridiction d’appel une question prioritaire de constitutionnalité il n’est pas possible au juge de statuer - sans instruction - sur la requête dont il est saisi au moyen d’une ordonnance prise sur le fondement du dernier alinéa de l'article R. 222-1 du CJA avant la production du mémoire distinct que cette requête annonçait, sans avoir imparti un délai pour produire ce mémoire en faisant usage du pouvoir prévu par l'article R. 611-17 de ce code. En effet, une telle demande est susceptible, lorsqu'elle porte sur une disposition législative dont découle la détermination des règles de recevabilité applicables au litige, de modifier l'appréciation portée par le juge sur la recevabilité de la requête ou, lorsqu'elle porte sur une disposition législative constituant le fondement légal de la décision contestée, de modifier l'appréciation portée sur l'absence manifeste de fondement de la requête.

L’ordonnance attaquée est annulée sans renvoi.

(9 juin 2020, Société locale d'épargne de Haute-Garonne Sud-Est, n° 438822)

 

154 - Plus-values nettes de cession d'un local à usage de bureau ou à usage commercial - Soumission à l’impôt sur les sociétés au taux réduit - Conditions - Exception pour les sociétés cessionnaires non soumises à l’impôt sur les sociétés - Cas d’une SCI de construction-vente - Caractère sérieux du moyen invoqué - Renvoi d’une QPC.

Présente un caractère sérieux le moyen tiré, à l’appui d’une QPC, de que les dispositions du I de l'article 210 F du CGI, dans leur rédaction issue de l'article 36 de la loi du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013, sont  contraires à la Constitution en tant qu'elles excluent du dispositif de faveur qu'elles instituent les plus-values dégagées lors d'une cession réalisée au profit d'une société soumise au régime de l'article 239 ter du même code, portant ainsi atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques.

Le renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel est donc ordonné.

(9 juin 2020, Société Beraha, n° 439457)

 

Responsabilité

 

155 - Mandat donné par une société à une autre en vue d’une demande d’agrément - Agrément refusé dans des conditions prétendues irrégulières - Dommages financiers en résultant - Mise en jeu de la responsabilité de la puissance publique - Refus - Qualification inexacte des faits - Annulation avec renvoi.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce le jugement refusant d’accorder la réparation d’un préjudice financier à une société mandataire d’une autre à l’effet d’obtenir l’agrément fiscal à une opération d’investissement, agrément qui lui est illégalement refusé, au motif que le préjudice ne résulterait que des relations entre les deux sociétés, mandataire et mandante, alors que le défaut de remboursement des frais engagés par la société mandataire résultait directement du refus d'agrément qui privait de son intérêt fiscal l'opération proposée aux investisseurs.

(5 juin 2020, Société Alcyom, n° 424036)

(156) V. aussi, du même jour avec même solution : 5 juin 2020, Société Phalsbourg Gestion, n° 424037.

 

157 - ONIAM - Responsabilité - Réparation au titre de la solidarité nationale - Réparation possible en cas de faute exclusive (I de l’art. 1142-1, code de la santé publique- CSP) - Perte de chance - Notion - Caractère fautif - Rejet du pourvoi.

Cette décision confirme, précise et amplifie la portée d’une jurisprudence antérieure (30 mars 2011, ONIAM, n° 327669) s’agissant du champ d’application du régime de réparation fondé sur la solidarité nationale dont l’ONIAM a la charge.

Il est rappelé tout d’abord qu’il résulte des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du CSP que l'Office n’a pas à supporter - au titre de la solidarité nationale - la charge de réparations qui incombent aux personnes responsables d'un dommage en vertu du I du même article.

Il est indiqué ensuite que n’est pas pour autant exclue toute indemnisation par l'Office dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, le dommage est exclusivement et complètement la conséquence directe d'un fait engageant la responsabilité des personnes visées au I précité.

En particulier, dans le cas où le préjudice subi par la victime trouve son origine dans un accident médical non fautif mais où, en même temps, une faute commise par une personne mentionnée au I précité a fait perdre à la victime une chance d'échapper à l'accident ou de se soustraire à ses conséquences, ce préjudice, s‘il est  en lien direct avec cette faute consiste en la perte de chance d'éviter le dommage corporel advenu et non le dommage corporel lui-même, lequel demeure tout entier en lien direct avec l'accident non fautif.

Il s’ensuit qu’un tel accident ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale si ses conséquences remplissent les conditions posées au II de l'article L. 1142-1 et présentent notamment le caractère de gravité requis. Naturellement, par application des principes gouvernant la responsabilité des personnes publiques, l'indemnité due par l'ONIAM sera réduite du montant de l'indemnité mise, le cas échéant, à la charge du responsable de la perte de chance, laquelle sera égale à une fraction du dommage corporel correspondant à l'ampleur de la chance perdue.

(10 juin 2020, O.N.I.A.M., n° 418166)

 

158 - Action en responsabilité - Rapport d'expertise excédant proprio motu le champ de la mission expertale - Possibilité pour le juge de retenir valablement ce rapport - Invocation pour la première fois en appel de l'existence d'une certaine faute - Régularité de cette demande fondée sur une cause juridique déjà invoquée en première instance - Rejet.

Un litige en détermination de la charge de la responsabilité donne l'occasion au Conseil d'État d'apporter une précision et de rappeler une solution bien établie.

En premier lieu, il était reproché à la cour administrative d'appel de s'être fondée sur un rapport d'expertise dont les investigations et conclusions excédaient le champ de la mission expertale dévolue par le juge. Le Conseil d'État approuve la cour de n'avoir pas écarté ce rapport. En effet, la circonstance qu'un rapport d'expertise, à l'initiative de l'expert, se prononce sur des questions excédant le champ de l'expertise ordonnée par la juridiction, n'est pas, par elle-même, de nature à entacher cette expertise d'irrégularité et ne fait pas obstacle à sa prise en considération par le juge sous réserve que ces questions aient été soumises au débat contradictoire en cours d'instance, soit en tant qu'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information s'ils ne sont pas infirmés par d'autres éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige.

En second lieu, il était reproché à la cour d'avoir statué sur la partie du litige relative à l'invocation, pour la première fois en appel, d'une faute dans le choix d'une certaine intervention chirurgicale. Le juge rappelle que dès lors qu'une forme de faute invoquée pour la première fois en appel repose sur une cause juridique déjà invoquée en première instance rien ne s'oppose à ce qu'elle soit soulevée pour la première fois en appel.

(29 juin 2020, Assistance publique - hôpitaux de Marseille (AP-HM) et Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 420850)

 

Santé publique

 

159 - Covid-19 - Pharmacie - Régime de la vente en ligne de médicaments - Suspension temporaire de ce mode de vente pour certains médicaments - Absence d’illégalité - Rejet.

Il était demandé au juge des référés du Conseil d’État d’ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du ministre de la santé du 23 mars 2020 en tant que son article 6 suspend la vente par internet des spécialités composées exclusivement de paracétamol, d'ibuprofène et d'acide acétylsalicylique (aspirine) et de spécialités contenant de la nicotine et utilisées dans le traitement de la dépendance tabagique. Était particulièrement invoquée au soutien de la requête l’évolution favorable de la situation sanitaire générale de la France.

Leur demande est rejetée, d’une part, car n’est apporté aucun élément au soutien de leur argument selon lequel cette suspension menacerait la pérennité de l'activité de vente en ligne de médicaments et, d’autre part, car l'amélioration de la situation sanitaire constatée en France ne fait pas disparaître à ce jour l'intérêt de santé publique qui s'attache à l'encadrement de la dispensation des spécialités considérées, encadrement qui ne pourrait pas être aussi efficace en cas de reprise de la vente en ligne, en l'absence de contrôle possible des commandes passées par une même personne auprès de différents sites internet de commerce électronique de médicaments.

En l’absence d’urgence et alors même qu’il serait porté atteinte aux droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne, la requête est rejetée.

(ord. réf. 2 juin 2020, M. X. et Association française des pharmacies en ligne (AFPEL), n° 440732)

 

160 - Covid-19 - "Fiches de doctrine" du 6 et du 11 mai 2020 relatives à la distribution de masques FFP2 aux personnels soignants - Personnels éligibles - Insuffisance des mesures - Rejet.

Le juge du référé liberté rejette la demande dont l'a saisi le syndicat requérant, relative à l'insuffisance du nombre de masques FFP2 distribués aux personnels du CHU de Lille ainsi que de la détermination des personnels attributaires.

Il relève tout d'abord que contrairement à ce que prétend le demandeur ces deux "fiches" prévoient bien, la première, que l'ensemble du " personnel médical et paramédical intervenant sur les voies respiratoires " figure au nombre des professionnels de santé devant bénéficier de façon prioritaire d'un masque FFP2, et la seconde,  que tous les " professionnels de santé soumis à un fort risque d'aérosolisation à l'occasion de gestes invasifs et de manoeuvres sur les voies respiratoires " sont prioritaires pour l'utilisation d'un tel masque.

Il note ensuite que ne saurait être retenue la critique de cette doctrine d'utilisation en ce qu'elle ne prévoirait pas le port d'un masque FFP2 par tout personnel soignant intervenant dans la chambre d'un patient atteint de Covid-19 ou suspecté de l'être ou dans tous les lieux clos où un tel patient se trouve. 

En effet,

- d'une part, l'Organisation mondiale de la santé, dans ses orientations provisoires du 6 avril 2020, non modifiées à la date de l'ordonnance ici rapportée, préconise que le port d'un appareil de protection respiratoire, de type FFP2, soit réservé aux situations dans lesquelles les personnels de santé réalisent des soins directs aux " patients covid-19 " dans un contexte où sont souvent pratiqués des actes générant des aérosols, tels que intubation endotrachéale, ventilation non invasive, trachéotomie, réanimation cardio-respiratoire, ventilation manuelle avant intubation, bronchoscopie

- et, d'autre part, si la fiche de doctrine du 6 mai 2020 ne mentionne pas, au titre de l'utilisation prioritaire, le port d'un masque FFP2 par tout personnel soignant intervenant dans la chambre d'un patient atteint de Covid-19 ou suspecté de l'être ou en tout lieu clos où un tel patient se trouve, cette fiche se borne à fixer une priorité et mentionne la possible utilisation du masque FFP2 par d'autres soignants que ceux pour lesquels il est prioritairement destiné, notamment par les professions médicales et les infirmiers, pour l'ensemble de leurs activités de soins. 

En cela, ses préconisations sont conformes aux recommandations internationales.

(ord. réf. 8 juin 2020, Syndicat Médecins, ingénieurs, cadres et techniciens CGT (SMICT CGT) du centre hospitalier universitaire de Lille, n° 440701)

(161) V. aussi sur ce sujet : 26 juin 2020, Association départementale de permanence des soins 56 (ADPS 56), n° 441014.

Service public

 

162 - Covid-19 - Accès d’un parlementaire à une maison d’arrêt - Demande d’être accompagné d’un journaliste et de son collaborateur parlementaire - Refus d’accès pour ces derniers aux lieux de détention - Non-lieu à statuer sur la demande présentée en référé.

Il n’y a pas lieu de statuer sur l’appel en référé liberté contre l’ordonnance ayant rejeté la demande d’un parlementaire sollicitant l’annulation du refus opposé par la directrice inter-régionale des services pénitentiaires de permettre l’accès aux lieux de détention de deux personnes l’accompagnant dès lors qu’est d’application immédiate une note, en date du 28 mai 2020, de la ministre de la justice adressée aux directions interrégionales des services pénitentiaires, qui, à la suite de l'évolution du contexte national et des mesures d'assouplissement prises par le Gouvernement, décide que sont levées les restrictions susceptibles d'être apportées à la possibilité pour un parlementaire exerçant son droit de visite sur le fondement des articles 719 et R.57-4-11 du code de procédure pénale. 

(ord. réf. 2 juin 2020, M. X., n° 440787)

 

Sport

 

163 - Covid-19 - Football - Championnat de Ligue 1 - Décision de la Ligue de football professionnel mettant fin à la saison 2019-2020 - Classement final du championnat de Ligue 1 avant la fin de la compétition - Relégation de clubs compte tenu des résultats ainsi décomptés - Rejet et suspension partiels.

Par trois requêtes en référé suspension (cf. art. L. 521-1 CJA) des clubs sportifs contestent plusieurs décisions suivantes de la Ligue de football professionnel prises pour faire face aux conséquences de l’épidémie de Covid-19 sur l’organisation des compétitions sportives :

1° celle de mettre fin à la saison 2019-2020 ;

2° celle d’enregistrer le classement définitif des championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 sur la base d'un quotient tenant compte du nombre de points obtenus et du nombre de rencontres disputées par les équipes en compétition ;

3° celle de modifier les règles de relégation de la Ligue 1 vers la Ligue 2 applicables à la saison 2019-2020 et, en conséquence, de prononcer la relégation en Ligue 2 du Toulouse Football Club et de l’Amiens Sporting Club Football.

C’est peu de dire que l’ordonnance du juge était attendue et fut médiatisée d’autant que par suite de la jonction de trois requêtes, elle allait traiter en une seule fois de toutes les questions disputées.

Le juge relève que dès le 13 mars 2020, le conseil d'administration de la Ligue professionnelle de football a décidé de suspendre les compétitions organisées par la Ligue, avec effet immédiat et s’est posé la question du calendrier sportif futur compte tenu de son articulation obligatoire avec celui de l’UEFA (Union des associations européennes de football), dont le démarrage pour la saison 2020-2021 était fixé aux 22 et 23 août 2020.

De plus, a eu lieu l’annonce officielle, le 16 avril 2020, de la prolongation du confinement jusqu’au 11 mai et des précisions ont été apportées ensuite par le premier ministre, notamment l’interdiction jusqu’au mois de septembre 2020 des manifestations sportives rassemblant plus 5 000 personnes sur un même lieu, ainsi que par la ministre des sports.

Le 28 avril, le comité exécutif de la Fédération française de football a décidé l'interruption définitive de la D1 féminine et du Championnat National 1.

Enfin, le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a décidé le 28 avril 2020 :

- de prononcer l'arrêt définitif des championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 pour la saison 2019/2020 ;

- pour la Ligue 1, de tirer les conséquences du fait que toutes les rencontres de la 28ème journée n'avaient pas pu avoir lieu en arrêtant un classement définitif sur la base d'un indice de performance défini comme le quotient issu du rapport entre le nombre de points marqués et le nombre de matchs disputés ;

- pour la Ligue 2, d'arrêter un classement définitif sur la base de celui existant à l'issue de la 28ème journée ;

- d'enregistrer en conséquence les classements de la Ligue 1 et de la Ligue 2 ;

- d'attribuer le titre de champion de France de Ligue 1 au Paris-Saint-Germain et celui de champion de France de Ligue 2 au FC Lorient ;

- de prononcer l'accession en Ligue 1 des clubs classés en première et deuxième positions de Ligue 2 (FC Lorient et RC Lens) ;

- de prononcer la relégation en Ligue 2 des clubs classés en dix-neuvième et vingtième positions de Ligue 1 (Amiens SC et Toulouse FC).

Après avoir réglé positivement la question de la compétence du Conseil d’État pour connaître en premier et dernier ressort, d’une part, de celles de ces décisions ayant un caractère réglementaire et, d’autre part, de celles connexes aux précédentes, est abordé le fond des litiges.

L’ordonnance est alors principalement articulée autour de l’examen de trois décisions : celle de mettre un terme définitif aux championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 ; celle de procéder à un classement du championnat de Ligue 1 en se fondant sur un quotient ; celle, enfin, de reléguer en Ligue 2 les clubs classés en dix-neuvième et vingtième positions de la Ligue 1.

S’agissant de mettre un terme définitif aux championnats de Ligue 1 et de Ligue 2, cette décision relevait bien de la compétence l'assemblée générale de la Ligue de football professionnel (cf. art. 12 et 24 des Statuts de la Ligue) et il n’y a pas de doute sérieux quant à l’impartialité en l’espèce de cet organe. Pas davantage, à la date à laquelle elle a été prise, la décision du conseil d'administration n’a été rendue en méconnaissance par celui-ci de sa propre compétence et n’est entachée d'erreur de droit, en se croyant lié à tort par une décision gouvernementale, d'erreur de fait ou d'erreur manifeste d'appréciation.

La contestation de la décision de procéder à un classement du championnat de Ligue 1 en se fondant sur un quotient, conduit le juge à examiner deux aspects.

Tout d’abord, était critiquée la légalité du choix d'arrêter un classement se fondant sur les rencontres déjà disputées. Sur ce point, il est certain qu’aucune disposition de la réglementation applicable ne prévoit les règles à suivre lorsque des circonstances imprévues conduisent à interrompre ces compétitions de façon définitive avant leur terme. Toutefois, il résulte de son pouvoir réglementaire qu’il appartient au conseil de la Ligue de déterminer les conséquences à tirer de l'interruption des championnats. Si d’autres solutions auraient pu être retenues, d’une part, aucune d’elles ne s’imposait à lui et, d’autre part, celle retenue, notamment du fait que les trois quarts des rencontres s’étaient déjà déroulées au moment où il a pris sa décision, ne méconnaît pas manifestement l'objectif d'équité et d'intégrité des compétitions sportives.

Ensuite, le juge devait examiner la légalité du choix des modalités de classement pour ce qui est du championnat de Ligue 1. Ce choix, encore que d’autres eussent été théoriquement envisageables,  et en dépit de ce que la vingt-huitième journée n'avait pu aller jusqu'à son terme ou, de façon plus générale, de la circonstance que, durant la phase interrompue des matchs retours, certains clubs avaient rencontré davantage de clubs mieux ou moins bien classés que d'autres, n'est cependant pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, d’autant qu’elle présente l'avantage de prendre en compte l'intégralité des rencontres disputées et d’être identique à la solution retenue antérieurement par la Fédération française de football pour les clubs amateurs.

La contestation de la décision de reléguer en Ligue 2 les clubs classés en dix-neuvième et vingtième positions de la Ligue 1 supposait résolues deux questions.

Tout d’abord, il convenait de répondre, pour la rejeter, à la fin de non-recevoir soulevée par la Ligue de football professionnel. Il était évident qu’il n’y a pas indivisibilité entre les deux décisions, celle de promouvoir deux clubs de Ligue 2 en Ligue 1 et celle de rétrograder deux clubs de Ligue 1 en Ligue 2. Par suite, les clubs requérants pouvaient parfaitement saisir le juge d’une demande de suspension de leur rétrogradation sans avoir, parallèlement, contesté la montée de deux autres clubs en Ligue 1.

Ensuite, devaient être examinées les conclusions des deux clubs concernés, la SASP Amiens Sporting Club et le Toulouse Football Club. Pour les accueillir, le juge retient deux motifs. En premier lieu, la Ligue invoquait, pour ne pas décider de laisser ces deux clubs en Ligue 1, la convention la liant à la Fédération française de football qui ne prévoit pas un championnat avec 22 clubs. Cependant, cette convention prenant fin le 30 juin 2020 et n’étant plus applicable en 2020-2021, la Ligue a commis une erreur de droit en argumentant ainsi sa décision. En second lieu, l’atteinte grave et immédiate aux intérêts des clubs rétrogradés, n’est contrebalancée, dans la décision litigieuse, ni par l'intérêt d'autres clubs ni par l'intérêt public attaché au bon déroulement du championnat de Ligue 1 pour 2020-2021.

La suspension des décisions de rétrogradation est prononcée et il est fait injonction à la Ligue de se rapprocher, d’ici le 30 juin 2020, de la Fédération française de football afin de réexaminer la question du format de la Ligue 1 pour la saison 2020-2021 et d’en tirer les conséquences quant au principe des relégations.

(ord. réf.  9 juin 2020, SA L'Olympique Lyonnais Groupe et SASU L'Olympique Lyonnais, n° 440809 ; Société anonyme sportive professionnelle (SASP) Toulouse Football Club, n° 440813 ; Société anonyme sportive professionnelle (SASP) Amiens Sporting Club Football, n° 440824, jonction)

(164) V. aussi, pour d'autres clubs de football formulant des demandes voisines ou identiques : ord. réf., 11 juin 2020, Association Blanc Mesnil Sport Football, n° 440439 ; Causse Limargue FC et 28 autres clubs, n° 440966 ; ord. réf. 26 juin 2020, Société Espérance Sportive Troyes Aube Champagne (ESTAC) et Société anonyme sportive professionnelle (SASP) Clermont Foot 63, n° 441163.

(165) V. également, voisin mutatis mutandis, à propos de la décision du comité directeur de la Ligue nationale de volley de prononcer l'arrêt des championnats, d’établir les classements à la date du 12 mars 2020 et les modalités de relégation et d'accession entre les Ligues A et B : ord. réf., 16 juin 2020, SASP Le Grand Nancy Volley-Ball et association Le Grand Nancy Volley-Ball, n° 440803.

 

Travaux publics et expropriation

 

166 - Travaux de contournement d’une commune - Expropriation pour cause d’utilité publique - Arrêté déclaratif d’utilité publique - Réalisation d’une étude d'impact des mesures de réduction, de suppression et de compensation devant être prises en compte pour l'appréciation de l'utilité publique du projet - Annulation de l’arrêté portant mise en œuvre de ces mesures - Bilan « coûts-avantages » défavorable de ce fait - Annulation de l’arrêt d’appel.

Encourt la cassation l’arrêt qui juge négatif le bilan d’un projet de contournement routier motif pris de l’annulation, par le juge administratif, de l’arrêté préfectoral portant mise en œuvre des mesures - contenues dans l’étude d’impact - de réduction, de suppression et de compensation devant être prises en compte pour l'appréciation de ce bilan d'utilité publique. En effet, ce jugeant, la cour a commis une erreur de droit car elle devait, pour apprécier le bilan de l'utilité publique du projet, se borner à prendre en compte les mesures prévues dans l'étude d'impact sans faire dépendre leur prise en compte à ce titre de la légalité de l'acte qui les a par ailleurs mises en œuvre.

La solution est assez byzantine pour n’avoir pas été ainsi aperçue par la cour.

(17 juin 2020, Association des riverains du Real Martin du Pont Vieux à l'écluse de Pourret et autres, n° 423441)

 

167 - Travaux de voirie - Sol et sous-sol pollués - Présence d'amiante - Charge financière de la remise en état - Notion de "déchets" - Cas en l'espèce - Rejet.

Le règlement de voirie de la Métropole de Lyon (art. 1.8.1, alinéa 4) dispose que " si à l'occasion d'une fouille réalisée sous la maîtrise d'ouvrage de l'intervenant, pour les besoins de travaux conduits sous sa maîtrise d'ouvrage, celui-ci découvre des sols pollués chimiquement ou biologiquement, la gestion des déblais issus de l'excavation du sol sera à la charge de l'intervenant. Il devra procéder à l'identification de la nature et du niveau de pollution de ces déblais préalablement à leur traitement dans un centre d'enfouissement ou de traitement agréé. La charge financière de ces actions sera supportée par l'intervenant ". 

La société requérante estimant que les travaux de désamiantage d'une partie de l'enrobé d'une voie de la commune de Saint-Priest doivent être réalisés et pris en charge financièrement par la métropole de Lyon s'est adressée en vain à cette dernière. Elle a saisi le juge administratif par la voie d'une exception d'illégalité dirigée contre ce règlement et, après avoir été déboutée en première instance comme en appel, elle se pourvoit en cassation. Son pourvoi est rejeté.

Tout d'abord, le règlement litigieux, en mettant à sa charge les obligations susindiquées se borne à rappeler les dispositions législatives et réglementaires qui les fixent.

Ensuite, ne saurait être invoquée l'incompétence des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) pour prendre un tel règlement au motif du large pouvoir de police des maires en matière de déchets.

Enfin, les déblais résultant de travaux réalisés sur la voie publique constituent des déchets au sens du code de l'environnement et les intervenants sous la maîtrise d'ouvrage desquels ces travaux sont réalisés doivent être regardés comme les producteurs de ces déchets. La circonstance que la voie publique comporte, indépendamment de la réalisation de travaux, des fibres d'amiante ne saurait faire obstacle à l'application de ces dispositions. 

 (29 juin 2020, S.A. Orange France, n° 425516 et 425517, deux espèces non jointes)

 

168 - Expropriation - Arrêté de cessibilité - Arrêté portant sur des portions de parcelles - Obligation d’une nouvelle division parcellaire - Document d’arpentage devant précéder l’arrêté de cessibilité - Absence en l’espèce - Annulation.

Rappel de ce que l’arrêté de cessibilité portant seulement sur des parties de parcelles, un document d'arpentage doit être préalablement réalisé pour remodeler le parcellaire afin que l'arrêté de cessibilité désigne les parcelles concernées conformément à leur numérotation issue de ce document. Le défaut d'accomplissement de cette obligation, qui constitue alors une garantie pour les propriétaires concernés par la procédure d'expropriation, entache d'irrégularité l'arrêté de cessibilité.

(19 juin 2020, Sarl Imo-Group et SCI Carol, n° 433786)

 

Urbanisme

 

169 - Permis de construire - Annulation par le juge - Décision d’autoriser ou non la régularisation du permis entaché d’irrégularité(s) (art. L. 600-5-1 c. urb.) - Obligation de constater que des vices ayant conduit à l’annulation n’existent plus du fait de dispositions contenues dans le nouveau plan d’urbanisme - Erreur de droit à l’omettre - Pouvoir souverain des juges du fond pour constater la persistance d’impossibilité(s) de régularisation - Rejet.

La cour administrative d’appel avait annulé un permis de construire et ses modificatifs en raison de trois violations des dispositions du plan d’urbanisme alors applicable. Elle avait également jugé qu’en raison de ses vices et des caractéristiques du terrain d’implantation de la construction le permis irrégulier ne pouvait pas faire l’objet de la procédure de régularisation régie par l’art. L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.

La demanderesse au pourvoi faisait valoir que par suite de l’entrée en vigueur d’un nouveau plan d’urbanisme certains des vices relevés par la cour dans son arrêt avaient disparu et reprochait à celle-ci de ne pas en avoir tenu compte pour se prononcer sur la régularisation.

Le Conseil d’État relève que la cour, ce jugeant, a commis une erreur de droit car elle avait l’obligation de relever la disparition de certains des vices qu’elle avait relevés. Toutefois, l’arrêt n’est pas annulé car la cour a souverainement jugé que les vices subsistant au regard des règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle elle statuait n'étaient en tout état de cause pas susceptibles de régularisation dans la mesure où leur ampleur, leur nature ainsi que la configuration du terrain ne pouvaient donner lieu à des modifications qui ne remettraient pas en cause la conception générale du projet.

(3 juin 2020, Société Alexandra, n°420736)

 

170 - Réalisation d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) - Déclaration d’utilité publique du projet (DUP) - Arrêté de cessibilité des parcelles concernées - Incompatibilité du plan d’urbanisme avec la DUP - Obligation de mise en conformité par modification du plan - Annulation du plan postérieure à la DUP - Remise en vigueur du POS immédiatement antérieur et devant être réputé compatible avec l’acte déclaratif d’utilité publique - Annulation de l’arrêt jugeant le contraire - Refus de régler de juges.

Rappel tout d’abord de ce que l'art. L. 123-14, devenu l'art. L. 153-54 du code de l'urbanisme, dispose qu’en cas de réalisation d'un projet public ou privé de travaux, présentant un caractère d'utilité publique, lorsqu’est nécessaire une mise en compatibilité d'un plan local d’urbanisme avec ce projet, l'enquête publique porte à la fois sur l'utilité publique du projet et sur la mise en compatibilité du plan qui en est la conséquence. Si ce plan est annulé après l’édiction de l’acte déclarant l’utilité publique du projet, le POS immédiatement antérieur devient applicable. Il s’ensuit qu’en ce cas l’acte portant DUP doit être regardé comme ayant mis en conformité le plan d'occupation des sols immédiatement antérieur remis en vigueur. C’est donc par une erreur de droit que la cour administrative d’appel avait jugé que l’arrêté déclaratif d’utilité publique n’avait pas eu pour effet de mettre en conformité le POS avec cette déclaration.

Ensuite, le ministre demandeur avait saisi le Conseil d’État afin que, par un règlement de juges, il déclare nul et non avenu  le jugement du tribunal administratif car celui-ci, pour annuler  la délibération municipale attaquée s’est fondé sur le motif tiré de ce que le conseil municipal avait omis de se prononcer sur les objectifs poursuivis par la révision des documents d'urbanisme, moyen qui n'est plus opérant depuis que, par une décision n° 388902 du 5 mai 2017, le Conseil d'État a jugé que le moyen tiré de l'illégalité de la délibération prescrivant l'adoption ou la révision du plan local d'urbanisme ne peut, eu égard à son objet et à sa portée, être utilement invoqué contre la délibération approuvant le plan local d'urbanisme.

Sa demande est rejetée car ce jugement est revêtu de l'autorité de la chose jugée en raison de son caractère définitif et n'a pas le même objet que la décision du Conseil d’État. Dès lors il n’existe en l’espèce aucun risque de déni de justice.

(3 juin 2020, ministre de l’intérieur, n° 421970)

 

171 - Acte faisant grief - Notion - Cas du projet stratégique et opérationnel d'un établissement public d'aménagement - Acte à caractère « exécutoire » - Acte ne faisant pas grief - Rejet.

(3 juin 2020, Association Collectif associatif 06 pour des réalisations écologiques (CAPRE 06), n° 423502) V. n° 6

 

172 - Permis de construire - Champ d’application des prescriptions accompagnant une autorisation d’urbanisme - Impossibilité d’exiger la présentation d’un nouveau permis - Motifs d’illégalité retenus par les premiers juges - Erreur de droit et régularisation possible - Cassation avec renvoi sur la question de la régularisation.

Saisi d’une demande d’annulation d’un permis de construire 208 logements, un tribunal administratif, d’une part, procède à cette annulation pour deux motifs d’illégalité (étude d'impact prescrite par l'article L. 122-1-1 du code de l'environnement, pas mise à la disposition du public avant la délivrance du permis de construire et terrain d'assiette du projet ne disposant pas d'un accès à une voie ouverte à la circulation publique, en méconnaissance des dispositions de l'article 1 AU 3 du règlement du plan local d'urbanisme, la prescription dont est assorti le permis de construire ne pouvant pallier l'absence de titre valant servitude à la date de sa délivrance) et, d’autre part, constatant l’impossibilité de régulariser, refuse d’accorder le bénéfice des dispositions de l’art. L. 600-5-1 du code de l’urbanisme prévoyant cette possibilité.

La société pétitionnaire du permis se pourvoit.

Le Conseil d’État casse, avec renvoi partiel, le jugement qui lui est déféré.

En premier lieu, il relève que si le permis de construire a été délivré à l'issue d'une procédure irrégulière du fait que l'étude d'impact prescrite par le code de l'environnement, jointe au dossier de demande de permis de construire, n’a pas été mise à la disposition du public avant la délivrance de ce dernier, dont le bien-fondé n'a pas été contesté devant le juge du fond, cette irrégularité « ne met en cause qu'une formalité préalable à la délivrance du permis de construire attaqué » et qu’elle est ainsi régularisable contrairement à ce qu’a jugé le tribunal. On pourra trouver par trop latitudinaire cette analyse.

En second lieu, et surtout, concernant le deuxième motif d’illégalité relevé en première instance, il est rappelé que le maire a accordé le permis de construire sollicité en précisant dans son arrêté que « le présent arrêté est conditionné à la production, par le bénéficiaire, de l'acte authentique de servitude de passage (...) au plus tard au dépôt de la déclaration d'ouverture de chantier ». C’est au prix d’une erreur de droit que le tribunal administratif a estimé que cette réserve ne pouvait pallier l'absence de titre créant une servitude de passage à la date de l'arrêté attaqué et que devait être exigée la présentation d’un nouveau projet. En effet, la création d'une servitude de passage entraine seulement une modification portant sur un point précis et limité qui ne nécessite pas la présentation d'un nouveau projet.

(3 juin 2020, Société Compagnie Immobilière Méditerranée, n° 427781)

 

173 - Plan local d’urbanisme - Classement de parcelles en zone agricole - Conditions de ce classement - Existence de parcelles artificialisées dans cette zone - Absence d’erreur de droit et d’erreur manifeste d’appréciation - Rejet.

Il est jugé qu’une cour administrative d’appel ne commet pas d’erreur de droit en décidant que les parcelles dont les requérantes contestent le classement en zone A d’un plan local d'urbanisme sont situées en limite ouest du territoire communal, en dehors des parties urbanisées de la commune, dans une partie de son territoire qui présente, très majoritairement, un caractère agricole. Pour apprécier la légalité du classement des parcelles en zone A, la cour n’avait pas à rechercher si ces parcelles présentaient elles-mêmes le caractère de terres agricoles et elle pouvait se fonder sur la vocation du secteur en bordure duquel ces parcelles se situent, dont le caractère agricole est avéré, sur le parti d'urbanisme de la commune, consistant à ne pas permettre l'étalement de la zone urbaine contiguë à ce secteur sur le territoire de la commune voisine ainsi que sur la circonstance que les parcelles en cause ne supportent que des constructions légères et des aménagements d'ampleur limitée.

La cour ne commet pas davantage une erreur manifeste d’appréciation en estimant que la circonstance qu’une parcelle est désormais artificialisée en quasi-totalité par la présence d'une dalle d'entreposage de bennes à déchets et que d’autres parcelles sont partiellement construites, ne rend pas erroné le classement de l'ensemble des parcelles litigieuses en zone A, compte tenu notamment de ce que ces parcelles sont en dehors des parties urbanisées de la commune, dans une zone très majoritairement agricole, et eu égard à leur potentiel économique en lien avec l'activité agricole.

(3 juin 2020, Sociétés Inerta et Océane, n° 429515)

 

174 - Référé suspension - Permis de construire - Immeuble situé dans le champ de co-visibilité d'un édifice classé ou inscrit (art. L. 621-30 du code du patrimoine) - Appréciation de cette notion - Absence d’autorisation de l’architecte des Bâtiments de France (ABF) - Pouvoir, devoir et office du juge de cassation statuant sur une ordonnance retenant deux motifs d’illégalité de la décision délivrant un permis de construire dont l’un est censuré par lui et l’autre abandonné par le premier juge postérieurement à son ordonnance - Annulation intégrale de l’ordonnance frappée de pourvoi.

Cette affaire, concernant la contestation de la délivrance d’un permis de construire sur la côte basque, à Anglet, soulève deux très intéressantes questions.

En premier lieu, elle concerne une question de fait, plus précisément de dénaturation des faits. Pour ordonner la suspension du permis de construire le juge des référés du tribunal administratif s’était fondé sur ce qu’était nécessaire en l’espèce l’autorisation de l’ABF en raison de l'existence d'une co-visibilité entre le projet litigieux et l'église Sainte-Marie de la Chambre d'Amour, classée au titre des monuments historiques, depuis un point de la Promenade des sables d'or normalement accessible au public, situé à l'aplomb de l'héliport. En réalité cette co-visibilité n’existe que si, placé au point susdit, est utilisé un appareil photographique muni d'un objectif à fort grossissement alors que cette notion de co-visibilité s’entend ici d’une visibilité à l’œil nu. Dès lors c’est par une dénaturation des faits de l’espèce que le premier juge a pu dire qu’était de nature à faire naître un doute sérieux le moyen tiré de qu’était requise en l’espèce l’autorisation de l’ABF en raison de la co-visibilité du projet et du monument classé.

En second lieu, saisi postérieurement à l’ordonnance litigieuse, sur le fondement de l'article L. 521-4 du CJA, le juge des référés du tribunal administratif a, par une seconde ordonnance faisant suite au nouveau permis de construire modificatif délivré à la société pétitionnaire, jugé que le second moyen d’irrégularité qu’il avait précédemment retenu (absence de constitution d’une servitude de passage sur la parcelle à emprunter) n'était plus de nature à justifier la suspension des permis litigieux.

Le juge de cassation, et c’est un apport important de sa décision, décide donc que, dans ces conditions, l’abandon par le juge du second motif s’ajoutant à « la censure du premier motif retenu par le juge des référés dans son ordonnance du 11 juin 2019 suffit à entraîner l'annulation de cette ordonnance ».

(ord. réf. 5 juin 2020, Association des riverains du Barbot-Chambre d’Amour et autres, n° 431994)

 

175 - Permis de construire - Annulation pour plusieurs motifs - Existence d’au moins un motif erroné - Pourvoi en cassation - Effet - Cas où le jugement se prononce sur une demande d’annulation pour excès de pouvoir - Existence d’au moins un motif de nature à justifier la solution retenue par le jugement frappé de pourvoi - Absence d’annulation.

(10 juin 2020, M. X. et autres, n° 420447) V. n° 43

(176) V. aussi, comparable, à propos de de la délivrance d’un permis de démolir et d’un permis de construire : 12 juin 2020, Commune de Saint-Raphaël, n°428003

 

177 - Périmètre de restauration immobilière (PRI) - Restauration d’immeubles en centre-ville - Annulation partielle d’une déclaration d’utilité publique dans la délimitation du périmètre - Existence de locaux originairement commerciaux au sein des immeubles concernés - Locaux devenus impropres à une utilisation à caractère commercial - Possibilité de les transformer en habitations - Cassation de l’arrêt adoptant la solution contraire.

Une SCI propriétaire d’un immeuble au sein d’un périmètre de restauration immobilière conteste l’inclusion des locaux commerciaux qu’il comporte dans une opération destinée à améliorer l’habitat. La cour administrative d’appel lui ayant donné raison, la commune et la ministre intéressées se pourvoient.

Le Conseil d’État rappelle le principe constant (issu des dispositions des art. L. 313-4, 313-4-1 et 313-4-2 c. urb.) selon lequel normalement une opération de restauration immobilière a pour objet la transformation des conditions d'habitabilité d'un immeuble ou d'un ensemble d'immeubles et ne peut avoir pour objet ou pour effet de contraindre un propriétaire à transformer en habitation un local dont la destination est commerciale.

Toutefois, et c’est là l’apport principal de cette décision, le juge estime que lorsqu'un local à usage commercial présent dans un immeuble ou ensemble d'immeubles principalement destiné à l'habitation est devenu impropre à une activité commerciale, il peut, sans illégalité, être transformé en habitation à des fins d'amélioration des conditions d'habitabilité soit de l'immeuble où il se trouve soit de l'ensemble d'immeubles inclus dans le PRI.

Tel était le cas en l’espèce, d’où la cassation de l’arrêt contraire.

(17 juin 2020, Commune de Mâcon, n° 427957 ; ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 428098)

 

178 - Permis de construire - Loi du 23 novembre 2018 (art. 80 et art. L. 600-12-1 du code de l'urbanisme) - Caractère inopérant de l'exception d'illégalité du plan local d'urbanisme - Application immédiate dans les instances en cours ou non - Application.

Le Conseil d’État avait été saisi par un tribunal administratif d’une demande d’avis de droit sur la question de savoir si l'inopérance du moyen tiré de l'exception d'illégalité du plan local d'urbanisme instituée par l'article L. 600-12-1 du code de l'urbanisme (issu des dispositions de l’art. 80 de la loi du 23 novembre 2018), qui est entré en vigueur le 1er janvier 2019, s'applique immédiatement dans les instances en cours ou en fonction de la date de délivrance du permis de construire, ou de celle de la date d'introduction de la requête ou encore de la date à laquelle le moyen a été soulevé.

Celui-ci répond, selon une analyse scripturaire classique, que ces « dispositions, qui n'affectent pas la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative, sont, en l'absence de dispositions contraires expresses, immédiatement applicables aux instances en cours. »

(avis de droit, 17 juin 2020, M. X. c/ Commune d'Huez-en-Oisans (Isère), n° 427390)

 

179 - Permis de construire - Permis modificatif - Absence de nouveau délai de validité du permis de construire initial - Recours contentieux contre le permis modificatif - Suspension du délai de validité jusqu'à l'intervention d'une décision juridictionnelle irrévocable - Annulation avec renvoi au tribunal administratif.

Dans cette décision le juge apporte une précision importante en matière de délai de validité du permis de construire initial lorsque le permis de construire modificatif dont il fait l'objet est attaqué au contentieux. En effet, il déduit des dispositions combinées des articles R. 424-17 et R. 424-19 du code de l'urbanisme que la délivrance d'un permis de construire modificatif n'a pas pour effet de faire courir à nouveau le délai de validité du permis de construire initial, tandis que la formation d'un recours contentieux par un tiers à l'encontre de ce permis modificatif suspend ce délai jusqu'à l'intervention d'une décision juridictionnelle irrévocable.

(19 juin 2020, M. X., n° 434671 ; Commune de Saint-Didier-au-Mont-d'Or, n° 434899, jonction)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Mai 2020

Mai 2020

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Covid-19 - Principe de neutralité de l’action publique - Labellisation d'articles de presse sur un site officiel du gouvernement - Ingérence dans plusieurs libertés fondamentales dont celle de la presse - Non-lieu à statuer - Rejet.

Le syndicat demandeur a saisi le juge du référé liberté en vue qu’il enjoigne au premier ministre de supprimer sans délai la page internet officielle où sont référencés des articles de presse relatifs à l'épidémie de Covid-19 et mettant en évidence la fausseté de certaines informations circulant sur cette épidémie. Il considère que la labellisation d'articles de presse sur un site officiel du gouvernement constitue une ingérence manifeste des autorités publiques dans la liberté de la presse et qu’il est par là porté une atteinte grave et manifestement illégale à l'exigence de pluralisme de l'expression des opinions, corollaire de la liberté de la presse, et au principe de neutralité des autorités publiques, corollaire du principe d'égalité.

Toutefois, le juge prononce le non-lieu à statuer sur ce référé formé le 4 mai 2020 car il résulte de l'instruction que le premier ministre a supprimé cette page internet, à compter du 5 mai 2020, soit postérieurement à l'introduction de la requête et antérieurement au jour où le juge a statué.

Il s’agissait de la page : https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus/desinfox.

(ord. réf. 8 mai 2020, Syndicat national des journalistes, n° 440388)

 

2 - Covid-19 - Demande d’une intervention d’autorités françaises auprès d’un autre État - Règle de circulation des personnes en période d’épidémie - Acte de gouvernement - Conduite des relations diplomatiques entre la France et une puissance étrangère - Rejet pour incompétence de la juridiction administrative.

Les requérants demandent qu’il soit enjoint au ministre des affaires étrangères et à l’ambassadeur de France en Ukraine qu’ils sollicitent les autorités ukrainiennes afin qu’elles autorisent le rapatriement en France de leur fille, née d’un contrat de mère porteuse réalisé au moyen des gamètes de M. Y. et d’un don d’ovocytes. Leur demande ayant été rejetée par le premier juge des référés, ils interjettent appel devant le Conseil d’État.

Celui-ci rejette à son tour la requête en référé liberté des demandeurs.

Il relève que les règles d’entrée et de sortie du territoire ukrainien relèvent de la souveraineté de l’Ukraine qui a établi des règles strictes de franchissement de ses frontières en période d’épidémie de Covid-19. Il note ensuite que la demande des requérants tendant à ce que la France s’entremette à cette fin dérogatoire ne saurait s’analyser comme une simple démarche administrative et qu’elle n'est pas détachable de l'exercice des pouvoirs du Gouvernement dans la conduite des relations diplomatiques.

D’où le rejet opposé à une action portée devant une juridiction incompétente pour en connaitre.

(ord. réf. 15 mai 2020, Mme X. et M. Y., n° 440382)

 

3 - Covid-19 - Fonction publique hospitalière - Heures supplémentaires - Autorisation donnée aux établissements hospitaliers de déplafonner les heures supplémentaires autorisées - Mesure d’organisation du service - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort - Rejet.

A l’occasion d’une requête en référé suspension formée par le syndicat demandeur, le Conseil d’État, contrairement à l’opinion du ministre défendeur, s’estime compétent pour connaître de ce recours dirigé contre sa décision ouvrant aux différents établissements relevant de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) la faculté de recourir au déplafonnement des heures supplémentaires qu'elle autorise. Il considère que si cette décision n’aurait pas en soi un caractère réglementaire, elle est de nature à influer directement sur l'organisation du service public hospitalier au sein de l'AP-HP et doit donc être regardée comme ayant, de ce fait, le caractère d'un acte réglementaire émanant d'un ministre dont le Conseil d’État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort.

Au fond, la requête est rejetée du fait de la mise en balance entre l'urgence qu'il y aurait à en suspendre l'exécution de la mesure contestée et l'intérêt public qui s'attache à la continuité et au bon fonctionnement du service public hospitalier dans le contexte de crise sanitaire résultant de l'épidémie de Covid-19.

(ord. réf. 26 mai 2020, Syndicat CGT de l'hôpital Beaujon AP-HP, n° 439209)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

4 - Antennes de téléphonie mobile - Installation sur des réservoirs de stockage d'eau potable - Gestion du domaine public et faculté d’autoriser l’installation des équipements des opérateurs de communications électroniques - Refus de renouveler la convention d’occupation du domaine à cette fin - Absence de caractère disproportionné des tarifs d’occupation domaniale - Absence d’inégalité dans le traitement tarifaire d’opérateurs se trouvant dans des situations différentes - Rejet.

La société Orange, ayant contesté en vain en première instance et en appel les conditions contractuelles liées à l’installation d’antennes de téléphonie mobile sur le domaine public, se pourvoit, encore en vain, en cassation.

Ses trois arguments principaux sont rejetés comme ils l’avaient été en appel et par un raisonnement identique.

Le juge rappelle que le gestionnaire du domaine n’a pas l'obligation mais seulement la faculté d'autoriser l'installation des équipements des opérateurs de communications électroniques sur son domaine. Il s’ensuit qu’il peut décider - comme au cas de l’espèce - de ne pas renouveler, à leur échéance, les conventions en vertu desquelles était autorisée l'occupation des réservoirs de stockage d'eau potable par des antennes de téléphonie mobile, alors même que le motif de ce refus ne serait pas tiré de l'incompatibilité de cette occupation avec l'affectation de ces dépendances domaniales ou avec les capacités disponibles, mais résulterait de la volonté de conclure de nouvelles conventions d'occupation tenant compte des conditions techniques et financières nouvelles prévues par cette délibération.

Par ailleurs, est jugée régulière la délibération litigieuse qui a fixé le tarif applicable pour l'occupation d'un réservoir de stockage d'eau potable par une antenne de téléphonie mobile à dix mille euros pour un opérateur économique dont le chiffre d'affaires annuel consolidé du groupe auquel il appartient est supérieur à cinq millions d'euros et à mille cinq cents euros pour un opérateur économique dont le chiffre d'affaires annuel consolidé du groupe auquel il appartient est inférieur à cinq millions d'euros, l'occupation étant gratuite pour les opérateurs de sécurité et de secours. A cet égard, la requérante développait deux arguments. En premier lieu, elle prétendait excessive la redevance de dix mille euros qui lui était imposée et disproportionnée la différence entre les deux tarifs décidés. Se plaçant sur le terrain des avantages retirés par elle, le juge estime justifiés et les montants respectifs retenus et l’écart entre eux.

Enfin, la société Orange faisait valoir qu’elle participe à une mission de service public par sa couverture du territoire national en service de téléphonie mobile et que les opérateurs de téléphonie mobile assurent la prise en charge d'appels d'urgence, pour dire injustifié, au regard du principe d’égalité, le fait que les opérateurs de sécurité et de secours bénéficient, pour leurs antennes de téléphonie mobile, de la gratuité qui lui est refusée. Là encore sont retenus par le juge les avantages que cette société retire de l'installation de ses antennes de téléphonie mobile sur le domaine public non routier de la communauté d'agglomération Lorient Agglomération pour l'exercice de son activité principale relative aux appels courants.

(27 mai 2020, Société Orange, n° 430972)

 

Biens

 

5 - Domaine public fluvial - Contravention de grande voirie - Déplacement d’un bateau de plaisance ordonné sous astreinte - Point de départ et délai du calcul de l’astreinte - Effets des mesures de prorogation des délais sous l’empire du Covid- 19 - Rejet.

Les demandeurs ont été condamnés le 14 novembre 2018 par ordonnance du juge des référés de première instance à évacuer sans délai leur bateau d’un port de plaisance et à une astreinte de cent euros par jour de retard ; cette astreinte a été liquidée par une ordonnance du 5 juillet 2019, pour un montant de 22 700 euros, le juge ayant refusé, sur recours de la commune, de porter le montant de l'astreinte à deux cents euros par jour. Ils se pourvoient en annulation de cette ordonnance et, subsidiairement, sollicitent la modulation de l’astreinte.

Le juge de cassation devait répondre à trois questions : Quelles sont les dispositions applicables à une telle astreinte ? Quel est le point de départ du calcul du montant de l’astreinte, question compliquée ici par la modification des délais applicables du fait de l’épidémie de Covi-19 ? Quelles sont les conditions de la modération voire de la suppression de l’astreinte ?

Sur le premier point, il est rappelé que lorsque l'injonction de libérer une dépendance domaniale est assortie d'une astreinte, celle-ci n’est pas alors régie par les dispositions du livre IX du code de justice administrative.

Sur le second point, le juge précise que l'astreinte court à compter de la date d'effet de l'injonction sous deux réserves : d’une part, le juge peut toujours différer le point de départ de l'astreinte dans les conditions qu'il détermine, et d’autre part, en cas de silence du jugement sur la date d’effet de l’injonction - comme c’était le cas en l’espèce -, celle-ci ne peut être que celle de la notification de ce jugement. A ce dernier égard, il est donc décidé que, les conditions d’infliction d’une astreinte étant ici réunies, le point de départ de son exécution a commencé à courir le 21 novembre 2018 et ce jusqu’au jour de la présente décision, soit le 27 mai 2020. Cependant, en raison du Covid-19, le dernier alinéa de l'article 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, dispose que « le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l'article 1er ». La période concernée ici est donc comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus. A la date de la présente décision, soit le 27 mai 2020, cette période n'est pas parvenue à son terme. La liquidation de l'astreinte couvre ainsi la période courant du 21 novembre 2018 au 11 mars 2020, soit 47 600 euros.

Enfin, en troisième lieu, sur la question de la modération ou de la suppression de l’astreinte prononcée, laquelle est possible même en cas d'inexécution de la décision juridictionnelle, le juge relève que les requérants ne sont pas dépourvus de tout revenu et qu’il n’y a donc pas lieu de modérer cette astreinte.

(ord. réf. 27 mai 2020, Mme et M. X., n° 432977)

 

6 - Transfert dans le domaine public d’une voie privée ouverte à la circulation publique - Régime juridique - Décision préfectorale refusant ce transfert - Recours contentieux des riverains de la voie - Qualité de riverains donnant intérêt à agir - Présence - Demande d’annulation du refus du préfet - Rejet.

C’est par son aspect procédural que cette décision se signale à l’attention du lecteur.

La commune de Saint-Lunaire (Ille-et-Vilaine) voulant procéder au transfert d'office dans le domaine public communal d'une voie privée, a demandé au préfet, en raison de l’opposition de certains propriétaires, de prononcer conformément aux dispositions de l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme, le transfert de la voie privée dans son domaine public. Le préfet a refusé et des propriétaires ont demandé au préfet de retirer cette décision. Après le rejet implicite de leur demande, ils ont saisi le tribunal administratif qui a rejeté leur demande. La cour administrative d'appel a annulé le jugement et la décision du préfet et enjoint à ce dernier de se prononcer à nouveau sur la demande de la commune dans un délai de deux mois.

Le juge de cassation était, à titre préliminaire, saisi de la question de la recevabilité de la demande de première instance, laquelle était contestée devant lui. Il juge, cette solution n’allait pas de soi puisque la jurisprudence antérieure était plutôt en sens contraire, que « Le transfert d'une voie privée ouverte à la circulation publique dans le domaine public communal ayant notamment pour effet de ne plus faire dépendre le maintien de l'ouverture à la circulation publique de la voie du seul consentement de ses propriétaires et de mettre son entretien à la charge de la commune, les riverains de la voie justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision (du préfet) refusant de la transférer dans le domaine public de la commune sur le fondement de l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme ».

(27 mai 2020, M. et Mme X. et autres, n° 433608)

 

7 - Droit de propriété - Travaux et constructions publics empiétant sur une propriété privée - Obligation de remettre les lieux en état - Absence de caractère automatique d’urgence d’une action en vue de protéger ou rétablir une liberté fondamentale - Annulation de l’ordonnance du premier juge.

Cette décision, qui constitue un rappel de la jurisprudence Commune de Chirongui (ord. réf. 23 janvier 2013, n° 365262), selon laquelle le juge administratif du référé liberté est compétent pour enjoindre à l'administration de faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété, lequel a le caractère d'une liberté fondamentale, quand bien même cette atteinte aurait le caractère d'une voie de fait, montre une fois de plus qu’il ne faut pas céder à ce que l’on pourrait appeler « le mirage du référé ».

Les requérants et leurs conseils se laissent souvent prendre au « piège » de la facilité, de la simplicité et de la célérité des procédures de référé, oubliant d’en respecter les exigences propres, d’où des déconvenues comme en la présente espèce. Comme l’exprime très bien ici le juge d’appel, il ne faut pas « confondre urgence et gravité de l'atteinte alléguée (au) droit de propriété ».

Une action en référé liberté avait été introduite en première instance par un propriétaire privé, avec succès,  en vue qu’injonction soit faite à la commune de Morne-Vert de faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale à son droit de propriété en procédant à l'arrêt immédiat des travaux de construction d'un centre technique communal entrepris sur la parcelle K 111 et des travaux et de la réfection de la clôture de sa parcelle K 200 ainsi que le dégagement des voies d'accès situées sur la parcelle K 24, en déplaçant le regard d'évacuation des eaux pluviales.

Saisi par la commune défenderesse d’un appel dirigé contre l’ordonnance de référé la condamnant, le Conseil d’État donne raison à cette dernière.

En effet, si le juge constate que c’est à juste titre que le propriétaire se plaint de l’atteinte à son droit de propriété du fait de travaux publics réalisés et de constructions publiques édifiées illégalement sur sa propriété, il relève également qu’à la date de sa saisine « ne restait à réaliser que 1,5m2 de surface bétonnée après enlèvement par EDF de son support » et que l'intérêt général s'attache à la construction de cette route de contournement, qui vise à permettre de désengorger le centre bourg et pour laquelle la commune dit avoir à ce stade dépensé plus de 900 000 euros.

C’est pourquoi, il estime que « aussi graves que sont les atteintes alléguées au droit de propriété (…), la condition d'urgence particulière, seule de nature à justifier l'intervention du juge des référés dans les conditions fixées par l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ne pouvait être considérée comme remplie à la date d'introduction de sa requête devant le juge des référés du tribunal administratif et ne peut pas plus l'être aujourd'hui ». D’où l’annulation de l’ordonnance de première instance.

In fine le juge donne même une petite consultation juridique au malheureux propriétaire en lui suggérant de saisir, s'il s'y croit fondé, le tribunal administratif « d'une demande tendant la remise en état des parcelles dont il est propriétaire, que ce soit à l'appui d'une demande d'annulation du refus de la commune d'y procéder ou à l'appui d'une demande de réparation ».

(28 mai 2020, Commune de Morne-Vert, n° 440522)

 

8 - Antennes de téléphonie mobile - Installation sur des réservoirs de stockage d'eau potable - Gestion du domaine public et faculté d’autoriser l’installation des équipements des opérateurs de communications électroniques - Refus de renouveler la convention d’occupation du domaine à cette fin - Absence de caractère disproportionné des tarifs d’occupation domaniale - Absence d’inégalité dans le traitement tarifaire d’opérateurs se trouvant dans des situations différentes - Rejet.

(27 mai 2020, Société Orange, n° 430972) V. n° 4

 

Contentieux

9 - Référé suspension - Dispositifs médicaux pris en charge par la sécurité sociale - Modification des conditions de prise en charge - Doute sérieux - Urgence - Octroi de la suspension d’exécution de l’arrêté litigieux.

La société requérante demandait la suspension de l'exécution d’un arrêté ministériel portant modification des modalités de prise en charge des véhicules destinés au transport passif des personnes handicapées (titre IV de la liste des produits et prestations prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale (CSS)).
L'article L. 165-1 CSS prévoit que le remboursement par l'assurance maladie des dispositifs médicaux à usage individuel est subordonné à leur inscription sur une liste établie après avis d'une commission de la Haute Autorité de santé soit sous forme de marque ou de nom commercial, inscription éventuellement subordonnée, à son tour, au respect de spécifications techniques, d'indications thérapeutiques ou diagnostiques et de conditions particulières de prescription et d'utilisation.

L'arrêté interministériel du 17 octobre 2017, dans la version qui lui a été donnée par l’arrêté du 15 juillet 2019, portant modification des modalités de prise en charge des « sièges coquilles de série », a restreint, dans l'intérêt de la santé publique, les indications de prise en charge des sièges coquilles de série aux « Patients âgés ayant une impossibilité de se maintenir en position assise sans un système de soutien et n'ayant pas d'autonomie de déplacement (...) ». Par suite, ne peuvent pas faire l'objet d'une prise en charge au titre des « Poussettes, fauteuils roulants à pousser et châssis roulants destinés au transport passif des personnes handicapées » du chapitre 2 « Véhicules divers » du titre IV de la liste des produits et prestations (LPP) prévue à l'article L. 165-1 CSS, « les véhicules comprenant une même structure rigide : 

- dont le siège, le dossier, les accoudoirs ou maintiens latéraux sont non démontables en 4 parties (notamment avec fixations non réutilisables) ;

- ou dont le revêtement capitonné n'est pas propre à chacune des parties : siège, dossier, accoudoirs ou maintiens latéraux ». Par ailleurs, aux termes du même arrêté, « La prise en charge du code 4263950 « Vhp, poussette ou fauteuil, > ou = 16 ans, dossier ou dossier et siège inclinables » ne peut se cumuler avec le code 1211489 d'un appareil de soutien partiel de la tête ».

L'arrêté du 10 mars 2020 ayant même objet que les précédents, a modifié le paragraphe 1 « Généralités » de la section A « Poussettes, fauteuils roulants à pousser et châssis roulants destinés au transport passif des personnes handicapées » du chapitre 2 « Véhicules divers » du titre IV de la liste des produits et prestations prévue à l'article L. 165-1 CSS.

C’est de ce dernier arrêté que la société Innov'sa demande au juge des référés du Conseil d’État d’ordonner la suspension d’exécution.

S’agissant d’un référé de l’art. L. 521-1 CJA, la demanderesse devait établir la satisfaction par sa demande des deux conditions cumulatives exigées par ce texte.

Pour estimer établie la condition d’urgence, le juge relève, reprenant à son compte l’argumentation de la société, que l’activité de la société est très dépendante des conditions de prise en charge par l'assurance maladie, sa production de poussettes pour handicapés représentant désormais 58 % de son activité. L’application de l'arrêté querellé l'empêcherait de continuer à commercialiser ce produit, ce qui pourrait conduire à sa liquidation. Dès lors, la condition d'urgence doit être regardée comme remplie.

Pour établir qu’existe en l’espèce un douteux sérieux sur la juridicité de l’arrêté attaqué, la société soutient, d'une part, que l'arrêté contesté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il modifie les conditions de fabrication des véhicules destinés au transport passif des handicapés en exigeant, sans justification pertinente, que le siège, le dossier, les accoudoirs ou maintiens latéraux des structures rigides soient démontables en quatre parties ou que le revêtement capitonné soit propre à chacune de ces parties et, d'autre part, qu'il est entaché d'erreur de fait et d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il exclut le cumul de la prise en charge d'un véhicule pour handicapé physique avec celle d'un appareil de soutien partiel de la tête, alors que les poussettes et fauteuils à pousser pour handicapés de plus de 16 ans ne comportent d'appui-tête ni dans le modèle de base, ni en option.

Le juge, rejetant l’argument du ministre défendeur selon lequel l’arrêté litigieux aurait été pris afin d'éviter que les sièges coquilles de série ne soient remboursés par l'assurance maladie en tant que véhicules pour handicapés physiques inscrits au titre IV de la liste des produits et prestations, alors que leurs indications de prise en charge ont été restreintes, dans l'intérêt de la santé publique, par les arrêtés précités de 2017 et de 2019, constate que les deux moyens soulevés par la société Innov'sa sont de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté, dès lors que, dans l'un et l'autre cas, les modifications ainsi apportées aux spécifications des véhicules ne sont pas justifiées par le service attendu de leur usage.

(ord. réf. 8 mai 2020, Société Innov'sa, n° 440213)

10 - Covid-19 - Demande d’une intervention d’autorités françaises auprès d’un autre État - Règle de circulation des personnes en période d’épidémie - Acte de gouvernement - Conduite des relations diplomatiques entre la France et une puissance étrangère - Rejet pour incompétence de la juridiction administrative.

(ord. réf. 15 mai 2020, Mme X. et M. Y., n° 440382) V. n° 2

 

11 - Compétence de la juridiction administrative - Injonction à la police nationale - Agissements prétendus à l’encontre du demandeur - Incompétence de l’ordre de juridiction saisi - Rejet.

Doit être rejetée comme portée devant une juridiction administrative manifestement incompétente pour en connaitre, l’action en référé liberté tendant à ce que soient adressées des injonctions aux représentants de la police nationale, aux représentants de la justice et à toute administration publique de mettre fin aux agissements dont le demandeur s'estime victime, en particulier du fait des modalités par lesquelles la police nationale est intervenue le 20 avril 2020 à la suite d'une altercation l'opposant à ses voisins et de ce qu’il serait victime de diffamation.

(ord. réf. 9 mai 2020, M.X., n° 440311)

 

12 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort - Contestation de la décision d’une présidente de conseil départemental tendant à l’attribution d'allocations et de prestations destinées aux personnes en situation de handicap - Absence de compétence directe - Rejet.

Le recours dirigé contre la décision implicite de la présidente d’un conseil départemental refusant l’attribution d'allocations et de prestations destinées aux personnes en situation de handicap n’est manifestement pas au nombre des recours qui, limitativement énumérés par l'article R. 311-1 du CJA, relèvent de la compétence Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort.

Il appartient, en ce cas, au juge des référés, sur le fondement de l’article R. 522-8-1 du CJA et par dérogation aux dispositions du titre V du livre III relatif au règlement des questions de compétence au sein de la juridiction administrative, de décliner la compétence de la juridiction par voie d'ordonnance (cf. art. L.522-3 CJA).

(ord. réf. 20 mai 2020, Mme X. et M. Y., n° 440645)

 

13 - Covid-19 - Arrêté préfectoral - Accès aux parcs, jardins publics, forêts, plans d’eau, terrains de sports et autres interdit jusqu’au 11 mai 2020 - Non-lieu à statuer.

Les requérants avaient demandé en vain au juge des référés du tribunal administratif l’annulation d’un arrêté du préfet du Haut-Rhin interdisant jusqu'au 11 mai 2020 l'accès à l'ensemble des parcs, jardins publics, gravières, forêts, plans d'eau, berges, aires de jeux, parcours de santé et terrains de sports urbains dans toutes les communes du Haut-Rhin. Ils sollicitent du Conseil d’État l’annulation de cette ordonnance de rejet en date du 30 avril 2020.

Le Conseil d’État, saisi le 5 mai, constate, le 12 mai, que l’arrêté attaqué ne produit plus d’effets depuis la veille et qu’il n’y a donc plus lieu pour lui de statuer sur la demande en référé dont il était saisie.

(ord. réf. 12 mai 2020, M. X., n° 440415 ; M. Y et Mme Z., n° 440420, deux espèces)

 

14 - Transfert dans le domaine public d’une voie privée ouverte à la circulation publique - Régime juridique - Décision préfectorale refusant ce transfert - Recours contentieux des riverains de la voie - Qualité de riverains donnant intérêt à agir - Présence - Annulation du refus du préfet - Rejet.

(27 mai 2020, M. et Mme X. et autres, n° 433608) V. n° 6

15 - Covid-19 - Référé de l’art. L. 523-1 CJA - Circulaire ministérielle relative à la réouverture des écoles et des établissements scolaires et aux conditions de poursuite des apprentissages - Ministre chef du service de l’éducation - Obligation pour lui de réglementer - Illégalité à se borner à recommander - Incompétence du juge de ce référé - Rejet.

La fédération requérante, se fondant sur les dispositions de l’art. L. 523-1 CJA (« En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative »),  estimait illégale la circulaire du ministre de l’éducation relative à la réouverture des établissements scolaires à la fin du confinement décidé pour cause d’épidémie du Covid-19. Elle reprochait à celui-ci de se borner à des recommandations sans décider réellement, renvoyant aux enseignants la charge de la responsabilité du chef des mesures accompagnant la réouverture. Par suite, elle demandait au Conseil d’État d’enjoindre à ce ministre de prendre des mesures réglementaires en matière de santé et de sécurité au travail dans les établissements scolaires, en vue de la reprise de l'accueil des enfants dans ces établissements dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

Relevant que l’art. précité doit être lu en correspondance avec les art. L. 521-1 et L. 521-2 du CJA et qu’il ne saurait lui accorder plus de pouvoirs que ceux que lui donnent ces deux dernières dispositions, le juge des référés du Conseil d’État estime irrecevables les conclusions dont la fédération requérante l’a saisi car « une demande tendant à ce qu'il soit ordonné à l'autorité compétente de prendre des mesures réglementaires, y compris d'organisation des services placés sous son autorité, n'est pas au nombre de celles qui peuvent être présentées au juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, eu égard à l'objet de ces dispositions et aux pouvoirs que le juge des référés tient des articles L. 521-1 et L. 521-2 du même code ».

(ord. réf. 11 mai 2020, Fédération des syndicats Sud Education, n° 440455)

 

16 à 19 - Covid-19 - Pouvoirs du juge du référé liberté - Possibilité de prendre des mesures à bref délai - Besoin de se rendre dans une résidence secondaire - Absence d’urgence à prendre des mesures - Rejet.

A un requérant qui lui demande d'ordonner la suspension de l'exécution du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 en tant que celui-ci ne comporte pas le droit pour toute personne de se déplacer sur toute l'étendue du territoire national pour modifier provisoirement sa résidence, pour constater les besoins d'entretien ou de sécurité d'une de ses résidences et pour, le cas échéant, procéder ou faire procéder aux mesures d'entretien et de mise en sécurité nécessaires, le juge rappelle quelles sont les limites de ses pouvoirs dans le cadre du référé de l’art. L. 521-2 CJA.

D’une part, il est indiqué au demandeur, à titre d’affirmation de principe, que : « La circonstance qu'une atteinte à une liberté fondamentale, portée par une mesure administrative, serait avérée n'est pas de nature à caractériser l'existence d'une situation d'urgence justifiant l'intervention du juge des référés dans le très bref délai prévu par les dispositions de l'article L. 521-2 ».

D’autre part, il lui est rappelé comment s’effectue la mesure de l’urgence dans le cadre de ce référé : « Il appartient au juge des référés d'apprécier, au vu des éléments que lui soumet le requérant comme de l'ensemble des circonstances de l'espèce, si la condition d'urgence particulière requise par l'article L. 521-2 est satisfaite, en prenant en compte la situation du requérant et les intérêts qu'il entend défendre mais aussi l'intérêt public qui s'attache à l'exécution des mesures prises par l'administration ».

La conclusion se déduit d’elle-même, conduisant au rejet par suite des circonstances exceptionnelles dues à l’épidémie, de l’impérieuse nécessité de prendre des mesures générales ad hoc et de l’absence d’invocation par le requérant de ce qu’il se trouverait dans une circonstance particulière.

(ord. réf. 20 mai 2020, M. X., n° 440640)

(17) Même solution, pour défaut d’urgence, s’agissant d’une demande d’extension des heures d’ouverture d’un Bar Tabac Presse : ord. réf. 18 mai 2020, M. X., n° 440450

(18) Voir encore le rejet pour défaut d’urgence d’une requête tendant à voir le juge ordonner le déploiement de l’armée française sur tout le territoire pour remplir spontanément ses devoirs de secours à la population française : ord. réf. 20 mai 2020, M. X., n° 440536.

(19) On lira aussi, sur l’appréciation du double aspect de la condition d’urgence dans le cadre du référé liberté (urgence à statuer et possibilité que soient prises des mesures à très bref délai), et sur son absence constatée en l’espèce s’agissant de la poursuite d’études en vue d’un diplôme universitaire : ord. réf. 28 mai 2020, Mme X., n° 440805.

 

20 - Référé « mesures utiles » (art. L. 521-3 CJA) - Injonction de déclarer démissionnaires d’office des membres d’une commission et de suspendre toute réunion de celle-ci - Condition d’urgence non remplie - Rejet.

Doit être rejetée selon la procédure expéditive de l’art. L. 522-3 CJA, la requête en référé « mesures provisoires » tendant à ce qu’il soit enjoint au président de la commission prévue à l'art. L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle de déclarer démissionnaires d'office les membres désignés par quatre organisations représentatives des consommateurs pour n'avoir pas participé, sans motif valable, à trois réunions consécutives de la commission et à suspendre toutes réunions de celle-ci à compter de celle qui était prévue le 25 mai 2020 à 14 h. En effet, cette réunion ayant eu lieu quelques heures après l'enregistrement de la requête, la condition d'urgence posée par l'article L. 521-3 du CJA n’est manifestement pas remplie.

(ord. réf. 29 mai 2020, Alliance française des industries du numérique (AFNUM) et syndicat des entreprises de commerce international de matériel, audio, vidéo et informatique grand public (SECIMAVI), n° 440817) 

 

Contrats

 

21 - Marché public - Marché sous la forme d’un accord cadre de prestations de nettoyage de locaux et de sites - Référé précontractuel - Office du juge saisi - Offre anormalement basse - Régime juridique - Action contractuelle introduite par l’auteur d’une offre elle-même irrégulière - Conséquences - Admission et rejet partiels - Annulation partielle.

La collectivité territoriale de Martinique a engagé une consultation en vue de la conclusion d'un accord cadre de prestations de nettoyage de locaux et de sites, divisé en neuf lots. La société Clean Building, qui s'est portée candidate, a été informée que le lot n° 8 lui avait été attribué et que son offre avait été rejetée pour les autres lots, les lots n°s 1 à 6 et le lot n° 9 étant attribués à la société Sadis'nov et le lot n° 7 à la société Madianet. La société Clean Building a demandé au juge des référés du tribunal administratif, sur le fondement de l'art. L. 551-1 CJA, l'annulation de la procédure de passation du marché pour les lots qui ne lui ont pas été attribués.

Le juge des référés a décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur cette demande et rejeté le surplus des conclusions présentées en cours d'instance sur le fondement des art. L. 551-13 et suivants du même code. La société se pourvoit en cassation.

Le juge de cassation aborde trois points juridiques importants.

 

I - Tout d’abord, il décide que les dispositions combinées des art. L. 551-1 à L. 551-21 du CJA font obligation au pouvoir adjudicateur, lorsqu'est introduit un recours en référé précontractuel dirigé contre la procédure de passation d'un contrat, de suspendre la signature de ce contrat à compter, soit de la communication du recours par le greffe du tribunal administratif, soit de sa notification par le représentant de l'État ou l'auteur du recours. Lorsque, comme en l’espèce, le recours est envoyé au service compétent du pouvoir adjudicateur par des moyens de communication permettant d'assurer la transmission d'un document en temps réel, la circonstance que la notification ait été faite en dehors des horaires d'ouverture de ce service est dépourvue d'incidence puisque le délai de suspension court à compter non de la prise de connaissance effective du recours par le pouvoir adjudicateur, mais de la réception de la notification qui lui a été faite.

De là cette double conséquence : 

1°) En vertu de l’article L. 551-14 du même code, la méconnaissance par le pouvoir adjudicateur de l'obligation de suspendre la signature du contrat ouvre la voie du recours en référé contractuel au demandeur qui avait fait usage du référé précontractuel.

2°) En vertu des dispositions de l'art. L. 551-20 du même code, - dont le juge rappelle ici qu’elles doivent être lues à la lumière de celles de l'article 2 sexies de la directive du Conseil du 21 décembre 1989 dont elles assurent la transposition -, en cas de conclusion du contrat avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre, ou, comme en l'espèce, pendant la suspension prévue à l'art. L. 551-4 ou à l'art. L. 551-9 du même code, le juge du référé contractuel est tenu soit de priver d'effets le contrat en l'annulant ou en le résiliant, soit de prononcer une sanction de substitution consistant en une pénalité financière ou en une réduction de la durée du contrat.

Enfin, la décision rappelle opportunément que le rejet des conclusions présentées sur le fondement de l'art. L. 551-18 du CJA ne saurait faire obstacle à ce que soit prononcée, même d'office, une sanction sur le fondement des dispositions de l'art. L. 551-20 du même code, si le contrat litigieux a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'art. L. 551-4 ou à l'art. L. 551-9 du CJA.

Comme en l’espèce le contrat en litige a été conclu le 6 septembre 2019 dans la matinée, postérieurement à la réception par les services de la collectivité territoriale de Martinique de la télécopie et du courrier électronique de l'avocat de la société requérante lui notifiant son référé précontractuel, le marché a ainsi été signé en méconnaissance de l'obligation prévue à l'art. L. 551-4 du code précité.

Il suit de là que le juge des référés du tribunal administratif, alors même qu'il avait rejeté les conclusions de la société Clean Building présentées sur le fondement de l'art. L. 551-18 CJA, était tenu de prononcer l'une des sanctions prévues à l'art. L. 551-20 du même code. En s'abstenant de prononcer l'une quelconque d'entre elles, il a commis une erreur de droit.

 

II - Ensuite se posait la question délicate du traitement juridique d’une offre supposée anormalement basse. On sait qu’en principe le pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse doit provoquer toutes explications à ce sujet de la part de son auteur et cela quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre. A défaut d’explications satisfaisantes justifiant le caractère anormalement bas du prix, le pouvoir adjudicateur doit rejeter l'offre. En l’espèce, il avait été jugé en première instance que cette offre n'était pas anormalement basse parce qu’il n'était pas établi que la cadence de travail moyenne retenue par la société ne lui permettrait pas de réaliser les prestations au prix proposé. Cette motivation, suffisante en droit et en fait, ne saurait être critiquée. On peut trouver un peu faible cette partie du raisonnement.

 

III - Enfin, et c’était le point le plus délicat de cette affaire : le concurrent évincé, requérant, pouvait-il se prévaloir de l'irrégularité de l'offre de la société attributaire du contrat en litige alors que sa propre offre était irrégulière ? Le juge répond par l’affirmative en rappelant qu’une offre anormalement basse peut être assimilée à une offre irrégulière. Cette solution qui pourrait a priori surprendre dans un contentieux subjectif est pourtant logique : les règles de présentation et de contenu des offres n’ont pas été instituées dans le seul intérêt des parties concurrentes mais dans un souci plus général de protection du consommateur, auquel est garantie une comparabilité fiable des offres et une utilisation plus optimale de leurs deniers propres transmutés via l’impôt et les taxes en deniers publics. Ces règles sont donc du droit objectif et doivent être traitées comme telles notamment au contentieux.

 

Au total, le juge reconnait fondées deux des demandes de la société requérante : d’abord ses conclusions tendant à l'annulation du lot n° 7 du marché et ensuite sa critique de l’omission par le juge des référés de première instance de prononcer l'une des sanctions prévues à l'article L. 551-20 du CJA, sanction qui prend la forme, dans la présente décision, d’une bien modeste pénalité de dix mille euros à verser au Trésor public.

(27 mai 2020, Société Clean Building, n° 435982)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

22 - Taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement perçue dans la région Île-de-France - Exonération des parties communes - Notion de parties communes au sens du IV de l’art. 231ter du CGI - Application de cette notion au sens de la loi sur la copropriété des immeubles bâtis - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

La contribuable, assujettie à la taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement perçue dans la région Ile-de-France, à raison des locaux dont elle est propriétaire situés aux 23-25/25 bis avenue de Matignon à Paris, avait sollicité une réduction de son montant. Elle alléguait que devaient être soustraites de la superficie totale desdits locaux les surfaces des locaux constituant des parties communes, conformément aux dispositions du IV de l’art. 231ter du CGI.

Sa demande est rejetée en première instance et en appel au motif que les parties communes mentionnées par cette disposition devaient être entendues, conformément aux dispositions de loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, comme visant les parties des bâtiments et des terrains qui, n'étant pas la propriété exclusive d'un copropriétaire déterminé et réservées à son usage, sont affectées à l'usage ou à l'utilité de tous les copropriétaires ou de plusieurs d'entre eux.

La société se pourvoit et le Conseil d’État casse pour erreur de droit l’arrêt d’appel car la notion de « parties communes » au sens et pour l’application de l’art. 231 ter précité du CGI est une notion juridique autonome, distincte de celle du droit de la copropriété. Elles doivent s’entendre en l’espèce comme « les surfaces affectées à l'usage ou à l'utilité de tous les occupants de ces locaux ou de plusieurs d'entre eux, alors même qu'elles seraient la propriété d'une seule et même personne ».

(27 mai 2020, Société Lor Matignon, n° 433004)

 

23 - Jeu Euro Millions - Bulletin trouvé sur la voie publique - Gain accidentel par suite d’une transaction entre la personne ayant trouvé le bulletin et celui l’ayant validé - Absence d’imposition au titre des bénéfices non commerciaux - Rejet.

L’affaire est peu banale.

Mme X. ayant trouvé sur la voie publique le reçu d'une combinaison gagnante de premier rang du jeu de hasard Euro Millions, s'est présentée à la Française des jeux qui l'a informée qu'elle ne verserait le gain de 163 millions d'euros qu'au vu d'un accord entre elle et le joueur ayant validé ce ticket. Par un protocole transactionnel conclu avec ce dernier, Mme X. a renoncé « à toute instance et action en revendication du gain » et a remis le reçu au joueur, en contrepartie d'une indemnité d'un montant de douze millions d'euros. Par la suite, M. et Mme X. ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi qu'à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus à raison de l'imposition entre leurs mains de cette somme dans la catégorie des plus-values de cession de biens meubles, sur le fondement de l'article 150 UA du CGI.

Le tribunal administratif ayant fait droit à la demande des contribuables tendant à la décharge de ces diverses contributions, le ministre de l'action et des comptes publics a interjeté appel de ce jugement puis, par suite du rejet de celui-ci, il a saisi le Conseil d’État.

Ce dernier confirme l’arrêt d’appel.

D’une part, c’est sans erreur de droit ni de qualification juridique des faits que la cour  a estimé que - contrairement à la thèse du ministre -  la détention du reçu ne conférant aucun droit à son porteur lorsqu'il n'était pas le joueur et la Française des jeux en demeurant propriétaire en vertu du règlement de jeu de l'Euro Millions pris en application du décret du 9 novembre 1978 relatif à l'organisation et à l'exploitation des jeux de loterie, l'indemnité perçue par Mme X. ne constituait pas la contrepartie de la cession de ce reçu ou d'un droit relatif à celui-ci et que, par conséquent, cette somme ne pouvait être regardée comme une plus-value de cession taxable entre les mains de l'intéressée sur le fondement de l'article 150 UA du CGI.

D’autre part, c’est également sans erreur de droit ni de qualification juridique des faits que la cour a également estimé, contrairement à ce que soutenait le ministre, que la somme litigieuse, bien qu'elle rémunère, en application du protocole transactionnel conclu avec le joueur, un service consistant à lui restituer le reçu et à renoncer à toute action ultérieure en revendication du gain, ne pouvait être imposée dans la catégorie des bénéfices non commerciaux dès lors que le profit en cause était par nature insusceptible de se renouveler en raison de son caractère purement accidentel.

(27 mai 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 434067)

 

24 - Bénéfices industriels et commerciaux - Société française détentrice de fonds de commerce situés aux États-Unis et donnés en location-gérance à une autre société les exploitant avec ses moyens propres - Notion de cession d’actif - Notion de détention d’un établissement stable aux États-Unis - Absence - Rejet.

La société Fromageries Bel, devenue société Bel, a acquis d’un groupe américain l’entier capital de la société Boursin, alors propriétaire de fonds de commerce de vente de ses propres produits aux États-Unis et au Canada et elle a ensuite procédé à sa liquidation sans dissolution, la transmission universelle de patrimoine qui en a résulté étant placée sous le régime de faveur de l'article 210 A du CGI. Cette opération a donné lieu au constat par la société Fromageries Bel d'un mali technique d'un montant de 185 millions d'euros, dont 62,7 millions correspondant aux fonds de commerce américains affectés non au bilan fiscal de l'exploitation française de cette société, mais à celui de sa succursale américaine.

L’administration fiscale a analysé l'affectation des fonds de commerce américains par la société Fromagerie Bel à sa succursale établie aux États-Unis comme une cession ayant pour effet d'entraîner la taxation en France entre les mains de cette société, au titre de l'exercice clos en 2008, de cette somme de 62,7 millions d'euros.

La société Bel a saisi le tribunal administratif, lequel a rejeté sa demande de décharge des impositions supplémentaires mises à sa charge par un avis de mise en recouvrement du 11 avril 2014. Ce jugement ayant été confirmé en appel, la société se pourvoit en cassation.

Rejetant le pourvoi, le Conseil d’État juge d’abord, au visa de l’art. 209 du CGI, qu’une société française propriétaire de fonds de commerce américains qu’elle donne en location-gérance à une autre société du même groupe, qui, elle-même, les sous-loue à une société américaine située aux États-Unis et qui les exploite avec ses propres moyens matériels, et non avec ceux de la société française propriétaire des fonds, n'exploite en réalité elle-même aucune entreprise aux États-Unis. Par suite, l’inscription, par la société demanderesse, au bilan fiscal d'une succursale établie aux États-Unis et dont les bénéfices ne sont pas pris en compte dans ses bases d'imposition, d’un élément d'actif jusqu'alors affecté à ses exploitations françaises, doit être regardée, pour l'établissement du résultat imposable en France de cette société, comme ayant les effets d'une cession d'élément d'actif.

Le Conseil d’État juge ensuite que cette société, qui ne détenait pas davantage d'établissement stable au sens des dispositions combinées des art. 5 et 7 de la convention fiscale franco-américaine du 31 août 1994 ne pouvait se prévaloir de ces dispositions pour prétendre échapper à l’imposition contestée.

C’est donc à bon droit que la cour administrative d’appel a évalué la plus-value imposable à 62,7 millions d'euros dès lors que la société avait expressément identifié pour ce montant la part correspondant, au sein du mali technique inscrit à son actif, aux fonds de commerce américains.

(27 mai 2020, Société anonyme Fromageries Bel devenue société Bel, n° 434412)

 

Droit social et action sociale

 

25 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort - Contestation d’une décision de présidente de conseil départemental tendant à l’attribution d'allocations et de prestations destinées aux personnes en situation de handicap - Absence de compétence directe - Rejet.

(ord. réf. 20 mai 2020, Mme X. et M. Y., n° 440645) V. n° 12

 

26 - Covid-19 - Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) - Demande de prise de diverses mesures sanitaires - Rejet.

Les requérantes, agissant sur le fondement de l’art. L. 521-2 CJA, ont demandé en vain au juge des référés du tribunal administratif de Melun, d'enjoindre notamment à diverses autorités publiques, d’assurer le dépistage de tous les résidents, personnels et intervenants au sein d’un EHPAD donné ainsi que le regroupement des personnes contaminées et leur séparation efficace des populations non-contaminées en privilégiant, lorsqu'il est possible, le maintien dans l'établissement, ainsi que l'affectation à chaque groupe ainsi constitué d'un personnel dédié, enfin, l'accès sur place ou à l'hôpital à tous les soins que leur état de santé requiert, y compris de ventilation et d'oxygénothérapie. Elles saisissent le Conseil d’État par voie d’appel dirigé contre l’ordonnance de rejet.

La demande de tests de dépistage est rejetée car l’établissement public qui gère l'EHPAD a indiqué, sans être démenti par les requérantes, que la totalité des résidents de cet EHPAD a bénéficié d'un dépistage du Covid-19 à la date du 22 avril 2020, à l'exception de trois d'entre eux qui l'ont refusé, et que le dépistage des personnels devait être achevé le 6 mai.

Est également rejetée la demande d’une séparation stricte des personnes atteintes du Covid-19 et de celles qui ne le sont pas, avec un personnel dédié à chaque groupe de résidents, car le premier juge a relevé une impossibilité pratique insurmontable de la réaliser dans cet EHPAD et dit que le confinement en chambre y était appliqué pour éviter toute contamination supplémentaire. Les requérantes ne contestant ni cette impossibilité, ni l'existence de ce confinement, leurs conclusions, bien que maintenues en appel, ne pouvaient donc qu'être rejetées.

Enfin, dès lors qu’il résulte de l'instruction que cet EHPAD dispose de tous les moyens nécessaires en matière d'oxygénothérapie et qu’il n'est pas sérieusement contesté que les résidents peuvent avoir accès, lorsque leur état l'exige, à un établissement hospitalier apte à réaliser une ventilation invasive, les conclusions en ce sens ne peuvent qu'être également rejetées.

(ord. réf. 11 mai 2020, Mme X. et Mme Y., n° 440251)

 

27 - « Loi du pays » - Promotion et protection de l’emploi local - Communication préalable des emplois vacants - Procédure instituée en cas d’urgence - Absence d’atteinte à la possibilité d’embauches intérimaires - Rejet.

Le Conseil d’État ayant annulé les dispositions de l'article LP 1 de la « loi du pays » du 8 juillet 2019 relative à la promotion et à la protection de l'emploi local en raison de l’illégalité les affectant en tant qu'elles ne réservaient pas le cas des embauches réalisées dans l'urgence, l'assemblée de la Polynésie française a adopté une nouvelle « loi du pays » portant modification des alinéas 61 à 69 de l'article LP 1 précédemment annulés. La société Polynésie Intérim défère au Conseil d’État, sur le fondement des dispositions de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004, cette « loi du pays ».

L’assemblée de la Polynésie française a ainsi imposé aux employeurs de notifier au service chargé de l'emploi tout emploi vacant dans une activité soumise à une mesure de protection de l'emploi local. La « loi du pays » contestée, faisant suite à l’annulation prononcée par le Conseil d’État, a institué une procédure d'examen accélérée en cas de besoin urgent de recrutement. La société requérante critique les erreurs manifestes d‘appréciation dont seraient entachées tant la définition donnée par ces dispositions de la notion d’« urgence » que la délimitation qu’elles opèrent de leur champ d’application.

Sa requête est rejetée.

Tout d’abord, est jugée satisfaisante la définition de l'urgence comme « une situation imprévisible qui perturbe gravement le fonctionnement de l'entreprise et qui requiert une solution immédiate ».

Ensuite, en réservant le bénéfice de la procédure accélérée qu'elle institue aux « contrats à durée déterminée », la « loi du pays » contestée a uniquement entendu exclure du champ de cette procédure le recours à un contrat de travail à durée indéterminée. Elle autorise donc les recrutements urgents au moyen soit de la conclusion d'un contrat de travail à durée déterminée, soit du recours au travail temporaire. C’est donc à tort que la société requérante soutient que cette « loi du pays » aurait exclu du champ de la procédure accélérée les contrats conclus par les sociétés qui, comme elle-même, sont des sociétés de travail temporaire.

(28 mai 2020, Société Polynésie intérim, n° 437236)

 

28 - Logements sociaux - Procédure d’attribution - Non-présentation d’un dossier de demande d’attribution d’un logement social - Dommage en résultant - Action en réparation - Saisine d’une juridiction incompétente - Rejet.

Le requérant demandait, au bénéfice de l’art. L. 521-1 CJA, la suspension de l’exécution de la décision de la maire de Paris rejetant sa demande d'indemnisation du préjudice causé par le défaut allégué de présentation de son dossier aux commissions d'attribution des logements sociaux. Il sollicitait en outre qu’injonction soit faite à cette dernière de présenter sa demande, de lui attribuer un logement et de lui verser une provision de 100 000 euros à valoir sur les dommages et intérêts auxquels il estimait pouvoir prétendre.

Il est manifeste que de telles demandes ne ressortissent pas à la compétence du Conseil d’État en premier ressort.

Elles sont rejetées par application des dispositions de l’art. L. 522-3 CJA.

(ord. réf. 9 mai 2020, M. X., n° 440128)

 

29 - Mineur étranger devenu majeur - Admission exceptionnelle au séjour - Obtention de l’aide sociale à l’enfance entre seize et dix-huit ans - Etranger bénéficiaire d’un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation à durée déterminée - Droit à la délivrance d’un récépissé l’autorisant à travailler - Suspension du refus de joindre à une autorisation de séjour une autorisation de travailler.

Un étranger mineur admis, entre seize et dix-huit ans, à l’aide sociale à l’enfance et disposant d’une proposition de contrat de travail à durée déterminée demandait la suspension de la décision préfectorale d’admission au séjour en tant qu’elle n’était pas accompagnée d’un récépissé l’autorisant à travailler.

Donnant raison au requérant, le juge apporte deux précisions importantes.

Tout d’abord, est énoncée une véritable directive de principe ainsi formulée : « (…) le préfet, saisi d'une demande d'admission exceptionnelle au séjour, sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour en France des étrangers et du droit d'asile, par un étranger admis à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize et l'âge de dix-huit ans, qui satisfait aux conditions de séjour définies par cet article et justifie qu'il dispose d'un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation ou que la conclusion d'un tel contrat lui a été proposée, doit remettre au pétitionnaire un récépissé de demande de titre de séjour l'autorisant à travailler, en application des dispositions de l'article R. 311-6 du même code ». Il s’agit bien pour le préfet d’une obligation de délivrance.

Ensuite, est écartée en cette matière - contrairement à ce qui avait été jugé en première instance -, l’application des dispositions de la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article L. 5221-5 du code du travail, selon lesquelles une autorisation de travail est accordée de droit aux mineurs isolés étrangers pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, sous réserve de la présentation d'un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation. En effet, cette disposition, régissant les seuls étrangers mineurs n’est donc pas applicable à un étranger devenu majeur. D’où la substitution de motif opérée ici.

(27 mai 2020, M. X., n° 436984)

 

30 - Transfert du contrat de travail d’un salarié d’une entreprise à une autre - Autorisation donnée par l’inspecteur du travail - Demande d’annulation - Requalification en recours en appréciation de légalité - Pourvoi en cassation - Erreur de droit - Appel devant être porté devant la cour administrative d’appel - Renvoi à celle-ci.

La société requérante avait saisi le tribunal administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation de l’autorisation donnée par l’inspecteur du travail au transfert, en son sein, du contrat de travail d’un salarié d’une autre entreprise. Le tribunal a requalifié cette demande en un recours en appréciation de la légalité de la décision querellée qu’il a jugée illégale.

De tels jugements n’étant susceptibles que de pourvoi en cassation, le Conseil d’État a été saisi. Celui-ci estime cependant qu’en réalité le tribunal s’est trompé dans la qualification du recours dont il était saisi : celui-ci était bien un recours pour excès de pouvoir. Or, en cette matière, c’est un appel qui devait être formé et il devait être porté devant la cour administrative d’appel.

Le pourvoi est redirigé vers cette dernière en tant qu’appel.

(29 mai 2020, Société poitevine de restauration collective (SPRC), n° 420737)

 

31 - Accord collectif de travail - Application en cas de licenciement pour faute - Contrôle par le juge administratif de la légalité d’une décision de l’inspection du travail au regard de cet accord - Acte de droit privé conditionnant la légalité d’une décision administrative - Rejet.

L'art. 19 de la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien dispose en matière e licenciement : « A l'issue de l'entretien préalable, toute proposition de licenciement pour faute constituant une infraction à la discipline, à l'exclusion du licenciement pour faute grave ou pour faute lourde justifiant une rupture immédiate du contrat de travail prononcée par l'employeur, est soumise pour avis à un conseil de discipline, lorsque l'intéressé en fait expressément la demande (...) ». Par ailleurs, selon l'art. L. 2411-5 du code du travail : « Le licenciement d'un délégué du personnel, titulaire ou suppléant, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail ».

L’inspection du travail a autorisé le licenciement par son employeur, la société Vietnam Airlines JSC, de M. X., délégué du personnel et donc salarié protégé. Saisies par M. X., les juridictions administratives de première instance et d’appel ont annulé l’autorisation de licenciement tout comme le refus du ministre, sur recours hiérarchique, de revenir sur cette autorisation.

La société se pourvoit en cassation et elle est déboutée, le Conseil d’État estimant que c’est sans dénaturation des clauses de la convention collective en cause et sans erreur de droit que la cour a jugé, d’abord, que le licenciement pour faute d'un membre du personnel au sol d'une entreprise de transport aérien ne peut être entrepris sans que ce salarié ait été préalablement mis à même de demander dans le délai qu'elles fixent la saisine d'un conseil de discipline et, ensuite, que lorsqu'il s'agit d'un salarié protégé, ce licenciement doit être autorisé par l'administration du travail. Ces deux exigences sont, dans le cas d’un salarié protégé, cumulatives. La seule autorisation de licenciement n’était donc pas suffisante d’où son illégalité.

C’est là un exemple particulièrement net d’illégalité d’une décision administrative pour non-respect d’un acte de droit privé.

(29 mai 2020, Société Vietnam Airlines JSC, n° 418488)

 

32 - Covid-19 - Usage de fontaines à eau sur les lieux de travail - Interdiction ou recommandation de ne pas les utiliser - Préconisations fixées par des fiches-conseils du ministère du travail - Guides de recommandations établis par des organisations professionnelles - Demande de suspension - Rejet.

L'association requérante demandait principalement au juge des référés du Conseil d’État d'ordonner la suspension de l'exécution, d’une part, de dix-neuf fiches conseils établies par le ministère du travail pour la mise en œuvre des mesures de protection contre la maladie Covid-19 sur les lieux de travail et la continuité de l'activité économique, en tant qu'elles préconisent l'interdiction, la suppression ou la suspension des fontaines à eau et, d’autre part, de la décision de publier trois guides de recommandations établis par les branches professionnelles en tant qu'ils interdisent ou même déconseillent d'utiliser des fontaines à eau.

Sa requête est rejetée en ses deux branches.

Tout d’abord, si, à la date à laquelle elles ont été, pour la première fois, rendues publiques, de nombreuses fiches conseils métiers recommandaient aux employeurs de « supprimer », « condamner » ou « suspendre » l'usage des fontaines à eau pendant la pandémie de Covid-19, ces mentions ont été ensuite modifiées et sont désormais remplacées, à la date de la présente ordonnance, dans l'ensemble des fiches conseils métiers qui traitent de l'usage des fontaines à eau, par la recommandation : « Pendant la pandémie, suspendez de préférence l'utilisation des fontaines à eau au profit d'une distribution de bouteilles d'eau individuelles ». C’est donc la suspension de ces fiches conseils dans leur état actuel qui est seule demandée au juge. Elle est néanmoins rejetée eu égard à la gravité que peut avoir l'infection par le coronavirus Covid-19, aux incertitudes portant sur les modalités de sa contagion, notamment en milieu humide et aux risques particuliers de contamination induits par la présence simultanée de plusieurs salariés sur un même lieu de travail : aucun doute sérieux n’apparaissant, en l’état de l’instruction, de nature à entacher ces fiches d’illégalité.

Ensuite, s’agissant des dix guides de bonnes pratiques dont deux préconisent, pour la durée de la pandémie, la mise hors service ou l'interdiction d'accès à toute fontaine à eau et deux autres invitent à supprimer, dans la mesure du possible, le recours aux « fontaines à bec », ils résultent de travaux réalisés par les seules organisations professionnelles et syndicales qui en sont les  auteurs et les décisions de publication de ces guides sur le site du ministère du travail ont pour seul objet d'informer les employeurs et les salariés des branches concernées et ne comportent par elles-mêmes ou ne révèlent l’existence d’aucune décision d'approbation de leur contenu par l'administration.  N’ayant pas le caractère de décisions faisant grief, elles ne sauraient faire l'objet ni d'un recours pour excès de pouvoir ni, par suite, d'une demande en référé suspension.

(ord. réf. 29 mai 2020, Association française de l'industrie des fontaines à eau (AFIFAE), n° 440452)

 

33 - Covid-19 - Établissements sociaux et médico-sociaux - Facturation des services d'aide et d'accompagnement à domicile (SAAD) - Bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) - Demande de versement direct de l’APA directement à ses bénéficiaires - Rejet.

Le requérant demandait que soit prononcée la suspension de l’exécution du premier alinéa du IV de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative aux adaptations des règles d'organisation et de fonctionnement des établissements sociaux et médico-sociaux en tant qu’il prévoit qu'en cas de sous-activité ou de fermeture temporaire résultant de l'épidémie de Covid-19, le niveau de financement des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens du code de l'action sociale et des familles, n'est pas modifié et que, pour la partie de financement des établissements et services sociaux et médico-sociaux qui ne relève pas de la dotation ou du forfait global, la facturation est établie à terme mensuel échu sur la base de l'activité qui aurait prévalu en l'absence de sous-activité ou de fermeture temporaire résultant de l'épidémie de Covid-19. Au soutien de sa requête le demandeur fait valoir que ces dispositions, en ce qu'elles ne prévoient pas de remplacer le versement de l'allocation personnalisée d'autonomie au service d'aide et d'accompagnement à domicile qui n'assure pas les heures de prestations prévues pendant l'épidémie de Covid-19 par un versement direct au bénéficiaire de cette allocation, afin que celui-ci puisse remplacer son prestataire, porte une atteinte grave et immédiate, d'une part, à ses intérêts financiers et aux intérêts économiques de YouTime, société, marque et application dont il est propriétaire et président et, d'autre part, aux intérêts et au respect de la dignité des bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie. 

La requête est rejetée car son contenu ne met pas le juge du référé suspension en mesure de remplir son office. En effet, le requérant n'assortit sa demande d'aucun élément précis ni d'aucune pièce de nature à établir la consistance ou l'étendue des intérêts financiers ou économiques qu’il invoque, il n'étaye pas ses affirmations sur l'importance du nombre d'heures d'aide et d'accompagnement à domicile non réalisées par les services d'aide et d'accompagnement à domicile depuis le début de l'épidémie de Covid-19 et sur les effets produits à ce titre par les dispositions qu'il critique.

Par suite, n’est pas établie l’existence d’une atteinte suffisamment grave et immédiate pour caractériser une urgence justifiant que l'exécution en soit suspendue sans attendre le jugement de la requête au fond.

(ord. réf. 28 mai 2020, M. X., n° 440815)

 

Élections

 

34 à 37 - Covid-19 - Élections municipales 2020 - Organisation du second tour de scrutin - Dispositions des I, III et IV de l'article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 - Droits et libertés garantis par la Constitution - Principe de sincérité du scrutin - Renvoi d’une QPC au Conseil constitutionnel.

L'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 comporte notamment les trois dispositions suivantes concernant les élections municipales et communautaires de mars 2020.

En son I, il décide que lorsqu’un second tour est nécessaire pour attribuer les sièges qui n'ont pas été pourvus, ce second tour est reporté au plus tard en juin 2020, en raison des circonstances exceptionnelles liées à l'épidémie de Covid-19. Sa date est fixée par décret en conseil des ministres, pris le mercredi 27 mai 2020 au plus tard si la situation sanitaire permet l'organisation des opérations électorales au regard, notamment, de l'analyse du comité de scientifiques. Il suit de là que les déclarations de candidature à ce second tour sont déposées au plus tard le mardi qui suit la publication du décret de convocation des électeurs.

Si la situation sanitaire ne permet pas l'organisation du second tour au plus tard au mois de juin 2020, les mandats en cours sont prolongés pour une durée fixée par la loi et les électeurs seront convoqués par décret pour les deux tours de scrutin, qui auront lieu dans les trente jours précédant l'achèvement des mandats ainsi prolongés.

La loi détermine aussi les modalités d'entrée en fonction des conseillers municipaux élus dès le premier tour dans les communes de moins de 1000 habitants pour lesquelles le conseil municipal n'a pas été élu au complet. Il y est encore précisé que dans tous les cas, l'élection régulière des conseillers élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, conformément à l'article 3 de la Constitution.

En son III, le texte dispose que les conseillers élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction à une date fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020, aussitôt que la situation sanitaire le permet au regard de l'analyse du comité de scientifiques.

Enfin, en son IV, il énonce que, par dérogation à l'article L. 227 du code électoral, d’une part, dans les communes pour lesquelles le conseil municipal a été élu au complet, les conseillers municipaux en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu'à l'entrée en fonction des conseillers municipaux élus au premier tour, leur mandat de conseiller communautaire étant, le cas échéant, également prorogé jusqu'à cette même date, et d’autre part,  que dans les communes, autres que celles-ci-dessus, pour lesquelles le conseil municipal n'a pas été élu au complet, les conseillers municipaux en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu'au second tour tout comme, le cas échéant, leur mandat de conseiller communautaire.

Les requérants, qui contestent le résultat des élections de La Brigue (Alpes-Maritimes) estiment que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe de sincérité du scrutin.

Le Conseil d’État y aperçoit une question présentant un caractère sérieux et justifiant son renvoi au Conseil constitutionnel qui devra, semble-t-il, statuer bien avant l’expiration du délai organique de trois mois qui lui est normalement imparti.

(25 mai 2020, M. X. et autres, n° 440217)

(35) V. aussi, à propos d’une demande d’annulation du premier tour des élections municipales de Juvignac (Hérault), tenu le 15 mars 2020, le renvoi de la QPC décidé par le Conseil d’État motif pris de ce que si le Conseil constitutionnel a d’abord déclaré les dispositions contestées (art. L. 262 code électoral) conformes à la Constitution, dans leur rédaction applicable aux communes de 3500 habitants et plus, dans sa décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982, puis, postérieurement à la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, qui a complété l'article 4 de la Constitution, s’est, par la décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013  également prononcé sur l'abaissement aux communes de 1000 habitants et plus du champ d'application de ces dispositions, le contexte inédit dans lequel s'est déroulé, sur l'ensemble du territoire national, le scrutin du 15 mars 2020, qui a conduit, en particulier, à l'adoption de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, dont les articles 19 et 20 portent sur ce scrutin, doit être regardé comme caractérisant un changement des circonstances susceptible de justifier le réexamen de la conformité de l'article L. 262 du code électoral à la Constitution.

En particulier, le juge estime que soulève une question présentant un caractère sérieux le moyen tiré de ce que les dispositions du premier alinéa de cet article portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment aux articles 3 et 4 de la Constitution, en raison de l'absence d'exigence pour les communes concernées, pour procéder à la répartition des sièges dès le premier tour, que les suffrages recueillis par la liste arrivée en tête correspondent non seulement à la majorité absolue des suffrages exprimés mais aussi à une part minimale du nombre d'inscrits (25 mai 2020, Mme X., n° 440335).

(36) V. aussi, à propos des élections municipales du 15 mars 2020 mais dans un autre registre, l’immanquable rejet d’une requête, introduite le 13 mai 2020, qui demandait au juge des référés du Conseil d’État d’enjoindre au Premier ministre de ne pas prendre le décret devant, sur le fondement du III de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020, fixer la date à laquelle les « conseillers municipaux et communautaires élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction » alors que le décret du 14 mai 2020 a fixé au 18 mai 2020 la date à laquelle les conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dans lesquelles le conseil municipal a été élu au complet lors du scrutin organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction. Les conclusions de cette requête ne pouvaient être que rejetées, par application de la procédure expédiente de l'article L. 522-3 du CJA (ord. réf. 25 mai 2020, M.X., n° 440624).

(37) V. encore, à propos du rejet, comme étant devenu depuis sans objet, d’un recours en suspension de  l'exécution du décret n° 2020-571 du 14 mai 2020 définissant la date d'entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dont le conseil municipal a été entièrement renouvelé dès le premier tour des élections municipales et communautaires organisé le 15 mars 2020, d’une part, car il ne pouvait être procédé à l'installation des conseils municipaux élus au complet lors du premier tour des élections municipales en raison du caractère insincère de ce scrutin, comme en atteste le taux anormal de participation et, d’autre part, car - en tout état de cause -, le décret attaqué est illégal dès lors qu'il ne pouvait être procédé à l'installation des conseils municipaux dès le 18 mai 2020, et donc aux rassemblements des élus, sans méconnaître les exigences sanitaires de nature à éviter toute propagation du virus Covid-19 : ord. réf. 26 mai 2020, Association 50 millions d'électeurs et autres, n° 440652.

 

Environnement

 

38 et 39 - Covid-19 - Pesticides - Régime de l’épandage - Distances minimales - Dérogation temporaire - Projet de charte soumis à concertation publique - Absence d’urgence - Non-lieu à statuer pour le surplus.

Était demandée par les associations requérantes la suspension de l’exécution :

1° d’une instruction technique du 3 février 2020 permettant à certaines conditions des mesures de réduction des distances en matière d’épandage ;

2° d’un communiqué de presse du 30 mars 2020 relatif aux « Distances de sécurité pour les traitements phytopharmaceutiques à proximité des habitations », portant réduction des distances dès lors que la concertation aura été lancée et sans attendre sa validation, sous condition d’utilisation d’un matériel performant ;  

3° de la note « Éléments de mise en œuvre », dans sa version du 30 mars 2020, mise en ligne sur le site internet du ministère de l'agriculture, ayant un objet similaire à ceux des autres actes contestés.

Ces trois demandes de suspension sont rejetées chacune pour des motifs différents.

L’instruction technique du 3 février 2020 permet aux agriculteurs, à certaines conditions, lorsqu'un projet de charte d'engagements a été effectivement élaboré, d'appliquer les distances minimales réduites prévues par l'arrêté du 27 décembre 2019 à condition de respecter les mesures prévues par la charte, sans attendre l'approbation de la charte par le préfet. Cette application anticipée dérogatoire ne courant que jusqu'au 30 juin 2020, est justifiée par son auteur par l'omission dans le décret du 27 décembre 2019 comme dans l'arrêté du même jour, de tout dispositif transitoire alors que l'élaboration des chartes prendra plusieurs mois et que l'utilisation des pesticides est particulièrement importante pour les exploitations agricoles pendant la période du printemps. Pour nier qu’il y ait urgence en raison d’un risque imminent en l’espèce, le juge retient, d’une part, que les distances minimales en cause sont conformes aux préconisations de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail dans son avis du 4 juin 2019 au vu duquel a été pris l'arrêté, avis qui est fondé sur des calculs d'exposition des riverains aux produits en cause lorsqu'ils sont effectivement présents à leur domicile au moment de leur épandage, comme c'est particulièrement le cas dans la période actuelle où sévit le Covid-19, et d’autre part, que l’application du contenu du projet de charte sans attendre son approbation par le préfet, « n'a ni pour objet ni pour effet de priver les populations concernées de l'information à laquelle elles ont droit sur l'existence et le contenu d'un projet de charte ni du bénéfice d'une concertation effective avant l'approbation du projet de charte par le préfet ». 

S’agissant des deux autres demandes de suspension (communiqué de presse et note),  il résulte notamment des précisions apportées dans la « foire aux questions » mise en ligne le 13 mai sur le site internet du ministère de l'agriculture, dans sa version en date du 13 mai, que, avec la levée du confinement intervenue le 11 mai, « la concertation des chartes va pourvoir rependre » et que « dans ce cadre, les distances de sécurité pourront être réduites, conformément à l'arrêté du 27 décembre 2019 et à l'instruction technique du 3 février 2020, par l'engagement d'une concertation dans les conditions prévues par le code rural et de la pêche maritime ». Dès lors ne demeure plus en vigueur que la dérogation résultant de l'instruction précitée du 3 février 2020, qui ne permet de procéder à des épandages de pesticides à une distance de sécurité réduite qu'à condition de la faire conformément à un projet de charte pour lequel la concertation publique a été effectivement lancée.

Il n’y a donc plus lieu de statuer sur la demande de suspension de ces deux actes.

(ord. réf. 15 mai 2020, Association Générations Futures et autres, n° 440211)

(39) V. aussi, voisin (et réitérant les termes d’une précédente ordonnance du 14 février 2020, n° 437814  avec même requérant qu’au n° 38 ci-dessus), le rejet du recours tendant à la suspension  de l'exécution du décret du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d'habitation et ensemble, de l'arrêté du 27 décembre 2019, fondé sur une étude portant sur les effets de distance de l’épandage de pesticides sur des cultures horticoles aux Pays-Bas, le juge estimant que ses résultats - limités au cas très spécifique de l’horticulture -, tout comme une étude italienne également invoquée par les requérants, ne sont pas de nature à invalider l'avis rendu sur ce sujet par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail le 4 juin 2019 qui recommandait les distances minimales de sécurité que l'arrêté du 27 décembre 2019 a retenues : ord. réf. 15 mai 2020, Collectif des maires antipesticides, n° 440346.

 

État-civil et nationalité

 

40 - Etranger - Refus d’entrée sur le territoire français - Maintien en zone d’attente - Interrogations sur la nationalité de l’intéressée - Injonction de permettre son entrée en France dans l’attente d’une décision du juge civil sur sa nationalité -Confirmation.

La requérante, apparemment de nationalité comorienne, mais la chose n’est point établie, s’est vu notifier, à son arrivée à l’aéroport de La Réunion, deux décisions du ministre de l'intérieur portant refus d'entrée sur le territoire français et maintien en zone d'attente. Mère d’un enfant de nationalité française par son père se trouvant à La Réunion où résident également sa mère, son frère et sa sœur, elle a sollicité et obtenu du juge des référés du tribunal administratif la suspension des deux arrêtés attaqués. Le ministre de l’intérieur a, en vain, interjeté appel de cette ordonnance.

Le Conseil d’État juge satisfaite la condition d’urgence et estime qu’à raison de son très jeune âge (moins de quatre ans) son fils ne pourrait pas rejoindre sa mère seul. Les décisions litigieuses portent ainsi une atteinte manifestement grave et illégale au droit de l’intéressée au respect de sa vie privée et familiale en l'empêchant de rejoindre son fils pour repartir sans délai avec lui à Mayotte, en l'absence d'un droit au séjour de l'intéressée à La Réunion.

(ord réf. 13 mai 2020, Ministre de l’intérieur, n° 439118)

 

Fonction publique et agents publics

 

41 à 44 - Covid- 19 - Fonctionnaires et agents publics - État d’urgence sanitaire - Personnels en autorisation spéciale d’absence - Prise obligatoire de jours de réduction de temps de travail (RTT) ou de congés annuels - Ordonnance du 15 avril 2020 - Rejet.

L’ordonnance n° 2020-430 du 15 avril 2020 (relative à la prise de jours de réduction du temps de travail ou de congés dans la fonction publique de l'État et la fonction publique territoriale au titre de la période d'urgence sanitaire), dans son article 1er, fait obligation en particulier aux fonctionnaires, agents contractuels de droit public et personnels ouvriers de l'État en autorisation spéciale d'absence entre le 16 mars 2020 et le terme de l'état d'urgence sanitaire ou, si elle est antérieure, la date de reprise par l'agent de son service dans des conditions normales, de prendre dix jours de réduction du temps de travail ou de congés annuels au cours de cette période, selon des conditions qu’il précise.

L'article 2 de l’ordonnance permet en outre au chef de service d'imposer aux personnels appartenant à ces catégories mais étant en télétravail ou assimilé entre le 17 avril 2020 et le terme de l'état d'urgence sanitaire ou, si elle est antérieure, la date de reprise de l'agent dans des conditions normales, de prendre cinq jours de réduction du temps de travail ou, à défaut, de congés annuels au cours de cette période.

Enfin, l'article 5 donne également au chef de service la possibilité de réduire le nombre de jours de réduction de temps de travail ou de congés annuels imposés en particulier au titre des articles 1er et 2 pour tenir compte du nombre de jours pendant lesquels l'agent a été placé en congés de maladie pendant la période considérée.

Les divers syndicats requérants demandent au juge des référés du Conseil d’État la suspension de l’exécution de ces dispositions.

Les requêtes jointes sont rejetées selon un raisonnement en trois points.

En premier lieu, les dispositions contestées ne contreviennent pas à la hiérarchie des normes applicables en l’espèce : atteintes droit au repos et aux loisirs garanti par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, au droit au respect des biens garanti par l'article 1er du protocole additionnel à la CEDH, au paragraphe 2 de l'article 31 de la charte des droits fondamentaux de l’UE qui reconnaît le droit de tout travailleur à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés, à l'article 7 de la directive 2003/88 du 4 novembre 2003 du Parlement européen et du Conseil concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail qui prévoit que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines ainsi qu'en tout état de cause à l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État qui institue un droit à congé annuel avec traitement dont la durée est fixée par décret en Conseil d’État. Il en va de même du moyen tiré de ce que ces dispositions porteraient atteinte à la liberté personnelle des agents publics.

En deuxième lieu, la distinction opérée par l’ordonnance entre trois catégories d’agents : ceux qui sont dans l'impossibilité d'effectuer leur service, placés à ce titre en autorisation spéciale d'absence en raison de l'épidémie et qui relèvent de ce fait des obligations définies à l'article 1er, ceux qui effectuent un service « en télétravail ou assimilé » et dont, en vertu de l'article 2, l'obligation de prendre des jours de réduction du temps de travail ou de congés, limitée à cinq jours, dépend en outre des nécessités du service appréciées, au cas par cas, par l'autorité compétente et enfin les autres agents, qui ne sont soumis à aucune des obligations prévues à ces articles, n’institue que des différences de traitement entre différentes catégories d'agents correspondant à des différences de situation en rapport avec l'objet de la règle. Pas davantage ne se perçoit au travers de ces dispositions une discrimination indirecte envers les femmes, qui auraient majoritairement renoncé au télétravail ou à un service sur leur lieu de travail afin de s'occuper d'enfants privés d'école. Ces diverses mesures sont suscitées par l’épidémie seule et la nécessité de la combattre.

Enfin, il est constant, tout d’abord, qu’à l'instar d'une grande partie de la population, de nombreux agents publics ont été, à compter du 16 mars 2020, dans l'impossibilité de travailler et, de ce fait, ont bénéficié d'une situation statutaire d'autorisation spéciale d'absence avec rémunération sans obligation de service, et ensuite que les mesures adoptées visent à permettre une mobilisation optimale des agents au moment de la reprise d'activité. Il n’y a pas, là non plus, d’atteinte au principe de juridicité gouvernant les décisions de l’administration.

(ord. réf. 12 mai 2020, Syndicat national Solidaires Finances publiques, n° 440285 ; Confédération générale du travail (CGT), la fédération des services publics - CGT et l'union fédérale des syndicats de l'État - CGT, n° 440291 ; Fédération CFDT des Finances et autres, n° 440325, jonction)

(42) V. aussi, rejetant un recours fondé notamment sur ce que l'ordonnance précitée du 15 avril 2020 permettrait de placer d'office les agents en congés annuels à des dates fixées unilatéralement ce qui porterait une atteinte grave et manifestement illégale au droit aux congés annuels payés faute de la consultation préalable du conseil commun de la fonction publique et d’une habilitation du gouvernement par le législateur à fixer des règles relatives aux congés des agents publics : ord. réf. 12 mai 2020, Syndicat UATS-UNSA, n° 440252.

(43) V. également, rejetant le recours dirigé contre l'article 13 de l’ordonnance dispensant, sous condition, les projets de textes réglementaires de toute consultation préalable obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire, à l'exception de celles du Conseil d’État et des autorités saisies pour avis conforme, au double motif que la dispense en cause trouve son fondement non dans les dispositions contestées mais dans les dispositions du II de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020, et que, de toute façon, cette dispense est sans incidence sur le droit aux congés des agents relevant du champ d'application de l'ordonnance du 15 avril 2020 : ord. réf. 12 mai 2020, Confédération générale du travail - CGT et autres, n° 440419.

(44) Voir encore le rejet d’un recours dirigé contre ces mêmes dispositions et fondé sur le défaut de consultation du conseil commun de la fonction publique, la méconnaissance du droit au respect de la vie privée, du droit au repos et aux loisirs ainsi que du principe d'égalité. : ord. réf. 19 mai 2020, Fédération des personnels des services publics et des services de santé Force ouvrière, n° 440459.

 

45 - Covid-19 - Fonctionnaires et agents publics des directions interdépartementales des routes et d'autres services publics placés sous la tutelle du ministère de la transition écologique - Demande de définition des activités essentielles à la vie de la nation - Plans de continuité d'activité en temps d’épidémie - Documents uniques d'évaluation des risques professionnels - Demandes d’harmonisation et d’actualisation sur l’ensemble du territoire - Rejet.

Des organisations syndicales demandaient, outre la fourniture de masques adéquats aux agents concernés, que soit élaborée une définition précise de la notion d’activités essentielles à la vie de la nation et, en conséquence, l’harmonisation et l’actualisation des plans de continuité d'activité en temps d’épidémie ainsi que, subsidiairement, l’actualisation des documents uniques d'évaluation des risques professionnels. 

Le juge du référé liberté du Conseil d’État rejette leur requête sur chacun des deux chefs principaux de demandes.

Tout d’abord, il est répondu que quelle que puisse être l'étendue de l'appui qui lui est apporté par le plan de continuité d'activité, chaque chef de service conserve la charge de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous son autorité. Ainsi, la circonstance que la crise sanitaire en cours aurait révélé un besoin d'harmonisation et d'actualisation des plans de continuité mis en œuvre à cette occasion ne saurait caractériser aucune carence de l'administration portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie des agents.

Ensuite, s’agissant des documents uniques d'évaluation des risques professionnels, il résulte des dispositions des art. L. 4121-1 et L. 4121-3 ainsi que de celles des art. R. 4121-1, 4121-2 et 4121-4 du code du travail que le virus SARS-CoV2, alors même qu'il n'a pas à ce jour été ajouté à la liste des agents biologiques pathogènes établie en application de l'article R. 4421-4 du code du travail, figurant au sein des dispositions du code du travail relatives à la prévention des risques biologiques, est susceptible d'être ainsi qualifié, au même titre que d'autres coronavirus mentionnés sur cette liste, et qu'en tout état de cause, son apparition peut, eu égard à son caractère pathogène et particulièrement contagieux, être regardée comme correspondant au recueil d'une information supplémentaire intéressant l'évaluation d'un risque dans une unité de travail, imposant dès lors la mise à jour du document unique. Si, cependant, cette mise à jour,  bien qu'engagée, n'est pas à ce jour achevée, compte tenu de la procédure lourde qu'elle comporte, il résulte de l'instruction que le ministre a néanmoins mis en œuvre son obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale à l'égard des agents, notamment concernant ses obligations de prévention, d'information et d'adaptation de l'organisation, en leur diffusant des consignes sanitaires, conformes aux mesures nationales et au protocole émis par le ministère du travail, et en les transmettant au comité ministériel d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. La circonstance que la mise à jour des documents uniques est déjà engagée mais pas encore achevée pour certains d'entre eux ne dispense nullement le ministère de mettre en œuvre les obligations de prévention, d'information et de formation, ainsi que d'organisation et de déploiement des moyens adaptés qui sont les siennes. Or, faute de défaillance de sa part constatée sur ce point, il ne saurait découler de cette situation une carence de l'administration portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie des agents.

(ord. réf. 18 mai 2020, Fédération de l'équipement, de l'environnement, des transports et des services - Force ouvrière (FEETS - FO) et autres, n° 440358)

 

46 - Militaire - Demande d’annulation d’une décision administrative par voie de référé liberté - Non-versement de sa solde - Demande de congé de longue durée - Invocation d‘une situation de harcèlement - Rejet de l’appel.

Le juge des référés du Conseil d’État était saisi d’un appel dirigé contre le rejet, par le tribunal administratif de Toulon d’une demande en référé liberté que lui avait transmise la présidente de la CAA de Marseille.

La partie du recours tendant à l'annulation de la décision par laquelle le paiement de sa solde a été suspendue et à la restitution des sommes qui, du fait de l'intervention de cette décision, ne lui ont pas été versées du 22 janvier au 30 avril 2020, avait été rejetée par le premier juge comme ne relevant pas de son office. Ce rejet et ce raisonnement sont confirmés en appel, le juge du référé liberté, comme tout autre juge de référé, demeure un juge du provisoire (cf. les termes dont use l’art. L. 511-1 CJA).

La partie du recours tendant, à la fois, à la suspension de l'exécution de la décision interrompant le versement de la solde du requérant, au réexamen de sa demande de congé de maladie de longue durée et à ce qu’il soit mis fin à la situation de harcèlement moral dont il se prévaut, avait été rejetée par le premier juge des référés pour défaut d'urgence, absence d'identification claire des mesures de nature à mettre fin au harcèlement moral, harcèlement qu’il jugeait non établi. Le juge d’appel confirme cette ordonnance. Il estime, d’une part, que l’invocation par le requérant du droit à mener une vie familiale normale, des charges qui seraient les siennes chaque mois, mais qu’il n’établit pas, et du montant du solde débiteur de son compte bancaire à la date du 21 avril 2020, sans fournir d'autre justificatif des difficultés financières qu'il allègue, et d'autre part, que la circonstance que le harcèlement moral dont il fait état durerait depuis plusieurs années et a déjà donné lieu à diverses procédures contentieuses ne permettent pas  de juger que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif a considéré qu'il ne justifiait pas de l'urgence qu'il y aurait à prendre les mesures qu'il demande.

(ord. réf. 18 mai 2020, M.X., n° 440538)

 

47 - Covid-19 - Fonction publique hospitalière - Heures supplémentaires - Autorisation donnée aux établissements hospitaliers de déplafonner les heures supplémentaires autorisées - Mesure d’organisation du service - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort - Rejet.

(ord. réf. 26 mai 2020, Syndicat CGT de l'hôpital Beaujon AP-HP, n° 439209) V. n° 3

 

48 - Fonctionnaire de police - Fonctionnaire en poste à Marseille - Candidature à un emploi au sein de la police municipale de Bordeaux - Controverse juridique entre administrations d’État et locale sur les conditions du recrutement - Procédure de recrutement suspendue ou abandonnée - Absence d’atteinte à une liberté fondamentale - Rejet du référé liberté.

Le requérant, fonctionnaire de la police nationale à Marseille, a suivi une procédure qui devait normalement conduire à son recrutement dans la police municipale à Bordeaux. Celle-ci est interrompue par suite d’une divergence d’interprétation des textes applicables (notamment sur l’art. L. 511-2 code de la sécurité intérieure). La direction générale de la police nationale conditionnait le détachement de l’intéressé à son agrément préalable par le préfet et par le procureur de la République, la commune estimait, pour sa part, que le détachement devait être prononcé avant qu'elle puisse procéder à la demande d'agrément, puis à la nomination du demandeur dans l'emploi qui lui était destiné.

L’intéressé saisit, en vain, le juge du référé liberté tant en première instance qu’en appel. En effet, dès lors qu’il n’est pas privé de son emploi au sein de la police nationale et que sa famille peut le rejoindre à Marseille, aucune atteinte n’est portée à une liberté fondamentale dont il pourrait se prévaloir, ainsi que l’a pertinemment jugé le premier juge des référés.

(ord. réf. 25 mai 2020, M. X., n° 440707)

 

49 - Enseignant de l’enseignement supérieur - Recrutement - Respect du principe d’impartialité - Recrutement dans le cadre de compétences communes à un très petit nombre de spécialistes - Avis défavorable, pour défaut d‘impartialité, du conseil d‘administration d’une université à une liste de candidats à un emploi établie par un conseil académique - Annulation.

La requérante obtient l’annulation de l’avis défavorable émis par le conseil d’administration de l’université de Bordeaux, pour cause de défaut d‘impartialité, au classement des candidats établi par le conseil académique compétent et dans lequel elle figurait au titre d’un emploi de professeur des universités à pourvoir en histoire du droit.

Le Conseil d’État retient le faible nombre de spécialistes de la discipline pour estimer que n’est pas établi en l’espèce le défaut d’impartialité allégué par le conseil d’administration de l’université, à savoir que la requérante « et les membres du comité de sélection ont participé ensemble, à plusieurs reprises, à divers colloques ou journées d'étude consacrés à l'histoire du droit, que plusieurs des membres du comité de sélection étaient membres du comité de rédaction d'une revue relative à l'histoire du droit dont Mme X. est la rédactrice en chef ou avaient publié avec elle des contributions dans différents ouvrages et que Mme X. a également publié une contribution dans un ouvrage dont la publication était dirigée par un membre du comité de sélection. Par ailleurs, il est soutenu que Mme X. aurait figuré sur la même liste de membres élus au Conseil national des universités que deux membres du comité de sélection. Les liens résultant de ces relations professionnelles entre Mme X. et les membres du comité de sélection, dans une discipline qui compte peu de spécialistes, ne pouvaient à eux seuls, dans les circonstances de l'espèce, être regardés comme révélant une collaboration scientifique dont l'étroitesse aurait fait obstacle à ce que ces membres participent régulièrement au comité de sélection pour se prononcer sur les mérites de la candidature de Mme X. »

La délibération attaquée est annulée en ce qu’elle est fondée sur une erreur d’appréciation.

On ne peut se défaire d’un certain sentiment mitigé devant un dossier qui, comme beaucoup d’autres en matière de recrutements universitaires, est susceptible d’interprétations passablement divergentes.

(29 mai 2020, Mme X., n° 424367)

 

50 - Adjointe territoriale du patrimoine - Refus de promotion dans le cadre d'emplois des assistants territoriaux de conservation du patrimoine - Allégation de discrimination pour motif d’appartenance et d’activités syndicales - Analyse du juge - Rejet.

Il s’agit ici d‘une affaire délicate où une fonctionnaire territoriale qui n’a pas fait l’objet de la promotion interne qu’elle sollicite depuis une vingtaine d’années veut faire dire par le juge qu’elle est victime d’une discrimination à raison de ses fonctions de secrétaire syndicale. Après rejet par le tribunal administratif de la demande d’annulation présentée par l’intéressée puis cassation de ce jugement et réitération par les premiers juges de la solution contenue dans leur précédent jugement, le Conseil d’État casse à nouveau, pour vice de procédure, ce second jugement ; il se trouve donc conduit à statuer définitivement sur le fond du litige (cf. art. L. 821-2 CJA).

Sa décision est intéressante en ce qu’elle illustre le degré de finesse dans l’analyse de ces toujours délicates affaires de discrimination où la preuve, tout en jouant un rôle capital est en même temps aussi difficile à rapporter par le demandeur que l’est la « non-preuve » par le défendeur. D’où une solution balancée du juge qui impose à chacune des deux parties d’établir, chacune pour sa part, qu’elle a subi une discrimination ou qu’elle n’a rien fait en ce sens.

Le juge détaille ici longuement les indices en faveur de l’existence d’une discrimination puis, de façon tout aussi détaillée, les arguments de défense de l’administration pour repousser les apparences de discrimination. Nous avouerons être dubitatifs au terme de cette analyse.

Au total, la requérante est déboutée.

(29 mai 2020, Mme X., n° 422294)

 

Libertés fondamentales

51 - Covid-19 - Liberté d’aller et de venir - Détermination du moyen de transport utilisé - Licéité de l’usage de la bicyclette - Absence d’interdiction en droit - Rejet.

Usant de la procédure de l’art. L. 521-1 CJA, le requérant demandait la suspension de  l'exécution de la décision d'interdire aux adultes d'utiliser une bicyclette pour les déplacements prévus au 5° du I de l'article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19, révélée par la publication, sur le site internet du gouvernement, de la réponse à une question intitulée « Puis-je continuer de faire une sortie en vélo ? ».

Comme il l’avait déjà indiqué dans une précédente décision (ord. réf. 30 avril 2020, Fédération française des usagers de la bicyclette, n° 440179 ; cf. notre chronique d’avril 2020 au n° 44), le juge rappelle que l'usage, pour un déplacement qu'autorise la disposition précitée, d'un moyen de déplacement particulier, notamment d'une bicyclette, ne saurait, à lui seul, caractériser une violation de l'interdiction qu'elle édicte.

Constatant ensuite, qu’il résulte de l'instruction que le gouvernement a adopté sur son site, à la date où est rendue la présente ordonnance, une position strictement conforme au principe susrappelé, il juge que désormais devenues sans objet, les conclusions de la requête ne peuvent qu’être rejetées.

En réalité, le contenu du site du gouvernement était bien, au moment où le requérant a introduit sa demande (20 et 25 avril 2020), celui qu’il décrit dans son recours, cependant, en cours d’instance, exécutant la décision précitée du Conseil d’État, le premier ministre a modifié ce contenu conformément à ce que le juge lui avait enjoint.

(ord. réf. 4 mai 2020, M. X., n° 440173) V. aussi cette Chronique, avril 2020, n° 44

 

52 - Covid-19 - Principe de neutralité de l’action publique - Labellisation d'articles de presse sur un site officiel du gouvernement - Ingérence dans plusieurs libertés fondamentales dont celle de la presse - Rejet.

(ord. réf. 8 mai 2020, Syndicat national des journalistes, n° 440388) V. n° 1

 

53 - Covid-19 - Liberté fondamentale d’aller et de venir - Liberté personnelle de déplacement - Liberté de circulation dans l’Union européenne - Limitation de cette liberté à un rayon de cent kilomètres - Différence de traitement entre nationaux et ressortissants étrangers - Caractère prétendument aléatoire des décisions susceptibles d’être prises - Rejet.

Le requérant sollicitait du juge des référés qu’il ordonne au premier ministre la suspension de l'exécution de l'article 3 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ou sa mise en conformité avec la directive 2004/38/CE du 29/04/2004.

Le recours est rejeté.

Le juge estime tout d’abord que l’art. 3 litigieux ne viole pas le droit fondamental à la liberté de circulation dans l'Union européenne tel qu'il est notamment garanti par l'article 45 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004, du fait que, notamment, il interdit aux Français situés à plus de 100 km d'un aéroport international ou d'une frontière de sortir de France pour se rendre dans un autre État membre car si ces dispositions restreignent la liberté personnelle de circulation, elles n'ont pas pour objet, ni d'ailleurs pour effet, d'empêcher l'accès à tout aéroport (cf. l’art. 5 du même texte), cet article 3 n'a pas davantage pour objet, par lui-même, de réglementer ou d'interdire la sortie du territoire national, ni de restreindre le droit de circulation des citoyens de l'Union désireux de se rendre dans un autre État membre.

Pas davantage la disposition critiquée n’introduit par elle-même des différences entre personnes situées dans les mêmes conditions de résidence : elle ne crée donc pas par voie de conséquence une rupture d'égalité devant la loi, en particulier la loi pénale. Quant à l’argument selon lequel ces dispositions autoriseraient l'intervention de « mesures aléatoires » compte tenu du pouvoir d'appréciation laissé aux préfets de département et du classement des départements en zone rouge ou verte par l'annexe 2 au décret en litige, il est également rejeté : le préfet peut adopter des conditions de déplacement plus restrictives à l'intérieur d'un département lorsque les circonstances locales l'exigent, ces mesures plus restrictives ne sont pas « aléatoires ». Au reste, il est toujours possible d’en saisir la juridiction administrative.

Également, il ne ressort ni des dispositions de l'article 3 qui s'appliquent à tous les départements sans distinction, ni des allégations du requérant que les Français situés dans les départements classés en zone rouge en vertu de l'annexe 2 au décret seraient plus exposés aux sanctions pénales, en particulier celles prévues à l'article L. 3136-1 du code de la santé publique, que les Français résidant dans les départements classés en zone verte compte tenu des restrictions de déplacement prévues.

Enfin, il ne saurait être soutenu que l'article 3 introduirait une rupture d'égalité entre les Français et les étrangers dès lors que ces derniers entrant sur le territoire national pourraient circuler sans restriction tandis que les Français souhaitant sortir du territoire national ne pourraient le faire sans se prévaloir d'un des motifs énoncés à cet article et seraient les seuls à subir les sanctions pénales en cas de manquement aux interdictions ou obligations édictées par l'article 3 du décret. Une telle distinction entre Français et étrangers ne ressort pas des dispositions de l'article 3 contesté, ni d'ailleurs des autres dispositions du décret, dès lors que les règles énoncées à cet article s'appliquent à toute personne cherchant à se déplacer de « son lieu de résidence » situé dans un des départements.

Le juge ajoute, pour faire bonne mesure et l’on sera plus dubitatif sur ce point, qu’« un étranger entrant sur le territoire national et cherchant à rejoindre un lieu de résidence situé dans un département se trouve placé dans une situation différente (de) celle d'une personne déjà installée en France et se déplaçant depuis son lieu de résidence.

(ord. réf. 25 mai 2020, M. X., n° 440565)

 

54 - Covid-19 - Cas de la Guadeloupe - Mise en quarantaine des personnes arrivant sur ce territoire insulaire - Quarantaine dans un lieu dédié - Atteintes à des libertés fondamentales - Atteintes proportionnées et justifiées - Rejet.

L’organisation requérante demandait en appel l’annulation du rejet par le juge des référés de première instance de sa demande de suspension de l'exécution de l'arrêté par lequel le préfet de la Guadeloupe a décidé le placement en « quarantaine » stricte, pour une durée de quatorze jours, des personnes entrant en Guadeloupe en provenance de Paris, de Fort-de-France et de Cayenne, hors cas de transit, dans une structure d'hébergement hôtelière. 

Le juge rappelle que les mesures que les autorités compétentes prennent pour prévenir ou limiter les effets de l'épidémie de Covid-19, si elles peuvent limiter l'exercice des droits et libertés fondamentaux, c’est à la condition qu’elles soient nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif de sauvegarde de la santé publique qu'elles poursuivent.

Le juge vérifie d’abord le caractère nécessaire de la mesure attaquée. Il note que 52 % des cas confirmés de contamination par le virus sont liés à des arrivées de personnes venant de l'extérieur de la Guadeloupe et que le confinement de ces arrivants est une alternative au confinement généralisé du fait de l’insularité. La mesure lui apparaît nécessaire.

Concernant son caractère adapté et proportionné, dans la mesure où le confinement dans domicile, mesure existant jusqu’alors, n’était qu’imparfaitement respecté, le juge estime que la quarantaine de quatorze jours en un lieu assigné satisfait cette double exigence.

Enfin, d’une part, la dispense de cette mesure au profit des personnels sanitaire et de l’État arrivant sur l’île ne semble pas excessive au regard de l’objectif à atteindre et, d’autre part, il est constant que les personnes sous quarantaine ont un accès normal aux soins, en cas de nécessité, comme au juge.

La requête est rejetée.

(5 mai 2020, Ordre des avocats au barreau de la Guadeloupe, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, n° 440288)

 

55 - Covid-19 - Contrôle du respect des règles de confinement - Utilisation de drones par la préfecture de police de Paris - Capture et utilisation d’images - Recueil de données à caractère personnel - Respect de la vie privée - Annulation de l’ordonnance de rejet.

(ord. réf. 18 mai 2020, Association " La Quadrature du Net ", n° 440442 ; Ligue des droits de l’homme, n° 440445, jonction) V. n° 72

 

56 - Covid-19 - Prolongation de la durée légale de la détention provisoire - Atteintes à diverses libertés fondamentales - Absence de rétroactivité de l’acte attaqué - Prorogation des délais de détention provisoire - Rejet.

Le requérant, actuellement en détention provisoire, demande la suspension, sur le fondement de l’art. L. 521-1 CJA (référé suspension), d’une part, de l'exécution de l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi d’habilitation du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, et, d’autre part,  de l'exécution de la circulaire du 26 mars 2020 (direction des affaires criminelles et des grâces) présentant les dispositions de l’art. 16 précité. 

Sa requête est rejetée pour un triple motif.

D’abord, l’ordonnance est conforme aux termes du d) du 2° du I de l'article 11 de la loi d’habilitation du 23 mars 2020 en ce qu’elle permet la prolongation de ces mesures au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne intéressée et de son avocat.

Ensuite, l’ordonnance s'est bornée à allonger les délais de détention provisoire en matière correctionnelle et criminelle sans apporter d'autre modification aux règles du code de procédure pénale qui régissent le placement et le maintien en détention provisoire. Elle a, en outre, précisé que ces prolongations ne s'appliquent qu'une seule fois au cours de chaque procédure et rappelé qu'elles s'entendent sans préjudice de la possibilité pour la juridiction compétente d'ordonner à tout moment, d'office, sur demande du ministère public ou sur demande de l'intéressé, la mainlevée de la mesure.

Enfin, l’ordonnance s'appliquant à des détentions provisoires en cours ou débutant à la date de sa publication, elle est dépourvue de portée rétroactive.

Par suite, n’existe pas de doute sérieux quant à la légalité de l’art. 16 de l’ordonnance attaquée tant au regard du droit à la sûreté garanti par les articles 2 de la Déclaration de 1789, 5 de la CEDH et 6 de la Charte des droits fondamentaux de l'UE et qu’à celui du principe de sécurité juridique ou encore au regard du moyen tiré de la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice ; pas davantage, cet article  ne viole l'interdiction de soumettre quiconque à des traitements inhumains ou dégradants. 

Pour ce qui est de la circulaire, se bornant à expliciter l’ordonnance et à en décrire les conséquences nécessaires, il n’existe pas davantage de doute sérieux sur sa légalité par rapport à l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020, au droit à la sûreté et au droit au respect de la présomption d'innocence, garanti notamment par l'article 48 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE et par la directive du 9 mars 2016.

On comparera cette décision avec la solution inverse retenue par la chambre criminelle de la Cour de cassation qui voit dans ces dispositions matière à QPC (arrêts n° 974, X. c/ Proc. gén. près la Cour de Paris, - n° 20-81.910 -   et n°977, X. c/ Proc. gén. près la Cour de Grenoble, - n° 20-81.971 - du 26 mai 2020) et qui écrit, concernant l’art. 16 querellé par rapport aux exigences de l’art. 5 de la Convention EDH :

 « 38. D’une part, l’article 16 maintient, de par le seul effet de la loi et sans décision judiciaire, des personnes en détention, au delà de la durée du terme fixé dans le mandat de dépôt ou l’ordonnance de prolongation, retirant ainsi à la juridiction compétente le pouvoir d’apprécier, dans tous les cas, s’il y avait lieu d’ordonner la mise en liberté de la personne détenue. 

39. D’autre part, ce même texte conduit à différer, à l’égard de tous les détenus, l’examen systématique, par la juridiction compétente, de la nécessité du maintien en détention et du caractère raisonnable de la durée de celle-ci.

40. Or, l’exigence conventionnelle d’un contrôle effectif de la détention provisoire ne peut être abandonnée à la seule initiative de la personne détenue ni à la possibilité pour la juridiction compétente d’ordonner, à tout moment, d’office ou sur demande du ministère public, la mainlevée de la mesure de détention. »

(ord. réf. 6 mai 2020, M. X., n° 440166)

 

57 et 58 - Covid-19 - Liberté des cultes - Célébration publique du culte - Demande d’annulation de dispositions désormais abrogées - Non-lieu à statuer.

Il était demandé au juge, d’une part, d’annuler ou d’enjoindre au premier ministre d’abroger le IV de l'article 8 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire et d’autre part, d’annuler ou d'enjoindre au premier ministre d'abroger le III de l'article 8 du décret n° 2020-545 du 11 mai 2020, d'autoriser le culte public en édictant les actes réglementaires, circulaires et lignes directrices nécessaires à cet effet, et ce sur l'ensemble du territoire national.

La requête est rejetée car les dispositions contestées ayant été abrogées, respectivement par les décrets n° 2020-545 et n° 2020-548 du 11 mai 2020, leur objet a disparu ; il n’y a donc plus lieu de statuer sur ces demandes.

(ord. réf. 18 mai 2020, Association Civitas, n° 440361 ; Association Civitas, n° 440511, deux espèces, jonction)

(58) Dans le même sens : ord. réf. 18 mai 2020, Association cultuelle Fraternité sacerdotale Saint-Pierre et autres, n° 440519 ; ord. réf. 18 mai 2020, Association Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF) et autres, n° 440512

 

59 à 63 - Covid-19 - Liberté des cultes - Liberté fondamentale - Célébration publique du culte - Composante de la liberté de culte - Étendue en période d’épidémie - Conciliation entre liberté et protection de la santé publique - Injonction au premier ministre.

Les associations et personnes requérantes, dont les huit requêtes sont jointes, contestaient les modalités retenues par le gouvernement selon lesquelles peuvent être organisées les cérémonies religieuses, notamment dans les établissements de culte, en période d’épidémie. La réponse du juge, qui repose sur un fondement normatif un peu cahotant (I), est plutôt embarrassée (II).

 

I - La hiérarchie des normes applicables

Les requérants résidant ou agissant, les uns en Alsace-Moselle, les autres dans le reste de la France, le juge est ainsi conduit à se prononcer de façon différenciée en fonction des normes distinctement applicables à chacun de ces deux ensembles territoriaux, soit brevitatis causa, d’une part la convention du 26 messidor an IX conclue entre le Pape Pie VII et le gouvernement consulaire pour ce qui regarde l’Alsace-Moselle, et d’autre part la loi du 9 décembre 1905 pour le reste du territoire français.

Deux observations doivent être faites au sujet de la curieuse conception de la hiérarchie des normes dont fait usage ici le juge du référé liberté du Conseil d’État.

En premier lieu, en retenant comme support de son raisonnement, tout à la fois, cette dernière loi, qui ne concerne que la liberté de culte, et l’art. 10 de la Déclaration de 1789 comme l’art. 9 de la Convention EDH, qui visent, elles, notamment, la liberté de religion, opère sur le plan normatif un amalgame discutable qui oublie que la loi de 1905 est strictement subordonnée aux deux autres textes, surtout à la Convention EDH en tant que s’y incorpore l’immense jurisprudence développée sur ce point par la Cour de Strasbourg.

En second lieu, en écrivant : «(…) l’article 1er de la convention passée à Paris le 26 messidor an IX, entre le Pape et le gouvernement français, qui est applicable aux catholiques d'Alsace et de Moselle, dès lors que la convention a été promulguée et rendu exécutoire, avec ses articles organiques, comme lois de la République par la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes (…) », le juge soulève une importante difficulté juridique qui recouvre en réalité deux questions bien différentes, étant rappelé que si la loi de 1905 est applicable à tous les cultes, il n’en va pas de même en Alsace-Moselle.

D’une part, la loi de 1905 ne s’appliquant pas en Alsace-Moselle, il fallait déterminer la base juridique régissant ces départements en matière de liberté religieuse, d’autre part, et c’est là une tout autre question, il convenait de déterminer la hiérarchie des normes applicables.

Le juge des référés rappelle ici l’applicabilité de la convention entre le Saint-Siège et la France conclue le 15 juillet 1801, celle-ci ayant la nature juridique de traité international. Il indique également que cette convention est entrée en vigueur lors de sa promulgation, le 8 avril 1802, ainsi que les articles organiques, cette loi qualifiant la convention et lesdits articles de « lois » de la république.

Il y a là une erreur juridique.

Si les articles organiques sont un texte unilatéralement édicté par la France et peuvent bien être dits « lois » puisque le législateur en a décidé ainsi, en revanche, ce n’est pas le cas de la convention qui est un concordat donc un traité international. Les articles organiques ne peuvent donc pas « faire jeu égal » avec ce dernier et cela d’autant plus qu’ils n’ont pas le même objet (la convention ne régit que des rapports d’États concernant exclusivement le culte catholique, les articles organiques concernent, d’abord, les cultes catholiques et protestants puis, plus tard, juif) et qu’ils ont été pris contre l’assentiment du Pape.

Il suit de là qu’en tant que loi le texte de ces articles, pour ce qui regarde le seul culte catholique, ne peut en aucun cas valoir effet de droit en tout ce qui pourrait contredire, atténuer, modifier ou autre, les dispositions de la convention de 1801. Il est regrettable que, pour apprécier la régularité des décisions prises par le pouvoir de police en ce domaine, en période d’épidémie, le juge se soit fondé indifféremment sur l’un et l’autre textes alors qu’ils ne sont pas du tout ni homothétiques ni compatibles entre eux.

 

II - Le contrôle délicat exercé par le juge

Le juge qualifie de fondamentale - au sens et pour l’application de l’art. L. 521-2 du CJA - la liberté de culte et pose ensuite l’affirmation centrale de son ordonnance « Telle qu'elle est régie par la loi (i.e. la loi de 1905), cette liberté ne se limite pas au droit de tout individu d'exprimer les convictions religieuses de son choix dans le respect de l'ordre public. Elle comporte également, parmi ses composantes essentielles, le droit de participer collectivement, sous la même réserve, à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte. La liberté du culte doit, cependant, être conciliée avec l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. »

L’affirmation est doublement importante. Elle manifeste très clairement, en premier lieu, que les réunions cultuelles ne sont pas des réunions au sens du droit commun régissant la liberté de réunion, ce qui invalide en réalité le IV de l'article 8 du décret du 23 mars 2020 et le  III de l'article 8 du décret du 11 mai 2020, tous deux prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en tant qu’ils opèrent une assimilation complète de la réunion cultuelle à une réunion. Ceux-ci échappent cependant à la censure car ils étaient abrogés au moment où le juge a statué.  

L’affirmation rapportée ci-dessus manifeste aussi clairement, en second lieu, que la liberté religieuse n’est en rien assimilable à la liberté de conscience.

Au moins dans le cas du culte catholique, les cérémonies cultuelles sont donc une des « composantes essentielles » de la liberté religieuse, « essentielles », c’est-à-dire non pas « importantes » mais qui font partie de l’essence de cette liberté, laquelle, sans cela, ne saurait exister.

Analysant la requête dont il était saisi, le juge devait vérifier l’urgence à y statuer et l’atteinte grave à la liberté fondamentale ainsi rappelée.

Il estime tout d’abord qu’il y a bien urgence car la situation a notablement changé depuis le décret du 23 mars 2020 : si les fidèles peuvent se rendre individuellement dans les lieux de culte, ils ne peuvent ni s'y rassembler ni s'y réunir, à l'exception - très limitée au demeurant - des cérémonies funéraires. Les fidèles ne peuvent ainsi participer à des cérémonies non funéraires qui s'y tiennent à huis clos que par le biais de retransmissions audiovisuelles, y compris pour les importantes fêtes qui ont eu lieu au printemps dans les trois religions réunissant le plus grand nombre de fidèles en France. Par suite et eu égard à l'amélioration de la situation sanitaire ayant justifié le déconfinement, la condition d'urgence caractérisée, qui est prévue par divers textes ici applicables, doit être regardée comme remplie.

Il estime ensuite qu’il est porté une atteinte grave à la liberté de culte au terme d’une analyse très pragmatique.

 

A- Le caractère provisoirement justifié des mesures gouvernementales à l’endroit des cultes

Il relève d’abord qu’il est certain que tout rassemblement de personnes dans un lieu clos, restreint et  d’une durée prolongée, est de nature à favoriser la propagation d’un virus  - qui se transmet par voie respiratoire - en particulier dans le cadre de cérémonies de culte, qui sont des rassemblements ou des réunions exposant les participants à un risque de contamination, d’autant qu'elles s'accompagnent de prières récitées à haute voix ou de chants, de gestes rituels impliquant des contacts, de déplacements, ou encore d'échanges entre les participants, y compris en marge des cérémonies elles-mêmes. Il indique ensuite que les effets des facteurs de risque précités peuvent, toutefois, être atténués par les règles de sécurité qui sont appliquées au cours des rassemblements et réunions. Enfin, il rejette l’argument du ministre défendeur selon lequel un rassemblement religieux réunissant plus d'un millier de participants venus de toute la France entre le 17 et le 24 février 2020 près de Mulhouse a provoqué un nombre important de contaminations car, à cette date n’étaient pas connues ni diffusées les mesures de prévention à prendre. De tout ceci résulte donc la nécessité de réglementer l’accès aux réunions cultuelles.

Toutefois, pour justifier des mesures plus sévères envers les cultes qu’envers d’autres activités sociales, le juge use d’une formulation particulièrement malheureuse lorsqu’il écrit que « les établissements de culte (…)  ne peuvent être regardés comme assurant l'accès à des biens et services de première nécessité au sens (des) dispositions (relatives aux Covid-19) ». Que dans un État laïque, à tout le moins neutre, le service du spirituel puisse être exclu a priori et sans aucune démonstration, comme par un postulat, de la catégorie des biens et services de première nécessité, n’est pas sans soulever de délicats problèmes dont le moindre n’est certainement pas celui du statut respectif du corps et de l’âme, dualité qu’en bonne laïcité l’on ne peut ni cautionner ni critiquer : le silence eut été ici plus sage que le fourvoiement.

 

B- La critique des décisions gouvernementales à l’endroit des cultes

L’examen in concreto des décisions contestées conduit le juge à leur censure.

D’abord, par comparaison, il constate que de nombreuses activités sociales présentant des risques certains comparables (transports de voyageurs, magasins de vente et centres commerciaux, établissements d’enseignement, bibliothèques) sont autorisées (sous réserve d’un minimum de 4m2 par personne), à la différence de la solution retenue pour les cultes.

Ensuite, on ne peut comparer les interdictions édictées en dehors des lieux de culte avec celles relatives à ces derniers alors qu’est en cause ici une liberté fondamentale.

Enfin, est relevé le fait, essentiel aux yeux du juge, que l'interdiction de tout rassemblement ou réunion dans les établissements de culte, n’est motivée ni par une éventuelle difficulté à élaborer des règles de sécurité adaptées aux activités en cause - certaines institutions religieuses ayant présenté des propositions en la matière depuis plusieurs semaines - ni par le risque que les responsables des établissements de culte ne puissent en faire assurer le respect ou que les autorités de l'État ne puissent exercer un contrôle effectif en la matière, ni encore par l'insuffisante disponibilité, durant cette première phase, du dispositif de traitement des chaînes de contamination.

L'interdiction générale et absolue imposée par le III de l'article 10 du décret contesté, de tout rassemblement ou réunion dans les établissements de culte, alors que des mesures d'encadrement moins strictes sont possibles, revêt un caractère disproportionné au regard de l'objectif de préservation de la santé publique et constitue ainsi, eu égard au caractère essentiel de cette composante de la liberté de culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière.

Il convient d’insister sur la formulation particulière de l’injonction qui est prononcée « en l'absence d'alternative pour sauvegarder la liberté de culte ». Le premier ministre doit modifier les dispositions du III de l'article 10 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020, en prenant les mesures strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu applicables en ce début de « déconfinement », pour encadrer les rassemblements et réunions dans les établissements de culte. Un délai de huit jours, nécessaire à la concertation avec les différents cultes, lui est accordé.

On notera au passage (cf. point 15 de l’ordonnance) le rappel de la jurisprudence selon laquelle les propos ministériels tenus devant les assemblées parlementaires ne sont pas susceptibles d’être déférés au juge dès lors qu’ils ne se traduisent pas par des décisions.

(ord. réf. 18 mai 2020, M. X. et autres, n° 440366 ; Association Civitas, n° 440380 ; Parti chrétien-démocrate et autre, n° 440410 ; Association cultuelle Fraternité sacerdotale Saint-Pierre et autres, n° 440531 ; Association Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF), n° 440550 ; M. X., n° 440562 ; Association La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, n° 440563 ; Mme X., n° 440590, jonction)

(60) V. dans le même sens mutatis mutandis, renvoyant d’ailleurs expressément à la décision ci-dessus mais refusant d’apercevoir dans le cas de l’espèce une urgence à statuer, à propos du culte musulman et de la célébration de la fête de l'Aïd : ord. réf. 22 mai 2020, Association de défense des droits de l'homme - Collectif contre l'islamophobie en France (ADDH-CCIF) et Mme X., n° 440757.

(61) Réponse comparable à un requérant contestant l’art. 1er du décret du 11 mai 2020 car l'obligation de respecter une distanciation sociale en tous lieux et en toutes circonstances lui interdit concrètement de vivre avec sa famille d'une façon normale, interdit le déroulement normal des offices religieux et porte ainsi des atteintes graves et immédiates à sa vie privée et à sa liberté religieuse, qui ne sont pas justifiées par le but poursuivi par le décret contesté. Sans être sans objet, son recours a reçu sa réponse dans la décision ci-dessus commentée : ord. réf. 20 mai 2020, M. X., n° 440656.

(62) Idem concernant la demande d’une requérante s’estimant abusivement empêchée d’assister aux cérémonies de l’Ascension : ord. réf. 20 mai 2020, Mme X., n° 440655 ou celle tendant aux mêmes fins émanée d’un requérant : ord. réf. 20 mai 2020, M. X., n° 440654

(63) Et encore, dans le même sens, répondant à plusieurs requérants demandant qu’il soit enjoint au premier ministre et au ministre de l'intérieur de prendre, pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire, toutes mesures nécessaires pour rétablir la liberté des cultes afin, notamment que les fêtes de l'Aïd el-Fitr, de l'Ascension et de Chavouot puissent se dérouler ainsi que les messes et cultes pour les chrétiens, prières du vendredi pour les musulmans, prières du Chabbat pour les juifs, le rejet de cette requête par : ord. réf. 20 mai 2020, M. X. et autres, n° 440653

 

64 à 67 - Covid-19 - Sécurité sanitaire d’un établissement pénitentiaire - Masques et gants, distanciation et dépistage - Conditions de distribution des repas aux détenus - Injonction à la ministre et non-lieu.

 L'ordre des avocats du barreau de Martinique et vingt-deux personnes détenues au centre pénitentiaire de Ducos ont obtenu du juge des référés du tribunal administratif qu’il soit fait injonction à la ministre de la justice et au directeur de ce centre pénitentiaire, d’une part,  de distribuer des masques chirurgicaux et des gants aux détenus, lorsqu’ils sont en contact avec des détenus issus d'autres cellules, et d’autre part, de distribuer des masques non sanitaires et des gants aux auxiliaires distribuant des repas et, enfin, de se doter de tests de dépistage, en nombre suffisant, pour permettre le dépistage des personnes ayant été en contact direct avec une personne présentant des symptômes de Covid-19. Le juge a rejeté le surplus des conclusions dont il était saisi. Le Conseil d’État était saisi d’un appel de la ministre intéressée tendant à l’annulation de cette ordonnance en tant qu'elle ordonne la distribution de masques chirurgicaux aux personnes détenues et la mise à disposition d'un nombre suffisant de tests pour permettre le dépistage de l'ensemble des personnes ayant été en contact direct avec une personne présentant des symptômes de Covid-19. Il était également saisi d’un appel de l'Ordre des avocats au barreau de Martinique dirigé contre la même ordonnance en tant qu'elle n’ordonne la distribution aux auxiliaires pénitentiaires en charge de la distribution des repas que de masques non sanitaires et non de masques chirurgicaux.

Le juge des référés du Conseil d’État relève qu’à ce jour il n’existe aucun cas révélé ou suspecté de Covid-19 au sein de ce centre pénitentiaire dont la population totale représente 102% des places disponibles et où, au sein de celle-ci, le quartier maison d’arrêt comporte un taux d’occupation de 130%.

Relatant les efforts entrepris depuis le début de la crise sanitaire dans l’ensemble des prisons françaises et spécifiquement au centre Ducos, le juge examine les deux grandes revendications : masques et tests de dépistages.

Pour les masques, il constate que compte tenu des modalités de fonctionnement d’un tel centre : pratique des portes ouvertes, accès à la cour-promenade, contacts avec les détenus des autres cellules et le personnel auxiliaire de service de distribution des repas, visites de l’extérieur, etc., et en dépit de ce qui a été déjà fait, « l'absence de fourniture d'un masque de protection non sanitaire aux personnes détenues afin qu'elles puissent le porter le temps des échanges avec le ou les intervenants extérieurs révèle, de manière caractérisée, une carence de nature à justifier, eu égard aux libertés fondamentales invoquées, qu'il soit enjoint à la ministre de la justice et au chef d'établissement du centre pénitentiaire de Ducos de fournir, à compter du 11 mai 2020, un masque de protection non sanitaire aux personnes détenues appelées à se rendre à un " parloir avocat ", une commission de discipline ou un entretien avec un conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation. Ce masque devra être distribué par l'administration pénitentiaire à l'occasion d'un tel contact et lui être remis à son issue. »

Pour les tests, le juge considère que, d’une part, en l’état d’absence de cas avérés connus dans le centre, et d’autre part, compte tenu du protocole mis en place en cas d’apparition d’un tel cas ou d’une suspicion, il n’y a pas lieu d’ordonner la réalisation systématique de tests.

(ord. réf. 7 mai 2020, Ordre des avocats au barreau de la Martinique et autres, n° 440151)

(65) V. aussi, assez comparable mutatis mutandis, dans le cas d’un référé liberté intenté par un détenu  à la maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Béziers, invoquant la carence de l'administration en ce qui concerne son placement en cellule individuelle, la fourniture, en quantité suffisante, de produits d'hygiène et d'entretien, de savon et de gel hydro-alcoolique, de masques de protection, de gants ainsi que de tests de dépistage, le nettoyage des locaux et du linge, les modalités de distribution des repas et le recours aux fouilles, également rejeté compte tenu des mesures déjà prises par l’administration pénitentiaire et/ou en cours : ord. réf. 11 mai 2020, M. X., n° 440338 ;

(66) V. également, largement comparable dans son argumentation et dans sa solution, à propos de diverses demandes à caractère sanitaire émanées d’un détenu du centre pénitentiaire de Joux-la-Ville invoquant plusieurs problèmes de santé d’ailleurs pris en charge par l’administration pénitentiaire : ord. réf. 14 mai 2020, M. X., n° 440413 ;

(67) V. encore, en tous points semblable, à propos de demandes faites par un détenu au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil : ord. réf. 15 mai 2020, M. X., n° 440367, n° 440368 et n° 440369.

 

68 - Covid-19 - Liberté d’aller et de venir - Loisirs - Accès aux plages - Atteintes excessives - Obligation de ne tenir compte que des circonstances locales - Rejet.

Le requérant, qui réside à Deauville, faisait valoir que ne seraient pas nécessaires pour garantir la santé publique et seraient disproportionnées aux risques sanitaires les dispositions du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 en tant que, par le II de son article 9, elles interdisent l’accès aux plages, plans d'eau et lacs. Il demandait au juge du référé liberté d'enjoindre au premier ministre de modifier cet article.

La requête est bien évidemment rejetée car l'interdiction de l'accès aux plages, aux plans d'eau et aux lacs, a été décidée dans le souci d'éviter les concentrations humaines et statiques, caractéristiques de ces lieux en période de printemps et vecteurs de diffusion de l’épidémie de Covid-19.

Cette mesure d'interdiction ne porte pas à la liberté d'aller et venir une atteinte justifiant l’intervention du juge du référé de l’art. L. 521-2 CJA, compte tenu de l'impératif d'éviter la reprise de l'épidémie pendant la phase de déconfinement progressif. Le rejet est donc prononcé sans qu’il y ait lieu d’apprécier l’existence éventuelle de la condition d’urgence.

(ord. réf. 22 mai 2020, M. X., n° 440534)

 

69 - Expérimentation de l’algorithme Datajust - Traitement automatisé de données à caractère personnel relatives à l’indemnisation du préjudice corporel par les juridictions - Accès et durée limités - Caractère expérimental - Absence de création d’un algorithme - Défaut d’urgence - Rejet.

La société requérante demandait au juge des référés d'ordonner la suspension de l'exécution du décret n° 2020-356 du 27 mars 2020 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé DataJust, la condition d'urgence étant, selon elle, remplie tant en raison de ses effets sur le droit à la protection de la vie privée et sur le principe de la réparation intégrale du préjudice, que de sa méconnaissance du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, portant ainsi atteinte aux intérêts des avocats défendant les victimes de préjudices corporels et, enfin, à l'absence d'intérêt public à l'exécuter avant qu'il ne soit statué au fond.

Pour rejeter cette demande de suspension le juge retient tout d’abord  que le traitement automatisé de données à caractère personnel DataJust, a pour finalité le développement d'un algorithme devant servir à la réalisation d'évaluations rétrospectives et prospectives des politiques publiques en matière de responsabilité civile ou administrative, à l'élaboration d'un référentiel indicatif d'indemnisation des préjudices corporels, à l'information des parties et à l'aide à l'évaluation du montant de l'indemnisation à laquelle les victimes peuvent prétendre afin de favoriser un règlement amiable des litiges, ainsi qu'à l'information ou à la documentation des juges appelés à statuer sur des demandes d'indemnisation des préjudices corporels.

Ce traitement est constitué de données extraites des décisions de justice rendues en appel entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2019 par les juridictions administratives et les formations civiles des juridictions judiciaires dans les contentieux portant sur l'indemnisation des préjudices corporels.

Il comporte certes de nombreuses données à caractère personnel, touchant notamment à l'identité et à la santé des personnes physiques mais, d’une part, l'autorisation de le réaliser n’a été donnée que pour une durée de deux ans et, d’autre part, durant cette période,  seuls auront accès aux données à caractère personnel et aux informations enregistrées dans le traitement, et encore « à raison de leurs attributions et dans la limite du besoin d'en connaître », les agents du ministère de la justice affectés au service chargé des développements informatiques du secrétariat général du ministère de la justice individuellement désignés par le secrétaire général et les agents du bureau du droit des obligations individuellement désignés par le directeur des affaires civiles et du sceau.

Dans ces conditions et eu égard au petit nombre des personnes composant le service qui gère cette opération, à la limitation stricte de la durée de conservation des données ainsi qu’à son caractère expérimental, le développement d'un algorithme dont la mise en œuvre n’est pas réalisée ni accordée par le décret attaqué, ne crée point une situation d’urgence justifiant, par elle-même, la suspension de l’acte administratif litigieux, sans qu’il soit besoin d’examiner le moyen tiré de ce que la décision de créer ce traitement contreviendrait  au règlement (UE) du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

Il semble contestable de parler de « politiques publiques en matière de responsabilité civile ou administrative » comme si un tel objet - d’ordre strictement et indéfiniment subjectif - pouvait donner lieu à des politiques publiques c’est-à-dire à une prétention à diriger et organiser le futur d’individus. Pareillement, invoquer une durée de deux années pour minimiser la portée de Datajust, alors que ce laps de temps permet de recueillir un nombre considérable de données privées, n’est pas raisonnable.

(ord réf. 26 mai 2020, Société C... Avocat Victimes et Préjudices et autre, n° 440378)

 

Police

 

70 - Covid-19 - Attestation obligatoire de déplacement - Principe d’interprétation stricte du droit pénal - Risque de verbalisation abusive - Rejet.

L’intéressé avait saisi le juge d’un référé tendant à la suspension de l'exécution du modèle d'attestation dérogatoire au principe de l'interdiction des déplacements (fixé au II de l'article 3 du décret du 20 mars 2020) au motif qu’en imposant l'indication de l'heure de départ de la résidence de confinement cette disposition serait illégale car susceptible de générer une verbalisation pénale abusive et méconnaîtrait le principe d'interprétation stricte du droit pénal.

Usant de la procédure expédiente de l’art. L. 522-3 CJA, le juge, sans examiner l’existence d’une éventuelle urgence à statuer, rejette la demande dirigée contre une décision sur la légalité de laquelle n’existe aucun doute sérieux.

(ord. réf. 7 mai 2020, M. X., n° 440264)

 

71 - Covid-19 - Police de la chasse - Ouverture de la chasse - Dispositions dérogatoires au principe de suspension des délais en période d’urgence sanitaire - Rejet.

L’association requérante demande la suspension de l’exécution de l'article 2 du décret n° 2020-453 du 21 avril 2020 - portant dérogation au principe de suspension des délais pendant la période d'urgence sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 -, en particulier de ses 1°, 2°, 6° et 7°.

Il résulte de l'article 7 de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période que : « Sous réserve des dispositions de l'article 12, les délais prévus pour la consultation ou la participation du public sont suspendus jusqu'à l'expiration d'une période de sept jours suivant la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée ». L'article 9 de la même ordonnance permet que : « Par dérogation aux dispositions des articles 7 et 8, un décret détermine les catégories d'actes, de procédures et d'obligations pour lesquels, pour des motifs de protection des intérêts fondamentaux de la Nation, de sécurité, de protection de la santé, de la salubrité publique, de sauvegarde de l'emploi et de l'activité, de sécurisation des relations de travail et de la négociation collective, de préservation de l'environnement et de protection de l'enfance et de la jeunesse, le cours des délais reprend.

Pour les mêmes motifs, un décret peut, pour un acte, une procédure ou une obligation, fixer une date de reprise du délai, à condition d'en informer les personnes concernées ».

C’est dans ce cadre juridique que le décret attaqué du 21 avril 2020 portant dérogation au principe de suspension des délais pendant la période d'urgence sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19, prévoit, en son article 2 : « En application du second alinéa de l'article 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020 susvisée (…) reprennent leur cours, sept jours à compter de la publication du présent décret, les délais des procédures suivantes : 1° La procédure d'adoption, sur le fondement des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, de l'arrêté relatif à la mise en place à titre expérimental de mesures d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux ; 2° La procédure d'adoption, sur le fondement des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, de l'arrêté de dérogation à la protection des bouquetins en cœur de massif du Bargy ; (...) 6° La procédure de consultation du public préalable à l'édiction, sur le fondement des articles L. 424-2 et R. 424-1 et suivants du code de l'environnement, des arrêtés préfectoraux fixant les dates d'ouverture et fermeture de la chasse; 7° La procédure de consultation du public préalable à l'édiction, sur le fondement des articles L. 425-8, R. 425-1-1 et R. 425-2 du code de l'environnement, des arrêtés préfectoraux arrêtant le prélèvement minimum et maximum de grand gibier ».

Le juge des référés du Conseil d’État rejette le recours dont il est saisi en tant qu’il est dirigé contre les 1°, 2°, 6° et 7° précités. Il relève tout d’abord, ce qui semble avoir été perdu de vue par l’association demanderesse, que ces dispositions ont pour seul objet de permettre, par exception à la suspension générale des délais prévus pour la consultation ou la participation du public, la reprise du cours des délais des procédures d'adoption de certains actes administratifs ayant eux-mêmes une incidence sur l'environnement et soumis à ce titre à participation du public, et qu'elles n'ont par elles-mêmes aucune incidence sur l'environnement.

Par suite sont rejetés les moyens tirés de la non-consultation du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage (cf. article L. 421-1 A, code l'env.) et du Conseil national de la protection de la nature (cf. art. L. 134-2, R. 134-20 et L. 411-2 du code préc.), tout comme celui de l’absence de contreseing du ministre de l’agriculture sur le décret contesté.

Semblablement ne saurait prospérer l’argument selon lequel les dispositions contestées n’entrent dans aucun des motifs énumérés à l’art. 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020, pour lesquels il peut être dérogé à l'article 7 de cette ordonnance, dès lors que les actes susceptibles d'être pris au terme des procédures dont le cours est repris, concernent la sauvegarde de l'emploi et de l'activité, pour ce qui est de l'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées, la protection de la santé et la sauvegarde de l'emploi et de l'activité, pour ce qui est du prélèvement de bouquetins porteurs de la brucellose dans le massif du Bargy, la sauvegarde de l'emploi et de l'activité, pour ce qui est de l'ouverture anticipée de la chasse pour réguler les populations notamment de sangliers, de cervidés et de blaireaux, enfin, la protection de l'environnement et la sauvegarde de l'emploi et de l'activité, pour ce qui est de la fixation des quotas de prélèvement de grand gibier.

Les autres moyens, pas ou faiblement démontrés, sont également rejetés.

(ord. réf. 15 mai 2020, Association pour la protection des animaux sauvages, n° 440462)

 

72 - Covid-19 - Contrôle du respect des règles de confinement - Utilisation de drones par la préfecture de police de Paris - Capture et utilisation d’images - Recueil de données à caractère personnel - Respect de la vie privée - Annulation de l’ordonnance de rejet.

Les associations requérantes demandaient au juge d’appel du référé liberté du Conseil d’État d’annuler l’ordonnance du premier juge rejetant - pour défaut d’atteintes aux libertés fondamentales qu’elles invoquaient - leur demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de Paris de cesser d'utiliser le dispositif visant à capter des images par drones, à les enregistrer, à les transmettre et à les exploiter aux fins de faire respecter les mesures de confinement en vigueur à Paris pendant la période d'état d'urgence sanitaire.

Le juge du Conseil d’État annule l’ordonnance contestée.

Pour admettre l’existence d’une urgence à statuer, le juge retient le nombre de personnes susceptibles de faire l'objet d’un tel mode de surveillance, ses effets ainsi que la fréquence et le caractère répété de ces mesures litigieuses.

S’agissant de déterminer l’existence d’une atteinte grave aux libertés fondamentales invoquées, le juge rappelle tout d’abord la légitimité du recours à un tel dispositif, au regard tant de la doctrine d'usage telle qu'elle a été formalisée par la fiche du 14 mai 2020 que de la pratique actuelle formalisée dans cette note, en raison de l’impératif de sécurité publique. En soi, l’usage de ce moyen et des techniques qui l’accompagnent ne contrevient pas aux libertés fondamentales.

Cependant, en raison de sa finalité, ce dispositif de surveillance ressortit au champ d'application matériel de la directive du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière ou d'exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, laquelle s’applique, aux termes de son article 1er aux traitements de données à caractère personnel institués " y compris [pour] la protection contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces ". Or les données susceptibles d'être collectées par le moyen de drones doivent être regardées comme revêtant un caractère personnel, alors même que le ministère de l’intérieur assure que les données ainsi collectées ne revêtent pas un caractère personnel en raison des règles et précautions prises par la note du 14 mai 2020, car il résulte de l'instruction que les appareils en cause qui sont dotés d'un zoom optique et qui peuvent voler à une distance inférieure à celle fixée par la note précitée sont susceptibles de collecter des données identifiantes et ne comportent aucun dispositif technique de nature à éviter, dans tous les cas, que les informations collectées puissent conduire, au bénéfice d'un autre usage que celui actuellement pratiqué, à rendre les personnes auxquelles elles se rapportent identifiables. Il s’ensuit donc que ce dispositif de surveillance constitue un traitement au sens de la directive de 2016.

La création et le fonctionnement de ce fichier relèvent donc des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés qui sont applicables aux traitements compris dans le champ d'application de cette directive. Ce fichier ne pouvait pas, par suite, être instauré sans l'intervention préalable d'un texte réglementaire en autorisant la création et en fixant les modalités d'utilisation devant obligatoirement être respectées ainsi que les garanties dont il doit être entouré, texte devant être précédé d’un avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Est ainsi établie l’atteinte par ce procédé aux libertés fondamentales.  La cessation immédiate de l’usage de drones à cette fin et selon les modalités actuelles est ordonnée.

Le juge prononce en conséquence une injonction alternative : soit l’État prend un texte réglementaire, après avis de la CNIL, autorisant, dans le respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978, la création d'un traitement de données à caractère personnel, soit l’État dote les appareils utilisés par la préfecture de police de dispositifs techniques de nature à rendre impossible, quels que puissent en être les usages retenus, l'identification des personnes filmées.

(ord. réf. 18 mai 2020, Association " La Quadrature du Net ", n° 440442 ; Ligue des droits de l’homme, n° 440445, jonction)

 

73 - Covid-19 - Tenue des foires et marchés - Fêtes foraines - Interdiction - Demande de réouverture - Rejet.

Les organisations requérantes demandaient au juge du référé liberté du Conseil d’État, d'ordonner la suspension de l'exécution des dispositions de l'article 7 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 dont l'alinéa 1er interdit " tout rassemblement, réunion ou activité (...) mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes " et, à titre subsidiaire, d'autoriser les fêtes foraines réunissant, de manière simultanée, 1 500 personnes. Elles invoquent l’urgence née de l’atteinte grave et manifestement illégale ainsi portée à la liberté du commerce et de l'industrie car les forains se trouvent dans l'incapacité totale d'exercer leur métier et ne disposent d'aucune perspective d'avenir ni de certitude d'obtenir des dérogations d'exercice auprès des maires et des préfets et le fait que les mesures prises par le gouvernement ne sont plus ni nécessaires ni proportionnées au vu de l'évolution de la situation actuelle de crise sanitaire ainsi que le caractère peu probable d'une seconde vague estivale de contamination. Enfin, elles se prévalent à cet égard des dérogations d'ouverture dont bénéficient actuellement certains marchés ouverts et celles dont bénéficieront certains parcs à thème avec des attractions à partir du 12 juin prochain, alors que les conditions d'exercice de ces activités sont proches de celles exercées par les forains.

Le recours est rejeté selon une motivation un peu trop « passe-partout » nous semble-t-il. Qu’on en juge : «  Eu égard aux circonstances exceptionnelles au vu desquelles le décret attaqué a été pris et qui ont conduit le législateur à déclarer puis prolonger l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020, à l'intérêt public qui s'attache aux mesures prises, qui restreignent les déplacements pour lutter contre la reprise de la propagation du virus du Covid-19 pendant la période de déconfinement, et, enfin, à la conciliation entre les droits et libertés et l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, il est manifeste que les associations requérantes, qui ne font état d'aucune circonstance particulière de nature à justifier une intervention à très bref délai du juge des référés, ne remplissent pas la condition d'urgence requise par l'article L. 521-2 du code de justice administrative ». On regrettera qu’il ne soit pas répondu à l’argument tiré du traitement plus souple d’activités présentant des risques comparables et, surtout, qu’il soit avancé que le juge du référé urgent ne pourrait pas ordonner de mesures significatives exécutables à bref délai.

(ord. réf. 28 mai 2020, Union de défense active des forains (UDAF) et France Liberté Voyage, n° 440837)

 

Professions réglementées

 

74 - Chirurgien-dentiste salarié - Non-accomplissement de son obligation de jour de garde - Sanction disciplinaire - Absence de volonté de se soustraire à ses obligations de permanence - Annulation.

Est irrégulière la sanction infligée par une instance ordinale à un chirurgien-dentiste salarié du fait qu’il s’est soustrait un jour à son obligation d’assurer son tour de garde alors qu'il ressortait des pièces du dossier que son employeur avait refusé de mettre à sa disposition les moyens propres à lui permettre d'assurer effectivement sa garde dans le centre de santé où il exerce comme salarié et qu'il en avait informé par avance, plusieurs fois, le conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes en vue qu'une solution puisse être trouvée. Dès lors, il ne pouvait être regardé comme s'étant délibérément abstenu de participer à la permanence des soins dentaires.

(29 mai 2020, M.X., n° 422956)

 

75 - Société civile professionnelle (SCP) de vétérinaires - Sanction disciplinaire - Appel de la décision l’infligeant - Impossibilité d’aggravation sur appel de la personne sanctionnée - Notion de peine aggravée - Réduction de la durée de la peine mais extension de son champ territorial d’application - Rejet.

A la suite d’infractions aux règles régissant la vente de médicaments vétérinaires, une SCP et l’un de ses associés font l’objet d’une sanction, finalement ramenée de six à quatre mois, de suspension temporaire du droit d'exercer la profession de vétérinaire, assortie d’un sursis pour trois de ces mois mais avec extension du champ géographique de cette sanction du ressort de la chambre régionale de discipline de Normandie à l'ensemble du territoire national. Les intéressés se pourvoient en cassation contre ces décisions du conseil national de l’ordre au motif qu’elles aggravent la sanction prononcée en première instance.

Le juge rappelle le principe général du droit disciplinaire et d’ordre public, qui n’est pas propre aux sanctions applicables aux seules professions libérales mais concerne toutes les sanctions professionnelles relevant du droit public, selon lequel une sanction infligée en première instance par une juridiction disciplinaire ne peut pas être aggravée par le juge d'appel lorsqu'il n'est régulièrement saisi que du recours de la personne frappée par la sanction.

En l’espèce se posait précisément la question de savoir si la juridiction d’appel (i. e. le conseil national de l’ordre) avait aggravé ou non la sanction prononcée par les premiers juges. Ces derniers avaient ordonné une suspension d’exercer pendant six mois, assortie d’un sursis de trois mois, applicable dans le ressort territorial de la juridiction, soit la Normandie. En appel, la durée de la suspension avait été réduite de six à quatre mois, avec durée inchangée du sursis, mais étendue à la France entière. La sanction avait-elle été aggravée ? Pour résoudre la difficulté le juge de cassation propose de retenir la définition suivante : « la gravité d'une sanction d'interdiction prononcée par la juridiction disciplinaire s'apprécie au regard de son objet et de sa durée, indépendamment des modalités d'exécution de la sanction, notamment de l'octroi éventuel d'un sursis ou de la fixation de son champ géographique d'application ». En conséquence, la requête est rejetée.

On peut ne pas être d’accord avec la solution et estimer que l’octroi d’un sursis, partiel ou total, a bien, sur le plan disciplinaire, une signification certaine : condamner avec sursis ou sans sursis n’est pas du tout équivalent surtout dans les matières déontologiques. Semblablement, étendre d’une région à la France entière une suspension temporaire du droit d’exercer une profession libérale participe bien de la « peine » infligée et donc de son quantum, elle en est, par suite, une aggravation. 

(29 mai 2020, Société civile professionnelle X.-Y., n° 421569)

 

76 - Chirurgiens-dentistes - Titres et mentions pouvant figurer sur les plaques et imprimés professionnels - Autorisation préalable obligatoire du Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes - Refus par ce dernier de reconnaitre la qualité de membre titulaire de la Société française d'orthopédie dento-faciale (SFODF) - Erreur d’appréciation - Annulation et injonction à l’ordre de reconnaitre ce titre.

Le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes ayant refusé de reconnaître le titre de membre titulaire de la Société française d'orthopédie dento-faciale (SFODF) et ayant décidé que la mention de ce titre ne peut figurer sur les plaques et imprimés professionnels des chirurgiens-dentistes, la SFODF demande au Conseil d’État l’annulation de ces décisions. Le conseil national de l’ordre a justifié ces refus sur le fait que ce que ce titre ne sanctionne aucune formation dispensée par la SFODF, que ses critères d'obtention ne répondent à aucun « référentiel professoral ou référentiel métier » et que, par suite, sa mention sur les plaques et imprimés professionnels des chirurgiens-dentistes est dépourvue d'intérêt pour les patients. 

Pour recevoir le recours et annuler les décisions litigieuses le juge relève qu’il : «  ressort des dispositions de son statut et de son règlement intérieur (…) que la SFODF exerce, dans une discipline reconnue et pratiquée par des chirurgiens-dentistes, une mission de veille scientifique et pratique, d'étude, d'expertise et de diffusion des connaissances, qu'elle dispose de moyens d'action adaptés à cette mission et que, contrairement à ce que soutient en défense le Conseil national de l'ordre de chirurgiens-dentistes, l'obtention du titre de membre titulaire de la SFODF est subordonnée à une appréciation portée sur la qualité des travaux des candidats par les instances dirigeantes de l'association ».

Le conseil de l’ordre défendeur a ainsi commis une erreur d’appréciation en estimant que la mention du titre de membre titulaire de la SFODF n'apportait pas une information pertinente aux patients et était dépourvue d'intérêt pour eux.

(29 mai 2020, Société française d'orthopédie dento-faciale (SFODF), n° 419449)

 

77 - Vétérinaires - Société de participations financières de vétérinaires - Aptitude à être inscrite sur la liste spéciale prévue à l'article R. 241-106 du code rural et de la pêche maritime - Refus d’inscription - Erreur de droit - Cassation sans renvoi.

Commet une erreur de droit le conseil national de l’ordre des vétérinaires qui, pour refuser l’inscription d’une société de participations financières de profession libérale de vétérinaires par actions simplifiées sur la liste spéciale prévue à l'article R. 241-106 du code rural et de la pêche maritime, argue de ce qu’il résulterait des dispositions du II de l'article 31-1 de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, que celles-ci ne permettraient qu'à des personnes physiques exerçant la profession de vétérinaire de détenir la majorité du capital et des droits de vote d'une société de participations financières de profession libérale de vétérinaires et qu'au cas d'espèce, la majorité du capital social de la société de participations financières de profession libérale de vétérinaires du Mittelberg est détenue, non par une personne physique, mais par la société par actions simplifiée du Mittelberg. 

En effet, il résulte tant de l’art. 31-1 de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé que de l’art. L. 241-17 du code rural et de la pêche maritime, que les sociétés de participations financières de profession libérale de vétérinaires peuvent être constituées entre des personnes exerçant la profession de vétérinaire et détenant la majorité du capital et des droits de vote et que ces personnes - contrairement à ce qu’a jugé le Conseil national -, peuvent être tant des personnes physiques que des personnes morales. 

(29 mai 2020, M. X. et société de participations financières de profession libérale de vétérinaires par actions simplifiées du Mittelberg, n° 416413)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

78 - Directeurs généraux des chambres de commerce et d’industrie - Régime de gestion de ces agents - Méconnaissance par un décret du champ d’application de l’art. 34 de la Constitution - Demande de renvoi d’une QPC - Rejet.

Les deux organisations requérantes, au soutien de leurs requêtes tendant à l'annulation du décret n° 2019-1227 du 26 novembre 2019 relatif aux règles de gestion des directeurs généraux agents publics des établissements publics du réseau des chambres de commerce et d'industrie, soulevaient une QPC à l’encontre de l’art. L. 711-6 du code de commerce, sur la base duquel a été pris le décret attaqué, en tant qu’il méconnaît l'art. 34 de la Constitution, selon lequel la détermination des principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical relève du législateur ainsi que les principes constitutionnels, issus du Préambule de la Constitution de 1946, de liberté syndicale et de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail, le principe d'égalité, le principe de liberté contractuelle et d'intangibilité des contrats, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intangibilité de la loi.

Le Conseil d’État rejette les recours en QPC et en refuse donc le renvoi motifs pris de ce que :

1°  conformément à la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit, ce qui n’est pas le cas en l’espèce où n’est pas concernée la détermination collective des conditions de travail, ce qui ne saurait, par suite, affecter les principes énoncés au huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

2° les dispositions contestées ne méconnaissent ni le principe d'égalité devant la loi, ni la liberté contractuelle.

3° la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intangibilité de la loi ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.

(27 mai 2020, Association des directeurs généraux des chambres de commerce et d'industrie, n° 437859 ; Syndicat des directeurs généraux des établissements du réseau des chambres de commerce et d'industrie, n° 437862, jonction)

 

79 - Covid-19 - Élections municipales 2020 - Organisation du second tour de scrutin - Dispositions des I, III et IV de l'article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 - Droits et libertés garantis par la Constitution - Principe de sincérité du scrutin - Renvoi d’une QPC au Conseil constitutionnel.

(25 mai 2020, M. X. et autres, n° 440217) V. n° 34

 

80 - Art. L. 480-14 du code de l’urbanisme - Défaut de permis ou d’autorisation de construire, d’aménager ou de démolir - Saisine du juge judiciaire en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l’autorisation requise - Prescription de l’action civile - Atteinte au droit de propriété - Question présentant un caractère sérieux - Renvoi d’une QPC.

(29 mai 2020, M. X., n° 436834) V. n° 96

 

Santé publique

 

81 et 82 - Covid- 19 - Mesures de réquisition de masques sanitaires - Imprécisions portant atteinte à plusieurs libertés fondamentales - Rejet.

Les demandeurs, trois médecins et un pharmacien, sollicitent que soit ordonnée, sur le fondement de l’art. L. 521-2 CJA, la suspension de l'exécution des dispositions de l'article 12 du décret du 23 mars 2020 et d'enjoindre à l'État de prendre, sans attendre, de nouvelles dispositions précisant et encadrant plus strictement le droit de réquisition des masques car, en l’état, les dispositions contestées sont entachées d'imprécisions qui dissuadent les personnes susceptibles de vendre des masques au public et aux personnels soignants qui en manquent de le faire, ce qui porterait atteinte au droit au respect de la vie, à la liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie et au droit de propriété.

Le juge rejette, en ses trois chefs, la demande des requérants.

En premier lieu, est relevé le fait que « la réquisition d'un bien mobilier est considérée comme effectuée en propriété. Le moyen invoqué ne saurait être retenu alors, au surplus, que les modèles de masques en cause ne sont, pour la plupart, pas réutilisables ». Il ajoute encore que si les préfets sont habilités, en cas de nécessité, à ordonner la réquisition de masques (cf. l’art. 12-1 du décret du 23 mars 2020 précité) tel n’est pas le cas des maires, la police spéciale de l’urgence sanitaire ne leur appartenant pas en vertu d’une jurisprudence récente du Conseil d’État (ord. réf. 17 avril 2020, Commune de Sceaux, n° 440057 ; V. cette chronique, avril 2020 n° 43).

En deuxième lieu, répondant à l’argument selon lequel la notion de stocks serait imprécise en ce qu’elle ne permet pas de savoir si les stocks en cause sont ceux qui étaient constitués sur le territoire national à la date de l'entrée en vigueur du texte ou bien ceux qui le sont à tout instant, le Conseil d’État juge que le renvoi que le III de l’art. 12 du décret précité fait aux I et II est très précis quant à l’énumération des réquisitions qui sont couvertes. Le moyen, manquant en droit, est rejeté.

En troisième lieu, alors qu’il était soutenu que les dispositions contestées auraient dû préciser s'il est autorisé, notamment pour les pharmacies d'officine, de vendre les masques qui ne font pas l'objet de réquisitions, le juge rejette le moyen dès lors que les dispositions contestées par les requérants « n'ont ni pour objet ni pour effet d'interdire la vente, pour les modèles en cause, des masques qui ne sont pas réquisitionnés ».

(ord. réf. 5 mai 2020, M. X. et autres, n° 440229)

(82) V. aussi, très comparable, le rejet d’un recours tendant à ce que soient attribués en quantités suffisantes, au personnel soignant, au besoin par réquisition, des masques, des sur-blouses et des lunettes de protection, avec cette importante précision que l’insuffisance caractérisée de ces matériels ne suffit pas, par elle-même, à établir une carence manifeste des pouvoirs publics de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale : ord. réf. 22 mai 2020, Syndicat Jeunes Médecins, n° 440321.

 

83 - Covid-19 - Étrangers - Centre de rétention de Vincennes - Mesures sanitaires - Étrangers détectés positifs au Covid-19 - Respect de la quatorzaine - Rejet et admission partiels.

Les organisations et individus requérants avaient obtenu du juge des référés de première instance, par voie de référé liberté, qu’il soit enjoint aux autorités compétentes, respectivement aux articles 1er, 2 et 3 de son ordonnance, de ne pas placer d'étrangers en rétention dans ce centre durant une période de quatorze jours (art. 1er), d'isoler et de confiner toute personne placée dans ce centre qui présenterait des symptômes de contamination par le virus Covid-19, en lui permettant un accès aux soins (art. 2) et de lever la rétention de tout étranger qui serait testé positif au Covid-19 en l'orientant vers un centre de l'Agence régionale de santé d'Ile-de-France (art. 3).

Ils ont saisi à nouveau ce juge sur le fondement de l'article L. 521-4 du CJA, de demandes tendant à ce qu'il modifie le dispositif de sa précédente ordonnance pour qu’il soit fait droit à leurs conclusions initiales.

Le préfet de police, pour sa part, a demandé au cours de cette seconde instance qu'il soit mis fin à l'injonction de lever la rétention des étrangers testés positifs au Covid-19 formulée à l'article 3 de la même ordonnance.

Le juge des référés ayant fait droit partiellement à cette dernière demande en mettant fin à cette injonction pour deux étrangers retenus et testés positifs au Covid-19 et ayant rejeté à la fois le surplus des conclusions du préfet ainsi que celles des autres requérants, le ministre de l'intérieur relève appel, à titre principal, des articles 1er et 3 de la première ordonnance et, à titre subsidiaire, de la seconde ordonnance en tant qu'elle a rejeté le surplus de ses conclusions.

Les conclusions du ministre dirigées contre l’article 1er de la première ordonnance sont rejetées pour non-lieu à y statuer dès lors que l’injonction qu’elle prononce interdit le placement des étrangers en rétention dans le centre de rétention administrative de Vincennes durant une période de quatorze jours, celle-ci ayant pris fin le 29 avril 2020. Cette injonction avait donc cessé de produire ses effets à la date de la présente ordonnance, d’où le non-lieu prononcé.

Les conclusions dirigées contre l’art. 3 précité de la première ordonnance sont admises, le ministre de l'intérieur soutenant à bon droit qu'eu égard aux mesures prises pour assurer la sécurité sanitaire du centre de rétention administrative de Vincennes, le maintien dans les lieux des étrangers testés positifs au Covid-19 ne saurait être regardé, contrairement à ce qu’a estimé le juge des référés en ses deux ordonnances, comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit des intéressés et des autres personnes retenues dans le centre ou y intervenant au respect de la vie, au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ou au droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à leur état de santé. Le juge retient aussi que les étrangers demeurant actuellement encore en rétention administrative (191 sur l'ensemble du territoire, dont 17 à Vincennes), présentent un risque particulier de troubles à l'ordre public. Toutefois, pour parvenir à répondre à ce moyen, le juge devait lever un obstacle procédural. Les défendeurs soutenaient que l'injonction prononcée par le juge des référés se bornait à reprendre les termes d'une « instruction » du ministre des solidarités et de la santé selon laquelle, en cas d'infection par le Covid-19, il y a lieu de procéder à la levée de la rétention de la personne concernée et d'envisager son orientation vers un centre d'hébergement dédié aux personnes atteintes de cette maladie. Ils estimaient, en conséquence que les conclusions dirigées contre cette injonction étaient irrecevables. L’argument est rejeté en ces termes : « la circonstance qu'une injonction prononcée par le juge administratif réitèrerait les termes d'une instruction administrative ne saurait, par elle-même, rendre irrecevables des conclusions d'appel tendant à son annulation ». La fin de non-recevoir est donc rejetée.

(ord. réf. 7 mai 2020, Ministre de l’intérieur, 440255)

 

84 et 85 - Covid- 19 - Régime de prescription de spécialités pharmaceutiques - Avis de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé - Données acquises de la science - Cas de l’hydroxychloroquine - Rejet.

Le requérant demandait la suspension d’exécution d’une part des dispositions du 2° de l'article 1er du décret du 25 mars 2020, qui introduisent un article 12-2 dans le décret du 23 mars 2020, et d’autre part, des dispositions de l'article 19 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020.

Il s’agit d’un nouvel épisode de la saga de l’hydroxychloroquine dont l’univers semble aussi impitoyable que celui de la célèbre série Dallas

Sur le premier de ces textes le recours est rejeté car il a été abrogé par un décret du 11 mai 2020, antérieur donc au jour où est rendue la présente ordonnance.

Sur le recours dirigé contre le second texte, tous les moyens sont rejetés, l’efficacité de l’hydroxychloroquine n’ayant pas été encore établie et les protocoles actuellement adoptés ne répondant pas aux exigences ordinaires des essais pharmaceutiques et de laboratoire pour qu’en soient tirées des conclusions scientifiques pertinentes.

(ord. réf. 18 mai 2020, M. X., n° 440243)

(85) V. également, s’agissant d’un recours en vue de la suspension de l'arrêté du ministre des solidarités et de la santé du 13 janvier 2020 portant classement de l’hydroxychloroquine sur les listes des substances vénéneuses et donc interdiction de dispenser du Plaquenil en dehors d'une prescription médicale, cela en violation de diverses libertés fondamentales (droit à la vie, droit à la protection de la santé, droit d'accès aux soins, droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à l’état de santé du patient, liberté de prescription des médecins, liberté de dispensation des pharmaciens et libre circulation des marchandises garantie par le droit de l'Union européenne), son rejet pour défaut de démonstration de l’urgence que présenterait une levée des précautions particulières qui entourent la prescription et la délivrance des médicaments contenant cette substance et qui ont été édictées dans l'intérêt de la santé publique : ord. réf. 29 mai 2020, M. X. et autres, n° 440631

 

86 - Demande de suspension temporaire de la vente sur internet de produits contenant de la nicotine - Distinction du tabac et de la nicotine en matière de dépendance - Rejet.

Était demandée la suspension de l'exécution de l'arrêté du 23 avril 2020 interdisant la vente par internet de spécialités contenant de la nicotine, cet arrêté, d’une part, reposant sur une confusion entre tabac et nicotine, alors que celle-ci n'entraîne aucune addiction, et d’autre part, portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie, dès lors qu'il incite les personnes concernées à se déplacer physiquement pour obtenir de la nicotine ou à consommer du tabac.

La demande est, sans grande surprise, rejetée en ses deux arguments.

Premièrement, l’arrêté attaqué ne repose pas sur la confusion entre nicotine et tabac contrairement à ce qui est allégué par le demandeur en référé.

Secondement, la restriction critiquée, en ce qu’elle est limitée aux possibilités de se procurer les substances en cause, est exactement appropriée au besoin de prévenir les risques de consommation excessive ou de mésusage des substituts nicotiniques et de garantir l'approvisionnement des personnes qui en ont besoin dans le cadre d'un sevrage tabagique.

Le demandeur n’est ainsi pas fondé à soutenir que la mesure prise ferait courir des risques excessifs aux personnes concernées ou bien les inciterait à consommer du tabac.

(ord. réf. 8 mai 2020, M. X., n° 440387)

 

87 - Covid-19 - Interruption volontaire de grossesse - Prescription de spécialités pharmaceutiques à base de l’antiprogestérone mifepristone et à base de prostaglandine misoprostol - Prescription en dehors du cadre de leur autorisation de mise sur le marché - Dérogation à l'article L. 5121-8 du code de la santé publique - Incompétence du ministre de la santé - Rejet.

Les trois associations demandaient par voie de référé la suspension de l’exécution du 3° de l'article 1er de l'arrêté du 14 avril 2020 du ministre de la santé complétant l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire et de leurs deux annexes afin de permettre la pratique des avortements en dehors des établissements de santé, par voie médicamenteuse, au-delà de la cinquième semaine de grossesse qui était jusqu’à cette date la limite réglementaire pour accomplir ces actes dans ces conditions, et ce jusqu’à la septième semaine. Elles invoquaient des motifs d’illégalité de forme (incompétence de l’auteur des actes attaqués et dérogations non conformes aux dispositions du code de la santé publique) et de fond (violation des conditions posées par l'art. L. 3131-16 du code de la santé publique, car les mesures en cause ne sont ni nécessaires ni proportionnées aux risques sanitaires encourus et aux circonstances de temps et de lieu ; mise en danger de la santé des femmes et particulièrement des mineures).

Leurs recours, joints, sont rejetés.

Le juge, replaçant les requêtes dans le contexte de la réglementation applicable aux avortements intervenant avant la fin de la douzième semaine de grossesse et à ceux réalisés par voie médicamenteuse, se prononce sur les divers moyens dont il est saisi.

Tout d’abord, il rejette l’argument tiré de l’incompétence du ministre de la santé pour prendre l’arrêté litigieux en lieu et place du premier ministre car cette mesure contribuerait à ralentir la progression de l’épidémie de Covid-19. Cette réponse se concilie mal avec le fait qu’en cours de procédure les parties avaient été avisées de ce que la décision du juge des référés du Conseil d’État était susceptible d'être fondée sur le moyen, relevé d'office, selon lequel certaines des dispositions de l'arrêté contesté pourraient être regardées comme entachées d'incompétence, faute d'avoir été édictées par le premier ministre, sur le fondement du 9° de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique. Il faut croire que la doctrine du juge a évolué encore que l’on puisse se demander en quoi la signature du premier ministre n’aurait pas permis d’aboutir aussi bien au moins au même résultat.

Ensuite, examinant la légalité interne de la décision attaquée, le juge rejette le moyen tiré de ce que l’autorisation donnée de pratiquer des avortements en dehors des établissements de santé après cinq semaines de grossesse et jusqu’à sept semaines ne serait ni strictement nécessaire et proportionnée aux risques sanitaires encourus, ni appropriée aux circonstances de temps et de lieu alors que le protocole, y compris en cas de téléconsultation a été validé par le Haut conseil de santé publique. Également n’est pas retenu l’argument tiré des risques encourus par les intéressées du fait d’un avortement médicamenteux, cette pratique existant dans plusieurs pays ni, non plus, celui fondé sur l’application de cette disposition aux mineures, le juge relevant qu’à leur égard sont maintenues les autres dispositions protectrices du code de la santé publique.

Semblablement est rejetée l’objection résultant de ce que les médicaments nécessaires à une interruption volontaire de grossesse par voie médicamenteuse faisant l'objet d'une prescription non conforme à l'autorisation de mise sur le marché sont délivrés par le pharmacien d'officine désigné par la patiente, au mépris des obligations déontologiques de celui-ci, car les dispositions contestées ne font pas, par elles-mêmes, obstacle au respect des devoirs déontologiques des pharmaciens énoncés aux articles R. 4235-1 et suivants du code de la santé publique. Pas davantage, n’est admise l’existence d’une « clause de conscience » au bénéfice des pharmaciens comme il en va pour les médecins et les sages-femmes, ces derniers se trouvant dans une situation différente.

L’absence d’indication concernant la cessation de l’application de ces mesures dérogatoires n’entache pas d’illégalité l’arrêté attaqué, l’article L. 3131-16 du code de la santé publique disposant qu’il est mis fin aux mesures prescrites en application de cet article « sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires » et la preuve qu’il en est d’ores et déjà ainsi n’étant pas rapportée.

(ord. réf. 22 mai 2020, Association Alliance Vita et l'association Juristes pour l'enfance, n° 440216 ; Association Pharmac'éthique, n° 440317, jonction)

 

88 - Référé suspension - Dispositifs médicaux pris en charge par la sécurité sociale - Modification des conditions de prise en charge - Doute sérieux - Urgence - Octroi du sursis.

(ord. réf. 8 mai 2020, Société Innov'sa, n° 440213) V. n° 9

89 - Covid-19 - Usage de fontaines à eau sur les lieux de travail - Interdiction ou recommandation de ne pas les utiliser - Préconisations fixées par des fiches-conseils du ministère du travail - Guides de recommandations établis par des organisations professionnelles - Rejet.

 (ord. réf. 29 mai 2020, Association française de l'industrie des fontaines à eau (AFIFAE), n° 440452) V. n° 32

 

Service public

 

90 - Covid -19 - Enseignement - Accueil des enfants des personnels de santé en milieu scolaire - Instructions contraires existantes ou supposées - Rejet.

Le requérant demande la suspension de l'exécution de la consigne d'isolement des enfants de soignants lors de leur retour à l'école à compter du 12 mai 2020, s'il est avéré qu'une telle consigne a été donnée par le Gouvernement. En l'absence d'une telle consigne, il demande au juge d'enjoindre à l'État de diffuser largement, notamment aux recteurs et directeurs d'écoles élémentaires, au plus tard le 12 mai 2020, une information quant à la nécessité d'accueillir les enfants de personnels de santé de manière identique aux autres élèves et, lorsqu'ils n'appartiennent pas aux groupes d'élèves pour lesquels les écoles sont rouvertes, quant à la nécessité de les accueillir dans les conditions prévues à l'article 10 du décret n° 2020-545 du 11 mai 2020.

Ces demandes sont rejetées car le juge constate, d’une part, qu’il n’existe aucune instruction du gouvernement contenant une telle consigne, et d’autre part, que le ministre de l’éducation a expressément rappelé la nécessité d’accueillir ces enfants compte tenu de la profession des parents.

Enfin, s’agissant de celles des conclusions du syndicat requérant tendant à ce qu'il soit enjoint au Gouvernement de prendre les mesures règlementaires garantissant l'accueil des enfants des personnels prioritaires dans toutes les communes, elles ne sont pas assorties des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé, ce qui entraîne leur rejet. 

(ord. réf. 12 mai 2020, Syndicat Jeunes médecins, n° 440460)

 

91 - Enseignement supérieur - École normale supérieure de Lyon - Irrégularité de la composition de son conseil d’administration - Risque d’illégalité subséquente de ses décisions - Urgence à statuer - Rejet.

La circonstance que la composition actuelle du conseil d’administration de l’École normale supérieure de Lyon serait irrégulière et risquerait d’entacher d’illégalité d’importantes décisions que ce dernier est amené à prendre prochainement ne caractérise pas une urgence justifiant l’intervention du juge du référé suspension car les incidences que pourrait avoir l'annulation des actes attaqués sur des décisions ultérieures, dont la date au surplus est à ce jour incertaine, ne sont pas, par elles-mêmes, de nature à caractériser une telle urgence.

(ord. réf. 19 mai 2020, M. X. et Mme Y., n° 440372)

 

92 - Covid-19 - Services funéraires à Mayotte - Interdiction de toilette mortuaire - Ensachage immédiat des corps - Absence de carence de l’agence régionale de santé (ARS) - Rejet.

Les requérants sollicitaient du juge du référé liberté du Conseil d’État l’annulation du rejet, par le juge des référés de première instance, de leur demande tendant à ce qu’il soit ordonné à l'ARS de Mayotte de communiquer, d'afficher dans les centres de soins et les centres de consultations périphériques, ainsi qu'en mairie avec une traduction en shimaore et en kibushi, et de mettre en application à Mayotte dans un délai de 24 heures un protocole de santé disposant que :

« Jusqu'au 30 juin 2020 :

- les soins de conservation définis à l'article L. 2223-19-1 du code général des collectivités territoriales sont interdits sur le corps des personnes décédées ;

- les défunts atteints ou probablement atteints de Covid-19 au moment de leur décès font l'objet d'une mise en bière immédiate. La pratique de la toilette mortuaire est interdite pour ces défunts ;

- les défunts doivent être placés dans des housses avant leur remise aux familles ou aux opérateurs funéraires par le Centre hospitalier de Mayotte ainsi que dans les dispensaires de l’archipel ;

- les défunts atteints ou probablement atteints de Covid-19 au moment de leur décès ne peuvent être transportés en dehors du département. Leur inhumation et obligatoire ».

Le recours est rejeté car le juge estime que l’ARS a toujours œuvré dans le souci de la protection de la santé soit au moyen de mesures ou d’actes, dont certains ne lui incombaient d’ailleurs pas, soit en rappelant les consignes particulières à la rédaction des certificats de décès (tant pour ce qui regarde leur forme que le délai de leur rédaction), soit en suscitant des réunions avec les diverses parties prenantes et en favorisant constamment la participation des entreprises funéraires. Dès lors aucune carence constitutive d’une atteinte à une liberté fondamentale ne saurait lui être reprochée ainsi que l’a, à juste titre, estimé le premier juge.

(ord. réf. 22 mai 2020, Sarl Transport Posthume de Mayotte et autres, n° 440438)

 

93 - Covid-19 - Référé de l’art. L. 523-1 CJA - Circulaire ministérielle relative à la réouverture des écoles et des établissements scolaires et aux conditions de poursuite des apprentissages - Ministre chef du service de l’éducation - Obligation pour lui de réglementer - Illégalité à se borner à recommander - Incompétence du juge de ce référé - Rejet.

(ord. réf. 11 mai 2020, Fédération des syndicats Sud Education, n° 440455) V. n° 15

 

Travaux publics et expropriation

 

94 - Droit de propriété - Travaux et constructions publics empiétant sur une propriété privée - Obligation de remettre les lieux en état - Absence de caractère automatique d’urgence d’une action en vue de protéger ou rétablir une liberté fondamentale - Annulation de l’ordonnance du premier juge.

(28 mai 2020, Commune de Morne-Vert, n° 440522) V. n° 7

 

Urbanisme

 

95 - Permis de construire - Lotissement - Recours en annulation du permis de lotir - Pourvoi en cassation - Référé suspension - Règles applicables devant le juge de cassation - Irrecevabilité - Rejet.

La société requérante avait demandé, en vain, aux premiers juges, l’annulation de l’arrêté municipal accordant un permis de construire valant division parcellaire et construction de vingt villas individuelles groupées à usage d'habitation, ainsi que la décision du maire rejetant le recours gracieux formé contre cet arrêté. Elle a saisi la cour administrative d’appel d’un appel à fin d’annulation du jugement de rejet. Cette demande a été transmise au Conseil d’État, le tribunal administratif ayant statué en premier et dernier ressort (art. R. 351-2 CJA).

Par une seconde requête, cette société a demandé au juge des référés de la cour d'ordonner la suspension de l'exécution du permis ainsi que de la décision rejetant son recours gracieux. Celle-ci a été, à son tour, transmise au Conseil d’État (art. R. 351-2 CJA).

Le Conseil d’État était donc saisi d’un pourvoi contre le premier jugement et d’un recours en référé suspension, ce dernier fait l’objet de la présente décision.

S’il estime que c’est à bon droit que lui a été transmis le recours dirigé contre le jugement, le Conseil d’État rappelle, en revanche, qu'une demande de suspension de l'exécution d'une décision administrative ne peut être présentée au juge des référés que si la juridiction dont il dépend est elle-même saisie d'une requête en annulation ou en réformation de cette décision. Il s’ensuit :

- d’une part, que des conclusions à fin de suspension ne sont pas recevables devant le Conseil d’État, juge de cassation, qui est saisi d'une requête dirigée contre la décision juridictionnelle attaquée devant lui et qui n'a pas à examiner la légalité ou le bien-fondé de la décision administrative contestée avant d'avoir, le cas échéant, annulé cette décision,

- et, d’autre part, qu’eu égard à l'office du juge de cassation, une telle impossibilité de lui soumettre une demande de suspension tant qu'il ne s'est pas prononcé sur la légalité de la décision juridictionnelle attaquée devant lui ne méconnaît pas les exigences du droit à un recours effectif.

(7 mai 2020, Société Provence Lotissements, 440279)

 

96 - Art. L. 480-14 du code de l’urbanisme - Défaut de permis ou d’autorisation de construire, d’aménager ou de démolir - Saisine du juge judiciaire en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l’autorisation requise - Prescription de l’action civile - Atteinte au droit de propriété - Question présentant un caractère sérieux - Renvoi d’une QPC.

Présente un caractère sérieux la question de savoir si les dispositions de l’art. L. 480-14 du code de l’urbanisme (selon lequel : «  La commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme peut saisir le tribunal de grande instance en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l'autorisation exigée par le présent livre, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du présent code, en violation de l'article L. 421-8. L'action civile se prescrit en pareil cas par dix ans à compter de l'achèvement des travaux ».) portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, d’où son renvoi au Conseil constitutionnel.

(29 mai 2020, M. X., n° 436834)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Avril 2020

Avril 2020 

 

Du Covid-19 et de la gloire du référé : des difficultés de la fonction de juger.

 

La présente chronique de jurisprudence est tout entière dominée par le double effet de l’épidémie de Covid-19 et de l’utilisation massive des deux référés urgents, le référé liberté, très largement prédominant, et le référé suspension, moins fréquent.

Elle révèle l’aspect Janus de ces référés, d’une part, remarquables par leur aptitude à permettre une justice rapide, et d’autre part, faiblement adaptés à des contentieux très techniques et complexes.

D’où un certain sentiment d’inconfort intellectuel devant l’emploi de formules et de tournures jurisprudentielles stéréotypées, le recours à une rédaction argumentative davantage tournée vers la persuasion que vers la rectitude juridique, une soumission totale aux observations de comités « scientifiques », une acceptation permanente de choix gouvernementaux estimés a priori sinon bons du moins qu’il serait de mauvais goût de trop critiquer.

De là semble être née une « régulation » juridictionnelle de l’action gouvernementale devant l’adversité épidémique dans un sens sans doute par trop « union nationale ».

Si l’on peut comprendre la sidération de la justice devant ce phénomène par ailleurs mal connu en sa substance, il reste cependant qu’à trop vouloir légitimer les décisions des gouvernants de l’heure, par nature éphémères et intéressées, il ne faudrait pas que le prestige du juge en ressorte écorné.

  

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Covid-19 - Demande de suspension - Communiqué de presse d’une secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées - Acte faisant grief - Absence - Rejet.

L’organisation requérante demandait, d’une part, la suspension partielle de l'exécution du communiqué de presse du 16 mars 2020 du secrétariat d'Etat chargée des personnes handicapées, intitulé « Mesures pour les personnes en situation de handicap vivant à domicile et/ou accompagnées en établissement médico-social, dans le cadre de l'épidémie de covid-19, actualisées suites aux annonces du Premier ministre du 14 mars 2020 », et d’autre part, que soient accordées aux résidents des établissements sociaux et médico-sociaux, en application de diverses conventions internationales, les mêmes libertés qu’aux autres résidents sur le territoire national ainsi qu’un droit d’accès du contrôleur général des lieux de privation de liberté que sont devenus lesdits établissements du fait de ce communiqué.

La requête est rejetée faute que ce communiqué fasse grief dans la mesure où il ne comporte que des recommandations, laissant sauve la liberté de décision des chefs d’établissements en cette matière.

(ord. réf. 8 avril 2020, « Collectif pour la Liberté d'Expression des Autistes » (CLE Autistes), n° 439822)

 

2 - Covid-19 – Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 – Demande de suspension – Rejet.

Le requérant, qui en demande par ailleurs l’annulation, sollicite la suspension d’exécution du décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

Cela lui est très logiquement refusé au motif que n’existe aucune urgence en l’espèce alors qu'un intérêt public particulièrement éminent s'attache à l'exécution des mesures prises par le décret litigieux, dans le contexte actuel de crise sanitaire et de mise sous tension des structures hospitalières. Au reste, doit être relevé le fait que cette requête, enregistrée le 25 mars 2020 et pour laquelle l’instruction est close depuis le 30 mars à midi, ne trouve son épilogue que plus de trois semaines plus tard… Il était sans doute urgent d’attendre…

(ord. réf. 22 avril 2020, M. X., n° 439787)

 

3 - Exécution des lois - Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 (art. L. 1110-3 c. santé pub.) - Décret d’application - Dépassement du délai raisonnable d’exécution - Annulation du refus implicite de prendre ce décret - Injonction sans astreinte de prendre ce décret sous neuf mois.

Constatation par le Conseil d’Etat que le décret qu’exigeait la loi du 21 juillet 2009 pour l’application de l’art. 1110-3 du code de la santé publique n’ayant pas été pris à la date di 9 avril 2020, le délai raisonnable à cet effet est expiré. Il est enjoint au premier ministre de le prendre sous neuf mois.

(9 avril 2020, Conseil national de l'ordre des médecins, n° 428680)

 

4 et 5 - Covid-19 – Circulaire rappelant le cadre légal de l'utilisation d’un médicament – Demande d’injonction en ce sens au premier ministre – Principe du caractère toujours facultatif de la prise de circulaires – Rejet.

Le syndicat requérant demandait par voie de référé liberté qu’il soit enjoint au premier ministre de publier une circulaire rappelant le cadre légal de l'utilisation du Rivotril, médicament pouvant être utilisé dans le traitement du Covid-19.

On retiendra de cette décision, par ailleurs assez classique sur le fond en ce qu’elle traite du Covid-19, la réaffirmation par le Conseil d’État que l'administration n'est jamais tenue de prendre une circulaire visant à faire connaître l'interprétation qu'elle retient de l'état du droit en vigueur, sur lequel un tel acte demeure en outre sans effet. C’est pourquoi, la publication d'une circulaire n'est, par suite, pas au nombre des mesures susceptibles d'être ordonnées par le juge du référé liberté.

(ord. réf. 15 avril 2020, Syndicat Jeunes médecins, n° 439948 ;

 

(5) v. aussi, à propos du médicament Ritrovil, du même jour, avec identique rejet : ord. réf. M. X. et autres, n° 440029)

 

Collectivités territoriales

 

6 - Covid-19 - Application de l’état d’urgence sanitaire au territoire de la Polynésie française - Pouvoirs accordés au haut-commissaire de la république dans ce territoire - Rejet.

Le requérant, résidant en Polynésie française, demande que soit ordonnée la suspension de l'exécution des dispositions des 1° et 3° de l'article 1er du décret n° 2020-432 du 16 avril 2020 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en tant que ces dispositions s'appliquent à la Polynésie française, ainsi que le 5° de ce même article en tant qu'il édicte, pour la Polynésie française, le a) du I de l'art. 14 du décret du 23 mars 2020. Il invoque, au soutien de sa requête en référé divers moyens d’irrégularité qui affecteraient le décret attaqué. En particulier, il critique l’étendue et les conditions juridiques de la dévolution de pouvoirs spécifiques à cet effet au haut-commissaire de la république en Polynésie française.

Aucun des moyens n’est - et ne pouvait d’ailleurs l’être - retenu par le juge qui rejette ainsi le recours.

(ord. réf. 23 avril 2020, M. X., n° 440152)

 

Contentieux

 

7 - Demandes des parties - Obligation du juge à leur égard - Interdiction de statuer infra petita et ultra petita - Annulation partielle sans renvoi.

Doit être annulée la partie d’un arrêt d’appel qui statue au-delà des conclusions qui lui étaient soumises en annulant la délibération d’un conseil municipal arrêtant le plan d’alignement d’une voie de la commune alors que ne lui était demandée que l’annulation de cette délibération en tant qu’elle portait plan d’alignement d’une autre voie.

(3 avril 2020, M. et Mme X., n° 431931)

 

8 - Covid-19 - Demande de suspension de l’exécution de décrets prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire - Référé suspension non assorti d’une requête en annulation - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

Est manifestement irrecevable, et doit être rejetée selon la procédure expéditive de l’art. L. 522-3 CJA, la requête en référé suspension qui n’est pas accompagnée d’une demande d’annulation des décisions dont est sollicitée la suspension d’exécution.

(ord. réf. 8 avril 2020, M. X., n° 439837)

 

9 - Covid-19 - Médecin de ville - Interdiction d’administration d’un traitement à ses patients - Absence d’atteinte à sa situation personnelle - Absence d’urgence - Rejet.

Le requérant, qui est médecin de ville, demande la suspension de l'exécution du décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 en ce qu'il interdit aux médecins de ville de prescrire à des malades de l'hydroxychloroquine et du lopinavir associé au ritonavir.

La requête est rejetée pour défaut d’urgence, selon la procédure expéditive de l’art. L. 522-3 CJA. Le juge relève en effet qu’il n’y a pas d’urgence à statuer tant en raison des circonstances exceptionnelles ayant motivé la prise de ce décret que de l’intérêt public qui s’attache au respect de la réglementation en matière de traitement médical comme de l’absence d’atteinte à la situation du requérant.

Un rejet pour défaut d’intérêt à agir eu sans doute été préférable.

(ord. réf. 29 avril 2020, M. X., n° 440130)

 

10 - Covid-19 – Pouvoirs du juge du référé liberté – Demande d’injonction d’adopter des mesures économiques structurelles – Demande n’entrant pas dans les pouvoirs et missions de ce juge des référés – Rejet.

Les requérants demandaient au juge d’enjoindre aux autorités responsables de prendre diverses mesures économiques et financières comme, par exemple, l’interdiction de la distribution de tout dividende sur les résultats 2019 pour plusieurs catégories de sociétés, celle de procéder, pour certaines, à une opération de rachat de ses propres actions, la consignation des dividendes non encore distribués, la création d’une contribution exceptionnelle à l’effort de solidarité, l’affection à des financements préfixés du sole disponible à la Caisse des Dépôts et Consignations à la fin de la période de confinement, etc.

De telles demandes sont bien évidemment rejetées par le juge saisi dès lors que les « demandes ainsi présentées (…) ne visent pas tant à assurer, par des mesures provisoires décidées en urgence, la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle il serait portée une atteinte grave et manifestement illégale par une personne morale de droit public, en l'occurrence l'Etat, qu'à obtenir la mise en place d'une série de mesures structurelles ayant pour objet et pour effet de modifier le fonctionnement de l'économie française et notamment l'organisation de ses principales entreprises, y compris dans leurs relations avec leurs actionnaires comme avec leurs salariés ».

De telles mesures ne sauraient relever de la compétence du juge des référés.

(ord. réf. 21 avril 2020, M. X. et autres, n° 440024)

 

Contrats

 

Droit fiscal et droit financier public

 

11 - Covid-19 - Déclaration des revenus 2019 – Report de la date limite – Dates différentes selon le recours, ou non, à des experts-comptables - Illégalité – Absence – Rejet.

Le requérant, avocat fiscaliste de son état, demandait, en référé liberté, qu’il soit fait injonction à plusieurs ministres de proroger les délais de dépôt de déclarations des revenus jusqu'au 31 juillet 2020 car, en l’état, il serait porté une atteinte grave et manifestement illégale au principe d’égalité du fait d’une différence de traitement injustifiée entre les contribuables selon que leurs déclarations professionnelles sont souscrites par un expert-comptable ou non, ces derniers disposant d’un délai plus court pour déposer leurs déclarations, et cela alors que le report des dates limites de dépôt des déclarations de revenus personnels demeure insuffisant.

Rejetant ce recours, le Conseil d’Etat rappelle, d’une part, que le requérant se trompe en indiquant les dates limites, celles-ci étant toutes reportées au 30 juin 2020, et d’autre part, la possibilité d’effectuer par internet la déclaration des revenus, d’utiliser entre un avocat et son client les voies téléphonique et informatiques, ce qui évite des déplacements dangereux pour la santé.

(ord. réf. 20 avril 2020, M. X., n° 439985)

 

Droit public de l’économie

 

12 - Investissements étrangers en France - Exercice de certaines activités économiques - Autorisation préalable du ministre de l’économie - Renseignements exigés dans la demande d’autorisation - Prise de contrôle d’une société par une autre - Rejet.

Les requérants demandaient au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt confirmatif de la cour administrative d’appel ayant rejeté leur recours en annulation du jugement déclarant légale l’autorisation ministérielle donnée à la prise de contrôle d’une société par une autre.

Leur pourvoi est rejeté.

L’art. L. 151-3 du code monétaire et financier donne compétence au ministre de l’économie pour donner l’autorisation préalable aux investissements étrangers en France qui concernent une activité qui soit participe à l’exercice de l’autorité publique soit porte sur l’un des domaines limitativement énumérés au I de ce texte.

Pour contester l’autorisation donnée à un fonds d’investissement dont la société gestionnaire est spécialisée dans les investissements en crédit et en capital ainsi que dans les opérations de rachat et capital-développement, les demandeurs reprochaient notamment au ministre de n’avoir pas fait toutes les vérifications d’identité nécessaires concernant l’investisseur.

Le Conseil d’Etat, rejetant ce moyen, apporte cette importante précision que si la demande d’autorisation doit indiquer les nom et adresse de l'investisseur et, s'il s'agit d'une personne morale, les renseignements permettant de déterminer les personnes physiques ou les collectivités publiques qui la contrôlent en dernier ressort, en revanche aucun texte ou principe n’impose que soit précisée l'identité de tous les investisseurs participant à ce fonds.

Enfin, eu égard aux garanties offertes par l’investisseur et à son expérience, il n’apparait point qu’en accordant cette autorisation le ministre défendeur ait commis une erreur manifeste d’appréciation

(3 avril 2020, M. et Mme X., n° 422580)

 

13 - Autorité des marchés financiers - Refus d’user de son pouvoir d’injonction envers des actionnaires d’une société - Contestation - Ordre de juridiction compétent - Juridiction judiciaire - Rejet pour incompétence ratione materiae.

Le Conseil d’Etat estime que le litige opposant une société financière à l'Autorité des marchés financiers, relatif à la légalité de la décision par laquelle cette dernière refuse de faire droit à la demande de cette société tendant à ce qu'elle fasse usage des pouvoirs d'injonction, qu'elle tient de l'article L. 621-14 du code monétaire et financier, à l'encontre de certains actionnaires d’une autre société détenant plus de 30 % de son capital ou de ses droits de vote afin qu'ils déposent une offre publique d'acquisition obligatoire visant les titres de la société requérante, relève de la compétence du juge judiciaire ainsi que les conclusions tendant à la réparation du préjudice que la société estime avoir subi du fait de cette décision.

(3 avril 2020, Société Financière Taulane, n° 422178)

 

14 - Covid-19 - Régulation des marchés de l’électricité et du gaz naturel - Fournisseurs alternatifs d’électricité - Délibération de la Commission de régulation de l’électricité (CRE) - Activation d’une clause de force majeure - Baisse de la consommation électrique des secteurs tertiaire et industriel - Mise en péril alléguée d’entreprises - Absence d’urgence - Rejet.

La présente décision illustre l’ébranlement économique provoqué par l’épidémie de Covid-19.

Les associations requérantes demandaient, pour l’essentiel, la suspension de l'exécution de la délibération de la CRE du 26 mars 2020 portant communication sur les mesures en faveur des fournisseurs prenant en compte des effets de la crise sanitaire sur les marchés d'électricité et de gaz naturel, en tant que cette délibération porte sur « l'évolution du cadre de l'ARENH (pour « Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique ») » et, notamment, donne une interprétation des conditions d'invocation de la force majeure et refuse de transmettre à Réseau de transport d’électricité (RTE) l'évolution des volumes d'ARENH livrés par la société EDF aux fournisseurs concernés liée à une demande d'activation de la clause de force majeure.

La crise sanitaire, en réduisant très fortement l’activité d’un grand nombre d’entreprises des secteurs industriel et tertiaire, a entraîné une baisse de la consommation d'électricité en France de l'ordre de 15% en moyenne par rapport au niveau habituellement constaté au mois de mars. Celle-ci s'est accompagnée d'une forte baisse des prix de l'électricité sur les marchés de gros.

En conséquence, le chiffre d'affaires des fournisseurs d'électricité a baissé de façon importante et, pour ceux d’entre eux qui avaient acheté par avance, à prix fixe, les quantités d'électricité qu'ils estimaient nécessaires à l'approvisionnement de leurs clients disposent d'un surplus d'électricité qu'ils doivent, ne pouvant la stocker, vendre sur le marché à un prix inférieur à celui auquel ils l'ont achetée. Il en va notamment ainsi des fournisseurs ayant exercé les droits qu'ils tiennent du mécanisme d'accès régulé à l'énergie nucléaire historique, qui ont acquis, dans les conditions prévues par les accords-cadres qu'ils ont conclus avec EDF des quantités fixées à l'avance pour l'année 2020 au prix de 42 euros par MWh alors que ce prix est tombé en mars 2020 à 21 euros.

Certains fournisseurs ont invoqué l’existence d’un cas de force majeure tel qu’il est défini à l’art. 10 du modèle annexé à l'arrêté du 12 mars 2019 portant modification de l'arrêté du 28 avril 2011 pris en application du II de l'article 4-1 de la loi n° 2000-108 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité  (« La force majeure désigne un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l'exécution des obligations des Parties dans des conditions économiques raisonnables ») et demandé la mise en œuvre des stipulations de l'article 13 de ces accords-cadres qui prévoit que l'exécution de l'accord-cadre pourra être suspendue, notamment, en cas de survenance d'un événement de force majeure, tel que défini à l'article 10, et que, dans cette hypothèse, « la suspension prend effet dès la survenance de l'événement de force majeure et entraîne de plein droit l'interruption de la cession annuelle d'électricité et de garanties de capacité ».Ils ont donc souhaité qu’il fût mis fin en tout ou partie, pendant la durée de la crise sanitaire, aux livraisons des volumes d'électricité qu'ils ont acquis par avance auprès d'EDF et de leur permettre, en cas de suspension partielle, de ne pas acquérir la part d'électricité excédant la demande de leur clients, voire, en cas de suspension totale, d'acquérir sur le marché, à un prix inférieur à celui fixé dans le cadre de l'ARENH, les volumes nécessaires à la satisfaction de cette même demande. Ils ont demandé à la CRE de tirer les conséquences de leur volonté d'activer la clause de force majeure en modifiant à due concurrence les quantités d'électricité devant être injectées par EDF sur le réseau en application du mécanisme de l'ARENH, que cette commission notifie à EDF et au gestionnaire public de réseau en application de l'article R. 336-19 du code de l'énergie.

La CRE, par sa délibération du 26 mars 2020, a indiqué le refus d’EDF de considérer qu’existait en l’espèce une situation de force majeure au sens de l’art. 10 précité, qu’elle ne pouvait que constater le désaccord entre les parties contractantes, dit qu’à ses yeux, d’une part, la force majeure ne trouverait à s'appliquer que si l'acheteur parvenait à démontrer que sa situation économique rendait totalement impossible l'exécution de l'obligation de paiement de l'ARENH, et d’autre part, que les conséquences d'une suspension totale des contrats ARENH en raison de l'activation des clauses de force majeure seraient disproportionnées, créant en outre  un effet d'aubaine pour les fournisseurs au détriment d'EDF qui irait à l'encontre des principes de fonctionnement du dispositif, qui reposent sur un engagement ferme des parties sur une période d'un an. Par suite, la CRE a décidé de ne pas transmettre à RTE une évolution des volumes d'ARENH livrés par EDF aux fournisseurs concernés liée à une demande d'activation de la clause de force majeure.

C’est la délibération dont la suspension est demandée au Conseil d’État dans le présent litige.

En premier lieu,  le Conseil d’Etat relève que cette délibération comporte seulement, d’abord, le constat du désaccord entre EDF et certains fournisseurs, ensuite l'interprétation qu'elle retient des dispositions réglementaires de l'article 10 du modèle d'accord-cadre définissant la force majeure et déterminant les conditions de son invocation et, enfin, son analyse des conséquences sur le marché de l'électricité d'une suspension totale des contrats conclus pour la mise en œuvre de l'ARENH du fait de l'activation des clauses de force majeure. Il s’agirait là de « considérations d'ordre général (qui) ne constituent pas le motif de son refus ».

En deuxième lieu, il est jugé que la divergence d'interprétation opposant les associations requérantes à la CRE au sujet de la portée des dispositions des articles 10 et 13 précités n’entraine donc pas une impossibilité générale et définitive de mise en œuvre effective de la clause de suspension d'exécution des contrats pour cause de force majeure, mais seulement le report de cette mise en œuvre jusqu'à ce que, pour chacun des fournisseurs concernés, le juge compétent apprécie, au cas par cas, si les conditions posées par l'article 10 sont réunies. Il relève, au passage, n’être pas lié par l'interprétation de l'article 10 donnée par la CRE.

Enfin, à supposer que les pertes mettent en péril l’existence des fournisseurs à l’horizon de quelques mois, cela ne confère pas à la demande des requérantes une urgence telle que ne puisse pas être suivie la procédure normale devant le juge compétent au fond. Au reste, précise encore le juge, il est loisible aux différentes parties, appliquant les dispositions de l’art. 19 des accords-cadres, de négocier des modalités dérogatoires de mise en œuvre des obligations des parties tenant compte des circonstances particulières liées à la crise sanitaire.

(ord. réf. 17 avril 2020, Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG) et Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE), n° 439949)

 

Droit social et action sociale

 

15 - Sécurité sociale - Compétence exclusive des États de l’UE - Obligation de respecter les règles du droit de l’Union - Droit de la concurrence - Organisme sans but lucratif placé sous le contrôle de l’État - Exclusion- Rejet.

Rappels, d’une part, de ce que le droit de l'Union européenne ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leur système de sécurité sociale et d’autre part, de ce que les États membres doivent, dans l'exercice de cette compétence, respecter le droit de l'Union européenne, notamment les règles de concurrence entre entreprises.

Toutefois, « un organisme chargé de la gestion d'un régime de sécurité sociale, poursuivant une fonction à caractère social dépourvue de tout but lucratif, ne peut être regardé comme une entreprise au sens du traité, dès lors que ce régime met en œuvre le principe de solidarité et est soumis au contrôle de l'État ».

(9 avril 2020, M. X., n° 431886)

 

16 - Covid-19 – Employés des entreprises métallurgiques – Demande de clarification entre celles indispensables ou non pour la lutte contre l’épidémie – Demandes de diverses mesures de protection et de garantie – Rejet.

La Fédération requérante demande qu’il soit enjoint à l'Etat, d'une part, de dresser la liste, par secteurs d'activités, des entreprises de la métallurgie essentielles à la Nation, et d'ordonner la fermeture des entreprises métallurgiques non essentielles à la Nation, d'autre part, de prendre des mesures spécifiques de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs qui continueront à travailler au sein des entreprises essentielles à la Nation, tant en termes de matériels de protection et de tests à réaliser par les services de santé au travail, qu'en termes d'instructions strictes aux employeurs et de moyens de contrôle du respect de ces instructions.

Le recours est évidemment rejeté en ses deux branches.

D’abord, l’intrication du tissu industriel permet difficilement de pratiquer le tri demandé d’autant qu’existent des possibilités de variation, une activité devenant par la suite essentielle. Ensuite, les mesures déjà prises par les pouvoirs publics, le fonctionnement normal des instances représentatives et le renforcement des pouvoirs de l’inspection de travail permettent déjà des réponses aux demandes formulées par la requérante excluant l’urgence seule susceptible de fonder l’intervention du juge u référé liberté.

(ord. réf. 18 avril 2020, Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT (FTM-CGT), n° 440012)

 

Élections

 

17 - Covid-19 - Demande par voie de référé liberté de la suspension du décret convoquant les électeurs aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars - Premier tour s’étant déroulé avant que le juge ne statue - Non-lieu à statuer.

Le requérant demandait, par voie de référé liberté, la suspension de la décision de maintenir la tenue des élections municipales les 15 et 22 mars 2020, alors que l'épidémie de covid-19 ne saurait être éradiquée d'ici 48 heures et qu'il est fait interdiction aux personnes fragiles de voir leurs proches, porte une atteinte grave et manifestement illégale au principe d'égalité devant le devoir électoral, à la souveraineté populaire et à la sincérité du scrutin.

Curieusement, non seulement le Conseil d’Etat ne s’est pas prononcé dans le délai de 48 heures, mais a attendu plus de trois semaines pour constater que dès lors que le premier tour s’était déroulé, il n’y avait plus lieu de statuer sur la requête.

(ord. réf. 7 avril 2020, M. X., n° 439512)

 

Environnement

 

18 - Éoliennes terrestres - Régime du décret du 29 novembre 2018 - Principe de non-régression - Atteinte - Absence - Principe du double degré de juridiction - Délais de procédure devant la cour administrative d’appel - Cristallisation des moyens - Rejet.

Les organisations demanderesses soutenaient qu’il avait été porté atteinte au principe de non-régression, principe cardinal du droit de l’environnement par les dispositions du décret du 29 novembre 2018 relatif aux éoliennes terrestres, à l'autorisation environnementale et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit de l'environnement.

Leur recours est, très logiquement, rejeté.

D’une part, ce décret ne contient pas de dispositions de nature à affaiblir la protection de l’environnement telle qu’elle résulte du droit positif ; par suite, ne saurait être invoqué à leur encontre une quelconque violation du principe de non-régression.

D’autre part, toujours à l’appui de ce que ce décret porterait atteinte à ce dernier principe, étaient développés plus sieurs aspects de la procédure contentieuse, dont aucun ne pouvait emporter la conviction du juge. Ainsi, de l’invocation d’une atteinte au principe du double degré de juridiction, lequel n’existe pas sans texte, le caractère obligatoire du ministère d’avocat dans un matière de plein contentieux, la compétence de premier et dernier ressort attribuée aux cours administratives d’appel pour statuer sur les litiges de cette nature ou encore le délai de deux mois accordé pour répondre au premier mémoire en défense, assorti de la cristallisation automatique des moyens au terme de ce délai, aucune autre cristallisation ne pouvant être exigée par le juge avant ce terme, etc. Pas davantage n’est-il porté atteinte par le décret attaqué à l’exigence du respect du principe du caractère contradictoire de la procédure contentieuse.

(3 avril 2020, La demeure historique, n° 426941 ; Association Fédération environnement durable et autres, n° 427388, jonction)

 

 

Fonction publique et agents publics

 

19 - Lieutenant pénitentiaire - Attribution d’un logement par nécessité absolue de service - Refus - Demande d’indemnisation pour obligation de se loger à proximité d’un centre pénitentiaire - Refus - Illégalité - Confirmation du jugement d’annulation.

Est confirmé le jugement condamnant l’administration pénitentiaire à verser à un agent auquel elle n’a pas attribué de logement par nécessité absolue de service, à l’indemniser de l’obligation où il s’est trouvé, pour pouvoir se déplacer, conformément à la réglementation applicable lors des services d’astreinte, en un quart d’heure maximum de sa résidence au centre pénitentiaire qu’il dirige.

(3 avril 2020, M. X., n° 423905)

 

20 - Covid-19 - Circonstances exceptionnelles - - Épreuves de classement des auditeurs de justice à l’issue de leur scolarité à l’École nationale de la magistrature (ENM) - Règles dérogatoires - Possibilité de déroger par ordonnance de l’art. 38 à des dispositions législatives ou réglementaires non à des dispositions relevant d’une loi organique (solution implicite) - Rejet.

Saisi d’un référé suspension de l’exécution de l'article 5 de l'ordonnance n° 2020-351 du 27 mars 2020 relative à l'organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19, s’agissant du concours de sortie de l’ENM, le Conseil d’Etat rejette la demande.

Décidant qu’eu égard aux circonstances, n’est pas irrégulière la mesure consistant à prévoir que l’épreuve de grand oral se déroulerait en visio-conférence pour les vingt-cinq derniers élèves-auditeurs de justice ne l'ayant pas passé avant le confinement, le Conseil d’Etat relève toutefois qu’il n’en est ainsi que parce qu’il n’est pas dérogé à celles des dispositions régissant cette épreuve qui sont de nature organique.

(ord. réf. 3 avril 2020, M. X., n° 439865)

 

21 - Covid-19 - Administration pénitentiaire - Demandes de protection en masques, gants et gel - Limitation des promenades et des « portes ouvertes » - Rejet.

(ord. réf. 8 avril 2020, Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière - personnels de surveillance, n° 439821)

Cette décision a été rapportée dans cette Chronique dans le n° spécial de mars 2020 consacré au Covid-19

 

22 - Covid-19 - Garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’Etat - Compétence du législateur (art. 34 de la Constitution) - Droit à congé des fonctionnaires et agents publics - Détermination des périodes de congés - Rejet.

La fédération requérante demandait au juge des référés d'ordonner la suspension de l'exécution de l'ordonnance n° 2020-430 du 15 avril 2020 relative à la prise de jours de réduction du temps de travail ou de congés dans la fonction publique de l'Etat et la fonction publique territoriale au titre de la période d'urgence sanitaire. Au soutien de sa requête la requérante faisait valoir qu'en permettant de placer d'office les agents en congés annuels à des dates fixées unilatéralement, les dispositions critiquées portent une atteinte grave au droit au respect de la vie privée et au droit au repos et aux loisirs et qu'une telle atteinte est manifestement illégale, notamment faute pour le législateur d'avoir habilité le Gouvernement à fixer des règles relatives aux congés des agents publics.

Le Conseil d’Etat rejette la requête en rappelant que s’il résulte des dispositions de l’art. 34 de la Constitution que figure au nombre des « garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’Etat » l’institution des différents droits à congé, en revanche la détermination des périodes au cours desquelles les congés annuels peuvent être pris ainsi que la possibilité de ne pas tenir compte, à cet égard, en particulier en raison des nécessités du service, des demandes des agents, ne relève que de la compétence du pouvoir réglementaire. Le président de la république était donc compétent pour prendre, sans habilitation préalable du législateur, la décision attaquée.

(ord. réf. 27 avril 2020, Fédération des personnels des services publics et des services de santé Force ouvrière, n° 440150)

 

Libertés fondamentales

 

23 - Covid-19 - Personnes sans abri ou en habitat de fortune ou en habitat indigne - Référé liberté - Demande de mesures sanitaires urgentes (masques et gants) et de dépistage systématique - Fourniture d’hébergements individuels ou autres - Rejet.

(ord. réf. 2 avril 2020, Fédération nationale droit au logement et autres, n° 439763)

Cette décision a été rapportée dans cette Chronique dans le n° spécial de mars 2020 consacré au Covid-19

 

24 - Covid-19 - Personnes démunies ou en situation de précarité - Bénévoles s’en occupant - Demandes de mise à l’abri, de fournitures d’équipement et de soins - Demande de création d’un enregistrement dématérialisé des demandes d’asile - Demande de gratuité de l’accès au téléphone et à internet - Demandes de protection sanitaire des bénévoles - Rejet.

(ord. réf. 9 avril 2020, Association Mouvement citoyen Tous Migrants et autres, n° 439895)

Cette décision a été rapportée dans cette Chronique dans le n° spécial de mars 2020 consacré au Covid-19

 

25 à 31 - Covid-19 - Déroulement et durée des détentions provisoires et des assignations à résidence sous surveillance électronique - Règles dérogatoires - Articles 15, 16 et 17 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 - Circulaire de la garde des sceaux du 26 mars 2020 - Rejet.

Les organisations requérantes demandaient la suspension, d’une part, de l’exécution de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, en ce qu'elle concerne les prolongations de plein droit de la durée de la détention provisoire prévues par l'article 16 de l'ordonnance, de la durée des délais de comparution immédiate ou encore d’assignation à résidence, et, d’autre part, de l’exécution de la circulaire du 26 mars 2020 (Justice) la commentant.

Si le rejet était attendu, eu égard aux habitudes du Conseil d’État en ces sortes d’affaires, il n’en est pas moins sérieusement discutable en ce qu’est admise une mesure générale et absolue alors qu’il s’agit d’un domaine où ne doivent exister que des décisions strictement individuelles éminemment dépendantes de chaque individu et de son dossier.

L’autorisation globale accordée au gouvernement dans une situation de panique législative ne dispensait pas le juge, qui nous avait habitué à mieux, d’encadrer strictement une atteinte aussi exorbitante aux droits des individus. De plus, la motivation selon laquelle ces dispositions auraient été prises afin « de permettre la continuité de l'activité des juridictions pénales essentielle au maintien de l'ordre public », laisse rêveur en raison du peu de rapports entre la mesure discrétionnaire de prolongation et le but recherché et, en tout cas, en raison de l’absence de proportionnalité entre eux et par rapport à l’épidémie à combattre.

(ord. réf. 3 avril 2020, Union des jeunes avocats de Paris (UJA de Paris), n° 439877 ; Association des avocats pénalistes (ADAP), n° 439887 ; Conseil national des barreaux, association Conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer et ordre des avocats au barreau de Paris, n° 439890 ; Union des jeunes avocats de Paris (UJA de Paris), n° 439898, jonction ;

 

(26) v. aussi, du même jour, avec solution identique, à propos d’un recours en référé suspension dirigé contre les articles 4, 5, 13, 14, 16, 17, du dernier alinéa de l'article 24 et de l'article 30 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, en tant qu’ils modifient nombre de règles de procédure pénale, autorisent les prolongations des gardes à vue des mineurs âgés de seize à dix-huit ans, le cas échéant sans présentation de la personne devant le magistrat compétent, les prolongations automatiques de la durée des détentions provisoires et de celle des comparutions immédiates, etc. : ord. réf., Syndicat des avocats de France, n° 439894. Cette décision appelle, comme la précédente, d’expresses réserves ;

 

(27) v. aussi, très voisine, à propos d’une personne incarcérée sollicitant de la chambre de l’instruction sa remise en liberté, la décision sur référé : 4 avril 2020, M. X., n° 439921 ;

 

(28) v. encore, toujours rejetant, dans le cadre d’un recours en suspension de l'exécution de la circulaire précitée du 26 mars 2020 de la garde des sceaux : ord. réf., 10 avril 2020, Union des jeunes avocats de Paris, n° 439901 ;

 

(29) ou encore, s’agissant de la demande de suspension de l'exécution des articles 7, 8, 9, 13 et du 2° du II de l'article 15 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 : ord. réf., 10 avril 2020, Syndicat des avocats de France, n° 439903 ;

 

(30) v. également, avec solution très comparable, à propos d’une demande de suspension de l'exécution de l'article 9 et des articles 13 à 19 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale : ord. réf., 10 avril 2020, Conseil national des barreaux et autres, n° 439883

 

(31) v., à la fois sur divers aspects de la procédure pénale affectés par l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 ordonnance et la circulaire (Justice) du 26 mars 2020 présentant les dispositions de l'ordonnance du 25 mars 2020 précitée et sur de nombreux griefs de légalité externe, évidemment rejetés : ord. réf. 22 avril 2020, Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, Conseil national des barreaux, ordre des avocats au barreau de Paris et association Conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer, n° 440039)

 

32 - Covid-19 - Liberté d’aller et de venir - Droit au respect de la vie privé - Droit à mener une vie familiale normale - Exercice de la liberté personnelle - Décret n° 2020-357 du 28 mars 2020 relatif à la forfaitisation de la contravention de la 5ème classe réprimant la violation des mesures édictées en cas de menace sanitaire grave et de déclaration de l'état d'urgence sanitaire - Absence d’atteinte au principe de légalité des délits et des peines - Absence de disproportion manifeste entre les faits retenus et les sanctions prévues - Rejet.

Ce référé liberté portait essentiellement sur la légalité de la forfaitisation de la contravention de 5ème classe prévue en cas de non-respect notamment des restrictions ou interdictions de circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ainsi qu’aux interdictions de sortir du domicile, sauf pour des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé.

La requête est - comme attendue - rejetée en tous ses chefs sans examen de la condition d’urgence et selon la procédure expédiente de l’art. L. 522-3 CJA

(ord. réf. 4 avril 2020, M. X., n° 439888)

 

33 - Covid-19 - Liberté d’aller et de venir - Limitation spatiale des déplacements - Limitation temporelle des activités physiques - Rejet.

Le Conseil d’Etat était saisi d’un référé liberté dirigé contre les dispositions du 5° du I de l'article 3 du décret du 23 mars 2020 en tant qu'elles restreignent la durée et la distance des déplacements liés à l'activité physique individuelle des personnes, respectivement à une heure quotidienne et dans un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile. Rejetant - comme cela est logique - cette demande, le juge relève que la condition d’urgence exigée par le texte de l’art. L. 521-2 CJA n’est pas remplie en l’espèce, eu égard, d'une part, aux circonstances exceptionnelles qui ont conduit le législateur à déclarer l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois et aux vues desquelles les dispositions contestées ont été prises, d'autre part, à l'intérêt public qui s'attache à l'exécution des mesures de confinement, dans le contexte actuel de saturation des structures hospitalières.

(ord. réf. 30 avril 2020, M. X., n° 440267)

 

34 et 35 - Covid-19 - Détenu - Demande de protections contre l’épidémie - Absence d’atteinte grave et manifestement illégale - Rejet.

L’intéressé, détenu au centre pénitentiaire de Fresnes, avait sollicité, en vain, du juge des référés du tribunal administratif qu’il ordonne à l’administration de lui fournir un masque, une paire de gants ainsi qu'une solution hydroalcoolique et de prendre toute mesure pour assurer sa protection, notamment en faisant respecter une distance sanitaire entre co-détenus. Il saisit le Conseil d’Etat. Sa requête est rejetée car l’instruction de son dossier contentieux ne montre aucune carence des autorités responsables de nature à porter atteinte de manière grave et immédiate à une liberté fondamentale.

En effet, les services du ministère de la justice ont pris les mesures afin de limiter les mouvements à l'intérieur des établissements pénitentiaires et de réduire les flux de circulation entre l'intérieur et l'extérieur ; semblablement ils ont demandé qu’il soit strictement veillé au respect des règles de sécurité sanitaire à l'intérieur de ces établissements ; également, a été établi un protocole relatif au signalement et à la détection des cas symptomatiques par une note du 6 avril 2020 et actualisée l’organisation de la réponse sanitaire par les unités sanitaires en milieu pénitentiaire en collaboration avec les services pénitentiaires ; enfin, il est assuré que toute personne correspondant à un cas confirmé ou à un cas symptomatique dont la prise en charge médicale ne justifie pas une hospitalisation fait l'objet d'un confinement sanitaire aux conditions ordinaires requises.

(ord. réf. 14 avril 2020, M. X., n° 439899 ;

 

(35) v. largement comparable, avec même solution, sur la demande d’un détenu à la maison d’arrêt de Grasse : 21 avril 2020, M. X., n° 440007)

 

36 - Covid-19 – Liberté d’aller et de venir hors du domicile – Droit aux soins (administration de l’hydroxychloroquine) – Atteinte grave et manifeste – Rejet.

Le requérant sollicitait du juge la suspension de l'exécution, d'une part, des dispositions réglementaires interdisant les déplacements hors de son domicile jusqu'au 11 mai 2020, et d'autre part, de celles restreignant l'administration de l'hydroxychloroquine à certaines catégories seulement de patients hospitalisés atteints par le covid-19.

Sans surprise, ce référé suspension est rejeté en ses deux demandes, la première (déplacements) car il n’y a pas urgence à statuer, la seconde (hydroxychloroquine) car il n’y a pas de douteux sérieux quant à la juridicité de la décision contestée.

(ord. réf. 20 avril 2020, M. X., n° 440119)

 

37 - Covid-19 – Personnes en EHPAD – Accès aux soins hospitaliers- Admission en réanimation – Droit de visite des familles pour les personnes en fin de vie - Prise en charge à domicile des personnes atteintes du Covid-19 – Tests et diagnostics post-mortem – Rejet.

(ord. réf. 15 avril 2020, Association Coronavictimes, n° 439910) V. n° 52

 

38 - Covid-19 – Avocats – Conditions d’exercice de la profession – Fourniture de masques et hydrogel en quantité suffisante – Choix de santé publique faits par le gouvernement – Office du juge du référé liberté - Rejet.

Dans ces deux affaires jointes les barreaux requérants demandaient, par voie de référé liberté, l’un et l’autre, n des termes et modalités légèrement différents, qu’il soit fait injonction à l'Etat de fournir à leurs membres des masques de protection, gants, blouses de protection et gels hydro alcooliques dans l'exercice de leurs missions.

Rejetant ces actions en référé le juge relève qu’en raison de l’épidémie de Covid-19, ont été adaptées tant l'activité des juridictions judiciaires en matières civile et pénale, les règles des procédures civile et pénale que l’organisation des services judiciaire ; en particulier, des règles d’hygiène et sanitaires strictes et protectrices régissent désormais les gardes à vue au moyen de gestes barrière. Enfin, les pouvoirs publics ayant choix de fournir en masques et autres, de façon prioritaire, les personnels de santé, même si l’approvisionnement en gel hydroalcoolique est devenu moins difficile, l’office du juge des référés ne lui permet que de prendre des mesures réalisables à très bref délai. A cet égard et de ce fait, ne peut en l’espèce être relevée dans l’attitude et les décisions en cause aucune carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées justifiant que le juge des référés ordonne les mesures de sauvegarde demandées.

(ord. réf. 20 avril 2020, Ordre des avocats au barreau de Marseille, n° 439983 ; Ordre des avocats au barreau de Paris, n° 440008, jonction)

 

39 - Covid-19 - Interdiction de se déplacer portant atteinte au droit de propriété - Récolte de bois de chauffe - Absence d’interdiction - Rejet.

Le requérant contestait l’atteinte à son droit de propriété portée par l’interdiction de se déplacer alors que, propriétaire d’un bois situé à proximité de son domicile, il ne peut s’y rendre, en cette fin de période hivernale, pour y procéder à la récolte de bois de chauffage.

Sa requête est rejetée car, d’une part, il n’existe nulle interdiction de se rendre dans sa propriété pour y récolter le bois nécessaire à ses besoins en chauffage et, d’autre part, le préfet du département a expressément autorisé, le 15 avril 2020, la récolte du bois.

(ord. réf. 29 avril 2020, M. X., n° 440195)

 

40 - Covid- 19 - Droit d’asile - Enregistrement des demandes d’asile - Fermeture des guichets d’enregistrement des demandes d’asile (GUDA) - Plateforme téléphonique de fixation des rendez-vous aux GUDA - Rejet des appels pour l’essentiel.

Les requérants ont saisi le juge du référé liberté du Conseil d’Etat d’un appel dirigé contre l’ordonnance du 21 avril 2020, par laquelle le juge des référés de première instance a enjoint, tant à l’autorité préfectorale qu’à l’OFII de prendre à bref délai un certain nombre de mesures.

A la première, il a été enjoint de rétablir dans un délai de cinq jours et jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, de façon adaptée au flux de la demande et, dans les conditions sanitaires requises, un nombre suffisant de guichets uniques pour demandeur d’asile permettant de traiter ce flux.

Au second, il était enjoint de procéder sans délai à la réouverture de sa plateforme téléphonique permettant de fixer des rendez-vous en guichet unique pour les demandeurs d’asile, en fonction du nombre de demandes et de la capacité d’accueil des guichets rouverts.

Après avoir, une nouvelle fois, rappelé que le droit d’asile est une liberté fondamentale au sens et pour l’application de l’art. L. 521-2 du CJA, le juge précise les exigences découlant de la transposition de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 : octroi au demandeur d’asile d’une autorisation provisoire de séjour et, en fonction de ses ressources, des conditions d’accueil lui permettant de satisfaire à ses besoins jusqu’à ce qu’il ait été statué sur cette demande.

Le juge opère deux constats sévères.

Tout d’abord, il constate que si le ministre de l’intérieur a bien précisé dans une circulaire du 16 mars 2020 qu’en période d’urgence sanitaire l’accueil des demandeurs d’asile figurait au nombre des missions qui devaient continuer à être assurées, en réalité les guichets des départements d’Ile-de-France ont suspendu leur activité le 17 mars, et celui de Paris, le 27 mars.

Ensuite, il constate que si aux termes de l’ordonnance n° 439895 du 9 avril 2020, le Conseil d’Etat avait estimé qu’en l’espèce il n’était pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile c’était en raison de l’assurance donnée par le ministre de l’intérieur, dans le cadre de l’instance de référé ayant donné lieu à cette ordonnance, d’une part, de la poursuite de l’enregistrement des demandes des personnes vulnérables, d’autre part, d’un recensement par les préfectures, en lien avec les associations et les Structures de premier accueil des demandeurs d’asile (SPADA), des personnes qui manifesteraient l’intention de présenter une demande d’asile. En réalité, et en dépit de ce que ledit ministre a assuré concernant une « permanence » qui serait assurée en préfecture, dans le cadre du complément d’instruction ordonné dans la présente affaire, il apparaît que le recensement prévu ci-dessus n’a pas « été effectivement mis en œuvre ».

Examinant les faits, le juge rejette les deux arguments avancés en défense : l’absence d’agents en nombre suffisant pour effectuer les enregistrements et l’impossibilité de respecter les mesures de distanciation physique car de telles limitations ne résultent pas de l’instruction écrite, des débats en audience publique et des éléments complémentaires fournis par le ministre de l’intérieur à la suite du complément d’instruction ordonné par le juge des référés à l’issue de l’audience.

Concluant qu’en l’espèce est établie la carence de l’Etat à mettre en œuvre l’enregistrement des demandes d’asile, et en priorité celles émanant des personnes les plus vulnérables, qui peuvent être identifiées avec l’aide des associations, le juge, rejetant pour l’essentiel les appels dont il est saisi, enjoint au ministre de l’intérieur de rétablir en Ile-de-France, sous cinq jours, l’enregistrement des demandes d’asile, en priorité de celles émanant des personnes présentant une vulnérabilité particulière, et à l’OFII de rétablir dans cette mesure le fonctionnement de sa plateforme téléphonique.

(ord. réf. 30 avril 2020, Ministre de l’intérieur, n° 440250 ; Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), n° 440253, jonction)

 

Police

 

41 - Épidémie de Covid-19 - Police sanitaire - Fermeture des marchés (couverts et de plein air) et des commerces sédentaires - Dérogations préfectorales possibles -Mesures et possibilités de dérogation proportionnées - Légalité - Rejet.

(ord. réf. 1er avril 2020, Fédération nationale des marchés de France, n° 439762)

Cette décision a été rapportée dans cette Chronique dans le n° spécial de mars 2020 consacré au Covid-19

 

42 - Épidémie de Covid-19 - Police sanitaire - Caractère injustifié des mesures de lutte contre le Covid-19 - Atteinte à l’économie et aux libertés fondamentales - Rejet.

Faisant montre d’originalité, la requérante a saisi le Conseil d’État d’un référé liberté pour le voir ordonner toutes mesures utiles pour éviter l'endettement des ménages car les mesures prises pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 paralysent la vie économique et portent une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, à la liberté de réunion, à la liberté d'entreprendre, à la liberté d'expression, à la liberté du travail, au droit au logement ainsi qu'aux principes d'égalité et de fraternité.

Le Conseil d’État, un tantinet agacé, rejette le recours - ce qui n’est guère surprenant - en se fondant sur la procédure expéditive de l’art. L. 522-3 CJA motif pris qu’en raison des circonstances exceptionnelles existant actuellement, de la durée limitée dans le temps des mesures visées et de l’intérêt général qui s’y attache, il n’existe aucune urgence particulière à y statuer.

L’infliction d’une amende pour recours abusif n’aurait, semble-t-il, pas été de trop…

(ord. réf. 16 avril 2020, Mme X., n° 440060)

 

43 - Covid-19 – Police sanitaire instituée par la loi du 23 mars 2020 – Police spéciale de l’État – Exclusion de la police générale du maire sauf conditions spéciales – Absence en l’espèce – Rejet.

Sur recours d’une association, les premiers juges ont annulé l’arrêté du maire de Sceaux subordonnant les déplacements dans l'espace public des personnes de plus de dix ans au port d'un dispositif de protection buccal et nasal. La commune saisit le Conseil d’État en alléguant, d’une part,  que sa population est plus âgée que la moyenne, avec 25 % de personnes de plus de 60 ans contre 19 % dans le reste de l'Ile-de-France, que les espaces verts, qui représentent le tiers de la superficie communale, ont été fermés et que les commerces alimentaires qui demeurent ouverts sont concentrés dans une rue piétonne du centre-ville dont la largeur n'excède pas quatre mètres en certains endroits, rendant ainsi difficile le strict respect des gestes de distanciation sociale.

Le Conseil d’État rejette le recours de la commune au terme du raisonnement suivant.

La loi du 23 mars 2020 dite d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, aurait, selon le juge, institué au profit des autorités étatiques des pouvoirs exclusifs de police sanitaire qui constituent une police spéciale.

Le maire, titulaire des pouvoirs de police générale, ne peut édicter des mesures de lutte contre l’épidémie qu’à la double condition qu'elles soient exigées par des raisons impérieuses propres à la commune et qu'elles ne soient pas susceptibles de compromettre la cohérence et l'efficacité des mesures prises par l'État dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale.

Les arguments avancés par la commune au soutien de la juridicité de l’arrêté municipal querellé ne satisfont pas, selon le juge, aux deux conditions ci-dessus rappelées : « ni la démographie de la commune de Sceaux ni la concentration de ses commerces de première nécessité dans un espace réduit, ne sauraient être regardées comme caractérisant des raisons impérieuses liées à des circonstances locales propres à celle-ci et qui exigeraient que soit prononcée sur son territoire, en vue de lutter contre l'épidémie de covid-19, une interdiction de se déplacer sans port d'un masque de protection ».

Autant dire qu’il sera très difficile à un maire désireux de prendre des mesures de police plus contraignantes en la matière, de le faire.

(ord. réf. 17 avril 2020, Commune de Sceaux, n° 440057)

 

44 - Covid-19 - Liberté d’aller et de venir - Détermination du moyen de transport utilisé - Bicyclette - Absence d’interdiction en droit - Communication erratique des pouvoirs publics - Injonction d’information correcte du public.

La fédération demanderesse sollicitait du juge du référé liberté notamment qu’il enjoigne au premier ministre, au ministre de l’intérieur et à la ministre des sports, de publier, dans les vingt-quatre heures à compter du prononcé de sa décision, sur leurs sites internet, sur leurs comptes sur réseaux sociaux (Twitter et Facebook) et par voie d’affichage, un communiqué autorisant expressément l’utilisation du vélo pour tous les motifs de déplacement indiqués dans l’article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, en spécifiant clairement que le vélo à titre d’activité physique individuelle, est autorisé, et en retirant toute information contraire.

La requérante exposait avoir relevé une pratique illégalement restrictive et incohérente de la part des autorités de police en matière d’utilisation des bicyclettes, notamment des verbalisations abusives et des fermetures anormales de pistes cyclables.

Le juge, au visa de l’art. 3 du décret du 23 mars 2013 - pris sur l’art. L. 3131-15 du code de la santé publique, introduit dans ce code par la loi du 23 mars 2020 d'urgence - et prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid 19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, modifié et complété à plusieurs reprises, constate qu’en droit, il résulte de ses termes mêmes que l’usage, pour un déplacement qu’il autorise, d’un moyen de déplacement particulier notamment d’une bicyclette, ne saurait, à lui seul, caractériser une violation de l’interdiction qu’il édicte.

Toutefois, il relève qu’en fait, ainsi que le soutient la fédération requérante, malgré l’existence d’une position de principe permettant l’utilisation de la bicyclette sous certaines conditions, « plusieurs autorités de l’Etat continuent de diffuser sur les réseaux sociaux ou dans des réponses à des « foires aux questions », l’information selon laquelle la pratique de la bicyclette est interdite dans le cadre des loisirs et de l’activité physique individuelle « à l’exception des promenades pour aérer les enfants où il est toléré que ceux-ci se déplacent à vélo, si l’adulte accompagnant est à pied », ainsi qu’un pictogramme exprimant cette même interdiction ». Et le juge d’estimer que la faculté de se déplacer en utilisant un moyen de locomotion dont l’usage est autorisé constitue, au titre de la liberté d'aller et venir et du droit de chacun au respect de sa liberté personnelle, une liberté fondamentale dont le respect peut être assuré par la voie du référé liberté.

Il estime également que si un cycliste s’estimant verbalisé à tort peut, devant le juge judiciaire, contester l’infraction qui leur est reprochée, la faculté reconnue à l’administration, d’exécuter d’office les mesures prescrites en application du décret du 23 mars 2020 est de nature à conduire, en cas d’interdiction de déplacement opposée, à tort, à raison du seul usage d’une bicyclette, à ce que le cycliste contrôlé soit tenu de descendre de son véhicule et de poursuivre son trajet à pied.

Dans ces conditions, il est jugé, « compte tenu de l’incertitude qui s’est installée, à raison des contradictions relevées dans la communication de plusieurs autorités publiques, sur la portée des dispositions de l’article 3 du décret du 23 mars 2020, particulièrement en ce qui concerne l’activité physique, quant à l’usage de la bicyclette et des conséquences de cette incertitude pour les personnes qui utilisent la bicyclette pour leurs déplacements autorisés, l’absence de diffusion publique de la position gouvernementale (…)  doit être regardée, en l’espèce, comme portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ». Le juge des référés enjoint donc au premier ministre de rendre publique, sous vingt-quatre heures, par un moyen de communication à large diffusion, la position en question.

En revanche, sont rejetées pour des motifs de droit du contentieux, d’une part, les conclusions contestant la fermeture de plusieurs pistes cyclables par des décisions préfectorales et demandant le prononcé d’une injonction de les rouvrir, les tribunaux administratifs étant seuls compétents à cet effet en premier ressort, et d’autre part, les conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint à juridiction judiciaire d’interrompre toutes les poursuites engagées contre les cyclistes ayant fait l’objet d’un procès-verbal d’infraction aux dispositions de l’article 3 du décret du 23 mars 2020, le juge administratif ne pouvant adresser une injonction à l’autorité judiciaire.

(ord. réf. 30 avril 2020, Fédération française des usagers de la bicyclette, n° 440179)

 

Professions réglementées

 

45 et 46 - Covid-19 - Notaires - Forme des actes notariés - Actes notariés à distance - Urgence sanitaire - Violation de la loi (code civil) - Absence - Rejet.

Le demandeur, qui exerce la profession de notaire, sollicite la suspension d’exécution du décret du 3 avril 2020 autorisant l'acte notarié à distance pendant la période d'urgence sanitaire.

Il excipe en particulier de ce que cette modalité contreviendrait aux dispositions de l’art. 1371 du Code civil selon lequel « l'acte authentique fait foi (…) de ce que l'officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. (…) » car elle permet l'établissement de l'acte notarié sur support électronique.

Le Conseil d’Etat rejette le recours au motif « qu'il ne résulte d'aucune disposition législative que la mission du notaire instrumentaire ne puisse être accomplie que dans le cas d'une comparution physique des parties ».

(15 avril 2020, M. X., n° 439992 ;

 

(46) v. aussi, à propos du rejet de la demande de suspension de l’exécution de ce décret faite par un notaire au motif qu’il génère des risques de fraude liés à l'absence de comparution physique des parties et à la circonstance que n'est pas imposée l'utilisation d'un système de visioconférence homologué par l'Agence nationale pour la sécurité des systèmes d'information : ord. réf. 23 avril 2020, M. X., n° 440131)

 

47 - Covid-19 - Débitants de tabacs - Demande de distribution de masques et autres matériels de protection - Rejet.

Le requérant, exploitant d’un commerce de tabac-presse, commerce dont l’ouverture au public a été maintenue, demande qu’il soit fait injonction à l’Etat de prendre toutes mesures utiles pour fournir des masques anti-projection et/ou de protection respiratoire ainsi que tous autres matériels de protection (surblouses, charlottes, surchaussures, gels hydroalcooliques) aux gérants et personnels des bureaux de tabac-presse, notamment en les incluant sur la liste des professionnels susceptibles de bénéficier de la distribution des matériels de protection issus du stock national ou provenant des mesures de réquisition de biens prises dans le cadre de sa stratégie de lutte contre l'épidémie de covid-19.

Le juge rejette chacune de ces deux demandes pour des motifs différents. Concernant la distribution prioritaire des masques et alors que la requête a été formée le 21 avril, il relève qu’en raison de l’insuffisance des stocks l’Etat a été conduit à fixer des priorités au nombre desquelles ne se trouvent pas les personnes travaillant dans un débit de tabacs vendant de la presse mais qu’une distribution tout public a commencé le 27 avril avec mise en vente de ces équipements. De là résulte l’absence d’atteinte manifeste à une liberté fondamentale.

Concernant les autres matériels réclamés, l’absence de précisions sur ce point dans la requête conduit à rejeter ce chef de demande.

(ord. réf. 29 avril 2020, M. X., n° 440202)

 

Santé publique

 

48 - Covid-19 - Doses nécessaires au traitement de l’épidémie par hydroxychloroquine et azithromycine - Organisation de tests de dépistage - Cas particulier de la Guadeloupe - Annulation partielle de l’ordonnance de référé.

(4 avril 2020, Centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe (CHU), n° 439904 ; ministre des solidarités et de la santé, n° 439905, jonction)

Cette décision a été rapportée dans cette Chronique dans le n° spécial de mars 2020 consacré au Covid-19

 

49 - Covid-19 - Demande d’accroissement de la production de masques et de réalisations de tests de dépistage - Demande de nationalisation de deux entreprises œuvrant dans le secteur des réponses à l’épidémie - Rejet.

Le Conseil d’Etat était, à nouveau, saisi, d’une part de demandes tendant à voir le juge ordonner aux pouvoirs publics d’accroitre considérablement la distribution de masques ainsi que le nombre de tests de dépistage du Covid-19, d’autre part, la nationalisation ou le rachat de deux entreprises françaises en difficulté, l’une parce qu’elle serait la seule à produire de  la chloroquine, et l’autre car elle serait la seule à produire les bouteilles contenant l'oxygène nécessaire pour alimenter les appareils de réanimation.

Ces requêtes sont évidemment rejetées.

Les deux premières car l’Etat fait déjà beaucoup pour rattraper son retard et que le juge des référés ne peut satisfaire, à très bref délai, une demande d’augmentation de capacité de distribution et de tests.

Les deux dernières supposent la mise en œuvre de procédures dont la durée excède notablement le bref délai dans lequel doivent intervenir des mesures ordonnées par voie de référé urgent.

(ord. réf. 7 avril 2020, M. X., n° 439806 ; ce qui constitue une réitération à la fois de : ord. réf. 29 mars 2020, Parti « Debout la France » et autre, n° 439798 et de : ord. réf. 6 avril 2020, M. X., n° 439950)

 

50 et 51 - Covid-19 - Traitement des malades à l’hydroxychloroquine - Traitements autorisés à un stade trop tardif - Demande de suspension d’un décret - Rejet.

Le Conseil d’État persiste et signe.

Saisi à nouveau par des requérants dont il avait rejeté un précédent recours en référé (cf. ord. réf. 28 mars 2020, Syndicat des Médecins Aix et Région (SMAER) et autres, n° 439726 : Voir le n° spécial de mars 2020 de cette Chronique consacré au Covid-19), le Conseil d’Etat ne retient pas l’argumentation nouvelle développée par les requérants. Ceux-ci qui, originairement, sollicitaient l’application du traitement par hydroxychloroquine associé à l’azithromycine aux personnes atteintes du Covid-19, soutenaient, dans cette dernière affaire, que les dérogations au refus d’un tel traitement étaient inutiles ou dangereuses car elles ne concernaient que des malades à un stade avancé et grave de la maladie où ce traitement est considéré par certains spécialistes comme inadapté.

 Pour rejeter cette argumentation, le Conseil d’État s’aventure sur un terrain délicat. Dans l’ordonnance précitée du 28 mars 2020 il avait retenu l’analyse du Haut Conseil de la santé publique - organisme qui n’a ni les compétences d’un spécialiste ni celles d’un laboratoire et qui n’existe que par le choix d’hommes politiques sans compétences épidémiologiques connues -, lequel estimait alors qu’en l’état la preuve n’était pas établie d’une pertinence médicale à recourir à cette association de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine dès l’apparition des premiers symptômes. Était donc préconisé le recours à cette association uniquement pour les seules formes sévères du Covid-19. Opposer deux incertitudes pour faire triompher l’une d’elles était déjà un choix dangereux.

Dans les présentes espèces, le Conseil d’Etat prend acte - sans le dire - du renversement de la doctrine de ce Haut Conseil, celui-ci optant désormais pour l’usage de cette association « le plus rapidement possible », pour rejeter à nouveau les requêtes.

En somme les requérants sont déboutés le 28 mars, pour avoir eu raison trop tôt et la semaine suivante parce qu’ils ont convaincu plus ou moins un Haut conseil plus sensible aux exigences de l’opinion publique qu’à la stricte méthodologie scientifique.

Les juges devraient prendre garde à ne pas se laisser instrumentaliser par « le comité Gustave, le comité Théodule ou le comité Hippolyte » (Ch. De Gaulle, 25 septembre 1963).

(7 avril 2020, Syndicat des Médecins Aix et Région (SMAER) et autres, n° 439937 ; Syndicat des Médecins Aix et Région (SMAER) et autres, n° 439938, deux espèces ;

 

(51) sur la « saga » du Plaquenil et de l’hydroxychloroquine combinée à l’azithromycine et leurs déboires contentieux au Palais-Royal, v. aussi : ord. réf. 22 avril 2020, M. et Mme X., n° 439951 ; M. X. et autres, n° 440009 ; Union générale des travailleurs de Guadeloupe, n° 440026 ; M. X. et autres, n° 440058, quatre espèces)

 

52 et 53 - Covid-19 – Personnes en EHPAD – Accès aux soins hospitaliers- Admission en réanimation – Droit de visite des familles pour les personnes en fin de vie - Prise en charge à domicile des personnes atteintes du Covid-19 – Tests et diagnostics post-mortem – Rejet.

Les requérants sollicitaient du juge du référé liberté qu’il ordonne diverses mesures en faveur des personnes atteintes du Covid-19 ou susceptibles de l’être. Toutes ces demandes sont rejetées.

Ainsi ils demandent que soit prévu l'accès des personnes résidant en EHPAD aux soins dispensés par les établissements de santé, les requérants soutenant qu’en l’état elles risquent d'en être arbitrairement privées car elles n’y seraient plus admises. Le moyen est rejeté car, en l'état de l'instruction, il n'est pas établi qu'il y aurait une pratique générale de refus d'admission dans les établissements de santé des personnes résidant dans les EHPAD atteintes par une infection pouvant être attribuée au Covid-19.

La réponse est identique concernant l'admission en réanimation dont il est prétendu que les critères en ont été rendus plus été rendus plus stricts au détriment, notamment, des patients les plus âgés, en raison d'une anticipation d'une éventuelle saturation des structures de réanimation. En effet, l’instruction montre, en l’état, à défaut d'éléments circonstanciés produits par les requérants, qu’il n'est pas établi que les décisions médicales d'admission en réanimation reposeraient de manière générale sur des critères qui auraient été rendus plus stricts du fait de l'anticipation d'une éventuelle saturation de l'offre de soins de réanimation en raison de l'épidémie de Covid-19 ou qui, en isolant le critère de l'âge, discrimineraient, au sein des patients atteints d'une infection due au Covid-19, ceux qui sont les plus âgés.

Le juge examine ensuite le moyen critiquant la prise en charge des personnes atteintes d'une infection liée au Covid-19 à leur domicile ou dans un EHPAD du fait qu’il n'existe aucun décompte des décès survenus à domicile imputables au Covid-19, ce qui entrainerait l’absence de soins leur garantissant une " fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance ", alors qu'elles encourent le risque de mourir d'étouffement, en raison de la survenue d'un syndrome de détresse respiratoire aiguë. Il est jugé, tant au regard des textes intervenus que des mesures préconisées ou prises, qu’il n'est pas établi, en l'état de l'instruction, que les pouvoirs publics n'aient pas pris, au plan général, des mesures en vue de faciliter l'accès par les personnes malades, en EHPAD ou à domicile, souffrant d'une infection susceptible d'être imputée au Covid-19, à des soins palliatifs.

Concernant l’argument tiré de l’absence de reconnaissance aux résidents des EHPAD du droit de recevoir la visite d'un de leurs proches avant leur décès, le juge le rejette au motif qu’existent, à certaines conditions qu’il rappelle et lorsque cela est possible, une faculté de dérogation à cette interdiction précisément en ce cas précis.

Enfin, est encore rejetée la demande de réalisation de tests post-mortem de diagnostic d'infection par le Covid-19 motif pris de ce que, d’une part, par deux avis, des 24 et 31 mars 2020, a été annoncée une opération générale de dépistage dans les EHPAD.

En bref, il ne résulte des décisions des pouvoirs publics aucune carence susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à un droit ou une liberté fondamentale.

(ord. réf. 15 avril 2020, Association Coronavictimes, n° 439910 ;

 

(53) v. aussi, du même jour, avec rejet, à propos d’un recours en injonction tendant à ce que soient prises envers les résidents, personnels et intervenants dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), les mesures réglementaires de dépistage systématique et régulier ainsi que de fourniture et du matériel de protection : ord. réf., Union nationale des syndicats FO Santé privée et autres, n° 440002)

 

54 - Covid- 19 - « Protocole du Dr Marik » - Traitement à base de vitamine C - Demande diffusion de ce protocole en milieu médical et hospitalier - Rejet.

Les requérants, médecins libéraux, considèrent que l'absence de diffusion par le ministre de la santé à l'ensemble des équipes médicales du protocole proposé par le Dr Marik (traitement par association d’hydrocortisone, de vitamine C et de thiamine dans le traitement des chocs septiques et sepsis sévères) est constitutive d'une carence caractérisée et demandent au juge d’enjoindre au ministre de la santé d’opérer cette diffusion.

La requête est évidemment rejetée nonobstant l’invocation du droit de toute personne de recevoir, sous réserve de son consentement libre et éclairé, les traitements et les soins appropriés à son état de santé, tels qu'appréciés par le médecin.

Le Conseil d’Etat estime, d’une part, qu’en l’état d’absence de traitement connu pour traiter le Covid-19, d’autre part,  de l’avis du Haut Conseil de la santé publique, du 23 mars 2020, selon lequel « il incombe à tout prescripteur (de prendre) en compte l'état très limité des connaissances actuelles et (d’être) conscient de l'engagement de sa responsabilité lors de la prescription de médicaments dans des indications hors autorisation de mise sur le marché, en dehors du cadre d'essais cliniques et des recommandations » et, enfin, de la réitération, par un avis du 8 avril 2020 relatif à la prise en charge de ces patients à domicile ou en structure de soins qu' « à ce jour, aucune prescription de traitement à effet antiviral attendu n'est recommandée en ambulatoire en dehors d'essais cliniques », la demande des requérants, qui ne repose pas sur des études dont la valeur scientifique serait établie  ne peut être accueillie.

En outre, il n’est même pas soutenu que des établissements hospitaliers envisageraient d'expérimenter ce « protocole » et en seraient empêchés.

(ord. réf. 22 avril 2020, X. et autres, n° 440117)

 

55 - Covid-19 – Pollution de l’air – Facteur aggravant du Covid-19 – Mesures insuffisantes en matière d’épandage agricole et autres pratiques agricoles polluantes – Cas des particules PM10 et PM2,5 – Rejet sous réserve.

L’Association requérante entend voir condamner l’Etat à raison de sa carence à réduire les épandages agricoles et les autres activités agricoles polluantes car en polluant l’air - au moyen des particules PM10 et PM2,5 - ils contribuent à la propagation du Covid-19.

Sont invoquées au soutien de cette demande diverses études réalisés sur ce sujet par différents pays.

Le Conseil d’Etat, après une analyse approfondie de ces études dont il relève la faible adéquation à la question posée et leurs incertitudes scientifiques, et le constat des contrôles et efforts effectivement réalisés en France, rejette la requête.

Toutefois, ce rejet n’est prononcé – le fait est notable -  que « sous réserve que l'Etat assure strictement les obligations, y compris préventives », qui lui incombent en assurant « une surveillance quotidienne des niveaux de pollution à la fois au plan central et au plan local, de faire preuve d'une vigilance particulière dans le contexte actuel d'état d'urgence sanitaire en veillant à ce que soit pris, au besoin préventivement en cas de menace avérée de franchissement des seuils, des mesures propres à éviter la survenue ou au moins à réduire la durée des épisodes de franchissement des seuils, notamment en limitant les pratiques agricoles polluantes, l'activité agricole demeurant, en raison de la très forte diminution des pollutions liées à l'industrie et aux transports, la principale source d'origine humaine d'émission de particules PM10 et PM2,5 avec celle provenant du secteur résidentiel, à plus forte raison dans la période actuelle d'épandage ».

D’une certaine façon, quoique de façon indirecte, la demanderesse obtient de facto satisfaction.

(ord. réf., 20 avril 2020, Association nationale pour la préservation et l'amélioration de la qualité de l'air (" RESPIRE "), n° 440005)

 

56 - Covid-19 – Détenu en maison d’arrêt – Demande de mesures sanitaires et autres de protection – Rejet.

Le requérant, détenu à la maison d’arrêt de Rouen, avait demandé par voie de référé liberté, en vain en première instance, le bénéfice de diverses mesures de protection contre l’épidémie de Covid-19 (telles que : masques, gels hydroalcooliques, nettoyage renforcé des locaux, dépistages systématiques, lavage des draps, distribution de savon, etc.). Il saisit le Conseil d’État, également en vain.

Au terme d’une analyse longue, précise et détaillée, le juge estime qu’au vu des mesures générales et particulières déjà adoptées ou en voie de l’être, ne se rencontre en l’espèce aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 22 avril 2020, M. X., n° 440056)

 

Urbanisme

 

57 - Permis de construire - Qualité pour demander un permis de construire - Théorie de l’apparence - Annulation - Régime procédural général du pourvoi en cassation - Combinaison avec les règles procédurales spécifiques à la contestation de diverses autorisations d’urbanisme - Application en l’espèce - Rejet.

La ville de Paris demandait au Conseil d’Etat l’annulation du jugement prononçant l’annulation d’un permis de construire qu’elle avait accordé.

C’est l’occasion pour le juge de rappeler, d’abord, le régime procédural, logique mais complexe, qui est celui du pourvoi en cassation en cette matière quand lui est déféré un jugement fondé sur une pluralité de motifs (I), ensuite, le caractère réel de la demande de permis, le juge du permis n’ayant pas à se prononcer sur certains incidents dont la connaissance appartient au juge judiciaire (II).

 

I. La pluralité des motifs et l’office du juge de cassation

Tout d’abord, le principe est simple : lorsque le juge de cassation est saisi d’un pourvoi dirigé contre une décision de justice fondée sur une pluralité de motifs dont l'un est erroné, il doit accueillir le pourvoi sauf si le motif irrégulier en cause est surabondant.

Parce qu’il est le juge de cassation, il ne lui appartient pas de rechercher si la décision juridictionnelle contestée eût été la même dans le cas où son auteur se serait fondé sur les autres motifs.

Ensuite, l’exception est connue, elle concerne le jugement ou l’arrêt ayant prononcé une annulation sur recours pour excès de pouvoir : dans ce cas, dès lors que l'un quelconque des moyens retenus par le juge du fond suffit à justifier la solution retenue, le pourvoi doit être accueilli. Il existe cependant deux exceptions et une condition préalable à cette solution elle-même dérogatoire.

Les deux exceptions sont celle où la décision, justifiée au fond, aurait été rendue dans des conditions irrégulières et celle où l’irrégularité ayant justifié l’annulation pour excès de pouvoir est régularisable. On sait que cette seconde hypothèse se rencontre fréquemment désormais en droit de l’urbanisme

La condition préalable résulte de ce que l'autorité de chose jugée s'attache aux motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle déférée : pour cette raison, en effet, l’office du juge de cassation lui impose de ne prononcer ce rejet qu’après avoir, préalablement, censuré celui ou ceux de ces motifs qui étaient erronés.

Enfin, dans le cas particulier du droit de l’urbanisme et spécialement des dispositions de l’art. L. 600-4-1 du code de l'urbanisme qui font obligation à la juridiction saisie d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte pris en matière d’urbanisme de se prononcer « sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension (…) », on comprend que cette règle trouve un champ d’application privilégié en cas de pluralité des motifs du jugement déféré à la cassation du fait de l'obligation légale de se prononcer sur l'ensemble des moyens susceptibles de fonder l'annulation.

Il est fait application de cette solution au cas de l’espèce où le juge de cassation, tout en admettant fondés deux des quatre motifs retenus par les premiers juges en annule deux autres.

 

II. La qualité du pétitionnaire du permis de construire

On sait qu’en cette matière, appliquant la théorie de l’apparence, le juge administratif n’exerce qu’un contrôle restreint sur l’aptitude d’une personne à solliciter un permis de construire.

La présente espèce est une bonne illustration de cette attitude.

Tout d’abord, il est jugé que le pétitionnaire qui fournit l'attestation prévue à l'article R. 431-5 du code de l'urbanisme selon laquelle il remplit les conditions fixées par l'article R. 423-1 du même code doit être regardé comme ayant qualité pour présenter sa demande. Le juge fait seulement exception à cette solution seulement en cas de fraude.

Ensuite, lorsque la demande de permis porte sur un terrain soumis au régime juridique de la copropriété, elle peut être régulièrement présentée par son propriétaire, son mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par lui à exécuter les travaux, alors même que la réalisation de ces travaux serait subordonnée à l'autorisation de l'assemblée générale de la copropriété. En ce dernier cas, il appartient aux copropriétaires qui le souhaitent de porter leur action en contestation de la qualité du pétitionnaire pour effectuer une telle demande, devant le juge judiciaire. Pour autant, cette contestation entre personnes privées concernant des droits et obligations de droit privé n’a pas pour effet d'irrégularité la demande d'autorisation d'urbanisme litigieuse sauf à démontrer, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, l’existence d’une fraude.

(3 avril 2020, Ville de Paris, n° 422802)

 

58 - Permis de construire - Espace remarquable -Intérêt à agir - Conditions - Agrandissement d’une habitation existante - Caractère d’extension de l’urbanisation - Absence - Rejet.

De cette affaire, où s’entremêlent trois pourvois dirigés contre trois arrêts d’une cour administrative d’appel, il convient de retenir deux points, l’un de contentieux de l’urbanisme (I), l’autre de fond du droit de l’urbanisme (II).

 

I. Le premier point porte sur la contestation de l’intérêt à agir de l’un des requérants. On sait que l’une des tendances lourdes du contentieux de l’urbanisme a été de réduire fortement la notion d’intérêt à agir afin de fermer le prétoire à un certain nombre d’actions contentieuses abusives, dilatoires ou guère justifiées. Pour cela est désormais exigé du demandeur l’indication de l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en fournissant tous éléments établissant que cette atteinte est non pas certaine mais qu’elle est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. En retour, le défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, doit apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité.

Précisément, en l’espèce l’intérêt pour agir de l’un des requérants était contesté car il est propriétaire d'un terrain non construit qu’il n’occupe pas ni n'exploite. Cette argumentation est rejetée dès lors qu’il est, comme ici, démontré que la construction projetée est, eu égard à ses caractéristiques et à la configuration des lieux en cause, de nature à affecter directement les conditions de jouissance de son bien.

 

II. Le second point est relatif à une notion invoquée de très nombreuses fois lorsqu’est en cause un projet de construction dans la zone littorale dans la mesure où, aux termes du I de l’art. L. 146-4 c. urb., « L'extension de l'urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement ».

Ici, le permis de construire accordé concernait l’agrandissement, portant sur 42 mètres carrés, d’une construction déjà existante, d’une superficie de 105 mètres carrés. Une telle extension ne constitue point une extension de l’urbanisation prohibée au sens et pour l’application de l’article précité du code de l’urbanisme.

Tous les pourvois sont rejetés.

(3 avril 2020, M. X., Commune de l’Ile-de-Batz et autres, n° 419139)

 

59 - Plan d’occupation des sols (POS) - Remise en vigueur du fait d’une annulation - Délai de caducité - Loi ELAN - Délai de vingt-quatre mois - Point de départ - Avis.

Saisi pour avis par un tribunal administratif sur le fondement des dispositions de l’art. L. 113-1 du CJA, le Conseil d’État devait répondre à deux questions :

1°/ Le délai de vingt-quatre mois au terme duquel est acquise la caducité d’un POS (cf. art. L. 174-6 c. urb.), est-il applicable lorsque, d’une part, ce POS est remis en vigueur du fait d'une annulation, et d’autre part, l'annulation d'un plan local d'urbanisme, d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou d'une carte communale est intervenue avant le 25 novembre 2018, date d'entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018 (dite loi ELAN) ?

2°/ En cas de réponse affirmative à la première question, le délai de vingt-quatre mois doit-il commencer à courir à compter de l'annulation du plan local d'urbanisme, du document d'urbanisme en tenant lieu ou de la carte communale, ou bien à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi ELAN ?

Le Conseil d’Etat après avoir cité l'article L. 174-6 du code de l'urbanisme (« L'annulation ou la déclaration d'illégalité d'un plan local d'urbanisme ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou d'une carte communale intervenant après le 31 décembre 2015 ayant pour effet de remettre en application le document immédiatement antérieur, en application de l'article L. 600-12, peut remettre en vigueur, le cas échéant, le plan d'occupation des sols immédiatement antérieur.

Le plan d'occupation des sols immédiatement antérieur redevient applicable pour une durée de vingt-quatre mois à compter de la date de cette annulation ou de cette déclaration d'illégalité. Il ne peut durant cette période faire l'objet d'aucune procédure d'évolution.

A défaut de plan local d'urbanisme ou de carte communale exécutoire à l'issue de cette période, le règlement national d'urbanisme s'applique sur le territoire communal »), constate que faute de dispositions contraires expresses, ce texte, issu de la loi du 23 novembre 2018 précitée, était donc, conformément au droit commun, immédiatement applicable et qu’il est ainsi entré en vigueur le 25 novembre 2018, un jour après la publication de la loi au Journal Officiel.

Si après l’annulation d’un plan local d'urbanisme, d’un document d'urbanisme en tenant lieu ou d’une carte communale, le POS qui leur est immédiatement antérieur est remis en vigueur mais seulement pour une durée de vingt-quatre mois à compter de la décision d'annulation ou de la déclaration d'illégalité, l’esprit et la logique de cette loi, qui ne comporte aucune rétroactivité, conduisent à décider que le délai de vingt-quatre mois court à compter de l’entrée en vigueur de cette loi.

(Avis, 3 avril 2020, M. X. c/maire des Mathes, n° 436549)

 

60 - Permis de construire - Permis non destiné à un usage principal d’habitation - Inapplicabilité de l’art. R. 811-1-1 CJA - Recours contre le jugement constituant un appel - Renvoi à la cour administrative d’appel.

L’art. R. 811-1-1 CJA confère compétence en premier et dernier ressort au tribunal administratif pour se prononcer sur les recours dirigés contre les permis de construire relatifs aux immeubles à usage principal d’habitation lorsqu’ils sont délivrés sur le territoire de communes où le marché foncier est très tendu. Seul un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat est alors possible contre les jugements rendus sur le fondement de cette disposition. En l’espèce, il est jugé que la construction litigieuse étant destinée à différents usages dont moins de la moitié de la surface de plancher est à usage d'habitation, le permis contesté ne peut être regardé comme relatif à un bâtiment à usage principal d'habitation. Le recours contre le jugement constituait donc un appel devant être porté devant la cour administratif d’appel à laquelle il est renvoyé.

(9 avril 2020, Syndicat des copropriétaires de la copropriété Brotteaux An 2000 - Immeuble A - 18, rue de la Gaîté, et autres, n° 434531)

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Chronique Chronique

Conseil d’État et Covid-19 : Une épidémie de référés

Ordonnances de référé

Ordonnances de référé

11 mars 2020, Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), n° 439434

22 mars 2020, Syndicat Jeunes médecins, n° 439674

27 mars 2020, Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) et autres, n° 439720

28 mars 2020, Mme X. et autres, n° 439693

28 mars 2020, Syndicat des médecins d’Aix et région (SMAER) et autres, n° 439726

28 mars 2020, M. X. et autres, n° 439765

1er avril 2020, Fédération nationale des marchés de France, n° 439762

2 avril 2020, Fédération nationale Droit au logement et autres, n° 439763

4 avril 2020, Centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe, n° 439904 ; ministre des solidarités et de la santé, n° 439905

8 avril 2020, Syndicat national pénitentiaire force ouvrière – personnels de surveillance, n° 439821

8 avril 2020, Section française de l’observatoire international des prisons, n° 439827

9 avril 2020, Association mouvement citoyen tous migrants et autres, n° 439895

 

Bien que la présente chronique ne porte que sur le mois de mars 2020, il a paru plus cohérent pour une vue d’ensemble, s’agissant du Covid-19, de regrouper dans une même rubrique les douze premières décisions qui sont à cheval sur les mois de mars et d’avril.

Il fallait s’attendre à ce que l’épidémie de cette forme grave du coronavirus qu’est le Covid-19 se répande sous forme contentieuse au Conseil d’État. Pression médiatique, peurs et angoisses, impatience turbulente de l’opinion, vision idyllique de la fonction du référé se combinent pour une hypertrophie procédurale le plus souvent sans effets. Fréquemment les requérants usent d’une voie de droit qui n’est pas appropriée aux buts qu’ils poursuivent. En cas de pénurie de masques ou de moyens d’effectuer des dépistages sanguins et alors qu’il n’existe aucune réponse possible à bref délai car le temps pour fabriquer les premiers ou pour réaliser les seconds est nécessairement long, l’utilisation de la voie du référé est dérisoirement vouée à l’échec car fait précisément défaut une solution praticable dans un très court temps.

Il convient de rappeler que les référés dits urgents, tels le référé suspension ou le référé liberté, le sont en un double sens : il faut certes qu’existe une situation urgente justifiant la saisine de ce juge particulier qui statue vite mais il faut aussi - et ce point est souvent oublié des requérants - que le défendeur, c’est-à-dire la puissance publique, dispose du moyen de mettre très rapidement en œuvre une solution. Ceci résulte de ce que le prononcé de mesures d’urgence doit avoir un effet utile non un caractère purement incantatoire. Faute que cette seconde condition soit remplie, le juge des référés est singulièrement démuni comme on le voit ci-après.

C’est pourquoi, il faut le souligner car ce n’est pas si fréquent, les ordonnances ici rapportées visent et citent le plus souvent les dispositions de l’article L. 511-1 du code de justice administrative qui définissent les missions du juge des référés et leur philosophie.

Enfin, la voie du référé n’est pas la seule pouvant être retenue : à moyen terme, la recherche de responsabilité devant le juge administratif pourrait être davantage fructueuse tout comme la voie pénale le cas échéant.

Les douze ordonnances sont placées dans l’ordre chronologique où elles ont été rendues.

 

1 - 11 mars 2020, Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), n° 439434

L'association requérante demandait par voie de référé liberté la suspension des effets d’une instruction du ministre de l’intérieur relative aux modalités d'exercice du droit de vote par procuration, ou toute mesure emportant sa rectification, en tant que le point 4.5 de celle-ci, consacré à l'établissement des procurations au domicile du mandant, en vue de la « lutte contre la propagation du Covid-19 », recommande, dans la perspective des élections municipales des 15 et 22 mars 2020, que soit prévue, dans les établissements d'hébergement collectif accueillant des personnes vulnérables, « la désignation des directeurs de ces établissements, ou d'un agent désigné par l'officier de police judiciaire et le juge, comme délégués d'un officier de police judiciaire afin de recevoir les demandes de procuration des personnes vulnérables qui y sont hébergées » et fait mention des « procurations ainsi établies ».

Le recours est rejeté en ses deux moyens.

D’une part, aucune disposition du code électoral n'interdit que le directeur d'un établissement sanitaire ou social puisse être délégué par l'officier de police judiciaire, avec l'agrément du magistrat qui a désigné cet officier, pour recueillir, à la demande de l'électeur, le formulaire et les pièces nécessaires à l'établissement d’une procuration électorale. L’instruction ministérielle attaquée, qui se borne à souligner l'existence de cette faculté et à en recommander l’usage dans le contexte très particulier de l'épidémie de coronavirus Covid-19 pour éviter les contacts entre les personnes vulnérables hébergées dans un tel établissement et les personnes extérieures à cet établissement, ne porte aucune atteinte aux dispositions du code électoral.

D’autre part, cette instruction ne comporte aucune dérogation aux dispositions du code électoral selon lesquelles la personne qui recueille, à la demande de l'électeur, le formulaire de procuration et les pièces nécessaires à son établissement, 1° ne peut être, à défaut d'avoir la qualité d'officier ou d'agent de police judiciaire compétent pour établir la procuration, qu'une personne déléguée par l'officier de police judiciaire et agréée par le magistrat qui a désigné ce dernier et 2° n'a pas compétence pour établir elle-même la procuration. Compte tenu, en outre, des précisions apportées par le directeur des affaires civiles et du Sceau, le mardi 10 mars 2020 au soir, soit la veille du jour où a été rendue l’ordonnance, à l'ensemble des procureurs généraux près les cours d'appel et des procureurs de la République près les tribunaux de grande instance, en vue de leur diffusion aux officiers et agents de police judiciaire habilités à établir des procurations, il ne saurait être soutenu que cette instruction porte une atteinte grave et manifestement illégale à la libre expression du suffrage.

 

2 - 22 mars 2020, Syndicat Jeunes médecins, n° 439674

Cette ordonnance, la première rendue en période de confinement, l’a été avec toute la solennité désirable : en formation collégiale, un dimanche en début de soirée, précédée d’une courte déclaration du Président de la Section du contentieux devant le Palais-Royal, siège du Conseil d’État.

Le syndicat requérant juge insuffisantes les mesures de confinement pour enrayer l’épidémie de Covid-19 décidées par le premier ministre, en raison notamment des exceptions qu’elles prévoient, de ce qu’elles font l’objet d’interprétations contradictoires et du fait qu’elles sont inégalement appliquées.

Il considère que cette carence des autorités constitue une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la santé de la population, en particulier de l’ensemble des personnels soignants particulièrement exposés aux contaminations. En conséquence, il demande au juge des référés d’enjoindre au premier ministre et au ministre de la santé de décider : 1) l’interdiction totale de sortir de son lieu de confinement, sauf autorisation délivrée par un médecin pour motif médical, 2) l’arrêt des transports en commun, 3) l’arrêt des activités professionnelles non vitales, 4) la mise en place d’un ravitaillement à domicile de la population dans des conditions sanitaires visant à assurer la sécurité des personnels chargés de ce ravitaillement, et 5) la prise de mesures propres à assurer la production massive de tests de dépistage et à permettre le dépistage de tous les professionnels de santé.  

 

I. Avant d’examiner ces demandes, le juge, comme il le fera par la suite dans la plupart des autres demandes de référés relatives au même sujet, rappelle les quatre données de droit essentielles à prendre en considération.

Tout d’abord, s’agissant de l’exercice d’un pouvoir de police, sanitaire ici, sont reprises les jurisprudences combinées Labonne (8 août 1919, n° 56377, Rec. p. 737) et Maire de Néris-les-Bains (18 avril 1902, n° 04749, Rec. p. 275), auxquelles s’ajoutent ici les dispositions de l’art. L. 3131-1 du code de la santé publique.

Ensuite, est une liberté fondamentale au sens du référé liberté, le droit au respect de la vie, rappelé à l’art. 2 de la Convention EDH.

Également, comme nous l’indiquions en préambule, le juge du référé liberté ne peut ordonner que les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale.

Enfin, en quatrième et dernier lieu, le caractère manifestement illégal de l’atteinte doit s’apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a, dans ce cadre, déjà prises.

 

II. Le juge procède ensuite à l’examen de chacune des trois catégories de demandes, étant observé au passage l’importance de l’oralité des débats propre à ces référés urgents d’autant plus qu’y sont traitées des affaires complexes, aux données mouvantes.

 

S’agissant de la demande de confinement total de la population, elle est rejetée car impossible à réaliser de facto et risquant de compromettre, du fait qu’elle entrainerait une livraison généralisée des produits de première nécessité, d’autres activités sociales ou sanitaires éminentes, voire de porter atteinte à des droits ou libertés fondamentaux.

 

S’agissant du renforcement des mesures déjà en vigueur ou décidées, le juge se convainc, par suite des échanges qui ont eu lieu au cours de l’audience, que ceux-ci font apparaitre l’ambiguïté de la portée de certaines dispositions.

Ceci le conduit à ordonner au premier ministre de préciser davantage, sous quarante-huit heures, ce qu’il faut entendre par la trop vague expression « déplacements pour motif de santé », par la trop étendue autorisation de « déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective, et aux besoins des animaux de compagnie » et, enfin, par l’autorisation du fonctionnement des marchés ouverts, sans autre limitation que l’interdiction des rassemblements de plus de cent personnes dont le maintien paraît autoriser dans certains cas des déplacements et des comportements contraires à la consigne générale.  

En revanche, il ne retient pas l’argument tiré du non-respect des « gestes barrières » par la population, relevant que cela n’est pas le fait des pouvoirs publics qui ont, au contraire, édicté des règles contraignantes, de plus en plus sévères, pénalement sanctionnées à l’encontre des contrevenants.

 

S’agissant des tests de dépistage, le juge relève, pour rejeter ce chef de demande, que l’insuffisance de matériel disponible contraint à sélectionner les personnes bénéficiaires de ces tests et que les autorités responsables ont commandé ou fait accélérer la fabrication des éléments nécessaires pour accroître considérablement leur nombre.

 

3 - 27 mars 2020, Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) et autres, n° 439720

On ne reviendra pas sur la présentation structurelle de la décision, assez semblable à la décision précédente comme aux suivantes.

Les organisations requérantes demandaient au juge d’ordonner, dans le contexte de l’épidémie causée par la propagation du virus Covid-19, la fermeture temporaire de l’ensemble des centres de rétention administrative figurant sur la liste établie par l’arrêté du 30 mars 2011 modifié, jusqu’à la levée des mesures de confinement décidées pour lutter contre cette épidémie.

Leur requête est, sans surprise, rejetée.

On notera qu’au nombre des mesures que peut prendre le juge du référé liberté, celui-ci se reconnaît le pouvoir d’ordonner, à titre provisoire, des mesures d’organisation du service placé sous l’autorité en cause, ce qui n’est pas rien en l’état d’une traditionnelle réserve du juge pour intervenir en cette matière.

De nombreuses libertés fondamentales relevant d’une protection par la voie du référé liberté sont énumérées dans cette décision : le droit au respect de la vie, le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ainsi que le droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à son état de santé, la liberté d'aller et venir et le droit de chacun au respect de sa liberté personnelle.

Enfin, est rappelée par une incise la limite des pouvoirs du juge des référés « à qui il n’appartient pas de se prononcer sur l’opportunité des décisions de l’autorité administrative ni de juger de la cohérence de ces décisions avec d’autres actions menées par les pouvoirs publics. »

Après avoir rappelé les faits, notamment les chiffres, relatifs à l’épidémie de Covid-19, la vitesse et l’ampleur de sa propagation, ainsi que les premières mesures d’interdiction ou de fermeture décidées par les pouvoirs publics dans un contexte chaotique dans la gestion des restrictions de déplacement ou de fermetures des frontières y compris entre les États de l’Union européenne, le juge énumère les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) applicables ainsi que ceux relatifs à la rétention administrative.

Le juge indique ensuite qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 554-1 de ce code : « Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration doit exercer toute diligence à cet effet ». Il se livre à une analyse serrée des données de fait afin de circonscrire parfaitement la portée de la demande dont il est saisi, notant : « Il résulte de l’instruction que le nombre de personnes retenues dans les centres de rétention administrative a diminué dans des proportions très importantes depuis que l’épidémie de Covid-19 a atteint la France. Le nombre des personnes nouvellement placées en rétention s’est, de même, très substantiellement réduit et devrait être marginal dans la période à venir. Alors que les 26 centres de rétention ont une capacité d’accueil totale d’un peu plus de 1 800 places, ils ne comptaient ainsi que de l’ordre de 350 personnes retenues à la fin de la semaine du 16 mars 2020 et seulement 152 personnes à la date du 26 mars 2020. A cette dernière date, 9 centres de rétention ne comptaient aucun étranger retenu, 5 centres comptaient moins de 5 étrangers retenus et 5 centres comptaient entre 6 et 16 étrangers retenus. Seuls deux centres dépassaient ce dernier effectif, avec 37 personnes retenues au Mesnil-Amelot, pour une capacité de 120 places si elles sont regroupées dans un seul des deux centres situés dans cette localité, et 53 personnes retenues à Vincennes, pour une capacité de 237 places ».

Partant de là, le juge n’en est que plus à l’aise pour juger, d’une part, que les requérants n’établissent pas un danger pour les personnes retenues dès lors qu’elles bénéficient des informations, des mesures d’hygiène et de distanciation ainsi que le cas échéant des soins nécessaires pour faire face à l’épidémie, et d’autre part, que ces centres de rétention eux-mêmes ne constituent aucunement « en soi, dans les circonstances que connaît la France, un facteur d’évolution de l’épidémie susceptible de traduire une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales ».

Enfin, examinant le cas particulier des étrangers susceptibles de faire l’objet d’une mesure d’assignation à résidence et pour lesquels en conséquence l’éloignement du territoire français demeure une perspective raisonnable, le juge affirme que s’ils peuvent être placés en rétention, c’est à la seule fin de permettre l’exécution, dans les délais les plus brefs possibles, de la mesure d’éloignement du territoire dont ils font l’objet. Ils ne peuvent donc être placés ou maintenus en rétention que pour le temps strictement nécessaire à leur départ. C’est pourquoi serait illégal le placement ou le maintien en rétention d’étrangers faisant l’objet d’une mesure ordonnant leur éloignement du territoire français lorsque les perspectives d’éloignement effectif du territoire à brève échéance sont inexistantes. Toutefois, le juge constate qu’il a été possible de procéder, dans la période récente, à des éloignements du territoire, en dépit des restrictions mises par de nombreux États à l’entrée sur leur territoire de ressortissants de pays tiers et de la très forte diminution du volume des transports aériens.

De plus, la loi donne au juge des libertés et de la détention compétence pour mettre fin à la rétention lorsqu’elle ne se justifie plus pour quelque motif que ce soit.

De tout ceci découle l’absence d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

 

4 - 28 mars 2020, Mme X. et autres, 439693

Une infirmière, un collectif d’infirmiers libéraux et 64 infirmiers, estimant insuffisantes les mesures prises par l’État, dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, en matière de mise à disposition aux personnels soignants des matériels de protection et en particulier des masques, y voient une carence caractérisée des autorités qui constitue une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie, au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au droit à la protection de la santé, au droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés à son état de santé, à la liberté d’entreprendre et à la liberté du commerce.

Ils demandent au juge du référé liberté d’enjoindre à l’État de prendre toutes mesures utiles, pour fournir des matériels de protection aux professionnels de santé, et notamment aux infirmiers libéraux.

D’emblée est rejetée, car il n’existe pas de difficultés à cet égard, la demande concernant les matériels de protection autres que les masques.

 

S’agissant des masques, le juge examine leur approvisionnement puis leur distribution.

En ce qui concerne l’approvisionnement en masques, le juge analyse et décrit l’état des stocks (117 millions au début de la pandémie), les efforts d’accroissement de la fabrication (6 à 8 millions par semaine), les importations en cours (24 millions par semaine), en particulier les masques FFP2. Il conclut qu’il n’y a n’a donc pas lieu d’ordonner d’autres mesures de réalisation plus rapide.

En ce qui concerne la distribution des masques, là encore, sont examinés les efforts entrepris pour approvisionner les professionnels, notamment dans le domaine de la santé et de l’hébergement des personnes âgées, à raison de 70 millions de masques et il est noté que lors de chacune des deux dernières semaines, chaque médecin ou infirmier de ville pouvait retirer 18 masques.

Cependant, le juge reconnaît que les masques distribués sont ceux de type FPP2, qui doivent être changés au moins toutes les huit heures et qu’ils sont encore, au jour où il statue, en quantité insuffisante, pour que ceux-ci soient aussi portés par les patients pris en charge. Ceci ne justifie cependant pas que le juge des référés prenne les mesures préconisées par les requérants car elles ne pourraient pas être utilement mises en œuvre à bref délai pour augmenter le volume de masques disponible, ces mesures étant, au demeurant, pour certaines d’entre elles, déjà effectives.

Ce dernier moyen relevait, le cas échéant, nous semble-t-il, d’une action en responsabilité

 

5 - 28 mars 2020, Syndicat des médecins d’Aix et région (SMAER) et autres, n° 439726
Les organisations requérantes, estimant que les mesures prises par l’État, dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, sont insuffisantes en matière de mise à disposition de masques aux personnels soignants et à la population, de mise en œuvre des tests de dépistage du coronavirus, et d’autorisation de recourir au traitement à base d’hydroxychloroquine, y voient  une carence caractérisée qui constituerait une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie, au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au droit à la protection de la santé, au droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés à son état de santé, à la liberté d’entreprendre et à la liberté du commerce, ainsi qu’au principe de précaution.

En conséquence, les requérants demandent au juge d’enjoindre à l’État de prendre toutes mesures utiles : 1) pour fournir des masques FPP2 et FPP3 aux médecins et professionnels de santé en veillant à leur information et des masques chirurgicaux aux malades et à la population générale, 2) pour procéder massivement à des tests de dépistage notamment par l’intermédiaire des laboratoires de biologie médicale, et 3) pour fournir et autoriser les médecins et hôpitaux à prescrire et administrer aux patients à risque un traitement à base d’hydroxychloroquine.

Le juge examine successivement ces trois demandes et les rejette.

 

Sur les masques, il est distingué entre les professionnels de santé et la population.

Pour les professionnels de santé, l’analyse du juge reprend fidèlement celle conduite dans la décision précédente rendue le même jour et, pour ce qui est du non-respect des gestes barrières par une partie de la population, le juge réitère le raisonnement mené dans sa décision du 22 mars in fine. Il aboutit à la même conclusion que précédemment : le rejet sur ce point de la requête.

Pour le reste de la population, l’absence de précisions de la part des demandeurs et le caractère limité des stocks actuellement disponibles conduisent au rejet du moyen. Ce dernier, comme dans la décision précédente, aurait dû être présenté dans le cadre d’une action en responsabilité pour autant que fussent établies l’existence d’une faute et la réalité du préjudice.

 

Sur le dépistage, est relevée « une insuffisante disponibilité des matériels » qui ne permet pas de retenir la demande des organisations requérantes, eu égard aux pouvoirs qui sont ceux du juge du référé liberté ; en effet, aucune mesure ne pourrait être prise par lui qui mette fin, à bref délai, à cette pénurie.

 

Sur la demande de traitement à base d’hydroxychloroquine, la décision rapportée en fait son morceau de choix en raison du tohu-bohu médiatique autour de ce produit qu’une opinion publique versatile, ignorante et excitée a tantôt porté aux nues tantôt dénigrée.

Le juge rappelle qu’en France les médicaments ne peuvent être prescrits que s’ils font l’objet d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) sauf exceptions très limitées et rigoureusement encadrées. De plus, la demande d’un tel traitement repose sur la publicité faite à l’expérience réalisée par un institut hospitalier, où sont associées l’hydroxychloroquine et l’azithromycine, expérience dont certains aspects ont pu être discutés au regard des canons ordinaires de l’expérimentation scientifique. De plus, sont testés également d’autres produits et selon d’autres protocoles, étant rappelé qu’à l’heure actuelle n’existe aucun médicament efficace reconnu contre le Covid-19.

Le juge retient encore, et ceci est essentiel dans son raisonnement, que le premier ministre, d’une part, a joué du pouvoir administratif de dérogation ou d’autorisation temporaire en faveur de l’hydroxychloroquine, pour son expérimentation comme pour sa distribution par les pharmacies d’hôpitaux et, à un moindre degré car plus sévèrement encadrée, par les pharmacies d’officine, et, d’autre part, a pris diverses mesures protectrices dont l’interdiction d’exportation de ces deux médicaments. Enfin, et en tout état de cause, il n’est pas de l’office du juge des référés d’ordonner sans délai la production et la constitution de stocks d’hydroxychloroquine et d’azithromycine puisque cela ne serait pas matériellement possible.

La requête est rejetée.

 

6 - 28 mars 2020, M. X. et autres, n° 439765

La demande des requérants étant très semblable à celle ayant fait l’objet la précédente décision, les deux décisions, d’ailleurs du même jour, sont largement identiques.

Les requérants demandaient au juge des référés d’ordonner la suspension de l’exécution de l’article 12-2 du décret du 23 mars 2020, d’enjoindre au ministre chargé de la santé de saisir l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé d'une demande d'élaboration à très bref délai d'une recommandation temporaire d'utilisation destinée à sécuriser l’usage du Plaquenil (nom du sulfate d’hydroxychloroquine commercialisé par le laboratoire Sanofi) en dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché et d’enjoindre au gouvernement de prendre les mesures nécessaires à la production et à la constitution de stocks d’hydroxychloroquine et d’azithromycine.

Le rejet était certain en raison de ce qui a été dit ci-dessus au sujet de la décision Syndicat des médecins d’Aix et région (SMAER) et autres.

 

7 - 1er avril 2020, Fédération nationale des marchés de France, n° 439762

La fédération requérante demandait au juge des référés d’ordonner la suspension de l’exécution des dispositions du III de l’article 8 du décret du 23 mars 2020 aux termes desquelles : « La tenue des marchés, couverts ou non et quel qu'en soit l'objet, est interdite. Toutefois, le représentant de l'État dans le département peut, après avis du maire, accorder une autorisation d'ouverture des marchés alimentaires qui répondent à un besoin d'approvisionnement de la population si les conditions de leur organisation ainsi que les contrôles mis en place sont propres à garantir le respect des dispositions de l'article 1er et de l'article 7 » et d’enjoindre à l’État d’autoriser la tenue des marchés couverts et de plein air, sur l’ensemble du territoire national.

Dès sa lecture il était assez évident que cette requête ne pouvait pas prospérer, le juge y appliquant sa grille d’analyse désormais habituelle en cette matière de la gestion publique du Covid-19.

Le juge retient les éléments suivants.

Tout d’abord, la prohibition, à titre de principe, de la tenue de marchés, au reste juridiquement fondée sur une disposition législative (cf. art. L. 3131-15, notamment 5°, 6° et 10°, du code de la santé publique), est une mesure cohérente avec les autres mesures prises quant aux rassemblements et autres, ainsi qu’avec ce que l’on sait des conditions de propagation du virus Covid-19 (obligation de distance minimale, respect des barrières).

Ensuite, le décret attaqué réserve aux préfets la possibilité de déroger à l’interdiction générale d’ouverture des marchés en fonction des circonstances locales et des mesures de protection/précaution pouvant être prises. Cet aspect doit être souligné car il est au rebours de la tradition juridique qui, d’ordinaire, permet aux autorités locales de police d’aggraver mais non d’atténuer les mesures nationales de police (Maire de Néris-les-Bains, cité au 1.). Et le Conseil d’État enfonce le clou si l’on peut dire, en observant que ces arrêtés dérogatoires d’autorisations de tenue de marchés sont nombreux et que leur nombre va croissant.

D’où cette conclusion qui met en relief qu’il s’agit ici fondamentalement de mesures de police : « (…) les dispositions litigieuses, dont il ne résulte pas de l’instruction qu’elles entraîneraient un phénomène d’afflux dans les magasins d’alimentation sédentaires, ménagent un juste équilibre entre la nécessité de garantir la santé publique et la satisfaction des besoins d’approvisionnement de la population. Il s’ensuit qu’il ne résulte pas de l’instruction que serait méconnue l’obligation posée par l’article L. 3131-15 du code de la santé publique précité que les mesures prises sur son fondement soient strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ».

 

8 - 2 avril 2020, Fédération nationale Droit au logement et autres, n° 439763

Les organisations requérantes, estimant que les mesures prises par l’État dans le cadre de l’épidémie de Covid-19 sont insuffisantes pour assurer une protection efficace aux personnes sans domicile ou ne bénéficiant que d’un logement indigne, y compris les étrangers dont la demande d’asile a été rejetée, sollicitent du juge des référés qu’il ordonne à l’État d’assurer un confinement de ces personnes dans des conditions d’hébergement adéquates y compris par le recours à des réquisitions d’appartements en location meublée touristique et de chambres d’hôtels vacants, en fournissant notamment aux personnels accompagnants les garanties nécessaires en particulier par la distribution prioritaire de masques de protection et en procédant à un dépistage systématique du public pris en charge et travaillant dans des structures qui organisent un hébergement en collectif.

 

Sur le premier point, le juge relève que diverses mesures ont été prises concernant l’hébergement des personnes sans domicile (report jusqu’au 31 mai de la trêve hivernale et de la fermeture des places d’hébergement normalement ouvertes seulement pendant l’hiver, recours à des nuitées d’hôtel et à des structures d’hébergement touristique, utilisation de structures d’accueil provisoires telles que des gymnases ou des salles polyvalentes, réquisition d’immeubles vacants) ont eu pour effet de porter en fin mars 2020 les capacités d’hébergement pour les personnes sans domicile à près de 170 000 places contre 157 000 avant la présente crise, auxquelles s’ajoutent près de 200 000 places en logement adapté.

Si les organisations requérantes ne contestent pas ces chiffres ni la réalité de l’effort réalisé par les services de l’État, elles soutiennent que cet effort demeure encore insuffisant. Le Conseil d’État observe, d’abord, que les capacités d’hébergement ainsi mobilisées n’ont jamais été aussi importantes et seront encore accrues à brève échéance, et ensuite que sur un total de 1300 places disponibles dans les centres d’hébergement à peine 20% sont actuellement occupées. Enfin, si l’utilisation de gymnases n’est guère appropriée à ces populations et aux exigences du confinement, il ne s’agit là que d’un expédient temporaire destiné à faire face à un afflux dans une situation d’extrême urgence.

Le cas des personnes trouvées à la rue est traité sans verbalisation et avec recours au « SAMU social ».

Enfin, toutes informations sur les précautions sanitaires et les mesures d’hygiène à prendre sont fournies aux intéressés.

Il suit de là que n’existe en l’espèce, s’agissant des conditions actuelles d’hébergement des personnes sans domicile fixe aucune atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la protection de l’intégrité physique et psychique de ces personnes, justifiant la fermeture des lieux d’hébergement collectif existants et la réquisition d’appartements ou de chambres d’hôtel que demandent les organisations requérantes.

 

Sur le second point, le juge rejette également l’argumentation des demanderesses.

S’agissant de la distribution de masques de protection, s’il est exact que dans le cadre d’une stratégie de gestion maîtrisée des stocks en période de forte tension due à l’évolution de l’épidémie, les travailleurs sociaux ne sont pas au nombre des personnes prioritaires, toutefois ceux-ci se sont vus reconnaître la possibilité d’importer, avec l’appui de l’État (décret n° 2020-281 du 20 mars 2020 modifiant le décret n° 2020-247 du 13 mars 2020 relatif aux réquisitions nécessaires dans la lutte contre le virus Covid-19), et de distribuer par leurs propres réseaux les masques nécessaires.

Dans ces conditions, il n’est pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit à la vie et au respect de leur intégrité physique.

S’agissant de la mise en place d’un dépistage systématique des personnes accueillies dans des structures collectives ou y travaillant, le juge note que la faible capacité dont disposent les services ont contraint à ne pas instaurer un tel dépistage mais que cette capacité va croître progressivement de telle sorte que les conclusions en ce sens aux fins d’injonction ne peuvent qu’être rejetées le juge ne pouvant ordonner des mesures qui ne seraient pas utiles à très court terme en l’état des moyens existants. 

 

9 - 4 avril 2020, Centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe, n° 439904 ; ministre des solidarités et de la santé, n° 439905

La particularité de l’ordonnance ci-rapportée vient de ce qu’elle ne résulte pas d’une saisine directe du Conseil d’État mais d’un appel formé devant lui contre un jugement sur référé liberté rendu le 27 mars 2020 par le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe.

Ce dernier avait enjoint au CHU de la Guadeloupe et à l’agence régionale de santé (ARS) de la Guadeloupe, de passer commande des doses nécessaires au traitement des patients atteints du Covid-19 par hydroxychloroquine et azithromycine, tel que proposé par l’institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection, et de tests de dépistage du Covid-19 en nombre suffisant pour couvrir les besoins présents et à venir de la population de l’archipel guadeloupéen.

Le CHU de la Guadeloupe et le ministre des solidarités et de la santé relèvent appel de cette ordonnance par deux requêtes en annulation de ladite ordonnance qui sont jointes par le juge d’appel.

 

I. Préalablement, le juge des référés apporte deux précisions dont la première n’est qu’un rappel mais la seconde constitue une vraie nouveauté.

D’abord, il rappelle que si, en principe, le juge du référé liberté est un juge de l’urgence et du provisoire dont les ordonnances ne prescrivent normalement que des mesures provisoires, celles-ci peuvent néanmoins revêtir un caractère définitif lorsqu’il ne peut en aller autrement dans les circonstances de droit et de fait de l’espèce.

Ensuite, c’est la nouveauté, qu’il exprime ainsi : « (…) si l’autorité administrative est en droit, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, de prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées, l’existence de telles incertitudes fait, en principe, obstacle à ce que soit reconnue une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, justifiant que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ». Autant dire qu’à l’énoncé d’une telle position de principe, l’annulation de l’ordonnance des premiers juges devenait certaine.

La chose nous semble discutable en période de circonstances exceptionnelles où l’urgence à lutter contre la mort et l’absence de traitement avéré d’un mal peuvent justifier le recours à des solutions médicales dont le caractère aberrant n’est pas certain, pour autant que le patient, dûment et clairement informé, ait accepté son emploi. Par a contrario, l’interdiction faite au patient d’exercer sa liberté de choix éclairée puisqu’il est fait défense au médecin de l’écouter, nous paraît, elle, de nature à constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

 

II. Le juge passe à l’analyse du fond de la requête après avoir décrit la situation sanitaire de la Guadeloupe au regard du Covid-19 ainsi que les mesures, générales et particulières, qui y ont été prises par les pouvoirs publics.

 

Concernant le traitement des patients atteints de Covid-19 et les commandes d’hydroxychloroquine et d’azithromycine, le juge des référés du Conseil d’État réitère la position déjà adoptée dans ses deux précédentes décisions du 28 mars 2020 sur le sujet (cf. n° 5 ci-dessus, req. n° 439726, points 12 et suivants ; n° 6 ci-dessus, req. n° 439765, points 5 et suivants).

 En particulier, il rappelle l’obligation d’une autorisation de mise sur le marché pour qu’un médicament puisse être prescrit et utilisé ainsi que l’existence, limitée souvent aux pharmacies d’hôpitaux, d’une autorisation dérogatoire temporaire. Il a été usé de cette faculté en l’espèce par le premier ministre. Toutefois, il n’existe pas au jour du jugement attaqué et à celui de la présente décision de protocole scientifique validant sérieusement comme traitement du Covid-19 l’association de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine. C’est pourquoi ne saurait être considérée comme illégale la position de prudence adoptée par les autorités étatiques sanitaires. Il n’existe donc de ce fait aucune carence caractérisée tant du chef du CHU de Guadeloupe que de celui du directeur de l’ARS de Guadeloupe qui justifierait la reconnaissance d’une atteinte à une liberté fondamentale.

 

Concernant les commandes de tests de dépistage du Covid-19, le juge explique que les capacités restreintes de la France pour pratiquer ces tests ont conduit les pouvoirs publics à établir un ordre de priorité mais que, pour être en mesure d’éviter de nouvelles contagions à l’issue du confinement, ils prennent toutefois les dispositions nécessaires pour accroître les capacités de dépistage, notamment par le développement de tests sérologiques, reposant sur la recherche d’anticorps, dont la fiabilité doit cependant encore faire l’objet d’évaluations. Cette stratégie est en cours d’élaboration.

Par ailleurs, les stocks actuels du CHU de Guadeloupe et d’autres hôpitaux de la région ainsi que les commandes en cours, sans couvrir tous les besoins à venir de la population de la Guadeloupe, tels qu’ils pourront être appréciés dans la perspective de la fin du confinement, ne révèlent pas que le CHU et l’ARS auraient porté, par une carence caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Le recours est rejeté.

 

10 - 8 avril 2020, Syndicat national pénitentiaire force ouvrière – personnels de surveillance, n° 439821

Il a souvent été indiqué dans cette chronique l’importance croissante prise par les débats oraux dans la procédure de référé. Cette tendance est pleinement confirmée par la circonstance que le juge, dans la présente affaire, relève à plusieurs reprises soit l’acceptation par les requérants des données et des faits fournis par l’administration pénitentiaire, soit l’abandon ou la rectification de leurs prétentions initiales.

De sorte qu’à bien des égards la procédure du référé urgent, surtout celle du référé liberté, joue un peu le rôle d’une justice de paix, tempérant parfois les fougueuses demandes et prétentions assénées dans l’urgence (cf. par ex. les points 13, 18, 19 de la décision).

Le syndicat requérant demande au juge du référé liberté du Conseil d’État d’ordonner, dans le contexte de l’épidémie causée par la propagation du virus Covid-19, que soient prises différentes mesures propres à assurer une protection suffisante des personnels pénitentiaires à l’égard des risques de contamination par ce virus.

Le juge, après avoir rappelé le cadre juridique et factuel, examine, comme il l’a fait dans plusieurs des décisions précédemment rapportées, les mesures générales déjà prises par les pouvoirs publics pour faire face à l’épidémie, il y ajoute les mesures spécifiques qu’il a également édictées concernant ceux de leurs agents exerçant leurs fonctions dans l’univers carcéral : limitation, à partir du 27 février 2020, des circulations humaines entre prisons  et extérieur ainsi qu’à l’intérieur des prisons,  rappel du strict respect des règles de sécurité sanitaire, suspension à compter de la note du 17 mars, d’une part, des activités incompatibles avec les exigences de distanciation, d’autre part, des visites aux parloirs, parloirs familiaux et unités de vie familiale et des entretiens avec les visiteurs de prison.

En outre, il est rappelé qu’il incombe aux chefs d’établissements, en sus de l’application de ces mesures, de prendre toutes celles rendues nécessaires par la situation locale propre à chacun d’eux.

Le juge relève une nette diminution du nombre de personnes détenues en deux semaines (de 72 575 le 16 mars à 65 757 le 2 avril) et indique l’existence, chez les détenus de 63 cas de Covid-19 et de 697 confinements sanitaires, et, chez les 35 000 agents, de 377 cas confirmés ainsi que de 1512 cas symptomatiques.

La requête est enfin examinée sur trois points.

 

D’abord, en ce qui concerne la demande de distribution de masques, aucune urgence n’apparait qui justifierait l’usage des pouvoirs de référé tant en raison d’une note du 31 mars qui a mis à la disposition de l’administration pénitentiaire un stock important de 260 000 masques et prévu la distribution journalière de 17 600 masques, soit deux masques par jour par agent et par journée de travail. En outre, la liste des catégories d’agents éligibles à l’attribution des masques n’est pas figée et peut évoluer soit nationalement soit par établissement en fonction des situations locales.

Ensuite, au cours de l’audience, le syndicat requérant a admis qu’étaient satisfaites ses demandes relatives à la distribution de gants et de gel hydroalcoolique.

Enfin, la demande de définition de manière plus stricte, à l’échelle nationale, des règles encadrant l’organisation et le déroulement des promenades ainsi que la demande de suspension du régime dit « portes ouvertes », qui permet la libre circulation des détenus dans l’enceinte de l’établissement pendant les périodes quotidiennes où sont ouvertes les portes des cellules, sont rejetées car, s’agissant de la première de ces demandes, les précautions déjà prises et d’autres pouvant intervenir ultérieurement ne la rendent pas nécessaire et, s’agissant de la seconde demande,  sa satisfaction  n’apparaît point, pour l’heure, nécessaire.

L’examen minutieux des éléments de fait, l’attention prêtée aux arguments et défense des parties, le souci de pacifier le débat donnent le sentiment d’avoir produit, dans l’urgence, une décision sereine et d’acceptation aisée.

 

11 - 8 avril 2020, Section française de l’observatoire international des prisons et autres, n° 439827

Au plan procédural, il faut retenir de cette décision qu’elle traduit bien la souplesse de la procédure de référé qui conduit le juge à faire du « sur-mesure » à la fois en dépit et à cause de l’urgence.

Ainsi, au cas présent, les requêtes ont été déposées les 29 mars et 2 avril, une audience a été organisée dès le 3 avril à 10 heures ; au terme de celle-ci la clôture de l’instruction a été différée d’abord au 6 avril à 15 heures, puis au 7 avril à 22 heures et l’ordonnance a été rendue le lendemain.

Les requérants demandaient au juge du référé liberté d’ordonner, dans le contexte de l’épidémie causée par la propagation du virus Covid-19, toutes mesures qu’il estimera utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes détenues qu’ils invoquent.

Selon une technique rédactionnelle rodée et éprouvée le juge rappelle d’abord l’état général de la situation et des mesures prises pour lutter contre l’épidémie, réitérant les chiffres donnés dans l’affaire précédente sur la diminution du nombre de détenus et leur état sanitaire au regard du Covid-19.

Sont alors examinées les nombreuses différentes demandes.

La demande d’élargissement des dispositifs de libération des personnes détenues et de réduction du nombre d’entrées en détention est rejetée car elle suppose la prise de dispositions législatives.

La demande relative aux conditions matérielles de détention est rejetée en ses trois composantes, à savoir, d’une part, l’application aux détenus de règles et mesures d’hygiène, d’autre part, la distribution aux personnes détenues de masques de protection, de la diffusion d’un mode d’emploi permettant la fabrication de masques ainsi que des matériaux nécessaires à leur confection et enfin, la mise en place des dépistages systématiques du Covid-19. Le juge considère que les mesures déjà prises, la fermeté et la répétition des consignes d’hygiène et sanitaires, l’application stricte de l’obligation de distanciation, la limitation des déplacements et contacts intra-pénitentiaires, etc. ne permettent de parler ni d’urgence ni de menace grave et immédiate qui justifierait l’intervention du juge des référés. Au reste, un protocole a été convenu en cours d’audience entre les demandeurs et l’administration pénitentiaire qui a été immédiatement mis en œuvre le 6 avril.

Le recours désormais systématique, en cette période, à des mesures alternatives aux fouilles entraine le rejet du recours sur ce point.

Enfin, la demande de maintien des liens familiaux et personnels des personnes détenues et des échanges avec leurs avocats semble déjà satisfaite aux yeux du juge, d’une part par l’augmentation, par doublement, du crédit téléphonique mensuel attribué aux détenus afin qu’ils puissent appeler les membres de leurs familles, et d’autre part, par la possibilité de rencontrer leurs défenseurs, à condition de respecter les mesures d’hygiène et sanitaires ordinaires, et/ou de leur téléphoner. Là encore, aucune menace grave et immédiate ne permet d’user des pouvoirs du juge des référés.

 

12 - 9 avril 2020, Association mouvement citoyen tous migrants et autres, n° 439895

Cette décision présente la particularité, outre son contenu sur le fond, de soulever une QPC.

Les organisations requérantes sollicitaient du juge du référé liberté un certain nombre de décisions compte tenu de ce que, selon elles, les mesures prises par l’État dans le contexte de l’épidémie de Covid-19 pour préserver les droits des personnes en situation de précarité ainsi que leur protection et celles des personnes les accompagnant sont insuffisantes.

D’une part, elles demandent le renvoi d’une QPC concernant le 2° de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique.

D’autre part, elles demandent qu’injonction soit faite au premier ministre d’organiser le  dépistage systématique des personnes en situation de précarité et des bénévoles s’occupant d’eux, de mettre à leur disposition des équipements de protection individuelle contre le Covid-19, de prendre les mesures pour les mettre à l’abri dans des locaux adaptés, de mettre en place une procédure dématérialisée pour l’enregistrement des demandes d’asile et l’ouverture à leur bénéfice des droits afférents, d’organiser un plan national d’aide à toutes les personnes démunies pour répondre à leurs besoins, notamment en termes de produits, de soins et de moyens de communication, de mettre à disposition des associations les ressources nécessaires au maintien de leurs activités dans des conditions adaptées à la situation, d’ouvrir les droits à une couverture maladie à toutes les personnes se trouvant en France au cours de l’épidémie, ainsi que d’autoriser les déplacements des personnes en situation de précarité nécessaires pour accéder aux aides dont elles ont besoin.

Le juge rappelle ce qu’est l’office du juge des référés, notamment en présence d’une demande de renvoi d’une QPC, les caractéristiques de l’épidémie et la lutte déjà entreprise à son encontre.

Puis, passant à l’examen de l’ensemble des moyens et demandes, il les rejette tous.

 

La QPC est rejetée car les limitations aux déplacements en dehors du domicile édictées, sur la base du 2° de l’article L. 3131-15, par le décret du 23 mars 2020 sont définies avec une précision suffisante, sont limitées « aux seules fins de garantir la santé publique », « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu », et qu’ « il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ». Elles ne sont donc pas, contrairement à ce qui est soutenue par la requête, entachées d’incompétence négative. Le renvoi au Conseil constitutionnel est refusé.

Le juge répond ensuite, de façon détaillée et avec un grand souci pédagogique qui laisse deviner la volonté de convaincre les organisations demanderesses, aux cinq questions principales.

 

En premier lieu, il se prononce sur la demande de dépistage systématique des personnes en situation de précarité et des bénévoles s’occupant de ces personnes, et la mise à leur disposition d’équipements de protection individuelle contre le Covid-19.

Le juge reconnait - comme l’administration - qu’en l’état des stocks et des données scientifiques les travailleurs sociaux ne sont pas couverts par les mesures de distribution et que l’utilisation de masques chirurgicaux dans la population non malade n’est pas à l’ordre du jour. Toutefois, les associations, avec l’aide des pouvoirs publics, peuvent acquérir des masques de protection, y compris importés ou destinés, sous réserve de validation, à un usage non sanitaire : il existe aujourd’hui 85 solutions proposées par 45 entreprises. Le moyen ne peut, dans ces conditions, être retenu.

Pour ce qui est des dépistages, des mesures ont été prises pour une progression constante de leur nombre dans les meilleurs délais dans la perspective de la sortie du confinement et, en outre, un dépistage systématique n’est pas préconisé le Haut Conseil de la santé publique. Le moyen ne peut qu’être rejeté tant au regard des circonstances de fait qu’à celui des pouvoirs qui sont ceux du juge des référés.

 

En deuxième lieu, pour ce qui concerne l’hébergement des personnes en situation de précarité, le juge rappelle des données chiffrées déjà avancées dans des décisions de référé antérieures (allongement de la durée de la trêve hivernale et de la fermeture des places d’hébergement ouvertes pendant l’hiver, accueils accrus dans des  hôtels et des structures d’hébergement touristique, ouverture de structures d’accueil provisoires telles que des gymnases ou des salles polyvalentes, réquisition d’immeubles vacants), et relève l’accroissement du nombre de places offertes  ainsi que la poursuite des efforts entrepris pour en développer encore le nombre. De plus, des informations, des places de lits et plusieurs lieux sont consacrés aux consignes sanitaires ainsi qu’à l’accueil des personnes symptomatiques.

Là aussi n’existe, en l’état, nulle atteinte grave et manifestement illégale au droit à l’hébergement d’urgence et au respect de la vie, justifiant que soient ordonnées d’autres solutions par le juge des référés.

 

En troisième lieu, est abordée la question, difficile, de l’enregistrement des demandes d’asile. Depuis la suspension, à partir 17 mars 2020, de l’activité des guichets uniques pour demandeurs d’asile (GUDA) des préfectures, en raison de l’impossibilité de respecter les « gestes barrière » lors de l’enregistrement des demandes d’asile, ces enregistrements se poursuivent, en liaison avec les associations, dans les cas relevant d’une urgence particulière. Ceci se fait de façon identique dans les États de l’Union, dans le respect des directives européennes. 

La dématérialisation de la procédure, demandée par les requérantes, s’avère impossible à organiser selon le ministère de l’intérieur, notamment car il faut effectuer le relevé d’empreintes digitales. Des facilités sont toutefois assurées (émission de « chèques services », absence de mesure d’éloignement quand la personne n’a pas été en mesure de déposer sa demande d’asile, traitement particulier des personnes qui avaient pré-enregistré une demande d’asile dans une structure de premier accueil pour demandeurs d’asile (SPADA) ou qui ont d’une façon ou d’une autre manifesté l’intention d’en présenter une, permanences, y compris téléphoniques, assurées pour tous ces cas par l’Office français de l’immigration et de l’intégration).

En l’état, compte tenu des éléments qui précèdent, n’apparait aux yeux du juge des référés aucune atteinte dont la gravité justifierait que soient ordonnées d’autres mesures. Le moyen est rejeté.

 

En quatrième lieu, ce qui concerne la mise en place d’un plan national d’aide à toutes les personnes démunies et la mise à disposition des associations des ressources nécessaires au maintien de leurs activités dans des conditions adaptées à la situation, le juge, en l’état actuel des efforts déjà fournis et qui se poursuivent (cellule de crise chargée de piloter et coordonner les actions en faveur des personnes en situation de précarité,  distribution de produits alimentaires et d’accès à l’eau, aux installations sanitaires et aux biens essentiels à l’hygiène, création du dispositif « chèques services » dont 60 000 personnes bénéficient déjà, création d’une plateforme numérique en lien avec le monde associatif pour permettre à des bénévoles de se manifester, mobilisation des étudiants en travail social, prolongation, par l’ordonnance du 25 mars 2020, du bénéfice du RSA pour éviter les ruptures de droits soit des bénéficiaires qui ne pourraient se manifester en raison de la situation sanitaire soit des bénéficiaires étrangers titulaires de titres de séjour, dont la validité a en outre été prolongée de 90 jours), estime que n’est pas justifiée la demande de décisions urgentes à prendre par voie de référé en même temps qu’est rejetée la demande d’accès gratuit téléphonique et à internet.

 

En cinquième lieu, en raison des décisions déjà prises et appliquées effectivement qui ne démontrent aucune carence, la demande d’ouverture de droits à une couverture maladie à toutes les personnes se trouvant en France au cours de l’épidémie est rejetée.

Le juge relève en particulier en ce sens : l’ouverture des droits à la protection maladie universelle (PUMA) toujours possible, la prolongation des droits à la protection complémentaire en matière de santé lorsque ces droits expirent entre le 12 mars et le 31 juillet 2020 (ordonnance du 25 mars 2020), l’assouplissement des conditions d’accès à l’aide médicale d’État (AME) pendant la période d’urgence sanitaire, la prorogation du  bénéfice de cette aide et l’élargissement de la  prise en charge des soins urgents pour les personnes ne bénéficiant ni de l’AME ni de la PUMA.

 

En sixième lieu, enfin, est rejetée la demande portant sur les autorisations de déplacement des personnes en situation de précarité car le 4° de l’art. 3 du décret du 27 mars 2020, autorise les déplacements pour l'assistance des personnes vulnérables, de sorte que ces dérogations couvrent les déplacements des salariés et bénévoles des associations d’aide aux personnes en situation de précarité.

Par ailleurs, ces personnes peuvent, au titre du 2° de cet article, se déplacer pour l’accès à des distributions de denrées alimentaires ou de produits essentiels, et pour percevoir les prestations qui leur sont réservées, enfin, instruction a été donnée de ne procéder à aucune verbalisation des personnes sans domicile fixe.

Il résulte de là qu’aucune atteinte grave n’a été portée de ce chef, dans les circonstances particulières nées de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, à une liberté fondamentale.

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Mars 2020

Mars 2020

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse  

 

1 - Assistants maternels - Période de formation - Soumission à des vaccinations normalement facultatives - Arrêté ministériel fixant cette obligation - Incompétence - Annulation.

La ministre des solidarités et de la santé ne tient d'aucune autre disposition législative une habilitation lui conférant le pouvoir de soumettre les assistants maternels suivant une période de formation en milieu professionnel à des vaccinations non obligatoires.

En exigeant du futur assistant maternel stagiaire, par l’arrêté litigieux, la production, préalablement au commencement de sa période de formation en milieu professionnel, un certificat médical attestant qu'il est à jour de ses vaccinations recommandées, la ministre a pris un acte illégal car entaché d’incompétence. Et cela alors même que l'organisation et le financement de la formation des assistants maternels agréés relèvent des départements et que, dans certains départements, la période de formation en milieu professionnel puisse ne pas revêtir de caractère obligatoire.

(4 mars 2020, Ligue nationale pour la liberté des vaccinations, n° 426633)

 

2 - Charte de déontologie des membres de la juridiction administrative - Nature juridique et portée - Décision susceptible de recours - Application aux anciens membres des juridictions - Rejet.  

A l’occasion d’un recours dirigé contre la décision du vice-président du Conseil d’État adoptant une Charte de déontologie des membres de la juridiction administrative, le juge donne un certain nombre d’indications utiles.

Tout d’abord est ainsi précisée la place de la Charte dans la hiérarchie des normes : « (…) la charte de déontologie des membres de la juridiction administrative, qui n'a pas pour objet de se substituer aux principes et dispositions textuelles, notamment statutaires, régissant l'exercice de leurs fonctions, a vocation, outre à rappeler les principes et obligations d'ordre déontologique qui leur sont applicables, à préconiser des bonnes pratiques propres à en assurer le respect. Pour apprécier si le comportement d'un membre de la juridiction administrative traduit un manquement aux obligations déontologiques qui lui incombent, les bonnes pratiques ainsi recommandées sont susceptibles d'être prises en compte, sans pour autant que leur méconnaissance ne soit, en elle-même, constitutive d'un manquement disciplinaire. »

Ensuite, le juge se prononce sur la légalité du texte dans son ensemble puis sur celle de son paragraphe 16.

 

S’agissant du texte de la charte pris dans sa globalité, il est déclaré légal.

Il résulte des dispositions de l’art. L. 131-4 du CJA que le vice-président du Conseil d’État avait bien compétence pour édicter une charte de déontologie, lui donner le contenu qu’elle revêt et la rendre applicable également aux anciens membres des juridictions administratives.

Le requérant ne saurait soutenir que la compétence dévolue au vice-président du Conseil d'État pour établir la charte de déontologie des membres de la juridiction administrative méconnaîtrait le principe d'impartialité des juridictions et le droit à un recours juridictionnel effectif et serait ainsi entaché d’inconstitutionnalité, dès lors que le vice-président préside la juridiction susceptible d'être appelée à statuer sur la légalité de cette charte et que, compte tenu de ses prérogatives à l'égard des membres du Conseil d'État, il est en mesure d'exercer une influence sur les membres de la formation de jugement.

En effet, le Conseil constitutionnel (20 octobre 2017, M. X., déc. n° 2017-666 QPC) a déclaré l'article L. 131-4 du CJA conforme à la Constitution. Le moyen d'inconstitutionnalité ne peut donc qu'être écarté.

De plus, s’impose à tout membre des juridictions administratives le principe général de procédure lui interdisant de participer au jugement d'un recours dirigé contre une décision administrative ou juridictionnelle dont il est l'auteur ou à l'élaboration de laquelle il a participé.

Enfin, les garanties statutaires entourant la gestion et le déroulement des carrières de ces agents excluent que les prérogatives reconnues à leur égard au bénéfice du vice-président du Conseil d’État puissent porter atteinte à leur indépendance.

 

S’agissant plus spécifiquement des dispositions du paragraphe 16 de la charte, elles sont également déclarées légales.

Selon ces dispositions notamment : « en outre, il convient pour les intéressés (i.e. les anciens magistrats administratifs), pendant une durée de cinq ans, de s'abstenir de présenter des requêtes ou mémoires, de paraître à l'audience, devant la juridiction dont ils ont été membres. Les anciens vice-présidents et présidents de section du Conseil d’État, ainsi que les anciens présidents-adjoints et présidents de chambre de la section du contentieux observent cette pratique pendant une durée de dix ans, à compter de la fin de ces fonctions ; il en va de même des anciens chefs de juridiction devant la juridiction qu'ils ont présidée », ce sont là des « recommandations sur les bonnes pratiques qui se déduisent de ces principes et qui sont issues, le plus souvent, d'une longue tradition ».

Ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de réglementer la profession d'avocat et ne comportent point une interdiction mais, dans le silence du droit positif, invitent à adopter une attitude de prudence.

Par ailleurs, les durées préconisées par les recommandations de bonnes pratiques litigieuses ne sont pas entachées d’erreur manifeste d’appréciation.

(25 mars 2020, M. X., n° 411070) V. aussi le n° suivant

 

3 - Charte de déontologie des membres de la juridiction administrative - Nature juridique et portée - Décision susceptible de recours - Application aux anciens membres des juridictions - Rejet.  

Le syndicat demandeur sollicitait l’annulation de la décision par laquelle le vice-président du Conseil d’État a, par une décision du 16 mars 2018, modifié la charte de déontologie des membres de la juridiction administrative, en remplaçant, au sein du chapitre IV de la charte intitulé « Devoir de réserve dans l'expression publique », dans sa rubrique « Bonnes pratiques », le paragraphe 47 par de nouveaux paragraphes numérotés 47 à 47-6 portant sur l'usage des réseaux sociaux sur Internet.

Comme il le fait dans la décision rapportée au numéro précédent, le Conseil d’État rappelle la nature juridique et l’objet de cette charte.

Après avoir écarté les moyens de légalité externe, le juge examine ceux de légalité interne qui sont également rejetés.

Répondant à une première critique du syndicat requérant, le Conseil d’État juge qu’en recommandant aux membres de la juridiction administrative de faire preuve de réserve dans l’usage de réseaux sociaux surtout ceux non protégés, de s’abstenir de toute politique pouvant rejaillir sur l’institution et d’être vigilants dans leur propos sur l’actualité juridique et administrative, le vice-président du Conseil d’État n’a pas porté à la liberté d’expression une atteinte contraire aux exigences de la Déclaration des droits de 1789 ou à celles de la Convention EDH.

Une deuxième critique portait sur le fait que l’auteur de la modification litigieuse recommande aux membres de la juridiction administrative qui utilisent les réseaux sociaux de ne pas mentionner leur qualité de magistrat ou de membre du Conseil d'État lorsqu'ils renseignent leur profil sur un réseau social à vocation non professionnelle ou de faire en sorte que cette révélation ne soit pas possible.

Le juge rappelle que ceci n’interdit nullement l’utilisation de ces moyens et l’inscription de ces magistrats sur les réseaux sociaux mais les incite à se prémunir contre le risque que des propos publiés sur les réseaux sociaux reçoivent une diffusion excédant celle qui avait été initialement envisagée par leur auteur et puissent exposer ce dernier, dans le cas où leur diffusion rejaillirait sur l'institution, à devoir répondre d'un éventuel manquement à leur obligation de réserve.

Par suite, ces recommandations de bonnes pratiques ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression des membres de la juridiction administrative.

Enfin, c’est en vain que le syndicat critique la recommandation, « compte tenu du caractère présumé public et de la spécificité des réseaux sociaux numériques », « de ne pas utiliser ces supports aux fins de commenter l'actualité politique et sociale », cette préconisation de prudence ne portant pas, elle non plus, une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression de ses destinataires.

Sans surprise, l’ensemble de la requête était voué à l’échec car un magistrat ou ancien magistrat n’est pas tout à fait un citoyen comme les autres s’agissant de l’exercice de ses fonctions, de la mise en avant de sa qualité et de la réception de ses propos par l’opinion.

(25 mars 2020, Syndicat de la juridiction administrative, n° 421149) V. aussi le n° précédent

 

4 - Projet environnemental - Principe d’impartialité de l’administration active - Directives européennes du 27 juin 2001 et du 13 décembre 2011 - Interprétation par la CJUE - Séparation fonctionnelle entre auteur de l’avis et auteur de la décision - Exigence d’autonomie de décision de certaines autorités administratives - Cassation avec renvoi.

Les requérants ont demandé l’annulation pour excès de pouvoir d’un arrêté préfectoral ayant autorisé une société à exploiter onze aérogénérateurs sur le territoire de plusieurs communes

Leur demande est rejetée en première instance et en appel. Ils se pourvoient en cassation.

Pour rejeter l’appel dont les requérants l’avaient saisie, la cour administrative d’appel avait estimé que les exigences posées par les articles 6 de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 et de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 avaient, par principe, été satisfaites en l’espèce dès lors que l'avis de l'autorité environnementale avait été émis par le préfet de région et que la décision attaquée avait été prise par le préfet de département.

Or il résulte de la jurisprudence de la CJUE interprétant ces articles 6 (20 octobre 2011, Department of the Environment for Northern Ireland contre Seaport (NI) Ltd et autres, aff. C-474/10) que, si leurs dispositions ne font pas obstacle à ce que l'autorité publique compétente pour autoriser un projet soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce que l'entité administrative concernée dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui soient propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée en donnant un avis objectif sur le projet concerné.

L’arrêt est cassé motif pris de ce qu'il ressortait des pièces du dossier soumis à la cour que la même direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement avait à la fois instruit la demande d'autorisation et préparé l'avis de l'autorité environnementale.

(25 mars 2020, M. et Mme X., n° 427556)

 

5 - Communication des documents administratifs - Contenu des documents - Procédure à suivre selon que le contenu des documents est fixé complètement ou non par un texte - Conditions de communicabilité du contenu des documents par ailleurs communicables - Erreur de droit - Cassation avec renvoi au tribunal.

Les requérantes ont sollicité du premier ministre la communication de l'intégralité du dossier relatif à la cession au secteur privé de la participation majoritaire de l'État dans le capital de la société Aéroports de Lyon, notamment « les pièces de la mise en concurrence, la réponse des candidats, le choix du candidat, le cahier des charges et toute pièce se rapportant aux conditions de la vente des actions ». Après avis favorable de la CADA « sous réserve de l'occultation des informations protégées par le secret industriel et commercial, en l'espèce les mentions et données relatives à la situation économique et financière des entreprises candidates, notamment les bilans, comptes de résultat et les éléments relatifs au chiffre d'affaires et au niveau d'activité, ainsi que les données révélant les stratégies commerciales, procédés techniques et savoir-faire de ces sociétés », le commissaire aux participations de l'État de l'Agence des participations de l'État (APE) a communiqué aux requérantes le cahier des charges de la procédure de cession, les cinq avis rendus par la Commission des participations et des transferts, notamment celui qui présente les projets industriels et commerciaux des deux acquéreurs candidats, ainsi que l'arrêté fixant les modalités de transfert au secteur privé de la participation majoritaire de l'État au capital de la société Aéroports de Lyon et précisant le prix par action retenu. L'APE a cependant indiqué qu'il ne lui était pas possible de communiquer les offres des candidats au motif qu'elles étaient protégées par le secret industriel et commercial.

Leur demande d’annulation de ce refus ayant été rejetée en première instance, les intéressées se pourvoient en cassation, conduisant le Conseil d’État à se prononcer sur deux questions distinctes mais étroitement liées relatives à la communication des documents administratifs.

 

I - Sur la notion de communicabilité

La faculté qu’a le juge administratif d'ordonner avant dire droit la production, par les administrations compétentes, des documents dont le refus de communication constitue l'objet même du litige, ne constitue pour lui une obligation que si l'état de l'instruction ne lui permet pas de déterminer le caractère légalement communicable ou non de ces documents ou d'apprécier les modalités de cette communication.

Il convient toutefois de distinguer deux situations pour l’application de cette ligne générale.

Lorsque tous les éléments d'information que doit comporter un document administratif sont définis par un texte, le juge administratif, saisi d'un litige relatif au refus de le communiquer, peut, sans être tenu d'en ordonner la production, décider si, eu égard au contenu des informations qui doivent y figurer, il est, en tout ou partie, communicable.

Lorsque le contenu d'un document administratif, - comme c’était le cas dans la présente affaire s’agissant d’un contrat de vente de titres détenus par l'État -, n'est défini par aucun texte, le juge ne saurait, au seul motif qu'il est susceptible de comporter des éléments couverts par un secret que la loi protège, décider qu'il n'est pas communicable, sans avoir au préalable ordonné sa production, hors contradictoire, afin d'apprécier l'ampleur des éléments protégés et la possibilité de communiquer le document après leur éventuelle  occultation.

 

II - Sur l’étendue du droit à communication

Le juge rappelle que le droit à la communication des documents administratifs ne se confond pas avec un droit d'accès aux informations contenues dans ces documents.

Il censure pour erreur de droit la décision querellée car il reproche au juge du fond d’avoir jugé légal un refus de communication au seul motif que les éléments qu'il estimait communicables figuraient dans les différents avis de la commission des participations et des transferts et que ces avis étaient publics et avaient été transmis aux requérants.

Le Conseil d’État décrit ainsi ce qu’aurait dû être la démarche du juge. « Il lui appartenait de rechercher si, dès lors que les éléments d'information non communicables contenus dans les offres étaient très nombreux ( …) et qu'il était possible de se procurer les éléments communicables autrement, la communication des offres après occultation des éléments non communicables pouvait être, dans les circonstances particulières de l'espèce, légalement refusée sur le fondement du dernier alinéa de l'article L. 311-2 du code des relations entre le public et l'administration aux termes duquel : « L'administration n'est pas tenue de donner suite aux demandes abusives (...) » au motif qu'elle ferait peser sur l'administration une charge excessive, eu égard aux moyens dont elle dispose et à l'intérêt que présenterait, pour les requérants, le fait de bénéficier, non de la seule connaissance des éléments communicables, mais de la communication des offres occultées elles-mêmes ».

Le jugement querellé est cassé et l’affaire est renvoyée au tribunal qui l’avait jugée.

(27 mars 2020, Association contre l'extension et les nuisances de l'aéroport de Lyon Saint-Exupéry (ACENAS) et autre, n° 426623)

 

6 - Agences de l’eau - Pouvoir réglementaire - Autorité détentrice de ce pouvoir - Conseil d’administration de chaque agence - Cassation avec renvoi.

Le Conseil d’État était saisi du litige opposant le syndicat requérant à une agence de l’eau à propos de la décision de son conseil d’administration de modifier la " fiche action " 1-2-c1 de son programme pluriannuel d'intervention approuvé pour la période 2013-2018, relative aux conditions d'éligibilité aux aides relatives aux études de sol et de filières d'assainissement non collectif réalisées soit préalablement à des réhabilitations de ces installations, soit à l'occasion de réhabilitations d'habitations neuves.

Dans sa réponse et pour les besoins de la résolution du litige, le Conseil d’État décide, :

- d’une part, qu’il résulte des dispositions des articles L. 213-8-1, L. 213-9-1, L. 213-9-2, R. 213-32 et R. 213-39 du code de l'environnement que les agences de l'eau disposent d'un pouvoir règlementaire pour déterminer, dans la limite des missions qui leur sont fixées par la loi, les domaines et conditions de leur action et définir les conditions générales d'attribution des concours financiers qu'elles peuvent apporter aux personnes publiques et privées sous forme de subventions, de primes de résultat ou d'avances remboursables.

- d’autre part que l’organe qui, au sein de chaque agence, dispose du pouvoir réglementaire, est le conseil d’administration.

Cette réponse aurait pu, peut-être, résulter d’une décision de Section.

(11 mars 2020, Syndicat professionnel des industries et entreprises françaises de l'assainissement autonome (IFAA), n° 426366 ; du même jour, avec solution identique : Société Abas, n° 426367)

 

7 - Revenu de solidarité active (RSA) - Contrôle des bénéficiaires - Droit de communication - Conditions d’exercice - Garanties offertes aux bénéficiaires - Moment de leur mise en œuvre - Irrégularité - Substitution à la décision irrégulière d’une décision prise après exercice d’un recours administratif préalable obligatoire - Cassation partielle avec renvoi au tribunal administratif.

(18 mars 2020, Département de la Loire, n° 424413) V. n° 66

 

8 - Procédure consultative - Consultation préalable du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (art. L. 232-3 CJA) - Absence de consultation avant la prise d’un décret - Décret se bornant à tirer les conséquences nécessaires d’une loi - Rejet.

L'article L. 232-3 du CJA dispose notamment que : « Le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel connaît des questions intéressant le fonctionnement et l'organisation des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel dans les conditions prévues par le présent article ou par un décret en Conseil d'État. (...). / (...) Il est également consulté sur toute question relative à la compétence, à l'organisation et au fonctionnement des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (...) ».

Le Conseil d’État déduit ici de ce texte que ce Conseil « doit être consulté sur les projets de décrets qui, ne se bornant pas à tirer les conséquences nécessaires de dispositions législatives, affectent la compétence des tribunaux administratifs ou des cours administratives d'appel ou sont susceptibles d'avoir une incidence significative sur l'organisation ou le fonctionnement de ces juridictions ».

C’est pourquoi il rejette le recours formé par les syndicats requérants contre les dispositions du décret du 12 décembre 2018 portant modification du CJA pour l'application des titres Ier et III de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie qu’ils estimaient avoir été prises irrégulièrement car sans consultation préalable du Conseil précité.

En effet, il considère que toutes les dispositions critiquées de ce décret se bornent à tirer les conséquences nécessaires de la loi pour l’application de laquelle elles ont été prises.

(25 mars 2020, Syndicat de la juridiction administrative et Union syndicale des magistrats administratifs, n° 427737)

 

9 - Renvoi préjudiciel de l’autorité judiciaire - Allocation de veuvage - Caractère rétroactif en cas de demande dans l’année suivant le décès - Absence de ce caractère au-delà - Différence de traitement injustifiée au regard de la finalité de cette allocation - Déclaration d’illégalité.

Le Conseil d’État était saisi d’une question préjudicielle portant sur la légalité de l'article D. 356-6 du code de la sécurité sociale au regard du principe d'égalité, en tant qu'il réserve l'attribution rétroactive de l'allocation de veuvage qu'il institue aux seules demandes déposées dans l'année suivant le décès du conjoint.

Lorsqu’une telle demande est formulée plus d’un an après le décès, l’allocation n’est versée qu’à compter du mois au cours duquel elle est déposée.

Ne trouvant à cette différence de traitement aucune justification d’intérêt général en rapport avec l’objet de l’institution de cette allocation, le Conseil d’État estime que le pouvoir réglementaire a créé en l’espèce une différence manifestement disproportionnée au regard de la différence de situation entre les demandes formulées dans l’année et celles déposées plus tard, dès lors que les conditions pour en bénéficier étaient réunies au moment du décès.

(13 mars 2020, Mme X., n° 430371)

 

10 - Recours pour excès de pouvoir - Recours contre un refus d’abroger une décision - Décision ayant cessé de produire effet avant que le juge statue - Non-lieu à statuer - Rejet.

(2 mars 2020, M. X. et autres, n° 422651) V. n° 18

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

11 - Commission nationale Informatique et Libertés (CNIL) - Droit au déréférencement - Portée et limites - Interprétation de la CJUE - Application - Annulation de la délibération du 10 mars 2016 de la formation restreinte de la CNIL.

La société Google Inc. avait saisi le juge d’un recours tendant à l'annulation de la délibération du 10 mars 2016 par laquelle la formation restreinte de la CNIL a prononcé à son encontre une sanction, rendue publique, de 100 000 euros. Le Conseil d’État a sursis à statuer sur cette demande jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union se prononce sur plusieurs questions préjudicielles relatives au déréférencement dont il l’avait saisie.

La CJUE a répondu à ce renvoi préjudiciel (24 septembre 2019, Google LLC contre CNIL, aff. C-507/17).

C’est donc sur la base de ces réponses que le Conseil d’État rend la présente décision qui se signale à l’attention du lecteur par l’ouverture (II) qu’elle comporte en dépit de l’annulation qu’elle prononce (I).

 

I. Il convient de rappeler que la société requérante contestait une décision de la présidente de la CNIL la mettant en demeure, lorsqu'elle fait droit à une demande d'une personne physique tendant à la suppression de la liste des résultats, affichée à la suite d'une recherche effectuée à partir de son nom, de liens menant vers des pages web, d'effectuer cette suppression sur toutes les extensions de nom de domaine de son moteur de recherche. La société ne s'étant pas conformée, dans le délai imparti, à cette mise en demeure, la CNIL a prononcé à son encontre une sanction, rendue publique, de 100 000 euros.

La CJUE, dans son arrêt précité, répondant à l’une des questions posées par le Conseil d’État, a dit pour droit que : « l'article 12, sous b), et l'article 14, premier alinéa, sous a), de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995 [...], ainsi que l'article 17, paragraphe 1, du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, [...] doivent être interprétés en ce sens que, lorsque l'exploitant d'un moteur de recherche fait droit à une demande de déréférencement en application de ces dispositions, il est tenu d'opérer ce déréférencement non pas sur l'ensemble des versions de son moteur, mais sur les versions de celui-ci correspondant à l'ensemble des États membres et ce, si nécessaire, en combinaison avec des mesures qui, tout en satisfaisant aux exigences légales, permettent effectivement d'empêcher ou, à tout le moins, de sérieusement décourager les internautes effectuant une recherche sur la base du nom de la personne concernée à partir de l'un des États membres d'avoir, par la liste de résultats affichée à la suite de cette recherche, accès aux liens qui font l'objet de cette demande ».

Or la CNIL, dans la décision attaquée, a sanctionné la société Google Inc. au motif qu'elle refuse, lorsqu'elle fait droit à une demande de déréférencement, d'effectuer ce déréférencement sur l'ensemble des noms de domaine de son moteur de recherche et qu’elle se borne à supprimer les liens en cause des seuls résultats affichés en réponse à des recherches menées depuis les noms de domaine correspondant aux déclinaisons de son moteur de recherche dans les États membres de l'Union européenne. La formation restreinte de la CNIL a par ailleurs estimé insuffisante la proposition complémentaire dite de « géo-blocage » faite par la société Google Inc., après expiration du délai de mise en demeure, de supprimer la possibilité d'accéder, depuis une adresse IP réputée localisée dans l'État de résidence du bénéficiaire du « droit au déréférencement », aux résultats litigieux à la suite d'une recherche effectuée à partir de son nom, indépendamment de la déclinaison du moteur de recherche qu'a sollicitée l'internaute.

Il suit de là qu’en décidant ainsi la CNIL a commis une erreur de droit dans son interprétation des dispositions précitées du droit de l’Union.

 

II. Cependant, le Conseil d’État ne manque pas de relever que la CNIL fait valoir en défense, la circonstance que la CJUE, au point 72 de l'arrêt du 24 septembre 2019, a jugé « si (...) le droit de l'Union n'impose pas, en l'état actuel, que le déréférencement auquel il serait fait droit porte sur l'ensemble des versions du moteur de recherche en cause, il ne l'interdit pas non plus. Partant, une autorité de contrôle ou une autorité judiciaire d'un État membre demeure compétente pour effectuer, à l'aune des standards nationaux de protection des droits fondamentaux (...), une mise en balance entre, d'une part, le droit de la personne concernée au respect de sa vie privée et à la protection des données à caractère personnel la concernant et, d'autre part, le droit à la liberté d'information, et, au terme de cette mise en balance, pour enjoindre, le cas échéant, à l'exploitant de ce moteur de recherche de procéder à un déréférencement portant sur l'ensemble des versions dudit moteur ».

Édictant un mode d’emploi non pas nouveau mais précisé, le juge énonce que lorsqu’il est saisi d'une requête dirigée contre une sanction prononcée par la CNIL et constate que la décision contestée aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur un autre fondement que celui qu'a retenu l'autorité de sanction, il peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée.

Une condition essentielle est toutefois posée pour qu’il en soit ainsi. Il faut que la personne sanctionnée ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder soit à la demande des parties soit de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce dernier cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.

Revenant à l’espèce, le Conseil d’État retient qu’il ne résulte, en l'état du droit applicable, d'aucune disposition législative que le déréférencement ordonné par la CNIL pourrait excéder le champ couvert par le droit de l'Union européenne pour s'appliquer hors du territoire des États membres de l'Union européenne. Enfin, il résulte des termes mêmes de l’arrêt de la CJUE qu'une telle faculté ne peut être ouverte qu'au terme d'une mise en balance entre, d'une part, le droit de la personne concernée au respect de sa vie privée et à la protection des données à caractère personnel la concernant et, d'autre part, le droit à la liberté d'information. Or la CNIL, pour constater par sa délibération du 10 mars 2016 l'existence de manquements persistants et reprocher à la société Google Inc. d'avoir méconnu l'obligation de principe de procéder au déréférencement portant sur l'ensemble des versions d'un moteur de recherche, n'a pas effectué une telle mise en balance.

Dès lors, il n'y a pas lieu de faire droit à la substitution de base légale demandée en défense par la CNIL.

On peut penser qu’il y a là pour la CNIL une indication précieuse pour l’avenir lorsqu’elle sera amenée à prendre des décisions similaires à celle que la présente décision annule.

(27 mars 2020, Société Google Inc., n° 399922)

 

12 - Traitements de données à caractère personnel - Fichier des personnes en soins psychiatriques sans consentement - Mise en relation de deux traitements ayant, à son tour, la nature d’un traitement - Fichier destiné à prévenir les radicalisations à caractère terroriste - Fichier intéressant la sûreté de l’État - Fichier ne relevant des dispositions de la directive dite RGDP - Rejet.

Des réponses du juge aux nombreux arguments développés par les organisations requérantes il faut surtout retenir celles relatives au régime juridique des croisements de fichiers

Était demandée l’annulation du décret du 6 mai 2019 modifiant le décret du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement.

Le texte attaqué organise une mise en relation de deux traitements existants, le fichier HOPSYWEB, qui concerne les personnes en soins psychiatriques sans consentement, et le fichier FSPRT qui concerne la radicalisation à caractère terroriste.

Le Conseil d’État pose en principe qu’une telle mise en relation, qui consiste en réalité à rapprocher les données contenues dans ces deux traitements, constitue à son tour un traitement.

Le régime applicable en ce cas dépend de la finalité poursuivie par cette mise en relation qui peut soit être la même finalité que celle poursuivie par l’un des deux traitements rapprochés soit une autre finalité. En l’espèce cette mise en relation vise à prévenir la radicalisation à caractère terroriste.

Il découle de là que ce nouveau traitement consistant en la mise en relation entre deux traitements existants poursuit la même finalité que le traitement dit FSPRT et qu’il est, en conséquence, soumis au même régime juridique, à savoir celui institué au titre IV de la loi du 6 janvier 1978 intéressant la sûreté de l'État et la défense. C’est donc en vain que les organisations requérantes se prévalent des dispositions du titre II de cette loi et de celles du règlement européen du 27 avril 2016 dit RGPD pour demander l’annulation du décret attaqué car elles ne lui sont pas applicables.

La solution retenue est particulièrement innovante et comble un vide certain de la réglementation interne comme européenne.

(27 mars 2020, Association Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie (CRPA), n° 431350 ; Ligue des droits de l’homme (LDH), n° 431530 ; MGEN Action Sanitaire et Sociale (MGEN ASS), n° 432306 ; Association Avocats, droits et psychiatrie, n° 432329 ; Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM), n° 432378)

 

12 bis - Acte réglementaire - Décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé - Mesure sans caractère général et impersonnel - Compétence juridictionnelle de droit commun - Renvoi au tribunal administratif.

Le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a, par une décision du 2 avril 2019, interdit la mise sur le marché, la distribution, la publicité et l'utilisation de treize modèles d'implants mammaires produits par six fabricants et leur a ordonné de procéder au retrait des implants, cinq des fabricants de ces derniers étant concernés.

Le syndicat national de chirurgie plastique, esthétique et reconstructrice demande au Conseil d’État l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.

Ce recours est rejeté car il a été porté directement devant le Conseil d’État en premier ressort (par application du 2° de l'article R. 311-1 du CJA) alors que, d’une part, il ne relève d’aucun des cas dérogatoires à l’ordre de compétence ratione materiae de droit commun des juridictions administratives, et que, d’autre part, la décision querellée n’a pas un caractère général et impersonnel, en ce qu’elle désignerait indéterminément des catégories d’implants -  ce qui lui aurait conféré une nature réglementaire - mais au contraire définit très précisément certains implants seulement au sein de diverses catégories d’implants.

Le dossier est donc renvoyé au tribunal administratif territorialement compétent par application des règles procédurales de droit commun.

(16 mars 2020, Syndicat national de chirurgie plastique, esthétique et reconstructrice, n° 431315 ; v. aussi, sur le sujet, du même jour : Société Polytech Health et Aesthetics GmbH, n° 433228)

Biens

 

13 - Protection du domaine public - Contraventions de grande voirie - Principe de motivation des décisions juridictionnelles - Étendue de cette obligation en cas de renvoi de l’affaire après cassation - Étendue en cas d’annulation du jugement par le juge d’appel statuant par ailleurs par voie d’évocation - Application du régime de la contravention de grande voirie - Cassation pour l’essentiel et rejet du pourvoi.

La présente décision est importante en ce qu’elle confirme et en ce qu’elle précise.

 

 I. La confirmation concerne un point de procédure, celui de la motivation des décisions de justice administrative (rappelé solennellement dans l’art. 9 CJA), ici examiné dans deux hypothèses.

Tout d’abord, après cassation, s’il est renvoyé aux juges du fond, ceux-ci demeurent saisis de l'ensemble des moyens soulevés depuis le début de la procédure et qui n'ont pas été expressément abandonnés. En l’espèce, la société Libb 2 avait soutenu, notamment, que le procès-verbal de contravention de grande voirie servant de base aux poursuites à son encontre n'avait pas de date certaine, n'était pas exact quant à la localisation des parcelles concernées, ni suffisamment précis quant à l'ampleur des extractions dont il lui était fait grief. Il incombait donc à la cour administrative d'appel de renvoi de répondre à ce moyen, qui n'était pas inopérant.

Ensuite, ce principe de motivation, impose qu’après avoir annulé un jugement de première instance pour irrégularité, le juge d'appel, qui statue alors sur la demande par la voie de l'évocation et donc, de ce fait, en qualité de juge de première instance, ne peut pas justifier son arrêt par simple référence au jugement annulé.

L’arrêt déféré est annulé.

 

II. Les précisions, nombreuses, éclairent un certain nombre de points du régime applicable aux contraventions de grande voirie. Le juge examine successivement la question de la prescription de l’infraction, celle de la matérialité de l’infraction, celle de l’existence d’une contravention, celle de la peine encourue et infligée et, enfin, celle de l’action domaniale.

S’agissant de la prescription, appliquant les dispositions du code de procédure pénale qui  énumèrent les actes de poursuite et d’instruction qui, seuls, peuvent interrompre la prescription, le Conseil d’État relève d’abord que l’interruption de la prescription vaut pour tous les auteurs de l’infraction même pour ceux qui ne sont pas visés par les actes de poursuites ou d’instruction ; il relève ensuite que l’infraction visée n’était pas prescrite à la date à laquelle les intéressés ont été condamnés à une amende par le tribunal administratif.

S’agissant de la matérialité des faits, celle-ci, au terme d’une analyse très précise des faits, est jugée établie.

S’agissant de l’existence de la contravention, le juge vérifie s’il existait bien, à la date de commission des faits, un texte instituant une contravention de grande voirie en telles circonstances. Les faits se déroulant en Nouvelle-Calédonie, est donc vérifiée l’existence d’une disposition y sanctionnant ces comportements. Tel est bien le cas.

Sur la peine, avant d’examiner si celle infligée aux requérants correspondait bien aux dispositions applicables, le juge apporte trois précisions importantes :

1° Aucune disposition applicable aux contraventions de grande voirie ne permet au juge administratif, dès lors qu'il a constaté la matérialité de ces infractions, de dispenser leur auteur de la condamnation aux amendes prévues par les textes et non frappées de prescription.

 2° Eu égard au principe d'individualisation des peines, il lui appartient cependant de fixer, dans les limites prévues par les textes applicables, le montant des amendes dues compte tenu de la gravité de la faute commise, qu'il apprécie au regard de la nature du manquement et de ses conséquences.

3° Le juge - contrairement à ce qu’avait jugé la cour - ne saurait légalement condamner plusieurs prévenus solidairement au paiement de la même amende.

Il constate enfin que le quantum est légal.

Sur l’action domaniale, qui tend donc à réparer le dommage subi par la dépendance domaniale affectée par la contravention, le juge rappelle qu’en principe il n'en remet pas en cause le montant, sauf si ce dernier présente un caractère anormal, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

(10 mars 2020, Société Libb 2, n° 430550 ; M. X., n° 430624, jonction)

 

14 - Domanialité publique - Question préjudicielle - Compatibilité entre domanialité publique et appartenance à une association syndicale de propriétaires - Principe - Distinction entre le régime de la loi du 21 juin 1865 et celui de l’ordonnance du 1er juillet 2004 - Effets sur l’appartenance de biens au domaine public - Cassation sans renvoi.

La double question préjudicielle renvoyée par une juridiction judiciaire au juge administratif était de savoir si des parcelles de terrain et les bâtiments qu’elles supportent font partie du domaine public et si, en conséquence, leur inclusion dans le périmètre d’une association syndicale libre (ASL) est compatible avec leur nature juridique.

 

Sur la question de l’appartenance au domaine public la réponse du juge est classique. D’une part, il est rappelé qu’un bien constituant antérieurement au 1er juillet 2006 une dépendance du domaine public en vertu des critères existants avant l’entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques le 1er juillet 2006 ne cesse pas d’appartenir au domaine public quand bien même il ne remplirait plus ou pas les critères désormais fixés par ce code à l’art. L. 2111-1. L’entrée en vigueur de ce code ne saurait valoir déclassement des biens antérieurement qualifiés comme dépendances du domaine public.

D’autre part, le juge examine si, en l’espèce et à cette date, les biens concernés satisfaisaient bien à ce qu’étaient alors les critères de la domanialité publique et conclut de cet examen que tel était bien le cas.

 

Sur la question de la compatibilité la réponse du juge est très importante en l’état on le sait, d’une jurisprudence posant en principe l’incompatibilité de la domanialité publique avec le statut légal (loi de 1965) de la copropriété des immeubles bâtis (Section, 11 février 1994, Compagnie d'assurances Préservatrice Foncière, n° 109564 ; 18 mai 1977, Époux X., n° 95541 ; 24 novembre 2014,  Société des remontées mécaniques Les Houches-Saint-Gervais, n° 352402 ; 19 juillet 2016, La Poste, n° 370630). Or le régime des ASL n’est pas sans rappeler celui de la copropriété.

D’emblée le Conseil d’État énonce dans un considérant de principe qui, à lui seul, eût justifié que fût rendue dans cette affaire une décision de Section : « Aucune disposition législative ou réglementaire, non plus qu'aucun principe ne fait obstacle à ce qu'une décision régulièrement prise par les organes compétents d'une association syndicale, conforme à l'objet de l'association tel que défini par ses statuts dans le respect de la loi, s'impose à une personne publique membre de cette association à raison d'une dépendance de son domaine public, alors même que cette personne publique n'en aurait pas approuvé l'adoption. »

Ensuite, il est jugé que durant la période d’application de la loi du 21 juin 1865 sur les associations syndicales, soit jusqu’au 1er juillet 2004, aucune disposition législative ou réglementaire ne faisait obstacle à ce que des personnes publiques soient membres d'une association syndicale de propriétaires à raison de biens constituant des dépendances de leur domaine public mais qu’en revanche, à compter de l’entrée en vigueur de la loi di 1er juillet 2004 sur les associations syndicales, le régime des associations syndicales est, devenu incompatible avec celui de la domanialité publique car l’art, 6 de l’ordonnance précitée de 2004 dispose : « Les créances de toute nature d'une association syndicale de propriétaires à l'encontre d'un de ses membres sont garanties par une hypothèque légale sur les immeubles de ce membre compris dans le périmètre de l'association », cette faculté de prise d’hypothèque est évidemment incompatible avec le principe d'inaliénabilité du domaine public.

Egalement, il résulte de cette succession de textes deux situations juridiques différentes selon la nature juridique des biens inclus dans le périmètre d’une association avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2004.

Si les biens inclus dans le périmètre d'une association syndicale avant cette date n'appartenaient pas au domaine public d'une personne publique, ils ne peuvent plus, après cette date, en devenir une dépendance alors même qu'ils seraient affectés à l'usage direct du public ou qu'ils seraient affectés à un service public et auraient fait l'objet d'aménagements propres à leur conférer cette qualification.

Si les biens inclus dans ce périmètre appartenaient au domaine public avant le 1er juillet 2004 et dès lors que, comme indiqué plus haut, l'ordonnance du 1er juillet 2004 n’a pu avoir pour effet leur déclassement, ces biens continuent d'appartenir au domaine public et l'incompatibilité résultant des dispositions de l'article 6 de l’ordonnance avec le régime de la domanialité publique « a pour seule conséquence l'impossibilité pour l'association syndicale de mettre en œuvre, pour le recouvrement des créances qu'elle détient sur la personne publique propriétaire, la garantie de l'hypothèque légale sur les biens inclus dans le périmètre et appartenant au domaine public ».

La solution peut sembler complexe, c’est le prix d’une souplesse qui a l’avantage d’assurer la stabilité des situations antérieures acquises, d’autant que si la puissance publique estime trop gênantes les règles de l’association syndicale elle peut toujours procéder au déclassement des parcelles et des biens concernés.

Droit des propriétaires et domanialité publiques sont donc conciliés au prix d’une simple inopposabilité ou applicabilité à cette dernière du régime de l’hypothèque légale.

(10 mars 2020, Association syndicale des propriétaires de la cité Boigues et autres, n° 432555)

 

15 - Concessions funéraires - Concessions à temps - Expiration de la concession - Renouvellement - Délai - Expiration sans demande de renouvellement - Conséquences - Absence de privation du droit de propriété - Rejet d’une QPC.

Une personne conteste l’octroi par une commune d’une concession funéraire sur l’emplacement de la sépulture de sa fille et invoque à son encontre une QPC fondée sur la violation de droits ou libertés que la Constitution garantit.

Il résulte de dispositions du CGCT que lorsque vient à expiration la durée pour laquelle une concession à temps avait été octroyée sans que son renouvellement ait été demandé et le prix de celle-ci versé - malgré les informations données et recherches effectuées en ce sens, après un délai de deux ans suivant la date de cette expiration, d’une part, la concession fait retour dans le domaine public de la commune, d’autre part, les symboles et autres monuments funéraires qui n’auraient pas été retirés à cette même date, entrent dans le domaine privé communal.

Le requérant contestait la constitutionnalité de ces dispositions, arguant de ce qu’elles portent atteinte au droit de propriété tant du concessionnaire que des objets et monuments qu’il a édifiés.

Le Conseil d’État, relevant les précautions prises (écoulement de deux années après l’expiration de la durée de la concession, obligation pour le maire, par  tout moyen utile,  d'informer les titulaires d'une concession ou leurs ayants-droits de l'extinction de la concession et de leur droit à en demander le renouvellement dans les deux ans qui suivent), estime que ni le retour de la concession dans le domaine public communal ne peut constituer une privation du droit de propriété au sens de l’art. 17 de la Déclaration de 1789, ni l’entrée des superstructures funéraires dans le domaine privé communal ne peut être sérieusement considérée comme portant atteinte aux articles 2 (atteinte au droit de propriété) et 16 (garantie des droits) de cette Déclaration.

Une décision sans surprise.

(11 mars 2020, M. X., n° 436693)

 

Collectivités territoriales

 

16 - Dispositifs publicitaires à l’intérieur d’une agglomération - Notion d’agglomération - Détermination de la population d’une commune en l’absence de recensement officiel - Pouvoirs du maire - Notion et régime juridiques de la fixation par le maire de la population de la commune - Rejet.

La société requérante demandait l’annulation, d’une part, de la décision préfectorale la mettant en demeure de déposer ou de mettre en conformité sept dispositifs publicitaires situés sur le territoire de la commune d'Onet-le-Château, et d'autre part, des arrêtés municipaux portant mise en recouvrement de l'astreinte administrative résultant de la dépose tardive de ces dispositifs publicitaires ainsi que du titre exécutoire les accompagnant.

Sa requête ayant été rejetée par les juridictions du fond, la société se pourvoit, en vain, devant le juge de cassation.

La mise en demeure était fondée sur que les dispositifs publicitaires litigieux étaient implantés en méconnaissance des prescriptions des articles R. 581-31 ou R. 581-66 du code de l'environnement. Selon le premier de ces textes, les dispositifs publicitaires non lumineux, scellés au sol ou installés directement sur le sol sont interdits dans les agglomérations de moins de 10 000 habitants ne faisant pas partie d'une unité urbaine de plus de 100 000 habitants. Selon le second de ces textes, certaines pré-enseignes peuvent être implantées dans les agglomérations de moins de 10 000 habitants ne faisant pas partie d'un ensemble multi-communal de plus de 100 000 habitants, à la condition notamment que leurs dimensions n'excèdent pas 1 mètre en hauteur et 1,50 mètre en largeur.

Le juge est ainsi conduit à donner une définition de l’agglomération comme l’« espace sur lequel sont groupés des immeubles bâtis rapprochés », cette notion ne pouvant normalement  être appréhendée qu'à l'intérieur du territoire d'une seule commune.

Il convenait donc, pour l’application des textes invoqués par le préfet, de déterminer la taille de l’agglomération où se trouvaient implantés les dispositifs litigieux or il n’existait alors en l’espèce aucun chiffre de population authentifié.

Le juge considère qu’en cette circonstance c’est au maire qu’il appartient de fixer ce chiffre, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir. Cet acte - parce qu’il se borne à opérer une constatation - ne revêt aucun caractère réglementaire et les décisions individuelles prises sur cette base ne constituent point, au sens du droit du contentieux administratif, un acte ou opération complexe. Ceci exclut donc l’invocation d’une exception d’illégalité à l’encontre de l’acte fixant la population, formée dans les deux mois de la décision individuelle prise sur le fondement de cet acte.

Il est donc ainsi clairement rappelé que la décision est, en droit administratif, une opération de volonté destinée, par modification de l’ordonnancement juridique, à produire des effets de droit. Ceci distingue radicalement la vraie notion de décision des actes de droit souple.

(13 mars 2020, Société Afficion LCartel, n° 427207)

 

17 - Services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) - Activités exercées dans le cadre de leurs missions de service public par ces services - Activités exercées en dehors de leurs missions - Interventions sur appel d’un SAMU - Charge financière de ces interventions - Charge incombant au CHU dont relève le SAMU - Rejet.

Un arrêté du président du conseil départemental des Alpes-Maritimes a fixé le montant de la participation aux frais d'intervention du centre hospitalier universitaire de Nice lorsque le « centre 15 » sollicite le SDIS pour réaliser une intervention n'entrant pas dans ses missions propres.

Sur recours du CHU le tribunal a annulé cet arrêté, jugement confirmé en appel par la cour.

Le SDIS se pourvoit en cassation et son pourvoi est rejeté.

Le Conseil d’État rappelle qu’un SDIS est appelé à effectuer deux sortes d’interventions, les unes entrant dans ses missions de service public (principalement, aux termes du 4° de l’art. L. 1424-2 du CGCT : « Les secours d'urgence aux personnes victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation »), les autres y étant extérieures.

S’agissant de la charge financière de ces interventions, les SDIS ne doivent supporter que celles qui se rattachent directement aux missions de service public telles que définies à l’article précité du CGCT. Pour les autres interventions, il appartient aux SDIS de déterminer eux-mêmes les conditions d’une participation aux frais de la part des personnes qui en sont bénéficiaires.

Lorsque les SAMU, estimant leur intervention médicalement compatible et/ou nécessaire à l’évacuation et au transport des personnes,  font appel aux SDIS en dehors des cas ressortissant à leurs missions de service public, la charge financière de cette intervention incombe à l'établissement de santé siège des SAMU, dans des conditions fixées par une convention - distincte de celle que prévoit l'article D. 6124-12 du code de la santé publique en cas de mise à disposition de certains moyens - conclue entre le SDIS et l'établissement de santé et selon des modalités fixées par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé de la sécurité sociale.

Le SDIS ne saurait donc rien réclamer d’autre à un SAMU que ce qui résulte de ces dispositions conventionnelles.

L’arrêté querellé était donc entaché d’illégalité et a été à bon droit annulé par les juges du fond.

(18 mars 2020, SDIS des Alpes-Maritimes, n° 425990)

 

Contentieux administratif

 

18 - Recours pour excès de pouvoir - Recours contre un refus d’abroger une décision - Décision ayant cessé de produire effet avant que le juge ne statue - Non-lieu à statuer - Rejet.

Des agents de la SNCF demandent au juge administratif l’annulation du refus implicite d’abroger une disposition statutaire fixant à trente ans l’âge limite pour le recrutement au cadre permanent qui leur a été opposé par le directoire de la SNCF et par la ministre des transports.

Le Conseil d’État, constatant que la disposition litigieuse a cessé de produire effet à compter du 1er janvier 2020, date à partir de laquelle la SNCF ne peut plus procéder à des recrutements sur le fondement des dispositions dont l'abrogation est demandée, prononce le non-lieu à statuer. 

(2 mars 2020, M. X. et autres, n° 422651)

 

19 - Pourvoi en cassation - Procédure d’admission des pourvois - Pourvoi dirigé contre un arrêt de cour d’appel ayant indument statué sur un jugement rendu en premier et dernier ressort - Application de la procédure d’admission des pourvois - Rejets partiels et cassations sans renvoi.

Réitération mieux précisée de la solution inaugurée par un arrêt de Section (15 février 2019, Mme X. c/ Pôle emploi, 416590) selon laquelle la procédure d'admission des pourvois en cassation est applicable à tout pourvoi en cassation devant le Conseil d’État y compris aux conclusions contre un jugement rendu en premier et dernier ressort sur lesquelles une cour administrative d'appel a statué, ces conclusions devant être regardées, après l'annulation de l'arrêt de la cour, comme des conclusions de cassation.

(27 mars 2020, Mme X., n° 431175 ; Ministre de l’action et des comptes publics, n° 431178)

 

20 - Ordonnance rejetant une QPC - Jugement au fond - Obligation de viser l’ordonnance de rejet - Omission - Jugement irrégulier - Cassation sans renvoi.

L'article R. 771-10 du code de justice administrative imposant au juge du fond de viser le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité dans la décision qui règle le litige, le jugement qui ne vise pas l'ordonnance refusant cette transmission et qui ne la mentionne pas dans ses motifs est irrégulier et encourt de ce chef la cassation.

(5 mars 2020, Société civile immobilière F. Banny, n° 428695)

 

21 - Intervention volontaire en première et dernière instance ou en appel - Qualité pour se pourvoir en cassation - Moyens invocables - Distinction selon l’existence ou non de la qualité, pour l’intervenant, de former tierce opposition à défaut d’intervention - Rejet.

Dans un litige portant sur l’octroi d’un permis de construire 352 logements dans une zone boisée proche du littoral, une association saisit le Conseil d’État, à titre principal, d’un pourvoi en cassation et, à titre subsidiaire, d’une intervention volontaire pour le cas où lui serait dénié le droit à se pourvoir.

C’est l’occasion pour le juge de rappeler les principes applicables en la matière.

En premier lieu, le justiciable qui est intervenu devant la cour administrative d'appel ou, le cas échéant, devant le tribunal administratif statuant en premier et dernier ressort, a qualité pour se pourvoir en cassation contre l'arrêt ou le jugement rendu contre les conclusions de son intervention. Il en est ainsi aussi bien dans le cas où son intervention a été admise ou non par le tribunal que dans le cas où il interjette appel du jugement ayant refusé d'admettre son intervention.

En second lieu, s’agissant des moyens que ce justiciable peut soulever devant le juge de cassation, il convient de distinguer selon qu’il aurait eu, ou non, qualité, à défaut d'intervention de sa part, pour former tierce opposition. Dans le premier cas, s’il aurait pu former tierce opposition, il peut contester tant la régularité que le bien-fondé de l'arrêt ou, le cas échéant, du jugement rendu en premier et dernier ressort attaqué. Dans le second cas, où il n’aurait pas pu former tierce opposition, il n'est recevable à invoquer que des moyens portant sur la régularité de l'arrêt ou du jugement attaqué relatifs à la recevabilité de son intervention ou à la prise en compte des moyens qu'elle comporte, tout autre moyen devant être écarté par le juge de cassation dans le cadre de son office.

(11 mars 2020, Comité de défense des intérêts locaux de Balaguier, Le Manteau, L'Eguillette, n° 419862) V. aussi au n° 98

 

22 - Jurisprudence Préfet de l’Eure (30 mai 1913) - Faculté pour l’administration de demander au juge le prononcé d‘une mesure qu’elle pourrait décider elle-même - Absence - Exception lorsque la demande est fondée sur un contrat - Notion d’« action en justice ayant son origine dans un contrat » - Evaluation par une personne publique du préjudice qu’elle a subi du fait de pratiques anticoncurrentielles - Rejet.

La société requérante demandait au juge de cassation l’annulation de l’arrêt par lequel une cour administrative d’appel a confirmé sa condamnation à réparer le préjudice subi par un département du fait des pratiques anticoncurrentielles de cette société lors de la passation de deux marchés à bons de commande.

La réponse du juge au pourvoi est importante sur deux points.

En premier lieu, c’est le département qui avait saisi le juge d’une action en réparation et se posait donc la question de la recevabilité de son action alors que le département pouvait émettre un titre exécutoire à hauteur du préjudice qu’il estimait avoir subi et que, de ce fait, son action devait être considérée comme irrecevable en vertu du principe, constant depuis la décision Préfet de l’Eure (30 mai 1913, Préfet de l’Eure, n° 47115, Rec. p. 583), selon lequel l’autorité publique ne peut demander au juge ce qu’elle peut s’accorder directement à elle-même.

En réponse, le juge réitère la solution qu’il avait adoptée quatre ans plus tôt (24 févr. 2016, Département de l'Eure, no 395194) : l’irrecevabilité de principe est réaffirmée sous réserve d’une nouvelle exception, lorsque la créance trouve son origine dans un contrat. En l’espèce, le département avait introduit une action en responsabilité quasi-délictuelle contre une société coupable d'agissements dolosifs susceptibles d'avoir conduit une personne publique à contracter avec elle à des conditions de prix désavantageuses. Le juge, étendant le champ de l’exception née en 2016, voit dans cette action la recherche de la réparation d'un préjudice né du contrat lui-même car le préjudice invoqué résulte de la différence éventuelle entre les termes du marché effectivement conclu et ceux auxquels il aurait dû l'être dans des conditions normales ; celle-ci doit donc être considérée comme ayant son origine dans le contrat conclu entre le département et la société.

En second lieu, est apportée une très utile illustration de l’évaluation du préjudice causé par des pratiques anticoncurrentielles. Pour ce faire la personne publique se prétendant victime doit effectuer une comparaison entre les marchés passés pendant l'entente et une estimation des prix qui auraient dû être pratiqués sans cette entente, en prenant notamment en compte la chute des prix postérieure à son démantèlement ainsi que les facteurs exogènes susceptibles d'avoir eu une incidence sur celle-ci.

(27 mars 2020, Société Signalisation France, n° 420491 ; v. aussi, du même jour, confirmant la solution précédente mais y ajoutant ces deux précisions que : 1° la personne publique victime, à l'occasion de la passation d'un marché public, de pratiques anticoncurrentielles, peut, d’une part, mettre en cause la responsabilité quasi-délictuelle non seulement de l'entreprise avec laquelle elle a contracté, mais aussi des entreprises dont l'implication dans de telles pratiques a affecté la procédure de passation de ce marché, et d’autre part, demander au juge administratif leur condamnation solidaire ; 2° la société requérante condamnée solidairement avec d’autres en première instance et qui n’a présenté ni en première instance ni en appel de conclusions tendant à ce que soit déterminée la part de la contribution à la dette de chacune des sociétés condamnées solidairement ne peut prétendre en cassation que la cour administrative d'appel aurait entaché son arrêt d'erreur de droit en ne procédant pas à cette répartition : 27 mars 2020, Société Lacroix Signalisation, n° 421758 ; v. encore, du même jour, sur le même sujet : 27 mars 2020, Société Signaux Giraud, n° 421833)

 

23 - Procédure - Rédaction des jugements et arrêts - Contradiction entre les motifs et le dispositif d’un arrêt - Cassation avec renvoi.

Solution constante et inévitable : Est annulé pour contradiction entre ses motifs et son dispositif, l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, après avoir constaté qu’un tribunal administratif avait, à bon droit, décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur certaines des conclusions développées dans une affaire, annule notamment l’article 1er de son jugement qui constatait le non-lieu à statuer sur lesdites conclusions.

(27 mars 2020, Commune de Palavas-les-Flots, n° 432076) V. aussi, sur un autre aspect de cette décision, le n° 40

 

24 - Compétence en premier et dernier ressort du tribunal administratif - Demande pécuniaire ne revêtant pas le caractère d’une demande indemnitaire - Recours contre un tel jugement constituant un appel non un pourvoi - Compétence de la cour administrative d’appel - Renvoi à la cour.

Le requérant contestait ce qu’il estimait être l'insuffisance des sommes qui lui avaient été versées en application du décret du 25 août 2003 relatif à l'indemnité spécifique de service allouée aux ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts et aux fonctionnaires des corps techniques de l'équipement. Ayant été débouté en première instance il a saisi le juge d’appel qui a renvoyé le dossier au Conseil d’État, estimant qu’il s’agissait en l’espèce d'une action indemnitaire au sens du 8° de l'article R. 811-1 du code de justice administrative, matière dans laquelle le tribunal statue en premier et dernier ressort sous réserve d’un pourvoi en cassation.

Le Conseil d’État annule ce renvoi car la demande d'un fonctionnaire ou d'un agent public tendant seulement - comme en l’espèce - au versement de traitements, rémunérations, indemnités, avantages ou soldes impayés, sans rechercher la réparation d'un préjudice distinct du préjudice matériel objet de cette demande pécuniaire, ne revêt pas le caractère d'une action indemnitaire au sens du 8° de l'article R. 811-1 précité.

Par suite, cette demande n’entrait pas dans le champ de l’exception procédurale et le recours contre le jugement querellé constitue un appel, relevant donc de la compétence de la cour administrative d’appel à laquelle l’affaire est renvoyée.

(10 mars 2020, M. X., n° 425889)

 

25 - Référé suspension - Appréciation de la condition d’urgence - Publications de presse - Société distributrice de journaux - Risque d’ouverture d’une procédure collective à son encontre - Urgence non établie - Rejet.

La présente décision, rendue dans le cadre d’un référé suspension, est intéressante en ce qu’elle porte sur l’appréciation de l’urgence dans un contexte assez particulier.

L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) a suspendu pour une durée de six mois les délais de préavis des éditeurs qui entendent retirer la distribution d'un ou plusieurs titres de presse à la société Presstalis.

Les sociétés Marie Claire Album, Inter Edi, Avantages et Revue du Vin de France, qui, au sein du groupe Marie Claire, éditent plusieurs magazines mensuels et avaient décidé de rompre leurs relations contractuelles avec la société Presstalis, avec des préavis arrivant à terme au plus tard le 31 janvier 2020, demandent au juge des référés d'ordonner la suspension de cette décision en tant qu'elle leur est applicable.

Pour démontrer l’urgence à statuer sur leur demande les requérantes font valoir que l'ouverture d'une procédure collective est imminente pour la société Presstalis, dont la situation financière est très dégradée, et que la décision litigieuse leur fait courir le risque de pertes correspondant aux créances qu'elles détenaient sur cette société à la date où elle est intervenue (avance mensuelle de 2,25 %  versée à Presstalis au titre de la contribution exceptionnelle des éditeurs et existence d’un «encours client ») ou qui vont naître du fait de la poursuite des relations contractuelles que leur impose la décision dont la suspension est demandée.

La demande de référé est rejetée faute d’urgence démontrée.

Il est tout d’abord jugé que la décision litigieuse est en tout état de cause sans incidence sur le risque de perte des créances, déjà acquises à la date de son entrée en vigueur, qui pourrait naître de l'ouverture d'une procédure collective, la poursuite ou l'interruption des relations contractuelles avec la société Presstalis étant à cet égard indifférente.

Il est ensuite constaté que si la décision litigieuse a pour effet de prolonger la période pendant laquelle les requérantes sont tenues de verser à la société Presstalis une avance au titre de la contribution exceptionnelle précitée, d'une part, conformément au protocole de conciliation homologué par le tribunal de commerce, les avances ainsi consenties ne sont en tout état de cause remboursables, au plus tôt, qu'au 31 décembre 2023, d'autre part, les sommes en cause ne dépassent pas un montant global de 25 000 euros par mois. La décision litigieuse ne porte donc pas une atteinte grave et immédiate à la situation financière des sociétés requérantes.

Également, le risque, au demeurant éventuel, de perte d'un nouvel « encours client », ne peut être regardé comme caractérisant, au jour où le juge des référés statue, une atteinte grave et immédiate à la situation des sociétés requérantes et directement lié à la décision querellée.

Enfin, à supposer que l'éventuelle annulation de la décision litigieuse que pourrait prononcer le Conseil d’État ne leur permettrait pas d'obtenir la réparation du préjudice qui résulterait pour elles, en cas de procédure collective, de la perte des encours de créances sur la société Presstalis nés après son entrée en vigueur, ce préjudice, à le supposer existant et irréversible, n’empêcherait pas les sociétés requérantes « de demander réparation à l'État du préjudice susceptible de résulter des effets propres de la décision litigieuse ».

(Ord. réf. 18 mars 2020, Société Marie Claire Album, société Inter Edi, société Avantages et société Revue du Vin de France, n° 439208)

 

26 - Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Procédure - Productions postérieures à la clôture de l’instruction - Obligation de les viser - Absence - Cassation avec renvoi à la cour.

La CNDA étant une juridiction administrative, est tenue, comme toute juridiction administrative, de faire application des règles générales relatives à toutes les productions postérieures à la clôture de l'instruction.

Il lui incombe, dans tous les cas, de prendre connaissance des notes en délibéré et de les viser.

En l’espèce, les visas de sa décision ne comportaient pas mention de ce que les demandeurs avaient produit une note en délibéré la veille du jour où la cour a statué.

Cette irrégularité conduit à la cassation avec renvoi à la cour.

(25 mars 2020, Mme X. et M. Y., n° 430582)

 

27 - Procédure - Conclusions du rapporteur public - Absence - Application erronée de l’art. 1499 du CGI - Cassation du jugement et renvoi au tribunal administratif.

Est irrégulière la procédure suivie devant un tribunal administratif, sans conclusions du rapporteur public, alors que le litige portait sur la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle la société requérante avait été assujettie à raison de son établissement de Grand-Quevilly, affecté à un usage industriel et dont la valeur locative avait été déterminée par application des dispositions de l'article 1499 du CGI.

En effet, il résulte de l’art. R. 732-1-1 CJA que seules sont dispensées de telles conclusions les audiences tenues sur les litiges relatifs à la taxe d'habitation et à la taxe foncière sur les propriétés bâties afférentes aux locaux d'habitation et à usage professionnel au sens de l'article 1496 CGI, non ceux portant sur ces taxes lorsqu’elles assujettissent des bâtiments à usage industriel.

La cassation était inévitable, ce qui n’empêche pas de regretter les chinoiseries d’une telle conception du contentieux administratif ; l’affaire est renvoyée à ce tribunal.

(25 mars 2020, Société Boréalis Chimie, n° 422195 ; v. aussi, du même jour avec identiques solutions : M. X., n° 434323 et n° 434324, deux espèces)

28 - TVA - Livraisons de biens réglées au moyen de bons à des opérateurs procédant à l'auto-liquidation de la TVA - Recours dirigé contre des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques - impôts (BOFiP-impôts) contenant une interprétation de la loi fiscale - Délai de recours - Évolution - Régime - Application en l’espèce - Rejet au fond.

(Section, 13 mars 2020, Société Hasbro European Trading BV (HET BV), n° 435634) V. n° 51

 

29 - Fonction publique - Enseignants - Avancement à la hors-classe des professeurs agrégés du second degré - Rappels de traitement - Incidence d’une annulation prononcée par le juge - Décision créatrice de droits - Faculté de retrait ou d’abrogation limitée au délai raisonnable de quatre mois - Rejet.

Dans le présent litige, un enseignant contestait des ordres de reversement de rémunération émis à son encontre.

Le Conseil d’État rappelle que l'annulation, par une décision juridictionnelle devenue définitive, d'une annulation assortie le cas échéant d'une injonction faite à l'administration n'a pas pour effet par elle-même de faire disparaître la décision de l'administration prise en exécution de la première décision juridictionnelle, elle ouvre la faculté à l'autorité compétente de retirer ou d'abroger cette décision alors même que celle-ci serait créatrice de droits. Toutefois, le retrait ou l'abrogation de cette décision doit intervenir dans un délai raisonnable, qui en l'espèce ne peut excéder quatre mois à compter de la date à laquelle la décision annulant la première décision juridictionnelle a été notifiée à l'administration.

Le pourvoi ministériel contre l’arrêt de la cour administrative d’appel est rejeté en tant que cet arrêt se prononce sur diverses sommes versées à l’enseignant.

(11 mars 2020, M.X., n° 403560)

 

30 - Procédure contentieuse - Sanction disciplinaire - Sanction retirée - Demande de réparation du préjudice résultant de l’illégalité de la sanction - Retrait d’une décision ne valant pas preuve de son illégalité - Rejet.

Un officier de gendarmerie fait l’objet d’une sanction disciplinaire que son auteur retire à la suite du recours pour excès de pouvoir que cet officier a formé contre cette décision.

Il réclame alors la réparation du préjudice causé par l’illégalité de la décision retirée sans toutefois rapporter la preuve, qui lui incombait, de son caractère illégal.

Son recours à fins indemnitaires est rejeté : en effet, « si une sanction prise à l'encontre d'un agent public peut être légalement retirée par son auteur à tout moment, la décision de retirer celle-ci ne constitue pas, par elle-même, une preuve de son illégalité ».

(25 mars 2020, M. X., n° 426801)

 

31 - Contribuables d’une communauté urbaine - Recours contre des clauses d’un avenant à un contrat de concession pour le service public de distribution et de production d’électricité - Recours de tiers au contrat (Jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne) - Appréciation de l’intérêt à agir - Conditions - Cassation avec renvoi.

Cette décision est importante à la fois pour le droit du contentieux administratif et pour celui des contrats administratifs, elle eût mérité les honneurs d’une décision de Section.

Des contribuables d’une communauté urbaine demandent l’annulation d’un avenant au contrat de concession pour le service public du développement et de l'exploitation du réseau de distribution d'électricité et de fourniture d'énergie électrique aux tarifs réglementés de vente qu’une communauté urbaine a conclu avec les sociétés EDF et ERDF, subsidiairement, d'annuler l'article 1er de cet avenant et une délibération du conseil communautaire et d'enjoindre à la communauté urbaine de résilier l'avenant litigieux ou de saisir le juge du contrat pour qu'il en constate la nullité, et, enfin, d'annuler les décisions ayant rejeté leurs recours gracieux.

Les conditions auxquelles doivent satisfaire les tiers à un contrat administratif désirant contester la validité de celui-ci ou de celles de ses clauses qui n’ont pas un caractère réglementaire (Ass. 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994) sont bien connues. Elles sont rappelées ici.

S’agissant de requérants invoquant leur qualité de contribuables communautaires, il leur incombait d'établir que la convention ou les clauses dont ils contestaient la validité sont susceptibles d'emporter des conséquences significatives sur les finances ou le patrimoine de la collectivité. A cet égard, les requérants invoquaient deux arguments.

Tout d’abord, ils estimaient irrégulières les clauses litigieuses en ce qu’elles n'incluaient pas dans les biens de retour qui, en principe, reviennent gratuitement à l'autorité concédante à l'expiration de la concession, les dispositifs de suivi intelligent, de contrôle, de coordination et de stockage des flux électriques mentionnés à l'article 2 du cahier des charges modifié, alors que ces équipements leur paraissaient nécessaires à l'exploitation des compteurs Linky et, partant, au fonctionnement du service public.

Ensuite, ils contestaient également la validité des clauses relatives à l'indemnité susceptible d'être versée au concessionnaire en cas de rupture anticipée du contrat, dont ils estimaient que l'application pouvait excéder le montant du préjudice réellement subi par ce dernier et constituer de ce fait une libéralité prohibée.

La cour avait jugé que les requérants n’avaient pas d’intérêt à agir d’abord parce que le déploiement des dispositifs exclus de la liste des ouvrages concédés par l'article 2 du cahier des charges revêtait un caractère aléatoire et ensuite parce que la mise en œuvre de la clause relative à la rupture anticipée du contrat revêtait également un caractère incertain.

Le Conseil d’État annule cet arrêt précisément en ses deux points car ils sont entachés, chacun, d’une erreur de droit. La cour a commis une première erreur de droit en retenant comme dirimant le caractère éventuel ou incertain de la mise en œuvre de clauses car ce caractère est, par lui-même, dépourvu d'incidence sur l'appréciation de leur répercussion possible sur les finances ou le patrimoine de l'autorité concédante. Elle a commis une seconde erreur de droit en se fondant sur la spécificité des dispositions du code de l'énergie, dont l'article L. 111-52 fixe des zones de desserte exclusives pour les gestionnaires de réseaux publics et attribue de ce fait un monopole légal à la société Enedis, et sur la durée de la convention litigieuse, conclue pour trente ans, pour estimer que la mise en œuvre de l'indemnité pour rupture anticipée du contrat était trop hypothétique pour suffire à établir que les finances ou le patrimoine de la métropole s'en trouveraient affectés de façon significative. En effet, le Conseil d’État estime, sur ce second point, « qu'au vu des évolutions scientifiques, techniques, économiques et juridiques propres au secteur de l'énergie, des modifications d'une telle concession sont probables au cours de la période couverte par le contrat et pourraient notamment nécessiter la mise en œuvre des clauses critiquées ».

Les requérants tenaient bien de leur qualité de contribuables locaux intérêt à agir contrairement à ce qui avait été jugé en première instance et en appel.

(27 mars 2020, X. et autres, n° 426291)

 

32 - Condamnation sous astreinte - Liquidation provisoire - Liquidation définitive - Article L. 911-7 du code de justice administrative - Rejet d’une demande de liquidation provisoire par le tribunal - Incompétence d’une cour administrative d’appel pour procéder à cette liquidation - Cassation sans renvoi.

Dans une affaire très illustrative de ce que peut être la mauvaise volonté d’une collectivité locale à exécuter plusieurs décisions de justice, le Conseil d’État apporte une importante précision sur la procédure de liquidation d’astreinte.

Lorsque le jugement d’un tribunal administratif rejette une demande de liquidation provisoire d'une astreinte qu’il a précédemment prononcée, la cour administrative d'appel, saisi d'un appel contre ce jugement, ne peut pas se borner à prononcer une liquidation provisoire de l'astreinte sans en modifier le taux pour l'avenir car seul le tribunal est compétent pour procéder, d'office ou à la demande d'une partie, à une nouvelle liquidation de cette astreinte. En effet, il découle des dispositions des art. L. 911-7 et R. 921-7 du CJA qu’il n’appartient qu’à la juridiction qui a prononcé une astreinte ou qui l'a modifiée de la liquider.

(27 mars 2020, Ville de Marseille, n° 434228)

 

33 - Demande de produire un mémoire récapitulatif à peine de désistement d’office - Point de départ du délai fixé pour la production de ce mémoire - Jour du retrait du pli recommandé contenant cette demande - Annulation.

Le délai fixé par le juge pour la production, sous peine de désistement d'office, d'un mémoire récapitulatif en application de l'article R. 611-8-1 du CJA court, lorsque l'intéressé a retiré le pli recommandé contenant la demande dans le délai de conservation au guichet postal, à compter de la date de ce retrait.

Cette solution constitue au cas particulier une application de celle retenue pour la computation du délai de recours contentieux à compter du retrait au bureau de poste du pli recommandé contenant la décision attaquée (2 mai 1980, Saïd X. c/ Commune de Ranville, n° 18391).

(25 mars 2020, Mme X., n° 432717)

 

34 - Publication d’un arrêté préfectoral dans le « Recueil des actes administratifs » - Recueil mis en ligne - Absence d’affichage en mairie - Point de départ du délai de recours contentieux - Recours administratif formé après l’expiration du délai de recours contentieux - Irrecevabilité pour cause de forclusion- Cassation sans renvoi - Rejet.

Le 8 avril 2019, est publié dans le recueil des actes administratifs de la préfecture de Guadeloupe mis en ligne sur le site internet de la préfecture, dans la rubrique « Recueil des actes administratifs », un arrêté préfectoral interdisant la circulation sur une route forestière desservant des exploitations agricoles. Cette publication, réalisée dans des conditions garantissant la fiabilité et la date de la mise en ligne de tout nouvel acte, a fait courir à l’égard des intéressés le délai de recours contentieux à compter de cette date, alors même que l'arrêté en litige n'a pas été affiché en mairie avant le 29 avril 2019.

Il suit de là que ce délai était expiré quand, le 18 juin 2019, le syndicat a adressé au préfet un recours administratif tendant à l’annulation de cet arrêté. Ce dernier n’a donc pas pu proroger le délai du recours contentieux qui était expiré lorsque le juge a été saisi, le 13 août 2019, d’une demande d’annulation de l’arrêté litigieux. Ainsi le référé tendant à la suspension de celui-ci n’était donc pas tardif, comme jugé à tort par le tribunal administratif, mais non-fondé.

(27 mars 2020, Syndicat agricole des petits planteurs de Cadet Sainte-Rose, n° 435277)

 

35 - Étrangers - Audience devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) - Convocation - Délai non respecté - Intéressé absent - Avocat présent - Irrégularité - Cassation avec renvoi à la CNDA.

(27 mars 2020, Mme X., n° 431290) V. n° 77

 

35 bis - Procédure - Recours en appréciation de légalité - Dispositions à titre expérimental - Limitation aux opérations complexes - Limitation au seul examen de la légalité externe - Garanties de respect des droits des tiers suffisantes - Rejet.

Les syndicats requérants demandaient l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 4 décembre 2018 relatif à l'expérimentation des demandes en appréciation de régularité. Ce décret a été pris pour l'application de l'article 54 de la loi du 10 août 2018 dite « pour un État au service d'une société de confiance ».

En bref, ce texte décide que. à titre expérimental, - dans le ressort de quatre tribunaux administratifs -, le bénéficiaire ou l'auteur d'une décision administrative non réglementaire, n’ayant pas la nature d’un décret, entrant dans l'une des catégories définies par cet article, peut saisir le tribunal administratif d'une demande tendant à apprécier la légalité externe de cette décision.

Aucun des moyens soulevés ne parvient à convaincre le Conseil d’Etat qui, bien entendu, s’agissant d’un texte dont il est plus ou moins à l’origine, rejette le recours.

La disposition litigieuse n’est pas inconstitutionnelle, le Conseil constitutionnel l’ayant jugé à propos des parties de cet article qui lient la contestation (28 juin 2019, Union syndicale des magistrats administratifs et autre, n° 2019-794 QPC).

Ensuite, l’expérimentation est limitée à quatre tribunaux, à la seule légalité externe et elle ne met pas en cause la possibilité d'en contester, après l'expiration du délai de recours, la légalité interne par la voie de l'exception d’illégalité, aux conditions habituelles de droit.

Également, la procédure mise en place ne porte point atteinte au droit des tiers ayant intérêt pour agir d’être informés de l'existence d'une procédure en appréciation de régularité portant sur cet acte ainsi que des voies et délais d’exercice de leur droit d’intervention.

Enfin, il n’est pas davantage porté atteinte au principe de l’égalité des armes tant au regard du demandeur, auteur ou bénéficiaire de l’acte à apprécier, qu’à celui des tiers.

(25 mars 2020, Union syndicale des magistrats administratifs et Syndicat de la juridiction administrative, n° 427650)

Contrats

 

36 - Marché public de conception-réalisation - Sous-traitance agréée - Octroi d’une avance forfaitaire - Résiliation du marché aux torts de l’entrepreneur - Réclamation du remboursement de l’avance forfaitaire - Demande d’annulation du titre exécutoire -

Dans le cadre d’un marché, ici de conception-réalisation, des avances sont accordées et versées à son titulaire sur le fondement des dispositions de l'article 87 de l’ancien code des marchés publics afin d’assurer, en lui fournissant de la trésorerie, le préfinancement de l'exécution des prestations qui lui incombent.

Le maître de l'ouvrage peut imputer, le cas échéant, le remboursement de ces avances par précompte sur les sommes dues au titulaire du marché à titre d'acomptes, de règlement partiel définitif ou de solde (art. 88 du code précité) ainsi que sur celles dont a disposé à ce titre le sous-traitant bénéficiaire du paiement direct (art. 115 du même code).

Par suite en cas de résiliation du marché avant que l'avance puisse être remboursée par précompte sur les prestations dues, le maître d'ouvrage peut obtenir le remboursement de l'avance versée au titulaire du marché ou à son sous-traitant sous réserve des dépenses qu'ils ont exposées et qui correspondent à des prestations prévues au marché et effectivement réalisées.

Toutefois, lorsque, comme au cas de l’espèce, la résiliation du marché a été prononcée pour faute du titulaire du marché, le remboursement de l'avance par le sous-traitant ne fait pas obstacle à ce que celui-ci engage une action contre le titulaire du marché et lui demande, le cas échéant, réparation du préjudice que cette résiliation lui a causé à raison des dépenses engagées en vue de l'exécution de prestations prévues initialement au marché.

Commet donc une erreur de droit la cour administrative d’appel  qui estime, dans ces circonstances, que le maître d'ouvrage ne pouvait obtenir le remboursement de l'avance qu'il avait versée à la société sous-traitante par précompte sur les sommes dues au sous-traitant, sur le fondement des dispositions des dispositions des articles 88 et 115 du code des marchés publics, dès lors que cette société n'avait pas exécuté, ne serait-ce que partiellement, les prestations qui lui avaient été confiées. En effet, l’unique fondement possible du remboursement des avances par le sous-traitant, à raison d'une absence totale ou partielle de réalisation de ses prestations, repose sur les seuls articles 88 et 115 du code alors applicable au litige alors même que le marché résilié n'aurait pas été exécuté.

(4 mars 2020, Société Savima, n° 423443 ; du même jour, dans ce même litige, avec identique solution : Société Alu Couleur, n° 423447)

 

37 - Marchés publics - Sujétions techniques imprévues - Indemnisation - Cas des marchés à prix unitaires - Difficultés d’exécution nées d’une faute dans l’exercice du pouvoir de direction et de contrôle de l’État - Réparation - Rejet pour l’essentiel - Cassation sur un point mineur et renvoi.

La décision rapportée rappelle les solutions à donner à deux situations fréquemment rencontrées dans l’exécution des marchés publics.

En premier lieu, il est rappelé que si ne peuvent être regardées comme des sujétions techniques imprévues que des difficultés matérielles rencontrées lors de l'exécution d'un marché, présentant un caractère exceptionnel, imprévisibles lors de la conclusion du contrat et dont la cause est extérieure aux parties, en revanche, s'agissant, comme en l’espèce, d'un marché à prix unitaires, leur indemnisation par le maître d'ouvrage n'est pas subordonnée à un bouleversement de l'économie du contrat.

En second lieu, l’entrepreneur qui se prétend victime de préjudices du chef des difficultés matérielles rencontrées dans l'exécution d'un marché peut en obtenir réparation s’il établit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre.

(25 mars 2020, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 427085)

 

38 - Marchés publics - Travaux supplémentaires - Travaux refusés par avance par le maitre d’ouvrage - Travaux en partie demandés par un organisme autre que le maitre d’ouvrage - Preuve non établie du caractère indispensable de ces travaux au regard des règles de l’art - Rejet.

Le litige opposait une société au département de la Loire-Atlantique au sujet de travaux supplémentaires qu’elle avait réalisés. Sa demande ayant été en partie rejetée en première instance et la cour administrative d'appel ayant refusé de faire application au cas de l’espèce de la théorie des travaux supplémentaires, la société se pourvoit.

Le pourvoi est rejeté par le Conseil d’État qui approuve la cour d’avoir rejeté la demande de paiement de travaux supplémentaires notamment sur deux points.

En premier lieu, la cour avait relevé que le département de la Loire-Atlantique avait fait connaître par courrier à la société qu’il ne rémunèrerait pas toutes prestations supplémentaires fournies sans commande expresse de sa part et sans avenant. Dès lors que la demanderesse n’établissait pas avoir réalisé ces travaux avant réception du courrier précité, elle ne pouvait se prévaloir du bénéfice de l’application de la théorie des travaux supplémentaires.

En second lieu, la société prétendait qu'une partie des prestations supplémentaires en litige, réalisées dans le cadre du marché conclu par le département de la Loire-Atlantique, auraient été réalisées à la demande de la sous-commission d'aménagement foncier de la commune de Saint-Etienne de Montluc. La cour a, sans erreur de droit, jugé que, quand bien même les membres de cette sous-commission appartiendraient par ailleurs à la commission communale d'aménagement foncier instituée en application de l'article L. 121-16 du code rural et de la pêche maritime, cette circonstance, à la supposer établie, n'était pas de nature à conférer, par elle-même, à ces prestations un caractère indispensable à l'exécution du marché dans les règles de l'art.

(27 mars 2020, Société Géomat, n° 426955)

 

39 - Contribuables d’une communauté urbaine - Recours contre des clauses d’un avenant à un contrat de concession pour le service public de distribution et de production d’électricité - Recours de tiers au contrat (Jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne) - Appréciation de l’intérêt à agir - Conditions - Cassation avec renvoi.

(27 mars 2020, X. et autres, n° 426291) V. n° 31

 

40 - Convention d’occupation du domaine public - Résiliation pour motif d’intérêt général - Besoin de stationnement des véhicules d’un maison de retraite déjà pourvue de places dans un parking - Absence d’un tel motif - Injonction de reprendre les relations contractuelles - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

La commune requérante avait conclu le 8 juillet 2014, pour quinze ans, avec une société, une convention d’occupation du domaine public communal en vue d'y exploiter une activité de location de bateaux sans permis et une activité de restauration. Au mois de mai 2017 la société a été informée de la volonté de la commune de résilier la convention. Après retrait de sa décision, le maire l’a réitérée en août 2017 en invoquant l’utilisation de cette dépendance domaniale pour les besoins en stationnement des véhicules de la maison de retraite voisine.

Saisi par la société, le tribunal administratif a, d'une part, constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions relatives à la première résiliation et a, d'autre part, rejeté les conclusions de la société contestant la validité de la seconde résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles ainsi qu'à l'indemnisation du préjudice qu'elle estimait avoir subi.

Sur l’appel de cette dernière, la cour administrative d'appel, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif, a, pour l’essentiel, ordonné la reprise immédiate des relations contractuelles dans le cadre de la convention initiale. Elle a estimé que le motif invoqué par le maire, soit l’utilisation de la dépendance domaniale litigieuse pour le stationnement des véhicules du personnel d'une maison de retraite relevant du centre communal d'action sociale implantée à proximité, ne pouvait justifier la résiliation de la convention dès lors que la commune disposait déjà d'un parc de stationnement municipal à proximité, au sein duquel dix-sept places de stationnement avaient été prévues à l'usage exclusif de la maison de retraite, que les difficultés de stationnement rencontrées par le personnel de la maison de retraite n'étaient pas établies par les pièces du dossier et qu'en outre, aucun élément ne permettait d'établir une modification significative de la fréquentation touristique du quartier depuis 2014.

Contre cet arrêt la commune se pourvoit.

Le Conseil d’État casse sur ce point l’arrêt déféré en se fondant sur deux motifs que l’on peut ne pas approuver.

Tout d’abord, est posé le principe d’une appréciation in abstracto et non pas in concreto de l’intérêt général justificatif de la résiliation d’une convention d’occupation du domaine public : il suffit qu’une commune invoque un besoin de places de stationnement pour qu’ipso facto il y ait là un intérêt général. C’est la porte ouverte à tous les abus et l’instauration pour les bénéficiaires d’autorisations domaniales d’une insécurité juridique du plus vilain effet à l’heure où sont vantés les mérites d’une « rentabilisation » du domaine des collectivités publiques ; c’est aussi une prime accordée à l’imprévoyance : comment le maire pouvait-il ignorer dix-huit mois plus tôt les besoins - s’ils existaient réellement - de la maison de retraite ?

Ensuite, est reprochée à la cour la recherche des besoins et des moyens de stationnement sur le territoire de la commune pour déterminer si la résiliation était fondée ou non. Là aussi on regrettera la position du Conseil d’État dans un dossier qui ne nous semble pas très éloigné d’un détournement de pouvoir et/ou de procédure…

(27 mars 2020, Commune de Palavas-les-Flots, n° 432076) V. aussi au n° 23

 

Droit fiscal et droit financier public

 

41 - Institution d’une retenue à la source pour la perception de certains impôts - Cas des bénéfices industriels et commerciaux - Traitement moins favorable que celui des revenus des salariés - Demande de renvoi d’une QPC - Rejet, la question n’étant pas sérieuse.

La requérante contestait par voie de QPC la constitutionnalité de dispositions fiscales prises à l’occasion de l’institution d’une retenue généralisée à la source. Elle estimait que le E du II de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 méconnaît les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce que, d'une part, les titulaires de bénéfices non commerciaux sont placés dans une situation moins favorable que les salariés pour l'appréciation du caractère exceptionnel ou non du bénéfice réalisé en 2018 et, d'autre part, que les titulaires de tels bénéfices maintenus à un niveau constant de 2015 à 2019 n'ont pas à justifier du caractère non exceptionnel par nature de leurs revenus à la différence de ceux dont les revenus augmentent en 2018.

Le Conseil d’État juge que la question ne revêt pas un caractère sérieux justifiant le renvoi au Conseil constitutionnel.

Tout d’abord, le Conseil d’État indique la finalité de ce mécanisme fiscal différencié. Il s’agit, par-là, de tenir compte de la possibilité qu'ont les travailleurs indépendants de procéder à des arbitrages sur les recettes et les charges servant à la détermination de leur bénéfice et ainsi de maximiser leur bénéfice en 2018, c’est pourquoi le caractère non exceptionnel du bénéfice de 2018 est apprécié non sur une seule année mais sur une période pluriannuelle.

D’où le régime suivant applicable au contribuable soumis aux impositions visées :

1°/ s’il réalise, au titre de l'année 2018, un bénéfice supérieur au plus élevé des montants de ses bénéfices de 2015, 2016 ou 2017, le crédit d'impôt de modernisation du recouvrement dont il peut bénéficier est plafonné au niveau du montant le plus élevé de ces trois années, la différence étant réputée constituer un revenu exceptionnel.

2°/ si son bénéfice au titre de 2019 est plus élevé que celui de 2018, le bénéfice de 2018 est réputé ne plus être exceptionnel de sorte qu'il est octroyé de plein droit au contribuable un crédit d'impôt complémentaire effaçant l'intégralité de l'impôt qu'il a acquitté au titre de 2018 sur ce bénéfice.

3°/ si son bénéfice de 2019 est inférieur à son bénéfice de 2018 mais supérieur au plus élevé des bénéfices réalisés en 2015, 2016 et 2017, il lui est également octroyé de plein droit un crédit d'impôt complémentaire, limité à la différence entre le bénéfice le plus élevé des trois années de référence et le bénéfice réalisé en 2019. De plus, dans cette dernière hypothèse, il peut présenter une réclamation à l'administration fiscale pour obtenir un complément de crédit d'impôt pour éliminer la totalité de l'impôt sur le revenu au titre de son bénéfice de 2018, sous réserve qu'il établisse que la part du bénéfice de cette année supérieure aux quatre années de référence correspond à un surcroît d'activité.

Ensuite, le Conseil d’État relève qu’en se fondant sur la comparaison du bénéfice net de quatre années de référence et non sur le chiffre d'affaires pour déterminer le caractère exceptionnel des revenus de 2018, le législateur s'est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi.

Répondant à une objection de la requérante selon laquelle  les modalités de détermination du bénéfice net soumis à l'impôt ne tiennent pas compte des particularités de certaines charges, en particulier les charges sociales qui sont calculées sur la base des revenus de l'année antérieure à celle de l'année de déduction, à la différence de celles des salariés, le juge estime que les travailleurs indépendants ne se trouvent pas, pour la détermination du montant de ce crédit d'impôt, dans une situation identique à celle des salariés qui ne peuvent pas arbitrer en faveur d'un niveau de revenu plus élevé en 2018.

Ce raisonnement nous semble faire fi de la présomption constitutionnelle d’innocence et de la présomption civile de bonne foi en faveur d’une présomption irréfragable de maximisation des bénéfices 2018. La non-confiance dans le citoyen, ici sous sa forme de contribuable, atteint un niveau étonnant.

Également, le juge rappelle que le crédit de modernisation du recouvrement tend à éliminer l'impôt dû sur les revenus non exceptionnels de 2018.

Enfin, si ces dispositions sont moins favorables pour un travailleur indépendant ayant des revenus croissants sur toute la période de référence que pour celui ayant des revenus constants sur cette même période, cette différence de traitement, qui vise à prévenir un arbitrage en faveur d'une maximisation du bénéfice net de 2018 pour l'octroi du crédit d'impôt, est fondée sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi. La possibilité d'obtenir un complément de crédit d'impôt effaçant tout impôt sur le bénéfice de 2018 si le contribuable établit l'existence d'un surcroît d'activité permet en toute hypothèse de démontrer le caractère non exceptionnel du bénéfice non commercial de 2018, même s'il est apprécié rétrospectivement.

En l’absence de toute atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, la QPC soulevée ne peut pas être regardée comme sérieuse, elle n’est donc pas transmise.

(5 mars 2020, Mme X., n° 436723)

 

42 - Impôts et/ou taxes locaux - Taxe sur les surfaces commerciales - Assiette de la taxe - Montant total du chiffre d’affaires annuel - Surfaces dédiées aux opérations de vente - Cas des ventes par internet - QPC pour atteinte au principe d’égalité devant l’impôt - Rejet.

L’art. 3 de la loi du 13 juillet 1972 modifiée institue une taxe sur les surfaces commerciales assise sur la surface de vente des magasins de commerce de détail. Celle-ci est calculée en tenant compte, d’une part, du chiffre d’affaires réalisé annuellement, et d’autre part de la surface de vente qu’ils comportent.

La fédération requérante estimait inconstitutionnelles ces dispositions législatives car inadaptées aux trois situations : commerces classiques, commerces comportant une partie de ventes classiques et une autre consacrée au retrait des marchandises achetées via internet, commerces n’effectuant que des ventes par internet. En effet, les surfaces dédiées au retrait des achats en ligne de sont pas comptabilisées pour le calcul de la taxe. De la sorte, elle estimait contraire au principe d’égalité les deux premiers alinéas du paragraphe n° 330 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques, par lesquels le ministre a fait connaître son interprétation des dispositions de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 en ce qui concerne le chiffre d'affaires à retenir pour déterminer le taux de la taxe sur les surfaces commerciales. Elle en sollicitait l’annulation au moyen d’un recours pour excès et soulevait, à l’encontre de la disposition législative précitée, une QPC.

Le recours est rejeté et ce rejet est très discutable.

Pour rejeter ces recours, le Conseil d’État, recourant à un subterfuge bien connu et trop habituel, énonce que : « ces deux types d'entreprises, dont l'une seulement exerce une activité de vente de détail au moyen de surfaces de vente et se trouve, à ce titre, soumise à la taxe sur les surfaces commerciales, sont dans des situations objectivement différentes au regard des dispositions en cause, qui déterminent le taux de la taxe sur les surfaces commerciales. La différence de traitement qui leur est applicable est en rapport avec l'objet des dispositions en cause ». C’est ignorer l’obsolescence du texte légal que de raisonner ainsi.

À l’origine, le législateur de 1972 a retenu, comme l’une des composantes de la taxe qu’il instituait, les surfaces de vente que ces commerces possèdent car il a estimé, empiriquement, qu’existait une certaine corrélation entre ces surfaces et la part qu’elles prenaient alors au volume du chiffre d’affaires réalisé. Internet a bouleversé la donne sans que la loi soit réellement revue ; pire, les surfaces consacrées au retrait des marchandises commandées en ligne, sont exclues du calcul de la taxe, enfin, d’où sort cette idée saugrenue qu’une vente sur internet n’est pas faite « au détail » ?...

Le raisonnement de la requérante était loin d’être dépourvu de pertinence.

Le résultat, injuste, du raisonnement du juge aboutit en premier lieu à ce que le taux de la taxe soit assis sur le chiffre d’affaires réalisé sur les seules surfaces de vente au détail, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que ces ventes sont ou non réalisées dans des locaux dont la surface est prise en compte dans l'assiette de la taxe.

Il aboutit également, en second lieu, à ce que soient incluses dans ce chiffre d'affaires les ventes relatives à des marchandises vendues par cet établissement sur internet et dont le client prend livraison dans un espace dédié du magasin, dont les surfaces ne sont, elles-mêmes, pas prises en compte dans l'assiette de la taxe.

En revanche, ces règles ne s’appliquent pas aux espaces de retrait des ventes réalisées sur internet lorsque le commerce en cause recourt exclusivement à ce mode de vente…

(10 mars 2020, Fédération des entreprises du commerce et de la distribution, n° 436879)

 

43 - Cession d’immeuble par une entreprise à une société civile de placement immobilier (SCPI) - Taux réduit de l’impôt sur les sociétés applicable à la plus-value réalisée à l’occasion de cette cession - Obligation de conserver l’immeuble pendant au moins cinq ans - Amende en cas de manquement - Taux excessif de l’amende - Annulation de la disposition litigieuse.

Les entreprises qui cèdent un immeuble à une SCPI bénéficient d'un taux réduit de l'impôt sur les sociétés applicable à la plus-value résultant de cette cession, sous réserve que l’immeuble soit conservé au moins cinq ans par la cessionnaire (art. 210 E du CGI). Le non-respect de cette obligation est sanctionné par une amende (cf. le I, 1er alinéa, de l'article 1764 du CGI).

Le litige à l’origine de cette importante décision portait sur le caractère excessif du taux de ladite amende.

Celle-ci est fixée au quart de la valeur d’acquisition de l’immeuble.

Le Conseil d’État considère que si l’assiette de l’amende est en rapport direct avec le manquement qu’elle sanctionne, en revanche son taux de 25% est disproportionné par rapport à la gravité du manquement qu'elle réprime compte tenu de ce que l'avantage fiscal dont bénéficient le cédant et le cas échéant, indirectement, le cessionnaire, s'élève seulement à la différence entre le taux réduit de 19 % et le taux normal de l'impôt sur les sociétés, appliquée à la plus-value imposable.

Par suite ce taux porte une atteinte disproportionnée, au regard de l'objectif poursuivi, au droit au respect des biens garanti par les stipulations de l'article 1er du protocole additionnel à la convention EDH.

Est donc prononcée l’annulation du paragraphe n° 110 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques - impôts le 3 octobre 2018 sous la référence BOI-CF-INF-20-10-20, qui réitère les dispositions du premier alinéa du I de l'article 1764 du code général des impôts.

(10 mars 2020, Société civile de placement à capital variable (SCPI) Primopierre, n° 437122)

 

44 - Plan d’épargne d’entreprise - Régime fiscal - Conditions d’application - Existence de versements irréguliers - Déchéance du régime applicable - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

(27 mars 2020, M. et Mme X., n° 429549) V. n° 62

 

45 - Activité libérale - Formation professionnelle continue - Exonération de TVA - Conditions pas ou plus remplies - Conséquence - Effets non rétroactifs - Délivrance d’une attestation - Nature juridique et effet - Abrogation possible - Exception de fraude possible - Rejet.

L’art. 261 du CGI (à son 4, 4°, a), transposant une directive du 28 novembre 2006 (art. 132) relative au système commun de TVA et exonérant de ce dernier impôt les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectuées dans le cadre  « de la formation professionnelle continue », subordonne le bénéfice de cette exonération à la délivrance, par l'autorité administrative compétente, d'une attestation reconnaissant que l’organisme intéressé remplit les conditions fixées pour exercer son activité dans le cadre de la formation professionnelle continue. Les textes déterminent les formes et conditions de délivrance de cette attestation ainsi que le contrôle des déclarations (art. 202 A à 202 D inclus de l’annexe II au CGI).

La difficulté soumise au juge concernait la détermination du régime applicable lorsqu’un contrôle révèle que l’attestation a été délivrée à une personne qui soit ne remplissait pas dès l’origine les conditions légales et réglementaires pour bénéficier de l’exonération soit a cessé de les remplir.

Pour résoudre la difficulté le juge rappelle trois principes : 1°/ L’administration est tenue de délivrer l’attestation sollicitée lorsqu’elle estime satisfaites les exigences des textes et cette délivrance vaut ipso facto droit à l’exonération de TVA ; 2°/ Cette attestation constitue une décision créatrice de droits pour son bénéficiaire bien qu'elle n'émane pas de l'administration chargée d'établir, de recouvrer et de contrôler la TVA et qu’ainsi elle ne saurait constituer ni une prise de position opposable sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, ni un agrément régi par les articles 1649 nonies et 1649 nonies A du CGI ; 3°/ Excepté en cas de fraude, l'administration ne peut, si elle n'a pas procédé au retrait de l'attestation pour illégalité dans les quatre mois de sa délivrance, que l'abroger et mettre fin à ses effets pour l'avenir, lorsqu'elle constate que l'une des conditions auxquelles elle est subordonnée n'est pas ou plus remplie, notamment que l'activité exercée par l'organisme n'entre pas dans le champ de la formation professionnelle continue. L'administration ne peut, en revanche, remettre en cause les effets que l'attestation a produits antérieurement

Il suit de là que, constatant à l’occasion d’un contrôle, l’absence de conformité de l’activité exonérée aux textes, l’administration peut prononcer l’abrogation de l’attestation et supprimer le bénéfice de l’exonération de TVA mais seulement pour les actes ou opérations postérieurs à la notification de la décision d’abrogation.

Il est relevé en l’espèce que  l'attestation ne valant que pour les opérations effectuées dans le cadre de la formation professionnelle continue, l'administration fiscale, qui constate, à l'occasion d’un contrôle, que l'organisme a appliqué l'exonération de taxe à des opérations autres que celles correspondant à l'activité au titre de laquelle il a obtenu l'attestation, est fondée à procéder, dans le délai de reprise déterminé par l'article L. 176 du livre des procédures fiscales, au rappel des droits éludés à raison de ces opérations.

(10 mars 2020, Société Institut français de kinésiologie appliquée (IFKA), n° 437592)

 

46 - Impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux - Sort des provisions pour la détermination du bénéfice net - Cas de la provision constituée pour un emploi non conforme à sa destination ou devenue sans objet - Cas de la provision ne satisfaisant pas dès l’origine aux règles permettant sa déductibilité - Conséquences sur l’inscription au bilan - Cassation avec renvoi.

Le Conseil d’État juge qu’une cour administrative d’appel commet une erreur de droit en écartant comme inopérant le moyen tiré de ce que la provision en litige ne pouvait, à raison de son caractère non déductible, être réintégrée qu'aux seuls résultats du premier exercice non prescrit, soit l'exercice 2004, au motif que l'administration s'était bornée à reprendre cette provision devenue sans objet au cours de l'exercice clos en 2005, dans les résultats imposables de cet exercice.

En effet, il résulte du 5° du 1 de l'article 39 du CGI qu'une provision faisant l'objet d'un emploi non conforme à sa destination ou devenue sans objet au cours d'un exercice ou encore qui, ne satisfaisait pas, dès l'origine, aux conditions de déductibilité, doit être réintégrée au bilan de clôture de ce même exercice ou, si cet exercice est prescrit, dans les bilans des exercices non prescrits à l'exception du bilan d'ouverture du premier de ces exercices, ce qui, dans la dernière des trois hypothèses précitées, rend  sans objet la reprise ultérieure de cette provision pour emploi non conforme ou perte d'objet.

 (13 mars 2020, Société Groupe Courtois Automobiles, n° 421024)

 

47 - TVA - Vérification de comptabilité - Seconde vérification de comptabilité - Interdiction des doubles vérifications de comptabilité - Absence en cas de vérification de la déductibilité de la TVA déclarée après l’achèvement de la vérification précédente - Rejet.
La société requérante avait fait l'objet de deux vérifications de comptabilité, d’abord en 2012 puis en 2014. Lors de la première vérification, le contrôle a porté sur la TVA de la période du 1er octobre 2010 au 31 juillet 2012, lors de la seconde vérification, le contrôle a porté, d’une part, sur les bénéfices imposables à l'impôt sur les sociétés des exercices clos les 30 avril des années 2011, 2012 et 2013 et, d’autre part, sur la TVA de la période du 1er mai 2012 au 30 avril 2013. A l'issue de cette seconde vérification, l'administration a remis en cause la déduction d'un montant de TVA porté sur une déclaration souscrite au titre du mois d'août 2012 et correspondant à des opérations inscrites dans les comptes de la société au cours de l'exercice clos le 30 avril 2012.

La requérante, qui soutenait avoir fait l’objet, s’agissant d’une partie de la TVA au titre de 2012, d’une double vérification de comptabilité prohibée en droit fiscal (art. L. 51 du livre des procédures fiscales : « Lorsque la vérification de la comptabilité, pour une période déterminée, au regard d'un impôt ou taxe ou d'un groupe d'impôts ou de taxes est achevée, l'administration ne peut procéder à une nouvelle vérification de ces écritures au regard des mêmes impôts ou taxes et pour la même période. »), reprochait à la cour administrative d’appel d’avoir jugé que les dispositions de l'article L. 51 du LPF n'avaient pas été méconnues car la taxe litigieuse avait été déclarée postérieurement à la période contrôlée lors de la précédente vérification.

Le Conseil d’État, confirmant la tendance générale constante de sa jurisprudence en cette matière (V. notamment : 15 avril 1988, SA Etablissements Briatte Frères, n° 57399 ; 13 mai 1988, Haxaire, n° 49437), donne raison à la cour et rejette le pourvoi en relevant que les dispositions de l’art. L. 51 précité ne font pas obstacle à ce que l'administration puisse contrôler, au cours d'une seconde vérification de comptabilité, la déductibilité de la TVA déclarée postérieurement à l'achèvement d'une première vérification de comptabilité, quand bien même le fait générateur de la taxe ou son inscription en comptabilité auraient eu lieu au cours de la première période vérifiée.

(20 mars 2020, Sarl Marti la Madeleine, n° 420842)

 

48 - Contrôle fiscal - Vérification de comptabilité - Contribuable ayant choisi de réaliser lui-même les traitements nécessaires à l’exercice du contrôle - Comportement ultérieur présenté comme constituant une opposition à contrôle fiscal - Mise en œuvre de la procédure d’évaluation d’office - Erreur de droit - Cassation et renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui qualifie d’opposition à contrôle fiscal l’attitude de la contribuable à laquelle avait été accordé un délai suffisant pour réaliser les traitements informatiques que l’administration fiscale lui avait réclamés en application de cahiers des charges qu’elle lui avait communiqués à cette fin et alors que, si elle rencontrait des difficultés pour cela, il lui était loisible de renoncer à effectuer elle-même ce travail.

En effet, il incombait à la cour de rechercher : 1°/ si la société requérante avait été informée de la possibilité qui lui était ouverte de renoncer à l'option prévue au b du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales et de choisir l'une ou l'autre des deux autres options prévues par ces mêmes dispositions ; 2°/ si les traitements informatiques non réalisés par la société étaient nécessaires au contrôle de sa comptabilité.

On pourra juger particulièrement lourdes pour le juge et pour l’administration les exigences mises par le Conseil d’État pour une qualification régulière de l’opposition à contrôle fiscal mais il est vrai que les conséquences en sont conséquentes pour le contribuable.

(13 mars 2020, Société Pharmacie centrale de la gare, n° 421725)

 

49 - Cession de titres non admis à la négociation sur un marché réglementé - Détermination de la valeur unitaire du titre - Détermination par comparaison - Absence de prise en compte des différences entre les deux termes de la comparaison - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Par suite d’une cession des titres d’une société anonyme à une société par actions simplifiée, donc non admis à la négociation sur un marché réglementé, l’administration avait fixé à 173,50 euros la valeur vénale unitaire des parts cédées par M. X., détenteur de 46,79% du capital de la SA. Celui-ci soutenait que leur valeur réelle était supérieure à cette estimation. La cour administrative d’appel, pour rejeter ce moyen, avait retenu que ce prix de cession était de toutes façons supérieur à celui de 171,23 euros retenu pour la valeur de celles des parts cédées par sa mère.

L’arrêt est cassé au motif que s’agissant de déterminer la valeur vénale de titres non admis à la négociation sur un marché réglementé, celle-ci doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d'autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société. Or le requérant soutenait l’absence d’équivalence entre les conditions des deux cessions : la spécificité des engagements qu'il avait pris par rapport à ceux pris par sa mère, par ailleurs détentrice de 51,10% du capital de la SA, et l'application d'une décote de minorité pour les autres actionnaires. La cour a commis une erreur de droit en n’examinant pas ces moyens de l’argumentation.

(16 mars 2020, M. X., n° 421057)

 

50 - Contrôle fiscal - Remise en cause du choix d’un taux réduit de TVA - Pratique antérieure de l’administration fiscale à cet égard ne valant pas prise de position formelle - Rappels de taxe assortis de la majoration pour manquement délibéré (art. 1729 du CGI) - Rejet.

Un restaurateur exerçant aussi une activité de traiteur avait appliqué à ses différentes prestations un taux réduit de TVA. Lors d’un contrôle, l’administration, considérant que l’activité de traiteur devait être assujettie au taux normal de TVA, a redressé en conséquence le restaurateur sur ce point et a cru devoir assortir cette décision d’une majoration de 40% pour manquement délibéré.

Le contribuable invoquait pour sa défense l'absence de remise en cause par l'administration de l'application du taux réduit de la TVA au cours de contrôles antérieurs.

Le juge de cassation, approuvant les juges du fond, rappelle qu’un comportement, même répété, de l’administration fiscale ne saurait constituer de sa part une prise de position formelle qui lui serait opposable (cf. art. L. 80 B du livre des procédures fiscales).

Surtout, et la solution est choquante sur ce dernier point, il est jugé que cette circonstance ne saurait, non plus, faire échapper le contribuable à l’application d’une majoration de 40%, qui est une pénalité pour manquement délibéré (cf. le a de l'art. 1729 CGI). La Cour EDH pourrait ne pas partager cette singulière solution du juge administratif.

(13 mars 2020, Société Le Relais de la Benerie, n° 423782)

 

51 - TVA - Livraisons de biens réglées au moyen de bons à des opérateurs procédant à l'auto-liquidation de la TVA - Recours dirigé contre des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques - impôts (BOFiP-impôts) contenant une interprétation de la loi fiscale - Délai de recours - Évolution - Régime - Application en l’espèce - Rejet au fond.

Portant sur un litige de droit fiscal, la présente décision, rendue en Section, concerne l’ensemble du droit administratif et son importance tient à la fois à la solution qu’elle apporte en elle-même ainsi qu’à la technique contentieuse à laquelle elle recourt à cet effet.

Une société de droit néerlandais exerce une activité de fourniture de produits à des détaillants, certains établis en France, et consent à cet effet des bons de réduction aux consommateurs finaux qu'elle rembourse ensuite à ses propres clients lorsqu'ils sont utilisés comme moyen de paiement par lesdits consommateurs. Elle conteste l’interprétation de la loi fiscale en matière de TVA applicable telle qu’elle figure dans des commentaires administratifs officiels de l’administration fiscale.

Se posait une très importante et délicate question de délai de recours contentieux contre de tels actes administratifs.

Le régime de publication des instructions et circulaires a changé à partir du 1er janvier 2019 du fait du décret du 28 novembre 2018.

Jusqu’au 31 décembre 2018, les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives sont en principe publiés, lorsqu'ils émanent des administrations centrales de l'État, dans des bulletins ayant une périodicité au moins trimestrielle et comportant dans leur titre la mention « Bulletin officiel » (cf. art. R. 312-3 du CRPA).

Dans ce cadre, un arrêté du 7 septembre 2012, des ministres des finances et du budget, prévoit que les documents administratifs émanant de la direction générale des finances publiques et ayant trait aux impôts sont publiés, suivant une périodicité au moins trimestrielle, au Bulletin officiel des finances publiques - impôts, lequel peut être consulté sur le site internet « www.impots.gouv.fr ».

Pour ce qui est donc de la période s’achevant au 31 décembre 2018, il suit de ce qui précède que la mise en ligne sur un site internet accessible depuis l'adresse www.impots.gouv.fr, entre le 10 septembre 2012 et le 31 décembre 2018, d'une instruction, d'une circulaire ou de tout autre document comportant une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives, émanant de l'administration fiscale et inséré au BOFiP-impôts, constitue l'acte de publication prévu par les dispositions de l'article 7 de la loi du 17 juillet 1978 puis, à compter du 1er janvier 2016, par celles de l'article L. 312-2 CRPA.

En conséquence de ce qui précède et après avoir relevé que ces dispositions sont  toutes issues de textes législatifs ou réglementaires eux-mêmes publiés au Journal officiel de la République française, le Conseil d’État décide, en premier lieu, que la publication d'une décision administrative dans un recueil autre que le Journal officiel fait courir le délai du recours contentieux à l'égard de tous les tiers si l'obligation de publier cette décision dans ce recueil résulte d'un texte législatif ou réglementaire lui-même publié au Journal officiel de la République française. Il décide en second lieu, par voie de conséquence, que le délai réglementaire dont un contribuable dispose pour former un recours pour excès de pouvoir à l'encontre de tout commentaire par lequel l'autorité compétente prescrit l'interprétation de la loi fiscale, lorsque celui-ci a été inséré au BOFiP-impôts et mis en ligne sur un site internet accessible depuis l'adresse www.impots.gouv.fr entre le 10 septembre 2012 et le 31 décembre 2018, commence à courir au jour de cette mise en ligne.

Il s’agit là d’une nouvelle jurisprudence.

Comme on le sait, en principe le juge administratif fait application de la règle jurisprudentielle nouvelle à l'ensemble des litiges, quelle que soit la date des faits sauf si cette solution aurait pour effet de porter rétroactivement atteinte au droit au recours.

C’est pourquoi il est précisé que la règle de forclusion susénoncée, en ce qu’elle, « revient sur une jurisprudence constante (…) est de nature à porter atteinte au droit au recours. Elle ne saurait, par conséquent, fonder le rejet pour irrecevabilité d'un recours formé contre un commentaire publié entre le 10 septembre 2012 et le 31 décembre 2018 et présenté avant l'expiration d'un délai de deux mois suivant la date de lecture de la présente décision ».

Qui pourrait douter du pragmatisme de la jurisprudence administrative voire de son pur utilitarisme ? C’est là une parfaite illustration de ce que « juger l’administration c’est encore administrer ».

Depuis le 1er janvier 2019, en vertu du décret du 8 décembre 2018 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires, l'art. R. 312-3 précité est devenu l'article R. 312-3-1.

D’une part, l'article R. 312-8 du même code décide désormais que : « Par dérogation à l'article R. 312-3-1, les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l'État sont publiées sur un site relevant du Premier ministre. Elles sont classées et répertoriées de manière à faciliter leur consultation. »

D’autre part, le premier alinéa de l'article R. 312-9 dispose : « Un arrêté du Premier ministre peut prévoir que, pour les circulaires et instructions intervenant dans certains domaines marqués par un besoin régulier de mise à jour portant sur un nombre important de données, la publication sur un site internet autre que celui qui est mentionné à l'article R. 312-8 produit les mêmes effets que la publication sur ce site. »

Enfin, l'article 1er de l'arrêté du Premier ministre du 10 septembre 2012 relatif à la mise à disposition des instructions et circulaires publiées au Bulletin officiel des finances publiques-impôts, dispose que la mise en ligne des circulaires et instructions sur le site « bofip.impots.gouv.fr » produit les mêmes effets que si elle avait été effectuée sur le site relevant du Premier ministre qui est mentionné à l'article 1er du décret du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires, devenu l'article R. 312-8 du code.

Pour ce qui est donc de la période ouverte à partir du 1er janvier 2019, en revanche et dès lors qu’elle est régie, comme on vient de le lire par des dispositions, toutes issues de textes législatifs ou réglementaires eux-mêmes publiés au Journal officiel de la République française, la mise en ligne d'une instruction, d'une circulaire ou de tout autre document émanant de l'administration fiscale sur le site « bofip.impots.gouv.fr » constitue l'acte de publication prévu à l'article L. 312-2 du CRPA et le délai réglementaire dont un contribuable dispose pour former un recours pour excès de pouvoir à l'encontre de tout commentaire par lequel l'autorité compétente prescrit l'interprétation de la loi fiscale, lorsque celui-ci a été mis en ligne, commence à courir au jour de cette mise en ligne.

Par suite, « la règle de forclusion susénoncée, qui se borne à tirer les conséquences de dispositions légales et réglementaires antérieures aux commentaires administratifs à l'égard desquels elle s'applique, et qui ne constitue pas un revirement de jurisprudence, ne porte pas rétroactivement atteinte au droit au recours. Rien ne fait obstacle, dès lors, à ce que le juge administratif en fasse application à tout litige intéressant des commentaires administratifs mis en ligne, dans les conditions décrites plus haut, quelle que soit la date à laquelle il en est saisi ».

Pour en revenir à notre affaire, si la société requérante ne peut se voir opposer d’exception de forclusion compte tenu de la date d’introduction de sa requête, elle succombe au fond pour des motifs techniques tirés de l’état de la jurisprudence de la CJUE (24 octobre 1996, Elida Gibbs Ltd contre Commissioners of Customs and Excise, aff. C-317/94) sur la question.

(Section, 13 mars 2020, Société Hasbro European Trading BV (HET BV), n° 435634)

 

52 - Bénéfices industriels et commerciaux - SCI - Qualification de marchand de biens - Critères - Application même en l’absence d’opérations pendant une année - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Une SCI a pour objet « l'acquisition, la prise à bail, la mise en valeur de tous terrains, l'édification de bâtiments à usage d'habitation et accessoirement commercial, la construction ou l'achat de tous biens immobiliers et mobiliers, la propriété, l'administration et l'exploitation par bail ou location de biens immobiliers acquis ou édifiés par la société (...) éventuellement, la revente des ensembles immobiliers acquis ou édifiés par elle ». Elle a acquis deux immeubles puis, la même année, vendu l'un des deux lots du bâti du premier immeuble et le terrain à bâtir attenant et, enfin, après avoir créé douze lots dans le second immeuble, en a vendu quatre la même année et l’année suivante. A l'issue d’une vérification de sa comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause le caractère civil de ses activités au motif qu'elle exerçait une activité de marchand de biens et l'a, en conséquence, assujettie à l'impôt sur les sociétés pour les années en cause. La SCI a contesté devant le juge l’impôt sur les sociétés mis à sa charge : déboutée en première instance elle a obtenu partiellement gain de cause en appel d’où le pourvoi du ministre.

Le Conseil d’État juge qu’il résulte des dispositions combinées de l'article 35 du CGI (dont le I dispose : « Présentent également le caractère de bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par les personnes physiques désignées ci-après : 1° Personnes qui, habituellement, achètent en leur nom, en vue de les revendre, des immeubles (..) ») et du 2 de l'article 206 du CGI, définissant le champ d'application de l'impôt sur les sociétés (« (..) les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt (..) si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 (..) »), que leur application est « subordonnée à la double condition que les opérations procèdent d'une intention spéculative et présentent un caractère habituel ».

Le juge précise que la condition d'habitude s'apprécie en principe en fonction du nombre d'opérations réalisées et de leur fréquence. A cet égard, la circonstance qu'au cours d'une année aucune opération mentionnée à l'article 35 du CGI n'ait été réalisée par une société civile ne suffit pas, à elle seule, à écarter l'application de ces dispositions pour cette année.

La cour a donc commis une erreur de droit en jugeant que la SCI ne relevait pas des dispositions précitées car, au cours de cette année, la société n'avait réalisé aucune opération de revente et s'était exclusivement livrée à des opérations de location de biens immobiliers ne relevant pas du champ d'application de l'article 35 du CGI. Cette dernière circonstance ne suffisait pas, à elle seule, à écarter l'application combinée de ces deux dispositions.

(18 mars, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 425443)

 

53 - Bénéfices industriels et commerciaux - Application de la théorie du bilan - Cas de la dissolution d’une filiale sans liquidation - Effet fiscal rétroactif - Conséquences pour la société confondante - Déduction d’une moins-value - Cassation avec renvoi.

Donnant satisfaction au ministre auteur du pourvoi, le Conseil d’État, dans une formulation de principe, énonce qu’il résulte des dispositions du 2 de l’art. 38 du CGI lequel est applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu du I de l'article 209 du CGI (selon lequel « Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés »), « qu'un bilan doit être établi à la date de clôture de chaque période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt et que ce bilan doit exprimer de manière régulière et sincère la situation de l'entreprise, telle qu'elle résulte à cette date des opérations de toute nature faites par l'entreprise. Si, parmi ces opérations, figure la dissolution sans liquidation d'une filiale, les conséquences de cette dissolution pour la société confondante doivent être reprises dans le bilan établi à la date de clôture de la période au cours de laquelle cette opération est intervenue, mais ne peuvent l'être dans le bilan précédent. Lorsqu'un effet rétroactif est attaché, sur le plan fiscal, à cette dissolution à une date déterminée, laquelle ne peut être antérieure à la date de clôture du bilan de l'exercice précédent, la société confondante est tenue de prendre en compte, au besoin au moyen de retraitements extra-comptables, toutes les conséquences de la date ainsi stipulée, à laquelle les effets de la fusion remontent ».

Or en l’espèce la cour avait jugé qu'il convenait de prendre en compte l'ensemble des éléments constituant le prix d'acquisition de titres annulés, y compris l'augmentation de capital intervenue après la date d'effet rétroactif de l'absorption et elle avait repris la moins-value résultant de l'annulation des titres de la filiale dissoute à hauteur de 18 592 484 euros. Elle a commis une erreur de droit car la société confondante est réputée s'être substituée fiscalement à la société absorbée à la date d'effet rétroactif et doit être regardée comme ayant reçu elle-même les apports pour leur valeur à la date où l'augmentation du capital est intervenue.

(18 mars 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 426473)

 

 

54 - Impôt sur les sociétés - Réduction d’impôt pour dons - Conditions d’éligibilité - Admission en l’espèce - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

L'article 238 bis du code général des impôts CGI prévoit dans son I la possibilité d’une réduction d'impôt égale à 60 % de leur montant les versements, pris dans la limite de 5 pour mille du chiffre d'affaires, effectués par les entreprises assujetties à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés au profit d'œuvres ou d'organismes d'intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l'environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises.

La société requérante se prévalait de ces dispositions pour avoir consenti des dons à une association dont l'objet est de promouvoir le sport automobile féminin en finançant l'activité des pilotes de sexe féminin. A la suite d'une vérification de comptabilité l’administration fiscale l’a assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés en estimant que la circonstance que le nom de l'entreprise versante ait été associé aux opérations réalisées par l’association donataire, remettait en cause la réduction d'impôt prévue à l'article 238 bis précité.

La cour administrative d’appel ayant donné gain de cause à la société, le ministre des finances se pourvoit, avec succès, en cassation.

Le Conseil d’État estime que si l’avantage fiscal consenti par les dispositions de l’art. 238bis précité n'est pas susceptible d'être remis en cause par la seule circonstance que le nom de l'entreprise versante soit associé aux opérations réalisées par l'organisme bénéficiaire du versement, il ne saurait toutefois être admis qu'à la condition que la valorisation du nom de l'entreprise ne représente, pour cette dernière, qu'une contrepartie très inférieure au montant du versement accordé.

L’arrêt d’appel est cassé pour n’avoir pas effectué l’examen de cette dernière condition.

(20 mars 2020, EURL M21 Fayard, n° 423664)

 

55 - TVA - Régime de la TVA ajoutée sur la marge - Ventes de terrains à bâtir - Terrains comportant un immeuble bâti à démolir en vue de la revente du terrain - Inapplicabilité des règles dérogatoires de calcul de la TVA - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Cette décision comporte une importante précision concernant le taux dérogatoire de TVA applicable aux cessions de terrains à bâtir.

Il résulte des dispositions combinées du I de l’art. 257, du 2 du b de l’art. 266 et de l’art. 268 du CGI, ce dernier pris pour la transposition de l’art. 392 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, que les règles de calcul dérogatoires de la TVA qu'elles prévoient s'appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s'appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti, quand le bâtiment qui y était édifié a fait l'objet d'une démolition de la part de l'acheteur-revendeur.

(27 mars 2020, Sarl Promialp, n° 428234)

 

56 - Sociétés de personnes - Sociétés de capitaux - Imposition des premières selon le régime des secondes - Conditions d’exercice de l’option - Cas d’une Sarl à associé unique ou d’une société unipersonnelle - Rejet.

L'un des deux gérants d’une Sarl qui exploite un bar-restaurant a racheté la part de son associé. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a mis à la charge de celle-ci des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés au titre des trois exercices vérifiés et, à la charge du gérant, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu à hauteur des résultats de la société Saint'E car ceux-ci ont été regardés comme des revenus distribués entre ses mains sur le fondement du c de l'article 111 du CGI. La société Le Saint'E et le gérant se pourvoient en cassation contre les arrêts, confirmatifs des jugements, rejetant leurs appels.

Le Conseil d’État rejette les pourvois au terme d’un rappel classique du droit et de la jurisprudence applicables.

Lorsqu’une société de personnes exerce l’option pour l'imposition selon le régime propre aux sociétés de capitaux, elle peut le faire de deux façons (cf. dispositions, d’une part, des art. 8 et 206  (point b du 3) du CGI et, d’autre part, des art. R. 123-1, R. 123-3 et R. 123-17 du code de commerce) : soit elle notifie cette option au service des impôts du lieu de son principal établissement, soit elle coche la case prévue à cet effet sur le formulaire remis au centre de formalités des entreprises (CFE) ou au greffe du tribunal de commerce dont elle dépend à l'occasion de la déclaration de sa création ou de sa modification.

Si ces dispositions ne dispensent pas de ces formalités les sociétés ou groupements mentionnés au 3 de l'article 206 du CGI qui opteraient pour leur assujettissement à l'impôt sur les sociétés (IS) alors qu'ils n'y étaient pas précédemment soumis, en revanche, il en va autrement dans l'hypothèse où une Sarl décide, au moment de la réunion de toutes ses parts entre les mains d'un associé unique, de demeurer assujettie à l'IS. C’est pourquoi, devenue alors une EURL, elle est réputée avoir régulièrement exercé l'option offerte au 3 de l'article 206 si elle a opté dans ses statuts, dans le délai prévu à la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 239, pour l'assujettissement à l'IS, et si elle a, au titre du premier exercice clos après la réunion des parts dans une même main, déclaré ses résultats sous le régime de l'IS.

C’est bien ce qui s’est produit en l’espèce.

(20 mars 2020, M. X., n° 426850 ; Société Le Saint’E, n° 426857, jonction)

 

Droit public de l’économie

 

57 - Autorité des marchés financiers (AMF) - Manquements d’une personne à ses obligations - Sanctions - Possibilité de recourir à une composition administrative - Procédure - Homologation obligatoire par la commission des sanctions - Refus - Régime procédural de la décision de refus - Rejet.

L’Autorité des marchés financiers (AMF) a notifié à la société Arkéa direct bank des griefs tirés de la méconnaissance de diverses dispositions du code monétaire et financier ainsi que du règlement général de l'AMF. Elle a assorti la notification de ces griefs d'une proposition d'entrée en voie de composition administrative. Un accord a été conclu entre le secrétaire général de l'AMF et la société et validé ensuite par le collège de l'AMF.

Cependant, la commission des sanctions de l'AMF a refusé d'homologuer l'accord.

Le président de l'AMF et la société Arkéa direct bank, par deux recours distincts que le juge a joints, demandent au Conseil d'État l'annulation de cette décision et l'homologation de la composition administrative. À cet effet est invoqué d’abord un moyen critiquant la régularité de la décision puis un moyen critiquant son bien-fondé.  Ils sont tous deux rejetés.

 

I. Concernant la régularité de la décision refusant d’homologuer l’accord sur la composition administrative, celle-ci faisait l’objet de deux griefs : son absence de motivation et de respect du contradictoire.

S’agissant de la motivation, la décision distingue le refus d’homologation de la procédure de composition administrative.

Selon le Conseil d’État, la décision refusant l’homologation (qui est prise sur le fondement de l’art.  L. 621-14-1 du code monétaire) n’a pas à être motivée que ce soit en vertu des dispositions de l’art. L. 621-15 dudit code, lesquelles ne s’appliquent pas aux décisions de refus d’homologation, ou de celles de l’art. L. 211-2 du code des relations du public avec l’administration (CRPA), ce type de refus n’entrant dans aucune des catégories limitativement énumérées dans ce dernier texte. Toutefois, le juge déduit de l’examen de l’ensemble des dispositions du code monétaire et financier relatives à la composition administrative qu’elles imposent à la commission des sanctions de l'AMF, lorsqu'elle refuse d'homologuer un accord de composition administrative, d'indiquer, « même de manière succincte pour ne pas risquer de préjuger l'appréciation qu'elle portera ensuite sur le bien-fondé des griefs notifiés ou sur le quantum de la sanction éventuelle », quel est le motif qui justifie son refus. Cette façon de dire et le contenu de ce qui y est dit sont curieux, cela ressemble à une esquisse de motivation qui ne dévoilerait point la motivation. Étrange et guère admissible. Au fond il s’agit d’aménager un système de motivation (il faut le dire vite…) tel que la commission puisse néanmoins continuer son travail après avoir formulé la raison de son refus.

Il y a là une espèce de jeu de cache-cache plus puéril que subtil.

Appliquant sa propre ligne directrice au cas de l’espèce, le juge considère que la commission des sanctions, en estimant qu'il résultait de l'examen des pièces qui lui avaient été transmises que les griefs soulevaient des questions nouvelles sur le fond qui devaient être tranchées par elle, a satisfait à l'obligation telle qu’elle vient d’être décrite ci-dessus

S’agissant de l’éventuel non-respect de l’art. L. 121-1 CRPA, qui impose que les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, soient soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable, il est jugé que le refus d’homologation litigieux n'entre dans aucun des cas prévus par l'article L. 121-1 du CRPA  auxquels est applicable une procédure contradictoire préalable.

 

II. Concernant le bien-fondé de la décision refusant l’homologation de l’accord de composition administrative, le Conseil d’État rejette tout d’abord le grief tiré de ce que le pouvoir réglementaire n’ayant pas défini les critères sur lesquels doit se fonder la commission des sanctions pour homologuer une composition administrative, les décisions prises par cette dernière en cette matière sont nécessairement illégales. Le juge réfute l’argumentation en relevant que dès lors que la loi a reconnu à la commission des sanctions la faculté d'homologuer une composition administrative, sans imposer une homologation dès lors que certaines conditions seraient remplies, le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu les dispositions dont il lui incombait de faire application en s'abstenant de fixer des critères qui s'imposeraient à la commission des sanctions lorsqu’elle est saisie d'une demande d'homologation.

Ensuite, le juge examine les pouvoirs de la commission des sanctions lorsqu’elle exerce sa prérogative d'homologation, notamment celui de s'assurer que, eu égard aux circonstances de fait, aux normes dont il est fait application et aux décisions qu'elle a déjà rendues dans des affaires similaires, l'accord de composition administrative n'est pas inapproprié au regard de l'exigence de répression des manquements commis par les professionnels concernés à leurs obligations définies par les lois, règlements et règles professionnelles. Notamment, il apparaît au juge qu’elle peut légalement fonder son refus d'homologuer une composition administrative sur la circonstance que les griefs notifiés soulèvent une question qui, par sa nouveauté et sa difficulté, justifie, au regard notamment de l'exigence de prévisibilité de l'application des normes régissant l'activité des professionnels concernés, qu'elle soit expressément tranchée à l'issue d'une procédure contradictoire menée devant la commission des sanctions elle-même.

C’est ce qui s’est passé dans la présente affaire, ce qui conduit au rejet des deux requêtes jointes.

(Assemblée, 20 mars 2020, Président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), n° 422186 ; Société Arkéa direct bank, n° 422274, jonction)

 

58 - Opération de revitalisation de territoire - Autorisation d’exploitation commerciale - Projets d’extension de commerces - Droit préfectoral de suspension temporaire - Atteinte à la liberté d’entreprendre - Absence - Refus de renvoyer une QPC.

Le Conseil national des centres commerciaux estimait contraire à la liberté d’entreprendre  l'article L. 752-1-2 du code de commerce qui permet au préfet  de suspendre pour une période de trois années au plus, susceptibles d'être prorogée d’une année, l'enregistrement et l'examen par les commissions départementale d'aménagement commercial des demandes d'autorisation d'exploitation commerciale de projets de création ou d'extension des magasins de commerce de détail ou d'ensembles commerciaux excédant 1 000 m2 de surface de vente dont l'implantation est prévue à proximité d'un territoire couvert par une opération de revitalisation de territoire (cf. art. L. 303-2 du code de la construction et de l'habitation), au regard des seuls effets économiques susceptibles d'être attendus de ces projets sur les territoires faisant l'objet de cette opération et notamment sur la préservation du tissu commercial qui y existe.

Pour estimer n’y avoir pas lieu à renvoi de la QPC ainsi motivée, le Conseil d’État retient qu’il n’est pas interdit au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Il constate qu’il en est bien ainsi en l’espèce.

 En premier lieu,  une telle suspension ne peut intervenir, lorsque le projet suspendu se situe dans une zone couverte par une convention d'opération de revitalisation du territoire, mais hors des secteurs d'intervention de l'opération et seulement si, compte tenu de ses caractéristiques et de l'analyse des données existantes sur sa zone de chalandise, ce projet est de nature à compromettre les objectifs poursuivis par cette opération, au regard notamment du niveau et de l'évolution des taux de logements vacants, de vacance commerciale et de chômage dans les centres villes des territoires concernés par l'opération.

En second lieu, cette suspension peut également intervenir lorsque le projet est situé dans une commune qui n'a pas signé la convention mais qui est membre de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre signataire de cette convention ou d'un établissement public de coopération intercommunale limitrophe de celui-ci : en ce cas, le préfet ne peut légalement le suspendre que si, compte tenu de ses caractéristiques et de l'analyse des données existantes sur sa zone de chalandise, il est de nature à compromettre gravement les objectifs de l'opération, au regard des éléments mentionnés précédemment.

En outre, l’existence des conditions de consultation préalable et la durée limitée de la suspension possible, jointes aux considérations précédentes, permettent au Conseil d’État de conclure que les dispositions litigieuses ne portent pas, au regard de l'objectif d'intérêt général qui s'attache à un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, à la lutte contre le déclin des centres-villes, une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Il y a peut-être là une « lecture » par trop optimiste des choses…

(16 mars 2020, Conseil national des centres commerciaux, n° 434918)

 

59 - Droit de l’Union européenne - Régime des aides d’État - Obligation de notification préalable à la Commission européenne - Défaut de notification - Conséquences pour le juge national - Distinction entre la période précédant la décision de la Commission et celle la suivant - Distinction selon le sens de la décision de la Commission - Office du juge national saisi de la légalité du refus de récupérer une aide d’État non notifiée - Erreur de droit - Cassation partielle avec injonction.

La résolution nationale des litiges relatifs à des aides d’État au sens du droit de l’Union européenne revêt toujours un certain degré de complexité comme en témoigne la présente affaire.

Des délibérations de la région Île-de-France ont créé un dispositif d'aide pour l'amélioration des services de transports en commun routiers exploités par des entreprises privées ou en régie. Un syndicat de transporteurs de voyageurs a obtenu l’annulation, en première instance (en 2008), en appel (en 2010) et en cassation (en 2012), du refus d'abroger ces délibérations, motif pris de ce qu'elles avaient institué un régime d'aide d'État irrégulier en l'absence de notification préalable à la Commission européenne.

Puis, la région ayant implicitement refusé de récupérer intégralement ladite aide comme le lui demandaient deux entreprises de transports, ce refus implicite a été annulé et la cour administrative d’appel qui a enjoint à la région, dans un délai de neuf mois, de déterminer, pour chaque entreprise bénéficiaire, en tenant compte de la nature des investissements subventionnés et du type d'activité de transport ayant été exercée, les montants devant être restitués par cette entreprise ou la personne morale venant aux droits de celle-ci, puis de procéder à l'émission de titres de perception permettant la récupération de ces aides.

La région Île-de-France se pourvoit en cassation contre cet arrêt. Le Conseil d’État, n'annule la décision par laquelle la région a refusé de procéder à la récupération des aides qu’en tant seulement que cette récupération ne porte pas sur les intérêts et elle lui fait injonction de procéder sous six mois à cette récupération.

Cette décision est prise au terme du long raisonnement suivant.

Il convient préalablement de rappeler qu’en vertu du droit de l’Union et en vue de respecter le droit européen de la concurrence a été institué un régime particulier des aides d’État : d’une part, les États ont l’obligation de notifier à la Commission, préalablement à son instauration, le projet d’aide envisagée, et d’autre part, la Commission doit décider si cette aide est compatible ou non avec le droit de l’Union.

En premier lieu, en l’absence de notification préalable d’une aide, ce qui constitue toujours une irrégularité, deux cas peuvent se produire :

- soit la Commission constate la compatibilité de l’aide litigieuse et la sanction de l'illégalité résultant d'un défaut de notification préalable sera la mise à la charge de ses bénéficiaires du paiement des intérêts que l'entreprise aurait acquittés si elle avait dû emprunter sur le marché le montant de l'aide entre la date à laquelle elle lui a été versée et celle à laquelle a été rendue la décision de la Commission européenne au titre de la période d'illégalité (cf. règlement n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 sur la mise en œuvre du règlement n° 2015/1589 du Conseil portant modalités d'application de l'article 108 du TFUE).

- soit la Commission constate l’incompatibilité de l’aide non notifiée, la sanction consiste en la récupération de l’aide sur ses bénéficiaires.

En deuxième lieu, s’établit un partage des compétences entre la Commission, exclusivement compétente pour décider si une aide est ou non compatible avec le marché intérieur, et le juge national, tenu de sauvegarder, jusqu'à la décision finale de la Commission, les droits des justiciables en cas de violation de l'obligation de notification préalable des aides d'État à la Commission. Il en résulte que dans l’attente de la décision de la Commission ce n’est qu’à titre provisoire que ce dernier peut ordonner la restitution, par les entreprises en ayant bénéficié, des aides versées sur le fondement d'un régime d'aide non notifié.

En troisième lieu, lorsqu’un refus est opposé à une demande de récupération d'une aide d'État, dans le cas où celle-ci n'a pas fait l'objet d'une notification préalable à la Commission, sa légalité dépend bien évidemment de la décision de la Commission sur la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur. Il s’ensuit que l’appréciation de la légalité de ce refus doit être appréciée par le juge national au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

(18 mars 2020, Région Île-de-France, n° 396651)

 

60 - Union européenne - Organisation commune du marché vitivinicole - Aide d’État irrégulière - Reversement - Délai de prescription applicable - Silence des textes - Principe de proportionnalité - Effets - Cassation et renvoi partiels.

Le litige né de ce que l’établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) a demandé à la société requérante de reverser l'aide qu'il lui a accordée, au titre du programme triennal de promotion des produits viticoles en vue de la promotion des vins sur les marchés tiers et a rejeté son recours gracieux conduit le Conseil d’État à appliquer deux fois le principe de proportionnalité.

En premier lieu, il fallait déterminer le délai de prescription applicable aux actions en récupération d’aides irrégulièrement perçues. La cour administrative, dans le silence des textes de l’Union sur ce point, avait jugé applicables les dispositions à caractère général de l'article 2224 du code civil issues de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. Le Conseil d’État aperçoit dans cette solution une erreur de droit car, estime-t-il, « En l'absence d'un texte spécial fixant, dans le respect du principe de proportionnalité, un délai de prescription plus long pour le reversement des aides accordées, dans le cadre de l'organisation commune du marché vitivinicole, en vue de la promotion de la vente des vins sur les marchés tiers, seul le délai de prescription de quatre années prévu au premier alinéa du 1 de l'article 3 du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 (…) est applicable ». Il fallait oser dire applicable au marché vitivinicole une règle de prescription tirée du droit d’Euratom…

En second lieu, la cour avait fait application, pour déterminer le montant de la sanction, de l'article 5 bis de l'arrêté du 16 février 2009 définissant les conditions de mise en œuvre des mesures de promotion dans les pays tiers, éligibles au financement par les enveloppes nationales définies par le règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 portant organisation commune du marché vitivinicole. Or le Conseil d’État juge qu’il y a là une erreur de droit car les dispositions de cet article prévoient l'application de sanctions déterminées selon une règle strictement arithmétique, exclusivement liée à la proportion du montant de l'aide dont le contrôle a révélé qu'il avait été indument perçu par rapport au montant de l'aide initialement retenu, sans que ne soit prise en considération, en dehors de la fourniture intentionnelle de données erronées dans la demande de paiement, la nature et la gravité des irrégularités qui ont été commises.

Par suite, la cour ne pouvait juger que l'arrêté litigieux ne méconnaît pas le principe de proportionnalité posé par l'article 98 du règlement (CE) n° 555/2008 de la Commission du 27 juin 2008.

(18 mars, Société Maison Ginestet, n° 420244)

 

Droit social et aide sociale

 

61 - Salarié d’une banque - Salarié protégé - Vérification des allégations portées contre ce salarié - Investigations excédant le champ nécessaire à l’enquête - Atteinte à la vie privée du salarié - Licenciement sur la base de faits ainsi recueillis - Irrégularité de l’autorisation de licenciement du salarié - Rejet du pourvoi.

Le client d’une banque porte des accusations contre l’un de ses salariés ayant la qualité de salarié protégé et exerçant les fonctions d’inspecteur fédéral. Pour instruire ces accusations, la banque a procédé à des investigations dont une partie, celle portant sur les comptes privés de son employé, n’était pas nécessaire pour l’établissement de la matérialité des faits.

Le licenciement de l’intéressé en raison de l’impossibilité d’être maintenu dans l’entreprise requérait l’avis favorable de l’inspection du travail en raison de sa qualité de salarié protégé ; cet avis ayant été négatif, le ministre du travail, saisi par l’entreprise, annula ce refus et autorisa le licenciement.

Sur requête du salarié, le tribunal administratif annula l’autorisation de licenciement et son jugement fut confirmé en appel.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi en cassation dont l’a saisi la fédération requérante.

Il estime que, par suite des allégations d’un client de la banque concernant le comportement de ce salarié à son égard, il était loisible à celle-ci de mener en interne les investigations nécessaires pour établir la matérialité des faits, en revanche, elle ne pouvait étendre ces recherches à l’examen des comptes personnels privés de ce salarié, sans l’en informer et surtout alors que cela n’était pas nécessaire à l’instruction des indications données par le client. Ce que résume cette formule de principe retenue par le juge : « Lorsqu'un employeur diligente une enquête interne visant un salarié à propos de faits, venus à sa connaissance, mettant en cause ce salarié, les investigations menées dans ce cadre doivent être justifiées et proportionnées par rapport aux faits qui sont à l'origine de l'enquête et ne sauraient porter d'atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie privée ».

Par suite, est illégal le licenciement fondé sur des éléments recueillis dans le cadre de cet examen intempestif de pièces. C’est sans erreur dans la qualification des faits et sans erreur de droit que les juges du fond ont estimé irrégulière la décision ministérielle autorisant le licenciement.

(2 mars 2020, Fédération du Crédit mutuel centre est Europe, n° 418640)

 

62 - Plan d’épargne d’entreprise - Régime fiscal - Conditions d’application - Existence de versements irréguliers - Déchéance du régime applicable - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

A la suite d’un contrôle fiscal a été remise en cause l'exonération d'impôt sur le revenu dont les intéressés prétendaient bénéficier, sur le fondement de dispositions du CGI, du chef d'une plus-value réalisée par M. X. dans le cadre du plan d'épargne d'entreprise (PEE) dont il était titulaire en sa qualité de salarié d’une société.

M. et Mme X. se pourvoient contre l’arrêt partiellement confirmatif.

La cour avait, en particulier, rejeté le moyen des requérants selon lequel l'irrégularité correspondant au transfert, en juillet 2002, sur le plan d'épargne de M. X., de titres qu'il détenait antérieurement, n'était pas de nature à rendre le fonctionnement de ce plan irrégulier dans son ensemble. La cour avait, au contraire, retenu la circonstance qu'à la date du 12 janvier 2004 à laquelle M. X. avait inscrit sur son plan les 102 titres qu'il a cédés le 28 juillet 2011 et qui ont donné lieu aux rectifications litigieuses, le compte fonctionnait irrégulièrement, dès lors qu'à cette date, les 377 titres transférés le 30 juillet 2002 y figuraient encore.

En décidant ainsi, la cour commettait une erreur de droit car l'irrégularité du transfert des 377 titres sur le plan n'avait pas d'incidence sur l'appréciation de la régularité de son fonctionnement dans son ensemble ni sur le bénéfice de l'exonération afférente aux revenus tirés des 102 titres en cause, mais seulement sur les revenus procédant de ces 377 titres litigieux.

Le Conseil d’État adopte le raisonnement suivant.

Les art. L. 3332-1 et suivants du code du travail font du plan d'épargne d'entreprise un mécanisme d'épargne collectif ouvrant aux salariés de l'entreprise la faculté de participer, avec l'aide de celle-ci, à la constitution d'un portefeuille de valeurs mobilières, c’est pourquoi le transfert, sur un plan d'épargne de titres acquis antérieurement à sa constitution n’est pas conforme à l’objet d’un tel plan.

Par ailleurs, selon les dispositions combinées des I et II de l'article 163 bis B et du III de l’art.150-0 A du CGI, les sommes versées par l'entreprise en application d'un plan d'épargne sont exonérées de l'impôt sur le revenu établi au nom du salarié ainsi que les revenus des titres détenus dans un tel plan d'épargne s'ils sont réemployés dans ce plan et frappés de la même indisponibilité que les titres auxquels ils se rattachent et sont définitivement exonérés à l'expiration de la période d'indisponibilité correspondante. Par suite, le régime d'imposition des gains nets retirés des cessions à titre onéreux des valeurs mobilières, droits sociaux et titres assimilés ne s’applique pas aux titres cédés dans le cadre de leur gestion par les plans d'épargne d’entreprises.

Le Conseil d’État en déduit que, pour bénéficier de ce régime fiscal, il faut et il suffit que la constitution du plan d'épargne d'entreprise et son fonctionnement soient conformes aux dispositions précitées du code du travail. En revanche, le caractère éventuellement irrégulier d’autres versements effectués sur ce plan ne fait pas obstacle à l’exonération des revenus et gains de cession des titres régulièrement issus du fonctionnement du plan.

(27 mars 2020, M. et Mme X., n° 429549)

 

63 - Renvoi préjudiciel de l’autorité judiciaire - Allocation de veuvage - Caractère rétroactif en cas de demande dans l’année suivant le décès - Absence de ce caractère au-delà - Différence de traitement injustifiée au regard de la finalité de cette allocation - Déclaration d’illégalité.

Le Conseil d’État était saisi d’une question préjudicielle portant sur la légalité de l'article D. 356-6 du code de la sécurité sociale au regard du principe d'égalité, en tant qu'il réserve l'attribution rétroactive de l'allocation de veuvage qu'il institue aux demandes déposées dans l'année suivant le décès du conjoint.

Lorsqu’une telle demande est formulée plus d’un an après le décès, l’allocation n’est versée qu’à compter du mois au cours duquel elle est déposée.

Ne trouvant à ce traitement différencié aucune justification d’intérêt général en rapport avec l’objet de l’institution de cette allocation, le Conseil d’État estime que le pouvoir réglementaire a institué en l’espèce une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard de la différence de situation entre les demandes formulées dans l’année et celles déposées plus tard, dès lors que les conditions pour en bénéficier étaient réunies au moment du décès.

(13 mars 2020, Mme X., n° 430371)

 

64 - Contentieux sociaux - RMI et RSA - Reversement d’indu de RSA - Règles particulières de procédure contentieuse - Annulation par voie de conséquence - Recours recevable en dépit du caractère définitif de la décision explicite sur l’indu rendue à la suite du recours administratif préalable obligatoire formé par l’intéressée - Cassation avec renvoi.

Dans un litige en règlement d’intérêts patrimoniaux au sein d’un couple après un divorce, le Conseil d’État apporte d’importantes précisions procédurales dans le cadre de contentieux sociaux.

Tout d’abord, il est jugé que l'annulation d'un jugement statuant sur le bien-fondé d'un indu de RSA pour le recouvrement duquel ont été émis des titres exécutoires entraîne également son annulation en tant qu'il statue sur le rejet de la demande de remise gracieuse de cet indu. Il s’agit donc d’une annulation par voie de conséquence qu’il est de l’office du juge de plein contentieux de prononcer.

Ensuite, même lorsque la décision de récupération des allocations de RSA à raison de ce qu’elles ont été indument versées, confirmée sur recours gracieux, est devenue définitive, l'intéressé reste recevable, dans le délai prévu par le 2° de l'article L. 1617-5 du CGCT, à contester le bien-fondé de la créance à l'occasion de sa requête tendant à l'annulation des titres exécutoires émis pour son recouvrement.

(18 mars 2020, Mme X., n° 421911)

 

65 - Référé liberté - Liberté syndicale - Syndicat non représentatif - Différence de traitement avec les autres syndicats - Légalité - Rejet.

La circonstance que la directrice d’un centre hospitalier, dans le respect du décret n° 86-660 du 19 mars 1986, réserve aux seules organisations syndicales représentatives certaines facilités d'exercice des droits syndicaux, compte tenu de l'objet même de ces facilités, des nécessités du service ou de contraintes particulières et les refuse à une organisation syndicale non représentative ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale. Dès lors, est régulier son refus d'attribuer au syndicat requérant le bénéfice d'un téléphone sans fil numérique, de fournitures de bureau et d'un badge d'accès permanent, tout en permettant aux membres de ce syndicat l’accès à tous les locaux.

(Ord. réf. 16 mars 2020, Syndicat " Force Syndicale Hospitalière " (FSH), n° 439028)

 

66 - Revenu de solidarité active (RSA) - Contrôle des bénéficiaires - Droit de communication - Conditions d’exercice - Garanties offertes aux bénéficiaires - Moment de leur mise en œuvre - Irrégularité - Substitution à la décision irrégulière d’une décision prise après exercice d’un recours administratif préalable obligatoire - Cassation partielle avec renvoi au tribunal administratif.

Un allocataire du RSA demande notamment l’annulation de décisions lui supprimant le droit à son versement. Sont soulevées d’intéressantes et classiques questions de procédure administrative non contentieuse.

Les textes (code de l’action sociale et des familles/code de la sécurité sociale) qui ont confié aux caisses d'allocations familiales et aux caisses de mutualité sociale agricole le service du revenu de solidarité active (RSA), les autorisent à effectuer des contrôles relatifs à cette prestation d'aide sociale notamment par l’exercice d’un droit de communication pour contrôler la sincérité et l'exactitude des déclarations souscrites ou l'authenticité des pièces produites en vue de l'attribution et du paiement des prestations qu'ils servent (art. L. 114-19 CSS). Ce droit est assorti de garanties procédurales. Ainsi l’art. L. 114-21 du code de la sécurité sociale dispose que : « L'organisme ayant usé du droit de communication en application de l'article L. 114-19 est tenu d'informer la personne physique ou morale à l'encontre de laquelle est prise la décision de supprimer le service d'une prestation ou de mettre des sommes en recouvrement, de la teneur et de l'origine des informations et documents obtenus auprès de tiers sur lesquels il s'est fondé pour prendre cette décision. Il communique, avant la mise en recouvrement ou la suppression du service de la prestation, une copie des documents susmentionnés à la personne qui en fait la demande ».

Selon le Conseil constitutionnel (14 juin 2019, Mme Hanen S., décis. n° 2019-789 QPC), l'objet de l'article L. 114-21 du CSS est de permettre à la personne contrôlée de prendre connaissance des documents communiqués afin de pouvoir contester utilement les conclusions qui en ont été tirées par l'organisme de sécurité sociale.

Le Conseil d’État déduit de là qu’il incombe à l'organisme ayant usé du droit de communication, avant la suppression du service de la prestation ou la mise en recouvrement de l'indu, d'informer l'allocataire à l'encontre duquel est prise la décision de supprimer le droit au RSA ou de récupérer un indu de cette prestation, de la teneur et de l'origine des renseignements qu'il a obtenus de tiers par l'exercice de son droit de communication et sur lesquels il s'est fondé pour prendre sa décision. Cette obligation a pour objet de permettre à l'allocataire, notamment, de discuter utilement leur provenance ou de demander que les documents qui, le cas échéant, contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la récupération de l'indu ou la suppression du service de la prestation, afin qu'il puisse vérifier l'authenticité de ces documents et en discuter la teneur ou la portée.

C’est pourquoi la caisse d'allocations familiales ou la caisse de mutualité sociale agricole doivent mettre en œuvre cette garantie avant l'intervention de la décision de récupérer un indu de RSA, qui permet son recouvrement sur les prestations à échoir, ou de supprimer le service de cette prestation.

Ces règles étant rappelées, le juge relève qu’au cas d’espèce était contestée la décision d’un président de conseil départemental sur le recours administratif préalable obligatoire formé par l'allocataire. Le principe en droit administratif est que la décision prise sur recours administratif ou hiérarchique, que celui-ci soit ou non obligatoire, se substitue toujours entièrement à la décision prise par l'organisme, ici celui chargé du service de la prestation, auteur de la décision primitive. En conséquence, l'allocataire ne pouvait utilement invoquer à l’appui de ses conclusions dirigées contre la décision du président du conseil général, la méconnaissance par la caisse de cette obligation de mise en œuvre de la garantie avant l’intervention de la décision de supprimer le RSA, d’autant que ce dernier a mis en œuvre cette garantie en temps utile avant l'intervention de sa propre décision, remédiant ainsi à l’irrégularité précédemment commise.

(18 mars 2020, Département de la Loire, n° 424413)

 

Élections

 

67 - Élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 - Circulaire du ministre de l’intérieur relative aux nuances politiques des candidatures à ces élections - Classement d’un parti politique à l’extrême-droite - Référé suspension - Rejet.

 La formation politique requérante demandait la suspension de l'exécution de la circulaire du 3 février 2020 du ministre de l'intérieur attribuant des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 en tant, d'une part, qu'elle restreint l'attribution des nuances politiques aux candidatures présentées dans les seules communes de 3 500 habitants ou plus et chefs-lieux d'arrondissement et, d'autre part, qu'elle prescrit le rattachement de la nuance politique « Rassemblement National » au bloc de clivages « extrême droite ».

Le juge du référé suspension du Conseil d’État, qui s’était déjà prononcé sur cette circulaire (cf. cette Chronique, janvier 2020 n° 36), est réuni à nouveau, comme pour l’ordonnance du 31 janvier 2020, en formation collégiale.

Ayant admis implicitement l’urgence à statuer, le juge ne trouve dans l’argumentation de la requérante aucun moyen de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire attaquée.

(Ord. réf., formation collégiale, 10 mars 2020, Association Rassemblement national, n° 439273 ; V. aussi, sur le caractère non réglementaire de la décision attribuant une nuance politique à un candidat à ces élections municipales et donc sur l’absence de compétence directe du Conseil d’État pour en connaitre en premier ressort : Ord. réf. 13 mars 2020, M. X., Élect. mun. de Saint-André de La Réunion, n° 439396)

 

68 - Élections municipales des 15 et 22 mars 2020 - Vote par procuration - Établissements hébergeant des personnes vulnérables - Épidémie de Covid-19 - Instruction ministérielle instaurant des règles dérogatoires de recueil des procurations - Absence de violation du code électorale et d’atteinte à la libre expression du suffrage - Rejet.

(Ord. réf. 11 mars 2020, Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), n° 439434) V. chronique consacrée au Covid-19

 

Environnement

 

69 - Émissions de gaz à effet de serre - Taxe sur ces émissions - Incompatibilité entre la loi française instituant cette taxe et le droit de l’Union - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

EDF demandait au juge d’ordonner à l’État la restitution de la taxe, dont elle s’est acquittée, due par les personnes exploitant des installations émettant des gaz à effet de serre, lorsqu'elles ont reçu, en exécution du plan national d'affectation, au moins 60 000 quotas. Le tribunal administratif a ordonné la restitution de la taxe. La juridiction d’appel a confirmé ce jugement en estimant que les dispositions de l'article 18 de la loi du 28 décembre 2011 instituant cette taxe étaient incompatibles avec l'article 10 de la directive du 13 octobre 2003, duquel résulte la règle de gratuité. À cet effet, elle a retenu que si la définition de l'assiette de la taxe, au II de l'article 18 de la loi de finances pour 2012, ne créait pas de lien direct entre son montant et le nombre des quotas affectés à titre gratuit à chaque redevable, il n'en allait pas de même du mécanisme de plafonnement, prévu au III du même article, qui, facteur déterminant dans la liquidation de l'impôt, devait être regardé comme établissant une telle corrélation. La cour en a déduit que la taxe devait être regardée comme ayant le caractère d'une charge prélevée au titre de l'affectation des quotas et qu’elle était donc irrégulière par rapport à l’art. 10 précité tel qu’interprété par la jurisprudence de la CJUE (17 octobre 2013, Iberdrola, SA e.a. c/ Administración del Estado e.a., aff. C-566/11, C-567/11, C-580/11, C-591/11, C-620/11 et C-640/11). Selon cet article 10 (« Pour la période de cinq ans qui débute le 1er janvier 2008, les États membres allocationnent au moins 90 % des quotas à titre gratuit ») et selon cette jurisprudence les quotas d'émission affectés gratuitement doivent l'être sans aucune contrepartie, qu'il s'agisse du paiement direct d'un prix ou du prélèvement ultérieur d'une charge.

Le ministre de l’action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Le Conseil d’État commence par observer que l’art. 10 précité et la jurisprudence qui l’interprète ne font pas obstacle à l'adoption de mesures susceptibles d'influer sur les implications économiques de l'utilisation des quotas, à la condition de ne pas porter atteinte à l'objectif, que poursuit l'institution du système d'échange, d'une réduction des émissions de gaz à effet de serre dans des conditions économiquement efficaces et performantes.

Il indique ensuite que ni le II ni le III de l'art. 18 de la loi du 28 décembre 2011, qui assoient la taxe sur le seul chiffre d'affaires des redevables, affectataires de quotas d'émission, n'ont eu pour objet d'instituer une charge prélevée au titre de l'affectation des quotas.

En réalité, selon le Conseil d’État, le mécanisme de plafonnement, institué par le III de cet article, ne saurait, sans méconnaître les objectifs de l'article 10 de la directive, avoir un tel effet, mais, pour s’en assurer, la cour devait - et elle ne l’a pas fait - rechercher la proportion des redevables de la taxe pour lesquels ce mécanisme de plafonnement avait, dans les faits, trouvé à s'appliquer, examiner son incidence effective sur le montant de la taxe due par chacun d'entre eux et, enfin, apprécier cette incidence sur le produit total de l'imposition.

Elle a donc commis une erreur de droit en jugeant que, du seul fait de l’importance des corrections qui en résultaient pour les redevables concernés, le plafonnement constituait le critère principal du calcul de cette taxe, et que, partant, l'art. 18 de la loi du 28 décembre 2011 avait eu cet effet de créer une charge grevant l'affectation des quotas d'émission.

La cour devra donc réexaminer ce dossier.

(10 mars 2020, Ministre de l’action et des comptes publics c/ EDF, n° 431804 ; du même jour avec solution identique : Ministre de l’action et des comptes publics c/ société Total EetP France, n° 431805 ; Ministre de l’action et des comptes publics c/ société Total Marketing Services, n° 431806 ; Ministre de l’action et des comptes publics c/ société Total Petrochemicals France, n° 431807)

 

70 - Projet environnemental - Principe d’impartialité de l’administration active - Directives européennes du 27 juin 2001 et du 13 décembre 2011 - Interprétation par la CJUE - Séparation fonctionnelle entre auteur de l’avis et auteur de la décision - Exigence d’autonomie du pouvoir de décision de certaines autorités administratives - Cassation avec renvoi.

(25 mars 2020, M. et Mme X., n° 427556) V. n° 4

 

71 - Référé suspension - Produits phytopharmaceutiques - Utilisation à proximité des lieux habités - Distance minimale de sécurité - Absence d’urgence - Rejet.

Par des requêtes qui ont été jointes, les deux organisations requérantes demandaient la suspension, outre l’annulation, de l'arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques et modifiant l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime.

En bref, était critiquée l’instauration, dans l’art. 8 de l’arrêté litigieux, de distances de sécurité appropriées s'imposant aux utilisateurs de produits phytopharmaceutiques ou, à défaut, l’instauration de mesures de protection adaptées de l'usage de ces produits ; était également contestée l’absence, dans l’article 11 de la décision attaquée, de mesures transitoires ou une entrée en vigueur différée plus générale. 

On n’entrera pas, dans le cadre de cette Chronique, dans les détails de l’argumentation comme de la motivation de l’ordonnance de rejet.

Il convient cependant de la signaler au lecteur pour sa richesse intrinsèque, la précision minutieuse de l’analyse effectuée par le juge des référés et par la démonstration, apportée ici avec brio, de la capacité du juge administratif à conjuguer complétude et célérité, technicité et clarté.

 (10 mars 2020, Coordination rurale d’union nationale, n° 438592 ; Chambre départementale d’agriculture de la Vienne, n° 438594 ; Jonction)

 

72 - Police des eaux - Autorisation d’exploitation d’une centrale hydraulique - Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) - Schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) - SAGE approuvés ou en cours d’élaboration à la date de promulgation de la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques - Compatibilité du SAGE (et du plan d'aménagement et de gestion durable de la ressource en eau et des milieux aquatiques (PAGD) qu’il comporte)  par rapport au SDAGE - Portée - Cassation pour erreur de droit et renvoi.

(11 mars 2020, Société Valhydrau, n° 422704) V. n° 90

 

73 - Installations classées pour la protection de l’environnement - Création d’une cimenterie - Date d’appréciation par le juge de plein contentieux, du respect des règles de forme et de celles de fond - Office du juge en cas d’irrégularité du dossier de demande d’autorisation - Régularisation décidée par le juge spontanément ou sur demande (art. L. 181-18 c. env.) - Régimes distincts - Rejet du premier des pourvois joints.

Avait été contesté par plusieurs requérants l’arrêté préfectoral autorisant l’installation d’une cimenterie dans la zone portuaire de La Rochelle. Par suite des annulations prononcées en appel, le Conseil d’État est saisi de deux pourvois qu’il joint.

La décision est importante à trois titres : le rappel qu’elle comporte et les deux importantes précisions qu’elle apporte.

 

I. Il est rappelé qu’en matière d’installations classées pour la protection de l'environnement le juge est un juge de plein contentieux. À ce titre, il doit, en premier lieu, apprécier le respect des règles relatives à la forme et à la procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation. En second lieu, il doit apprécier le respect des règles de fond régissant le projet en cause au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme, qui s'apprécie par rapport aux circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation.

Le juge indique, dans ce cadre procédural, que les obligations relatives à la composition du dossier de demande d'autorisation d'une installation classée relèvent des règles de procédure (sur ce point, avec en outre, cette précision que « Les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant ce dossier ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d'entacher d'irrégularité l'autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative », voir :  13 mars 2020, SNC MSE Le Vieux Moulin, n° 414032).

 

II. Les deux précisions sont les suivantes.

Tout d’abord, si seules sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d'entacher d'irrégularité l'autorisation, celles des inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant un dossier qui ont eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou qui ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative, il est loisible au juge du plein contentieux des installations classées car c’est là son office, de prendre en compte la circonstance, appréciée à la date à laquelle il statue, que de telles irrégularités ont été régularisées. En l’espèce, c’est sans erreur de droit que la cour a fait application, s'agissant de règles de procédure, des dispositions applicables à la date de délivrance de l'autorisation, alors même que les règles de composition du dossier avaient évolué à la date à laquelle elle a statué.

Ensuite, il découle des dispositions du 2°de l’art. L. 181-18 c. env., qui confèrent au juge le pouvoir d’ordonner la régularisation, dans un certain délai, d’un vice entrainant l’illégalité d’un acte lorsque celui-ci est susceptible de régularisation, deux situations bien distinctes selon que le juge est saisi ou non de conclusions en ce sens.

Lorsque le juge n'est pas saisi de telles conclusions, il peut toujours mettre en œuvre cette faculté sans y être tenu, en vertu de son pouvoir souverain d’appréciation qui ne peut donc pas être contrôlé en cassation.  Lorsque le juge est saisi de conclusions en ce sens, il est tenu de mettre en œuvre ses pouvoirs de régularisation pour autant que les vices en cause lui paraissent régularisables.

(11 mars 2020, Société Eqiom, n° 423164 ; Commune de Rivedoux-Plage et communauté de communes de l'Ile de Ré, n° 423165, jonction)

 

74 - Agences de l’eau - Pollution non domestique de l’eau - Emission d’un titre exécutoire pour la perception de la redevance due en cas de pollution - Publication au Journal officiel des seuls taux applicables - Annulation du titre exécutoire - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Une société qui avait versé la taxe pour pollution non domestique de l’eau mise à sa charge, au moyen d’un titre exécutoire, par une agence régionale de l’eau, en a par la suite réclamé le remboursement ou, à tout le moins, que lui en soit accordée une remise gracieuse partielle. Elle a saisi la juridiction administrative du refus opposé à ses demandes.

Pour accueillir l’action en annulation dont la société l’avait saisie, la cour administrative d’appel a d’abord jugé qu’il résultait des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 213-9-1 du code de l'environnement, que devaient être publiées au Journal officiel toutes les délibérations des agences de l’eau qui concourent à la détermination des taux des redevances. Elle a ensuite jugé que la publication de la liste des communes incluses dans les « unités géographiques cohérentes » en fonction desquelles des taux différenciés sont été votés devait, elle aussi, être faite au Journal officiel. Enfin, elle a constaté que la délimitation des zones de tarification nécessaires à la détermination du montant de la redevance pour l'année 2012 n'avait pas été publiée au Journal officiel et qu’en conséquence était dépourvue de base légale la redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique mise à la charge de la société requérante.

Sur pourvoi de l’agence régionale, le Conseil d’État casse cet arrêt pour erreur de droit au double motif, en premier lieu, que le dernier alinéa de l'article L. 213-9-1 du code de l'environnement n'impose la publication au Journal officiel que des seuls taux de redevance à l'exclusion de tout autre élément relatif notamment à leur champ d'application géographique et, en second lieu, que l'article R. 213-48-16 du même code ne prévoit pas de formalité de publicité particulière pour les délibérations qui déterminent les  « unités géographiques cohérentes ».

Il peut sembler anormal que les pollueurs potentiels ne puissent pas avoir une connaissance officielle de l’existence et de l’implantation des « unités géographiques cohérentes », c’est-à-dire des territoires qui sont potentiellement les lieux de taxation.

(20 mars 2020, Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, n° 423027)

 

État-civil et nationalité - Étrangers

 

75 - Mariage posthume - Durée - Combinaison des art. 171 et 22 du code civil - Réclamation d’une pension de réversion du chef du défunt - Condition de durée du mariage - Absence - Rejet.

Le Conseil d’État déduit des dispositions combinées des art. 171 et 227 du Code civil, s’agissant de déterminer la durée du mariage en cas de mariage posthume, que celui-ci doit être regardé comme ayant été contracté à la date du jour précédant le décès du conjoint et cesse de produire effet le jour du décès.

Il suit de là que la requérante ne pouvait exiger l’octroi d’une pension de réversion du chef de son défunt époux, la condition de durée minimale du mariage faisant nécessairement défaut.

(2 mars 2020, Mme X., n° 421184)

 

76 - Réfugiés et apatrides - Décision de mettre fin à la reconnaissance de la qualité de réfugié par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) - Office de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) saisie d’un recours contre cette décision -

Le Conseil d’État souligne, avant d’en faire ensuite l’application, deux aspects importants de la procédure de reconnaissance à une personne de la qualité de réfugiée par la CNDA.

Tout d’abord, en sa qualité, ici, de juge de plein contentieux, la CNDA doit se prononcer elle-même sur le droit de l'intéressé à la qualité de réfugié ou au bénéfice de la protection subsidiaire d'après l'ensemble des circonstances de fait et de droit qui ressortent du dossier soumis à son examen et des débats à l'audience.

Ensuite, lorsqu’elle est saisie d’un recours dirigé contre une décision par laquelle le directeur général de l’OFPRA a, en application des stipulations du C de l'article 1er de la convention de Genève, mis fin au statut de réfugié dont bénéficiait un étranger, et qu'elle juge infondé le motif pour lequel le directeur général de l'Office a décidé de mettre fin à cette protection, il lui appartient de se prononcer sur le droit au maintien de la qualité de réfugié en examinant, au vu du dossier et des débats à l'audience, si l'intéressé relève d'une autre des clauses de cessation énoncées au paragraphe C de l'article 1er de la convention de Genève ou de l'une des situations visées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 711- 4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

Dans la présente affaire la Cour s’était bornée à faire droit à la requête du demandeur et à le rétablir dans sa qualité de réfugié en retenant que le motif de cessation retenu par la décision de l'OFPRA n’était pas fondé et en l’écartant sans rechercher si la qualité de réfugié du requérant devait lui être retirée par application de l'une des autres clauses de cessation énoncées au paragraphe C de l'article 1er de la convention de Genève ou des dispositions des 1°, 2° et 3° de l'article L. 711- 4 du CESEDA.

(27 mars 2020, OFPRA, n° 422738)

 

77 - Étrangers - Audience devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) - Convocation - Délai non respecté - Intéressé absent - Avocat présent - Irrégularité - Cassation avec renvoi à la CNDA.

La méconnaissance par la CNDA du délai de convocation à l’audience fixé par l'article R. 733-19 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) constitue une irrégularité même lorsque l’avocat de l’intéressé est présent à l’audience car ce délai est destiné à la fois à informer la partie de la date de l'audience afin de lui permettre d'y être présent ou représenté, mais aussi de lui laisser un délai suffisant pour préparer utilement ses observations.

L’arrêt est cassé et l’affaire renvoyée à la CNDA.

(27 mars 2020, Mme X., n° 431290)

 

Fonction publique et agents publics

 

78 - Pension de retraite des agents ayant servi dans un service actif de la police - Régime dérogatoire au droit commun - Conditions d’application - Cassation sans renvoi.

 L'article 95 de la loi du 29 décembre 1982 de finances pour 1983 a modifié la loi du 8 avril 1957 instituant un régime particulier de retraites en faveur des personnels actifs de police, pour y insérer un article 6 bis selon lequel : « A partir du 1er janvier1983, le calcul de la pension de retraite, ainsi que les retenues pour pension des personnels des services actifs de police, seront déterminés, par dérogation aux articles L. 15 et L.61 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État.

Pour permettre la prise en compte progressive de leurs indemnités de sujétions spéciales dans leur pension, la retenue pour pension supportée par les intéressés sera majorée de 0,5 p. 100 à compter du 1er janvier 1983, 1 p. 100 à compter du 1er janvier 1987 et 1,2 p. 100 à compter du 1er janvier 1991 ».

Ce régime est donc dérogatoire au droit commun des pensions civiles et militaires de retraite des agents de l’État, notamment à l’art. 15 du code régissant ces pensions. Le II de cet article prévoit que le fonctionnaire qui a occupé de façon continue, pendant au moins deux ans au cours des quinze dernières années d'activité, un emploi supérieur pour lequel la nomination est laissée à la décision du Gouvernement peut bénéficier d'une pension liquidée sur la base des derniers traitements ou soldes soumis à retenues, afférents à cet emploi.

Le demandeur se trouvait dans ce cas, ayant exercé au moins deux années dans les services actifs de police avant d’être versé dans le corps préfectoral au sein duquel il a achevé sa carrière. Ainsi, dès lors qu’il avait, à ce titre, perçu un traitement de base et l'indemnité de sujétions spéciales de police, tous deux soumis à retenue pour pension, le requérant avait droit au bénéfice d'une pension liquidée sur la base de ces deux éléments de rémunération, sous réserve de remplir les autres conditions fixées par le code des pensions civiles et militaires de retraite.

Or pour lui refuser le bénéfice des dispositions précitées de l’art. 6 bis, les premiers juges ont estimé, d’une part, que l'indemnité de sujétions spéciales de police n'est pas un élément du traitement au sens de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983, alors même qu'elle est soumise à retenue pour pension et d’autre part, que l'intéressé, qui a été titularisé en 2013 dans le corps des préfets, n'appartenait plus au corps de conception et de direction de la police nationale à la date de sa radiation des cadres.

Ce jugeant, a été commise une double erreur de droit.

(2 mars 2020, M. X., n° 414047)

 

79 - Principe d’égalité - Distinction entre pilotes d’avion de la sécurité civile et pilotes d’hélicoptères de la sécurité civile - Traitement différencié - Différences justifiées - Rejet.

Le syndicat requérant contestait deux décrets et deux arrêtés en ce qu’ils ont instauré ou maintenu, au bénéfice des pilotes d'avions et au détriment des agents navigants en hélicoptère de la sécurité civile, une différence de traitement qu’ils estiment injustifiée concernant l'indemnité de détachement opérationnel, la prime d'encadrement au forfait et la valorisation du travail effectué le samedi. Ils en demandent l’annulation au juge faute de l’avoir obtenue par la voie gracieuse de la part du ministre de l’intérieur.

Leur recours est rejeté car le juge aperçoit entre les deux catégories diverses différences justifiant un traitement différent sans porter atteinte au principe d’égalité entre agents publics.

En effet, relève le juge, « Si les personnels navigants du groupement d'hélicoptères de la sécurité civile peuvent être appelés à participer aux opérations de lutte contre les feux de forêt, cette participation ne constitue qu'une de leurs missions de secours d'urgence et de protection et s'inscrit dans le cadre d'un soutien logistique, seuls les avions de la sécurité civile ayant principalement en charge l'extinction des incendies. Compte tenu des différences existant entre ces deux catégories de personnels navigants de la sécurité civile en ce qui concerne tant leurs missions, leurs conditions de recrutement, les conditions d'exercice de leurs fonctions que la compensation financière des contraintes particulières qu'elles impliquent, l'autorité investie du pouvoir réglementaire n'a pas méconnu le principe d'égalité en refusant de mettre fin à la différence de traitement existant entre ces personnels en matière d'indemnité de détachement opérationnel, de prime d'encadrement au forfait et de valorisation du travail effectué le samedi ».

(25 mars 2020, Syndicat autonome du personnel navigant de la sécurité civile (SAPNSC), n° 429699)

 

80 - Fonction publique - Répression disciplinaire et répression pénale - Répressions distinctes - Présomption d’innocence en matière disciplinaire - Absence - Rejet.

Rappel d’un grand et classique principe, celui de l’indépendance du pénal et du disciplinaire nonobstant la règle selon laquelle le « criminel tient le civil en état ».

Il s’ensuit que lorsque sont engagées parallèlement, à propos de mêmes faits, une procédure disciplinaire et une procédure pénale, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire ne méconnaît pas le principe de la présomption d'innocence en prononçant une sanction sans attendre que les juridictions répressives aient définitivement statué.

Pour constant et établi qu’il soit, ce principe gagnerait à être revisité en ce qu’il fait un peu trop bon marché de la présomption d’innocence dans un contexte où règne un certain arbitraire dans la mesure où l’autorité disciplinaire peut, à loisir, sanctionner ou non des faits identiques commis par des agents publics placés dans des situations identiques.

(25 mars 2020, Ministre des armées, n° 431240)

 

81 - Fonctionnaire de l’État - Sanction disciplinaire - Révocation - Assistant social ayant des relations sexuelles avec une personne dépendant de lui et en état dépressif - Sanction disproportionnée - Absence - Erreur dans l’appréciation juridique des faits - Cassation avec renvoi.

Un fonctionnaire, assistant social d'entreprise, a eu une relation sexuelle avec une salariée de l’entreprise, à son domicile, après avoir établi avec elle un dossier concernant la situation personnelle de cette dernière. Cette salariée était alors en situation de vulnérabilité, se trouvant en attente de reprise d'activité dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique, après avoir été placée en congé de longue maladie pour un état dépressif, et alors qu'elle connaissait des difficultés financières l'ayant conduite à solliciter à cette époque auprès de son employeur le bénéfice d'une aide financière afin de régler sa taxe d'habitation. Ce fonctionnaire était chargé, dans le cadre de ses fonctions d'assistant social d'entreprise, non seulement de participer à l'instruction de cette demande d'aide financière mais aussi d'accompagner la salariée en vue de sa reprise d'activité.

Il est révoqué de ses fonctions et conteste cette décision, en vain devant le tribunal administratif, avec succès en cause d’appel. La cour administrative ayant jugé qu'eu égard à la manière de servir de l'intéressé et à sa situation à la date de la décision attaquée, la sanction de la révocation était disproportionnée par rapport à la gravité de la faute commise.

Sur pourvois de l’employeur et de l’auteur de la décision de révocation, le Conseil d’État casse cet arrêt au motif que « eu égard à la gravité du manquement commis par (cet agent) aux obligations de probité et d'intégrité requises dans l'exercice de ses fonctions, toutes les sanctions moins sévères susceptibles de lui être infligées en application de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 (…) étaient, en raison de leur caractère insuffisant, hors de proportion avec les fautes qu'il avait commises ».

C’est donc par une inexacte appréciation juridique des faits que la cour a prononcé l’annulation de la sanction de la révocation.

Il s’agit, dans cette affaire exemplaire, de l’application d’un standard jurisprudentiel bien établi désormais et organisé autour de trois points. 

1° Le juge saisi doit rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

2° En principe, seul le caractère fautif des faits reprochés est susceptible de faire l'objet d'un contrôle de qualification juridique de la part du juge de cassation, l'appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des fautes commises relève, pour sa part, de l'appréciation des juges du fond.

3° Toutefois, cette appréciation, normalement souveraine de la part des juges du fond, est susceptible d'être remise en cause par le juge de cassation quand la solution qu'ils ont retenue quant au choix, par l'administration, de la sanction, est hors de proportion avec les fautes commises (réitération de : 27 février 2015, La Poste, n° 376598 et n° 381828).

(27 mars 2020, Société Orange, n° 427868 ; Ministre de l’économie et des finances, n° 427985, jonction)

 

82 - Fonction publique - Enseignants - Avancement à la hors-classe des professeurs agrégés du second degré - Rappels de traitement - Incidence d’une annulation prononcée par le juge - Décision créatrice de droits - Faculté de retrait ou d’abrogation limitée au délai raisonnable de quatre mois - Rejet.

 (11 mars 2020, M.X., n° 403560) V. n° 29

83 - Radiation des cadres - Admission à la retraite pour invalidité - Invalidité non imputable au service - Illégalité de l’octroi d’une pension d’invalidité en l’absence d’imputabilité de cette dernière au service - Rejet du pourvoi du ministre.

 Il résulte de la combinaison, d’une part, des art. L. 27, 28, 29 et 31 du code des pensions civiles et militaires de retraite et, d’autre part, des art.  R. 4, 38 et 65 du même code, que la radiation des cadres en vue de l'admission à la retraite d'un fonctionnaire civil de l'État pour invalidité incombe au ministre dont relève l'agent et qu’elle est subordonnée à l'avis conforme du ministre chargé du budget Cette décision doit énoncer les circonstances susceptibles d'ouvrir droit à pension et viser les dispositions légales en cause.

Il appartient ensuite au ministre chargé du budget de procéder à la liquidation et à la concession de la pension de l'intéressé ou de la rente viagère d'invalidité.

Lorsque l’agent a été radié des cadres pour une invalidité qui n'a pas été regardée comme imputable au service, il ne peut lui être alloué une pension pour invalidité imputable au service et attribué une rente viagère d'invalidité.

Le Conseil d’État approuve le tribunal administratif d’avoir ainsi jugé et, en tout état de cause, d’avoir soulevé d'office un moyen qui est d'ordre public : tel est le cas du moyen selon lequel nul ne peut être contraint à payer une somme qu’il ne doit pas.

Le pourvoi de l’intéressé est, logiquement, rejeté.

(2 mars 2020, M. X., n° 417144)

 

84 - Enseignants titulaires - Maîtres de l’enseignement public et maîtres de l’enseignement privé - Droit à la formation - Application du principe d’égalité et respect concomitant des règles propres à l’enseignement privé - Rejet.

Un syndicat de l’enseignement privé demande l’annulation de décisions ministérielles ayant rejeté ses demandes tendant à la modification des articles 7 et 9 de la convention relative à la formation continue des maîtres de l'enseignement privé sous contrat, qu'il a conclue le 27 janvier 2017 avec la Fédération des associations pour la formation et la promotion professionnelles dans l'enseignement catholique (FORMIRIS).

 

I. Le Conseil d’État résout d’office, préalablement à l’examen du fond du litige, deux questions de procédure.

La première concerne la compétence de la juridiction administrative. Il est jugé que, eu égard aux clauses que comporte la convention du 27 janvier 2017, notamment en matière de contrôle par l'État des activités de la FORMIRIS, qui impliquent, dans l'intérêt général, qu'elle relève du régime exorbitant des contrats administratifs, cette convention constitue un contrat administratif relevant donc de la compétence de la juridiction administrative.

La seconde concerne la compétence de premier ressort du Conseil d’État. A cet égard il est relevé qu’en tant qu'elles précisent les conditions auxquelles sont soumises les demandes de formation, les stipulations de l'article 7 de la convention ont un caractère réglementaire. Il suit donc de là, en vertu du 2° de l'article R. 311-1 du CJA, la compétence directe du Conseil d’État pour statuer en excès de pouvoir sur les conclusions des requêtes dirigées contre ces clauses réglementaires arrêtées par le ministre de l'éducation nationale. En outre, bien que les dispositions de l’art. 9 de la convention n’aient pas un caractère réglementaire, leur contestation relève néanmoins, par l’effet de la connexité (art. R. 341-1 CJA), de la compétence directe du Conseil d’État.

 

II. Le recours portait, pour l’essentiel, sur l’illégalité consistant en l’application uniforme de règles en matière de formation aux maîtres relevant des deux catégories, publique et privée, d’établissements scolaires, au détriment des règles propre à l’enseignement privé. Cet argument est rejeté par le Conseil d’État.

Celui-ci note que si les règles générales en matière de formation applicables aux maîtres titulaires de l'enseignement public sont également applicables aux maîtres de l'enseignement privé sous contrat ayant le même niveau de formation, elles n'ont ni pour objet ni pour effet de supprimer toute différence de traitement dans la gestion de la situation respective de ces deux catégories d'enseignants, ni de rendre inapplicables les dispositions spécifiques propres aux seuls maîtres de l'enseignement privé sous contrat.

Il en fournit deux preuves, positive et négative.

Positivement, les maîtres habilités par agrément ou par contrat à exercer dans des établissements d'enseignement privé liés à l'État par contrat, bénéficient des mêmes droits en matière de formation que les maîtres titulaires de l'enseignement public dans le respect des règles qui leur sont propres. A cet égard, ils ont notamment droit, d'une part, à ce que le rejet d'une seconde demande portant sur une action de formation de même nature ne puisse être prononcé qu'après avis de la commission consultative compétente (art.  R. 914-10 du code de l'éducation), et, d'autre part, d'accéder aux formations prévues en faveur des personnes qui n'ont bénéficié au cours des trois années précédentes d'aucune formation dans la catégorie demandée, dans le respect des règles qui leur sont propres.

Négativement, demeure pour les maîtres de l’enseignement privé sous contrat l'obligation d'obtenir l'accord du responsable compétent de la FORMIRIS, laquelle relève des modalités de gestion qui leur sont spécifiques.

(18 mars 2020, Syndicat national de l'enseignement privé-Union nationale des syndicats autonomes (SNEP-UNSA), n° 422001 et n° 423530, jonction)

 

84 bis - Justice administrative - Décret du 12 décembre 2018 pris en application de la loi du 10 décembre 2018 pour une immigration maitrisée - Consultation du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel - Cas où sa consultation est obligatoire - Absence ici - Rejet.

Les syndicats requérants demandaient au Conseil d'État l'annulation du décret n° 2018-1142 du 12 décembre 2018 portant modification du code de justice administrative pour l'application des titres Ier et III de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie. Ils invoquaient de nombreux griefs à l’encontre de ce texte.

Ces griefs sont tous rejetés par leurs collègues du Conseil d’État.

En substance, il leur est, pour l’essentiel, répondu tout d’abord, que le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ne doit pas être consulté préalablement à l’édiction des décrets qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions législatives.

Ensuite, il est jugé, en revanche, que ce Conseil doit être consulté sur les projets de décrets qui, soit affectent la compétence des tribunaux administratifs ou des cours administratives d'appel, soit sont susceptibles d'avoir une incidence significative sur l'organisation ou le fonctionnement de ces juridictions.

Tel n’était pas le cas en l’espèce en dépit du nombre et de la nature des arguments développés au soutien du recours.

(25 mars 2020, Syndicat de la juridiction administrative et l'Union syndicale des magistrats administratifs, n° 427737)

 

84 ter - Concours d’accès à la fonction publique - Concours d’agrégation du second degré - Candidat atteint de dysorthographie, de dysgraphie, de dyslexie et de dyspraxie - Compensation du handicap par des mesures appropriées - Refus partiels du rectorat - Atteinte à l’égalité et à l’anonymat des candidats - Absence si des mesures idoines sont prises - Rejet.

Un candidat à l’agrégation d’histoire, atteint de dysorthographie, de dysgraphie, de dyslexie et de dyspraxie, a obtenu du juge du référé liberté d’un tribunal administratif l’annulation du refus du rectorat de l’académie de mettre en place la totalité des aménagements prescrits par le médecin agréé pour compenser son handicap. Le ministre de l’éducation nationale demande au Conseil d’Etat l’annulation de cette ordonnance.

Son recours est rejeté au terme du raisonnement suivant.

Tout d’abord, justifiant l’usage ici du référé liberté (cf. art. L. 521-2 CJA), le juge indique, répondant à un argument contraire du ministre que « si les conditions de déroulement d'un concours d'accès à la fonction publique ne portent pas par elles-mêmes, et alors même qu'elles seraient entachées d'une rupture d'égalité entre les candidats, atteinte à une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, il en va différemment lorsqu'est en jeu le rétablissement de l'égalité entre les candidats au profit d'une personne atteinte d'un handicap par la mise en œuvre des adaptations prévues (par les textes) ».

Ensuite, alors que le ministre soutenait qu’en toute hypothèse les handicaps dont souffre le requérant sont incompatibles avec la fonction de professeur agrégé d'histoire, le Conseil d’Etat oppose à ce moyen, d’une part, la circonstance que le ministre n’a pas refusé de l’admettre à concourir et, d’autre part, que cette incompatibilité devait être apprécié dans les conditions légales et réglementaires (désignation d’un médecin agréé, organisation d’un comité médical et d’une commissions de réforme, vérification des conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics, etc.).

Enfin, parce que si l'orthographe n'est pas un critère d'évaluation des copies des candidats, une mauvaise orthographe peut cependant avoir un effet négatif sur la note attribuée, sont estimés insuffisants au cas d’espèce les seuls aménagements acceptés par l’administration (mise à disposition d'un ordinateur sans logiciel de correction orthographique et d'un secrétaire copieur, qui se bornerait à reproduire le texte produit par le candidat sous forme manuscrite), l’anonymat pouvant être assuré par le recours aux moyens préconisés et la mise en œuvre de ces derniers, loin de porter atteinte au principe d’égalité entre candidats à un concours, ne ferait que la rétablir au profit du requérant.

Reste tout de même, pour finir, que, comme le rappelle le juge, « il appartiendra en tout état de cause (au ministre) de se prononcer sur (l’)aptitude (du requérant) s'il vient à être reçu au concours ».

(13 mars 2020, M. X., n° 439468)

Libertés fondamentales - Protection des personnes

 

85 - Enseignement supérieur et grandes écoles - Institution de bourses d’excellence pour les étudiants poursuivant des études dans une grande école - Modification rétroactive des règles d’octroi de ces bourses entre la première et la seconde année d’études - Espérance légitime de continuer à percevoir la bourse - Atteinte disproportionnée à un « bien » au sens du premier protocole additionnel à la Convention EDH (art. 1er) - Rejet.

La collectivité territoriale requérante avait institué des bourses d’excellence pour permettre aux élèves le méritant la poursuite d’études supérieures puis, trois ans plus tard, en raison du coût de cette mesure, elle a profondément modifié les conditions d’octroi.

Un élève, auquel une telle bourse avait été octroyé pour entreprendre des études à l’École des Mines de Saint-Etienne, apprit, au terme de sa première année d’études et alors qu’il était admis en deuxième année, que la bourse ne lui serait plus servie. Il saisit le juge administratif d’un recours dirigé contre la délibération fixant de nouveaux critères et contre la décision de refus de versement de la bourse, en vain en première instance, avec succès en appel. La collectivité se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Le Conseil d’État donne raison à la cour.

Il résultait de la délibération instituant la bourse que l’étudiant ayant accompli sa première année de scolarité admis dans l’année suivante d’études, était assuré du renouvellement de la bourse. Par ailleurs, l'article 1er du protocole additionnel à la convention EDH a pour objet de protéger le respect des biens des personnes. Si le renouvellement possible d’une bourse n’est pas, à strictement parler, un « bien » et n’est donc pas une créance certaine, « l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations qui ne font en principe pas obstacle à ce que le législateur adopte de nouvelles dispositions remettant en cause, fût-ce de manière rétroactive, des droits patrimoniaux découlant de lois en vigueur ayant le caractère d'un bien au sens de ces stipulations, à la condition cependant de ménager un juste équilibre entre l'atteinte portée à ces droits et les motifs d'intérêt général susceptibles de la justifier ».

Pour juger atteint ici le juste équilibre précité, le juge de cassation, comme le juge d’appel, estime que le motif avancé par la collectivité,  tiré du coût financier du mécanisme des bourses d’excellence qu’elle avait institué, ne suffisait pas à justifier l'application de la nouvelle condition de ressources à des étudiants qui s'étaient engagés dans un cursus scolaire sous l'empire du dispositif créé en 2012, lequel conduisait à prendre en charge une grande partie du coût de leurs études et de leurs frais, et qui se retrouvaient, du fait d'une disposition intervenue quatre mois seulement avant le début de l'année scolaire 2015-2016, privés de cette aide financière.

La rétroactivité de la mesure, faute, par exemple, de disposition transitoire, portait une atteinte excessive à l’espérance légitime de voir cette bourse continuer à être versée à ceux l’ayant déjà obtenue.

(2 mars 2020, Province Sud de la Nouvelle-Calédonie, n° 416833)

 

86 - Soins psychiatriques sans consentement - Contentieux - Compétence du juge judiciaire - Rejet du pourvoi.

Saisi par un requérant d’un recours dirigé contre la décision d’un directeur de CHU ayant refusé de retirer la décision prononçant son admission en soins psychiatriques sans son consentement, le Conseil d’État avait renvoyé au Tribunal des conflits le soin de déterminer l’ordre de juridiction compétent pour en connaître.

Le Tribunal a jugé (9 décembre 2019, M. H.-D. c/ Centre hospitalier universitaire de Toulouse, n° 4174) que depuis l'entrée en vigueur des dispositions des articles L. 3211-12, L. 3211-12-1 et L. 3216-1 du code de la santé publique issues de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, la juridiction judiciaire est seule compétente pour apprécier non seulement le bien-fondé mais également la régularité d'une mesure d'admission en soins psychiatriques sans consentement et les conséquences qui peuvent en résulter. Le Conseil d’État, confirmant la solution retenue par les juges du fond, en déduit que toute action relative à une telle mesure devant être portée devant la juridiction judiciaire, celle-ci est seule compétente en l’espèce, d’où le rejet du pourvoi.

(4 mars 2020, M. X., n° 428518)

 

87 - Traitements de données à caractère personnel - Fichier des personnes en soins psychiatriques sans consentement - Fichier destiné à prévenir les radicalisations à caractère terroriste - Mise en relation de deux traitements ayant, à son tour, la nature d’un traitement - Fichier intéressant la sûreté de l’État - Fichier ne relevant pas des dispositions de la directive dite RGDP - Rejet.

(27 mars 2020, Association Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie (CRPA), n° 431350 ; Ligue des droits de l’homme (LDH), n° 431530 ; MGEN Action Sanitaire et Sociale (MGEN ASS), n° 432306 ; Association Avocats, droits et psychiatrie, n° 432329 ; Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM), n° 432378) V. n° 12

 

 

88 - Étranger - Statut de réfugié - Abrogation - Champ d’application du c) du F de l’art. 1er de la Convention Genève du 28 juillet 1951 - Exclusions - Actes terroristes - Rejet.

Un Sri-Lankais s’étant vu refuser par l’OFPRA le maintien de la reconnaissance de sa qualité de réfugié, conteste cette décision devant la Cour nationale du droit d’asile et, ayant été débouté, se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État relève en premier lieu qu’aux termes du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative aux réfugiés, les dispositions de cette Convention ne sont pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser « qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ». Il relève ensuite que l’article L. 711-4, al. 2 du CESEDA dispose que l'OFPRA peut « mettre fin à tout moment, de sa propre initiative ou à la demande de l'autorité administrative, au statut de réfugié lorsque : (.../...) 3° Le réfugié doit, compte tenu de circonstances intervenues après la reconnaissance de cette qualité, en être exclu en application des sections D, E ou F de l'article 1er de la convention de Genève, du 28 juillet 1951 ». L'application de cette clause d'exclusion n’est nullement subordonnée à l'existence d'un danger actuel pour l'État d'accueil.

Il énonce alors que « Les actes terroristes ayant une ampleur internationale en termes de gravité, d'impact international et d'implications pour la paix et la sécurité internationales peuvent être assimilés à des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies au sens du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève. Il en va ainsi des actions de soutien à une organisation qui commet, prépare ou incite à la commission de tels actes, notamment en participant de manière significative à son financement ».

Le requérant, par un jugement définitif du tribunal correctionnel de Paris, a été reconnu coupable et condamné à une peine de quatre années d'emprisonnement pour  « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, financement d'entreprise terroriste et extorsions par la violence, menace ou contrainte de signature, promesse, secret, fonds, valeur ou bien » du fait de sa fonction de collecteur de fonds pour  le comité de coordination Tamoul France (CCTF), association dissoute pour « association de malfaiteurs et extorsion en relation avec une entreprise terroriste et financement d'une entreprise terroriste » en raison de ses liens avec le mouvement sri-lankais des Tigres Libérateurs de l'Eelam Tamoul (LTTE).

Par suite, la décision de l’OFPRA de priver le requérant de sa qualité de réfugié est régulière, d’où le rejet du recours dirigé contre celle-ci et cela alors même que le requérant avait purgé la peine d'emprisonnement à laquelle il avait été condamné et qu'il ne représentait aucune menace pour l'ordre public, ces circonstances ne pouvant faire obstacle à l'application à son endroit de la clause d'exclusion prévue par le c) du F de l'article 1er de la convention de Genève précitée.

(13 mars 2020, M. X., n° 423579)

 

89 - Étrangers - Reconnaissance de la qualité de réfugié - Conditions - Absence en l’espèce - Cassation et renvoi devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).

L’OFPRA demandait la cassation d’une décision de la CNDA ayant reconnu la qualité de réfugiées à deux enfants mineures à la demande de leur mère.

Le Conseil d’État accueille le pourvoi.

Il rappelle d’abord, qu’en vertu des dispositions du A, 2° de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et du protocole signé à New-York le 31 janvier 1967, une personne, pour prétendre à la qualité de réfugié, doit être regardée comme privée de la protection d'un pays dont elle a la nationalité car elle est contrainte de renoncer à se prévaloir de cette protection pour une raison valable fondée sur une crainte justifiée de persécution.

Il note ensuite que la CNDA, en accordant la qualité de réfugiées aux deux filles présentées par leur mère, a commis une erreur de droit car elle s'est fondée sur le fait que, bien que possédant la nationalité canadienne, pays à l'égard duquel elles ne faisaient état d'aucune crainte, elles ne pouvaient pas se prévaloir de la protection de ce pays en raison de ce que leur mère, qui n'a pas la nationalité canadienne, n'avait pas « vocation à retourner » dans ce pays. La Cour aurait dû rechercher, préalablement, s'il était établi que cette dernière n'était pas en mesure d'y séjourner.

(13 mars 2020, OFPRA, n° 426701)

 

Police

 

90 - Police des eaux - Autorisation d’exploitation d’une centrale hydraulique - Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) - Schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) - SAGE approuvés ou en cours d’élaboration à la date de promulgation de la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques - Compatibilité du SAGE (et du plan d'aménagement et de gestion durable de la ressource en eau et des milieux aquatiques (PAGD) qu’il comporte)  par rapport au SDAGE - Portée - Cassation pour erreur de droit et renvoi.

La  fédération départementale de pêche et de protection du milieu aquatique de l'Isère et l'association agréée de pêche et de protection du milieu aquatique du Valbonnais « La Truite de La Bonne » ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 6 mai 2013 du préfet de l'Isère portant règlement d'eau relatif à l'exploitation, pour une durée de trente-cinq ans, de l'énergie de la rivière La Bonne au profit d'un aménagement hydroélectrique sur cette rivière à Valjouffrey, au bénéfice de la société Valhydrau. Si en première instance leur demande a été rejetée, elle a, en revanche, été positivement accueillie en cause d’appel et l’arrêté préfectoral y a été annulé.

Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi de la société bénéficiaire de l’arrêté litigieux, casse l’arrêt d’appel.

Deux questions de droit devaient être tranchées.

 

I. La première question était relative à la difficulté soulevée par l’absence de règlement dans un SAGE régi par la loi de 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques et, par suite, à l’applicabilité d’un tel SAGE après l’entrée en vigueur de la loi de 2006 précitée.

Il faut rappeler ici que, pour chaque bassin ou groupement de bassins, l'art. L. 212-1 du code de l'environnement prévoit l’institution d’un schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) qui :

1°/ fixe des objectifs de qualité et de quantité des eaux ainsi que les orientations permettant d'assurer une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ;

2°/ détermine à cette fin les aménagements et les dispositions nécessaires.

Ce document peut être complété, si besoin est, pour un périmètre géographique donné, par un schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) qui doit être compatible avec le SAGE et qui comporte obligatoirement un plan d'aménagement et de gestion durable de la ressource en eau et des milieux aquatiques (PAGD) ainsi qu’un règlement, qui peut prévoir les obligations définies au II de cet article de l’art. L. 212-5-1 du code e l’environnement.

 Si le XI de l'art. L. 212-1 et de l'art. L. 212-5-2 c. env., impose que les décisions administratives prises dans le domaine de l'eau doivent être compatibles avec le SDAGE et avec le PAGD du SAGE, en revanche, les décisions administratives prises au titre de la police de l'eau sur le fondement des articles L. 214-1 et suivants du même code, doivent être conformes au règlement du SAGE et à ses documents cartographiques, dès lors que les installations, ouvrages, travaux et activités en cause sont situés sur un territoire couvert par un tel document.

C’est ici qu’intervient la difficulté signalée plus haut.

La loi de 2006 précitée dispose (cf. art. L. 212-10 c. env.) dans son I. qu’« Un projet de schéma d'aménagement et de gestion des eaux arrêté par la commission locale de l'eau à la date de publication du décret prévu à l'article L. 212-11 peut être approuvé selon la procédure prévue par les dispositions législatives et réglementaires antérieures pendant un délai de trois ans à compter de cette même date. Le schéma approuvé constitue le plan d'aménagement et de gestion durable de la ressource défini au I de l'article L. 212-5-1. » Le décret auquel se réfère cette disposition est celui du 14 août 2007.

Le II. de cet article est ainsi conçu : « Les schémas d'aménagement et de gestion des eaux approuvés à la date de promulgation de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 précitée ou en application du I du présent article sont complétés dans un délai de six ans à compter de la promulgation de ladite loi par le règlement prévu au II de l'article L. 212-5-1, approuvé selon la procédure fixée par l'article L. 212-6 ».

Interprétant cet art. L. 212-10 et en faisant l’exégèse, le Conseil d’État estime tout d’abord qu’il a pour objet de permettre que les SAGE déjà approuvés ou en cours d'élaboration lors de la promulgation de la loi du 30 décembre 2006 relèvent du régime prévu par cette loi pour les futurs SAGE. Il considère ensuite qu’il ne résulte ni des dispositions du II de l'article L. 212-10 ni d'aucune autre disposition qu'un SAGE approuvé conformément au I de cet article et constituant dès lors un PAGD cesserait d'être applicable faute d'avoir été complété, dans le délai prévu au II du même article, par l'adoption d'un règlement.

Or les pièces du dossier de cette affaire établissent que le projet de SAGE du Drac et de la Romanche a été adopté par la commission locale de l'eau le 27 mars 2007 et approuvé par un arrêté interpréfectoral du 13 août 2010, dans le délai prévu par les dispositions du I de l'article L. 212-10 c. env., mais qu’il n'a pas été complété, dans le délai prévu au II de cet article, par un règlement. Il se déduit des observations ci-dessus que ce SAGE a valeur, à compter de son entrée en vigueur, de PAGD pour les sous-bassins considérés, les décisions administratives prises dans le domaine de l'eau étant donc soumises à une obligation de compatibilité à son égard. La légalité de la décision attaquée dépendait ainsi du respect de la condition de compatibilité.

 

 II. La seconde question était relative à la notion et donc à l’appréciation de la de compatibilité. D’emblée le Conseil d’État adopte une position très différente de celle de la cour administrative d’appel. Pour lui, le juge administratif, pour apprécier cette compatibilité, doit rechercher, dans le cadre d'une analyse globale le conduisant à se placer à l'échelle du territoire pertinent pour apprécier les effets du projet sur la gestion des eaux, si l'autorisation ne contrarie pas les objectifs et les orientations fixés par le schéma, en tenant compte de leur degré de précision, sans rechercher l'adéquation de l'autorisation au regard de chaque orientation ou objectif particulier. Or c’est précisément cette dernière attitude qui avait été adoptée par la cour. En effet, pour annuler l'arrêté attaqué, elle s’était fondée, sur la seule interdiction de tout nouvel aménagement énoncée par le point 1.c. de l'objectif n° 8 du SAGE du Drac et de la Romanche. Elle a ainsi commis une erreur de droit en se fondant sur la non-adéquation de l'arrêté litigieux avec un objectif particulier du SAGE et non sur une analyse globale à l'échelle du territoire pertinent et au regard de l'ensemble des objectifs et orientations fixés par le schéma.

(11 mars 2020, Société Valhydrau, n° 422704)

 

Professions réglementées

 

91 - Médecin - Participation à un groupement de coopération sanitaire (GCS) - Refus d’autorisation par le Conseil national de l‘ordre des médecins (CNOM) - Incompétence de ce Conseil et compétence du directeur de l’autorité régionale de santé (ARS) - Rejet.

Un médecin se voit refuser par le CNOM l’autorisation d’exercer une demi-journée par semaine dans le cadre d’un groupement de coopération sanitaire (GCS) de moyens constitué entre un établissement de santé et un professionnel de santé libéral.

Le CNOM a pris cette décision en vertu des pouvoirs qu’il tient de l'article R. 4127-85 du code de la santé publique (CSP), lequel prévoit que l'ouverture, par un médecin libéral, d'un site d'exercice distinct de celui de sa résidence professionnelle habituelle, est subordonné à l'autorisation préalable de l'instance ordinale.

Toutefois, il résulte des articles L. 6133-1, L. 6133-3, L. 6133-6 et R. 6133-1 du CSP que le directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) dispose seul de la compétence pour approuver la convention constitutive d'un GCS de moyens entre un établissement de santé et un professionnel de santé libéral. Or cette convention précise notamment l'identité de ses membres ainsi que les conditions d'intervention des professionnels médicaux libéraux. Il s'ensuit que l'activité exercée dans le cadre d'un tel groupement par un médecin libéral qui en est membre n’est pas au nombre des compétences que ce code attribue aux instances ordinales.

Doit donc être confirmée l’annulation par la cour administrative d’appel d’une décision rendue incompétemment par le Conseil demandeur à la cassation.

 (2 mars 2020, Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM), n° 418219)

 

92 - Médecins - Procédure disciplinaire - Composition de la juridiction disciplinaire - Absence d’irrégularité - Cassation de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins et renvoi à celle-ci.

Commet une erreur de droit la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins qui juge irrégulière la composition de la chambre disciplinaire de première instance au motif qu'y a siégé un membre du conseil départemental de l'ordre des médecins l'ayant saisi de la plainte, alors qu'elle relevait que ce membre n'avait pas pris part à la délibération au terme de laquelle il avait été décidé de porter plainte.

(25 mars 2020, M. X., n° 415755)

 

93 - Chirurgiens-dentistes - Remboursements des soins - Tarification différente des remboursements selon que les soins sont dispensés par des praticiens conventionnés ou par des praticiens non-conventionnés - Atteinte au principe de libre choix du praticien - Atteinte à la liberté d'exercice et à la liberté contractuelle des praticiens - Non-respect du principe d’égalité - Absence - Rejet.

Les requérants, chirurgiens-dentistes, demandaient l’annulation de la décision implicite par laquelle le premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé ont rejeté leur demande tendant à l'abrogation de l'arrêté interministériel (affaires sociales, DOM-TOM, économie et finances, agriculture) du 9 mars 1966 fixant les tarifs d'honoraires des praticiens et auxiliaires médicaux applicables en l'absence de convention pour les soins dispensés aux assurés sociaux.

En bref, il était soutenu que la différence entre les taux de remboursements des soins selon qu’ils sont effectués par des praticiens conventionnés ou par des praticiens non-conventionnés étant considérable, elle portait atteinte au principe du libre choix du praticien par le patient, nécessairement dissuadé par les débours restant à sa charge, par suite, il était également porté atteinte à la liberté d’exercice des praticiens, - cet exercice ne pouvant concerner, pour eux, qu’une faible partie de la population -, comme à leur liberté contractuelle sauf à passer sous les fourches caudines de la tarification conventionnée. Enfin, l’ampleur de l’écart entre les deux taux de remboursement serait telle qu’elle constitue une violation du principe d’égalité.

Le Conseil d’État balaie (c’est à dessein qu’est employé ici ce verbe) prestement ces arguments au moyen d’une motivation classique.

L’acceptation, ou non, de participer à la convention résulte d'un choix librement exercé par le professionnel.  Dès lors que les médecins qui sont conventionnés sont soumis au respect d'un ensemble étendu d'obligations à l'égard des organismes et des assurés sociaux, ce qui n’est pas le cas pour les praticiens non conventionnés, les deux catégories ne sont pas dans une situation comparable. Semblablement, les patients qui choisissent librement de s’adresser à des praticiens hors convention le font librement et en connaissance de cause quant au remboursement.

Il n’y a donc, du fait d’une tarification différenciée très marquée des remboursements, nulle atteinte ni au principe d’égalité entre praticiens ni au principe d’égalité entre patients. Les uns et les autres sont libres de se conventionner ou de s’adresser à un praticien conventionné.

(18 mars 2020, Association CCDELI38 Support et autres, n° 424958)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

94 - Article 7 de la Charte de l’environnement - Art. L. 311-5 du code l’énergie - Exploitation d’une installation produisant de l’électricité - Information et participation du public - Absence - Renvoi au C.C.

Le Conseil d’État juge nouvelle et de caractère sérieux la question de savoir si les dispositions  de l'article L. 311-5 du code de l'énergie ne portent pas atteinte à l’art. 7 de la Charte de l’environnement - compte tenu de ce que l'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité est susceptible d'avoir une incidence directe et significative sur l'environnement, eu égard notamment au choix du mode de production d'électricité à laquelle cette décision procède -, particulièrement s’agissant  des principes d'information et de participation du public en matière environnementale garantis par cet article faute de prévoir une procédure d'information et de consultation du public, l'article L. 120-1-1 du code de l'environnement, devenu l'article L. 123-19-2 du même code, n'étant pas en vigueur à la date du litige. La question est renvoyée au Conseil constitutionnel.

(4 mars 2020, Association Force 5, n° 434742)

Responsabilité

94 bis - Responsabilité hospitalière - Erreur de diagnostic - Accident vasculaire cérébral - Perte de chance - Evaluation - Erreur de droit - Cassation.

Faisant droit à la requête de l’ONIAM tendant à l’annulation de l’arrêt que l’Office contestait, le Conseil d’Etat juge que commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui estime que l'erreur de diagnostic commise par un centre hospitalier et l'omission consécutive de prescrire de l'aspirine à la victime lui avait causé un préjudice de perte de chance de 10% d'éviter la récidive, quelques jours plus tard, de cet accident vasculaire cérébral. En effet, la cour est parvenue à ce pourcentage en se fondant sur ce que la prescription d'aspirine permet d'éviter en moyenne 65 % des récidives d'accident vasculaire cérébral et sur ce que le risque général de récidive de ce type d'accident est évalué à 15 %.

C’est donc par suite d’une erreur de droit que, sur la base de ses propres constatations, la cour n’a pas retenu que sans l’erreur de diagnostic, la récidive avait 65 % de chances de ne pas se produire.

(18 mars 2020, Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), n° 422999)

Sport

 

95 - Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) - Autorité publique indépendante - Détention d’un pouvoir disciplinaire - Pouvoir de poursuite appartenant au collège - Pouvoir de sanction appartenant à la commission des sanctions - Organisme non juridictionnel exerçant des pouvoirs juridictionnels - Conséquences - Office du juge administratif - Réformation et extension du champ d’application de la décision attaquée.

Un sportif, licencié de cyclocross, qui avait été inscrit par un préleveur agréé et assermenté de l'AFLD sur la liste des coureurs soumis à un contrôle antidopage, ne s’y est pas présenté. L'organe disciplinaire d'appel de lutte contre le dopage de la Fédération sportive et gymnique du travail a prononcé à son encontre la sanction d'interdiction de participer pendant quatre ans aux manifestations sportives organisées ou autorisées par cette fédération et a transmis le dossier à l'AFLD, notamment en vue d'étendre les effets de la sanction aux activités relevant d'autres fédérations sportives.

La commission des sanctions de l'AFLD a réformé la décision de la Fédération sportive et gymnique du travail et prononcé à l'encontre de l’intéressé une sanction d'interdiction de participer pendant quatre ans aux manifestations sportives organisées ou autorisées par cette fédération ainsi qu'à leur organisation et à leur déroulement, complétée par une sanction financière de 2 000 euros et par la publication d'un résumé de sa décision sur le site Internet de l'AFLD et sur ceux de la Fédération sportive et gymnique du travail et de la Fédération française de cyclisme.

La présidente de l'AFLD saisit le Conseil d’État d’un recours contre cette décision en tant qu'elle ne limite l'interdiction prononcée qu’aux manifestations relevant de la seule Fédération sportive et gymnique du travail.

La réponse du juge est importante sur deux points au moins qui retiendront particulièrement l’attention des juristes et des spécialistes sportifs : le statut de la commission des sanctions de l’AFLD et le sort de la sanction litigieuse.

 

I. Sur la commission des sanctions de l’AFLD

 

Tout d’abord, est rappelée l’organisation interne de l’AFLD particulièrement concernant la distinction entre le collège (qui exerce des fonctions de poursuite) et la commission des sanctions (qui exerce des fonctions de sanction). Ensuite, en raison de l’indépendance fonctionnelle dont jouit cette commission afin d’assurer son impartialité, le Conseil d’État décide que, se prononçant sur d'éventuelles sanctions « et alors même qu'elle ne constitue pas une juridiction, (elle) est investie, compte tenu de l'objet de son intervention ainsi que de sa composition et de son fonctionnement, de fonctions de jugement ». Si l’on reconnaît bien là les critères utilisés habituellement par le Conseil d’État pour détecter la nature juridictionnelle d’un organisme, on hésite devant la complication instaurée par la reconnaissance d’une fonction juridictionnelle à une entité non juridictionnelle. On a carrément vu plus simple…

Enfin, de cette qualification des décisions de la commission des sanctions, le juge tire cette conséquence qu’elle ne peut se voir reconnaître la qualité de partie dans les litiges portant sur les décisions de sanction qu'elle a prises. Tel est notamment le cas lorsque, comme en l’espèce, est en cause une requête introduite par la présidente de l'AFLD. Ceci n’empêche nullement cependant, conformément au droit commun procédural, que le juge administratif, dans le cadre de ses pouvoirs d'instruction, appelle en la cause la commission des sanctions en qualité d'observateur, ce qui la dispense alors du ministère d’avocat.

 

 

II. Sur la sanction prononcée.

 

Ce point de la décision commentée est une parfaite illustration des pouvoirs qui sont ceux du juge de la pleine juridiction.

Dans la mesure où l’objet du recours était de faire juger le caractère insuffisant de la sanction infligée en l’espèce au cycliste, le juge devait donc se prononcer sur son quantum ce qui n’est pas forcément une appréciation aisée.

Pour fonder sa décision, le juge retient ici qu’il s’agissait d’un coureur expérimenté n’ignorant ni ses obligations ni leur sanction possible en cas de non-respect et que son comportement constitue « un manquement caractérisé à l'éthique sportive et à la règlementation de la lutte contre le dopage, susceptible de compromettre la bonne tenue de l'ensemble des compétitions cyclistes ».

Il estime qu’en conséquence, après avoir relevé ces éléments, la commission des sanctions de l’AFLD ne pouvait pas limiter comme elle l’a fait la sanction infligée sans porter atteinte à l'effet utile du dispositif de lutte antidopage.

C’est pourquoi, donnant satisfaction à la demande contenue dans la requête de la présidente de l’AFLD, mais soucieux de respecter le principe de proportionnalité, il décide que s’il n'y a pas lieu d'étendre l'interdiction prononcée à l'encontre de l’intéressé aux manifestations des fédérations sportives qui n'organisent pas de compétitions de cyclisme, il y a lieu, en revanche, de l'étendre à celles qui sont organisées ou autorisées par la Fédération française de cyclisme, la Fédération française de cyclotourisme, la Fédération française de triathlon, la Fédération sportive et culturelle de France, la Fédération française du sport d'entreprise et l'Union française des œuvres laïques d'éducation physique, ainsi qu'aux entraînements y préparant, mais en en limitant la durée à celle qui reste à courir.

En outre, est ordonnée la mention de la présente décision présente décision, en sus des sites internet de l'AFLD, de la fédération sportive et gymnique du travail et de la fédération française de cyclisme, comme déjà décidé par la commission des sanctions, sur les sites internet des autres fédérations pour lesquelles l'interdiction s'applique.

(20 mars 2020, Présidente de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), n° 429427)

 

96 - Football - Championnat de France de Ligue 2 - Classement final - Relégation d’un club en National 1 - Acte non réglementaire - Absence de compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort - Renvoi au tribunal administratif.

Le club requérant demandait au Conseil d’État l’annulation pour excès de pouvoir de la décision par laquelle le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a homologué le classement final du championnat de France de Ligue 2 pour la saison 2018-2019 le reléguant en National 1.

Pour dire le recours porté à tort directement devant lui, le Conseil d’État rappelle que la décision arrêtant le classement d'une compétition sportive ne constitue pas un acte réglementaire et, par suite, n'entre pas dans le champ du 2° de l'article R. 311-1 du CJA qui confère au Conseil d’État compétence pour connaître en premier et dernier ressort : « (...) 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale ».

L’affaire est renvoyée au tribunal administratif de Paris dans le ressort duquel a son siège la Ligue auteur de la décision attaquée.

(25 mars 2020, Société AS Béziers, n° 432533)

 

Urbanisme

 

97 - Permis de construire une terrasse temporaire sur le domaine public maritime - Terrasse érigée durant six mois chaque année - Installation « liée aux pratiques balnéaires » - Commerce existant depuis plus de cinquante ans - Annulation du permis reposant sur une inexacte qualification juridique des faits - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur dans la qualification juridique des faits la cour administrative d'appel qui, pour juger irrégulier l’octroi d’un permis de construire temporaire sur le domaine public maritime délivré à une structure de restauration située sur une plage, estime que cette dernière ne devait pas être regardée comme « une installation liée aux pratiques balnéaires » au sens de l'article N 2 du règlement du PLU communal alors qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le restaurant de plage exploité par la société requérante participe depuis plus de cinquante ans à l'animation de la plage sur laquelle il est implanté.

Il faut saluer le triomphe, ici, du bon sens et de l’équité.

 (2 mars 2020, SARL Resto Plage, n° 411056)

 

98 - Permis de construire - Loi littoral - Urbanisation des espaces proches du rivage - Caractère limité de l’urbanisation - Application des dispositions du PLU - Existence d’un SCoT - Effets - Rejet.

Dans un litige portant sur l’octroi d’un permis de construire 352 logements dans une zone boisée proche du littoral, se posait la question de savoir quelle incidence avait sur ce permis l’existence d’un schéma de cohérence territoriale (SCoT).

Le Conseil d’État rappelle le principe issu de ce qu’étaient alors  les dispositions combinées  du II de l'article L. 146-4 et du I de l'article L. 111-1-1 du code de l'urbanisme, dont la  substance est désormais reprise, respectivement, aux articles L. 121-13 et L. 131-1 de ce code : une opération conduisant à étendre l'urbanisation d'un espace proche du rivage ne peut être légalement autorisée que si elle est, d'une part, de caractère limité, et, d'autre part, justifiée et motivée dans le plan local d'urbanisme (PLU) selon les critères retenus par les dispositions précitées.

Dans le cas où existe un SCoT ou quelque autre des schémas figurant au II de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, le caractère limité de l'urbanisation qui résulte de  l’opération envisagée  s'apprécie en tenant compte des dispositions de ce schéma lorsqu’ il comporte des dispositions qui, à la fois, sont suffisamment précises et compatibles avec les dispositions législatives précitées et précisent les conditions de l'extension de l'urbanisation dans l'espace proche du rivage dans lequel l'opération est envisagée.

(11 mars 2020, Confédération Environnement Méditerranée, n° 419861 ; Comité de défense des intérêts locaux de Balaguier, Le Manteau, L'Eguillette, n° 419862, jonction) V. aussi au n° 21

 

99 - Permis de construire - Participation du pétitionnaire d’un permis de construire pour non-réalisation d’aires de stationnement - Nature juridique de cette participation - Obligation en résultant pour la commune - Preuve de la satisfaction de l’obligation par la commune - Cassation avec renvoi.

Le code de l’urbanisme prévoit que le pétitionnaire d’un permis de construire a l’obligation de réaliser des aires de stationnement en rapport avec les besoins de stationnement qui vont résulter de la construction qu’il entend édifier. Lorsqu’il ne peut réaliser lui-même ces aires il doit verser à la commune une participation selon le barème fixé par le conseil municipal (art. L. 421-3 c. urb.) sous un plafond légal variant chaque année le 1er novembre en fonction de l’indice INSEE de la construction.

Il est fait obligation à la commune d’affecter les sommes ainsi obtenues à la réalisation, dans les cinq ans, d’un parc public de stationnement. A défaut, peut être demandée la restitution de la participation assortie des intérêts ayant couru depuis son versement.

C’est ce qui est arrivé en l’espèce et a donné lieu au litige objet de la présente décision, s’agissant de déterminer le régime de la preuve par la commune de l’affectation effective de chacune des participations reçues à la réalisation du parc de stationnement.

La cour administrative d’appel avait estimé que, faute qu'elle ait été précisément retracée dans les documents budgétaires de la commune, cette dernière ne rapportait pas la preuve, qui lui incombait, de l’affectation de la participation versée. Elle a, en conséquence, ordonné à la commune sa restitution.

Pour casser cet arrêt, sur pourvoi de la commune, le Conseil d’État - après avoir rappelé que « la participation pour non-réalisation d'aires de stationnement doit être regardée, non comme une imposition, mais comme une participation que la loi (…) autorise la commune à percevoir sur le bénéficiaire du permis de construire à raison des équipements publics dont la réalisation est rendue nécessaire par la construction » - a jugé que si cette preuve d’affectation des sommes versées doit être en principe établie par les documents budgétaires de la commune, dans le respect du cadre budgétaire et comptable applicable, « la commune peut cependant en justifier par tout moyen ».

L’arrêt déféré est donc cassé pour erreur de droit.

(11 mars 2020, Commune d’Arpajon, n° 421445)

 

100 - Urbanisme commercial - Avis de la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) - Nature juridique - Acte préparatoire - Acte insusceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir - Recours irrecevable - Rejet.

Si les actes de la CNAC en matière de permis de construire d’une installation commerciale ont longtemps eu le caractère de décisions, il résulte désormais depuis l’entrée en vigueur, le 15 février 2015, de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme, qu’ils ne constituent plus que des avis. Ils ont donc le caractère d'un acte préparatoire à la décision prise par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale. Seule cette dernière décision - de caractère explicite ou implicite selon les cas - est susceptible de recours contentieux sans qu’il y ait lieu de s’arrêter au point de savoir si l'avis de la CNAC a été favorable ou défavorable au projet.

C’est donc sans erreur de droit qu’en l’espèce il a été jugé par la cour administrative d’appel que la requête formée par la demanderesse contre l'avis défavorable de la CNAC était dirigée contre un acte insusceptible de faire l'objet d'un recours et donc qu’elle était manifestement irrecevable. 

(25 mars 2020, Société « Le Parc du Béarn », n° 409675 ; v. cependant la solution retenue durant la période transitoire précédant l’application des nouvelles dispositions, par la décision du 25 mars 2020, Société Guignard Promotion, n° 416731, dans les deux cas où 1°) la décision prise sur la demande de permis de construire est intervenue avant le 15 février 2015 et où 2°) la commission départementale d'aménagement commercial ayant été saisie d'une demande d'autorisation d'aménagement commercial avant le 15 février 2015, l'autorité administrative n'a pas encore été saisie d'une demande de permis de construire à la date à laquelle la CNAC s'est prononcée défavorablement sur le projet.  

Dans ces deux hypothèses, seul l'acte par lequel la CNAC s'est prononcée défavorablement peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif en tant qu'acte valant refus d'autorisation commerciale. Dans ces cas, et par exception à la règle nouvelle entrée en vigueur le 15 février 2015, le permis de construire ne peut corrélativement faire l'objet d'un recours qu'en tant qu'il vaut autorisation de construire.)

 

101 - Permis de construire - Projet portant atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants (art. R. 111-27 c. urb.) - Projet n’affectant que l’ensoleillement - Inapplicabilité de l’art. R. 111-27 c. urb. - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Le permis de construire un immeuble de 39 logements est annulé par un tribunal administratif pour violation des dispositions de l’art. R. 111-27 c. urb. car son implantation aurait pour conséquence, en raison d'une baisse de l'ensoleillement, d'altérer les conditions de fonctionnement d’après les principes architecturaux dits bioclimatiques selon lesquelles elle a été réalisée en 1987, d'une maison implantée à proximité.

Relevant que cet article permet éventuellement de prohiber ou de n’accorder que sous réserve de prescriptions particulières les permis portant sur des projets permettant d’édifier des « constructions (qui), par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales. »,  le Conseil d’État juge à raison  que le tribunal  a commis une erreur de droit sur le sens et la portée de ce texte.

Toutefois, cette décision doit attirer l’attention sur le régime juridique des atteintes à l’ensoleillement. Celles-ci ne sont guère sanctionnées par les juges lorsqu’elles sont invoquées. Le développement de préoccupations d’économies d’énergie dans la conception et la construction nouvelles des immeubles, fondées précisément sur la captation au mieux de l’ensoleillement, devraient conduire à des modifications de la jurisprudence. En ce cas, en effet, le régime d’ensoleillement s’incorpore si substantiellement à l’édifice qu’il ne peut plus être traité comme un simple élément de confort, d’esthétique ou d’agrément mais participe à la fonctionnalité même de l’ouvrage. De plus, lorsque de tels édifices ont été construits avec l’apport de subventions en relation avec ces préoccupations d’ensoleillement, la diminution significative de celui-ci au regard des objectifs initialement poursuivis est de nature à engager la responsabilité du concepteur, du constructeur et du propriétaire de l’immeuble « occultant ».

(13 mars 2020, Société Cogédim Grand Lyon, n° 427408)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Février 2020

Février 2020

 

Actes et décisions  - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Agrément de transport sanitaire - Retrait - Compétence liée du directeur de l’agence régionale de santé (ARS) - Absence - Obligation de motivation et d’appliquer le principe du respect des droits de la défense - Cassation partielle avec renvoi.

La société demanderesse contestait la légalité des décisions du directeur général de l’ARS par lesquelles il a, d’une part, retiré définitivement son agrément de transport sanitaire et, d’autre part, abrogé l'autorisation de mise en service d’un véhicule sanitaire léger déterminé. Son action contentieuse ayant été rejetée en première instance et en appel, la société se pourvoit en cassation et obtient partiellement gain de cause.

Tout d’abord, ainsi que cela avait été jugé par la cour administrative d’appel, le directeur général de l’ARS était dans l'obligation de mettre fin à l’agrément dès lors que la société ne disposait plus du nombre de véhicules à partir duquel l’attribution de cet agrément est subordonnée.

Ensuite, est relevée l’erreur de droit de la cour en ce qu’elle a estimé que le directeur de l’ARS était en situation de compétence liée. Pour le Conseil d’Etat, il ne s’est pas livré à un simple constat pour prendre les mesures contestées et, par suite, les autres arguments de la demanderesse ne pouvaient pas être rejetés pour inopérance.

Enfin, parce que l’agrément de transport sanitaire est un acte individuel créateur de droits, son retrait ou abrogation doit être motivé et ne peut être décidé qu’après que son titulaire a été mis à même de présenter ses observations.

(5 février 2020, Sarl Taxis Hurié, n° 426225)

 

2 - Décision du ministre de l’intérieur - Décision majorant la dotation pour émission de titres sécurisés accordée aux communes dotées d’un dispositif de recueil des empreintes digitales - Décision de nature réglementaire - Décision ne comportant pas un transfert de compétences - Existence d’un intérêt pour agir d’une commune - Rejet.

Le ministre de l'intérieur a décidé une majoration annuelle de la dotation versée pour l’émission des titres sécurisés aux communes équipées d'un dispositif de recueil des empreintes digitales.

Il ne s’agit pas là d’une compétence transférée aux communes par l’État ; elle ne peut donc donner lieu à la compensation prévue en cas de transfert de compétences par l’art. 72-2 de la Constitution.

Toutefois, cette décision que le ministre n'était pas tenu de prendre et qui revêt un caractère réglementaire, ne saurait être regardée ni comme une mesure purement gracieuse qui, pour ce motif, serait insusceptible de recours, ni comme une mesure favorable à la commune requérante : celle-ci peut donc se prévaloir d'un intérêt lui donnant qualité à en demander l'annulation.

(24 février 2020, Commune de Paimpol, n° 425034)

 

3 - Compétence du Conseil d’État en premier ressort - Actes réglementaires des ministres - Offices notariaux - Déclaration de vacance d’un office - Absence de caractère réglementaire - Renvoi au tribunal administratif de Paris.

(12 février 2020, M. X., n° 418880) V. n° 31

 

4 - Théorie de la formalité impossible - Personnel des menses épiscopales en Alsace-Moselle - Agent non titulaire de l’État - Licenciement - Application fluctuante du décret du 17 janvier 1986 - Mense épiscopale de Metz - Établissement public du culte - Établissement public administratif de l’État - Exercice du pouvoir disciplinaire selon le régime de ce décret - Absence légitime en l’espèce de commission consultative paritaire - Cassation avec renvoi.

(28 février 2020, M. X., n° 428441) V. n° 89

 

5 - Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) - Avis de la CADA - Acte ne faisant pas grief - Refus de la CADA de rétracter ou d’annuler un avis rendu par elle - Acte ne faisant pas grief - Recours pour excès de pouvoir irrecevable - Rejet.

Si toute personne à qui a été refusée la communication d’un document administratif ne peut demander au juge l’annulation de ce refus qu’après avoir saisi la CADA pour avis sur la communicabilité dudit document et si l’absence de saisine de la CADA rend le recours irrecevable, en revanche, l’avis de la CADA n’a pas la nature d’un acte faisant grief ni non plus le refus de le rétracter ou de l’annuler.

Le recours au juge ne peut être fondé que sur la décision de l’administration refusant - quel qu’ait été le sens de l’avis de la CADA - la communication sollicitée.

Il suit de là que sont irrecevables les recours formés contre un avis de la CADA ou contre le refus de le rétracter ou de le modifier.

(12 février 2020, M. X., n° 430825)

 

6 - Délégation de signature - Délégation d’un président de conseil départemental à un directeur général des services du département - Étendue de la délégation - Gestion des agents - Absence de mention expresse d’une délégation du pouvoir disciplinaire - Illégalité de la sanction - Rejet.

(24 février 2020, Département de la Manche, n° 422482) V. n° 91

 

7 - Exécution des lois - Obligation pour le premier ministre de prendre les mesures réglementaires prévues par une loi ou par un règlement pris en exécution d’une loi - Loi impérative - Absence de libre appréciation par le premier ministre - Annulation et injonction d’agir sous deux mois.

Étaient demandés, d’une part, l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le premier ministre a rejeté la demande de la requérante tendant à ce que soit adopté le décret particulier fixant les conditions d'intégration des agents affectés au secrétariat de l'officier du ministère public près le tribunal de police, prévu par le décret n° 88-599 du 3 mai 1988 et, d’autre part, le prononcé d’une injonction ordonnant au premier ministre d’adopter ledit décret.

Le Conseil d’État constate que l'article 87 de la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État, entré en vigueur le 1er janvier 1986, a, entre autres, fait l’objet du décret d’application susmentionné. Toutefois, le dernier alinéa de son art. 8 a précisé, s’agissant de l'intégration des agents affectés au secrétariat de l'officier du ministère public près le tribunal de police, que « leurs conditions d'intégration seront fixées par un décret particulier ».

Cette dernière disposition est impérative car elle ne laisse aucune marge de manœuvre au premier ministre lequel a l’obligation de prendre le décret ainsi prévu. À l’évidence, l’abstention de prendre ces dispositions réglementaires s'est prolongée très largement au-delà du délai raisonnable dans lequel elles auraient dû être prises. Le refus du premier ministre est entaché d'illégalité et il est donc annulé. Injonction lui est faite d’édicter le décret nécessaire sous deux mois.

(13 février 2020, Mme X., n° 415509)

 

8 - Fonction publique - Nouvelle bonification indiciaire (NBI) - Attribution - Conditions - Suppression - Conditions - Suppression rétroactive - Illégalité pour violation du principe de non-rétroactivité des actes administratifs réglementaires - Annulation.

(10 février 2020, M. X., n° 424245) V. n° 103

 

9 - Avis contentieux (art. L. 113-1 CJA) - Réparation des préjudices résultant d’infections nosocomiales - Application de la prescription décennale (art. L. 1142-28 code de la santé publique, CSP) ou de la prescription quadriennale (loi du 31 décembre 1968) - Silence de la loi - Recours aux travaux préparatoires de la loi du 26 janvier 2016 - Effet de la saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux sur le délai de prescription -  Effet des différentes hypothèses de solution.

(Avis, 12 février 2020, Mme X. et autres, n° 435498) V. n° 134

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

10 - Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) - Décision d’interdiction faite à TF1 d’offres publicitaires couplées entre TF1 et LCI - Même décision d’offres couplées à l’égard de LCI - Interdiction faite à TF1 de promouvoir les programmes de LCI et de diffuser des messages publicitaires en leur faveur - Décision de ne pas reconduire ces interdictions - Pouvoirs du CSA et étendue du contrôle du juge de plein contentieux sur ces décisions - Rejet.

Les sociétés requérantes reprochaient au CSA d’avoir décidé de ne pas reconduire après le 31 août 2018, d'une part, les interdictions de couplage dans la vente d'espaces publicitaires dont était assortie la délivrance de l'agrément à LCI et, d'autre part, l'interdiction de promotion croisée des programmes de LCI sur le service TF1.

Cette décision est un bon exemple de la finesse de l’analyse du juge pour examiner la régularité - contestée - du contenu de la décision prise qui revêt une grande importance économique tant pour ses destinataires directs que pour leurs concurrents.

En l’espèce, le juge se laisse convaincre du bien-fondé des décisions du CSA.

D’abord, le service TF1, qui constitue l'élément le plus attractif dans le cadre d'une offre publicitaire groupée, a connu depuis plusieurs années une érosion sensible de sa part de marché, qui s'est poursuivie entre 2015 et 2017, alors que celle de son premier concurrent, le groupe Métropole Télévision (M6), s'est maintenue sensiblement au même niveau.

Ensuite, si la part d'audience du service LCI a progressé à la suite de la modification des modalités de son financement, cette progression est restée modeste et s'est interrompue en 2018 et l'équilibre économique du service s'est détérioré dans la mesure où les recettes publicitaires perçues n'ont pas compensé les pertes consécutives au changement de modalités de financement. À l'inverse, le service BFM TV et, dans une moindre mesure, le service L'Équipe, principaux concurrents de LCI, ont enregistré une croissance sensible de leur chiffre d'affaires et une amélioration de leur résultat net.

Enfin, les parts d'audience que le service TF1 est susceptible de réaliser à compter du 31 août 2018 du fait d’une liberté retrouvée, notamment à l'occasion d'événements sportifs importants, ne sont pas comparables aux pics d'audience liés à la diffusion des matchs de la Coupe du monde de football de 2018. Par ailleurs, si, au-delà du 31 août 2018 et donc au-delà de cet événement, LCI est susceptible de retirer un avantage de la promotion de ses programmes par le service TF1, plusieurs services concurrents, dont BFM TV, sont exploités au sein de groupes qui peuvent recourir à la promotion croisée à l'occasion de programmes recueillant une forte audience et sont, ainsi, susceptibles de faire bénéficier leur chaîne d'information d'un avantage comparable.

Au reste, le juge relève qu’il ne résulte pas de l'instruction que la promotion pratiquée par TF1 au profit du service LCI aurait un impact majeur et durable sur l'audience de ce dernier service.

Il s’ensuit que les décisions querellées du CSA ne reposent pas sur une erreur d’appréciation et sont donc justifiées.

D’où le rejet des recours dirigés contre elles.

(5 février 2020, Société BFM TV et société NextRadioTV, n° 421203)

 

11 - Agent de la RATP - Demande de communication de bulletins de pointage et de paye - Communication partielle - Saisine de la CNIL par une plainte - Diligences satisfaisantes de la CNIL en l’état des documents sollicités - Rejet.

Le demandeur, qui avait saisi la CNIL d’une plainte dirigée contre son employeur, la RATP, du fait de difficultés rencontrées pour en obtenir la communication de bulletins de paye ainsi que de bulletins de pointage, demande au Conseil d’État d’annuler la décision de cette dernière de clôturer sa plainte.

Rappelant une solution appliquée également devant la CADA, le juge estime qu’il ne saurait être reproché à un organisme de service public la non-communication de pièces qu’il ne possède plus ou dont la communication est demandée après l’expiration du délai fixé pour leur conservation.

(12 février 2020, M. X., n° 434473)

 

12 - Autorisation d’émettre - Renouvellement - Renouvellement hors appel aux candidatures - Cas de « Radio Courtoisie » - Rejet en raison d’une sanction prononcée antérieurement - Modification notable de la ligne éditoriale de la station de radio - Rejet illégal - Annulation.

L'article 29 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication prévoit que l'usage des fréquences pour la diffusion de services de radio par voie hertzienne terrestre en mode analogique est autorisé par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Cette autorisation est accordée pour cinq années et peut être renouvelée - hors appel aux candidatures - deux fois, chacune pour la même durée sauf en cas de sanction justifiant le refus de renouvellement.

Le CSA s’était fondé sur ce que l’association avait été sanctionnée en octobre 2017 pour des propos à connotation raciste, xénophobe et incitant à la discrimination envers les personnes à raison de leur religion, tenus à plusieurs reprises à l’antenne par son président ou par ses invités dans son émission.

Le Conseil d’Etat annule cette sanction au motif que la ligne éditoriale de « Radio Courtoisie » a été largement modifiée et le président mis à l’écart de l’antenne, attestant la prise en compte de la sanction infligée.

En conséquence, il est décidé que « si, au terme de l'instruction de la demande de l'association, le comité territorial de l'audiovisuel accepte de recourir à la reconduction hors appel aux candidatures et que soit aucune révision de la convention n'est demandée, soit un accord est trouvé sur sa révision dans un délai de six mois, l'autorisation (doit être) reconduite pour une durée de cinq ans intégrant les périodes pendant lesquelles l'association aura effectivement émis sous couvert d'autorisations provisoires. Dans le cas où une révision de la convention est demandée mais qu'aucun accord n'est trouvé dans les six mois, les autorisations provisoires délivrées à l'association doivent cesser de produire effet au terme de six mois supplémentaires ».

 (5 février 2020, Association Comité de défense des auditeurs de Radio Solidarité (CDARS), n° 425747)

 

Biens

 

13 - Domaine public - Gestion par un tiers concessionnaire d’un réseau public situé sur le domaine public - Compétence, dans le silence des textes et de la convention, pour autoriser l’occupation de ce réseau, pour fixer et percevoir les redevances - Exclusion du concessionnaire - Compétence du propriétaire du domaine - Cassation avec renvoi.

Rappel du principe selon lequel le contrat de concession délégant à un tiers la gestion du service public exploité au moyen d'un réseau public relevant du domaine public n’a pas pour effet, dans le silence de la convention sur ce point, de transférer au concessionnaire la compétence pour autoriser l'occupation de ce réseau par les exploitants de réseaux ouverts au public, ainsi que pour fixer et percevoir les redevances correspondantes.

C’était le cas en l’espèce où ni les articles L. 45-9 et L. 47-1 du code des postes et communications électroniques, ni aucun autre texte, ni la convention n’ont prévu un tel transfert de compétence.

En jugeant le contraire la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

(24 février 2020, Département des Hauts-de-Seine, n° 427280)

 

14 - Droit de propriété - Atteinte - Emprise irrégulière - Ouvrage public mal planté - Déplacement ordonné en première instance - Régularisation jugée possible en appel du fait qu’une expropriation pourrait être envisagée - Cassation avec renvoi.

Alors que les premiers juges avaient estimé irrégulière l’implantation d’un transformateur électrique de la société ENEDIS sur le terrain des requérants et ordonné son déplacement hors de celui-ci, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement  motif pris de ce qu'une régularisation appropriée était possible, dès lors que la société ENEDIS pouvait, compte tenu de l'intérêt général qui s'attachait à cet ouvrage, le faire déclarer d'utilité publique et obtenir ainsi la propriété de son terrain d'assiette par voie d'expropriation.

Ce raisonnement est, à bon droit, cassé car, juge le Conseil d’État, « En se bornant à déduire l'existence d'une telle possibilité de régularisation de l'intérêt général qui s'attache à l'ouvrage public en cause, sans rechercher si une procédure d'expropriation avait été envisagée et était susceptible d'aboutir, la cour a commis une erreur de droit ».

Il faut saluer une solution qui tient compte du caractère de liberté fondamentale qui est celle du droit de propriété auquel il ne saurait être porté des atteintes que validerait a posteriori une sorte de prétérition procédurale.

(28 février 2020, M. et Mme X., n° 425643)

 

Collectivités territoriales

15 - Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) - Traitement et valorisation des déchets - Retrait d’une compétence transférée à un EPCI - Retour à chaque commune membre de la compétence antérieurement transférée - Transfert de tous les contrats conclus dans le cadre ou pour l’exercice de cette compétence - Suspension en référé de la décision refusant l’exécution des contrats transférés - Annulation de l’ordonnance en sens contraire.

Rappel d’une jurisprudence bien établie mais appliquée ici à une configuration particulière : il résulte des dispositions de l'art. L. 5211-25-1, al. 4, du CGCT, qu’en cas de retrait d’une compétence transférée à un EPCI, ses communes membres se trouvent de plein droit substituées à l'établissement pour l'ensemble des contrats en cours, quelle que soit leur nature, conclus par cet établissement pour l'exercice de cette compétence. En effet, contrairement à ce qui était soutenu en défense, le Conseil d’État estime que le dernier alinéa de cet article doit être lu indépendamment de ceux qui précèdent.

Par ailleurs, il est jugé qu’un EPCI est recevable à contester le refus par un autre EPCI ou une collectivité territoriale de tirer les conséquences de la substitution qui résulte de l’art. L. 5211-25-1 précité.

Réglant l’affaire au fond, le juge des référés du Conseil d’État annule l’ordonnance du premier juge et la suspension de l’exécution de la décision par laquelle le président de la communauté d'agglomération a rejeté la demande du syndicat mixte requérant tendant à ce qu'elle exécute les contrats dans lesquels elle s'est substituée à lui, pour le compte des communes de l'ancienne communauté de communes.

L’ordonnance comportant à l’endroit de la demanderesse un certain nombre d’injonctions à bref délai, assorties de sanctions financières sérieuses, son auteur en décide la communication à la section du rapport et des études du Conseil d’État.

(Ord. réf. 5 février 2020, Syndicat mixte de traitement et de valorisation des déchets du pays de Caux (SMITVAD), n° 433308 ; v. aussi, du même jour avec même demandeur et même solution sur un différend voisin, le n° 433314)

 

16 - Fonctionnaire territorial - Agent de catégorie A - Détachement dans un emploi fonctionnel - Condition - Retrait du détachement et réintégration de l’agent dans son corps - Détachement irrégulier - Application de la jurisprudence Danthony - Erreur de droit - Annulation de l’ordonnance.

(Ord. réf. 7 février 2020, Mme X. c/ commune de Bussy-Saint-Georges, n° 428625) V. n° 105

 

17 - Communautés de communes - Plan local d’urbanisme (PLU) - Règles de compétence applicables pour l’élaboration d’un PLU entamée avant le transfert de cette compétence à la communauté de communes - Régime applicable du fait de la loi du 24 mars 2014 - Cassation avec renvoi.

Le préfet du Nord a créé, par arrêté du 30 mai 2013, à compter du 31 décembre 2013, la communauté de communes de Flandre intérieure, résultant de la fusion de six établissements publics de coopération intercommunale, un syndicat à vocation unique et trois communes isolées dont celle d'Hazebrouck.

Cet arrêté, parmi les compétences obligatoires transférées au nouvel établissement, ne prévoit l'exercice de la compétence en matière de PLU intercommunal que pour les deux communautés de communes préexistantes de l'Houtland et des Monts de Flandre-Plaine de la Lys.

Par un nouvel arrêté, du 11 décembre 2015, entré en vigueur le 1er janvier 2016, le préfet du Nord procède, après avoir constaté que les membres de la communauté de communes de Flandre intérieure ont défini l'intérêt communautaire attaché aux compétences exercées par la communauté de communes de Flandre intérieure et décidé de lui transférer les compétences afférentes, à l'élargissement du périmètre des compétences de cette communauté de communes. Celle-ci exerce désormais, au titre des compétences obligatoires, la compétence en matière de plan local d'urbanisme intercommunal.

Le Conseil d’État décide, s’appuyant sur la combinaison des dispositions de l’art. 5214-16 CGCT et de celles des II à IV de l’art. 136 de la loi précitée de 2014, que  dans l'hypothèse où une commune, membre d’une communauté de communes, a déjà engagé une procédure d'élaboration de son plan local d'urbanisme avant le transfert de cette compétence à la communauté de communes, cette dernière peut décider de poursuivre cette procédure, sur son périmètre initial, une fois devenue compétente et en accord avec la commune concernée. Il décide également que si, à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 24 mars 2014, la compétence en matière de plan local d'urbanisme pour la conduite d'actions d'intérêt communautaire devient une compétence obligatoire des communautés de communes, les communautés de communes préexistantes qui n'étaient pas compétentes en matière de plan local d'urbanisme avant l'entrée en vigueur de cette loi ne le deviennent qu'à l'issue d'un délai de trois ans et sauf opposition d'au moins 25 % des communes représentant au moins 20 % de la population.

Appliqués dans la présente affaire ces principes conduisent à juger qu'avant le 1er janvier 2016, la communauté de communes de Flandre intérieure n'était pas compétente pour délibérer sur le PLU de la commune d'Hazebrouck. La cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant que la compétence en matière d'élaboration du PLU exercée par la commune d'Hazebrouck avait été transférée par l'arrêté préfectoral du 30 mai 2013 à la communauté de communes de Flandre intérieure et que, pour ce motif, cette dernière était compétente pour approuver, par la délibération contestée du 30 septembre 2014, le plan local d'urbanisme de cette commune.

(12 février 2020, M. et Mme X. et autre, n° 419439)

 

18 - Décision du ministre de l’intérieur - Décision majorant la dotation pour émission de titres sécurisés accordée aux communes dotées d’un dispositif de recueil des empreintes digitales - Décision de nature réglementaire - Décision ne comportant pas un transfert de compétences - Existence d’un intérêt pour agir d’une commune - Rejet.

(24 février 2020, Commune de Paimpol, n° 425034) V. n° 2

 

Contentieux administratif

 

19 - Référé suspension - Personnels enseignants relevant du ministère de l’agriculture - Demandes de mutation - Liste des postes offerts à la mobilité - Liste ne comportant pas tous les postes à pourvoir - Portée limitée des effets d’une procédure jugée « peu convaincante » - Caractère insuffisamment grave et immédiat de l’atteinte portée aux intérêts en cause - Rejet.

Le syndicat requérant demandait en référé la suspension de l’exécution d’une disposition de la note de service du 16 janvier 2020 du ministre de l'agriculture et de l'alimentation relative à la campagne annuelle de mobilité des personnels enseignants et d'éducation de l'enseignement technique agricole public et sous statut " agriculture " de l'enseignement maritime. Il était reproché à cette note de modifier les modalités antérieurement retenues en ce que, à la différence des années précédentes, les agents contractuels sous contrat à durée indéterminée ne voient plus les postes qu'ils occupent systématiquement regardés comme des postes vacants et inscrits comme tels sur la liste des postes offerts à la mobilité des fonctionnaires.

La demande de suspension est rejetée en raison de ses effets limités : ainsi, en 2019, alors que l'ensemble des postes occupés par des agents contractuels sur contrat à durée indéterminée étaient déclarés vacants et ouverts à la mobilité, seuls moins de vingt fonctionnaires ont effectivement été mutés sur de tels postes à rapprocher d'un total de plus de 300 mutations prononcées et d'un effectif total des corps de fonctionnaires concernés de près de 7000 agents.

La suspension est refusé car fait défaut le caractère normalement requis dans le cadre d’un référé suspension, que l’atteinte portée - ici aux intérêts des membres du syndicat requérant - soit suffisamment grave et immédiate.

Le juge relève qu’il en est ainsi - on notera le caractère inhabituel de cette formulation - « alors même que les justifications invoquées par l'administration quant aux conséquences dommageables qu'emporterait une suspension de l'exécution de la note de service litigieuse n'apparaissent guère convaincantes ».

(Ord. réf. 3 février 2020, Syndicat national de l'enseignement technique agricole public-Fédération syndicale unitaire (SNETAP-FSU), n° 347892)

 

20 - Action en responsabilité dirigée contre l’État du fait de dommages subis par suite de crimes ou délits commis à force ouverte ou par violence - Rattachement aux dispositions de l’art. R. 312-14 CJA - Compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel s’est produit le fait générateur du dommage - Attribution du jugement du litige en ce sens.

Les actions indemnitaires fondées sur les dispositions  du premier alinéa de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure selon lesquelles :  « L'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens » relèvent, en vertu du 2° de l'article R. 312-14 CJA, de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le lieu où s'est produit le fait générateur du dommage.

 (12 février 2020, Société JC Decaux France, n° 436603)

 

21 - Recours en exécution d’une décision du juge administratif (art. L. 911-4 CJA) - Référé liberté (art. L.521-2 CJA) - Cumul - Possibilité - Conditions - Rejet.

Rappel qu’il est toujours possible à un justiciable de saisir le juge administratif à la fois d’une requête en exécution d’une décision de justice jusque-là inexécutée (L. 911-4 CJA) et d’un référé liberté (art. L. 521-2 CJA) dès lors que ce dernier lui permet d’atteindre un résultat identique. Toutefois, comme toujours en cas de cumul de procédures accélérées ou d’urgence, le requérant doit satisfaire cumulativement aux conditions propres à chacune des voies contentieuses qu’il a adoptées.

Il n’y a plus urgence lorsque la date limite pour obtenir une décision ou effectuer une démarche est expirée. C’était le cas ici s’agissant de demandes d’attestations de domicile en vue de l’inscription sur les listes électorales dès lors que le référé intenté à cette fin a été introduit postérieurement à l’expiration du délai légal pour s’inscrire.

(Ord. réf. 14 février 2020, M. X., n° 438277)

 

22 - Droit d’asile - Recours de l’art. L. 512-1 CESEDA - Référé suspension et référé liberté (art. L. 521-1 et L. 521-2 CJA) - Cumul des deux sortes de recours possible - Non-lieu partiel et annulation de l’ordonnance pour le surplus.

Commet une erreur de droit le juge des référés qui, pour  juger irrecevables les conclusions de l’intéressé présentées sur le fondement de l'article L. 521-1 du CJA et tendant à ce que soit ordonnée la suspension de l'exécution d’un arrêté préfectoral  refusant de lui renouveler son certificat de résidence, retient que celui-ci avait, par une autre requête présentée devant le même tribunal, formé un recours sur le fondement de l'article L. 512-1 du CESEDA pour demander l'annulation de cet arrêté, alors que ce recours constitue une procédure spéciale exclusive de celles prévues par le livre V du code de justice administrative.

Le Conseil d’État considère que, contrairement à ce raisonnement, les dispositions de l'article L. 512-1 du CESEDA, qui prévoient que le recours devant le juge administratif a un effet suspensif sur la seule obligation de quitter le territoire français dont peut être assorti un refus de séjour ou un refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour, n'ont ni pour objet ni pour effet de priver les requérants de la possibilité de présenter une demande de suspension à l'encontre de la décision de refus de séjour ou de refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour dans les conditions énoncées aux articles L. 521-1 (référé-suspension) et L. 521-2 (référé-liberté) du CJA.

L’ordonnance est annulée et, constatant la réunion des deux conditions exigées pour l’octroi d’une suspension par l’effet de l’art. L. 521-1 CJA, le Conseil d’État l’accorde.

(17 février 2020, M. X., n° 433503)

 

23 - Exécution des décisions de justice - Condamnation au paiement d’une somme d’argent - Inexécution - Exception de prescription quadriennale - Comptable refusant de payer sans ordonnancement préalable - Annulation avec injonction.

Encore un litige comme on ne devrait pas en voir.

Une décision du Conseil d'État rendue le 23 février 2009 a, à la fois, annulé des dispositions d’une note de la direction générale des impôts, relative aux demandes de révision de la notation des agents des catégories A, B et C et mis à la charge de l'État le versement au demandeur de la modeste somme de 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Une autre décision du Conseil d’État, du 6 mars 2009, rendue sur nouveau recours du requérant, a annulé diverses dispositions de plusieurs instructions du directeur général des impôts relatives à l'évaluation et à la notation des agents, et mis à la charge de l'État le versement au requérant de la somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une demande formée le 14 décembre 2018, le requérant a à nouveau saisi le juge car, à cette date, l'État ne lui avait pas encore versé les sommes qui lui étaient dues en exécution des deux décisions susrappelées.

L’administration tentait de s’opposer aux prétentions de l’intéressé en soulevant l’exception de prescription quadriennale. Le Conseil d’État rejette cette argumentation et règle la question de l’exécution des décisions qu’il a rendues.

Tout d’abord, il résulte des dispositions du second alinéa de l’art. 7 de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics que : « (...) En aucun cas, la prescription ne peut être invoquée par l'administration pour s'opposer à l'exécution d'une décision passée en force de chose jugée ». Tel était la situation de l’espèce, d’où l’impossibilité pour l’administration de se prévaloir de cette exception.

Ensuite, s’agissant des mesures d’exécution, le juge, après avoir rappelé les dispositions de  l'article L. 911-9 du CJA (" Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné l'État au paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice./ (...) A défaut d'ordonnancement dans les délais mentionnés aux alinéas ci-dessus, le comptable assignataire de la dépense doit, à la demande du créancier et sur présentation de la décision de justice, procéder au paiement "), relève qu’en principe n’est pas recevable  une demande tendant à ce que le juge prenne des mesures pour assurer l'exécution de cette décision. En effet, cet article permet à la partie gagnante, en cas d'inexécution d'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée, d'obtenir du comptable public assignataire le paiement de la somme que l'État est condamné à lui verser à défaut d'ordonnancement dans le délai prescrit.

Cependant, il en va autrement lorsque - comme c’était le cas en l’espèce - le comptable public assignataire, bien qu'il y soit tenu, refuse de procéder au paiement.

C’est pourquoi, le juge ordonne au ministre de l'action et des comptes publics de procéder au paiement des sommes dues, assorties des intérêts au taux légal, dans le délai d'un mois avec astreinte de cinquante euros par jour de retard, jusqu'à la date à laquelle les décisions auront reçu exécution.

Onze ans ! Il aura fallu onze ans et trois recours en Conseil d’État pour obtenir le règlement de 300 euros devenus progressivement 2100 euros… Ce n’est pas acceptable. Espérons que la juridiction financière sera saisie, qu’il y aura des sanctions et que sera reconnue la faute personnelle, du comptable et du ministre, entièrement détachable du service.

(12 février 2020, M. X., n° 432598)

 

24 - Exécution des décisions de justice - Absence d’indications sur les mesures d’exécution à prendre - Office du juge de l’exécution - Date à laquelle il statue - Prise en compte des motifs soutiens nécessaires du jugement à exécuter - Interdiction de trancher un litige distinct de celui faisant l’objet du jugement à exécuter - Cassation partielle sans renvoi.

Le demandeur a obtenu l’annulation de la décision par laquelle le président de la communauté de communes du Val de Sarthe a modifié sa fiche de poste d'assistant territorial d'enseignement artistique principal de 2ème classe. Il a sollicité ensuite - et obtenu - le prononcé d’une injonction à ladite communauté de communes d’exécuter ce jugement ; celui-ci est confirmé en appel.

La communauté défenderesse se pourvoit et obtient gain de cause.

Cette affaire concerne le cas particulier, très fréquent, où la juridiction, tout en annulant une décision, ne précise pas quelles mesures d’exécution en découlant nécessairement doivent être prises. En ce cas, l’art. L. 911-4 du CJA confie au juge de l’exécution le soin de définir ces mesures. Le Conseil d’État apporte deux séries de précisions à cet égard, l’une positive, les deux autres négatives.

Positivement, le juge de l’exécution doit, dans la définition qu’il donne des mesures d’exécution, tenir compte des situations de droit et de fait existant à la date de sa décision.

Négativement, le juge de l’exécution ne doit ni méconnaître l'autorité qui s'attache aux motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle dont l'exécution lui est demandée, ni prononcer des mesures d’exécution que n'impliquait pas nécessairement le dispositif du jugement. En ce second cas, il trancherait en réalité un litige distinct de celui fondant sa saisine en tant que juge de l’exécution.

Tel était le cas en l’espèce, d’où la cassation sans renvoi qui est prononcée.

(24 février 2020, Communauté de communes du Val de Sarthe, n° 429539)

 

25 - Saisine du juge de cassation après qu’un précédent pourvoi n’a pas été admis - Saisine du juge de cassation après expiration du délai du pourvoi en cassation - Conclusions portant atteinte à l’autorité de chose jugée - Conclusions manifestement irrecevables - Rejet.

Par un arrêt du 3 avril 2015 une cour administrative d'appel s'est prononcée sur les conclusions de l'association Anti-G relatives à la cession par Réseau ferré de France à la commune de Dinard, puis par la commune de Dinard à la société Eiffage, des parcelles situées sur l'emprise du chemin de fer Dinan - Dinard et sur l'emprise de l'ancienne gare de Dinard. Le pourvoi en cassation de l'Association Anti-G contre cet arrêt n'a pas été admis par une décision du Conseil d'État n° 394135 en date du 28 juillet 2017.

Les conclusions, ayant le même objet, dont cette association saisit à nouveau le Conseil d'État, présentées en méconnaissance de l'autorité de la chose jugée, doivent être regardées comme manifestement irrecevables. Elles ne peuvent dès lors qu'être rejetées.

De plus, ces conclusions sont identiques à celles qui ont été rejetées par un jugement du 6 juillet 2018, confirmé par une ordonnance du 15 mai 2019, devenue définitive faute de pourvoi en cassation dans les deux mois de sa notification à l'association requérante, le 16 mai 2019. Elles sont donc présentées en méconnaissance de l'autorité de la chose jugée et doivent de plus fort être rejetées car manifestement irrecevables.

(13 février 2020, Association Anti-G, n° 430845)

 

26 - Question préjudicielle sur renvoi d’une juridiction judiciaire en appréciation de la validité d’un acte administratif - Pouvoir et office du juge administratif du renvoi - Distinction selon que le juge judiciaire a ou n’a pas précisé le(s) moyen(s) au soutien de sa décision de renvoi.

Rappel d’une jurisprudence constante réitérée en ces termes :

« (…) en vertu des principes généraux relatifs à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, il n'appartient pas à la juridiction administrative, lorsqu'elle est saisie d'une question préjudicielle en appréciation de validité d'un acte administratif, de trancher d'autres questions que celle qui lui a été renvoyée par l'autorité judiciaire. Il suit de là que, lorsque la juridiction de l'ordre judiciaire a énoncé dans son jugement le ou les moyens invoqués devant elle qui lui paraissent justifier ce renvoi, la juridiction administrative doit limiter son examen à ce ou ces moyens et ne peut connaître d'aucun autre, fût-il d'ordre public, que les parties viendraient à présenter devant elle à l'encontre de cet acte. Ce n'est que dans le cas où, ni dans ses motifs ni dans son dispositif, la juridiction de l'ordre judiciaire n'a limité la portée de la question qu'elle entend soumettre à la juridiction administrative, que cette dernière doit examiner tous les moyens présentés devant elle, sans qu'il y ait lieu alors de rechercher si ces moyens avaient été invoqués dans l'instance judiciaire ».

(24 février 2020, Association Inter-Rhône, n° 426867 ; v. aussi, du même jour : Interprofession des vins de Loire (InterLoire), n° 431255)

 

27 - Forme des décisions de justice - Lecture des décisions - Cour nationale du droit d’asile - Indications relatives à la date de lecture - Existence de dates contradictoires - Annulation.

Rappel d’un grand classique relatif à la forme des décisions de justice.

Ayant constaté que tant la minute que l'expédition d’une décision de la Cour nationale du droit d'asile comportent des indications contradictoires quant à sa date de lecture, le juge de cassation, qui n’est ainsi pas mis en mesure d'exercer son contrôle sur la régularité de ladite décision, en prononce la cassation. 

(12 février 2020, M. X., n° 429771)

 

28 - Chirurgiens-dentistes - Cession de parts d’un cabinet dentaire - Refus du conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes d’autoriser les modifications statutaires - Saisine directe du juge administratif impossible - Absence de recours préalable devant les instances ordinales supérieures - Rejet.

(Ord. réf. 4 février 2020, Société Cabinet 21 Libération, n° 437713) V. n° 123

 

29 - Référé suspension (art. L. 521-1 CJA) - Appréciation de la condition d’urgence - Existence malgré la circonstance que l’activité litigieuse est menée sans l’autorisation requise - Existence d’au moins un moyen de nature à créer un doute sérieux - Cassation sans renvoi.

La société requérante demandait la suspension de l'exécution de l'arrêté préfectoral ordonnant qu'elle suspende la mise sur le marché et la commercialisation des insectes (grillons et vers de farine) et produits à bases d'insectes destinés à la consommation humaine jusqu'à mise en conformité avec les dispositions du règlement (UE) n° 2015/2283 du 25 novembre 2015. Sa requête en référé ayant été rejetée en première instance, elle saisit le Conseil d’État.

Concernant l’appréciation de la condition d’urgence, et c’est un apport important de cette ordonnance,  il avait été jugé en première instance que cette condition n’était pas satisfaite en l’espèce car la requérante était elle-même à l'origine de la situation financière désastreuse qu’elle dénonçait au soutien de son recours en ayant choisi, dans un cadre administratif et juridique incertain, d'exercer son activité avant d'avoir obtenu les autorisations que le juge des référés avait qualifiées de nécessaires.

Ce raisonnement est rejeté ici car le premier juge n’a pas recherché si l'exécution de l'arrêté en cause portait atteinte de façon suffisamment grave et immédiate aux intérêts de la société. Au reste et au surplus, la demanderesse critiquait devant lui l’argument tiré de la nécessité d'obtenir les autorisations en cause. L’ordonnance attaquée est donc annulée.

Concernant l’appréciation de la condition relative au moyen de nature à créer un doute sérieux, le Conseil d’État fait le raisonnement suivant pour l’estimer réalisée ici.

La société demanderesse commercialise des insectes (grillons et vers de farine) et produits à bases d'insectes destinés à la consommation humaine et elle s’est vue ordonner de se mettre en conformité avec les dispositions du règlement (UE) n° 2015/2283 du 25 novembre 2015. Or, saisi d'un moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du règlement du 27 janvier 1997, le Conseil d'État, statuant au contentieux a, par décision en date du 28 juin 2019, (n° 42065)1, sursis à statuer sur une requête jusqu'à ce que la CJUE se soit prononcée sur la difficulté sérieuse d'interprétation que pose l'article 1er, paragraphe 2, point e) de ce règlement quant à la question de savoir si son champ d'application s'étend aux aliments composés d'animaux entiers destinés à être consommés en tant que tels ou ne s'applique qu'à des ingrédients alimentaires isolés à partir d'insectes.

Pour des motifs de la même nature que ceux ayant conduit à prononcer ce renvoi préjudiciel, les moyens tirés - en la présente espèce - de ce que l'arrêté contesté serait entaché d'une erreur de droit au regard de l'article 35, paragraphe 2, du règlement du 25 novembre 2015 et méconnaîtrait le champ d'application du règlement du 27 janvier 1997 sont, en l'état de l'instruction, propres à faire naître un doute sérieux quant à sa légalité, en tant qu'il porte sur les produits mis sur le marché par la société requérante au plus tard le 1er janvier 2018, dès lors qu'il est constant, en l'espèce, qu'une demande d'autorisation, toujours pendante, a été introduite pour les insectes en cause, au titre du règlement du 25 novembre 2015, avant le 2 janvier 2020.

La suspension de l’arrêté préfectoral attaqué est ordonnée, le surplus de la requête étant rejeté.

(Ord. réf . 13 février 2020, SAS EAP Group, n° 423430)

 

30 - Recours en interprétation - Recours en interprétation du dispositif d’une décision du Conseil d’État fixant le montant et déterminant les débiteurs de la somme allouée au titre de l’art. L.761-1 CJA - Conditions de recevabilité de la demande d’interprétation non remplies - Rejet.

Rappel d’une règle bien établie selon laquelle le recours en interprétation d'une décision juridictionnelle n'est recevable que si, d’une part, il émane d'une partie à l'instance ayant abouti au prononcé de la décision dont l'interprétation est sollicitée et, d’autre part, cette décision est obscure ou ambiguë.

Le juge affirme qu’en l’espèce sa décision était dépourvue d’ambiguïté ou d’obscurité et rejette le recours en interprétation tout en interprétant en réalité sa décision initiale qui n’était pas d’une clarté évidente…

(12 février 2020, Mme X., n° 432131)

 

31 - Compétence du Conseil d’État en premier ressort - Actes réglementaires des ministres - Offices notariaux - Déclaration de vacance d’un office - Absence de caractère réglementaire - Renvoi au tribunal administratif de Paris.

Le recours par lequel est contestée la décision ministérielle (justice) constatant la vacance d’un office notarial n’a pas le caractère d’un acte réglementaire et ne relève donc pas de la compétence dérogatoire du Conseil d’État statuant en premier ressort, à la différence de ce qui se produit quand un arrêté interministériel (finances et justice), fixe les zones dans lesquelles les notaires peuvent librement s'installer ainsi que le nombre d'offices à créer dans ces zones pour les deux années à venir, car ce dernier arrêté, à la différence du précédent, est relatif à l'organisation du service public notarial.

Le dossier est renvoyé au tribunal administratif, compétent en vertu des dispositions de l’art. R. 312-10 du CJA.

(12 février 2020, M. X., n° 418880)

 

32 - Marché public de travaux - Offre rejetée - Inexistence d’une prime en cas rejet d’offre - Affirmation erronée - Dénaturation des stipulations du règlement d’un concours d’architecture et d’ingénierie - Cassation avec renvoi à la cour.

Dénature les stipulations du règlement d’un concours d’architecture et d’ingénierie organisé en vue de l'attribution du marché de maîtrise d'œuvre de la restructuration et de l'extension d’un  collège, et encourt donc la cassation de son arrêt, la juridiction qui décide qu’un concurrent dont l’offre n’a pas été retenue ne peut percevoir une prime au titre de sa participation au concours alors qu’il résulte des termes mêmes du règlement du concours qu'en ce cas, il appartient au maître d'ouvrage, sur proposition du jury, de déterminer s'il convient de  verser la prime, de la réduire ou de la supprimer.

(10 février 2020, Société Marc Dalibard - Société d'architecture, n° 429227 ; v. aussi, à propos de cette opération de restructuration/extension, du même jour, la décision, confirmant l’arrêt d’appel sur un autre aspect du litige : Sociétés A5A Architectes, AI Project et Cosyrest, n° 429229 )

 

33 - Référé suspension - Appréciation de la condition d’urgence - Présomption d’urgence Retrait d’une commune d’une communauté de communes - Absence de présomption d’urgence - Rejet.

Dans le cadre d’un référé suspension, la condition d'urgence doit être regardée comme étant, en principe, remplie lorsqu'un arrêté préfectoral a pour objet de modifier la répartition des compétences entre une collectivité territoriale et un groupement de collectivités territoriales ou entre deux groupements de collectivités territoriales (30 décembre 2009, Syndicat intercommunal à vocation unique de gestion du centre social intercommunal rural, n° 328184).

En revanche, une telle présomption d’urgence n’existe pas s'agissant de l'exécution d'un arrêté préfectoral pris sur le fondement de l'article L. 5214-26 du CGCT, autorisant une commune à se retirer d'une communauté de communes pour adhérer à un autre établissement public de coopération intercommunale (EPCI), lequel emporte seulement modification du périmètre géographique de la communauté de communes.

Il appartient donc à la demanderesse de démontrer l’urgence à statuer.

(Ord. réf. 7 février 2020, Communauté de communes Cœur d'Ostrevent, n° 428919)

 

34 - Impôts et taxes - Demande de décharge de rappels de taxe d'apprentissage, de contribution au développement de l'apprentissage et de participation des employeurs à l'effort de construction - Reprise en appel des conclusions de première instance - Conditions et effets - Absence des précisions nécessaires - Rejet.

Rappel qu’il incombe au requérant, tant en première instance qu'en appel, d'assortir ses moyens des précisions nécessaires à l'appréciation de leur bien-fondé.

Il suit de là que le juge d'appel n'est pas tenu d'examiner un moyen que l'appelant se borne à déclarer reprendre en appel sans l'assortir des précisions nécessaires.

En l’espèce la société requérante, si elle a déclaré demander la réformation du jugement du tribunal administratif par tous les moyens qu'elle avait développés en première instance, n'a ni cité le moyen tiré de l'opposabilité d'une prise de position administrative sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, ni joint à sa requête d'appel une copie de ses écritures de première instance qui contenaient ce moyen ainsi que les éléments nécessaires à l'appréciation de son bien-fondé.

Par suite, en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas davantage entaché son arrêt d'insuffisance de motivation.

(5 février 2020, SA Réserve africaine de Sigean, n° 416307)

 

35 - Autorisation d’exploiter des terres agricoles - Autorisation donnée à un GAEC (Groupement agricole d’exploitation en commun) et refusée à un autre sollicitant cette autorisation pour une superficie plus petite - Intérêt pour agir lié à la qualité de demandeur en autorisation de cumul d’exploitations agricoles - Existence en l’espèce - Rejet du pourvoi.

Est rejeté le pourvoi du ministre de l’agriculture contestant l’admission de l’intérêt pour agir d’un GAEC à l’encontre d’un arrêté préfectoral autorisant un autre GAEC à exploiter de nouvelles terres pour une superficie plus grande que celle qu’il avait lui-même demandée.

Le juge rappelle qu’ « Un exploitant qui a demandé une autorisation d'exploiter une ou plusieurs parcelles sur des terres en application des dispositions (…) de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime justifie d'un intérêt lui donnant qualité à agir contre l'autorisation donnée à un autre exploitant d'exploiter des parcelles sur ces terres, même s'il ne s'est porté candidat que pour une partie des parcelles qui font l'objet de l'autorisation. »

La solution est on ne peut plus logique.

(5 février 2020, Ministre de l'agriculture et de l'alimentation, n° 418970, v. aussi, du même jour, la décision précisant que le propriétaire de parcelles agricoles sur lesquelles a été donnée à une autre personne une autorisation d’exploitation n’a d’intérêt pour agir qu’au titre des seules terres dont il est propriétaire, à l’exclusion d’autres terres : M. X. et autres, n° 419790)

 

36 - Délai du recours contentieux - Jurisprudence Czabaj - Application à une décision implicite de rejet - Régime procédural - Cassation.

Le principe de sécurité juridique, selon lequel  le délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d'une décision ne peut exercer de recours juridictionnel, qui ne peut en règle générale excéder un an sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, est également applicable à la contestation d'une décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur une demande présentée devant elle, lorsqu'il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision.

Le juge précise deux choses.

Tout d’abord, la preuve d'une telle connaissance ne saurait résulter du seul écoulement du temps depuis la présentation de la demande.

Ensuite, cette preuve peut en revanche résulter de ce qu'il est établi, soit que l'intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d'une décision implicite lors de la présentation de sa demande, soit que la décision a par la suite été expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l'administration, notamment à l'occasion d'un recours gracieux dirigé contre cette décision.

Le demandeur, s'il n'a pas été informé des voies et délais de recours dans les conditions prévues par les textes (cf. loi du 12 avril 2000, art. 21 et art. R. 421-2 et R. 421-5 du CJA), dispose alors, pour saisir le juge, d'un délai raisonnable qui court, dans la première hypothèse, de la date de naissance de la décision implicite et, dans la seconde, de la date de l'événement établissant qu'il a eu connaissance de la décision.

(13 février 2020, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 424595)

 

37 - Expertise - Allocation provisionnelle sur honoraires de l’expert - Refus de la partie concernée - Constat de carence - Existence d’une liste des pièces à fournir - Pièces effectivement fournies - Rejet de l’appel - Cassation partielle et renvoi.

Cette décision est relative au litige né d’un arrêté préfectoral ayant prononcé la fermeture totale et définitive, valant retrait d'autorisation, d’un établissement d'accueil collectif non permanent d'enfants de moins de six ans.

Pour des raisons de procédure non contentieuse le tribunal administratif, sur recours de l’association gestionnaire et des époux X., gérants de la structure, a annulé cet arrêté ; en appel ce jugement a été annulé pour irrégularité et la cour a estimé établi le lien de causalité entre la faute commise par le préfet et le préjudice invoqué par les demandeurs. Par un second arrêt, estimant ne pas disposer, en l'état de l'instruction, des éléments lui permettant de se prononcer sur le montant des préjudices invoqués, la cour a désigné un expert en mettant à la charge de M. et Mme X. une allocation provisionnelle sur frais d’expertise d’un montant de 6 480 euros. Ces derniers ont indiqué, en appuyant leurs dires de pièces justificatives, qu'ils n'avaient pas les moyens de s'acquitter de cette somme, pas davantage que du montant total de l'expertise, estimé à 27 540 euros et ont fait valoir qu'ils n'avaient pas réclamé cette expertise, qui portait sur le préjudice de l'association et non sur le leur, et qu'ils n'étaient pas, en vertu de l'avant dire droit, la partie perdante, ils ont sollicité du président de la juridiction qu'il prenne en compte leur situation particulière et réforme son ordonnance.

Ils ont été mis en demeure de verser sous un mois l'allocation provisionnelle aux fins d'expertise et, aucun versement n'ayant été effectué à l'expiration de ce délai, l'expert a rendu un rapport de carence. La cour, par un second arrêt, a rejeté les conclusions aux fins d'indemnisation des chefs de préjudice compris dans la mission d'expertise et alloué, au titre des chefs de préjudice non compris dans la mission d'expertise, une indemnité de 1000 euros aux époux X.

 Maître Y., mandataire liquidateur de l'AFGED, et M. et Mme X. se pourvoient en cassation contre cet arrêt.

Le Conseil d’État décide que si la cour devait tirer les conséquences du rapport de l'expert constatant les diligences accomplies et la carence résultant de l'absence de versement de l'allocation provisionnelle, il lui appartenait néanmoins de statuer sur les conclusions dont elle demeurait saisie au vu de l'ensemble des éléments recueillis dans le cadre de l'instruction menée devant elle, jusqu'à la clôture de cette instruction.

Appliquant cette ligne interprétative à l’affaire pendante devant lui, le Conseil d’État relève qu’il  ressort des pièces du dossier de la cour que, après que l'expert eut renoncé à poursuivre sa mission en l'absence de versement de l'allocation provisionnelle, le rapport qu'il a remis à la cour mentionnait, outre le constat de carence, au titre des diligences qu'il avait effectuées, la liste des pièces qu'il avait estimé nécessaires à l'exercice de sa mission et que M. et Mme X., à la suite du dépôt de ce rapport, ont versé au dossier de la procédure devant la cour.

Le Conseil d’État juge, en conséquence, que les requérants sont, en l'espèce, fondés à soutenir que la cour a insuffisamment motivé sa décision en se bornant à relever qu'ils n'avaient pas permis, de leur fait, la réalisation de l'expertise pour en déduire qu'ils n'avaient pas mis la cour en mesure d'apprécier le bien-fondé de leurs prétentions.

(26 février 2020, M. et Mme X. et Maitre Y., mandataire liquidateur de l’Association formation gestion et développement (AFGED), n° 423960)

 

38 - Référé suspension - Demande de suspension d’un décret du 30 décembre 2019 entrant en vigueur le 1er janvier 2020 ou de prise de toute mesure transitoire utile - Décret relatif aux marchés passés par les conseils nationaux des ordres des professions de santé - Rejet.

Le Conseil national de l’ordre des médecins demandait :

- d’une part, la suspension de l'exécution du décret n° 2019-1529 du 30 décembre 2019 relatif aux marchés passés par les conseils nationaux des ordres des professions de santé, en tant qu’il fixe l'entrée en vigueur de ses dispositions au 1er janvier 2020 sans instituer de mesures transitoires permettant aux conseils nationaux des ordres des professions médicales, pharmaceutiques et paramédicales de s'adapter à la nouvelle réglementation et qu’il ne prévoit ni n'organise les conditions du recours de ces conseils aux centrales d'achats déjà constituées ;

- et d’autre part, qu’injonction soit faite aux auteurs du décret : 1) de modifier l'article 4 du titre 4 du décret relatif aux dispositions finales, afin de repousser l'entrée en vigueur du décret à une date, qui ne peut correspondre à un délai inférieur à six mois à compter du 1er janvier 2020, permettant au Conseil national de l'ordre des médecins de lancer les procédures de passation nécessaires à la conclusion de ses contrats, soit de prendre toute autre mesure provisoire qui serait le mieux à même de préserver la sécurité juridique des contrats du Conseil national de l'ordre des médecins ; 2) de prévoir la possibilité pour les conseils nationaux des ordres concernés d'adhérer à une centrale d'achats dans les conditions prévues par les articles L. 2113-2 à L. 2113-4 du code de la commande publique.

Pour rejeter l’ensemble ce recours le juge des référés du Conseil d’État relève, d’abord, que ce décret ne s’applique qu’aux contrats conclus à compter du 1er janvier 2020, non à ceux conclus à compter du 1er janvier 2020 pour lesquels une consultation ou un avis d'appel à la concurrence a été réalisé avant cette date ni, s'agissant des contrats faisant l'objet d'un renouvellement par tacite reconduction, à ceux dont le délai de dénonciation était échu au 1er janvier 2020.

Il constate ensuite que, compte tenu des précisions apportées lors de l'audience publique par le ministre de la santé sur l'objet des contrats en cause et sur la nature exacte des difficultés concrètes auxquelles le Conseil national affirme être confronté, qui n'apparaissent pas telles qu'elles le mettraient dans l'impossibilité de se conformer aux dispositions issues du décret attaqué sans porter atteinte au bon fonctionnement des missions dont il a la charge, il ne résulte pas de l'instruction que l'exécution du décret en cause porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à la situation du Conseil national et aux intérêts qu'il invoque.

Ce rejet parait un peu excessif alors qu’une mesure transitoire d’une durée raisonnable eût apaisé les esprits et évité un tel contentieux surtout en l’état d’une telle précipitation normative.

(Ord. réf. 28 février 2020, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 438405)

 

39 - Procédure contentieuse - Conclusions du rapporteur public - Information sur le sens de ces conclusions - Mention irrégulière car ne permettant pas d’en savoir la teneur (art. R. 711-3 CJA) - Cassation de l’arrêt rendu et renvoi.

Avant l’audience sur une affaire, un rapporteur public devant un cour administrative d’appel porte en ces termes à la connaissance des parties le sens de ses conclusions : « Annulation partielle du jugement.  Réformation partielle du jugement ».

Le juge estime - fort justement - que cette formulation, en ne permettant pas de savoir la teneur de ces conclusions, porte atteinte à l’objectif poursuivi par la communication préalable du sens des conclusions. En l’espèce, elle ne permettait pas de connaître la position du rapporteur public sur le montant précis de l'indemnisation qu'il proposait de mettre à la charge d’une communauté de communes au bénéfice du liquidateur judiciaire de la société Les Compagnons Paveurs et ne satisfaisait donc pas aux prescriptions de l'article R. 711-3 du CJA.

Alors même que l'avocat du liquidateur, présent à l'audience, ne s'est plaint de l'imprécision de cette mention ni dans les observations orales qu'il a présentées à la suite des conclusions du rapporteur public ni dans une note en délibéré, l'arrêt de la cour administrative d'appel a été rendu au terme d'une procédure irrégulière, l'exigence posée par l'article R. 711-3 du CJA étant prescrite à peine d'irrégularité de la procédure.

(10 février 2020, M. X., liquidateur judiciaire de la société Les Compagnons Paveurs, n° 427282)

 

40 - Procédure contentieuse - Notification irrégulière d’une décision individuelle - Délai raisonnable de recours (jurisprudence Czabaj) - Traitement procédural des recours formés hors du délai raisonnable - Application combinée de l’art. R. 222-1 et du second alinéa de l’art. R. 611-7 du CJA - Rejet.

Dans le cadre d’un recours dirigé par un fonctionnaire de l’administration fiscale contre deux arrêtés ministériels, l’un le nommant dans le grade d'inspecteur départemental de première classe, 3ème échelon, et l’autre le reclassant dans le grade d'inspecteur divisionnaire des finances publiques hors classe, 3ème échelon, est posée la question du délai raisonnable de saisine du juge en cas de notification d’une décision individuelle ne comportant pas mention des voies et délais de recours (R. 421-5 CJA) ou en cas d’absence de preuve que cette information a été donnée.

Après avoir rappelé, conformément à la jurisprudence Czabaj (Assemblée, 13 juillet 2016, n° 387763), qu’il appartient au requérant qui entend contester devant le juge une décision administrative individuelle dont il a eu connaissance depuis plus d'un an, de faire valoir, le cas échéant, que, dans les circonstances de l'espèce, le délai raisonnable dont il disposait pour la contester devait être regardé comme supérieur à un an.

Faute pour le requérant de pouvoir invoquer, et le cas échéant, de prouver ces circonstances particulières, le Conseil décide que la requête ainsi introduite « peut être rejetée par ordonnance comme manifestement irrecevable, sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, sans que le requérant soit invité à justifier de sa recevabilité. » On ne pouvait guère imaginer solution plus expéditive.

Les juges du fond sont approuvés d’avoir jugé qu’ayant eu connaissance des arrêtés litigieux et de leur contenu précis au plus tard en mars et septembre 2011, le requérant avait excédé le délai raisonnable ouvert par la faculté Czabaj quand il a saisi le juge administratif le 18 juin 2014. C’est donc à bon droit que ce dernier a usé de la procédure prévue à l’art. R. 222-1 précité, du rejet des recours par voie d’ordonnance.

Pour faire bonne mesure, le Conseil d’État ajoute qu’en ce cas le relèvement d’office d’un moyen par le juge a lieu sans en informer le requérant (Cf. le second alinéa de l’art. R. 611-7 du CJA).

(10 février 2020, M. X., n° 429343)

 

41 - Militaires - Fonds de prévoyance militaire et de l'aéronautique - Litige portant sur le versement d’une allocation par ce Fonds - Compétence pour en connaitre - Absence de solution dérogatoire - Compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel a son siège la personne publique qui a pris la décision litigieuse.

(28 février 2020, M. X., n° 427529) V. n° 90

 

42 - Référé suspension - Appréciation de la condition d’urgence - Appréciation de l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée - Annulation de l’ordonnance de référé.

Le requérant, ouvrier dans un centre hospitalier et y disposant d’un logement, a fait l’objet, pour avoir injurié et menacé un infirmier, d’une mesure de révocation entrainant la perte du logement qui lui avait été concédé.

Invoquant la modestie de ses ressources et la gravité des conséquences économiques de ces deux décisions, il a demandé, en vain, au tribunal administratif la suspension de leur exécution.

Le Conseil d’État juge d’abord que c’est au prix d’une dénaturation des pièces du dossier que le juge des référés a refusé d’apercevoir une urgence alors que l’intéressé, dont les revenus sont modestes, s’est vu privé instantanément d’emploi et de logement.

Par ailleurs, un doute sérieux pèse sur la légalité d’une mesure de sanction hors de proportion avec la faute commise.

La suspension est accordée.

(Ord. réf. 10 février 2020, M. X., n° 430806)

 

43 - Désistement - Désistement d’office du requérant n’ayant pas répondu à une demande de confirmer ses conclusions - Contestation de ce désistement en appel - Office du juge d’appel - Étendue du contrôle du juge de cassation - Rejet.

Reprenant mot pour mot le point-clé d’une décision de principe relative au désistement d’office du requérant qui n’a pas répondu à la demande de production d’un mémoire récapitulatif (R. 611-8-1 CJA et 22 novembre 2020, Société SMA, n° 420067), le Conseil d’État juge pareillement ici, s’agissant du désistement d’office du requérant n’ayant pas répondu à une demande de confirmation de ses conclusions (R. 612-5-1 CJA) : «  À l'occasion de la contestation en appel de l'ordonnance prenant acte du désistement d'un requérant en l'absence de réponse à l'expiration du délai qui lui a été fixé, il incombe au juge d'appel, saisi de moyens en ce sens, de vérifier que l'intéressé a reçu la demande mentionnée par les dispositions de l'article R. 612-5-1 du code de justice administrative, que cette demande fixait un délai d'au moins un mois au requérant pour répondre et l'informait des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai et que le requérant s'est abstenu de répondre en temps utile et d'apprécier si le premier juge, dans les circonstances de l'affaire, a fait une juste application des dispositions de l'article R. 612-5-1 ».

Semblablement, il rappelle que le juge de cassation ne peut remettre en cause cette dernière appréciation que dans le cas où il estime, au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, qu'il a été fait un usage abusif de la faculté ouverte par ces dispositions.

Il s’ensuit qu’en l’espèce c’est dans le respect de son office et sans erreur de droit que la cour a jugé que le premier juge, dans les circonstances de l'affaire, n'avait pas fait une juste application des dispositions de l'article R. 612-5-1.

(12 février 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 421219)

 

44 - Fonctionnaire irrégulièrement évincé de son emploi - Demande d’annulation de la mesure - Demande de réparation pécuniaire des conséquences dommageables en résultant - Litige distinct non soumis à la juridiction - Demande d’exécution ne pouvant se rapporter qu’à la demande d’annulation - Rejet.

L’éviction d’un enseignant de son emploi ayant été jugée irrégulière par la juridiction saisie d’un recours en annulation dirigé contre cette éviction, l’intéressé avait sollicité du juge qu’il ordonne l’exécution de son jugement (art. L. 911-4 CJA). Celui-ci ne portant que sur l’annulation de l’arrêté rectoral litigieux, le demandeur n’est pas fondé à se plaindre de ce que l’exécution n’ait pas été ordonnée s’agissant des conséquences pécuniaires de l’irrégulière éviction ceci constituant un autre litige. Ainsi que le rappelle sobrement le Conseil d’État : « un agent public irrégulièrement évincé a droit, non pas au versement du traitement dont il a été privé, mais à la réparation du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre ».

(12 février 2020, M. X., n° 416007)

 

Contrats

 

45 - Conditions de formation des contrats - Conventions de raccordement au réseau public des installations d’électricité photovoltaïque - Défaut de signature des conventions mais signature des chèques les accompagnant - Application de la théorie de l’émission non de celle de la réception - Rejet.

Dans un litige entre la société EDF et un fournisseur d’électricité d’origine photovoltaïque avec lequel elle refuse de conventionner en vue d’un raccordement au réseau public, le Conseil d’État donne deux intéressantes précisions, l’une de bon sens, l’autre plus doctrinale.

En premier lieu, le fournisseur avait omis de signer les conventions envoyées à EDF mais avait signé les chèques les accompagnant : le juge a considéré cet envoi - et il doit en être approuvé - comme valant notification régulière à EDF de son acceptation de la proposition, antérieure, de raccordement.

En second lieu, et alors que se posait une question de date limite fixée au 1er décembre, le juge applique la théorie de l’émission pour dire conclue la convention à la date du 1er décembre, qui est celle de l’envoi de l’acceptation, et non à celle du 6 décembre, date de la réception par EDF de ladite acceptation.

En droit privé un immense débat a opposé les tenants respectifs de l’une ou de l’autre théorie : émission ou réception ? Aujourd’hui la question est tranchée par l’art. 1121 du Code civil (ordonnance du 10 février 2016, art. 2) qui retient la théorie de la réception en ces termes : « Le contrat est conclu dès que l'acceptation parvient à l'offrant. Il est réputé l'être au lieu où l'acceptation est parvenue. »

Le Conseil d’Etat n’a visiblement pas opté pour cette solution. Reste cependant à savoir s’il ne s’agit ici que d’une décision d’espèce ou, au contraire, de la position générale du juge administratif. En ce cas, il faudrait démontrer l’intérêt qu’il y a en cette matière à s’éloigner de la solution retenue par le Code civil. Le droit administratif n’est pas indépendant du droit civil mais seulement autonome par rapport à lui, ce qui oblige, en chaque cas, à justifier la mise à l’écart des dispositions du Code civil (En ce sens, les conclusions de René Rivet sur 25 novembre 1921, Savonneries Henri Olive, RDP 1922 p. 107).

(5 février 2020, Société EDF, n° 420753 ; v. cependant, du même jour, la solution contraire retenue lorsqu’une société demande la conclusion d'un contrat de raccordement au réseau public de distribution d'électricité auprès de la société Électricité Réseau de France (ERDF) et non, contrairement à ce qu'elle soutient, la conclusion d'un contrat d'achat avec la société EDF, les deux sortes de contrats ayant un objet distinct ; idem en cas de non-respect des dates de déclenchement des dispositions tarifaires applicables : Société EDS Cay, n° 422682)

 

46 - Marché public - Candidat évincé - Attribution du marché prétendue non conforme au droit de l’Union - Notion de « dispositif médical » - Présence en l’espèce - Qualification inexacte des faits - Cassation avec renvoi.

Candidate évincée de la procédure - conduite par un CHU - d’un marché public de " location-vente d'une enceinte blindée automatisée avec la maintenance pour la préparation de doses de radio isotopes de haute énergie et l'injection au patient, et fourniture de consommables associés ", la société requérante demande l’annulation de ce marché en ce qu’il ne respecte pas la réglementation européenne régissant les dispositifs médicaux et un euro symbolique de dommages-intérêts.

Sa demande a été rejetée au motif qu'elle ne pouvait pas contester la validité du marché attribué à une autre société en soutenant que l'offre de cette dernière était non conforme faute de marquage CE approprié de plusieurs éléments devant être qualifiés de dispositifs médicaux.

Tout le débat portait donc sur la notion de dispositif médical et sur son application dans le cadre du litige.

Selon l’art. L. 5211-1 du code de la santé, transposant une directive du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux, modifiée par celle du 5 septembre 2007 : « on entend par dispositif médical tout instrument, appareil, équipement, matière, produit, à l'exception des produits d'origine humaine, ou autre article utilisé seul ou en association, y compris les accessoires et logiciels nécessaires au bon fonctionnement de celui-ci, destiné par le fabricant à être utilisé chez l'homme à des fins médicales et dont l'action principale voulue n'est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, mais dont la fonction peut être assistée par de tels moyens. Constitue également un dispositif médical le logiciel destiné par le fabricant à être utilisé spécifiquement à des fins diagnostiques ou thérapeutiques » .

La jurisprudence de la CJUE (7 décembre 2017, Syndicat national de l’industrie des technologies médicales (Snitem), Philips France, aff. C-329/16) est venue préciser dans le point 25 de sa décision « qu’un logiciel qui procède au recoupement des données propres du patient avec les médicaments que le médecin envisage de prescrire et est, ainsi, capable de lui fournir, de manière automatisée, une analyse visant à détecter, notamment, les éventuelles contre‑indications, interactions médicamenteuses et posologies excessives, est utilisé à des fins de prévention, de contrôle, de traitement ou d’atténuation d’une maladie et poursuit en conséquence une finalité spécifiquement médicale, ce qui en fait un dispositif médical  au sens (de la directive de 1993) ». En revanche, « un logiciel qui, tout en ayant vocation à être utilisé dans un contexte médical, a pour finalité unique d’archiver, de collecter et de transmettre des données, comme un logiciel de stockage des données médicales du patient, un logiciel dont la fonction est limitée à indiquer au médecin traitant le nom du médicament générique associé à celui qu’il envisage de prescrire ou encore un logiciel destiné à faire état des contre-indications mentionnées par le fabricant de ce médicament dans sa notice d’utilisation, (ne constitue pas un dispositif médical) » (point 26).

La Cour a, enfin, encore dit pour droit que « si cette disposition prévoit que l’action principale du dispositif médical « dans ou sur le corps humain » ne peut être obtenue exclusivement ni par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, elle n’exige pas qu’un tel dispositif agisse directement dans ou sur le corps humain » (point 28).

Le Conseil d’État en déduit logiquement, appliquant cet argumentaire au cas de l’espèce, s'agissant du matériel nécessaire à la réalisation d'imagerie dans un service de médecine nucléaire, que lorsqu'un matériel est utilisé dans la préparation de solutions pharmaceutiques sans être suivi de l'administration de ces dernières à un patient, il ne peut pas, faute d'action sur le patient, être qualifié de dispositif médical et constitue alors un équipement de fabrication. En revanche, un appareil destiné à mesurer la dose d'un produit radio-pharmaceutique en vue de prévenir ses éventuels effets dangereux au moment de son administration au patient doit être qualifié de dispositif médical. Il en va de même d'un matériel destiné à être intégré au système d'administration de substances radio-pharmaceutiques au patient et qui permet le contrôle de la radioactivité des substances présentes dans le flacon.

En refusant de qualifier de « dispositif médical » l’objet du contrat, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits de l’espèce.

(10 février 2020, Société Lemer Pax, n° 421576)

 

47 - Marché public de travaux - Réclamation au sens de l’art. 50.21 du CCAG applicable au litige - Délai de trois mois non respecté - Contestation des pénalités de retard infligées lors du décompte général et définitif du marché - Refus d’examen pour tardiveté - Erreur de droit - Cassation et renvoi dans cette mesure.

Deux points méritent attention.

La cour est approuvée, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, pour avoir jugé qu’en l’absence de critique de la part du groupement requérant, par son mémoire complémentaire, d’une décision du 5 juillet 2001 rejetant leur réclamation du 25 avril 2001, celui-ci n’avait pas contesté ce rejet dans le délai de trois mois contrairement aux dispositions de l’art. 50.21 du CCAG applicable au litige.

Si la cour, s’agissant des pénalités de retard, est approuvée d’avoir souverainement jugé que les demandes du groupement formulées en 2001 et 2008 tendaient aux mêmes fins, alors même que les montants demandés différaient, elle se voit reprochée une erreur de droit pour avoir jugé que la réclamation adressée par le groupement le 25 avril 2001 pouvait porter aussi sur les pénalités de retard alors que celles-ci n'ont été infligées que lors de l'établissement du décompte général en 2008.

(10 février 2020, Société Eiffage Construction Provence et Société Dumez Méditerranée, n° 422063)

 

48 - Marché public de travaux - Offre rejetée - Inexistence d’une prime en cas rejet d’offre - Affirmation erronée - Dénaturation des stipulations du règlement d’un concours d’architecture et d’ingénierie - Cassation avec renvoi à la cour.

(10 février 2020, Société Marc Dalibard - Société d'architecture, n° 429227 ; v. aussi, à propos de cette opération de restructuration/extension, du même jour, la décision, confirmant l’arrêt d’appel sur un autre aspect du litige : Sociétés A5A Architectes, AI Project et Cosyrest, n° 429229) V. n° 32

 

49 - Agence du numérique en santé - Agence chargée à titre exclusif du programme des systèmes d'information et de télécommunication des services d'aide médicale urgente - Absence de monopole - Finalité impartie à l’Agence - Atteinte au droit des marchés et au droit de la concurrence - Absence - Absence de risque d’abus de position dominante - Rejet.

Un décret du 15 décembre 2015 crée, sous la forme d’un groupement d’intérêt public (GIP), l’Agence nationale des systèmes d'information partagés de santé, devenu Agence du numérique en santé à laquelle est confiée pour dix ans l’exécution d’un programme de modernisation des systèmes d'information et de télécommunication des services d'aide médicale urgente « ayant notamment pour objet » de permettre aux services d'aide médicale urgente (SAMU) (cf. art. L. 6311-2 du code de la santé publique) d'assurer leurs missions, par la mise en place d'une solution à vocation nationale comprenant un service de traitement des appels et de gestion de la régulation médicale, des outils de pilotage de l'activité et de gestion des crises y compris d'ampleur nationale, un interfaçage avec les partenaires, ainsi que des fonctionnalités permettant de garantir l'échange, le partage et la conservation des données de santé dans le respect des règles de confidentialité et de sécurité.

Invoquant diverses illégalités les sociétés requérantes ont sollicité du premier ministre l’abrogation de ce décret et elles attaquent donc son refus implicite d’accéder à leur demande.

Le Conseil d’État rappelle tout d’abord qu’en vertu d’une jurisprudence désormais constante - qui nous semble toujours aussi discutable -, il n’est pas possible d’invoquer dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le refus d'abroger un acte réglementaire, la légalité des conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché, ceux-ci ne pouvant plus être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir qui serait dirigé contre l'acte réglementaire lui-même et à condition qu’il ait été introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux.

Passant à l’examen du fond, le juge rejette tous les arguments développés.

En premier lieu, le décret n’aurait pas institué de monopole au profit de l’Agence. Certes, il n’existe aucun monopole du droit mais qu’en est-il en fait compte tenu des pouvoirs dévolus à celle-ci, de sa compétence nationale, de l’appui des pouvoirs publics, etc. ? La CJUE pourrait ne pas avoir la même conception des choses que le Conseil d’État

En deuxième lieu, le juge assure qu’en raison de la mission confiée par le décret attaqué à l’Agence (« remédier à l'insuffisance et à l'hétérogénéité des systèmes d'information et de télécommunication des services d'aide médicale urgente afin d'assurer la continuité du service public de l'aide médicale urgente et la qualité de la prise en charge des patients, en améliorant notamment l'interopérabilité de ces systèmes entre eux et avec les systèmes d'information et de télécommunication des autres services intervenant dans l'organisation des secours urgents »), le droit exclusif limité que le décret litigieux attribue à l'agence, qui lui permet, en vertu de l'article L. 2512-4 du code de la commande publique, reprenant les dispositions du 1° de l'article 14 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, de mettre ses prestations à disposition des établissements de santé comportant un service d'aide médicale urgente en dehors de toute mise en concurrence, tandis qu'elle-même est soumise aux règles de passation des marchés publics pour la conclusion et l'exécution des marchés qu'elle peut être amenée à passer, n'excède pas ce qui est nécessaire pour assurer l'exécution de sa mission.

Enfin, le Conseil d’État considère que si ce droit exclusif confère à l'agence une position dominante sur le marché des systèmes d'information et de télécommunication des services d'aide médicale urgente, le décret litigieux ne la place pas pour autant en situation d'exploiter de manière abusive cette position.

Il estime que ni la circonstance que l'agence peut proposer ses prestations aux établissements sièges des services d'aide médicale urgente en dehors de toute mise en concurrence ni le fait que l’éventuelle rémunération de ses prestations ne soit pas encadrée, ne traduisent, par eux-mêmes, aucun abus de position dominante.

Il juge de même qu’eu égard aux autres missions confiées à l'Agence à la date à laquelle il statue, la circonstance qu’elle puisse fournir, en dehors de toute mise en concurrence, des prestations accessoires à la mission pour laquelle un droit exclusif lui a été attribué ne saurait conduire à une distorsion de concurrence sur un marché voisin de celui des systèmes d'information et de télécommunication des services d'aide médicale urgente.

C’est sans doute ce que l’on appelle une vision optimiste des choses.

(26 février 2020, Société Appligos, société Telecom Externals Operating Systems (Telecom Exos), société d'informatique et de systèmes (SIS) et société Scriptal, n° 424407)

 

50 - Marché public - Résiliation aux torts du titulaire - Hypothèse d’une résiliation dont la régularité est contestée - Possibilités ouvertes au titulaire du marché résilié - Demande au juge d’établir le décompte définitif du marché résilié - Non-lieu opposé - Erreur de droit - Cassation et renvoi partiels.

Les articles 37, 38 et 40.1 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés publics industriels auquel renvoient les stipulations du marché litigieux, fixe le régime applicable en cas de résiliation d’un marché aux torts de son titulaire. Sur leur fondement, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la défense (Simmad) a résilié unilatéralement le marché qu’elle avait conclu avec la société requérante, portant sur l'acquisition de véhicules de dégivrage et d'antigivrage pour les aéronefs du ministère de la défense.

La requérante a saisi le tribunal administratif d’un recours en contestation de la décision de résiliation ; celui-ci l’a rejeté. La Simmad ayant ensuite notifié à la société Iveco France deux décomptes provisoires mettant à sa charge le coût des dépenses supplémentaires résultant de la passation d'un marché de substitution ayant le même objet que le marché initial, la requérante a demandé au tribunal administratif la décharge des sommes figurant dans ces décomptes de résiliation provisoires et l’établissement du décompte définitif du marché résilié. Déboutée, la société requérante a saisi la cour administrative d’appel. Cette dernière a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions relatives au décompte définitif du marché et rejeté le surplus des conclusions de la requête d'appel. Sur pourvoi de la société, le Conseil d'État a admis ses conclusions en tant que l’arrêt attaqué a prononcé un non-lieu à statuer.

Pour prononcer ce non-lieu la cour s'est fondée, d'une part, sur la circonstance qu’au cours de l'instance d'appel, la Simmad avait notifié à la société Iveco France le décompte général de résiliation de son marché primitif, tenant compte du marché de substitution et, d'autre part, sur le fait que la société Iveco France avait introduit à l'encontre de ce décompte un recours contentieux devant le tribunal administratif.

 Le Conseil d’État censure ce raisonnement pour erreur de droit en observant que les dispositions précitées ne sont applicables qu’à un marché  régulièrement résilié, par suite, elles ne font pas obstacle à ce que, sous réserve que le contentieux soit lié, le cocontractant dont le marché a été résilié à ses frais et risques saisisse le juge du contrat afin de faire constater l'irrégularité ou le caractère infondé de cette résiliation et demande, de ce fait, le règlement des sommes qui lui sont dues, sans attendre le règlement définitif du nouveau marché, après, le cas échéant, que le juge du contrat a obtenu des parties les éléments permettant d'établir le décompte général du marché résilié. La circonstance qu'un décompte général tenant compte du règlement définitif du nouveau marché passé pour l'achèvement des travaux soit notifié par l'administration avant que le juge statue sur le litige qui lui a été soumis par l'entreprise dont le marché a été résilié ne prive pas ce litige de son objet.

(26 février 2020, Société Iveco France, n° 428344)

 

51 - Concession - Contrat de mobilier urbain - Contrat prévoyant que pourront être souscrites des prestations supplémentaires - Impossibilité d’en connaitre à l’avance le volume précis - Règlement de consultation prévoyant un critère portant sur le coût d'achat de diverses prestations supplémentaires ainsi qu'un tableau de prix unitaires - Régularité - Cassation sans renvoi de l’ordonnance de référé précontractuel.

La société JCDecaux France avait contesté la possibilité pour une commune, dans le règlement de consultation en vue d’une concession de services relative à des mobiliers urbains, de commander des prestations supplémentaires, évaluées au titre du critère de jugement des offres, fondé sur la comparaison des prix unitaires proposés par les candidats pour ces prestations. Le juge du référé précontractuel avait jugé qu'en l'absence de limite quantitative pour ces prestations, la commune avait insuffisamment défini l'étendue de ses besoins et s'était ainsi réservée une marge de choix discrétionnaire ne garantissant pas l'égalité de traitement des candidats et la transparence de la procédure. Il avait annulé la procédure de consultation.

Le Conseil d’État annule le jugement motif pris que le critère de jugement des offres n° 8, intitulé « coûts supplémentaires pour la commune », portait sur le coût d'achat de diverses prestations supplémentaires et qu’à cette fin, le bordereau des prix unitaires figurant en annexe du cahier des charges de la concession comportait un tableau de prix de mise à disposition s'appliquant « au déploiement de mobiliers supplémentaires par rapport au nombre de mobiliers à déployer fixé dans le cahier des charges et dont la charge incombe au titulaire », dont les cinq lignes correspondaient à des mobiliers existants précisément décrits dans le cahier des charges, que les candidats devaient remplir en indiquant un « prix unitaire ». Par conséquent, en apercevant dans cette manière de faire une méconnaissance du  principe de la définition préalable par l'autorité concédante de l'étendue de ses besoins et la disposition par la commune d’une marge de choix discrétionnaire, le juge du référé précontractuel de première instance a commis une erreur de droit dès lors que ce tableau permettait de comparer les prix unitaires des différentes offres et que les candidats admis à concourir étaient à même de demander des précisions sur ce point à l'autorité concédante s'ils l'estimaient souhaitable.

(Ord. réf. 26 février 2020, Commune de Saint-Julien-en-Genevois, n° 436428)

 

52 - Contrat public - Délégation et marché - Éviction irrégulière d’un candidat - Conditions et limites de l’indemnisation - Cassation partielle et renvoi.

La société requérante, candidate à une procédure ouverte de passation d'une convention de délégation de service public pour la gestion d’un service de restauration municipale et dont l’offre n'a pas été retenue, a saisi le juge à la fois d’un recours en contestation de la validité du contrat conclu par la commune avec une autre société et d'une demande indemnitaire d'un montant de 8 758 890 euros en réparation de son préjudice résultant, d'une part, de son manque à gagner sur dix ans et, d'autre part, des frais engagés pour la présentation de son offre.

Le tribunal administratif a requalifié la délégation de service public en marché public et estimé que celui-ci était affecté de plusieurs vices présentant un caractère d'une particulière gravité, il a, en conséquence, prononcé la résiliation du contrat à compter du premier jour du sixième mois suivant la notification du jugement et rejeté le surplus de sa demande. La cour administrative d'appel a rejeté l'appel principal et l'appel incident formés contre ce jugement, respectivement, par la commune et la société Régal des Iles. Cette dernière se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il a rejeté ses conclusions d'appel incident tendant à la condamnation de la commune à lui verser une somme de 8 758 890 euros.

Le Conseil d’État réitère à cette occasion l’exposé de la méthodologie que doit suivre le juge administratif en matière d’indemnisation du préjudice, étant rappelé que cet examen dépend du pouvoir souverain des juges du fond sous réserve de dénaturation.

Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et à la condition expresse qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge d’opérer deux analyses.

Tout d’abord il lui appartient de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité ; si, au contraire, le candidat évincé n’était pas dépourvu d’une chance de remporter le contrat, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre.

Ensuite, le juge doit rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat finalement conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

Cependant, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général sauf, nous semble-t-il, à démontrer que la renonciation de celle-ci à contracter constitue un détournement de pouvoir aux fins d’échapper à la nécessité d’indemniser.

Appliquant cette ligne méthodologique, le juge relève que la candidature de la société requérante avait été classée en deuxième position et que celle-ci a obtenu la résiliation du contrat car il avait été passé en suivant la procédure applicable aux délégations de service public alors qu'il s'agissait d'un marché public de services.

La société attributaire de la délégation de service public s'est vu attribuer, postérieurement à la résiliation du contrat en litige, un marché public pour la gestion du service de restauration municipale de la même commune.

C’est donc par une dénaturation des pièces du dossier que la cour administrative d’appel, pour rejeter les conclusions indemnitaires de la société requérante au titre des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre, a jugé que le recours irrégulier à la procédure de passation des délégations de service public par la commune n'était pas susceptible d'avoir eu une incidence sur l'éviction de la société et que celle-ci était dépourvue de toute chance d'obtenir ce marché.

L’arrêt est cassé et l’affaire renvoyée à l’examen de la même cour administrative d’appel.

(28 février 2020, Société Régal des Îles, n° 426162)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

53 - Subvention accordée dans le cadre d'un plan de modernisation de bâtiments d'élevage - Subvention à parts égales, de l’État et du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) - Refus de versement de la subvention pour non-conformité des travaux réalisés - Réclamation et contentieux - Exception de prescription quadriennale - Point de départ du délai - Cassation partielle de l’arrêt d’appel et rejet des conclusions.

Cette décision concerne la contestation du refus préfectoral de verser une subvention déjà accordée pour non-conformité des travaux réalisés en vue de son octroi puis de son versement. Il s’agissait d’une subvention « croisée » comportant pour moitié des fonds de l’État et pour moitié des fonds du FEOGA. Deux utiles indications sont données au sujet du régime de la prescription quadriennale, qui est, on le sait, le mode ordinaire de prescription des créances détenues sur l’État et les autres personnes morales de droit public pourvues d’un comptable public.

En premier lieu, il est reproché à la cour administrative d’appel, après qu’elle a écarté l’exception de prescription quadriennale lors de l’examen du recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision du préfet refusant de verser la subvention, de ne s’être pas prononcée sur cette même exception dans le cadre de l’examen des conclusions pécuniaires tendant au versement de la somme litigieuse, d’où la cassation partielle de son arrêt.

En second lieu, devait être déterminé le point de départ du délai de prescription. Relevant que l'article 14 du décret du 16 décembre 1999 relatif aux subventions de l'État pour les projets d'investissement dispose : " Le versement de la subvention est effectué sur justification de la réalisation du projet et de la conformité de ses caractéristiques avec celles visées par la décision attributive ", le Conseil d’État juge que la créance dont se prévaut l'EARL du Coteau, requérante, est devenue liquide et exigible, à raison de l'achèvement des travaux, à la date de déclaration d'achèvement transmise par l'EARL à l'administration soit le 8 novembre 2007. La prescription a donc couru du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2011. Aucune autre nouvelle demande de paiement ou réclamation écrite ayant trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de sa créance, n’étant intervenue par la suite, il en résulte sa prescription à la date ci-dessus. Celle-ci était prescrite tant à la date de l'adoption de l'arrêté préfectoral contesté du 5 janvier 2015, qui n'a pas eu pour effet de faire renaître la créance litigieuse, qu'à la date de saisine du tribunal administratif, le 23 février 2015. Dans ces conditions, les conclusions par lesquelles l'EARL demande à ce que l'État soit condamné à lui verser la somme de 14 338,80 euros ne pouvaient qu'être rejetées.

(5 février 2020, EARL du Coteau, n° 418175)

 

54 - Société de gestion d’un portefeuille de valeurs mobilières - Répression d’un abus de droit conformément à l’avis du comité de l’abus fiscal - Renversement de la charge de la preuve - Qualification d’abus de droit - Imposition des sommes éludées dans la catégorie des traitements, indemnités et salaires - Erreur de droit - Cassation partielle.

Dans un litige relatif à un montage financier fiscalement douteux, le Conseil d’État approuve la cour administrative d’appel d’avoir jugé, d’une part, que les qualifications opérées par l’administration fiscale étant conformes à l’avis du comité de l’abus de droit cela avait pour effet de renverser la charge de la preuve, laquelle incombe alors au contribuable, et, d’autre part, d’avoir estimé réalisé en l’espèce un abus de droit.

Ce dernier constitue un acte recherchant le bénéfice d'une application des textes contraire à l'intention de leurs auteurs et motivé par un but exclusivement fiscal. Tel était le cas ici, selon le juge, où la cession de titres apportés par un contribuable à une société qu'il contrôle, s'insérait dans une série d'opérations lui ayant permis d'entrer artificiellement dans les prévisions de l'article 150-0-b du CGI sans qu’il soit besoin - pour la constitution de l’abus - d'appréhension de liquidités et de désinvestissement.

En revanche, il critique l’intégration par la cour des revenus éludés dans la catégorie des traitements et salaires ou compléments à ceux-ci alors qu’elle devait rechercher si l’avantage financier consenti au demandeur l’a été directement en raison de ses fonctions de cadre dirigeant de la société auteur du montage litigieux.

(12 février 2020, M. et Mme X., n° 421444 ; v. aussi du même jour avec identique solution : M. X., n° 421441)

 

55 - Impôt sur le revenu - Proposition de rectification des bases d’imposition - Étendue de l’obligation de motivation - Complétude de la motivation permettant au contribuable la formulation correcte de ses observations - Absence - Cassation avec renvoi.

Le juge rappelle que, pour être régulière, la proposition de rectification des bases d’imposition faite à la suite d’un contrôle fiscal et donc la notification du redressement subséquent, doit comporter les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés qui sont nécessaires pour permettre au contribuable de formuler ses observations de manière « entièrement utile ».

En l’espèce est cassé pour erreur de droit l’arrêt d’appel qui juge régulière une proposition de rectification qui ne contient pas la motivation du mode de calcul retenu par l’administration fiscale pour établir le montant de la plus-value taxable.

(25 février 2020, M. et Mme X., n° 428658)

 

56 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Détermination de la valeur locative par la méthode de la comparaison - Obligation de comparer avec des immeubles sur le territoire de la même commune - Impossibilité de comparer avec des immeubles d’une autre commune sans tentative de comparaison au sein de la même commune - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit - par mauvaise interprétation du a du 2° de l'article 1498 du CGI - le tribunal qui juge que l'administration fiscale peut légalement retenir comme terme de comparaison, pour apprécier la valeur locative du local à usage commercial de la société requérante, un immeuble situé sur le territoire d’une autre commune, sans rechercher au préalable s'il existait un terme de comparaison pertinent sur le territoire de la commune d'implantation du local à évaluer. Ce d’autant plus que le tribunal était expressément saisi d’un moyen en ce sens.

(13 février 2020, SCI Ainevil, n° 421173)

 

57 - Exécution des décisions de justice - Condamnation au paiement d’une somme d’argent - Inexécution - Exception de prescription quadriennale - Comptable refusant de payer sans ordonnancement préalable - Annulation avec injonction.

 (12 février 2020, M. X., n° 432598) V. n° 23

 

58 - Procédure de flagrance fiscale - Office du juge des référés - Date à laquelle il doit se placer pour apprécier la régularité de la procédure de flagrance - Date à laquelle il doit se placer pour apprécier la régularité des mesures conservatoires prises au titre de l’état de flagrance - Annulation du jugement et dévolution à la cour administrative d’appel.

L'art. L. 16-0 BA du livre des procédures fiscales a prévu qu’en cas, notamment, d’omission réitérée par le contribuable de respecter une obligation déclarative, les agents de l’administration fiscale peuvent, si cette omission menace le recouvrement d’une créance fiscale, dresser à l'encontre de ce contribuable un procès-verbal de flagrance fiscale et prendre des mesures conservatoires. La contestation de l’un et des autres peut être faite devant le juge du référé administratif de l’art. L. 279 du LPF.

En l’espèce devait être fixée l’étendue de l’office de ce juge des référés selon l’objet de la contestation afin de préciser les contours de solutions jurisprudentielles qui ont pu faire hésiter les juges du fond (17 janvier 2014, Société Expatrium International Ltd, n° 372282 ; 3 octobre 2016, Société Special Bannow Bay Shellfish Ltd et autres, n° 401383).

Le Conseil d’État adopte deux solutions très claires : lorsqu’il statue sur la régularité de la procédure de flagrance elle-même, le juge des référés doit se placer au jour où a été établi le procès-verbal ; lorsqu’il se prononce sur la légalité ou le bien-fondé des mesures conservatoires, le juge des référés doit se placer au jour où il statue.

(Ord. réf. 12 février 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 422362)

 

59 - Procédure de flagrance fiscale - Notion de menace pour le recouvrement d’une créance fiscale - Risque d’organisation de l’insolvabilité de l’entreprise - Régime de la preuve - Simple déduction d’une situation de fait - Cassation du jugement.

Ayant constaté qu’une société de droit suisse avait omis de façon réitérée son obligation de déclaration fiscale, l’administration a dressé un procès-verbal de carence et, cette société de droit étranger n’ayant aucun bien immobilier en France mais seulement un compte courant, elle a aussitôt pris des mesures conservatoires pour pallier tout risque d’organisation à brève échéance de son insolvabilité, ce qui constituait une menace pour le recouvrement de créances fiscales.

Le juge du référé de l’art. L. 279 LPF a estimé qu’il incombait à l’administration de rapporter la preuve de l’existence de l’imminence d’une telle organisation d’insolvabilité or ce n’était pas le cas en l’espèce et il a suspendu les mesures conservatoires.

Le Conseil d’État casse ce jugement motif pris de ce que la menace justificatrice de mesures conservatoires était réalisée du seul fait de l’existence d’un compte courant en France sans détention d’autres biens, en particulier immeubles.

La solution nous semble excessive en soi et exagérément favorable aux intérêts de l’administration fiscale.

(Ord. réf. 12 février 2020, Société Evolutec Ingenierie International, n° 422503)

 

60 - Comptable de fait - Absence de poursuites pénales sur le fondement de l’art. 433-12 du code pénal - Amende - Amende exclue en cas d’application de l’art. 433-12 - Atteinte au principe de la nécessité des délits et des peines (art. 8 DDHC) - Renvoi d’un QPC au Conseil constitutionnel.

(7 février 2020, M. X., n° 436066 ; v. aussi, du même jour avec même solution : M. X., n° 436124) V. n° 127

 

61 - Cession de biens immobiliers - Plus-value de cession - Régime fiscal issu de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966 - Régime fiscal uniforme quelle que soit la nationalité, française ou suisse, du cédant - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la juridiction qui exclut des contribuables suisses du bénéfice de l'exonération de l’impôt sur les plus-values de cessions immobilières prévue par le 1° bis du paragraphe II de l'article 150 U du CGI, s'ils en remplissent les conditions. Il résulte en effet des stipulations de l’art. 15 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 que les plus-values résultant de la cession de biens immobiliers sont imposées dans les mêmes conditions que le bénéficiaire soit résident fiscal français ou suisse, ce qui implique notamment qu'un résident suisse ne peut être exclu du bénéfice de l'exonération précitée.

(12 février 2020, M. et Mme X., n° 415475)

 

62 - Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) - Champ d’application - Travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 2009 - Redevables assujettis à la cotisation foncière - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

La loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 portant loi de finances pour 2010 dont est issu le texte de l'article 1586 ter du CGI ne définit pas vraiment les redevables de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Toutefois, le juge, s’appuyant sur les travaux préparatoires de la loi, considère que le législateur, pour opérer la détermination des redevables, a entendu renvoyer à la définition des redevables de la cotisation foncière des entreprises (CFE) telle qu'elle résulte de l'ensemble des dispositions de l'article 1447 du CGI.

C’est donc au prix d’une erreur de droit que la cour administrative d’appel, se fondant pour cela exclusivement sur les dispositions du I de l’art. 1447 CGI et alors que la Caisse nationale des barreaux français requérante soutenait que, à raison de son caractère non lucratif, elle n'était pas redevable de la cotisation foncière des entreprises (CFE) en vertu des dispositions du II de l'article 1447 du CGI  et qu’ainsi elle ne l’était pas davantage de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises CVAE, a jugé que l’exonération de la CFE était sans incidence sur l'assujettissement à la CVAE.

(12 février 2020, Caisse nationale des barreaux français, n° 420605)

 

63 - Cession de valeurs mobilières - Régime d’imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières - Date de la cession - Notion de revente à des tiers - Rejet.

La cession par des parents à leurs fils de parts détenues dans une société ayant conduit l’administration fiscale à des impositions supplémentaires et en sus de droits sociaux et de pénalités corrélatifs, un contentieux s’en est suivi qui aborde deux questions intéressantes.

La première portait sur la détermination de la date à laquelle avait été réalisée la cession des parts. Le Conseil d’État, rappelant les principes du code civil, décide que la vente est réalisée au jour de l’accord sur la chose et sur le prix sauf stipulations contractuelles contraires. En l’espèce, la cession est intervenue le 29 juillet 2004 sous la réserve suivante : « le transfert de propriété, et de jouissance, sera différé au jour du paiement de la dernière échéance du crédit vendeur ». Puis, par un second acte sous seing privé, du 13 janvier 2010, les parties à la cession devaient constater que, bien que le prix de vente n'ait pas été payé intégralement, le cédant acceptait que le transfert de propriété et de jouissance intervienne au jour de ce second acte. C’est donc sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a considéré cette dernière date comme celle à laquelle a été réalisé le transfert.

La seconde question portait sur l’applicabilité à cette cession de l'exonération de la plus-value prévue au 3 du I de l'article 150-0 A du CGI. Cette exonération est subordonnée à l'absence de revente à un tiers au groupe familial de tout ou partie des titres dans les cinq ans suivant la cession.

Le Conseil d’État en déduit que le rachat de ses propres titres par une société cédée doit être regardé comme une acquisition à titre onéreux et, par suite, que les droits sociaux rachetés au cessionnaire par la société cédée dans le cadre d'une opération de réduction du capital doivent être regardés comme revendus à un tiers au sens et pour l'application de ces dispositions.

Or en l’espèce, la cour n’a commis ni une erreur de droit ni une erreur de qualification juridique des faits quand, après avoir constaté que l'assemblée générale de la société civile familiale avait décidé, les 14 janvier 2010 et 26 janvier 2011, de réduire son capital par voie de rachat et d'annulation de titres correspondant à la totalité des parts sociales cédées par M. X. à son fils, elle a jugé que ces opérations de réduction de capital de ladite société civile devaient s'analyser, au sens de l'article 150-0 A du CGI, comme la revente par le fils de M. X. de ses parts sociales à un tiers et en a déduit que, ces opérations étant intervenues moins de cinq ans après la date à laquelle la cession des parts sociales de la société civile M. X. à son fils avait généré une plus-value, l'administration avait légalement estimé que cette cession n'entrait pas dans le champ de l'exonération prévue au 3 du I de l'article 150-0 A du CGI et imposé, au nom de M. et Mme X., la plus-value en résultant au titre des années de revente de ces droits.

(28 février 2020, M. et Mme X., n° 426065 ; dans le même sens, du même jour, voir : M. et Mme Y., n° 426069)

 

64 - Vérification de comptabilité - Comptabilité unique pour deux types différents d’activités relevant d’impositions distinctes - Conséquence - Présentation, au cours d’une vérification, de pièces sans caractère comptable - Effet - Absence de portée des dispositions combinées des art. L. 48 et L. 57 du livre des procédures fiscales (LPF) sur la ventilation des droits supplémentaires résultant d’une vérification - Rejet pour l’essentiel et cassation avec renvoi concernant les bénéfices industriels et commerciaux (BIC).

Le litige opposait un contribuable à l’administration fiscale à l’occasion des conditions de déroulement d’une vérification de comptabilité. Le juge, qui rejette tous les arguments développés au soutien de ce recours, apporte trois précisions intéressantes.

En premier lieu, le contribuable exerçait deux types d'activités, l’une à caractère commercial et l’autre de caractère non commercial et devait donc tenir deux comptabilités séparées. En réalité tous les mouvements étaient retracés dans une comptabilité unique. En conséquence, c’est à bon droit que la cour administrative d’appel a jugé que l'administration avait pu suivre une procédure de vérification unique.

En deuxième lieu, les garanties entourant, dans le LPF, les vérifications de comptabilité notamment lorsque cette comptabilité se trouve, en tout ou en partie, chez un tiers, exigeant en particulier un débat oral et contradictoire avec le contribuable vérifié, ne trouvent pas à s’appliquer à la communication de pièces ne présentant pas le caractère de documents comptables de l'entreprise vérifiée.

En troisième lieu, il résulte de la combinaison du premier alinéa de l'article L. 48 et de l’art. 57 du LPF que si l’administration est tenue de fournir au contribuable  l'indication du montant des conséquences financières des rectifications proposées et si la proposition de rectification doit indiquer de quelles catégories de revenus relèvent les différentes bases rectifiées, en revanche elle n'est pas tenue de ventiler les droits qui résultent des rectifications entre ces différentes catégories.

Le pourvoi est rejeté pour l’essentiel, à l’exception de la partie du litige portant sur les rectifications relatives aux BIC.

(24 février 2020, M. X., n° 420394)

 

65 - Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises - Taxe additionnelle à cette cotisation - Frais de gestion de 1% sur le montant de cette cotisation - Éléments déductibles du chiffre d’affaires servant d’assiette à cette cotisation - Inclusion du loyer des biens sous-loués - Exclusion des charges de contrepartie pour mise à disposition de biens corporels pris en location ou en sous-location pour une durée de plus de six mois, en crédit-bail, ou en location-gérance - Exclusion applicable même lorsque ces charges découlent pour le contribuable de l’exécution d’une convention de délégation de service public - Cassation avec renvoi.

Le Conseil d’État déduit des dispositions  du I de l'article 1586 sexies du CGI que, réserve faite de la charge que constitue le loyer des biens sous-loués et ce, dans la limite du produit de leur sous-location, ne sont pas déductibles du chiffre d'affaires, pour le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), et partant, pour le calcul de la taxe additionnelle et des frais de gestion, les charges qui ont pour contrepartie la mise à disposition de biens corporels pris, soit en location ou en sous-location pour une durée de plus de six mois, soit en crédit-bail, soit en location-gérance.

Il en va ainsi quand bien même ces charges auraient été exposées par le contribuable en exécution d'un contrat de délégation de service public.

La solution est rigoureuse.

(24 février 2020, Ministre de l'action et des comptes publics c/ Société Elior Orsay devenue société de restauration du musée d’Orsay, n°433881 ; V. aussi, du même jour et avec même solution : Ministre de l'action et des comptes publics c/ Société française d'exploitation de restaurant (SOFEREST), n° 433882 ; Ministre de l'action et des comptes publics c/ Société européenne de bars restaurants (Eurobar) n° 433883)

 

66 - Contribution foncière des entreprises (CFE) - Demande de décharge de la CFE - Demande de réduction de la CFE par application de la règle du plafonnement - Demandes distinctes, nouvelle pour la seconde - Impossibilité de former des demandes nouvelles en appel - Cassation sans renvoi de l’arrêt d’appel.

Un club sportif, assujetti à la CFE, a, par deux recours gracieux distincts adressés à l’administration fiscale, demandé à titre principal à être déchargé de cette contribution et, à titre subsidiaire, la réduction de son montant par application de la règle du plafonnement de la contribution économique territoriale en fonction de la valeur ajoutée prévu par l'article 1647 B sexies du CGI. Ses demandes ayant été rejetées par l’administration, la société n’a saisi le tribunal administratif que du seul litige portant sur la décharge de CFE. En appel, la cour a accueilli la demande fondée sur le plafonnement de la cotisation.

Le Conseil d’État relève d’abord que les deux demandes sont distinctes et concernent des litiges distincts, ensuite qu’il s’agissait en appel, non pas d’un moyen nouveau au soutien de la même demande que celle formulée en première instance mais d’une demande nouvelle irrecevable car invoquée pour la première fois en cause appel. L’arrêt de la cour, qui n’a jugé cette demande recevable que par suite d’une erreur de droit, est cassé.

(24 février 2020, Ministre de l'action et des comptes publics c/ Société Club sportif de Sedan Ardennes, n° 434423)

 

Droit public de l’économie

 

67 - Société assurant le contrôle technique de poids lourds - Agrément/accréditation de cette société venu à expiration - Absence de demande de renouvellement de l’agrément - Préfet s’abstenant de suspendre l’agrément expiré - Cassation, avec renvoi, de l’arrêt d’appel jugeant légale cette abstention.

Commet une erreur de droit au regard de dispositions du code de la route (L. 323-1, R. 323-1, R. 323-14 et R. 323-21), la cour administrative qui juge qu’un préfet peut à bon droit, malgré l’expiration de l’accréditation dont bénéficiait une société de contrôle de poids lourds et l’absence, de sa part, de demande de renouvellement ou de prolongation, refuser de mettre en œuvre la procédure de retrait ou de suspension de l'agrément car il dispose d'une marge d'appréciation et alors même que cette abstention était justifiée, d’une part, par l’absence de dysfonctionnement de cette société en matière de sécurité et, d’autre part, par le souci de l’administration de tenir  compte de « circonstances économiques et sociales locales ».

(5 février 2020, Société Vivauto PL, n° 419284)

 

68 - Pharmacie - Médicaments orphelins - Prescription d’un médicament hors indications - Application du règlement européen du 16 décembre 1999 - Marge de liberté des autorités nationales dans la fixation du prix de vente - Limites - Annulation.

(5 février 2020, Société Orphan Europe, devenue Recordati rare diseases, n° 425578) V. n° 135

 

Droit social et action sociale

 

69 - Aides sociales du département - Aides facultatives et aides obligatoires - Régime de récupération des aides - Régime existant au moment du décès - Modulation par le juge du montant à rembourser - Admission et rejet partiels.

Un président de département a prononcé la récupération d’une créance d’aide sociale sur la succession de son bénéficiaire soulevant un contentieux avec les sœurs et le frère du défunt. C’est l’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler un certain nombre de choses.

Tout d’abord, jusqu’au 1er janvier 2019 les litiges relatifs aux prestations légales d'aide sociale (article L. 134-1 code de l’action sociale et des familles) relevaient des juridictions de l’aide sociale, juridictions administratives spécialisées, et les litiges portant  sur les prestations facultatives d'aide sociale relevaient des juridictions administratives de droit commun. Pour déterminer le caractère légal ou facultatif d’une prestation d’aide sociale, il faut se placer au cours de la période au titre de laquelle elle a été versée. Ainsi, en l’espèce, les dépenses exposées par le département au titre de l'accompagnement à la vie sociale du défunt ne constituaient pas des frais d'hébergement et d'entretien (article 168 du code précité) et n’entraient donc pas dans la catégorie des prestations légales mais dans celle des prestations facultatives d'aide sociale. Seul le juge administratif de droit commun était compétent pour en connaître et non les juridictions de l'aide sociale :  la commission centrale d'aide sociale, qui n’a pas soulevé son incompétence d’office, a entaché sa décision d'une erreur de droit.

Ensuite, alors que les prestations légales d’aide sociale sont, de droit, récupérables sur la succession, les prestations facultatives ne peuvent faire l'objet d'une récupération sur succession, d’une part, que si les dispositions réglementaires régissant ces prestations le prévoyaient au cours de la période au titre de laquelle elles ont été versées, et d’autre part, que dans le respect des dispositions applicables à la récupération sur succession en vigueur à la date du décès du bénéficiaire de la prestation.

Enfin, en sa qualité de juge de plein contentieux, le juge administratif se reconnaît le pouvoir d’apprécier le bien-fondé de l'action engagée par la collectivité publique d'après l'ensemble des circonstances de fait dont il est justifié par l'une et l'autre parties à la date de sa propre décision. Il a donc la faculté, en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, d'aménager les modalités de cette récupération et, le cas échéant, d'en réduire le montant ou d'en reporter les effets dans le temps. Ce qu’il fait dans la présente affaire.

Voilà un juge bien près de faire acte d’administrateur.

(5 février 2020, Mme X. et autres, n° 422833)

 

70 - Régime des établissements sociaux et médico-sociaux - Intervention de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale - Durée de l’autorisation de fonctionnement de ces établissements - Point de départ de cette durée - Erreur de droit de la Commission centrale d'aide sociale - Cassation sans renvoi (art. L. 821-2 du CJA).

Le Conseil d’Etat juge que la loi du 2 janvier 2002, d’une part, en assujettissant, par son article 25, à une autorisation préalable  l'ensemble des établissements sociaux et médico-sociaux, qu'ils soient publics ou privés et en limitant la durée de cette autorisation à quinze ans, et d’autre part, en précisant dans son article 80 que les établissements autorisés à la date de sa publication le demeuraient dans la limite de cette dernière disposition, a entendu, en ce dernier cas, que la durée de quinze années devait être décomptée du jour de la publication de cette loi.

(5 février 2020, Département de la Seine-Saint-Denis, n° 422957)

 

71 - Revenu de solidarité active (RSA) - Détermination des ressources d’un bénéficiaire - Détention de parts sociales d’une société commerciale - Prise en compte des seuls revenus distribués dont l’intéressé a été bénéficiaire - Obligation de procéder à l’évaluation forfaitaire des ressources - Interdiction de retenir les bénéfices non distribués - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit le jugement d’un tribunal administratif qui, pour déterminer les droits d’une personne au revenu de solidarité active (RSA), tient compte des bénéfices non distribués d'une société commerciale dont l'allocataire détient des droits sociaux et s'abstient de procéder à l'évaluation forfaitaire des ressources que l'allocataire est supposé pouvoir retirer dans une telle hypothèse des parts sociales qu'il détient, dont la valeur peut être appréciée, notamment, en tenant compte des bénéfices dégagés par la société.

(26 février 2020, Mme X., n° 424335 ; v. aussi, du même jour, l’application de cette solution, par transposition, au cas où le bénéficiaire du RSA est titulaire de parts d’une société civile immobilière : Métropole de Lyon, n° 424379)

 

72 - Assurance-chômage - Personnes en recherche d’emploi - Revenu de remplacement (Allocation d’assurance) - Taux dégressif en fonction de l’âge de l’intéressé - QPC - Refus de renvoi au Conseil constitutionnel - Rejet.

Le syndicat demandeur entendait soulever une QPC à l’encontre des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 5422-3 du code du travail en ce qu'elles permettent de traiter différemment les travailleurs en recherche d’emploi bénéficiaires de l'allocation d'assurance selon leur âge lequel est assorti d’un taux dégressif de l’allocation versée.

Le Conseil d’État balaie l’argument de façon un peu trop preste à notre avis, se bornant à indiquer, pour justifier le refus de renvoi de la QPC, que, en instaurant « la possibilité d'une telle distinction entre les allocataires, le législateur a pris en compte les difficultés spécifiques que certains d'entre eux sont susceptibles de rencontrer, du fait de leur âge, pour retrouver un emploi. S'il a ainsi permis que soient traitées différemment des personnes placées dans des situations différentes, la différence de traitement qui en résulte est en rapport direct avec l'objet de la loi, qui est d'assurer l'indemnisation des travailleurs involontairement privés d'emploi tout en encourageant la reprise d'une activité professionnelle ». En réalité, l’argument est parfaitement réversible et, si l’on peut dire, peut être interprété dans les deux sens.

Au reste, il y a bien ici une discrimination dont on peut douter qu’elle serait jugée conforme tant aux conventions de l’OIT qu’à la Convention EDH.

(12 février 2020, Confédération générale du travail - Force ouvrière, n° 434931)

 

73 - Indemnités de licenciement versées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) - Exonération d’imposition - Indemnité versée à un représentant du personnel licencié en contrepartie de la démission de ses mandats - Qualification comme indemnité de licenciement exonérée d’imposition - Erreur de droit - Cassation.

En principe, les indemnités de licenciement versées dans le cadre d’un PSE ne sont pas assujetties à l’impôt en vertu des dispositions du 2° du 1 de l'article 80 duodecies du CGI.

Dans cette affaire, une indemnité avait été versée en vertu d'un protocole transactionnel à un représentant du personnel licencié dans le cadre d'un PSE en contrepartie de la démission de ses mandats.

La cour administrative a jugé que cette indemnité bénéficiait de l’exonération fiscale précitée car le principe de son versement avait été prévu à l'occasion du PSE mis en œuvre par l'employeur.

Le Conseil d’État rejette cette argumentation au motif que, s'ajoutant aux indemnités conventionnelles de licenciement et aux indemnités transactionnelles prévues par le PSE, cette indemnité ne pouvait être regardée comme relevant, en tout ou partie, des indemnités de licenciement versées dans le cadre du plan, quand bien même la démission de l'intéressé de ses mandats avait été négociée dans le but de permettre son licenciement.

La cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis et, par suite, commis une erreur de droit.

(12 février 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 423914 ; v. aussi, du même jour avec même requérant et identique solution, le n° 423916)

 

74 - Travailleurs privés d’emploi - Allocations d’aide au retour à l’emploi - Contentieux social et de pleine juridiction - Office du juge - Conditions d’ouverture du droit aux aides et conditions de maintien d’aides à l’emploi - Distinction et effets - Annulation partielle et renvoi devant la commune pour qu’il soit fait droit à certaines des demandes de la requérante.

De cette décision, relative au contentieux des allocations d’aide au retour à l’emploi, seront retenues deux précisions données par elle : une confirmation et une certaine nouveauté.

Tout d’abord, le juge rappelle que : « Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l'administration, sans remettre en cause des versements déjà effectués, détermine les droits d'une personne en matière d'aide ou d'action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs privés d'emploi, et sous réserve du contentieux du droit au logement opposable, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner les droits de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d'annuler ou de réformer, s'il y a lieu, cette décision, en fixant alors lui-même tout ou partie des droits de l'intéressé et en le renvoyant, au besoin, devant l'administration afin qu'elle procède à cette fixation pour le surplus, sur la base des motifs de son jugement. Dans le cas d'un contentieux portant sur les droits au revenu de remplacement des travailleurs privés d'emploi, c'est au regard des dispositions applicables et de la situation de fait existant au cours de la période en litige que le juge doit statuer. Il en va notamment ainsi en ce qui concerne les agents publics privés d'emploi. » La cour administrative d’appel - comme, avant elle, le tribunal administratif - a statué en qualité de juge de l’excès de pouvoir, son arrêt encourt annulation de ceux des articles de son dispositif qui sont concernés.

Ensuite, de façon plus nouvelle semble-t-il, est opérée une distinction selon que l’intéressée demande l’allocation d’une aide à l’emploi ou le maintien de l’allocation déjà accordée. Si, dans le second cas, il lui est nécessaire d’établir l'existence d'actes positifs et répétés accomplis en vue de retrouver un emploi, tel n’est pas le cas pour l’ouverture du droit à l’allocation. La commune, en l’espèce, ne pouvait opposer à la demanderesse l’absence de tels actes de recherche s’agissant de lui accorder l’aide sollicitée.

(7 février 2020, Mme X. c/ Commune du Brusque, n° 405921)

 

75 - Agents de la SNCF - Changement d’attributaire d’un contrat de service public ferroviaire - Poursuite du contrat de travail avec le nouvel attributaire - Allocations familiales supplémentaires - Qualification comme élément non exceptionnel de la rémunération de l’agent et non comme prestation sociale - Illégalité de l’'article 5 du décret n° 2018-1242 du 26 décembre 2018 n'incluant pas cette allocation dans la rémunération - Annulation.

La loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a prévu, dans le cas d'un changement d'attributaire d'un contrat de service public ferroviaire, une garantie de rémunération pour les salariés dont le contrat de travail se poursuit auprès du nouvel attributaire, le législateur a entendu (cf. art. L. 2121-26 du code des transports) que soient pris en compte l'ensemble des éléments de rémunération, en particulier les allocations lorsque celles-ci, de caractère non exceptionnel, doivent être regardées comme faisant partie de la rémunération du salarié.

Alors même que les directives générales arrêtées par la SNCF tant pour les salariés du groupe public ferroviaire régis par le statut particulier que pour ceux qui sont placés sous le régime des conventions collectives ne mentionnent pas les allocations familiales supplémentaires dans la définition de la rémunération mensuelle des agents or il résulte de la directive n° GRH00649 du 3 avril 2018, relative à cette allocation, qu'elle est un élément mensuel de rémunération propre à la SNCF.

Elle constitue ainsi, en raison de ses caractéristiques, non une prestation sociale mais un élément de la rémunération du salarié de caractère non exceptionnel. Dès lors, cette allocation doit être incluse dans les éléments de rémunération garantis en vertu du I de l'article L. 2121-26 du code des transports aux salariés dont le contrat de travail se poursuit auprès du nouvel attributaire.

Pour avoir omis d’effectuer son inclusion dans la rémunération, les II et III de l’art. 5 du décret attaqué sont annulés.

(28 février 2020, Union fédérale CFDT des cheminots et des activités complémentaires (UFCAC-CFDT), n° 428422)

 

Élections

 

76 - Sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne - Situation des ressortissants britanniques au regard du droit électoral français - Impossibilité d’inscription sur les listes électorales - Impossibilité d’exercer un mandat électoral municipal - Rejet.

Le requérant, ressortissant britannique, est conseiller municipal d’une commune française.

Il conteste la juridicité de la circulaire du ministre de l'intérieur du 23 janvier 2020 relative aux conséquences de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne sur le droit de vote et d'éligibilité des ressortissants britanniques en France aux élections municipales et européennes.

Sa requête est évidemment - et ne pouvait qu’être - rejetée.

Par les dispositions impératives à caractère général de la circulaire litigieuse, indiquant, d'une part, que les ressortissants britanniques ne pourraient plus voter ni être éligibles aux élections municipales organisées les 15 et 22 mars 2020 et, d'autre part, que les conseillers municipaux britanniques conservaient leur mandat jusqu'au renouvellement des conseils municipaux, le ministre de l'intérieur, qui s’est borné à tirer les conséquences résultant des règles du droit interne applicable en conformité avec  celles du droit de l’UE, n’a - contrairement à ce que prétend le demandeur - pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale à une ou plusieurs libertés fondamentales.

(21 février 2020, M. X., n° 438696)

 

Environnement

 

77 - Espèces protégées par la Convention de Carthagène (1983) et le Protocole de Kingston (1990) - Arrêtés ministériels fixant la liste des mammifères protégés sur l'ensemble du territoire national et les modalités de leur protection - Refus implicite de leur modification pour interdire toute perturbation intentionnelle du molosse commun en milieu naturel et du tadaride du Brésil en milieu anthropique - Annulations partielles.

Le Conseil d’Etat rejette le recours a en tant qu’il est dirigé contre l’article 2 de ces arrêtés car la protection assurée par ces dispositions à certaines espèces de chauves-souris n'est pas moindre que celle garantie par les stipulations de l'article 11 b) du protocole adopté à Kingston, dès lors que la perturbation intentionnelle que prohibent ces stipulations doit être comprise comme celle qui remet en cause le bon accomplissement des cycles biologiques des espèces considérées, pendant les périodes expressément citées par le protocole ou toute autre période biologique critique. 

En revanche, il accueille le recours en tant qu’il est dirigé contre les articles 3 desdits arrêtés car ils ne comportent aucune interdiction ni mesure permettant de protéger les deux espèces de chauve-souris, le molosse commun (Molossus molossus) et la tadaride du Brésil (Tadarida brasiliensis), contre les perturbations intentionnelles et ce en violation des dispositions conventionnelles précitées.

Il est accordé six mois au ministre concerné pour édicter les dispositions réglementaires nécessaires pour assurer le respect de ces dernières.

Une décision bien « en situation » en ces temps de coronavirus imputé à des chauves-souris chinoises…

(5 février 2020, Association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS) et Association pour la sauvegarde et la réhabilitation de la faune des Antilles (ASFA), n° 422631)

 

78 - Création d’une association communale de chasse agréée (ACCA) - Définition du périmètre d’action de l’association - Arrêté préfectoral fixant la liste des terrains en faisant partie compte tenu du rejet ou de l’acceptation des éventuelles oppositions à cette inclusion dans le périmètre - Arrêté constituant une étape dans la procédure de création d’une ACCA - Acte faisant grief - Rejet.

La création d’une ACCA s’effectue au moyen d’une procédure comportant notamment la fixation par arrêté préfectoral des terrains inclus dans son périmètre d’action. En cas d’opposition de la part de propriétaires de terrains devant en faire partie, il appartient au préfet d’accepter ou de rejeter les oppositions. Comme l’arrêté constitue une étape dans le processus de création d’une ACCA, le ministre demandeur y voyait une mesure préparatoire ne pouvant donc pas faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et reprochait à la cour administrative d’avoir jugé le contraire. Rejetant le pourvoi du ministre, le Conseil d’Etat donne raison à la cour : cet arrêté, en tant qu’il rejette des oppositions et inclut donc de force des propriétés dans le champ d’action d’une ACCA constitue, d’évidence, une décision faisant grief.

(5 février 2020, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 423105 ; v. aussi, du même jour, avec même requérant et solution identique : 423108, n° 423111)

 

79 - Implantation d’éoliennes - Obligation d’autonomie réelle de l’entité chargée de donner un avis environnemental sur un projet - Exigence tirée de l’art.  6 de la directive du 13 décembre 2011 - Cas où l’avis concerne un département autre que celui du siège de la préfecture de région et où le dossier est instruit par les services de cette dernière - Conditions de régularité - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

En vertu d’une directive du 13 décembre 2011 doit être assurée la transparence et l’impartialité des avis donnés par un organisme public dans le cadre d’un projet à incidence environnementale. Pour cela il doit disposer d’une autonomie réelle par rapport, notamment, à la personne publique qui met en œuvre ce projet.

Saisi de cette question à propos de l’autorisation d’implantation d’éoliennes, le Conseil d’Etat rappelle (6 décembre 2017, Association France Nature Environnement, n° 400559 et 20 septembre 2019, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 428274) et amplifie les exigences découlant du droit de l’Union telles que les interprète la CJUE (20 octobre 2011, Department of the Environment for Northern Ireland contre Seaport (NI) Ltd et autres, aff. C-474/10).

Tout d’abord cette exigence d’autonomie réelle n’interdit pas que le donneur d’avis soit une personne publique ou y appartienne, il faut cependant, dans un souci d’autonomie réelle, que celle-ci dispose de moyens administratifs et humains propres la mettant en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée en donnant un avis objectif sur le projet concerné.

Ensuite sont distingués deux cas : celui où l’avis doit être donné par le préfet d’un département et celui où cet avis doit être donné par le préfet de région.

Dans le premier cas, où «  le projet est autorisé par un préfet de département autre que le préfet de région, l'avis rendu sur le projet par le préfet de région en tant qu'autorité environnementale doit, en principe, être regardé comme ayant été émis par une autorité disposant d'une autonomie réelle répondant aux exigences du droit de l’Union, sauf dans le cas où c'est le même service qui a, à la fois, instruit la demande d'autorisation et préparé l'avis de l'autorité environnementale. En particulier, les exigences de la directive, tenant à ce que l'entité administrative appelée à rendre l'avis environnemental sur le projet dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui soient propres, ne peuvent être regardées comme satisfaites lorsque le projet a été instruit pour le compte du préfet de département par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et que l'avis environnemental émis par le préfet de région a été préparé par la même direction, à moins que l'avis n'ait été préparé, au sein de cette direction, par le service mentionné à l'article R. 122-21 du code de l'environnement qui a spécialement pour rôle de préparer les avis des autorités environnementales ».

Dans le second cas, où «  le préfet de région est l'autorité compétente pour autoriser le projet, en particulier lorsqu'il agit en sa qualité de préfet du département où se trouve le chef-lieu de la région, ou dans les cas où il est en charge de l'élaboration ou de la conduite du projet au niveau local, si la mission régionale d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable, définie par le décret du 2 octobre 2015 relatif au Conseil général de l'environnement et du développement durable et les articles R. 122-21 et R. 122-25 du code de l'environnement, peut être regardée comme disposant, à son égard, d'une autonomie réelle lui permettant de rendre un avis environnemental dans des conditions répondant aux exigences résultant de la directive, il n'en va pas de même des services placés sous son autorité hiérarchique, comme en particulier la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ».

Précisément, en l’espèce, la cour administrative d’appel a jugé que « par principe », l'avis de l'autorité environnementale ayant été émis par le préfet de région et la décision attaquée ayant été prise par le préfet de département, il avait donc été satisfait aux exigences de l’art. 6 de la directive précitée, alors « que la même unité territoriale de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement ( …) avait à la fois instruit la demande d'autorisation et préparé l'avis de l'autorité environnementale ».

L’erreur de droit ainsi commise conduit à la cassation de l’arrêt d’appel avec renvoi à celle-ci.

(5 février 2020, Association " Des évêques aux cordeliers " et autres, n° 425451)

 

80 - Organismes génétiquement modifiés - Organismes obtenus par mutagénèse - Directive du 12 mars 2001 - Champ d’application - Interprétation de la directive par la CJUE - Exclusion des variétés obtenues par mutagénèse de la catégorie des OGM - Exclusion, par voie de conséquence, du champ d’application de la directive - Annulation pour l’essentiel.

Les organisations requérantes avaient demandé au Conseil d’État, d'une part, l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le premier ministre sur leur demande tendant à l'abrogation de l'art. D. 531-2 du code de l'environnement et à l'interdiction de la culture et de la commercialisation des variétés de colza rendues tolérantes aux herbicides et, d'autre part, qu'il soit enjoint au premier ministre de prononcer un moratoire sur la culture et la commercialisation de ces variétés. Le juge avait sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur un certain nombre de questions préjudicielles.

Le Conseil d’État statue ici après les réponses données par la CJUE réunie en grande chambre (25 juillet 2018, Confédération paysanne et alii, aff. C-528/16).

De sa décision ressortent trois points : la demande d’annulation, celle d’injonction et celle relative au moratoire.

La Cour ayant répondu que  « les organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagenèse constituent des organismes génétiquement modifiés au sens de (la directive) » et que « ne sont exclus du champ d'application de ladite directive que les organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagenèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps », le Conseil d’État constate que l’art. D. 531-2 précité ne peut pas être interprété comme « n'excluant des règles applicables aux organismes génétiquement modifiés que les seuls organismes qui sont obtenus par des techniques de mutagenèse ayant fait l'objet d'une utilisation traditionnelle sans inconvénient avéré pour la santé publique ou l'environnement ».

Par ailleurs, la Cour de Justice a énoncé qu’entrent dans le champ de la directive les organismes obtenus au moyen de techniques ou méthodes de mutagénèse qui sont apparues ou se sont principalement développées depuis l'adoption de la directive le 12 mars 2001.

C’est donc illégalement que le premier ministre a refusé d’abroger le a) du 2° de l'article D. 531-2 du code de l'environnement.

Sur l’injonction consécutive à cette annulation, le juge donne satisfaction sur deux points aux organisations requérantes. En premier lieu, il est enjoint au premier ministre, sur le fondement de l'article L. 911-1 du CJA  de procéder dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision à la modification du a) du 2° de l'article D. 531-2 du code de l'environnement de telle sorte que ne soient inscrites sur la liste prévue à cet article que les seules techniques ou méthodes de mutagénèse qui peuvent être regardées comme ayant été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps. En second lieu, et cette exigence est sévère, injonction est faite aux autorités compétentes, cette fois sur le fondement de l'article L. 911-2 du CJA, d'identifier, dans un délai de neuf mois à compter de la notification de la présente décision, au sein du catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles, celles de ces variétés, en particulier parmi les variétés rendues tolérantes aux herbicides, qui y auraient été inscrites sans que ne soit conduite l'évaluation à laquelle elles auraient dû être soumises compte tenu de la technique ayant permis de les obtenir et d'apprécier, s'agissant des variétés ainsi identifiées, s'il y a lieu de faire application des dispositions du 2 de l'article 14 de la directive 2002/53/CE du 13 juin 2002 relatives à l'annulation de l'admission au catalogue de certaines variétés, ainsi que des dispositions des articles L. 535-6 et L. 535-7 du code de l'environnement relatives aux disséminations volontaires ayant lieu sans avoir fait l'objet de l'autorisation requise.

Enfin, sur la demande de moratoire, le Conseil d’État, se fondant sur un certain nombre de chiffres et de faits ainsi que d’incertitudes, estime que le premier ministre ne pouvait légalement opposer un refus à la demande dont il était saisi en se fondant sur une analyse écartant l'existence de tout risque justifiant la mise en œuvre du principe de précaution. En conséquence, le premier ministre dispose d’un délai de six mois à compter de cette décision pour mettre en œuvre les recommandations de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail  (ANSES) ou toute mesure équivalente tant pour pallier l’incertitude des données actuellement disponibles que pour améliorer la connaissance des pratiques liées aux variétés rendues tolérantes aux herbicides (VRTH) et de sensibiliser les agriculteurs à l'égard de celles qui sont susceptibles d'induire des risques d'apparition et de développement des résistances des adventices aux herbicides. De même, il convient d'assurer la traçabilité effective des conseils prodigués aux exploitants dans le cadre de la charte des bonnes pratiques de désherbage dans les rotations incluant des VRTH. 

Le surplus des requêtes est rejeté mais l’essentiel de leur contenu est admis.

(7 février 2020, Confédération paysanne et autres, n° 388689)

 

81 - Centrale nucléaire - Autorité de sûreté nucléaire (ASN) - Pouvoirs du président de l’ASN - Suspension d’un générateur de vapeur - Décision de levée de la suspension - Rejet.

Les demandeurs sollicitaient l’annulation de la décision du président de l'Autorité de sûreté nucléaire, du 12 mars 2018, levant la suspension du certificat d'épreuve du générateur de vapeur n° 335 fabriqué par Areva NP qu’il avait prononcée le 18 juillet 2016.

Leur recours est, sans surprise, rejeté en tous ses arguments.

Tout d’abord, il résulte de l’art. L. 557-4 du code de l’environnement que les appareils à pression ne peuvent plus être installés ou utilisés que s'ils sont conformes à des exigences essentielles de sécurité relatives à leurs performance, conception, composition, fabrication et fonctionnement et à des exigences d'étiquetage. Toutefois, l’art. L. 557-6 de ce code permet l’installation ou l’utilisation de tels appareils non conformes sur demande justifiée du fabricant s'ils sont conformes aux exigences des réglementations antérieures ou en vigueur en France ou dans un État membre de l'Union européenne. En particulier, précise l’art. R. 557-12-9 dudit code, peuvent continuer à fonctionner ceux régulièrement autorisés en application du décret du 2 avril 1926. Le Conseil d’État en déduit que ce décret, bien qu’abrogé à compter du 19 juillet 2016 par le I de l’art. 5 du décret du 1er juillet 2015 relatif aux produits et équipements à risques, « continue à régir les équipements dont l'installation et la mise en service ont été permises au motif qu'elles répondent à ses exigences ». Il suit de là que les requérants ne peuvent pas soutenir le défaut de base légale de la décision attaquée.

Par ailleurs, il découle de diverses dispositions du même code que le président de l’ASN était régulièrement habilité à prendre une décision levant la suspension du certificat d'épreuve d'un appareil à pression

Ensuite, par sa décision querellée, le président de l'ASN, d’une part,  n'a pas méconnu les contrôles qui lui incombaient au titre de la mise en œuvre de l'article L. 557-43 du code de l'environnement et, d’autre part, contrairement à ce qui est soutenu, ne s’est point abstenu de s'assurer que la conception et la fabrication de cet équipement répondent aux exigences de sécurité visées à l'article L. 557-43 du code de l'environnement. En effet, la circonstance que le fabricant n'ait pas respecté les normes de conception et de construction définies par le code RCC-M (règles de conception et de construction des matériels mécaniques des îlots nucléaires des réacteurs à eau sous pression ) ne faisant pas obstacle à ce qu'il démontre, sous le contrôle de l'ASN et au besoin au terme des mesures correctrices prescrites par elle, que l'équipement litigieux assure un niveau de sécurité identique à celui résultant des exigences fixées par le décret du 2 avril 1926.

Egalement, les examens, vérifications et expérimentations effectués à la suite de la décision de suspension de 2016, ont montré : 1° que la présence d'une partie de la masselotte n'a pas affecté les propriétés mécaniques des matériaux dans des proportions remettant en cause les hypothèses de conception ; 2° que les essais non destructifs opérés ont permis de garantir, au niveau de la zone affectée thermiquement, l'absence de défaut susceptible d'être lié à la présence de ségrégations ; 3°, enfin, que les résultats des essais non destructifs mis en œuvre ont confirmé que le procédé de fabrication n'avait pas généré de défauts affectant le niveau de sécurité attendu de cet équipement.

Enfin, la circonstance que l’ensemble des travaux d’analyse conduits par l’ASN ont permis de s'assurer que l'équipement litigieux présente un niveau de sécurité identique, ne peut être regardée comme ayant pour objet de remettre en vigueur le certificat d'épreuve délivré le 1er février 2012. Par suite, les requérants ne peuvent utilement soutenir que la décision attaquée serait entachée de nullité par voie de conséquence de la nullité du certificat d'épreuve initialement délivré.

Il convient de relever le caractère un peu acrobatique du raisonnement suivi.

(12 février 2020, Association Trinationale de Protection Nucléaire et autres, n° 420452 ; v. aussi, du même jour, avec la requérante première dénommée dans l’arrêt ci-dessus, à propos du refus d’arrêter complètement le fonctionnement de la centrale nucléaire de Fessenheim : la décision n° 428414)

 

État-civil et nationalité - Étrangers

 

82 - Étrangers - Demandeur d’asile - Demandeur mineur né après rejet de la demande d’asile de ses parents ou remise d’une attestation de demande d’asile - Régime applicable - Annulation sous astreinte.

Il est jugé par le Conseil d’État, ce qui n’allait pas de soi, qu’il résulte des dispositions de l'article 17 de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 et de celles du premier alinéa de l'article L. 744-1 ainsi que de l’art. D. 744-17 du CESEDA, que lorsque l'enfant demandeur d'asile est né après que la demande d'asile de ses parents a été définitivement rejetée ou est titulaire d'une attestation de demande d'asile enregistrée avant le 1er janvier 2019 (cf. le III de l’art. 71 de la loi du 10 septembre 2018) sur laquelle il n'a pas déjà été statué, et que ses parents ont accepté les conditions matérielles d'accueil, l'Office français de l'immigration et de l'intégration est tenu, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, d'héberger cet enfant avec ses parents ainsi que ses éventuels frères et sœurs mineurs, et de lui verser, par l'intermédiaire des parents, l'allocation pour demandeur d'asile, sans qu'y fassent obstacle les dispositions de l'article D. 744-18 du CESEDA aux termes desquelles « Pour bénéficier de l'allocation pour demandeur d'asile, les personnes mentionnées aux 1° et 2° de l'article D. 744-17 doivent être âgées de dix-huit ans révolus ».

(18 février 2020, Mme X., n° 437954)

 

83 - Demandeurs d’asile - Acceptation de l’offre de prise en charge faite par l’Office français de l’intégration et de l’immigration (OFII) - Interruption du versement de l’allocation de demandeur d’asile - Saisine du juge des référés - Inexécution de l’ordonnance - Non-lieu sur nouveau référé - Instruction à l’audience de référé - Annulation de l’ordonnance et du refus de l’OFII d’exécuter - Condamnation sous astreinte.

La présente affaire est exemplaire à bien des égards (I), elle montre la grande utilité de l’instruction orale menée à l’audience de référé (II).

I. -

Des ressortissants éthiopiens, un couple et leurs deux enfants, demandeurs d’asile, ont accepté l’offre de prise en charge de l’OFII et ont perçu l’allocation de demandeur d’asile jusqu’à ce que l’Office cesse, en janvier 2019, de la leur verser. Le juge des référés, saisi par les intéressés, a fait droit - par une ordonnance du 25 octobre 2019 -, à leur demande de suspension du refus du versement de cette allocation et a ordonné son rétablissement sous quinzaine. Cette ordonnance n’ayant pas été exécutée, le premier juge, à nouveau saisi, cette fois sur le fondement de l’art. L. 521-4 du CJA, prononce le non-lieu à statuer sur cette seconde requête car il estime que, contrairement aux allégations du requérant, l'allocation allait lui être versée en janvier 2020, un mémoire ayant été produit en ce sens par l'OFII le 19 décembre 2019. Devant la persistance de l’inexécution, l’intéressé a, à nouveau, saisi le juge des référés qui, a décidé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur cette troisième requête.

Le Conseil d’État a été saisi en qualité de juge d’appel.

Il résulte de l’instruction menée à l’audience d’appel et cela n'est d’ailleurs pas contesté par l'OFII, qui l'a expressément confirmé durant l'audience d'appel, d’une part, que ce mémoire n'a jamais été communiqué au demandeur et d’autre part, que l'OFII n'a, en réalité, produit aucun mémoire en première instance. Enfin, l'OFII a expressément confirmé au cours de cette même audience, que les versements d'allocation en janvier avaient été opérés le 5 janvier au plus tard, rendant impossible que, comme l'énonçait l'ordonnance attaquée, un versement intervienne en janvier 2020.

Fortement agacé, et on le comprend, le juge des référés du Conseil d’État écrit ceci qui en dit long sur son opinion quant à la procédure suivie en l’espèce en première instance : « Rendue en méconnaissance des droits de la défense et du caractère contradictoire de la procédure, sur le fondement d'un mémoire qui n'a pas été produit et reposant au surplus sur une erreur de fait, l'ordonnance attaquée est entachée de vices de procédure. M X. est donc fondé à en demander l'annulation ».

II. -

Comme si ce qui précède ne suffisait pas, l’imbroglio se poursuit avec l’attitude de l’OFII à l’audience qui ne manque pas d’irriter le juge.

Pour justifier du non-versement de l’allocation, l'OFII indique que des erreurs de saisie informatique ont empêché la mise en paiement de l'allocation mais qu’il n’a aucune objection au rétablissement des droits de M. X. au versement de l'allocation dans les conditions initialement prévues par l'ordonnance du 25 octobre 2019. Toutefois, interrogé sur ce point, l'OFII a indiqué d'une part qu'il ne verserait pas le montant des arriérés dus, mais seulement celui d'un mois d'allocation, et, d'autre part, qu'il entendait, pour des motifs qui, comme le relève le juge, n'ont pas été explicités, procéder par ailleurs au recouvrement d'une somme de 3600 euros, présentés comme correspondant à un trop perçu d'allocation par M. X.

À partir de là, il convient de laisser la parole au juge dont la patience atteint ici sa limite : « Cette somme n'a fait l'objet d'aucune procédure de recouvrement, ni de l'émission d'aucun titre. Il en est fait état pour la première fois, après trois procédures devant le tribunal administratif de Melun, et sous la forme de simples déclarations orales se rapportant à un tableau émanant d'une direction informatique de l'OFII. Il apparait donc que l'OFII ne s'est nullement mis en mesure de procéder au paiement ordonné, dont il ne conteste pourtant pas le bien fondé, et n'entend pas procéder à la bonne exécution de l'ordonnance du 25 octobre 2019 qui exigeait le rétablissement du paiement dans les meilleurs délais, qu'elle fixait à quinze jours après son prononcé, de sorte que sa parfaite exécution demanderait aujourd'hui le paiement des sommes dues depuis cette date lors de l'échéance du 5 mars (2020).

Dès lors qu'il résulte de ce qui précède qu'il ne peut être ajouté foi aux affirmations de l'OFII dans son mémoire en défense quant à sa volonté d'exécuter l'ordonnance du 25 octobre 2019, il y a lieu de faire droit à la demande de M.X. d'assortir le dispositif de l'ordonnance du 25 octobre 2019 d'une astreinte, dont le montant sera fixé à 50 euros par jour de retard à compter du 5 mars 2020, date à laquelle l'ensemble des sommes dues depuis l'ordonnance du 25 octobre 2019 devront avoir été versées, et à partir de laquelle le versement régulier de l'allocation devra être repris, sous réserve des évolutions ultérieures de la situation de M. X. et de ses droits ».

C’est ainsi que se construit une justice de tous les jours, conforme au droit, au bon sens et n’ignorant pas le besoin d’humanité.

(Ord. réf. 19 février 2020, M. X., n° 438417)

 

84 - Demandeur d’asile - Réadmission selon la procédure Dublin III - Demandeur pouvant être déclaré en fuite - Conditions - Abstention de se rendre sur le lieu de départ - Rejet. 

Dans cette décision, assez sévère semble-t-il, le juge érige en règle que le demandeur d'asile faisant l'objet d'une procédure de réadmission dans le cadre de la procédure Dublin III peut être regardé comme « en fuite » si, informé précisément et dans une langue qu'il comprend, des modalités exactes de son réacheminement, il s'est délibérément abstenu de se conformer aux indications données par l'administration pour son voyage ; le fait de ne pas se rendre en temps utile sur le lieu programmé du départ, compte tenu des aléas de déplacement sur le trajet et de la longueur des procédures d'embarquement, sans pouvoir faire valoir un motif valable de retard, doit être assimilé à une telle abstention délibérée.

(Ord. réf. 25 février 2020, Mme X., n° 438765)

 

85 - Droit d’asile - Recours de l’art. L. 512-1 CESEDA - Référé suspension et référé liberté (art. L. 521-1 et L. 521-2 CJA) - Cumul des deux sortes de recours possible - Non-lieu partiel et annulation de l’ordonnance pour le surplus.

(Ord. réf. 17 février 2020, M. X., n° 433503) V. n° 22

 

Fonction publique et agents publics

 

86 - Médecin hospitalo-universitaire - Professeur de l’enseignement supérieur - Mesures de suspension - Décisions successives de suspension prises par le président de l’université, par le directeur de l’hôpital, par la ministre de la santé et par la juridiction disciplinaire - Rejets pour l’essentiel sauf annulation de la décision du directeur d’hôpital.

La requérante, professeur des universités - praticien hospitalier et chef du pôle médico-judiciaire d’un centre hospitalier universitaire (CHU) puis, après la suppression de ce pôle, responsable de l'unité de l'institut médico-légal de l'établissement -, a demandé l’annulation de décisions de suspension de ses fonctions dont elle a fait l’objet, pour des faits de harcèlement moral, de la part du président de l’université où elle est affectée en qualité de professeur des universités, du directeur général de l’hôpital où elle exerce en tant que praticienne ainsi que de la ministre de la santé.

Si le Conseil d’Etat rejette pour l’essentiel ses trois recours, la suspension provisoire lui paraissant justifiée au regard du climat général ainsi créé dans le service et de la plausibilité des faits reprochés, il annule cependant la suspension décidée par le directeur général du CHU. En effet, normalement et seulement en cas d’urgence, c’est au directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) qu’appartient la compétence pour suspendre le droit d'exercer d'un médecin qui exposerait ses patients à un danger grave (cf. art. L. 4113-14 du code de la santé publique). Toutefois, par exception, cette compétence peut être exercée le directeur d'un centre hospitalier (cf. les termes dont use l’art. L. 6143-7 du CSP) dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients et sous réserve d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné. Or le juge estime « qu'eu égard aux faits reprochés, à leurs conséquences sur l'activité du service et à la nature des responsabilités exercées par (l’intéressée) qui avait été, ainsi qu'il a été dit, déchargée de ses fonctions de cheffe du pôle médico-judiciaire pour se voir confier la seule unité médico-légale, la poursuite de (son) activité hospitalière (…) n'était pas de nature à caractériser une situation exceptionnelle mettant en péril, de manière imminente, la continuité du service de médecine légale où elle exerçait ou la sécurité des patients ». C’est donc illégalement que le directeur général du CHU a pris la décision de suspension querellée.

(5 février 2020, Mme X., n°s 422922, 422925 et 424756, jonction)

 

87 - Protection fonctionnelle - Agent public étranger employé par l’État français - Interprète afghane auprès des forces françaises en Afghanistan - Protection sous la forme de la délivrance d’un visa - Personnes concernées - Annulation et rejet partiels.

 Réitérant une jurisprudence désormais bien établie au sujet des interprètes afghans de l’armée française alors déployée en Afghanistan, le Conseil d’État juge que, compte tenu des circonstances très particulières en cause ici, la protection fonctionnelle qui doit leur être accordée en qualité d’agents publics peut exceptionnellement conduire à la délivrance d'un visa ou d'un titre de séjour s’il s’agit là du moyen le plus approprié pour assurer sa sécurité.

Cependant, si ce visa couvre ou peut couvrir l'intéressé et sa famille, celle-ci ne peut comprendre que son conjoint, son partenaire au titre d'une union civile, ses enfants et ses ascendants directs.

En revanche, la sœur d’un tel agent ne fait pas partie des membres de sa famille et ne saurait bénéficier de la protection fonctionnelle. Il lui appartient donc de solliciter, si elle s'y estime fondée, un visa d'entrée en France à raison des menaces dont elle s'estime faire l'objet.

(26 février 2020, Mme X., n° 436176)

 

88 - Agent public stagiaire - Refus de titularisation en fin de stage - Mesure prise en considération de la personne ou à la suite de faute disciplinaire - Régime procédural du refus de titularisation - Cassation avec renvoi.

Le litige portait sur les conditions du refus de titulariser un agent stagiaire à l’issue de son stage. En bref, il était reproché au maire, par la cour administrative d’appel, d’avoir retenu des motifs disciplinaires au soutien de son refus de titulariser. Celui-ci se pourvoit et obtient gain de cause.

Cette affaire donne l’occasion au Conseil d’État de soigneusement rappeler le régime procédural des refus de titularisation des agents publics stagiaires. Il le fait en trois points.

Tout d’abord, parce que la situation d’un tel agent est « probatoire et provisoire », la décision de ne pas le titulariser en fin de stage est fondée sur l'appréciation portée sur son aptitude à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé et sur sa manière de servir. Il s’agit donc toujours d’une mesure prise en considération de sa personne.

Ensuite, dès lors qu’elle est justifiée par des insuffisances dans l’exercice de ses fonctions par le stagiaire et sur sa manière de servir, sa non-titularisation est régulière sous réserve du cas où celle-ci serait fondée en tout ou en partie sur des faits susceptibles de caractériser des fautes disciplinaires. En ce cas, le refus de titularisation ne peut intervenir qu’après que l'intéressé a été mis à même de faire valoir ses observations.

Enfin, le Conseil d’État fournit au juge un véritable vade-mecum de l’exercice de son pouvoir de contrôle. Il lui incombe de vérifier que la décision de refus de titularisation « ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, qu'elle n'est entachée ni d'erreur de droit, ni d'erreur manifeste dans l'appréciation de l'insuffisance professionnelle de l'intéressé, qu'elle ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire et n'est entachée d'aucun détournement de pouvoir et que, si elle est fondée sur des motifs qui caractérisent une insuffisance professionnelle mais aussi des fautes disciplinaires, l'intéressé a été mis à même de faire valoir ses observations ».

(24 février 2020, Commune de Marmande, n° 421921)

 

89 - Personnel des menses épiscopales - Agent non titulaire de l’État - Licenciement - Application fluctuante du décret du 17 janvier 1986 - Mense épiscopale de Metz - Établissement public du culte - Établissement public administratif de l’État - Exercice du pouvoir disciplinaire selon le régime de ce décret - Absence légitime en l’espèce de commission consultative paritaire - Théorie de la formalité impossible - Cassation avec renvoi.

Le requérant, agent de la mense épiscopale de Metz, a été, par une décision du 12 juin 2015 de l'évêque de Metz, licencié pour faute. Le tribunal administratif, saisi par l’intéressé, a annulé cette décision, ainsi que les décisions implicites de rejet des recours gracieux et hiérarchique formés par celui-ci et a enjoint à la mense épiscopale de procéder à la réintégration et à la reconstitution de ses droits.  La cour administrative d'appel a rejeté l'appel de l'évêque de Metz. Celui-ci se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État relève l’incertitude longtemps existante sur le régime disciplinaire applicable aux agents des menses pour des raisons de qualification juridique. À la date du licenciement litigieux, note-t-il, « les personnels des menses épiscopales n'étaient pas, en l'absence de décision du Conseil d'État ayant clarifié les règles juridiques applicables aux personnels administratifs des cultes dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, alors que les juridictions du fond avaient pris sur ce point des positions différentes, considérés comme étant soumis au décret du 17 janvier 1986 relatif aux agents non titulaires de l'État, qui ne vise d'établissements publics que ceux de l'État ». Ce n’est que par une décision du Conseil d’État du 22 juillet 2016 (M. X., n° 383412, Rec. pp. 641-749-809) - donc postérieure à la date du licenciement - que cette incertitude a été levée.

Par suite, aucune commission consultative paritaire compétente pour ces établissements n'était alors constituée ce qui rendait légitimement impossible la mise en œuvre de la procédure prévue à l'article 1-2 du décret du 17 janvier 1986. En estimant que la mense ne s’est pas heurtée à une formalité impossible, la cour administrative d’appel a dénaturé les faits. Sa décision est cassée et l’affaire lui est renvoyée.

(28 février 2020, M. X., n° 428441)

 

90 - Militaires - Fonds de prévoyance militaire et de l'aéronautique - Litige portant sur le versement d’une allocation par ce Fonds - Compétence pour en connaitre - Absence de solution dérogatoire - Compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel a son siège la personne publique qui a pris la décision litigieuse.

Le Fonds de prévoyance militaire et de l'aéronautique (FPMA) est un établissement public administratif notamment chargé de gérer le fonds de prévoyance militaire et de verser des allocations aux militaires ou anciens militaires.

Il suit de là que, ce dispositif revêtant le caractère d'un mécanisme de prévoyance collective obligatoire, le litige opposant, au sujet du versement d'une allocation, un agent à cet établissement public ne peut être regardé comme un litige d'ordre individuel intéressant un fonctionnaire ou agent de l'État au sens de l'article R. 312-12 du CJA. En effet, même si le FPMA est étroitement lié au ministère de la défense, il n'est pas l’employeur de l’agent.

Semblablement, un tel litige ne relève pas non plus des dispositions de l'article R. 312-13 du CJA car les allocations versées par le FPMA ne constituent pas un élément de la pension et leur contentieux n'est pas soumis par une disposition expresse aux règles applicables aux pensions.

Ne relevant d’aucune disposition non plus que d’aucun texte spécifique, le litige dont s’agit doit être renvoyé au tribunal administratif de Paris, dans le ressort duquel l'établissement public a son siège.

(28 février 2020, M. X., n° 427529)

 

91 - Délégation de signature - Délégation d’un président de conseil départemental à un directeur général des services du département - Étendue de la délégation - Gestion des agents - Absence de mention expresse d’une délégation du pouvoir disciplinaire - Illégalité de la sanction - Rejet.

Une mesure d’exclusion temporaire de ses fonctions a été prise à l’encontre d’un agent du conseil départemental pour harcèlement sexuel. La décision est contestée pour être émanée du directeur général des services agissant sur délégation de signature du président d’un conseil départemental.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi du département car la délégation de signature ne couvrait pas les mesures disciplinaires envers les agents du département.

Le juge donne ici une interprétation stricte de l’étendue de la délégation ainsi consentie car les mesures disciplinaires revêtent toujours un caractère accusé de gravité.

Le juge relève ainsi « que l'arrêté du 4 novembre 2015 donnant délégation de signature à M. X., directeur général des services du département de la Manche, ne vise expressément, au titre de ses attributions et compétences pour la gestion des agents du département, que la signature des " pièces relatives aux ordres de mission, à la gestion des congés, aux autorisations d'absences, aux états de frais de déplacement et aux heures supplémentaires " et ne comporte aucune référence aux sanctions disciplinaires. En outre, si cette même délégation attribue compétence à M. X. pour signer les actes, courriers, pièces et documents pour lesquels l'arrêté de délégation de signature du même jour relatif à la direction générale des services donne délégation de signature à divers responsables de services, ce dernier arrêté ne procède lui-même à aucune délégation de signature en matière de sanctions disciplinaires. À cet égard, la mention, par ce second arrêté, des " arrêtés et [...] contrats concernant le personnel " ne saurait, faute de précision en ce sens, être considérée comme visant les mesures disciplinaires. Dès lors, en jugeant que M. X. n'était pas habilité par ces deux arrêtés à signer des décisions prononçant des sanctions disciplinaires à l'encontre des agents du département, la cour administrative d'appel ne s'est méprise sur la portée d'aucun des deux arrêtés ».

(24 février 2020, Département de la Manche, n° 422482)

 

92 - Office public d’habitat (OPH) - Désignation comme président d’un OPH d’une personne ayant fait l’objet d’une condamnation pénale - Impossibilité d’être membre du conseil d’administration d’un OPH en cas de condamnation pénale assortie des interdictions édictées aux art. L. 241-3 et L. 241-4 du code de la construction et de l’habitation - Exception lorsque la condamnation doit être réputée non avenue (art. 132-35 du code pénal et 736 du code de procédure pénale) - Cassation avec renvoi.

L'article L. 423-12 du code de la construction et de l'habitation interdit qu’une personne puisse être membre du conseil d'administration ou exercer une fonction de direction dans un organisme d'habitations à loyer modéré si elle tombe sous le coup des interdictions prévues aux articles L. 241-3 et L. 241-4 de ce code.

Le 4° de l’art. L. 241-3 concerne les cas de soustraction commise par dépositaire public, concussion commise par fonctionnaire public, corruption de fonctionnaires publics et d'employés des entreprises privées, communication de secrets de fabrique.

En l’espèce, un administrateur, condamné sur le fondement de ce 4° à une peine de dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et à 50 000 euros d'amende ainsi qu'à la privation de ses droits civiques et civils pendant une durée de trois ans, est élu ensuite président d’un OPH.

Un administrateur conteste cette désignation au regard des dispositions précitées, il est débouté en première instance et en appel ; il se pourvoit.

Les juges du fond ont relevé, d’une part, que l'article 132-35 du code pénal dispose que : « La condamnation pour crime ou délit assortie du sursis simple est réputée non avenue si le condamné qui en bénéficie n'a pas commis, dans le délai de cinq ans à compter de celle-ci, un crime ou un délit de droit commun suivi d'une nouvelle condamnation ayant ordonné la révocation totale du sursis dans les conditions définies à l'article 132-36 ; le caractère non avenu de la condamnation ne fait pas obstacle à la révocation totale ou partielle du sursis en cas d'infraction commise dans le délai de cinq ans », et d’autre part, qu’aux termes de l'article 736 du code de procédure pénale : « La suspension de peine (...) ne s'étend pas non plus aux incapacités, interdictions et déchéances résultat de la condamnation. Toutefois, ces incapacités, interdictions et déchéances cesseront d'avoir effet du jour où par application des dispositions de l'article 132-35 du code pénal, la condamnation aura été réputée non avenue ». Ils en ont donc déduit que la condamnation infligée à la personne élue président devait être réputée non avenue en application des dispositions précitées, car ces dispositions, relatives au régime des peines, faisaient obstacle à ce que l'interdiction prévue par l'article L. 241-3 du code de la construction et de l'habitation soit appliquée.

Le Conseil d’État est à la cassation de l’arrêt d’appel pour erreur de droit. Il considère que les dispositions combinées des articles précités du code de la construction et de l'habitation ont pour objet d'assurer, à titre préventif et sans limitation dans le temps, que les personnes désignées en tant que membres du conseil d'administration d'un organisme d'habitations à loyer modéré et susceptibles, le cas échéant, d'être élues à la présidence de ce même conseil, présentent les garanties d'intégrité et de moralité indispensables à l'exercice des fonctions d'administration, de gestion et de direction de ces organismes.

Il faut relever cette interprétation particulièrement sévère des textes assortie de facto de la mise à l’écart du droit pénal : salutaire rappel que les exigences de la chose publique ne sauraient être traitées à l’aune de la moralité des actes individuels. Ceci dit, un esprit chagrin ne manquerait pas d’y apercevoir une sérieuse entorse au principe de proportionnalité tant à la mode ces temps-ci.

(13 février 2020, M. X., n° 425961)

 

93 - Maladie d’un fonctionnaire - Imputabilité au service - Lien direct avec le service - Présomption d’imputabilité - Exceptions - Cassation ave renvoi.

Réitération d’une jurisprudence désormais classique.

Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

(13 février 2020, Département du Finistère, n° 427660 ; v. aussi, identique : 28 février 2020, M. X., n° 422548)

 

94 - Fonctionnaire de La Poste - Agissements irréguliers multiples dans un centre de tri ou de plateformes de distribution du courrier - Sanction d’exclusion temporaire des fonctions pendant deux ans - Annulation de la sanction par une cour d’appel pour disproportion - Dénaturation des pièces du dossier - Cassation avec renvoi.

Cette affaire est un cas d’école.

Un fonctionnaire de La Poste s’est rendu coupable de diverses actions répréhensibles que le Conseil d’État prend soin d’énumérer ainsi : « (…) entre 2009 et 2015, M. X. a participé au blocage d'un centre de tri, s'est introduit sans autorisation à de très nombreuses reprises, accompagné de personnes étrangères au service, dans des plateformes de distribution du courrier pour s'adresser aux personnels, a participé, avec d'autres manifestants, à l'occupation du bureau du directeur de la direction opérationnelle du courrier des Hauts-de-Seine, a fait obstacle à la distribution de documents électoraux, a agressé physiquement un agent, a entraîné des retards dans l'envoi de 9 500 plis et a conduit La Poste à trois reprises à solliciter l'intervention des forces de police ».

Cet agent a fait l’objet d’une sanction disciplinaire de deux ans d’exclusion temporaire de ses fonctions.

Sur son recours, le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel, ont annulé la décision de sanction pour excès de pouvoir. En particulier la cour a, selon le Conseil d’État « estimé que la gravité de ces faits était faible, dans la mesure où ils avaient été commis dans un climat social tendu, n'avaient porté qu'une atteinte limitée au fonctionnement du service et à la liberté individuelle du travail et où La Poste n'invoquait aucun préjudice d'ordre commercial lié à ces agissements. Elle en a déduit que la sanction d’exclusion prise par La Poste à l'encontre de M. X. était disproportionnée aux fautes que celui-ci avait commises (…) ».

Le juge de cassation ne partage pas du tout cette analyse assez bienveillante des faits et le fait savoir assez vivement : « En portant cette appréciation sur la gravité des faits, alors que ni l'existence d'un climat social tendu ni la circonstance que La Poste n'avait pas invoqué de préjudice commercial n'étaient de nature, dans les circonstances qu'elle avait relevées, à remettre en cause la gravité des agissements reprochés à l'intéressé, lesquels ne pouvaient, eu égard à leur nature et à leur nombre, avoir été dénués d'incidence sur le bon fonctionnement du service, la cour a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ».

Ce n’est pas donc pas d’une inexacte qualification des faits que la cour s’est rendue coupable mais d’une dénaturation de pièces, manière de dire combien le juge de cassation a peu apprécié…

(12 février 2020, La Poste, n° 422650)

 

95 - Médecin hospitalo-universitaire - Professeur de l’enseignement supérieur - Demande de prolongation d’activité au-delà de la limite d’âge - Distinction entre les fonctions d’enseignement et celles de consultant en matière hospitalière - Régimes différents de prolongation de fonctions pourtant indissociables - Cassation avec renvoi de l’arrêt d’appel opposant le caractère indissociable.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge, à propos du refus opposé à un praticien hospitalier et professeur des universités de bénéficier d’une prolongation d’activité, que dès lors que celui-ci s’est refuser définitivement la prolongation de ses fonctions hospitalières il ne saurait obtenir celles de sa fonction d’enseignement l’une et l’autre étant indissociables.

Le Conseil juge, au contraire, que si ces fonctions sont, en effet, indissociables, le refus opposé à la prolongation des fonctions hospitalières ne saurait entrainer celui de la prolongation des fonctions d’enseignement, cette dernière étant de droit, à la différence de la première.

(5 février 2020, Mme X., n° 423838)

 

96 - Retraites des militaires - Bonification et majoration pour services de campagne accomplis dans certains territoires - Cas des militaires affectés dans un tel territoire lorsqu’ils en sont originaires ou s’y fixent définitivement - Maintien du bénéfice des campagnes - Cassation du jugement pour erreur de droit et renvoi.

Commet une erreur de droit le tribunal administratif qui juge qu’un militaire né à La Réunion qui y accomplit une partie de sa carrière et s’y fixe définitivement n’a pas droit à la bonification pour accomplissement de campagnes dans ce territoire alors que ce dernier est éligible au rang des territoires donnant droit à l’attribution de bonifications par dispositions combinées des art. L. 12 et R.14 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

(12 février 2020, M. X., n° 416965 ; du même jour avec même solution : M.X., n° 416966)

 

97 - Pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre (art. L. 37, b/) - Avantages pour infirmités imputables au service - Cas de l’infirmité non imputable au service mais aggravée par le service - Absence de prise en compte - Cassation partielle avec renvoi à la cour régionale des pensions.

Doit être cassé pour erreur de droit l’arrêt d’une cour régionale des pensions qui se fonde, pour juger que l'hypoacousie bilatérale et les acouphènes dont souffre le requérant devaient être pris en compte pour l'application des dispositions du b) de l'article L. 37 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, sur la seule circonstance que ces infirmités avaient été aggravées par des blessures reçues par le fait du service, sans rechercher si elles trouvaient elles-mêmes leur origine dans ce même service.

En effet, les avantages supplémentaires accordés aux pensionnés remplissant certaines conditions relatives tant à l'imputabilité de leurs infirmités qu'au degré d'invalidité en résultant, ne sauraient s'appliquer à des infirmités qui ont une origine étrangère au service et qui ont été aggravées par une blessure ou une maladie imputable à celui-ci.

(13 février 2020, Ministre des armées, n° 421929)

 

98 - Praticien stagiaire dans un hôpital - Refus de raser sa barbe - Barbe à signification religieuse - Résiliation de la convention de stage - Principe de laïcité et service public - Liberté de conscience - Cassation sans renvoi.

Un étranger, praticien stagiaire dans un hôpital, a refusé de raser sa barbe tout en reconnaissant qu’elle pouvait été perçue comme un signe religieux ; son contrat de stage a été résilié.

Le Conseil d’État casse pour erreur de droit l’arrêt d’appel confirmatif du jugement de première instance qui avait validé la résiliation car ces seuls éléments (port d’une longue barbe, refus de la raser et reconnaissance de sa signification religieuse) étaient en  eux-mêmes insuffisants pour caractériser la manifestation de convictions religieuses dans le cadre du service public dès lors que la cour  n’établit  aucune autre circonstance susceptible de démontrer que le requérant  aurait manifesté de telles convictions dans l'exercice de ses fonctions.

(12 février 2020, M. X., n° 418299)

 

99 - Enseignant agent contractuel d’un GRETA (groupement d’établissements) - Enseignements dispensés dans le cadre des missions de formation professionnelle - Demande de réintégration et de régularisation - Refus - Recours dirigé contre l’Etat - Annulation partielle et renvoi dans cette mesure.

Rappel de ce que les personnels contractuels des GRETA, alors même que ces agents relèvent, pour leur gestion, des dispositions législatives et réglementaires applicables aux agents non titulaires de l'Etat, sont des agents de l'établissement support du GRETA et non des agents de l'État et le versement des sommes qui leur sont dues à raison du contrat qui les lie à l'établissement support du GRETA, y compris l'indemnisation des fautes imputables à cet employeur lors de la conclusion, de la mise en œuvre ou de la rupture de leur contrat, incombe exclusivement à ce dernier.

C’est donc à tort qu’ici les juges du fond sont entrés en voie de condamnation du ministre de l’Éducation nationale.

(5 février 2020, Ministre de l’Éducation nationale, n° 426226)

 

100 - Enseignants de l’enseignement supérieur - Exercice du droit de grève - Vérification du service fait - Note ministérielle à cet effet - Retenue éventuelle sur traitement - Régime - Rappel de la définition des obligations de service.

Vingt-et-un enseignants contestaient la légalité d’une note de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation du 7 mai 2018 rappelant les dispositions applicables aux enseignants-chercheurs en cas de grève et d'absence de service fait.

Leurs arguments sont tous rejetés.

En réalité cette note n’ajoute rien à la réglementation existante y compris lorsque, d’une part, elle rappelle les obligations statutaires de ces enseignants, lesquelles  « impliquent (...) la participation aux heures d'enseignement inscrites dans les tableaux de service et selon les emplois du temps prévus, (...) la surveillance et la correction des épreuves d'examen ainsi que la participation aux délibérations de jurys, de même que la transcription des notes » et d’autre part, indique que  « [l'absence de service fait] peut être constatée lorsqu'elle porte sur des activités programmées de façon calendaire, notamment celles exercées en présentiel (cours, TP, TD, surveillance examens, auditions, etc.) et dont le calendrier prévu coïncide avec une période couverte par un préavis de grève ». Enfin, la circonstance que la note précise que toute grève non précédée d’un préavis déposé dans les conditions réglementaires constitue une faute susceptible de faire l’objet d’une sanction disciplinaire ne lui confère pas davantage le caractère d’un acte faisant grief n’étant que le rappel des textes législatifs et réglementaires en vigueur.

Il n’est ainsi porté atteinte ni à l’exercice du droit constitutionnel de grève ni à la liberté d’expression de ces agents. Le recours est, sans surprise, rejeté.

(12 février 2020, Mme X. et autres, n° 421997)

 

101 - Fonctionnaire - Directeur de l’Établissement national des invalides de la marine - Mesure prise en considération de la personne - Obligation de communication préalable du dossier de l’intéressé - Contenu du dossier - Enquête diligentée par un corps d’inspection - Exigence de complétude du dossier y compris s’agissant de témoignages recueillis dans le cadre d’une enquête - Exception en cas de risque de grave préjudice pour un témoin - Annulation.

Depuis la loi du 22 avril 1905 votée à la suite de la célèbre et désastreuse « affaire des Fiches », les mesures défavorables prises à l’encontre d’un fonctionnaire qu’elles constituent des sanctions ou des mesures prises en considération de la personne doivent obligatoirement être précédées de la communication, à l’agent qui en fait la demande, de la communication de son dossier ; cette communication doit porter sur toutes les pièces qu’il contient.

Dans la présente affaire, une enquête administrative sur le comportement de l’intéressé avait été confiée à l'inspection générale des affaires sociales et au conseil général de l'environnement et du développement durable qui, au terme de leurs travaux, avaient rendu un rapport aux ministres concernés.

Invité à prendre connaissance de son dossier, le requérant constata qu’y figurait, notamment, le rapport d’inspection mais point les 55 procès-verbaux d’audition d’agents de l’Établissement national des Invalides de la marine. Sa demande de communication desdits procès-verbaux a été rejetée.

Jugeant irrégulière la procédure de révocation, le requérant a saisi le Conseil d’État qui lui donne raison.

Ainsi, un dossier n’est complet que s’il comporte non seulement les pièces ayant directement concouru à la décision prise envers le fonctionnaire mais encore celles qui ont contribué à l’élaboration de cette dernière, c’est-à-dire, ici, les témoignages.

Le Conseil d’État, en annulant la procédure suivie, apporte deux précisions : positivement, doivent figurer au dossier les rapports produits par un corps d’inspection, négativement, n’ont pas à y figurer ceux des documents « de nature à porter gravement préjudice aux personnes » dont les propos ou témoignages y sont contenus.

(5 février 2020, Richard Decottignies, n° 433130)

 

102 - Fonctionnaire irrégulièrement évincé de son emploi - Demande d’annulation de la mesure - Demande de réparation pécuniaire des conséquences dommageables en résultant - Litige distinct non soumis à la juridiction - Demande d’exécution ne pouvant se rapporter qu’à la demande d’annulation - Rejet.

(12 février 2020, M. X., n° 416007) V. n° 44

 

103 - Fonction publique - Nouvelle bonification indiciaire (NBI) - Attribution - Conditions - Suppression - Conditions - Suppression rétroactive - Illégalité pour violation du principe de non-rétroactivité des actes administratifs réglementaires - Annulation.

Par deux arrêtés du 2 février 2018, le ministre de la transition écologique et solidaire modifiant l'arrêté du 4 janvier 2017 portant désignation d'emplois éligibles à la nouvelle bonification indiciaire au sein du secrétariat général du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer, en charge des relations internationales sur le climat, a prévu, d'une part, la suppression, à compter du 1er janvier 2017, de l'emploi d'adjoint du chef du bureau des affaires juridiques de l'eau et de la nature de la liste des emplois éligibles à la nouvelle bonification indiciaire et, d'autre part, l'inscription, à compter du 1er mars 2017, du même emploi sur cette même liste avec attribution de 21 points.

Le demandeur, qui occupe les fonctions d’attaché principal, a été nommé le 1er janvier 2017 dans l'emploi d'adjoint au chef du bureau des affaires juridiques de l'eau et de la nature, au sein de la direction des affaires juridiques du ministère de la transition écologique et solidaire. Il demande à ce titre l’annulation des deux arrêtés.

Donnant raison à l’intéressé, le Conseil d’État relève que si l'article 25 de la loi n° 94-628 du 25 juillet 1994 permet de faire prendre effet à une date antérieure à leur publication à des dispositions réglementaires attribuant pour certains emplois le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire (NBI), il ne saurait servir de fondement légal à des dispositions réglementaires retirant rétroactivement le bénéfice total ou partiel de cette bonification pour certains emplois y ouvrant déjà droit en vertu des dispositions prises antérieurement.

Il suit de là qu’en supprimant, pour la période allant du 1er janvier au 28 février 2017, la nouvelle bonification indiciaire de 25 points attachée à l'emploi d'adjoint du chef du bureau des affaires juridiques de l'eau et de la nature, puis en la fixant à 21 points pour la période antérieure au 26 mars 2018, les deux arrêtés attaqués ont méconnu le principe de non-rétroactivité des actes réglementaires.

(10 février 2020, M. X., n° 424245)

 

104 - Fonctionnaire territorial - Congé de longue maladie - Commission de réforme - Condition de fonctionnement - Avis médical - Maladie imputable au service - Absence - Rejet.

Rappel de deux règles bien établies s’agissant des agents de la fonction publique, en matière de recours d’une commission de réforme à une expertise médicale et de détermination de l’imputabilité d’une pathologie au service.

Sur le premier point, dans le cas où il est manifeste, eu égard aux éléments dont dispose la commission de réforme, que la présence d'un médecin spécialiste de la pathologie invoquée par un agent est nécessaire pour éclairer l'examen de son cas, l'absence d'un tel spécialiste est susceptible de priver l'intéressé d'une garantie et d'entacher ainsi la procédure devant la commission d'une irrégularité justifiant l'annulation de la décision attaquée. Cette présence médicale n’est pas jugée nécessaire dans les circonstances de fait de l’espèce.

Sur le second point, il est réitéré qu’une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. Ici aussi, la requête est rejetée car la condition d’imputabilité au service n’est pas remplie.

(10 février 2020, Mme X., n° 428103)

 

105 - Fonctionnaire territorial - Agent de catégorie A - Détachement dans un emploi fonctionnel - Condition - Retrait du détachement et réintégration de l’agent dans son corps - Détachement irrégulier - Application de la jurisprudence Danthony - Erreur de droit - Annulation de l’ordonnance.

Dans le cadre d’un pourvoi contre une ordonnance de référé refusant de suspendre l’exécution de la décision d’un maire retirant sa décision antérieure de détachement d’un agent communal de catégorie A dans un emploi fonctionnel et le réintégrant dans son corps d’origine, le Conseil d’État est conduit à plusieurs solutions intéressantes.

Tout d’abord, il rappelle que dans les communes de 2000 à 40.000 habitants le détachement d’un agent territorial dans un emploi de directeur général des services n’est soumis qu’à une seule condition : être un agent de catégorie A.

Ensuite, est rappelé le principe de la jurisprudence Danthony selon une formulation classique : «  Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision ou s'il a privé les intéressés d'une garantie. Il en résulte qu'une décision créatrice de droits, entachée d'un vice qui n'a pas été susceptible d'exercer une influence sur le sens de cette décision et qui n'a pas privé les intéressés d'une garantie, ne peut être tenue pour illégale et ne peut, en conséquence, être retirée ou abrogée par l'administration de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers, même dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. »

Précisément, la demanderesse invoquait en l’espèce la circonstance que la consultation de la commission administrative paritaire - qui aurait dû intervenir préalablement à son détachement - ne constituait une garantie qu’au bénéfice du seul agent que l'on se proposait de nommer et que la décision lui étant en l'espèce favorable elle ne pouvait être regardée comme ayant été privée de cette garantie et que, d'autre part, en tout état de cause, la consultation de la commission administrative paritaire postérieurement à la décision avait régularisé la procédure.

Rejetant cette argumentation, le Conseil d’État décide que la consultation préalable d'une commission administrative paritaire avant une décision de détachement constitue une garantie au bénéfice de l'ensemble des agents candidats à ce détachement ou susceptibles de l'être. Le défaut de cette consultation préalable ne peut en outre être regardé comme régularisé par la consultation de la commission administrative paritaire après la décision que dans les hypothèses où la loi ou le règlement permettent expressément de déroger au caractère préalable de la consultation. Il existe donc bien un doute sérieux sur la légalité de la procédure de détachement de la requérante.

(Ord. réf. 7 février 2020, Mme X. c/ commune de Bussy-Saint-Georges, n° 428625)

 

106 - Enseignement supérieur - Professeur associé à mi-temps nommé pour trois ans - Nomination par décret du président de la république - Renouvellement non prévu par le décret - Incompétence du directeur de l’établissement d’enseignement supérieur pour se prononcer sur un tel renouvellement - Rejet et annulation. 

Le directeur de l'École nationale supérieure d'informatique pour l'industrie et l'entreprise n’est pas compétent pour renouveler, pour une période de trois, un professeur associé à mi-temps d’une part parce qu’il avait été initialement nommé dans cet emploi par un décret du président de la république, et d’autre part pace que ce décret ne prévoyait pas que l'intéressé pourrait, sur sa demande, au terme d'une période de trois ans, être maintenu en fonctions.

(12 février 2020, M. X. et M. Y., n° 425401)

 

107 - Enseignants du second degré - Participation aux jurys d’examens - Dispense correspondante d’heures d’enseignement entrant dans le service - Droit au paiement d’heures supplémentaires - Absence - Rejet.

Il résulte des dispositions de l'article 5 de l'arrêté du 13 avril 2012 que les enseignants qui sont autorisés à s'absenter pour participer aux jurys d'examen et n'assurent pas, de ce fait, leurs obligations d'enseignement ne peuvent bénéficier des indemnités pour heures supplémentaires instituées par le décret du 6 octobre 1950, et que l'administration est ainsi fondée, s'il y a lieu, à pratiquer une retenue sur les indemnités le cas échéant perçues en méconnaissance de la règle de non-cumul.

C’est à bon droit que le recteur de l’académie a pratiqué en l’espèce - comme il y était tenu - cette retenue. Confirmation des jugement et arrêt rendus. Le recours est rejeté.

(28 février 2020, Syndicat national de l'enseignement initial privé-CGT (SNEIP-CGT) et M. X., n° 420586)

 

108 - Militaires - Sanction disciplinaire - Radiation des cadres - Contrôle du juge sur la proportionnalité de la sanction à la gravité des faits - Rejet.

Application à un officier militaire de la jurisprudence (Assemblée, 13 novembre 2013, M. X., n° 347704, à propos de la mise à la retraite d’office, à titre de sanction, d’un agent diplomatique), plusieurs fois réitérée depuis, ouvrant au juge administratif le double contrôle des fautes de nature à justifier une sanction et de la proportionnalité de ladite sanction militaire par rapport à la gravité des faits reprochés.

(28 février 2020, M.X., n° 428711)

 

Libertés fondamentales - Protection des personnes

 

109 - Étrangers se déclarant mineurs et hors du lien familial - Intérêt supérieur de l’enfant - Modalités de détermination de l’âge d’un individu - Pouvoirs et devoirs du président du conseil départemental - Création de traitements automatisés de données à caractère personnel - Légalité - Rejet.

Les vingt associations requérantes soutenaient que les dispositions du décret  n° 2019-57 du 30 janvier 2019 relatif aux modalités d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et autorisant la création d'un traitement de données à caractère personnel relatif à ces personnes méconnaîtraient l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, le droit au respect de la vie privée protégés par l'article 2 de la Déclaration de 1789 et par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le droit à la protection des données personnelles, qui découle du droit au respect de la vie privée et est également protégé par l'article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Ces recours sont rejetés au terme d’une très longue analyse fortement et abondamment motivée.

Il résulte de celle-ci, d’abord, que les stipulations du 1 de l'article 20 de la convention de New York du 28 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant produisent directement leurs effets en droit interne français et que le principe de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant découle des alinéas 10 et 11 du Préambule de 1946 ainsi que du 1 de l’art. 3 de la convention de New York précitée.

Ensuite, la loi du 10 septembre 2018 dite « pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie » a prévu la prise, la mémorisation et le traitement automatisé des empreintes digitales ainsi que d’une photographie des ressortissants étrangers se déclarant mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille (art. L. 611-6-1 CESEDA), a été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Elle est assortie des garanties accordées aux personnes en matière d’informatique et de fichiers ainsi que de la faculté de saisir le juge : ces dispositions constituent la base légale du décret attaqué.

Ce décret tend à donner au président du conseil départemental les moyens d’évaluer la situation d'une personne se déclarant mineure et se disant privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille. Ceux-ci comprennent, outre ceux déjà existants (entretiens conduits avec la personne dans le cadre d'une approche pluridisciplinaire, examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge réalisés sur décision de l'autorité judiciaire (art. 388 c. civ.) et concours du préfet de département ou du préfet de police pour vérifier l'authenticité des documents détenus par la personne), les  informations fournies par ces autorités pour aider à la détermination de l'identité et de la situation de la personne, laquelle doit, à cette fin, communiquer aux agents habilités des préfectures toute information utile à son identification et au renseignement du traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « appui à l'évaluation de la minorité » (AEM). Il définit  les caractéristiques de ce traitement, qu'il autorise le ministre de l'intérieur à mettre en œuvre et dans lequel peuvent être enregistrées certaines données à caractère personnel des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, et, dans le but d'aider à la détermination de l'identité de ces personnes, modifie les dispositions applicables au traitement « application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France » (AGDREF2) et au traitement automatisé de données à caractère personnel relatives aux étrangers sollicitant la délivrance d'un visa ou « VISABIO ». Pour autant, le décret ne modifie pas l'étendue des obligations du président du conseil départemental en ce qui concerne l'accueil provisoire d'urgence des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille, non plus que sa compétence pour évaluer, sur la base d'un faisceau d'indices, leur situation, notamment quant à leur âge, et ne l'autorise pas à prendre une décision qui serait fondée sur le seul refus de l'intéressé de fournir les informations nécessaires à l'interrogation ou au renseignement des traitements mentionnés ci-dessus ni sur le seul constat qu'il serait déjà enregistré dans l'un d'eux.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments et des nombreuses garanties offertes aux individus concernés lors de l’application de ces procédés que le décret attaqué, qui ne viole aucune des dispositions législatives, conventionnelles et constitutionnelles invoquées à son encontre, n’est pas entaché d’illégalité.

(5 février 2020, Comité français pour le Fonds des Nations Unies pour l'enfance, dit « UNICEF France » et autres, n° 428478 et Conseil national des barreaux, n° 428826, jonction)

 

110 - Majeurs protégés - Mandataires judiciaires à la protection des majeurs - Coût et financement des mesures de protection exercées par les mandataires judiciaires à la protection des majeurs - Exonération en dessous d’un seuil  - Taxation au-delà - Effet de seuil disproportionné - Illégalité - Annulation dans cette mesure.

Les organisations requérantes poursuivaient l’annulation du décret n° 2018-767 du 31 août 2018 relatif au financement des mandataires judiciaires à la protection des majeurs en tant qu'il modifie l'article R. 471-5-3 du code de l'action sociale et des familles, en particulier en ce qu’il concerne la détermination du coût des mesures de protection exercées par les mandataires judiciaires à la protection des majeurs.

Aux termes de ce texte, les majeurs protégés dont les ressources sont inférieures ou égales au montant de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), soit, au maximum, 819 euros par mois au 1er avril 2018, sont exonérés de toute participation au financement de la mesure de protection les concernant tandis qu’un prélèvement de 0,6 % est appliqué à l'intégralité de la tranche de revenus correspondant au montant de cette allocation dès que les ressources du majeur protégé excèdent ce montant.

Les requérantes faisaient valoir l’importance de l’effet de seuil au-delà de 819 euros par mois maximum : Ainsi, le montant mis à la charge d'un majeur protégé, lorsque ses ressources excèdent d'un euro ce seuil, est de l'ordre de cinq euros par mois. Le Conseil d’État juge qu’en raison de la modicité des ressources des intéressés, le seuil étant en dessous de l'indicateur de pauvreté relative, les conséquences de l'application du taux de 0,6% en l'absence de tout mécanisme de lissage, ont un caractère manifestement disproportionné au regard de l'objet de la mesure, lequel est de les faire participer au financement de leur protection juridique en fonction de leurs ressources.

Dans cette mesure est prononcée l’annulation du 1° de l'article R. 471-5-3 du code de l'action sociale et des familles dans la version qui lui a été donnée par le décret attaqué.

(12 février 2020, M. X., n° 425138 ; Fédération nationale des associations tutélaires et autres, n°425163 ; Fédération nationale des associations tutélaires, l'Union nationale des associations familiales et l'Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis, n° 425164)

 

111 - Praticien stagiaire dans un hôpital - Refus de raser sa barbe - Barbe à signification religieuse - Résiliation de la convention de stage - Principe de laïcité et service public - Liberté de conscience - Cassation sans renvoi.

(12 février 2020, M. X., n° 418299) V. n° 98

 

112 - Droit de propriété - Atteinte - Emprise irrégulière - Ouvrage public mal planté - Déplacement ordonné en première instance - Régularisation jugée possible en appel du fait qu’une expropriation pourrait être envisagée - Cassation avec renvoi.

(28 février 2020, M. et Mme X., n° 425643) V. n° 14

 

113 - Référé liberté - Banque de France - Réquisition de personnels en cas de grève sans limitation de durée - Principe de continuité du service public - Droit de grève, liberté fondamentale - Restriction légitime du droit de grève - Conditions et compétence - Nature juridique de la Banque de France - Mission d’intérêt général de conservation des réserves en or de l’État - Nécessité et proportionnalité de la mesure de réquisition - Rejet.

(Ord. réf. 3 février 2020, Syndicat national autonome de la Banque de France-Solidaire (SNABF-Solidaire), n° 437751) V. n° 138

 

114 - Transfert d’embryon(s) ou utilisation de gamètes - Exportation à l’étranger - Prohibition législative non contraire à la Convention EDH - Réserve en cas d’ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette Convention - Absence en l’espèce - Rejet.

Réitération d’une jurisprudence empreinte d’un subjectivisme hédoniste fondée sur le dogme de l’ « ingérence disproportionnée » que, de façon prémonitoire, fustigeait Hegel voyant dans le droit « ce qui est indifférent à la particularité ».

Les interdictions posées par la loi française de procéder, en cas de décès du mari, à un transfert d'embryon ou à une utilisation de ses gamètes au profit de sa veuve  (art. L. 2141-2, code de la santé publique) ou que des embryons ou des gamètes conservés en France puissent faire l'objet d'un déplacement, s'ils sont destinés à être utilisés, à l'étranger, à des fins qui sont prohibées sur le territoire national, ne portent pas, par elles-mêmes, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'art. 8 de la Convention EDH.

Cependant doit être faite la réserve du cas où ces interdictions, dans certaines circonstances particulières, constitueraient une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette convention. Cette éventuelle ingérence est appréciée concrètement par le juge administratif.  

En l’espèce, n’est pas aperçue - dans les prohibitions législatives - une ingérence disproportionnée alors même que cette demande de déplacement des embryons ou gamètes hors de France, dans un État de l’Union européenne,  résulte d'un projet parental auquel le mari de la requérante a consenti de son vivant car il n'est pas contesté que celle-ci n'est fondée que sur la possibilité légale d'y faire procéder à une insémination artificielle ou à un transfert d'embryon post-mortem, alors, au surplus, que la demanderesse, qui n'a aucun lien avec un autre pays européen que la France, ne fait état d'aucune circonstance particulière.

Le juge relève encore que les deux circonstances que l'objet du litige concerne non seulement les gamètes de son mari mais également les embryons conçus grâce à ses propres gamètes et que l’intéressée ait perdu in utero un enfant conçu antérieurement au décès de son mari, ne permettent pas de qualifier d’ingérence disproportionnée les interdictions formulées par les dispositions législatives précitées.

(28 février 2020, Mme X. veuve Y., n° 438854 ; v. aussi, du même jour, avec solution identique : Mme X., n° 438852)

 

Police

 

115 - Police de contrôle des véhicules poids lourds - Agrément délivré aux sociétés de contrôle - Expiration - Préfet s’abstenant de suspendre l’agrément expiré - Cassation, avec renvoi, de l’arrêt d’appel jugeant légale cette abstention.

(5 février 2020, Société Vivauto PL, n° 419284) V. n° 67

 

116 - Police municipale des chemins ruraux - Présence d’obstacles sur un chemin rural - Obligation d’y mettre un terme « sans délai » (art. D. 161-11 du code rural et de la pêche maritime) - Disposition ne caractérisant pas ipso facto une situation d’urgence ou de compétence liée - Obligation de respecter une procédure préalable contradictoire - Cassation avec renvoi.

Une société, dont des parcelles de terrain qu’elle possède sont traversées par un chemin rural qu’elle a barré par une chaine et comportant en son milieu un bloc de ciment, conteste un arrêté municipal pris sur le fondement des articles L. 161-5 et D. 161-11 du code rural et de la pêche maritime lui ordonnant de retirer tous les obstacles à la circulation sur ledit chemin rural. Après qu’elle a obtenu gain de cause en première instance, la cour d’appel administrative, sur l’appel de la commune, a annulé ce jugement ; la société se pourvoit.

Le Conseil d’État estime que le texte de l’art. D. 161-11 du code précité (« Lorsqu'un obstacle s'oppose à la circulation sur un chemin rural, le maire y remédie d'urgence (...) »), d’une part, ne met pas le maire en situation de compétence liée, et d’autre part, ne constitue pas automatiquement par lui-même  la situation d’urgence qui, aux termes de l’art. 24 de la loi du 12 avril 2000, dispense l’autorité administrative de motiver ses décisions en les faisant précéder d’une procédure contradictoire.

Le maire n’est pas en situation de compétence liée car il lui revient d’apprécier les circonstances de fait et de droit, donc à porter une appréciation avant de décider.

L’expression « sans délai » ne caractérise pas en elle-même une situation d’urgence, cette condition s’appréciant indépendamment au vu des éléments concrets de l’espèce. C’est donc à tort que la cour a jugé inopérant le moyen soulevé par la demanderesse intimée selon lequel n’avait pas été respectées les exigences du principe du contradictoire.

D’où la cassation prononcée avec renvoi.

(24 février 2020, Société des Fourneaux et M. X., n° 421086)

 

117 - Détenu - Mise à l’isolement - Mesure de police et non sanction - Inapplicabilité du principe non bis in idem - Rejet.

Rappel de ce qu’une mesure de mise à l'isolement ne constitue pas une sanction disciplinaire mais une mesure de police destinée à garantir le bon ordre au sein d'un établissement pénitentiaire (cf. art. R. 57-7-62 du code de procédure pénale). Par suite, le requérant ne saurait utilement invoquer à l’encontre d’une telle mesure la méconnaissance du principe non bis in idem, lequel est inapplicable en matière de police.

(Ord. réf. 11 février 2020, M. X., n° 438039)

 

118 - Responsabilité de la police - Police municipale - Sapeurs-pompiers de Paris - Exercice de missions de police municipale par le préfet de police - Possibilité de mettre en cause la responsabilité communale et celle de l’Etat - Cassation pour erreur de droit de l’arrêt d’appel excluant toute responsabilité de l’Etat.

L’époux et les deux fils d’une femme décédée durant l’intervention de secours recherchent la responsabilité de la commune de Courbevoie et celle de l’Etat à raison de fautes qui auraient été commises durant cette intervention ou à son occasion.

La police générale des secours d’urgence appartient aux communes et incombe aux maires (art.  L.2212-1, article L. 2212-2, 5° et article L. 2216-2 du CGCT) et, en cas de faute dans son exercice, peut être mise en jeu la responsabilité de la commune. C’est pourquoi la cour administrative d’appel avait considéré que la responsabilité de la commune de Courbevoie était seule susceptible d'être engagée à raison des agissements fautifs imputés à la brigade de sapeurs-pompiers de Paris à l'occasion de son intervention sur son territoire.

Le Conseil d’Etat aperçoit dans ce raisonnement une erreur de droit car il résulte, d’une part, des dispositions de l’art. L. 2521-3 du CGCT, que le préfet de police de Paris est chargé du secours et de la défense contre l'incendie dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, et d’autre part des dispositions de l’art. R. 2521-2 du même code, que « La brigade de sapeurs-pompiers de Paris assure sa mission dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. / À cet effet, elle est à la disposition du préfet de police de Paris ». Le préfet de police exerce donc en ce cas des missions de police municipale ce qui est susceptible d’engager la responsabilité fautive de l’État contrairement à ce qu’a jugé la cour administrative d’appel.

(5 février 2020, M. X. et autres, n° 423972)

 

119 - Action en responsabilité dirigée contre l’État du fait de dommages subis par suite de crimes ou délits commis à force ouverte ou par violence - Rattachement aux dispositions de l’art. R. 312-14 CJA - Compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel s’est produit le fait générateur du dommage - Attribution du jugement du litige en ce sens.

(12 février 2020, Société JC Decaux France, n° 436603) V. n° 20

 

120 - Plan de prévention des risques technologiques (PPRT) - Estimation indicative du coût des réserves foncières - Contestation - Régime contentieux.

Un arrêté préfectoral a approuvé le plan de prévention des risques technologiques autour des sites de plusieurs établissements, autorisés au titre de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement, dont ceux de la société Frangaz requérante.

Cette dernière a demandé l’annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté. Son action ayant été rejetée en première instance comme en appel, la société se pourvoit.

Les PPRT délimitent, à l'intérieur des zones prévues au I de l'article L. 515-16 du code de l'environnement, des secteurs dans lesquels ou bien les propriétaires des biens concernés peuvent mettre en demeure les personnes publiques compétentes en matière d'urbanisme de procéder à l'acquisition de leur bien, ou bien l'État peut déclarer d'utilité publique l'expropriation au profit de ces mêmes personnes des immeubles et droits réels immobiliers. Le coût des mesures foncières doit être mentionné dans le plan de prévention, en vertu de l'article R. 515-41 du code de l'environnement,

En cas de recours contre cette évaluation financière, le Conseil d’État opère une distinction.

D’une part, cette évaluation financière peut être contestée à l'appui d'un recours dirigé contre le PPRT, mais, d’autre part, en raison de ce  qu’elle n'a pas pour objet de déterminer le montant des indemnités versées aux propriétaires faisant l'objet de mesures foncières ni de fixer les modalités de financement de ces mesures, cette estimation n'est pas susceptible d'être opposée aux futures décisions administratives qui devront être nécessairement prises pour assurer la mise en œuvre du plan (cf. art. L. 515-19 du code de l'environnement). Il en résulte donc que c’est par suite d’une erreur de droit que la cour a jugé que la société Frangaz ne saurait utilement contester la pertinence du coût estimé des futures mesures d'indemnisation dont elle pourra être amenée à supporter une partie des charges à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation du PPRT. En effet, les exploitants des installations à l'origine du risque, qui participent au financement des mesures prises en application des II et III de l'art. L. 515-16 et de l’art. L. 515-19 du code de l'environnement, pourront contester l'indemnisation due au titre de ces mesures à l'appui de recours dirigés contre les actes administratifs pris dans le cadre de la mise en œuvre du PPRT. Dès lors ne peut être retenu le moyen tiré de ce que la cour aurait méconnu l'article 16 de la Déclaration de 1789 ainsi que les articles 6 et 13 de la Convention EDH en privant la société Frangaz de tout recours utile pour contester l'indemnisation due à ce titre.

(12 février 2020, Société Frangaz, n° 424153)

 

121 - Permis de conduire d’un État membre de l’UE - Permis délivré en échange d’un permis français - Reconnaissance automatique - Absence si le permis français n’était plus valide lors de l’échange des permis -

Le Conseil d’État apporte cette réponse de bon sens que si un permis délivré régulièrement par un autre État membre de l'Union européenne doit, en principe, être reconnu en France, ces dispositions ne sauraient imposer aux autorités françaises de reconnaître en France un tel permis dans le cas où il a été délivré par l'autre État par voie d'échange avec un permis français qui n'était plus valide à la date à laquelle il a été échangé, notamment en raison d'un retrait de points.

(12 février 2020, Ministre de l’intérieur, n° 428983)

 

122 - Police de l’affichage et de la publicité - Notions d’enseigne et d’immeuble au sens de l’art. L. 581-3 du code de l’environnement - Prise en compte du lieu d’exercice de l’activité - Dispositif publicitaire placé sur ou dans le sol - Cassation avec renvoi.

Les juges du fond ayant prononcé puis confirmé l’annulation d’un arrêté préfectoral ordonnant à une société la dépose de plusieurs dispositifs publicitaires placés sur son terrain parce que placés à proximité de ses locaux, la ministre de l’environnement se pourvoit.

Pour annuler la décision litigieuse la cour avait estimé que les dispositifs signalant l'activité de la société, implantés sur le terrain du local commercial ne pouvaient être qualifiés d'enseignes, au motif qu'ils n'étaient pas installés à proximité immédiate de l'entrée de ce local mais en périphérie du terrain.

Cassant ce raisonnement, le Conseil d’État décide qu’au regard des dispositions des art. L. 581-3 et L. 581-64 du code de l’environnement, d’une part, doit être qualifiée d'enseigne, l'inscription, forme ou image installée sur un terrain ou un bâtiment où s'exerce l'activité signalée et, d’autre part, que s'agissant d'un dispositif scellé au sol ou installé sur le sol, sa distance par rapport à l'entrée du local où s'exerce l'activité est sans incidence sur la qualification d'enseigne, dès lors que ce dispositif est situé sur le terrain même où s'exerce cette activité et est relatif à cette dernière. 

C’est une interprétation très large du champ d’application de l’art. L. 581-3 qui est ici retenue.

(28 février 2020, Ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, n° 419302)

 

Professions réglementées

 

123 - Chirurgiens-dentistes - Cession de parts d’un cabinet dentaire - Refus du conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes d’autoriser les modifications statutaires - Saisine directe du juge administratif impossible - Absence de recours préalable devant les instances ordinales supérieures - Rejet.

Rappel de la règle de procédure selon laquelle, parce que la décision par laquelle un conseil départemental de l'ordre se prononce sur la conformité d'une modification des statuts d'une société d'exercice libéral aux dispositions législatives et réglementaires a la nature d'une décision prise pour l'inscription au tableau, elle doit être contestée devant le conseil régional, puis le cas échéant devant le conseil national de l'ordre, avant que ne puisse être saisie la juridiction administrative.

Faute d’avoir respecté cette procédure le recours porté directement devant le Conseil d’État est, parce que sans objet, manifestement irrecevable.

 (Ord. réf. 4 février 2020, Société Cabinet 21 Libération, n° 437713)

 

124 - Assermentation et agrément obligatoire des agents chargés d’un contrôle - Agents chargés de procéder à toutes vérifications ou enquêtes administratives concernant l'attribution des prestations et la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles - Agents membres du service du contrôle médical - Absence d’obligation d’assermentation et d’agrément - Rejet.

S’il résulte de diverses dispositions du code de la sécurité sociale et notamment son art. L. 114-10, que les agents chargés de procéder à toutes vérifications ou enquêtes administratives concernant l'attribution des prestations et la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles doivent être assermentés et agréés, il n’en va pas de même des médecins-conseils exerçant leur mission d'analyse de l'activité des professionnels de santé dispensant des soins aux bénéficiaires de l'assurance maladie.

C’est donc sans erreur de droit que la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins a écarté le moyen par lequel un requérant contestait la validité des éléments recueillis par les médecins-conseils ayant participé aux opérations de contrôle de son activité, faute d'agrément et d'assermentation de ces derniers.

 (12 février 2020, M. X., n° 425566)

 

125 - Chirurgien-dentiste - Dispensation de soins - Soins auquel le patient n’a pas donné son consentement - Obligation de donner une information claire et loyale - Absence - Faute de nature à justifier une sanction - Caractère indifférent de la circonstance que le patient possède des connaissances en ce domaine - Cassation.

Commet une faute de nature à justifier une sanction, le professionnel de santé, tenu à un devoir d’information claire et loyale envers son patient, qui prodigue à celui-ci des soins (pose d'une couronne de type à incrustation vestibulaire) auxquels il n’a pas consenti. La circonstance que ce patient détienne des connaissances en la matière est sans incidence sur l’obligation d’information.

En rejetant la plainte de la patiente, les juridictions ordinales de première instance et d’appel ont commis une erreur de droit.

(12 février 2020, Mme X., n° 425722)

 

126 - Notaires - Faculté d’accorder des remises sur émoluments - Remise partielle ou remise totale - Étendue de la compétence du pouvoir réglementaire - Rejet.

Était demandée l’annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé de faire droit à une demande d’abrogation des dispositions de l'article R. 444-70 du code de commerce qui sont relatives à la faculté ouverte aux notaires de renoncer à la totalité de leurs émoluments pour un acte ou un ensemble d'actes déterminés.

Il est reconnu aux notaires, officiers ministériels, la possibilité de renoncer en tout ou en partie aux émoluments qui leur sont dus à raison des actes qu’ils dressent.

S’agissant de la faculté de renonciation totale, les dispositions de l’art. R. 444-70 du code de commerce en fixent les conditions en ces termes : « Le notaire peut renoncer à la totalité des émoluments afférents à un acte déterminé ou aux différents actes reçus à l'occasion d'une même affaire ».

S’agissant de la faculté de renonciation partielle, les articles L. 444-1 à L. 444-7 du code de commerce l’encadrent sans remettre en cause la faculté de renonciation totale.

Le Conseil d’État rejette le recours car contrairement à ce qui était soutenu par le requérant, aucune disposition ni aucun principe n'interdisait au pouvoir réglementaire de maintenir cette faculté, qui ne présente pas de contrariété avec les dispositions des articles L. 444-1 et suivants du code du commerce qui régissent  les tarifs réglementés applicables à certaines professions judiciaires réglementées, parmi lesquelles les notaires.

(12 février 2020, M. X., n° 429670)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

127 - Comptable de fait - Absence de poursuites pénales sur le fondement de l’art. 433-12 du code pénal - Amende - Amende exclue en cas d’application de l’art. 433-12 - Atteinte au principe de la nécessité des délits et des peines (art. 8 DDHC) - Renvoi d’un QPC au Conseil constitutionnel.

Est jugée sérieuse la contestation de la constitutionnalité de l’art. L. 131-11 du code des juridictions financières qui punit d’une amende le comptable de fait qui n’a pas fait l’objet, pour les opérations en cause, des poursuites prévues à l’art. 433-12 du code pénal (qui réprime l’immixtion sans titre dans l’exercice d’une fonction publique pour en accomplir les actes) alors qu’en cas de telles poursuites l’amende est exclue. Le Conseil d’État aperçoit dans ce traitement différencié un risque d’atteinte au principe de la nécessité des délits et des peines énoncé à l’art. 8 de la Déclaration de 1789.

(7 février 2020, M. X., n° 436066 ; v. aussi, du même jour avec même solution : M. X., n° 436124)

 

128 - Question prioritaire de constitutionnalité - Contestation de la constitutionnalité des trois derniers alinéas de l'article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle - Changement dans les circonstances suite à une jurisprudence nouvelle du Conseil constitutionnel - Renvoi de la question.

Les organisations requérantes estimaient contraires aux droits et libertés que la Constitution garantit les trois derniers alinéas de l'article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle en ce qu’ils méconnaissent le droit au respect de la vie privée, le droit à la protection des données à caractère personnel et le secret des correspondance, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dans la mesure où le droit de communication des données personnelles accordé aux membres de la commission de protection des droits et aux agents de la Haute autorité n'est pas assorti de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre, d'une part, le droit au respect de la vie privée et, d'autre part, la protection du droit d'auteur et des droits voisins.

Bien que le Conseil constitutionnel ait jugé ces dispositions conformes à la Constitution (déc. n° 2009-580 DC du 10 juin 2009), le Conseil d’État estime que : « l'intervention des décisions du Conseil constitutionnel n° 2015-715 DC du 5 août 2015 et n° 2017-646/647 QPC du 21 juillet 2017 revêt le caractère d'un changement dans les circonstances de droit de nature à justifier que la conformité à la Constitution des trois derniers alinéas de l'article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel. Par ces décisions, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions du 2° de l'article 216 de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques et de la seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier dans sa rédaction résultant de la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, qui conféraient respectivement aux agents de l'Autorité de la concurrence et aux enquêteurs de l'Autorité des marchés financiers la possibilité d'obtenir la communication de données de connexion en des termes semblables à ceux des dispositions contestées ».

Présentant un caractère sérieux, la question soulevée est renvoyée au juge constitutionnel.

(12 février 2020, La Quadrature du Net, French Data Network, Franciliens.Net et Fédération des fournisseurs d'accès à internet associatifs, n° 433539)

 

129 - QPC - Contribution aux charges du mariage - Déduction en vue du calcul du revenu net imposable à l’impôt sur le revenu - Déduction permise seulement quand son versement résulte d’une décision de justice - Question présentant un caractère sérieux - Renvoi de la QPC.

Le Conseil d’État juge que présente un caractère sérieux, au regard du principe d'égalité devant la loi et du principe d’égalité devant les charges publiques, la question de la constitutionnalité des dispositions de l’art. 156 du CGI en ce qu'elles subordonnent, pour la détermination du revenu net annuel soumis à l'impôt sur le revenu, la déduction de la contribution aux charges du mariage (cf. art. 214 du Code civil) à ce que son versement résulte d'une décision de justice, excluant tout autre cas.

(28 février 2020, M.X., n° 436454)

 

Responsabilité

 

130 - Indemnisation de frais d’obsèques - Détermination du montant du préjudice - Absence d’indications de la part des victimes - Office du juge reconnaissant l’existence du préjudice subi - Impossibilité de ne pas statuer sur les conclusions indemnitaires - Erreur de droit - Cassation.

Rappel d’un principe assez souvent méconnu par les juridictions.

« Conformément à une règle générale de procédure, applicable même en l'absence de texte, le juge qui reconnaît la responsabilité de l'administration et ne met pas en doute l'existence d'un préjudice ne peut, sans méconnaître son office ni commettre une erreur de droit, rejeter les conclusions indemnitaires dont il est saisi en se bornant à relever que les modalités d'évaluation du préjudice proposées par la victime ne permettent pas d'en établir l'importance et de fixer le montant de l'indemnisation. Il lui appartient d'apprécier lui-même le montant de ce préjudice, en faisant usage, le cas échéant, de ses pouvoirs d'instruction. »

(10 février 2020, M. et Mme X., n° 421443)

 

131 - Établissement hébergeant des personnes âgées dépendantes (EHPAD) - Autorisation d’ouverture - Transfert de cette autorisation - Pouvoirs du directeur de l’agence régionale de santé (ARS) - Directeur agissant au nom et pour le compte de l’État - Refus du transfert fondé sur l’absence de crédits publics disponibles - Illégalité - Responsabilité de l’ARS et de l’État - Cassation partielle avec renvoi.

Importante décision que celle rendue ici par le Conseil d’État et qui intéressera nombre des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes (EHPAD).

D’abord, la création des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes est autorisée pour une durée de quinze ans sous la réserve de satisfaire à deux conditions.

D’une part, cette création doit être compatible, au moment de l'octroi de cette autorisation, avec le programme interdépartemental par lequel le directeur général de l'agence régionale de santé recense les besoins et priorités en la matière. D’autre part, cette création doit également être compatible avec le montant, pour l'exercice au cours duquel l'autorisation prend effet, de la dotation régionale limitative arrêtée par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie au vu de ce programme.

Ensuite, une fois la création de l’établissement autorisée, celui-ci doit, d’une part, satisfaire à un contrôle de conformité aux conditions techniques minimales d'organisation et de fonctionnement et, d’autre part, faire l’objet de la signature de la convention tripartite (État, département et établissement : cf. art. L. 313-12 du code de l'action sociale et des familles).

En outre, négativement cette fois, il ne faut pas que l’autorisation cesse, au cours de sa durée de validité, de produire ses effets, notamment faute d'avoir connu un début d'exécution dans un délai de trois ans ou par suite de son retrait en vertu de l'article L. 313-16 du même code ou du retrait de l'autorisation de dispenser des soins remboursables aux assurés sociaux dans les conditions définies à l'article L. 313-9 de ce code.

Enfin, l'autorisation délivrée habilite l'établissement à dispenser des prestations prises en charge par l'État ou les organismes de sécurité sociale pendant toute la durée de sa validité.

Il suit de là que le refus par l'administration du transfert d'une autorisation en vigueur ne peut légalement se fonder sur l'absence de financement correspondant au fonctionnement de l'établissement pour lequel l'autorisation a été accordée.

La décision de l’ARS de refuser à la société requérante le transfert qu’elle sollicitait au motif de l’insuffisance des crédits disponibles est donc illégale et annulée.

(26 février 2020, Société Thessalie, n° 422344)

 

132 - Action en responsabilité dirigée contre l’État du fait de dommages subis par suite de crimes ou délits commis à force ouverte ou par violence - Rattachement aux dispositions de l’art. R. 312-14 CJA - Compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel s’est produit le fait générateur du dommage - Attribution du jugement du litige en ce sens.

(12 février 2020, Société JC Decaux France, n° 436603) V. n° 20

 

133 - Infection nosocomiale - Lien de causalité avec une chute (oui) - Lien de causalité avec l’intervention nécessitée par les conséquences de la chute (non) - Qualification inexacte des faits - Cassation avec renvoi.

À la suite d’une chute dans un CHU, la victime a eu d’abord une luxation de l’épaule puis une récidive de cette luxation. Lors de sa prise en charge par le CHU une intervention chirurgicale que nécessitait la récidive de luxation, la demanderesse a contracté une infection à staphylocoque.

La cour administrative d’appel avait estimé que la responsabilité du CHU n'était pas engagée à raison des conséquences dommageables de l'infection nosocomiale contractée par l’intéressée car si sa chute était imputable à un manquement fautif de l'établissement à son devoir de surveillance, il n'existait pas, pour autant, de lien de causalité suffisamment direct entre cette faute et l'infection nosocomiale contractée par l'intéressée.

Le Conseil d’État juge que la cour a inexactement qualifié les faits de l'espèce dès lorsqu’il n’était pas contesté que l'infection avait été contractée au cours d'une intervention qui avait été rendue nécessaire par la blessure causée par la chute.

(12 février 2020, ONIAM, n° 421483)

 

134 - Avis contentieux (art. L. 113-1 CJA) - Réparation des préjudices résultant d’infections nosocomiales - Application de la prescription décennale (art. L. 1142-28 code de la santé publique, CSP) ou de la prescription quadriennale (loi du 31 décembre 1968) - Silence de la loi - Recours aux travaux préparatoires de la loi du 26 janvier 2016 - Effet de la saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux sur le délai de prescription -  Effet des différentes hypothèses de solution.

Saisi selon la procédure d’avis contentieux de l’art. L. 113-1 CJA, le Conseil d’État tranche plusieurs importantes questions relatives au délai de prescription applicable en cas d’action en réparation du préjudice causé par une infection nosocomiale, d’une part, du fait du silence du code de la santé publique sur un point particulier, et d’autre part du fait de l’enchevêtrement désordonné de textes législatifs successifs. Par ailleurs, l’intervention de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux pouvant déboucher sur diverses hypothèses, le délai de prescription applicable à chacune d’elles engendrait une confusion certaine. Trois questions principales étaient posées.

En premier lieu, il convenait de déterminer si les actions engagées contre l'ONIAM sur le fondement de l'article L. 1142-1-1 CSP sont, en dépit de la lettre de l'article L.1142-28 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 puis de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016, toujours soumises à une prescription décennale. Dans la négative, devait être déterminé le délai de prescription applicable et cela à partir de quelle(s) date(s).

Pour le Conseil d’État, s’appuyant sur les travaux parlementaires préparatoires à la loi du 26 janvier 2016, le législateur a entendu inclure dans le champ d'application de la prescription décennale que prévoient ces dispositions, non seulement les actions susceptibles d'être engagées contre l'ONIAM sur le fondement des articles L. 1142-24-9, L. 1221-14, L. 3111-9, L. 3122-1 et L. 3131-4 du code de la santé publique, mais aussi, bien qu'elles ne soient pas expressément mentionnées par l'article L.1142-28, celles susceptibles de l'être sur le fondement de l'article L. 1142-1-1 du même code.

En deuxième lieu, le dernier alinéa de l'article L. 1142-7 CSP disposant que « La saisine de la commission suspend les délais de prescription et de recours contentieux jusqu'au terme de la procédure prévue par le présent chapitre », il convenait de savoir si ce texte doit être combiné avec l'alinéa 2 de l'article 2238 du code civil, selon lequel lorsque la médiation ou la conciliation est terminée le délai de prescription recommence à courir pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois.

La réponse du juge est plus complexe en raison de la diversité des situations recouvertes par l’intervention de ladite commission et sa réponse.

Lorsque la saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux au titre soit de la procédure de règlement amiable, soit de la procédure de conciliation, a suspendu le délai de prescription applicable à l'action indemnitaire, sont applicables les dispositions de l'article 2238 du code civil ; il suit de là que ce délai recommence à courir pour la durée restant à courir ou, si celle-ci est inférieure à six mois, pour une durée de six mois.

Ensuite, deux cas se présentent :

- Soit la demande a été présentée à la commission précitée au titre de la procédure amiable et il y a alors lieu de distinguer deux hypothèses. Si la commission rend un avis concluant à l'absence de droit à réparation, le délai court à compter de la date à laquelle cet avis est notifié à l'intéressé. Si la commission rend un avis estimant que le dommage est indemnisable par un établissement de santé ou au titre de la solidarité nationale, si l'intéressé reçoit une offre d'indemnisation de l'assureur de la personne considérée comme responsable ou de l'ONIAM, le délai recommence à courir à compter de la date de réception de cette offre.

- Soit la demande a été présentée au titre de la procédure de conciliation, le délai de prescription recommence à courir à la date à laquelle l'intéressé reçoit le courrier de la commission l'avisant de l'échec de la conciliation, ou à la date à laquelle le document de conciliation partielle mentionné à l'article R. 1142-22 du code de la santé publique est signé par les deux parties.

En troisième lieu, devait être résolue la question de savoir si une demande indemnitaire, postérieure à l'avis rendu par une commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, peut suspendre ou interrompre le délai de prescription.

Simplifiant beaucoup - et à juste titre - des données textuelles compliquées, le Conseil d’État juge qu’une demande indemnitaire présentée à l'administration n'est pas de nature à suspendre ou interrompre le délai de prescription prévu par l'article L. 1142-28 du code de la santé publique et cela qu'elle soit formulée antérieurement ou postérieurement à l'avis rendu par une commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux.

Cette clarification est opportune et doit être saluée mais il n’est guère admissible que soit aussi difficile voire acrobatique la connaissance du délai de prescription applicable à une espèce.

(Avis, 12 février 2020, Mme X. et autres, n° 435498)

 

Santé publique

 

135 - Pharmacie - Médicaments orphelins - Prescription d’un médicament hors indications - Application du règlement européen du 16 décembre 1999 - Marge de liberté des autorités nationales dans la fixation du prix de vente - Limites - Annulation.

Des règlements (de 1993 et 1999) et une directive (de 1988) européens fixent le régime de la transparence des mesures régissant l’établissement des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes d'assurance-maladie. Un régime particulier régit le cas des médicaments « orphelins », c’est-à-dire ceux qui, d’une part, concernent des affections très graves car elles mettent la vie en danger, touchant moins de 5 personnes sur 10.000 dans l’UE ou dont le prix de vente ne couvre pas les investissements pour l’inventer et le produire, et d’autre part, dont les indications ne sont comparables à aucun autre parmi les médicaments autorisés dans l’UE. En ce cas, les États membres et l’Union « s'abstiennent, pendant dix ans, eu égard à la même indication thérapeutique, d'accepter une autre demande d'autorisation de mise sur le marché, d'accorder une autorisation de mise sur le marché ou de faire droit à une demande d'extension d'une autorisation de mise sur le marché existante pour un médicament similaire » (règlement du 16 décembre 1999, art. 8 point 1).

La  société Orphan Europe, requérante, a obtenu la désignation de la spécialité qu’elle commercialise sous le nom de Carbaglu, comme médicament orphelin pour le traitement de plusieurs maladies mais, moins de dix ans après l'extension, le 27 mai 2011, de l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité Carbaglu aux nouvelles indications thérapeutiques pour lesquelles elle a également été désignée comme médicament orphelin, le comité économique des produits de santé a institué un tarif unifié comme base de remboursement des spécialités relevant du groupe générique « acide carglumique 200 milligrammes », fixé au niveau du prix de cession et du tarif de responsabilité de la spécialité générique Ucedane, autorisée dans la plus ancienne des indications de Carbaglu seulement.

Le comité économique des produits de santé a ainsi adopté une mesure qui, en assimilant la spécialité Carbaglu, y compris dans ses indications bénéficiant encore d'une exclusivité commerciale, à une spécialité similaire ne bénéficiant pas d'une autorisation dans les mêmes indications, fait obstacle à ce que la société commercialisant la spécialité Carbaglu puisse tirer de l'exclusivité commerciale qui lui est reconnue pour ses trois nouvelles indications les bénéfices attendus, destinés à rémunérer l'investissement consenti, conformément à l'objectif poursuivi par le règlement de 1999.

Une telle mesure est irrégulière car prise en violation des dispositions précitées de l’art. 8 en le privant d’effet utile.

Cette décision est annulée.

(5 février 2020, Société Orphan Europe, devenue Recordati rare diseases, n° 425578)

 

136 - Marché public - Candidat évincé - Attribution du marché prétendue non conforme au droit de l’Union - Notion de « dispositif médical » - Présence en l’espèce - Qualification inexacte des faits - Cassation avec renvoi.

(10 février 2020, Société Lemer Pax, n° 421576) V. n° 46

 

137 - Agrément de transport sanitaire - Retrait - Compétence liée du directeur de l’agence régionale de santé (ARS) - Absence - Obligation de motivation et d’appliquer le principe du respect des droits de la défense - Cassation partielle avec renvoi.

(5 février 2020, Sarl Taxis Hurié, n° 426225) V. n° 1

 

Service public

 

138 - Référé liberté - Banque de France - Réquisition de personnels en cas de grève sans limitation de durée - Principe de continuité  du service public - Droit de grève, liberté fondamentale - Restriction légitime du droit de grève - Conditions et compétence - Nature juridique de la Banque de France - Mission d’intérêt général de conservation des réserves en or de l’Etat - Nécessité et proportionnalité de la mesure de réquisition - Rejet.

Le syndicat requérant interjetait appel de l’ordonnance de référé refusant de suspendre l’exécution d’une part, d’une note de service par laquelle le secrétaire général de la Banque de France a précisé les modalités pratiques applicables dans le cadre de réquisitions nécessaires à la continuité des activités de sécurité et de sûreté du siège de l'établissement et, d’autre part, de la décision du directeur de la sécurité du siège procédant à la réquisition de 31 salariés du service de sécurité et de sûreté affectés au siège de la Banque, au titre de la période du 7 janvier au 7 février 2020.

Il contestait cette ordonnance sur divers points ; tous ses arguments sont rejetés après que le juge d’appel a estimé suffisamment motivée l’ordonnance du premier juge.

Rappelant une jurisprudence traditionnelle depuis 70 ans (Assemblée, 7 juillet 1950, Dehaene, n° 01645), le juge du Palais-Royal indique, à la fois, que le droit de grève est une liberté fondamentale au sens de l’art. L. 521-2 CJA, qu’il doit se concilier avec d’autres libertés ou principes de même valeur juridique et que, faute de l’existence de la loi réglementant son exercice dans les services publics, contrairement à qu’avait prévu le Préambule de la Constitution de 1946, c’est à chaque autorité administrative - en sa qualité de responsable du bon fonctionnement d'un service public - qu’il incombe de fixer elle-même, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et l'étendue des limitations à apporter au droit de grève pour le service dont l'organisation lui est confiée.

Le juge constate que la Banque de France, bien qu’elle ne constitue pas un établissement public, est chargée de missions de service public et dispose d’un personnel dont les membres sont des agents publics en dépit d’une large soumission au code du travail.

Il suit de là que le gouverneur de la Banque et, sur sa délégation, les deux sous-gouverneurs et les directeurs généraux, les directeurs de service et les directeurs de succursales, ainsi que, sur subdélégation par ces derniers, les agents du personnel des cadres, disposent du pouvoir de réquisition à l'effet de faire assurer, dans les directions ou services placés sous leur autorité, le respect des dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles applicables en matière notamment de sécurité et de durée du travail.

Le secrétaire général de la Banque n’a donc pas, par sa note contestée, excédé les pouvoirs qui sont les siens en cette matière.

Enfin, l’examen au fond des mesures de réquisitions prises ne fait pas apparaître de caractère excessif ou disproportionné d’une part par rapport à une grève annoncée comme étant de durée illimitée et d’autre part, au regard des exigences découlant des missions de service public confiées à la Banque dont la conservation des réserves en or de l’Etat.

L’absence d’atteinte grave dispense le juge de se prononcer sur l’urgence de la mesure de référé qu’il lui était demandé de prononcer.

(Ord. réf. 3 février 2020, Syndicat national autonome de la Banque de France-Solidaire (SNABF-Solidaire), n° 437751)

 

139 - Infection nosocomiale - Invalidité permanente supérieure au taux de 25% - Calcul et application de ce taux en cas de perte de chance - Réparation au titre de la solidarité nationale - Annulation partielle et renvoi dans cette mesure.

Une personne a été victime d'un accident vasculaire cérébral liée à un cavernome. L’ablation de ce dernier, prévue dans un CHU, a été retardée d’une semaine en raison d'une infection par le staphylocoque doré.  Estimant que cette infection bactérienne était de nature nosocomiale et que, ayant diminué les chances de succès de l'opération chirurgicale, elle était à l'origine des séquelles dont elle demeure atteinte, a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation qui a émis un avis favorable à son indemnisation au titre de la solidarité nationale.

 L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a toutefois refusé d'adresser une offre d'indemnisation à la patiente. Un contentieux s’en est suivi.

Le juge de cassation trouve là l’occasion de rappeler trois choses, en les précisant et en élargissant le champ d’application au cas d’une perte de chance.

En premier lieu, il est rappelé que l'art. L. 1142-1-1 du code de la santé publique, négativement, n'a pas pour objet de définir les conditions dans lesquelles il est procédé à l'indemnisation du préjudice, et positivement, a pour objet de prévoir que les dommages résultant d'infections nosocomiales ayant entraîné une invalidité permanente d'un taux supérieur à 25 % ou le décès du patient peuvent être indemnisés au titre de la solidarité nationale. C’est pourquoi ce texte trouve également à s'appliquer dans le cas où une infection nosocomiale a entraîné la perte d'une chance d'éviter de tels préjudices.

En second lieu, s’agissant de cette hypothèse où une infection nosocomiale est à l'origine d'un préjudice constitué d'une perte de chance, le préjudice est indemnisé au titre de la solidarité nationale lorsque le taux d'atteinte permanente à l'intégrité du patient est supérieur à 25%. Ce taux est calculé par la différence entre, d'une part, la capacité que l'intéressé aurait eu une très grande probabilité de récupérer grâce à l'intervention en l'absence de cette infection et, d'autre part, la capacité constatée après consolidation du préjudice résultant de l'infection.

En troisième lieu, il est rappelé une solution désormais bien établie : lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire permettant, dans les circonstances de l'espèce, le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat, sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime. Par suite, commet une erreur de droit la cour qui tient compte de ce que l'assistance nécessaire à la victime était assurée par un membre de sa famille pour écarter toute prise en compte des majorations de rémunération dues les dimanches et jours fériés, ainsi que des congés payés. C’est sur ce dernier point que portent la cassation et donc le périmètre du renvoi à la cour administrative d’appel.

(12 février 2020, ONIAM, n° 422754)

 

Sport

 

140 - Contrôle anti-dopage - Suspension provisoire d’un sportif (art. L. 232-23-4 du code du sport) - Décision du président de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) - Date d’appréciation de la légalité de la mesure - Durée de la suspension devant être raisonnable - Rejet.

Cette décision, relative à la suspension provisoire d’un sportif ayant fait l’objet d’un contrôle anti-dopage, aborde deux questions distinctes quoique connexes ici.

En premier lieu, à quelle date le juge de l’excès de pouvoir doit-il se placer pour apprécier la légalité d’une mesure de suspension provisoire prononcée - en application de l’art. L. 232-23-4 du code du sport - à l’encontre d’un sportif suspecté de dopage ?

Tout d’abord,  le juge de l'excès de pouvoir doit apprécier la légalité de cette décision à la date de son édiction et l’annuler s’il l’estime illégale. Ensuite, et pour donner son plein effet au recours pour excès de pouvoir dont il est saisi, ce juge doit, en vertu cette fois de son office, et à condition d’avoir été saisi de conclusions en ce sens, apprécier la légalité de la décision à la date où il statue et l’abroger s'il juge qu'elle est devenue illégale.

En second lieu, quelle est l’étendue du contrôle exercé par le juge de l’excès de pouvoir sur la durée de la suspension provisoire ?

La question se pose car la disposition précitée ne fixe aucune durée limite à une suspension provisoire prise sur son fondement. Normalement, selon ce texte, la suspension prend fin lorsqu'intervient la décision de la commission des sanctions de l'AFLD.

Toutefois, le juge estime ici qu’Il appartient au président de l'Agence, outre l’hypothèse ci-dessus, de lever la suspension dans deux cas : 1) lorsque la suspension se prolonge au-delà d'un délai raisonnable alors même que la commission des sanctions n'a pas encore adopté de décision ; 2) dès qu'il apparaît que cette mesure conservatoire n'est plus justifiée, notamment si les premiers résultats de l'analyse sont infirmés ou au vu d'éléments nouveaux produits le cas échéant par le sportif concerné, tels qu'une autorisation d'usage à des fins thérapeutiques.

Cette solution, élégante, doit être approuvée car elle assure un bon équilibre entre les nécessités de la lutte contre le dopage et l’abus, même involontaire, des mesures à caractère provisoire et conservatoire notamment s’agissant de leur durée.

(28 février 2020, M. X., n° 433886)

 

Urbanisme

 

141 - Permis de construire - Refus - Effets du retrait du refus - Octroi d’un permis de construire tacite - Conséquences au regard des règles de transmission des actes d’urbanisme au préfet - Annulation partielle.

Après avoir refusé d’accorder un permis de construire, un maire retire ce refus, le pétitionnaire renouvelle sa demande de permis et obtient un permis de construire tacite. Comment s’applique en ce cas le mécanisme de transmission au préfet de certains actes locaux (art. L. 2131-1 du CGCT) ?

Dans le cas de la délivrance tacite d'un permis de construire, la commune est réputée avoir satisfait à cette formalité si le maire a transmis au préfet l'entier dossier de demande. Le délai dans lequel doit s'exercer le déféré préfectoral court soit à compter de la date à laquelle le permis est acquis, soit, dans l'hypothèse où la commune ne satisfait à l'obligation de transmission que postérieurement à cette date, à compter de la réception de cette transmission par le préfet.

Cependant, comme le retrait par l'autorité compétente d'une décision refusant un permis de construire ne rend pas le pétitionnaire titulaire d'un permis de construire tacite et impose à l’autorité administrative de statuer à nouveau sur la demande, le délai de nature à faire naître une décision tacite ne court qu'à compter de la confirmation de cette demande par le pétitionnaire. En ce cas, il appartient à la commune d'informer le préfet de la confirmation de sa demande par le pétitionnaire, en lui indiquant sa date de réception. Le délai de deux mois imparti au préfet pour intenter son déféré court alors, sous réserve que le préfet soit en possession de l'entier dossier de demande, à compter de la date du permis tacite si le préfet a eu connaissance de la confirmation de la demande avant la naissance du permis ; à défaut de cette connaissance à cette date, le délai court à compter de la date à laquelle le préfet est informé par la commune de l'existence du permis tacite.

(5 février 2020, SCI de l'Aire et du Cros, n° 426160)

 

142 - Référé suspension - Permis de construire tacite - Retrait - Délai de retrait - Existence d’une urgence et d’un moyen créant un doute sérieux - Annulation de l’ordonnance de référé.

Était demandée ici la suspension d’un arrêté municipal retirant un permis de construire tacite.

Pour juger qu’existe en l’espèce une urgence, le Conseil d’État relève  que les travaux de construction de leur maison pour lesquels les requérants avaient obtenu un permis de construire ont commencé et que l'exécution immédiate du retrait du permis de construire est de nature à entraîner, en raison du retard apporté à l'opération qu'il autorise, un préjudice économique important pour eux, compte tenu, d'une part, de la modestie de leurs ressources, d'autre part, des factures qu'ils ont déjà réglées et de celles qu'ils doivent honorer. 

Par ailleurs, constitue un moyen créant un doute sérieux le fait que l’arrêté de retrait est intervenu au-delà du délai de trois mois prévu par l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme.

(Ord. réf. 7 février 2020, M. X. et Mme Y., n° 432424)

 

143 - Référé suspension - Appréciation de l’urgence - Permis de construire un abribus délivré par une commune membre d’une communauté de communes et située dans le périmètre du Syndicat des transports d'Ile-de-France, IDF Mobilités - Rejet.

Ne commet pas d’erreur de droit et n’entache son ordonnance ni d’irrégularité ni d’insuffisante motivation, le juge du référé suspension qui, pour apprécier concrètement les effets de la décision par laquelle le permis de construire un abribus à un carrefour a été délivré et eu égard à l'exécution immédiate de travaux d'aménagement de voirie, travaux non encore achevés, qui se traduisent par l'engagement de budgets importants et sont difficilement réversibles, décide que la condition d'urgence est remplie sans retenir que l'intérêt public prépondérant de l'opération puisse lui être opposé.

En outre, est jugé sérieux le doute né de l’incompétence du maire pour délivrer un permis relatif à une compétence transférée à une communauté de communes et relevant d’un syndicat régional des transports.

(Ord. réf. 7 février 2020, Commune du Chesnay-Rocquencourt, n° 434785)

 

144 -Certificat d’urbanisme - Demande de prorogation d’une année - Refus - Motifs possibles de refus - Existence de motifs réguliers - Cassation avec renvoi.

L'autorité administrative, saisie d'une demande de prorogation d'un certificat d'urbanisme, ne peut refuser de prolonger d'une année la durée de cette garantie que si, conformément aux dispositions de l'art. R. 410-17 c. urb., les prescriptions d'urbanisme, les servitudes administratives de tous ordres ou le régime des taxes et participations d'urbanisme qui étaient applicables au terrain à la date du certificat ont changé depuis cette date. En l’espèce, le Conseil d’Etat estime, contrairement à ce qu’avait jugé la cour administrative d’appel, que l'adoption, la révision ou la modification du plan local d'urbanisme couvrant le territoire dans lequel se situe le terrain, à moins, pour la révision ou la modification de ce plan, qu'elle ne porte que sur une partie du territoire couvert par ce document dans laquelle ne se situe pas le terrain, constitue en principe le changement exigé par le texte précité.

(5 février 2020, Commune de Firmi, n° 426573)

 

145 - Communautés de communes - Plan local d’urbanisme (PLU) - Règles de compétence applicables pour l’élaboration d’un PLU entamée avant le transfert de cette compétence à la communauté de communes - Régime applicable du fait de la loi du 24 mars 2014 - Cassation avec renvoi.

(12 février 2020, M. et Mme X. et autre, n° 419439) V. n° 17

 

146 - Permis de démolir dans le champ de visibilité d’un édifice classé ou inscrit - Silence ne valant pas permis de construire tacite - Solution identique pour un permis de démolir ou pour un permis de construire comportant une démolition - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

En principe, lorsqu’une construction nécessite une démolition, la demande peut porter à la fois sur un permis de démolir et un permis de construire (art. L. 451-1 c. urb.). En ce cas, le permis de construire autorise la démolition. En cas de silence, est acquis un permis de construire et de démolir (b/ de l’art. R. 424-1 c. urb.).

Toutefois, l’art. R. 424-2 c. urb. précise : « Par exception au b de l'article R. 424-1, le défaut de notification d'une décision expresse dans le délai d'instruction vaut décision implicite de rejet dans les cas suivants : (...) / i) Lorsque le projet porte sur une démolition soumise à permis en site inscrit ».

En l’espèce, une société avait sollicité une demande de permis de construire portant sur la démolition de deux bâtiments, la surélévation d'un bâtiment existant et la construction d'un nouveau bâtiment. À l’expiration du délai de silence prévu par les textes, la société a demandé à la Ville de Paris de lui délivrer une attestation de permis tacite. Ce qui lui a été refusé et ce refus a été validé par le tribunal administratif que la société avait saisi.

En appel, ce jugement fut annulé au motif que l’art. R. 424-2 précité ne visait que l’hypothèse d’une demande de démolition sans demande de permis de construire. La cour a donc estimé que devait s’appliquer la règle du silence valant permis de construire tacite et non celle où le silence vaut rejet de la demande de permis de construire.

Interprétant audacieusement mais logiquement la fin de la phrase dudit article, le Conseil d’État censure l’arrêt d’appel en jugeant que le principe du silence valant rejet énoncé à l’art. R. 424-2 s’applique aussi bien aux demandes portant seulement sur un permis de démolir qu’aux demandes portant sur un permis de démolir et de construire.

Le pourvoi est admis et la cassation prononcée.

(12 février 2020, Ville de Paris, n° 421949)

 

147 - Plafond légal de densité - Dépassement - Calcul de la participation pour dépassement du plafond légal - Date de fixation du plafond - Jour de la délivrance du permis de construire - Rejet.

Il résulte des dispositions de l’art. 112-2 c. urb. dans sa version alors en vigueur que le fait générateur de la participation pour dépassement du plafond légal de densité est la délivrance du permis de construire. Cette même date est celle à laquelle il faut se placer pour la prise en compte de la valeur du plafond légal de densité.

C’est donc le plafond en vigueur au 22 décembre 2009 qu’il fallait retenir dans le présent litige car c’est la date de délivrance du permis de construire autorisant la réhabilitation d'un hôtel, la construction d'une nouvelle aile de l'hôtel et la démolition d'un bâtiment à usage de garage, et non celle du 7 août 1986 qui est celle de la délivrance du permis initial, pour la construction de l’hôtel.

(12 février 2020, Société Hôtel Paris Sud, n° 422342)

 

148 - Permis de construire, de démolir ou d’aménager - Irrégularité - Existence d’une pluralité de motifs d’illégalité - Refus des juges du fond d’user du pouvoir de régularisation partielle par un permis modificatif (art. L. 600-5 et L. 600-5-1 c. urb.) - Étendue des pouvoirs du juge de cassation.

De cette décision, relative à la contestation d’un permis de construire des immeubles et des maisons individuelles, qui porte sur plusieurs questions de droit on retiendra surtout l’aspect suivant.

Lorsque le juge administratif estime qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé par un permis modificatif, il peut limiter à cette partie seulement la portée de l'annulation qu'il prononce et inviter le titulaire du permis litigieux d’en solliciter la régularisation.

Dans le cas où il refuse, en présence de plusieurs motifs d’illégalité du permis, d’user de la faculté ouverte par l’art. L. 600-5 c. urb. et où un pourvoi en cassation est formé, le juge du pourvoi, dans le cas où il censure une partie de ces motifs, ne peut rejeter le pourvoi qu'après avoir vérifié si les autres motifs retenus et qui demeurent justifient ce refus.

Cette solution - assez expédiente - se justifie par l’objectif de célérité et de simplification du contentieux de l’urbanisme

(12 février 2020, Société Erilia, n° 422576)

 

149 - Demande d’autorisation d’utilisation du sol - Demande de permis d’aménager - Qualité de propriétaire du pétitionnaire - Pétitionnaire titulaire d’une promesse de vente - Absence d’annulation de la promesse et absence de manœuvres frauduleuses - Existence de la qualité pour demander ce permis - Annulation du retrait rétroactif du permis tacite - Rejet.

Les autorisations d'utilisation du sol - tel ici un permis d’aménager - , qui ont pour seul objet de s'assurer de la conformité des travaux qu'elles autorisent avec la législation et la réglementation d'urbanisme, étant accordées sous réserve du droit des tiers, il n'appartient pas en principe  à l'autorité compétente de vérifier, dans le cadre de l'instruction d'une demande de permis, la validité de l'attestation établie par le demandeur, dès lors que les demandes de permis d'aménager doivent seulement comporter l'attestation du pétitionnaire qu'il remplit les conditions définies à l'article R. 423-1 c. urb. Ce n’est que dans le cas où l’autorité compétente dispose d'informations de nature à établir le caractère frauduleux de cette attestation ou faisant apparaître, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que le pétitionnaire ne dispose, contrairement à ce qu'implique l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme, d'aucun droit à la déposer, que celle-ci peut, pour ce motif, le permis sollicité. Ce serait, par exemple, le cas si le juge judiciaire avait remis en cause le droit de propriété sur le fondement duquel le pétitionnaire a présenté sa demande.

Lorsque le pétitionnaire est, pour le terrain faisant l'objet de la demande de permis, titulaire d'une promesse de vente qui n'a pas été remise en cause par le juge judiciaire à la date à laquelle l'autorité administrative se prononce, l'attestation par laquelle il déclare remplir les conditions pour déposer la demande de permis ne peut, en l'absence de manœuvre frauduleuse, être écartée par l'autorité administrative pour refuser de délivrer le permis sollicité.

Tel était le cas dans la présente affaire.

Une société est titulaire d’une promesse consentie par la commune pour la vente du terrain d'implantation du projet et d'une délibération du conseil municipal de cette commune approuvant cette vente. Elle fournit donc, lors du dépôt de sa demande de permis d'aménager, l'attestation prévue par le code de l’urbanisme (art. R. 441-1) en sa qualité de propriétaire.

 Le maire de la commune ayant retiré le permis d'aménager dont la société était devenue tacitement bénéficiaire le 18 février 2015 au motif qu'une délibération du conseil municipal du 6 novembre 2014 avait constaté la caducité de la vente, il a estimé que le pétitionnaire n’avait pas (ou plus) la qualité requise pour obtenir le permis d'aménager. Or il résulte de l’instruction devant la cour administrative d’appel qu'à la date de naissance du permis tacite, le juge judiciaire, qui était seulement saisi d'une action engagée pour contester la caducité de la promesse de vente, n'avait pas remis en cause la validité de cette promesse.

Ainsi, la société, à la date du dépôt de sa demande de permis d’aménager était fondée à se prévaloir de la qualité de propriétaire et l'attestation qu’elle a fournie à cet effet, sans aucune manœuvre frauduleuse, ne pouvait être écartée par la commune au prétendu motif que le permis d'aménager tacite obtenu par cette société était illégal. Par voie de conséquence, était illégal retrait de ce permis auquel elle a procédé.

(12 février 2020, Commune de Norges-la-Ville, n° 424608)

 

150 - Permis de construire - Intérêt pour le contester - Propriétaire voisin et riverain de la voie où sera édifiée la construction - Cassation avec renvoi.

Pour rejeter le recours en annulation du permis de construire qu’il contestait, un tribunal administratif estime que le requérant n’a pas d’intérêt pour agir.

Rappelant les conditions, désormais assez restrictives, d’appréciation de l’intérêt pour agir en excès en annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, le Conseil d’État annule ce jugement pour qualification inexacte des faits.

En effet, le permis de construire litigieux concerne la construction d'une résidence de tourisme de dix-huit suites après démolition de la construction existante sur un terrain situé en face de la villa du demandeur. Alors que le terrain d'assiette du projet supporte actuellement un bâtiment d'un seul étage à usage d'hôtel-restaurant, d'une surface de 630 m² et d'une hauteur de 8,5 mètres, le projet autorisé par le permis de construire attaqué prévoit la construction d'un bâtiment de deux étages d'une surface de 956 m², pour une hauteur totale de 11,5 mètres, de nature à porter ainsi atteinte aux conditions de jouissance de sa propriété par M. du Beaudiez, notamment à sa vue et à sa tranquillité. C’est donc à tort que les premiers juges lui ont dénié un intérêt à contester le permis litigieux.

(27 février 2020, M. du Beaudiez, n° 425942)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Janvier 2020

Janvier 2020

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Accès aux documents administratifs - Traitements algorithmiques utilisés dans la procédure Parcoursup - Accès limité aux seuls candidats non retenus en faisant la demande - Constitutionnalité - Question présentant un caractère sérieux - Renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel.

(15 janvier 2020, UNEF, n° 433296 ; UNEF, n° 433297, jonction)

V. au n° 48

 

2 - Accès aux documents administratifs - Documents fiscaux - Documents accessibles sur un espace numérique personnel - Demande abusive sauf difficultés particulières - Annulation partielle.

En principe, dès lors que des documents administratifs sont disponibles sur un espace de stockage numérique hébergé sur une plateforme, mis à la disposition de la personne qu'elle concerne par l'administration, auquel cette personne peut librement accéder sur Internet grâce à un identifiant et un code et à partir duquel il lui est loisible de télécharger le document demandé, elle doit en principe être regardée comme détenant ces documents, au même titre que l'administration. Toutefois, il appartient au juge de vérifier s'il ressort des pièces du dossier l'existence de circonstances particulières faisant obstacle à un accès effectif à cet espace.

(30 janvier 2020, SAS Cutting Tools Management Services, n° 418797)

 

3 - Note ministérielle (éducation nationale) - Dispositions impératives à caractère général - Acte dérogatoire à un décret - Incompétence d'un ministre pour prendre une telle décision - Moyen d'ordre public - Annulation sans examen des moyens de la requête.

Le II de l'article 8 du décret du 28 octobre 2013 a mis en place un dispositif transitoire permettant aux fonctionnaires titulaires et stagiaires de l'État et aux magistrats affectés à Mayotte entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2016 de bénéficier d'une indemnité d'éloignement dégressive versée en quatre fractions annuelles. 

Par sa note attaquée, le ministre de l'éducation nationale a, d'une part, suite à un engagement gouvernemental, décidé de maintenir, pendant deux années supplémentaires, pour ceux d'entre eux qui ont été affectés à Mayotte en 2012 et 2013, l'indemnité d'éloignement à taux plein dans les conditions qui avaient été prévues par les dispositions du décret du 27 novembre 1996, remplacé par un décret du 15 avril 2013, lui-même rendu applicable à Mayotte par le décret du 28 octobre 2013, et d'autre part, réduit à deux années la durée dudit dispositif quadriennal.

L'auteur de cette note était évidemment incompétent pour, par elle, modifier ou abroger des dispositions contenues dans des décrets. L'annulation de la note est ainsi prononcée sans même que soient examinés les moyens de la requête en raison du caractère d'ordre public du vice d'incompétence.

(31 janvier 2020, MM. X. et autres, n° 426956)

 

4 - Référé suspension - Procédure disciplinaire - Haut conseil du commissariat aux comptes - Rapport final du rapporteur général devant la formation disciplinaire restreinte - Demande de suspension de la procédure - Caractère de mesure préparatoire du rapport final - Absence de décision disciplinaire - Rejet.

 (27 janvier 2020, M. X. et autres, n° 437509)

V. au n° 18

 

Biens

 

5 - Domanialité publique (appartenance de parcelles à la -) - Renvoi préjudiciel du juge judiciaire - Affectation à l'usage direct du public (absence) - Aménagement indispensable (absence) - Immeubles situés dans le périmètre d'une association foncière urbaine libre (AFUL) - Absence d'appartenance au domaine public - Cassation et règlement de l'affaire au fond.

Sur renvoi préjudiciel de l'autorité judiciaire, le juge administratif devait se prononcer sur l'appartenance de locaux au domaine public. Le tribunal administratif avait répondu par l'affirmative : l'immeuble était affecté à l'usage direct du public et il avait fait l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution, par les services publics municipaux, de leurs missions de service public.

Le Conseil d’État annule ce jugement, aucun des deux éléments retenus ne pouvant l'être, y ajoutant un autre motif de non-appartenance au domaine public.

Relevant tout d'abord une erreur de droit, le Conseil d’État juge que ne peuvent être dits affectés à l'usage direct du public des salles et des locaux à usage de bureaux mis à la disposition de diverses associations à caractère social, sportif ou culturel, afin d'y recevoir leurs adhérents et les habitants de la commune intéressés par les activités qu'elles proposaient.

Relevant ensuite une inexacte qualification des faits, le juge de cassation estime que ne peut être considéré comme un aménagement indispensable à l'exécution, par les services municipaux, de leurs missions de service public, la simple installation d'un point d'accueil et d'orientation qui n'a comme objet que l'accueil téléphonique ainsi que l'information et l'orientation des personnes reçues dans les bureaux.

Enfin, il constate que les locaux en cause, même acquis par une personne publique et fût-ce pour les besoins d'un service public ne peuvent constituer des dépendances de son domaine public car ils sont inclus dans le périmètre d'une association foncière urbaine libre, situation incompatible avec la domanialité publique ainsi qu'il résulte de la combinaison des dispositions des art. L. 322-1, L. 322-2 et L. 322-9 du code de l'urbanisme.

Les locaux litigieux font partie du domaine privé communal.

Cette solution, dans le souci de ne pas dilater à l'extrême le champ d'application de la domanialité publique, est justifiée et elle est conforme à la volonté du législateur.

(23 janvier 2020, Société JV Immobilier et autres, n° 430192)

 

Contrats

 

6 - Marché public de travaux - Construction d’un réseau urbain de tramways - Devoir de conseil des maîtres d’œuvre - Étendue - Responsabilité contractuelle - Cassation avec renvoi.

Le Conseil d’État rappelle que la responsabilité des maîtres d'œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves.

Après réception des travaux de création d’un réseau de tramways, avec des réserves levées par la suite, sont apparus des désordres affectant le revêtement en dallage de pierres naturelles noires. Bordeaux Métropole a, entre autres, recherché la responsabilité contractuelle des maîtres d’œuvre pour défaillance dans l’exercice de leur devoir de conseil. Cette demande a été rejetée en première instance et en appel au motif que les désordres allégués n'avaient pas présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux et qu'il ne résultait pas de l'instruction que les maîtres d'œuvre auraient eu connaissance de ces désordres au cours du chantier.

Le juge casse ce raisonnement pour erreur de droit car la cour aurait dû aussi vérifier, comme Bordeaux Métropole le lui demandait expressément, si les maîtres d'œuvre auraient pu avoir connaissance de ces vices s'ils avaient accompli leur mission selon les règles de l'art.

Cette solution doit être approuvée.

(8 janvier 2020, Bordeaux Métropole, n° 428280 ; v. aussi, du même jour, avec solution identique sur ce point : Communauté d'agglomération du Grand Angoulême, n° 434430)

 

7 - Marché publics de travaux - Réalisation d’une médiathèque - Réception de l’ouvrage - Portée - Réception et décompte définitif, portées respectives - Erreur de droit - Cassation partielle et renvoi dans cette mesure à la cour administrative d’appel.

Il était fait reproche au juge des référés d’une cour administrative d'appel d’avoir jugé que la réception des travaux sans réserve faisait obstacle à tout remboursement du coût de travaux à la communauté d'agglomération requérante, alors, selon le pourvoi, que cette réception ne mettait pas fin aux droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché.

Le Conseil d’État casse sur ce point l’ordonnance en rappelant la distinction des effets propres à chacun de ces deux actes : la réception et le décompte général et définitif.  

La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve. Elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. Elle a pour effet d’interdire au maître de l'ouvrage d'invoquer, après qu'elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l'ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation. En revanche, et contrairement à ce qui a été jugé en appel en l’espèce, la réception est sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché, à raison notamment de retards ou de travaux supplémentaires. En effet, la détermination de ces droits financiers n’intervient irrévocablement que lors de l'établissement du solde du décompte définitif. Ce dernier est donc seul à interdire au maître de l'ouvrage toute réclamation à cet égard.

(8 janvier 2020, Communauté d'agglomération du Grand Angoulême, n° 434430)

 

8 - Marché public - Décompte général et définitif - Effets - Possibilité à certaines conditions d'un appel en garantie du maître de l'ouvrage contre le titulaire d'un marché dont le décompte est devenu défintif - Absence en l'espèce - Cassation sans renvoi.

Le Conseil d’État rappelle que si en principe le décompte général et définitif détermine irrévocalement les droits et obligations des parties, toutefois, la circonstance que ve décompte soit devenu définitif ne fait pas, par elle-même, obstacle à la recevabilité de conclusions d'appel en garantie du maître d'ouvrage contre le titulaire du marché. 

Cette faculté suppose que le maître d'ouvrage n'avait pas eu connaissance de l'existence du litige avant qu'il n'établisse le décompte général du marché et qu'il n'a donc pas assorti le décompte d'une réserve, même non chiffrée, concernant ce litige. Or, en l'espèce, le maître d'ouvrage, attrait par un concurrent évincé devant le juge administratif, et ainsi nécessairement informé de l'existence d'un litige, après avoir appelé en garantie le maître d'oeuvre, avait signé avec celui-ci, sans l'assortir de réserve, le décompte général du marché qui les lie : le caractère définitif de ce dernier a pour effet de lui interdire toute réclamation correspondant à ces sommes.

C'est donc par suite d'une erreur de droit que la cour a jugé que n'étaient pas irrecevables les conclusions d'appel en garantie prises par le maître d'oeuvre postérieurement à l'intervention du décompte général du marché de maîtrise d'oeuvre, alors qu'elle a elle-même constaté que le décompte avait été établi postérieurement à l'appel en garantie et à une date à laquelle le maître d'ouvrage avait nécessairement connaissance du litige l'opposant au groupement d'entreprises demandeur en première instance.

(27 janvier 2020, Société Atelier d'architecture Bégué Peyrichou Gérard et associés, n° 425168)

 

9 - Eau et assainissement - Concession - Résiliation anticipée - Indemnisation des préjudices causés au concessionnaire - Calcul de la prise en compte de l'état des amortissements - Non-rétroactivité de la loi du 29 janvier 1993 (dite "loi Sapin") - Bouleversement de l'équilibre financier du contrat - Absence - Rejets.

Une commune conclut un contrat de concession eau/assainissement avec la société Lyonnaise des Eaux France, aux droits de laquelle vient Suez Eau France, la communauté urbaine du Grand Toulouse, devenue Toulouse Métropole, succédant à la commune.

Désirant harmoniser les tarifs des différentes concessions eau/assainissement existant dans son périmètre, Toulouse Métropole a proposé un avenant modificatif réduisant la rémunération du concessionnaire. Devant le refus de ce dernier, qui estimait, de ce fait, rompu l'équilibre financier du contrat primitif, Toulouse Métropole a modifié unilatéralement le contrat. Puis, deux ans plus tard, a prononcé la résiliation anticipée du contrat. Entretemps s'est ouvert un contentieux en annulation de diverses actes et décisions et en indemnisation. Les premiers juges ont condamné Toulouse Métropole à indemniser la demanderesse du montant des investissements non amortis à la date de la résiliation, somme augmentée en appel.

Toulouse Métropole se pourvoit contre cet arrêt tandis que Suez Eau France forme un pourvoi incident.

Puisque les biens de retour rentrent gratuitement en fin de contrat dans le patrimoine de la personne publique, il importe de déterminer l'état des amortissements de ces biens pour calculer l'éventuel préjudice subi par le concessionnaire en cas de résiliation non fautive anticipée. Le Conseil d’État décrit ce mécanisme dans un considérant à la fois pédagogiquement rédigé et de principe : "  Lorsque la collectivité publique résilie une concession de service public avant son terme normal, le concessionnaire est fondé à demander l'indemnisation du préjudice qu'il subit à raison du retour des biens nécessaires au fonctionnement du service public à titre gratuit dans le patrimoine de cette collectivité, lorsqu'ils n'ont pu être totalement amortis, soit en raison d'une durée du contrat inférieure à la durée de l'amortissement de ces biens, soit en raison d'une résiliation à une date antérieure à leur complet amortissement. Lorsque l'amortissement de ces biens a été calculé sur la base d'une durée d'utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan. Dans le cas où leur durée d'utilisation était supérieure à la durée du contrat, l'indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l'amortissement de ces biens sur la durée du contrat. Si, en présence d'une convention conclue entre une personne publique et une personne privée, il est loisible aux parties de déroger à ces principes, l'indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus." On aura remarqué le rappel discret in fine de la règle qu'une personne publique ne peut payer une somme qu'elle ne doit pas.

En conséquence, ne peut être objecté le fait que les biens de retour auraient été amortis "économiquement" avant la décision de résiliation grâce aux résultats produits par l'exécution de la concession.

Pas davantage ne peut être retenu le moyen tiré de ce que la concession en cause avait une durée plus longue que le maximum fixé par la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques ou par la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement car la conclusion de cette concession est antérieure à l'entrée en vigueur de ces textes. La solution est logique mais elle semble contredire celle de l'arrêt Commune d'Olivet (Assemblée, 8 avril 2009, Compagnie générale des eaux et commune d'Olivet, n° 271737, Rec. p. 116). Le pourvoi principal est rejeté.

Le pourvoi incident de Suez Eau France l'est pareillement. Deux arguments étaient invoqués pour l'essentiel : l'institution par le cahier des charges de la concession d'une commission chargée de procéder à la révision des tarifs et le caractère fautif de la baisse des tarifs décidée unilatéralement par Toulouse Métropole. D'une part, l'intervention de cette commission ne dispensait pas Toulouse Métropole de proposer la conclusion d'un avenant ou, à défaut d'accord du cocontractant, de procéder par voie unilatérale ; la personne publique n'était donc pas dépossédée de sa compétence du fait de l'existence de cette commission, et, d'autre part, la procédure de modification tarifaire qui a été suivie ici était conforme aux stipulations du cahier des charges librement accepté par les parties.

 (27 janvier 2020, Toulouse Métropole, n° 422104)

 

10 - Délégation de service public ou concession de travaux - Force majeure (absence) - Imprévision (absence) - Biens nécessaires au fonctionnement du service public - Nature juridique des jeux de casino - Absence d'activité de service public mais contribution au financement de missions de service public et rémunération essentielle sur les usagers - Présence d'une délégation de service public - Biens de retour - Notion - Retour gratuit dans le patrimoine de la collectrivité publique délégante - Rejet.

La commune de la Trinité-sur-Mer a confié, par une convention, l'exploitation d'un casino à la société Grand Casino de la Trinité-sur-Mer, devenue société Touristique de la Trinité. Le cahier des charges pour l'exploitation des jeux de la convention prévoyait notamment que le délégataire prendrait à sa charge les investissements nécessaires pour la réalisation d'un hôtel et d'un restaurant, de locaux de réunion, d'une salle polyvalente pour l'accueil de congrès et séminaires, d'un centre de remise en forme et d'une galerie d'arts plastiques.

Le conseil municipal de la commune ayant estimé que la société n'avait pas rempli ses obligations, son maire a été autorisé à prononcer la déchéance du contrat.

La commune a en outre saisi le tribunal administratif d'une demande d'indemnisation pour non-réalisation, par la société Touristique de la Trinité, d'équipements prévus par le contrat et d'une demande de restitution du casino, de l'hôtel et du restaurant inclus dans le périmètre du contrat de concession.

La société Touristique de la Trinité a saisi le tribunal administratif, lequel a rejeté une partie de ses demandes. La cour administrative, saisie d'un appel de la commune, a augmenté le montant des indemnités mises à la charge de la société et lui a enjoint de libérer les locaux correspondant à l'ensemble immobilier du casino et de l'hôtel-restaurant. La société se pourvoit en cassation, en vain : ses trois arguments principaux sont rejetés.

Tout d'abord, c'est dans la limite de son pouvoir souverain d'appréciation des faits et sans dénaturation que la cour a jugé que n'étaient pas réunies les trois conditions auxquelles est subordonnée la constatation de l'existence d'une force majeure exonératoire. Au passage, s'agissant de l'invocation de la théorie de l'imprévision, le juge rappelle qu'elle se résout en une aide indemnitaire pour assurer la poursuite de l'exécution du contrat.

Ensuite, le Conseil d’État procède à la qualification juridique de la convention liant la société demanderesse au pourvoi et la commune. Il y voit une délégation de service public bien que " les jeux de casino ne constituent pas, par eux-mêmes, une activité de service public ". On sait que la jurisprudence s'est montrée passablement incertaine et cahotante sur ce sujet, tantôt y voyant purement et simplement un service public (25 mars 1966, Ville de Royan, p. 237 ; 3 octobre 2003, Commune de Ramatuelle, BJCP p. 430) et tantôt refusant cette qualification,  d'abord à partir de 1922 (12 mai 1922, Commune de Saint-Malo, p. 413 ; 21 novembre 1947, Société fermière du Palais de la Méditerranée, p. 430), puis, à nouveau, à l'époque actuelle (19 mars 2012, SA Groupe Partouche,  n° 341562). Ici , il est relevé que " les conventions conclues pour leur installation et leur exploitation ont, compte tenu de ce que le cahier des charges impose au cocontractant des obligations relatives notamment à la prise en charge du financement d'infrastructures et de missions d'intérêt général en matière de développement économique, culturel et touristique et que sa rémunération est substantiellement assurée par les résultats de l'exploitation, le caractère d'une délégation de service public ou d'une concession de travaux publics ". On aura noté l'incertitude du juge sur la qualification juridique exacte des contrats.

De cette nature juridique de la relation contractuelle ainsi instaurée il découle que l'ensemble des biens, meubles ou immeubles, dont la création ou l'acquisition est mise à la charge du cocontractant, tenu d'effectuer les investissements nécessaires à cet effet, appartient à la personne publique et ce, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition. D'où cette conséquence, logique eu égard aux prémisses, mais sévère : " Il en résulte que les biens nécessaires au fonctionnement du service public confié au cocontractant, alors même que des jeux de casino y sont installés, constituent des biens de retour et appartiennent à la personne publique contractante ". Le Conseil d’État a estimé sans effet sur cette conséquence la double circonstance, d'une part, que ces biens n'étaient pas édifiés sur une dépendance du domaine public de la commune, et d'autre part, que le contrat prévoyait que la société ferait son affaire des opérations immobilières relatives à la création du casino, alors que cette dernière précision pouvait laisser croire à l'existence d'un sort juridique autonome pour le casino.

Enfin, étant des biens de retour, ces immeubles font retour gratuitement dans le patrimoine de la commune contractante sans que puisse être invoquée la protection du droit de propriété et donc la violation des art. 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Le rejet a une portée incertaine car s'il peut sembler porter sur le fond même de l'argumentation (la gratuité des biens de retour ne contrevient pas aux dispositions constitutionnelles garantissant le respect du droit de propriété), il peut aussi résulter de ce que - comme le souligne le juge - ce moyen est nouveau en cassation.

Reste que ce retour automatiquement gratuit des biens de retours dans le patrimoine public mériterait, non pas une QPC car celle-ci serait vouée à l'échec en l'état du fétichisme jurisprudentiel actuel en faveur du patrimoine public, mais un recours à la cour EDH.

(23 janvier 2020, Société Touristique de la Trinité, n° 426421)

 

11 - Aéroport - Convention d'occupation du domaine public - Activités de débit de boissons et de restauration rapide - Offres - Candidat évincé - Exigences excessives du règlement de consultation - Restriction excessive des conditions d'accès au contrat - Interprétation du règlement de la consultation - Pluralité des motifs d'annulation de la convention - Rejet du pourvoi.

La chambre de commerce et d'industrie (CCI) d'Ajaccio et de la Corse-du-Sud, au terme d'une consultation, a attribué une convention d'occupation du domaine public pour un local situé dans l'enceinte de l'aéroport de Figari et destiné à l'exploitation d'une activité commerciale de débit de boissons et de restauration rapide. Deux sociétés, " Bar de l'arrivée " et " Café des voyageurs ", ayant présenté leur candidature, c'est l'offre de cette dernière qui a été retenue.

La société " Bar de l'arrivée ", évincée, a saisi le juge et ses demandes ont été rejetées en première instance. La cour administrative d'appel, censurant dans cette mesure le jugement querellé, a annulé la convention d'occupation du domaine public conclue avec la société " Café des voyageurs " et a condamné la CCI à verser à la société " Bar de l'arrivée " une indemnité de 200 000 euros.

La CCI se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

La cour avait annulé la convention d'occupation du domaine public pour deux motifs d'irrégularité dont elle a jugé que chacun d'eux, pris ut singuli, était de nature à justifier l'annulation.

Le premier motif était fondé sur le non-respect par la société, attributaire de cette convention, d'une disposition du règlement de la consultation qui rendait son dossier de candidature incomplet. Le règlement  disposait en effet que les candidats devaient soit, pour la société, être en possession, au plus tard à la date limite de dépôt des candidatures, de la licence de 4ème catégorie prévue à l'article L. 3331-1 du code de la santé publique, soit, pour la personne déclarante, du permis d'exploitation d'un débit de boissons prévu par les dispositions de l'article L. 3332-1-1 du même code, soit, à tout le moins, avoir accompli, avant la date limite de dépôt des candidatures, les démarches en vue de l'obtention de cette licence et de la délivrance du permis d'exploitation à la date d'effet de la convention. Le Conseil d’État reproche à la cour d'avoir commis sur ce point une erreur de droit en ne relevant pas (d'office ?) que l'exigence prévue par le règlement de la consultation sur ce point devait être regardée comme restreignant de façon excessive et arbitraire l'accès des entreprises intéressées au contrat en cause. Nous avouons être dubitatif sur le motif de cassation ainsi retenu.

Le second motif était tiré de ce que la société attributaire ayant été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le jour même de la date limite de dépôt des candidatures fixée par le règlement de la consultation, la CCI avait pu la dispenser de la production des éléments financiers prévus par les stipulations de ce règlement. Toutefois, cette tolérance était subordonnée à ce que la société justifie par tous moyens de sa capacité financière. Or la cour a souverainement jugé qu'il résultait des faits de l'espèce que les pièces produites par la société " Café des voyageurs " relatives aux statuts, bilans et comptes de résultats pour les exercices 2011 et 2012 de deux sociétés dans lesquelles son président et associé unique détenait 16 % du capital, n'étaient pas de nature à justifier de cette capacité. Le Conseil d’État considère que la cour, ce jugeant, n'a pas, contrairement à ce qui est soutenu, retenu du règlement de la consultation une interprétation ayant pour effet de restreindre l'accès à la convention des entreprises de création récente et n'a ainsi pas commis d'erreur de droit.

Enfin, comme indiqué plus haut, la cour ayant jugé les deux motifs retenus par elle comme justifiant l'annulation de la convention et la CCI n'ayant pas contesté les motifs de l'arrêt sur ce point, l'annulation est confirmée et le pourvoi rejeté.

(23 janvier 2020, Chambre de commerce et d'industrie d'Ajaccio et de la Corse-du-Sud, n° 427058)

 

Droit du contentieux

 

12 - Question préjudicielle - Taxe générale sur les activités polluantes - Taxe frappant les personnes et activités mettant des imprimés à la disposition du public - Perception par un organisme de droit privé agréé sans mise en œuvre d’une transparence - Saisine du Conseil d’État - Qualité pour se pourvoir - Intervenant en première instance - Compétence pour statuer sur la question préjudicielle - Étendue de la question posée - Rejet.

Une société conteste devant le juge judiciaire la légalité de l'arrêté interministériel du 19 janvier 2007 portant agrément d'un organisme, la société Ecofolio, ayant pour objet de percevoir la contribution à la collecte, à la valorisation et à l'élimination des déchets d'imprimés et de verser les soutiens aux collectivités locales en application de l'article L. 541-10-1 du code de l'environnement et de l'article 1er du décret n° 2006-239 du 1er mars 2006. Le tribunal de grande instance saisi aperçoit une question préjudicielle qui est renvoyée au tribunal administratif de Paris ; celui-ci juge illégal l’arrêté précité.  Ce jugement est frappé de pourvoi en cassation.

Trois questions importantes de procédure se posaient.

1°/ La société Ecofolio, qui est volontairement intervenue en première instance peut-elle se pourvoir en cassation ? On sait que la personne qui est régulièrement intervenue devant le tribunal administratif n'est recevable à se pourvoir en cassation contre le jugement rendu en premier et dernier ressort contrairement aux conclusions de son intervention que lorsqu'elle aurait, à défaut d'intervention de sa part, eu qualité pour former tierce opposition contre la décision du juge de première instance. Or ne peut former tierce opposition contre une décision rendue au terme d’une instance la personne qui, au cours de ladite instance, y avait été valablement représentée par une personne ayant des intérêts concordants avec les siens. En l’espèce, la société Ecofolio n’avait pas, dans l’instance s’étant déroulée devant le tribunal administratif, que des intérêts concordants avec ceux du ministre. Elle ne pouvait donc être considérée comme y ayant été valablement représentée par le ministre. Son pourvoi est recevable.

2°/ Dans la mesure où étaient contestés, d’une part, un arrêté ministériel qui porte agrément de la société Ecofolio et comporte en annexe le cahier des charges applicable à son activité, et d’autre part, le cahier - qui a une nature réglementaire - et forme un tout indivisible avec l’agrément, l’ensemble a une nature réglementaire et sa contestation ne peut relever, en premier et dernier ressort, que du seul Conseil d’État. Le tribunal administratif était donc incompétent pour connaître du renvoi préjudiciel, il est cassé.

3°/ Quelle était en l’espèce l'étendue de la question préjudicielle en appréciation de validité de l’arrêté ? Le Conseil d’État rappelle que deux cas sont possibles.

Soit le juge judiciaire énonce le ou les moyens qui l’amènent à interroger son homologue administratif et ce dernier ne peut répondre qu’en se fondant sur ces seuls moyens, ne pouvant retenir ni un moyen d’ordre public soulevé d’office ni un moyen soulevé devant lui par les parties.

Soit le juge judiciaire a opéré le renvoi préjudiciel sans préciser, ni dans les motifs ni dans le dispositif de sa décision, les moyens au soutien de ce renvoi, en ce cas la juridiction administrative de renvoi « doit examiner tous les moyens présentés devant elle, sans qu'il y ait lieu alors de rechercher si ces moyens avaient été soulevés dans l'instance judiciaire ».

(10 janvier 2020, Ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, n° 404468 ; Société Ecofolio, n° 404487, jonction)

V., sur l’autre volet de cette décision, au n° 37

 

13 - Mandataires autorisés - Obligation - Autorité administrative indépendante dépourvue de personnalité morale - Cas du Comité d'indemnisation des victimes d'essais nucléaires (CIVEN) - Représentation en justice par l’État - Dispense de recourir à un mandataire autorisé - Cassation avec renvoi à la cour administrative d’appel.

Dans le cadre d’un litige en indemnisation d’une personne se prétendant victime d’essais nucléaires, le CIVEN a interjeté appel d’un jugement le condamnant à réparer les préjudices subis par cette personne. Son appel a été jugé irrecevable faute d’avoir été présenté par l’un des mandataires autorisés par l’art. R. 431-11 du CJA.

Sur pourvoi, le Conseil d’État casse l’arrêt d’appel et lui renvoie l’affaire. En effet, dès lors que le CIVEN est une autorité administrative indépendante sans personnalité juridique, il ne peut être représenté en justice que par l’État, lequel est, en vertu des dispositions de l’art. R. 431-12 du CJA, toujours dispensé du ministère d’avocat. C’est donc à tort que la cour a opposé l’irrecevabilité pour défaut de mandataire autorisé.

(8 janvier 2020, Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), n° 432536 ; du même jour avec même requérant et identique solution : n° 432537)

 

14 - Moyen d'ordre public - Note ministérielle (éducation nationale) - Dispositions impératives à caractère général - Acte dérogatoire à un décret - Incompétence d'un ministre pour prendre une telle décision - Annulation sans examen des moyens de la requête.

(31 janvier 2020, MM. X. et autres, n° 426956)

V. n° 3

 

15 - Référé liberté (art. L. 521-2 CJA) - Droit d’asile - Conditions d’octroi des mesures sollicitées - Absence - Rejet.

Répondant à une requête de ressortissants koweïtiens, demandeurs d’asile en France, se plaignant des conditions matérielles d’accueil, le juge des référés du Conseil d’État rappelle une nouvelle fois les conditions particulières de mise en œuvre des pouvoirs qu’il tient en matière de référé liberté.  Si, en principe, le refus ou  la privation du bénéfice des mesures prévues par la loi afin de garantir aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur demande, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile, ce double caractère s'apprécie en tenant compte : 1° des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et 2° de la situation du demandeur.

Il s’ensuit que le juge des référés ne peut faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du CJA en adressant une injonction à l'administration que si sont réunies à la fois ces deux conditions : en premier lieu, le comportement de l’administration doit  fait apparaître une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile ; en second lieu, il doit résulter de ce comportement des conséquences graves pour le demandeur d'asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation familiale.

C’est donc au vu de ces derniers éléments qu’il incombe au juge des référés d'apprécier, dans chaque situation, les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de santé et de la situation familiale de la personne intéressée.

En l’espèce, cet examen conduit au rejet de l’appel et à la confirmation de l’ordonnance rendue en première instance.

(Ord. réf. 10 janvier 2019, M. X. et Mme Y., n° 437419)

 

16 - Astreinte - Liquidation - Compétence du juge du référé-liberté en première instance comme en appel - Constatation de l'exécution d'une injonction sous astreinte à la date fixée - Non-lieu à liquidation de l'astreinte - Rejet.

Le juge rappelle que si le code de justice administrative prévoit en son art. L. 911-7 la possibilité pour le juge du référé-liberté (art. L. 521-2 CJA) de se prononcer sur la liquidation d'une astreinte qu'il a antérieurement prononcée, cette compétence appartient également au juge d'appel de ce référé.

En l'espèce est constatée l'exécution de l'injonction à la date fixée par l'ordonnance de référé et donc prononcé le non-lieu à liquider l'astreinte.

(14 janvier 2020, X. c/ Commune d'Achères et ministre de l'intérieur, n° 435462)

 

17 - Référé suspension - Note de l'administration des douanes d'information relative au maintien dans la taxe incitative relative à l'incorporation de bio-carburants (TIRIB) de biocarburants provenant de palmiers - Absence d'urgence démontrée - Rejet.

Les associations requérantes demandaient la suspension de l'exécution de la note d'information du 19 décembre 2019 de la direction générale des douanes et droits indirects du ministère de l'action et des comptes publics relative à la taxe incitative relative à l'incorporation de bio-carburants (TIRIB) en tant qu'elle prévoit que les biocarburants produits à partir de distillats d'acides gras de palme (PFAD) ne seront pas exclus du mécanisme de la TIRIB à compter du 1er janvier 2020. Elles invoquaient l'urgence à statuer du fait que cette note était susceptible d'avoir pour effet d'augmenter la demande française d'huile de palme et, partant, sa production à l'étranger, portant par là atteinte de manière grave et immédiate à l'intérêt public qui s'attache à la lutte contre la déforestation et le changement climatique.

Pour rejeter la requête sur ce point, le juge des référés estime que les demanderesses n'apportent aucune précision, analyse ou autre établissant que cette note contribuerait directement et immédiatement au développement de phénomènes ayant pour effet de dégrader l'environnement. S'il n'est pas douteux qu'elle aura un certain effet, celui-ci ne revêt pas néanmoins une gravité immédiate telle qu'il y ait urgence à y statuer. Au reste, la requête au fond sera jugée avant l'été 2020.

(24 janvier 2020, Association Canopée et Association Les Amis de la Terre France, n° 437276)

 

18 - Référé suspension - Procédure disciplinaire - Haut conseil du commissariat aux comptes - Rapport final du rapporteur général devant la formation disciplinaire restreinte - Demande de suspension de la procédure - Caractère de mesure préparatoire du rapport final - Absence de décision disciplinaire - Rejet.

Les requérants, poursuivis devant la juridiction disciplinaire des commissaires aux comptes, demandent, par référé, la suspension de la procédure disciplinaire, parvenue au stade du rapport final, dans l'attente du jugement pénal relatif aux mêmes faits.

Le juge des référés rejette cette demande car, d'une part, le rapport final n'est qu'une mesure préparatoire non détachable de la décision de l'instance disciplinaire et d'autre part, cette instance n'est pas achevée au moment où statue le juge des référés.

Il n'existe donc dans ce dossier aucune décision qui, susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, permettrait d'en demander la suspension par voie de référé.

(27 janvier 2020, M. X. et autres, n° 437509)

 

19 - Action en justice - Qualité pour agir - Représentant d'une personne morale - Perte de cette qualité en cours d'instance - Circonstance sans effet sur la recevbilité du recours introduit - Cassation avec renvoi.

Rappel d'une règle classique du contentieux administratif qui a échappé à la vigilance de la cour administrative d'appel.

Si seule une personne ayant qualité à cet effet peut introduire une action en justice au nom d'une personne morale, la circonstance qu'elle perde cette qualité en cours d'instance est sans effet sur la recevabilité du recours qu'elle a introduit.

(30 janvier 2020, Commune de Païta, n° 421951 et n° 421952, deux espèces ; v. aussi, du même jour, sur le fond, avec prononcé d'un non-lieu à statuer : n° 421954)

 

20 - Recours pour excès de pouvoir - Moyens susceptibles d'être invoqués au soutien du refus d'abroger un acte réglementaire - Application de la jurisprudence   Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT- Rejet.

Réitération d'une innovation prétorienne que nous persistons à considérer comme mauvaise.

Le Conseil d’État juge que dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d'abroger un acte réglementaire, la légalité des règles fixées par celui-ci, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n'en va pas de même des conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même.

Le refus d'abroger un acte réglementaire a perdu sa nature antérieure d'acte réglementaire.

(30 janvier 2020, Syndicat départemental Confédération française des travailleurs chrétiens Santé-Sociaux de La Réunion et de Mayotte et autres, n° 425812)

 

21 - Organisation de la procédure devant le tribunal administratif - Ordonnance fixant la date après laquelle ne pourront plus être invoqués de moyens nouveaux - Ordonnance pouvant fixer une date antérieure à celle de la clôture de l'instruction - Nécessité que soit expiré le délai pour produire un mémoire en défense - Cassation avec renvoi.

Interprétant l'art. R. 611-7-1 du CJA ("Lorsque l'affaire est en état d'être jugée, le président de la formation de jugement ou, au Conseil d’État, le président de la chambre chargée de l'instruction peut, sans clore l'instruction, fixer par ordonnance la date à compter de laquelle les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux ") le Conseil d’État juge que cette disposition ne peut être mise en oeuvre qu'à condition que le délai accordé aux requérants pour répliquer au premier mémoire en défense soit expiré.

On peut comprendre que les premiers juges n'aient pas aperçu une exigence procédurale qui ne figure pas dans le texte.

(30 janvier 2020, M. X. et autres, n° 426346)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

22 - Procédure d'imposition - Redressement contradictoire - Irrégularité d'un contrôle fiscal - Constatation par l'administration de cette irrégularité - Dégrèvement d'office -  Reprise de la procédure d'imposition - Nouvelle rectification - Légalité -  Rejet.

Dès lors que l'administration - qui a procédé à un dégrèvement d'office de l'impôt supplémentaire qu'elle avait mis à sa charge en raison de l'irrégularité de la procédure d'imposition - a régulièrement informé le contribuable - dans sa décision même de dégrèvement - de la persistance de son intention de l'imposer et avait repris la procédure au stade de la communication de sa réponse aux observations du contribuable, elle n'était pas tenue, après avoir prononcé le dégrèvement des impositions supplémentaires primitivement établies, de reprendre entièrement la procédure et de notifier à la société une nouvelle proposition de rectification, dès lors que l'imposition devait porter sur les bases précédemment notifiées.

(22 janvier 2020, Sarl Études et Marketing, n° 420816)

 

23 - Renseignements recueillis dans le cadre d'une procédure judiciaire - Communication à l'administration fiscale - Conditions - Absence de satisfaction à ces conditions en l'espèce - Cassation pour erreur de droit de l'arrêt d'appel.

Il résulte des dispositions combinées de l'art. 101 du livre des procédures fiscales (dans sa version antérieure à la loi du 29 décembre 2015 portant loi de finances rectificative pour 2015), et de l'art. 49 du code de procédure pénale que si " L'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manoeuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt " c'est sous l'expresse condition que cette communication ait lieu dans le cadre d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle ouverte par un juge d'instruction. En l'espèce c'est donc à tort que la cour administrative d'appel a jugé que l'autorité judiciaire avait pu, sur le fondement de l'art. susmentionné du LPF, communiquer les renseignements en cause à l'administration fiscale alors qu'ils avaient été recueillis dans le cadre d'une enquête préliminaire ayant fait l'objet d'un classement sans suite par le procureur de la république.

(22 janvier 2020, Société CS Aviation, n° 421012)

 

24 - Impôt sur les sociétés - Location de locaux - Exploitation à caractère lucratif par un État - Soumission des revenus de cette activité à l'impôt - Rejet.

C'est sans erreur de droit qu'une cour administrative d'appel juge que l'État du Koweït doit être assujetti à l'impôt sur les sociétés du chef de son activité de location de la tour Manhattan à des entreprises privées, sous forme de sociétés commerciales, pour qu'elles y exercent leurs activités à un tarif de location qui est celui du marché.

En effet, il se déduit des dispositions du 1. de l'art. 206 du CGI que toutes les personnes morales qui se livrent à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif, y compris les États étrangers, sont soumises à l'impôt sur les sociétés dès lors que cette activité, eu égard à son objet et aux conditions particulières dans lesquelles elle est exercée, relève d'une exploitation à caractère lucratif.

La solution est, au reste, la même pour les collectivités territoriales françaises (20 juin 2012, Commune de La Ciotat, communauté urbaine Marseille Provence Métropole, n° 341410).

Cette jurispridence est logique car l'impôt résulte d'un fait objectif qui est, ici, la lucrativité

 (22 janvier 2020, État du Koweït, n° 421913)

 

25 - Taxe communale d'aménagement - Taxe instituée en Nouvelle-Calédonie - Taxe due par le bénéficiaire d'un permis de construire - Demande de permis de construire succédant à une précédente autorisation de construire - Fraude à la loi - Absence - Cassation avec renvoi.

Alors qu'il existe en Nouvelle-Calédonie une taxe communale d'aménagement frappant les autorisations de construire, la société requérante a demandé et obtenu le permis de construire une clinique, s'acquittant à cet effet de ladite taxe. Une modification de la " loi du pays " a introduit un nouveau cas d'exonération de cette taxe bénéficiant à cette société. Celle-ci a déposé et obtenu un nouveau permis de construire et sollicité le remboursement de la taxe qu'elle avait précédemment versée. La commune ayant refusé, le tribunal administratif saisi a vu dans cette succession de deux permis de construire une fraude à la loi dans le but d'éluder le paiement de la taxe et a rejeté le recours.

La société s'est pourvue en Conseil d’État et a obtenu gain de cause.

En effet, le Conseil d’État considère que l'octroi du second permis, demandé sur la même parcelle et pour la même construction, doit être analysé comme retirant rétroactivement, à la demande du pétitionnaire, le premier permis. Le tribunal a donc commis une erreur de droit en y voyant une fraude à la loi.

La solution nous semble par trop généreuse car elle révèle un classique cas d'abus de droit au sens du droit fiscal.

(30 janvier 2020, SAS Pôle hospitalier privé, n° 417565)

 

26 - Plus-value de cession immobilière - Prélèvement sur cette plus-value - Exonération en faveur de certains organismes : organisations internationales, États étrangers, etc.) - Absence d'exonération pour les sociétés de personnes y compris celles comprenant des États étrangers - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que la plus-value de cession immobilière réalisée par une SCI dont l'État du Koweït détient 99,99% des parts bénéficie de l'exonération de l'impôt sur les plus-values immobilières instituée par l'art. 244 bis du CGI en faveur des organisations internationales, des États étrangers, des banques centrales, etc., alors qu'en l'espèce la plus-value a été réalisée par une société de personnes dont un État fait partie, société qui ne bénéficie pas de l'exonération précitée.

(22 janvier 2020, SCI Faucon, n° 423160)

 

27 - Taxe sur les surfaces commerciales (art. 3 de la loi du 13 juillet 1972) - Réduction du taux de la taxe en cas de besoin de superficies anormalement élevées (loi de 1972 et décret du 26 janvier 1995) - Réduction fixée par décret - Compétence réglementaire - Annulation sans renvoi de l'arrêt d'appel et décision rendue au fond par le juge de cassation (art. L. 821-2 CJA).

Pour financer diverses mesures prises en faveur de certaines catégories de commerçants et d'artisans âgés, la loi du 13 juillet 1972 a institué une taxe sur les surfaces commerciales assise, dès lors qu'elle dépasse quatre cents mètres carrés, sur la surface de vente des magasins de commerce de détail des établissements ouverts à partir du 1er janvier 1960 quelle que soit la forme juridique de l'entreprise qui les exploite. Cette loi a également prévu qu'un décret détermine la réduction de taux applicable aux professions dont l'exercice requiert des superficies de vente anormalement élevées. C'est l'objet du décret du 26 janvier 1995 qui établit en ce cas une réduction de 30% du taux de la taxe. Celui-ci a subordonné cette réduction à la condition que les surfaces concernées soient exclusivement affectées à une activité de vente des marchandises figurant sur une liste limitative. La cour administrative d'appel a jugé qu'en instaurant cette condition, le pouvoir réglementaire n'était pas resté dans les limites de l'exécution de la loi, laquelle n'autorisait qu'une fixation de taux, mais avait illégalement restreint le champ d'application de la loi du 13 juillet 1972 en posant une condition d'exclusivité qu'elle ne prévoyait pas. Elle a donc rejeté l'appel de la société demanderesse qui réclamait l'application par l'administration fiscale de ces dispositions réglementaires.

Le Conseil d’État casse l'arrêt au motif qu'en subordonnnt le bénéfice d'un taux réduit de la taxe sur les surfaces commerciales à l'exigence que ces dernières soient affectées exclusivement à la vente de certaines marchandises, le pouvoir réglementaire n'avait point excédé sa compétence car, ce faisant, il s'est borné à déterminer le champ d'application de la mesure de réduction de taux prévue par le législateur. Cette détermination était indispensable pour donner sa pleine efficacité à la loi dont le décret fait application.

Le Conseil d’État n'a pas renvoyé l'affaire à la cour et s'est prononcé lui-même directement au fond, en vertu des dispositions de l'art. L. 821-2 CJA, rejetant d'ailleurs la requête de la demanderesse.

(23 janvier 2020, SAS Distribution Sanitaire Chauffage, n° 423238)

 

28 - Associé d'une société en nom collectif ou commandité d'une société en commandite simple - Société n'ayant pas opté pour la soumission à l'impôt sur les sociétés et n'y étant pas obligatoirement soumise - Associé non soumis lui-même à cet impôt - Impossibilité d'assujettir sa part de bénéfice audit impôt - Cassation des deux arrêts d'appel avec renvoi.

Rappel de ce que l'associé d'une société régie par l'art. 8 du CGI (société civile en nom collectif ou en commandite simple) laquelle n'a pas opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés ou n'y est pas assujettie de plein droit, ne peut être soumis à l'impôt sur les sociétés sur la part des bénéfices réalisés par la société, à proportion des droits qu'il y détient, que s'il est lui-même assujetti à cet impôt. Ce n'est pas le cas de l'espèce ; la cour a donc commis une erreur de droit en jugeant le contraire.

(22 janvier 2020, État du Koweït, n° 421914 et n° 421915, jonction)

 

29 - Impôt sur les bénéfices - Employeur entendant déduire des provisions - Cotisations sociales (accidents du travail et des maladies professionnelles) - Fait générateur - Versement de la rémunération - Rejet.

La société requérante, pour faire face à l'augmentation attendue de ses cotisations au régime général de la sécurité sociale au titre de la couverture du risque d'accidents du travail et de maladies professionnelles, avait constitué une provision à cet effet à la clôture de l'exercice 2008. L'administration fiscale a remis en cause la déduction de la provision.

La société, après avoir obtenu gain de cause en première instance, est déboutée en appel sur l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics. Elle se pourvoit, en vain.

En effet, selon le Conseil d’État, la responsabilité du financement des prestations et indemnités versées aux salariés au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles incombe aux caisses d'assurance maladie, tandis que les employeurs affiliés au régime général de sécurité sociale acquittent des cotisations présentant un caractère libératoire et dont le fait générateur est constitué par le versement des rémunérations.

C'est donc la date de ce versement qui est seule à prendre en considération pour la détermination du bénéfice imposable. Même dans le cas où, comme en l'espèce, il s'agit d'entreprises où le taux de cotisation est calculé, en tout ou partie, en fonction des indemnisations versées ou dues à raison des accidents du travail et des maladies professionnelles survenus dans l'établissement au cours des années précédentes, cette prise en compte de la sinistralité passée de l'entreprise constitue une simple modalité de calcul des cotisations dues par celle-ci. Ainsi, l'obligation, pour ces entreprises, de verser les cotisations trouve sa source, non dans la réalisation de risques passés, mais, comme pour les autres entreprises, dans le versement des rémunérations des salariés au cours des périodes de référence.

(22 janvier 2020, Société Saint Louis Sucre, n° 422501)

 

30 - Droits de mutation à titre gratuit - Exonération partielle de ces droits - Cas de certains actifs dits "Pactes Dutreil" - Instruction fiscale - Appréciation du critère de la prépondérance - Champ d'application de l'exonération partielle - Annulation de la disposition litigieuse de l'instruction fiscale.

L'article 787 B du CGI, dans sa rédaction issue de l'article 28 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005, décide dans son 1er alinéa que sont susceptibles de bénéficier d'une exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit les parts ou actions d'une société qui, ayant également une activité civile autre qu'agricole ou libérale, exerce principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Pour l'appréciation de cette prépondérance le code se fonde sur la prise en considération d'un faisceau d'indices déterminés d'après la nature de l'activité et les conditions de son exercice. 

Le litige portait sur le paragraphe n° 20 d'une instruction fiscale de 2014, dont le dernier alinéa était ainsi conçu : " Le caractère prépondérant de l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale s'apprécie au regard de deux critères cumulatifs que sont le chiffre d'affaires procuré par cette activité (au moins 50 % du montant du chiffre d'affaires total) et le montant de l'actif brut immobilisé (au moins 50 % du montant total de l'actif brut) ". Les requérants contestaient la régularité de cette disposition en ce qu'elle outrepassait les termes de l'art. 787 B du CGI. Le Conseil d’État retient pleinement cette argumentation en relevant, d'abord, qu'il résulte des termes même de cette disposition que la prépondérance, comme on l'a lu plus haut, est appréciée en tenant compte d'un faisceau d'indices déterminés d'après la nature de l'activité et les conditions de son exercice. Ainsi, cette disposition ne subordonne pas l'avantage qu'elle institue, s'agissant des parts et actions d'une société d'activité mixte, à la condition que le montant de l'actif brut immobilisé représente au moins 50 % du montant total de l'actif brut. Ensuite, le juge ajoute, non sans une ironie un tantinet agacée " alors de surcroît que la faiblesse du taux d'immobilisation de l'actif brut n'est pas davantage l'indice d'une activité civile autre qu'agricole ou libérale, que son importance celui d'une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ".

L'annulation de la disposition litigieuse est prononcée sans qu'il y ait renvoi d'une QPC au Conseil constitutionnel comme l'avaient demandé les requérants.

On regrettera l'obligation dans laquelle se sont trouvés les demandeurs d'introduire un recours au plus haut niveau contentieux que le bon sens combiné à la bonne foi devraient avoir rendu inutile.

(23 janvier 2020, M. X. et Mme Y., n° 435562)

 

31 - Crédit impôt recherche - Élaboration d'échantillons de tissus - Demande de restitution de crédit d'impôt recherche - Refus de l'administration - Annulation par le juge - Rejet.

Le CGI accorde un crédit d'impôt pour les dépenses de recherche. En l'espèce, une société, exerçant dans le secteur de l'ennoblissement textile, propose à ses clients, aux fins de la fabrication par eux de nouvelles collections, des échantillons de tissus non destinés à la vente. Considérant que les dépenses engagées pour la réalisation de tels échantillons étaient éligibles au crédit d'impôt recherche, elle en a demandé le bénéfice à l'administration fiscale qui a refusé car la société n'élaborait pas elle-même de nouvelles collections. Elle a saisi, en vain, le tribunal administratif mais avec succès la cour administrative d'appel contre l'arrêt de laquelle se pourvoit le ministre chargé des finances.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi du ministre en faisant entièrement sien le raisonnement de la cour. La société est éligible à ce mécanisme pour les dépenses qu'elle engage pour le traitement des ingénieurs et des techniciens de production chargés de la réalisation d'échantillons non vendus ; ces dépenses sont en effet exposées dans le cadre de l'activité industrielle de la société en vue de la création de nouvelles gammes de tissus répondant aux demandes de ses clients.

(23 janvier 2020, ministre de l'action et des comptes publics, n° 430846)

 

32 - Redevances et taxes - Taxe sur les titulaires d'ouvrages hydrauliques - QPC - Atteintes à divers droits et libertés que garantit la Constitution - Sécurité juridique - Droit non garanti par la Constitution - Refus du renvoi de QPC - Rejet.

EDF contestait par divers moyens la légalité de la taxe perçue par Voies navigables de France sur les titulaires d'ouvrages hydrauliques à laquelle elle a été assujettie de 2009 à 2015 pour un montant total de 7,5 millions d'euros environ. Déboutée en première instance, elle a, en cause d'appel, outre la reprise des arguments antérieurs, soulevé une QPC que la cour a renvoyée au Conseil d’État. Celui-ci rejette en tous ses chefs la demande de renvoi d'une QPC.

Tout d'abord, n'est pas retenu le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu son office en ne définissant pas avec suffisamment de précision le fait générateur et la date d'exigibilité de la taxe, dès lors que ces deux éléments sont très précisément définis par l'article 10 du décret du 20 août 1991 pris pour l'application du II de l'article 124 de la loi de finances pour 1991 du 29 décembre 1990, qui fixe le fait générateur comme étant la détention d'une autorisation d'occupation du domaine public au 1er janvier de l'année au titre de laquelle la taxe est due  et la date d'exigibilité au 1er mai d'une telle année.

Ensuite, est également rejeté l'argument selon lequel l'absence de définition, par le législateur, de l'assiette de la taxe autoriserait Voies navigables de France à déterminer de façon discrétionnaire le montant de l'imposition contribuable par contribuable et méconnaîtrait ainsi le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration de 1789 et le droit de propriété. En effet, toutes les précisions utiles en ce sens, excluant la pertinence de la critique susmentionnée,  découlent directement  de l'article 124 de la loi du 29 décembre 1990 de finances pour 1991, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige, de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1991 portant dispositions diverses en matière de transports, applicable aux années d'impositions en cause, de leur abrogation et de leur codification aux articles L. 4316-3 à L. 4316-14 du code des transports également applicables aux impositions litigieuses et, enfin, de l'article 10 du décret du 20 août 1991 relatif aux recettes instituées au profit de Voies navigables de France par l'article 124 de la loi de finances pour 1991, pris pour l'application de ces dispositions, modifié par l'article 3 du décret du 26 décembre 1996 et ultérieurement codifié à l'article R.4316-1 du code des transports.

Enfin, si lorsqu'il définit une imposition, le législateur doit déterminer ses modalités de recouvrement, lesquelles comprennent les règles régissant le contrôle, le recouvrement, le contentieux, les garanties et les sanctions applicables à cette imposition et si l'absence de détermination des modalités de recouvrement d'une imposition affecte le droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789, tel n'est pas le cas en l'espèce où - contrairement à ce que soutient EDF - ne se constate nulle incompétence négative du législateur.

Pour "sauver" le mécanisme existant, le Conseil d’État se livre à un exercice acrobatique d'où il ressort qu'à supposer que le législateur n'ait pas défini avec suffisamment de précision les modalités de recouvrement de la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydrauliques, celles-ci peuvent être reconstituées en mettant en application :

s'agissant des modalités de recouvrement de la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydrauliques, les articles L. 4316-10 à L. 4316-14 du code des transports, issues des dispositions de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1991qui définissent ces modalités avec suffisamment de précision ;

s'agissant les règles relatives aux garanties et aux sanctions, les articles L. 4316-6 et L.4316-12 du même code, issus du II de l'article 124 de la loi de finances pour 1991 et de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1991 qui leur font application de celles prévues pour les taxes sur le chiffre d'affaires et, s'agissant du recouvrement de la taxe que celui-ci intervient soit par un paiement spontané accompagnant la déclaration que les redevables sont tenus d'adresser, chaque année, au comptable de l'établissement public, soit, à défaut, par voie de taxation d'office, par application des règles de droit commun de l'article L.252 A du livre des procédures fiscales, relatives au recouvrement, par un établissement public, des recettes de toute nature qu'il est habilité à recevoir. 

s'agissant du contentieux de ces impositions, la jurisprudence constante du Tribunal des Conflits qui inclut le contentieux des impositions qui, telles que la taxe en litige, ne sont ni des contributions indirectes ni des impôts directs, dans le contentieux général des actes et des opérations de puissance publique relevant de la juridiction administrative. 

Bel exemple de jurisprudence "constructive".

(23 janvier 2020, Société Électricité de France (EDF), n° 435947)

 

Droit public économique

 

33 - Contrat d'achat obligatoire de l'électricité produite - Électricité d'origine photovoltaïque - Tarifs fixés par voie réglementaire - Dérogation impossible par voie contractuelle - Cassation de l'arrêt d'appel pour erreur de droit.

Les sociétés demanderesses - dont l'une d'elles exploite une installation de production d'électricité d'origine photovoltaïque - ont conclu un contrat d'achat d'électricité selon le dispositif d'obligation d'achat par EDF prévu à l'art. L.314-1 du code de l'énergie. Ayant commis une erreur sur le tarif applicable à cet achat d'électricité, EDF en a informé lesdites sociétés ; celles-ci ont contesté cette "modification" tarifaire, en vain en première instance, avec un succès partiel en appel. EDF, défenderesse, se pourvoit en cassation, celui-ci est reçu au fond par le Conseil d’État.

La cour administrative avait jugé que l'article L. 314-1 du code de l'énergie ainsi que l'arrêté du 12 janvier 2010 pris pour son application - qui fixent le régime d'achat obligatoire de l'électricité produite - avaient pour objet de fixer les conditions minimales auxquelles la société EDF est tenue d'acheter l'électricité produite sans lui interdire de prévoir des conditions tarifaires plus favorables pour les producteurs. Retenant l'argumentation d'EDF le Conseil d’État juge que le contrat d'achat obligatoire de l'électricité produite par une installation bénéficiant de ce régime doit être établi conformément aux seules dispositions du décret du 10 mai 2001 et de son arrêté d'application selon la filière de production concernée et qu'il se déduit de l'économie générale de ces dispositions qu'il ne peut y être dérogé contractuellement.

(22 janvier 2020, Société EDF, n° 418737)

 

Droit social et action sociale

 

34 - Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) - Document unilatéral fixant le contenu du PSE - Critères à prendre en considération en ce cas (art. 1233-5, 1° à 4°, du code du travail) - Conditins de dérogation - Inexistence ici - Rejet du pourvoi.

Lorsqu'un PSE est arrêté, en l'absence d'accord collectif, par une décision unilatérale du chef d'entreprise, celui-ci est tenu, en cas de licenciement collectif pour motif économique, de fixer l'ordre des licenciements en prenant en considération l'ensemble des critères d'appréciation mentionnés aux 1° à 4° de l'art. 1233-5 du code du travail. Il ne peut donc fixer des critères qui omettraient l'un de ces critères ou en neutraliseraient les effets.

Par exception, il peut toutefois s'en écarter seulement dans le cas où il est établi de manière certaine, dès l'élaboration du PSE, que, dans la situation particulière de l'entreprise et pour l'ensemble des personnes susceptibles d'être licenciées, aucune des modulations légalement envisageables pour le critère d'appréciation en question ne pourra être matériellement mise en oeuvre lors de la détermination de l'ordre des licenciements.

La cour a souverainement jugé, sans dénaturation des pièces du dossier et sans erreur de droit, qu'en l'espèce le PSE était entaché d'illégalité car il ne prenait en compte que la seule ancienneté des salariés alors que pouvaient être aussi utilisés les autres critères précités.

Le pourvoi est ainsi rejeté.

(27 janvier 2020, Société GM et S Industry France et autres, n° 426230)

 

Élections

 

35 - Élection des représentants au Parlement européen - Élections des 25 et 26 mai 2019 - Nombre de représentants à élire - Instauration d'un seuil de 5% - Accès à un emprunt bancaire - Composition du corps électoral - Propagande électorale - Déroulement de la campagne - Déroulement des opérations de vote - Commission nationale de recensement général des votes - Rejets.

Dans cette décision-fleuve (près de 45000 caractères, de quoi "couvrir" plus d'une quinzaine de pages d'un manuel Dalloz...), le Conseil d’État était saisi de recours et de protestations dirigés contre de multiples aspects juridiques relatifs à l'élection des représentants des électeurs des différents États-membres au Parlement européen. Étaient visées tant des dispositions du droit de l'Union que des dispositions propres au droit français.

En particulier, étaient suggérées des questions préjudicielles à poser à la CJUE sur l'interprétation de l'art. 14 du Traité sur l'Union européenne, ainsi que sur des décisions du Conseil de l'Union et du Conseil européen, une demande d'avis consultatif à la CEDH, etc. En outre, étaient contestées les opérations électorales aux divers stades de leur réalisation et de leur déroulement.

Tout d'abord, étaient contestées les dispositions transitoires prises par le Conseil européen pour aménager un mécanisme transitoire de fixation du nombre de sièges à pourvoir pour chaque État membre en prévision d'un possible retrait du Royaume-Uni de l'Union europénne. Le juge rejette tous les griefs dont ceux dirigés contre la validité de la décision du Conseil européen du 28 juin 2018 fondée sur les stipulations de l'art. 14 du Traité sur l'Union, ou tirés de ce que les cinq députés français élus susceptibles de remplacer des députés britanniques après l'éventuel Brexit, n'auraient pas un mandat d'une durée complète, de ce que la Commission de recensement des votes aurait disposé d'un pouvoir discrétionnaire pour les désigner ou encore du non respect du principe de "dégressivité proportionnelle" qui régit la représentation des citoyens au Parlement européen. Ceci lui permet de rejeter, en l'état de la clarté du droit européen applicable sur ce point, la demande de renvoi préjudiciel à la CJUE.

Pareillement, est rejetée la critique de l'instauration par la loi française d'un seuil minimal de 5% des suffrages exprimés pour qu'une formation politique puisse participer à l'attribution des sièges, la fixation d'un seuil minimal étant laissée, par le droit de l'Union, à l'appréciation de chaque État dans la limite établie par les règles de ce droit. L'invocation de l'inconstitutionnalité de cette solution est rejetée, le Conseil constitutionnel ne l'ayant pas estimée inconstitutionnelle (déc. n° 2019-811 du 25 octobre 2019, Mme Fairouz H. et autres). En outre, cette règle se justifie par un souci d'efficacité et de clarté.

Au passage, le Conseil d’État apporte cette précision, car le protocole n° 12 à la Convention EDH était invoqué par les requérants protestataires, que non seulement ce protocole n° 12, que la France n'a pas ratifié, ne peut pas être invoqué en tant que tel devant le juge mais qu'il ne peut pas non plus être invoqué en combinaison avec une disposition de la Convention que la France a ratifiée, ce qui est tout à fait logique : ni effet direct, ni effet indirect.

Ensuite, divers griefs sont rejetés soit parce qu'ils ne sont pas établis (refus prétendu d'enregistrer une liste déposée avant l'heure légale limite pour son dépôt ou nombre élevé d'électeurs irrégulièrement radiés des listes électorales), soit parce qu'ils ne sauraient être imputés à l'État (comme le refus allégué d'ouvrir un emprunt bancaire, lequel relève du pouvoir de chaque banque et du médiateur institué en matière de financement politique), soit parce qu'ils sont dirigés contre la législation britannique à l'égard de laquelle le juge administratif n'est pas compétent, soit encore parce qu'ils concernent des aspects non établis ou sans influence sur les résultats du scrutin (divers éléments de critiques de la propagande électorale ou du déroulement de la campagne électorale elle-même ou encore du déroulement du scrutin, en particulier concernant le nombre de bulletins).

Enfin, des recours visaient le défaut d'impartialité des chambres du Conseil d’État statuant sur le présent litige en tant que des membres de cette juridiction siègent à la Commission nationale du recensement général des votes dont plusieurs décisions sont critiquées par ces recours. Le juge rappelle qu' " En vertu d'une règle générale de procédure applicable même sans texte, un membre d'une juridiction administrative ne peut pas participer au jugement d'un recours dirigé contre une décision administrative ou juridictionnelle dont il est l'auteur ou qui a été prise par une juridiction ou un organisme collégial dont il était membre et aux délibérations desquelles il a pris part. Il en résulte que la formation de jugement appelée à statuer sur une protestation dirigée contre l'élection de représentants au Parlement européen ne peut être composée de membres du Conseil d’État qui ont été membres de la commission nationale de recensement général des votes exprimés lors de cette élection ".

Les onze recours, individuels ou collectifs selon les cas, dont avait été saisi le Conseil d’État sont donc, sans surprise, rejetés.

(31 janvier 2020, M. AM., n° 431143 ; Mme AV., n° 431228 ; M. I. et autres, n° 431281 ;  M. W., n° 431335 ;  M. O., n° 431418 ; Mme D., n° 431471 ;  Mme S. et autres, n° 431482 ;  Mme J. et autre, n° 431501 ;  M. AN., n° 431537 ; M. T., n° 431538 ; M. K., n° 431564, jonction)

 

36 - Élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 - Attribution de nuances politiques aux candidats - Circulaire ministérielle (intérieur) fixant ces nuances - Circulaire réglementaire non encore publiée - Annulation partielle.

Une circulaire du ministre de l'intérieur, du 10 décembre 2019, non encore publiée à la date où a été rendue la présente ordonnance, entend régir l'attribution de nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020.

Parmi les diverses critiques des multiples requérants à l'endroit de ce texte, le juge collégial des référés en retient trois, au vrai les plus importantes, le surplus des requêtes étant rejeté.

Auparavant, s'agissant d'une circulaire réglementaire non encore publiée à la date où le juge statuait, se posait la double question de la recevabilité des demandes et de leur caractère urgent, seul susceptible de donner ouverture à l'usage de référés urgents dans la mesure où l'une des demandes était formée sur le fondement de l'art. L. 521-2 CJA (référé liberté) et les autres sur celui de l'art. L. 521-1 CJA (référé suspension).

Assuré de l'existence matérielle de cette circulaire et encore qu'elle ne soit point opposable, le juge admet qu'elle puisse être contestée au contentieux, appliquant ainsi une jurisprudence classique et très logique.

Par ailleurs, également assuré de l'application prochaine de cette circulaire aux candidats à ces élections, dont l'enregistrement des candidatures débute le 10 février pour s'achever le 27 février 2020, le Conseil d'État n'a pu que constater l'urgence à statuer.

Sur le fond des demandes, le juge retient trois d'entre elles.

En premier lieu, la circulaire décidait de limiter l'attribution des nuances seulement aux listes dans les communes de 9 000 habitants ou plus et dans les chefs-lieux d'arrondissement quelle que soit leur population. Or la juridiction des référés constate que ce seuil aboutit : 1° à ne plus attribuer de nuance politique dans plus de 95% des communes ; 2° à exclure de la présentation nationale des résultats  les suffrages exprimés par près de la moitié des électeurs ; 3° aux précédentes élections municipales (2014) il avait été possible dans 75% des collectivités, d'attribuer des nuances intitulées " divers droite " et " divers gauche ", preuve qu'il est possible, par là, de refléter les choix politiques des électeurs. Ces effets sont en contradiction avec l'objet de la circulaire attaquée qui propose, par ce seuil, d'avoir une photographie aussi précise que possible des résultats des élections sans " altérer, même en partie, le sens politique du scrutin en sous-estimant les principaux courants politiques ". Très douteuse dans sa légalité, la circulaire est suspendue sur ce point. Elle ne pourra donc pas être appliquée aux prochaines élections.

En second lieu, était vivement contesté - c'était d'ailleurs là la principale objection à l'encontre de ce texte -  le mode d'attribution de la nuance " Liste divers Centre " (LDVC). Pour comprendre la portée de la critique il convient de citer la circulaire elle-même.

Celle-ci précisait : " La nuance LUG (liste d'union des partis de gauche) sera attribuée aux listes qui auront obtenu l'investiture du Parti socialiste et celle d'au moins un autre parti de gauche (EELV, PRG, PCF, Générations.s) / La nuance LUD (Liste Union de la Droite) sera attribuée aux listes qui auront obtenu l'investiture conjointe des Républicains et d'un autre parti. / La nuance LDVC sera attribuée aux listes qui auront obtenu l'investiture de plusieurs partis dont LREM ou le MODEM. Elle a également vocation à être attribuée aux listes de candidats qui, sans être officiellement investies par LREM, ni par le MODEM, ni par l'UDI, seront soutenues par ces mouvements ". Et, dans la grille des nuances, la circulaire ajoutait que la nuance " Liste divers centre " (LDVC) correspond aux partis et formations politiques suivants : " Liste d'Union entre plusieurs parties dont au moins LREM ou le MODEM. Listes soutenues par la majorité présidentielle sans pour autant être investies par un parti du bloc du centre. Autres listes de sensibilité centriste (dont les dissidents) ".

De la combinaison de ces deux éléments d'identification et d'attribution des nuances,  il résultait une différence de traitement des listes : si,  en principe, seule l'investiture par un parti politique, et non son simple soutien, permet d'attribuer une nuance politique à une liste et d'agréger ainsi les résultats obtenus par cette liste à cette nuance,  il est fait exception, en revanche, pour les seules listes simplement " soutenues " par les partis LREM, le MODEM, l'UDI ou par la " majorité présidentielle ", dont les résultats seront comptabilisés dans la nuance " divers centre ", alors que le soutien d'un parti de gauche ou d'un parti de droite à une liste ne permet pas, aux termes de la circulaire, de prendre en compte ses résultats au titre respectivement des nuances " divers gauche " et " divers droite ". La discrimination était patente et la violation du principe conventionnel et constitutionnel d'égalité entre formations politiques était tout aussi manifeste. Le doute sur la légalité étant suffisamment sérieux, la suspension d'exécution en est ordonnée. On ajoutera qu'à notre sens, eu égard à l'appartenance politique de l'auteur de la circulaire, il y a là un bel exemple de détournement de pouvoir en forme de cas d'école.

Enfin, le parti Debout la France se plaignait de son classement, par le nouveau nuancier du ministère de l'intérieur, dans le bloc de clivage "extrême droite". La formation des référés lui donne raison en retenant plusieurs éléments de fait : de 2008, date de sa création, à 2014, ce parti s'est vu attribuer la nuance politique " divers droite " (DVD), à l'exception des élections européennes de 2009 où il s'était vu attribuer une nuance " droite souverainiste " (DSV) ; depuis les élections sénatoriales de 2014, lui a été attribuée une nuance politique propre. Enfin, si cette nuance a été classée, pour les élections législatives de 2017 dans le bloc de clivage " extrême droite " au même titre que le Rassemblement national, il résulte de l'instruction que cette classification se fonde essentiellement sur les seules déclarations publiques du président du parti, à l'issue du premier tour des élections présidentielles, en faveur de la présidente du Rassemblement national, sans que puissent être regardés comme ayant été pris en considération le programme du parti et la circonstance que les deux partis n'ont pas conclu d'accord électoral, en vue de ces élections ni depuis lors. N'a pas plus été prise en considération la position du parti " Debout la France " à l'occasion des élections européennes selon laquelle ses élus ne siègeraient pas dans le même groupe que les élus du Rassemblement national, mais siègeraient dans le groupe des conservateurs britanniques et polonais. Il ressort de tout cela qu'en attribuant à ce parti la nuance qu'il conteste, le ministre de l'intérieur a commis une erreur manifeste d'appréciation.

(Or. réf., formation collégiale, 31 janvier 2020, Mme T. et M. R., n° 437675 ; M. J., n° 437795 ; Parti Les Républicains, n° 437805 ; M. G. et M. K., n° 437824 ; Parti socialiste, n° 437910 ; Parti Debout la France et autres, n° 437933, jonction)

 

Environnement

 

37 - Taxe générale sur les activités polluantes - Taxe frappant les personnes et activités mettant des imprimés à la disposition du public - Perception par un organisme de droit privé agréé - Agrément accordé à un opérateur unique sans mise en œuvre d’une transparence - Situation contraire à la liberté d’établissement sauf exception - Cas en l’espèce - Absence d’aide d’État - Rejet.

Une société conteste devant le juge judiciaire la légalité de l'arrêté interministériel du 19 janvier 2007 portant agrément d'un organisme ayant pour objet de percevoir la contribution à la collecte, à la valorisation et à l'élimination des déchets d'imprimés et de verser les soutiens aux collectivités locales en application de l'article L. 541-10-1 du code de l'environnement et de l'article 1er du décret n° 2006-239 du 1er mars 2006. Le tribunal de grande instance saisi aperçoit une question préjudicielle qui est renvoyée au tribunal administratif de Paris, celui-ci juge illégal l’arrêté précité.  Ce jugement est frappé de pourvoi en cassation. Outre, d’importantes questions de procédure, le Conseil d’État tranche plusieurs questions de fond relatives à l’argumentation de la société demanderesse selon laquelle serait entaché d’irrégularité le recours à une société agréée pour la perception de la taxe générale sur les activités polluantes.

En premier lieu, la circonstance que la société perceptrice de la taxe ait été seule agréée sans mise en œuvre d’une transparence n’est pas, dans les circonstances de l’espèce, contraire au principe communautaire de la liberté d’établissement. En effet, si la CJUE condamne normalement l’agrément d’un opérateur unique sans qu’ait été organisée une procédure de transparence, c’est sous le bénéfice d’une exception reconnue lorsque le bénéficiaire de l'agrément est un opérateur privé sur les activités duquel l'État est en mesure d'exercer un contrôle étroit. Selon le juge, c’est le cas en l’espèce.

En second lieu, ne s’aperçoit dans cette affaire aucune aide d’État contrairement à ce que prétend la demanderesse.

Le pourvoi du ministre est admis.

(10 janvier 2020, Ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, n° 404468 ; Société Ecofolio, n° 404487, jonction)

V., sur le volet procédural de cette décision au n° 12

 

38 - Projets d’ouvrages ou d’aménagement à incidence notable sur l’environnement - Étude d’impact - Détermination des cas dans lesquels cette étude est nécessaire - Autorité compétente - Nécessité pour la loi de prévoir le recours à une entité indépendante - Absence - Compétence discrétionnaire du législateur - Rejet de la QPC.

Les organisations requérantes reprochaient à l’art. L. 122-1 du code de l’environnement son inconstitutionnalité faute de n’avoir pas imposé que l'étude d'impact -  figurant au dossier d’enquête accompagnant les projets  de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine -  soit réalisée par un tiers indépendant du pétitionnaire ou du maître d'ouvrage du projet. Ils en déduisaient la violation de l’art. 7 de la Charte de l’environnement contenue dans le Préambule de la Constitution et soulevaient donc une QPC.

Pour rejeter cet argument qui nous semble très pertinent et, par voie de conséquence, la demande de renvoi de la QPC, le Conseil d’État se contente de relever que : « Eu égard à la marge d'appréciation dont dispose le législateur pour déterminer les modalités de mise en œuvre de l'article 7 de la Charte de l'Environnement, les dispositions critiquées ne peuvent pas être regardées comme méconnaissant cet article ». C’est faire bon marché du principe général d’impartialité, objective et subjective, s’imposant à l’autorité administrative.

(20 janvier 2020, Association Force 5 et autres, n° 432819)

 

Fonction publique et agents publics

 

39 - Agents publics retraités - Révision du montant de la pension de retraite hors du délai légal - Révision nécessité par l'obligation d'exécuter une décision de justice - Application erronée du principe de la compensation de créances - Cassation partielle avec renvoi au tribunal administratif.

L’administration ne peut invoquer la prescription d’un an édictée par l’article L. 55 du code des pensions civiles et militaires de retraite en matière de réclamation en vue d’obtenir la révision du montant d’une pension de retraite lorsque cette révision est la conséquence d’une décision de justice.

Ici le jugement est cassé car il a opéré, en violation des dispositions de l’art. 1347 du Code civil, une compensation entre des créances relevant de personnes - ici publiques - différentes.

(8 janvier 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 428597)

 

40 - Agents chargés de fonctions syndicales - Liberté d'expression - Étendue - Obligations de respecter les exigences déontologiques - Conciliation entre liberté syndicale et devoir professionnel - Sanction disciplinaire justifiée - Rejet.

Rappel ferme et justifié de ce que " Si les agents publics qui exercent des fonctions syndicales bénéficient de la liberté d'expression particulière qu'exigent l'exercice de leur mandat et la défense des intérêts des personnels qu'ils représentent, cette liberté doit être conciliée avec le respect de leurs obligations déontologiques. En particulier, des propos ou un comportement agressifs à l'égard d'un supérieur hiérarchique ou d'un autre agent sont susceptibles, alors même qu'ils ne seraient pas constitutifs d'une infraction pénale, d'avoir le caractère d'une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire. "

Au cas d'espèce, les propos et comportement de la demanderesse envers la directrice générale des services, tenus au cours d'une réunion du comité technique communal étaient bien constitutifs d'une faute justifiant une sanction disciplinaire alors même qu'ils ne revêtaient pas la nature d'une infraction pénale.

(27 janvier 2020, Mme X., n° 426569 et n° 426571, deux espèces)

 

41 - Enseignement supérieur - Procédure de recrutement des professeurs d'université - Pouvoirs et devoirs du comité de sélection - Obligation de motiver le refus d'auditionner un candidat - Insuffisance en l'espèce - Annulation et annulations par voie de conséquence.

Est insuffisamment motivée et doit donc être annulée la décision du comité de sélection d'une université qui refuse d'auditionner une candidate à un emploi de professeur des universités en se bornant seulement à indiquer pour justifier ce refus : " Peu d'adéquation aux profils d'enseignement et de recherche ". Par voie de conséquence sont annulés pour illégalité, la délibération suivante du comité de sélection, la délibération du conseil académique restreint, la délibération suivante du conseil d'administration restreint, la décision implicite par laquelle le président de l'université a rejeté le recours gracieux de la requérante tendant au retrait de l'ensemble des décisions défavorables à son recrutement, ainsi que le décret du président de la république nommant une personne en qualité de professeur des universités affecté à cette université. 

Il convient de saluer les efforts du juge pour contrôler plus étroitement que par le passé l'exercice par les organes universitaires de leurs pouvoirs de décision en matière de recrutement des enseignants de l'enseignement supérieur car il est assez lacunaire face à des pratiques qui peuvent être critiquables.

(27 janvier 2020, Mme X., n° 415314)

 

Libertés fondamentales

 

42 - Aide sociale à l’enfance - Jeune majeur de vingt-et-un ans - Prise en charge par le département - Obligation de préparation vers l’autonomie - Rupture de l’aide en cours d’année scolaire - Atteinte à une liberté fondamentale - Rejet.

Le département demandeur contestait l’ordonnance du juge des référés de première instance enjoignant au président du conseil départemental du Val-de-Marne de réexaminer sous huit jours la situation d’un élève, relevant jusque-là de l’aide sociale à l’enfant, devenu majeur en cours d’année scolaire et auquel il avait de ce fait supprimé toute aide et tout hébergement. Le juge ordonnait au département de lui proposer un accompagnement adapté comportant en particulier une solution d'hébergement compatible avec la poursuite de ses études en voie générale ainsi qu'une assistance en vue de la régularisation de sa situation administrative auprès de la préfecture du Val-de-Marne.

Le Conseil d’État fait sienne cette solution en relevant que quelle que soit l’étendue du pouvoir dont il dispose, le président du département ne peut - sans porter une atteinte grave et immédiate à une liberté fondamentale - refuser à un enfant isolé, sans attache familiale sur le territoire français, sans ressources et sans solution d'hébergement autre que ponctuelle et qui est en cours de scolarité en première scientifique, où il obtient, d'ailleurs, de très bons résultats, sa prise en charge en qualité de jeune majeur de moins de vingt-et-un ans au moins jusqu’au terme de l’année scolaire en cours.

Le recours du département est rejeté.

(Ord. réf. 13 janvier 2020, Département du Val-de-Marne, n° 437102)

 

43 - Allégation d'une discrimination - Absence de mise à disposition d'un local isolé pour l'allaitement au sein d'un enfant - Journée de formation civique organisée par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII)- Règles de procédure à suivre en cas d'invocation d'une discrimination - Rejet.

Une ressortissante tunisienne demande réparation des préjudices qu'elle aurait subis du fait des discriminations dont elle aurait été l'objet à l'occasion de la journée de formation civique organisée par une société privée, prestataire de services de l'OFII, à laquelle elle avait été convoquée dans le cadre de son contrat d'accueil et d'intégration. Cette discrimination aurait consisté dans le fait qu'elle n'a pas pu allaiter son enfant dans des conditions garantissant son intimité.

Le Conseil d’État rejette le recours en approuvant la cour administrative d'appel, d'une part, d'avoir jugé que l'intéressée ayant reconnu avoir pu correctement suivre la formation dispensée avec son bébé et allaiter celui-ci quand cela était nécessaire, elle pouvait en déduire qu'alors même qu'elle n'avait pas disposé d'un local isolé pour ce faire, elle n'apportait pas d'éléments susceptibles de caractériser une pratique ayant entraîné un désavantage particulier,  et d'autre part, de s'être abstenue, en l'absence de caractérisation d'une présomption de discrimination, de rechercher si l'OFII avait apporté la preuve que le traitement réservé à l'intéressée était justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

(30 janvier 2020, Mme X., n° 426430)

 

44 - Demande de transfert post mortem d'embryons à l'étranger - Interdiction légale de transfert - Convention EDH et marge d'appréciation des États - Compatibilité avec la Convention EDH mais examen de l'éventuel caractère disproportionné de l'interdiction - Rejet.

Un couple a effectué un dépôt de gamètes dans le centre d'étude et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS) d'un CHU dans le but de recourir à une assistance médicale à la procréation. Cinq embryons conçus à partir des gamètes du couple ont été conservés et une fécondation in vitro a permis la naissance d'un enfant. Au décès de son époux, Mme X. a demandé que les embryons conservés au CHU soient déplacés en Espagne afin d'y débuter une grossesse. Le CHU, en application de la législation française, a refusé ce transfert d'embryons.

Le référé liberté introduit par la demandersse a été rejeté en première instance et la demanderesse saisit le juge des référés du Conseil d’État. Celui-ci rejette la requête.

Il rappelle d'abord, d'une part, que le régime des interdictions du recours à la PMA édicté par l'art. L. 2141-2 du code de la santé publique et de transfert d'embryons à l'étranger fixé à l'art. 2141-9 de ce code entre dans la marge d'appréciation dont dispose chaque État pour l'application de la Convention EDH, et d'autre part, que même compatible avec cette convention une législation peut constituer une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette Convention (c'est le désormais célèbre contrôle de conventionnalité in concreto...).

Ensuite, il constate qu'en l'espèce la volonté de transférer ces embryons en Espagne - quand bien même entrait-elle expressément dans les intentions du couple au moment de la demande de conservation des gamètes - n'est commandée que par le désir de pouvoir y faire réaliser une action médicale interdite en France et qu'en outre l'intéressée n'a aucune relation particulière avec l'Espagne.

(24 janvier 2020, Mme X., n° 437328)

 

45 - Référé liberté (art. L. 521-2 CJA) - Droit d’asile - Conditions d’octroi des mesures sollicitées - Absence - Rejet.

(Ord. réf. 10 janvier 2019, M. X. et Mme Y., n° 437419)

V. au n° 15

 

Professions réglementées

 

46 - Pharmaciens d'officine - Institution d'un service obligatoire de garde des officines d'une même zone - Atteinte à la liberté d'entreprendre - QPC - Nécessité de concilier cette liberté avec l'intérêt général de la santé publique - Rejet de la QPC.

Un pharmacien d'officine est sanctionné - par la juridiction disciplinaire ordinale - d'une interdiction d'exercice de la pharmacie pendant six mois pour n'avoir pas respecté l'obligation d'effectuer son tour de garde en ouvrant sa pharmacie en dehors des jours et heures ouvrables.

Au soutien de sa demande d'annulation ou, subsidiairemnt, de réformation de la décision de sanction, le requérant soulève une QPC tirée de ce que cette obligation de tour de garde porte atteinte à la liberté constitutionnelle d'entreprendre.

Pour rejeter la QPC et refuser son renvoi au Conseil constitutionnel, le Conseil d’État rappelle que cette liberté, comme les autres, peut faire l'objet d'atteintes de la part du législateur dans un but d'intérêt général pourvu que celles-ci ne soient pas disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

Il tombe sous le sens que l'institution de tours de garde est destinée à assurer en cas d'urgence la continuité de l'activité des officines et qu'elle répond ainsi à un objectif impérieux de santé publique qui est un motif d'intérêt général justificatif de l'atteinte ainsi porté à la liberté d'entreprendre et non disproportionné au regard de cet objectif.

(27 janvier 2020, M. X., n° 435612)

 

47 - Référé suspension - Procédure disciplinaire - Haut conseil du commissariat aux comptes - Rapport final du rapporteur général devant la formation disciplinaire restreinte - Demande de suspension de la procédure - Caractère de mesure préparatoire du rapport final - Absence de décision disciplinaire - Rejet.

(27 janvier 2020, M. X. et autres, n° 437509)

V. au n° 18

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

48 - Droit d’accès aux documents administratifs - Traitements algorithmiques utilisés dans la procédure Parcoursup - Accès limité aux seuls candidats non retenus en faisant la demande - Constitutionnalité - Question présentant un caractère sérieux - Renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel.

L’organisation étudiante requérante conteste deux jugements rejetant ses demandes tendant à l'annulation de décisions du président d'université de Corse refusant de lui communiquer les procédés algorithmiques utilisés localement dans le cadre du traitement des candidatures d'entrée en licence via la plateforme Parcoursup ainsi que les codes sources correspondants. Elle soulève devant le Conseil d’État une QPC.

L’art. L. 612-3 du code de l’éducation crée pour l’inscription dans le premier cycle de l’enseignement supérieur une procédure nationale de préinscription organisée, lorsque le nombre de candidatures excède les capacités d'accueil d'une formation, sur la base d’algorithmes.

 Il prévoit, par dérogation aux dispositions des art. L. 311-3-1 et L. 312-1-3 du code des relations du public avec l’administration, que les candidats dont la candidature a été refusée sont informés de la possibilité d'obtenir, s'ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d'examen de leurs candidatures ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise.

La requérante soutenait qu’en raison de ce qu’elle n’autorise qu’une communication très limitée des algorithmes utilisés cette disposition est contraire à la Constitution. Le Conseil d’État estime que les moyens tirés de ce qu’il est, par là, porté atteinte, d'une part, au droit d'accès aux documents administratifs et, d'autre part, au droit à un recours effectif soulèvent une question sérieuse.

(15 janvier 2020, UNEF, n° 433296 ; UNEF, n° 433297, jonction)

 

49 - Projets d’ouvrages ou d’aménagement à incidence notable sur l’environnement - Étude d’impact - Détermination des cas dans lesquels cette étude est nécessaire - Autorité compétente - Nécessité pour la loi de prévoir le recours à une entité indépendante - Absence - Compétence discrétionnaire du législateur - Rejet de la QPC.

(20 janvier 2020, Association Force 5 et autres, n° 432819)

V. au n° 38

 

50 - Certification du respect par un établissement commercial du respect des conditions d'autorisation - Délégation à une personne privée de pouvoirs de police administrative - Violation de l'art. 12 de la Déclaration de 1789 - Absence - Rejet.

Le requérant estimait contraires à l'art. 12 de la Déclaration de 1789 (" La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. ") les dispositions de l'art. L. 752-23 du code de commerce en ce qu'elles confient à des organismes, qui peuvent être privés, le soin d'établir un certificat attestant du respect, par l'établissement commercial, de l'autorisation d'exploitation commerciale qui lui a été délivrée et sans lequel l'exploitation de l'établissement est réputée illicite. Le Conseil d’État rejette sèchement une QPC qui ne présenterait pas de caractère sérieux car les dispositions critiquées " ne méconnaissent aucunement l'article 12 de la Déclaration de 1789 en tant qu'il interdit de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l'exercice de la " force publique " nécessaire à la garantie des droits. "

Une motivation moins absconse eût été bienvenue.

(29 janvier 2020, Conseil national des centres commerciaux, n° 433292)

 

Responsabilité

 

51 - Dommages résultant de la réalisation de travaux publics ou de l'existence ou du fonctionnement d'un ouvrage public - Persistance du dommage par abstention de prendre les mesures pour y mettre fin ou pallier ses effets - Office du juge - Prise en considération de l'intérêt général et du coût de la remise en état - Distinction entre abstention fautive et abstention non fautive - Conséquences en ce second cas - Annulation de l'arrêt d'appel.

Le Conseil d’État rappelle - conformément à une jurisprudence désormais établie (18 mars 2019, Commune de Chambéry, n° 411462 ; voir cette Chronique, mars 2019, n° 83) - la marche à suivre en cas de dommages imputables à la réalisation de travaux publics ou à un ouvrage public du fait de son existence ou de son fonctionnement lorsqu'ils persistent à la date à laquelle il statue.

Il distingue tout d'abord deux cas.

Si la persistance des dommages résulte du fait d'une abstention fautive de la puissance publique à prendre les mesures utiles ou à effectuer les travaux nécessaires, le juge enjoint à celle-ci de les prendre ou de les réaliser. Pour déterminer le caractère fautif de l'abstention il convient de vérifier : 1° si la persistance du dommage trouve son origine non dans la seule réalisation de travaux ou la seule existence d'un ouvrage, mais dans l'exécution défectueuse des travaux ou dans un défaut ou un fonctionnement anormal de l'ouvrage ; 2° si tel est bien le cas, qu'aucun motif d'intérêt général, qui peut tenir au coût manifestement disproportionné des mesures à prendre par rapport au préjudice subi, ou qu'aucun droit de tiers ne justifie l'abstention de la personne publique.

Si la persistance des dommages ne découle pas d'une abstention fautive de la personne publique, le juge ne peut entrer en voie d'injonction ; il doit placer l'administration devant le choix entre le versement d'une indemnité dont il fixe le montant ou la réalisation de mesures dont il définit la nature et les délais d'exécution.

Ensuite, lorsque la victime ne demande que l'annulation du refus ou de l'abstention de la personne publique de mettre fin au dommage, assortie de conclusions à fin d'injonction, sans solliciter d'indemnisation, il incombe au juge de se prononcer sur les modalités de la réparation du dommage.

L'arrêt d'appel est ici cassé  pour avoir décidé  d'annuler pour excès de pouvoir la décision du président d'un syndicat mixte d'assainissement pour inexactitude matérielle des faits et de lui enjoindre de réexaminer la demande de l'intéressée dans un délai de deux mois, alors que, comme indiqué ci-dessus, il était de son office, dès lors que la requérante ne présentait pas de conclusions indemnitaires, de mettre en oeuvre les pouvoirs injonctifs qui sont les siens aux conditions que l'on vient de rappeler.

(27 janvier 2020, Syndicat mixte d'assainissement du Val Notre-Dame (SMAVND), n° 427079)

 

Santé publique

 

52 - Indemnisation des victimes d'essais nucléaires français - Lois du 5 janvier 2010, du 28 février 2017 et du 28 décembre 2018 - Succession dans le temps - Effet sur la présomption de causalité - Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) - Rejet.

La loi du 5 janvier 2010 a créé un mécanisme de réparation des dommages subis du chef des essais nucléaires français, celui-ci reposait notamment sur une présomption forte de causalité assez difficile à combattre pour la puissance publique même si la loi lui ouvrait cette possibilité. Cette solution a été confirmée par l'art. 113 de la loi du 28 février 2017.

En revanche, l'art. 232 de loi du 28 décembre 2018 a élargi la faculté pour l'administration de renverser cette présomption de causalité.

Dans la présente affaire se posait la question des effets dans le temps de cette succession de régimes législatifs en l'absence de dispositions transitoires.

Une personne imputait sa maladie auxdits essais nucléaires et en avait demandé la réparation, en vain en première instance, avec succès en appel.

Ainsi condamné, le CIVEN se pourvoit en cassation.

Confirmant l'arrêt d'appel, le Conseil d’État rejette le pourvoi en relevant que la loi de 2018, dans le silence du texte, n'est applicable qu'aux demandes d'indemnisation formées postérieurement à son entrée en vigueur ; les demandes antérieures, même instruites après cette loi, ne relèvent que du système de présomption de causalité institué par la loi du 5 janvier 2010.

C'est donc sans erreur de droit que, dans ce litige, la cour administrative d'appel a fait application des dispositions du V de l'art. 4 de la loi du 5 janvier 2010, dans la rédaction qui lui a été donnée par la loi du 28 février 2017, et non dans celle résultant de l'art. 232 de la loi du 28 décembre 2018.

(27 janvier 2020, Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), n° 429574 ; du même jour, avec même solution, voir : Ministre des armées, n° 432578)

 

Sport

 

53 - Référé liberté - Football - Interdiction de déplacements de supporters d’une équipe aux abords d’un stade à l’occasion d’un match - Pouvoirs et devoirs du préfet (art. L. 332-16-2 code du sport) - Mesures proportionnées au risque de troubles - Interdiction cependant illégale à l’égard d’un groupe déterminé de supporters - Cassation partielle sans renvoi de l’ordonnance de référé rendue en première instance.

Par un arrêté du 15 janvier 2020, le préfet du Territoire de Belfort a édicté l’interdiction, à toute personne se prévalant de la qualité de supporter du club de l'association sportive Nancy Lorraine (ASNL), de circuler ou de stationner aux abords du stade Serzian de Belfort et d'accéder au stade à l'occasion du match de football du 18 janvier 2020 opposant l'ASNL et l'ASM Belfort.

L’association requérante a demandé en vain, au juge des référés de première instance statuant sur le fondement des dispositions de l’art. L : 521-2 CJA (référé liberté), d’une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté précité et, d'autre part, à titre principal, d'indiquer quel régime juridique sera opposable aux supporters nancéiens dans le périmètre dédié à l'occasion de la rencontre sportive et, à titre subsidiaire, de réexaminer la situation et de prendre une mesure mieux proportionnée. 

Elle saisit le juge des référés du Conseil d’État qui admet, pour l’essentiel, sa requête.

Selon le juge, ne sont pas critiquables les mesures prises par le préfet pour assurer la sécurisation du stade et des lieux avoisinants eu égard, d’abord, aux incidents violents, notamment des rixes avec des supporters de l'équipe adverse, avec l'utilisation d'engins pyrotechniques, ayant caractérisé des rencontres précédentes, ensuite, à la très forte mobilisation des forces de l'ordre dans la ville de Belfort dans un contexte de mouvements sociaux divers, notamment contre la réforme des retraites. 

En revanche, est jugée irrégulière l'interdiction de la venue en car d'une cinquantaine de personnes qui se prévalent de la qualité de supporter de l'ASNL et sont déjà titulaires d'un billet pour le match du 18 janvier 2020 car  « il appartient à l'administration de justifier dans le détail, devant le juge, la portée des interdictions prises sur le fondement des dispositions de l'article L. 332-16-2 du code du sport tant en ce qui concerne les risques de troubles graves pour l'ordre public que la proportionnalité des mesures prises ».

On observera la particulière efficacité et l’extrême célérité de la procédure ici suivie : l’arrêté préfectoral attaqué est du 15 janvier, l’ordonnance de référé de première instance, du 17 janvier et la décision du Conseil d’État du 18 janvier en fin de matinée pour un match ayant lieu à 15 heures.

(Ord. réf. 20 janvier 2020, Association nationale des supporters, n° 437733)

 

Travaux publics et expropriation

 

54 - Ouvrage public - Dommages de travaux publics - Responsabilité extra-contractuelle - Notion d’usager d’un ouvrage public - Référé provision (art. R. 541-1 CJA) - Caractère non sérieusement contestable d’une créance - Rejet malgré une erreur de droit et une inexacte qualification juridique des faits.

Condamnée en première instance, par voie de référé, à verser une provision à la Régie des eaux du canal de Belletrud (RECB) en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait d'un glissement de terrain dont la cause a été imputée au défaut d’entretien normal d’un canal, ouvrage entretenu par EDF. Cette dernière, dont l’appel dirigé contre cette ordonnance a été rejeté, se pourvoit en cassation en excipant que n’étaient pas réunies les conditions d’octroi d’une provision en référé.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi, apportant deux précisions importantes bien que sans nouveauté.

En premier lieu, contrairement à ce qui avait été jugé en appel, le Conseil d’État rappelle que la reconnaissance de la qualité d'usager d'un ouvrage public ne peut pas être subordonnée à l’exigence d’être utilisateur de l'ouvrage au moment de la survenance du dommage.

En second lieu, le juge d’appel est approuvé pour avoir jugé que la responsabilité fondée sur les dommages de travaux publics ne constitue pas une responsabilité contractuelle, et qu’ainsi la société EDF ne pouvait pas se prévaloir utilement des clauses exonératoires de responsabilité en sa faveur contenues dans les conventions conclues avec la Régie victime du dommage :  le préjudice tenant à la rupture de la canalisation d'adduction d'eau réalisée par la Régie demanderesse  du fait du défaut d'entretien normal des ouvrages publics dont EDF a la garde était étranger à l'exécution d'une convention dont l'objet était seulement de définir les conditions d'utilisation de l'eau du canal d'amenée par cette Régie.

(17 janvier 2019, Société EDF, n° 433506)

 

55 - Dommages résultant de la réalisation de travaux publics ou de l'existence ou du fonctionnement d'un ouvrage public - Persistance du dommage par abstention de prendre les mesures pour y mettre fin ou pallier ses effets - Office du juge - Prise en considération de l'intérêt général et du coût de la remise en état - Distinction entre abstention fautive et abstention fautive - Conséquences en ce second cas - Annulation de l'arrêt d'appel.

(27 janvier 2020, Syndicat mixte d'assainissement du Val Notre-Dame (SMAVND), n° 427079)

V. au n° 51

 

Urbanisme

 

56 - Urbanisme commercial - Autorisation d'exploitation d'un supermarché - Permis de construire valant autorisation d'aménagement commercial - Régime antérieur à la loi du 18 juin 2014 - Permis initial de 2013 et permis modificatifs postérieurs au 15 février 2015 - Permis ne tenant pas lieu d'autorisation d'exploitation commerciale - Avis de la commission départementale (ou nationale) d'aménagement commercial non nécessaire - Rejet.

La société requérante contestait le rejet, par la cour administrative d'appel, de son recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision par laquelle une commission départementale d'aménagement commercial a autorisé une société concurrente à exploiter une surface de vente.

Son pourvoi est rejeté.

Le Conseil d’État rappelle qu'en matière d'autorisation d'exploitation commerciale un changement de législation impose de distinguer selon que les décisions litigieuses ont été prises avant ou après le 15 février 2015 date de l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises.

En effet, alors que les permis de construire délivrés avant le 15 février 2015 pour les projets soumis à autorisation d'exploitation commerciale ne tenaient pas lieu d'autorisation d'exploitation et n'avaient donc pas à être soumis pour avis à la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, à la Commission nationale d'aménagement commercial, ceux postérieurs à cette date sont des permis valant ipso facto autorisation d'exploitation et sont, de ce fait, soumis à l'exigence d'un avis favorable de la Commission nationale.

En l'espèce, le permis de construire était antérieur au 15 février 2015 et l'un des deux permis modificatifs postérieurs à cette date. Quelle règle appliquer ? Le Conseil d’État considère que la cristallisation du droit applicable est constituée le jour du dépôt du permis initial. Il en résulte que même postérieur au 15 février 2015 le permis modificatif ne tient pas lieu d'autorisation d'exploitation commerciale.

Par suite, toute décision de la Commission nationale d'aménagement commercial prise après le 15 février 2015, mais relative à un projet dont le permis de construire a été délivré avant le 15 février 2015, revêt le caractère non d'un avis, mais d'un d'acte faisant grief, susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.

Examinant les différents moyens du pourvoi, le juge n'aperçoit dans aucun d'eux une argumentation convaincante d'où le rejet.

(27 janvier 2020, Société Distribution Casino France, n° 422287)

 

57 - Règlement local d'urbanisme (RLU) - Permis de construire - Aménagement d'espaces habitables dans les combles - Absence d'interdiction par le RLU - Erreur de droit Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit le jugement qui déduit des dispositions d'un RLU interdisant que la hauteur des constructions excède 17 mètres, que celles-ci interdisent l'aménagement d'espaces habitables dans les combles situés sous le toit au-dessus de la hauteur de 17 mètres.

La solution retenue ne nous semble pas avoir pour elle la vertu d'évidence.

(30 janvier 2020, SCCV " 3D Promotions ", n° 427521 et Commune de Saint-Raphaël, n° 428004, jonction)

58 - Lotissement - Inclusion dans le périmètre du lotissement de lots inconstructibles - Inclusion possible sous réserve du respect de deux conditions - Rejet.

Dans le cadre d'un recours dirigé contre un permis d'aménager délivré en vue de la réalisation d'un lotissement multi-activités, les requérantes soulevaient le moyen tiré de ce que certains lots de ce lotissement étaient inconstructibles. Il est rejeté ici par le Conseil d’État statuant sur un pourvoi dirigé contre un jugement du tribunal administratif rejetant partiellement la requête dont il était saisi.

Sur le principe, le juge affirme qu'un lotissement peut comporter des lots qui ne sont pas destinés à supporter des constructions. En effet, est retenue une définition étroite de la notion de lotissement "division d'une propriété foncière en plusieurs lots (...) s'il est prévu d'implanter des bâtiments sur l'un au moins de ces lots" (outre la présente décision, voir : 20 février 2013, Mme X. et autres, n° 345728, cons. n° 2).

Toutefois, le juge soumet cette faculté au respect de deux conditions qu'il semble placer sur un plan d'égalité quant à la portée : d'une part, cette inclusion de lots ne comportant pas de construction doit être nécessaire à la cohérence d'ensemble de l'opération, d'autre part, la réglementation applicable aux lotissements doit être respectée. Concernant la première condition il convient de relever l'emploi du mot "nécessaire". En d'autres termes cela exclut que l'inclusion de lots inconstructibles résulte d'un simple choix, il faut qu'eu égard à l'objet et à la nature de l'opération, à son étendue, à ses caractéristiques de tous ordres, aux contraintes physiques liées à la configuration comme à l'emplacement du terrain, une telle inclusion apparaisse comme inévitable pour assurer la réalisation du lotissement.

(30 janvier 2020, Association "Non au béton" et Mme X., n° 419837)

 

59 - Immeubles situés dans le périmètre d'une association foncière urbaine libre (AFUL) - Impossible appartenance à la domanialité publique - Renvoi préjudiciel du juge judiciaire - Cassation et règlement de l'affaire au fond.

(23 janvier 2020, Société JV Immobilier et autres, n° 430192)

V. au n° 5

 

60 - Plan local d'urbanisme (PLU) - Modification simplifiée du plan et non révision - Conditions de légalité du recours à cette procédure - Erreur matérielle évidente - Rejet sur un autre fondement.

Il faut retenir de cette décision les précisions qu'ellle apporte concernant la faculté pour une commune de recourir à la procédure de modification simplifiée (art. L. 123-13-3 c. urb.) de son plan d'urbanisme plutôt qu'à la procédure de révision.

Le juge indique possible l'utilisation d'une telle procédure pour la correction d'une erreur matérielle "en cas de malfaçon rédactionnelle ou cartographique portant sur l'intitulé, la délimitation ou la règlementation d'une parcelle, d'un secteur ou d'une zone ou le choix d'un zonage, dès lors que cette malfaçon conduit à une contradiction évidente avec les intentions des auteurs du plan local d'urbanisme, telles qu'elles ressortent des différents documents constitutifs du plan local d'urbanisme, comme le rapport de présentation, les orientations d'aménagement ou le projet d'aménagement et de développement durable." En l'espèce, si le règlement du PLU ne faisait pas état de l'existence d'une carrière et de l'ensemble de ses éléments d'exploitation, il ressortait évidemment des autres documents constitutifs du PLU que cette présence et ses conséquences n'étaient point remises en cause par le silence malencontreux du règlement du PLU sur ces points et ce d'autant plus qu'il présentait une contradiction évidente avec les intentions manifestes des auteurs du PLU.

Sur le fond, l'arrêt de la cour, bien qu'entaché, outre la qualification inexacte des faits, de deux erreurs de droit, n'est cependant pas cassé, un autre motif d'illégalité relevé à bon droit par la cour suffisant à justifier le dispositif de son arrêt.

(31 janvier 2020, Commune de Thorame Haute, n° 416364)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Décembre 2019

Décembre 2019

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Recrutement d’un titulaire de chaire au Conservatoire national des métiers (CNAM) - Absence d’organe ayant la nature de jury - Nomination par le seul ministre sur présentation - Procédures irrégulières en l’espèce - Préjudice subi du fait du non-recrutement - Nomination simplement éventuelle - Absence de lien de causalité entre l’irrégularité et le dommage - Rejet.

La requérante, candidate à plusieurs reprises au recrutement en qualité de titulaire de la chaire « accessibilité » du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), estime n’avoir été évincée qu’en raison des irrégularités entachant les procédures suivies et demande la réparation du préjudice qui lui a été causé de ce chef.

Parmi les illégalités fautives qu’elle invoque, seule l’une d’elles sera présentée ici.

La procédure de recrutement comportait deux étapes : d’abord, l’examen des candidatures par le conseil d'administration du CNAM et l'Institut de France, ensuite la transmission des différentes candidatures au ministre de l’enseignement supérieur.

Pour estimer irrégulier le fait que ces deux autorités n’aient pas transmis la candidature de la requérante au ministre, le juge relève que « si un jury de concours, qui apprécie souverainement l'aptitude des candidats à occuper les postes ouverts au concours, peut ne pas retenir autant de candidats qu'il y a de postes à pourvoir, (les deux autorités en cause ici) n'agissent pas en cette qualité dans la procédure (visée par le recours) ». Dès lors les instances concernées ne peuvent, en principe, se dispenser de proposer au ministre deux ou trois candidatures, en application des dispositions de l'article 26 du décret du 22 mai 1920 ; il leur est seulement loisible d'assortir leurs propositions d'un ordre de classement ou des observations qu'elles jugent opportunes. Il n'en va autrement que dans les cas où une telle proposition est impossible, soit parce qu'il n'y a qu'un seul candidat, soit parce qu'un seul candidat répond aux exigences minimales pour être légalement nommé. Dans une telle circonstance, il appartient au CNAM de transmettre au ministre le nom de ce candidat.

(2 décembre 2019, Mme X., n° 416260)

V., pour le surplus de la décision, au n° 119

 

2 - « Point d'information » en forme de synthèse donné par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) - Recommandation sur la concentration de phénoxyéthanol dans les produits cosmétiques pour enfants de moins de trois ans - Absence d'effets juridiques - Acte déférable au juge de l'excès de pouvoir - Absence d'abrogation d'une recommandation ayant cessé d'être en vigueur - Annulation avec injonction d'avoir exécuté sous deux semaines.

L'ANSM se voit reprocher par la Fédération requérante d'avoir adopté et rendu public un point information sur la concentration de phénoxyéthanol dans les produits cosmétiques pour enfants et d'avoir implicitement rejeté sa demande d'abrogation de cette recommandation.

Se posaient deux questions : celle de la nature juridique de cette recommandation et celle de la légalité du refus de son abrogation.

Sur le premier point, le Conseil d’État applique sa jurisprudence sur les actes de droit souple pris par une autorité régulatrice (v., à propos de l'ANSM : 21 octobre 2019, Association française de l'industrie pharmaceutique pour une automédication responsable, n°s 419996 419997) en constatant que bien que dépourvue d'effets juridiques « cette recommandation, prise par une autorité administrative, consultable sur internet et relayée par les associations de défense des consommateurs, a eu pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des fabricants et des distributeurs des produits cosmétiques destinés aux enfants de moins de trois ans, ainsi que sur les comportements de consommation des personnes responsables de ces enfants, et est également de nature à produire des effets notables. »

Sur le second point, le juge apporte deux précisions d'importance : d'une part, le refus d'abroger une telle recommandation peut être annulé par le juge de l'excès de pouvoir et d'autre part, cette annulation impose non seulement cette abrogation elle-même mais encore « eu égard à sa nature et à ses effets » que l'ANSM «  en tire les conséquences pertinentes quant à la publicité qui lui est donnée ».

En l'espèce, le Conseil d’État relève que la recommandation querellée a été remplacée par une autre et qu'ainsi la demande d'annulation du refus de son abrogation est devenue sans objet, mais que la recommandation litigieuse « figure toujours sur le site internet de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, sans que cette mise en ligne s'accompagne de mentions permettant, lors de sa consultation, d'être informé qu'elle n'est plus en vigueur ».  Le juge annule donc, avec une certaine audace, la décision attaquée en tant qu'elle refuse de prendre les mesures permettant de porter à la connaissance du public l'abrogation de la recommandation en litige et il enjoint à l'ANSM, dans un délai de deux semaines, sauf à ce qu'elle mette fin à la mise en ligne de cette recommandation, de prendre les mesures nécessaires pour l'accompagner de mentions propres à permettre, lors de sa consultation, d'être informé qu'elle n'est plus en vigueur.

(4 décembre 2019, Fédération des entreprises de la beauté, n° 416798)

 

3 - Envoi en recommandé avec demande d’avis de réception - Pli remis non à l’intéressé mais à sa mère - Validité eu égard aux liens unissant le destinataire et sa mère - Présomption de remise de lettre pouvant être combattue par la preuve contraire - Absence ici - Requête tardive - Rejet.

Dans une affaire de dopage où un recours contentieux a été formé contre la sanction infligée, était en cause la remise du pli recommandé - contenant la décision - par l’administration postale non à l’intéressé mais à sa mère. La date de signature du pli par cette dernière révélait la tardiveté du recours contentieux et donc son irrecevabilité pour forclusion. Pour combattre cette conséquence, le sportif sanctionné soutenait que sa mère, avec laquelle il était en froid, ne lui avait pas remis ledit pli.

Après avoir rappelé que le courrier avait été envoyé à l’adresse indiquée par le requérant, qui était celle de sa mère, et à laquelle avaient été adressés tous les actes de procédure antérieurs, le juge des référés du  Conseil d’État indique que « quelles que soient par ailleurs les prévisions de la réglementation postale, un pli recommandé peut être valablement remis à une personne de l'entourage du destinataire dont il peut être présumé, eu égard au lien qui l'unit à ce dernier, qu'elle le lui remettra, il incombe au destinataire du pli qui conteste l'avoir reçu de détruire cette présomption en rapportant des éléments précis et concordants pour établir les circonstances qui ont fait obstacle à ce que le pli lui soit remis. » La présomption ainsi instituée est une présomption simple que peut donc combattre la preuve contraire. Le juge a considéré qu’au cas de l’espèce, les deux attestations de la mère de non remise du pli à son fils, d’ailleurs non concordantes entre elles, ne pouvaient suffire à détruire la présomption. Le recours, entaché de forclusion, est rejeté sans examen des griefs qu’il contient.

(Ord. réf. 20 décembre 2019, M. X., n° 436194)

 

4 - QPC - Principe constitutionnel du respect des droits de la défense - Décisions prises par des autorités administratives autres que celles à caractère de punition - Principe inapplicable - Établissement de l’impôt - Rejet.

(27 décembre 2019, SAS Le Bistrot du Dôme, n° 427716)

V. au n° 118

 

5 - Règlement illégal - Obligation, sur demande en ce sens, de l'abroger ou de le modifier - Abrogation ou modification, explicite ou implicite, intervenant au cours d'une instance ayant pour objet d'obtenir cette abrogation ou modification - Recours devenu sans objet - Reprise, dans un texte postérieur, des dispositions apparemment abrogées ou modifiées - Recours n'ayant pas perdu son objet - Non-lieu à statuer et rejet du surplus des conclusions.

Réitération d'une solution bien établie que le juge rappelle en ces termes " L'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation ou à la modification d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date. Lorsque, postérieurement à l'introduction d'une requête dirigée contre un refus d'abroger ou de modifier des dispositions à caractère réglementaire, l'autorité qui a pris le règlement litigieux procède à son abrogation expresse ou implicite, le litige né de ce refus d'abroger perd son objet. Il en va toutefois différemment lorsque cette même autorité reprend, dans un nouveau règlement, les dispositions qu'elle abroge, sans les modifier ou en ne leur apportant que des modifications de pure forme ".

(20 décembre 2019, Syndicat UATS-UNSA-gendarmerie nationale et autre, n° 423355)

 

6 - Délégation de signature du directeur du travail à un chef de bureau - Délégation ayant cessé de produire effet à la date de nomination d'un nouveau directeur - Nouvelle délégation accordée - Autorisation de licenciement donnée la veille du jour de la publication au Journal officiel du décret nommant le nouveau directeur général - Incompétence - Moyen devant être soulevé d'office - Cassation sans renvoi.

L'autorisation de licencier une salariée protégée avait été donnée par un chef de bureau au ministère du travail, bénéficiaire d'une délégation de signature à cet effet. La demanderesse avait, en vain, sollicité l'annulation de cette autorisation de licenciement. Le Conseil d’État, saisi d'un pourvoi, lui donne raison.

Tout d'abord, ce chef de bureau était déjà bénéficiaire d'une telle délégation de la part d'un précédent directeur général du travail. Cette délégation avait pris fin le jour de la nomination d'un nouveau directeur général, elle ne pouvait donc pas servir de base juridique à l'autorisation contestée.

Ensuite, si le nouveau directeur général a bien, à nouveau, donné cette délégation à l'auteur de l'autorisation de licenciement, cette dernière a été accordée la veille du jour de la publication au Journal officiel du décret nommant le nouveau directeur général.

Ne disposant plus de la délégation précédente et pas encore de la délégation suivante, l'auteur de l'autorisation de licencier l'intéressée était incompétent pour prendre cette décision et la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en ne relevant pas d'office cette incompétence.

(24 décembre 2019, Mme X., n° 412996)

 

7 - Vétérinaires - Recours administratif préalable obligatoire - Compétence du Conseil national de l'ordre pour connaître des décisions administratives prises par un conseil régional de l'ordre - Conseil national s'estimant incompétent - Conséquence sur la sanction et pour ce Conseil - Cassation avec renvoi.

La décision par laquelle un conseil régional de l'ordre des vétérinaires fixe les dates d'exécution d'une sanction d'une durée de six mois qu'il a infligée a la nature d'une décision administrative.

Elle ne peut donc être déférée directement au juge administratif, celui-ci ne pouvant être saisi que d'un recours dirigé contre une décision du Conseil national de l'ordre saisi de la décision litigieuse au moyen d'un recours administratif préalable obligatoire (RAPO). C'est donc à tort que le Conseil national s'est déclaré incompétent en l'espèce pour connaître du recours dirigé contre la fixation des dates d'exécution de la sanction prononcée par un conseil régional de l'ordre.

Il suit de là que l'annulation de la décision d'incompétence prise par le Conseil national a nécessairement pour effet, sous réserve que la sanction de suspension d'exercice de la profession de vétérinaire pour une durée de six mois telle que fixée par le conseil régional n'ait pas déjà été exécutée, que le Conseil national de l'ordre des vétérinaires procède à l'examen au fond du recours. Un délai d'un mois lui est imparti à cet effet.

 (20 décembre 2019, M. X., n° 417824)

 

8 - Accusé de réception de toute demande adressée à l'administration (art. L. 1112-3 CRPA) - Conditions d'opposabilité des délais de recours - Durée du délai de recours contre une décision de rejet (art. L. 112-6 CRPA) - Règles inapplicables dans les relations entre l'administration et ses agents (art. L. 112-2 CRPA) - Inconstitutionnalité - Absence - Contestation du refus de transmettre au Conseil d’État une QPC relative à l'inconstitutionnalité de l'art. L. 112-2 CRPA écartée.

Le Conseil d’État persiste à considérer que l'exclusion des agents publics, dans leurs relations avec les administrations du bénéfice de certaines dispositions du code des relations du public avec les administrations (CRPA) n'a rien d'inconstitutionnel et passe assez allègrement sur un certain nombre d'inconvénients, juridiques ou pratiques, en découlant.

(19 décembre 2019, M. X., n° 430489 ; du même jour, voir : M. X., n° 430490)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

9 - Référé libertés - Site internet du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) - Mention méconnaissant l’autorité de chose jugée - Caractère anonyme du fichage - Absence d’atteinte grave à une liberté fondamentale - Rejet de la demande d’injonction.

Le juge du référé libertés du Conseil d’État était saisi par le magistrat requérant d’une demande de faire injonction au CSM de supprimer la mention du grief de manquement à la probité figurant dans le fichage sur son site internet de la décision rendue à son encontre le 11 mai 1981 par ce dernier car celle-ci est erronée et méconnaît l'autorité de la chose jugée.

Le juge rejette ce recours car « il est toutefois constant que les décisions publiées sur le site internet du Conseil supérieur de la magistrature sont entièrement anonymisées, tant au regard du patronyme de l'intéressé que des noms de lieux qui pourraient éventuellement permettre de l'identifier. Ainsi, l'état de fait qui est critiqué par le requérant n'est, en tout état de cause, pas de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dont il serait fondé à se prévaloir. Il n'est, par suite, pas de nature à caractériser une situation justifiant que le juge des référés prescrive une mesure de la nature de celles que l'article L. 521-2 du code de justice administrative lui permet d'ordonner. »

(23 décembre 2019, M. X., n° 437019)

 

10 - Droit au déréférencement - Pouvoirs et devoirs de la CNIL - Refus de mettre en demeure l'exploitant d'un moteur de recherche de cesser un référencement - Refus annulé par le juge de l'excès de pouvoir assorti d'une injonction - Effet utile de l'annulation - Office du juge - Date d'appréciation de l'exécution de la mesure - Non-lieu à statuer après vérification de l'exécution par la CNIL de l'injonction prononcée à son égard.

La requérante s'était plainte à la CNIL du refus de Google de donner suite à sa demande tendant au déréférencement d'un lien renvoyant vers une vidéo du site internet "YouTube" dans les résultats obtenus sur la base d'une recherche effectuée à partir de son nom sur le moteur de recherche exploité par la société Google. Cette dernière ayant clôturé cette plainte sans y donner suite, le Conseil d’État, saisi de ce refus, avait renvoyé à la CJUE quatre importantes questions préjudicielles (Assemblée, 24 février 2017, Mme X., n°s 391000, 393769, 399999 et 401258, p. 59). Après réponse de la Cour (24 septembre 2019, GC e. a.  c/ CNIL, aff. C-136/17), fondée notamment sur son importante jurisprudence du 13 mai 2014, Google Spain et Google (C‑131/12), le Conseil d’État rend la présente décision.

Celui-ci décide que le juge de l'excès de pouvoir, en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du CJA, peut prescrire d'office à la CNIL de procéder à la mise en demeure de l'exploitant d'un moteur de recherche de procéder au déréférencement de liens vers des pages web afin que les liens en cause disparaissent de la liste de résultats affichée à la suite d'une recherche. Cette prescription ne tend, en effet, qu'à donner un effet utile à l'annulation pour excès de pouvoir du refus de la CNIL de mettre en demeure ledit exploitant.

Par ailleurs, réitérant sa jurisprudence Association des Américains accidentels (Assemblée, 19 juillet 2019, n°s 424216 424217), il décide que le juge de l'excès de pouvoir, nonobstant cette qualité, est conduit en ce cas, à l'instar d'un juge du plein contentieux, à apprécier la légalité d'un tel refus de mise en demeure au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

Naturellement, lorsque, soit à la seule initiative de l'exploitant du moteur de recherche, soit pour la mise en œuvre d'une mise en demeure les liens litigieux ont été déréférencés à la date à laquelle il statue, le juge de l'excès de pouvoir doit constater que le litige porté devant lui a perdu son objet et il doit prononcer le non-lieu à statuer sur la requête dont il est saisi.

(6 décembre 2019, Mme X., n° 391000 ; identique, du même jour : Mme X., n° 407776 et Mme X., n° 423326, trois espèces)

 

 

 

11 - Le Conseil d’État, la CNIL et le déréférencement

 

Outre les décisions qui viennent d'être citées, le Conseil d’État en a rendu plusieurs autres le 06 décembre 2019 que l'on résume ci-après.

 

V., avec mêmes solutions : M. X., n° 397755 ; M. X., n° 399999 ;

V. également, avec même solution, mais dans le cas où il est invoqué, pour s'opposer à la demande de déréférencement, que le maintien du lien présenterait « un intérêt prépondérant pour le public » que le juge estime, avec juste raison, ne pas exister en l'espèce : M. X., n° 393769 ; également, dans le même sens, le caractère illégal du refus de déréférencer la mention de ce qu'une personne a déposé en 2006 un brevet qu'elle n'exploite plus depuis 2010 n'ayant plus sur celui-ci un monopole d'exploitation :  M. X., n° 405910 ; également, développé ci-après : M. X., n° 409212 ; ou encore, avec même solution à propos de l'invocation d' « un intérêt prépondérant pour le public » s'agissant de liens amicaux existants entre l'intéressée et un ancien président de la république d'un pays étranger, avec cette précision que le juge administratif, qui ne peut prononcer une injonction qu'envers des personnes morales de droit public ou des personnes morales de droit privé exécutant une mission de service public, ne peut utiliser ce pouvoir à l'encontre de la société Google : Mme X., n° 395335 ;

V. en revanche, à propos d'un refus régulier de mettre en demeure de procéder à un déréférencement d'un lien comportant des précisions sur le fait que la condamnation pénale de l'intéressé avait été cassée définitivement par la Cour de cassation : M. X., n° 405464 ; ou pour des informations, relatives aux coordonnées d'un médecin, considérées comme faisant légitimement obstacle à une demande de déréférencement : Mme X., n° 403868 ; ou encore, plus discutable, le caractère jugé régulier du refus d'ordonner le déréférencement de la condamnation d'une femme pour des faits de violence conjugale vers des liens où elle donnait, assez récemment, une interview sur sa condamnation (Mme X., n° 429154).

V. encore, avec même solution, à propos de l'invocation d'un  refus de mettre en demeure d'opérer un déréférencement fondé sur la circonstance que les données en cause en lien par le nom de l'intéressé seraient strictement nécessaires à l'information du public car il s'agit de procédures pénales vieilles de plusieurs années, dont l'invocation nuit à la réinsertion sociale de la personne condamnée : M. X., n° 401258.

Enfin, sera relevée la subtilité parfois rencontrée dans la jurisprudence en la matière : si l'auteur d'un roman autobiographique ne peut contester le refus de la CNIL d'ordonner à un site le déréférencement la suppression d'un lien donnant une recension de cet ouvrage à partir de son nom, en revanche, et alors même que les informations sur son orientation sexuelle ont été manifestement rendues publiques par lui en 2009 dans ledit ouvrage, c'est à tort que la CNIL a refusé d'ordonner à un autre site le déréférencement de cet ouvrage avec mention de son orientation sexuelle à partir d'une recherche effectuée par son nom : M. X., n° 409212.

 

12 - Audiovisuel - Règles de programmation - Engagement de respecter un certain quota de diffusion de documentaires - Notion de documentaire - Critères retenus par le CSA - Absence d'erreur de droit - Rejet.

Le Conseil d’État juge que le CSA ne commet pas d'erreur de droit quand, pour la qualification d'une œuvre audiovisuelle comme « documentaire », d'une part, il décide devoir se fonder « sur une appréciation d'ensemble des émissions en question », et d'autre part, exige la réunion de quatre ou, selon les cas, cinq conditions : 1) l'existence d'un point de vue d'auteur, 2) la présence d'un apport de connaissances pour le spectateur, 3) la présentation de faits ou de situations qui préexistent à la réalisation de l'émission, 4) l'absence - sans interdire toute reconstitution - de mises en scène artificielles et 5) lorsque le programme y est éligible, sur l'obtention du soutien du Centre national du cinéma et de l'image animée au titre des œuvres documentaires.

La mise en demeure adressée à la société requérante pour non-respect de ces conditions n'était donc pas irrégulière et le recours formé contre celle-ci doit, en conséquence, être rejeté.

(19 décembre 2019, RMC Découverte, n° 419682 ; v. aussi, du même jour avec même requérante, à propos du rejet de la demande de modification de la convention liant la demanderesse au CSA, le n° 423486)

 

13 - Sanction pécuniaire infligée par le CSA à une société éditrice de services de télévision - Autre société, se prétendant lésée par le faible montant de la sanction - Contestation de cette dernière irrecevable pour défaut d'intérêt pour agir - Motivation de la sanction par le CSA - Régime - Rejets.

Le CSA ayant infligé une sanction pécuniaire à la société RMC Découverte, deux pourvois ont été formés, l'un par RMC Découverte, l'autre par la société TF 1.

Par le premier recours étaient contestés l'insuffisante motivation de la sanction, argument rejeté car dans sa décision le CSA indique le manquement retenu et la sanction que, par suite, il inflige ; l'illégalité des stipulations fixant les heures de grande écoute entre 15h00 et 23h00 tous les jours, alors que le juge n'y aperçoit aucune erreur manifeste ; l'illégalité du refus de modifier la définition des heures de grande écoute, cette notion ne fondant pas la sanction prononcée ;  l'illégalité de l'inapplication de la modification des heures de grande écoute par avenant du 5 décembre 2018 alors que le manquement a été relevé au cours de l'année 2016 ; le caractère excessif de la sanction prononcée, alors que celle-ci est jugée proportionnée à la gravité des manquements constatés.

Par le second recours, la société TF 1, entendait discuter l'insuffisance de la sanction mise à la charge de RMC Découverte car la méconnaissance, par cette dernière, de ses obligations de diffusion d'œuvres audiovisuelles françaises et européennes aux heures de grande écoute, porte atteinte à ses intérêts. Le juge rejette cette requête motif pris de ce que cet élément ne confère point à la demanderesse au pourvoi un intérêt qui lui donnerait qualité pour demander l'annulation de la sanction à raison de son insuffisance.

(19 décembre 2019, RMC Découverte, n° 426547 ; Société Télévision France 1 (TF 1), n° 427412)

 

14 - CSA - « Sérieuses interrogations » du CSA et communiqué sur l’incompatibilité d’une diffusion avec les engagements conventionnels pris par une chaîne - Acte susceptible de recours contentieux - Notion d’ « événement d’importance majeure » - Conséquences pour une chaîne - Rejet.

La société demanderesse sollicitait l’annulation d’un acte du CSA rappelant à celle-ci que le caractère d’ « événement d’importance majeure » d’une compétition sportive empêchait qu’elle fût retransmise en exclusivité.

Ce recours soulevait trois questions.

Tout d’abord, dans la mesure où le CSA n’avait, à proprement parler, pas pris de décision ni fixé une ligne directrice avait-il cependant édicté une mesure ou un acte susceptible d’être contesté devant le juge administratif ? Le CSA avait, en l’espèce, fait part de ses « sérieuses interrogations » et estimé incompatible la retransmission intégrale de la finale de la Ligue des champions, le 1er juin 2019, avec certaines des dispositions de la convention conclue entre le CSA et BFM TV. Le Conseil d’État y voit un acte déférable au juge car ayant donné lieu à la diffusion d'un communiqué du Conseil sur son site internet, il « doit être regarde, dans les circonstances de l'espèce, comme ayant eu pour objet d'influer de manière significative sur le comportement de la chaîne. Eu égard à sa portée et aux conditions dans lesquelles elle a été prise, la délibération du 3 avril 2019 revêt le caractère d'un acte susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. »

Ensuite, était-on, avec la finale de la Ligue des champions, en présence d’un « événement majeur » au sens et pour l’application du droit positif ? La réponse du juge est positive. Selon la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (art. 20-2) : « Les événements d'importance majeure ne peuvent être retransmis en exclusivité d'une manière qui aboutit à priver une partie importante du public de la possibilité de les suivre en direct ou en différé sur un service de télévision à accès libre. / La liste des événements d'importance majeure est fixée par décret en Conseil d’État (...) ". Et le Conseil d’État juge que l’art. 3, 6°, du décret du 22 décembre 2004 pris pour l’application de la disposition précitée de la loi de 1986, permet de ranger la finale de la Ligue des champions de football au rang des événements d'importance majeure.

Enfin, le reproche du CSA envers BFM TV était-il justifié dans la présente affaire ? La réponse est positive car même si la chaîne requérante est un service d’information permanent sur l’actualité et si la finale retransmise faisait pleinement partie de l’actualité il n’en demeure pas moins qu’il ne pouvait, pour ce motif, être dérogé aux interdictions figurant sur ce point dans la convention CSA/BFM TV, sans d’ailleurs que cette dernière puisse invoquer une atteinte à sa liberté éditoriale.

Enfin l’intérêt général qui s’attache à ce qu’un large public ait accès aux événements d’importance majeure n’autorise pas un service de télévision à s’affranchir de ses obligations contractuelles.

(31 décembre 20198, Société BFM TV, n° 431164 et n° 432634, jonction)

 

Biens

 

15 - Exercice du droit de préemption - Contestation - Application de la règle du délai raisonnable - Recours tardif - Impossibilité de rouvrir le délai par l'exercice d'un recours gracieux postérieurement à l'expiration du délai de recours contentieux - Rejet.

Rappel de ce que s'il est nécessaire que la décision administrative comporte mention des délais et des voies de recours existant contre elle à peine que le délai de recours contentieux ne court pas, c'est sous l'importante réserve du respect de la sécurité juridique, laquelle impose, en l'espèce, que, nonobstant la non information sur les voies et délais de recours,  les intéressés saisissent le juge au plus tard dans le délai d'un an à compter du jour où la décision leur a été notifiée ou a été connue d'eux.

Le rejet d'un recours gracieux tendant au retrait de la décision ne rouvre pas le délai de recours contentieux lorsque la demande de retrait a été formée après l'expiration du délai annal.

 (16 décembre 2019, M. et Mme X., n° 419220 ; v. aussi, du même jour, les décisions rappelant que ce délai raisonnable est de trois ans dans le cas d'un recours contre un décret de libération des liens d'allégeance avec la France : Mme X., n° 428798 ; Mme X., n° 429387 ; v. aussi, à propos du contrôle des motifs du recours à l'exercice du droit de préemption : 19 décembre 2019, Commune de Villemomble, n° 420227)

V. aussi au n° 97

 

16 - Voirie - Appartenance d'un tronçon routier à un département - Déclassement de ce tronçon du domaine public routier départemental - Entretien de celui-ci constituant une dépense obligatoire pour la commune - Erreur de droit - Cassation et renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que relève des dépenses obligatoires à la charge d'une commune l'entretien d'un tronçon routier - assis sur un pont - déclassé du domaine public départemental. En effet, faisant partie des biens du département, ce tronçon ne pouvait pas être en même temps une dépendance du domaine public communal et, par suite, ne pouvait pas relever des dispositions de l'article L. 141-8 du code de la voirie routière qui subordonne le caractère obligatoire pour une commune des dépenses d'entretien des voies à la condition que celles-ci soient des voies communales (cf. art. L. 141-1 du même code).

 (27 décembre 2019, Commune de La Rochelle, n° 420302)

 

17 - Droit de prise d'eau sur un cours d'eau - Droit d'usage de la force motrice d'un courant d'eau - Droit fondé en titre persistant tant que la force motrice est susceptible d'être utilisée - Droit disparaissant en cas de ruine du moulin ou de nécessité de reconstruction complète - Absence en l'espèce - De simples travaux étant seulement nécessaires - Qualification inexacte des faits - Cassation et renvoi.

Qualifie inexactement les faits qui lui sont soumis la juridiction qui, pour dire disparu le titre attaché à une prise d'eau, estime indispensable la reconstruction complète de l'ouvrage par l'usinier alors que sont seuls nécessaires des « travaux limités ».

(31 décembre 2019, M. et Mme X., n° 425061)

 

Collectivités territoriales

 

18 - Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) - Contribution annuelle des communes et des EPCI ayant compétence en ces domaines - Rattachement par convention d’un centre communal d’incendie et de secours au SDIS - Majoration de ce chef de la contribution annuelle - Dispositions irrégulières de la convention inopposables - Rejet.

La commune requérante avait conclu une convention avec le SDIS aux termes de laquelle  étaient fixés, d’une part, les conditions du transfert des personnels et des biens affectés par la commune au fonctionnement des services d'incendie et de secours et, d’autre part,  le montant de la «  dotation annuelle de transfert » que la commune devait verser au titre de la charge nette qu'elle aurait supportée si le transfert n'était pas intervenu, ceci s'ajoutant, au sein de la contribution due par la commune pour le financement de ce SDIS, à la somme qu'elle versait antérieurement pour le fonctionnement de ce dernier, dite « contingent d'incendie et de secours ». 

La commune conteste devant le juge administratif les délibérations du conseil d'administration du SDIS de Tarn-et-Garonne par lesquelles il a fixé, d'une part, le montant global des contributions des communes et des EPCI à son budget pour l'année 2016 et, d'autre part, la répartition entre eux de ce montant global. Son action ayant été rejetée en première instance comme en appel, la commune se pourvoit.

Le juge relève tout d’abord que l'article L. 1424-35 du CGCT dispose que les modalités de calcul et de répartition des contributions que les communes et les EPCI concernés versent au budget du SDIS sont arrêtées chaque année par délibération du conseil d'administration de cet établissement public. Un SDIS ne saurait légalement renoncer à exercer la compétence qu'il tient de ces dispositions en concluant, avec une collectivité territoriale ou un EPCI contribuant à son financement, un contrat dont l'objet est de définir le montant des contributions qui doivent lui être versées. Par suite, le juge doit écarter d'office, le cas échéant, les stipulations qui auraient un tel objet figurant dans une convention conclue pour déterminer les modalités de ces transferts et mises à disposition entre le SDIS, d'une part et une commune ou un EPCI, d'autre part.

Ensuite, il estime que  lorsqu'une commune ou un EPCI sollicite, au-delà des transferts et mises à disposition dont la réalisation était imposée par la loi, le rattachement au SDIS d'un centre d'incendie et de secours communal ou intercommunal, le SDIS, nonobstant  le plafonnement de l'évolution annuelle du montant global des contributions des communes et des EPCI au budget du SDIS, sous réserve de l'application de l'indice des prix à la consommation, intègre dans les contributions qu'il demande, au-delà du montant ainsi plafonné et au titre des charges transférées par ce rattachement volontaire, une majoration de la contribution mise à la charge de la commune ou de l'EPCI concerné, l'évolution du total des contributions ainsi majorées étant ensuite soumise, pour les années ultérieures, au plafonnement déterminé par application de l'indice des prix à la consommation.

(2 décembre 2019, Commune de Montauban, n° 418026)

 

19 - Maire - Révocation - Procédure - Motifs - Contrôle du juge - Rejet.

Cette décision concerne le contentieux résultant de la révocation du maire d'Hesdin par le décret du 21 août 2019 pris en conseil des ministres. On y lira les divers arguments, de légalité externe et de légalité interne, tous rejetés, développés par l'intéressé.

(19 décembre 2019, X., maire d'Hesdin, n° 434071)

 

Contrats

 

20 - Marchés - Sous-traitance - Paiement direct - Exécution de prestations excédant celles stipulées dans l’acte spécial - Dépassant du plafond du paiement direct - Obligations respectives du maître d’ouvrage, du titulaire du marché et du sous-traitant - Partage des responsabilités - Rejet.

En principe, le sous-traitant accepté dans le cadre d’un marché a droit au paiement direct de ses prestations entre les mains du maître de l’ouvrage. C’est le « privilège de pluviôse » car il a son origine dans le décret du 26 pluviôse an II ou 14 février 1794.

L’entrepreneur a l’obligation de faire agréer le sous-traitant par le maître de l’ouvrage ainsi que les conditions de son paiement sous la forme soit de l'exemplaire unique soit du certificat de cessibilité.

En l’espèce, où il s’agissait d’un marché de réalisation de travaux de signalisation verticale de jalonnement sur les routes d’un département, il était devenu évident, le 15 novembre, et alors que le marché courait encore jusqu’au 31 décembre que les prestations restant à réaliser excédaient ce qui avait été convenu tout comme le montant de la rémunération prévue. Constatant que le maître de l’ouvrage était au courant de cette situation, la cour administrative d’appel a jugé que ce dernier, l’entrepreneur et le sous-traitant étaient, chacun pour un tiers, responsable des conséquences dommageables de cette situation.

En effet, il incombait au maître d'ouvrage ayant connaissance de l'exécution, par le sous-traitant, de prestations excédentaires conduisant au dépassement du montant maximum des sommes à lui verser par paiement direct, de mettre en demeure le titulaire du marché ou le sous-traitant de prendre toute mesure utile pour mettre fin à cette situation ou pour la régulariser. Il incombait au titulaire du marché, le cas échéant, de solliciter la modification de l'exemplaire unique ou du certificat de cessibilité et celle de l'acte spécial afin de tenir compte d'une nouvelle répartition des prestations avec le sous-traitant. Il incombait au sous-traitant de s'assurer que sa situation avait été régularisée dès lors qu’il savait que l'exécution des prestations allait se poursuivre au-delà du montant maximum fixé par l'acte spécial.

Le Conseil d’État approuve pleinement ce raisonnement et, en conséquence, rejette le pourvoi du département.

(2 décembre 2019, Département du Nord, n ° 422307)

 

21 - Marchés publics - Groupement d’entreprises à mandataire commun - Infliction de pénalités de retard - Régime de répartition des pénalités - Possibilité de contestations - Modération des pénalités - Rejet et cassation partiels avec renvoi à la cour.

Dans le cadre du marché passé en vue de la reconstruction d’un lycée, la région Midi-Pyrénées, maître d’ouvrage, et son maître d’ouvrage délégué, la COGEMIP, confient le lot n° 2 du marché (« clos et couverts ») à un groupement conjoint d'entreprises donc à mandataire commun. L’entreprise demanderesse au pourvoi s’est vue confier plusieurs sous-lots de ce lot.

Celle-ci, à l’occasion d’un différend portant notamment sur les pénalités de retard qui lui ont été infligées, saisit le tribunal administratif qui a condamné solidairement la région et la COGEMIP à lui payer le solde de sa part du marché assorti d’intérêts et de leur capitalisation. En appel, ces dernières ont sollicité de la cour et obtenu la condamnation du demandeur intimé au paiement des pénalités de retard, ce qui a eu pour effet de rendre négatif le solde de sa part du marché en défaveur de ce dernier.

La société se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel et demande la satisfaction de ses demandes formulées en appel.

En premier lieu, accueillant le principe de la modération des pénalités de retard que demandait la requérante, le Conseil d’État apporte un certain assouplissement à sa très rigoureuse jurisprudence en matière de modération des pénalités de retard.

Le juge rappelle un principe essentiel du régime des pénalités de retard en écrivant que « les pénalités de retard prévues par les clauses d'un marché public (…) sont applicables au seul motif qu'un retard dans l'exécution du marché est constaté ». En d’autres termes elles sont dues dès qu’est constaté un retard dans les travaux, services ou livraisons « alors même que le pouvoir adjudicateur n'aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché (tel qu’il) résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi ».

Tout aussi classiquement, le juge rappelle que ce n’est qu’à titre exceptionnel qu’il peut être amené - sur demande expresse de l’une des parties - à réduire ou à augmenter leur montant lorsque celui-ci serait manifestement excessif ou dérisoire tant par rapport au montant global du marché qu’au regard du retard apporté à l’exécution du marché.

Il suit de là que le demandeur en modération des pénalités de retard doit « fournir aux juges tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif ». Or ici la cour administrative d’appel a rejeté la demande de modération motif pris de ce que la majeure partie des pénalités était consécutive aux retards provoqués par le sous-traitant de la société demanderesse et par son fournisseur. Elle a relevé en outre qu'il était loisible à la demanderesse d'engager une action contre ceux-ci devant le juge judiciaire en vue du recouvrement de la part des pénalités qui leur était imputable et dont le pourcentage avait été déterminé dans le cadre d'une expertise.

Pour casser sur ce point l’arrêt à raison de l’erreur de droit qui le fonde - et c’est là un des deux apports principaux de cette décision - le Conseil d’État juge que la cour devait seulement rechercher si la demande de modération des pénalités formulée par la société titulaire pouvait être accueillie au regard des règles susrappelées.

En second lieu, un autre aspect important de la décision doit être signalé ; il concerne le régime de répartition des pénalités de retard.

L’art. 20.7 du CCAG Travaux organise une répartition des compétences : c’est au maître de l'ouvrage seul qu’il revient de liquider le montant global des pénalités de retard dues par l'ensemble des entreprises, tandis que c’est au seul mandataire commun qu’il revient de répartir entre les entreprises les pénalités dont il fait l'avance jusqu'à ce qu'il ait fourni les indications nécessaires à leur répartition.

Dans le cas où le mandataire commun n’effectue pas lui-même cette répartition, le maître de l'ouvrage est tenu de lui imputer la totalité des pénalités et, conséquemment, sauf impossibilité de recouvrer effectivement le montant de ces pénalités sur le mandataire, le maître de l'ouvrage ne peut pas les imputer à une autre entreprise. Il suit de là également que l’accomplissement correct par le mandataire de sa charge de répartition des pénalités entre les entreprises interdit au maître de l’ouvrage de modifier cette répartition (cf. la jurisprudence de principe sur ce point : 17 mars 1999, Syndicat intercommunal Eau et assainissement de Pointe-à-Pitre-Abymes, n° 165595).

Chacune des sociétés membres d'un groupement conjoint peut contester l'existence de retards imputables au groupement ainsi que le principe ou le montant des pénalités de retard qui lui sont infligées par le maître d'ouvrage, dans le cadre du règlement financier de leur part de marché.

Lorsque ces sociétés entendent contester aussi la répartition des pénalités que le maître d'ouvrage a opérée entre elles conformément aux indications fournies par le mandataire commun, elles doivent d’abord trouver entre elles une résolution amiable et, à défaut d’accord, elles doivent présenter des conclusions dirigées contre les autres sociétés membres du groupement tendant au règlement, par le juge administratif, de la répartition finale de ces pénalités entre elles. Une telle action relève de la compétence du juge administratif (21 février 1986, Société de génie civil de l'Ouest, n° 19751).

Enfin, ces sociétés peuvent, en outre, uniquement si leur a été causé de ce chef un préjudice financier ou économique, rechercher la responsabilité du mandataire commun (18 avril 1984, Société d'entreprise générale de peinture S.O.G.E.P.) si elles estiment qu'il a commis une faute pour avoir communiqué au maître d'ouvrage des indications erronées, imprécises ou insuffisantes à l’origine de ce préjudice.

Dès lors qu’en l’espèce le maître de l’ouvrage a réparti le montant des pénalités conformément aux indications fournies par le mandataire commun, la société requérante ne pouvait pas contester cette décision du maître de l’ouvrage.

(2 décembre 2019, Société Giraud-Serin, n° 422615 et n° 425080, jonction)

 

22 - Marchés publics - Personne publique signataire devenue une personne privée - Litige né après ce changement de nature juridique - Contrat demeurant un contrat administratif - Annulation de l'ordonnance de référé et renvoi.

Le juge administratif des référés avait décliné la compétence des juridictions administratives au motif que le recours dont il était saisi avait été formé par une personne de droit privé en laquelle avait été transformée une personne morale jusque-là de nature publique et qu'ainsi le contrat, initialement un marché public par détermination légale, était devenu un contrat de droit privé ce dont résultait la compétence du juge judiciaire pour connaître du contentieux résultant de son exécution.

Le Conseil d’État casse cette ordonnance au motif que le contrat, initialement de droit public, n'a pas perdu cette nature du fait de la transformation des anciens offices publics d’aménagement et de construction (OPAC), personnes de droit public, en offices publics de l’habitat (OPH), personnes privées.

C'est le rappel du principe que la nature juridique d'un contrat s'apprécie au jour de sa conclusion.

(18 décembre 2019, OPH Gironde Habitat, n° 431364)

23 - Marchés publics - Marché de défense et de sécurité - Cas d'un marché de fourniture de pistolets pour l'exercice de missions de police en mer - Absence de caractère d’une mission de défense et de sécurité - Prohibition de principe des références aux marques, brevets ou types - Application en l'espèce - Rejet.

La ministre demanderesse au pourvoi en cassation contestait l'annulation, par le juge du référé précontractuel, de la procédure de passation d'un accord-cadre mono-attributaire à bons de commande en vue de la fourniture de pistolets semi-automatiques afin de répondre aux besoins du dispositif de contrôle et de surveillance des affaires maritimes.

Le Conseil d’État apporte deux réponses qui frappent par leur interprétation stricte - et justifiée - des textes.

Tout d'abord, alors que la ministre plaidait pour que la procédure litigieuse soit considérée comme portant sur un marché de défense et de sécurité, il lui est répondu que, devant satisfaire les besoins des missions de police en mer, il ne pouvait s'agir d'un marché de défense et de sécurité, nulle nécessité militaire n'étant ici en cause. Cette solution est justifiée par le caractère largement dérogatoire au droit commun des marchés publics qui est celui d'un tel marché, dérogation qui est donc d'interprétation stricte.

Ensuite, le premier juge avait estimé qu'en spécifiant dans le cahier des clauses techniques particulières que les pistolets à fournir devaient être conformes aux « 28 spécifications techniques principales », il avait été porté atteinte à l'interdiction d'exclure irrégulièrement a priori certains opérateurs, - dont la société demanderesse en première instance -, dès lors que certaines d'entre elles n'étaient pas justifiées par l'objet du marché. Il est approuvé par le Conseil d’État

(18 décembre 2019, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 431696)

 

24 - Marchés publics de prestations intellectuelles - Notion de réception de l’ouvrage - Notion de prestations indissociables de la réalisation de l’ouvrage - Travaux supplémentaires résultant d’une faute des maîtres d’œuvre - Rejet, le moyen contesté et fondé étant surabondant.

Le Conseil d’État était saisi d’un pourvoi dirigé contre un arrêt d’appel ayant estimé que la réception de l’ouvrage au terme du marché ne faisait pas obstacle à ce que la responsabilité contractuelle des maîtres d'œuvre soit recherchée à raison des fautes de conception qu'ils ont éventuellement commises.

En l’espèce, il s’agissait du marché de construction d’un hôpital où était en cause l’indemnisation des sociétés requérantes à raison de travaux supplémentaires, travaux liés ici à une faute des maîtres d’œuvre dans la conception de l’ouvrage. N’étaient contestés ni la nature des travaux, qui étaient « supplémentaires » au sens de la jurisprudence, abondante en la matière, ni le lien direct de causalité entre la faute des maîtres d’œuvre et la nécessité des travaux devant être réalisés en conséquence de cette faute.

Si la décision est classique tant dans son analyse en droit que dans ses constatations de fait relatives à l’existence et au régime des travaux supplémentaires, elle innove sur la question de la causalité. En effet, la cour estimait que la réception des travaux par le maître de l’ouvrage ne faisait pas obstacle à ce que soit recherchée par ce dernier la responsabilité à son égard de l’éventuelle faute contractuelle commise par les maîtres d’œuvre.

Au contraire, le Conseil d’État, faisant application de la théorie des prestations indissociables, juge que la réception de l’ouvrage vaut aussi réception des éléments qui en sont indissociables et que tel est le cas de la conception même de celui-ci. Il suit de là que, dans la présente affaire, ne pouvait plus être recherchée la responsabilité des maîtres d’œuvre.

Le caractère surabondant de ce motif de l’arrêt le fait échapper à la cassation.

(2 décembre 2019, Sociétés Guervilly, Puig Pujol Architecture et Bâti Structure Ouest, n° 423544)

 

25 - Concessions - Principe d'impartialité - Étendue et limites - Absence de violation en l'espèce - Cassation sans renvoi.

Après avoir rappelé qu' « Au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent à l'autorité concédante comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, dont la méconnaissance est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence », le Conseil d’État fait en l'espèce une application un peu décevante du principe ainsi énoncé.

Le juge du référé précontractuel avait estimé exister un manquement du Port autonome de la Nouvelle-Calédonie au principe d'impartialité du fait qu'il avait reporté la date limite de remise des offres à la demande de la Société d'économie mixte de la baie de la Moselle, alors que cette société, dont il détient 11,43% du capital, n'avait pas sollicité de renseignements complémentaires pour la remise de son offre. Pour censurer ce raisonnement, le Conseil d’État juge que « Toutefois, d'une part, le principe d'impartialité ne fait pas obstacle à ce qu'un acheteur public attribue un contrat de délégation de service public à une société d'économie mixte locale dont il est actionnaire, sous réserve que la procédure garantisse l'égalité de traitement entre les candidats et que soit prévenu tout risque de conflit d'intérêts. D'autre part, la seule circonstance qu'un candidat se soit abstenu de solliciter des renseignements complémentaires avant le délai de remise des offres n'est pas de nature à faire obstacle à ce que l'autorité concédante décide que des raisons objectives justifient la prolongation de ce délai ». Ceci est par trop laconique et insuffisant.

(18 décembre 2019, Port autonome de la Nouvelle-Calédonie (PANC), n° 432590 ; Société d'économie mixte de la baie de la Moselle (SODEMO), n° 432782)

 

26 - Délégation de service public - Impossibilité pour la collectivité délégante de porter atteinte à l'intégrité des offres reçues - Nature contractuelle prévalente - Délai de recours contre un contrat - Interruption du délai par la formation du recours administratif d'un tiers contre le contrat - Naissance d'un silence valant rejet de ce recours administratif - Prise d'une décision explicite de rejet par la suite - Réouverture du délai de recours contentieux - Rejet.

Le contentieux portait, dans cette affaire, sur la contestation, par l'Association de gestion des équipements sociaux (AGES), candidate évincée de la procédure, du contrat de délégation de service public conclu entre la communauté de communes de Sélestat avec l'association La Farandole, portant sur la gestion et l'exploitation des services de la petite enfance, et, subsidiairement, sur la demande de résilier ce contrat. Le juge de première instance donna raison, pour l'essentiel, à l'association requérante, ce jugement n'étant que très partiellement réformé en appel. La communauté des communes est demanderesse en cassation de cet arrêt.

On retiendra de la décision du Conseil d’État deux points importants, l'un relatif à la procédure contractuelle devant l'autorité administrative, l'autre concernant la procédure contentieuse.

En premier lieu, pour pouvoir comparer les offres reçues, la communauté de communes avait unilatéralement modifié ou complété l'une des offres. Ce comportement est bien évidemment déclaré irrégulier par le juge : le contrat administratif est fondamentalement un contrat non une variété d'acte unilatéral...

En second lieu, l'un des candidats évincés avait formé un recours gracieux contre la décision d'attribution de la délégation, celui-ci a bien été effectué dans les deux mois d'accomplissement des formalités de publicité du contrat. Il a donc interrompu le délai du recours contentieux qui n'a commencé à courir qu'à compter du jour où a été constituée une décision implicite de rejet de ce recours. Dans les deux mois de ce rejet implicite a été prise une décision explicite de rejet. C'est à compter de la publicité de cette dernière qu'a commencé à courir à nouveau le délai du recours contentieux et cela pendant deux mois. Le recours contentieux qui saisissait le juge de première instance n'était donc pas tardif contrairement à ce que prétendait la communauté demanderesse au pourvoi.

(20 décembre 2019, Communauté de communes de Sélestat, n° 419993)

 

27 - Marchés publics - Marché de prestations culinaires - Candidature irrégulièrement évincée - Conditions et champ de l'indemnisation du manque à gagner - Cas d'un marché conclu pour une durée fixe renouvelable - Indemnisation du seul préjudice certain - Cassation partielle.

Cette décision concerne un marché de prestations culinaires sur appel d'offres ouvert dont une des sociétés candidates, classée deuxième et dont l'offre a été rejetée, a réclamé l'annulation pour irrégularité ainsi que la réparation de son manque à gagner. En appel, le litige ne portait plus que sur ce second point, le pourvoi également.

Le marché a été conclu pour une période de douze mois renouvelable deux fois. La cour, estimant que la requérante avait des chances sérieuses d'obtenir le marché, avait indemnisé la société requérante pour les trois années d'exécution du contrat et c'est sur cette modalité de calcul que porte la cassation.

Le Conseil d’État estime que le manque à gagner n'est certain que pour une année non pour trois car énoncent les juges : « Dans le cas où le marché est susceptible de faire l'objet d'une ou de plusieurs reconductions si le pouvoir adjudicateur ne s'y oppose pas, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu'en tant qu'il porte sur la période d'exécution initiale du contrat, et non sur les périodes ultérieures qui ne peuvent résulter que d'éventuelles reconductions. » Il nous semble discutable de dire que des renouvellements sur tacite reconduction puissent être qualifiés de « reconductions éventuelles » alors que le contrat ne dit rien de semblable par exemple quant au caractère discrétionnaire de la décision de reconduction.

Seul le souci de protéger les deniers publics motive une telle solution

(2 décembre 2019, Groupement de coopération sanitaire du Nord-Ouest Touraine, n° 423936)

 

28 - Concessions - Critères de sélection des offres - Critères à caractère social - Conditions de régularité - Rejet.

Réitérant une solution déjà adoptée en matière de marchés publics (25 mai 2018, Nantes Métropole, n° 471580, point 7), le Conseil d’État reconnaît la régularité du recours d'une collectivité territoriale, dans le cadre d’une concession, à un sous-critère social tiré du nombre d'emplois locaux susceptibles d'être créés du fait de la gestion du port objet de cette concession. Il y met une double condition de bon sens mais importante : ce critère ou sous-critère ne doit pas être discriminatoire et il doit être en lien direct avec les conditions d'exécution du contrat, ceci afin de mettre le concédant en état de déterminer l'offre la plus avantageuse.

(20 décembre 2019, Société Edeis, venant aux droits de la société Lavalin, n° 428290)

 

29 - Marchés publics - Marché de travaux - Construction d'un paravalanche - Sous-traitant accepté - Paiement direct - Travaux supplémentaires - Conditions de délai - Rejet.

Il résulte des dispositions combinées de l'art. 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, dans sa version alors applicable, que le sous-traitant accepté doit, pour obtenir le paiement direct par le maître d'ouvrage de tout ou partie des prestations qu'il a exécutées dans le cadre de son contrat de sous-traitance, adresser en temps utile sa demande de paiement direct à l'entrepreneur principal, titulaire du marché. S'il se trouve dans l'hypothèse visée au deuxième alinéa de l'article 186 ter du code des marchés publics, il doit, en outre, adresser également cette demande au maître d'ouvrage.

Dès lors que cette demande a été adressée après la notification du décompte général du marché au titulaire de celui-ci, elle ne peut être considérée comme ayant été adressée en temps utile.

(2 décembre 2019, Société Fides, venant aux droits de la société EMJ, n° 425204)

 

30 - Contrat d'engagement conclu entre le bénéficiaire du RSA et le département qui le lui verse - Absence de nature contractuelle - Acte ne faisant pas grief - Recours irrecevable - Rejet.

Le contrat d'engagement conclu entre le futur bénéficiaire du RSA et le département qui le lui verse n'a pas la nature juridique d'un contrat nonobstant les dispositions des art. L. 262-35 et L. 262-36 du code de l'action sociale et des familles et en particulier malgré l'expression de « contrat librement débattu » dont use le législateur. Par ailleurs, cet acte n'ayant pas le caractère d'un acte faisant grief le recours de l'intéressée était irrecevable, motif de pur droit et d'ordre public que le juge de cassation substitue à celui des premiers juges, justifiant ainsi le dispositif de leur jugement.

(4 décembre 2019, Mme X., n° 418975)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

31 - Taux réduit de la TVA applicable aux œuvres d’art - Photographies - Artiste ou auteur d’une photographie - Droit de l’Union - Cas de l’espèce - Annulation et renvoi à la cour administrative d’appel.

La société requérante, qui réalise des photographies de portraits, de mariages, etc., a fait l’objet de rappels de TVA au motif qu’elle ne pouvait pas appliquer un taux réduit de TVA à des photographies ne pouvant pas être considérées comme des œuvres d’art, seules soumises à ce taux réduit. Ayant contesté en vain cette décision en première instance et en appel, la société se pourvoit. Après un renvoi préjudiciel à la CJUE et la réponse de celle-ci, le Conseil d’État donne gain de cause à la requérante.

Dans son arrêt du 5 septembre 2019 (Regards Photographiques SARL contre Ministre de l'Action et des Comptes publics, aff. C-145/18) interprétant à la fois les dispositions de l’art. 103 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA  et le  point 7 de la partie A de l'annexe IX, la CJUE a dit pour droit que les termes «  auteur » et « artiste », utilisés par eux désignent  la même personne, c’est-à-dire l’auteur d'une photographie, dès lors que celle-ci  remplit les conditions explicitement prévues à ce point 7 sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur le caractère artistique ou non des photographies.

D’où la cassation de l’arrêt en sens contraire.

(2 décembre 2019, Société Regards Photographiques, n° 400837)

 

32 - Action en décharge des droits et pénalités et des rappels de TVA - Apport d'actif d'une société à une autre - Soumission au régime fiscal des scissions de société - Sociétés devenus débitrices solidaires - Conséquence en cas d'irrégularité de l'avis d'une proposition de rectification - Cassation avec renvoi.

Après l'apport total d'actif d'une société à une autre, l'administration fiscale, à la suite d'une vérification de comptabilité, a notifié des rappels de TVA à la société absorbante, rappels qu'elle a contestés, en vain, en première instance et en appel. Cette dernière voit son pourvoi accueilli par le Conseil d’État car celui-ci aperçoit une erreur de droit dans l'arrêt d'appel en ce qu'il a jugé, pour écarter le grief tiré de l'irrégularité de la procédure d'imposition, que la vérification de comptabilité à laquelle cette dernière faisait référence concernait nécessairement la comptabilité de la société apporteuse non celle de la société bénéficiaire. Comme le relève très justement le juge de cassation, « une telle circonstance ne permettait pas d'établir que la proposition de rectification était effectivement parvenue à cette société et que, par suite, celle-ci avait notamment été mise à même de faire valoir ses observations avant la mise en recouvrement de l'imposition en litige. " La cour devait vérifier si l'erreur commise par l'administration dans la désignation de la société avec laquelle elle entendait engager la procédure contradictoire n'avait pas privé la société requérante d'une garantie.

(4 décembre 2019, SAS Saint Gilles Sud, devenue SAS Foncière Saint Gilles, n° 418414)

 

33 - Comptable public - Obligations de contrôle comptable - Conditions de sa responsabilité - Distinction entre manquement ayant causé un préjudice financier à l'organisme public concerné et manquement n'ayant pas causé un tel préjudice - Notion de faute du comptable public - Erreur de droit - Cassation partielle et renvoi dans cette mesure à la Cour des comptes.

L'agent comptable de l'ONIAM est déclarée débitrice, par la Cour des comptes, de diverses sommes envers cet organisme.

Saisi d'un pourvoi contre cet arrêt, le Conseil d’État énonce un certain nombre de règles réalistes s'éloignant quelque peu du fétichisme traditionnel envers le respect des formes en honneur à la rue Cambon, préférant se concentrer sur les notions de préjudice financier et de faute du comptable. Ceci a justifié la réunion de la section du contentieux.

Le juge de cassation pose en principe qu'il convient de distinguer selon que le manquement du comptable aux obligations qui lui incombent n'a pas causé de préjudice financier à l'organisme public concerné ou qu'il lui en a causé un.

Dans le premier cas, le juge des comptes peut obliger le comptable à s'acquitter d'une somme non rémissible. Dans le second cas, le comptable est mis en débet sur ses deniers personnels à concurrence du montant de l'entier préjudice financier causé à l'organisme concerné. Pour ce faire, il importe d'opérer une distinction chronologique : si le juge des comptes doit se placer à la date de la commission des faits ou de l'abstention pour déterminer le lien de causalité entre le manquement et le préjudice, il doit se placer à la date à laquelle il statue pour apprécier le montant du préjudice et, s'agissant d'un contrôle de plein contentieux, il doit tenir compte des éléments postérieurs à ce manquement.

Le Conseil d’État apporte également des précisions sur la notion, centrale on vient de le lire, de « préjudice financier ». Il faut entendre par là la vérification par le juge de ce que la correcte exécution, par le comptable, des contrôles lui incombant aurait permis d'éviter que soit payée une dépense qui n'était pas effectivement due.

Dès lors, deux cas se présentent.

En premier lieu, si le manquement porte sur l'exactitude de la liquidation de la dépense et qu'il en est résulté un trop-payé, ou le paiement d'une dépense en l'absence de tout ordre de payer ou d'une dette prescrite ou non échue, ou la privation d'effet libératoire du paiement, le comptable doit, normalement, être regardé comme ayant par lui-même causé un préjudice financier à l'organisme public concerné. 

En second lieu, il convient de distinguer deux sous-hypothèses.

1°/ Si le manquement porte seulement sur le respect de règles formelles (imputation budgétaire de la dépense ou existence, lorsqu'il est nécessaire, du visa du contrôleur budgétaire), le comptable doit être normalement regardé comme n'ayant pas par lui-même causé de préjudice financier à l'organisme public concerné.

2°/ Si le manquement du comptable concerne les autres obligations lui incombant (comme le contrôle de la qualité de l'ordonnateur ou de son délégué, de la disponibilité des crédits, de la production des pièces justificatives requises ou de la certification du service fait), il doit être regardé comme n'ayant, en principe, pas causé un préjudice financier à l'organisme public concerné lorsqu'il ressort des pièces du dossier, y compris d'éléments postérieurs aux manquements en cause, que la dépense repose sur les fondements juridiques dont il appartenait au comptable de vérifier l'existence au regard de la nomenclature, que l'ordonnateur a voulu l'exposer, et, le cas échéant, que le service a été fait.

Appliquant ce cadre général de contrôle aux données de fait et de droit de l'espèce, le juge de cassation relève que sur les cinq charges de débet retenues à l'encontre de l'agent par la Cour des comptes, deux l’ont été sur le fondement d'erreurs de droit.

(Section 6 décembre 2019, Mme X., n° 418741 ; V. aussi, très semblable, du même jour : Section, M. X., n° 425542 ; et encore, du 11 décembre : M. X., n° 420626)

 

34 - Bénéfices industriels et commerciaux - Détermination du bénéfice net - Imposition des pertes ou des profits résultant, à la date de clôture de l'exercice, de l'exécution de contrats à terme d'instruments financiers - Interprétation stricte de la loi fiscale dérogatoire - Règles applicables en cas de position symétriques - Cassation avec renvoi à la cour administrative d'appel.

Le Conseil d’État, donnant une interprétation particulièrement stricte de l'art. 38 (1° du 6) du CGI en vue de protéger au maximum le niveau des recettes fiscales, se prononce dans cette affaire sur le régime d'imposition des résultats de l'exécution de contrats à terme d'instruments financiers en cours à la clôture de l'exercice.

La notion de "pertes" sur contrat d'option en cours à la date de la clôture de l'exercice, doit s'entendre - pour le vendeur de l'option - de la seule marge déficitaire qui résulterait de l'exercice, à cette date, de l'option, c'est-à-dire de l'écart négatif constaté, le jour de la clôture, entre la valeur d'exercice convenue et le cours de l'actif sous-jacent. C'est pourquoi, pour préserver les recettes publiques, les dispositions du 3° de ce même 6 limitent le montant des pertes déductibles sur la position procédant de la détention de l'actif sous-jacent à leur fraction excédant les gains non encore imposés sur la position symétrique procédant de la souscription du contrat d'option. Inversement, la notion de "gains" ou de "profits" sur contrat d'option en cours à la date de la clôture de l'exercice, doit s'entendre - pour l'acheteur de l'option - de la seule marge bénéficiaire qui résulterait de l'exercice à cette date de l'option, c'est-à-dire de l'écart positif constaté, le jour de la clôture, entre la valeur d'exercice convenue et le cours de l'actif sous-jacent. Il s'ensuit que le montant des gains non encore imposés sur contrat d'option s'entend aussi de la marge bénéficiaire qui résulterait de l'exercice de l'option. Dès lors, et indépendamment du point de savoir à quel exercice doit être rattachée la charge correspondante pour l'acheteur de l'option, ce montant ne s'établit pas sous déduction de la prime versée par celui-ci en contrepartie de l'acquisition de l'option.

L'arrêt frappé de pourvoi est cassé pour avoir jugé - au prix d'une erreur de droit - que le calcul des gains non encore imposés prévu au premier alinéa du 3° du 6 de l'article 38 du CGI devait prendre en compte l'ensemble des coûts de l'opération, et notamment, déduire les primes versées lors de la souscription des contrats d'option.

(19 décembre 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 431066)

 

35 - Gestion de fait - Qualification d'une cession fictive comme étant une gestion de fait - Personne morale qualifiée de gestionnaire de fait en raison de sa connaissance du montage fictif et irrégulier d'une prétendue opération immobilière - Gestion de fait possible sans manipulation de deniers publics - Rejet.

La qualification de gestionnaire de fait peut-être donnée à toutes les personnes qui ont contribué à la mise en place de la gestion de fait alors même qu'elles n'auraient pas elles-mêmes manipulé des deniers publics ; il suffit qu'elles aient directement ou indirectement participé aux irrégularités constitutives d'une gestion de fait ou que, par leur inaction ou tolérance, elles les aient facilitées.

En l'espèce, la société requérante ayant connu la dissimulation au comptable public du caractère fictif de l'opération présentée comme une cession des biens et du fonds de commerce d'une clinique, était donc au courant du caractère injustifié du paiement litigieux comme de l'existence d'une convention d'occupation précaire ; elle doit donc être déclarée gestionnaire de fait et cela d'autant plus qu'elle était la principale bénéficiaire de ces irrégularités.

C'est donc sans erreur de droit ni de qualification juridique des faits que la Cour des comptes a jugé qu'en l'absence de transfert réel des biens incorporels à l'hôpital et de contrepartie réelle à cette partie de l'acquisition, celle-ci était purement fictive et caractérisait une gestion de fait.

(18 décembre 2019, Société de gestion des cliniques d'Épinal réunies (SOGECLER), n° 416819)

 

36 - Imposition sur les bénéfices industriels et commerciaux - Régime du report en arrière des déficits - Cas d’une société à la tête d’un groupe fiscalement intégré, puis devenue autonome, enfin devenue membre d’un groupe fiscalement intégré - Impossibilité de confusion des reports - Cassation partielle avec renvoi à la cour.

Une société est, en 2005, à la tête d’un groupe fiscalement intégré comportant une seule filiale puis elle l’absorbe et devient autonome en 2006 et 2007 avant de redevenir, en 2008, société mère d’un groupe fiscalement intégré.

Elle prétend bénéficier des dispositions des art. 223 A et 223 G (1) du CGI et donc de l’imputation des déficits sur le bénéfice réalisé les années antérieures ; ayant essuyé un refus de l’administration fiscale, elle saisit le juge.

Le Ministre demandeur se pourvoit contre l’arrêt d’appel qui a donné partiellement raison à cette société après que les premiers juges ont rejeté son recours.

Le Conseil d’État censure l’arrêt d’appel au motif qu’il découle des dispositions précitées du CGI, qui sont d’interprétation stricte, que le déficit d'ensemble d'un groupe fiscalement intégré, qui est déclaré au titre d'un exercice par sa société mère, ne peut être imputé, s'agissant des exercices antérieurs à la constitution de ce groupe, que sur les bénéfices qui ont été déclarés, en propre, par cette société.

La solution est logique.

(2 décembre 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 420910)

 

37 - Amende pour dissimulation ou travestissement d'identité ou pour acceptation de l'utilisation d'une identité fictive ou d'un prête-nom - Art. 1737 CGI - Personne ayant la charge de l'amende - Auteur ou destinataire de la facture - Rejet.

Le Conseil d’État juge que l'amende prévue à l'art. 1737 du CGI, destinée à réprimer  «  le fait de travestir ou dissimuler l'identité ou l'adresse de ses fournisseurs ou de ses clients, les éléments d'identification mentionnés aux articles 289 et 289 B et aux textes pris pour l'application de ces articles ou de sciemment accepter l'utilisation d'une identité fictive ou d'un prête-nom », peut être infligée soit à l'auteur de la facture soit à la personne destinataire de la facture, dès lors que l'une d'elles se trouve dans l'une des situations envisagées par cet article.

(19 décembre 2019, Société DMS, n° 423263)

 

38 - Impôt sur les sociétés - Retenue à la source sur les rémunérations de prestations fournies ou utilisées en France - Cas des sociétés étrangères non installées de façon permanente en France - Exercice de la retenue à la source même en cas de résultats déficitaires - Inégalité de traitement fiscal fondée sur la nationalité des sociétés - Absence d'inconstitutionnalité selon le Conseil constitutionnel - Conséquences - Rejet.

L'art. 182 B du CGI dispose que les rémunérations versées par des sociétés étrangères n'ayant pas d'installation permanente en France à propos de prestations fournies ou utilisées en France font l'objet d'une retenue à la source de 33,33% même lorsqu'elles sont en situation déficitaire. Au contraire, en pareil cas, les sociétés installées en France sont dispensées, à due concurrence du déficit, de cette retenue à la source.

La société requérante avait vu dans ce traitement inégalitaire, avec grande raison, une inconstitutionnalité au regard du principe d'égalité devant les charges publiques tel que le définit l'art. 13 de la Déclaration de 1789. Le Conseil d’État (25 février 2019, n° 412497) avait estimé qu'en effet se posait ainsi une question sérieuse justifiant qu'elle fût renvoyée au Conseil constitutionnel. Celui-ci (C.C. n° 2019-784 QPC du 24 mai 2019, même requérante) ne l'a pas entendu ainsi et, se fondant, sur une argumentation mêlée de considérations de natures diverses et quelque peu touffues, a jugé cette disposition non contraire à la Constitution. Le Conseil d’État en tire donc volens nolens les conséquences.

(4 décembre 2019, Société Cosfibel Premium, auparavant dénommée Mandalay Prestige, n° 412497)

 

39 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Détermination de la valeur locative des locaux assujettis - Notion d’activité commerciale - Absence - Obligation de recourir à la méthode comparative de l’art. 1496 du CGI - Annulation du jugement contraire.

Il résulte des termes mêmes de la loi (art. 2 et 22 et I de l'art. 7 ter de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 décembre 1945) que les activités des associations de gestion et de comptabilité ont un caractère non commercial. Il suit de là que, pour la détermination de la valeur locative des locaux de ces associations affectés à cette activité, s’appliquent les dispositions du I de l’art. 1496 du CGI et celles du 1 de l’art. 92 du CGI et non celles de l’art. 1498 du CGI, contrairement à ce qu’avait jugé en l’espèce, au prix d’une erreur de droit, le tribunal administratif.

(2 décembre 2019, Centre départemental d'économie rurale des exploitations agricoles de la Marne, n° 423626)

 

40 - Règle du rattachement à l'exercice - Commission bancaire pour frais de dossier portant sur plusieurs exercices - Absence de prestation continue - Rattachement obligatoire à l'année de la date de proposition de prêt bancaire - Rejet.

Les commissions pour frais de dossier perçues par l'établissement bancaire à l'occasion de l'octroi d'un prêt rémunèrent la prestation d'instruction du dossier de demande de ce prêt qui prend fin à la date de la proposition de prêt par l'établissement bancaire et cela alors même que le montant de ces commissions est fixé en fonction du montant du prêt accordé et pris en compte pour la détermination du taux effectif global et que leur paiement conditionnerait l'octroi du prêt.

Il suit de là que c'est sans erreur de droit ni inexacte qualification des faits que la cour a, en l'espèce, jugé que, ne pouvant être regardées comme fournies jusqu'au terme du prêt accordé, ces commissions ne pouvaient pas être regardées comme la contrepartie d'une prestation continue au sens du a du 2 bis de l'article 38 du CGI et que, par suite, elles devaient être rattachées à l'exercice au cours duquel elles étaient perçues, conformément au premier alinéa du 2 bis de l'article 38.

(4 décembre 2019, Société Crédit agricole, n° 420414)

 

41 - Proposition de rectification en matière d'impôts - Précisions que doit comporter cette proposition - Possibilité de se référer à une précédente proposition résultant d'un contrôle antérieur - Obligation d'identification précise de la proposition de référence - Insuffisance en l'espèce - Cassation avec renvoi dans cette mesure de l'arrêt d'appel faisant litière de cette circonstance.

S'il est loisible à l'administration fiscale, procédant à une proposition de rectification, de se borner à se référer aux motifs retenus dans une proposition de rectification, ou une réponse à ses observations, consécutive à un précédent contrôle et qui lui a été régulièrement notifiée, c'est à l'expresse condition qu'elle identifie précisément la proposition ou la réponse en cause et que celle-ci soit elle-même suffisamment motivée. Commet donc une erreur de droit l'arrêt qui juge suffisamment motivée une proposition du fait seulement de sa référence à une décision antérieure de rectification qui n'était pas jointe à la seconde proposition.

(4 décembre 2019, Société Rellumix, n° 424178)

 

42 - Taxe d'aménagement - Contribution des constructeurs aux dépenses d'équipement public - Abattement de taxe pour divers motifs - Cumul d'abattements impossibles pour les mêmes locaux - Cumul possible en cas d'abattements distincts appliqués à des locaux distincts y compris au sein d'une même construction - Cassation partielle et renvoi dans cette mesure au tribunal administratif.

Une société de construction a sollicité un abattement de taxe d'aménagement (art. L. 331-12 code de l'urbanisme) alors qu'elle avait déjà bénéficié d'un tel abattement au titre de la construction de logements sociaux, cela lui est refusé et le premier juge confirme la légalité de ce refus. Le Conseil d’État, saisi par la société, aperçoit une erreur de droit dans cette analyse car l'article précité du code de l'urbanisme distingue deux hypothèses d'abattement de la taxe d'aménagement : le tribunal administratif ne pouvait donc pas écarter l'éligibilité de la société au second chef d'abattement sans s'être au préalable assuré s'il était sollicité pour les mêmes locaux que ceux ayant déjà bénéficié d'un abattement ou pour d'autres au sein de la même construction. D'où le prononcé d'une cassation partielle portant précisément sur ce point.

(19 décembre 2019, Société civile de construction vente (SCCV) Capitole Promotion, n° 419800)

 

43 - Nouvelle-Calédonie - Impôt sur les sociétés - Impôt sur le revenu des valeurs mobilières - Bénéfices réalisés sur les produits d'assurance - Double imposition pour les sociétés n'ayant pas leur siège en Nouvelle-Calédonie - Interprétation neutralisante - Rejet.

La société requérante conteste la double imposition instituée de fait par la loi du pays de Nouvelle-Calédonie du 16 janvier 2007 pour les sociétés commercialisant des produits d'assurance n'ayant pas la qualité d' « entreprises exploitées en Nouvelle-Calédonie » (art. 15 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie). Ainsi, une entreprise ayant un établissement stable seulement en France continentale serait doublement taxée, en France continentale et en Nouvelle-Calédonie.

Le Conseil d’État, pour faire échapper ce texte à la censure, en donne une interprétation   neutralisante en jugeant que la définition donnée par le texte précité « n'est susceptible de s'appliquer qu'aux entreprises ayant un établissement stable dans un État autre que la France », ce qui n'allait pas de soi en dépit des dispositions de l'art. 7 de la convention conclue entre le gouvernement de la République française et le conseil de gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale, approuvée par la loi du 26 juillet 1983, ce qui lui confère une valeur législative.

(18 décembre 2019, Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), n° 429996)

 

44 - Impôts sur les revenus et sur les bénéfices - Détermination de l'actif - Théorie du bilan - Charges et bénéfices délibérément non comptabilisés - Erreurs non rectifiables - Absence d'obligation pour le juge saisi d'établir le motif de ces omissions et erreurs - Rejet.

Le Conseil d’État rappelle que, sauf dans le cas où elles sont incertaines à la date de clôture de l'exercice, les charges d'un exercice donné doivent être prises en compte pour établir la valeur ajoutée taxable de l'entreprise. En l'espèce, ni la société mère n'a comptabilisé en charge les prestations réalisées pour ses filiales ni ces dernières n'ont porté en bénéfices les prestations ainsi reçues. De ce que cela constituait une erreur comptable délibérée il s'en déduit l'impossibilité d'en demander la rectification.

Pour autant, la cour n'avait pas à prouver ou à établir le(s) motif(s) de ces omissions, volontaires au demeurant.

(19 décembre 2019, Société Veolia Eau - Compagnie Générale des Eaux, n° 419968 ; Société Veolia Propreté, n° 419970, jonction)

45 - Taxe de balayage - Ville de Paris - Calcul de l'assiette de la taxe - Cas d'un immeuble situé au croisement de deux rues, celles-ci étant, en outre, d'inégale largeur - Erreur de droit - Annulation du jugement avec renvoi.

Se prononçant sur les conditions de détermination de la taxe de balayage imposée aux immeubles riverains des voies publiques, cette décision est pittoresque par l'application qu'elle fait des règles de géométrie et de projection d'angles dans le cas d'un immeuble présentant la double particularité de se situer au croisement de deux voies et celles-ci étant d'inégale largeur.

(19 décembre 2019, Ville de Paris, n° 426315 ; v. aussi, du même jour : Société Acom, n° 427875)

46 - Impôts sur les sociétés - Revenus distribués et donc soumis à l'impôt - Notion de revenus distribués - Exercice présenté comme déficitaire mais devenu bénéficiaire par suite de réintégrations opérées par l'administration - Inexistence d'une présomption de distribution des bénéfices - Annulation de l'arrêt d'appel avec renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui présume la distribution, aux associés d'une Sarl, d'un bénéfice résultant de ce que l'exercice initialement établi comme déficitaire est devenu bénéficiaire par suite de la prise en compte par l'administration, d'une part, de recettes non comptabilisées et d'autre part, de charges non justifiées ainsi que d'une variation négative des stocks.

En effet, l'art. 109, 1, 1° du CGI n'établit pas une présomption de distribution. Il convenait donc pour la taxer de la prouver.

(19 décembre 2019, Sarl SOCOPRIM, n° 429309 ; v. aussi, sur cette affaire et du même jour : M. et Mme X., n° 429310)

 

47 - Régime fiscal du bénéfice mondial consolidé - Fraction d’impôts étrangers non imputée sur le montant de l’impôt sur les sociétés du pour une année donnée - Règle du report - Extinction du régime du bénéfice mondial consolidé - Absence d’effets sur la possibilité du report - Cassation sans renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge que la fraction des impôts étrangers acquittés au cours des exercices d'application du régime du bénéfice mondial consolidé qui n'avait pu être imputée sur l'impôt sur les sociétés dû par l'entreprise agréée au cours de ces exercices cessait d'être reportable dès sa sortie de ce régime.

Tout d’abord, il découle clairement des dispositions de l'article 122 bis de l'annexe II au CGI, que la fraction des impôts étrangers dus au titre d'un exercice qui n'a pu être imputée sur le montant de l'impôt sur les sociétés dû par la société agréée au titre de cet exercice est placée en report et peut être imputée sur l'impôt sur les sociétés dû par la même société au titre des cinq exercices suivants, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que la société ne bénéficierait plus, au titre des exercices en cause, du régime du bénéfice mondial consolidé, notamment du fait de l'extinction de ce dernier, et que, par suite, elle ne peut plus imputer les impôts étrangers afférents à l'exercice considéré.

Ensuite, les dispositions qui régissaient ce mode d’imposition (art. 122, 1, de l’annexe II du CGI et art. 132 de cette annexe) sont demeurées applicables aux sociétés agréées jusqu'à l'extinction des effets du régime du bénéfice mondial consolidé auxquels elles peuvent prétendre, sans qu'ait d'incidence la circonstance qu'elles ont été déclarées périmées par le décret du 3 juin 2013 portant incorporation au code général des impôts et au code des douanes de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ces codes.

(19 décembre 2019, Société Vivendi, n° 426730)

 

48 - Impôt sur les revenus et sur les bénéfices - Revenus de capitaux mobiliers - Notion de revenus distribués - Solde débiteur d’un compte courant d’associés - Variation prise en compte pour l’imposition éventuelle - Différence positive devant seule être retenue - Erreur de droit - Cassation sans renvoi.

Il résulte des dispositions combinées de l’art. 109 et du 3° de l’art. 120 du CGI que doivent être regardés comme des revenus distribués, sauf preuve contraire, les montants des soldes débiteurs des comptes courants ouverts dans les écritures d'une société au nom de ses associés, actionnaires ou porteurs de parts au 31 décembre de l'année en cause.

Par ailleurs, en cas de variation de ce solde d'une année civile sur l'autre, seule la différence positive entre ces deux soldes peut légalement être incluse dans le revenu imposable de l'associé, l'actionnaire ou le porteur de parts pour l'année en cause.

(27 décembre 2019, M. et Mme X., n° 420478)

 

49 - Impôts sur les revenus et sur les bénéfices - Revenus distribués - Notion - Avantage occulte - Vente en l’état futur d’achèvement - Libéralité imposable dès la conclusion de la vente - Rejet.

La vente d’un bien à un prix sous-évalué constitue pour l’acquéreur un avantage occulte qui doit être imposé, au titre de l'impôt sur le revenu et de contributions sociales, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers (en vertu du c de l’art. 111 du CGI).

Bien qu’en l’espèce la vente portait sur un immeuble en l’état futur d’achèvement dont l’acquéreur ne devenait propriétaire de chacune des tranches de construction qu’au fur et à mesure de leur livraison, l'acquéreur devait être regardé comme ayant disposé de la fraction de ce prix constitutive d'une libéralité dès la conclusion de la vente et sans attendre la livraison du bien.

(27 décembre 2019, M. et Mme X., n° 420819)

 

50 - Impôts sur les bénéfices industriels et commerciaux - Exonérations d’entreprises installées et exerçant en zones franches urbaines - Conditions - Non-respect de ces conditions - Exonération impossible - Rejet.

Une société qui exerce une activité de négoce de sel de déneigement à destination d'entreprises et de collectivités locales ainsi qu'une activité accessoire de vente de paillis de bois entendait bénéficier du régime d'exonération institué en faveur des sociétés créant ou exerçant une activité dans une zone franche urbaine (art. 44 octies A du CGI) ; elle invoquait le fait qu’elle avait établi son siège social dans une telle zone.

Pour contester cette interprétation de l’article précité, l’administration fiscale faisait valoir que le bénéfice de l’exonération était subordonné, selon les termes mêmes de la loi fiscale, d’une part à ce que l’entreprise exerce son activité dans la zone franche urbaine, d’autre part à ce qu’elle dispose des moyens d’exploitation nécessaires à l’exercice effectif de cette activité.

Tel n’était pas le cas en l’espèce où le stockage des marchandises commercialisées par la société et l'ensemble de l'activité logistique étaient sous-traités à deux sociétés établies en dehors de la zone franche urbaine et où, dans le siège social où n’exerçait qu’une seule salariée, secrétaire commerciale en charge d'activités commerciales et administratives, n’avaient lieu ni accueil des clients ni exercice, par le président de la société, d’une quelconque activité.

(27 décembre 2019, SAS Univer’sel, n° 422558)

 

Droit public économique

 

51 - Aide à l'acquisition de véhicules "propres" - Réclamation d'un indu - Conditions - Absence en l'espèce - Cassation avec renvoi.

Le décret du 26 décembre 2007 a créé une aide à l'acquisition de véhicules propres en confiant au vendeur des véhicules un double contrôle : celui de l'éligibilité de l'acquéreur de véhicules à cette aide et la vérification que le bénéficiaire a souscrit un engagement à cette fin.

L'administration (Agence de services et de paiement) a entendu réclamer à la société requérante le remboursement de l'indu qu'elle avait perçu au motif qu'elle n'avait pas rempli les obligations découlant pour elle des dispositions du décret précité de 2007. En réalité, il lui était reproché de ne pas s'être assurée de ce que le comportement des acquéreurs de véhicules après l'acquisition ne respectait pas les engagements pris. Sur pourvoi contre un jugement et un arrêt la déboutant, le Conseil d’État juge que les reproches faits ne sont pas justifiés car les obligations incombant à la société ne trouvent à s'appliquer qu'au moment de la cession de chaque véhicule non après celle-ci. D'où la cassation prononcée. L'indu ne pouvait être réclamé qu'en cas de manquement lors de la vente point après celle-ci.

 (11 décembre 2019, Société Nissauto, n° 424801)

 

52 - Vins d'appellation d'origine contrôlée (AOC) - Inspection de l'appellation - Contrôle vinificateur - Obligation de conservation seulement du fût où a été prélevé l'échantillon - Durée de la conservation - Rejet.

Lorsqu'un opérateur fait l'objet d'un contrôle dit vinificateur en application de l'article IV.2.1. du plan d'inspection d’une appellation d'origine contrôlée (AOC, ici Bordeaux-Bordeaux supérieur) il est tenu, en vertu de la réglementation applicable (art. D. 644-2 du code rural et de la pêche maritime), de conserver ses vins en l'état jusqu'aux résultats du contrôle.

Il faut entendre par là non pas la date à laquelle le directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) lui notifie, le cas échéant, la sanction prise à la suite de ce contrôle mais la date à laquelle l'organisme de contrôle lui communique les résultats des examens analytiques et organoleptiques menés par prélèvements sur échantillon.

(19 décembre 2019, M. X. n° 418500)

 

53 - Dénominations enregistrées et protégées - Protection contre les risques d'évocation - AOP " Jambon sec de Corse - Prisuttu " - IGP " Jambon sec de l'Ile de Beauté " - Absence de risque de confusion et d'évocation en raison des règles différentes de protection - Lien causal entre aire géographique et qualité ou caractéristiques du produit - Rejet.

Rejetant le recours dont il avait été saisi par un syndicat professionnel de productions agricoles, le Conseil d’État juge que la création, à côté de l'appellation d'origine protégée (AOP) " Jambon sec de Corse - Prisuttu ", d'une indication géographique protégée (IGP) dénommée " Jambon sec de l'Ile de Beauté ", n'entraîne pas un risque de confusion ou d'évocation. D'abord, les régimes juridiques et la portée des protections instituées sont différents pour une AOP et pour une IGP. Ensuite, l'IGP « n'est pas une simple indication de provenance géographique ».

Enfin, doit être écarté l'argument selon lequel l'arrêté attaqué serait entaché d'une erreur d'appréciation en ce qu'il n'établirait pas l'existence du lien causal requis entre l'aire géographique et la qualité ou les caractéristiques du produit.

 (19 décembre 2019, Syndicat de défense et de promotion des charcuteries corses « Salameria Corsa », n° 421818)

 

54 - Indication géographique protégée (IGP) - Homologation du cahier des charges d'une IGP "Sel de Camargue" - Procédure nationale d'opposition à une demande de reconnaissance d'une indication géographique - Portée - Composition et contenu du cahier des charges de l'IGP - Rejet.

L'Association française des producteurs de sel marin de l'Atlantique a demandé l'annulation de l'arrêté interministériel (agriculture et finances) relatif à l'homologation du cahier des charges concernant les dénominations " Sel de Camargue " et " Fleur de sel de Camargue " en vue de la transmission à la Commission européenne d'une demande d'enregistrement en tant qu'indication géographique protégée.

Parmi les divers griefs développés par les auteurs du recours et par les personnes publiques intervenantes, deux retiennent l'attention.

En premier lieu, l'article R. 641-13 du code rural et de la pêche maritime institue une procédure nationale d'opposition d'une durée de deux mois organisée par le directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) après avis du comité national compétent. Les requérants soutenaient, assez logiquement nous semble-t-il, que s'agissant d'une garantie de la procédure préalable applicable à la reconnaissance d'une indication géographique protégée, le non-respect de l'obligation imposée d'informer les opposants sur les suites données à leurs oppositions entache d'irrégularité la procédure. Le Conseil d’État ne l'a pas jugé ainsi dans la mesure où il considère que cette obligation d'informer les opposants n'est pas prescrite à peine de nullité de l'arrêté subséquent homologuant le cahier des charges en vue de la reconnaissance de cette indication géographique.

En second lieu, il était également soutenu un risque de confusion entre l'appellation, déjà existante et reconnue comme IGP, de "Fleur de sel de Guérande" avec celle, litigieuse, en cours de création, de "Fleur de sel de Camargue". Le Conseil d’État rejette l'argument au double motif, d'une part, qu'il n'existait, à la date de l'arrêté attaqué, aucune définition légale de la fleur de sel ou de sa méthode d'obtention, applicable en France à la généralité des produits et, d'autre part, que les différences susceptibles d'exister entre les deux produits résultent des conditions de production propres à l'aire géographique concernée, ce dont le cahier des charges a précisément pour objet d'informer les consommateurs.

(27 décembre 2019, Association française des producteurs de sel marin de l'Atlantique (AFPS) et autres, n° 425492 ; v. aussi, du même jour, l’arrêt de rejet à propos de la contestation par une association de producteurs de vins de Bourgogne en Beaujolais de l’arrêté ministériel  modifiant le cahier des charges de l’appellation d'origine contrôlée " Bourgogne "  en tant que le cahier des charges qu'il homologue impose : 1°/ de faire suivre le nom de l'appellation d'origine contrôlée " Bourgogne " de l'indication " gamay " pour les vins issus des aires parcellaires délimitées relevant des appellations d'origine contrôlée " Brouilly ", " Chénas ", " Chiroubles ", " Côtes de Brouilly ", " Fleurie ", " Juliénas ", " Morgon ", " Moulin-à-Vent", " Régnié " et " Saint-Amour ", 2°/ de maintenir la proportion du cépage gamay N à un niveau inférieur ou égal à 30 % dans l'encépagement et dans l'assemblage des vins et 3°/ d'inscrire l'indication " gamay " immédiatement au-dessous du nom de l'appellation d'origine contrôlée avec des caractères dont les dimensions, aussi bien en hauteur qu'en largeur, sont égales à celles des caractères du nom de l'appellation d'origine contrôlée : 27 décembre 2019, Association des producteurs de Bourgogne en Beaujolais, n° 417160)

 

55 - Productions viticoles - Cotisation professionnelle des vins de France comportant mention du cépage et/ou du millésime - Fixation par un accord interprofessionnel triennal - Avenant à cet accord - Refus ministériel d'extension de l'avenant - Étendue du contrôle exercé par l'État sur les décisions relatives aux cotisations - Annulation.

L'organisation interprofessionnelle agricole requérante (ANIVIN de France), qui est une organisation reconnue sur le fondement de l'article L. 632-1 du code rural et de la pêche maritime (CRPM), a adopté en 2018 un avenant à l'accord interprofessionnel de 2016, dont l'objet est d'augmenter le taux des cotisations interprofessionnelles auxquelles sont assujettis les vins comportant certaines mentions. Elle a demandé au ministre de l'agriculture qu'il procède à l'extension de cet avenant, ce qui a été refusé, ce refus ayant été confirmé par le rejet implicite du recours gracieux contre celui-ci. Étaient donc demandées les annulations du refus d'extension et du rejet du recours gracieux dirigé contre ce refus.

L'essentiel de l'argumentation se concentrait sur la légalité interne de ces refus et rejet : celle-ci portait d'abord sur le degré du contrôle que peuvent exercer les pouvoirs publics sur les décisions prises en matière de cotisation, ensuite sur les motifs susceptibles de fonder validement l'exercice de ce contrôle.

En premier lieu, le juge estime que le contrôle exercé par le ministre de l'agriculture sur la décision de l'ANIVIN de France d'augmenter le montant de certaines contributions volontaires obligatoires (prévues à l'art. D. 632-4 du CRPM) ne peut porter que sur la régularité des conditions dans lesquelles a été prise la décision et sur sa conformité à la loi car une telle cotisation demeure une créance de droit privé.

En second lieu, le juge exerce un contrôle plein et entier sur les motifs qui déterminent une décision relative aux cotisations étant entendu qu'il ne peut s'opposer à une extension qu'en cas de disproportion manifeste entre les besoins à couvrir le taux d'augmentation des cotisations. Ici, n'est nullement démontrée cette disproportion manifeste. De plus, le ministre ne pouvait, contrairement à ce qu'il a fait en l'espèce, tenir compte - en se trompant d'ailleurs sur son interprétation - de l'état des finances de l'ANIVIN de France. Enfin, il ne pouvait subordonner sa décision d'extension, ou non, de l'avenant, à ce que l'augmentation ne couvre que les actions bénéficiant spécifiquement aux vins en cause, c'est-à-dire ceux vendus avec mention de cépage et/ou de millésime.

Le refus d'étendre l'avenant est annulé et il est fait injonction à son auteur de réexaminer la demande dans un délai de deux mois.

(27 décembre 2019, Association nationale interprofessionnelle des vins de France (ANIVIN de France), n° 422958)

 

Droit social et action sociale

 

56 - Licenciement d’un salarié protégé - Recours hiérarchique - Détermination du point de départ du délai de recours contentieux - Obligation de mentionner les voies et délais de recours - Existence en l’espèce - Rejet du pourvoi.

Cette décision tranche une question procédurale rendue complexe par l’imbrication de textes divers ne poursuivant pas les mêmes objectifs. En effet, pour y répondre il faut mobiliser les articles R. 411-1, R. 421-1, R. 421-5, le premier alinéa de l'article R. 421-2 du CJA, l'article R. 2422-1 du code du travail, le premier alinéa de l'article 18, les premier, troisième et quatrième alinéas de l'article 19 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et le dernier alinéa de l'article 1er du décret n° 2001-492 du 6 juin 2001… Reconnaissons que cela fait beaucoup et même, en pays prétendu cartésien, que cela fait un peu désordre.

Le Conseil d’État déduit de cet ensemble que les délais de recours contentieux contre une décision administrative prise en matière d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, soit dans sa notification si la décision est expresse, soit dans l'accusé de réception de la demande l'ayant fait naître si elle est implicite.

Lorsque l’intéressé exerce un recours hiérarchique devant le ministre la solution est identique bien que, d’une part, la décision du ministre sur recours hiérarchique ne se substitue pas à celle de l’inspecteur du travail, et d’autre part, le recours hiérarchique ne constitue pas en cette matière un préalable obligatoire au recours contentieux.

En l’espèce, l'accusé de réception du recours hiérarchique du requérant répondant aux conditions susexposées, l'intéressé disposait d'un délai de deux mois à compter de la décision implicite de la ministre du travail. Il ne pouvait donc échapper à ce que lui soit opposée l’exception de forclusion.

(2 décembre 2019, M. X., n° 415470)

 

57 - Droit au logement opposable - Carence de l’État - Recours en indemnisation - Absence de nature de contentieux social - Juridiction administrative compétente - Cassation avec renvoi.

Les demanderesses, mère et sœurs d’une personne dont elles sont les héritières, qui avait été reconnue prioritaire et comme devant être relogée en urgence, sur le fondement de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation, par la commission de médiation de Paris, recherchent la responsabilité de l’État en raison de ce que sa carence aurait contraint la défunte à demeurer dans un logement insalubre, situation qui serait la cause directe de son décès. Déboutées en première instance devant le tribunal administratif de Paris elles saisissent le Conseil d’État d’un pourvoi.

Le litige portait sur la question de savoir si le tribunal avait en l’espèce statué en premier et dernier ressort ce qui aurait justifié la saisine directe du Conseil d’État ou bien si, selon la procédure ordinaire, il avait statué seulement en première instance sous réserve d’appel lequel doit alors être porté devant la cour administrative d’appel. La difficulté vient de ce que dans les contentieux sociaux (requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d'emploi) le code de justice administrative (art. R. 772-5 et suivants) a prévu, dans un souci de simplification et de célérité, la compétence de premier et de dernier ressort du tribunal administratif.

Mais le litige dont le Conseil d’État était ici saisi ne portait point sur un contentieux social puisqu’il était relatif à la réparation des préjudices imputés à la carence de l'État à exécuter une décision de la commission de médiation déclarant un demandeur prioritaire et devant être logé en urgence. Le tribunal avait donc statué seulement en premier ressort sous réserve d’appel, ce dernier devant être exercé exclusivement devant la cour administrative d’appel : c’est à cette dernière que l’affaire est renvoyée.

(31 décembre 2019, Mme X. et autres, n° 432867)

 

58 - Contentieux général de la sécurité sociale - Contestations relatives à l'allocation journalière d'inaptitude et au paiement d'arriérés de cotisations sociales - Compétence du juge judiciaire - Rejet du référé selon la procédure expéditive (art. L. 522-3 CJA).

Saisi d'une requête portant sur l'allocation journalière d'inaptitude et sur le paiement d'arriérés de cotisations sociales, lesquels relèvent de la compétence du juge judiciaire par détermination de la loi (dispositions combinées des art. L. 142-1 et L. 142-8 du code de la sécurité sociale), le juge administratif des référés peut la rejeter selon la procédure expéditive de l'art. L. 522-3 CJA, sans instruction et sans audience.

(9 décembre 2019, M. X., n° 436455)

 

59 - Conventions collectives - Extension d'un avenant - Extension par le ministre du travail de clauses comportant des obligations relevant du domaine de la loi - Légalité - Rejet.

Il faut surtout retenir de cette décision, rendue après renvoi préjudiciel à la Cour de Paris  dont la réponse a été cassée par la Cour de cassation, que le ministre du travail peut, sur le fondement de l'art. L. 2261-15 du code du travail, dérogeant au principe de l'effet relatif des contrats, étendre les clauses d'un avenant à une convention collective alors même que ces clauses emporteraient des obligations dont certaines relèvent de la compétence du seul législateur en vertu de l'art. 34 de la Constitution.

La solution peut être discutée au regard des principes qui fondent et justifient la hiérarchie des normes.

(16 décembre 2019, Société Allianz I.A.R.D. et Société Allianz Vie, n° 396001)

60 - Arrêté ministériel d'extension d'une convention collective - Convention collective illégale pour défaut de clause de réexamen - Nullité de l'arrêté par voie de conséquence - Annulation.

L'arrêté ministériel portant extension d'une convention collective que le juge judiciaire, sur renvoi préjudiciel du juge administratif, a jugé illégale car elle ne comportait pas la clause de réexamen qu'exige le III de l'art. L. 912-1 du code de la sécurité sociale, est elle-même illégale par voie de conséquence. L'annulation est ici assortie d'une modulation de ses effets dans le temps.

(31 décembre 2019, Syndicat des auxiliaires de la manutention et de l'entretien pour le rail et l'air (SAMERA) et autres, n° 397137 ; v. aussi, du même jour, très voisins et où, à la différence de la décision précédente, la divisibilité est admise : Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA), n° 397152 et n° 397315, deux espèces)

 

Environnement

 

61 - Police spéciale - Procédure contentieuse spéciale - Contentieux de la pleine juridiction - Exécution complète des prescriptions contenues dans une mise en demeure - Non-lieu à statuer de ce chef - Rejet.

Le code de l'environnement (art. L. 171-7) institue un contentieux de pleine juridiction s'agissant des recours formés contre les contrôles et les mesures de police administrative environnementale prises en application des art. L. 171-8 et L. 171-10 du même code et, par voie de conséquence, contre les mises en demeure dont ils sont assortis.

L'on sait que le juge du plein contentieux se place toujours, pour apprécier les faits et le droit, au jour où il statue. Il s'ensuit que devient sans objet et aboutit à un non-lieu le recours d'un exploitant dirigé contre les obligations mises à sa charge par l'autorité compétente si, à la date à laquelle le juge statue, il s'est plié à cette dernière en ayant entièrement exécuté ce qui a été exigé de lui. Solution logique mais peu satisfaisante : faut-il alors recourir à l'action en responsabilité du chef de mises en demeure irrégulières, excessives ou inadéquates ? On a fait et on a vu plus simple...

(18 décembre 2019, Société GGL Aménagement, n° 418921)

 

62 - Limitation au 1er janvier 2040 du droit d'exploiter en France des gisements d'hydrocarbures - Atteinte à une espérance légitime - Atteinte justifiée par la nécessité de lutter, notamment, contre le réchauffement climatique - Rejet.

La société requérante demande, au principal, l'annulation pour excès de pouvoir du décret lui accordant la concession de mines d'hydrocarbures conventionnels liquides ou gazeux, dite " concession d'Amaltheus ", en tant qu'il a fixé son terme au 1er janvier 2040.

Le Conseil d’État juge que l'art. L. 111-12 du code minier, dans la version qui lui a été donnée par la loi du 30 décembre 2017, porte atteinte à une espérance légitime en tant qu'il décide que les concessions auxquelles peuvent prétendre les titulaires de permis exclusifs de recherche ne pourront pas se poursuivre au-delà du 1er janvier 2040. Il estime qu'en principe une telle frustration de l'espérance légitime engage normalement la responsabilité de la puissance publique.

Toutefois, il est relevé que l'art. 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH ne fait pas obstacle à ce que le législateur adopte des mesures nouvelles dans le souci de ménager un juste équilibre entre l'atteinte portée par la loi nouvelle aux droits nés de législations antérieures et les motifs d'intérêt général justifiant cette atteinte.

En l'espèce, les obligations internationales souscrites par l'État français (Accord de Paris du 12 décembre 2015 sur le réchauffement climatique) justifient une limitation dans le temps du droit d'exploiter les gisements d'hydrocarbures existants en France. Ceci, à la fois, établit la régularité du décret contesté et justifie l'absence d'indemnisation de ce chef.

Si la ligne directrice de cette décision ne surprend pas, il faut cependant regretter un raisonnement trop stéréotypé, à base de pétitions de principe et d'analyses juridiques par trop sommaires, à la limite, parfois, de la non-réponse aux moyens...

(18 décembre 2019, Société IPC Petroleum France SA, n° 421004 ; v. aussi, du même jour, avec même solution et même requérante, à propos du permis d'exploitation délivré pour un autre site : Société IPC Petroleum France SA, n° 421336 ; v. également, du même jour, en partie voisin : Société Vermillon REP, n° 422271)

 

État -civil et nationalité

 

63 - Retrait d'un décret accordant la naturalisation - Règles d'octroi et de retrait de la naturalisation relevant de la souveraineté étatique - Cas des ressortissants membres de l'UE - Perte de la citoyenneté de l'Union - Application du principe de proportionnalité - Absence d'atteinte en l'espèce - Rejet.

Réitération d'une jurisprudence qui peut être discutée : si, en principe, les règles régissant l'octroi et le retrait de la naturalisation relèvent exclusivement de la souveraineté des États, la perte de la nationalité française entraînant celle de citoyen de l'Union européenne, il y a lieu d'appliquer le principe de proportionnalité en outre de la prise en considération de l'intérêt général.

Cette solution, qui ne peut concerner qu'un individu qui ne détenait aucune des nationalités de l'UE avant sa naturalisation, n'est pas satisfaisante. Dès lors que celui-ci n'est devenu citoyen de l'UE qu'en raison de sa naturalisation comme Français, l'irrégularité même de la cause de l'obtention de la citoyenneté européenne devrait entraîner ipso facto la perte de celle-ci en cas de retrait du décret de naturalisation. L’invocation du principe de proportionnalité, parfois discutable, est ici injustifiée.

(2 décembre 2019, Mme X., n° 432187)

 

64 - Mineur français dont l'un des parents est étranger - Mineur faisant l'objet d'une mesure d'assistance éducative - Délivrance à ce parent d'un titre de séjour - Délivrance possible seulement si le parent s'occupe de son enfant - Cassation des jugement et arrêt sans renvoi.

Lorsqu'un mineur de nationalité française fait l'objet de mesures d'assistance éducative (art. 375, 375-3, 375-7 et 3758 du Code civil) celui de ses parents qui est étranger ne peut, normalement, obtenir de ce chef un titre de séjour en France. Toutefois, la délivrance d'un tel titre est possible s'il est établi que ce parent peut être considéré, selon les termes de l'art. 372 du Code civil, comme contribuant « à l'entretien et à l'éducation (de son) enfant à proportion de ses ressources ». Tel est le cas en l'espèce d'où l'annulation des jugement et arrêt contraires.

(20 décembre 2019, M. X., n° 420321)

 

Fonction publique et agents publics

 

65 - Agent public employé par une collectivité ou un établissement public - Affectation à une tâche ponctuelle à plusieurs reprises - Absence de caractère d’agent public contractuel - Agent affecté à une ou plusieurs tâches répondant à un besoin permanent de cette collectivité ou de cet établissement - Caractère contractuel de l’agent en ce second cas - Annulation et renvoi, dans cette mesure, à la cour administrative d’appel.

 Une personne est recrutée régulièrement, pendant une dizaine d’années par le centre d'action sociale de la Ville de Paris (CASVP) afin d’assurer le remplacement des gardiens titulaires de résidences accueillant des personnes âgées lorsque ces derniers prennent leur repos hebdomadaire, leurs congés légaux ou des jours de récupération, le fonctionnement de ces résidences exigeant la présence permanente jour et nuit d'une personne chargée d'assurer les fonctions de gardien et les agents titulaires ne suffisant pas à répondre à ce besoin. Il est mis fin aux fonctions de cette personne et celle-ci sollicite  sa réintégration en qualité d’agent contractuel pour une durée indéterminée ainsi que l’octroi de diverses sommes : alors que ses prétentions sont accueillies en première instance, le juge d’appel rejette la plupart d’entre-elles au motif que les fonctions exercées par le requérant  ne répondaient pas à un besoin permanent de l'administration et qu'en conséquence ce dernier ne pouvait être regardé comme un agent public non titulaire.

En cassation, il est jugé que cet arrêt repose sur une qualification inexacte des faits. En effet, si un agent qui a été recruté pour accomplir une mission répondant ponctuellement à un besoin de l'administration, cela même plusieurs fois, ne peut être qualifié d'agent contractuel, tel n’est pas le cas en l’espèce. Le requérant était appelé à exécuter diverses tâches répondant toutes à un besoin permanent de l'administration : il devait donc, contrairement à ce qu’a jugé la cour, être regardé comme ayant la qualité d'agent non titulaire de l'administration.

(2 décembre 2019, M. X., n° 412941)

 

66 - Harcèlement moral - Personne ayant subi ou refusé de subir un tel harcèlement - Absence d'effet en vue d'une mutation, d'un détachement de la personne harcelée - Mesure susceptibles d'être prises - Cassation de l'arrêt d'appel avec renvoi.

Le Conseil d’État décide dans cette affaire que si, en principe, le fait pour un agent public d'avoir subi ou refusé de subir des actes de harcèlement moral ne permet pas de lui imposer, de ce chef, une mesure d'affectation, une mutation ou un détachement, il est cependant possible à l'administration qui l'emploie, lorsqu'aucune autre mesure concernant cet agent, prise notamment à l'égard des auteurs des agissements en cause,  n'est de nature à atteindre le même but, de prendre dans l'intérêt de la victime ou dans l'intérêt du service, une telle mesure. Le juge fixe à cet égard la marche à suivre en ce cas : en premier lieu, saisi par l'agent qui se prétend harcelé, il doit d'abord d'apprécier si celui-ci a subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement moral. En second lieu, convaincu qu'il en est bien ainsi, il revient de vérifier si l'administration justifie n'avoir pu prendre, pour préserver l'intérêt du service ou celui de l'agent, aucune autre mesure, notamment à l'égard des auteurs du harcèlement moral. 

Il suit de là qu'en l'espèce la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en ne recherchant pas, en l'absence d'autorité de la chose jugée par le juge judiciaire statuant en matière civile, si le demandeur avait été victime d'agissements de harcèlement moral de la part du directeur général du Grand Port maritime de la Guadeloupe et, dans l'affirmative, si son administration d'origine justifiait ne pouvoir prendre d'autre mesure que la mesure litigieuse pour préserver l'intérêt du service et celui de l'agent, c'est-à-dire la décision de mettre fin à son détachement et sa nomination comme « chargé de mission temporaire transport maritime ». 

Cette décision permet de mesurer combien non seulement il est difficile, souvent, d'établir la réalité d'un harcèlement moral mais encore combien est malaisée la recherche de la solution la plus adéquate pour assainir une telle situation.

(19 décembre 2019, M. X., n° 419062)

 

67 - Indemnité de départ volontaire - Création ou reprise d'entreprise - Date de la demande d'indemnité - Refus d'octroi de l'indemnité - Réparation du préjudice - Refus - Annulation pour erreur de droit et renvoi à la cour.

Le requérant, ingénieur rural, des eaux et des forêts, d'abord en disponibilité pour convenances personnelles, a sollicité ensuite l'indemnité de départ volontaire instituée par l'article 3 du décret n° 2008-368 du 17 avril 2008 et l'article L. 351-24 du code du travail pour les agents publics désirant créer ou reprendre une entreprise.

Cette indemnité lui ayant été refusée, il saisit les juridictions administratives mais en vain. En particulier, la cour administrative d’appel a estimé que seuls les agents qui créent ou reprennent une entreprise après avoir définitivement quitté la fonction publique de l'État peuvent en bénéficier, puis elle a relevé que le requérant avait créé son entreprise d'expertise-comptable et de commissaire aux comptes dès le 26 avril 2013, alors qu'il n'avait pas quitté définitivement la fonction publique. Ce jugeant, la cour a, selon le Conseil d’État, commis une erreur de droit, les dispositions précitées exigeant seulement que les agents concernés demandent cette indemnité avant de créer ou reprendre une entreprise. Tel a bien été le cas en l'espèce.

(24 décembre 2019, M. X., n° 423168)

 

68 - Fonctionnaires et agents publics hospitaliers - Distinction entre travail effectif et astreinte - Astreinte assimilée en l'espèce à un temps de travail - Annulation du jugement avec renvoi.

L'article 5 du décret du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l'organisation du travail dans les établissements hospitaliers publics distingue entre le temps de  travail effectif, période durant laquelle «  les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles » et la période d'astreinte au cours de laquelle « l'agent, qui n'est pas sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de son employeur, a l'obligation d'être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au service de l'établissement ». 

En l'espèce un contentieux s'était élevé du fait que, dans le centre hospitalier de la Vendée, les infirmiers en période d'astreinte bénéficiaient de la mise à leur disposition d'un logement situé dans l'enceinte de l'hôpital pour effectuer leur garde ainsi que d'un récepteur téléphonique par lequel ils devaient pouvoir être contactés pendant toute la durée de cette garde, ce récepteur ne pouvant, en outre, fonctionner qu'à proximité d'un émetteur situé dans l'établissement.  Les intéressés estimaient que, dans ces conditions, la période d'astreinte, était en réalité un temps de travail effectif puisqu'ils étaient obligés de demeurer à disposition immédiate de leur employeur sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. Le tribunal administratif ayant rejeté cette analyse, l'un d'eux saisit le Conseil d’État qui, annulant, ce jugement, donne raison au requérant.

(19 décembre 2019, M. X., n° 418396 ; v. aussi, du même jour avec même solution : M. X., n° 418397 ; Mme X., n° 418398 Mme X., n° 418399 Mme X., n° 418400 ; Mme X., n° 418401 ; Mme X., n° 418403 ; Mme X., n° 418404 ; Mme X., n° 418405 ; Mme X., n° 418406 ; Mme X., n° 418407 ; Mme X., n° 418408)

69 - Fonctionnaires territoriaux - Services accomplis au-delà de la limite d'âge - Nature des fonctions exercées (art. 47, al. 2 et 3, loi n° 84-53 du 26 janvier 1984) - Prise en compte pour le calcul de la pension de retraite et pour la détermination de son taux - Erreur de droit - Cassation et renvoi au tribunal administratif.

L'intéressé a continué à exercer ses fonctions, antérieures, de directeur général adjoint des services du conseil général de la Haute-Savoie, en charge de l'éducation, de la culture, des sports et du tourisme, au-delà de son soixante-cinquième anniversaire pendant un peu plus de dix-huit mois. Le directeur de la Caisse des dépôts et consignations, gestionnaire de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, lui a fait alors savoir qu'il ne pouvait pas être tenu compte, pour le calcul de sa pension et de son taux, de la période accomplie au-delà de la limite d'âge de son grade sauf à ce qu'elle serve à compléter dans la limite des cent soixante trimestres de cotisation nécessaires à l'ouverture d'une pension à taux plein.

Le tribunal administratif, saisi par l'agent, a confirmé ce raisonnement que, sur pourvoi de l'intéressé, le Conseil d’État censure pour erreur de droit. En effet, il résulte des dispositions de l'art. 7-1 de la loi du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public que les fonctionnaires ou contractuels de droit public exerçant, par voie de recrutement direct, les fonctions énumérées aux deuxième et troisième alinéas de l'article 47 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, qui ont atteint la limite d'âge « peuvent demander à être maintenus en activité jusqu'au renouvellement de l'assemblée délibérante de la collectivité territoriale ou de l'organe délibérant de l'établissement public qui les emploie. En cas d'acceptation dans l'intérêt du service, la liquidation de la retraite d'un agent maintenu en activité n'intervient qu'à compter du jour de la cessation de sa prolongation d'activité. Dans ce cas, la radiation des cadres et la liquidation de la pension sont différées à la date de cessation des fonctions ». Or l'emploi exercé par le requérant entrait dans l'énumération de l'art. 47 de la loi de janvier 1984, il s'ensuit donc que devait être prise en compte pour la détermination de ses droits à pension la période d'activité litigieuse.

(24 décembre 2019, M. X., n° 408985)

70 - Fonctionnaires et agents publics contractuels - Personnels administratif et ouvrier du Centre national (CNOUS) et des centres régionaux (CROUS) des œuvres universitaires et scolaires - Détermination de la représentativité des syndicats - Absence de règles de droit positif - Libre détermination par l'administration sous le contrôle du juge - Rejet.

Était sollicitée l'annulation de la décision implicite par laquelle la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a refusé de modifier les articles R. 822-4 et R. 822-10 du code de l'éducation fixant la composition des collèges des représentants des personnels administratifs et ouvriers devant siéger dans les conseils d'administration du CNOUS et des CROUS.

La difficulté tenait à l'absence de disposition législative ou réglementaire régissant ces collèges.

Le Conseil d’État en déduit l'existence, au bénéfice de l'administration, de larges pouvoirs, de nature presque discrétionnaire, sous réserve du contrôle éventuel, par le juge de l'excès de pouvoir, de l'erreur de droit, de l'inexactitude matérielle des faits, du détournement de pouvoir ou de l'erreur manifeste d'appréciation, donc à l'exclusion des vices de forme mais pas de l'incompétence, bien que la décision soit muette sur ce cas d'ouverture.

(2 décembre 2019, Union nationale des syndicats CGT des CROUS (UN-CGT-CROUS) et autres, n° 430712)

 

71 - Agents publics contractuels et temporaires - Logement de fonction concédé par utilité de service - Intérêt du service - Installation d'un commerce de bouche dans le logement de fonctions - Décision de non-renouvellement du contrat - Légalité - Cassation de l'arrêt d'appel avec renvoi.

Un fonctionnaire territorial occupant un logement de fonction attribué par utilité de service y installe un commerce de bouche et la commune employeur décide donc de ne pas renouveler son contrat à l'expiration du terme prévu. Ce motif est contesté et la cour administrative d'appel le juge illégal car étranger à l'intérêt du service dès lors que la commune n'établit pas que cette activité n'aurait pas permis à l'agent de remplir ses obligations de service de manière satisfaisante dans la journée ou aurait eu des répercussions sur sa capacité à assurer les astreintes auxquelles il était soumis. En outre, la cour relève que la commune pouvait, de ce chef, si elle s'y croyait fondée, engager une procédure disciplinaire à son encontre. Le Conseil d’État désapprouve ce raisonnement en inversant l'ordre d'analyse des facteurs. La cour aurait dû s'attacher à répondre à l'argumentation de la commune employeur selon laquelle, par son comportement, l'agent avait méconnu les interdictions prévues par le règlement d'occupation des logements appartenant à la commune ainsi que les obligations relatives aux cumuls d'activités, les unes et les autres établies dans l'intérêt du service.

(19 décembre 2019, Commune du Vésinet, n° 423685)

 

72 - Agents publics - Sapeurs-pompiers professionnels - Durée hebdomadaire du travail - Dépassement - Application du régime général prévu par une directive européenne - Dérogation instaurée par la directive inapplicable en l'espèce - Rejet.

Un sapeur-pompier professionnel a sollicité, et obtenu en appel, la condamnation du SDIS du Loiret à lui verser une somme en réparation de préjudice subi du fait de l'obligation dans laquelle il s'est trouvé d'effectuer durant les années 2009 à 2013 un volume horaire de travail excédant les limites posées par la réglementation européenne. Le SDIS défendeur se pourvoit en cassation et invoque à titre principal la circonstance que la directive européenne du 4 novembre 2003 comporte en son article 17 - pour certaines professions et à certaines conditions - une possibilité de dérogation au plafond qu'elle fixe.

Tout d'abord, cet argument est rejeté car il résulte de la jurisprudence de la CJUE (21 février 2018, Ville de Nivelles c/ Rudy Matzak, aff. C-518-15), que doit être considéré comme un temps de travail le temps de garde qu'un travailleur passe à domicile avec l'obligation de répondre aux appels de son employeur dans un bref délai, laquelle restreint très significativement la possibilité d'avoir d'autres activités. Tel est le cas des périodes d'astreintes que comportent les gardes assurées par les sapeurs-pompiers au cours desquelles ceux-ci doivent, même s'ils sont à leur domicile, se tenir en permanence prêts à intervenir, en tenue, sous trois minutes. Par suite, ne saurait jouer ici la dérogation invoquée par le SDIS.

Ensuite, il est jugé que même si les dispositions des articles 6, 16, 17 et 19 de la directive n'empêchent pas, pour l'établissement de la rémunération des sapeurs-pompiers pendant leurs gardes, de fixer des équivalences en matière de durée du travail, afin de tenir compte des périodes d'inaction, le dépassement de la durée maximale de travail qu'elles prévoient porte atteinte à la sécurité et à la santé des intéressés en ce qu'il les prive du repos auquel ils ont droit et leur cause, de ce seul fait, un préjudice, indépendamment de leurs conditions de rémunération ou d'hébergement.

Il suit de là que la cour a jugé sans erreur de droit et que le recours de la SDIS du Loiret doit être rejeté.

(19 décembre 2019, Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Loiret, n° 426031 ; SDIS du Loiret, n° 428635 ; v. aussi, du même jour avec même  requérant, à propos du refus d'admettre le pourvoi de celle-ci contre un arrêt de la cour de Nantes annulant le jugement du tribunal administratif d'Orléans en tant, d'une part, qu'il avait rejeté la demande du syndicat autonome SPP-PATS 45 dirigée contre la délibération du conseil d'administration du SDIS du Loiret et le règlement qui y est annexé en ce qu'ils régissent le régime des astreintes des sapeurs-pompiers professionnels postés logés, et d'autre part, qu'il a annulé cette délibération et le règlement intérieur qui y est annexé dans la même mesure : SDIS du Loiret, n° 426416)

 

73 - Fonctionnaires - Principe d’égalité entre agents d’un même corps - Impossibilité, sauf cas exceptionnels, de solutions différentes en fonction de la voie d’accès au corps - Cas de l’espèce - Différence non justifiée - Annulation.

Le décret n° 2017-1391 du 21 septembre 2017 relatif au corps de catégorie A de la direction générale des finances publiques et à divers emplois des ministères économiques et financiers institue en son article 17 un dispositif transitoire de reclassement pour les inspecteurs des finances publiques accédant au grade d'inspecteur principal par la voie du concours professionnel ; en revanche, ce dispositif ne s'applique pas aux inspecteurs des finances publiques accédant au grade d'inspecteur principal par la voie du concours professionnel prévu à l'article 17 du décret du 26 août 2010 alors que les uns et les autres appartiennent à un même corps.

Le syndicat requérant n’a guère de peine à convaincre le juge du caractère illégal d’un traitement différencié entre agents d’un même corps au regard du principe d’égalité les régissant.

Cette différence ne résultant ni de différences objectives existant entre les situations des agents des deux catégories ni de circonstances particulières justificatives, les dispositions transitoires figurant à l’art. 17 du décret précité de 2017 sont annulées.

(2 décembre 2019, Syndicat national Solidaires Finances publiques, n° 415979)

 

74 - Fonctionnaire à la retraite - Fonctionnaire dont la carrière a été révisée par le retrait rétroactif d'un acte antérieur au cours d'une instance introduite par le fonctionnaire - Pension déjà octroyée à un certain niveau indiciaire - Fonctionnaire sollicitant la révision de sa pension de retraite en conséquence de la révision dont il a fait l'objet - Refus - Annulation par les premiers juges - Confirmation du jugement en cassation et rejet du pourvoi ministériel.

Cette décision est importante. 

Elle concerne le cas d'un agent ayant pris sa retraite alors qu'il avait auparavant introduit un recours contentieux tendant à l'annulation d'un acte illégal concernant sa situation administrative. Durant l'instance, l'administration a, sur sa demande, retiré la décision initiale de calcul des droits, procédant ainsi à une modification rétroactive de ce calcul.  L'intéressé se voyait reconnaître une plus longue ancienneté dans l'indice terminal de sa rémunération d'activité. Comme on le sait, la retraite d'un fonctionnaire, en l'état actuel du droit positif, est constituée d'un certain pourcentage du traitement afférent au dernier indice de rémunération auquel l'agent est demeuré au moins six mois.

L'agent a donc demandé la révision du calcul de sa pension en se prévalant de cette règle ; cette demande ayant été implicitement rejetée, il a saisi le tribunal administratif qui a annulé le refus de réviser le taux de sa pension de retraite. Le ministre des finances se pourvoit contre cette partie du jugement.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi, approuvant les premiers juges d'avoir vu dans le retrait de la décision illégale la cause de la révision de la pension qui était sollicitée sans que puisse y faire obstacle le dépassement du délai d'un an  dans lequel est normalement enfermée la révision de toute erreur de droit concernant la détermination de la situation administrative du fonctionnaire retraité au jour de son admission à la retraite et ayant eu une influence sur la liquidation de sa pension.

(20 décembre 2019, Ministre de l'économie et des finances, n° 408967)

 

75 - Fonctionnaires membres d’un ordre professionnel - Infirmiers - Pédicures-podologues - Masseurs-kinésithérapeutes - Établissement de listes nominatives en vue de l’inscription au tableau de l’ordre - Paiement d’une cotisation à l’ordre - Organisme chargé de missions de service public - Rejet.

Les fonctionnaires qui sont en même temps membres d’un ordre professionnel doivent se soumettre à l’ensemble des obligations découlant de leur appartenance ordinale : paiement d’une cotisation à l’ordre, obligation d’inscription au tableau de l’ordre sans que les intéressés aient été préalablement consultés ou informés, obligation pour leurs employeurs de communiquer à l’ordre les listes nominatives et les données d’identification de ces agents. Aucune de ces obligations n’est illégale et, pas davantage, ne saurait être opposée aux instances ordinales la circonstance qu’elles seraient des associations car les ordres sont des organismes chargés d'une mission de service public.

Rappelons que la situation est la même pour ceux des membres d’un ordre professionnel qui dépendent d’employeurs privés.

(19 décembre 2019, Fédération CGT de la santé et de l'action sociale, n° 426833)

 

76 - Reprise de l’activité d’une personne privée par une personne publique assurant un service public administratif - Centre communal d’action sociale - Sort du personnel (art. L. 1224-3 code du travail) - Maintien de la rémunération antérieure brute dans la mesure compatible avec les règles de droit public - Erreur de droit - Cassation avec renvoi à la cour administrative d’appel.

Le Conseil d’État fait application de sa jurisprudence antérieure relative au principe du maintien des rémunérations en cas de reprise de l’activité d’une personne privée par une personne de droit public gérant un service public administratif (21 mai 2007, Mme Mireille X. et autres, n° 299307 ; 25 juillet 2013, Centre hospitalier général de Longjumeau, n° 355804) tout en la précisant.

Afin d’assurer le principe susrappelé, la comparaison entre les rémunérations antérieure et nouvelle, doit s’effectuer par comparaison, pour leurs montants bruts, entre les salaires ainsi que les primes éventuellement accordées à l'agent et liées à l'exercice normal des fonctions, dans le cadre de son ancien comme de son nouveau contrat.

L’arrêt est partiellement cassé pour erreur de droit en tant, d’une part, qu’il a comparé la rémunération perçue par l’intéressée au mois de décembre 2011 dans le cadre de son ancien contrat avec le montant net de la rémunération qu'elle a perçue en janvier 2012 en qualité d'agent du centre communal d'action sociale et, d’autre part, qu’il a jugé que les différences de rémunération brute sont sans incidence sur l'appréciation du caractère équivalent des rémunérations en cause. 

(2 décembre 2019, Mme X., n° 421715)

 

77 - Principe de parité entre la fonction publique d'État et la fonction publique territoriale - Parité des régimes de retraite (II de l'art. 119 de la loi du 26 janvier 1984) - Impossibilité pour le régime de retraite des agents territoriaux de prévoir des avantages supérieurs à ceux reconnus par les régimes de retraite de la fonction publique d'État - Inapplicabilité du code des pensions civiles et militaires de retraite aux agents territoriaux - Rejet du pourvoi.

Rappel de la règle de parité, instaurée à partir de 1982, au moment du développement de la décentralisation, qui s'applique aussi bien au déroulement des carrières qu'aux régimes de retraite.

Un agent territorial ne peut pas disposer d'un régime de retraite octroyant des avantages supérieurs à ceux consentis aux fonctionnaires d'État.

La retraite anticipée dont peuvent bénéficier les agents publics territoriaux ayant plus de quinze ans d'ancienneté lorsqu'ils ont eu au moins trois enfants, ne peut leur être octroyée qu'en respectant les conditions imposées à la fonction publique d'État et découlant des II et III de l'art. 24 du décret du 26 décembre 2003, c'est-à-dire avoir élevé ces enfants pendant au moins neuf années avant leur seizième anniversaire ou avant la date à laquelle ils ont cessé d'être à charge.

C'est donc à tort que le tribunal administratif a jugé applicables à la requérante les dispositions, inapplicables aux fonctionnaires territoriaux, de l'art. 18 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

(20 décembre 2019, Mme X., n° 412626)

 

78 - Sous-préfète - Directrice de cabinet d'une préfète - Agent stagiaire - Prolongation de la durée du stage - Absence de titularisation tacite - Décision sans caractère disciplinaire non soumise à l'obligation de motivation - Licenciement en période de congé maladie - Caractère régulier - Rejet.

À l'occasion du recours formé par une sous-préfète stagiaire en qualité de directrice de cabinet d'une préfète, le Conseil d’État rappelle et précise divers points du droit des agents stagiaires.

Tout d'abord, si aucune disposition ne prévoit la possibilité de proroger la période de stage de deux ans que doit accomplir, dans les fonctions de directeur du cabinet de préfet, le sous-préfet recruté au titre des dispositions du 3° du I de l'article 8 du décret du 14 mars 1964 portant statut des sous-préfets, il ne s'ensuit pas que l'absence de décision prise à l'issue de cette période biennale de stage puisse être considérée comme une décision de titularisation tacite : on ne devient pas titulaire dans la fonction publique par prétérition.

Ensuite, la décision mettant fin à ses fonctions, prise à l'issue du stage et non au cours de celui-ci, ne constitue pas une sanction disciplinaire et n'avait donc pas à être motivée ni, non plus, à être soumise au principe du respect des droits de la défense.

Enfin, la circonstance qu'un agent public soit en congé maladie n'empêche point son licenciement à l'issue du stage, aucun texte ou principe général n'y faisant obstacle.

(11 décembre 2019, Mme X., n° 427522)

 

Hiérarchie des normes

 

79 - Orientations émises par un organe de l'UE - Cas de l'Autorité bancaire européenne (ABE) - Actes non décisoires pris par une autorité régulatrice - Cas de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) - Recours formé par un organisme professionnel contre une décision qui ne la concerne ni directement ni individuellement - Renvois préjudiciels à la CJUE.

L'Autorité bancaire européenne (ABE) a adopté des orientations sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail auxquelles l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a, dans un avis, déclaré se conformer. La Fédération bancaire française (FBF) demande au Conseil d’État l'annulation de cet avis et, subsidiairement, la saisine de la CJUE.

Il convenait tout d'abord de déterminer si un tel avis de l'ACPR pouvait faire l'objet d'un recours contentieux. Se situant dans la lignée d'une importante jurisprudence relative aux actes émis par des autorités régulatrices (Assemblée, 21 mars 2016, Société Fairvesta International GMBH et autres, n°s 368082 368083 368084, p. 76 et Assemblée, 21 mars 2016, Société NC Numéricâble, n° 390023, p. 88) et, à vrai dire, sans grande surprise, la présente décision répond positivement.

Ensuite, se posait la délicate question de savoir comment traiter au plan contentieux le fait que la FBF reprochait à l'ACPR d'avoir déclaré se soumettre aux orientations sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail émises par l'ABE en estimant invalide lesdites orientations au regard du droit de l'UE.

D'une part, le Conseil d’État estime possible que la FBF soulève une exception d'invalidité mais relève que les orientations arrêtées par l'ABE ne sont destinées qu'aux établissements financiers qui en sont les seuls destinataires directs et qu'il en va de même de l'avis de l'ACPR, attaqué par la FBF, alors que cette dernière n'en est destinataire ni directement ni individuellement.

D'autre part, le Conseil d’État énonce qu'il appartient en tout état de cause au juge administratif, saisi d'un moyen mettant en cause la validité d'un acte de portée générale pris par l’une des institutions de l'Union, d'écarter un tel moyen s'il ne présente pas de difficulté sérieuse ou lorsque la partie qui l'invoque avait sans aucun doute la possibilité d'introduire un recours en annulation, sur le fondement de l'article 263 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, contre l'acte prétendument invalide. Il relève d'ailleurs que si la CJUE a jugé que les simples recommandations échappent au contrôle juridictionnel prévu à l'article 263 du TFUE, elle a, en revanche, décidé que l'article 267 du traité lui attribuait la compétence pour statuer, à titre préjudiciel, sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions de l'Union, sans exception aucune. Ce qui soulève la question de savoir si les orientations émises par une autorité européenne de surveillance sont susceptibles de faire l'objet du recours en annulation prévu par les stipulations de l'article 263 du TFUE.

Cette question, à son tour, peut recevoir deux types de réponse :

Ou bien la réponse y est positive et il conviendrait alors de savoir si une fédération professionnelle est recevable à contester, par cette voie, la validité d'orientations destinées aux membres dont elle défend les intérêts et qui ne la concernent ni directement ni individuellement ;

Ou bien la réponse est négative les orientations émises par une autorité européenne de surveillance n'étant pas susceptibles de faire l'objet du recours en annulation direct ou ce recours n'étant pas ouvert à une fédération professionnelle. En cette seconde hypothèse, la recevabilité de l'exception d'invalidité soulevée par la fédération requérante devant le Conseil d’État dépendrait alors de la réponse à la question de savoir si ces orientations sont susceptibles de faire l'objet du renvoi préjudiciel prévu par les stipulations de l'article 267 TFUE. En cas de réponse positive, resterait encore à savoir si une fédération professionnelle est recevable à contester, par cette voie, la validité d'orientations destinées aux membres dont elle défend les intérêts et qui ne la concernent ni directement ni individuellement.

Enfin, au fond cette fois, constatant que l'argumentation de la Fédération requérante repose sur l'invalidité des orientations de l'ABE en ce qu'elle aurait utilisé des notions et catégories qu'aucun des textes fixant son champ de compétences ne l'habilitent à utiliser, le Conseil d’État est conduit  à poser la question préjudicielle de savoir si, en émettant des orientations sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail, cette Autorité a excédé les compétences qui lui sont dévolues par le règlement du 24 novembre 2010 qui la régit. 

Il sera très intéressant de connaître les réponses de la CJUE aux importantes interrogations que contient cette riche décision.

(4 décembre 2019, Fédération bancaire française (FBF), n° 415550)

 

80 - Conventions collectives - Extension d'un avenant - Extension par le ministre du travail de clauses comportant des obligations relevant du domaine de la loi - Légalité - Rejet.

Il faut surtout retenir de cette décision, rendue après renvoi préjudiciel à la Cour de Paris  dont la réponse a été cassée par la Cour de cassation, que le ministre du travail peut, sur le fondement de l'art. L. 2261-15 du code du travail, dérogeant au principe de l'effet relatif des contrats, étendre les clauses d'un avenant à une convention collective alors même que ces clauses emporteraient des obligations dont certaines relèvent de la compétence du seul législateur en vertu de l'art. 34 de la Constitution.

La solution peut être discutée au regard des principes qui fondent et justifient la hiérarchie des normes.

(16 décembre 2019, Société Allianz I.A.R.D. et Société Allianz Vie, n° 396001 ; v. aussi, du même jour et dans le même sens : Fédération française de l'assurance, n° 397134 ; Société Toma Intérim, n° 419087 ; Société Interaction, n° 420379 ; Société Intérim 16, n° 420381 ; Société Sup Intérim 01, n° 420380 ; Société Sup Intérim 88, n° 420383)

 

81 - Jeux et paris en ligne - Avoirs des joueurs en déshérence - Liquidation et recouvrement des montants - Sommes mises en réserve sur un compte-joueur provisoire - Versement à l'État en cas de non-réclamation des sommes pendant six ans - Rétroactivité de cette règle - Règle technique - Obligation de communication immédiate à la Commission européenne de tout projet de règle technique - Obligation satisfaite en l'espèce en raison de l'intervention de la loi et du décret - Rejet.

Des textes ont successivement prévu le dépôt, par les sociétés organisatrices, des gains consécutifs à des jeux ou des paris en ligne, sur un compte-joueur en l'attente de leur récupération. Puis, il a été prévu qu'au terme, d'abord de cinq années, ensuite de six années, les sommes non réclamées tombent en déshérence et sont versées à l'État.

L'une des sociétés concernées conteste par plusieurs arguments le décret du 3 décembre 2018 relatif au régime des avoirs des joueurs en déshérence, dont elle demande l'annulation.

Le recours est rejeté.

Le Conseil d’État juge que la rétroactivité du décret attaqué n'est point illégale, que l'absence de versement par l'État de frais de garde ou de frais de clôture ne l'est pas non plus et ne porte pas atteinte à la liberté d'entreprendre des sociétés en cause. Il estime également que l'instauration d'un régime de récupération des sommes par l'État au bout de six années succédant à un régime où n'était, en ce cas, prévu aucun reversement à l'État, ne porte pas atteinte à l'espérance légitime des opérateurs d'en devenir propriétaires et donc aux dispositions de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH : on regrettera que ce rejet soit effectué sans trop d'explication et même sans explication aucune.

Enfin, et c'est l'apport principal de la décision, était en jeu dans cette affaire le 1 de l'article 5 de la directive 2015/1535 du 9 septembre 2015 qui impose aux États membres la communication immédiate à la Commission européenne de tout projet de norme technique. Or il était reproché le fait que cette communication n'a eu lieu, en l'espèce, que le 31 juillet 2018 alors que ce système a été instauré par la loi de finances pour 2016, donc en décembre 2015. Toutefois, le Conseil d’État estime, assez ingénieusement (peut-être même trop ingénieusement), que lorsqu'en droit interne l'élaboration d'une règle technique résulte de la combinaison de dispositions de nature législative et de dispositions d'application de nature réglementaire, la communication à la Commission européenne des dispositions législatives relatives à cette règle technique peut n'être effectuée qu'au stade de l'élaboration des mesures réglementaires qui en fixent les conditions d'application, soit lorsque l'application de la loi est manifestement impossible en l'absence de ces mesures réglementaires et que, par suite, l'adoption de ces dernières conditionne l'entrée en vigueur de la règle technique, soit lorsque le texte législatif ne détermine pas, à lui seul, la règle technique d'une manière suffisamment précise pour que ses effets puissent être évalués par la Commission européenne.

Ainsi, la communication à la Commission n'aurait pas été tardive au cas de l'espèce.

On peut douter du bien-fondé de ce raisonnement car ce qu'exige la directive c'est, semble-t-il, la communication immédiate du projet, son principe, dès qu'il est envisagé dans ses grandes lignes, la communication du texte complet étant faite dans un second temps. De plus, on voit mal la notion d'immédiateté dépendre du temps mis à publier les textes réglementaires et donc de la volonté unilatérale de l’État.

(19 décembre 2019, Société Betclic Enterprises Limited, n° 427639)

 

82 - Responsabilité du fait des lois ne respectant pas la hiérarchie des normes - Cas d'engagement et conditions d'engagement de cette responsabilité - Loi inconstitutionnelle - Mise en cause possible de la responsabilité de l'État de ce chef - Nécessité d'un lien de causalité - Absence - Rejet.

 (Assemblée, 24 décembre 2019, Société Paris Clichy, n° 425981 ; du même jour, dans la même formation, avec même solution : Société hôtelière Paris Eiffel Suffren, n° 425983 ; et M. X., n° 428162) V. n° 123

 

 

Libertés fondamentales

 

83 - Étrangers - Policier afghan ayant quitté son pays - Notion de "force militaire" pour l'application de l'art. L. 712-1 CESEDA - Cas d'un policier - Rejet.

L'art. L. 712-1 du CESEDA n'ayant vocation à conférer le bénéfice de la protection subsidiaire qu'à des civils, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant son application impossible à un policier (ou ex-policier) afghan, lequel, sans être strictement un militaire, n'est pas pour autant un civil.

Une autre solution aurait pu être retenue.

(11 décembre 2019, M. X., n° 424219 ; v. aussi : M. X., n° 427714)

 

84 - Étrangers - Admission exceptionnelle au séjour comme "salarié" ou "travailleur temporaire" - Pouvoirs et obligations du préfet - Étendue du contrôle du juge - Contrôle restreint.

Lorsqu'un étranger sollicite du préfet, dans l'année suivant son 18ème anniversaire, une carte de séjour temporaire avec la mention "salarié" ou "travailleur temporaire", celui-ci, après avoir vérifié le respect des conditions légales par l'intéressé (avoir été confié entre 16 et 18 ans à l'aide sociale à l'enfance, justifier suivre depuis au moins six mois une formation professionnelle qualifiante, ne pas constituer une menace pour l'ordre public, vérification de l’état des liens avec sa famille dans son pays d'origine, avis favorable de la structure d'accueil sur son degré d'insertion dans la société française) peut lui délivrer cette carte. Cette décision est soumise au contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation, ce qui caractérise un contrôle juridictionnel restreint.

(11 décembre 2019, M. X., n° 424336)

 

85 - Étranger - Apatride - Cas des palestiniens - Nature juridique de l'UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) - Diverses situations susceptibles de se présenter - Défaut d'examen de celles-ci - Erreur de droit - Cassation et renvoi.

La requérante, née de parents palestiniens en 1986, a vécu jusqu'en 2015 dans un camp de réfugiés avant d'entrer en France munie d'un document de voyage délivré pour les réfugiés palestiniens par les autorités libanaises à Beyrouth.

Elle s'est vue refuser par l'OFPRA l'octroi de la qualité d'apatride ; ce refus, attaqué devant le juge administratif, a été annulé par un jugement du tribunal administratif confirmé par arrêt de la cour administrative d'appel. L'OFPRA se pourvoit en cassation.

Le juge relève d'abord que l'art. 1er de la convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides auquel renvoie, pour sa définition de l'apatridie, l'art. L. 812-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), dispose, pour l'essentiel, que : « 1. Aux fins de la présente convention, le terme " apatride " désigne une personne qu'aucun État ne considère comme son ressortissant par application de sa législation.

2. Cette convention ne sera pas applicable : i) Aux personnes qui bénéficient actuellement d'une protection ou d'une assistance de la part d'un organisme ou d'une institution des Nations Unies autre que le haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, tant qu'elles bénéficieront de ladite protection ou de ladite assistance (...) ».

Ensuite, il qualifie l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), d'organisme des Nations Unies, autre que le haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, offrant une assistance à ces personnes, au sens des stipulations précitées du i) du 2. de l'art. 1er. En effet, le juge note que cette institution a été créée le 8 décembre 1949 par une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies afin d'apporter un secours direct aux " réfugiés de Palestine " se trouvant sur l'un des États ou des territoires relevant de son champ d'intervention géographique, à savoir le Liban, la Syrie, la Jordanie, la Cisjordanie et la bande de Gaza. Il note également que ces prestations sont délivrées, d'une part, aux personnes, enregistrées auprès de l'UNRWA, qui résidaient habituellement en Palestine entre le 1er juin 1946 et le 15 mai 1948 et qui ont perdu leur logement et leurs moyens de subsistance en raison du conflit de 1948, ainsi qu'à leurs descendants et, d'autre part, aux autres personnes éligibles mentionnées au point B. du III des instructions de l'UNRWA de 2009, qui en font la demande sans faire l'objet d'un enregistrement par l'UNRWA.

Egalement, le Conseil d’État constate qu'il découle de là l'existence de deux situations.

Soit le réfugié palestinien est sous la protection et bénéficie de l'assistance de l'UNRWA, en ce cas il ne relève pas du statut d'apatridie fixé par la convention de New-York de 1954.

Soit le réfugié, d'une part, n'est plus dans la situation de protection par l'UNRWA, et d'autre part, n'est reconnu par aucun État, en vertu de sa législation nationale, comme l'un de ses ressortissants, en ce cas - et sous réserve de ne pas se trouver dans l'un des autres cas d'exclusion énumérés à l'art. 1er de la convention de 1954 -, il peut solliciter l'octroi du statut d'apatride sur le fondement de l'art. L. 812-1 du CESEDA.

Enfin, s'agissant de déterminer dans quels cas un réfugié palestinien se trouvant en dehors de la zone d'activité de l'UNRWA, peut être considéré comme n'étant plus bénéficiaire de la protection ou de l'assistance de l'UNRWA, le juge en décrit quatre, trois découlant de la convention précitée de New York, la quatrième née de la convention EDH.

1er cas

Celui dans lequel le réfugié palestinien, d'une part, a été contraint, du fait d'une menace grave contre sa sécurité, de quitter l'État ou le territoire situé dans la zone d'intervention de l'UNRWA dans lequel il avait sa résidence habituelle et d'autre part, ne peut y retourner en raison de cette même menace qui y fait obstacle. 

2eme cas

Celui dans lequel, cette menace, apparue après le départ du réfugié palestinien, fait pareillement obstacle à son retour sur place.

3eme cas

Celui où, pour des motifs indépendants de sa volonté mais autres que l'existence d'une menace pour sa sécurité, un réfugié palestinien se trouve dans l'impossibilité de regagner l'État ou le territoire dans lequel il avait sa résidence habituelle. 

4eme cas

Enfin, il découle de l'art. 8 de la convention EDH, protégeant les apatrides, que doit également être regardé comme ne bénéficiant plus effectivement de l'assistance ou de la protection apportée par l' UNRWA dans sa zone d'intervention un réfugié palestinien qui possède en France des liens familiaux ou des liens personnels, compte tenu notamment de la durée de sa résidence sur le territoire, tels que le centre de ses intérêts se trouve désormais en France où il est dès lors fondé, à la condition qu'aucun État ne le reconnaisse comme l'un de ses ressortissants par application de sa législation, et sous réserve des autres clauses d'exclusion prévues par la convention du 28 septembre 1954, à demander que lui soit octroyé le statut d'apatride sur le fondement de l'article L. 812-1 du CESEDA afin de bénéficier de la protection juridique à laquelle il a droit à ce titre.

Or, en l'espèce, la cour administrative d'appel, pour juger illégal le refus opposé par l'OFPRA, s'est bornée à relever que la requérante ne possédait aucune nationalité et qu'elle n'avait pas conservé sa résidence habituelle dans une zone placée sous la protection de l'UNRWA. Elle n'a donc pas examiné si, en outre, l'intéressée se trouvait dans l'un des quatre cas ci-dessus, d'où la cassation sanctionnant cette erreur de droit.

Seront remarqués, à la fois, l'effort particulièrement constructif du juge pour donner un contenu certain à la notion et au statut de réfugiés des palestiniens et la complexité du résultat ainsi obtenu, notamment du fait de la combinaison d'exigences et de conditions résultant de deux conventions internationales distinctes, notamment par leur objet et par leurs signataires.

 (Assemblée, 24 décembre 2019, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 427017)

 

86 - Étrangers - Enfant faisant l’objet d’une mesure d’assistance éducative - Parent considéré comme ne contribuant pas à la vie de son enfant - Refus de séjour - Erreur de droit et qualification inexacte des faits - Cassation sans renvoi.

Commet une erreur de droit et qualifie inexactement les faits de l’espèce l’arrêt qui juge qu’un père - qui n'a pas été privé de son autorité parentale sur son fils, s'est vu reconnaître un droit de visite hebdomadaire de son enfant et a exercé ce droit de manière assidue et régulière - ne pouvait, du seul fait que son enfant avait été confié au service d'aide sociale à l'enfance, être regardé comme contribuant effectivement à l'entretien et à l'éducation de son fils français et qui en déduit que l'arrêté préfectoral lui refusant la délivrance d'un titre de séjour en sa qualité de parent d'un enfant français ne méconnaissait ni les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, ni celles du 1 de l'article 8 de la convention EDH.

(20 décembre 2019, M. X., n° 420321)

 

87 - Liberté de religion - Abattage rituel des animaux - Circulaire interministérielle autorisant les abattoirs temporaires lors d’une fête religieuse - Autorité compétente - Loi de séparation des Églises et de l’État - Obligation d’agrément des abattoirs - Principe de précaution - Rejet.

L’Association requérante demandait l’annulation pour excès de pouvoir d’une circulaire interministérielle (intérieur et agriculture) relative à la célébration d’une fête religieuse musulmane au mois d'août 2019, en tant qu'elle autorise les abattoirs temporaires. Elle invoquait plusieurs griefs, tous rejetés par le juge.

Il est jugé que le ministre de l’agriculture est bien compétent pour définir les normes sanitaires applicables aux abattoirs ainsi que les modalités d'application des règles de l'Union en cette matière, y compris en ce qu'elles prévoient des dérogations comme, ici, l’autorisation d’abattoirs temporaires.

La circulaire attaquée ne contrevient pas aux dispositions de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État car elle se borne à mentionner l'éventualité d’une intervention de collectivités territoriales dans l’installation d’un abattoir temporaire sans entrer dans le détail des conditions à respecter pour garantir la légalité d'une telle intervention.

La requérante n’établit pas en quoi la circulaire en cause contreviendrait à la jurisprudence de la CJUE (deux décisions : 29 mai 2018, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen VZW e.a., C-426/16 ; 26 février 2019, Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA), C-497/17) laquelle porte sur des questions que la circulaire n’examine pas.

Enfin, ne saurait être invoqué le principe de précaution par le motif que le nombre de contrôles exercés sur les abattoirs temporaires est insuffisant, cette circonstance étant sans influence sur la légalité de la circulaire attaquée.

(27 décembre 2019, Association Vigilance Halal, protection et respect de l'animal et du consommateur, n° 433067)

 

Police

 

88 - Espèces migratrices - Chasse - Dérogation à la prohibition de la chasse en période de nidification - Autorisation de chasse justifiée par aucun motif sérieux - Annulation.

L'arrêté attaqué, du 30 janvier 2019, est entaché d'illégalité car il autorise la chasse d'espèces migratrices (oie cendrée, oie rieuse et oie des moissons) en des périodes où celle-ci est prohibée à raison de ce qu'elles reviennent vers leurs lieux de nidification, sans que soient justifiées les conditions d'une dérogation posées par les dispositions de l'article L. 424-2 du code de l'environnement transposant l'article 9 § 1 de la directive du 30 novembre 2009.

(11 décembre 2019, Ligue pour la protection des oiseaux, n° 427513 ; Association France nature environnement, n° 427518 ; Association Humanité et biodiversité, n° 427545 ; Association One Voice, n° 427550)

 

89 - Événements et manifestations nécessitant un dispositif de sécurité - Instruction ministérielle fixant le régime de l'indemnisation des services de police et de sécurité - Régime financier - Frais pris en charge - Clauses de la convention à conclure entre responsables de l'ordre et organisateurs d'événements ou manifestations - Annulation partielle.

Les requérants contestaient une instruction ministérielle relative à l'indemnisation des services d'ordre du fait de leur intervention en cas d'événement ou manifestation qu’ils organisent, ainsi que le rejet du recours gracieux dirigé contre cette instruction.

L'instruction litigieuse tend à organiser les conditions et les motifs du remboursement des dépenses occasionnées par le déploiement des forces de l'ordre afin d'assurer la sécurité de manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif lorsque leur objet ou leur importance le justifie. L'instruction se fonde à la fois sur les dispositions de l'art. L. 211-11 du code de la sécurité intérieure (CSI), sur celles du décret n° 97-199 du 5 mars 1997 et enfin sur l'arrêté du 28 octobre 2010 fixant le montant des remboursements de certaines dépenses supportées par les forces de police et de gendarmerie.

Le Conseil d’État rejette un certain nombre de griefs : ainsi en définissant les missions susceptibles de faire l'objet d'un remboursement comme étant les missions de service d'ordre, exécutées à l'occasion de l'événement, qui sont « en lien avec la gestion ou la sécurisation des flux de population ou de circulation et la prévention des troubles à l'ordre public » et « directement imputables à l'événement », le ministre de l'intérieur n'a pas donné une interprétation inexacte des dispositions de l'article L. 211-11 du CSI ;  pareillement, ce dernier pouvait compétemment - sur le fondement de l'article 2 du décret du 5 mars 1997 - déterminer les éléments qui doivent être pris en charge par l'assurance souscrite par l'organisateur, en cas de dommages subis ou causés par les forces de l'ordre dans le cadre des missions donnant lieu à remboursement. ; semblablement, il pouvait, en sa qualité de chef de service, fixer un modèle de convention indiquant les différents points sur lesquels devait porter la convention qui doit être signée (en vertu des dispositions de l'art. 4 du décret du 5 mars 1997) entre l'organisateur et l'autorité compétente de l'État. Enfin, il pouvait prévoir l'organisation d'au moins une réunion préparatoire portant sur les questions d'ordre et de sécurité avant la tenue de l'événement tout comme il pouvait, à l'annexe 5 de cette instruction, indiquer que les frais à couvrir comportent le coût des indemnités de mission et, pour les escortes, les indemnités de repas et un tarif kilométrique.

Le Conseil d’État retient en revanche les griefs suivants et les annulations sont prononcées dans cette limite. En premier lieu, le ministre de l'intérieur ne dispose pas du pouvoir de déterminer, de façon générale, le montant de l'acompte ou les conditions de son versement, ceci relève de la seule compétence de la convention et donc de ses auteurs. En second lieu, alors que le décret du 5 mars 1997, dans son art. 5, prévoit que le paiement des sommes dues par l'organisateur de la manifestation doit intervenir dans un délai de trente jours à compter de la réception de la demande de paiement, le ministre ne pouvait pas, par l'instruction contestée, décider que le paiement du solde « devra intervenir dans un délai maximum d'un mois après la fin de la manifestation ».

(31 décembre 2019, Association Union française des métiers de l'événement (UNIMEV), n° 422679 ; Syndicat national du spectacle musical et de variété (PRODISS) et autre, n° 425266, deux espèces jointes)

 

Procédure contentieuse

 

90 - Contentieux sociaux - Réclamation d'un indu social (RSA) - Demande de remise gracieuse du remboursement de l'indu - Règles procédurales assouplies et aménagées - Requête ne comportant aucun moyen ou des moyens non assortis de précisions en permettant l'appréciation - Conséquences procédurales - Statut procédural du défendeur - Limites - Rejet.

Le code de justice administrative (Art. R. 772-5 et suivants) a organisé, dans les contentieux sociaux, d'importants assouplissements procéduraux pour tenir compte de l'environnement sociologique et culturel des requêtes portant sur les matières relevant de ces contentieux.

Une personne, dont la demande de remise gracieuse d'un remboursement de RSA indu a été rejetée, saisit en vain le tribunal administratif et se pourvoit en Conseil d’État. Ceci fournit à celui-ci l'occasion de préciser le régime contentieux dérogatoire caractérisant les contentieux sociaux.

En particulier, le juge ne peut rejeter purement et simplement une requête entrant dans leur champ d'application au motif qu'elle ne comporte l'exposé d'aucun moyen ou qu'elle ne comporte que des moyens qui ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé - ce qui ne nécessite ni instruction contradictoire ni audience publique. Il doit, pour ce faire, avoir informé le requérant, sauf s'il est représenté par un avocat ou a utilisé le formulaire comportant ces informations, du rôle du juge administratif et de la nécessité de lui soumettre une argumentation propre à établir que la décision attaquée méconnaît ses droits et de lui transmettre, à cet effet, toutes les pièces justificatives utiles.

Egalement, le Conseil d’État rappelle qu'en vertu de l'art. R. 772-8 CJA il appartient au défendeur, si nécessaire à l'invitation du tribunal, de communiquer à celui-ci l'ensemble du dossier constitué pour l'instruction de la demande ou pour le calcul de l'indu et le juge ne peut régulièrement rejeter les conclusions dont il est saisi, pour un motif sur lequel son contenu peut avoir une incidence, s'il ne dispose pas des éléments pertinents de ce dossier, sauf à avoir invité le requérant à produire les pièces précises, également en sa possession, qui sont nécessaires à l'examen de ses droits.

Enfin, la procédure contradictoire peut être poursuivie au cours de l'audience sur les éléments de fait qui conditionnent l'attribution de la prestation ou de l'allocation ou la reconnaissance du droit, objet de la requête, et le juge peut décider de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure à l'audience pour permettre aux parties de verser des pièces complémentaires (art. R. 772-9 CJA).

Toutefois, cette vision « généreuse » de la position de demandeur dans le procès en contentieux sociaux ne saurait être étendue à l'infini. C'est pourquoi, il est jugé ici que le juge n'a pas l'obligation, lorsque le défendeur a communiqué au tribunal l'ensemble des éléments pertinents du dossier constitué pour l'instruction de la demande ou pour le calcul de l'indu et que ces éléments ont été soumis au débat contradictoire, de diligenter une mesure supplémentaire d'instruction ou d'inviter le demandeur à produire les pièces qui seraient nécessaires pour établir le bien-fondé d'allégations insuffisamment étayées.

S'agissant du refus de remise gracieuse et du jugement qui rejette le recours contentieux dirigé contre ce refus, le Conseil d’État juge qu'il découle de l'art. L. 262-46 du code de l'action sociale et des familles qu'un allocataire du RSA ne peut bénéficier d'une remise gracieuse de la dette résultant d'un paiement indu d'allocation que si sont cumulativement remplies deux conditions : la bonne foi de l'allocataire, résultant de ce qu'il  n'a ni effectué une manœuvre frauduleuse ni fait une fausse déclaration et la précarité de sa situation, appréciée par le département à la date de sa décision, justifiant l'octroi d'un remise.

Il s'ensuit que, statuant sur une décision refusant ou ne faisant que partiellement droit à une demande de remise gracieuse, le juge administratif, ici juge de plein contentieux, ne doit pas se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais seulement examiner si une remise gracieuse totale ou partielle est susceptible d'être accordée, en se prononçant lui-même sur la demande au regard des dispositions applicables et des circonstances de fait dont il est justifié par l'une et l'autre parties à la date de sa propre décision.

Le pourvoi est rejeté.

(4 décembre 2019, Mme X., n° 420655 ; v. aussi : 19 décembre 2019, Mme X., n° 422374)

 

91 - Question préjudicielle sur renvoi de la juridiction judiciaire - Obligation pour le juge administratif de statuer sur une telle question - Exception lorsque la question ne relève pas de la compétence du juge administratif - Cas en l'espèce - Renvoi au Tribunal des conflits.

Le Conseil d’État était saisi par le TGI d'Épinal d'une question préjudicielle portant sur la légalité d'arrêtés ministériels ayant étendu l'accord relatif au régime des frais de santé des salariés intérimaires et ses avenants n° 1 et n° 2. 

Celui-ci observe que la juridiction administrative n'est pas compétente pour statuer sur cette question préjudicielle car l'accord et les avenants sur lesquels elle porte sont des actes de droit privé et que ne sont pas en cause ici les arrêtés ministériels les ayant étendus. Constatant la double incompétence d'une juridiction de chacun des deux ordres de juridiction, le juge renvoie au Tribunal des conflits le soin de décider, par application de l'art. 32 du décret du 27 février 2015.

(16 décembre 2019, CGT Intérim, Fédération CFTC commerce et services, Fédération des services CFDT, Fédération nationale encadrement commerce et services CFE-CGC, Fédération des employés et cadres Force ouvrière et Prism'emploi, n° 421349)

 

92 - Composition de la formation de jugement - Irrégularité - Moyen susceptible d'être soulevé à tout moment de la procédure y compris devant le juge de cassation - Annulation du jugement et renvoi au tribunal qui l'a rendu.

Rappel d'une constante du contentieux administratif : Le moyen relatif à l'irrégularité de la composition d'une formation de jugement, quel qu'en soit le fondement, peut être invoqué à toute étape de la procédure y compris devant le juge de cassation. Tel est le cas du jugement rendu à juge unique alors que celui-ci avait livré à l'une des parties, par courrier officiel, son appréciation sur le dossier, portant ainsi atteinte au principe d'impartialité. Il n'y a pas lieu, en l'espèce, de s'arrêter au fait que ce courrier a été soumis au contradictoire, ni à la circonstance que le jugement attaqué ne se fonde pas sur ce courrier. 

Il faut approuver une solution dont la rigueur se situe au niveau de l'importance du principe ici malmené.

(4 décembre 2019, Mme X., n° 421719)

 

93 - Élections des représentants des enseignants-chercheurs et des chercheurs au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) - Contentieux - Incompétence du Conseil d’État pour statuer en premier et dernier ressort - Renvoi au tribunal administratif de Paris.

La connaissance des litiges relatifs aux élections au CNESER relève, en application des dispositions de l’art. R. 312-9 CJA, de la compétence de premier ressort du tribunal administratif de Paris, ville où le CNESER a son siège. C’est donc à tort que le Conseil d’État a été saisi du litige en cause, d’où le renvoi opéré à ce tribunal.

(27 décembre 2019, M. X., n° 436087)

 

94 - Moyen inopérant - Organisation du vote électronique pour l'élection de représentants du personnel - Ministère des outre-mer - Défaut de création de comités techniques pour certains agents - Rejet.

Le syndicat requérant forme un recours contre un arrêté ministériel fixant l'organisation du vote électronique par internet en vue de l'élection, prévue à la fin de l'année 2018, des représentants du personnel au sein des instances de représentation du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer. Il est renvoyé par ce texte à deux annexes devant énumérer les instances et les corps concernés. À l'appui de son recours en annulation de cet arrêté le syndicat invoque le fait qu'il « ne prévoit pas la création de comités techniques pour les agents civils exerçant leurs fonctions dans le cadre du service militaire adapté, au sein de l'administration supérieure de Wallis-et-Futuna et de l'administration supérieure des Terres australes et antarctiques françaises, ainsi qu'au sein de la Fondation Singer Polignac. »

Le Conseil d’État, constatant que ledit arrêté « n'a pas pour objet de déterminer les instances de dialogue social au sein du ministère de l'outre-mer et se borne à organiser les modalités du vote électronique aux élections professionnelles », juge inopérants les moyens soulevés à l'appui de la requête. Nous aurions, plutôt que d'inopérance, penché pour l'irrelevance des motifs en ce qu'ils sont ici purement et simplement hors sujet par rapport à l'objet du recours.

(24 décembre 2019, Syndicat UATS-UNSA Service militaire adapté, Administration centrale et Personnes morales de droit public du ministère chargé de l'outre-mer, délégation nationale d'UATS-UNSA, n° 424588)

 

95 - Communication des observations des parties - Moyen relevé d'office - Absence d'obligation de communiquer - Autres moyens - Demande de substitution de base légale - Obligation de communiquer les observations - Non-respect du contradictoire - Annulation avec renvoi.

Lorsque la juridiction administrative communique aux parties un moyen d'ordre public qu'elle a soulevé d'office elle n'est pas tenue de transmettre à une partie les observations produites par l'autre partie sur le moyen ainsi relevé d'office. En revanche, si, en réponse à cette communication, l'une des parties sollicite une substitution de base légale, la juridiction doit, avant d'y statuer, soumettre cette demande à la discussion contradictoire. Faute de l'avoir fait en l'espèce l'arrêt de la cour est cassé et renvoyé à elle pour réexamen.

(20 décembre 2019, M. et Mme X., n° 421437 ; v. aussi, du même jour et avec même solution : M. et Mme X., n° 421438 ; M. X., n° 421440 ; M. et Mme X., n° 421447 ; M. et Mme X., n° 421452 ; M. et Mme X., n° 421457 ; M. et Mme X., n° 421471 ; M. et Mme X., n° 423020 ; M. et Mme X., n° 423146)

96 - Recours excès de pouvoir - Intérêt pour agir - Radiation de médicaments de la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques - Qualité d'interne en pharmacie - Défaut d'intérêt - Rejet.

Un interne en pharmacie de tire pas de cette qualité intérêt pour agir en excès de pouvoir aux fins d'annulation d'un arrêté interministériel portant radiation de spécialités pharmaceutiques de la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques. En effet, un tel arrêté n'a pas d'incidence sur les conditions d'exercice, par cet interne, de ses missions de santé publique ni, non plus, sur ses conditions d'emploi et de travail, ni, également, sur ses droits et prérogatives.

 (16 décembre 2019, M. X., n° 422536)

 

97 - Récusation - Récusation impossible d'une personne n'étant pas un juge - Demande d'application de l'art. L. 911-5 CJA (exécution des jugements et astreinte) - Disposition inapplicable à une décision de la CJUE - Rejet.

Dans le cadre d'un litige relatif à l'exécution, en France, d'une décision de la CJUE, le Conseil d’État rappelle deux points de procédure.

Tout d'abord, une demande de récusation ne peut être dirigée que contre une personne ayant la qualité de juge. Il faut aussi, même si la décision est muette sur ce point, y ajouter au moins celui ayant la qualité d'expert.

Ensuite, la saisine du juge sur le fondement des dispositions de l'art. L. 911-5 du CJA, qui tend à voir ordonner l'exécution d'une décision de justice ou à en définir les mesures d'exécution, au besoin sous astreinte, ne peut concerner qu'une décision rendue par une juridiction administrative : tel n'est pas le cas, à l'évidence, de la CJUE.

(19 décembre 2019, Société Efinovia, n° 430753)

V. aussi au n° 15

 

98 - Exercice du droit de préemption - Contestation - Application de la règle du délai raisonnable - Recours tardif - Impossibilité de rouvrir le délai par l'exercice d'un recours gracieux postérieurement à l'expiration du délai de recours contentieux - Rejet.

(16 décembre 2019, M. et Mme X., n° 419220 ; v. aussi, du même jour, les décisions rappelant que ce délai raisonnable est de trois ans dans le cas d'un recours contre un décret de libération des liens d'allégeance avec la France : Mme X., n° 428798 ; Mme X., n° 429387 ; v. aussi, à propos du contrôle des motifs du recours à l'exercice du droit de préemption : 19 décembre 2019, Commune de Villemomble, n° 420227)

V. n°15

 

99 - Recours direct en interprétation d'un acte - Conditions de recevabilité - Cas où ce recours est irrecevable ou sans objet.

Le recours direct en interprétation d'un acte administratif n'est possible devant le juge administratif qu'à la double condition qu’il concerne un différend né et actuel susceptible de relever de la compétence du juge administratif et que sa résolution soit subordonnée au résultat de cette interprétation.

Il suit de là qu'un tel recours ne peut être formé à propos d'un différend porté devant une juridiction administrative puisqu'en ce cas il appartient à cette dernière de délivrer l'interprétation des actes administratifs dont dépend la solution du litige qui lui est soumis.

Enfin, si le différend est porté devant une juridiction administrative après l'introduction du recours en interprétation, ce dernier recours perd son objet et c'est un non-lieu qui doit être prononcé en ce cas. 

(Section, 6 décembre 2019, Société cabinet dentaire X. et autres, n° 415731 ; v. aussi, du même jour avec même solution et également de Section : M. X., n° 416762)

 

100 - Désistement - Non-production dans les délais d'un mémoire annoncé - Désistement d'office - Suspension de l'avocat - Nouvel avocat désigné - Production du mémoire ampliatif dans le délai imparti - Absence de désistement d'office.

Normalement, le justiciable qui, au moment du dépôt d'une requête sommaire, annonce l'envoi ultérieur d'un mémoire, est réputé s'être désisté lorsqu'aucun mémoire n'est parvenu au greffe ou au secrétariat de la juridiction dans les trois mois. En l'espèce, l'avocat ayant annoncé l'envoi d'un mémoire a été suspendu par le conseil de l'ordre. Après désignation d'un nouvel avocat, un délai de deux mois lui a été imparti pour déposer ce mémoire. Ce second délai ayant été respecté en l'espèce, l'intéressé ne peut pas être réputé comme s'étant désisté d'office.

(31 décembre 2019, M. X., n° 426831)

 

101 - Recours en annulation du refus de prendre un arrêté relatif à une taxe d'aéroport - Intérêt pour agir d'un syndicat à cet effet - Absence en raison du caractère indirect et incertain des effets de la prise d'un tel arrêté - Rejet.

Le syndicat requérant se voit dénier un intérêt à agir en excès de pouvoir pour demander l'annulation du refus de prendre un arrêté fixant la proportion de la taxe d'aéroport destinée au financement des matériels de contrôle automatisé aux frontières par identification biométrique. En effet, le Conseil d’État estime que l'effet de l'absence d'un tel arrêté sur la situation des compagnies aériennes membres de ce syndicat est trop indirect et trop incertain pour que soit reconnu à ce dernier un intérêt suffisant pour agir.

 (31 décembre 2019, Syndicat des compagnies aériennes autonomes, n° 427262)

 

102 - Recours en interprétation d'une décision du Conseil d’État pour cause d'ambiguïté - Détermination de la personne publique redevable d'une somme - Admission de la requête et réponse à celle-ci.

Dans une affaire, rapportée dans cette Chronique au n° de juillet-août 2018, était en cause le transfert à la commune d'Isola de parcelles appartenant à une société privée contre paiement par la commune à cette société d'une certaine somme. Des difficultés s'étant élevées pour obtenir ce paiement, la société a saisi la Section du rapport et des études du Conseil d’État puis, la commune, prétendant que le paiement de la somme en litige ne lui incombait pas mais devait être mis à la charge du Syndicat mixte pour l'aménagement et l'exploitation de la station d'Isola 2000, a interrogé le Conseil d’État en vue qu'il interprète sa décision précitée du 11 juillet 2018 qu'elle estimait obscure.

Le Conseil d’État délivre cette interprétation alors que, nous semble-t-il, la décision était pourtant tout à fait claire. La somme à régler est à la charge exclusive de la commune d'Isola.

(20 décembre 2019, Commune d'Isola, n° 407865)

 

103 - Chasse - Régime d'indemnisation des dégâts causés par le gibier aux cultures et aux récoltes agricoles - Institution de commissions départementales et d'une commission nationale de la chasse et de la faune sauvage - Commission nationale d'indemnisation saisie par voie d' « appel » - « Appel » devant être considéré comme un recours administratif préalable obligatoire - Irrecevabilité d'un recours porté directement devant la juridiction administrative - Rejet.

L'art. L. 426-5 du code de l'environnement, en instituant devant la Commission nationale d'indemnisation des dégâts de gibier un « appel » contre les décisions indemnitaires des commissions départementales de la chasse et de la faune sauvage dans leur formation spécialisée pour l'indemnisation des dégâts de gibier aux cultures et aux récoltes agricoles et un « appel » contre les décisions de ces mêmes commissions adoptant un barème départemental d'indemnisation, a nécessairement entendu faire de ces « appels » des recours administratifs préalables obligatoires avant toute saisine de la juridiction administrative. D'où il suit que faute d'avoir saisi la Commission nationale antérieurement à la saisine du juge administratif, la fédération requérante a entaché sa saisine d'irrecevabilité ainsi que l'a jugé à bon droit la cour administrative d'appel, d'où le rejet du pourvoi.

(11 décembre 2019, Fédération départementale des chasseurs du Var, n° 425351)

 

104 - Recours pour excès de pouvoir - Recours dirigé contre une circulaire - Circulaire réitérant les silences que contient une loi - Recours irrecevable - Rejet.

La circonstance qu'une circulaire ministérielle réitère le silence de dispositions législatives (art. 728-15 à 728-22 du code de procédure pénale) en tant qu'elles ne prévoient pas de voie de recours contre les décisions du ministère public décidant ou refusant de donner suite aux demandes de transfèrement international formulées par une personne condamnée et ne prescrivent pas de délai au ministère public pour statuer sur une demande de transfèrement international, ne saurait donner ouverture à la formation d'un recours pour excès de pouvoir, un tel recours étant, en ce cas, irrecevable.

(18 décembre 2019, Section française de l'Observatoire international des prisons et autre, n° 434746)

 

105 - Sursis à l'exécution d'une décision - Décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins - Infliction d'un blâme - Atteinte à la réputation professionnelle - Absence de conséquences difficilement réparables - Rejet de la demande de sursis.

L'infliction d'un blâme à un médecin par l'instance disciplinaire ordinale ne crée pas pour lui de conséquences difficilement réparables qui justifieraient que soit ordonné le sursis à l'exécution de la décision de sanction.

La solution serait différente si, par exemple, du fait de sa qualité de membre d'une instance ordinale, le médecin qui a fait l'objet d'un blâme se verrait interdit désormais d'y siéger (dans le cas d'un chirurgien-dentiste, voir : 7 novembre 2001, Daniel X., n° 237107).

(24 décembre 2019, M. X., n° 434494)

 

106 - Expert - Octroi d'une allocation provisionnelle pour des travaux d'expertise - Partie concernée n'ayant pas versé la provision - Rapport de carence - Obligation de mise en demeure - Absence - Irrégularité - Annulation et renvoi.

Rappel de ce qu'il résulte des art. R. 621-1, R. 621-1-1, R. 621-12, R. 621-12-1 et R. 761-1 que lorsque la partie qui en a la charge ne verse pas à l'expert l'allocation provisionnelle accordée, le président de la juridiction ou le magistrat qu'il a désigné ne peut autoriser l'expert à déposer un rapport de carence, dont la juridiction tirera les conséquences, qu'après en avoir averti cette partie par une mise en demeure qui lui impartit un nouveau délai pour verser l'allocation.

(31 décembre 2019, M. X., n° 420025 ; v. aussi, dans le cas d'un rapport de carence de l'expert fondé sur le refus d'une partie de fournir ses observations à l'expert et des obligations découlant en ce cas pour le juge : 31 décembre 2019, M.X., n° 420231)

 

107 - Reconnaissance à un individu de la qualité de réfugié - Détention d'un permis de séjour provisoire - Délai d'un an pour effectuer l'échange de permis - Délai non franc courant à compter du jour de la reconnaissance de la qualité de réfugié - Annulation du jugement et renvoi au tribunal.

Le Conseil d’État juge, contrairement au tribunal administratif de Strasbourg, que le délai d'un an ouvert à la personne à laquelle a été reconnue la qualité de réfugié pour échanger son permis de conduire contre un permis français, court du jour même de cette reconnaissance et n'est pas un délai franc. Il s'ensuit que, s'achevant un samedi le terme du délai ne peut pas être reporté au lundi qui suit.

(31 décembre 2019, M. X., n° 429356)

 

108 - Recours des syndicats de fonctionnaires au nom de leurs membres - Mesures d'organisation du service - Irrecevabilité du recours en principe - Exception en cas d'atteinte aux droits statutaires des agents - Absence ici - Rejet.

Les recours formés par les syndicats ou unions syndicales de fonctionnaires ne peuvent être dirigés contre les mesures d'organisation du service, lesquelles n'affectent pas, par leur nature comme par leur contenu, les droits statutaires des agents ; ils sont donc irrecevables. Il n'en va autrement que dans le cas où, par exception, en dépit de ce caractère d'organisation du service ils affectent lesdits droits statutaires. Tel n'est pas le cas, en l'espèce, d'un décret (du 24 mai 2017) relatif aux attributions des ministres, qui se borne à définir les attributions des membres du Gouvernement et les services et organismes sur lesquels ils ont autorité, dont ils disposent ou sur lesquels ils exercent un pouvoir de tutelle pour l'exercice de leurs missions. De telles dispositions, parce qu'elles se rapportent à l'organisation du service, n'ont pas pour objet d'affecter, par elles-mêmes, les conditions d'emploi et de travail des agents exerçant leurs fonctions dans les services concernés.

C'est là la réitération, quant au principe, d'une jurisprudence ancienne, classique et constante issue notamment de l'arrêt d'Assemblée du 26 octobre 1956, Association générale des administrateurs civils, Rec. p. 391 et, quant à l'exception, de l'arrêt du 16 décembre 1960, Sieur L'Herbier, Rec. p. 707.

(31 décembre 2019, Syndicat UATS-UNSA, n° 429715)

 

Professions réglementées

 

109 - Médecins - Société d’exercice libéral (S.E.L.) exploitant un laboratoire de biologie médicale - Inscription au tableau de l’ordre - Contrôle plein et entier du juge administratif - Absence d’illégalité - Rejet.

Une institution ordinale régionale demande l’annulation de la décision par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a inscrit une société de biologie médicale au tableau de l'ordre des médecins. Rejetant ce recours, le Conseil d’État apporte deux précisions importantes.

En premier lieu, le juge administratif de l’excès de pouvoir exerce un contrôle normal, dit encore « plein et entier », sur l’appréciation portée (en application des dispositions des art. R. 4113-4 et L. 4113-11 ainsi que du III de l'art. L. 6223-8 du code de la santé publique) par le Conseil national de l’ordre des médecins du respect par une société d’exercice libéral des conditions d'inscription au tableau de l'ordre. Cette solution, qui n’allait pas de soi, doit être approuvée.

En second lieu, et en conséquence de ce qui vient d’être dit, la compétence du Conseil national de l’ordre est très en cadrée car il ne peut refuser l’inscription, d’une S.E.L. en l’espèce, qu’en cas d’irrégularité(s) de ses statuts au regard des règles régissant la profession de médecin ou si ceux-ci sont de nature à conduire à la méconnaissance des règles professionnelles et/ou déontologiques.

 (2 décembre 2019, Conseil départemental de la Guyane de l'ordre des médecins, n° 404973 ; v. aussi, du même jour et largement comparable, à propos de l’inscription d’une société de biologie vétérinaire au tableau de l’ordre des vétérinaires : Société Vebio et Syndicat des laboratoires de biologie vétérinaire (SLBV), n° 410693 et n° 411619 ; Société Vebio, n° 416373)

 

110 - Pédicures-podologues - Installation d'un cabinet secondaire - Refus de l'ordre des pédicures-podologues - Juridiction refusant de tenir compte de l'augmentation très importante de la population saisonnière - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la juridiction qui, pour refuser d'annuler la décision de l'ordre des pédicures-podologues refusant l'autorisation à l'un de ses membres d'ouvrir un cabinet secondaire, estime que n'avait pas à être pris en considération le besoin de la clientèle non sédentaire. Au contraire, il lui incombait de vérifier s'il existait, dans le secteur géographique considéré, au vu des besoins des patients et des nécessités de la continuité des soins, tant pour les résidents permanents que pour les résidents saisonniers et la population de passage, une carence ou une insuffisance de l'offre de soins de pédicurie-podologie.

(31 décembre 2019, M. X., n° 426172)

 

111 - Médecins - Contrat de remplacement temporaire d’un médecin - Pouvoirs du conseil départemental de l’ordre des médecins - Absence du pouvoir d’autoriser le remplacement même lorsque le remplaçant est un étudiant en médecine - Rejet.

Dans cette affaire, où était en cause un contrat de remplacement temporaire d’un médecin par un étudiant en médecine, se posaient deux questions distinctes que le conseil national requérant a peut-être confondues.

En premier lieu, un étudiant en médecine, donc non encore inscrit au tableau de l’ordre, doit bénéficier d'une autorisation délivrée par le conseil départemental pour remplacer temporairement un médecin (art. L. 4131-2 du code de la santé publique).

En second lieu, le contrat de remplacement temporaire d’un médecin doit être transmis au conseil départemental de l’ordre seulement pour avis sur sa compatibilité avec les règles applicables à la profession ; cet avis ne constitue donc pas une autorisation de recourir au remplacement même lorsque ce contrat est conclu avec un étudiant en médecine.

Il y a lieu de bien distinguer les deux titres d’intervention du conseil départemental en ce cas : vérification que l’étudiant en médecine satisfait aux conditions légales à l’effet de remplacer temporairement un médecin en exercice et vérification que le contrat conclu entre eux satisfait aux règles de la profession. En aucun cas, il ne s’agit, pour ledit conseil, d’autoriser l’étudiant à effectuer ce remplacement ou le médecin en exercice à conclure un contrat de remplacement. Pour avoir pensé cela le conseil national de l’ordre des médecins voit son recours rejeté.

(2 décembre 2019, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 418260)

 

112 - Fonctionnaires membres d’un ordre professionnel - Infirmiers - Pédicures-podologues - Masseurs-kinésithérapeutes - Établissement de listes nominatives en vue de l’inscription au tableau de l’ordre - Paiement d’une cotisation à l’ordre - Organisme chargé de missions de service public - Rejet.

(19 décembre 2019, Fédération CGT de la santé et de l'action sociale, n° 426833)

V. au n° 75

 

113 - Vétérinaires - Vétérinaires exerçant exclusivement à domicile - Collaboration de vétérinaires exerçant à domicile avec d'autres vétérinaires ou avec des établissements de soins vétérinaires - Irrégularité - Rejet.

Il était demandé au Conseil d’État d'annuler pour illégalité la décision du Conseil national de l'ordre des vétérinaires annulant la décision du conseil régional Provence-Alpes-Côte-d'Azur-Corse de l'ordre des vétérinaires et disposant que l'activité de vétérinaire à domicile des vétérinaires collaborateurs d'Adomvet est illégale.

Se fondant sur les dispositions très claires de l'art. R. 242-57 du code de rural et de la pêche maritime (« Est dénommée vétérinaire à domicile la personne physique ou morale habilitée à exercer la médecine et la chirurgie des animaux qui, n'exerçant pas dans un établissement de soins vétérinaires, exerce sa profession au domicile du client. Le vétérinaire à domicile ne peut exercer cette activité pour le compte d'un vétérinaire ou d'une société possédant par ailleurs un ou plusieurs établissements de soins vétérinaires ».), le Conseil d’État rejette le recours, ajoutant au surplus que ces dispositions ne contreviennent ni à celles de l'art. 16 de la directive services dans le marché intérieur (2006/123/CE du 12 décembre 2006) ni aux objectifs poursuivis par l'art. 25 de ce texte en raison de son inopérance sur le litige car il vise l'exercice de plusieurs activités différentes alors qu'en l'espèce il ne s'agit que du seul exercice de l'activité de vétérinaire.

(20 décembre 2019, Société Adomvet et autres, n° 410771)

 

114 - Vétérinaires - Recours administratif préalable obligatoire - Compétence du Conseil national de l'ordre pour connaître des décisions administratives prises par un conseil régional de l'ordre - Conseil national s'estimant incompétent - Conséquence sur la sanction et pour ce Conseil - Cassation avec renvoi.

(20 décembre 2019, M. X., n° 417824)

V. au n° 7

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

115 - Invocation de la violation du principe de légalité - Invocation de la méconnaissance de l'art. 37-1 de la Constitution - Absence de droit ou liberté que garantit la Constitution - Rejet.

Après que le maire de Locronan, après avoir retiré l'arrêté de non-opposition à la déclaration préalable de travaux délivrée à la société Orange pour l'implantation d'une installation de téléphonie mobile sur le territoire de sa commune, a fait opposition à cette déclaration, la société Orange, excipant des dispositions de l'article 222 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, a saisi le tribunal administratif d'une demande de référé suspension. La commune ayant soulevé en défense une QPC, celle-ci est renvoyée au Conseil d’État.

Le juge rejette cette question en ses deux branches. Il juge, d'une part, que si les dispositions de l'art. 222 interdisent à l'autorité administrative de revenir sur une décision illégale dont elle serait l'auteur, la seule invocation par la commune de Locronan du principe de légalité des actes administratifs ne permet pas de caractériser une atteinte à un droit ou une liberté au sens de l'article 61-1 de la Constitution, et d'autre part, qu'est irrelevante, dans le cadre d'une QPC, l'invocation de l'art. 37-1 de la Constitution, dont la méconnaissance, à la supposer établie, n'est pas relative à un droit ou à une liberté que la Constitution garantit.

(11 décembre 2019, Commune de Locronan, n° 434741)

 

116 - Autorisation d'exploitation commerciale - Délivrance par la commission départementale d'aménagement commercial - Nécessité de la contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial urbain - Atteinte à la liberté d'entreprendre - Renvoi de la QPC.

L'organisation requérante soutient que les dispositions du e) du 1° du I, du III et du IV de l'article L. 752-6 du code de commerce, méconnaissent la liberté d'entreprendre découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors qu'elles subordonnent la délivrance d'une autorisation d'exploitation commerciale à la prise en considération de la contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale concerné, laquelle est appréciée par la commission départementale d'aménagement commercial au vu d'une étude d'impact évaluant les effets du projet sur l'animation et le développement économique des centres-villes de ce territoire et sur l'emploi, cette même étude d'impact devant, en outre, établir qu'aucune friche existante en centre-ville, ou à défaut, en périphérie, ne permet l'accueil du projet. 

Le Conseil d’État, constatant que la disposition contestée est applicable au litige, n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution et que, ainsi posée, la question est nouvelle, décide de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de savoir si cette disposition porte atteinte à la liberté d'entreprendre que garantit l'art. 4 de la Déclaration de 1789. On relèvera le ton dubitatif adopté par le juge ici lorsqu'il évoque « une question qui peut être regardée comme présentant un caractère sérieux ».

(13 décembre 2019, Conseil national des centres commerciaux, n° 431724)

 

117 - Plus-values en report - Plus-value entrant dans le champ de la directive fusions - Abattement pour durée de détention - Plus-values n'entrant pas dans ce champ - Absence de droit à abattement - Renvoi d'une QPC.

Il est jugé que présente un caractère sérieux, justifiant son renvoi au Conseil constitutionnel, le moyen tiré de ce que les dispositions du III de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, en combinaison avec celles de l'article 150-0 B ter du CGI, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment au principe d'égalité devant la loi.

En effet, ce mécanisme aboutit à faire bénéficier d'un abattement pour durée de détention les seules plus-values en report résultant d'opérations réalisées dans le champ matériel d'application de la directive fusions du 19 octobre 2009 telle qu'interprétée par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 18 septembre 2019, X. et Y. c/ Ministre de l'action et des comptes publics, aff. C-662/18 et C-672/18) et à exclure de ce bénéfice celles réalisées en dehors de ce champ, c'est-à-dire uniquement entre contribuables établis en France.

(19 décembre 2019, M. X., n° 423118)

 

118 - QPC - Principe constitutionnel du respect des droits de la défense - Décisions prises par des autorités administratives autres que celles ayant un caractère de punition - Principe inapplicable - Établissement de l’impôt - Rejet.

Rappel de ce que le principe constitutionnel du respect des droits de la défense ne s'applique pas aux décisions émanant des autorités administratives, sauf lorsqu'elles prononcent une sanction ayant le caractère d'une punition.

Il s’ensuit que ce principe ne saurait être utilement invoqué à l'encontre des dispositions du VI de l’art. 16B du Livre des procédures fiscales, en tant que, régissant la procédure administrative d'établissement de l'impôt, elles n'assortiraient pas de garanties suffisantes, au profit du contribuable, la faculté laissée à l'administration de procéder à des traitements informatiques sur une comptabilité saisie lors d'une visite domiciliaire effectuée dans le cadre d'une ordonnance du juge judiciaire, dans la mesure où elles ne prévoient pas la possibilité pour le contribuable d'effectuer lui-même les traitements en cause ni n'imposent à l'administration de délai pour leur réalisation.

La demande de renvoi de la QPC est rejetée.

(27 décembre 2019, SAS Le Bistrot du Dôme, n° 427716)

 

Responsabilité

 

119 - Procédure irrégulière de recrutement d’un agent public - Préjudice subi du fait du non-recrutement - Nomination simplement éventuelle - Absence de lien de causalité entre l’irrégularité et le dommage - Rejet.

La requérante, candidate à plusieurs reprises au recrutement en qualité de titulaire de la chaire accessibilité du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), estime n’avoir été évincée qu’en raison des irrégularités entachant les procédures suivies et demande la réparation du préjudice qui lui a été causé de ce chef.

Le Conseil d’État relève l’existence d’au moins deux irrégularités : l’absence de réunion du quorum requis lorsqu’a été examinée la candidature de l’intéressée pour la première fois et, lors du second examen de cette candidature, l’absence de transmission de celle-ci au ministre.

Toutefois, la demande de réparation est rejetée car le Conseil d’État estime que ces irrégularités n’ont pas causé un préjudice direct et certain en raison de ce que le pouvoir de nomination appartient discrétionnairement au ministre de l’enseignement supérieur. Or la cause du préjudice réside dans la non-nomination sans que les irrégularités relevées puissent être considérées comme ayant eu un rôle, même partiellement, causal dans la réalisation du préjudice.

La solution semble discutable dans la mesure où la volonté manifeste des organes statutaires du CNAM de ne pas recruter la requérante n’est pas demeurée sans influence sur la décision finale du ministre de refuser la nomination de Mme X.

(2 décembre 2019, Mme X., n° 416260)

V. aussi au n° 1

 

120 - Avocats aux conseils - Recherche de responsabilité - Conditions de mise en jeu de sa responsabilité - Conditions non satisfaites - Rejet.

Dans cette affaire, était recherchée la responsabilité d'une société d'avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation du chef d'omission d'acquittement de la contribution pour l'aide juridique qui aurait eu pour conséquence l'irrecevabilité de son recours pour excès de pouvoir contre le permis de construire délivré par le maire de Courbevoie à la société Tour Air 2 pour la construction d'une tour dans le quartier de la Défense.

Les principes du droit de la responsabilité comportent, notamment, l'exigence que le demandeur en réparation établisse avoir subi un préjudice or, en l'espèce, le préjudice matériel n'est ni actuel ni futur ni certain et l'invocation du préjudice moral n'est pas assortie de précisions suffisantes pour le faire regarder comme établi.

Le recours est évidemment rejeté.

(4 décembre 2019, Société Saint Martins Management Corporation Ltd, représentant l'État du Koweït, n° 422423)

 

121 - Responsabilité du fait du service public de santé - Patient victime du Benfluorex (principe actif du Médiator) - Acceptation de l'offre d'indemnisation de l'ONIAM (art. L. 1142-24-6 code de la santé publique) - Possibilité de rechercher en outre la responsabilité de l'État - Carence à l'expertise - Absence de lien de causalité - Rejet.

Statuant sur une demande d'indemnisation que le requérant fondait sur la prise du médicament Médiator, le juge rappelle plusieurs exigences du droit de la réparation des préjudices liés à la prise de médicaments.

Trois seront retenues ci-après.

Tout d'abord, la circonstance que la victime d'un médicament ait accepté l'offre d'indemnisation faite par l'ONIAM, au titre de l'art. L. 1142-24-6 du code de la santé publique, ne l'empêche nullement de saisir le juge administratif d'une action en responsabilité dirigée contre l'État à raison des mêmes préjudices et pour un montant supérieur à celui de l'offre.

Ensuite, il est relevé que la cour administrative d'appel, en jugeant minime le caractère des troubles invoqués, n'a pas entendu subordonner l'indemnisation à un seuil minimal de gravité du préjudice, en violation du principe de réparation intégrale du préjudice lorsque la responsabilité est fondée sur la preuve d'une faute, mais a seulement voulu indiquer que ce caractère minime établit l'absence de lien de causalité entre les troubles invoqués et la prise du Médiator.

Enfin, la victime ne s'étant pas prêtée aux opérations expertales, un rapport de carence a été établi par l'expert. Si ce rapport devait être notifié aux parties pour observations, avant que le juge ne statue, il n'incombait nullement au juge de provoquer, fut-ce par mise en demeure, des observations écrites de la part de la partie défaillante en son obligation de collaborer à l'expertise.

(31 décembre 2019, M.X., n° 420231 ; v. cependant, pour une décision accueillant le recours d'une utilisatrice du Médiator, en raison de circonstances différentes de celles de l'affaire précédente : 31 décembre 2019, Mme X., n° 420232)

 

122 - Dommages résultant de l'exécution de travaux publics ou de l'existence d'un ouvrage public - Action en responsabilité de ce chef - Dommages persistant ou non ou insuffisamment pris en compte - Pouvoir d'injonction du juge en cas d'abstention illégitime de la puissance publique - Pouvoirs du juge en cas de persistance des dommages et d'absence de faute de l'administration.

Le syndicat de copropriétaires demandeur a, à titre principal, réclamé devant les premiers juges la réfection, par la commune de Beausoleil, de l'étanchéité de la voie piétonne située entre les immeubles de la copropriété ainsi que le remboursement de divers frais engagés par lui. Il n'obtient que partiellement gain de cause, tandis que la cour administrative d'appel, saisie par la commune défenderesse, a partiellement réformé ce jugement et fait injonction à celle-ci d'exécuter les travaux d'étanchéité nécessaires.

Saisi d'un pourvoi par le syndicat demandeur, le Conseil d’État construit une sorte de théorie jurisprudentielle - en forme de vade-mecum - des pouvoirs et devoirs du juge saisi d'une action en responsabilité du chef de travaux publics ou d'un ouvrage public.

Tout d'abord, lorsqu'une personne publique est condamnée par le juge administratif en raison de dommages trouvant leur origine soit dans l'exécution de travaux publics soit dans l'existence ou le fonctionnement d'un ouvrage public, le juge peut, à la condition d'avoir été saisi de conclusions en ce sens, s'il constate qu'un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet la personne publique en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures.

Ensuite, on vient de lire, ceci n'est possible que si le comportement de la personne publique revêt le caractère d'une abstention fautive.

Pour qu'il en soit ainsi, il convient que, prenant en compte l'ensemble des circonstances de fait à la date de sa décision, le juge vérifie si la persistance du dommage trouve son origine non dans la seule réalisation de travaux ou la seule existence d'un ouvrage, mais dans l'exécution défectueuse des travaux ou dans un défaut ou un fonctionnement anormal de l'ouvrage et, si tel est le cas, il doit s'assurer qu'aucun motif d'intérêt général, qui peut tenir au coût manifestement disproportionné des mesures à prendre par rapport au préjudice subi, ou aucun droit de tiers ne justifie l'abstention de la personne publique.

En l'absence de toute abstention fautive de la personne publique, le juge ne peut pas faire droit à une demande d'injonction, mais il peut décider que l'administration aura le choix entre le versement d'une indemnité dont il fixe le montant et la réalisation de mesures dont il définit la nature et les délais d'exécution.

Enfin, le Conseil d’État précise encore qu'il appartient au juge, saisi de conclusions tendant à ce que la responsabilité de la personne publique soit engagée, de se prononcer sur les modalités de la réparation du dommage, au nombre desquelles figure le prononcé d'injonctions, dans les conditions qui viennent d'être susindiquées, alors même que le requérant demanderait l'annulation du refus de la personne publique de mettre fin au dommage, demande assortie de conclusions aux fins d'injonction à prendre de telles mesures.

De façon très audacieuse, le juge précise que, dans ce cas, le requérant doit regarder ce refus de la personne publique comme ayant pour seul effet de lier le contentieux.

(Section 6 décembre 2019, Syndicat des copropriétaires du Monte Carlo Hill, n° 417167)

 

123 - Responsabilité du fait des lois - Cas d'engagement et conditions d'engagement de cette responsabilité - Loi inconstitutionnelle - Mise en cause possible de la responsabilité de l'État de ce chef - Nécessité d'un lien de causalité - Absence - Rejet.

Une ordonnance du 21 octobre 1986 a, dans son article 7, institué ou, selon les cas, renforcé l'obligation pour les entreprises comportant un certain effectif minimal de salariés d'organiser le droit pour leurs salariés à participer aux résultats de l'entreprise, tandis que, dans son art. 15, elle a renvoyé à un décret le soin de fixer quelles entreprises publiques et sociétés nationales, et à quelles conditions, pourraient être soumises à cette obligation. Ces dispositions ont été codifiées, par la loi du 25 juillet 1994, dans les art. L. 442-1 et L. 442-9 du code du travail. La Cour de cassation ayant jugé (Cass. sociale, 6 juin 2000, Comité d'entreprise de la Sarl Hôtel Frantour Paris-Berthier et Union locale CGT des syndicats du 17e arrondissement de Paris, Bull. 2000, V, n° 216 p. 169) ces textes applicables à toute personne de droit privé exerçant une activité commerciale « qui n'est ni une entreprise publique ni une société nationale, peu important l'origine du capital », la loi de finances pour 2005 a renvoyé à un décret, pour l’application de ces articles du code du travail, la détermination de ceux des établissements publics à caractère industriel ou commercial (EPIC) de l'État, des sociétés, groupements ou personnes morales, quel que soit leur statut juridique, dont plus de la moitié du capital est détenue, directement ou indirectement, ensemble ou séparément, par l'État et ses établissements publics qui sont soumis aux dispositions sur l'intéressement des salariés.

Toutefois, le Conseil constitutionnel (déc. n° 2013-336 QPC du 1er août 2013) a jugé inconstitutionnel le premier alinéa de l'art. 15 de l'ordonnance de 1986, codifié comme indiqué plus haut, motif pris de ce qu'en soustrayant les entreprises publiques à l'obligation d'instituer un dispositif de participation des salariés aux résultats de l'entreprise et en se bornant à renvoyer à un décret le soin de désigner celles de ces entreprises qui y seraient néanmoins soumises, sans définir le critère en fonction duquel elles seraient ainsi désignées ni encadrer ce renvoi au pouvoir réglementaire, le législateur avait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions qui affectaient l'exercice de la liberté d'entreprendre.

C'est pourquoi la société Paris Clichy, venant aux droits de la Sarl Hôtel Frantour Paris-Berthier, qui, à la suite de la décision du 6 juin 2000 de la Cour de cassation, avait été condamnée, par un jugement du tribunal de grande instance de Paris, à répartir entre l'ensemble des salariés bénéficiaires le montant de la participation leur revenant au titre des exercices allant de 1986 à 1995, augmenté des intérêts légaux au profit des salariés requérants, a, invoquant la décision précitée du Conseil constitutionnel, du 1er août 2013, demandé la condamnation de l'État à lui verser, à titre de réparation du préjudice subi, une certaine somme augmentée des intérêts légaux.

La société requérante, se fondant sur le fait qu'elle avait dû verser cette somme à ses salariés et anciens salariés en exécution de ce jugement ainsi qu'au titre du forfait social, de la contribution sociale généralisée et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, faisait valoir que ce versement était la conséquence de l'inconstitutionnalité du premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance du 21 octobre 1986, devenu le premier alinéa de l'article L. 442-9 du code du travail.

Son recours a été rejeté en première instance et en appel ; la société Paris Clichy s'est donc pourvue en cassation.

La réponse du Conseil d’État est importante dans la mesure où elle va le conduire à reformuler l'ensemble du mécanisme de la responsabilité du fait des lois même si la rigueur des exigences en matière de causalité du préjudice va conduire la juridiction du Palais-Royal à rejeter le recours dont elle était saisie.

Tout d'abord, le Conseil d’État simplifie et clarifie le périmètre de la responsabilité du fait des lois : les trois cas retenus jusque-là par la jurisprudence (responsabilité fondée sur la rupture d'égalité devant les charges publiques (14 janvier 1938, SA des produits laitiers "La Fleurette") ; responsabilité du fait de l'incorporation en droit interne français d'une convention internationale (30 mars 1966, Cie générale d'énergie radio-électrique),  ou de la réception de la coutume internationale (23 septembre 2011, Om Hachem Saleh et autres) ;  responsabilité  "de plein droit" résultant de la violation du droit international (8 février 2007, Gardedieu), semblent désormais être ramenés à deux par le Conseil d’État. D'une part, la classique responsabilité fondée sur la rupture d'égalité devant les charges publiques et d'autre part, la responsabilité du chef des dommages résultant du non-respect de la hiérarchie des normes.

Ensuite, concernant ce second cas d'ouverture de l'action en responsabilité du fait des lois, le Conseil d’État fait sienne une jurisprudence antérieure en rassemblant sous une unique rubrique tous les cas de responsabilité du fait des lois pour atteinte à la hiérarchie des normes que celle-ci résulte de la violation d'une convention internationale ou assimilée ou de la violation de la Constitution (sur ce point il s'agit d'une reprise de TA Paris, 7 février 2017, Société Pais Clichy, n° 1505725/3-1, confirmé par cour administrative d’appel Paris, 5 octobre 2018, même requérante, n° 17PA01180).

C'est cette seconde situation qui était en cause en la présente espèce.

En effet, la société requérante faisait valoir que les versements qu'elle avait été contrainte d'effectuer entre les mains de ses salariés et des organismes publics (intéressement aux bénéfices, intérêts légaux des sommes dues, forfait social, CSG et contribution au remboursement de la dette sociale) n'étaient que la conséquence directe de l'inconstitutionnalité du premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance du 21 octobre 1986 (art. L. 442-9 du code du travail).

Pour se prononcer sur les mérites de cette réclamation le Conseil d’État devait, à la fois, faire jouer le régime spécial applicable lorsque le préjudice est imputable à une loi et mettre en œuvre les principes généraux d'indemnisation des préjudices.

Concernant les règles et principes spécifiques à la responsabilité du fait des lois, le Conseil d’État rappelle en premier lieu que celle-ci, lorsqu'elle est fondée sur une rupture de l'égalité devant les charges publiques, ne peut être engagée que si, d'une part, la loi n'a pas elle-même exclu toute indemnisation, et d'autre part, le préjudice, s'agissant d'une responsabilité engagée sans faute à prouver, est à la fois grave et spécial. Il faut s'étonner qu'au niveau d'exigence de l'État de droit où notre société est parvenue il soit encore possible au législateur - exception faite de ceux de ses actes ayant un objet répressif - de s'exonérer des conséquences préjudiciables des textes qu’il vote. Imagine-t-on pareille solution pour le chef de l'État pourtant issu, comme l'Assemblée nationale et mieux que le Sénat, du suffrage universel direct ? De plus, on voit mal comment le chef de l'État pourrait n'être pas l'un des « représentants » du peuple qu'évoque le premier alinéa de l'art. 3 de la Constitution et donc, par suite, comment il serait possible de traiter différemment les actes dommageables de ces deux catégories de représentants de la souveraineté nationale que sont le chef de l'État et le parlement.

Ajoutons que ce privilège d'auto-exclusion, par l'État, de sa responsabilité directe du fait de ses actes volontaires, n'est guère compatible avec les principes et dispositions de droit positif émanés tant du droit de l'Union européenne que de celui de l'Europe des libertés.

Le Conseil d’État indique ensuite que la responsabilité de l'État législateur peut encore être engagée lorsqu'il est porté atteinte aux exigences découlant de la hiérarchie des normes soit par une loi inconstitutionnelle soit par une loi inconventionnelle. Ici le régime de responsabilité doit être combiné avec celui de l'inconstitutionnalité et trois cas sont possibles.

Le premier, sans grand intérêt ici, est celui de la déclaration d'inconstitutionnalité de la loi par le Conseil constitutionnel puisque celle-ci empêche la promulgation de la loi et donc, par là même, son caractère éventuellement préjudiciable ; dans le cas où, par extraordinaire, il serait passé outre à une interdiction de promulguer, ce serait un coup d'État qu'il n'appartiendrait pas au droit d'empêcher (cf. R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l'État, Sirey 1920, T. II, § 444, p. 497, cité in J. Bourdon, C. Debbasch, J.-M. Pontier et J.-C. Ricci, Droit constitutionnel et institutions politiques, Économica, 4ème édit., 2001, p. 119).

Le second est celui de l'inconstitutionnalité relevée par le Conseil à l'occasion de l'examen d'une loi qui modifie ou complète une ou plusieurs lois antérieures ou qui affecte le domaine de la loi.

Le troisième est celui de l'inconstitutionnalité incidente ou préjudicielle résultant de l'examen d'une question prioritaire de constitutionnalité.

Dans ces deux cas, si le principe est la possibilité d'engager la responsabilité du législateur c'est sous la double réserve que le Conseil constitutionnel n'ait pas exclu la remise en cause des effets de la loi préjudiciable et qu'il n'ait pas exclu toute réparation pécuniaire ou même seulement en partie, de telle sorte que la reconnaissance d'un droit à réparation viendrait contredire cette exclusion.

Concernant la mise en œuvre les principes généraux d'indemnisation des préjudices, naturellement, puisqu'il s'agit d'une action en responsabilité, la victime devra établir et l'existence d'un préjudice et le lien de causalité existant entre le motif de l'inconstitutionnalité de la loi et le préjudice effectivement subi.

Sur ce point la décision appelle deux observations.

En premier lieu, on est surpris de lire que le Conseil d’État a décidé dans cette espèce que la prescription quadriennale commence à courir dès lors que le préjudice qui résulte de l'application de la loi à sa situation peut être connu dans sa réalité et son étendue par la victime, sans qu'elle puisse être légitimement regardée comme ignorant l'existence de sa créance jusqu'à l'intervention de la déclaration d'inconstitutionnalité. Il faut avouer ne pas comprendre ce que cela veut dire car le préjudice dont il est ici question n'est point un préjudice générique ou en soi mais bien le préjudice résultant de ce que le texte que la victime a été forcée d'appliquer était inconstitutionnel : ce n'est pas le texte en soi qui est la cause du préjudice mais son inconstitutionnalité.

En second lieu, il faut dire notre plein accord avec le motif du rejet final de la requête dans la mesure où, d'évidence, ce qui a été jugé inconstitutionnel c'est l'inachèvement de son travail par le législateur, son incompétence négative donc, alors qu’il est pourtant toujours obligé d'épuiser sa compétence. Or il est bien certain que cette incomplétude du texte légal n'est pas la cause du préjudice dont se plaint la demanderesse ; pour cela il eût fallu que fût jugée inconstitutionnelle l'instauration de l'obligation faite aux entreprises d'instituer un dispositif de participation des salariés à leurs résultats. Ce n'est pas ce qu'a dit le Conseil constitutionnel, il a seulement censuré l'imprécision du champ d'application de cette mesure non la mesure elle-même alors que la société Paris Clichy poursuivait la réparation du dommage que lui aurait causé, précisément, cette mesure en elle-même.

Le rejet de son pourvoi était donc inéluctable.

(Assemblée, 24 décembre 2019, Société Paris Clichy, n° 425981 ; du même jour, dans la même formation, avec même solution : Société hôtelière Paris Eiffel Suffren, n° 425983 ; v. aussi, du même jour, dans la même formation, la solution retenue dans le cas où l'action en réparation est introduite par un salarié se plaignant du non-versement par son employeur de la participation des salariés aux résultats de l'entreprise pour les exercices 1989 à 2001 : M. X., n° 428162)

 

124 - Autorisation de lotir - Permis de construire - Retrait après la tempête Xynthia - Demande d'indemnisation - Réparation - Cassation partielle avec renvoi.

La société requérante demande réparation du préjudice résultant pour elle, d'abord,  de la décision  du maire de L'Aiguillon-sur-Mer - après le passage de la tempête Xynthia - de retirer le permis de construire qui lui avait été précédemment accordé pour la construction d'une maison d'habitation sur un lot d'un lotissement, ensuite, de ceux résultant de deux certificats d'urbanisme négatifs en raison du caractère non réalisable d'opérations de construction de maisons individuelles sur un lot du lotissement " La Petite Jetée " et sur l'ensemble des lots d'un autre lotissement. Après que le tribunal administratif a accueilli cette demande d'indemnisation et condamné l'État à garantir à hauteur de 60% la commune, la cour administrative d'appel a réduit, d'une part, le montant de l'indemnisation que la commune avait été condamnée à payer en limitant à 50% la part de responsabilité de cette dernière et d'autre part, l’évaluation du préjudice subi par la société LDA au titre de l'indemnisation des frais d'acquisition des parcelles. 

Le Conseil d’État admet le principe même de la responsabilité de la commune car il appartenait au maire de vérifier la compatibilité du projet d'aménagement de la société LDA avec les exigences de la sécurité publique compte tenu, notamment, de l'existence d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles, élaboré par l'État, destiné en particulier à assurer la sécurité des personnes et des biens exposés à certains risques naturels et valant servitude d'utilité publique. Les prescriptions qu'il contient sont donc susceptibles de s'imposer aux autorisations d'urbanisme dont le permis de construire ; le maire peut aussi, le cas échéant, imposer des prescriptions spéciales allant au-delà de ce que dispose ledit plan et jusqu'au refus de délivrer un permis de construire. Par ailleurs, et alors même que ce plan classait les terrains d'assiette des parcelles acquises par la société LDA en zone "bleu clair" c'est-à-dire correspondant à une zone constructible sous conditions, le maire ne pouvait ignorer que des documents datant de 2007 et 2008 contredisaient l'évaluation du risque de submersion, que l'embouchure du Lay était considérée comme la zone la plus dangereuse et que plusieurs tempêtes, survenues notamment en 1937 et en 1940,  avaient submergé la zone et provoqué la rupture de la digue communale.  C'est donc souverainement et sans dénaturation des faits ou du dossier que la cour administrative d'appel a jugé que le maire avait commis une erreur manifeste d'appréciation en délivrant les permis litigieux. Cette faute est évidemment de nature à engager la responsabilité de la commune.

Le Conseil d’État, ensuite, annule l'arrêt d'appel en tant qu'il a aperçu une faute de la société victime en raison de sa qualité de professionnelle de l'immobilier qui devait donc connaître le risque : la cour, commettant ainsi une erreur de droit, n'a pas recherché si cette société, eu égard aux éléments dont elle avait connaissance et aux moyens dont elle disposait, avait effectivement commis une imprudence fautive en poursuivant ses projets d'aménagement dans la zone de l'estuaire du Lay.

Concernant les préjudices subis et donc réparables, le Conseil d’État juge que ce n'est pas, contrairement aux allégations du ministre défendeur, la tempête qui est la cause directe et certaine du préjudice dont se prévaut la société demanderesse puisque celui-ci réside dans la faute commise par la commune en délivrant, antérieurement à la tempête, des autorisations de lotir et de construire. L'indemnisation doit porter sur les frais d'acquisitions des parcelles déduction faite de celles revendues avant le passage de la tempête et de la plus-value réalisée à cette occasion. Par ailleurs, le manque à gagner résultant de la privation des bénéfices escomptés des ventes de maisons envisagées par la société n'étant pas la conséquence de l'illégalité des autorisations délivrées à la société mais de l'inconstructibilité des terrains d'assiette, il ne saurait être indemnisé.

Enfin, la condamnation de l'État à garantir la commune à hauteur de 60% des condamnations prononcées contre elle est logique dès lors qu'il avait classé dans le plan de prévention des risques en zone "bleu clair" les parcelles litigieuses alors qu'il savait à cette date quelle était la dangerosité particulière de l'estuaire du Lay, ainsi que cela ressort en particulier des documents établis antérieurement à la tempête Xynthia faisant état de tempêtes ayant par le passé conduit à la conjonction d'une submersion marine et de crues dans l'estuaire, ainsi qu'à des ruptures de digues sur le territoire de la commune de L'Aiguillon-sur-Mer.

L'arrêt est donc seulement cassé en ce qu'il a limité la part de responsabilité de la commune de L'Aiguillon-sur-Mer à hauteur de 50 % et à 76 211 euros le préjudice subi par la société LDA au titre de l'indemnisation des frais d'acquisition des parcelles. 

(18 décembre 2019, Société LDA, n° 423681)

 

125 - Responsabilité hospitalière - Contamination par le virus de l'hépatite C - Preuve de l'existence de transfusions sanguines non rapportée - Absence de commencement de preuve - Inapplicabilité de la présomption légale d'imputation de la contamination à des transfusions sanguines - Rejet.

Les requérants avaient demandé en vain, d'abord au tribunal administratif puis à la cour administrative d'appel, la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à les indemniser des préjudices qu'ils estimaient avoir subis en raison de la contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C de leur épouse et mère.

Leur pourvoi est, pareillement, rejeté. En effet, les demandeurs n'ont pas réussi à établir l'existence matérielle de transfusions sanguines auxquelles ils entendaient imputer la contamination de la défunte par le virus de l'hépatite C. Pas davantage n'était produit un commencement de preuve en ce sens. La circonstance que l'ONIAM ait paru admettre dans certaines de ses écritures le principe de sa responsabilité en l'espèce, n'a aucune incidence sur l'office du juge administratif de la responsabilité qui est de s'assurer de l'existence d'un lien de causalité, ici entre transfusion et contamination.

Le rejet du recours était donc inévitable.

(19 décembre 2019, M. X. et autres, n° 426402)

 

Santé publique

 

126 - Haute autorité de santé - Recommandation de bonne pratique relative à la borréliose de Lyme et autres maladies vectorielles à tiques - Procédure de la recommandation suivie en l'espèce, contenu de la recommandation et de ses préconisations en matière de stratégie diagnostique - Régularité - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 13 juin 2018 par laquelle le collège de la Haute Autorité de santé a adopté la recommandation de bonne pratique intitulée « Borréliose de Lyme et autres maladies vectorielles à tiques (MVT) » et les fiches associées, ainsi que cette recommandation et ces fiches.

L'argumentation était articulée autour de trois griefs principaux, tous rejetés par le Conseil d’État.

En premier lieu était critiquée la procédure d'élaboration de la recommandation tant en ce qui concerne l'absence de publication des déclarations d'intérêts de certains des membres du groupe de travail chargé d'élaborer la recommandation, le défaut d'impartialité de certains d'entre eux, la composition de ce groupe et la procédure d'évaluation sous-tendant l'élaboration de la recommandation. Ce grief est rejeté compte tenu des précisions apportées par les intéressés, de l'absence de conflits d'intérêts avérés, des incertitudes révélées par les controverses persistantes sur la maladie de Lyme et, enfin, de la marge de choix offerte à la HAS de ses procédures d'évaluation.

En deuxième lieu était critiqué le contenu de la recommandation spécialement concernant son chapitre 4 (Symptomatologie/syndrome persistant(e) polymorphe après une possible piqûre de tique (SPPT)). Là aussi, le juge n'aperçoit ni erreur de qualification, ni caractère obsolète de la préconisation, ni absence de conformité aux données actuelles de la science, ni, enfin, atteinte aux droits des malades.

En troisième lieu étaient critiquées les préconisations relatives à la stratégie diagnostique en ce qu'elles reposeraient une sur erreur manifeste d'appréciation et méconnaîtraient les articles 2 et 3 de la convention EDH. Ces griefs ne sont pas retenus par le juge.

Les deux recours joints sont rejetés.

(4 décembre 2019, Association " Le droit de guérir ", n° 423060 ; Association " Enfance Lyme and co " et autres, n° 423385, jonction)

 

127 - Médicaments - Traitement du diabète - Incitation des établissements de santé à la prescription de médicaments biologiques similaires délivrés en ville - Notions de « médicaments biologiques similaires » ou de « médicaments biosimilaires » - Notions fixées par le code de la santé publique - Incompétence des ministres à s'en écarter - Erreur de droit - Annulation en tant qu'est concernée la spécialité Toujeo.

Une instruction interministérielle (santé et finances) est prise en vue de l'incitation à la prescription hospitalière de médicaments biologiques similaires lorsqu'ils sont délivrés en ville et une autre relative à l'expérimentation pour l'incitation à la prescription hospitalière de médicaments biologiques similaires délivrés en ville. La société requérante en demande l'annulation en tant qu'elle s'applique à la spécialité Toujeo qu'elle produit.

La discussion s'est concentrée sur les notions de médicament biologique similaire ou de médicament biosimilaire que définissent les art. L. 5125-23-2 et L. 5125-23-3 du code de la santé publique.  Ces notions sont capitales en particulier afin que le pharmacien puisse substituer, sans risque pour les patients, un médicament à un autre présentant en tout point des caractéristiques positives comme des contre-indications rigoureusement identiques. Il suit de là, d'évidence, que les ministres défendeurs ne peuvent pas, pour définir le champ de l'expérimentation qu'ils autorisent ou pour déterminer les indicateurs qui fondent l'évaluation des résultats des établissements de santé ouvrant le bénéfice d'une dotation du fonds d'intervention régional, inciter à la prescription de certains médicaments biologiques de préférence à d'autres en utilisant les notions de médicaments biologiques similaires ou de médicaments biosimilaires dans un sens différent de celui qui résulte des dispositions de l'article L. 5121-1 du code de la santé publique. 

En l'espèce, le médicament Toujeo, produit et commercialisé par la société requérante, ne peut être dit biosimilaire ou biologiquement similaire d'autres qui pourraient lui être substitués ou qu'il pourrait lui-même substituer ; le juge décrit longuement les différences existantes qui montrent l’originalité de ce médicament.

Par suite, il conclut que « les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont commis une erreur de droit en qualifiant la spécialité Toujeo de médicament " référent " d'un groupe insuline glargine pour les besoins des mesures d'incitation des établissements de santé à la prescription de médicaments biologiques similaires délivrés en ville qu'ils adoptaient sur le fondement des articles L. 162-31-1 et L. 162-22-7-4 du code de la sécurité sociale ». D'où l'annulation qui est prononcée.

(31 décembre 2019, Société Sanofi Aventis France, n° 423958 ; Société Sanofi Aventis France, n° 429693 ; Société Sanofi Aventis France, n° 430318 ; Société Sanofi Aventis France, n° 433185)

 

128 - Médicaments et produits pharmaceutiques - Autorisation de mise sur le marché _ Recours à la procédure allégée - Présence d'une substance active rigoureusement identique - Absence en l'espèce - Annulations.

S'il est possible d'accorder à une spécialité pharmaceutique une autorisation de mise sur le marché (AMM) selon une procédure allégée dite bibliographique (art. R. 5121-26 du code de la santé publique) c'est à la triple condition que celle-ci fasse l'objet d'un « usage médical bien établi », qu'elle ait une efficacité reconnue et qu'elle contienne une ou des substances identiques à celles rencontrées dans d'autres spécialités ayant déjà obtenu une AMM. L'exigence que les substances soient identiques exclut qu'elles puissent n'être que similaires avec d'autres, du moins si l'autorisation allégée est fondée, comme en l’espèce, sur la disposition précitée.

La décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui a délivré l'autorisation de mise sur le marché attaquée, relative aux spécialités Palmier de Floride Biogaran (serenoa repens), capsules molles (B/180) et Palmier de Floride Biogaran (serenoa repens), capsules molles (B/60), est illégale en ce qu'elle se fonde non sur l'identité mais seulement sur la similitude des substances présentes dans ces dernières et dans les médicaments à base d'extrait hexanique du fruit de palmier de Floride, substance active reconnue comme étant d'un usage médical bien établi depuis au moins dix ans dans l'Union européenne.

(31 décembre 2019, Société Pierre Fabre médicament, n° 419269)

 

129 - Haute autorité de santé (HAS) - Commission de la transparence de la HAS - Indépendance et impartialité de ses membres - Obligations - Rejet.

Saisi d'un recours en annulation d'un arrêté interministériel portant radiation de spécialités pharmaceutiques de la liste mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, et fondé, notamment, sur l'irrégularité de l'avis de la commission de la transparence de la HAS ayant précédé la prise de cet arrêté, le Conseil d’État apporte un certain nombre d'indications au sujet des exigences déontologiques s'imposant à cette commission.

Celles-ci se ramènent à trois selon le juge.

En premier lieu, les membres de la commission de la transparence ainsi que les personnes lui apportant ponctuellement leur concours ne peuvent ni participer à des travaux ou délibérations ni être appelées à siéger et/ou à donner leur avis sur toute question appelant une réponse au contenu de laquelle ils auraient personnellement un intérêt quelconque, qu'il soit direct ou indirect.

En deuxième lieu, ils sont tenus - dans les mêmes conditions que les fonctionnaires (cf. art. 26 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires) - à la fois à une obligation de secret professionnel et à une obligation de discrétion professionnelle au sujet des faits, analyses, constats, délibérations, connus dans le cadre de leurs fonctions à ladite commission.

En troisième lieu, enfin, il leur est interdit - en application du principe d'impartialité objective comme de celui d'impartialité subjective - de prendre publiquement position sur des questions examinées, en cours d'examen ou à examiner portées devant cette commission.

(16 décembre 2019, Fédération des centres mémoire et autres, n° 422672)

 

130 - Dispositifs médicaux - Bioprothèses valvulaires, transcutanées, aortiques - Tarif de responsabilité et prix des dispositifs médicaux - Pouvoir du Comité économique des produits de santé - Conclusion avec certains fabricants seulement de conventions sur le tarif de responsabilité et les prix des dispositifs - Refus d'un fabricant de conclure une telle convention - Invocation d'une différence injustifiée de traitement - Fabricant se trouvant, au regard de l'objet de la mesure, dans une situation différente - Rejet.

Dans le souci de réduire les dépenses publiques en matière de santé, le Comité économique des produits de santé, dont c'est là l'une des missions principales, conclut avec deux des trois fabricants de bioprothèses valvulaires, transcutanées, aortiques, inscrites sur la liste des produits et prestations remboursables prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, un avenant à la  convention fixant les tarifs de responsabilité et les prix de vente de ces bioprothèses, ayant notamment pour objet de réduire ces tarifs et prix. La société requérante qui est celle des trois fabricants ayant refusé de conclure l’avenant, se plaint de ce que, subissant un traitement différent de celui des deux autres sociétés ayant, elles, conventionné, il serait porté atteinte au principe d'égalité.

Rappelant que le principe d'égalité peut, à certaines conditions, n'être pas respecté entre des situations objectivement différentes, le Conseil d’État rejette le recours en relevant  d'abord que la diminution du tarif  et des prix convenue dans un souci de maîtrise des dépenses de santé n'est pas excessive, ensuite que la société requérante qui s'est mise hors convention n'est pas dans la même situation que les deux autres sociétés, également qu'elle ne peut discuter les conditions de la négociation préalable à la conclusion de l'avenant, négociations auxquelles elle n'a pas voulu participer et, enfin, qu'il lui est, en toute hypothèse, loisible de conclure à tout moment le même avenant que les sociétés concurrentes.

 (13 décembre 2019, Société Edwards Lifesciences, n° 422515)

 

131 - Refus d'inscription d'un dispositif sur la liste des produits et prestations remboursables - Contestation - Absence d'erreur manifeste d'appréciation et d'atteinte au principe d'égalité - Rejet.

Les sociétés requérantes contestaient par divers moyens de légalité externe et de légalité interne, l'arrêté interministériel refusant d'inscrire, en nom de marque, sur la liste des dispositifs médicaux remboursables le cotyle à double mobilité Avantage 3P Plasma TiHA.

Les moyens sont tous rejetés ; seuls seront présentés ici ceux de légalité interne.

Tout d'abord, c'est à tort que sont contestées les deux décisions de la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé, celle portant sur les critères d'appréciation du service attendu de ce dispositif et celle statuant sur les justificatifs susceptibles d'être exigés des fabricants, en particulier la preuve de l'équivalence revendiquée par les demanderesses entre le dispositif en cause et les cotyles Avantage 3P et Avantage Reload, dont le service attendu avait été jugé suffisant par la commission. « (...) les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les ministres auraient pris leur décision sur le fondement de dispositions contraires à l'objectif de clarté, d'intelligibilité et d'accessibilité de la norme ou auraient exigé des fabricants des données qu'ils n'auraient pas été mis en mesure de fournir. Elles ne sont ainsi, en tout état de cause, pas fondées à en déduire que la décision attaquée méconnaîtrait les principes de sécurité juridique et de confiance légitime ou porterait atteinte à une espérance légitime d'obtenir l'inscription du produit en cause sur la liste des produits et prestations remboursables. »

Ensuite, le juge n'aperçoit aucune erreur manifeste d'appréciation dans la décision constatant l'absence d'équivalence entre les deux catégories de dispositifs ci-dessus indiquées.

Enfin, nulle atteinte au principe d'égalité n'est, non plus, relevée car la commission n'a pas traité différemment des situations identiques.

(16 décembre 2019, Société Zimmer Biomet France et la société Biomet France, n° 423295)

 

Service public

 

132 - Tarif des redevances aéroportuaires - Rôle de l'Autorité de supervision indépendante (ASI) - Détermination, par le ministre des transports, du périmètre des activités et des services, dit régulé, pris en compte - Règles combinées de hausse modérée des tarifs et de rémunération convenable des capitaux investis - Annulation partielle.

Les organismes requérants demandaient l'annulation de l'arrêté ministériel modifiant les règles applicables à la détermination des redevances pour services rendus sur les aérodromes de Nice-Côte d'Azur et de Cannes-Mandelieu.

Le Conseil d’État définit la mission de l'ASI, lorsqu'elle fixe les tarifs des redevances aéroportuaires (cf. art. R. 224-3-4 du code l'aviation civile) comme uniquement commandée, d'une part, par le souci de garantir aux usagers une hausse modérée des prix, et d'autre part, par celui d'assurer aux investisseurs une rémunération mesurée de leurs capitaux investis.

Ensuite, le juge reconnaît au ministre des transports d'importants pouvoirs en la matière. Il peut fixer assez librement un périmètre, dit « périmètre régulé » dans lequel, pour les aéroports en litige, sont comprises outre les activités directement liées à l'exploitation des aéronefs, celles liées au stationnement automobile et aux transports publics. De plus, s'il a exclu en l'espèce de ce périmètre les activités commerciales et de services, telles que les boutiques, la restauration, les services bancaires et de change, l'hôtellerie, la location d'automobiles et la publicité, ainsi que les activités foncières et immobilières hors aérogares, en revanche ces dernières peuvent être prises en compte, dans la fixation des tarifs, en retenant les profits qu'elles dégagent pour les soumettre à l'ASI en vue qu'elle fixe les tarifs. Enfin, les situations de fait différant d’un aéroport à l'autre, le ministre a pu n'appliquer un tel périmètre qu'aux deux seuls aéroports de Nice et de Cannes à l'exclusion de tous les autres aéroports français. Ce dernier argument est spécieux car les taxes ne frappent que les usagers des aéroports sur lesquels les gestionnaires sont bien forcés de les répercuter. Par suite, dire que ces usagers sont eux-mêmes dans des situations différentes de celles des autres usagers d'aéroport n'est guère convaincant. À moins de soutenir qu'ils sont, en moyenne, plus riches ? Mais est-ce que cela a rapport avec une quelconque rationalité de gestion du service public ? Nous ne le pensons pas.

(31 décembre 2019, Chambre syndicale du transport aérien, n° 424088 ; Syndicat des compagnies aériennes autonomes, 424089 ; Société Aéroports de la Côte d'Azur, 427840 ; Société Aéroports de la Côte d'Azur, 429724 ; Syndicat des compagnies aériennes autonomes, 430789 ; Chambre syndicale du transport aérien, 431344)

 

133 - Droit de grève dans les services publics - Exercice du droit de grève par les agents des écoles publiques - Note de service réglementant cet exercice - Légalité - Rejet.

Était contestée une note de service du directeur général des services de la Ville d’Aix-en-Provence informant les agents des écoles qu’ils doivent désormais exercer leur droit de grève dès leur prise de service et jusqu'à son terme, indépendamment de toute appréciation d'un risque de désordre manifeste dans l'exécution du service. Le recours a été accueilli favorablement  par le juge des référés en première instance mais le syndicat requérant demande au Conseil d’État, d’une part, l’annulation  de cette ordonnance en tant qu'elle précise que « cette suspension  ne fait pas obstacle à ce que, une fois informée par les agents des écoles de leur intention de participer à la grève, et s'il apparaît alors que l'exercice du droit de grève en cours de service peut entraîner un risque de désordre manifeste dans l'exécution du service, l'autorité territoriale impose aux agents ayant déclaré leur intention de participer à la grève d'exercer leur droit dès leur prise de service et jusqu'à son terme » et, d'autre part, de faire droit à ses conclusions de première instance.

Le juge des référés du Conseil d’État estime cet appel manifestement mal fondé et le rejette selon la procédure expéditive de l’art. L. 522-3 du CJA au motif qu’il résulte des dispositions de l'article 7-2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, « que l'autorité territoriale peut exiger des agents exerçant leur fonction dans les services d'accueil périscolaire ou de restauration scolaire, et ayant déclaré leur intention de participer à la grève, qu'ils exercent ce droit dès leur prise de service et jusqu'à son terme, dans le cas où l'interruption soudaine du service en cours d'exécution est susceptible de susciter un " désordre manifeste " dans l'exécution de ce service, sans que cette faculté instituée par la loi soit subordonnée à la conclusion de l'accord mentionné au I de ces dispositions, ni davantage limitée par les termes du préavis de grève déposé. »

(Ord. réf. 20 décembre 2019, Syndicat FSU Territoriale 13, n° 436794)

 

134 - Référé suspension - Organisation de la justice judiciaire - Réforme de la procédure civile - Création du tribunal judiciaire - Formation des requêtes par voie électronique - Exécution provisoire de droit des décisions rendues en première instance - Date d’entrée en vigueur de la réforme de la procédure civile - Rejet.

Les organisations requérantes demandaient la suspension du décret du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile. Ils invoquaient l’urgence à statuer sur un certain nombre de griefs articulés à l’encontre de ce texte. Ces griefs sont tous rejetés.

L’art. 54 du décret, relatif à la formation électronique de la demande initiale n’a pas le champ d’application prétendu par la requête et ne pourra d’ailleurs entrer en vigueur qu’au printemps 2020, il ne saurait donc relever d’une procédure d’urgence.

L’art. 3, qui porte aménagement du principe de l'exécution provisoire de droit des décisions rendues en première instance, n’appelle pas davantage de mesures d’urgence car il ne sera applicable qu’aux jugements rendus sur les affaires introduites à compter du 1er janvier 2020.

Enfin, si l’art. 56 de ce décret, daté du 11 décembre 2019 et publié le 12 décembre, fixe au 1er janvier 2020 la date d’entrée en vigueur de la plupart des dispositions de celui-ci, ce qui n’est, assurément pas, un délai très confortable, d’une part, celles entrant en vigueur au 1er janvier 2020 ne sont applicables que dans le respect des exigences découlant du principe de non-rétroactivité des actes administratifs et, d’autre part, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction et au vu de l'ensemble des intérêts en cause, qu'en retenant la date du 1er janvier 2020 pour l'entrée en vigueur de la plupart des dispositions du décret contesté, l'auteur de ce décret ait fixé un délai trop bref au regard de l'exigence tenant à l'édiction, pour des motifs de sécurité juridique, des mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, une réglementation nouvelle.

Dès lors, nulle urgence ne justifie que le juge du référé suspension use des pouvoirs particuliers dont il dispose envers le décret attaqué.

(Ord. réf. 30 décembre 2019, Conseil national des barreaux et autres, n° 436941 ; Syndicat des avocats de France, n° 437005, jonction)

 

Sport

 

135 - Sanction pour dopage - Interdiction d'exercer les fonctions d'éducateur sportif - Sanction sans caractère disproportionné - Nécessité de protéger la pratique et les pratiquants d'un sport - Rejet.

Contestant les conséquences professionnelles d'une sanction pour dopage laquelle l'empêche d'exercer les fonctions d'éducateur sportif, l'intéressé se voit répondre, de façon laconique, que si : « la sanction prononcée lui interdira d'exercer les fonctions d'éducateur sportif comme il l'envisageait, la protection des pratiquants d'une activité physique ou sportive contre le dopage est de nature à justifier qu'un sportif sanctionné pour dopage ne puisse, pendant la durée de l'interdiction, enseigner, animer ou encadrer cette activité physique ou sportive ou entraîner ses pratiquants. »

(31 décembre 2019, M. X., n° 428180)

 

Travaux publics et expropriation

 

136 - Expropriation - Travaux d'aménagement d'une rue - Utilité publique - Notion et portée - Absence en l'espèce - Qualification juridique erronée - Cassation sans renvoi des jugement et arrêt.

En estimant que sont d'utilité publique les travaux de restructuration de l'accès à une zone d'activités commerciales et d'amélioration de sa visibilité afin de renforcer l'attractivité de son secteur ouest, les juges du fond ont donné une qualification juridique erronée aux faits de l'espèce. Il ressort du dossier que ces travaux, qui n'apportent qu'une amélioration d'accès assez limitée, qui portent une atteinte très importante à la propriété bâtie de la requérante et sont d'un coût excessif, ne sauraient être qualifiés comme étant d'utilité publique même s'ils répondent à une finalité d'intérêt général : ils ne pouvaient être réalisés sans expropriation.

La solution peut sembler sévère, elle se justifie si l'on veut donner une portée réelle au contrôle de l'utilité publique d'une opération.

(11 décembre 2019, Mme X., n° 419760)

 

137 - Référé sursis - Réalisation par la SNCF de travaux souterrains sans droit ni titre sur la parcelle concernée - Atteinte grave et manifestement illégale au droit des propriétaires surjacents - Absence d’urgence en raison de circonstances de fait et de droit - Rejet.

Après avoir constaté l’irrégularité de travaux souterrains entrepris par la SNCF au droit de la propriété des requérants et donc l’atteinte qu’ils portent à leur droit de propriété, le juge des référés refuse d’apercevoir une urgence à ordonner la cessation des travaux.

D’une part, ces travaux ne concernent que le tréfonds de cette propriété dans la mesure où ils se situent à 28 mètres de profondeur et doivent servir au raccordement de la nouvelle portion de la ligne E du RER à la ligne existante, d’autre part, les travaux font l’objet d’une régularisation juridique en cours. Enfin, la décision d’interrompre ces travaux, qui ne peuvent être entrepris qu’en période estivale, les repousserait d’une année en fait, engendrant un retard tel qu’il aurait des conséquences sur le chantier d'aménagement de la Porte Maillot, site lié à l'organisation des jeux Olympiques de 2024.

La requête à fin de sursis est rejetée.

L’urgence est sacrifiée aux exigences d’un intérêt général bien maladroitement mis en œuvre ici par la SNCF.

(Ord. réf. 20 décembre 2019, M. X. et autres, n° 436606)

 

Urbanisme

 

138 - Dispositif de clôture - Clôtures prenant la forme d'un mur - Application des seules règles pertinentes du plan local d'urbanisme - Cas du mur incorporé à une construction - Application de l'ensemble des règles du PLU - Annulation avec renvoi à la cour administrative d'appel.

À l'occasion d'un contentieux s'étant élevé du fait du refus d'une demande de permis de construire pour l'édification d'une pergola en bois et d'un mur de clôture, le Conseil d’État apporte une précision qui rend bien complexe les choses s'agissant du mur de clôture.

En effet, si le mur n'est qu'un mur de clôture, doivent être appliquées, à propos de son autorisation d'édification, uniquement celles des règles du plan local d'urbanisme qui prévoient spécifiquement ce cas particulier. En revanche, dès lors que ce mur est incorporé à une construction, même s'il n'a qu'une fonction de clôture, il doit être soumis à l'ensemble des règles applicables aux constructions que contient le plan local d'urbanisme.

(18 décembre 2019, M. X., n° 421644)

 

139 - Prescription d'un PLU limitant à 9 mètres la hauteur des constructions - Dérogation pour les constructions ou installations nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif - Cas de logements sociaux pour personnes défavorisées ou de revenus modestes - Erreur de droit - Cassation du jugement avec renvoi.

Qualifie inexactement les faits de l'espèce le jugement qui voit dans des constructions d'habitat individuel pour personnes défavorisées ou de revenus modestes des « constructions d'intérêt collectif » au sens et pour l'application d'un PLU communal.

(20 décembre 2019, M. et Mme X., n° 423407)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Novembre 2019

Novembre 2019

Actes et décisions

 

1 - Demandes d’asile en Guyane - Expérimentation de modalités spécifiques de traitement de ces demandes - Article 37-1 de la Constitution - Conditions d’exercice de l’expérimentation par le pouvoir réglementaire - Régularité - Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation du décret du 23 mai 2018 portant expérimentation de certaines modalités de traitement des demandes d'asile en Guyane, décret dont elles critiquaient de nombreux aspects (notamment la non consultation du conseil d’administration de l’OFPRA, les conditions de la consultation du comité technique de l’OFPRA, le régime particulier d’introduction des demandes d’asile en Guyane et de leur examen, celui de la notification des décisions de l’OFPRA, la suppression du délai de distance en cas de saisine du juge, enfin, la méconnaissance de l’art. 37-1 de la Constitution). C’est ce dernier grief, rejeté comme tous les autres par le Conseil d’État, qui attire surtout l’attention.

L'article 37-1 de la Constitution permet au pouvoir réglementaire, dans le respect de la hiérarchie des normes, d’instituer, à titre expérimental, des règles dérogatoires au droit commun applicables à une portion de territoire ou à des catégories de personnes sous réserve qu’elles aient un objet et une durée limités, que leurs conditions de mise en œuvre soient définies de façon suffisamment précise et que la différence de traitement instituée soit en rapport avec l'objet de l'expérimentation. Une telle expérimentation ne méconnaît pas le principe d'égalité devant la loi. Répondant à certaines critiques des demanderesses, le Conseil d’État apporte deux précisions très importantes.

En premier lieu, lorsque les dérogations sont expérimentées en raison d'une différence de situation propre à la portion de territoire ou aux catégories de personnes objet de l'expérimentation, elles n'ont, de ce fait, pas vocation à être généralisées au-delà de leur champ d'application. C’est pourquoi le juge exige en ce cas que la différence de traitement instituée à titre expérimental soit en rapport avec l'objet de l'expérimentation et ne soit pas manifestement disproportionnée avec cette différence de situation.

En second lieu, sont clairement précisées les règles applicables au terme de l’expérimentation. Le Conseil d’État, qui ajoute ici beaucoup au texte même si cet ajout est de pur bon sens, pose en principe qu’il appartient au Premier ministre, au terme de l'expérimentation de normes relevant de sa compétence, de décider soit du retour au droit applicable antérieurement, soit de la pérennisation de tout ou partie des normes appliquées pendant l'expérimentation, pour le champ d'application qu'il détermine, sous réserve que le respect du principe d'égalité n'y fasse pas obstacle.

(6 novembre 2019, Syndicat national CGT OFPRA, n° 422207 et n° 424196 ; Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) et autres, n° 422604)

 

2 - Délibération du conseil d’administration d’un établissement d’enseignement supérieur - Annulation par le juge de la composition du conseil d’administration - Adoption des statuts antérieurement à l’annulation - Effets sur le décret approuvant lesdits statuts lui aussi avant le jugement d’annulation - Texte constituant une garantie - Annulation du décret d’approbation par voie de conséquence.

Par une décision du 25 juin 2016, le président de l'École normale supérieure de Lyon a fixé la composition du conseil d'administration de cet établissement, notamment en ce qui concerne les personnalités qualifiées, les représentants des institutions partenaires et les représentants des collectivités territoriales. Cette décision a été annulée par un jugement devenu définitif, du tribunal administratif de Lyon le 21 septembre 2017.

Les requérants contestaient la légalité du décret du 9 mai 2017 approuvant les statuts de l’École.

Ces statuts ont été adoptés par le conseil d’administration par délibération du 11 octobre 2016. Il résulte du jugement précité que la composition de ce CA était irrégulière à cette date, sa délibération l’est donc tout autant. Or cette délibération portant sur l’adoption de statuts constituait par elle-même une garantie, il s’ensuit donc que le décret approuvant des statuts irrégulièrement adoptés est lui-même entaché d’illégalité, d’où son annulation.

(8 novembre 2019, Association Démocratie et transparence à l'université de Lyon, n° 412388)

 

3 - Perte de la nationalité française par acquisition d’une autre nationalité - Recours contre le décret libérant une personne de ses liens d’allégeance avec la France - Délai raisonnable de recours - Durée de trois ans - Rejet.

Le requérant demandait l’annulation du décret du 19 juin 1974 portant libération de ses liens d'allégeance avec la France.

Se fondant sur ce que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. S'agissant d'un décret de libération des liens d'allégeance, le Conseil d’État juge que ce délai ne saurait, eu égard aux effets de cette décision, excéder, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, trois ans à compter de la date de publication du décret ou, si elle est plus tardive, de la date de la majorité de l'intéressé.

En l’espèce, l’intéressé, né le 12 octobre 1962, n’a contesté le décret du 19 juin 1974 portant libération de ses liens d'allégeance avec la France, pris à la demande de sa mère, que le 2 juin 2017 soit plus de trois ans après qu'il a atteint l'âge de la majorité. Par suite, en l'absence de circonstances particulières, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que la requête est irrecevable en raison de sa tardiveté et doit être rejetée.

(29 novembre 2019, M. X., n° 411145) V. aussi à État-civil sous le n° 411145

 

 

4 - Compétence des autorités administratives - Portée - Choix des mesures à prendre - Liberté d’adéquation des mesures aux obligations s’imposant à elles - Rejet.

Cette décision rappelle un principe constant gouvernant la liberté de décision des personnes publiques et l’assortit de deux précisions utiles.

Le principe est celui selon lequel il n’appartient qu’aux seules autorités compétentes de déterminer, parmi les mesures juridiques, financières, techniques ou d'organisation qui sont susceptibles d'être prises, celles qui sont les mieux à même d'assurer le respect des obligations qui leur incombent.

Il découle de là l’irrecevabilité de tout recours qui tendrait à faire regarder comme illégal le refus de prendre une mesure déterminée au seul motif que la mise en œuvre de cette mesure serait susceptible de concourir au respect de ces obligations.

En revanche, serait fondée la requête soutenant que l'édiction de la mesure sollicitée se révélerait nécessaire au respect de l'obligation en cause et, par suite, que l'abstention de l'autorité compétente exclurait, dès lors, qu'elle puisse être respectée.

(27 novembre 2019, Association Droits d'urgence et autres, n° 433520)

 

5 - Saisine de l’administration par voie électronique - Décret du 27 mai 2016 - Inexistence, pour l’usager, d’une obligation de saisine électronique - Obligation, en cas de saisine électronique, de recourir au téléservice existant - Rejet.

Les associations requérantes sollicitent l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence du premier ministre sur leur demande de modification du décret n° 2016-685 du 27 mai 2016 afin de prévoir le caractère facultatif et alternatif, pour les usagers, de la saisine de l'administration par voie électronique.

Le Conseil d’État rejette le recours en apportant deux précisions très utiles.

Tout d’abord, le texte attaqué n’établit aucune obligation pour les usagers de saisir l’administration seulement par voie électronique. Ensuite, lorsque les usagers décident d’user de la procédure électronique ce ne peut être qu’au moyen du téléservice mis en place par l’administration qu’ils entendent saisir.

Le recours est donc rejeté.

(27 novembre 2019, CIMADE, Ligue des droits de l'homme, GISTI et Syndicat des avocats de France, n° 422516)

 

6 - Recrutement d’enseignants de l’enseignement supérieur - Instructions ministérielles figurant sur le site Galaxie - Absence de valeur normative - Non-respect de ces instructions ne pouvant être sanctionné - Rejet.

Une candidate à un emploi de professeurs des universités, qui n’a pas été retenue par le comité de sélection compétent, estime cette décision illégale car non conforme aux instructions ministérielles relatives au recrutement de professeurs des universités, telles qu’elles figurent sur le site Galaxie du ministère des universités. Il lui est répondu que ces instructions étant sans portée juridique, leur non-respect n’emporte aucune conséquence.

(25 novembre 2019, Mme X., n° 417380)

 

7 - Notification d'une décision - Preuve de son caractère régulier et de sa date - Cas d'une lettre recommandée remise par l'administration postale - Preuve complète et suffisante - Rejet.

Réitération de ce que compte tenu des modalités de présentation des plis recommandés prévues par la réglementation postale, doit être regardé comme portant des mentions précises, claires et concordantes suffisant à constituer la preuve d'une notification régulière le pli recommandé retourné à l'administration auquel est rattaché un volet d’avis de réception sur lequel a été apposée la date de vaine présentation du courrier et qui porte, sur l'enveloppe ou l'avis de réception, l'indication du motif pour lequel il n'a pu être remis.

La solution retenue ici dans le cas d'un pli de l'administration fiscale est transposable à toute notification administrative effectuée sous cette forme.

(15 novembre 2019, M. X., n° 420509)

 

8 - Normes d'accessibilité aux personnes handicapées des locaux recevant du public - Arrêté ministériel de 2014 portant application de dispositions législatives du code de la construction et de l'habitation - Création, par l'arrêté attaqué (de 2018) d'un modèle Cerfa de formulaire simplifié pour l'attestation de conformité des lieux aux exigences d'accessibilité - Non-conformité du formulaire à l'arrêté de 2014 - Illégalité - Annulation totale.

Deux arrêtés ministériels (Intérieur) sont intervenus en 2014, l'un, du 8 décembre, relatif à l'accessibilité aux personnes handicapées des établissements recevant du public situés dans un cadre bâti existant et des installations existantes ouvertes au public, l'autre, du 15 décembre, a fixé les modèles des formulaires des demandes d'autorisation et d'approbation prévues aux articles L. 111-7-5, L. 111-8 et L. 122-1 du code de la construction et de l'habitation.

Un arrêté ministériel du 23 juillet 2018 est venu modifier le second de ces arrêtés en simplifiant lesdits formulaires sans modifier les dispositions de l'arrêté du 8 décembre 2014. L'association requérante demande l'annulation de l'arrêté pris en 2018 en ce que le formulaire qu'il établit méconnaît les dispositions de l'arrêté du 8 décembre 2014.

Le Conseil d’État accueille ce raisonnement car l'arrêté de 2018, qui réitère expressément le maintien en vigueur de l'arrêté du 8 décembre 2014 et se borne seulement à modifier celui du 15 décembre 2014,  crée un formulaire à destination des personnes devant adresser une attestation d'accessibilité à l'administration, dans lequel n'est exigée que la satisfaction seulement de sept points ; il ne reprend donc que de manière très incomplète les obligations résultant de l'arrêté du 8 décembre 2014, d'où son illégalité. Il en va d'autant plus ainsi que l'arrêté litigieux ne comporte point modification du premier des deux arrêtés de 2014 : le formulaire devait donc comporter les rubriques traduisant l'ensemble des prescriptions de l'arrêté du 8 décembre 2014.

Enfin, à raison de l'indivisibilité existant entre les six étapes d'établissement du formulaire, c'est l'annulation de l'entier arrêté qui est prononcée.

(13 novembre 2019, Association des paralysés de France, n° 425543)

 

9 - Permis de recherche d'hydrocarbures - Demande de prolongation de la durée du permis - Prolongation de droit sauf circonstances exceptionnelles - Refus d'autorisation devant être motivé (loi du 11 juillet 1979) - Annulation et renvoi partiel à la juridiction d'appel.

L'article L. 142-2 du code minier dispose que le titulaire d'un permis exclusif de recherches peut en obtenir la prolongation sans nouvelle mise en concurrence soit de droit, à deux reprises, pour une durée de cinq ans au plus, la superficie du permis étant alors réduite à l'occasion de chaque renouvellement, soit de manière dérogatoire, pour l'une des périodes de validité de ce permis, pour une durée de trois ans au plus et sans réduction de surface, ceci en cas de circonstances exceptionnelles.

Il résulte de la portée que revêt une décision administrative de refus opposée à une telle demande de prolongation que celle-ci doit être regardée comme un refus d'autorisation et, par application de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979, qu'elle doit être soumise à l'obligation de motivation.

La décision de refus querellée par les sociétés demanderesses n'étant pas motivée est illégale.

(13 novembre 2019, Société Investaq Energie et société Celtique Energie Limited, n° 419618 ; v. aussi, du même jour, avec mêmes requérantes, pour un autre aspect de cette affaire : n° 419692)

 

10 - Médicament - Prise en charge par l’assurance maladie - Restriction de la prise en charge - Obligation de motiver cette décision - Exigence du droit et de la jurisprudence de l’UE - Annulation de la décision.

La société requérante, qui produit la spécialité pharmaceutique Trimbow, médicament destiné au traitement continu de la bronchopneumopathie chronique obstructive sévère chez les adultes non traités de façon satisfaisante par l'association d'un corticostéroïde inhalé et d'un bêta-2 agoniste de longue durée d'action, conteste trois arrêtés interministériels (santé et finances) dont elle demande l’annulation en ce qu’ils ont limité les conditions de remboursement du Trimbow.

Par les deux premiers, du 4 juillet 2018, le remboursement aux assurés sociaux de l’achat de ce médicament, est subordonné à ce que sa prescription initiale, jusque-là libre, soit ordonnée par un médecin pneumologue, et par le troisième, du 5 juillet, la même exigence pour obtenir le remboursement de cette spécialité est imposée à l’usage des collectivités publiques.

Ces décisions ne sont pas motivées, ce que conteste la société requérante.

Le Conseil d’État lui donne raison en se fondant à la fois sur l’article 6 de la directive 89/105/CEE du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance-maladie, sur l’interprétation qu’en donne la jurisprudence de la CJUE (16 avril 2015, LFB Biomédicaments SA, Association des déficitaires en Alpha 1 Antitrypsine (Association ADAAT Alpha 1-France), aff. C-271/14 et Pierre Fabre Médicament SA, aff. C-273/14, point 30) « avec une évidence telle qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable » (selon la formule de CJCE, 6 octobre 1982, Srl Cilfit et Lanificio di Gavardo SpA, aff. C-283/81, point 16) et sur les dispositions de l'art. R. 163-14 du code de la sécurité sociale, elles-mêmes interprétées strictement à la lumière du droit de l’Union puisque prises pour l’exécution de la directive précitée.

La décision d’exiger, pour pouvoir prétendre au remboursement de cette spécialité, sa prescription initiale par un médecin pneumologue n'est pas motivée au sens et pour l’application des textes et jurisprudences précités. Elle tombe donc sous la censure du juge.

(8 novembre 2019, Société Chiesi SAS, n° 423971 et n° 424067 ; du même jour avec même solution, à propos de la spécialité Trelegy Ellipta : Société Laboratoire Glaxosmithkline France, n° 424148)

 

11 - Instruction interministérielle - Prise en charge des demandeurs d’asile - Extraction de données à partir d’un traitement autorisé par la CNIL - Incompétence négative alléguée - Demande de renvoi d’une QPC - Incompétence - Rejet.

(6 novembre 2019, Fédération des Acteurs de la Solidarité et autres, n° 434376 et n° 434377) V. n° 71

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

12 - Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Pouvoir de sanction - Obligation d'une mise en demeure préalable aux faits donnant lieu à la sanction - Exigence d'impartialité - Application du principe de légalité des délits et des peines - Obligations légales touchant au respect de l'image de la femme - Exacte qualification juridique des faits - Sanction proportionnée dans sa nature et son quantum - Rejet.

A la suite d'une séquence de la chaîne C8 qu'il a jugée répréhensible, le CSA a infligé à celle-ci, à titre de sanction, la suspension pendant une durée de deux semaines de la diffusion des séquences publicitaires au sein de l'émission " Touche pas à mon poste " et des séquences publicitaires diffusées pendant les quinze minutes qui précèdent et les quinze minutes qui suivent la diffusion de cette émission, que celle-ci soit diffusée en direct ou rediffusée.

La chaîne visée demande au Conseil d’État, pour l'essentiel, de condamner le CSA à lui verser une indemnité de 9,5 millions d'euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité de cette décision. Le recours est rejeté en tous ses chefs d'argumentation.

Le CSA, du moins ceux de ses membres visés par le recours, n'a pas fait preuve, dans les circonstances de l'espèce, de partialité. Il a suivi une procédure régulière en ce qu'il n'a sanctionné qu'un comportement survenu après une première mise en demeure, respectant ainsi le principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines. Enfin, pour dire exacte la qualification juridique des faits que le CSA a donnée en l'espèce, le Conseil d’État écrit éloquemment : " Il résulte de l'instruction que, le 7 décembre 2016, lors de l'émission " Touche pas à mon poste ", a été diffusée une séquence, censée montrer les coulisses de l'émission, au cours de laquelle l'animateur a proposé à une chroniqueuse un " jeu " consistant à lui faire toucher, pendant qu'elle gardait les yeux fermés, diverses parties de son corps qu'elle devait ensuite identifier. Après avoir fait toucher à l'intéressée sa poitrine et son bras, l'animateur a posé sa main sur son entrejambe. Celle-ci a réagi en se récriant puis en relevant le caractère habituel de ce type de geste. La mise en scène d'un tel comportement, procédant par surprise, sans consentement préalable de l'intéressée et portant, de surcroît, sur la personne d'une chroniqueuse placée en situation de subordination vis-à-vis de l'animateur et producteur, ne peut que banaliser des comportements inacceptables et d'ailleurs susceptibles de faire l'objet, dans certains cas, d'une incrimination pénale. Elle place la personne concernée dans une situation dégradante et, présentée comme habituelle, tend à donner de la femme une image stéréotypée la réduisant à un statut d'objet sexuel. Le CSA a pu légalement estimer que ces faits, constituant, d'une part, une méconnaissance par la chaîne des obligations qui lui incombent en application des dispositions (...) de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, rappelées dans la mise en demeure que lui a adressée le CSA le 23 novembre 2016, et révélant, d'autre part, un défaut de maîtrise de l'antenne, étaient, alors même qu'ils s'étaient produits dans le cadre d'une émission humoristique, de nature à justifier le prononcé d'une sanction sur le fondement de l'article 42-1 cité ci-dessus. Eu égard tant aux pouvoirs dévolus au CSA, auquel le législateur a confié la mission de veiller à l'image donnée des femmes dans les programmes, qu'à la nature des faits décrits ci-dessus au regard des obligations qui s'imposent à la société requérante, la décision de sanctionner cette dernière ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression, protégée tant par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 que par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales."

(13 novembre 2019, Société C8, n° 415396 ; v. aussi, sur cette affaire, du même jour : Société C8, n° 415397)

 

13 - Émission d'une chaîne de télévision relative à une plainte pour viol - Saisine du CSA aux fins de mise en demeure de cette chaîne - Refus - Rejet du recours.

Un service de télévision ayant diffusé deux courtes séquences évoquant le dépôt d'une plainte pour viol contre M. X., celui-ci a saisi le CSA de plusieurs demandes, toutes rejetées, notamment le prononcé contre cette chaîne d'une suspension pendant trois mois de l'autorisation d'émettre, celui d'une mise en demeure et la saisine du procureur de la république.

Le Conseil d’État, pour rejeter toutes ces demandes, relève « que les séquences en litige font preuve de retenue et de neutralité dans l'évocation du dépôt de la plainte pour viol le visant, évoquant les faits susceptibles de qualification pénale avec prudence et faisant état des points de vue de l'accusé et de la plaignante de manière équilibrée, la journaliste soulignant la nécessité d'aborder cette information avec précaution, au stade de l'ouverture d'une enquête préliminaire et pour des faits remontant à plus de dix ans ».

La chaîne n'ayant pas manqué à ses obligations, c'est à bon droit que le CSA a refusé de la mettre en demeure de respecter une convention qu'elle n'avait pas violée.

(13 novembre 2019, M. X., n° 425933)

 

14 - Convention conclue entre le CSA et l'éditeur d'un service de télévision - Obligation d'une présentation équilibrée des questions controversées - Obligation ne portant pas atteinte à la liberté d'opinion comme à la libre définition d'une ligne éditoriale - Diffusion d'un programme portant, notamment, sur l'utilisation d'armes chimiques en Syrie - Fausse attribution de propos ou mauvaise traduction - Manquements justifiant la mise en demeure prononcée - Rejet.

La société requérante contestait la mise en demeure que lui a adressée le CSA, qui est la première étape pouvant déboucher sur le prononcé d'une sanction. Celui-ci, se fondant sur une stipulation de la convention liant le CSA à cette société, aux termes de laquelle cette dernière était soumise à « L'exigence d'honnêteté (qui) s'applique à l'ensemble des programmes. / L'éditeur (...) vérifie le bien-fondé et les sources de chaque information. Dans la mesure du possible, celle-ci doit être indiquée. L'information incertaine est présentée au conditionnel. / Il fait preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l'information. / Il veille à l'adéquation entre le contexte dans lequel des images ont été recueillies et le sujet qu'elles illustrent... », l'a mise en demeure de respecter à l'avenir ces stipulations.

Il était reproché à cet éditeur, dans une émission consacrée à la situation en Syrie, d'avoir :

- diffusé des extraits d'interviews de personnes s'exprimant en arabe syrien et évoquant, dans cette langue, la situation de famine qui sévissait dans la région de Douma, citation qui avait été accompagnée d'une traduction simultanée dénuée de lien avec ces propos et mentionnant une simulation d'attaque à l'arme chimique.

- dans la traduction en français, au cours du même programme, de certains propos des personnes interviewées, qui s'exprimaient en arabe syrien, substitué au pronom " ils " employé par ces personnes, les mots « Jaych al Islam », ce qui avait pour effet d'attribuer à ce groupe armé des simulations d'attaques à l'arme chimique, alors qu'une telle attribution ne ressortait pas des propos tenus dans leur langue par les personnes interviewées.

- d'avoir présenté d'une manière déséquilibrée la question, très controversée, de l'emploi des armes chimiques en Syrie, et ainsi traité de manière univoque cette question des armes, alors que la sensibilité et le caractère controversé du sujet imposaient que, conformément aux obligations prévues par la convention précitée, différents points de vue soient exposés.

Le Conseil d’État estime que ces éléments justifient la mesure décidée par le CSA sans que cette exigence d'équilibre dans la présenttion d'une controverse puisse être considérée comme constituant une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression protégée tant par la Déclaration du 26 août 1789 (art. 11) que par la convention EDH (art. 10).

Le recours est rejeté.

(22 novembre 2019, Société RT France, n° 422790)

 

Biens

 

15 - Domanialité publique - Acquisition par une commune de terrains de tennis et de parcelles annexes - Affectation au service public municipal des activités sportives et de loisirs - Existence d’aménagements spéciaux - Clause de l’acte de cession réservant l’exclusivité d’utilisation de ces terrains et équipements à l’association venderesse desdites parcelles - Incompatibilité avec la domanialité publique - Absence d’empêchement de leur appartenance au domaine public communal -  Clause inopposable - Rejet.

Une association sportive de pratiquants du tennis cède à une commune, à la condition qu’elles servent perpétuellement à l’usage exclusif des membres de cette association, des parcelles sur lesquelles sont implantés des installations et équipements nécessaires à la pratique du tennis. Un différend s’étant élevé du chef de cette revendication d’exclusivité, se pose la question de la domanialité desdites parcelles.

Le Conseil d’État relève tout à la fois que, utilisées par le service public municipal des ports et des loisirs et bénéficiant d’aménagements spéciaux, ces parcelles font partie du domaine public communal.

Si la clause d’exclusivité est évidemment incompatible avec la domanialité publique, elle n’a pas empêché cependant l’incorporation des parcelles litigieuses dans le domaine public et elle est, de ce chef, inopposable à la commune.

(8 novembre 2019, Association Club seynois multisport (CSMS), n° 421491)

 

16 - Fondation reconnue d’utilité publique - Fondation bénéficiaire d’une donation immobilière avec charge - Conclusion d’un bail emphytéotique avec une commune pour la mise à disposition de cette dernière d’un bien immobilier de la Fondation - Obligation d’une autorisation préalable du bail par arrêté préfectoral - Vérification par le préfet de la compatibilité du bail avec les charges et conditions grevant le bien loué. - Application des art. 900-2 à 900-8 inclus du Code civil - Seconde cassation de l’arrêt d’appel mais rejet.

Une Fondation reconnue d’utilité qui a reçu de son bienfaiteur un bien immobilier avec charge conclut avec une commune un bail emphytéotique portant sur ledit bien.

Une personne demande au juge administratif l’annulation de l’arrêté préfectoral autorisant ce bail motif pris de ce que l’affectation donnée au bien dans le cadre de ce bail ne respecterait pas la volonté du donateur qui a fait don à la Fondation du bien objet du bail assorti de charges et conditions.

La cour a rejeté cet argument, fondé sur les dispositions de l’art. 900-2 du Code civil, car ce dernier, qui ne vise que les « libéralités » ne saurait être appliqué à un bail, lequel n’a pas cette nature mais seulement de conférer un droit réel immobilier. Ce raisonnement est jugé erroné par le Conseil d’État : en effet, la combinaison des articles 900-2 et 900-4 dudit Code impose « que la modification des charges et conditions grevant un bien légué ou l'aliénation de ce bien ne peut avoir lieu que par décision de justice, dans les conditions et selon la procédure définies par les articles 900-2 à 900-8 du code civil ». En d’autres termes, ces charges et conditions grèvent perpétuellement ce bien en quelque main qu’il passe et sous quelque forme juridique que cela soit.

Statuant au fond après cette seconde cassation, le juge constate qu’en l’espèce le bail ne portait pas atteinte aux charges et conditions en cause et, partant, que l’arrêté préfectoral l’approuvant n’est pas entaché d’illégalité.

(8 novembre 2019, M. X., n° 421867)

 

17 - Propriété intellectuelle - Rémunération pour copie privée - Fixation du barème - Méthodologie applicable - Rejet.

L’art. L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle institue une commission chargée de déterminer les types de support, les taux de rémunération et les modalités de versement la rémunération pour copie privée due par les éditeurs d'un service de télévision ou leurs distributeurs qui fournissent à une personne physique, par voie d'accès à distance, la reproduction à usage privé d'œuvres à partir d'un programme qu'ils diffusent de manière linéaire.

Pour fixer cette rémunération, cette commission, sur la base des capacités techniques des matériels et de leurs évolutions, doit apprécier le type d'usage qui en est fait par les différents utilisateurs. Elle s’appuie pour cela sur des enquêtes et des sondages qu’elle doit actualiser régulièrement.

D’évidence, cette méthode repose nécessairement sur des extrapolations, cependant, celles-ci doivent toujours être fondées sur une étude objective des techniques et des comportements. Ceci exclut qu’elles puissent reposer sur des hypothèses ou des équivalences simplement supposées.

En somme, il est demandé à cette commission de raisonner à partir d’un bricolage intelligent.

(27 novembre 2019, Société Molotov, n° 424398 ; v. aussi, du même jour, à propos d’une décision de cette commission étendant la rémunération pour copie privée due au titre des « mémoires et disques durs intégrés aux tablettes tactiles multimédias avec fonction baladeur, avec ou sans clavier détachable (mais non attaché) » à l'ensemble de ces tablettes, y compris aux tablettes équipées des systèmes d'exploitation Windows 8.1. et des versions ultérieures, qui en étaient jusqu'alors exemptées : Société Archos, n° 425595 et n° 425595, deux espèces)

 

Collectivités territoriales

 

18 - Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) - Retrait d’une compétence auparavant transférée à celui-ci - Retour à la compétence des communes membres - Cas des contrats en cours - Cas des baux emphytéotiques - Proposition par le juge d’une médiation - Mesure d’instruction - Absence - Rejet.

Lorsqu’un EPCI se voit retirer l’une des compétences qui lui avaient été transférées, celle-ci revient aux communes membres, ce retour étant à la fois instantané, automatique et intégral.

Cette solution est applicable aux contrats en cours d’exécution portant sur la compétence re-transférée y compris lorsqu’il s’agit d’un contrat constituant un bail emphytéotique.

Par ailleurs la décision d’un juge administratif de proposer aux parties le recours à une médiation n’a pas la nature d’une mesure d’instruction. Elle peut donc être proposée sans réouverture de l’instruction et cette absence de réouverture ne constitue pas une irrégularité.

(7 novembre 2019, Syndicat d'élimination et de valorisation énergétique des déchets de l'Estuaire (SEVEDE), venant aux droits de la communauté urbaine " Le Havre Seine Métropole ", n° 431146)

 

Contrats

 

19 - Marché de partenariat - Clause prévoyant une procédure de règlement amiable des différends - Clause inapplicable à l'exercice par l'autorité publique de son droit à compensation entre créances - Annulation.

Commet une erreur de droit l'arrêt estimant qu'une commune ne pouvait pas émettre de titres exécutoires sans avoir préalablement respecté la procédure de règlement amiable des différends prévue au contrat de partenariat alors que cette procédure n'était pas applicable en cas de compensation de créances.

(8 novembre 2019, Commune de Nogent-sur-Seine, n° 429675)

 

20 - Concession pour la mise aux normes et l’exploitation d’un crématorium municipal - Conditions de passation - Prolongation de neuf jours du délai de remise des offres - Délai suffisant au regard d’une modification non substantielle des conditions de la consultation - Régularité - Annulation de l’ordonnance de référé précontractuel.

Dans le cadre de la procédure de passation d’une convention de concession de service public portant sur la mise aux normes et l'exploitation d’un crématorium communal, a été posée par l’une des entreprises candidates une question relativement au cheminement des cercueils, sur soixante mètres, hors de l’ensemble immobilier du crématorium. Après avoir interrogé le préfet et malgré sa réponse favorable, la commune a choisi de modifier le circuit d'acheminement des cercueils vers la partie technique du crématorium pour le rendre plus court et faciliter l'activité du délégataire, grâce à la création d'une servitude de passage accordée par le propriétaire du terrain au complexe funéraire.

En conséquence de cette modification, elle a accordé une prolongation de neuf jours du délai de remise des offres.

Saisi par certains concurrents, le juge du référé précontractuel a estimé cette prolongation de délai insuffisante ce qui expliquerait que des sociétés avaient été dissuadées de présenter leur candidature.

Cassant ce raisonnement, le Conseil d’État juge qu’eu égard au caractère non substantiel de la modification introduite dans les conditions de la consultation et de son caractère purement matériel, ce délai supplémentaire de neuf jours avait été suffisant en l’espèce.

(27 novembre 2019, Commune d'Hautmont, n° 432996)

 

21 - Concession d'un service public de fourniture d'eau potable - Recours d'un candidat non retenu - Règles de passation particulières applicables à certains contrats - Exclusion des concessions relevant du secteur de l'eau potable - Absence d'irrégularité - Rejet.

La société Martiniquaise de Distribution et de Services (SMDS) a demandé au juge des référés, et obtenu, sur le fondement de l'article L. 551-18 CJA, l'annulation du contrat de concession du service public de fourniture d'eau potable communautaire conclu entre la communauté d'agglomération du Pays Nord Martinique (CAP Nord) et la société Martiniquaise des Eaux.  Ces deux dernières ont, chacune pour leur part, demandé l'annulation de l'ordonnance annulant le contrat de concession.  Leurs pourvois sont admis et reçoivent satisfaction.

Le juge des référés avait annulé à la demande de la SMDS, sur le fondement du 3ème alinéa de l'article L. 551-18 CJA, le contrat de concession du service public de fourniture d'eau potable communautaire, conclu entre la CAP Nord et la SME, parce qu'il a considéré que s'imposait au contrat en litige, eu égard à sa valeur, l'obligation de prévoir et d'indiquer la hiérarchie des critères de sélection des offres prévue à l'article 27 du décret du 1er février 2016 et que cette obligation avait été méconnue par la CAP Nord.

Le Conseil d’État, combinant les dispositions de l'art. 10 du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession avec celles du 3° du I de l'article 11 de l'ordonnance du 29 janvier 2016, relative aux contrats de concession, décide que leur auteur s'est fondé sur le critère matériel de l'objet du contrat pour exclure l'application des règles de passation particulières qui sont applicables aux contrats dont la valeur estimée hors taxe est égale ou supérieure au seuil européen. Tel est le cas des contrats relatifs à la mise à disposition, à l'exploitation ou à l'alimentation de réseaux fixes destinés à fournir un service au public dans le domaine de la production, du transport ou de la distribution d'eau potable, quelle que soit leur valeur estimée et qu'ils soient conclus par un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice.

Au nombre de ces règles figure l'obligation pour l'autorité concédante, prévue au II de l'article 27 du décret, de fixer les critères d'attribution du contrat par ordre décroissant d'importance ainsi que l'obligation prévue au I de l'article 29 de notifier aux soumissionnaires la décision d'attribution de la concession et de respecter un délai de suspension d'au moins onze jours entre la date d'envoi de la notification et la date de conclusion du contrat de concession.

C'est donc à tort que le juge des référés a retenu le motif susrappelé pour annuler la procédure qui a été suivie. Par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu par la SMDS, l'exclusion des concessions relevant du secteur de l'eau potable du champ d’application de ces obligations n'est contraire ni au principe d'égalité devant la loi ni aux principes du droit de la commande publique ni au droit à un recours effectif. 

Enfin, deux autres précisions sont apportées par cette décision. En premier lieu, il résulte des art. L. 551-14, L. 551-15 et R. 551-7-1 du CJA que, s'agissant des concessions ayant pour objet les activités relevant du 3° du I de l'article 11 de l'ordonnance du 29 janvier 2016, qui ne sont pas soumises à l'obligation, pour l'autorité concédante, de notifier aux soumissionnaires, avant la signature du contrat, la décision d'attribution, l'annulation d'un tel contrat ne peut, en principe, résulter que de l'absence des mesures de publicité requises pour sa passation. En second lieu, le juge du référé contractuel doit également annuler une telle concession, lorsque cela lui est demandé sur le fondement des dispositions du 3ème alinéa de l'article L. 551-18 du CJA, ou prendre l'une des autres mesures mentionnées à l'article L. 551-20 dans l'hypothèse où, si un recours en référé précontractuel a été formé, l'autorité concédante n'a pas respecté la suspension de signature du contrat prévue aux articles L. 551-4 ou L. 551-9 ou ne s'est pas conformée à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé. Or la CAP Nord a publié un avis d'appel public à concurrence le 21 juin 2018 au bulletin officiel des annonces de marchés publics et n'a pas méconnu l'obligation de suspension de signature du contrat prévue à l'article L. 551-4 du CJA, et comme la SMDS se prévaut uniquement de manquements visés au 3ème alinéa de l'article L. 551-18 du CJA, les manquements invoqués ne relèvent d'aucune des hypothèses dans lesquelles le juge du référé contractuel peut exercer son office. D'où le rejet de la demande d''annulation de la concession.

 (8 novembre 2019, Communauté d'agglomération du Pays Nord Martinique, n° 432216 ; Société Martiniquaise des Eaux, 432223)

 

22 - Marché à bons de commande - CCAG applicables aux marchés publics de fournitures courantes et de services - Régime de traitement des différends - Notion de "différend" - Délai de trente jours - Cas de l'espèce - Rejet.

Un litige s'étant élevé entre l'établissement public de gestion du quartier d'affaires de La Défense, devenu Etablissement Paris La Défense et une entreprise de nettoyage concernant l'exécution, puis le paiement de factures d'un marché à bons de commandes, était en cause ici, principalement, la notion de "différend" au sens et pour l'application de l'article 34.1 du CCAG applicables aux marchés publics de fournitures courantes et de services, notamment au marché en litige. Celui-ci dispose : « Tout différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l'objet de la part du titulaire d'un mémoire de réclamation qui doit être communiqué à la personne responsable du marché dans le délai de trente jours compté à partir du jour où le différend est apparu ».

Le Conseil d’État énonce en ces termes ce qu'il convient d'entendre par ce mot de "différend" : « L'apparition d'un différend, au sens (de l'art. 34.1 précité), entre le titulaire du marché et l'acheteur, résulte, en principe, d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l'acheteur et faisant apparaître le désaccord. Elle peut également résulter du silence gardé par l'acheteur à la suite d'une mise en demeure adressée par le titulaire du marché l'invitant à prendre position sur le désaccord dans un certain délai. En revanche, en l'absence d'une telle mise en demeure, la seule circonstance qu'une personne publique ne s'acquitte pas, en temps utile, des factures qui lui sont adressées, sans refuser explicitement de les honorer, ne suffit pas à caractériser l'existence d'un différend au sens des stipulations précédemment citées ».

En l'espèce, l'établissement public avait indiqué oralement qu'il entendait « bloquer intégralement » les factures émises par l'entreprise de nettoyage et en faisant part de son intention de « contester immédiatement », « si elle était avérée », l'éventuelle compensation des sommes dues au titre de ces factures avec celles dues au titre de la redevance d'occupation domaniale. Toutefois, ainsi que la cour l'avait relevé, l'établissement public, en réglant, postérieurement au courrier de son cocontractant, une facture d'un certain montant, a légitimement laissé croire à celui-ci qu'il n'entendait pas refuser le paiement de ses factures. Par suite, le mémoire de réclamation adressé par l'entrepreneur plus de trente jours après son courrier du 7 août 2013, n'était pas tardif.

(22 novembre 2019, Etablissement Paris La Défense, n° 417752)

 

23 - Marché à prix global et forfaitaire - Travaux supplémentaires - Travaux effectués sans ordre de service - Indemnisation possible - Rejet.

Rappel de ce que le caractère global et forfaitaire du prix d'un marché ne fait nullement obstacle à l'indemnisation des travaux supplémentaires même réalisés sans ordre de service, dès lors qu'il est établi qu'ils étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art.

(13 novembre 2019, Me X., agissant en qualité de liquidateur de la société Entreprise Georges Cazeaux, n° 417176)

 

24 - Marchés et contrats - Conditions de mise en concurrence - Candidats devant se noter eux-mêmes pour plusieurs critères ou sous-critères - Illégalité en l'absence de vérification lors de l'analyse des offres - Cassation et renvoi.

Le Conseil d’État rappelle que si, en matière de notation de la mise en oeuvre de chacun des critères de sélection des offres, le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation c'est sous l'importante limite du respect de l'égalité des candidats et de la transparence. En conséquence, le choix d'une méthode de notation de nature à affaiblir ou à neutraliser la portée des critères et/ou leur pondération est de nature à invalider l'ensemble de la procédure car il peut conduire « à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie ».

Tel était le cas en l'espèce, où le pouvoir adjudicateur avait laissé aux candidats le soin de fixer, pour l'un des critères ou sous-critères, la note qu'ils estimaient devoir leur être attribuée car cette "méthodologie" était de nature à priver de portée utile le critère ou sous-critère en cause : cette note ne pouvait donner lieu à vérification au stade de l'analyse des offres, quand bien même les documents de la consultation avaient prévu que le candidat attributaire qui ne respecterait pas, lors de l'exécution du marché, les engagements que cette note entend traduire pourrait, de ce fait, se voir infliger des pénalités.

(22 novembre 2019, Société Autocars Faure, n° 418460 ; dans le même sens et du même jour : Société Cars Annequin, n° 418461)

 

25 - Marché public de travaux - Pratiques anticoncurrentielles relevées par l'autorité de la concurrence - Responsabilité civile quasi-délictuelle du fait de ces pratiques - Régime de prescription applicable - Loi du 17 juin 2008 - Cassation partielle et renvoi dans cette mesure.

L'importance de cette décision tient à l'application dans le temps des règles de prescription des actions en responsabilité quasi-délictuelle par suite de la modification du régime de la prescription par la loi du 17 juin 2008 (nouvel art. 2224 C. civ.).

Combinant le texte de l'art. 2270-1 du Code civil tel qu'il était libellé jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de 2008 avec celui de l'art. 2224 issu de cette loi, le Conseil d’État décide que jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les actions fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle des auteurs de pratiques anticoncurrentielles se prescrivaient par dix ans à compter de la manifestation du dommage. Après l'entrée en vigueur de cette loi, la prescription de ces actions est régie par les dispositions de l'article 2224 du Code civil qui réduisent à cinq ans la durée au terme de laquelle la prescription est acquise.

(22 novembre 2019, SNCF Mobilités, n° 418645)

 

26 - Marché de services de traitement des déchets ménagers - Règlement des différends - Article 37 du CCAG applicables aux marchés de fournitures courantes et de services - Portée - Distinction entre surgissement d’un différend et résiliation - Effets - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

La société SMA Environnement a conclu avec le syndicat d'agglomération nouvelle Ouest Provence un marché d'exploitation des centres de transfert de déchets ménagers et de traitement des ordures ménagères en centre de stockage des déchets ultimes. Suite aux observations du préfet, le président du syndicat prononce la résiliation du lot n° 2 de ce marché. Il refuse l’allocation de l’indemnité réclamée par le titulaire du marché.

Les sociétés requérantes saisissent le tribunal administratif d’un recours en reprise des relations contractuelles et d’une demande d’indemnisation en raison du préjudice subi du fait de la résiliation qu’ils estiment illégale.

Leurs actions sont rejetées en première instance et, en appel, un non-lieu est prononcé sur la demande de reprise des relations contractuelles tandis que le surplus de la requête est rejeté.

Les sociétés se pourvoient en cassation. Le Conseil d’État leur donne raison.

Il résulte de l’art. 37 du CCAG applicables aux marchés de fournitures courantes et de services que la survenance, au cours de l'exécution d'un marché, d’un différend entre le titulaire et l'acheteur, résultant d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de ce dernier et faisant apparaître le désaccord, le titulaire doit présenter, dans un délai de deux mois, un mémoire de réclamation, à peine d'irrecevabilité de la saisine du juge du contrat. Toutefois, manifestement, cette disposition ne concerne pas le cas où survient non un différend qui a effet sur la poursuite du contrat mais la résiliation pure et simple dudit contrat. En cette hypothèse, qui est celle de l’espèce, où l'acheteur a résilié unilatéralement le marché, puis s'est abstenu d'arrêter le décompte de liquidation dans le délai qui lui était imparti, si le titulaire ne peut saisir le juge qu'à la condition d'avoir présenté au préalable un mémoire de réclamation et s'être heurté à une décision de rejet, les stipulations de l'article 37 relatives à la naissance du différend et au délai pour former une réclamation ne sauraient lui être opposées contrairement à ce qu’ont jugé les juridictions de première instance et d’appel qui ont estimé qu’en l’espèce était applicable la forclusion instituée par cette disposition.

Après la résiliation prononcée par le syndicat le 6 août 2013, ce dernier s’est abstenu de communiquer au titulaire le décompte de résiliation, de sorte que les sociétés requérantes ont dû adresser elles-mêmes au syndicat, le 7 février 2014, une demande d’indemnisation du préjudice qu’elles estimaient avoir subi du chef d’une résiliation qu’elles considéraient comme illégale. Cette demande valait mémoire en réclamation tel que prévu par les dispositions précitées du CCAG. Elle a été rejetée par une décision du syndicat du 12 mars 2014.

C’est donc par suite d’une erreur de droit que la cour a estimé que la demande du 7 février 2014 n'avait eu pour seul objet que de faire naître le différend dans des conditions irrégulières au regard des dispositions précitées du CCAG.

L’arrêt cassé est renvoyé, dans cette mesure, à la cour.

(27 novembre 2019, Sociétés SMA Propreté, SMA Environnement et SMA Vautubière, n° 422600)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

27 - Banques et établissements de crédit - Évaluation de l’actif dans le cadre de l’imposition aux bénéfices industriels et commerciaux - Acquisition de titres de participation - Comptabilisation de ces titres - Absence d’obligation de comptabiliser identiquement chacune de ces acquisitions - Prise en considération de l’intention de l’acquéreur lors de chaque acquisition des titres - Rejet.

Une banque sollicite de l’administration fiscale la restitution de l'impôt sur les sociétés qu’elle a acquitté au titre d’un exercice clos afin de tenir compte de la différence de 2,32 milliards d'euros entre le montant du bénéfice qu’elle a initialement déclaré et ce montant corrigé pour tenir compte de la déduction de la provision sur les nouvelles actions d’une banque, acquises dans le cadre de l'augmentation de capital réalisée au cours de ce même exercice. L’administration a opposé un refus. Le recours contentieux de la banque, rejeté en première instance, a été accueilli en appel, d’où le pourvoi dont le ministre des finances saisit le Conseil d’État.

Pour rejeter ce pourvoi, le juge indique, de manière assez nouvelle, se fondant sur une interprétation du plan comptable général qu’il a sollicitée de l'Autorité des normes comptables, que l’acquisition successive par un établissement de crédit, de titres de participation, ne doit pas nécessairement recevoir dans tous les cas la même qualification juridique. Il convient chaque fois de se placer à la date d’acquisition et de tenir compte de l’intention de l’acquéreur pour qualifier, positivement ou négativement au regard de la loi fiscale, l’opération d’acquisition en cause.

(8 novembre 2019, Société anonyme Crédit agricole, n° 422377)

 

28 -Taxe foncière sur les propriétés bâties - Demande de dégrèvement - Refus - Assimilation à un rehaussement d'imposition - Absence - Impossibilité d'invoquer l'art. L. 80 A du LPF - Annulation du jugement et rejet de la requête.

Rappel utile en raison d'une confusion souvent commise par les contribuables lorsqu'ils invoquent l'art. L. 80 A LPF, lequel leur permet d'opposer, de bonne foi, à l'administration sa propre doctrine fiscale.

Cette disposition ne concerne que les décisions de "rehaussement" d'impôts. Il s'ensuit qu'elle ne joue pas dans le cas d'un refus de dégrèvement qui, maintenant l'imposition primitivement établie, n'est point un rehaussement de celle-ci.

(18 novembre 2019, M. X., n° 418466)

 

29 - Retenue à la source - Déduction des frais professionnels du prestataire de service - Impossibilité pour le prestataire de services non-résident fiscal - Possibilité pour le prestataire résident fiscal - Inconventionnalité des dispositions de l'art. 182 B du CGI - Annulation partielle et renvoi dans cette mesure.

L'art. 182 B du CGI est contraire aux art. 56 et 57 TFUE, tels que les interprète une jurisprudence constante de la CJUE car il exclut que le débiteur de la rémunération versée à un prestataire de services non résident déduise, lorsqu'il procède à la retenue à la source de l'impôt, les frais professionnels que ce prestataire lui a communiqués et qui sont directement liés à ses activités dans l'État membre où est effectuée la prestation, alors qu'un prestataire de services résident de cet État ne serait soumis à l'impôt que sur ses revenus nets, c'est-à-dire sur ceux obtenus après déduction des frais professionnels.

Solution logique dont on peine à comprendre qu'il ait fallu remonter toute la chaïne juridictionnelle pour la trouver. Illustration supplémentaire du leurre qu'est désormais la prétendue souveraineté fiscale des États membres de l'Union.

(22 novembre 2019, Société de gestion du Port Vauban, n° 423698)

 

30 - Entreprises de spectacles vivants - Perception de subventions publiques globales non remboursables et donc non affectées à un spectacle donné - Combinaison avec le crédit d'impôt - Déduction de la base de calcul du crédit d'impôt - Contestation de commentaires administratifs relatifs à cette déduction - Rejet.

Les entreprises de spectacles vivant bénéficient d'un crédit d'impôt pour dépenses de production de spectacles vivants (art. 220 quindecies CGI). Lorsqu'elles perçoivent des subventions publiques non remboursables qui leur sont versées globalement et qui ne sont donc pas affectées à un spectacle déterminé, il résulte du VII de l'article précité que ces subventions doivent être déduites de la base de calcul du crédit d'impôt. Par suite, ne sauraient être contestées les énonciations contenues dans le paragraphe 200 des commentaires administratifs publiés le 1er février 2017 au Bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-IS-RICI-10-45, dès lors que celles-ci se bornent à expliciter, sans y ajouter, les dispositions de l'article 220 quindecies précité.

(8 novembre 2019, Orchestre national d'Ile-de-France, n° 430794)

 

31 - Cession de titres - TVA ayant grevé la cession - Conditions de déductibilité de la TVA - Déductibilité possible à certaines conditions pour une holding - Annulation avec renvoi.

Le Conseil d’État rappelle que si, en vertu des dispositions des paragraphes 1 et 2, 3 et 5 de l'article 17 de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 relative à l'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les dépenses inhérentes à la cession des titres elle-même n'est en principe pas déductible dès lors que ces dépenses présentent un lien direct et immédiat avec cette opération. La société holding est néanmoins en droit de déduire cette taxe si elle établit, compte tenu de la nature des titres cédés ou par tous éléments probants tels que sa comptabilité analytique, que ces dépenses n'ont pas été incorporées dans leur prix de cession et que, par suite, elles doivent être regardées comme faisant partie de ses frais généraux et se rattachant ainsi aux éléments constitutifs du prix des opérations relevant des activités économiques qu'elle exerce comme assujettie.

Il en va de même lorsque les dépenses ont été payées à un même intermédiaire, chargé à la fois de préparer cette cession et de réaliser la transaction, dès lors que ces deux catégories de prestations n'ont pas donné lieu à une rémunération distincte et qu'elles doivent alors être regardées comme un tout indissociable se rattachant à la transaction.

 (22 novembre 2019, Société anonyme Vivendi, n° 423805)

 

32 - TVA - Régime de l'auto-liquidation de taxe - Demande de restitution de TVA - Absence de réglementation européenne sur ce point - Retour à la compétence et aux règles du droit national - Conditions du remboursement de la taxe par les autorités nationales - Annulation et renvoi à la cour.

Cette décision est relative au régime de restitution de la TVA lorsque celle-ci a été payée à tort, par un redevable, à un fournisseur.

Constatant l'absence de réglementation de l'Union en matière de demandes de restitution de taxes, le Conseil d’État juge, qu'en ce cas il convient de faire retour aux règles propres  à l'ordre juridique interne de chaque État membre et aux conditions qu'il fixe pour une telle restitution.

S'agissant de la France, il est décidé que, conformément aux principes d'équivalence et d'effectivité, ces conditions ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des réclamations semblables et fondées sur des dispositions du droit interne, ni aménagées de manière à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice, par l'acquéreur des biens, des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union.

C'est pourquoi le juge estime que si le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée devient impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d'insolvabilité du vendeur, le principe d'effectivité peut exiger que l'acquéreur puisse diriger sa demande de restitution directement contre les autorités fiscales nationales.

Enfin, lorsque le non-respect des règles du régime de l'auto-liquidation entraîne un risque de perte de recettes fiscales pour l'État membre intéressé, ce dernier peut, avant d'accorder la restitution demandée, vérifier que le risque d'une telle perte a été préalablement éliminé, notamment du fait que l'auteur de la facture erronée a reversé au Trésor public la taxe indûment collectée.

En l'espèce, c'est par suite d'une erreur de droit que la cour administrative d'appel a rejeté la demande de restitution formée par la société requérante sans rechercher si elle avait établi être dans l'impossibilité d'obtenir de son fournisseur (suisse ici) le remboursement de la taxe qu'elle lui avait versée ou que ce remboursement était excessivement difficile et, dans l'affirmative, de s'assurer que le risque de perte de recettes fiscales pour le Trésor public avait été éliminé. L’arrêt de la cour est cassé et l’affaire lui est renvoyée. 

(15 novembre 2019, Société Eye Shelter, n° 420251)

 

33 - Plus-values immobilières réalisées par des particuliers - Bien cédé à titre gratuit - Détermination de la plus-value taxable - Valeur fixée pour le calcul des droits de mutation éventuellement rectifiée en tenant compte d’un événement postérieur à la date de cession - Cassation sur ce point avec renvoi.

Lorsqu’un bien immobilier a été obtenu à titre gratuit, le calcul du montant de la plus-value taxable en cas de cession s’effectue à partir d’un prix d'acquisition de celui-ci fixé à la valeur retenue pour le calcul des droits de mutation (art. 150 VB CGI)).

Pour déterminer cette valeur il convient de retenir la déclaration du contribuable au titre des droits d'enregistrement ou, le cas échéant, la rectification définitive de cette déclaration par l'administration fiscale quand bien même cette valeur procéderait d'un événement postérieur au fait générateur de la plus-value que constitue le transfert de la propriété du bien immobilier, réalisé à la date de sa cession.

(27 novembre 2019, M. X., n° 418379)

 

34 - Comptable public - Obligations de contrôle - Contrôle de légalité (non) - Contrôle de la discordance entre ordre de paiement et arrêté le fondant (oui) - Responsabilité dans cette mesure - Cassation partielle avec renvoi à la Cour des comptes.

La Cour des comptes a mis en débet deux comptables successifs de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) pour le paiement d'une prime qui ne pouvait pas être versée aux agents de cet office ; ces comptables se pourvoient en cassation contre cette décision.

Le Conseil d’État leur donne en partie raison.

D'une part, c'est à tort que la Cour des comptes, pour entrer en voie de condamnation, s'est fondée sur la seule circonstance que les comptables n'avaient pas suspendu les paiements de la prime de mobilité litigieuse alors que les décisions à caractère réglementaire du directeur général de l'Office et les lettres du ministre prévoyant l'attribution de la prime de mobilité à certains agents non affectés en brigades mobiles d'intervention étaient contraires aux dispositions de l'article 6 du décret du 21 décembre 2001. Elle a ainsi commis une erreur de droit en exigeant des comptables qu'ils exercent un contrôle de légalité sur les pièces fournies par l'ordonnateur, alors que, en présence des pièces justificatives requises, ceux-ci étaient tenus de procéder aux paiements litigieux.

D'autre part, en revanche, la Cour n'a pas commis d'erreur en jugeant que l'ONEMA ne figurait pas sur la liste des organismes ouvrant droit au bénéfice de cette prime résultant de l'arrêté du 11 août 2004, dans sa version alors applicable, et qu'ainsi les comptables ne pouvaient procéder au paiement de ces indemnités sans que soit produit, au nombre des pièces justificatives, de texte rendant la prime applicable aux agents de l'Office.

(13 novembre 2019, Mme X. et autre, n° 421299)

 

35 - Plus-values immobilières - Cas des cessions d'un montant inférieur à 15 000 euros - Détermination du seuil de 15 000 euros - Annulation partielle avec renvoi dans cette mesure à la cour administrative d'appel.

Le code général des impôts prévoit une exonération de la taxation des plus-values immobilières dans le cas des cessions d'un montant inférieur à 15 000 euros. Pour la détermination de ce seuil, il y a lieu de tenir compte du prix encaissé lors de chaque cession indépendamment du nombre de biens vendus. Ainsi, lors de la vente, par un même acte, de quatre lots distincts situés dans un même immeuble, le seuil de 15 000 euros s'apprécie non pour chacun des lots mais sur le montant global de la cession.

(15 novembre 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 421337)

36 - Contribuable joueur de poker - Obligation déclarative ou fourniture d’acte en vue de la liquidation de l’impôt - Omission - Pénalité de 80% - Changement dans la qualification juridique des gains - Exonération - Rejet.

Le contribuable qui, dans le délai légal, ne satisfait pas à ses obligations déclaratives en vue de la détermination de l’assiette ou de la liquidation de l’impôt ou ne justifie pas avoir fait connaître l’existence de son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce est passible d’une pénalité égale à 80% de l’imposition due, en sus du montant de celle-ci, et, en ce cas, l’administration est présumée avoir rapporté la preuve de l’existence de l’activité occulte (art. 1728 CGI), sauf à ce que le contribuable établisse avoir commis une erreur en s’abstenant de ses obligations déclaratives.

Un joueur de poker se trouvant dans cette situation, l’administration fiscale entend lui appliquer le régime décrit ci-dessus mais la cour administrative d’appel rejette l’argumentation de cette dernière. Elle juge que dès lors que  l’examen de la situation fiscale personnelle et celui de sa comptabilité ont porté, respectivement, sur les années 2009-2010 et 2010-2011, le joueur de poker n’exerçait pas une activité alors soumise à l’une des formalités susrappelées puisque ce n'est que postérieurement aux années 2010 et 2011 que la jurisprudence et l'administration fiscale ont estimé que les gains réalisés au poker étaient, dans certaines conditions, imposables à l'impôt sur le revenu, et que la circonstance que le poker était qualifié de jeu de hasard par les juridictions civiles et pénales au sens des lois et règlements était, en outre, de nature à induire en erreur le contribuable sur la nature de ses obligations déclaratives, aucune règle précise ne distinguant la pratique du poker selon qu'elle était exercée à des fins ludiques ou lucratives. Il suit de là que l'absence de souscription de déclaration par le contribuable devait être regardée, dans les circonstances de l'espèce et alors même qu'il avait conclu un contrat de partenariat avec la société Everest Poker lui permettant notamment de bénéficier de la prise en charge des droits d'inscription à certains tournois, comme ayant constitué une erreur justifiant qu'il ne se soit pas acquitté de ses obligations.

La cour est approuvée par le Conseil d’État et le recours du ministre est rejeté.

(22 novembre 2019, ministre de l'action et des comptes publics, n° 429286)

 

37 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Exonération dans le cadre de contrats de partenariat - Construction dans le cadre d'un contrat de location en l'état futur d'achèvement (LEFA) pour le compte de Pôle emploi - Absence d'incorporation certaine au domaine public en fin de contrat - Absence d'exonération - Rejet.

La société requérante, invoquant les dispositions de l'art. 1382 du CGI relatives à l'exonération de la taxe foncière sur propriétés bâties issues d'un contrat de partenariat et incluses in fine dans le domaine public de la personne publique cocontractante de ce contrat de partenariat, sollicitait, d'une part, le remboursement de la taxe déjà payée et, d'autre part, l'exonération de la taxe due.

Elle se pourvoit en Conseil d’État après le rejet de sa requête en première instance mais en vain.

L'art. 1382 précité n'exonère de la taxe litigieuse que les immeubles qui, à la fois, sont construits dans le cadre d'un contrat de partenariat et sont incorporés in fine dans le domaine public de la personne publique co-contractante. En l'espèce, la requérante avait conclu avec Pôle emploi un contrat de location en l'état futur d'achèvement (LEFA), dont une clause stipulait un droit de préférence pour Pôle emploi en cas de cession. Ceci ne constituait donc pas un acte d'incorporation certaine au domaine public de cet établissement public. Par suite, l'exonération sollicitée ne pouvait pas être accordée, ce qui justifie le rejet du pourvoi.

(21 novembre 2019, Société Alliance La Foncière, n° 420352) ; v. aussi, du même jour avec même requérante : n° 426328, n° 426696, deux espèces)

 

38 - Plus-values mobilières - Imputation des pertes - Régime rappelé par des commentaires administratifs  publiés au Bulletin officiel des finances publiques - impôts - Impossibilité d’imputation des pertes afférentes aux annulations de titres réalisées en application de l'article L. 225-248 du code de commerce - Possibilité d’imputation pour les titres annulés dans le cadre d'une procédure collective - Discrimination injustifiée - Violation de l’art. 14 de la convention EDH et de l’art. 1er du premier protocole additionnel à cette convention - Annulation.

Le Conseil d’État, dans une décision importante, juge que l’administration fiscale commet une illégalité en réitérant dans les commentaires administratifs de cette disposition  le 12 de l'article 150-0 D du CGI qui dispose que dans l'hypothèse où les pertes d'une société sont au moins égales ou supérieures à ses capitaux propres et si l'assemblée générale extraordinaire n'a pas décidé sa dissolution anticipée, les associés, pour réduire le capital de la société d'un montant au moins égal à celui des pertes qui n'ont pas pu être imputées sur ses réserves et son report à nouveau, sont tenus de procéder à l'annulation des titres de cette société. Ceux-ci, en effet, ne se trouvent pas, au regard de la loi fiscale, dans une situation suffisamment différente de celle des contribuables dont les titres sont annulés dans le cadre d'une procédure collective pour justifier, sans méconnaître les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, une différence telle que celle qu'instaure le premier alinéa du 12 de l'article 150-0 D CGI, dans le traitement fiscal des annulations de titres opérées à la suite de ces deux procédures. Il en résulte que les paragraphes 5 et 6 de la fiche n°5 de l'instruction administrative 5 C-1-01 du 3 juillet 2001 réitèrent des dispositions législatives qui méconnaissent dans cette mesure les stipulations précitées de la convention EDH.

(22 novembre 2019, M. X., n° 431867)

 

39 - Société non-résidente déficitaire - Régime de la retenue à la source - Discrimination entre sociétés déficitaires selon qu’elles sont résidentes ou non - Inconventionnalité - Cassation avec renvoi.

Est contraire au droit de l’Union (art. 63 et 65 TFUE) la législation fiscale française (2  de l’art. 119bis CGI) en ce que, d’une part, elle procure un avantage fiscal substantiel aux sociétés résidentes se trouvant en situation déficitaire dont ne bénéficient pas les sociétés non-résidentes déficitaires - car elles sont automatiquement soumises à la retenue à la source - et, d’autre part, cette différence de traitement dans l'imposition des dividendes, qui ne se limite pas aux modalités de perception de l'impôt, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux qui n'est pas justifiée par une différence de situation objective. Il y a donc lieu d’écarter ici l’application du 2 de l’art.119bis du CGI.

(27 novembre 2019, Société Vorwerk Elektrowerke GmbH et Co. KG, n° 405496)

 

40 - Caractère immobilier prépondérant d’une société (art. 219, I, a sexies-0 bis CGI) - Absence de cession des titres - Titres faisant l’objet d’une provision pour dépréciation - Date d’appréciation de cette prépondérance immobilière - Avis de droit.

Dans le cadre d’une action en réduction de la cotisation supplémentaire à l’impôt sur les sociétés dont elle avait été saisie par la société requérante, une cour administrative d’appel interroge ainsi le Conseil d’État : « Pour l'application des dispositions du a sexies-0 bis du I de l'article 219 du CGI, comment et, en particulier, à quelle date s'apprécie, en l'absence de cession des titres, le caractère immobilier prépondérant de la société détenue ? ».

Il lui est répondu assez logiquement : « (…) lorsque les titres d'une société font l'objet d'une provision pour dépréciation, cette société doit être regardée comme étant à prépondérance immobilière au sens du premier alinéa du a sexies-0 bis de l'article 219 du CGI, ce qui a pour effet de soustraire la provision à l'application du régime du long terme et de permettre sa déduction des bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun du I du même article, lorsque son actif est constitué pour plus de 50 % de sa valeur réelle par des immeubles, des droits portant sur des immeubles, des droits afférents à un contrat de crédit-bail conclu dans les conditions prévues au 2 de l'article L. 313-7 du code monétaire et financier ou par des titres d'autres sociétés à prépondérance immobilière, soit à la clôture de son dernier exercice précédant la constitution de cette provision, soit à la date à laquelle cette dernière est constituée, c'est-à-dire à la date de clôture de l'exercice de la société qui détient ses titres ».

(22 novembre 2019, SA l'Auxiliaire, n° 432053)

 

41 - Taxe sur les surfaces commerciales - Demande de décharge - Pénalités pour manœuvres frauduleuses - Preuve non rapportée faute de mesures d’instruction à cet effet - Annulation partielle avec renvoi.

Est entaché d’erreur de droit le jugement estimant que l'administration devait être regardée comme apportant la preuve des manœuvres frauduleuses dont se serait rendue coupable la société requérante sans rechercher si cette dernière avait fait usage de procédés destinés à égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle.

Le jugement est annulé en tant qu'il porte sur les pénalités pour manœuvres frauduleuses.

(27 novembre 2019, SAS Courtoise Distribution Auto, n° 413725)

 

Droit public économique

 

42 - Tabacs - Augmentation brutale du minimum de perception des droits fiscaux - Invocation du principe de confiance légitime - Invocation possible - Absence en l’espèce - Rejet.

Par les deux requêtes jointes par le juge, les requérantes demandaient l’annulation d’un arrêté interministériel (santé et finances) mettant en œuvre la majoration des minima de perception prévue par l'article 575 du CGI en matière de produits de tabacs.

Parmi les nombreux arguments, tous rejetés, doit être noté celui tiré de la violation du principe de confiance légitime.

Le Conseil d’État pose nettement que « la possibilité de se prévaloir du principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit de l'Union européenne, est ouverte à tout opérateur économique auprès de qui une institution publique a fait naître, à l'occasion de la mise en œuvre du droit de l'Union, des espérances fondées ».

En l’espèce, est rejeté l’argument du SEITA selon lequel l'arrêté attaqué aurait été adopté en méconnaissance de ce principe au motif que la majoration du minimum de perception, en une seule fois et à hauteur du seuil maximal prévu par la loi, ne pouvait être anticipée. En effet, le SEITA ne pouvait ici se prévaloir d'aucune garantie qu’auraient donné les pouvoirs publics quant au maintien de cette majoration à son niveau antérieur.

(6 novembre 2019, Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA), n° 415947 ; Société British American Tobacco France, n° 416031)

 

43 - « Vendeur actions » - Utilisation d’informations privilégiées - Sanction infligée par l’Autorité des marchés financiers (AMF) - Obligation du respect du principe de proportionnalité - Principe non bis in idem - Application à plusieurs manquements distincts mais causalement reliés - Rejet.

Dans cette affaire, où un « vendeur actions » est sanctionné par l’AMF pour des manquements aux règles applicables, un point, parmi de nombreux autres, retient l’attention.

Le requérant invoquait la circonstance qu’était retenu pour « preuve » de son comportement un faisceau d’indices constitués de plusieurs manquements, ce qui était selon lui et un manquement au principe de proportionnalité des sanctions administratives et un manquement au principe non bis in idem.

Rejetant cette argumentation, le Conseil d’État estime que tant l’obligation de proportionnalité pesant sur toute sanction administrative que le principe non bis in idem, n’empêchent pas l’AMF, dans le cadre d’une même et unique poursuite, de tenir compte d’une pluralité de manquements qui, quoique distincts les uns des autres, reposaient sur une unique causalité factuelle.

Ceci appelle deux observations.

La première, relevée par le juge, est le fait qu’en l’absence de preuve rapportée par l’AMF au soutien de sa décision constatant les manquements, l’AMF a substitué à cette preuve un faisceau d’indices. Il y a donc lieu de s’interroger sur le point de savoir si cette situation n’a pas eu un rôle déterminant sur la solution retenue par le juge.

La seconde sera pour constater la portée générale, donc à l’égard de toute sanction administrative, des principes soutenant la solution retenue.

(6 novembre 2019, M. X., n° 418463)

 

44 - Pouvoir de sanction de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) - Etendue du contrôle exercé par le juge administratif sur ce pouvoir de sanction - Contrôle de proportionnalité.

Les décisions de sanction prises par l'ACPR contre un établissement financier pour défaillances dans son dispositif relatif au gel des avoirs, sont soumises au contrôle de proportionnalité du Conseil d’État (Cf., comparable en substance : 25 octobre 2017, Union des mutuelles d'assurance Monceau (UNAM) et Société Mutuelle centrale de réassurance (MCR), n°s 399491 et 399493).

 (15 novembre 2019, Société anonyme La Banque Postale (LBP), n° 428292)

 

45 - Électricité - Tarifs réglementés de vente d’électricité aux consommateurs de France continentale (tarifs « verts ») - Fixation - Exercice d’une concurrence tarifaire effective - Tarifs réglementés de vente de l'électricité aux sites des clients non domestiques (tarifs « bleus ») - Effets des directives européennes - Annulations partielles.

Était demandée l’annulation de diverses décisions ministérielles arrêtant des tarifs réglementés de vente d’électricité.

Si la plupart des arguments soulevés à l’appui des cinq recours, certains sont néanmoins retenus.

Concernant l’un des rejets, on notera que le Conseil d’État énonce avec une certaine solennité que : « Dans l'hypothèse où des dispositions législatives ou réglementaires se révèlent incompatibles avec des règles du droit de l'Union européenne, il appartient aux autorités administratives nationales de ne pas en faire application tant que ces dispositions n'ont pas été modifiées. Par suite et sans qu'y fassent obstacle le principe de sécurité juridique ni les principes généraux du droit des contrats, les (art. L. 337-7 et R. 337-18) du code de l'énergie (…) ne pouvaient davantage, sans méconnaître les objectifs de la directive 2009/72/CE, servir de base légale aux décisions attaquées en tant qu'elles permettent le maintien du bénéfice des tarifs dits " bleus " ou " verts " pour les grandes entreprises ayant un contrat en cours à la date de ces décisions tant qu'elles ne demandent pas un changement de puissance ou d'option tarifaire ».

Il s’ensuit, nous semble-t-il, qu’une action à fins indemnitaires dirigée contre l’État pourrait être fondée sur le fait que la mise à l’écart des principes susénoncés cause directement préjudice aux organismes concernés.

Deux arguments sont, pour l’essentiel, retenus.

En premier lieu, interprétant des dispositions de la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, la CJUE a jugé (20 avril 2010, Federutility e.a. contre Autorità per l'energia elettrica e il gas, aff. C-265/08 ; 7 septembre 2016, ANODE, aff. C-121/15), que la conformité d'une réglementation des prix de vente au détail de l'électricité, qui constitue, par sa nature même, une entrave à la réalisation d'un marché de l'électricité concurrentiel, aux objectifs poursuivis par cette directive est subordonnée au respect de trois conditions : 1) elle doit répondre à un objectif d'intérêt économique général ; 2) elle ne peut porter atteinte à la libre fixation des prix que dans la seule mesure nécessaire à la réalisation de cet objectif et notamment pour un temps limité ; 3) elle doit être clairement définie, transparente, non discriminatoire et contrôlable. Si la réglementation des tarifs de vente au détail de l'électricité instituée par le code de l'énergie, que contestent les requérantes, peut être regardée comme poursuivant l'objectif d'intérêt économique général de stabilité des prix, ce qui la rend compatible avec les objectifs poursuivis par la directive précitée, ne l’est pas sur les deux autres conditions susrappelées car elle présente un caractère permanent et elle est applicable à tous les consommateurs finals, domestiques et non domestiques, pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères.

En second lieu, interprétant des dispositions de la directive précitée, la CJUE exige qu’il soit tenu compte, pour déterminer les catégories de consommateurs éligibles aux tarifs réglementés de vente de l'électricité, d'une part, de la différence de situation entre les entreprises et les consommateurs domestiques et, d'autre part, des différences objectives entre les entreprises elles-mêmes, selon leur taille.

Pour ce qui regarde les consommateurs en France métropolitaine continentale, la nature des intérêts en présence justifie seulement que les clients professionnels ayant un profil similaire à celui des consommateurs domestiques, tels que les artisans, commerçants et professions libérales, soient traités de manière identique. Par suite, une réglementation permettant à toutes les entreprises n'appartenant pas à la catégorie des grandes entreprises au sens du décret du 18 décembre 2008, qui comprennent des entreprises moyennes et des entreprises de taille intermédiaire, de bénéficier des tarifs réglementés de vente de l'électricité n'est pas proportionnée à l'objectif de stabilité des prix poursuivi par cette réglementation. Il suit de là que les dispositions précitées du code de l'énergie ne pouvaient, sans méconnaître les objectifs de la directive du 13 juillet 2009, servir de base légale à l'article 2 des décisions attaquées définissant les grandes entreprises inéligibles aux tarifs réglementés par référence au décret du 18 décembre 2008.

(6 novembre 2019, Société ENGIE, n° 424573, n° 424576 ; Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE), n° 424586, n° 424589, n° 424590)

V. aussirelative aux tarifs réglementés de vente de l'électricité applicables aux consommateurs résidentiels en France métropolitaine continentale, aux tarifs réglementés de vente de l'électricité applicables aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale, aux tarifs réglementés de vente de l'électricité applicables dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental et aux tarifs de cession de l'électricité aux entreprises locales de distribution, du même jour, la décision  Associations Union fédérale des consommateurs - Que choisir (UFC - Que choisir) et Consommation, logement et cadre de vie (CLCV), n° 431902.

 

46 - Vins AOC - Cahier des charges de l’appellation « Corrèze » - Homologation - Condition tenant à la durée déjà existante de la production dans l’aire concernée - Appellation « vin de paille » - Rejet.

(7 novembre 2019, Société de viticulture du Jura, n° 416076)

Sur les questions soulevées dans cette décision, on lira cette Chronique, octobre 2019, au n° 38

 

47 - Contrôle des concentrations économiques - Sanction infligée par l’Autorité de la concurrence - Obligation de motiver la sanction financière - Absence - Nature répressive d’une sanction infligée par l’Autorité de la concurrence - Conséquences et régime - Rejet.

L’Autorité de la concurrence, avisée d’une concentration économique, comme en l’espèce à l’occasion de la prise de contrôle exclusif de Darty par la Fnac, doit y donner une autorisation qui peut être pure et simple ou conditionnelle ou qui peut être refusée. En ce second cas des sanctions financières seraient encourues pour non-respect des conditions posées.

Deux reproches principaux étaient dirigés contre la décision de l’Autorité sanctionnant l’opération en cause.

Tout d’abord, était invoquée l’insuffisante motivation de l’indication de sanctions financières possibles : la société requérante estimait que l’Autorité aurait dû préciser le montant de la sanction auquel l'exposeraient les éventuels manquements constatés, puis indiquer les corrections qu'elle apporterait à ce montant pour tenir compte de circonstances atténuantes ou aggravantes qu'elle retenait du fait de son comportement, des diligences qu'elle avait effectuées et des difficultés qu'elle avait rencontrées. Le juge, rejetant cet argument, relève qu’aucune exigence de motivation n’existe ni dans les textes ni dans des lignes directrices que l’Autorité de la concurrence se serait donné.

Ensuite, répondant à une autre objection de la requérante, le juge précise, pour la première fois avec cette netteté, qu’à la différence des sanctions que l'Autorité de la concurrence peut prononcer en application des dispositions des 1°, 2° et 3° du IV de l'article L. 430-8 du code de commerce (retrait de la décision conditionnelle ou injonctions), la sanction financière qu'elle peut, en outre, infliger en cas d'absence de réalisation effective d'engagements pris par les parties à une opération de concentration a un objet purement répressif.

Il en résulte l’obligation pour l’Autorité comme pour le juge du plein contentieux éventuellement saisi, d'apprécier la proportionnalité d'une telle sanction.

Cette proportionnalité s’apprécie « au regard de la gravité des manquements constatés, c'est-à-dire de l'importance des engagements non respectés dans l'ensemble des mesures correctrices adoptées afin de prévenir les effets anticoncurrentiels de l'opération de concentration, du comportement de l'entreprise dans la mise en œuvre des engagements souscrits ainsi que de sa situation particulière, notamment de sa situation financière ».

C’est ce qui a eu lieu dans cette affaire, d’où le rejet de la requête.

(7 novembre 2019, Société Fnac Darty, n° 424702)

 

Droit social et action sociale

 

48 - Convention collective - Extension - Contrôle du juge - Atteinte à la liberté d’entreprendre - Loi écran - Absence de QPC - Rejet.

Parmi les nombreuses critiques formulées par la fédération requérante à l’encontre d’un arrêté du ministre du travail portant extension de la convention collective de branche des salariés en portage salarial, l’une vise l’atteinte que cette décision porterait à la liberté d’entreprendre. En effet, ses dispositions feraient obstacle à ce qu'exercent en qualité de salarié porté des personnes qui ne parviennent pas à trouver un emploi après plusieurs années de recherche, ou des personnes qui choisissent ce statut pour commencer une nouvelle activité, ou encore des personnes dont les prestations ne pourront faire l'objet d'une facturation suffisamment importante pour couvrir les niveaux minima de rémunération prévus.

Pour rejeter cet argument, le Conseil d’État, recourant à la théorie de la « loi-écran », relève qu’en réalité ces exclusions découlent directement du libellé de l’art. L. 1254-2 du code du travail : ainsi la critique porte sur le texte d’une disposition législative qui, par nature, échappe au contrôle du juge administratif sauf à ce qu’ait été soulevée une QPC, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Par ailleurs, la requérante ne soutient pas non plus que la convention collective étendue ne serait, sur ce point, pas conforme à la loi.

(6 novembre 2019, Fédération des entreprises de portage salarial, n° 412051)

 

49 - Convention collective - Extension d’un avenant dans le champ de la convention collective nationale du personnel des cabinets d'avocats - Illégalité d’une disposition de l’avenant constatée par un jugement de TGI - Annulation de l’arrêté ministériel d’extension.

Est illégal et, en conséquence, annulé,  l'arrêté du 12 mai 2017 par lequel la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a étendu, sous un certain nombre de réserves, pour tous les employeurs et tous les salariés compris dans le champ d'application de la convention collective nationale du personnel des cabinets d'avocats, les stipulations de l'avenant n° 115 du 18 décembre 2015 relatif au travail à temps partiel des cadres car le TGI de Paris, par un jugement devenu définitif, a annulé l'avenant à l'extension duquel procède l'arrêté attaqué en raison de l'illégalité des stipulations de son article 2.2.

Contrevenant ainsi aux dispositions de l’art. L. 2261-25 du code du travail, l’arrêté litigieux ne pouvait qu’être annulé.

(8 novembre 2019, Fédération nationale des personnels des sociétés d'études, de conseil et de prévention CGT, n° 412465)

 

50 - Convention collective d’assurance-chômage - Convention de droit privé - Compétences des juges judiciaire et administratif pour en apprécier la légalité - Saisine du juge administratif par voie de question préjudicielle - Compétence pour connaitre de la validité de l’approbation ministérielle donnée à une telle convention - Incompétence du juge administratif pour se prononcer sur les effets de l’illégalité qu’il a relevée à titre préjudiciel.

Saisi d’une question préjudicielle, sur renvoi de l’autorité judiciaire, portant sur la légalité d’une convention d’assurance-chômage et sur l’agrément qui lui a été donné par arrêté ministériel, le Conseil d’État énonce solennellement que : «  Les conventions d'assurance chômage, conclues entre les organisations représentatives d'employeurs et de salariés, ont le caractère de conventions de droit privé.

Toutefois, leur entrée en vigueur est subordonnée à l'intervention d'un arrêté ministériel d'agrément, qui a le caractère d'un acte administratif réglementaire et qui les rend obligatoires pour tous les employeurs et salariés compris dans leur champ d'application. D'une part, le juge judiciaire a compétence pour apprécier la validité d'une telle convention et peut en écarter, le cas échéant, l'application, alors même que l'arrêté qui l'agrée n'aurait pas été contesté devant le juge administratif. D'autre part, compte tenu de la nature particulière de ces conventions, auxquelles le législateur a confié le soin de définir les mesures prises pour l'application de la loi et dont il a subordonné l'entrée en vigueur à l'intervention d'un arrêté ministériel d'agrément, le juge administratif, compétemment saisi d'une contestation mettant en cause la légalité de cet agrément, a également compétence pour se prononcer sur les moyens mettant en cause la validité de la convention. »

En l’espèce, il est jugé que les parties à l'accord litigieux n'étaient pas compétentes pour prévoir une réduction des droits des travailleurs privés d'emploi qui auraient omis de déclarer, dans les conditions prévues par cet accord, des périodes d'activité. Les stipulations du troisième paragraphe de l'accord d'application n° 9 de la convention du 6 mai 2011 relative à l'indemnisation du chômage ne pouvaient ainsi légalement faire l'objet d'un agrément.

Enfin, parce qu’il est saisi d’une question préjudicielle et qu’il ne saurait sortir du cadre de la question posée, il n’appartient pas au juge administratif, en ce cas, de se prononcer sur les effets de sa déclaration d'illégalité.

(8 novembre 2019, M. X., n° 424424)

 

51 - Salarié protégé - Procédure de licenciement - Entretien préalable - Obligation d’entendre le salarié seul - Exclusion de tout entretien collectif même avec l’accord du salarié - Substitution d’un motif de pur droit - Rejet.

Dans le cadre de l’examen d’un litige relatif à l’autorisation donnée par un inspecteur du travail au licenciement d’un salarié protégé, le Conseil d’État exclut toute possibilité que l’entretien préalable puisse avoir un caractère collectif, même à la demande du salarié dont le licenciement est envisagé. Par cette importante précision jurisprudentielle, le juge administratif se rallie à la position de la Cour de cassation (v. Cass. soc, 23 avril 2003, n° 01-40.817, Bull. civ. 2003, V, n° 138 p. 134, où on lit : « Vu l'article L. 122-14 du Code du travail ; Attendu que l'entretien préalable au licenciement d'un salarié revêt un caractère strictement individuel qui exclut que celui-ci soit entendu en présence de collègues contre lesquels il est également envisagé de prononcer une mesure de licenciement, quand bien même les faits reprochés seraient identiques ; que cette présence ne peut au surplus être assimilée à une assistance telle que prévue par le même texte ; »).

(8 novembre 2019, Mme X., n° 412566)

 

52 - Allocation de solidarité aux personnes âgées - Nature de prestation sociale - Allocation ne constituant pas une pension de vieillesse - Droit au revenu de solidarité active (RSA) subordonné à une demande en ce sens - RSA non lié à l’allocation de solidarité aux personnes âgées - Annulation du jugement et renvoi à celui-ci.

De ce que l’allocation de solidarité aux personnes âgées a bien la nature de prestation sociale, il ne résulte pas qu’elle constitue une pension de vieillesse ou qu’elle puisse y être assimilée. Il s’ensuit que, par combinaison, d’une part, des dispositions des art.  L. 262-2 et L. 262-10 du code de l'action sociale et des familles, et d’autre part, des art. L.815-1 et L. 815-2 du code de la sécurité sociale, le droit au revenu de solidarité active est subordonné, pour les personnes qui remplissent les conditions pour en bénéficier, à la condition de faire valoir leurs droits à cette allocation, sauf à ce qu'elles ne remplissent pas encore les conditions pour bénéficier de la liquidation d'une pension de retraite à taux plein. C’est pourquoi commet une erreur de droit le tribunal administratif qui juge, au contraire, que le droit au revenu de solidarité active ne pouvait être subordonné à la condition que l'intéressé fasse valoir ses droits à l'allocation de solidarité aux personnes âgées.

(6 novembre 2019, Département de Seine-et-Marne, n° 419425)

 

53 - Personnels de la Banque de France - Applicabilité du code du travail - Conditions et limites - Requalification d’une mise illégale à la retraite en licenciement - Absence en l’espèce - Annulation sans renvoi.

Rappel d’une solution constante.

La Banque de France est une personne publique qui, bien que chargée par la loi de missions de service public, n'a pas cependant le caractère d'un établissement public, mais revêt une nature particulière et présente des caractéristiques propres. Au nombre de ces caractéristiques figure l'application à son personnel de celles des dispositions du code du travail qui ne sont incompatibles ni avec son statut, ni avec les missions de service public dont elle est chargée.

En l’espèce, il est jugé que c’est à tort que la cour administrative d’appel a estimé applicables aux agents de cette Banque les dispositions des art. L. 1237-5 et L. 1237-8 du code du travail.

Celles-ci, qui prévoient, pour la première, seulement la faculté pour l'employeur de rompre le contrat de travail d'un salarié ayant atteint l'âge mentionné au 1° de l'article L. 351-8 du code de la sécurité sociale, et pour la seconde, les règles applicables à la mise à la retraite dans des conditions irrégulières, sont incompatibles avec celles de l’art. 1er du décret du 29 mars 1968 portant modification des limites d'âge du personnel de la Banque de France, tout comme avec la règle de réparation intégrale du préjudice causé par une éviction irrégulière d’un agent de la Banque, ces dernières faisant partie intégrante du statut de la Banque de France.

(7 novembre 2019, Banque de France, n° 420450 ; v. aussi, du même jour avec même solution : Banque de France, n° 420453 ; Banque de France, n° 420456, deux espèces)

 

54 - Service public pénitentiaire - Compétence du juge administratif - Travail salarié des détenus - Charge et assiette de diverses cotisations sociales - Annulation partielle avec renvoi.

Le Conseil d’État précise le régime des cotisations sociales afférentes aux rémunérations perçues par les détenus du fait de l'accomplissement d'une activité salariée en milieu pénitentiaire.

1°/ La cotisation d'assurance maladie et maternité et la cotisation patronale pour l'assurance vieillesse frappant ces rémunérations sont à la charge de l'employeur.

2°/ La cotisation salariale pour l'assurance vieillesse est à la charge du détenu salarié sauf s'il effectue un travail pour le compte des services généraux de l'administration pénitentiaire.

3°/ Dans tous les cas, la rémunération perçue sert d'assiette à la contribution sociale généralisée et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale.

(13 novembre 2019, M. X., n° 420671)

 

Environnement

 

55 - Autorisation environnementale - Procédure prétendue irrégulière - Rejet - Demande de sursis à exécution de l’arrêt rejetant le recours contre cette autorisation - Référé autre que ceux régis par la loi du 30 juin 2000 - Moyen sérieux mais vice régularisable - Rejet.

Les requérants avaient sollicité l’annulation d’un arrêté préfectoral autorisant, au titre de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement, l'exploitation d’un parc éolien. Le tribunal leur donna gain de cause mais son jugement fut annulé par la cour administrative d’appel. En cassation, les requérants, outre l’annulation de cet arrêt, demandent qu’il soit sursis à son exécution. Le pourvoi est rejeté au terme d’une intéressante argumentation.

Un tel sursis est soumis à la réunion de deux conditions (cf. art. R. 821-5 CJA) : 1) Il faut d’abord que la décision risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables ; 2) Il faut ensuite que les moyens invoqués paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation de la décision juridictionnelle rendue en dernier ressort, l'infirmation de la solution retenue par les juges du fond.

Le Conseil d’État aperçoit un moyen sérieux et une dénaturation des pièces du dossier dans le fait que la cour a estimé qu'aucun élément du dossier ne permettait de tenir pour établi que l'avis de l'autorité environnementale n'aurait pas été rendu dans les conditions d'objectivité et d'impartialité requises.

Cependant, il résulte des dispositions de l’art. L. 181-18 du code de l’environnement que la cour peut ordonner la régularisation de ce vice ; par suite, en l'état de l'instruction, ce moyen ne paraît pas de nature à conduire à infirmer la solution retenue par les juges du fond.

L’une des conditions d’octroi du sursis à l’exécution de l’arrêt faisant défaut, le recours est rejeté.

(6 novembre 2019, Association Boischaut Marche Environnement et autres, n° 430352)

 

56 - Dépollution d'un site - Charge de la dépollution - Prescription trentenaire - Régime antérieur au décret du 21 septembre 1977 pris en application de la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement -  Charge de la dépollution en ce cas - Absence d'obligation pesant sur l'État sauf en cas de risque grave pour la santé, la sécurité et la salubrité publiques ou pour l'environnement - Motivation de la décision - Étendue de l'obligation de motiver - Rejet.

Désireuse de créer une zone d'aménagement concerté sur une friche industrielle lui appartenant, la commune de Marennes, après qu'une étude technique, confirmée ensuite par des études complémentaires, a révélé l'existence d'une importante pollution des sols et des eaux souterraines du site, a saisi le juge des référés et obtenu que soit ordonnée une expertise pour déterminer l'origine, l'étendue et les conditions d'éradication de la pollution. La société Saint-Gobain ayant exploité en ce lieu une fabrique de soude et d'engrais chimique de 1872 à 1920, c'est à cette activité que l'expertise a imputé la pollution. Le préfet a prescrit à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) la réalisation, aux frais de la personne responsable du site, de nouvelles études destinées à mieux cerner la pollution existante, son origine et les moyens de gestion adéquats. La commune a demandé l'annulation de cet arrêté du 30 avril 2010 ainsi que de celle de la décision préfectorale du 11 juin 2010 refusant d'ordonner à la société Saint-Gobain de remettre le site en l'état ou, à défaut, d'indemniser la commune de ses préjudices. Cette action a été rejetée en première instance comme en appel et, après cassation de l'arrêt d'appel, à nouveau rejetée par la cour.

Tout d'abord était critiquée par la commune l'insuffisante motivation de la décision du 11 juin 2010. Rejetant ce grief, le juge rappelle, d'une part, que "l'appréciation du caractère défavorable d'une décision doit se faire en considération des seules personnes physiques ou morales qui sont directement concernées par elle, et non au regard de celles, le cas échéant distinctes, qui sont à l'origine de la demande adressée à l'administration" et, d'autre part, que "la mise en oeuvre, par l'autorité administrative, des pouvoirs de police dont elle dispose en application de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement ne saurait être regardée comme un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les tiers à l'exploitation, et notamment le propriétaire du terrain qui a été le siège d'une telle installation". 

Ensuite, se posait une question de prescription car l'activité à l'origine de la pollution a cessé en 1920. Or la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement a établi une prescription trentenaire, sauf fraude ou dissimulation, de l'obligation de remise en état des sites pollués pesant sur le dernier exploitant ou sur ses ayants-droit. Le Conseil d’État approuve la Cour d'avoir jugé applicable ce délai aux pollutions intervenues avant la loi de 1976. En l'espèce, elle a estimé prescrite l'obligation de dépollution pour une activité qui, à la date de la décision litigieuse (11 juin 2010) avait cessé depuis 90 ans.

Enfin, il est relevé que ne pèse normalement sur l'État aucune obligation de dépolluer par substitution au dernier exploitant sauf dans le cas où la pollution d'un sol présente un risque grave pour la santé, la sécurité et la salubrité publiques ou pour l'environnement. 

C'est à tort que la commune a estimé irrégulier le refus du préfet de mettre en demeure le dernier exploitant et c'est en vain qu'invoquant une faute - au demeurant inexistante - de l'État elle a prétendu reporter sur celui-ci la charge de la dépollution ou de son indemnisation.

(13 novembre 2019, Commune de Marennes, n° 416860)

 

État-civil et nationalité

 

57 - Demande de naturalisation - Refus fondé sur l’insuffisance de ressources - Insuffisance non liée à une maladie ou à un handicap - Légalité - Rejet.

Le refus de naturalisation fondé sur l’insuffisance des ressources du pétitionnaire est légal dès lors que cette insuffisance n’est liée ni à une maladie ni à un handicap dont elle serait la conséquence directe.

(29 novembre 2019, Mme X., n° 421050)

 

58 - Perte de la nationalité française par acquisition d’une autre nationalité - Cas du mineur de 16 ans - Cas du mineur devenu majeur - Date d’appréciation de la condition d’âge - Délai raisonnable de recours - Rejet.

Le requérant demandait l’annulation du décret du 19 juin 1974 portant libération de ses liens d'allégeance avec la France.

Selon les textes alors applicables, perd, sur sa demande, la nationalité française par suite de l’acquisition d’une autre nationalité, le Français même mineur, qui est autorisé ou représenté à cet effet par ses parents. Toutefois, le décret prononçant, en conséquence, la libération des liens d’allégeance avec la France ne peut être signé, si l’intéressé a atteint l’âge de seize ans, sans qu'il ait lui-même exprimé, avec l'accord de ceux qui exercent sur lui l'autorité parentale, une demande en ce sens et, s'il a atteint l'âge de dix-huit ans, sans qu'il ait personnellement déposé une demande à cette fin.

Le juge considère que ces seuils d’âge, dans le silence des textes, s’apprécient au jour de la signature du décret de libération.

Par ailleurs, se fondant sur ce que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. S'agissant d'un décret de libération des liens d'allégeance, ce délai ne saurait, eu égard aux effets de cette décision, excéder, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, trois ans à compter de la date de publication du décret ou, si elle est plus tardive, de la date de la majorité de l'intéressé.

En l’espèce, l’intéressé, né le 12 octobre 1962, n’a contesté le décret du 19 juin 1974 portant libération de ses liens d'allégeance avec la France, pris à la demande de sa mère, que le 2 juin 2017 soit plus de trois ans après qu'il a atteint l'âge de la majorité. Par suite, en l'absence de circonstances particulières, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que la requête est irrecevable en raison de sa tardiveté et doit être rejetée.

Une probable erreur - sans incidence sur la solution du litige - s’est glissée dans cette décision puisque, à la date du 19 juin 1974, la majorité civile, comme politique, était alors en France fixée non à dix-huit ans mais à vingt-et-un ans.

(29 novembre 2019, M. X., n° 411145 ; v. cependant, la solution contraire retenue lorsque la contestation du décret libérant une personne de ses liens d’allégeance avec la France, se présente sous la forme d’une exception d’illégalité et se situe dans le cadre d’une question préjudicielle posée par le juge judiciaire et renvoyée au juge administratif : M. X., n° 429248)

 

Fonction publique et agents publics

 

59 - Enseignant du premier et du second degrés - Condamnation pour délit contraire à la probité ou aux mœurs - Radiation des cadres - Prise d’effet de la radiation antérieurement à la date de la décision de radiation - Absence d’irrégularité - Annulation sans renvoi de l’arrêt d’appel contraire.

Un enseignant condamné définitivement par le juge pénal à six mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits d'agression sexuelle sur mineur de quinze ans par ascendant ou personne ayant autorité, fait l’objet d’un arrêté rectoral, le 3 mars 2015, le radiant des cadres à compter du 29 octobre 2014.

Il conteste la légalité de la fixation du point de départ de sa radiation à une date antérieure à celle de l’arrêté qui la prononce. La cour administrative d’appel annule cette décision en tant qu’elle fait remonter ses effets antérieurement au 3 mars 2015.

Le Conseil d’État casse cet arrêt en rappelant qu’en vertu du texte applicable (L. 911-5 code de l’éducation) un enseignant ayant fait l’objet d’une condamnation pour un tel motif est frappé d’une incapacité d’exercice. En l’espèce, la radiation a été prononcée à bon droit à compter du 29 octobre 2014, jour de l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation rejetant le pourvoi de l’intéressé contre sa condamnation pénale, puisque c’est à partir de cette date qu’il a été dans l’incapacité d’exercer ses fonctions. La décision attaquée, qui se borne à en tirer les conséquences était donc régulière, d’où l’annulation de l’arrêt d’appel contraire sur ce point.

(6 novembre 2019, Ministre de l'éducation nationale, n° 418178)

 

60 - Sapeurs-pompiers volontaires - Accident de service ou maladie professionnelle - Indemnisation forfaitaire - Réparation des divers préjudices - Possibilité de réparation de certains préjudices au-delà du forfait - Annulation de l’arrêt d’appel avec renvoi.

Dans la lignée de son arrêt d’assemblée Dame Moya-Caville (4 juillet 2003, n° 211106, Rec. 423), le Conseil d’État décide qu’un sapeur-pompier volontaire victime d’un accident de service ou d’une maladie professionnelle, s’il n’a pas droit en ce cas, en sus de la réparation forfaitaire des préjudices liés aux pertes de revenus et à l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique en résultant, à  l'attribution d'avantages supplémentaires de la part de la collectivité qui bénéficie de ses services, peut cependant percevoir une indemnité supplémentaire de cette collectivité, même en l’absence de faute de cette dernière, en réparation des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels qu’il subit. Semblablement, en cas de faute, lui est ouverte l’action de droit commun contre la personne publique fautive, cette action pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie lui serait imputable ou résulterait de l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.

Cette solution généreuse prend une certaine liberté par rapport à une disposition de la loi du 31 décembre 1991 (le c/ de l’art. 20) que le juge déclare ici « éclairée par les travaux préparatoires de la loi n° 62-873 du 31 juillet 1962 dont (cette disposition) est issue ».

(7 novembre 2019, M. X., n° 409330)

 

61 - Élève d'une école militaire - Exclusion de l'École de guerre - Comportement révélant une inaptitude aux fonctions postulées - Mesure n'ayant pas le caractère de sanction disciplinaire - "Blâme du ministre" - Sanction pour propos inconvenants - Rejet.

Un chef d'escadron se voit reprocher la tenue récurrente de propos inconvenants envers ses subordonnés. D'une part, il fait l'objet d'une mesure d'exclusion de l'École de guerre, d'autre part, il est sanctionné par un "blâme du ministre".

La décision d'exclusion de l'École, en ce qu'elle se borne à constater des propos et un comportement révélant l'inaptitude à l'exercice des fonctions postulées, est une mesure de service sans caractère de sanction disciplinaire. En revanche, le blâme est une mesure disciplinaire justifiée en l'espèce et exactement proportionnée à la gravité des comportements reprochés.

De la sorte, l'intéressé ne saurait, invoquant le principe non bis in idem, prétendre avoir fait l'objet de deux sanctions disciplinaires à raison de mêmes faits.

(22 novembre 2019, M. X., n° 425849)

 

62 - Enseignant contractuel - Proposition de passer d’un CDD à un CDI - Refus - Refus légitime - Modification substantielle du contrat - Modification liée aux nécessités du service public - Agent ne pouvant pas être considéré comme involontairement privé d’emploi - Annulation sans renvoi.

Le recteur d’une académie propose à une enseignante, à l’issue de son CDD, - comme il y était obligé - la transformation de celui-ci en CDI mais alors qu’elle exerçait jusque-là dans un seul établissement, le CDI couvrirait tout le territoire de l’académie et elle serait amenée à assurer son service sur plusieurs établissements.

Elle refusa et, estimant qu’il s’agissait là d’une modification substantielle de son contrat, l’intéressée a demandé le bénéfice de l'allocation d'assurance liée à la perte d'emploi. Devant le refus rectoral, elle a saisi le tribunal administratif de ce refus et sollicité de sa part d’autres mesures. Le tribunal a accédé à ces demandes.

Le ministre de l’éducation se pourvoit et le Conseil d’État accueille son recours.

Tout d’abord, c’est sans erreur de qualification des faits que le tribunal a estimé que le CDI comportait une modification substantielle du CDD antérieur.

En revanche, c’est par suite d’une erreur de qualification des faits qu’il en a déduit l’obligation pour le recteur d’allouer l’allocation sollicitée par la requérante.

En effet, si, normalement, l’agent qui refuse la transformation de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée pour un motif légitime (invocation de considérations d'ordre personnel ou modification substantielle du contrat par l'employeur sans justification), peut être regardé comme involontairement privé d'emploi, tel n’est pas le cas lorsque la modification substantielle repose elle-même sur un motif légitime invoqué par l’employeur.

Tel est le cas ici où le recteur invoquait une affectation en fonction des besoins du service ce qui rendait nécessaire la modification substantielle du contrat primitif.

En soi ce raisonnement peut très bien être admis mais il autorise en pratique tant de dérives et de coups bas apparemment justifiés qu’il ne nous semble pouvoir être retenu que sous la condition d’un contrôle très étroit du juge sur les motifs de choix des lieux d’affectation, ceci pouvant aller jusqu’à un contrôle d’opportunité seul de nature à assurer la garantie effective des droits des salariés.

(8 novembre 2019, Ministre de l'éducation nationale, n° 408514)

 

63 - Liquidation de la pension d’un fonctionnaire - Greffier des services judiciaires - Application d’un coefficient au dernier traitement afférent à un emploi, grade, classe, échelon effectivement détenu pendant au moins six mois - Fonctionnaire reclassé par suite d’une réforme statutaire du corps auquel il appartient - Reclassement avec reprise d’ancienneté - Règle des six mois inapplicable à un simple reclassement.

La retraite d’un fonctionnaire - du moins jusqu’à la réforme que tente d’introduire un projet gouvernemental actuellement en débat - est calculée en appliquant un certain coefficient au dernier traitement afférent à un emploi, grade, classe, échelon effectivement détenu pendant au moins six mois.

En l’espèce, suite à la réforme statutaire du corps des greffiers des services judiciaires, l’intéressé a fait l’objet d’un reclassement afin que soit maintenue la continuité de sa carrière, ce qui a conduit à le faire passer d’une rémunération initiale à l’indice brut 638 à une rémunération à l’indice brut 675 à compter du 15 octobre 2015 avec reprise de son ancienneté.

Il a été radié des cadres lors de son départ en retraite le 1er avril 2016, toutefois sa pension n’a pas été liquidée sur la base du nouvel indice mais de celui antérieur.

Il saisit le Conseil d’État d’un pourvoi dirigé contre le jugement qui l’a débouté.

Ce pourvoi est rejeté car le code des pensions exige que les services   soient effectivement assurés durant six mois au moins ; la simple reprise d’ancienneté ne constitue pas une occupation effective du nouveau grade ou échelon. Or ici, cinq mois et demi seulement s’étaient écoulés entre l’arrêté de reclassement indiciaire et la mise à la retraite.

C’est donc à bon droit qu’appliquant la règle énoncée à l’art. 15 du code des pensions civiles et militaires de retraite, le tribunal administratif a rejeté la requête dont il était saisi. Dura lex sed lex.

(6 novembre 2019, M. X., n° 420979)

 

64 - Fonctionnaires et agents publics - Principe d’égalité de traitement - Règles différentes applicables à des situations différentes - Fusion de corps existants avec maintien provisoire des primes antérieures - Compatibilité avec le principe d’égalité - Rejet.

Un recours était dirigé contre certaines dispositions du décret du 17 juillet 2018 modifiant des décrets antérieurs relatifs à l'indemnité spécifique de service allouée aux ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts et aux fonctionnaires des corps techniques de l'équipement. Un décret d’avril 2018 ayant organisé l’intégration des membres du corps des inspecteurs des affaires maritimes, selon la nature des fonctions qu'ils exerçaient, soit dans le corps interministériel des attachés d'administration de l'État, soit dans le corps des ingénieurs des travaux publics de l'État, le décret attaqué modifie le régime des primes des membres du corps des ingénieurs des travaux publics de l'État. L’objet du litige est le maintien, au bénéfice des inspecteurs des affaires maritimes intégrés dans le corps des ingénieurs des travaux publics de l'État, du régime indemnitaire antérieur à leur intégration ; les requérants font valoir que cette différence de traitement entre agents d’un même corps est illégale car elle ne correspond à aucune différence de situation entre les uns et les autres.

Rejetant le recours, le Conseil d’État rappelle un principe constant et inaugure une précision jurisprudentielle. Tout d’abord, le juge rappelle que : «  L'égalité de traitement à laquelle ont droit les agents d'un même corps ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes, en particulier en instituant des régimes indemnitaires tenant compte de fonctions, de responsabilités ou de sujétions particulières ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un comme dans l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit ».

Ensuite, en venant à l’affaire en cause ici, où était contesté le maintien de primes antérieures à la fusion de deux corps, à certains seulement des membres d’un corps désormais unique, sans que cela soit justifié par des fonctions, responsabilités ou sujétions particulières. Il relève que : « L'intérêt général qui s'attache à la création de corps interministériels ou ministériels par la fusion de corps existants justifie ainsi le maintien de régimes indemnitaires différents au sein du nouveau corps, qui ne tiennent pas à la particularité des fonctions, responsabilités ou sujétions dès lors qu'une telle différence, ayant pour objet de faciliter la création du corps, disparaît à l'issue d'une période de transition d'une durée raisonnable ». En outre, est notée la réforme prochaine du régime indemnitaire des ingénieurs des travaux publics de l'État. D’où la décision de rejet du recours.

(6 novembre 2019, Fédération nationale de l'Équipement et de l'Environnement CGT et autres, n° 424391)

 

65 - Agents de l’administration pénitentiaire - Jours de grève non payés - Certificat médical justifiant l’absence - Référé provision - Octroi - Qualification inexacte des faits - Annulation de l’ordonnance.

Alors que la grève est interdite aux personnels des services extérieurs de l'administration pénitentiaire, un important mouvement de cessation du travail se produit dans les prisons. M. X. se voit retenir sur son traitement trois jours de rémunération correspondant à la durée de la « grève », ce qu’il conteste car il dispose d’un certificat médical d’arrêt du travail portant sur cette période ; il saisit le juge des référés d’une demande de provision égale au montant de la somme retirée de son traitement. Le premier juge a fait droit à cette demande mais, sur pourvoi de la garde des sceaux, le Conseil d’État annule cette ordonnance.

On sait que l’une des conditions essentielles à l’allocation d’une provision réside en ce que l'existence de l'obligation dont se prévaut le demandeur ne soit pas sérieusement contestable.

En réalité, le juge a la conviction que le certificat médical est de complaisance, relevant en particulier qu’au centre pénitentiaire de Maubeuge 98 agents sur 122 appartenant au corps concerné, ont cessé le travail durant les trois jours de « grève » et 89 d’entre eux (soit 91%) ont présenté des certificats médicaux. De plus, il constate que l'administration pénitentiaire soutient avoir été dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par le décret du 14 mars 1986.

Il en conclut que c’est par une inexacte qualification des faits que le juge des référés du tribunal administratif a jugé que la provision sollicitée n’était pas sérieusement contestable ; au contraire, elle l’était. D’où la cassation de l’ordonnance, sans renvoi évidemment.

(6 novembre 2019, Garde des sceaux, ministre de la justice, n° 428820)

 

Hiérarchie des normes

 

66 - Primauté des traités sur les lois - Contrariété d’une loi à une directive européenne - Exception d’inconventionnalité dirigée contre un décret - Régime contentieux - Inopérance - Rejet.

Le Conseil d’État était saisi d’un recours dirigé contre le décret n° 2017-1880 du 29 décembre 2017 relatif à l'abondement du compte personnel de formation des salariés licenciés à la suite du refus d'une modification du contrat de travail résultant de la négociation d'un accord d'entreprise. La confédération syndicale requérante soulevait par voie d’exception l'incompatibilité du VI de l'article L. 2254-2 du code du travail avec les objectifs définis à l'article 2 de la directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs.

Pour rejeter le recours, le juge rappelle que : « La contrariété d'une disposition législative aux stipulations d'un traité international ou au droit de l'Union européenne ne peut utilement être invoquée à l'appui de conclusions dirigées contre un acte réglementaire que si ce dernier a été pris pour son application ou si elle en constitue la base légale ».

Or en l’espèce, le décret attaqué faisait application du V de cet article et ces V et VI étant divisibles l’un de l’autre, les conditions d’examen de l’incompatibilité alléguée n’étaient point réunies, d’où le rejet du recours pour inopérance.

(6 novembre 2019, Confédération générale du travail (CGT), n° 418621)

 

Libertés fondamentales

 

67 - Étrangers - Demande d’asile - Obligation pour l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) de permettre un entretien personnel au demandeur d’asile - Cas du demandeur accompagné de ses enfants mineurs - Absence d’obligation d’entretien individuel avec ces derniers - Absence d’obligation subsistant en cas de demande d’asile formulée par un mineur, même devenu majeur entretemps, lorsque ses parents, eux-mêmes demandeurs ont été entendus lors d’un entretien - Cassation de l’arrêt de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) avec renvoi.

L'OFPRA a l’obligation d’accorder un entretien personnel, à sa demande, à tout demandeur d'asile. Quand celui-ci est accompagné d’enfants mineurs, l’OFPRA n’est pas obligé d’organiser un entretien avec ces derniers. Lorsque - comme c’était le cas de l’espèce - l'office a déjà entendu l'un au moins des parents, la demande émanant du mineur à être entendu s’analyse en une demande de réexamen : l’OFPRA n’a pas, en ce cas, d’obligation d’organiser un entretien.

En annulant le refus de l’OFPRA d’organiser un tel entretien en cette occurrence la CNDA a donc commis une erreur de droit ouvrant à la cassation de son arrêt.

(6 novembre 2019, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 422017)

 

68 - Étrangers - Demande d’asile rejetée définitivement - Maintien dans le local d’hébergement - Demande préfectorale d’expulsion au juge des référés - Demande rejetée pour cause de réexamen de la demande d’asile - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui, pour refuser d’ordonner l’expulsion d’occupants indus que lui demandait le préfet, se fonde sur ce que les intéressés ont formulé une demande de réexamen de leurs demandes d'asile et bénéficiaient d'une attestation de demandeurs d'asile valable jusqu’à une certaine date. En effet, si, aux termes de l’art.  L. 744-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), les demandeurs d’asile ont droit, en cas de besoin, à un hébergement pendant toute la durée d’instruction de leur demande et jusqu’à la date de leur transfert effectif, en revanche, ce droit disparaît en cas de demande de réexamen de la demande de protection asilaire (art. L. 744-8 CESEDA).

(6 novembre 2019, M. et Mme X., n° 427137)

 

69 - Étrangers - Demande d’asile - Bénéfice de l’aide juridictionnelle - Expiration du délai d’un mois - Irrecevabilité du recours entaché de forclusion - Exception en raison de l’information tardive de sa désignation donnée à l’auxiliaire de justice - Annulation et renvoi à la Cour nationale du droit d’asile.

Lorsque le demandeur d’asile qui a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle, saisit le juge plus d’un mois après que l’auxiliaire de justice a été informé de sa désignation, il est déclaré forclos et son recours est irrecevable.

Cependant, et c’était le cas de la présente affaire, lorsque l'auxiliaire de justice justifie avoir été informé de sa désignation à une date rendant en pratique impossible l'introduction du recours avant l'expiration de ce nouveau délai, le recours introduit dans le mois qui suit la date de cette information ne peut être regardé comme tardif. Solution satisfaisante que le juge fonde sur le souci d'assurer au requérant le bénéfice effectif du droit qu'il tient de la loi du 10 juillet 1991.

L’arrêt de la CNDA est cassé avec renvoi pour n’avoir pas retenu cette solution.

(29 novembre 2019, M. X., n° 415837 ; v. aussi, du même jour : M.X., n° 420515, et encore, avec une légère variante des faits : M. X., n° 421205)

 

70 - Étrangers réfugiés - Étranger bénéficiant du droit d’asile par extension de celui accordé à son conjoint - Principe général du droit de l’unité de la famille - Divorce subséquent à l’octroi de l’asile - Vérification de la possibilité ou non de maintenir le statut de réfugié - Rejet.

Lorsqu'une personne ayant obtenu la qualité de réfugié au titre de l'unité de la famille, à raison du statut dont bénéficie son conjoint, divorce d’avec celui-ci cela constitue un changement dans les circonstances ayant justifié la reconnaissance de la qualité de réfugié (dispositions combinées de la section C de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951relative aux réfugiés et de l'article L. 711-4 du CESEDA).

Il appartient, dès lors, à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) puis, le cas échéant, à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), d'apprécier, compte tenu de ce changement et au regard de l'ensemble des circonstances de l'espèce, si l'intéressé doit continuer, ou non, à bénéficier de la protection qui lui avait été accordée.

En l’espèce c’est sans dénaturation des pièces du dossier et sans erreur de droit que la cour a refusé au requérant le maintien de sa qualité de réfugié par extension.

(29 novembre 2019, M. X., n° 421523)

 

71 - Instruction interministérielle - Prise en charge des demandeurs d’asile - Extraction de données à partir d’un traitement autorisé par la CNIL - Incompétence négative alléguée - Demande de QPC - Incompétence - Rejet.

Les organismes requérants demandaient la suspension d’exécution et l’annulation d’une instruction interministérielle du 4 juillet 2019 relative à la coopération entre les services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO) et l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) pour la prise en charge des demandeurs d'asile et des bénéficiaires d'une protection internationale. Cette instruction a été prise sur le fondement du 6ème alinéa ajouté à l’art. L. 744-6 du CESEDA par la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.

De nombreux arguments sont invoqués au soutien des deux demandes, ils sont tous rejetés.

Le grief d’inconstitutionnalité pour cause d’incompétence négative affectant le droit au respect de la vie privée, le droit constitutionnel d'asile et le principe de confidentialité des demandes d'asile, est rejeté car le juge estime que le régime de traitement des données, qui était en cause, est conforme aux droits de l’Union et interne français d’autant que les dispositions contestées ne concernent pas le contenu même du droit d’asile. D’où le rejet de la demande de renvoi d’une QPC.

L’argument principal reposait sur l’incompétence des ministres pour prendre l’instruction litigieuse. En réalité, par application des principes de la jurisprudence Jamart (Section, 7 février 1936, n° 43321, Rec. 172), il est jugé qu’en leur qualité de chefs de services, lesdits ministres avaient compétence pour définir un traitement de données destiné à être utilisé par les services placés sous leur autorité. Il en va d’autant plus et d’autant mieux ainsi qu’en la matière l’organisation d’un traitement des données résultait d’une obligation légale. La circonstance que l’analyse d’impact devant être effectuée par le responsable d'un traitement de données n’ait pas eu lieu avant la prise de l’acte définissant le traitement n’affecte point la régularité de cet acte.

Enfin sont rejetés également tous les autres moyens tels que la méconnaissance par l’instruction critiquée du droit à la protection des données personnelles, la méconnaissance des dispositions du code de l'action sociale et des familles relatives à l'hébergement d'urgence (art. L. 345-2-2 et L. 345-2-3) ou encore l’atteinte qui serait portée au respect du domicile.

(6 novembre 2019, Fédération des Acteurs de la Solidarité et autres, n° 434376 et n° 434377)

 

72 - Union européenne - Liberté d'établissement et liberté de la prestation des services (art. 49 et 56 du TFUE) - Restrictions - Conditions de régularité des restrictions - Epilation au laser - Monopole des médecins en la matière - Absence de  nécessité d'un tel monopole en l'espèce - Demande d'abrogation - Refus - Irrégularité - Maintien de l'obligation de protection de la santé des intéressés - Annulation du refus implicite d'abrogation.

Les requérants demandent l'annulation du refus implicite opposé par la ministre de la santé à leur demande d'abrogation du 5° de l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 fixant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins ou pouvant être pratiqués également par des auxiliaires médicaux ou par des directeurs de laboratoires d'analyses médicales non-médecins. Par cet arrêté est maintenu le monopole des médecins pour pratiquer « Tout mode d'épilation, sauf les épilations à la pince ou à la cire », les requérants critiquant ce monopole en tant qu'il porte sur l'épilation pratiquée au laser ou à la lumière pulsée.

Après avoir constaté l'application au cas de l'espèce des principes européens de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services, le Conseil d’État relève qu'il résulte tant des art. 49 et 56 du TFUE que de la jurisprudence de la CJUE (19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes et autres et Helga Neumann-Seiwert contre Saarland et Ministerium für Justiz, Gesundheit und Soziales, aff. C-171/07 et C-172/07), que des restrictions peuvent être apportées à ces libertés si elles sont justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général, dès lors que ces mesures s'appliquent de manière non discriminatoire, sont propres à garantir, de façon cohérente, la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre.

Le refus de revenir sur le monopole des médecins en ce qui concerne l'épilation au laser s'analysant en une telle restriction, le Conseil d’État recherche s’il est justifié au regard des conditions susrappelées. Il juge qu'il ne ressort pas des éléments versés au dossier que seul un médecin puisse manipuler, sans risque pour la santé, des appareils à laser ou des appareils à lumière pulsée et que des mesures mieux adaptées, tenant par exemple à l'examen préalable des personnes concernées par un médecin et à l'accomplissement des actes par des professionnels qualifiés sous la responsabilité et la surveillance d'un médecin, ne puissent garantir la réalisation de l'objectif de protection de la santé publique poursuivi par la mesure critiquée. Le monopole est illégal et le refus implicite de l'abroger est annulé. Cependant il n'en reste pas moins que l'épilation n'est pas une opération neutre pour la santé. Il incombe donc à la ministre défenderesse de veiller à ce que soient édictées des mesures de protection de la santé.

D'où cette conclusion de l'arrêt, originale et bien venue : « L'annulation de cette décision ne saurait toutefois avoir pour effet de porter atteinte à la protection de la santé publique. Il y a lieu, dans ces conditions, d'en préciser la portée par des motifs qui en constituent le soutien nécessaire. Ainsi, la présente décision a nécessairement pour conséquence que les autorités compétentes sont tenues, dans un délai raisonnable, non seulement d'abroger le 5° de l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 en tant qu'il porte sur l'épilation au laser et à la lumière pulsée, mais aussi d'encadrer ces pratiques d'épilation par des mesures de nature à garantir, dans le respect des règles du droit de l'Union européenne relatives au libre établissement et à la libre prestation de services, la protection de la santé publique. "

(8 novembre 2019, M. X. et SELARL Docteur X., n° 424954)

 

73 - Procédure civile - Décret du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile  - Illégalité externe - Rejet - Objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et de clarté du droit - Atteinte à l'art. 6 de la Convention EDH - Mise en cause de règles ou principes fondamentaux relevant du domaine de la loi - Régime des consultations facultatives -  Droit d'accès au juge - Respect des droits de la défense - Bonne administration de la justice - Célérité de la procédure - Régime des exceptions et incidents de procédure - Régime de l'appel incident - Obligation de complétude des moyens  - Nouvelle définition de l'office du juge d'appel - Rejet.

Cette très longue décision - comme le montrent les nombreux mots-clés du "chapeau" ci-dessus - est signalée aux lecteurs de cette Chronique car elle touche à de nombreux articles, nouveaux, réécrits ou abrogés, du code de procédure civile, touchant en particulier la réforme de l'appel ainsi que le régime des exceptions ou incidents de procédure.

(13 novembre 2019, Conseil national des barreaux, n° 412255 ; Union des jeunes avocats (UJA) de Paris, n° 412286 ; Fédération nationale des unions des jeunes avocats (FNUJA), n° 412287 ; Ordre des avocats au barreau de Paris, n° 412308 ; Syndicat des avocats de France, n° 415651)

 

74 - Exécution des décisions de justice - Refus du concours de la force publique - Régime - Office du juge saisi une seconde fois après un premier refus - Dénaturation, en l'espèce, des pièces du dossier - Annulation et renvoi.

Rappels d'une jurisprudence désormais bien établie en matière d'exécution, par le recours à la force publique, des décisions de justice ayant force exécutoire.

Le juge indique tout d'abord l'obligation pour l'État (tant en vertu des dispositions de l'art. 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH qu'en vertu de l'art. L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution) de prêter main-forte, au besoin au moyen de la mise en mouvement de la force publique, à l'exécution des décisions de justice ayant force exécutoire. Il ne pourrait en aller autrement que dans deux cas : existence de considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public ou existence de circonstances postérieures à une décision de justice ordonnant l'expulsion d'occupants d'un local, faisant apparaître que l'exécution de cette décision serait de nature à porter atteinte à la dignité de la personne humaine.

Ensuite, lorsque, à la suite d'un premier refus de concours de la force publique, la décision de justice demeure inexécutée pendant une durée manifestement excessive au regard des droits et intérêts en cause, il incombe au représentant de l'État, alors même que des considérations impérieuses justifieraient toujours un refus de concours de la force publique, de rechercher toute mesure de nature à permettre de mettre fin à l'occupation illicite des lieux. S'il est alors saisi d'une demande d'annulation pour excès de pouvoir d'un nouveau refus de concours de la force publique, il appartient au juge administratif d'analyser les conclusions dont il est saisi comme dirigées non seulement contre ce refus, mais aussi, subsidiairement, contre le refus d'accomplir des diligences appropriées pour mettre en oeuvre l'obligation définie ci-dessus. Il lui appartient, par suite, de se prononcer sur la légalité du nouveau refus de concours, mais aussi, dans l'hypothèse où il juge que ce refus est légalement justifié, sur les diligences accomplies par le représentant de l'État. Dans cette dernière hypothèse, s'il annule la décision en tant qu'elle refuse d'accomplir des diligences appropriées, il peut, saisi de conclusions en ce sens, enjoindre au représentant de l'État, le cas échéant sous astreinte, d'accomplir de telles diligences, dans un délai qu'il fixe. 

En l'espèce, le Conseil d’État annule le refus du premier juge de condamner la puissance publique pour son refus de concours de la puissance publique pour assurer l'exécution d'un jugement car celui-ci se fonde sur des documents, dont l'un est trop ancien par rapport aux faits de la cause, et les autres rédigés en termes stéréotypés ne rendant pas compte des circonstances, réalisant ainsi une dénaturation des pièces du dossier.

(13 novembre 2019, Société Usine du Marin, n° 415262)

 

Procédure contentieuse

 

75 - Pourvoi en cassation - Qualité de partie à l'instance - Absence - Pourvoi irrecevable - Qualité de partie reconnue à tort en première instance - Reconnaissance sans effet sur l'irrecevabilité du pourvoi - Rejet.

Rappel de la solution classique selon laquelle : « La voie du recours en cassation n'est ouverte, suivant les principes généraux de la procédure, qu'aux personnes qui ont eu la qualité de partie dans l'instance ayant donné lieu à la décision attaquée. Doit être regardée comme une partie à l'instance devant les juges du fond la personne qui a été invitée par la juridiction à présenter des observations et qui, si elle ne l'avait pas été, aurait eu qualité pour former tierce opposition contre la décision rendue par les juges du fond ». En revanche, ne revêt pas une telle qualité, une personne mise en cause pour observations par une juridiction et que cette dernière a regardé à tort comme partie à l'instance.

(8 novembre 2019, Commune de Montreuil, n° 425177)

 

76 - Détenu mis à l'isolement carcéral - Référé - Présomption d'urgence - Distinction selon le référé en cause (suspension, L. 521-1 CJA, ou liberté, L. 521-2 CJA) - Absence ici au regard des exigences procédurales propres au référé-liberté - Rejet.

Un détenu mis à l'isolement carcéral a saisi le juge d’un référé-liberté dirigé contre cette décision.

Cette affaire conduit le Conseil d’État, d'une part, à accentuer le caractère de droit commun du référé-suspension par rapport aux autres référés, ainsi cette voie de droit est ouverte même quand un texte prévoit le recours à une autre forme de référé (tel l'art. 726-1, alinéa 3, du code de procédure pénale), d'autre part, à juger que la notion d'urgence est appréciée différemment selon la procédure de référé utilisée. Ainsi, si la mise à l'isolement d'un détenu constitue une présomption d'urgence dans le cadre d'un référé-suspension il n'en va pas de même dans le cas d'un référé-liberté : en ce second cas « il appartient, en revanche, à la personne détenue qui saisit le juge des référés (liberté) de justifier de circonstances particulières caractérisant, au regard notamment de son état de santé ou des conditions dans lesquelles elle est placée à l'isolement, la nécessité, pour elle, de bénéficier à très bref délai, du prononcé d'une mesure de sauvegarde sur le fondement de (l'art. L. 521-2 CJA) ».

On sera dubitatif sur cette solution : pourquoi ne pas apercevoir une présomption d'urgence dans tous les cas de mise à l'isolement et vérifier seulement la satisfaction de la seconde condition - d'ailleurs spécifique pour chacun de ces deux référés - pour que soit accordé ou non le bénéfice du référé sollicité ? De plus, elle place détenus et juges dans une position délicate tant elle recèle de complexité et de subtilité d'analyse au sein d'une procédure qui se veut pourtant d'"urgence".

(20 novembre 2019, M. X., n° 435785)

 

77 - Appel - Évocation - Examen des moyens de première instance - Réexamen intégral de ces moyens sauf renonciation expresse - Annulation avec renvoi.

Rappel - opportun - de ce que lorsque le juge d'appel statue par la voie de l'évocation, il est tenu d'examiner l'ensemble des moyens soulevés en première instance même lorsqu'ils n'ont pas été repris devant lui, à la seule exception des moyens qui ont été expressément abandonnés en appel.

(27 novembre 2019, Mme X., n° 426593)

 

78 - Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) - Fondements possibles de cette obligation - Régime contentieux - Formation compétente - Formation collégiale ou juge statuant seul.

Dans cet avis contentieux le Conseil d’État répond à une série de questions que lui a renvoyées un tribunal administratif, relatives au statut contentieux de certains litiges liés à une OQTF.

Trois réponses, parmi d’autres, très constructives en l’état des textes, sont intéressantes.

Les deux premières concernent le régime du recours contentieux formé par l’étranger dans l’hypothèse où, un refus d’autorisation de séjour lui ayant été opposé et ce refus étant devenu définitif et l’étranger s’étant maintenu sur le territoire français, le préfet prend une décision d’OQTF en se fondant sur la décision de refus.

En premier lieu, le Conseil d’État estime qu’il n’est pas possible à cet étranger d'exciper de l'illégalité du titre de séjour. En second lieu, s’agissant d’un recours de plein contentieux, le juge est tenu, pour apprécier la légalité de la mesure d'éloignement au regard du droit au séjour de l'étranger, de se placer à la date de l'OQTF.

Enfin, répondant à la question de savoir quelle formation est compétente au sein du tribunal administratif lorsque celui-ci est saisi d'un recours pour excès de pouvoir exercé à l'encontre d'une obligation de quitter le territoire français, la distinction suivante doit être opérée. 1°) Si l’OQTF est fondée sur les 3°, 5°, 7° ou 8° du I de l'article L. 511-1 du CESEDA et que le tribunal administratif constate que cette décision aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement, des 1°, 2°, 4° ou 6° du I du même article, il peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la mesure d'éloignement attaquée sans avoir à renvoyer l'examen du recours au président du tribunal ou au magistrat désigné par lui. 2°) En revanche, l’inverse n’a pas lieu : si le recours pour excès de pouvoir est exercé à l'encontre d’une OQTF fondée sur les 1°, 2°, 4° ou 6° du I de l'article L. 511-1 précité et que le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin constate que cette décision aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement des 3°, 5°, 7° ou 8° du I du même article, il ne peut, dès lors que le législateur a expressément prévu la compétence de la formation collégiale du tribunal administratif pour statuer sur la légalité des OQTF assorties d'un délai de départ volontaire fondées sur ces dispositions, procéder à une substitution de la base légale de la décision attaquée sans renvoyer l'examen du recours à cette formation collégiale de jugement.

On ne peut s’empêcher de trouver ceci trop complexe, au surplus s’agissant de procédures destinées à régir des situations où sont en cause des étrangers, plus ignorants encore que les nationaux français des subtilités, vénéneuses ici, du contentieux administratif.

(Avis, 6 novembre 2019, Mme X., n° 431585)

 

79 - Incompétence d'une cour administrative d'appel pour statuer sur l'appel dirigé contre un jugement rendu en matière de taxe sur les surfaces commerciales - Erreur de droit à inviter le requérant à indiquer le maintien de sa requête puis à le regarder comme s'étant désisté d'office faute de réponse dans le délai fixé - Cassation - Invitation à régulariser le pourvoi par le ministère d'un avocat aux conseils.

Dans le contentieux de la taxe sur les surfaces commerciales, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort, seul un pourvoi en cassation étant possible. Commet donc une erreur de droit la cour administrative d'appel qui, incompétente pour statuer sur ce litige, invite le requérant à indiquer s'il maintient ses conclusions puis, ayant relevé son silence dans le délai imparti pour sa réponse, le déclare s'être désisté d'office. En revanche, le pourvoi devait être formé par un avocat aux conseils, d'où l'invitation adressée au requérant de régulariser sous deux mois les conditions de présentation de son pourvoi.

(18 novembre 2019, SAS Europe Automobiles, n° 414518)

 

80 - Contentieux sociaux - Allocation aux adultes handicapés - Compétence contentieuse - Régime spécifique en cas d’incompétence de la juridiction saisie - Renvoi direct à l’autre ordre de juridiction - Absence de saisine du Tribunal des conflits - Rejet.

Rappel du principe, souvent ignoré, posé par la dernière phrase du premier alinéa de l'article 32 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles : « (…) Toutefois, lorsque la juridiction est saisie d'un contentieux relatif à l'admission à l'aide sociale tel que défini par le code de l'action sociale et des familles ou par le code de la sécurité sociale, elle transmet le dossier de la procédure, sans préjuger de la recevabilité de la demande, à la juridiction de l'autre ordre de juridiction qu'elle estime compétente par une ordonnance qui n'est susceptible d'aucun recours ».

Ici, le litige portait sur l’allocation aux adultes handicapés, celle-ci relevant du contentieux général de la sécurité sociale et non du contentieux de l'admission à l'aide sociale tel que défini à l'article L. 142-3 du code de la sécurité sociale, non plus que du contentieux de l'admission à l'aide sociale relevant du code de l'action sociale et des familles, le président du tribunal administratif n'était pas dans la situation, prévue par l'article 32 du décret précité du 27 février 2015, où il devait transmettre le dossier de la procédure à la juridiction de l'autre ordre de juridiction qu'il estimait compétente. Toutefois, la demande de Mme X. relevant bien, pour un autre motif, de la compétence du tribunal de grande instance, l'ordonnance qu'elle attaque ne lui fait pas grief en tant qu'elle transmet le dossier de la procédure à cette juridiction.

Le pourvoi est rejeté pour un motif expédient certes mais que l’on ne peut qu’approuver.

(6 novembre 2019, Mme X., n° 432143)

 

81 - Règle générale de procédure - Obligation de mentionner les textes dont la juridiction fait application - Règle s’imposant à la juridiction des pensions - Caractère irrégulier du défaut de mention - Annulation même lorsque le texte utilisé est évident.

Rappel sévère et sec de ce qu’ « Au nombre des règles générales de procédure que les juridictions des pensions sont tenues de respecter figure celle selon laquelle leurs décisions doivent mentionner les textes dont elles font application ». Le défaut d’une telle mention entache d’irrégularité la décision rendue même dans le cas où la source scripturaire de celle-ci est évidente.

(8 novembre 2019, Mme X., n° 421048)

 

82 - Représentation des parties devant le juge administratif - Mandataires autorisés - Avocat ou avocat aux conseils - Invitation à confirmer le maintien des conclusions d'une requête à peine de désistement d'office - Substitution d'un nouveau mandataire au précédent - Invitation adressée à ce dernier seul et non à la requérante - Validité - Rejet.

L'art. R. 612-5-1 du CJA permet au juge doutant que la requête introduite conserve encore un intérêt pour son auteur de l'inviter à confirmer le maintien de celle-ci, à peine, à défaut de réponse dans le délai fixé - qui ne peut être inférieur à un mois - de le réputer s'être désisté d'office. Cette demande est adressée au mandataire du demandeur. Lorsque celui-ci déclare n'être plus le mandataire et indique qui est son successeur, la juridiction doit adresser sa demande à ce dernier. Faute pour celui-ci d'avoir répondu dans le délai qu'elle a fixé, la juridiction doit  déclarer son client comme s'étant désisté de l'ensemble de ses conclusions, sans qu'il y ait lieu pour elle de s'adresser directement à ce dernier pour l'interroger sur le maintien ou non de ses conclusions. Ceci constitue une réitération de : 21 février 2000, Ville d'Annecy, n° 196405. C'est l'application du principe énoncé à l'art. R. 431-1 du CJA selon lequel, en cas de représentation des parties en justice, les actes de procédure ne sont accomplis qu'à l'égard du seul mandataire, sauf l'exception constituée par les art. R. 751-3 et suivants

 (13 novembre 2019, Mme X., n° 417855 ; v. aussi, soulevant des questions voisines, du même jour : M. X., n° 422938)

 

83 - Référé provision - Litige pour rémunérations impayées - Recours n'ayant pas en l'espèce la nature d'une action indemnitaire - Recours contre l'ordonnance en référé provision constituant un appel - Incompétence du Conseil d’État saisi - Renvoi à la cour administrative d'appel.

Le référé provision introduit par un agent public tendant au versement de rémunérations impayées, sans que soit mise en cause la responsabilité de la personne publique qui l'emploie, ne soulève pas un litige entrant dans l'une des catégories énumérées aux 1° à 9° de l'article R. 811-1 du CJA et, notamment, ne constitue pas une action indemnitaire au sens des dispositions du 8° de cet article.

Il suit de là que la requête de la commune de Néoules, défenderesse, dirigée contre une ordonnance du juge des référés rendue sur la demande de l'un de ses agents tendant au versement d'une provision au titre de la bonification indiciaire, a le caractère d'un appel qui ne ressortit pas à la compétence du Conseil d’État, juge de cassation, mais à celle de la cour administrative d'appel de Marseille.

(21 novembre 2019, Commune de Néoules, n° 430797)

 

84 - Désistement d'office pour non-production, dans le délai imparti, du mémoire récapitulatif (art. R. 611-8-1 CJA) - Contrôle contentieux de l'ordonnance donnant acte de ce désistement - Étendue du contrôle respectivement en appel et en cassation - Rejet.

Lorsque, en vertu des dispositions de l'art. R. 611-8-1 CJA, il est demandé à l'une des parties de reprendre, dans un mémoire récapitulatif, les conclusions et moyens précédemment présentés dans le cadre de l'instance en cours, celle-ci est informée en même temps que, si elle donne suite à cette invitation, les conclusions et moyens non repris seront réputés abandonnés. Lorsqu'aucune suite n'est donnée à cette demande il est donné acte à la partie intéressée de son désistement.

Quel contrôle s'exerce, en appel puis en cassation en cas de contestation de l'ordonnance prenant acte du désistement ?

Selon le Conseil d’État, le  juge d'appel doit, d'abord, vérifier que l'intéressé a bien reçu la demande de production d'un mémoire récapitulatif, qu'il a bien été informé qu'il disposait du délai d'un mois à cet effet  et qu'à défaut de réponse dans ce délai il serait réputé s'être désisté, ensuite, que le requérant s'est abstenu de répondre en temps utile, enfin, il doit apprécier si le premier juge, dans les circonstances de l'affaire, a fait une juste application des dispositions de l'article R. 611-8-1. Le juge de cassation ne peut remettre en cause cette dernière appréciation du juge d'appel que dans le cas où il estime, au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, qu'il a été fait un usage abusif de la faculté ouverte par ces dispositions.

Pour justifiée que cette solution puisse apparaître au regard des fonctions respectives de l'appel et de la cassation, elle introduit une subtilité dont la pratique pourra révéler l'effet délétère.

(22 novembre 2019, Société SMA, n° 420067)

 

85 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort - Décisions non réglementaires de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé - Compétence du juge de droit commun - Renvoi au tribunal administratif.

Rappel de ce que : « Les décisions par lesquelles l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé identifie une spécialité pharmaceutique comme générique d'une spécialité de référence ne présentent pas de caractère réglementaire. Il en va de même des décisions par lesquelles le directeur de cette agence procède à l'inscription d'une spécialité pharmaceutique au répertoire des groupes génériques en créant à cette fin, le cas échéant, un nouveau groupe générique au sein de ce répertoire. Les recours dirigés contre ces décisions ne relèvent donc pas de la compétence (directe) du Conseil d’État en application de l'article R. 311-1 du code de justice administrative ».

(15 novembre 2019, Société Boehringer Ingelheim International GmbH et Société Boehringer Ingelheim France, n° 433009)

 

86 - Référés spéciaux - Référé précontractuel (art. L. 551-1 CJA) - Obligation d’une audience publique - Saisine du juge du référé précontractuel avant la décision d’attribution du contrat - Cassation de l’ordonnance de référé et renvoi.

Rappel de deux précisions majeures en matière de procédure du référé précontractuel.

Premier rappel : Il résulte de l’importance des pouvoirs conférés au juge par l’art. L. 551-1 CJA et de la circonstance que l'ordonnance rendue par le juge n'est pas susceptible d'appel, que les parties doivent être mises à même de présenter au cours d'une audience publique des observations orales à l'appui de leurs observations écrites.

Second rappel : Les dispositions de l’art. R. 551-1 CJA selon lesquelles « Le juge (du référé précontractuel) ne peut statuer avant le seizième jour à compter de la date d'envoi de la décision d'attribution du contrat aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre »,  n'ont ni pour objet, ni pour effet, d'exclure une saisine du juge du référé précontractuel avant la décision d'attribution car elles n’ont vocation à s'appliquer que dans l'hypothèse où la saisine du juge intervient après l'envoi de la décision d'attribution aux candidats ou soumissionnaires non retenus, lorsque les textes prévoient une telle information et un délai entre celle-ci et la signature du contrat.

Pour n’avoir pas satisfait à ces éléments l’ordonnance du premier juge est annulée.

(22 novembre 2019, Société d'exploitation de l'Aqua Club, n° 433716)

 

87 - Moyen soulevé en première instance - Moyen repris en appel sous une formulation différente - Juridiction d’appel adoptant les motifs des premiers juges - Motivation suffisante - Conditions - Rejet.

Rappel d’une solution bien établie.

En présence d'une formulation différente d'un moyen examiné par le tribunal administratif, le juge d'appel peut se prononcer sur ce moyen par adoption des motifs des premiers juges sans méconnaître le principe de motivation des jugements, rappelé à l'article L. 9 du code de justice administrative, dès lors que la réponse du tribunal à ce moyen était elle-même suffisante et n'appelait pas de nouvelles précisions en appel.

(27 novembre 2019, Mme X., n° 422211)

 

88 - Appel - Obligation de joindre la copie du jugement attaqué - Irrecevabilité de l’appel en cas de défaut de production du jugement - Communication erronée d’un jugement rendu sur le même litige - Irrecevabilité prononcée à tort - Cassation avec renvoi.

Le code de justice administrative (art. R. 412-1 et R. 811-13) prévoit que les requêtes d'appel sont, à peine d'irrecevabilité, accompagnées d'une copie du jugement attaqué.

La société demanderesse s’était trompée en joignant à son appel non la copie du jugement attaqué mais celle d’un autre jugement rendu dans le même litige mais pas à son encontre. Jugeant cette erreur non régularisable, cette obligation de joindre le jugement attaqué ayant été mentionnée dans la communication du jugement de première instance, la cour a rendu une ordonnance d’irrecevabilité.

Jugeant sans doute cette solution trop sévère dans les circonstances de l’espèce, le Conseil d’État a estimé qu’il avait été fait une inexacte application des dispositions applicables. Cette solution doit être approuvée.

(27 novembre 2019, Société SMACL Assurances, n° 424456)

 

89 - Proposition par le juge d’une médiation - Caractère de mesure d’instruction - Absence - Rejet.

La décision d’un juge administratif de proposer aux parties le recours à une médiation n’a pas la nature d’une mesure d’instruction. Elle peut donc être proposée sans réouverture de l’instruction et cette absence de réouverture ne constitue pas une irrégularité.

(7 novembre 2019, Syndicat d'élimination et de valorisation énergétique des déchets de l'Estuaire (SEVEDE), venant aux droits de la communauté urbaine " Le Havre Seine Métropole ", n° 431146) v. aussi n° 18

 

Procédure administrative non contentieuse

 

90 - Médecins chargés d’un service public - Régime disciplinaire - Obligation d’un recours administratif préalable avant la saisine du juge - Absence - Dérogation au droit commun ordinal - Erreur de droit - Annulation de l’arrêt d’appel et renvoi au tribunal administratif.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge que les décisions par lesquelles un conseil départemental de l'ordre des médecins a refusé de traduire des praticiens concernés devant la chambre disciplinaire étaient au nombre de celles pour lesquelles l'article R. 4127-112 du code de la santé publique exige un recours administratif préalable et que les conclusions à fin d'annulation de l’intéressé devaient être regardées comme dirigées contre les décisions du Conseil national de l'ordre des médecins, substituées à celles du conseil départemental en application de cet article.

En effet,  les décisions visées par ce texte sont seulement les décisions d'ordre administratif prises par les instances ordinales en application du code de déontologie des médecins, lesquelles ne comprennent pas les décisions que ces instances peuvent prendre en matière disciplinaire, comme celles qui sont mentionnées aux articles L. 4124-2, s’agissant des médecins chargés d'un service public et inscrits au tableau de l'ordre, lorsqu'ils sont poursuivis du chef d’actes de leur fonction publique, et L. 4123-2 du code de la santé publique, qui énumère limitativement les personnes et les autorités publiques ayant le pouvoir de traduire un médecin devant la juridiction ordinale disciplinaire.

(6 novembre 2019, Conseil national de l'ordre des médecins, n° 414356)

 

Professions réglementées

 

91 - Médecins libéraux - Interdiction de recourir à la publicité - Principe de la libre prestation de services - Contrariété - Annulation.

Un médecin libéral demandait l’annulation de la décision implicite de la ministre de la santé refusant d’abroger, notamment, la seconde phrase de l’art. R. 4127-19 du code de la santé publique selon laquelle : « Sont interdits (aux médecins) tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale ».

Le Conseil d’État constate, un peu à regret semble-t-il, - ce qui se comprend -, que l’interprétation donnée de l’art. 56 TFUE (« (…) les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation (...)) par la CJUE ( 4 mai 2017, Nederlandstalige rechtbank van eerste aanleg te Brussel, strafzaken c/ Luc Vanderborght, aff. C-339/15, où on lit : « l'article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation nationale (...) qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires (...) ») conduit à déclarer illégal le refus d’abrogation de l’art. R. 4127-19 du code de la santé publique opposé par la ministre de la santé.

(6 novembre 2019, M.X., n° 416948)

 

92 - Masseurs-kinésithérapeutes - Diplôme professionnel délivré par une université - Refus de reconnaissance d’un diplôme d'université d'études complémentaires de kinésithérapie du sport - Erreur de droit dans l’application des dispositions du code de la santé publique - Annulation avec injonction de réexaminer, sous deux mois, la demande rejetée.

Un masseur-kinésithérapeute s’étant vu refuser par le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes la reconnaissance du diplôme universitaire d'études complémentaires en kinésithérapie du sport que lui a délivré l'Université de Nice, saisit le Conseil d’État. Celui-ci lui donne raison.

Pour refuser cette reconnaissance, le Conseil national de l’ordre s’est fondé, d’une part, sur la non-conformité aux données actuelles de la science, au sens des dispositions de l'article R. 4321-80 du code de la santé publique, des techniques dites " Tecar thérapie ", " ventouses " et " kinésio-taping " figurant dans le programme d'enseignement du diplôme universitaire en cause, et d’autre part, sur la méconnaissance, par cet enseignement, de l'interdiction, posée à l'article R. 4321-65 du même code, de divulguer auprès d'un public non professionnel des pratiques insuffisamment éprouvées.

Guère convaincu par ces motifs, le Conseil d’État estime que le Conseil national de l’ordre « doit cependant tenir compte de la place relative dévolue aux techniques en cause dans la formation et des modalités de la présentation qui est prévue, la présentation des caractéristiques et des risques de certaines techniques encore peu éprouvées n'étant pas nécessairement à exclure de la formation des praticiens ».

Par ailleurs, et peut-être surtout, il estime :

-       d’abord, que cette décision n’a pas tenu compte de ce que le programme de la formation en litige ne réservait qu'une place très limitée à la présentation des techniques controversées, inférieure à cinq pour cent du volume d'heures total ;

-       ensuite, qu’il n'est ni établi ni même allégué que les modalités prévues pour cette présentation méconnaîtraient les principes déontologiques applicables ;

-       enfin, s'il est soutenu que ces techniques ne présentent pas une efficacité suffisamment établie, il n'est pas allégué qu'elles présentent un danger pour les patients.

Le Conseil d’État considère que l’instance ordinale a commis une erreur de droit dans l’application des textes du code de la santé publique qu’elle vise et, annulant cette décision, enjoint à celle-ci de procéder sous deux mois à un nouvel examen de la demande de reconnaissance du diplôme universitaire litigieux.

(22 novembre 2019, M.X., n° 430764)

Question prioritaire de constitutionnalité

93 - Imposition d’après le bénéfice réel - Crédit d’impôt recherche - Violation prétendue de l’égalité devant la loi et de l’égalité devant les charges publiques - Cas des art. L. 199 ter B du CGI et art. L. 169 et L. 190 du livre des procédures fiscales (LPF) - Absence de prescription opposable à l’administration fiscale - Cas de la demande en restitution d'une créance de crédit d'impôt recherche - Refus de renvoi d’une QPC.

Dans le cadre d’une action en restitution de son crédit d'impôt au titre de dépenses de recherche, la société requérante a soulevé une QPC. Celle-ci porte sur la différence de traitement existant, du fait d’une interprétation jurisprudentielle du Conseil d’État, en matière de demande de remboursement d’une créance de crédit d’impôt recherche. En effet, selon le cas, il existe, ou non, un délai de prescription et cette différence porterait atteinte aux deux principes, d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques. Lorsque la demande de remboursement d'une créance de crédit d'impôt recherche s’inscrit dans le cadre d’une procédure de reprise ou de redressement, la prescription applicable à l’administration est de trois ans à compter de la date à laquelle est constatée cette créance. En revanche, lorsque la demande de remboursement d'une créance de crédit d'impôt recherche est présentée sur le fondement des dispositions de l'article 199 ter B du CGI, elle constitue une réclamation et le délai de prescription ne joue pas.

Pour estimer cette différence non contraire à une disposition constitutionnelle, le Conseil d’État se borne à énoncer qu’ « Un contribuable qui fait l'objet d'une procédure de reprise décidée par l'administration ne se trouve pas dans la même situation qu'un autre contribuable qui demande la restitution d'une créance fiscale. En raison de cette différence de situation, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les règles qui lui sont applicables quant à l'exercice par l'administration de ses pouvoirs de contrôle, en particulier l'absence de règle de prescription du droit de celle-ci de remettre en cause le montant de la créance dont elle demande le remboursement, seraient contraires au principe d'égalité ». Non sérieuse, la QPC n’est pas renvoyée.

La décision pèche par son laconisme extrême : son libellé ne permet pas de comprendre comment et pourquoi une différence de situation justifie l’absence de prescription. C’est au juge à démontrer en quoi il est constitutionnel, ici, de traiter différemment ces situations au regard de l’objet de la prescription. Il faut regretter ce jeu du Sphinx.

(6 novembre 2019, Société de diffusion et de conditionnement (Sodico), n° 433682)

 

94 - Interdiction de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives - Atteinte à la liberté d’entreprendre - Caractère sérieux - Renvoi d’une QPC.

La question de la conformité à la Constitution, au regard de la liberté d’entreprendre,  du IV de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime (qui dispose : « Sont interdits à compter du 1er janvier 2022 la production, le stockage et la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale ou de l'environnement conformément au règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 précitée, sous réserve du respect des règles de l'Organisation mondiale du commerce »), présente un caractère sérieux justifiant son renvoi au Conseil constitutionnel.

(7 novembre 2019, Union des industries de la protection des plantes, n° 433460)

 

95 - Prestation compensatoire (art. 274 et s. C. civ.) - Versement pour partie en capital et pour partie sous forme de rente - Régime fiscal différent selon que le versement en capital intervient dans une période d'une durée inférieure ou supérieure à douze mois - Moyen sérieux - Renvoi d'une QPC.

Il est jugé que présente un caractère sérieux et que doit être renvoyé au Conseil constitutionnel le moyen tiré de ce que, en cas de paiement d'une prestation compensatoire à la fois sous forme d'un capital et sous forme de rente, le traitement fiscal de la partie en capital versée dans une période inférieure à douze mois méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques dès lors que le montant versé n'ouvre droit ni à la réduction d'impôt prévue à l'article 199 octodecies du CGI ni à la déduction du revenu global prévue au 2° du II de l'article 156 du CGI, alors que le même montant est déductible lorsque la partie de la prestation compensatoire sous forme d'un capital est versée sur une période supérieure à douze mois ou bénéficie de la réduction d'impôt précitée lorsque la prestation compensatoire est versée uniquement sous forme de capital sur une période inférieure de douze mois.

(15 novembre 2019, M. X., n° 434325)

 

Responsabilité

 

96 - Préjudice résultant d’une décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) - Compétence des juridictions de l’ordre judiciaire - Obligation pour l’État d’assurer la scolarisation de tous les enfants - Responsabilité de l’État à raison de défaillances dans l’exercice de cette obligation - Condition d’imputabilité - Absence - Rejet.

Les parents d’une enfant atteinte de surdité demandent réparation du préjudice causé à leur fille dont la scolarisation a été interrompue pendant deux années.

Ce dysfonctionnement a pour cause une décision incomplète de la commission départementale des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) or le contentieux des décisions de cette commission prises, comme en l’espèce, sur le fondement des dispositions de l'article L. 241-9 du code de l'action sociale et des familles, relève du juge judiciaire.

Par ailleurs, l’État a l’obligation d’assurer une scolarisation à tous les enfants en âge pour cela quelle que soit leur condition physique. À défaut, il engage sa responsabilité sur le fondement de la faute. Une fois ce principe essentiel rappelé le juge rejette ici la demande de réparation du préjudice causé à l’enfant car ce préjudice, dans les circonstances de l’espèce, n’est pas imputable à l’État qui n’avait ni compétence pour décider ni pouvoir de se substituer à la CDAPH.

(8 novembre 2019, M. X. et Mme Y., n° 412440)

 

97 - Retard excessif à prendre les mesures réglementaires d'application d'une loi - Protection des majeurs en Polynésie française - Comportement fautif - Conditions de l'action en réparation - Annulation et injonction.

Le requérant, qui se prévaut de la qualité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs, demande la réparation du préjudice qui lui est causé par l'absence de textes réglementaires d'application des art. L. 471-5 et L. 564-3 du code de l'action sociale et des familles.

Rappelant que la prise des mesures réglementaires d'application des lois, qui incombe au premier ministre, non seulement lui donne compétence à cet effet mais, surtout, lui impose l'obligation de le faire et cela dans un délai raiosonnable.

Ce délai étant dépassé en l'espèce, selon le juge, l'intéressé est recevable à demander réparation.

Toutefois, encore faut-il, pour obtenir réparation, que cette action soit fondée, c'est-à-dire que doit être établie l’existence, d'une part, d'un préjudice subi par le requérant, et, d'autre part, d'un lien direct de causalité entre ce préjudice et le dépassement du délai raisonnable dont disposait le pouvoir réglementaire pour prendre les mesures d'exécution qu'imposaient les dispositions précitées du code de l'action sociale et des famlilles.

Ces conditions sont jugées réunies en l'espèce.

(13 novembre 2019, M. X., n° 416546)

 

98 - Occupants sans titre d'une propriété privée - Concours de la force publique en vue de leur expulsion en exécution d'un jugement passé en force de chose jugée - Droit à indemnisation jusqu'au départ effectif des occupants - Réinstallation postérieure desdits occupants - Nécessité d'une nouvelle demande de concours de la force publique - Absence de caractère continu du préjudice - Cassation partielle avec renvoi dans cette mesure.

En principe, sauf circonstances particulières, le bénéficiaire d'une décision de justice ordonnant l'expulsion d'occupants illicites de sa propriété a droit au concours de la force publique et, en cas de carence de celle-ci, à la réparation des préjudices qui en résultent. En revanche, si, après leur départ, lesdits occupants réinvestissent les lieux le propriétaire doit solliciter à nouveau le concours de la force publique et peut, le cas échéant, obtenir l'indemnisation du préjudice nouveau qui résulterait alors de son éventuelle carence. Il ne peut rattacher ce préjudice au premier en faisant l'économie d'une seconde demande - vaine - de concours de la force publique.

(21 novembre 2019, Me X., agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société SMPA Transmar et M. Y., gérant de cette société, n° 417631)

 

99 - Contamination transfusionnelle - Régime de prescription de l'action en responsabilité en cas d'action subrogatoire - Action subrogatoire des tiers payeurs contre l'Etablissement français du sang (EFS) - Prescription décennale (art. L. 1142-28 c. de la santé publique) - Rejet.

Ne commet pas d'erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que dès lors que l'article L.1221-14 CSP, d'une part, a substitué à l'action des victimes contre l'EFS une action en indemnisation par l'ONIAM, laquelle se prescrit par dix ans à compter de la consolidation du dommage (cf. art.  L. 1142-28 CSP) et, d'autre part, a également ouvert aux tiers payeurs une action subrogatoire contre l'EFS, cette dernière doit être regardée comme obéissant aux mêmes règles de prescription que l'action des victimes contre l'ONIAM, soit dix ans à compter de la consolidation du dommage.

(22 novembre 2019, Etablissement français du sang, n° 419941)

 

100 - Femme enceinte - Consultation libérale à l'hôpital public - Régime de responsabilité : responsabilité sous régime de droit privé - Service public hospitalier - Défaut d'information d'une femme enceinte sur les risques encourus du fait de son état - Faute simple du centre hospitalier engageant sa responsabilité - Cassation partielle avec renvoi.

Dans le cadre d'une action en responsabilité dirigée contre un hôpital public pour faute dans le suivi d'une grossesse, le Conseil d’État apporte deux précisions.

En premier, les conséquences éventuellement dommageables des consultations données par un praticien dans un hôpital public dans un cadre libéral ne peuvent donner lieu à la mise en jeu de la responsabilité de cet hôpital.

En second lieu constitue une faute du service public hospitalier la circonstance que celui-ci n'ait pas informé une femme enceinte, même à un stade avancé de la grossesse, du risque que son enfant soit atteint de trisomie 21 ou de l'intérêt de pratiquer des examens afin de détecter d'éventuelles affections du foetus, cela alors même que cette personne avait été suivie jusque-là dans un autre cadre.

(13 novembre 2019, M. X. et autres, n° 420299)

 

101 - Police municipale de la baignade - Zone propice à des attaques de requins - Signalisation de dangers sans spécifier leur nature - Interdiction de la baignade - Obligation d'information satisfaite - Absence de faute - Rejet.

Saisie par l'intéressé, son épouse et ses enfants, d'une demande d'indemnisation du chef des préjudices subis par lui alors qu'il pratiquait le surf sur une plage de La Réunion, par suite d'une attaque de requins, la cour administrative d'appel a rejeté cette demande car elle a estimé qu'aucune faute à l'origine du dommage ne pouvait être reprochée au maire de la commune.

Celui-ci avait, d'une part, pris un arrêté portant réglementation de la baignade, qui désignait cette plage comme un endroit dangereux, dont l'accès ne pouvait se faire qu'aux risques et périls de la population et qui y interdisait la baignade et, d'autre part, fait installer de manière visible sur le site un panneau sur lequel était mentionné : « baignade interdite, site dangereux, accès à vos risques et périls ». Alors que les demandeurs reprochaient au maire de n'avoir pas indiqué que le danger était constitué par le risque d'attaques par des requins, la cour a estimé suffisante l'information figurant dans l'arrêté et sur la plage même.

En outre, surfeur confirmé, la victime connaissait bien cet endroit, habitant l'île de La Réunion depuis trente ans et ne pouvait ignorer la présence de requins.

En l'absence de faute de la commune ayant joué un rôle causal dans la réalisation du préjudice sa responsabilité ne se trouvait pas engagée.

(22 novembre 2019, M. et Mme X., n° 422655)

 

Santé publique

 

102 - Décret portant prise en compte  d'allégements fiscaux et sociaux dans les tarifs des établissements de santé - Arrêté d’application  fixant en conséquence, les éléments tarifaires - Institution d’un coefficient de minoration - Violation ou détournement de pouvoir ou de procédure par rapport à la législation instituant des allègements fiscaux ou sociaux - Absence - Décret ne pouvant avoir des effets de minoration excédant le bénéfice retiré des dispositifs d’allègement - Absence de mesures transitoires jugée compatible en l’espèce avec le principe de sécurité juridique - Rejet.

On se permet de renvoyer le lecteur au texte de cette longue et importante décision suscitée par un recours formé par de très nombreux hôpitaux privés sans but lucratif contestant un décret qui décide qu’il sera désormais tenu compte des allègements fiscaux et sociaux dans l’établissement des tarifs hospitaliers.

Il est regrettable que, dans un dossier où l’État donne l’impression de reprendre d’une main ce qu’il a donné de l’autre, surtout s’agissant d’organismes sans but lucratif, le Conseil d’État se montre souvent très peu disert pour justifier le rejet des arguments soulevés.

(8 novembre 2019, Groupement des hôpitaux de l'Institut catholique de Lille et Fédération des établissements hospitaliers, et d'aide à la personne, privés à but non lucratif, représentante désignée pour l’ensemble des requérants, n° 420140, 420158, 420236)

Urbanisme

 

103 - Plans d’occupation des sols (POS)/Plans d’urbanisme (PLU) - Règles de fond de ces plans - Prescriptions relatives aux limites séparatives - Notion - « Marge d’isolement entre les constructions » - Notion dans le silence du règlement du POS/PLU sur ce point - Annulation avec renvoi à la cour administrative d’appel.

Cette décision, qui porte sur l’interprétation de deux dispositions litigieuses d’un POS, est importante car elle concerne et précise deux notions souvent présentes dans les règlements des documents d’urbanisme.

En premier lieu, l’expression « limite séparative » appliquée pour régir l’implantation de constructions par rapport à cette limite s’entend de la limite « entre la propriété constituant le terrain d'assiette de la construction et la ou les propriétés qui la jouxtent, quelles que soient les caractéristiques de ces propriétés, dès lors qu'il ne s'agit pas de voies ou d'emprises publiques ».

Il résulte de cette définition que c’est par suite d’une erreur de droit que la cour administrative d’appel a déduit de la destination de la parcelle, voisine du projet, sur laquelle est installé un transformateur, et de sa très faible superficie, ne lui permettant pas d'accueillir une habitation, que la limite de propriété séparant les deux parcelles ne pouvait être regardée comme une limite séparative au sens des dispositions du règlement du plan d'occupation des sols.

En second lieu, dans le silence du règlement du POS sur ce point, lorsque des dispositions de ce dernier imposent « une marge d'isolement entre constructions édifiées sur une même propriété », celles-ci n'ont pas pour effet d'interdire la construction de maisons jumelées ou en bande, qui n'ont pas de vues les unes sur les autres.

(8 novembre 2019, M. et Mme X. et M. et Mme Y., n° 420324)

 

104 - Déclaration préalable de travaux - Silence d'un mois valant non-opposition à cette déclaration - Demande complémentaire de pièces - Pièce ne figurant pas au nombre de celles pouvant être exigées en vertu des dispositions de code de l'urbanisme - Conséquences - Rejet.

Saisie d'une demande de déclaration préalable la commune, demeurée silencieuse durant un mois, est réputée avoir pris tacitement une décision de non-opposition à cette déclaration préalable. Lorsque, dans ce délai, la commune demande au pétititionnaire de produire des pièces complémentaires alors que celles-ci ne figurent pas parmi celles dont le code de l'urbanisme autorise la demande de production, il en résulte l'illégalité de la décision tacite d'opposition à la déclaration de travaux (cf. art. R. 423-39 c. urb.) mais le pétitionnaire ne devient pas pour autant ipso facto titulaire d'une décision implicite de non-opposition.

Si la pièce demandée est néanmoins fournie ceci n'a pas pour effet d'entacher d'irrégularité la décision de l'administration refusant de faire droit à la demande d'autorisation de travaux sauf si le motif de ce refus est fondé sur ladite pièce car la demande de permis ou d'autorisation de travaux ne peut être examinée qu'au vu des seules pièces dont la production est exigée par le code de l'urbanisme.

(13 novembre 2019, M. X., n° 419067)

 

105 - Permis de construire - « Atteinte grave aux conditions d'éclairement » - Notion - Appréciation souveraine des juges du fond - Absence d'atteinte grave - Rejet.

Les voisins d'un immeuble à construire devant s'élever sur cinq étages demandent l'annulation du permis autorisant sa construction en s'appuyant sur une disposition du règlement du plan local d'urbanisme de la ville de Paris, l'article UG.7.1, selon lequel «  Nonobstant les dispositions du présent article UG.7 et de l'article UG.10.3, l'implantation d'une construction en limite séparative peut être refusée si elle a pour effet de porter gravement atteinte aux conditions d'éclairement d'un immeuble voisin ou à l'aspect du paysage urbain, et notamment à l'insertion de la construction dans le bâti environnant (...) ».

Le Conseil d’État définit cette atteinte grave comme « une obstruction significative de la lumière, qui ne saurait se réduire à une simple perte d'ensoleillement ». Il approuve le tribunal d'avoir jugé, pour rejeter ce recours, que si la construction projetée affectait l'ensoleillement des immeubles des requérants du fait de l'élévation d'un mur de cinq étages en limite séparative, qui a notamment pour effet de priver des rayons directs du soleil certains appartements situés dans les étages les moins élevés, elle ne portait pas une atteinte grave aux conditions d'éclairement de ces immeubles.

Cette solution donne le sentiment de tourner en rond : il eût été plus judicieux et plus simple de raisonner en termes de diminution du flux lumineux mesurée scientifiquement (en Lux ou lumen par mètre carré, par exemple) et de fixer un pourcentage de diminution au-delà duquel l'atteinte serait toujours considérée comme constituant une atteinte grave.

(22 novembre 2019, M. X. et autres, n° 420948)

 

106 - Permis de construire nécessairement délivré à titre provisoire - Édification d’ouvrages publics - Demande de démolition d’une construction irrégulière - Conditions et régime - Nature de contentieux de pleine juridiction - Balance des intérêts et absence de régularisation possible - Annulation du jugement et de l’arrêt d’appel - Démolition ordonnée avec injonction de l’avoir menée à bien au 31 décembre 2020.

Il s’agit d’une importante décision qu’il n’aurait pas été déraisonnable de rendre en Section du contentieux.

En 2001 le préfet délivre à l’État un permis de construire en vue de la réalisation de bâtiments dans les jardins de l'École nationale supérieure des Beaux-arts à Paris, en bordure de la propriété du requérant. Les bâtiments objet de ce permis n’étaient installés que pour quatre ans, le temps de réalisation des travaux de restructuration du site de l’École des beaux-Arts. En 2012, après que des courriers demandant l’enlèvement de ces ouvrages - adressés au ministre de la culture, au directeur de l'École nationale supérieure des Beaux-arts et au directeur de l'École nationale supérieure d'architecture de Paris-Malaquais - sont restés sans effet, le demandeur saisit le juge administratif d’un recours dirigé contre  les décisions implicites de rejet nées du silence gardé par ces autorités et d’une demande de leur enjoindre de procéder à l'enlèvement de ces ouvrages. Ces demandes sont rejetées en première instance et en appel, elles sont favorablement accueillies en cassation.

Tout d’abord, se posait la question de la durée de validité du permis de construire, la cour administrative d’appel estimant que le permis n’avait pas été accordé pour une durée limitée. Au contraire, à juste raison, le Conseil d’État juge qu’un permis accordé pour l’édification de bâtiments temporaires ne devant demeurer en place que quatre années avait nécessairement lui-même une durée limitée à quatre années quand bien même serait-il silencieux sur son terme.

Ensuite le juge rappelle les conditions auxquelles est subordonnée une demande de démolition d’ouvrages publics : implantation irrégulière, préjudice causé au demandeur de ce fait, demande infructueuse d’enlèvement adressée à l’administration, existence d’une régularisation possible, inconvénients de tous ordres du maintien de l’ouvrage public, atteinte que porteraient, respectivement, la démolition ou le maintien de celui-ci aux intérêts publics et privés en cause.

Egalement, et alors que l’action fondée sur l’irrégularité de l’édification d’un ouvrage public soulève une question de légalité puisqu’elle repose d’abord sur la violation du droit applicable, elle institue le juge administratif saisi en juge du plein contentieux, dotés des pouvoirs importants décrits au point précédent.

Enfin, appliquant cette méthodologie au cas de l’espèce, le juge, après avoir constaté l’intérêt pour agir du requérant (il était contesté par les défendeurs) car les ouvrages litigieux sont visibles depuis son fonds et créent des vues sur celui-ci, affectant ainsi les conditions de jouissance de son bien, relève les points suivants : 1) L’irrégularité du maintien pendant plus de 18 ans de constructions devant être retirées au bout de quatre années. 2) Leur impossible régularisation car leur édification, incompatible avec les lieux (monuments historiques et site classé), n’a pu être obtenu précisément qu’en raison de leur durée temporaire d’utilisation, sinon le permis de construire n’aurait pas pu être accordé en raison de son illégalité. 3) La gravité de l’atteinte substantielle portée aux espaces environnants qui exclut à son tour toute régularisation. 4) L’absence d’atteinte à la continuité du service public de l’enseignement supérieur en raison de la durée limitée d’existence de ces ouvrages.

La conclusion découle de ces prémisses : la démolition de ces ouvrages est possible car, outre l’irrégularité de leur implantation, leur démolition ne porte pas d’atteinte excessive à l’intérêt général.

Injonction est donc faite en ce sens.

(29 novembre 2019, M. F.-H. Pinault, n° 410689)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Octobre 2019

Octobre 2019

Actes et décisions

 

1 - Délégation de signature – Directeur de cabinet d'un ministre – Exigence d'une délégation – Délégation nécessaire pour tout acte – Impossibilité de donner la même délégation à deux agents différents – Annulation d'un courrier.

Il résulte des dispositions de l'art. 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, que, d'une part, le directeur de cabinet d'un ministre doit disposer d'une délégation du ministre pour pouvoir signer un acte en son nom même lorsque, sans fixer aucune règle nouvelle, il signe un courrier dans lequel il interprète des dispositions législatives ou réglementaires et prescrit à ses destinataires d'en faire application ; et d'autre part, qu'une telle délégation, ayant le même objet, ne peut être donnée à deux agents différents du ministère, le délégataire secondement désigné  est incompétent à cet effet.

(1er octobre 2019, Société par actions simplifiée à associé unique (SASU) Abeille Parachutisme et Fédération des exploitants de parachutisme professionnel, n° 421264)

 

2 - Archives publiques – Sanction disciplinaire contre un militaire – Massacre du camp de Thiaroye (1944) – Demande de communication d'un document dans sa version d'origine – Version qui n'existe plus du fait de son effacement – Absence de droit à sa reconstitution – Rejet.

Le Conseil d'État approuve un tribunal administratif pour avoir jugé que les art. L. 213-1 et suivants du code du patrimoine ne comportent point obligation pour l'administration saisie d'une demande en ce sens de procéder - en reconstituant leur version d'origine - à la communication d'archives publiques (ici le dossier disciplinaire d'un militaire français en poste lors du massacre survenu dans le camp de Thiaroye, près de Dakar, le 1er décembre 1944) qui n'existent plus sous cette forme.

(4 octobre 2019, Mme X. et M. Y., n° 416030 ; v. aussi, sur la même affaire : 4 octobre 2019, M. Y., n° 416038)

 

3 - Décision susceptible de recours – Notion – Annonce de l'émission future de titres exécutoires – Régime contentieux – Juge des référés – Erreur de droit – Cassation.

Une personne a été rendue destinataire d'un courrier lui annonçant, d'une part, l'émission future à son encontre de titres exécutoires, d'autre part, le prélèvement des sommes dues sur son traitement. Commet une erreur de droit le juge des référés qui estime que ce courrier ne contient aucune décision susceptible de lui être déférée en vue que soit ordonnée sa suspension. En effet, si l'annonce de titres exécutoires futurs ne constitue pas une décision, en revanche l’annonce de retenues sur traitement en constitue bien une.

(1er octobre 2019, Mme X., n° 422908)

 

4 - Communication de documents relatifs à un marché public – Jugement ordonnant cette communication sous réserve d'occultations liées au secret – Sursis à l'exécution du jugement – Jugement susceptible de produire des effets irréversibles – Jugement entaché d'erreur de droit – Sursis à exécution ordonné jusqu'au jugement du pourvoi.

Suite à la conclusion d'un marché public entre un syndicat mixte du numérique et la société Orange, est demandée la communication des documents administratifs relatifs audit marché. Celle-ci ayant été refusée, le tribunal administratif saisi annule ce refus et ordonne la communication des pièces après occultation des mentions relatives aux secrets protégés par la loi.

Le syndicat se pourvoit en cassation de ce jugement et sollicite le sursis à l'exécution de celui-ci. Lui donnant raison, le Conseil d'État  accorde le sursis demandé car sont réunies selon lui les deux conditions à l'octroi d'une telle mesure : 1°/ Le jugement, s'il était exécuté, aurait un effet irréversible car la communication des documents litigieux est l'objet même du recours ; 2°/ L'argument des requérants au pourvoi selon lequel le jugement est entaché d'erreur de droit en ce qu'il  estime que la circonstance que l'occultation des documents en cause nécessiterait la mobilisation de moyens matériels et humains trop importants n'est pas de nature à faire obstacle au droit de communication paraît, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation de ce jugement, l'infirmation de la solution retenue par les juges du fond. 

(23 octobre 2019, Syndicat mixte Haute-Saône numérique (SMHSN), n° 433474)

 

5 - Instruction « provisoire » – Mise en ligne le jour même de sa publication – Publicité de nature à faire courir le délai de recours contentieux – Requête introduite tardivement – Forclusion – Rejet.

Le gendarme requérant a saisi le juge le 18 février 2019 d’un recours tendant à l’annulation de l'instruction provisoire du 8 juin 2016 du directeur général de la gendarmerie nationale relative aux positions de service et au repos physiologique journalier des militaires d'active de la gendarmerie, en tant qu'elle ne définit pas le temps de travail hebdomadaire maximal des militaires de la gendarmerie nationale.

Cette instruction ayant été mise en ligne le 8 juin 2016 il s’ensuit que le délai de recours contentieux était expiré depuis plus de six mois le jour de la saisine du juge, il était donc irrecevable pour cause de forclusion sans que puisse faire échec à celle-ci la circonstance que l'acte contesté était intitulé « instruction provisoire ».

(4 octobre 2019, M. X., n° 428971)

 

6 - Refus de prendre un acte réglementaire – Obligation de motiver – Inexistence – Refus ayant lui-même une nature réglementaire – Rejet.

Le litige dont était saisi le Conseil d'État était relatif à une demande d'annulation de la chambre de commerce requérante dirigée contre le refus du ministre des finances de prendre une mesure réglementaire tendant à permettre la compensation de la charge constituée pour elle par la hausse du taux de la contribution sociale généralisée (CSG) prévue par l'article 8 de la loi du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018.

En particulier, la chambre contestait l'absence de motivation du refus ministériel de prendre la mesure réglementaire sollicitée. Le juge, rejetant cet argument, rappelle que le refus de prendre un acte réglementaire présentant lui-même un caractère réglementaire, il ne saurait relever de l'obligation de motivation prévue par l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, laquelle ne concerne que la motivation des décisions individuelles défavorables.

(2 octobre 2019, Chambre de commerce et d'industrie de région Paris - Ile-de-France, n° 419807 et n° 421869)

 

7 - Transition écologique – Conventions conclues dans le cadre du dispositif "Territoires à énergie positive pour la croissance verte" – Circulaire ministérielle fixant le régime des subventions – Circulaire impérative ou lignes directrices – Circulaire réglementaire – Ajouts à ou contradictions avec des dispositions de nature réglementaire – Annulation.

Les communes et communauté requérantes demandaient l’annulation de la circulaire du ministre de la transition écologique et solidaire relative à la mise en place par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 sur la transition énergétique pour la croissance verte. Ils pointaient l’existence dans cette circulaire de plusieurs dispositions que son auteur n’avait pas compétence pour prendre en ce qu’elles ajoutaient aux textes réglementaires en vigueur ou les contredisaient en fixant le régime des subventions applicables à ces actions ainsi que celui de leur sanction.

Pour des motifs de procédure, seule l’action de la commune première dénommée est accueillie

En premier lieu, le ministre soutenait que les dispositions de cette circulaire ne comportaient aucune disposition impérative mais constituaient de simples lignes directrices à destination des préfets de région. Le juge rejette ce raisonnement en constatant que ce texte « ne ménage aucune marge de manœuvre (aux préfets de région) dans la mise en œuvre des critères ou modalités de versement des subventions attribuées au titre de l'enveloppe spéciale de transition énergétique et présente un caractère impératif ».

En deuxième lieu, est également rejeté l’argument ministériel selon lequel la circulaire attaquée aurait été implicitement abrogée par une circulaire postérieure car « cette seconde circulaire a simplement précisé les dispositions de la circulaire (précédente), sans se substituer aux dispositions attaquées ».

En troisième lieu, sont ensuite relevés les quatre ajouts faits par ladite circulaire à la réglementation en vigueur et la contradiction qu’elle y apporte.

Manifestement étrangère à l’exercice par la ministre de son pouvoir d’organisation des services placés sous son autorité, la circulaire attaquée présente un caractère réglementaire : la ministre était incompétente pour l’édicter. L’annulation est, sans surprise, prononcée.

(4 octobre 2019, Commune de Vitry-le-François, commune d'Aÿ Champagne et Communauté de communes de la Grande Vallée de la Marne, n° 416033)

 

8 - Ministre chargé des douanes – Réglementation de la représentation en douane – Octroi d'un pouvoir réglementaire par la loi (art. 17 bis code des douanes) – Exigence d'une preuve écrite de l'habilitation à représenter en douane – Contrariété aux règles du droit civil et du droit commercial – Rejet.

En premier lieu, c'est à tort que l'union requérante conteste la compétence du ministre chargé des douanes, d'une part, pour définir par l'arrêté et la circulaire attaqués, la définition du mode de preuve de l'habilitation des représentants en douane enregistrés, et d'autre part, pour prévoir, par la circulaire attaquée, la forme de l'information que le représentant en douane enregistré doit donner à son mandant sur l'identité du sous-traitant qu'il s'est le cas échéant substitué, ainsi que le mode de preuve de cette information.

Il résulte des dispositions de l'art. 17 bis du code des douanes que le législateur a confié audit ministre le pouvoir de prendre les mesures réglementaires nécessaires à la mise en œuvre des réglementations édictées par l'Union européenne ou par des traités ou accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés par la France, que l'administration des douanes est tenue d'appliquer. Tel est le cas en l'espèce. 

En second lieu, ne sauraient être retenues la contestation de la modalité de preuve fixée par les textes litigieux. La requérante appuyait sa critique de l'exigence d'une preuve écrite de l'habilitation du représentant en douanes sur ce qu'elle contrevenait aux dispositions des art. 1158 et 1985 du Code civil et L. 110-3 du code de commerce. L'argument, assez fort, est balayé prestement par le Conseil d'État, en ces termes : « Les règles probatoires civiles ou commerciales sont sans incidence sur les obligations prévues par l'arrêté contesté, qui sont prévues aux seules fins du contrôle par l'administration des douane ». Ceci parce que, avait indiqué le juge plus haut dans sa décision, « les règles ainsi édictées ne concernent pas les règles de formation et de délégation des mandats et ne constituent pas davantage des dérogations aux règles de preuve civile des mandats, dès lors qu'elles s'appliquent seulement aux relations entre l'administration et les opérateurs professionnels en douane à des fins de contrôle ». Il est difficile de comprendre ce que cela veut dire puisque le mandat vaut surtout aux yeux des tiers auquel il garantit les pouvoirs détenus par le représentant et, de ce point de vue, l'administration des douanes n'est pas un tiers différent... À moins qu'il faille lui trouver un privilège commodément travesti en défense de l'intérêt général ?

(9 octobre 2019, Union des entreprises Transport et Logistique de France (UTL), n° 426349)

 

9 - Silence gardé sur la demande d'un administré par l'autorité administrative – Absence, dans les circonstances de l'espèce, de caractère décisoire – Demande adressée à une autorité administrative ne détenant pas le pouvoir législatif – Rejets.

Les requérants demandaient, à titre principal, l'annulation de la décision implicite par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a rejeté leur demande aux fins de suspension de la réalisation et du remboursement des soins non vitaux destinés à traiter les variations du développement génital chez les enfants non encore en mesure d'exprimer leur consentement.

Ils essuient un double rejet.

En premier lieu, dès lors qu'en vertu de diverses dispositions du code de la santé publique le traitement ou l'acte de soin dispensé sur un mineur présentant une variation du développement génital ne peut être envisagé, d'une part, qu'après que le dépositaire de l'autorité parentale y a consenti de façon libre et éclairée et si ce traitement ou cet acte répond à une nécessité médicale vérifiée et actualisée, et d'autre part, s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision, qu'après recherche systématique du consentement du patient mineur, le silence gardé par la ministre sur la demande dont elle était saisie (de suspendre la réalisation et le remboursement de tout traitement ou acte de soins lié aux variations du développement génital ne répondant pas aux conditions de nécessité médicale et de consentement résultant de l'article 16-3 du code civil) ne constitue pas un acte faisant grief. Cela d'autant plus qu'elle n'était ni tenue de rappeler ni tenue d'interpréter l'état du droit existant (cf. cette Chronique, septembre 2019, n° 5).

En second lieu, est rejetée la demande tendant à voir annulé le refus implicite de la ministre de suspendre la réalisation et le remboursement de tout traitement ou acte de soins lié aux variations du développement génital, à l'exception de ceux qui sont justifiés par une nécessité vitale, dans les cas où le patient mineur n'est pas en mesure d'exprimer son consentement. En effet, certains de ces actes sont, dès lors qu'ils remplissent les conditions de nécessité médicale et de consentement posées par les dispositions du Code civil et du code de la santé publique, autorisés par la loi. Or il n'appartient pas à une autorité administrative de prendre de telles mesures, lesquelles ne relèvent pas de la compétence exécutive mais de la loi.

(2 octobre 2019, M. X. et Association Groupement d'information et de soutien sur les questions sexuées et sexuelles (GISS), n° 420542 ; v. aussi, du même jour, très voisin dans sa problématique : Association Groupement d'information et de soutien sur les questions sexuées et sexuelles (GISS), n° 422197)

 

10 - Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – Communiqués de presse – Publication sur le site internet de la CNIL – Plan d'action relatif aux règles applicables en matière de ciblage publicitaire en ligne et d'accompagnement des acteurs dans leur mise en conformité avec ces règles – Lignes directrices – Prise de position publique d'une autorité de régulation – Mesure déférable au juge de l'excès de pouvoir – Rejet.

(16 octobre 2019, Associations « La Quadrature du net » et « Caliopen », n° 433069)

V. ci-dessous au n° 11

On lira aussi sur cette question, avec une solution largement identique, à propos de recommandations de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé : 21 octobre 2019, Association française de l'industrie pharmaceutique pour une automédication responsable (AFIPA), n° 419996 et n° 419997, point 3.

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

11 - Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – Communiqués de presse – Publication sur le site internet de la CNIL – Plan d'action relatif aux règles applicables en matière de ciblage publicitaire en ligne et d'accompagnement des acteurs dans leur mise en conformité avec ces règles – Lignes directrices – Prise de position publique d'une autorité de régulation – Mesure déférable au juge de l'excès de pouvoir – Rejet.

Par une délibération du 4 juillet 2019, la CNIL a adopté des lignes directrices relatives aux opérations de lecture ou écriture dans le terminal d'un utilisateur, notamment aux « cookies » et autres traceurs. Par un communiqué également publié sur son site internet le 18 juillet 2019, la Commission a précisé que cette délibération constitue le socle de son plan d'action et a annoncé engager une concertation permettant d'adopter, au premier trimestre 2020, une recommandation précisant les modalités pratiques du recueil du consentement au dépôt de « cookies » et de traceurs de connexion. Elle a enfin indiqué qu'une période d'adaptation, s'achevant six mois après la publication de cette recommandation, sera laissée aux opérateurs afin de leur donner le temps d'intégrer les nouvelles règles en précisant que ce délai vise à « garantir une mise en conformité aux règles protégeant la vie privée des utilisateurs selon un standard robuste et durable fixé par le régulateur ». 

Les associations requérantes  demandaient l'annulation pour excès de pouvoir de la décision de la CNIL, révélée par ces communiqués de presse des 28 juin et 18 juillet 2019  et la délivrance d'une injonction sous astreinte de publier,  tant sur la page d'accueil de son site internet que sur les pages de ses communiqués des 28 juin et 18 juillet, un encart faisant référence à la décision du Conseil d'État  et indiquant que «  la poursuite de la navigation » ne constitue pas un mode d'expression valable du consentement en matière de « cookies » et de traceurs en ligne.

Le Conseil d'État devait d'abord se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la CNIL. Appliquant ses jurisprudences Société NC Numericable et Fairvesta (Assemblée, 21 mars 2019, respectivement n° 390023 et n°s 368082 368083 368084), il la rejette car cette prise de position a « pour objet d'influer sur le comportement des opérateurs auxquels elle s'adresse et comme étant de nature à produire des effets notables tant sur ces opérateurs que sur les utilisateurs et abonnés de services électroniques ».

Ensuite, l'examen du recours au fond entraîne son rejet.

Il est relevé que la CNIL disposant, en vertu de la loi du 6 janvier 1978, de larges pouvoirs en la matière, la décision contestée demeure dans les limites de ceux-ci. De plus, ne saurait être critiqué le délai de six mois laissé par la CNIL pour que les opérateurs concernés puissent se mettre en conformité avec les nouvelles lignes directrices car elle continuera à contrôler, durant cette période, le respect des règles relatives au caractère préalable du consentement, à la possibilité d'accès au service même en cas de refus et à la disponibilité d'un dispositif de retrait du consentement facile d'accès et d'usage. Enfin, par cette décision, la CNIL n'a nullement porté une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et au droit à la protection des données personnelles, tels qu'ils sont garantis par les articles 7 et 8 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les articles 7 et 8 de la convention EDH.

(16 octobre 2019, Associations « La Quadrature du net » et « Caliopen », n° 433069)

 

12 - Traitement de données à caractère personnel relatives au permis de conduire et à la circulation des véhicules – Accès aux informations contenues – Entreprises de transports publics routiers – Liste des catégories de personnes autorisées à y accéder – Personnel des entreprises de transport public routier désigné et habilité – Finalité légitime – Rejet.

La fédération requérante demandait l'annulation du décret n° 2018-387 du 24 mai 2018 précisant les conditions d'accès aux informations des traitements de données à caractère personnel relatifs aux permis de conduire et à la circulation des véhicules. Invoquant la loi de 1978, dite Informatique et libertés, elle soulevait plusieurs griefs à l'encontre de ce texte, tous rejetés par le Conseil d'État.

En bref, le décret attaqué autorise certains personnels des entreprises de transport public routier de passagers ou de marchandises à accéder aux données à caractère personnel relatives contenues dans le système national des permis de conduire, afin de s'assurer de la validité du permis de conduire des personnes qu'elles emploient comme chauffeurs.

Pris en exécution d'une loi, ce décret n'empiète pas sur le domaine que l'art. 34 réserve à la loi.

Seules les personnels individuellement désignés et habilités de ces entreprises peuvent accéder à ces données. Cet accès est sécurisé et sa violation ou son abus est assorti de sanctions pénales.

La finalité poursuivie par l'octroi de ce droit d'accès est ici légitime et proportionnée à l'objectif poursuivi qui est celui de la sécurité routière. Il était difficile de prévoir un autre mécanisme d'accès plus protecteur des individus concernés.

Enfin, cet accès ne peut porter que sur les seules informations relatives à l'existence, la catégorie et la validité du permis de conduire, à l'exclusion du nombre de points affectés au conducteur et des éventuelles infractions pénales que celui-ci aurait pu commettre. 

Le décret n'est, par suite, ni inconventionnel (art. 8 CEDH), ni inconstitutionnel ni illégal : le recours dirigé contre lui est donc rejeté.

(24 octobre 2019, Fédération des transports et de la logistique FO-UNCP, n° 422583)

 

13 - Traitement automatisé intéressant la sûreté de l'État, la défense ou la sécurité publique – Fichiers des services de l'information générale du ministère de l'intérieur – Conditions d'exercice du droit d'accès indirect à ces fichiers – Saisine de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – Modalités de la communication déterminées par le responsable du traitement – Consultation sur place – Refus de délivrer copie – Régularité – Cassation sans renvoi.

L'article 41 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés - dans sa version alors applicable - institue un régime propre pour l'accès indirect à tout traitement intéressant la sûreté de l'État, la défense ou la sécurité publique.

Le requérant a obtenu du juge l'annulation du refus opposé par le ministre de l'intérieur à sa demande de communication des informations le concernant contenues dans les fichiers des services de l'information générale du ministère de l'intérieur ainsi qu'une injonction au ministre, sous astreinte, de procéder à cette communication. L'intéressé, en exécution de ce jugement, a été invité à consulter ces informations en préfecture. Estimant que cette façon de procéder ne constituait pas une correcte application du jugement, la cour administrative d'appel a, sous injonction majorée, ordonné la remise au requérant d'une copie des documents sollicités. Sur pourvoi du ministre, le Conseil d'État casse cette décision motif pris de ce que la fourniture d'une copie des pièces dont la communication est demandée ne constitue pas l'unique modalité de communication. La possibilité offerte en l'espèce au demandeur de prendre connaissance desdites pièces en préfecture satisfait aux exigences de la loi.

(24 octobre 2019, Ministre de l'intérieur, n° 427204)

 

Biens

 

14 - Domaine public maritime – Convention d'occupation de ce domaine – Recours des tiers – Conditions – Invocation de la violation des règles du droit de l'Union européenne – Exigence d'un intérêt lésé (non) – Rejet.

Les requérants avaient saisi, la cour administrative d'appel, compétente en premier et dernier ressort, d'un recours en annulation de la convention d'utilisation du domaine public maritime conclue entre l'État et une société aux fins d'exploitation d'un parc éolien situé sur le domaine public maritime au large de la commune de Saint-Brieuc ainsi que de l'arrêté préfectoral l'approuvant. Leur action a été jugée, pour certains des requérants, irrecevable car ils ne justifiaient pas d'un intérêt leur donnant qualité pour agir contre ces actes et, pour d'autres requérants, comme n'étant pas fondée ; la cour a seulement annulé l'arrêté préfectoral approuvant la concession domaniale.

Des divers moyens développés on retiendra surtout le sort fait par le juge à celui reposant sur la méconnaissance, par ladite convention, du droit de l'Union.

Le juge indique d'abord que tout tiers à une convention d'occupation du domaine public maritime susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses, est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Tout autre tiers que le représentant de l'État dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, ne peut invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont il se prévaut ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office.

S'agissant du grief tiré de la contrariété de la convention attaquée au droit de l'UE, il est jugé que «  la circonstance que les moyens (que les demandeurs) invoquent à l'appui de leur demande d'annulation de la convention de concession d'utilisation du domaine public maritime soient relatifs à la méconnaissance du droit de l'Union ne permet pas, à elle seule et sans que ces moyens aient à être en rapport direct avec l'intérêt lésé dont elles se prévalent, de les regarder comme étant d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office ». 

Dans ces conditions, devait être satisfaite l'exigence de démontrer l'existence d'un intérêt propre ; à défaut, la requête est rejetée.

(21 octobre 2019, Association Gardez les caps et autres, n° 421134)

 

Collectivités territoriales

 

15 - Région – Compétence en matière de formation professionnelle et d’apprentissage – Financement des écoles et instituts de formation de certaines professions de santé – Financement comprenant celui des actions d’enseignement.

Dans un important contentieux (en raison des sommes en jeu) opposant la région demanderesse et l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris, le Conseil d’État apporte deux précisions importantes sur le régime des subventions mises à la charge des régions en matière de formation professionnelle.

En premier lieu, le juge déduit des articles L. 4151-9, L. 4244-1 et L. 4383-5 du code de la santé publique, dans leur rédaction issue de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, que le législateur, lorsqu’il a décidé que «  La région a la charge du fonctionnement et de l'équipement des écoles et instituts mentionnés à l'article L. 4383-3 lorsqu'ils sont publics », a entendu mettre à la charge des régions, tout à la fois : le fonctionnement et l'équipement des écoles et instituts de formation de certaines professions de santé, l'activité de formation continue incombant légalement à ces écoles et instituts, et ceci même dans le cas où  cette activité bénéficie aux agents des établissements publics de santé auxquels ces écoles et instituts sont rattachés.

Il s’agit là d’une interprétation large de la portée des textes en cause.

En second lieu, s’agissant du droit à subvention, il est rappelé que cette dernière étant un acte-condition leur bénéficiaire n’a un droit acquis à la percevoir que dans la mesure où il respecte les conditions mises à son octroi. Ici aussi est donnée une interprétation large de ces conditions. Celles-ci découlent ou peuvent découler des normes qui la régissent, que ces normes aient été fixées par la personne publique dans sa décision d'octroi, qu'elles aient fait l'objet d'une convention signée avec le bénéficiaire ou, encore, qu'elles découlent implicitement mais nécessairement de l'objet même de la subvention. 

(4 octobre 2019, Région d'Île-de-France, n° 411847)

 

16 - Communes – Frais de scolarité d’un enfant inscrit dans une école d’une autre commune que la commune de résidence – École où est déjà inscrit un frère ou une sœur de celui-ci – Dépense obligatoire pour la commune de résidence – Caractère obligatoire existant même si cette dépense ne l’était pas pour la scolarisation du frère ou de la sœur – Cassation sans renvoi de l’arrêt d’appel.

Une commune, dans laquelle résident un couple et leurs deux enfants, refuse de participer aux frais de fonctionnement supportés par le syndicat intercommunal du pôle scolaire de Tournes, dont elle n'est pas membre, au titre de l'accueil, pour l'année scolaire 2015-2016, de deux frères.

Rejetant le pourvoi qu’elle a formé contre l’arrêt d’appel confirmatif, le Conseil d’État juge laconiquement qu’« Il ressort des pièces du dossier que le jeune A... était déjà inscrit au Pôle scolaire de Tournes en 2014-2015 et y a poursuivi sa scolarité primaire, en classe de CM2, au cours de l'année en litige. Dès lors, la commune d'Arreux était tenue, au titre de cette même année, de participer financièrement à la scolarisation en classe de CP, dans ce même pôle scolaire de Tournes, de son frère cadet Alban alors même qu'elle n'y était pas tenue et ne l'avait jamais été, en ce qui concerne son aîné ».

(4 octobre 2019, Commune d'Arreux, n° 422992)

 

17 - Créance résultant d'une décision de justice passée en force de chose jugée – Recouvrement d'office d'une telle créance (art. 1, IV, loi du 16 juillet 1980) – Régime applicable au cas des sections de communes – Mise en demeure d'émettre l'état de recouvrement devant être adressée au maire de la commune – Rejet.

(14 octobre 2019, Commune de Chambon-sur-Dolore, sections de commune de Malvieille, de l'Hôpital, de Les Ayes, de La Mas, de Frideroche, M. X. et autres, n° 425645) V. n° 36

 

Contrats

 

18 - Délégation de service public – Remontées mécaniques – Cahier des charges prévoyant la possibilité de présenter des solutions alternatives – Présentation, outre des investissements de renouvellement, de deux solutions alternatives – Absence d'irrégularité – Rejet.

Un concurrent évincé de la procédure de passation d'un contrat de délégation du service public de la gestion et de l'exploitation du domaine skiable d'une commune demande l'annulation du contrat et l'allocation d'une indemnité en réparation du manque à gagner consécutif à son éviction. Une des questions posées par ce dossier retiendra l'attention.

Il était prétendu que l'offre de la société retenue comme délégataire était irrégulière. L'art. 24-2 du cahier des charges, lequel présentait les caractéristiques qualitatives et quantitatives de la future délégation de service public disposait : «  (...) les candidats proposeront, en plus des investissements de renouvellement, les investissements nouveaux ou toute autre proposition visant à contribuer au développement de la station, avec la réalisation a minima de deux télésièges et d'une retenue collinaire permettant l'installation d'un réseau de neige de culture sur le secteur Croix Fry ». La société retenue avait présenté lors de la phase de négociation deux solutions à la commune, l'une portant sur l'extension des réseaux d'enneigement artificiel sur le secteur de la Croix Fry sans construction d'une nouvelle retenue d'altitude, l'autre prévoyant la réalisation d'un lac d'altitude.

Le Conseil d'État considère qu'en jugeant que l'offre n'était pas, pour ce motif, irrégulière, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit. En effet, il ressortait du cahier des charges que pouvaient être présentées - comme ce fut le cas en l'espèce - et une offre répondant aux exigences du cahier des charges et une solution alternative

(14 octobre 2019, Société Les Téléskis de la Croix Fry (TCF), n° 418317)

 

19 - Délégation de service public ou concession – Exploitation et desserte maritime en fret – Imprévision – Conditions – Absence en l'espèce – Demande indemnitaire pour faute du cocontractant – Rejet.

Une délégation de service public ou concession est conclue entre la société requérante et l'État en vue de l'exploitation et la gestion du service de desserte maritime en fret de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Puis, après avoir pris deux arrêtés de réquisition à fin d'assurer la continuité du service public ainsi délégué, le préfet a prononcé la déchéance de cette concession. La société Alliance a saisi le tribunal administratif d'une demande d'annulation de cette mesure et de conclusions aux fins de résiliation de la convention. Après avoir ordonné une expertise en vue de déterminer, d'une part, les causes des difficultés financières rencontrées par la société Alliance durant l'exécution de la convention de délégation de service public et d'autre part, si les conditions économiques résultant de la diminution du trafic de fret constatée au niveau international avaient constitué un évènement extérieur ayant définitivement empêché le délégataire d'équilibrer ses dépenses avec ses ressources, le tribunal a prononcé la résiliation de la convention en raison du bouleversement de l'économie du contrat mais rejeté les conclusions indemnitaires de la société dirigées contre l'État  du chef des préjudices résultant des conditions dans lesquelles la délégation de service public avait été exécutée et avait pris fin. La cour administrative d'appel ayant confirmé ce jugement, la société Alliance se pourvoit en cassation.

Se situant dans la stricte orthodoxie de sa doctrine jurisprudentielle antérieure (30 mars 1916, Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux, n° 59928, Rec. p. 125, concl. P. Chardenet), le juge donne à nouveau, solennellement, et la définition de l'imprévision et le régime de l'indemnité d'imprévision. En premier lieu, il est rappelé que l'imprévision suppose « un déficit d'exploitation qui soit la conséquence directe d'un événement imprévisible, indépendant de l'action du cocontractant de l'administration, et ayant entraîné un bouleversement de l'économie du contrat ». En second lieu, lorsque sont réalisés ces conditions, le concessionnaire a droit à « une indemnité représentant la part de la charge extracontractuelle que l'interprétation raisonnable du contrat permet de lui faire supporter. Cette indemnité est calculée en tenant compte, le cas échéant, des autres facteurs qui ont contribué au bouleversement de l'économie du contrat, l'indemnité d'imprévision ne pouvant venir qu'en compensation de la part de déficit liée aux circonstances imprévisibles ».

Cependant, le Conseil d'État relève un obstacle procédural. En effet, si, sur ce point, le jugement du tribunal administratif est définitif en ce  qu'il « a prononcé la résiliation du contrat en raison d'un bouleversement de l'économie du contrat résultant d'un déficit d'exploitation ayant pour origine la surestimation par l'État  du volume de fret transporté » et si, normalement, « l'autorité de chose jugée s'étend non seulement au dispositif d'une décision, mais également aux motifs qui en sont le soutien nécessaire », la cour n'a pas, en l'espèce, violé l'autorité de chose jugée contrairement à ce que soutient la requérante. Il n'y avait pas d'identité d'objet entre les deux décisions de justice : le tribunal administratif a statué sur la demande de la société Alliance qui portait alors sur la résiliation de la convention de délégation de service public, tandis que la cour était saisie, par cette dernière, d'une demande de condamnation de l'État à lui verser une indemnité au titre de l'imprévision. Par suite, la cour a bien statué dans les limites de la demande dont elle était saisie et c'est sans erreur de droit ou dénaturation qu'elle rejeté l'action de la société Alliance tendant au versement d'une indemnité au titre de l'imprévision car elle a estimé que la baisse du trafic n'était pas principalement à l'origine des déficits d'exploitation de la société requérante. 

Par ailleurs, examinant le principal du litige, le juge donne raison à la cour d'avoir estimé qu'une diminution du fret de 16% par rapport à ce qui était prévu ne pouvait pas être à l'origine des déficits d'exploitation dont la société Alliance faisait état, lesquels devaient être regardés comme étant largement la conséquence de l'état de fragilité financière initiale de la société. En conséquence, est écarté le régime de l'imprévision car, d'une part, la cause des difficultés rencontrées n'était ni imprévisible ni extérieure à l'action de la société cocontractante, et d'autre part, celles-ci n'étaient pas davantage imprévisibles du fait des conditions contractuelles connues depuis la conclusion du contrat. En bref, dès lors que les éléments imprévisibles n'étaient pas principalement à l'origine du déficit d'exploitation, ne saurait jouer la théorie de l'imprévision.

(21 octobre 2019, Société Alliance, n° 419155 ; sur cette affaire, v. aussi plus bas au n° 83 : 21 octobre 2019, Société Alliance, n° 419153)

 

20 - Tiers au contrat administratif – Impossibilité pour le tiers de se prévaloir des stipulations du contrat – Exception s'agissant des clauses réglementaires du contrat – Avenant portant transaction – Recours du tiers impossible contre cet avenant – Annulation avec renvoi.

Réitération d'une position jurisprudentielle aussi constante (au moins depuis 15 février 1961, Goumy, Rec. 1092) que discutable (la jurisprudence de la Cour de cassation est d'ailleurs en sens rigoureusement contraire : Ass. plén. 6 octobre 2006, Consorts X. c/ Société Myr'Ho, D. 2006 p. 2825, note G. Viney ; Civ. 1ère, 28 septembre 2016, D. 2017 p. 341, note C. Lachèze. Dans le cas d'une transaction, voir : Civ. 1ère, 25 février 2003, SA Entreprise Rénier et SA Les Pierres de Frontenac, Bull. civ. I, n° 60) : Le tiers à un contrat administratif ne peut se prévaloir que des seules clauses réglementaires de ce contrat. C'est donc par une erreur de droit qu'une cour administrative d'appel juge qu'un groupement de maîtrise d'œuvre et le mandataire du maître d'ouvrage sont fondés à se prévaloir d'un avenant transactionnel au marché conclu entre l'État et ce mandataire comportant une clause par laquelle cette société avait renoncé à toute réclamation. L'arrêt est cassé sur ce point.

(21 octobre 2019, Société Coopérative Métropolitaine d'Entreprise Générale (CMEG), n° 420086)

 

21 - Marchés de travaux – Appel d'offres ouvert – Entreprise retenue mise postérieurement en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire avec cession à un repreneur – Entreprise repreneuse se présentant comme le successeur de celle-ci – Possibilité de compléter une candidature mais non de présenter une candidature nouvelle – Contrat irrégulier – Absence de nullité du contrat – Rejet et annulation partielle de l'arrêt d'appel.

Parmi les diverses questions soulevées dans cet arrêt, sera retenue celle relative au sort devant être fait à l'entreprise placée en redressement judiciaire après qu'a commencé la procédure d'examen des offres dans le cadre d'un marché.

Il résulte de la combinaison de diverses dispositions de l'ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics (art. 8, 3°; art. 38) et de dispositions du code des marchés publics (art. 43, 45, I de l'art. 52, I et I de l'art. 53) que les entreprises placées en redressement judiciaire sont tenues de justifier, lors du dépôt de leur offre, qu'elles sont habilitées, par le jugement prononçant leur placement dans cette situation, à poursuivre leurs activités pendant la durée d'exécution du marché, telle qu'elle ressort des documents de la consultation.

Dans l'hypothèse où l'entreprise candidate à l'attribution d'un marché a été placée en redressement judiciaire après la date limite fixée pour le dépôt des offres, elle doit en informer sans délai le pouvoir adjudicateur, lequel doit alors vérifier si l'entreprise est autorisée à poursuivre son activité au-delà de la durée d'exécution du marché et apprécier si sa candidature reste recevable. Il s'ensuit que faute que l'entreprise ait été expressément autorisée à continuer son activité, le pouvoir adjudicateur ne peut poursuivre la procédure avec cette société.

Lorsqu'il est soutenu devant lui que le placement en redressement judiciaire de l'entreprise, que celui-ci ait été prononcé avant l'engagement de la procédure du marché ou après le dépôt de son offre, affecte la recevabilité de sa candidature, il appartient au juge d'apprécier si cette candidature est recevable et d'annuler, le cas échéant, la procédure au terme de laquelle l'offre de l'entreprise aurait été retenue par le pouvoir adjudicateur.

Appliquant ces principes à la présente affaire, le Conseil d'État raisonne en trois propositions.

1°/ La faculté offerte aux candidats par le pouvoir adjudicateur de compléter leur candidature (cf. I de l'art. 52 CMP), a pour seul objet de permettre aux candidats de compléter leur dossier avant l'examen des candidatures dans le cas où des pièces seraient absentes ou incomplètes. En revanche, elle n'a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de permettre à un opérateur économique qui reprend une partie des actifs d'un candidat dont la candidature avait été regardée comme ne présentant pas les capacités suffisantes pour exécuter le marché et qui a été placé en liquidation judiciaire à la suite d'un plan de cession, de participer à la procédure de passation d'un marché public alors qu'il n'avait pas lui-même présenté de candidature.

2°/ En l'espèce, le plan de cession arrêté par le jugement du tribunal de commerce a accordé à la société repreneuse, au titre des éléments incorporels inclus dans le périmètre de la cession, le « droit de se présenter comme successeur de la société » mise en liquidation judiciaire. C'est dans ces conditions que la procédure entamée a été continuée avec le repreneur. Mais ce dernier a présenté sa candidature dans le cadre d'une simple prorogation du délai de remise de pièces complémentaires relatives aux candidatures déjà déposées. Ce n'était pas possible car la candidature de cette dernière ne peut être assimilée à celle de l'entreprise liquidée. De plus, relève le juge, « les capacités professionnelles, techniques et financières de la société (repreneuse) au regard desquelles sa propre candidature aurait dû être examinée par la commune de Chaumont si elle avait été présentée avant (la date limite pour le dépôt des offres), ne se confondent pas avec celles de la société liquidée ». Il suit de là que c'est sans erreur de droit que la cour d'appel a estimé que le contrat conclu par la commune avec la société repreneuse était nul.

3°/ Divergeant sur ce point de l'avis de la cour, le Conseil d'État estime que « ce vice, en l'absence de circonstances particulières, et notamment d'éléments révélant une volonté de la commune de favoriser cette société, n'est pas d'une gravité telle qu'elle implique que soit prononcée l'annulation du contrat ».

(21 octobre 2019, Commune de Chaumont, n° 416616)

 

22 - Communication de documents relatifs à un marché public – Jugement ordonnant cette communication sous réserve d'occultation liés au secret – Sursis à l'exécution du jugement – Jugement susceptible de produire des effets irréversibles – Jugement entaché d'erreur de droit – Sursis à exécution ordonné jusqu'au jugement du pourvoi.

(23 octobre 2019, Syndicat mixte Haute-Saône numérique (SMHSN), n° 433474) V. au n° 4

 

Droit fiscal et droit financier public

 

23 - Créances publiques – Champ d’application de l’art. 2224 du code civil – Prescription des actions en recouvrement des créances publiques et prescription d’assiette de telles créances – Maintien par le Code civil (art. 2223) des règles spéciales de prescription prévues par d’autres lois – Rejet.

Dans un litige en restitution d’une participation pour non-réalisation d’aires de stationnement, le Conseil d’État décide que la règle de prescription quinquennale fixée par l’art. 2224 du Code civil, qui est le droit commun, s’applique, en matière de créances publiques, aussi bien à la prescription des actions en recouvrement des créances publiques que, contrairement à ce qui avait été jugé en appel, à la prescription d’assiette de telles créances. Toutefois, l’art. 2223 du même Code fait la réserve des prescriptions de durées spéciales instituées par des textes spécifiques. Tel est le cas en l’espèce, où la règle de la prescription quadriennale est rappelée, dans le cas de la participation litigieuse, à l’art. R. 332-21 du code de l’urbanisme pris en application de l’art. L. 421-3 de ce code.

L’erreur de droit commise par la cour est « couverte » par l’exception énoncée à l’art. 2223 du Code civil, d’où le rejet du pourvoi formé par la commune.

(4 octobre 2019, Commune de Saint-Pierre, n° 418224)

 

24 - Contribution annuelle au titre de l’emploi de personnes handicapées – Taux insuffisant – Majoration de la contribution – Émission d’un titre exécutoire – Mentions et informations devant être portées sur un tel titre – Incomplétude en l’espèce – Irrégularité pour défaut d’indication des bases de liquidation de la dette – Rejet.

Rappel de ce que la régularité d’un titre exécutoire est strictement subordonnée à l’obligation d’indiquer les bases de liquidation de la dette. Ceci implique pour l’administration d’indiquer, soit dans le titre lui-même, soit par référence précise à un document joint à l'état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur, les bases et les éléments de calcul sur lesquels elle se fonde pour mettre les sommes en cause à la charge de ce débiteur.

Par ailleurs, bien que ces exigences ne soient expressément prévues - par l’art. 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique - que pour certaines personnes publiques seulement, elles s’appliquent à tout créancier public émettant un tel titre ou état exécutoire.

(4 octobre 2019, Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, n° 419162)

 

25 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Exonération des bâtiments agricoles – Notion d'activité agricole – Cas de l'exploitation des marais salants – Exclusion – Assujettissement à la taxe – Annulation du jugement contraire sans renvoi.

Les bâtiments de la Société coopérative agricole Les Salines de Guérande servent au tamisage et au stockage du sel récolté dans les marais salants de Guérande. Ils ont fait l'objet d'un assujettissement à la taxe foncière sur les propriétés bâties. Le tribunal administratif, saisi d'un recours, a jugé que les bâtiments servant aux activités agricoles étant exonérés de cette taxe, les bâtiments affectés à l'exploitation des marais salants devaient également en être exonérés.

Sur pourvoi du ministre, le Conseil d'État annule ce raisonnement en se fondant sur la notion d'activité agricole telle qu'elle résulte de l'art. L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime :

« Sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation. Les activités de cultures marines sont réputées agricoles, nonobstant le statut social dont relèvent ceux qui les pratiquent. (...) ». Or le juge relève que l'activité salicole ne correspondait pas à la maîtrise et l'exploitation d'un cycle biologique animal ou végétal au sens des dispositions précitées ; par ailleurs, il ne résulte d'aucune disposition spécifique que les bâtiments liés aux marais salants seraient exonérés de cette taxe. Le tribunal administratif, en jugeant le contraire, a commis une erreur de droit.

Le Conseil d'État  estime sans effet sur cette question la circonstance que l'activité salicole relève des bénéfices agricoles ou que l'article 1450 du code général des impôts exonère «  les exploitants agricoles, y compris les propriétaires ou fermiers de marais salants » de la cotisation foncière des entreprises ou encore que diverses pratiques administratives assimilent, notamment en matière sociale, les paludiers à des agriculteurs, parce que, rappelle-t-il, « les exonérations fiscales sont d'interprétation stricte »

(24 octobre 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 424077)

 

26 - Apport partiel d’actif d’une société à une autre – Solidarité entre société apporteuse et société bénéficiaire – Société débitrice solidaire d’un impôt – Intérêt lui conférant qualité pour contester le bien-fondé de l’impôt – Rejet.

C’est une question de procédure contentieuse qui est à l’origine de ce litige fiscal. Une société apporte sa branche d’activité « distribution », qui comprend notamment un immeuble à usage d’habitation, à une autre société. La société apporteuse demande la réduction de la taxe professionnelle établie au nom de la société bénéficiaire pour cet établissement au titre de l'année 2009. Cela lui ayant été refusé, elle saisit le tribunal administratif qui lui donne gain de cause, puis, sur appel du ministre des comptes publics, la cour administrative d’appel n’accorde qu’une réduction partielle de la taxe litigieuse.

Le ministre se pourvoit car il estime que la cour a commis une erreur de droit en écartant la fin de non-recevoir qu'il avait opposée à la demande de la société apporteuse, tirée de l'absence de qualité pour agir de cette dernière. Son recours en cassation est rejeté.

Le Conseil d’État considère qu’en cas d’apports partiels d’actifs dans les conditions prévues aux art. L. 236-16 à L. 236-21 et L. 236-22 du code de commerce, la société apporteuse reste, sauf cas particulier (art. L. 236-21 dudit code), solidairement obligée avec la société bénéficiaire au paiement des dettes transmises à cette dernière.

De là découle cette conséquence que les deux sociétés, l’apporteuse et la bénéficiaire de l'apport, deviennent débitrices solidaires des impositions relatives à la branche d'activité concernée dont le fait générateur est intervenu antérieurement à la réalisation de l'opération d'apport, bien que la société apporteuse conserve seule la qualité de redevable légal de ces impositions.

En l’espèce, la société apporteuse justifie donc bien d'un intérêt lui conférant qualité pour contester, dans la limite des sommes dont elle peut être déclaré redevable au titre de cette solidarité, le bien-fondé de cet impôt.

C’est donc vainement que le ministre demandeur au pourvoi a invoqué une prétendue erreur de droit qu’aurait commise la juridiction d’appel.

(9 octobre 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 414122)

 

27 - Entreprise sous la dépendance d’une entreprise située hors de France – Inclusion, dans les résultats des comptabilités, des bénéfices indirectement transférés de la première vers la seconde (art. 57 du CGI) – Transformation d’une entreprise de distributeur exclusif à agent commercial – Transfert de clientèle à titre gratuit – Annulation.

Qualifie inexactement les faits du litige la cour administrative d’appel qui, pour dire irrégulière en l’espèce l’application des dispositions de l’art. 57 du CGI, juge que la transformation d’une société située en France de distributeur exclusif en simple agent commercial de la société mère italienne n'avait pas révélé de transfert de clientèle à titre gratuit au bénéfice de cette dernière.

(4 octobre 2019, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 418817)

 

28 - Cotisation foncière des entreprises – Demandes de dégrèvement de la contribution économique territoriale en fonction de la valeur ajoutée et de la taxe foncière – Dégrèvement de la taxe seulement – Silence sur l’autre demande de dégrèvement valant rejet implicite – Imputation des dégrèvements ou des réductions de taxe accordés – Obligation de reversement sauf application de la compensation – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Dans ces trois décisions non jointes le Conseil d’État était saisi de litiges se posant en termes identiques. Il y est jugé, en vertu des dispositions combinées de l’art. 1447-0 du CGI et L. 203 du LPF, que les sommes accordées à un contribuable au titre du plafonnement de sa contribution économique territoriale en fonction de la valeur ajoutée s'imputent sur la cotisation foncière des entreprises due par celui-ci. Dès lors, l'administration peut, en application des dispositions de l'article L. 203 du LPF, effectuer ou demander, pour une année donnée, la compensation entre la réduction de cette cotisation qu'un contribuable demande et le reversement de celles des sommes précitées qui lui ont été indûment restituées. En revanche, les dispositions du III de l’art. 1647 B sexies du CGI, si elles imposent à l'administration de diminuer le montant de la cotisation foncière des entreprises due par un contribuable, par imputation, du montant du dégrèvement qui lui est accordé au titre du plafonnement de sa contribution économique territoriale en fonction de la valeur ajoutée, ne lui permettent pas de diminuer le montant de la réduction de cotisation foncière des entreprises dont peut bénéficier le même contribuable à la suite d'une révision à la baisse de ses bases d'imposition, par une telle imputation, des sommes qui lui ont été restituées au titre du dégrèvement accordé en raison du plafonnement de la contribution économique territoriale mais qui n'auraient pas dû l'être compte tenu de cette révision de base. En effet, sauf s'il y a compensation en application des dispositions de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales, ces sommes ne peuvent donner lieu qu'à une procédure de reversement dans les conditions fixées par le V de l'article 1647 B sexies précité.

C’est donc par suite d’une erreur de droit que la cour administrative d’appel a cru pouvoir juger qu'après cette révision de bases, la cotisation foncière laissée à la charge de la société était devenue inférieure au plafonnement en fonction de la valeur ajoutée, et que, par suite, l'administration fiscale avait pu, à bon droit imputer, en application du III de l'article 1647 B sexies du CGI, le dégrèvement qui lui avait été accordé à ce titre sur le montant du second dégrèvement qu'elle sollicitait. En effet, elle aurait dû rechercher si l'administration pouvait procéder à une compensation sur le fondement des dispositions de l'article L. 203 du LPF précité.

(4 octobre 2019, Société Pâtisserie Pasquier Etoile, n° 421989 ; v. aussi, du même jour avec même solution : Société d'Exploitation des Remontées Mécaniques de Morzine Avoriaz (SERMMA), n° 421991 et n° 421992)

 

29 - Agent général d’assurances – Prestations dispensées de la TVA – Prestations devant être liées à la nature même du métier de courtier ou d'intermédiaire d'assurance – Absence – Assujettissement à bon droit à la TVA – Rejet.

Il résulte de dispositions du CGI (art. 259 B, 274 à 277 A et 261 C) combinées avec l’interprétation donnée par la CJUE (17 mars 2016, (C-40/15), Minister Finansów c/ Aspiro SA) de l’art. 135, § 1, a) de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA,  que sont exonérées de TVA les prestations de services afférentes à des opérations d'assurance effectuées par les courtiers et les intermédiaires d'assurance lorsqu’elles sont liées à la nature même du métier de courtier ou d'intermédiaire d'assurance, lequel consiste en la recherche de clients et la mise en relation de ceux-ci avec l'assureur, en vue de la conclusion de contrats d'assurance et que, s'agissant d'un sous-traitant, il importe que celui-ci participe à la conclusion de contrats d'assurance.

En l’espèce, c’est à bon droit qu’a été assujetti à la TVA un agent général d'assurances à raison des  prestations de service facturées à son cabinet par une société de droit marocain qui n’effectuait aucune recherche de clients au profit du demandeur, qui ne disposait pas de la liberté de choix de l'assureur et qui fournissait des services tels que l'appel automatique des clients, programmé informatiquement à partir des fichiers transmis par le contribuable, et la fourniture, à ce dernier, des informations nécessaires à l'émission du contrat d'assurance, qui était signé au nom de celui-ci pour le compte de la compagnie d'assurance.

(9 octobre 2019, M. X., n° 416107)

 

30 - Plus-values de cession de droits sociaux – Cas des gains nets de cession à titre onéreux réalisés par un dirigeant de société – Départ à la retraite – Régime spécial d'imposition (art. 150-0 D ter CGI) – Conditions de mise en œuvre – Erreur de droit – Cassation avec renvoi à la cour administrative d'appel.

L'art. 150-0 D bis du CGI institue un abattement pour détention de longue durée de titres de société. L'art. 150-0 D ter du CGI applique l'abattement ainsi prévu aux gains nets réalisés lors de la cession à titre onéreux d'actions, de parts ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts, acquis ou souscrits avant le 1er janvier 2006, dès lors que sont remplies certaines conditions. En particulier, peut en bénéficier le cédant qui cesse « toute fonction dans la société dont les titres sont cédés et (fait) valoir ses droits à la retraite dans les deux années suivant ou précédant la cession ».

Le Conseil d'État interprète très logiquement cette disposition comme s'appliquant au cédant ayant fait valoir ses droits à la retraite au cours d'une période de quatre ans courant de deux années avant la cession à deux années après celle-ci. Il en déduit donc que ces dispositions « n'imposent ni que la cessation de fonction intervienne avant la mise à la retraite ou inversement, ni que ces deux événements interviennent tous deux soit avant, soit après la cession, ni enfin qu'ils se succèdent dans un délai plus rapproché que la période de quatre années précédemment indiquée ».

En l'espèce, l'intéressé, président de la société X.,  a cédé la totalité de ses titres au sein de celle-ci le 8 décembre 2010 alors qu'il avait fait valoir ses droits à la retraite le 1er janvier 2009 puis a conclu le 3 janvier 2011 un contrat de travail avec la société VCF Lyon aux termes duquel il devait poursuivre ses fonctions de directeur de la société X., ensuite celles de directeur commercial de cette même société, tout au long de l'année 2011, ce contrat étant en outre assorti de la conclusion le même jour d'une convention de prêt de main d'œuvre entre la société VCF Lyon et la société X. par laquelle les salaires, frais et charges relatifs au requérant étaient refacturés à cette dernière. Or  la cour administrative d'appel avait jugé, commettant ainsi une erreur de droit, qu'il ne pouvait pas bénéficier de l'abattement pour durée de détention prévu à l'article 150-0 D ter du CGI pour le calcul de la plus-value de cession de titres au motif qu'il n'avait pas cessé toute fonction au sein de la société X. au terme du délai de deux ans suivant son admission à la retraite, alors que le seul délai susceptible d'être opposé devait être apprécié au regard de la date de cession des titres.

L'arrêt est, sans surprise, cassé et l'affaire renvoyée à la cour.

(16 octobre 2019, M. et Mme X., n° 417364)

 

31 - Taxe à la valeur ajoutée (TVA) – Droit à déduction de l'assujetti à la TVA – Refus de l'administration – Opérateur assujetti sachant ou devant savoir qu'il participait à une fraude à la TVA – Obligation de diligence à la charge de l'opérateur – Charge de la preuve – Cassation avec renvoi de l'arrêt d'appel.

La société requérante, spécialisée dans le courtage des quotas d'émission de gaz à effet de serre, fait l'objet d'un important rappel de TVA, l'administration ayant remis en cause son droit à déduction de la TVA figurant sur les factures émises par seize sociétés auprès desquelles elle a acquis des quotas d'émission en raison de ce que ces dernières ont commis des fraudes.

La question était donc de savoir quelles diligences aurait dû opérer la société pour échapper à la remise en cause de son droit à déduction de TVA.

L'administration fiscale, confortée par les jugement et arrêt rendus dans cette affaire, soutenait que la contribuable savait ou aurait dû savoir qu'elle participait, même à son insu, à un concert frauduleux, d'où le rejet de son droit à déduction de TVA.

Selon le droit de l'UE (art. 17 de la directive du 17 mai 1977 repris à l'art. 168 de la directive du 28 novembre 2006) et le droit national transposant ces textes (art. 271, I, a) et II, 1) du CGI), le bénéfice du droit à déduction de TVA doit être refusé à un assujetti lorsqu'il est établi, au vu d'éléments objectifs, que celui-ci savait ou aurait dû savoir que, par l'opération invoquée pour fonder ce droit, il participait à une fraude à la TVA commise dans le cadre d'une chaîne de livraisons ou de prestations (CJUE, 8 décembre 2014, Staatssecretaris van Financiën c/ Schoenimport " Italmoda " Mariano Previti vof et Turbu.com BV, Turbu.com Mobile Phone's BV (C-131/13, 163/13 et 164/13) ). La CJUE s'est également prononcée sur le comportement attendu de l'opérateur auquel sont présentées des facturations frauduleuses (6 juillet 2006, Axel Kittel et Recolta Recycling SRPL (C-439/04 et C-440/04)). En bref, pour ne pas perdre son droit à déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont, il faut que celui-ci ait pris toute mesure pouvant raisonnablement être exigée de lui pour s'assurer que ses opérations ne sont pas impliquées dans une fraude, qu'il s'agisse de la fraude à la TVA ou d'autres fraudes. A contrario et en revanche, un assujetti qui savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA, doit être considéré comme participant à cette fraude, indépendamment de la question de savoir s'il tire ou non un bénéfice de la revente des biens, dès lors que, dans une telle situation, l'assujetti devient complice de la fraude.

De là le Conseil d'État tire les indications suivantes.

En premier lieu,  « l'administration fiscale ne peut exiger de manière générale de l'assujetti souhaitant exercer le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, d'une part, qu'il vérifie que l'émetteur de la facture correspondant aux biens et aux services au titre desquels l'exercice de ce droit est demandé dispose de la qualité d'assujetti, qu'il disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu'il a rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la taxe, afin de s'assurer qu'il n'existe pas d'irrégularités ou de fraude au niveau des opérateurs en amont, ou, d'autre part, qu'il dispose de documents à cet égard ».

En second lieu, « un opérateur avisé peut, en revanche, lorsqu'il existe des indices permettant de soupçonner l'existence d'irrégularités ou de fraude, se voir contraint de prendre des renseignements sur un autre opérateur auprès duquel il envisage d'acheter des biens ou des services afin de s'assurer qu'il s'est acquitté de ses obligations fiscales (cf., en ce sens : CJUE, 21 juin 2012, Mahagében kft (C-80/11)). Lorsque les indices permettent de soupçonner une méconnaissance, par un fournisseur de biens ou un prestataire de services, de ses obligations de déclaration ou de paiement de la TVA, il appartient ainsi à l'assujetti qui a acquis certains de ces biens ou services, pour les céder à son tour, de s'assurer qu'en ce qui concerne ces biens et services, son fournisseur ou son prestataire s'est acquitté de ses obligations ».

La conséquence de tout cela est, pour l'administration fiscale, qu'elle a l'obligation de prouver par des éléments objectifs que l'assujetti savait ou aurait dû savoir que l'opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude. Cette obligation est particulièrement lourde lorsque, comme au cas de l'espèce, sont en cause des opérations similaires réalisées par des sociétés différentes pendant une courte période, puisqu'en cette hypothèse ces éléments objectifs probants doivent porter sur chacune de ces sociétés, qu'il s'agisse de l'existence de la fraude reprochée, des indices permettant à l'assujetti mis en cause de la soupçonner ou encore des mesures qui peuvent raisonnablement être exigées. 

Appliquant ce vade-mecum au litige dont il était saisi le Conseil d'État  juge que la cour a méconnu les règles présidant à la charge de la preuve car, d'une part, elle s'est bornée à se référer aux mentions de la proposition de rectification au seul motif que ces dernières faisaient foi jusqu'à preuve du contraire dès lors qu'elles avaient été établies par un agent assermenté et a estimé, au surplus, que seule la société requérante était susceptible d'établir que les seize sociétés précitées avaient déclaré et payé la taxe qu'elles lui avaient facturée. D'autre part, la cour n'a pas analysé séparément, comme elle le devait, ainsi qu'il résulte des indications qui précèdent, la situation de chacune des seize sociétés concernées.

(14 octobre 2019, Société Consus France, n° 421925)

 

32 - Comptables publics – Détournement de fonds commis par le régisseur d’un opéra – Condamnation des comptables pour fautes ou négligences caractérisées dans l’exercice de leur fonction de contrôle – Absence de vices de procédure – Caractère régulier du fondement légal de la poursuite – Sanctions justifiées au fond – Rejet.

Suite à des détournements de fonds commis par le régisseur d’un opéra, les comptables publics sont condamnés à verser d’importantes sommes du chef de fautes ou négligences dans l’exercice de leurs fonctions de contrôle du maniement des deniers publics. Leurs condamnations par la chambre régionale ont été, pour l‘essentiel, malgré l’annulation de son jugement, confirmées par la Cour des comptes. Ces comptables et leur ministre de tutelle se pourvoient : leurs recours, joints, sont rejeté en tous chefs de demandes.

Ce sont surtout des moyens de procédure qui étaient soulevés la matérialité des faits reprochés n’étant pas sérieusement contestable.

Le Conseil d’État rappelle à nouveau que la règle d’imparité dans la composition d’une formation juridictionnelle n’est pas un principe général et qu’elle n’existe pas sans texte l’imposant.

Aucune disposition n’impose à la Cour des comptes de répondre spécifiquement aux observations orales présentées à l’audience par l’un des prévenus en sus de ses observations écrites figurant à la procédure.

Pareillement, ne peuvent être retenus les moyens critiquant le jugement de la chambre régionale ou son utilisation par la Cour dès lors que celle-ci l’a annulé.

Il est également rappelé que le juge des comptes ne peut fonder les décisions qu'il rend dans l'exercice de sa fonction juridictionnelle que sur les griefs retenus par le ministère public dans son réquisitoire introductif d'instance et, le cas échéant, dans un réquisitoire supplétif, comme susceptibles de fonder une charge à l'encontre du comptable concerné.

Enfin, contrairement à ce que soutenaient les demandeurs à la cassation, c’est bien sur les dispositions du III de l’art. 60 de la loi du 23 février 1963, de finances pour l’année 1963, que le ministère public près la Cour et la Cour elle-même se sont fondés, pour le premier, pour préconiser les condamnations et, pour la seconde, pour entrer en voie de condamnation.

(9 octobre 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 416814 ; M. X., n° 416894)

 

33 - Cotisation foncière des entreprises et taxe sur les chambres de commerce et d’industrie – Exonération (art. 1459 CGI) – Cas des locaux loués dans un immeuble où se trouve également l’habitation personnelle du loueur – Chambres d’hôtes – Condition du dégrèvement – Cassation partielle et renvoi à la C.A.A. dans cette mesure.

Une personne loue des chambres d’hôtes dans son habitation personnelle. Elle demande et obtient de la cour administrative d’appel l’exonération de la cotisation foncière des entreprises et de la taxe sur les chambres de commerce et d’industrie à raison de la partie louée en application des dispositions du b) du 3° de l’art. 1459 CGI. Le Conseil d’État, faisant une lecture très restrictive du texte, aperçoit une erreur de droit car la cour n’a pas recherché si la contribuable utilisait ou non ces locaux à titre personnel en dehors des périodes de location.

La seule classification en chambres d’hôte ne suffit pas à faire échapper les locaux concernés à cet impôt.

(9 octobre 2019, Mme X., n° 417676)

 

34 - Taxe sur la valeur ajoutée – Régularisation globale (5° du 1 du III de l’art. 207 de l’annexe II au CGI) – Subordination à la réalisation certaine de la désaffectation d’une immobilisation – Absence en l’espèce – Erreur de droit à admettre la régularisation globale – Cassation avec renvoi.

La société requérante a cessé son activité de production de matières plastiques et cédé ses actions en vue d’une entreprise qui, s’engageant à ne pas reprendre l’activité industrielle précédente et à dépolluer le site, l’affecte à des entreprises de protection de l’environnement, de production d’énergies renouvelables et de valorisation des déchets. L’administration, après contrôle, a effectué des rappels de TVA car elle estimait nécessaire une régularisation globale, conformément aux dispositions du 5° du 1 du III de l’art. 207 de l’annexe II au CGI. Contestant ces rappels, la société a saisi en vain les juges du fond et se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État tire de cette disposition la règle selon laquelle « Une entreprise n'est tenue de procéder à la régularisation globale prévue par les dispositions précitées (…) qu'à compter de l'évènement qui caractérise de façon certaine la désaffectation définitive d'une immobilisation à la réalisation d'opérations taxables ».

En l’espèce, il constate qu’à partir du mois de mars 2008 il a été procédé à la mise en sécurité du site de production, dans l'attente de son démantèlement et de sa dépollution. Cependant, si les biens immobilisés de la société ont cessé, à cette date, d'être utilisés pour les besoins de son activité industrielle, ils étaient destinés à être soit détruits, soit cédés, soit transformés dans le cadre de la réaffectation des terrains à un nouvel usage. Dans ces circonstances, la conservation, au cours de l'année 2008, des biens immobiliers dans le patrimoine de la société dans l'attente de l'engagement des opérations de démantèlement, ne constituait pas un événement de nature à entraîner la régularisation globale de la taxe ayant grevé leur acquisition. 

Ainsi, la cour, qui s’est par ailleurs méprise sur la base légale ici applicable, a commis une erreur de droit en considérant que  « la taxe initialement déduite devait faire l'objet d'une régularisation globale dès 2008 (…) aux motifs, d'une part, que ces biens avaient cessé d'être utilisés pour l'activité de production de matières plastiques et, d'autre part, qu'il n'était pas justifié qu'ils auraient été, au cours de cette période, réaffectés à la réalisation d'autres opérations imposables ». 

(9 octobre 2019, Société Industrial et Environnemental Platform, n° 418100)

 

35 - Impôt sur les sociétés – Actions en usufruit – Renonciation à l'usufruit – Absence de cession à titre gratuit – Accroissement corrélatif de l'actif net – Conséquences fiscales pour la société – Annulation de l'arrêt d'appel sans renvoi.

Une société par actions détient la nue-propriété des actions tandis que leur usufruit appartient à une personne physique. Celle-ci renonce à l'usufruit viager qu'elle détenait sur ces actions. Comment qualifier fiscalement cette opération ?

L'administration fiscale, en imposant un supplément d'impôt sur les sociétés du chef de cette renonciation à l'usufruit, et les juges du fond, saisis d'un recours contre cette décision, y ont vu une cession d'actions. Se fondant sur les dispositions pertinentes du Code civil (notamment les art. 578, 595, 617, 621 et 622) telles qu'interprétées par une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le Conseil d'État condamne cette interprétation : l'extinction volontaire de l'usufruit par la renonciation du bénéficiaire à se prévaloir de celui-ci ne vaut pas cession à titre gratuit de l'usufruit. Cet acte a donc pour effet d'entraîner la reconstitution de la pleine propriété des actions entre les mains du nu-propriétaire avant le terme normal de l'usufruit et il se traduit donc fiscalement par l'acquisition de droits nouveaux par le nu-propriétaire et par un accroissement de l'actif de l'entreprise.

L'impôt sur les sociétés du par la société demanderesse devait donc être déterminé sur la valeur globale des actions telles qu'elles devaient désormais être inscrites à son actif net. C'est à bon droit que l'administration a tenu compte de cette valeur pour l'établissement du supplément d'impôt sur les sociétés.

(14 octobre 2019, Société Techmeta Participations, n° 417095)

 

36 - Créance résultant d'une décision de justice passée en force de chose jugée – Recouvrement d'office d'une telle créance (art. 1, IV, loi du 16 juillet 1980) – Régime applicable au cas des sections de communes – Mise en demeure d'émettre l'état de recouvrement devant être adressée au maire de la commune – Rejet.

L'art. 1er, point IV, de la loi du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public, dispose  : « L'ordonnateur d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public local est tenu d'émettre l'état nécessaire au recouvrement de la créance résultant d'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée dans le délai de deux mois à compter de la date de notification de la décision de justice (...) ».

Un jugement ayant annulé la délibération par laquelle un conseil municipal a réparti les produits de la vente des coupes de bois intervenues en 2010 entre les ayants-droit affouagistes des différentes sections de commune, se posait la question de la procédure à suivre pour le recouvrement des créances sur les sections de communes. Bien que celles-ci constituent des personnes morales de droit public, c'est au maire de la commune à laquelle sont rattachées lesdites sections, en sa qualité d'ordonnateur, que le préfet doit adresser la mise en demeure d'émettre l'état nécessaire au recouvrement correspondant.

C'est ce qui a été fait en l'espèce, ce qui conduit au rejet du recours qui soutenait que cette mise en demeure devait être adressée aux sections de commune.

(14 octobre 2019, Commune de Chambon-sur-Dolore, sections de commune de Malvieille, de l'Hôpital, de Les Ayes, de La Mas, de Frideroche, M. X. et autres, n° 425645)

 

Droit public économique

 

37 - Transfert au secteur privé d'une participation publique majoritaire au capital d'une société – Aéroport de Toulouse-Blagnac (ATB) – Ouverture du pourvoi en cassation – Offre conjointe – Absence d'exigence de pérennité des participants à l'offre – Action en qualité de mandataire du chef de file – Absence d'effets – Annulation de l'arrêt d'appel.

De cette importante affaire qui illustre les péripéties de cessions d'aéroports au secteur privé, on ne retiendra que les points suivants.

En premier lieu, sont rappelés, d’abord, le principe constant selon lequel « la voie du recours en cassation n'est ouverte, en vertu des règles générales de la procédure, qu'aux personnes qui ont eu la qualité de partie dans l'instance ayant donné lieu à la décision attaquée », ensuite la notion de partie à l'instance devant les juges du fond  : cette dernière est la personne qui a été invitée par la juridiction à présenter des observations et qui, si elle ne l'avait pas été, aurait eu qualité pour former tierce opposition contre la décision rendue par les juges du fond. En l'espèce, la société qui a été appelée par la cour administrative d'appel à présenter des observations dans l'instance avait, en sa qualité d'acquéreur de la participation litigieuse, des intérêts propres à défendre dans le litige portant sur la contestation de la cession ; elle ne pouvait donc pas, en conséquence, être regardée comme ayant été représentée par le ministre de l'économie et des finances dans l'instance ayant statué sur ce litige. Par suite, faute pour la cour de l'inviter à présenter ses observations, elle aurait eu intérêt à former tierce opposition contre l'arrêt de la cour. 

En deuxième lieu, la cour avait estimé, interprétant les dispositions du cahier des charges, que le consortium constitué pour présenter une offre conjointe devait rester de composition inchangée jusqu'au dépôt de l'offre ferme. Elle en avait déduit qu'une modification des candidatures en cours de processus était interdite. C'est pourquoi elle avait jugé que le ministre chargé de l'économie, en agréant l'offre ferme présentée par le consortium en dépit des changements intervenus dans sa composition, avait méconnu les dispositions du cahier des charges. Le Conseil d'État estime, au contraire, « qu'aucune des règles fixées par le cahier des charges n'imposait aux participants à une offre conjointe de regrouper les mêmes entités tout au long de la procédure à l'exception de son chef de file ». D'où l'annulation de l'arrêt sur ce point pour erreur de droit.

En troisième lieu, est également rejetée l'argumentation tirée de ce que la privatisation d'ATB devait être précédée de l'information et de la consultation du comité d'entreprise sur les objectifs de la privatisation et sur ses répercussions quant à l'organisation juridique, économique et sociale de l'entreprise. En effet, l'ordonnance du 20 août 2014 (art. 2,7 II) combinée avec ce qui était alors les art. L. 2323-6 et L. 2323-19 du code du travail, prévoit que le choix des acquéreurs et les conditions de cession sont arrêtés par une autorité de l'État , sur avis conforme de la commission des participations et des transferts. Elle exclut donc par-là la consultation du comité d'entreprise sur le choix à opérer entre les offres des candidats à l'acquisition.

Enfin, il est rappelé qu'est inopérante la critique par les requérants de la méconnaissance des principes généraux du droit de la commande publique, en particulier des principes de liberté d'accès, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, dès lors que l'opération litigieuse, qui a pour objet la cession d'une participation de l'État au capital d'une société, ne relève pas du champ de la commande publique.

(9 octobre 2019, Ministre de l'économie et des finances, n° 430538 ; (SAS) Casil Europe, n° 431689)

 

38 - Vins d'appellation d'origine contrôlée (AOC) – Cahier des charges de l'appellation "Pauillac" – Décision de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) refusant de classer certaines parcelles dans l'aire parcellaire délimitée d'une AOC – Absence d'irrégularité – Rejet.

La Société requérante invoque divers arguments au soutien de ses demandes d'annulation, d'une part, d'un arrêté interministériel, homologué par décret, modifiant le cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée (AOC) " Pauillac " et ne classant pas dans l'aire parcellaire de cette appellation certaines parcelles lui appartenant, et d'autre part, la décision de l'INAO - suite à l'avis du comité national des appellations d'origine relatives aux vins et boissons alcoolisés et des boissons spiritueuses - refusant de proposer le classement dans l'AOC "Pauillac" de certaines de ses parcelles.

Trois points importants sont abordés.

En premier lieu, quant au régime des actes, le Conseil d'État apporte deux précisions : 1°/ les délibérations par lesquelles le comité national compétent de l'INAO propose une modification du cahier des charges ne présentent qu'un caractère préparatoire à l'arrêté homologuant le cahier des charges ainsi modifié, y compris en tant que cette proposition écarte le classement de certaines parcelles de l'aire parcellaire définie par ce cahier des charges.  Par suite est irrecevable un recours contentieux dirigé contre une telle mesure. Étant toutefois rappelé que toute irrégularité entachant ces délibérations peut être invoquée à l'appui du recours dirigé contre l'arrêté d'homologation. 2°/ L'arrêté d'homologation constituant une décision réglementaire et non une décision individuelle il n'est pas soumis à l'obligation de motiver qui ne concerne que les décisions individuelles défavorables (art. L. 211-2 CRPA).

En deuxième lieu, le cahier des charges de l'appellation "Pauillac" décrit les facteurs naturels et humains contribuant au lien avec la zone géographique ; il en résulte que l'autorité administrative pouvait écarter celles des parcelles à classer dès lors qu'elles ne satisfaisaient pas pleinement aux seuls facteurs naturels même si ceux-ci sont à prendre en compte pour la délimitation de l'aire géographique de production.

En troisième lieu, enfin, le juge n'aperçoit pas de parcelles présentées au classement par la SCI requérante qui auraient été illégalement écartées.

(14 octobre 2019, Société civile du Château Lynch-Moussas, n° 417843 ; v. aussi, sur la question, voisine, de la limite à laquelle peut être porté - par le cahier des charges de l'appellation - le titre alcoométrique volumique total du vin classé AOC "Loupiac" après enrichissement par sucrage à sec ou par moût concentré rectifié, la décision de rejet : 21 octobre 2019, Syndicat viticole de Loupiac, n° 420724) 

Dans le même sens, à propos du cahier des charges de l'appellation "Monbazillac", voir : 21 octobre 2019, Fédération des vins de Bergerac et Duras et autres, n° 419050)

 

39 - Aide à la modernisation-mécanisation en zone de montagne – Programme de développement rural 2007-2013 – Achat d'un tracteur – Aides accordées par l'État et par le Fonds européen agricole pour le développement rural au titre du plan de modernisation des bâtiments d'élevage (FEADER - PMBE) – Dépense finale inférieure, par suite d'apports familiaux, à celle initialement envisagée – Décision de réduire les aides – Rejet et annulation très partielle de l'arrêt d'appel.

Un agriculteur obtient, dans le cadre des politiques d'aides de l'État et de l'Union européenne à l'agriculture en zone de montagne, des subventions pour l'achat d'un tracteur ; celles-ci sont calculées sur le prix de vente de l'appareil. En réalité, l'agriculteur bénéficie d'une réduction de prix car il rétrocède au vendeur une presse agricole dont la valeur vient en déduction du prix d'acquisition. De plus, des oncles de l’intéressé supportent une partie du prix. Le préfet a prononcé la déchéance partielle de cette aide et en a exigé la restitution au double motif de l'apport réglé directement au fournisseur par les oncles et de la réduction du prix liée à la cession d'une presse agricole.

Le Conseil d’État estime que si le préfet est fondé à déduire du prix d'achat du tracteur le prix de cession de la presse, il n'est en revanche aucunement fondé à défalquer l'apport avunculaire dès lors que l'intéressé avait produit la facture du tracteur établie à son nom, attestant ainsi du règlement intégral du prix prévu, qu'il était seul propriétaire de cet engin agricole et qu'il n'était pas contesté par l'administration qu'il en était également l'unique exploitant.

L'arrêt d'appel est réformé seulement en tant qu'il n'avait pas déduit du prix d'acquisition du tracteur la valeur de reprise de la presse.

(14 octobre 2019, Ministre de l'agriculture et de l'alimentation, n° 417886)

 

Droit social et action sociale

 

40 - Aides sociales – RMI/RSA – Ouverture des droits au RSA – Âge de la retraite – Possibilité de différer cette ouverture jusqu'au jour de l'obtention d'une retraite à taux plein – Rejet.

On retiendra de cette décision surtout ceci.

En principe, le droit au RSA, dans certaines conditions, est subordonné à l'ouverture du droit à pension de retraite. Toutefois, si, à l'âge où l'intéressé a droit à sa pension celle-ci n'est pas encore à taux plein, il lui est possible de différer la demande du bénéfice du RSA jusqu'à la date où sa retraite pourra lui être versée à taux plein. En revanche, dès ce moment, il a l'obligation, le cas échéant, de solliciter l'allocation du RSA.

(2 octobre 2019, M. X., n° 418930)

 

41 - Conventions collectives – Arrêté portant fusion des champs conventionnels de deux conventions collectives – QPC portant sur l'atteinte, par certaines dispositions du code du travail, aux droits et libertés garantis par la Constitution – Admission du moyen et renvoi au Conseil constitutionnel.

Par un arrêté du 9 avril 2019 la ministre du travail a décidé la fusion de champs conventionnels par le rattachement de la convention collective des artistes-interprètes engagés pour des émissions de télévision (IDCC 1734) à la convention collective de la production audiovisuelle (IDCC 2642). La fédération et le syndicat requérant font valoir que les dispositions des articles L. 2261-32, L. 2261-33 et L. 2261-34 du code du travail portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution en ce qu'elles méconnaissent les principes de la liberté contractuelle et du droit au maintien de l'économie des conventions légalement conclues, de la liberté syndicale, de la " liberté de négociation collective " et de la participation des salariés à la détermination collective de leurs conditions de travail, garantis par les articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 ainsi que par les sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Le Conseil d'État aperçoit là une question nouvelle, applicable au litige et de caractère sérieux. Est ordonné le renvoi de cette QPC au C.C.

(2 octobre 2019, Fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle CGT (CGT spectacle) et syndicat français des artistes-interprètes CGT (SFA-CGT), n° 431750)

 

42 - Pôle emploi – Litiges relatifs aux prestations assurées par Pôle emploi – Compétence pour en connaître – Distinction entre prestations servies au titre du régime d'assurance chômage et prestations servies au titre du régime de solidarité – Régime contentieux des aides créées par Pôle emploi – Régime de la rémunération des formations Pôle emploi – Compétence du juge administratif – Annulation du jugement attaqué et renvoi.

Dans le cadre d'un litige né de ce qu'un bénéficiaire fait opposition à la contrainte délivrée par Pôle emploi pour la récupération de la somme versée par cet organisme audit bénéficiaire au titre de la rémunération formation Pôle emploi, est posée en particulier une délicate question de compétence juridictionnelle pour connaître de ce litige. Seul cet aspect sera retenu ici.

Celui-ci montre quel degré de complexité peuvent atteindre les réécritures partielles de textes, modifications d'organigrammes, changements de structures opérationnelles, le tout sur fond d'indétermination statutaire de l'organisme en cause, à savoir Pôle emploi. Ce dernier est "une institution nationale publique", ce qui ne veut rien dire, chargée - brevitatis causa - du service public de l'emploi.

S'agissant du régime contentieux de ses différentes actions, le législateur, lorsqu'il a remplacé l'ANPE (Agence nationale pour l'emploi) par Pôle emploi, a entendu ne pas modifier la répartition antérieure des compétences juridictionnelles.

D'où le tableau suivant :

1°/ La juridiction judiciaire continue à être compétente pour connaître des litiges relatifs à celles des prestations assurées par Pôle emploi en vertu des textes (par ex. les prestations servies au titre du régime d'assurance chômage).

2°/ La juridiction administrative est compétente, d'une part, pour les litiges concernant les prestations servies au titre du régime de solidarité, et d'autre part, pour ceux concernant toute prestation créée librement par Pôle emploi dans le cadre de ses compétences propres et de sa mission de service public, sous réserve, dans l'un et l'autre cas, que n'est pas en cause la régularité d'un acte de poursuite.

3°/ Nonobstant la circonstance que l'art. L. 6341-11 du code du travail dispose que : « Tous les litiges auxquels peuvent donner lieu la liquidation, le versement et le remboursement des rémunérations et indemnités prévues au présent chapitre relèvent de la compétence du juge judiciaire », la rémunération des formations Pôle emploi se range dans la seconde des catégories exposées au 2°/ ci-dessus et les litiges qu'elle suscite relèvent de la compétence du juge administratif.

Ne devrait-on pas faire plus simple ? Par exemple en décidant que tous les litiges suscités par les décisions de Pôle emploi comme par la réparation des dommages causés par son action, relèvent d'un seul ordre juridictionnel.

Ce disant, nous avons l'impression d'être une vox clamans in deserto...

(21 octobre 2019, Pôle emploi, n° 421250)

 

43 - Polynésie française – Loi du pays comportant des mesures en faveur d'un recrutement préférentiel des salariés de droit privé parmi les résidents en Polynésie – Légalité sous réserve – Annulation très partielle de la loi du pays.

Les organisations requérantes contestent la légalité d'une loi du pays adoptée par le territoire de Polynésie française, dans le souci de favoriser l'embauche des salariés de droit privé parmi les résidents polynésiens. Cette loi a, en conséquence, pris des mesures de discrimination positive sur le fondement de l'art. 18 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française.

En particulier, la loi a prévu que lorsqu'une activité professionnelle, dont la liste est arrêtée chaque année, atteint 10% de recrutements de salariés dont la durée de résidence, appréciée à partir de leur date d'inscription à la caisse de prévoyance sociale, est respectivement de moins de dix, cinq ou trois ans, cette activité peut justifier d'une protection " minimale ", " intermédiaire " ou " renforcée ". Ce seuil conduit à instaurer, pour les nouvelles embauches et en faveur des personnes justifiant d'une durée d'inscription à la caisse de prévoyance sociale supérieure, selon les cas, de trois ans, cinq ans ou dix ans, une priorité de recrutement à conditions de qualification et d'expérience professionnelles égales.

Le Conseil d'État juge ces dispositions conformes à la loi organique. Il fait seulement une réserve concernant le cas des embauches réalisées dans l'urgence : sur ce point la loi va au-delà des strictes nécessités pour soutenir l'emploi local et méconnait en conséquence les dispositions de la loi organique.

La déclaration d'illégalité ne concerne donc que ce point, le surplus des requêtes est rejeté.

(23 octobre 2019, Mouvement des entreprises de France de Polynésie Française (MEDEF PF) et autres, n° 433595 ; Confédération des petites et moyennes entreprises de Polynésie française (CPME PF) et autre, n° 433618)

 

Environnement

 

44 - Guyane – Opérations susceptibles d’incidences notables sur l’environnement – Défrichements d’une certaine ampleur – Décret dérogatoire du 3 avril 2018 – Principe de non-régression (art. L. 110-1, II, code environnement) – Méconnaissance partielle – Annulation dans cette mesure.

Le décret du 3 avril 2018 porte adaptation en Guyane des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement. En particulier, il exclut, pour ce département, à la rubrique 47 de la nomenclature annexée à l'article R. 122-2 du code de l'environnement, les projets de défrichement de plus de 0,5 hectares précédemment soumis à l’obligation d’une évaluation environnementale. Les associations requérantes demande l’annulation de cette disposition et d’autres.

Le Conseil d’État accueille partiellement la requête en vertu du principe de non-régression, principe essentiel du droit environnemental repris au II de l’art. L. 110-1 du code de l’environnement.

D’une part, le juge rejette la partie de la requête contestant les dispositions du décret précité exemptant de toute évaluation environnementale les projets de déboisement en vue de la reconversion des sols portant sur une superficie totale de moins de 20 hectares dans les zones classées agricoles. En effet, le principe de non-régression n’est pas atteint par cette mesure car tant le plan local d’urbanisme ou le schéma d’aménagement régional, en vertu desquels ces terrains ont fait l'objet d'un classement en zones agricoles, font eux-mêmes l’objet d’une évaluation environnementale (art. L. 443-7 CGCT et L. 104-1 c. urb.).

D’autre part, en revanche, celles des dispositions du décret attaqué qui exemptent de toute évaluation environnementale  les projets de déboisement en vue de la reconversion des sols portant sur une superficie totale de moins de cinq hectares dans les autres zones, c'est-à-dire celles non classées en zones agricoles par un document d'urbanisme ayant lui-même fait l'objet d'une évaluation environnementale ou dans le schéma d'aménagement régional, alors qu'une telle exemption était jusqu'alors limitée aux projets de déboisement en vue de la reconversion des sols portant sur une superficie totale de moins de 0,5 hectares, sont  susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, eu égard notamment à la biodiversité remarquable qu'abrite la forêt guyanaise, nonobstant l'étendue de la forêt en Guyane et la protection dont une grande partie de celle-ci  fait par ailleurs l'objet.

Par suite, les associations requérantes sont fondées à soutenir que ces dispositions méconnaissent le principe de non-régression de la protection de l'environnement.

(9 octobre 2019, Association France Nature Environnement et association Guyane Nature Environnement, n° 420804)

 

État -civil et nationalité

 

45 - Accès aux origines personnelles – Rôle du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP) – Refus de permettre la communication de l'identité de la mère biologique de la demanderesse – Fondement juridique – Accouchements intervenus antérieurement à l'entrée en vigueur des dispositions du code de l'action sociale et des familles – Erreur de droit mais substitution de base légale – Rejet.

Cette décision, qui estime régulier le refus du CNAOP d'autoriser une personne à se voir communiquer l'identité de sa mère, illustre l'inconfort intellectuel et moral engendré par ce genre de situations où il s'agit de mettre en balance le droit de chacun à connaître ses origines personnelles et celui de la mère de se réfugier dans l'anonymat pour refuser toute communication de son identité à son enfant.

En l'espèce, une enfant née et adoptée en 1952 a sollicité pouvoir connaître l'identité de sa mère, laquelle est toujours vivante. Le CNAOP a rejeté sa demande au double motif que sa mère avait, dès la naissance de sa fille, exigé l'anonymat et que, informée de la démarche de sa fille, elle a maintenu son refus que soit révélée son identité.

Après que le tribunal administratif puis la cour administrative d'appel ont rejeté son recours contre le rejet de sa demande par le CNAOP, l'intéressée se pourvoit et le Conseil d'État rejette le pourvoi.

Pour juger régulier ce refus, après avoir cité les dispositions pertinentes du code de l'action sociale et des familles (art. L. 147-1 et L. 147-2, et art. L. 147-5 et L. 147-6), la cour s'est fondée sur les articles 7 et 8 de la loi du 27 juin 1904 relative au service des enfants assistés, applicable lors de la naissance de la requérante, qui permettaient à une mère de garder le secret sur son identité.

Toutefois, la loi de 1904 ayant été abrogée par l'acte dit "loi" du 15 avril 1943, la cour a commis une erreur de droit que le Conseil d'État répare aisément par une substitution du texte de 1943 à celui de 1904, celui-là ouvrant à la mère le même droit à l'anonymat.

Enfin, sur le fond, le Conseil d'État considère, comme la cour, que le maintien du refus opposé à la demanderesse par le CNAOP de lui permettre d'accéder à la connaissance de ses origines - que celui-ci était d'ailleurs tenu de lui opposer - ne méconnaît pas les dispositions de l'art. 8 de la Convention EDH relatives au droit au respect de la vie privée et familiale.

(16 octobre 2019, Mme X., n° 420230)

 

46 - Changement de nom patronymique – Demande d'accolement des noms de famille des deux parents – Existence d'un intérêt légitime à ce changement – Circonstances exceptionnelles – Existence – Annulation des jugement et arrêt – Injonction au garde des sceaux de réexaminer la demande.

Les parents d'un enfant portant seulement le nom de famille de son père demandent à ce qu'il soit autorisé à porter les noms accolés de ses deux parents. L'administration ayant refusé et ce refus ayant été confirmé tant en première instance qu'en appel, ils saisissent le Conseil d'État d'un pourvoi.

Celui-ci, applique l'art. 61 du Code civil, lequel exige, comme condition d’une telle modification, l'existence d'un "intérêt légitime" mais admet aussi des motifs d'ordre affectif qui, "dans des circonstances exceptionnelles", peuvent constituer un motif légitime.

Il résulte des faits de l'espèce la volonté certaine des parents, dès avant la naissance de l'enfant et immédiatement après, de lui attribuer leurs deux noms de famille. Celle-ci s'est encore manifestée devant l'officier d'état-civil qui a réussi à dissuader le père dans sa démarche au motif que cela entraînerait des complications ultérieures. Enfin, la mère, dont l'accouchement avait été très difficile, est demeurée plus d'une année porteuse des séquelles de celui-ci, subissant notamment plusieurs interventions. C'est pourquoi le Conseil d'État juge, avec grande sagesse, que c'est par une inexacte qualification des faits de l'espèce que la cour d'appel a estimé que les parents ne justifiaient pas, faute de circonstances exceptionnelles, d'un intérêt légitime à demander que l'enfant porte leurs deux noms. Il est fait injonction au gardien des sceaux de réexaminer la demande des parents.

Indépendamment de l'opinion défavorable que peut susciter l'attitude de l'administration, il faut vivement regretter qu'avec cette décision, rendue dix ans et quatre mois après la naissance de l'enfant et près de neuf ans après la publication au Journal officiel de la requête parentale, l'affaire ne soit point encore réglée. Il s'en faut encore de trois mois sauf si le ministre accélère les choses... Ce qui ne serait pas du luxe...

(16 octobre 2019, Mme X. et M. Y, n° 421616)

 

Fonction publique et agents publics

 

47 - Personnel enseignant du second degré – Classement des demandes de mutation pour la rentrée 2018 – Existence de quatre critères légaux de priorité pour ce classement (loi du 11 janvier 1984, art. 60, al. 4) – Note de service instaurant des critères supplémentaires – Impossibilité pour ces derniers de prévaloir, le cas échéant, des critères de priorité fixés par la loi – Illégalité en cas contraire.

Le ministre de l’Éducation nationale pouvait, par sa note de service querellée, prévoir des critères supplémentaires de classement des enseignants candidats à une mutation de poste lorsque l’application de l’un au moins des quatre critères de priorité prévus par la loi aboutit à des égalités de classement. En revanche, le recours à de tels critères est illégal lorsque ceux-ci, loin d’avoir un caractère subsidiaire, ont pour effet que des demandes d’agents ne satisfaisant à aucun des critères légaux de priorité précèdent, dans le classement établi en vue de l'examen des demandes de mutation, celles des agents relevant d'au moins une des priorités définies au quatrième alinéa de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984.

En raison de l’indivisibilité des dispositions de la note attaquée celle-ci est annulée en son entier.

(4 octobre 2019, M. X., n° 416648)

 

48 - Praticien hospitalier – Chirurgien –Allégation de mise à l'écart délibéré – Relations dégradées avec ses supérieurs – Référé liberté – Mesures ordonnées – Annulation de l'ordonnance attaquée et injonction.

Un chirurgien, praticien hospitalier, se plaint d'avoir été de facto écarté de ses fonctions en raison de relations dégradées avec ses supérieurs hiérarchiques. Son référé liberté tendant à se voir rétabli dans ses activités de chirurgien cardiaque, dans ses activités de chirurgien thoracique ainsi que dans la totalité de ses accès informatiques ayant été rejeté par le premier juge, il interjette appel devant le Conseil d'État. 

Le juge d'appel des référés, après avoir constaté avec beaucoup de minutie qu'en effet l'intéressé s'est vu dépouillé de l'essentiel de ses activités et responsabilités professionnelles et « Sans qu'il puisse être certain que la brutale rupture d'activité de M. X. soit due à des agissements constitutifs d'un harcèlement moral », ordonne ceci qu'il estime nécessaire à la fois pour la sauvegarde d'une liberté fondamentale et pour tenir compte des exigences de qualité du service public hospitalier.

« Il y a donc lieu d'ordonner à l'hôpital d'établir avec l'intéressé un planning détaillé de ses activités, à Besançon, et, si la convention qui lui sera communiquée l'exige, à Dijon, de tenir de manière contradictoire un relevé des présences de l'intéressé, de déterminer en accord avec lui et le cas échéant de tiers impartiaux aptes à apprécier ses capacités, l'éventuelle nécessité de formations, leur organisation, leur date et leur nature, tenant compte de l'inactivité des dernières années et dans le but d'assurer un exercice efficace des compétences de M. X., et plus généralement, de traduire par écrit, de manière claire et en les motivant, les éventuelles réserves, reproches ou consignes et attentes de la direction et de ses supérieurs hiérarchiques envers M. X. pour qu'il puisse assurer son service ».

La solution est remarquable en ce que, d'une part, elle tente de désamorcer à bref délai une situation dont le pourrissement serait préjudiciable aux intérêts de l'intéressé comme du service public, et d'autre part, conduit le juge administratif des référés à se comporter comme un juge de paix, au sens courant de l'expression.

(15 octobre 2019, M. X., n° 434664)

 

49 - Agent public territorial – Admission à la retraite – Retrait de cette décision sur demande de l'intéressé – Révision de la pension concédée – Absence d'opposabilité de l'interdiction, à certaines conditions, de la prohibition de sa révision – Annulation du jugement avec renvoi.

Lorsqu'un agent public territorial est admis à la retraite, il ne peut solliciter la révision de sa pension que pour des motifs limitativement énumérés à l'art. 62 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).

Dans la présente affaire, l'intéressée, avait - sur sa demande - été admise à la retraite avant le terme légal en raison de sa qualité de mère de trois enfants, puis s'apercevant que ce mécanisme lui était défavorable, a demandé et obtenu de ses supérieurs hiérarchiques le retrait de l'arrêté l'admettant à faire valoir ses droits à la retraite. Cependant, la CNRACL a refusé de faire droit à cette demande car elle ne satisfait pas aux dispositions de l'art. 62 ci-dessus. Celles-ci énumèrent limitativement les motifs de suppression ou de révision de la pension (erreur matérielle ou erreur de droit) : au rang de ces motifs ne figure pas celui invoqué par la demanderesse.

Pour prononcer, à la demande de la requérante, l'annulation du refus opposé par la CNRACL, le Conseil d'État interprète l'art. 62 comme ne faisant pas « obstacle à ce que l'autorité administrative compétente rapporte, à la demande de l'intéressé, si elle l'estime opportun, la décision admettant un agent à la retraite, pour lui substituer une décision de radiation des cadres fondée sur un autre motif, dès lors que ce retrait ne porte pas atteinte aux droits des tiers. Dans cette hypothèse, il appartient à l'autorité chargée de la liquidation de la pension de retirer, à la date d'effet du retrait de la décision admettant l'agent à la retraite, la décision portant concession de pension et de recouvrer les arrérages versés ».

Pour généreuse qu'elle soit, cette solution repose sur une interprétation du texte en cause qui n'a pas pour elle la vertu de l'évidence.

(21 octobre 2019, Mme X., n° 422299)

 

50 - Candidatures à l'enseignement catholique sous contrat d'association – Soumission des candidatures à une commission consultative mixte après avis du chef d'établissement – Adhésion à un accord sur l'emploi – Avis ne liant pas celui de la commission consultative – Introduction au sein de la procédure de mutation des maîtres de l'enseignement privé d'une procédure interne à l'enseignement catholique – Absence d'atteinte au principe d'égalité – Rejet.

Le syndicat requérant demande l'annulation de la décision implicite du ministre de l'éducation nationale, née du silence gardé sur sa demande d'abroger la dernière phrase du 1er alinéa de l'article R. 914-77 du code de l'éducation.

Cette demande se situant dans le cadre de la procédure de recrutement ou de mutation des maîtres de l'enseignement privé sous contrat d'association avec l'État, il convient de préciser certains points de procédure. L'art. R. 914-76 du code de l'éducation comporte un troisième alinéa ainsi conçu : « Les maîtres titulaires qui demandent pour la première fois une nomination dans un établissement d'enseignement privé justifient, à l'appui de leur candidature, de l'accord préalable du chef de l'établissement dans lequel ils sollicitent cette nomination ».

L'art. R. 914-77 dispose en son premier alinéa, dont la dernière phrase est soulignée ci-dessous (et dont l'annulation était demandée au juge) : « L'autorité académique soumet les candidatures, accompagnées de l'avis des chefs d'établissement ou, à défaut d'avis, de la justification qu'ils ont été informés des candidatures par les intéressés, à la commission consultative mixte compétente. Lorsque l'avis sur les candidatures est donné dans le cadre d'un accord sur l'emploi auquel l'établissement adhère, le chef d'établissement en informe la commission consultative mixte ».

Concernant, l'"accord" visé par ce texte, il s'agit, en fait de deux accords conclus entre le secrétaire général de l'enseignement catholique et, notamment, les représentants des chefs d'établissements concernés, l'un pour l'enseignement primaire (Accord professionnel sur l'organisation de l'emploi dans l'enseignement catholique du premier degré du 10 février 2006), et l'autre pour l'enseignement secondaire, (Accord national professionnel sur l'organisation de l'emploi des maîtres des établissements catholiques d'enseignement du second degré sous contrat d'association du 12 mars 1987). Selon ces accords sont instituées des commissions académiques de l'emploi et des commissions diocésaines de l'emploi, chargées de faciliter le processus de recrutement dans les établissements relevant de l'enseignement catholique, en adaptant les offres et les demandes selon les priorités, les vœux présentés par les candidats et les remarques formulées par les chefs d'établissement. Ces accords et cette procédure doivent respecter le cadre législatif et réglementaire applicable en la matière.

La disposition dont l'annulation est demandée n'est destinée qu'à éclairer la commission consultative mixte en lui faisant connaître l'avis du chef d'établissement sans que ni la commission ne soit liée par lui ni cet avis ne puisse se substituer aux avis rendus à l'autorité académique par le chef d'établissement et la commission consultative mixte compétente.

Par ailleurs, la procédure de recrutement et de mutation des maîtres de l'enseignement privé n'entre pas dans le champ des « règles générales qui déterminent les conditions de service et de cessation d'activité des maîtres titulaires de l'enseignement public, ainsi que les mesures sociales et les possibilités de formation dont ils bénéficient » visées à l'art. L. 914-1 du code de l'éducation puisqu'elle ne concerne ni les conditions de service ni la cessation d'activité des enseignants.

Le recours est rejeté.

(21 octobre 2019, Syndicat national de l'enseignement privé - Union nationale des syndicats autonomes (SNEP - UNSA), n° 421685 ;

v. aussi, dans un domaine voisin, celui de la fixation de la liste des fonctions particulières des maîtres exerçant dans les établissements de l’enseignement privé sous contrat prises en compte pour un avancement au grade de la classe exceptionnelle : 21 octobre 2019, Syndicat national de l'enseignement privé - Union nationale des syndicats autonomes (SNEP - UNSA), n° 422041 ;

v. aussi, voisin des décisions ci-dessus : 21 octobre 2019, Syndicat national de l'enseignement privé - Union nationale des syndicats autonomes (SNEP - UNSA), n° 423755 ;

v. également, s'agissant du principe de laïcité, de la loi de Séparation de 1905, de la certification de formations assurée par un organisme confessionnel : 21 octobre 2019, Syndicat national de l'enseignement privé - Union nationale des syndicats autonomes (SNEP - UNSA), n° 424692 ;

v. encore : 21 octobre 2019, Syndicat national de l'enseignement privé - Union nationale des syndicats autonomes (SNEP - UNSA), n° 425429)

 

51 - Administrateur général des ministères économiques et financiers – Sanction de l'exclusion temporaire des fonctions – Négociation d'un bail sans respect des formalités obligatoires – Existence d'une faute disciplinaire – Absence de caractère excessif de la sanction – Rejet.

L'administrateur général des ministères économiques et financiers, exerçant les  fonctions de directeur du Fonds de solidarité, établissement public chargé de recouvrer auprès des fonctionnaires et agents de l'État  la contribution exceptionnelle de solidarité en faveur des travailleurs privés d'emploi, a négocié et conclu, alors que le Fonds était installé dans des locaux sur la base d'un bail en cours  jusqu'en avril 2019 et que la survie de ce Fonds était menacée, un nouveau bail,  en août 2016 et pour une durée de neuf ans, avec un autre propriétaire et dans d'autres locaux, sans respecter la procédure à suivre.

Il fait, en conséquence, l'objet d'une sanction d'exclusion temporaire de six mois de ses fonctions dont trois mois avec sursis.

Sa contestation de la mesure est évidemment rejetée : les faits sont d'une réelle gravité et la sanction prononcée est proportionnée à cette gravité.

(9 octobre 2019, M. X., n° 426507)

 

52 - Agent recruté sous contrat à durée déterminée (CDD) – Transformation en contrat à durée indéterminée (CDI) – Condition de durée sexennale d’emploi auprès d’un unique employeur public – Condition pouvant être satisfaite, à certaines conditions, en cas de pluralité d’employeurs apparents – Recours à la méthode du faisceau d’indices – Contractuel recruté temporairement par une université puis à nouveau temporairement, dans le cadre d’une unique unité mixte de recherche (UMR), par le CNRS – Absence d’unicité d’employeur réel – Cassation avec renvoi de l’arrêt ayant jugé le contraire.

Lorsqu’un agent contractuel de droit public a été recruté par voie de un ou plusieurs CDD pendant une durée totale d’au moins six années, le CDD est transformé en CDI. Lorsque l’agent a été recruté successivement par différents employeurs publics, il est possible, le cas échéant, de démontrer que par-delà la pluralité apparente d’employeurs existe un employeur unique, cela par le recours à la méthode du faisceau d’indices (conditions d'exécution du contrat, lieu d'affectation de l'agent, nature des missions confiées, existence ou non d'un lien de subordination vis-à-vis du chef du service concerné). En l’espèce, le requérant avait été successivement employé comme attaché temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) par une université puis comme chercheur par le CNRS, ces deux établissements publics faisant partie de la même UMR. Les juges du fond avaient estimé que l’intéressé n’avait été contractualisé qu’avec un unique employeur. Le Conseil d’État ne partage pas cette analyse car un ATER ne peut être recruté que par une université, par suite cette dernière et le CNRS ont bien été deux employeurs distincts et non un seul qui aurait été « couvert » par leur appartenance à la même UMR.

(9 octobre 2019, CNRS, n° 422866)

 

53 - Agent de droit public – Salariée d'un établissement public – Établissement français du sang (EFS) – Conventions ou accords d'entreprise conclus par l'EFS – Application aux agents de droit public – Application par le juge administratif – Rejet.

Une médecin, agent de droit public de l'EFS, sollicite, au moment de son départ à la retraite, le bénéfice de l'indemnité de départ en retraite prévue par la convention collective applicable dans l'établissement. Elle a attaqué devant le tribunal administratif le refus implicite opposé par l'EFS à sa demande, puis, après rejet de sa demande par le tribunal, elle a saisi la cour administrative d'appel qui lui a donné satisfaction en condamnant l'EFS à lui verser l'indemnité conventionnelle de départ en retraite prévue par la convention collective susmentionnée. L'EFS se pourvoit en cassation.

Le Conseil d'État rappelle que les personnels de l'EFS peuvent être, en vertu des dispositions de l'art. L. 1222-7 du code de la santé publique alors en vigueur, soit des fonctionnaires ou des agents publics soit des personnels régis par le code du travail. La requérante appartenait à la première de ces deux catégories.

Le juge rappelle également que, selon les dispositions de l'art. L. 2233-2 dudit code, des conventions ou des accords d'entreprise peuvent compléter les dispositions statutaires ou en déterminer les modalités d'application dans les limites fixées par le statut.

De la combinaison de ces deux textes il déduit, d'une part, que les agents de droit public de l'EFS peuvent être soumis à des conventions ou accords d'entreprise conclus par cet établissement pour compléter les règles qui leur sont applicables, et d'autre part, que le juge administratif est compétent pour régler les litiges concernant les agents de droit public de l'EFS au vu de l'ensemble des règles qui leur sont applicables et donc, le cas échéant, celles contenues dans les conventions ou accords d'entreprise conclus par l'établissement.

C'est à bon droit que la cour administrative d'appel a ordonné à l'EFS de faire bénéficier la requérante, conformément à sa demande, de l'indemnité conventionnelle de départ en retraite prévue par la convention collective de l'EFS.

Le pourvoi de ce dernier est rejeté.

(21 octobre 2019, Établissement français du sang (EFS), n° 420742)

 

54 - Fonctionnaires – Pension de retraite – Bonification de dépaysement – Affectation à Mayotte – Territoire d’outre-mer devenu département français – Application du droit à bonification – Absence d’effet du changement de statut territorial – Condition de bonification liée uniquement à la localisation géographique d’un territoire ou d’une zone – Erreur de droit – Cassation avec renvoi au tribunal administratif.

Les fonctionnaires qui exercent tout ou partie de leur activité professionnelle dans certains territoires ou zones fixés par décret ont droit à une bonification de leur pension de retraite prenant en compte la moitié du temps passé en ces lieux.

Un fonctionnaire qui a effectué une partie de sa carrière à Mayotte se voit refuser le bénéfice de cette bonification au motif que l’île est sous statut départemental depuis 2011.

Le Conseil d’État censure ce raisonnement par un argument de bon sens : la bonification est destinée à tenir compte des inconvénients de tous ordres inhérents à l’éloignement et à la localisation géographique du lieu d’affectation des agents publics. Notion purement géographique, elle ne saurait être liée aux changements de statut juridique du territoire ou de la zone considéré. Ainsi, est indifférente la circonstance que Mayotte ne fasse plus partie de l’entité politique des Comores dès lors qu’elle y appartient géographiquement.

(9 octobre 2019, M. X., n° 416334 ; même solution, par une décision du même jour, à propos d’une demande de bonification pour des services civils rendus hors d'Europe à bord d'un navire et non à terre, cette dernière circonstance étant jugée sans effet sur l’application de l’art. 12 du code précité : M. X., n° 421484).

 

55 - Emploi à la décision du gouvernement – Ambassadeur – Mise à la retraite d'office par mesure disciplinaire – Absence de vice de forme – Absence de caractère disproportionné de la sanction dans les circonstances de l'espèce – Rejet.

Un diplomate, ambassadeur de son état, conteste la sanction de mise à la retraite d'office prise à son encontre par le président de la république et demande l'annulation de sa décision implicite rejetant le recours gracieux dont il l'avait saisi.

Le motif de la sanction est la délivrance irrégulière d'au moins 730 visas au vu de dossiers incomplets, de faux documents ou de demandes ne remplissant pas les conditions posées, lorsqu'il était en poste en République centrafricaine.

Saisi de moyens de forme et de fond contre cette décision, le Conseil d'État les rejette tous.

Sur la forme, on retiendra que le fait  que la directrice générale de l'administration et de la modernisation du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ait engagé les poursuites disciplinaires à l'encontre du requérant  ne faisait pas obstacle à ce qu'elle pût régulièrement présider le conseil de discipline, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait, dans la conduite des débats, manqué à l'impartialité requise ou manifesté une animosité particulière à l'égard de l'intéressé. La théorie des apparences est visiblement écartée par le juge national ; peut-être que le juge de Strasbourg se serait montré plus exigeant...

Sur le fond, le Conseil d'État convainc davantage en faisant observer que la sanction retenue, dans la mesure où le comportement réprimé émane d'un agent diplomatique d'aussi haut rang, où il porte atteinte au crédit international de la France en raison de la violation du droit européen des visas et où il revêt un haut degré de gravité intrinsèque, justifie la sanction prononcée de mise à la retraite d'office. Le Conseil d'État relève, comme un obiter dictum, que le diplomate avait soixante ans au moment des faits, donc assez proche de l'âge de la retraite.

(16 octobre 2019, M. X., n° 422339 ; v. aussi, dans le cadre de cette affaire, au sujet de la sanction frappant le premier conseiller de l'ambassade pour divers motifs : M. X., n° 425223)

 

56 - Retraite anticipée – Agents ayant occupé des emplois en « catégorie active » – Distinction, parmi les agents en catégorie active, entre ceux au service exclusif de l’État et ceux successivement au service d’une entité publique et de l’État – Non prise en compte dans le second cas – Violation du principe d’égalité – Annulation sans renvoi du jugement contraire.

Les agents publics dont l’emploi est classé en catégorie active - c’est-à-dire présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles - ont droit à la retraite dès l’âge de 57 ans s’ils ont accompli au moins dix-sept années d’activité dans des emplois classés en catégorie active. Toutefois cette règle ne s’applique qu’à ceux des agents qui ont effectué cette activité au service de l’État, pas à ceux ayant occupé de tels emplois au service de l’État pendant un certain temps et au service d’une collectivité publique autre que l’État pour une autre période même si ce le cumul du temps passé est au moins de dix-sept années (dispositions combinées des art. L. 24 et R. 35 du code des pensions civiles et militaires de retraite).

Une personne se trouvant dans ce dernier cas s’est vue refuser la prise en compte de la période non étatique au titre des services actifs : celle-ci a été décomptée comme des services sédentaires. Ayant saisi en vain le tribunal administratif elle se pourvoit en Conseil d’État.

Celui-ci estime que la différence de traitement ainsi instituée n’a aucune justification car elle est sans rapport avec l'objet de la norme qui établit la possibilité de liquidation anticipée de la pension en cas d'accomplissement de dix-sept années de services dans des emplois classés dans la catégorie active en raison du risque particulier ou des fatigues exceptionnelles que présentent ces emplois. En l'absence de considérations d'intérêt général de nature à justifier cette différence, elle porte atteinte au principe d'égalité de traitement des agents publics.

Dès lors c’est à tort qu’a été refusée la qualification de services actifs à ceux de ces services accomplis auprès d’une collectivité territoriale.

Il y a lieu de s’interroger sur la persistance dans notre droit de pareilles dispositions sans que l’autorité réglementaire ou le législateur procède d’office à leur éradication.

(9 octobre 2019, Mme X., n° 416771)

 

57 - Vétérinaire inspecteur contractuel – Licenciement – Référé suspension – Urgence établie – Doute sérieux sur la légalité de la décision – Suspension accordée – Annulation de l’ordonnance rendue en première instance.

Contrairement à ce qui avait été précédemment jugé, le Conseil d’État accorde la suspension du licenciement d’un vétérinaire inspecteur contractuel pour insuffisance professionnelle.

Il considère qu’eu égard aux charges qu’il doit assumer, une diminution de 45% de ses revenus bouleverse ses conditions d’existence, faisant ainsi apparaître une situation d’urgence. Le juge rappelle au passage qu’un agent public ayant fait l'objet d'une mesure d'éviction qui le prive de sa rémunération n'est pas tenu de fournir à l'appui de sa demande de suspension de l'exécution de cette mesure le montant de certaines dépenses, notamment d'alimentation, ainsi que celui des dépenses de la vie courante qu'il ne serait pas en mesure d'honorer du fait de la décision litigieuse.

Par ailleurs, l’absence, dans son dossier administratif, de comptes rendus d’entretiens d’évaluation dont, en conséquence, il n’a pas pu prendre connaissance avant son licenciement crée un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse.

(9 octobre 2019, M. X., n° 429049)

 

Libertés fondamentales

 

58 - Étrangers – Demande d’asile – Procédure (art. L. 743-1 et art. L. 743-2, 4°bis et 7° CESEDA) – Respect du principe du contradictoire – Interventions concomitantes du tribunal administratif et de la Cour nationale du droit d’asile – Refus du renvoi d’une QPC.

La requérante est de nationalité étrangère et a sollicité l’octroi de l’asile. Elle demande l'annulation et la suspension de l'arrêté préfectoral lui faisant obligation de quitter le territoire français avec fixation du pays de renvoi et interdiction de retour de quatre mois, ainsi que l'annulation d'un deuxième arrêté l'assignant à résidence. À l’appui de ses demandes elle soulève une QPC à l’encontre des dispositions pertinentes du CESEDA. Elle soutient que le mécanisme de recours contre de telles décisions porte atteinte au droit d'asile et au droit à un recours effectif, en ce qu'il confie, au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné, la compétence pour se prononcer sur la demande formée par l'étranger, dont le droit de se maintenir sur le territoire français a pris fin en application des 4° bis ou 7° de l'article L. 743-2, tendant à ce que soit suspendue la mesure d'éloignement dont il aurait fait l'objet au regard du caractère sérieux des moyens dirigés contre la décision de rejet ou d'irrecevabilité de sa demande alors que la Cour nationale du droit d'asile serait, par ailleurs, saisie d'un recours tendant à l'annulation de la même décision. Ce dispositif, d'une part, porterait une atteinte substantielle au droit à un recours effectif et, en conséquence, au droit d'asile garanti par la Constitution, d'autre part, porterait directement atteinte à ce droit d'asile en n'offrant pas des garanties suffisantes en termes de confidentialité des éléments relatifs à la demande d'asile.

Le Conseil d’État rejette sa requête au terme d’une décision longuement motivée.

D’une part, il est observé que le Conseil constitutionnel (décis.  n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018) a jugé que compte tenu des garanties offertes, dont la faculté de demander en référé la suspension de la mesure contestée, n’étaient méconnus  ni le droit à un recours juridictionnel effectif, ni le droit d'asile, ni le principe d'égalité devant la loi, ni aucune autre exigence constitutionnelle.

Par ailleurs, s’agissant de la confidentialité des informations fournies dans le cadre de la procédure, d’une part, il ne peut être fait état que des seules informations communiquées par le requérant, d’autre part, les agents des services préfectoraux concernés sont, à la fois, tenus au secret en vertu des dispositions du code pénal et à la discrétion professionnelle qui régit la fonction publique.

(2 octobre 2019, Mme X., n° 432740)

 

59 - Étrangers – Demande d'asile et d'hébergement – Femme enceinte avec deux enfants mineures – Hébergement offert par le département – Caractère non suspensif du recours formé devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) contre une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Rejet.

Une ressortissante albanaise, enceinte près d'accoucher et accompagnée de son mari ainsi que de ses deux enfants mineures, a demandé au juge des référés d'enjoindre à un département de lui attribuer un hébergement. Cela lui est accordé en première instance. Cependant, le département et l'OFPRA avaient proposé à l'intéressée et à ses enfants un hébergement dans le cadre de l'aide au retour, offre que celle-ci avait refusée au motif qu'elle était dans l'attente de l'examen par la CNDA du recours qu'elle avait formé contre la décision de l'OFPRA déclarant irrecevable sa demande d'asile.

Sur appel du département sollicitant l'annulation de l'ordonnance de référé du premier juge, le Conseil d'État prononce cette annulation en relevant que le recours formé devant la CNDA ne confère à l'intéressée aucun droit à se maintenir sur le territoire français, en application des dispositions de l'art. L. 743-2 du CESEDA.

(14 octobre 2019, Mme X., n° 434950)

 

60 - Étrangers – Demande d'asile – Conditions de mise en œuvre du droit d'accès à l'enregistrement sonore de l'entretien personnel – Refus du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Obligation de vérification de l’accomplissement de cette formalité par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) – Absence de contestation par l'intéressé du contenu de l'enregistrement – Rejet.

Les articles L. 723-7, L. 733-5 et R 723-8 CESEDA reconnaissent à tout demandeur d'asile le droit d'accéder, sur sa demande, après l'intervention de la décision de refus opposée par le directeur général de l'OFPRA à sa demande d'asile, à l'enregistrement sonore de son entretien personnel s'il estime en avoir besoin dans le cadre du recours qu'il entend exercer contre cette décision. Dans l'hypothèse où l'office n'aurait pas fait droit à une demande en ce sens, il appartient à la CNDA de s'assurer que cette garantie procédurale soit respectée avant de se prononcer sur le recours formé par l'intéressé, sous réserve toutefois que le requérant se prévale devant elle, dans le délai de recours ouvert contre la décision de l'office, des éventuelles erreurs de traduction ou contresens qu'il identifie précisément dans la transcription de son entretien et qui, selon lui, seraient de nature à exercer une influence déterminante sur l'appréciation des risques qu'il allègue.

Faute, en l'espèce, que le demandeur d'asile ait contesté dans le délai de recours la transcription faite de son entretien, celui-ci ne saurait se plaindre de ce que la CNDA ait statué sur son recours sans lui permettre d'accéder à l'enregistrement de son entretien personnel. 

(16 octobre 2019, M. X., n° 423478)

 

61 - Étrangers – Demande d'asile en qualité de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire – Prostituée nigériane originaire de l'État d'Edo extraite d'un réseau de prostitution – Appartenance à un groupe social au sens de la convention de Genève du 28 juillet 1951 – Preuve insuffisante – Rejet.

Le Conseil d’État juge que les femmes nigérianes originaires de l'État d'Edo, lorsqu'elles ont été victimes d'un réseau de traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle, partagent, lorsqu'elles sont effectivement parvenues à s'extraire d'un tel réseau, une histoire commune et une identité propre, perçues comme spécifiques par la société environnante dans leur pays, où elles sont frappées d'ostracisme pour avoir rompu leur serment sans s'acquitter de leur dette.

Il résulte de là que, au sens et pour l'application des stipulations du 2° du A de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951, elles doivent être regardées comme constituant un groupe social, bénéficiaire des protections instituées par ce texte.

En l'espèce, cependant, la Cour nationale du droit d'asile, approuvée par le juge de cassation, a rejeté la demande dont elle avait été saisie en ce sens faute de précisions sur les éléments de fait et que ses allégations soient sérieusement étayées.

(16 octobre 2019, Mme X., n° 418328)

 

62 - Abattage rituel des animaux – Cas des bovins – Lutte contre la souffrance animale – Obligation ou faculté d’étourdissement préalable à leur mise à mort – Droit de l’UE faisant exception pour les abattages rituels – Absence d’inconventionnalité – Marge d’appréciation du législateur – Rejet.

L’association requérante demandait notamment l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur sa demande tendant à ce que soit modifié le I de l'article R. 214-70 du code rural et de la pêche maritime en ce qui concerne l'abattage des bovins, pour imposer soit un étourdissement immédiatement après la jugulation, soit un étourdissement réversible préalable à la jugulation, sous réserve dans ce dernier cas d'une validation préalable des techniques.

Pour rejeter cette demande le Conseil d’État relève tout d’abord que le droit européen (article 4, § 4, du règlement n° 1099/2009 du 24 septembre 2009), d’une part, rend l'obligation d'étourdissement qu’il institue inapplicable à la mise à mort dans des abattoirs des animaux selon les méthodes particulières d'abattage prescrites par des rites religieux, et d’autre part, ouvre aux États membres la faculté d'adopter en la matière des règles nationales plus protectrices des animaux au moment de leur mise à mort. Il s’ensuit que la règlementation nationale existante ne méconnaît pas le droit de l'Union, étant observé que l'article 13 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne impose aux États membres de tenir pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu'êtres sensibles.

Ensuite, observant que l’abattage des bovins est soumis à l’ensemble des prescriptions applicables à tout abattage, la dispense d’étourdissement à des fins religieuses ne peut être regardée comme autorisant de mauvais traitements envers les animaux au sens de la loi française.

Enfin, il ne résulte pas des opinions scientifiques sur le sujet, d’un rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux et d’autres éléments que l’état actuel du droit interne serait entaché à cet égard d’illégalité.

(4 octobre 2019, Association Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA), n° 423647)

 

63 - Médecin psychiatre – Remise par un médecin d’un certificat médical à l’autorité de police – Hospitalisation d’une personne sans son consentement – Atteinte au secret professionnel et au secret de la vie privée – Absence – Absence de faute professionnelle.

Le requérant conteste devant le juge administratif le rejet, par les juridictions ordinales, de sa plainte contre le médecin qui a établi le certificat médical en vue de son hospitalisation sans son consentement.

Il est jugé - conformément à une jurisprudence bien établie (8 février 1989, Conseil national de l'ordre des médecins et autres, n°s 54494, 54678, 54679, 54812 et 54813) - que c’est sans erreur de droit que cette plainte a été rejetée dès lors que ce certificat a été rédigé et remis dans le respect des exigences de l’art. L. 3213-1 du code de la santé publique qui régit les hospitalisations psychiatriques d’office.

(4 octobre 2019, M. X., n° 405992)

 

64 - Étranger malade – Résidence habituelle en France – Titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale » – Délivrance automatique – Avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) – Refus préfectoral de renouvellement du titre de séjour – Pouvoirs du préfet – Respect du secret médical – Régime administratif et contentieux – Application au cas de l’espèce – Annulation avec renvoi à son auteur de l’arrêt contraire.

L’étranger malade en séjour régulier en France a droit à la délivrance d’un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale ». Il en va de même pour le renouvellement de ce titre de séjour.

Le préfet a refusé de renouveler le titre de séjour de la requérante au vu de l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration relevant notamment que l'intéressée pourrait bénéficier d'un traitement approprié en Guinée. Il lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Pour confirmer l’annulation des décisions du préfet par le tribunal administratif, la cour s’est fondée sur ce qu'il appartient à l'administration de démontrer que le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a apprécié la situation en respectant les orientations générales fixées par l'arrêté ministériel du 5 janvier 2017 et notamment, lorsqu'est en cause comme en l'espèce une pathologie psychiatrique, qu'il a émis son avis en évaluant le risque pour le ressortissant étranger de voir réactiver ses troubles psychiatriques en cas de retour dans son pays d'origine.

Pour  censurer pour erreur de droit cet arrêt, le Conseil d’État , d’une part, rappelle que s’il appartient au préfet de s'assurer que l'avis a été rendu par le collège de médecins conformément aux règles procédurales fixées par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et par l'arrêté du 27 décembre 2016, il ne saurait en revanche porter d'appréciation sur le respect, par le collège des médecins, des orientations générales définies par l'arrêté du 5 janvier 2017, en raison du respect du secret médical qui interdit aux médecins de donner à l'administration, de manière directe ou indirecte, aucune information sur la nature des pathologies dont souffre l'étranger, et d’autre part, il indique qu’il est loisible au demandeur de lever le secret relatif aux informations médicales qui le concernent en faisant état de la pathologie qui l'affecte, et qu’en ce cas, il appartient au juge de se prononcer sur ce moyen au vu de l'ensemble des éléments produits dans le cadre du débat contradictoire et en tenant compte, le cas échéant, des orientations générales fixées par l'arrêté du 5 janvier 2017.

(9 octobre 2019, Mme X., n° 422974)

 

65 - Harkis et enfants de harkis – Dispositions réglementaires et législatives favorables – Discrimination prétendue – Moyen ne pouvant être soulevé par les bénéficiaires de l’avantage – Rejet.

L’association requérante demandait l’annulation pour excès de pouvoir des dispositions des points 2 et 3 de la circulaire du premier ministre, du 23 septembre 2014, ainsi que les actions n°s 7, 8 et 10 du " plan d'action en faveur des harkis " qui lui est joint.

Parmi divers arguments était particulièrement développé celui tiré de la discrimination résultant de l'absence d’exigence, pour les seuls enfants de harkis, de condition d'âge pour bénéficier des emplois réservés prévus par les textes. Après avoir rappelé qu’une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle affecte la jouissance d'un droit ou d'une liberté sans être assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi, le juge rejette le recours. En effet, il tombe sous le sens qu’en l’espèce, la mesure est favorable aux enfants de harkis et qu’ainsi elle ne constitue pas pour eux une discrimination ; par suite, un tel moyen ne peut qu’être écarté.

(4 octobre 2019, Association Générations Harkis, n° 418521). On lira aussi, sur le même sujet et du même jour mais soulevant une question différente : M. X. et association Générations Harkis, n° 426799.

 

66 - Médecine psychiatrique – Régime des internements sans consentement – Recueil, traitement et conservation des données à caractère personnel – Système dit « HOPSYWEB » - Questions diverses – Rejet.

Trois recours, introduits en vue d’obtenir l’annulation du décret du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement, sont joints pour y être statué par une seule décision.

Sont soulevées de nombreuses et importantes questions touchant au droit des libertés, au droit de la santé publique ainsi qu’à celui de l’informatique ; le régime des décisions et des actes administratifs est lui aussi concerné.

Parmi les motifs de rejet, sera retenu celui qui, principal dans cette affaire, est tiré de ce que la loi du 6 février 1978 répond à toutes les craintes exprimées concernant tant les finalités des traitements autorisés par le décret attaqué sous le nom d’ « HOPSYWEB », que les catégories de données dont la collecte est permise par lui ou encore les destinataires de celles-ci, leur régime de mise à jour, de durée de conservation et d’accès. Sont également examinés les conditions de mise en œuvre, d’une part, du droit à l’information (art. 29 de la loi de 1978), et d’autre part, du droit d’opposition (art. 38 de la loi de 1978).

On peut trouver le Conseil d’État, en certains points, trop souple ou compréhensif envers un mécanisme réglementaire qui peut légitimement inquiéter. En même temps, il n’est pas illogique de créditer les détenteurs du pouvoir réglementaire de la bonne foi et d’un souci d’œuvrer dans l’intérêt des personnes concernées.

(4 octobre 2019, Association Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie (CRPA, n° 421329 ; Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM), n° 422497 ; Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH), n° 424818)

 

Police

 

67 - Rétablissement des contrôles aux frontières intérieures de l'UE – Compétence du premier ministre pour prendre des mesures de police générale applicables à l'ensemble du territoire – Mesure proportionnée à la gravité de la menace terroriste – Durée de la mesure – Légalité ici – Règles de forme – Compatibilité avec le principe de libre-circulation des personnes –

Rejet.

Les associations requérantes contestaient devant le Conseil d'État la décision du premier ministre de rétablir des contrôles aux frontières intérieures terrestres avec la Belgique, le Luxembourg, l'Allemagne, la Confédération suisse, l'Italie et l'Espagne ainsi qu'aux frontières aériennes et maritimes, du 1er novembre 2018 au 30 avril 2019, révélée par la note des autorités françaises au secrétaire général du Conseil de l'Union européenne du 2 octobre 2018.

Tout d'abord était discutée la compétence du premier ministre à l'effet de prendre une telle décision. Sans surprise, le Conseil d'État rappelle la solution Labonne (8 août 1919) : détenteur du pouvoir réglementaire, le premier ministre est, sous l'empire de la Constitution de 1958, compétent pour prendre les mesures de police générale applicables à l'ensemble du territoire et justifiées par les nécessités de l'ordre public. C'est d'ailleurs ce qui explique que l'absence de publication de cette mesure au Journal officiel soit sans incidence sur sa légalité.

Ensuite, examinant la régularité du rétablissement des contrôles aux frontières au regard du règlement européen du 9 mars 2016 (art. 25 à 27), le juge estime que celle-ci est proportionnée à la menace qu'elle entend obvier, que le régime de sa durée et de son éventuelle prolongation est conforme au texte précité (dit "code frontières Schengen") et qu'elle ne porte pas une atteinte excessive au principe constitutionnel de l'UE qu'est celui de la libre circulation des personnes.

Enfin, s'agissant de l'éventuel non-respect de deux exigences de forme (conditions de notification préalable de la mesure à la Commission et aux autres États membres de l'UE et transmission du rapport sur la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures au parlement européen), le Conseil d'État   le juge sans incidence, au regard du droit interne, sur la légalité de la décision attaquée.

(16 octobre 2019, Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE) et Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), n° 425936)

 

68 - Permis de conduire – Suspension du permis et durée de la suspension – Étendue du contrôle exercé par les juges du fond – Contrôle, par le juge de cassation, de la qualification juridique des faits – Annulation avec renvoi.

Inaugurant une nouvelle solution jurisprudentielle en la matière, le Conseil d'État décide qu'en matière de suspension d'un permis de conduire, d'une part, il appartient aux juges du fond d'exercer un contrôle plein et entier tant sur la décision de suspension elle-même que sur celle fixant sa durée, et d'autre part, qu'il s'agit là d'une opération de qualification juridique des faits, laquelle tombe sous le contrôle du juge de cassation.

(23 octobre 2019, Ministre de l'intérieur, n° 427431)

 

Procédure contentieuse

 

69 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Méthode retenue pour l’évaluation de la valeur locative des biens (art. 1496 ou 1498-1499) – Dispense de conclusions du rapporteur public – Dispense impossible selon la méthode retenue – Annulation avec renvoi.

Dans le contentieux de la taxe foncière sur les propriétés bâties, il existe deux séries de méthodes de détermination de la valeur locative des locaux servant d'assiette à cet impôt, celle prévue à l'art. 1496 du CGI et celles prévues aux art. 1498 ou 1499 CGI. Il résulte des dispositions du 5° de l'art. R. 732-1-1 CJA que le président de la formation de jugement ne peut dispenser une affaire de conclusions du rapporteur public que dans le cas où il a été recouru à la méthode d'évaluation prévue à l'art. 1496 CGI.

En l'espèce, est irrégulière la décision présidentielle dispensant de conclusions à l’occasion d’un litige alors qu'a été appliquée la méthode tirée de l'article 1498.

(1er octobre 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 430218)

 

70 - Inspection du travail – Décision d'ordonner l'arrêt de travaux ou d'utilisation d'un appareil – Danger grave et imminent pour la vie ou la santé du travailleur (art. L. 4731-1 c. trav.) – Compétence du juge administratif des référés substituée à celle du juge judiciaire des référés – Allégation d'inconstitutionnalité de la disposition contestée – Rejet.

Un contrôle de l'inspection du travail, appuyé sur les dispositions de l'art. L. 4731-1 du code du travail, ordonne l'arrêt des travaux réalisés à l'aide d'une trancheuse à jambon.

La société requérante, tout en demandant l'annulation de cette décision, soulève une QPC à l'encontre de cet article au motif qu'il n'organise pas, au bénéfice des employeurs, de voie de recours effective contre les mesures prises en son application et que, par suite, elles méconnaissent, par elles-mêmes, le droit à un recours juridictionnel effectif, la liberté d'entreprendre et le droit de propriété et sont, en outre, entachées d'incompétence négative dans des conditions affectant ces mêmes droits et la même liberté. 

À juste titre, le Conseil d'État refuse le renvoi de cette QPC. Il résulte en effet de l'art. L. 4731-4 dudit code que l'employeur qui conteste une telle décision le fait par voie de référé administratif. Dès lors, sont possibles aussi bien un recours pour excès de pouvoir, lequel existe sans texte, que les recours en référé des art. L. 521-1 (référé suspension) et L. 521-2 (référé liberté). Par suite la question n'est pas sérieuse et encourt le rejet.

(2 octobre 2019, Société Auchan Hypermarché, n° 432388)

 

71 - Règles de procédure contentieuse spéciales – Recours en matière d'obligation de quitter le territoire français (OQTF : I bis ou III de l'art. L. 512-1 CESEDA) et de reconduite à la frontière – Avocat désigné d'office – Conditions d'obtention à son profit des sommes mises à la charge de la partie perdante – Art. 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique – Nécessité d'avoir obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle.

La question suivante était posée par un tribunal administratif au Conseil d'État : « Est-il possible, et, le cas échéant, dans quelles conditions, pour un avocat désigné d'office pour assister son client, de revendiquer le bénéfice des dispositions des articles 19 et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et 81 du décret du 19 décembre 1991 ? »

La réponse contenue dans l'avis de droit est la suivante : « (...) l'avocat désigné d'office dans le cadre de la procédure prévue par les I bis ou III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile peut obtenir le versement à son profit de la somme mise à la charge de la partie perdante sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à la condition que la personne qu'il assiste ait, soit directement soit par son entremise, en application de l'article 19 de cette loi, sollicité et obtenu l'aide juridictionnelle. Si l'avocat désigné d'office est valablement désigné au titre de l'aide juridictionnelle lorsque la personne qu'il assiste bénéficie déjà de celle-ci, sa désignation d'office ne peut, par elle-même, valoir demande et admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle au profit de cette personne et lui ouvrir droit au bénéfice de ces dispositions. Il s'ensuit qu'il appartient à l'avocat désigné d'office qui entend obtenir le versement à son profit de la somme mise à la charge de la partie perdante de formuler expressément, au besoin dans ses écritures, une demande tendant à l'attribution de l'aide juridictionnelle à son client si celui-ci ne l'a pas fait. Le juge ne peut décider que les sommes mises à la charge de la partie perdante seront versées à cet avocat dans les conditions prévues à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sans avoir, au préalable, admis son client au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire sur le fondement de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991, sans préjudice de la décision définitive du bureau d'aide juridictionnelle ».

(Avis, 16 octobre 2019, M. X., n° 431140 ; on lira aussi, du même jour, l'important avis de droit portant sur un ensemble de questions relatives notamment à la nature du contentieux de l'OQTF, au degré de contrôle du juge sur le bien-fondé de la demande d'asile, à l'ampleur des éléments de preuve que doit rapporter l'étranger demandeur d'asile, sur les effets des vices affectant éventuellement la décision de l'OFPRA : Avis, M. X., n° 432147)

 

72 - Référé suspension – Arrêté classant certaines armes et munitions – Décision implicite rejetant une demande de classement d'un lanceur de balles de défense dans une certaine catégorie – Absence d'urgence – Rejet.

Une société qui fabrique des armes de certaines catégories et des appareils de défense demande la suspension de la décision de classement de certains d'eux dans une catégorie qui en interdit la commercialisation auprès, notamment, des polices municipales, ainsi que la suspension du rejet implicite de la demande de classement dans une autre catégorie.

Pour démontrer l'urgence à statuer, la société invoque des indications antérieures données par le ministère de la défense, de lourds investissements et, en conséquence de ces décisions, le fait que celles-ci compromettent de façon irrémédiable sa stratégie économique et commerciale, et la contraignent à rembourser les communes qui ont déjà acquis ce matériel.

Le Conseil d'État rejette le recours car l'urgence ne lui semble pas établie : d'une part, la requérante est en partie elle-même à l'origine de ses difficultés pour avoir décidé de commercialiser son lanceur de balles de défense avant l'intervention de la décision de classement, et d'autre part, la chambre compétente du Conseil d'État a prévu d'inscrire dans de brefs délais au rôle d'une séance de jugement la requête tendant à l'annulation des décisions explicite et implicite litigieuses.

(15 octobre 2019, Société Redcore, n° 434606)

 

73 - Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) – Sursis à l'exécution d'une décision de justice – Allégation d'existence d'un moyen sérieux – Octroi du sursis – Absence d'indications sur le moyen reconnu comme "sérieux" – Impossibilité pour le juge de cassation d'exercer son contrôle – Cassation et renvoi.

La décision d'une juridiction administrative (ici le CNESER, juridiction spécialisée) qui octroie le sursis à l'exécution d'un jugement en raison de l'existence d'un moyen sérieux sans indiquer ce moyen ne met pas le juge de cassation à même d'exercer sa fonction de contrôle de la correction juridique de cette décision. Elle est donc cassée.

(14 octobre 2019, Université de Nantes, n° 428186 ; Ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, n°428320 ; du même jour, avec mêmes requérantes et même solution à propos de la sanction infligée à l'intéressée : Université de Nantes, n° 428187 ; Ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, n° 428310 ; Université de Nantes, n° 428186 ; Ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, n° 428320)

 

74 - Contentieux sociaux – Régime procédural aménagé – Application Télérecours – Composition du dossier (pièces) – Portée en l'espèce des dispositions combinées des art. R. 772-8 et R. 611-8-2 du CJA.

En raison, d'une part, du caractère parfois vital de l'objet des demandes pour les personnes privées concernées, et d'autre part, des caractéristiques générales du public concerné, les art. R. 772-5 à R. 772-10 organisent un aménagement des règles procédurales applicables dans les contentieux sociaux. Le Conseil d'État était interrogé sur la combinaison entre lesdites dispositions et celles régissant l'application Télérecours, notamment au regard de la présentation et de la composition du dossier constitué pour l'instruction administrative de la demande tendant à l'attribution de la prestation ou de l'allocation ou à la reconnaissance du droit, en vue de sa transmission au juge en cas de recours contentieux.

Le Conseil d'État , dans le respect de l'esprit ayant présidé à l'instauration de règles procédurales aménagées en matière de contentieux sociaux, énonce ici - de façon aussi bienveillante que possible - que : « Les dispositions (...) relatives à l'établissement d'un inventaire détaillé et à la présentation des pièces adressées à la juridiction par le moyen de l'application informatique Télérecours s'appliquent à la transmission des pièces que les parties produisent à l'appui de leurs écritures. Elles n'imposent pas au défendeur qui communique au tribunal administratif, en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative, le dossier constitué pour l'instruction administrative de la demande du requérant d'établir un inventaire des pièces contenues dans ce dossier ni, pour sa communication au moyen de l'application Télérecours, de transmettre un fichier par pièce ou de répertorier chacune de ces pièces, au sein du fichier transmis, par un signet la désignant ».

(Avis, 14 octobre 2019, M. X., n° 432543)

 

75 - Vétérinaire inspecteur contractuel – Licenciement – Référé suspension – Urgence établie – Doute sérieux sur la légalité de la décision – Suspension accordée – Annulation de l’ordonnance rendue en première instance.

(9 octobre 2019, M. X., n° 429049) V. n° 57

 

76 - Apport partiel d’actif d’une société à une autre – Solidarité entre société apporteuse et société bénéficiaire – Société débitrice solidaire d’un impôt – Intérêt lui conférant qualité pour contester le bien-fondé de l’impôt – Rejet.

(9 octobre 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 414122) V. n° 26

 

77 - Recours pour excès de pouvoir – Conclusions présentées par le demandeur comme étant l’une (ou les unes) la demande principale, l’autre (ou les autres) comme constituant la demande subsidiaire – Office du juge – Examen de la cause juridique fondant la demande principale – Demande d’injonction – Office du juge en cas de rejet de la demande principale et d’admission de la demande subsidiaire – Office, en ce cas, du juge d’appel – Annulation.

Un étudiant conteste en première instance la décision du jury d’examen de le déclarer défaillant lors d’une session de rattrapage. Cette décision est annulée par le juge qui enjoint l’université d’organiser une nouvelle session de rattrapage. Le surplus de sa requête ayant été rejeté, le demandeur a interjeté, en vain, appel de cette partie du jugement, d’où son pourvoi en cassation.

Réitérant mot pour mot une récente décision de Section (21 décembre 2018, Société Eden, n° 409678, p 468 ; voir cette Chronique, décembre 2018, n° 89), le Conseil d’État réaffirme quel est l’office du juge de l’excès de pouvoir dans les différentes configurations contentieuses susceptibles de se présenter en la matière.

Lorsque la requête saisissant le juge de l’excès de pouvoir distingue au sein de celle-ci une demande principale et une demande subsidiaire il est de l’office du juge de statuer en conséquence. Cette distinction peut résulter soit de ce que l’une d’elles est assortie de conclusions à fin d’injonction soit de ce que les demandes ont été hiérarchisées en fonction de la cause juridique. Dans le premier cas, l’office du juge saisi est d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d'injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l'article L. 911-1 du CJA et à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 911-2. Dans le second cas, l’office du juge doit le conduire à statuer en respectant cette hiérarchisation, c'est-à-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent à la cause juridique correspondant à la demande principale du requérant.

Enfin, le juge ajoute deux autres cas de figure : 1°/ Lorsque sont rejetés tous les moyens assortissant la demande principale mais qu’est retenu un moyen assortissant la demande subsidiaire, le juge - qui, il faut le rappeler, statue comme juge de l'excès de pouvoir - n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler la décision attaquée : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale. 2°/ En cas d’appel, le requérant est recevable à soutenir que le jugement n'a pas fait droit à sa demande principale. Il appartient alors au juge d'appel, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à la demande principale.

En l’espèce, c’est pour n’avoir point procédé ainsi en appel que l’ordonnance d’appel est annulée.

(4 octobre 2019, M. X., n° 417617)

 

78 - Cour nationale du droit d'asile (CNDA) – Demandeur d'asile – Exception de forclusion – Irrecevabilité manifeste – Demande d'aide juridictionnelle – Suspension du délai de recours – Erreur de droit – Cassation.

La CNDA, saisie par un étranger d'un recours contre la décision de l'OFPRA lui refusant l'asile ou la protection subsidiaire, rejette la demande pour irrecevabilité manifeste tirée de la forclusion du délai de recours. En réalité, la cour commet une erreur de droit car le demandeur ayant sollicité l'aide juridictionnelle et celle-ci lui ayant été accordée, le délai de recours contentieux a été suspendu. Le requérant est donc toujours dans le délai de saisine.

(14 octobre 2019, M. X., n° 429363)

 

79 - Acquiescement automatique de l’administration aux faits énoncés dans une requête (art. R. 612-6 CJA) – Injonction d’accorder une pension de réversion – Faits non mentionnés en réalité dans la requête – Mauvaise interprétation des conclusions – Cassation sans renvoi (art. 821-2 CJA).

Commet une erreur de droit le jugement qui condamne une administration à verser à une veuve une réversion de la pension d'ancien combattant de son mari décédé, en se fondant sur ce que l’administration des armées n’ayant pas répondu au mémoire de la demanderesse elle devait être réputée avoir acquiescé aux faits. En effet, il ne résulte pas des écritures de cette dernière que celle-ci avait sollicité le bénéfice de la réversion de la pension militaire de retraite qui aurait été concédée à son mari décédé sur le fondement du code des pensions civiles et militaires de retraite, ni même évoqué l'existence d'une telle pension.

Statuant au fond après cassation, les juges du Palais-Royal déboutent la requérante.

(4 octobre 2019, Ministre des armées, n° 426240)

 

80 - Exécution de la chose jugée – Communication de divers documents par une association chargée d'une mission de service public ordonnée par le juge administratif – Dissolution de l'association – Activité reprise par la commune – Obligation pour cette dernière d'assurer l'exécution du jugement ordonnant les communications de documents – Erreur de droit – Cassation sans renvoi.

Les requérants avaient sollicité, et obtenu, du juge que soit ordonnée la communication de divers documents et comptes de l'association gestionnaire de l'école municipale de musique. Celle-ci ne s'étant pas exécutée, le premier juge, à nouveau saisi, refuse d'ordonner les mesures nécessaires à l'exécution de son propre jugement pourtant assorti d'une injonction au motif que la requête dont il est saisi est manifestement irrecevable du fait de la dissolution de l'association mise en cause.

Le Conseil d'État, auquel le dossier a été transmis par la présidente de la cour administrative d'appel, annule le jugement querellé pour erreur de droit. Deux questions se posaient, d'inégale importance.

En premier lieu, le jugement d'irrecevabilité ne comportant point l'énoncé des mesures d'exécution sollicitées par les requérants, il appartient au juge de l'exécution, saisi sur le fondement de l'art. L. 911-4 CJA, d’ordonner ces mesures ; c'est donc le Conseil d'État qui définit ici lesdites mesures.

En second lieu, l'activité de l'association ayant été reprise, du fait de sa dissolution, par la commune, en régie directe, c'est à cette dernière qu'incombe désormais la charge d'exécuter les mesures ordonnées pour assurer le plein effet du jugement primitif.

(16 octobre 2019, M. et Mme X., n° 421839)

 

81 - Clôture immédiate de l’instruction – Envoi télématique de l’avis d’audience ou de l’ordonnance mentionnant cette clôture – Date de prise d’effet – Envoi tardif d’un mémoire – Rejet.

Lorsqu’il est fait usage par une juridiction administrative de la clôture de l’instruction par voie télématique selon les modalités combinées des art. R. 414-1, R. 611-11-1 et surtout du dernier alinéa de chacun des art. R. 613-1 et R. 613-2 du CJA, la communication de l’ordonnance ou de l’avis d’audience par l’application dite Télérecours a pour effet de clore l’instruction à l’heure d’émission de l’ordonnance ou de l’avis par cette application sauf s’il y est mentionné un horaire ou une date plus tardif.

En l’espèce, l’avis d’audience portant clôture immédiate de l’instruction ayant été envoyé à 17h29, le mémoire transmis le même jour par la société demanderesse à 18h43 ne pouvait plus être reçu, en raison de sa tardiveté, ainsi que l’a jugé à bon droit la cour administrative d’appel.

(9 octobre 2019, Société Efficience, n° 422712)

 

82 - Environnement – Projet d'éoliennes terrestres – Contentieux – Compétence en premier et dernier ressort pour en connaître – Volonté d'un traitement court des dossiers – Compétence étendue des cours administratives d'appel (art. R. 311-5 CJA).

Dans le souci d'accélérer le traitement contentieux des litiges relatifs aux autorisations d'installation et d'exploitation des éoliennes terrestres, le code de justice administrative énumère une série de décisions qui, en la matière, relèvent de la compétence de premier et de dernier ressort des cours administratives d'appel.

Le litige qui était soumis au juge était né de ce que le pétitionnaire auquel l'autorisation avait été donnée par le préfet, a informé ce dernier d'une modification tenant à la structure des mâts des éoliennes ; estimant que cette modification (au sens de l'art. L. 181-14 c. environnement) avait un caractère substantiel, le préfet a ordonné la présentation d'une nouvelle demande d'autorisation environnementale.

Se posait la question de la juridiction administrative compétente pour connaître du recours formé contre la décision préfectorale.

Le Conseil d'État, de façon expédiente et bien venue, respectant l'esprit du texte (art. R. 311-5 CJA), lequel est dominé par un souci de célérité, juge qu'a été confié aux cours « l'ensemble du contentieux des décisions qu'exige l'installation de ces éoliennes. (...) les cours administratives d'appel connaissent également de celles des mesures de police, prises sur le fondement des articles L. 171-7 et L. 181-16 du code de l'environnement, qui sont la conséquence directe d'une des autorisations mentionnées à l'article R. 311-5, de la modification d'une de ces autorisations ou du refus de prendre l'une de ces décisions ».

(9 octobre 2019, Société FE Sainte-Anne, n° 432722)

 

83 - Tierce opposition – Condition - Intérêts concordants entre deux parties dans une instance – Cession par une société à une banque d'une créance sur l'État dans le cadre d'une délégation de service public – Représentation, dans l'instance, du cédant par le cessionnaire – Inopposabilité des dispositions des articles L. 313-24 et suivants du code monétaire et financier – Requête du cédant en tierce-opposition déclarée irrecevable – Rejet.

En raison des liens de représentation existant entre une banque cessionnaire d'une créance sur l'État  et l'entreprise qui lui a cédé cette créance, la Banque représentait, au cours de l'instance, l'entreprise cédante et celle-ci ne pouvait donc pas former tierce opposition au jugement rendu au terme de l'instance, sans que puisse faire obstacle à cette solution la circonstance que le mécanisme particulier de cession de créance prévu par les articles L. 313-23 et suivants du code monétaire et financier est exclusif de toute notion de représentation ou de mandat. 

Cette solution n’allait pas de soi.

(21 octobre 2019, Société Alliance, n° 419153 ; sur la tierce opposition, on lira, dans cette chronique, au 19 : 9 octobre 2019, Ministre de l'économie et des finances, n° 430538 ; (SAS) Casil Europe, n° 431689)

 

84 - Opposition d’une fin de non-recevoir – Omission de réponse expresse à ce moyen – Examen du principal de la demande – Office du juge méconnu – Cassation.

Ne remplit pas son office la juridiction qui, saisie d'une fin de non-recevoir, fait droit aux conclusions de la partie adverse sans avoir au préalable écarté expressément cette fin de non-recevoir. Le jugement ainsi rendu encourt la cassation.

(21 octobre 2019, Syndicat intercommunal d'action sociale en milieu rural (SICASMIR) de Saint-Gaudens, n° 424235)

 

85 - Référé suspension – Autorisation de licenciement d'un salarié protégé – Décision entièrement exécutée – Caractère inopérant de la suspension d'exécution de cette autorisation par référé prudhommal – Recours devenu sans objet – Non-lieu à statuer.

La demande de sursis à l'exécution d'une décision administrative ne peut être dirigée que contre une décision encore susceptible d'exécution au moment où le juge statue, si elle a épuisé tous ses effets, la demande de suspension n'a plus d'objet et il n'y a plus lieu, pour le juge, de statuer. En l'espèce, pour accorder le sursis à l'exécution d'une autorisation ministérielle de licenciement, le juge administratif avait estimé que le juge des référés du conseil de prud'hommes ayant suspendu les effets du licenciement, l'autorisation ministérielle de licenciement n'était point encore "entièrement exécutée".

Le Conseil d'État rappelle ici que la décision administrative qui autorise le licenciement d'un salarié protégé doit être regardée comme entièrement exécutée à compter de l'envoi du courrier recommandé avec accusé de réception notifiant cette rupture.

Le juge des référés administratifs a commis une erreur de droit en jugeant le contraire : son ordonnance est cassée.

Examinant l'affaire au fond, le juge du Conseil d'État constate l'entière exécution de la décision dont était demandée la suspension d'exécution, cette dernière demande est devenue sans objet et il n'y a plus lieu pour le juge de statuer.

(21 octobre 2019, Société Allianz Vie, n° 427045 ; Ministre du travail, n° 427074)

 

86 - Appel – Rejet pour pièce manquante – Inexactitude matérielle du fait – Cassation avec renvoi.

Doit être cassée pour inexactitude matérielle du fait relevé l'ordonnance du président d'une cour administrative d'appel rejetant une requête pour défaut de production, avec le mémoire d'appel, du jugement attaqué, alors que cette pièce y figurait bien.

 (21 octobre 2019, Mme X., n° 427654)

 

87 - Permis de construire – Annulation – Dénaturation des pièces du dossier – Qualification d'une impasse comme comportant deux voies à sens unique – Voie à double sens – Cassation avec renvoi.

Dénature les pièces du dossier à lui soumis, le tribunal administratif qui annule un permis de construire au motif que l'impasse sur les côtés de laquelle est envisagée la construction est constituée de deux voies à sens unique alors qu'il résulte du dossier d'instruction qu'il s'agit d'une route à deux sens de circulation, séparés d'un muret sur quelques mètres seulement.

(21 octobre 2019, Société Angelotti, n° 428322)

 

88 - Expertise – Exigence d'un caractère contradictoire – Expertise non contradictoire ou ordonnée dans un autre litige – Éléments recueillis dans le cadre de l'expertise non contradictoire pouvant être soumis au débat contradictoire – Possibilité pour le juge d'en tenir compte à certaines conditions – Cassation avec renvoi.

Les expertises ordonnées dans le cadre de l'instruction des affaires sont soumises à la discussion contradictoire des parties ; à défaut, elles sont irrégulières.

Toutefois, estime le Conseil d'État  dans la présente décision, il est possible au juge de tenir compte des éléments que comporte soit une telle expertise  irrégulière soit une expertise ordonnée dans un autre litige (par ex. un litige se déroulant devant le juge judiciaire : 7 décembre 1951, Société des distilleries, entrepôts et usines du Languedoc et de Provence, n° 97564, Rec. 580) dès lors - et c'est là une condition alternative sine qua non - qu'ils constituent des constatations de pur fait non contestées (Cf. Section, 7 février 1969, Sieur X., n° 67774 à propos d'une recherche de causalité éventuellement fautive dans le cadre d'un constat d'urgence, Rec. 87) ou des éléments d'information que corroborent  d'autres éléments du dossier.

C'est donc par suite d'une erreur de droit que, dans cette affaire, la cour administrative d'appel a pris en compte les éléments d'une expertise ordonnée dans le cadre d'un autre litige alors qu'ils ne constituaient ni des éléments de pur fait non contestés par les parties ni des appréciations corroborées par d'autres éléments du dossier.

(23 octobre 2019, Centre hospitalier Bretagne Atlantique, n° 419274)

 

89 - Expert – Demande de récusation – Invocation de son défaut d'impartialité – Moyen devant être retenu – Cassation de l'arrêt d'appel avec renvoi.

Suite au décès in utero de leur enfant, ses parents ont recherché la responsabilité des deux centres hospitaliers intervenus. Une expertise est ordonnée mais pendant son déroulement les intéressés ont demandé la récusation de l'expert à raison de son défaut d'impartialité, ce qu'a refusé le tribunal administratif. Leur demande ayant été rejetée en première instance et en appel, ils se pourvoient en cassation.

Aucun appel n'ayant été formé dans les délais contre le jugement rejetant la demande de récusation, celui-ci est devenu définitif.

Deux questions essentielles devaient être résolues : 1°/ Quelles conséquences tirer du rejet définitif de la demande de récusation ? Le défaut d'impartialité peut-il encore être invoqué devant le juge ? 2°/ En cas de réponse positive, le comportement de l'expert révèle-t-il un défaut d'impartialité ?

Le Conseil d'État répond par l'affirmative à chacune des deux questions.

Tout d'abord, la forclusion de toute action en récusation, si elle ne permet plus la nomination d'un autre expert ou le rejet du rapport qu'il a produit, n'empêche pas pour autant l'invocation de son défaut d'impartialité.

Ensuite, pour établir ce défaut, le juge retient que cet expert, médecin gynécologue-obstétricien exerçant des responsabilités au sein de la principale organisation syndicale française de gynécologues-obstétriciens, avait, d'une part, pris parti, peu de temps avant la réalisation de l'expertise litigieuse et de manière publique, en expliquant qu'il était selon lui nécessaire que les gynécologues-obstétriciens soient mieux défendus devant les juridictions, d'autre part, mis en place, au sein de l'Union professionnelle internationale des gynécologues-obstétriciens, une commission dont il assurait la direction et qui était notamment chargée d'aider les gynécologues-obstétriciens à faire réaliser des expertises aux fins d'assurer leur défense devant les juridictions saisies de litiges indemnitaires dirigés contre eux. Si du seul fait de l'exercice de telles fonctions ne saurait être présumée une suspicion de partialité, néanmoins, dans les circonstances de l'espèce, il convient d'annuler l'arrêt frappé de pourvoi en ce qu'il a inexactement qualifié les faits en jugeant que les demandeurs n'étaient pas fondés à mettre en cause l'impartialité de l'expert.

Il appartiendra à la cour de réexaminer ce point mais la conviction du juge suprême transparaît clairement de la rédaction de sa décision.

(23 octobre 2019, M. et Mme X., n° 423630)

 

90 - Médiation – Médiation en cas de différend entre les entreprises et les administrations – Modes alternatifs de règlement des litiges – Nature juridique – Compétence de l'État – Soumission au principe d'impartialité – Rejet.

L'organisation requérante demandait l'annulation du décret n° 2018-919 du 26 octobre 2018 relatif à l'expérimentation d'un dispositif de médiation en cas de différend entre les entreprises et les administrations, celle du rejet implicite par le premier ministre de la demande d'abrogation dudit décret et celle du refus de la garde des sceaux de proposer au Premier ministre l'abrogation de ce décret.

Les divers arguments développés au soutien de cette requête sont rejetés.

Des réponses du juge on retiendra :

1°/ Cette importante affirmation de principe selon laquelle est une « mission d'intérêt général, qui relève de l'État, (celle) de développer les modes alternatifs de règlement des litiges, corollaire d'une bonne administration de la justice ». La qualification ainsi donnée semble excessive et pare d'atours très valorisants une solution plutôt dictée par des impératifs d'un prosaïsme absolu (aller vite, faire des économies, etc.). En outre, l’attribution à l’État de cette « mission » semble une pure pétition de principe.

2°/ Le rappel de la gratuité de la médiation organisée par ce décret et de l'absence de monopole au profit du médiateur des entreprises.

3°/ Que, comme toute autorité administrative et comme l'ensemble de l'administration active, le médiateur entre les entreprises et les administrations est soumis au principe d'impartialité : c’est le moins que l’on puisse attendre de celui-ci. En outre, du seul fait que cette fonction est confiée à une entité dépendant d'un ministre, ne saurait être déduite ipso facto une atteinte à l'exigence d'indépendance ou au principe d'impartialité.

(21 octobre 2019, Conseil national des barreaux, n° 430062)

 

91 - Recours répétitifs à la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) – Avocats désignés au titre de l'aide juridictionnelle demandant à être déchargés de leur mission – Bâtonnier refusant implicitement la communication au requérant des lettres des avocats – Demande d'annulation de cette décision implicite rejetée par le juge – Cassation avec renvoi.

Dans un litige relatif à la communication de documents administratifs, trois avocats successivement désignés au titre de l'aide juridictionnelle, demandent à être déchargés de la défense de l'intéressé. Celui-ci sollicite la production des courriers des avocats, ce que le bâtonnier de l'ordre refuse en raison du caractère répétitif ou systématique de ses demandes. Il saisit le juge mais sa demande ayant été rejetée pour le même motif, il se pourvoit en cassation.

Pour accueillir le pourvoi et casser le jugement contesté devant lui, le Conseil d'État, après avoir relevé que le requérant avait saisi la CADA à vingt-quatre reprises de demandes de communication de documents concernant exclusivement l'aide juridictionnelle, note qu'en revanche il n'a saisi qu'une fois le bâtonnier d'une telle demande. Celle-ci n'avait point le caractère répétitif ou systématique qui permet de faire échec au droit à communication des documents administratifs dans la mesure où il a pour effet de perturber le bon fonctionnement de l'administration sollicitée ou de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose.

C'est donc à tort que le tribunal administratif a rejeté le recours du demandeur.

On peut ne pas trouver satisfaisante une décision qui risque d'alimenter les penchants processifs d'une personne déjà quérulente en matière de recours administratifs.

(23 octobre 2019, M. X., n° 424230)

 

92 - Erreur matérielle contenue dans le dispositif d'un jugement – Office du juge de cassation – Pouvoir du juge de cassation de la rectifier – Cassation partielle et renvoi dans cette mesure.

Innovation jurisprudentielle dont le caractère expédient est bien venu : le juge de cassation se reconnaît le pouvoir de rectifier d'office une erreur matérielle contenue dans le dispositif d'un jugement qui lui est déféré.

Cela n'est pas dit mais va de soi : encore faut-il que le caractère d'erreur matérielle ressorte directement du jugement lui-même, notamment de ses motifs ou de ses visas.

(24 octobre 2019, Commune de Saint-Pierre-du-Perray, n° 425546)

 

93 - Requérant invité à confirmer le maintien de ses conclusions – Délai d'un mois – Désistement d'office à l'expiration du délai – Caractère franc de ce délai – Annulation du jugement et renvoi.

L'article R. 612-5-1 du CJA prévoit qu'à l'expiration du délai imparti par le président de la formation de jugement, qui ne peut être inférieur à un mois, le requérant est réputé s'être désisté de sa requête faute d'avoir confirmé ses conclusions avant l'expiration dudit délai. Ce délai, et c'est la nouveauté de cette décision, est franc. Il n'est donc tenu compte pour sa computation ni du dies a quo ni du dies ad quem.

(24 octobre 2019, Société Prologia, n° 424812)

 

94 - Référé suspension – Condition d'urgence – Reconnaissance d'une urgence en l'espèce – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit le juge du référé suspension qui aperçoit l'existence d'une urgence à statuer dans un dossier où la demande de suspension d'un arrêté du 13 février 2018, contre lequel le recours en annulation été formé le 15 octobre 2018, est formulée seulement le 25 mars 2019 sans que soient invoquées de circonstances particulières qui justifieraient l'écoulement d'un tel délai avant la saisine du juge des référés.

(24 octobre 2019, Ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 430319)

 

Professions réglementées

 

95 - Experts-comptables – Régime disciplinaire – Révocation automatique du sursis en cas de récidive – Absence de modulation possible – Renvoi d’une QPC.

Le Conseil d’État  estime que soulève une question présentant un caractère sérieux - notamment au regard du principe d’individualisation des peines -  la QPC relative à la constitutionnalité des dispositions de l'article 53 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 en tant qu'elles prévoient que le prononcé d'une nouvelle sanction disciplinaire pour une infraction ou une faute commise au cours du délai d'épreuve emporte révocation automatique du sursis à l'exécution de la première sanction sans que le juge disciplinaire ne puisse, par une décision motivée, dire que la sanction qu'il prononce n'entraîne pas la révocation du sursis antérieurement accordé ou n'entraîne qu'une révocation partielle.

(2 octobre 2019, Mme X., n° 432723)

 

96 - Médecin – Vaccination non obligatoire – Accord de la mère – Médecin ayant procédé à la vaccination – « Acte usuel de l'autorité parentale » – Notion – Absence – Faute disciplinaire – Annulation de la sanction.

Le consentement des parents ou de l’un d’entre eux à une vaccination constitue un « acte usuel de l'autorité parentale »(selon l’expression dont use l’art. 372-2 du Code civil)  même lorsque cette vaccination, comme en l’espèce, n’est pas obligatoire. C’est à tort que la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins s'est fondée sur la seule circonstance que la vaccination en cause n'était pas obligatoire, pour en déduire qu'elle ne pouvait être qualifiée d'acte usuel de l'autorité parentale quelle que soit l'appréciation portée sur l'absence ou non de risque pouvant en résulter.

La décision de sanction est cassée.

(4 octobre 2019, Mme X., n° 417714)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

97 - Inspection du travail – Décision d'ordonner l'arrêt de travaux ou d'utilisation d'un appareil – Danger grave et imminent pour la vie ou la santé du travailleur (art. L. 4731-1 c. trav.) – Compétence du juge administratif des référés substituée à celle du juge judiciaire des référés – Allégation d'inconstitutionnalité de la disposition contestée – Rejet.

(2 octobre 2019, Société Auchan Hypermarché, n° 432388) V. n° 70

 

98 - Conventions collectives – Arrêté portant fusion des champs conventionnels de deux conventions collectives – QPC portant sur l'atteinte portée par certaines dispositions du code du travail aux droits et libertés garantis par la Constitution – Admission du moyen et renvoi au Conseil constitutionnel.

(2 octobre 2019, Fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle CGT (CGT spectacle) et syndicat français des artistes-interprètes CGT (SFA-CGT), n° 431750) V. n° 41

 

99 - Experts-comptables – Régime disciplinaire – Révocation automatique du sursis en cas de récidive – Absence de modulation possible – Renvoi d’une QPC.

(2 octobre 2019, Mme X., n° 432723) V. n° 95

 

100 - Étrangers – Demande d’asile – Procédure (art. L. 743-1 et art. L. 743-2, 4°bis et 7° CESEDA) – Respect du contradictoire – Interventions concomitantes du tribunal administratif et de la Cour nationale du droit d’asile – Refus du renvoi d’une QPC.

(2 octobre 2019, Mme X., n° 432740) V. n° 58

 

101 - Nouvelle-Calédonie – Loi du pays instituant un plafonnement de la déductibilité des frais généraux pour les entreprises dont le siège ou la direction effective se situe hors de la Nouvelle-Calédonie – Atteinte au principe d’égalité devant la loi – Moyen présentant un caractère sérieux – Renvoi de la QPC.

Une « loi du pays » du 18 décembre 2015 décide que les entreprises n’ayant pas en Nouvelle-Calédonie leur siège social ou leur direction effective ne pourront déduire de leur chiffre d’affaires imposable qu’un montant de frais généraux plafonné à 5 % du montant des services extérieurs.

Arguant de ce que cette disposition introduit entre les établissements exerçant des activités sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie une inégalité selon qu’elles y ont ou non leur siège social ou leur direction effective, la banque requérante soulève une QPC fondée sur la violation par ladite « loi » du  principe d'égalité devant la loi fiscale et devant les charges publiques et sur ce que, d’une part, son article 7 méconnaît les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 en donnant un effet rétroactif aux dispositions de cette loi et, d’autre part, ses articles 6 et 7  sont entachés d'incompétence négative  car le premier se borne à renvoyer à un arrêté le soin de déterminer les services extérieurs pris en compte et le second ne définit pas les conditions d'entrée en vigueur du mécanisme de plafonnement.

Le Conseil d’État aperçoit ici des moyens sérieux justifiant le renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel.

(4 octobre 2019, Société Casden Banque Populaire SA, n° 432615)

 

Responsabilité

 

102 - Directive relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur – Transposition incomplète ou imparfaite – Responsabilité de l'État du chef du préjudice subi par un retraité – Décret d'application non pris – Privation pendant un certain temps de la garantie instituée contre la perte de retraites – Réparation non atteinte par la prescription quadriennale – Lien de causalité seulement partiel entre la faute et le dommage invoqué – Inexistence d'un principe " d'intangibilité " des droits à pension – Cassation partielle avec renvoi sur l'établissement du lien de causalité et sur l'évaluation du préjudice.

Un retraité, victime de la suspension de sa pension de retraite supplémentaire financée par son ancien employeur, du fait de la mise en redressement puis en liquidation judiciaires de ce dernier, recherche la responsabilité de l'État de ce chef.

Il reproche à celui-ci sa défaillance dans la transposition de l'article 8 de la directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980 - telle qu'interprétée par la CJUE (25 janvier 2007, Robins, aff. C-278/05) - concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur. Son action, rejetée en première instance, est partiellement admise en appel. Un double pourvoi saisit le Conseil d'État, celui du salarié et celui de la ministre des solidarités et de la santé.

Le Conseil d'État admet la responsabilité de l'État en raison de l'absence d'adoption du décret auquel renvoyaient les dispositions du 2° de l'article L. 941-2 du code de la sécurité sociale résultant de la loi du 8 août 1994. En effet, l'application de ces dispositions, prévoyant la faculté de satisfaire à l'obligation instituée par cet article par des provisions constituées par la ou les entreprises adhérentes, faculté dont le législateur avait entendu subordonner la mise en œuvre à la couverture du risque d'insolvabilité de ces entreprises, était manifestement impossible.

Cette carence du pouvoir réglementaire, n'a pas fait obstacle à l'entrée en vigueur des autres dispositions du même article L. 941-2, dont les trois premiers alinéas étaient suffisamment précis et pouvaient entrer en vigueur indépendamment de la faculté prévue par les dispositions de son 2°. Il s'ensuit que, sur ce point, la loi a bien pris des mesures propres à garantir, contre le risque lié à l'insolvabilité des employeurs, les engagements portés par les institutions de retraite supplémentaire qui sont nés entre le 11 août 1994 et la transformation de ces institutions en institutions de gestion de retraite supplémentaire.

Toutefois, en revanche, aucune disposition de la loi ayant effet direct ou de son décret d'application ne faisait obligation à une entreprise adhérant à une institution de gestion de retraite supplémentaire ni à une telle institution de couvrir les engagements antérieurs au 11 août 1994 ou postérieurs à la création de l'institution. Le requérant se trouvait précisément dans ce cas. C'est donc sans erreur de droit que la cour a jugé que l'État  avait commis une faute découlant directement du seul fait de la non transposition résultant, à cette date, de l'absence des mesures nécessaires à la complète transposition de l'article 8 de la directive 80/987, remplacée par la directive 2008/94, cela d'autant plus que la CJUE a estimé que la nature et l'étendue de l'obligation incombant aux États membres en vertu de l'article 8 de la directive 80/987, remplacée par la directive 2008/94, ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, ont été claires et précises au plus tard à compter du prononcé de l'arrêt Robins précité, soit à partir du 25 janvier 2007, y compris pour les engagements nés antérieurement à cette date, et que, par conséquent, une législation nationale qui aboutit à ce qu'en cas d'insolvabilité de son employeur un travailleur ne perçoive pas la moitié au moins de la valeur de ses droits à retraite supplémentaire constitue en soi une violation caractérisée des obligations de l'État  membre concerné (25 avril 2013, Hogan et autres, aff. C-398/11).

Répondant à certains arguments de la ministre défenderesse se pourvoyant, le Conseil d'État précise encore que le préjudice est certain et que la demande indemnitaire n'est pas atteinte par la prescription quadriennale, ayant commencé à courir seulement à compter du jour où l'ancien employeur du salarié a été placé en redressement judiciaire, soit dix-huit mois environ avant l'introduction de l'instance. Il relève également que le préjudice subi n'a pas pour cause exclusive les carences de l'État.

Enfin, contrairement à ce qu'avait jugé la cour, le Conseil d'État considère que la protection instituée par l'art. 8 de la directive de 1980 doit être assurée pendant toute la durée de la retraite conformément à la solution en ce sens retenue par la CJUE (6 septembre 2018, Grenville Hampshire, aff. C-17/17).

(21 octobre 2019, M. X., n° 421577 ; Ministre des solidarités et de la santé, n° 421641)

 

103 - Responsabilité hospitalière – Lien de causalité établi entre des fautes et des dommages – Expertise ordonnée pour déterminer l'ampleur des dommages subis – Allocation, dans le même temps, d'une provision – Régularité – Rejet.

Une juridiction, ayant reconnu l'existence de deux faits au moins, imputables à un hôpital, ayant eu un rôle (totalement ou partiellement) causal dans la réalisation du préjudice dont le requérant demande réparation, peut-elle, du même mouvement, lui allouer une provision alors qu’elle a ordonné une expertise en vue d’établir l’ampleur du préjudice ?

Telle est la question importante soulevée dans cette décision.

Le Conseil d'État y répond positivement mais sous deux conditions dont on peut penser que, dépassant le cas d'espèce, elles ont valeur générale. En premier lieu, le lien de causalité entre faute(s) et préjudice, même s'il devait se révéler partiel, doit être établi avec certitude, ce qui tombe sous le pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond. En second lieu, le montant de la provision doit être nettement inférieur à ce qui sera sans doute alloué in fine, au vu d'une prévision raisonnable.

En revanche, il n'est pas du tout nécessaire que le juge précise les liens entre les faits fautifs et chacun des postes du préjudice invoqué par la victime pour fixer le montant de la provision qu'il décide de lui allouer.

(23 octobre 2019, Centre hospitalier de Cannes, n° 420485)

 

104 - Responsabilité de la puissance publique – Loi interdisant toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de sa (leur) qualité vraie ou supposée de harki – Loi dépourvue de sanction pénale – Demande de réparation des préjudices subis de ce fait – Rejet.

L'article 5 de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, a interdit toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de sa (leur) qualité vraie ou supposée de harki. Ces dispositions ne prévoyant pas de sanctions pénales en cas de violation de cette interdiction, les requérants sollicitent la condamnation de l'État à verser certaines sommes en réparation des préjudices moraux et matériels qu'ils estiment avoir subis de ce fait.

Leur action, rejetée en première instance et en appel, l'est également par le juge de cassation dans les deux griefs articulés à l'endroit de la loi.

Tout d'abord, celle-ci ne saurait entraîner condamnation de l'État à réparer le préjudice qui résulterait d'une prétendue rupture de l'égalité devant les charges publiques car il n'existe au profit des demandeurs aucun droit propre à ce qu'un manquement à une interdiction posée par la loi imposerait l'incrimination pénale dudit manquement. Dès lors, en l'absence de préjudice ne saurait être invoquée une rupture de l'égalité devant les charges publiques. Ce qui signifie a contrario qu’en présence d’un préjudice ce fondement de responsabilité eût pu être accueilli.

Ensuite, l'absence d'incrimination pénale d'un comportement prohibé ne porte atteinte à aucune obligation résultant d'engagements internationaux en ce sens non plus qu'à aucune exigence constitutionnelle. Là encore, l'absence de préjudice entraîne le rejet de la demande.

Il est cependant une interrogation à formuler : à quoi cela sert-il d'interdire quelque chose sans que sa commission soit sanctionnable ? Bel exemple de loi "bavarde" sauf à ce qu'elle puisse servir de base à une action en responsabilité civile contre les éventuels transgresseurs.

(24 octobre 2019, Association générations mémoire Harkis et autre, n° 407932)

 

105 - Droit au logement opposable (DALO) – Famille reconnue prioritaire - Injonction du juge au préfet – Inexécution du jugement pendant 68 mois – Carence fautive – Responsabilité de l'État – Circonstance du caractère plus coûteux du relogement pour les intéressés que le maintien de leur situation actuelle étant sans effet sur l'obligation de l'État  et, partant, sur sa responsabilité – Annulation du jugement.

Une femme et ses enfants ayant été reconnus prioritaire pour l'attribution d'un relogement d'urgence, le tribunal saisi enjoint au préfet d'assurer ce relogement. Celui-ci n'ayant pas exécuté ce jugement pendant près de six ans (de mars 2010 à novembre 2015), l'intéressée saisit le juge d'une demande de réparation du préjudice qui est résulté de cette carence fautive.  Son recours est rejeté au motif que s'il existe bien une faute il n'existe pas, ici, de préjudice indemnisable car la demanderesse n'établit pas que les frais dont elle demande l'indemnisation étaient supérieurs aux loyers et charges qu'elle aurait supportés en cas de relogement.

Elle se pourvoit en cassation contre ce jugement de rejet.

Le Conseil d'État annule ce raisonnement pour erreur de droit : du seul fait de la persistance de la situation qui avait motivé la décision favorable à son relogement prise par la commission de médiation, la requérante avait droit à la réparation des troubles subis dans ses conditions d'existence.

(23 octobre 2019, Mme X., n° 422023)

 

Santé publique

 

106 - Spécialité pharmaceutique ADCETRIS inscrite sur la liste ad hoc (art. L. 162-22-7 code de la santé publique) – Demande d'inscription sur cette liste d'une extension d'indication de cette spécialité – Refus ministériels (ministres de la santé et des finances), fondés sur un avis de la commission de la transparence de la Haute autorité de santé (HAS), pour absence d'intérêt de santé publique – Erreur manifeste d'appréciation - Annulation et injonction de réexamen de la demande d'inscription de l'extension d'ADCETRIS.

La société requérante produit une spécialité pharmaceutique, ADCETRIS, qui, dans sa première indication, a obtenu une autorisation européenne de mise sur le marché à titre conditionnel. Ce médicament entre dans le traitement de la grave maladie dénommée " lymphome hodgkinien ". La société a demandé que soit inscrite sur la liste des spécialités pharmaceutiques (Cf. art. L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale), dite " liste en sus ", une extension d'indication de cette spécialité, l'ADCETRIS 50 mg, poudre pour solution à diluer pour perfusion, dont le principe actif est le brentuximab vedotin, dans l'indication de traitement du lymphome hodgkinien CD30 positif chez les patients adultes ayant un risque accru de récidive ou de progression après une greffe autologue de cellules souches.

Les ministres de la santé et des finances, après que la commission de la transparence de la Haute autorité de santé a rendu un avis négatif, ont refusé l'inscription sollicitée sur ladite liste. Dans son avis, dont les ministres se sont appropriés les termes, cette commission avait dénié un intérêt de santé publique à l'extension d'indication considérée, en dépit de la gravité de la pathologie et de l'existence d'un besoin médical mal couvert car elle avait relevé « l'incidence de ces patients à ce stade de la maladie estimée à environ 110 nouveaux patients par an », « l'absence de réponse au besoin médical identifié », également du fait de l'absence d'impact de la spécialité sur la morbidité et la mortalité des patients concernés, et, enfin, « l'impact potentiellement négatif d'ADCETRIS dans le cadre d'un traitement d'entretien sur la qualité de vie des patients ». 

Examinant de façon précise et approfondie les données figurant au dossier, le Conseil d'État   relève qu' « il ressort des pièces du dossier que les données disponibles à la date de la décision attaquée montraient que l'administration de la spécialité dans l'extension d'indication permettait un allongement de la survie sans progression de la maladie, qui est un indice de la morbidité de la population concernée, supérieur à 18 mois pour la médiane des patients par rapport au bras placebo, sans que des données relatives au gain de survie globale soient encore disponibles, et que le traitement par ADCETRIS dans cette indication, administré en séjour hospitalier ambulatoire, à raison d'une fois toutes les trois semaines, sur une période d'environ un an, permettait aux patients concernés, notamment les plus jeunes, de poursuivre une activité normale, contrairement aux traitements de deuxième (une nouvelle poly-chimiothérapie associée à une greffe autologue de cellules souches hématopoïétiques, dite autogreffe) et de troisième lignes (pour les patients adultes atteints d'un lymphome hodgkinien CD30 positif qui s'est révélé récidivant ou réfractaire après un traitement de première ligne, qui consiste en une poly-chimiothérapie éventuellement suivie d'une radiothérapie) ... ».

Le juge en déduit que c'est par suite d'une erreur manifeste d'appréciation que la commission de la transparence de la HAS a cru pouvoir écrire que la spécialité en cause n'avait pas d'impact sur la morbidité des patients concernés et avait un impact négatif sur leur qualité de vie. De façon sans doute surabondante dans son esprit mais importante, le juge relève aussi que « si la prévalence d'une maladie peut être prise en considération dans l'appréciation de l'intérêt de santé publique d'une spécialité, le faible nombre de patients concernés ne peut, à lui seul, justifier qu'un tel intérêt lui soit dénié ».

Il en résulte que le juge n'ayant pas trouvé dans le dossier d'éléments justifiant le refus opposé, celui-ci repose donc sur une erreur manifeste d'appréciation et entraîne son annulation avec injonction pour les ministres concernés de procéder, sous deux mois, à un réexamen de la demande de la société de production d'ADCETRIS.

(21 octobre 2019, Société Takeda France, n° 419169)

 

107 - Médicaments – Médicaments pouvant être délivrés sans prescription médicale – Recommandations de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé – Nom des médicaments – Interdiction des marques "ombrelles" – Étiquetage des conditionnements des médicaments – Rejet.

L'association requérante demandait l'annulation pour excès de pouvoir des recommandations, adoptées en janvier 2018 par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), intitulées « Étiquetage des conditionnements des médicaments sous forme orale solide (hors homéopathie) - Recommandations à l'attention des demandeurs et titulaires d'autorisations de mise sur le marché et d'enregistrement », en particulier  en tant qu'elles interdisent l'utilisation de " marques ombrelles " pour les médicaments de prescription facultative ou, à défaut de divisibilité de ces dispositions, elle demandait l'annulation des recommandations en leur entier.

Sans surprise, la requête est rejetée après que le Conseil d'État s’est prononcé positivement sur sa recevabilité en tant qu'elle est dirigée contre des recommandations de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé tendant à prévenir des erreurs médicamenteuses (V. aussi ci-dessus au n° 11). On notera que ces recommandations sont dites n'être pas des mesures de police sanitaire.

Tout d'abord, le choix du nom d'un médicament et des mentions de son étiquetage n'affecte pas l'environnement ou ne met pas en jeu le principe de précaution, d'où le caractère irrelevant de l'invocation, par la demanderesse, respectivement, de l'art. 5 de la Charte de l'environnement figurant en préambule de la Constitution de 1958, et du principe de précaution tel que l'interprète la CJUE.

Ensuite, concernant les recommandations relatives au nom des médicaments, il est jugé qu'en recommandant d'éviter l'emploi de "marques ombrelles" pour les médicaments l'ANSM n'a ni excédé ses compétences (telles qu'elles résultent des art. R. 5121-2 et R. 5121-3 du code de la santé publique), ni commis une erreur manifeste d'appréciation. En effet, une telle pratique consiste, pour un titulaire d'autorisations de mises sur le marché de médicaments pouvant être délivrés sans prescription médicale, soit à utiliser un même nom de fantaisie pour plusieurs médicaments dont la composition en substances actives et les indications thérapeutiques sont différentes, soit à choisir, pour un médicament, un nom de fantaisie qui partage tout ou partie du nom d'un autre produit de santé tel un dispositif médical, d'un produit cosmétique ou encore d'une denrée alimentaire. Il s'ensuit des risques de confusion entre produits ou d'erreur sur le produit lui-même, cela d'autant plus que ces médicaments sont délivrés sans prescription médicale.

Enfin, pour ce qui regarde l'étiquetage des conditionnements de ces médicaments, il est rappelé que le code de la santé publique ne distingue pas, pour l'étiquetage des médicaments, selon qu'ils sont délivrés sur prescription médicale ou non. Ces recommandations se bornent à améliorer la lisibilité des conditionnements et la bonne compréhension des informations qu'ils contiennent. Elles n'empêchent point leurs destinataires de connaître avec précision et d'identifier clairement le nom et le logo de la marque ou du laboratoire.

(21 octobre 2019, Association française de l'industrie pharmaceutique pour une automédication responsable (AFIPA), n° 419996 et n° 419997)

 

108 - Thanatopracteurs – Opérations funéraires sur le corps de personnes décédées atteintes de maladies transmissibles – Conditions de réalisation des soins de conservation à domicile – Abrogation des mesures antérieures de protection sanitaire des thanatopracteurs et de leur personnel – Demande de rétablissement – Rejet.

Le syndicat requérant sollicitait du juge, par trois requêtes distinctes mais jointes, l'annulation de la décision implicite par laquelle la ministre des solidarités et de la santé avait rejeté sa demande tendant à l'abrogation de l'arrêté du 12 juillet 2017, du décret du 10 mai 2017 et de l'arrêté du 10 mai 2017, qui, respectivement, fixent les listes des infections transmissibles prescrivant ou portant interdiction de certaines opérations funéraires (Cf. art. R. 2213-2-1 du CGCT), les conditions d'intervention des thanatopracteurs et de l'information des familles concernant les soins de conservation et, enfin, les conditions de réalisation des soins de conservation à domicile. En bref, il était reproché au pouvoir réglementaire l'insuffisance des mesures prises par lui pour assurer la protection des thanatopracteurs, eu égard à la possibilité de pratiquer des soins de conservation sur les corps des personnes décédées d'infection à VIH ou d'hépatite B ou C.

Le Conseil d’État rejette tous les arguments avancés et donc la requête dont il était saisi : le refus d'abrogation de ces textes opposé par le premier ministre n'était pas illégal.

En premier lieu, le décret et l'arrêté du 10 mai 2017 ne portent pas atteinte à un prétendu droit d'accès des thanatopracteurs au dossier médical d'un défunt, accès qui touche notamment aux garanties fondamentales reconnues aux patients et qui n'est ni prévu, ni impliqué nécessairement par les dispositions législatives relatives à l'exercice de leur profession. Un tel droit d'accès ne saurait être institué par le pouvoir réglementaire, qui ne dispose pas de la compétence pour ce faire. Semblablement, ces deux textes, pris sur le fondement de l'article L. 2223-20 du CGCT, ont pour objet de déterminer les conditions d'intervention des thanatopracteurs et l'information des familles concernant les soins de conservation et non de fixer les conditions de capacité professionnelle et de formation des thanatopracteurs. Il ne saurait donc leur être reproché de n'avoir pas prévu la mise en place d'une formation à la réalisation de soins de conservation sur les personnes atteintes, de leur vivant, par les virus de l'hépatite B ou C ou celui de l'immunodéficience humaine. Enfin, en renforçant les obligations de protection individuelle incombant aux thanatopracteurs lorsqu'ils pratiquent des soins de conservation au domicile du défunt, l'arrêté du 10 mai 2017, pris en suivant l'avis du Haut conseil de la santé publique, ne contient pas - contrairement à ce qui était soutenu - des mesures impropres à protéger les thanatopracteurs contre les risques infectieux et chimiques.

En second lieu, concernant l'arrêté du 12 juillet 2017, était contestée la décision qu'il contient de lever l'interdiction de pratiquer des soins de conservation des corps des personnes décédées porteuses des virus de l'immunodéficience humaine ou de l'hépatite B ou C. Le juge relève cependant que cette décision a été précédée de l'adoption des mesures réglementaires précisant les conditions auxquelles des soins peuvent être pratiqués au domicile du défunt et renforçant, dans ce cas, les exigences résultant de l'arrêté précédent, en date du 10 juillet 2013. Elle a également été assortie de l'obligation de vaccination des thanatopracteurs contre le virus de l'hépatite B (cf. art. L. 3111-3 du code de la santé publique, décret du 16 décembre 2016 relatif à la vaccination contre l'hépatite B des thanatopracteurs et arrêté du 26 décembre 2016 relatif aux conditions de vérification de l'immunisation des thanatopracteurs en formation pratique et en exercice soumis à l'obligation de vaccination contre l'hépatite B) dont la mise en œuvre a débuté le 1er janvier 2018. Enfin, tout en constatant que les travaux menés en vue du renforcement de la formation des thanatopracteurs, préconisé notamment par le Haut Conseil de la santé publique, n'ont pas encore abouti, le Conseil d'État  note, tout d’abord, que l'accès au diplôme national de thanatopracteur comprend déjà une formation à la microbiologie, à l'hygiène et à la toxicologie et, depuis l'entrée en vigueur de l'arrêté du 18 mai 2010 fixant les conditions d'organisation de la formation et de l'examen d'accès au diplôme national de thanatopracteur, une formation à la sécurité sanitaire et à l'évaluation des risques sanitaires, et, ensuite, que l'arrêté du 10 juillet 2013 relatif à la prévention des risques biologiques auxquels sont soumis certains travailleurs susceptibles d'être en contact avec des objets perforants impose à l'employeur, notamment, d'informer les travailleurs sur « les bonnes pratiques en matière de prévention » et d'organiser « la formation des travailleurs dès l'embauche, (...) portant notamment sur : / 1. Les risques associés aux AES [accidents exposant au sang ou à un autre liquide biologique considéré comme potentiellement contaminant]. / 2. Les mesures de prévention (...) / 3. Les procédures de déclaration des AES (...) / 4. Les mesures à prendre en cas d'AES » en précisant que : « La formation des travailleurs sera renouvelée régulièrement, notamment en cas de modification de l'organisation du travail ou des procédures ».

(21 octobre 2019, Syndicat professionnel des thanatopracteurs indépendants et salariés, n° 420746, n° 420747 et n° 420748)

 

Service public

 

109 - Réorganisation des postes comptables des services déconcentrés de la direction générale des finances publiques (DGFIP) en Corse – Suppression d'une trésorerie – Principe d'égalité entre usagers dans l'accès au service public – Absence d'atteinte – Rejet.

Un contribuable conteste l'arrêté ministériel qui, dans le cadre de la réorganisation des postes comptables des services déconcentrés de la DGFIP en Corse, a supprimé une trésorerie dans une commune pour la rattacher à celle de Corte. En obligeant les habitants des communes touchées par cette mesure à un allongement du trajet il serait porté atteinte au principe d'égal accès des usagers au service public.

L'argument est rejeté car, d'une part, la suppression progressive de la taxe d'habitation, source la plus fréquente de déplacements, et d'autre part, l'existence de moyens téléphoniques et électroniques de communication avec les services fiscaux justifient une solution qui ne porte ainsi pas atteinte au principe invoqué.

(1er octobre 2019, M. X., n° 426092)

 

110 - Transports publics – Île-de-France – Réductions tarifaires accordées aux personnes étrangères – Condition d'obtention – Exigence d'être en situation régulière – Illégalité – Rejet.

La requérante demandait l'annulation de l'arrêt ayant prononcé l'annulation d'une délibération tarifaire d'un syndicat de transports instituant le bénéfice des réductions tarifaires dans les transports franciliens, aux personnes dont les ressources sont égales ou inférieures au plafond fixé en application de l'article L. 861-1 du code de la sécurité sociale, « à l'exclusion des personnes justifiant du bénéfice de l'aide médicale d'État ».

Le syndicat soutenait, d'une part, que la réduction tarifaire instituée de plein droit au bénéfice des personnes mentionnées à l'article L. 1113-1 du code des transports, ne serait applicable, s'agissant des personnes de nationalité étrangère, que pour autant qu'elles soient en situation régulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour, et d'autre part, qu'en conséquence,  l'autorité organisatrice de la mobilité serait tenue d'exclure de son bénéfice les personnes en situation irrégulière, sauf à commettre le délit pénal d'aide à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France, prévu et réprimé par les dispositions de l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Rejetant cette argumentation et donc le pourvoi, le Conseil d'État  juge qu'en réalité « le législateur a mis pour unique condition au bénéfice de la réduction tarifaire qu'il a instituée un montant de ressources égal ou inférieur au plafond fixé en application de l'article L. 861-1 du code de la sécurité sociale et que ce plafond de ressources, s'il a été choisi comme condition d'accès à la couverture maladie universelle puis pour la couverture maladie universelle complémentaire, a également été retenu par le législateur pour permettre aux étrangers présents de manière ininterrompue mais non régulière sur le territoire national depuis au moins trois mois, d'accéder à l'aide médicale de l'État. En faisant référence à ce plafond et non à la qualité de bénéficiaire de la couverture maladie universelle ou de la couverture maladie universelle complémentaire, le législateur a ainsi nécessairement entendu permettre aux bénéficiaires de l'aide médicale de l'État de prétendre à la réduction tarifaire prévue à l'article L. 1113-1 du code des transports, sans que puissent y faire obstacle les dispositions de l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ». On relèvera le caractère très "constructif" de la solution retenue.

(9 octobre 2019, Syndicat des transports d'Ile-de-France (STIF) devenu Ile-de-France Mobilités, n° 423937)

 

111 - Centrale de production d'énergie électrique – Convention entre une commune et une entreprise privée – Nature de la convention – Concession – Absence – Erreur de droit – Annulation.

Dans le cadre d'un référé, commet une erreur de droit le juge qui, pour qualifier de concession de service public la convention liant une commune à une entreprise privée en vue de la production d'énergie hydroélectrique, se borne à constater que l'exploitation d'ouvrages de production d'énergie électrique a pour objet l'exécution d'un service public sans tenir compte des termes de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique alors en vigueur, laquelle, en son art. 2,  réserve la nature de concession que dans le cas des conventions portant sur des installations hydrauliques dont la puissance excède 4500 kilowatts.

Dès lors, l'ordonnance de référé ne pouvait, pour résoudre le litige qui lui était soumis, et donner satisfaction à la commune, demanderesse en première instance, se fonder sur les obligations qui sont normalement celles d'un contractant participant à l'exécution du service public, notamment l'obligation de conserver les biens en bon état d'entretien et conformes à leur destination.

(9 octobre 2019, Société Ingénierie Gestion Industrie Commerce, n° 429805)

 

112 - Égalité devant le service public – Personnel de la SNCF, de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités – Parent d'enfant handicapé ayant interrompu un temps sa carrière – Bénéfice d'une retraite anticipée avec jouissance immédiate – Règles différentes selon les cas – Illégalité – Annulation.

Étaient contestées deux dispositions du décret du 30 juin 2008 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la SNCF, SNCF réseau et SNCF Mobilités en ce qu'elles concernaient les possibilités de retraite anticipée avec jouissance immédiate ouvertes à certaines personnes ayant élevé un enfant handicapé.

Par la première (quatrième alinéa du II de l'art. 3), le bénéfice d'un départ anticipé à la retraite avec jouissance immédiate est réservé aux seuls parents ayant interrompu ou réduit leur activité professionnelle durant les trois ans suivant la naissance de l'enfant handicapé. Sont donc exclus de cette mesure les parents qui ont réduit ou interrompu leur activité après que leur enfant a atteint cet âge alors qu'il était encore à leur charge. Le Conseil d'État juge - et doit être pleinement approuvé pour cela - que cette différence de traitement ne se justifie ni par une différence de situation au regard des préjudices de carrière liées à la charge supplémentaire qu'impose l'éducation d'un enfant handicapé, que la mesure vise à compenser, ni par un motif d'intérêt général. Elle est annulée.

Par la seconde (cinquième alinéa du II de l'art. 3), une différence est établie entre, d'une part, les parents d'un enfant handicapé qui ont réduit ou interrompu leur activité avant que leur enfant ait atteint l'âge de trois ans et d'autre part, les personnes qui, en qualité de conjoints de parent d'un enfant issu d'un mariage précédent, de titulaires d'une délégation de l'autorité parentale, de tuteurs ou ayant recueilli un enfant à leur foyer, ont élevé un enfant handicapé pendant au moins neuf ans avant son vingt et unième anniversaire. Les premiers seuls se voient reconnaître le droit à une retraite anticipée avec jouissance immédiate. Là aussi le juge ne trouve aucune justification à l'atteinte ainsi portée au principe d'égalité.

Est donc annulé le refus implicite du premier ministre d'abroger les dispositions critiquées avec injonction de le faire sous trois mois et menace d'une astreinte passé ce délai sans exécution de la décision.

(9 octobre 2019, M. X., n° 428634)

 

Sport

 

113 - Discipline sportive – Sanction prononcée à l’encontre d’un entraîneur-dirigeant de club par une fédération sportive agréée – Fédération exerçant un monopole de service public – Interdiction à vie d’accès de l’entraîneur audit service public – Annulation de l’arrêt d’appel pour inexacte interprétation de la décision administrative attaquée.

La fédération requérante a infligé à un entraîneur - également dirigeant d’un club qui lui est affilié - les sanctions de radiation à vie de toutes fonctions officielles, d'interdiction d'accès au stade pendant cinq ans et d'interdiction à vie de vestiaire des arbitres et de banc de touche.

Ce dernier a d’abord été débouté de son action en annulation desdites sanctions, puis ce jugement a été annulé en appel, d’où le pourvoi formé par la fédération.

Deux points importants sont abordés dans cette décision.

En premier lieu, pouvait se poser la question de la compétence du juge administratif pour connaître de ce litige. Cependant, cette fédération jouissant d’un monopole dans l’exercice de sa mission de service public d’organisation des compétitions sportives en vue de l’octroi de titres nationaux et le club dirigé par la personne sanctionnée lui étant affilié, les décisions qui ont été prises ne concernaient point le fonctionnement interne de la fédération - ce qui du fait de sa nature de personne morale de droit privé eût entraîné la compétence du juge judiciaire - mais l’organisation même du service public : leur contestation relevait d’évidence de la compétence de l’ordre administratif de juridiction.

En second lieu, la cour administrative d’appel, pour annuler le jugement qui avait débouté cet entraîneur dans sa demande d’annulation des sanctions, s’est fondée sur ce que la décision de la fédération se serait, notamment, fondée sur des faits matériellement inexacts car elle n’établissait pas que l’intéressé aurait déjà fait l'objet d'une sanction définitive pour des faits similaires à ceux qui lui étaient reprochés et qu'aucune récidive ne pouvait en conséquence être caractérisée en l'espèce. Le Conseil d’État censure ce raisonnement car il résulte du libellé même de la décision contestée en première instance que celle-ci «  se borne à indiquer, pour justifier les sanctions infligées à l'intéressé, que celui-ci a déjà fait l'objet d'une procédure disciplinaire pour des faits similaires, sans faire référence à la notion de récidive, ni même aux dispositions du règlement disciplinaire fédéral relatives à cette notion ». C’est donc par une inexacte interprétation des termes de la décision litigieuse que la cour s’est déterminée, d’où l’annulation de son arrêt.

Cette décision laisse le lecteur dubitatif : la répétition des comportements reprochés a nécessairement pesé dans le choix par la fédération requérante des sanctions et de leur échelle. Ce n’est d’ailleurs qu’ainsi que peut se comprendre le fait qu’elle ait souligné dans sa décision la répétition des faits reprochés. Sinon pourquoi en parler si ce n’est pour ne pas en tenir compte ?

On a l’impression que le Conseil d’État voulait « sauver » une décision qui lui paraissait fondée eu égard à la gravité des faits tandis que la cour voulait « sauver » le respect du droit…

(9 octobre 2019, Fédération calédonienne de football, n° 421367)

 

Urbanisme

 

114 - Loi Montagne (9 janvier 1985) – Conditions de l'urbanisation – Notions de zones d'habitat diffus et de continuité avec des bourgs, villages ou hameaux existants – Groupes déjà existants de constructions traditionnelles ou d'habitations (art. L. 145-3, III, c. urb.) –Perception de constructions comme appartenant à un même ensemble – Rejet.

La cour administrative d'appel annule le jugement par lequel ont été rejetées les demandes d'un particulier et d'une association tendant à l'annulation de deux permis de construire des maisons individuelles situés dans la zone NBa d'un plan d'occupation des sols.

Outre une question d'alimentation en eau potable, se posait celle de l'application en l'espèce et de la portée des dispositions particulières d'urbanisme figurant dans la loi Montagne.

En l'espèce, est déclarée applicable une directive territoriale d'aménagement puisque demeurée en vigueur et compatible avec les dispositions des art. L. 145-1 et suivants du code de l'urbanisme qui transcrivent celles de la loi Montagne en ce qu'elles concernent l'urbanisation en zone de montagne. De là il résulte que peut être autorisée l'urbanisation, au moyen de constructions nouvelles, lorsqu'elle est en continuité soit « avec les bourgs, villages et hameaux existants » soit avec les « groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants ». Ceci permet donc les constructions nouvelles qui, ne s'inscrivant pas dans les traditions locales, ne pourraient être regardées comme un hameau. Le juge définit ici le groupe, de constructions traditionnelles ou d'habitations, comme celui qui « suppose plusieurs constructions qui, eu égard notamment à leurs caractéristiques, à leur implantation les unes par rapport aux autres et à l'existence de voies et de réseaux, peuvent être perçues comme appartenant à un même ensemble ».

La cour est approuvée pour avoir estimé - sans erreur de droit - que les projets litigieux n'étaient pas situés en continuité avec un groupe d'habitations existant, ces habitations, dans ce secteur, d'ailleurs au nombre d'une dizaine, étant espacées de 25 à 40 mètres et non desservies par les réseaux d'eau et d'assainissement.

(2 octobre 2019, Commune du Broc et SCI La Clave, n° 418666)

 

115 - Permis de construire – Exception d'illégalité du document d'urbanisme sur la base duquel le permis a été délivré – Annulation remettant en vigueur le précédent règlement d'urbanisme – Date d'appréciation de la légalité du permis – Rejet.

Dans un litige en contestation de la délivrance du permis de construire une maison individuelle, le Conseil d'État rappelle avec une certaine solennité sa jurisprudence Commune de Courbevoie (Section, 7 février 2008, n° 297227).

Il le fait en ces termes : « Sous réserve, en ce qui concerne les vices de forme ou de procédure, des dispositions de l'article L. 600-1 du code de l'urbanisme, et à la condition de faire en outre valoir que ce permis méconnaît les dispositions d'urbanisme pertinentes remises en vigueur par l'effet de la déclaration d'illégalité, il peut être utilement soutenu devant le juge qu'un permis de construire a été délivré sous l'empire d'un document d'urbanisme illégal. Cette règle s'applique que le document ait été illégal dès l'origine ou que son illégalité résulte de circonstances de fait ou de droitpostérieures. Par suite, le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en se plaçant à la date de délivrance du permis de construire attaqué pour apprécier la légalité du plan local d'urbanisme sous l'empire duquel il a été délivré ».

(2 octobre 2019, Commune de Limonest, n° 420808 ; M. X., n° 420851)

 

116 - Permis de construire – Permis initial et permis modificatif – Contestation par voie d’excès de pouvoir – Justification de l’intérêt donnant qualité pour agir (art. L. 600-1-2 c. urb.) – Application – Annulation du jugement attaqué et renvoi dans la mesure de la cassation prononcée.

Rappels, notamment, d’une règle établie en vue d’empêcher les recours oiseux, dilatoires ou « maffieux » en obligeant le requérant qui conteste un permis de construire, de démolir ou d'aménager à démontrer préalablement qu’il a bien un intérêt direct à intenter son recours, ainsi que l’atteinte que porterait la mise en œuvre du permis aux conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien.

Le Conseil d’État  rappelle ainsi, tout d’abord, que «  tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien ».

Il précise ensuite, que dans le cas où le requérant n’aurait pas utilement contesté le permis initial, et contesterait un permis de construire modificatif  « son intérêt pour agir doit être apprécié au regard de la portée des modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction initialement autorisé. Il appartient dans tous les cas au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci »

Enfin, est posée une présomption en ces termes : « Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction ».

En l’espèce, le jugement entrepris est annulé. En effet, pour juger que les demandeurs avaient un intérêt à agir contre le permis modificatif alors qu’ils n’avaient point contesté le permis initial, il avait retenu leur qualité de voisins immédiats du projet de construction, lequel était, d’une part, susceptible de priver en partie leur jardin de soleil, et d’autre part, susceptible de menacer la stabilité de l'immeuble situé 31, rue d'Estienne d'Orves avec lequel ils partageraient un mur mitoyen. Or il devait rechercher si ces atteintes résultaient des modifications apportées au projet initial par le permis modificatif celui-ci étant le seul acte qu’ils attaquaient.

 (4 octobre 2019, M. X., Mme Y. et syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 31, rue d'Estienne d'Orves à Vincennes, n° 419820)

 

117 - Permis de construire – Intérêt à agir du requérant – Atteinte directe aux conditions d'occupation, d'utilisation et de jouissance du bien du requérant – Rejet.

Un voisin ayant obtenu du tribunal administratif l'annulation du permis de construire, à proximité de sa maison d'habitation, d'un immeuble de 17 logements et 33 places de stationnement, les requérantes se pourvoient en cassation contre ce jugement.

C'est la discussion sur l'intérêt à agir du requérant qui est l'aspect le plus intéressant de ce dossier.  Il convient au préalable de préciser, pour le lecteur, que le secteur où devait être réalisée la construction est situé sur une colline escarpée plongeant dans la Méditerranée et disposant d'une vue remarquable sur l'ensemble de la rade de Marseille. Cet intérêt, contesté par les demandeurs à la cassation, est ainsi reconnu  positivement par le juge : « le requérant, propriétaire d'une maison d'habitation séparée d'une trentaine de mètres du terrain d'assiette de la construction projetée, justifiait, par les éléments qu'il versait aux débats, de la perte de vues sur un espace végétal et forestier et d'une augmentation de la circulation sur un chemin étroit et escarpé menant à sa propriété (...) » puis négativement : « (...) la société OGIC n'apportait aucun élément de nature à établir que ces atteintes étaient dépourvues de réalité ».

C'est pourquoi, c'est sans commettre d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique, que le tribunal a reconnu que le requérant justifiait d'une atteinte directe aux conditions d'occupation, d'utilisation et de jouissance de son bien et, en conséquence, d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation du permis de construire.

(21 octobre 2019, Société OGIC, n° 419631 ; Ville de Marseille, n° 419728 ; v. aussi, du même jour, les dix décisions suivantes joignant vingt requêtes deux à deux, avec des requérants identiques ou voisins et portant sur le même permis de construire : Société OGIC, n° 419632 et Ville de Marseille, n° 419697 ; Société OGIC, n° 419633 et Ville de Marseille, n° 419729 ;  Société OGIC, n° 419634 et Ville de Marseille, n° 419695 ; Société OGIC, n° 419635 et Ville de Marseille, n° 419726 ; Société OGIC, n° 419640 et Ville de Marseille, n° 419698 ; Société OGIC, n° 419643 et Ville de Marseille, n° 419700 ; Société OGIC, n° 419645 et Ville de Marseille, n° 419693 ; Société OGIC, n° 419647 et Ville de Marseille, n° 419696 ; Société OGIC, n° 419649 et Ville de Marseille, n° 419724 ; Société OGIC, n° 419650 et Ville de Marseille, n° 419699)

V. aussi, dans cette affaire : 24 octobre 2019, Société OGIC, n° 419630 et Ville de Marseille, n° 419690 ; également, du même jour, avec mêmes requérants, voir : n° 419641/n° 419642/n° 419646 et n° 419689/n° 419730/n° 419694.

 

118 - Permis de construire – Obligation d'affichage du permis sur le terrain d'assiette de celui-ci – Fonctions de l'affichage du permis – Affichage déclenchant le délai de recours contentieux – Cas d'un affichage comportant une erreur – Erreurs seules de nature à empêcher le délai de recours de courir – Absence en l'espèce – Rejet.

À propos d'un litige portant notamment sur les conséquences contentieuses à tirer d'une erreur affectant l'une des mentions devant figurer sur le panneau d'affichage du permis de construire, le Conseil d'État  rappelle et revisite le régime contentieux applicable en ces termes : « En imposant que figurent sur le panneau d'affichage du permis de construire diverses informations sur les caractéristiques de la construction projetée, les dispositions (des art. R. 424-15 et A. 424-16  c. urb.) ont pour objet de permettre aux tiers, à la seule lecture de ce panneau, d'apprécier l'importance et la consistance du projet, le délai de recours contentieux ne commençant à courir qu'à la date d'un affichage complet et régulier. Il s'ensuit que si les mentions prévues par l'article A. 424-16 doivent, en principe, obligatoirement figurer sur le panneau d'affichage, une erreur affectant l'une d'entre elles ne conduit à faire obstacle au déclenchement du délai de recours que dans le cas où cette erreur est de nature à empêcher les tiers d'apprécier l'importance et la consistance du projet. La circonstance qu'une telle erreur puisse affecter l'appréciation par les tiers de la légalité du permis est, en revanche, dépourvue d'incidence à cet égard, dans la mesure où l'objet de l'affichage n'est pas de permettre par lui-même d'apprécier la légalité de l'autorisation de construire ».

Dès lors, la cour ayant fait application de ces principes, elle n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que l'erreur de mention n'avait pas été de nature à faire obstacle au déclenchement du délai de recours contentieux.

Cette décision, interprétant de façon assez latitudinaire les dispositions en cause, se situe dans la ligne générale d'une jurisprudence réduisant à l'extrême la fenêtre de tir pour former un recours contentieux en matière d'urbanisme.

(16 octobre 2019, M. et Mme X. et autres, n° 419756)

 

119 - Travaux non conformes au permis de construire délivré – Arrêté ordonnant l'interruption des travaux – Contestation de cet arrêté par voie de référé suspension – Permis de construire modificatif régularisant les travaux contestés – Permis valant abrogation implicite de l'arrêté interruptif des travaux – Recours contentieux irrecevable – Substitution de motif – Rejet.

Est irrecevable le recours en référé suspension dirigé contre un arrêté municipal ordonnant l'interruption de travaux non conformes au permis de construire délivré lorsque, postérieurement, est délivré un permis modificatif valant régularisation des travaux litigieux. Un tel permis a un effet abrogatoire sur l'arrêté ordonnant l'interruption des travaux. Il n'y a donc plus lieu d'entreprendre ou de poursuivre une action contentieuse du chef de ce dernier.

(16 octobre 2019, M. X., n° 420275)

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