Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Décembre 2019

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Recrutement d’un titulaire de chaire au Conservatoire national des métiers (CNAM) - Absence d’organe ayant la nature de jury - Nomination par le seul ministre sur présentation - Procédures irrégulières en l’espèce - Préjudice subi du fait du non-recrutement - Nomination simplement éventuelle - Absence de lien de causalité entre l’irrégularité et le dommage - Rejet.

La requérante, candidate à plusieurs reprises au recrutement en qualité de titulaire de la chaire « accessibilité » du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), estime n’avoir été évincée qu’en raison des irrégularités entachant les procédures suivies et demande la réparation du préjudice qui lui a été causé de ce chef.

Parmi les illégalités fautives qu’elle invoque, seule l’une d’elles sera présentée ici.

La procédure de recrutement comportait deux étapes : d’abord, l’examen des candidatures par le conseil d'administration du CNAM et l'Institut de France, ensuite la transmission des différentes candidatures au ministre de l’enseignement supérieur.

Pour estimer irrégulier le fait que ces deux autorités n’aient pas transmis la candidature de la requérante au ministre, le juge relève que « si un jury de concours, qui apprécie souverainement l'aptitude des candidats à occuper les postes ouverts au concours, peut ne pas retenir autant de candidats qu'il y a de postes à pourvoir, (les deux autorités en cause ici) n'agissent pas en cette qualité dans la procédure (visée par le recours) ». Dès lors les instances concernées ne peuvent, en principe, se dispenser de proposer au ministre deux ou trois candidatures, en application des dispositions de l'article 26 du décret du 22 mai 1920 ; il leur est seulement loisible d'assortir leurs propositions d'un ordre de classement ou des observations qu'elles jugent opportunes. Il n'en va autrement que dans les cas où une telle proposition est impossible, soit parce qu'il n'y a qu'un seul candidat, soit parce qu'un seul candidat répond aux exigences minimales pour être légalement nommé. Dans une telle circonstance, il appartient au CNAM de transmettre au ministre le nom de ce candidat.

(2 décembre 2019, Mme X., n° 416260)

V., pour le surplus de la décision, au n° 119

 

2 - « Point d'information » en forme de synthèse donné par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) - Recommandation sur la concentration de phénoxyéthanol dans les produits cosmétiques pour enfants de moins de trois ans - Absence d'effets juridiques - Acte déférable au juge de l'excès de pouvoir - Absence d'abrogation d'une recommandation ayant cessé d'être en vigueur - Annulation avec injonction d'avoir exécuté sous deux semaines.

L'ANSM se voit reprocher par la Fédération requérante d'avoir adopté et rendu public un point information sur la concentration de phénoxyéthanol dans les produits cosmétiques pour enfants et d'avoir implicitement rejeté sa demande d'abrogation de cette recommandation.

Se posaient deux questions : celle de la nature juridique de cette recommandation et celle de la légalité du refus de son abrogation.

Sur le premier point, le Conseil d’État applique sa jurisprudence sur les actes de droit souple pris par une autorité régulatrice (v., à propos de l'ANSM : 21 octobre 2019, Association française de l'industrie pharmaceutique pour une automédication responsable, n°s 419996 419997) en constatant que bien que dépourvue d'effets juridiques « cette recommandation, prise par une autorité administrative, consultable sur internet et relayée par les associations de défense des consommateurs, a eu pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des fabricants et des distributeurs des produits cosmétiques destinés aux enfants de moins de trois ans, ainsi que sur les comportements de consommation des personnes responsables de ces enfants, et est également de nature à produire des effets notables. »

Sur le second point, le juge apporte deux précisions d'importance : d'une part, le refus d'abroger une telle recommandation peut être annulé par le juge de l'excès de pouvoir et d'autre part, cette annulation impose non seulement cette abrogation elle-même mais encore « eu égard à sa nature et à ses effets » que l'ANSM «  en tire les conséquences pertinentes quant à la publicité qui lui est donnée ».

En l'espèce, le Conseil d’État relève que la recommandation querellée a été remplacée par une autre et qu'ainsi la demande d'annulation du refus de son abrogation est devenue sans objet, mais que la recommandation litigieuse « figure toujours sur le site internet de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, sans que cette mise en ligne s'accompagne de mentions permettant, lors de sa consultation, d'être informé qu'elle n'est plus en vigueur ».  Le juge annule donc, avec une certaine audace, la décision attaquée en tant qu'elle refuse de prendre les mesures permettant de porter à la connaissance du public l'abrogation de la recommandation en litige et il enjoint à l'ANSM, dans un délai de deux semaines, sauf à ce qu'elle mette fin à la mise en ligne de cette recommandation, de prendre les mesures nécessaires pour l'accompagner de mentions propres à permettre, lors de sa consultation, d'être informé qu'elle n'est plus en vigueur.

(4 décembre 2019, Fédération des entreprises de la beauté, n° 416798)

 

3 - Envoi en recommandé avec demande d’avis de réception - Pli remis non à l’intéressé mais à sa mère - Validité eu égard aux liens unissant le destinataire et sa mère - Présomption de remise de lettre pouvant être combattue par la preuve contraire - Absence ici - Requête tardive - Rejet.

Dans une affaire de dopage où un recours contentieux a été formé contre la sanction infligée, était en cause la remise du pli recommandé - contenant la décision - par l’administration postale non à l’intéressé mais à sa mère. La date de signature du pli par cette dernière révélait la tardiveté du recours contentieux et donc son irrecevabilité pour forclusion. Pour combattre cette conséquence, le sportif sanctionné soutenait que sa mère, avec laquelle il était en froid, ne lui avait pas remis ledit pli.

Après avoir rappelé que le courrier avait été envoyé à l’adresse indiquée par le requérant, qui était celle de sa mère, et à laquelle avaient été adressés tous les actes de procédure antérieurs, le juge des référés du  Conseil d’État indique que « quelles que soient par ailleurs les prévisions de la réglementation postale, un pli recommandé peut être valablement remis à une personne de l'entourage du destinataire dont il peut être présumé, eu égard au lien qui l'unit à ce dernier, qu'elle le lui remettra, il incombe au destinataire du pli qui conteste l'avoir reçu de détruire cette présomption en rapportant des éléments précis et concordants pour établir les circonstances qui ont fait obstacle à ce que le pli lui soit remis. » La présomption ainsi instituée est une présomption simple que peut donc combattre la preuve contraire. Le juge a considéré qu’au cas de l’espèce, les deux attestations de la mère de non remise du pli à son fils, d’ailleurs non concordantes entre elles, ne pouvaient suffire à détruire la présomption. Le recours, entaché de forclusion, est rejeté sans examen des griefs qu’il contient.

(Ord. réf. 20 décembre 2019, M. X., n° 436194)

 

4 - QPC - Principe constitutionnel du respect des droits de la défense - Décisions prises par des autorités administratives autres que celles à caractère de punition - Principe inapplicable - Établissement de l’impôt - Rejet.

(27 décembre 2019, SAS Le Bistrot du Dôme, n° 427716)

V. au n° 118

 

5 - Règlement illégal - Obligation, sur demande en ce sens, de l'abroger ou de le modifier - Abrogation ou modification, explicite ou implicite, intervenant au cours d'une instance ayant pour objet d'obtenir cette abrogation ou modification - Recours devenu sans objet - Reprise, dans un texte postérieur, des dispositions apparemment abrogées ou modifiées - Recours n'ayant pas perdu son objet - Non-lieu à statuer et rejet du surplus des conclusions.

Réitération d'une solution bien établie que le juge rappelle en ces termes " L'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation ou à la modification d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date. Lorsque, postérieurement à l'introduction d'une requête dirigée contre un refus d'abroger ou de modifier des dispositions à caractère réglementaire, l'autorité qui a pris le règlement litigieux procède à son abrogation expresse ou implicite, le litige né de ce refus d'abroger perd son objet. Il en va toutefois différemment lorsque cette même autorité reprend, dans un nouveau règlement, les dispositions qu'elle abroge, sans les modifier ou en ne leur apportant que des modifications de pure forme ".

(20 décembre 2019, Syndicat UATS-UNSA-gendarmerie nationale et autre, n° 423355)

 

6 - Délégation de signature du directeur du travail à un chef de bureau - Délégation ayant cessé de produire effet à la date de nomination d'un nouveau directeur - Nouvelle délégation accordée - Autorisation de licenciement donnée la veille du jour de la publication au Journal officiel du décret nommant le nouveau directeur général - Incompétence - Moyen devant être soulevé d'office - Cassation sans renvoi.

L'autorisation de licencier une salariée protégée avait été donnée par un chef de bureau au ministère du travail, bénéficiaire d'une délégation de signature à cet effet. La demanderesse avait, en vain, sollicité l'annulation de cette autorisation de licenciement. Le Conseil d’État, saisi d'un pourvoi, lui donne raison.

Tout d'abord, ce chef de bureau était déjà bénéficiaire d'une telle délégation de la part d'un précédent directeur général du travail. Cette délégation avait pris fin le jour de la nomination d'un nouveau directeur général, elle ne pouvait donc pas servir de base juridique à l'autorisation contestée.

Ensuite, si le nouveau directeur général a bien, à nouveau, donné cette délégation à l'auteur de l'autorisation de licenciement, cette dernière a été accordée la veille du jour de la publication au Journal officiel du décret nommant le nouveau directeur général.

Ne disposant plus de la délégation précédente et pas encore de la délégation suivante, l'auteur de l'autorisation de licencier l'intéressée était incompétent pour prendre cette décision et la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en ne relevant pas d'office cette incompétence.

(24 décembre 2019, Mme X., n° 412996)

 

7 - Vétérinaires - Recours administratif préalable obligatoire - Compétence du Conseil national de l'ordre pour connaître des décisions administratives prises par un conseil régional de l'ordre - Conseil national s'estimant incompétent - Conséquence sur la sanction et pour ce Conseil - Cassation avec renvoi.

La décision par laquelle un conseil régional de l'ordre des vétérinaires fixe les dates d'exécution d'une sanction d'une durée de six mois qu'il a infligée a la nature d'une décision administrative.

Elle ne peut donc être déférée directement au juge administratif, celui-ci ne pouvant être saisi que d'un recours dirigé contre une décision du Conseil national de l'ordre saisi de la décision litigieuse au moyen d'un recours administratif préalable obligatoire (RAPO). C'est donc à tort que le Conseil national s'est déclaré incompétent en l'espèce pour connaître du recours dirigé contre la fixation des dates d'exécution de la sanction prononcée par un conseil régional de l'ordre.

Il suit de là que l'annulation de la décision d'incompétence prise par le Conseil national a nécessairement pour effet, sous réserve que la sanction de suspension d'exercice de la profession de vétérinaire pour une durée de six mois telle que fixée par le conseil régional n'ait pas déjà été exécutée, que le Conseil national de l'ordre des vétérinaires procède à l'examen au fond du recours. Un délai d'un mois lui est imparti à cet effet.

 (20 décembre 2019, M. X., n° 417824)

 

8 - Accusé de réception de toute demande adressée à l'administration (art. L. 1112-3 CRPA) - Conditions d'opposabilité des délais de recours - Durée du délai de recours contre une décision de rejet (art. L. 112-6 CRPA) - Règles inapplicables dans les relations entre l'administration et ses agents (art. L. 112-2 CRPA) - Inconstitutionnalité - Absence - Contestation du refus de transmettre au Conseil d’État une QPC relative à l'inconstitutionnalité de l'art. L. 112-2 CRPA écartée.

Le Conseil d’État persiste à considérer que l'exclusion des agents publics, dans leurs relations avec les administrations du bénéfice de certaines dispositions du code des relations du public avec les administrations (CRPA) n'a rien d'inconstitutionnel et passe assez allègrement sur un certain nombre d'inconvénients, juridiques ou pratiques, en découlant.

(19 décembre 2019, M. X., n° 430489 ; du même jour, voir : M. X., n° 430490)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

9 - Référé libertés - Site internet du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) - Mention méconnaissant l’autorité de chose jugée - Caractère anonyme du fichage - Absence d’atteinte grave à une liberté fondamentale - Rejet de la demande d’injonction.

Le juge du référé libertés du Conseil d’État était saisi par le magistrat requérant d’une demande de faire injonction au CSM de supprimer la mention du grief de manquement à la probité figurant dans le fichage sur son site internet de la décision rendue à son encontre le 11 mai 1981 par ce dernier car celle-ci est erronée et méconnaît l'autorité de la chose jugée.

Le juge rejette ce recours car « il est toutefois constant que les décisions publiées sur le site internet du Conseil supérieur de la magistrature sont entièrement anonymisées, tant au regard du patronyme de l'intéressé que des noms de lieux qui pourraient éventuellement permettre de l'identifier. Ainsi, l'état de fait qui est critiqué par le requérant n'est, en tout état de cause, pas de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dont il serait fondé à se prévaloir. Il n'est, par suite, pas de nature à caractériser une situation justifiant que le juge des référés prescrive une mesure de la nature de celles que l'article L. 521-2 du code de justice administrative lui permet d'ordonner. »

(23 décembre 2019, M. X., n° 437019)

 

10 - Droit au déréférencement - Pouvoirs et devoirs de la CNIL - Refus de mettre en demeure l'exploitant d'un moteur de recherche de cesser un référencement - Refus annulé par le juge de l'excès de pouvoir assorti d'une injonction - Effet utile de l'annulation - Office du juge - Date d'appréciation de l'exécution de la mesure - Non-lieu à statuer après vérification de l'exécution par la CNIL de l'injonction prononcée à son égard.

La requérante s'était plainte à la CNIL du refus de Google de donner suite à sa demande tendant au déréférencement d'un lien renvoyant vers une vidéo du site internet "YouTube" dans les résultats obtenus sur la base d'une recherche effectuée à partir de son nom sur le moteur de recherche exploité par la société Google. Cette dernière ayant clôturé cette plainte sans y donner suite, le Conseil d’État, saisi de ce refus, avait renvoyé à la CJUE quatre importantes questions préjudicielles (Assemblée, 24 février 2017, Mme X., n°s 391000, 393769, 399999 et 401258, p. 59). Après réponse de la Cour (24 septembre 2019, GC e. a.  c/ CNIL, aff. C-136/17), fondée notamment sur son importante jurisprudence du 13 mai 2014, Google Spain et Google (C‑131/12), le Conseil d’État rend la présente décision.

Celui-ci décide que le juge de l'excès de pouvoir, en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du CJA, peut prescrire d'office à la CNIL de procéder à la mise en demeure de l'exploitant d'un moteur de recherche de procéder au déréférencement de liens vers des pages web afin que les liens en cause disparaissent de la liste de résultats affichée à la suite d'une recherche. Cette prescription ne tend, en effet, qu'à donner un effet utile à l'annulation pour excès de pouvoir du refus de la CNIL de mettre en demeure ledit exploitant.

Par ailleurs, réitérant sa jurisprudence Association des Américains accidentels (Assemblée, 19 juillet 2019, n°s 424216 424217), il décide que le juge de l'excès de pouvoir, nonobstant cette qualité, est conduit en ce cas, à l'instar d'un juge du plein contentieux, à apprécier la légalité d'un tel refus de mise en demeure au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

Naturellement, lorsque, soit à la seule initiative de l'exploitant du moteur de recherche, soit pour la mise en œuvre d'une mise en demeure les liens litigieux ont été déréférencés à la date à laquelle il statue, le juge de l'excès de pouvoir doit constater que le litige porté devant lui a perdu son objet et il doit prononcer le non-lieu à statuer sur la requête dont il est saisi.

(6 décembre 2019, Mme X., n° 391000 ; identique, du même jour : Mme X., n° 407776 et Mme X., n° 423326, trois espèces)

 

 

 

11 - Le Conseil d’État, la CNIL et le déréférencement

 

Outre les décisions qui viennent d'être citées, le Conseil d’État en a rendu plusieurs autres le 06 décembre 2019 que l'on résume ci-après.

 

V., avec mêmes solutions : M. X., n° 397755 ; M. X., n° 399999 ;

V. également, avec même solution, mais dans le cas où il est invoqué, pour s'opposer à la demande de déréférencement, que le maintien du lien présenterait « un intérêt prépondérant pour le public » que le juge estime, avec juste raison, ne pas exister en l'espèce : M. X., n° 393769 ; également, dans le même sens, le caractère illégal du refus de déréférencer la mention de ce qu'une personne a déposé en 2006 un brevet qu'elle n'exploite plus depuis 2010 n'ayant plus sur celui-ci un monopole d'exploitation :  M. X., n° 405910 ; également, développé ci-après : M. X., n° 409212 ; ou encore, avec même solution à propos de l'invocation d' « un intérêt prépondérant pour le public » s'agissant de liens amicaux existants entre l'intéressée et un ancien président de la république d'un pays étranger, avec cette précision que le juge administratif, qui ne peut prononcer une injonction qu'envers des personnes morales de droit public ou des personnes morales de droit privé exécutant une mission de service public, ne peut utiliser ce pouvoir à l'encontre de la société Google : Mme X., n° 395335 ;

V. en revanche, à propos d'un refus régulier de mettre en demeure de procéder à un déréférencement d'un lien comportant des précisions sur le fait que la condamnation pénale de l'intéressé avait été cassée définitivement par la Cour de cassation : M. X., n° 405464 ; ou pour des informations, relatives aux coordonnées d'un médecin, considérées comme faisant légitimement obstacle à une demande de déréférencement : Mme X., n° 403868 ; ou encore, plus discutable, le caractère jugé régulier du refus d'ordonner le déréférencement de la condamnation d'une femme pour des faits de violence conjugale vers des liens où elle donnait, assez récemment, une interview sur sa condamnation (Mme X., n° 429154).

V. encore, avec même solution, à propos de l'invocation d'un  refus de mettre en demeure d'opérer un déréférencement fondé sur la circonstance que les données en cause en lien par le nom de l'intéressé seraient strictement nécessaires à l'information du public car il s'agit de procédures pénales vieilles de plusieurs années, dont l'invocation nuit à la réinsertion sociale de la personne condamnée : M. X., n° 401258.

Enfin, sera relevée la subtilité parfois rencontrée dans la jurisprudence en la matière : si l'auteur d'un roman autobiographique ne peut contester le refus de la CNIL d'ordonner à un site le déréférencement la suppression d'un lien donnant une recension de cet ouvrage à partir de son nom, en revanche, et alors même que les informations sur son orientation sexuelle ont été manifestement rendues publiques par lui en 2009 dans ledit ouvrage, c'est à tort que la CNIL a refusé d'ordonner à un autre site le déréférencement de cet ouvrage avec mention de son orientation sexuelle à partir d'une recherche effectuée par son nom : M. X., n° 409212.

 

12 - Audiovisuel - Règles de programmation - Engagement de respecter un certain quota de diffusion de documentaires - Notion de documentaire - Critères retenus par le CSA - Absence d'erreur de droit - Rejet.

Le Conseil d’État juge que le CSA ne commet pas d'erreur de droit quand, pour la qualification d'une œuvre audiovisuelle comme « documentaire », d'une part, il décide devoir se fonder « sur une appréciation d'ensemble des émissions en question », et d'autre part, exige la réunion de quatre ou, selon les cas, cinq conditions : 1) l'existence d'un point de vue d'auteur, 2) la présence d'un apport de connaissances pour le spectateur, 3) la présentation de faits ou de situations qui préexistent à la réalisation de l'émission, 4) l'absence - sans interdire toute reconstitution - de mises en scène artificielles et 5) lorsque le programme y est éligible, sur l'obtention du soutien du Centre national du cinéma et de l'image animée au titre des œuvres documentaires.

La mise en demeure adressée à la société requérante pour non-respect de ces conditions n'était donc pas irrégulière et le recours formé contre celle-ci doit, en conséquence, être rejeté.

(19 décembre 2019, RMC Découverte, n° 419682 ; v. aussi, du même jour avec même requérante, à propos du rejet de la demande de modification de la convention liant la demanderesse au CSA, le n° 423486)

 

13 - Sanction pécuniaire infligée par le CSA à une société éditrice de services de télévision - Autre société, se prétendant lésée par le faible montant de la sanction - Contestation de cette dernière irrecevable pour défaut d'intérêt pour agir - Motivation de la sanction par le CSA - Régime - Rejets.

Le CSA ayant infligé une sanction pécuniaire à la société RMC Découverte, deux pourvois ont été formés, l'un par RMC Découverte, l'autre par la société TF 1.

Par le premier recours étaient contestés l'insuffisante motivation de la sanction, argument rejeté car dans sa décision le CSA indique le manquement retenu et la sanction que, par suite, il inflige ; l'illégalité des stipulations fixant les heures de grande écoute entre 15h00 et 23h00 tous les jours, alors que le juge n'y aperçoit aucune erreur manifeste ; l'illégalité du refus de modifier la définition des heures de grande écoute, cette notion ne fondant pas la sanction prononcée ;  l'illégalité de l'inapplication de la modification des heures de grande écoute par avenant du 5 décembre 2018 alors que le manquement a été relevé au cours de l'année 2016 ; le caractère excessif de la sanction prononcée, alors que celle-ci est jugée proportionnée à la gravité des manquements constatés.

Par le second recours, la société TF 1, entendait discuter l'insuffisance de la sanction mise à la charge de RMC Découverte car la méconnaissance, par cette dernière, de ses obligations de diffusion d'œuvres audiovisuelles françaises et européennes aux heures de grande écoute, porte atteinte à ses intérêts. Le juge rejette cette requête motif pris de ce que cet élément ne confère point à la demanderesse au pourvoi un intérêt qui lui donnerait qualité pour demander l'annulation de la sanction à raison de son insuffisance.

(19 décembre 2019, RMC Découverte, n° 426547 ; Société Télévision France 1 (TF 1), n° 427412)

 

14 - CSA - « Sérieuses interrogations » du CSA et communiqué sur l’incompatibilité d’une diffusion avec les engagements conventionnels pris par une chaîne - Acte susceptible de recours contentieux - Notion d’ « événement d’importance majeure » - Conséquences pour une chaîne - Rejet.

La société demanderesse sollicitait l’annulation d’un acte du CSA rappelant à celle-ci que le caractère d’ « événement d’importance majeure » d’une compétition sportive empêchait qu’elle fût retransmise en exclusivité.

Ce recours soulevait trois questions.

Tout d’abord, dans la mesure où le CSA n’avait, à proprement parler, pas pris de décision ni fixé une ligne directrice avait-il cependant édicté une mesure ou un acte susceptible d’être contesté devant le juge administratif ? Le CSA avait, en l’espèce, fait part de ses « sérieuses interrogations » et estimé incompatible la retransmission intégrale de la finale de la Ligue des champions, le 1er juin 2019, avec certaines des dispositions de la convention conclue entre le CSA et BFM TV. Le Conseil d’État y voit un acte déférable au juge car ayant donné lieu à la diffusion d'un communiqué du Conseil sur son site internet, il « doit être regarde, dans les circonstances de l'espèce, comme ayant eu pour objet d'influer de manière significative sur le comportement de la chaîne. Eu égard à sa portée et aux conditions dans lesquelles elle a été prise, la délibération du 3 avril 2019 revêt le caractère d'un acte susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. »

Ensuite, était-on, avec la finale de la Ligue des champions, en présence d’un « événement majeur » au sens et pour l’application du droit positif ? La réponse du juge est positive. Selon la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (art. 20-2) : « Les événements d'importance majeure ne peuvent être retransmis en exclusivité d'une manière qui aboutit à priver une partie importante du public de la possibilité de les suivre en direct ou en différé sur un service de télévision à accès libre. / La liste des événements d'importance majeure est fixée par décret en Conseil d’État (...) ". Et le Conseil d’État juge que l’art. 3, 6°, du décret du 22 décembre 2004 pris pour l’application de la disposition précitée de la loi de 1986, permet de ranger la finale de la Ligue des champions de football au rang des événements d'importance majeure.

Enfin, le reproche du CSA envers BFM TV était-il justifié dans la présente affaire ? La réponse est positive car même si la chaîne requérante est un service d’information permanent sur l’actualité et si la finale retransmise faisait pleinement partie de l’actualité il n’en demeure pas moins qu’il ne pouvait, pour ce motif, être dérogé aux interdictions figurant sur ce point dans la convention CSA/BFM TV, sans d’ailleurs que cette dernière puisse invoquer une atteinte à sa liberté éditoriale.

Enfin l’intérêt général qui s’attache à ce qu’un large public ait accès aux événements d’importance majeure n’autorise pas un service de télévision à s’affranchir de ses obligations contractuelles.

(31 décembre 20198, Société BFM TV, n° 431164 et n° 432634, jonction)

 

Biens

 

15 - Exercice du droit de préemption - Contestation - Application de la règle du délai raisonnable - Recours tardif - Impossibilité de rouvrir le délai par l'exercice d'un recours gracieux postérieurement à l'expiration du délai de recours contentieux - Rejet.

Rappel de ce que s'il est nécessaire que la décision administrative comporte mention des délais et des voies de recours existant contre elle à peine que le délai de recours contentieux ne court pas, c'est sous l'importante réserve du respect de la sécurité juridique, laquelle impose, en l'espèce, que, nonobstant la non information sur les voies et délais de recours,  les intéressés saisissent le juge au plus tard dans le délai d'un an à compter du jour où la décision leur a été notifiée ou a été connue d'eux.

Le rejet d'un recours gracieux tendant au retrait de la décision ne rouvre pas le délai de recours contentieux lorsque la demande de retrait a été formée après l'expiration du délai annal.

 (16 décembre 2019, M. et Mme X., n° 419220 ; v. aussi, du même jour, les décisions rappelant que ce délai raisonnable est de trois ans dans le cas d'un recours contre un décret de libération des liens d'allégeance avec la France : Mme X., n° 428798 ; Mme X., n° 429387 ; v. aussi, à propos du contrôle des motifs du recours à l'exercice du droit de préemption : 19 décembre 2019, Commune de Villemomble, n° 420227)

V. aussi au n° 97

 

16 - Voirie - Appartenance d'un tronçon routier à un département - Déclassement de ce tronçon du domaine public routier départemental - Entretien de celui-ci constituant une dépense obligatoire pour la commune - Erreur de droit - Cassation et renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que relève des dépenses obligatoires à la charge d'une commune l'entretien d'un tronçon routier - assis sur un pont - déclassé du domaine public départemental. En effet, faisant partie des biens du département, ce tronçon ne pouvait pas être en même temps une dépendance du domaine public communal et, par suite, ne pouvait pas relever des dispositions de l'article L. 141-8 du code de la voirie routière qui subordonne le caractère obligatoire pour une commune des dépenses d'entretien des voies à la condition que celles-ci soient des voies communales (cf. art. L. 141-1 du même code).

 (27 décembre 2019, Commune de La Rochelle, n° 420302)

 

17 - Droit de prise d'eau sur un cours d'eau - Droit d'usage de la force motrice d'un courant d'eau - Droit fondé en titre persistant tant que la force motrice est susceptible d'être utilisée - Droit disparaissant en cas de ruine du moulin ou de nécessité de reconstruction complète - Absence en l'espèce - De simples travaux étant seulement nécessaires - Qualification inexacte des faits - Cassation et renvoi.

Qualifie inexactement les faits qui lui sont soumis la juridiction qui, pour dire disparu le titre attaché à une prise d'eau, estime indispensable la reconstruction complète de l'ouvrage par l'usinier alors que sont seuls nécessaires des « travaux limités ».

(31 décembre 2019, M. et Mme X., n° 425061)

 

Collectivités territoriales

 

18 - Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) - Contribution annuelle des communes et des EPCI ayant compétence en ces domaines - Rattachement par convention d’un centre communal d’incendie et de secours au SDIS - Majoration de ce chef de la contribution annuelle - Dispositions irrégulières de la convention inopposables - Rejet.

La commune requérante avait conclu une convention avec le SDIS aux termes de laquelle  étaient fixés, d’une part, les conditions du transfert des personnels et des biens affectés par la commune au fonctionnement des services d'incendie et de secours et, d’autre part,  le montant de la «  dotation annuelle de transfert » que la commune devait verser au titre de la charge nette qu'elle aurait supportée si le transfert n'était pas intervenu, ceci s'ajoutant, au sein de la contribution due par la commune pour le financement de ce SDIS, à la somme qu'elle versait antérieurement pour le fonctionnement de ce dernier, dite « contingent d'incendie et de secours ». 

La commune conteste devant le juge administratif les délibérations du conseil d'administration du SDIS de Tarn-et-Garonne par lesquelles il a fixé, d'une part, le montant global des contributions des communes et des EPCI à son budget pour l'année 2016 et, d'autre part, la répartition entre eux de ce montant global. Son action ayant été rejetée en première instance comme en appel, la commune se pourvoit.

Le juge relève tout d’abord que l'article L. 1424-35 du CGCT dispose que les modalités de calcul et de répartition des contributions que les communes et les EPCI concernés versent au budget du SDIS sont arrêtées chaque année par délibération du conseil d'administration de cet établissement public. Un SDIS ne saurait légalement renoncer à exercer la compétence qu'il tient de ces dispositions en concluant, avec une collectivité territoriale ou un EPCI contribuant à son financement, un contrat dont l'objet est de définir le montant des contributions qui doivent lui être versées. Par suite, le juge doit écarter d'office, le cas échéant, les stipulations qui auraient un tel objet figurant dans une convention conclue pour déterminer les modalités de ces transferts et mises à disposition entre le SDIS, d'une part et une commune ou un EPCI, d'autre part.

Ensuite, il estime que  lorsqu'une commune ou un EPCI sollicite, au-delà des transferts et mises à disposition dont la réalisation était imposée par la loi, le rattachement au SDIS d'un centre d'incendie et de secours communal ou intercommunal, le SDIS, nonobstant  le plafonnement de l'évolution annuelle du montant global des contributions des communes et des EPCI au budget du SDIS, sous réserve de l'application de l'indice des prix à la consommation, intègre dans les contributions qu'il demande, au-delà du montant ainsi plafonné et au titre des charges transférées par ce rattachement volontaire, une majoration de la contribution mise à la charge de la commune ou de l'EPCI concerné, l'évolution du total des contributions ainsi majorées étant ensuite soumise, pour les années ultérieures, au plafonnement déterminé par application de l'indice des prix à la consommation.

(2 décembre 2019, Commune de Montauban, n° 418026)

 

19 - Maire - Révocation - Procédure - Motifs - Contrôle du juge - Rejet.

Cette décision concerne le contentieux résultant de la révocation du maire d'Hesdin par le décret du 21 août 2019 pris en conseil des ministres. On y lira les divers arguments, de légalité externe et de légalité interne, tous rejetés, développés par l'intéressé.

(19 décembre 2019, X., maire d'Hesdin, n° 434071)

 

Contrats

 

20 - Marchés - Sous-traitance - Paiement direct - Exécution de prestations excédant celles stipulées dans l’acte spécial - Dépassant du plafond du paiement direct - Obligations respectives du maître d’ouvrage, du titulaire du marché et du sous-traitant - Partage des responsabilités - Rejet.

En principe, le sous-traitant accepté dans le cadre d’un marché a droit au paiement direct de ses prestations entre les mains du maître de l’ouvrage. C’est le « privilège de pluviôse » car il a son origine dans le décret du 26 pluviôse an II ou 14 février 1794.

L’entrepreneur a l’obligation de faire agréer le sous-traitant par le maître de l’ouvrage ainsi que les conditions de son paiement sous la forme soit de l'exemplaire unique soit du certificat de cessibilité.

En l’espèce, où il s’agissait d’un marché de réalisation de travaux de signalisation verticale de jalonnement sur les routes d’un département, il était devenu évident, le 15 novembre, et alors que le marché courait encore jusqu’au 31 décembre que les prestations restant à réaliser excédaient ce qui avait été convenu tout comme le montant de la rémunération prévue. Constatant que le maître de l’ouvrage était au courant de cette situation, la cour administrative d’appel a jugé que ce dernier, l’entrepreneur et le sous-traitant étaient, chacun pour un tiers, responsable des conséquences dommageables de cette situation.

En effet, il incombait au maître d'ouvrage ayant connaissance de l'exécution, par le sous-traitant, de prestations excédentaires conduisant au dépassement du montant maximum des sommes à lui verser par paiement direct, de mettre en demeure le titulaire du marché ou le sous-traitant de prendre toute mesure utile pour mettre fin à cette situation ou pour la régulariser. Il incombait au titulaire du marché, le cas échéant, de solliciter la modification de l'exemplaire unique ou du certificat de cessibilité et celle de l'acte spécial afin de tenir compte d'une nouvelle répartition des prestations avec le sous-traitant. Il incombait au sous-traitant de s'assurer que sa situation avait été régularisée dès lors qu’il savait que l'exécution des prestations allait se poursuivre au-delà du montant maximum fixé par l'acte spécial.

Le Conseil d’État approuve pleinement ce raisonnement et, en conséquence, rejette le pourvoi du département.

(2 décembre 2019, Département du Nord, n ° 422307)

 

21 - Marchés publics - Groupement d’entreprises à mandataire commun - Infliction de pénalités de retard - Régime de répartition des pénalités - Possibilité de contestations - Modération des pénalités - Rejet et cassation partiels avec renvoi à la cour.

Dans le cadre du marché passé en vue de la reconstruction d’un lycée, la région Midi-Pyrénées, maître d’ouvrage, et son maître d’ouvrage délégué, la COGEMIP, confient le lot n° 2 du marché (« clos et couverts ») à un groupement conjoint d'entreprises donc à mandataire commun. L’entreprise demanderesse au pourvoi s’est vue confier plusieurs sous-lots de ce lot.

Celle-ci, à l’occasion d’un différend portant notamment sur les pénalités de retard qui lui ont été infligées, saisit le tribunal administratif qui a condamné solidairement la région et la COGEMIP à lui payer le solde de sa part du marché assorti d’intérêts et de leur capitalisation. En appel, ces dernières ont sollicité de la cour et obtenu la condamnation du demandeur intimé au paiement des pénalités de retard, ce qui a eu pour effet de rendre négatif le solde de sa part du marché en défaveur de ce dernier.

La société se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel et demande la satisfaction de ses demandes formulées en appel.

En premier lieu, accueillant le principe de la modération des pénalités de retard que demandait la requérante, le Conseil d’État apporte un certain assouplissement à sa très rigoureuse jurisprudence en matière de modération des pénalités de retard.

Le juge rappelle un principe essentiel du régime des pénalités de retard en écrivant que « les pénalités de retard prévues par les clauses d'un marché public (…) sont applicables au seul motif qu'un retard dans l'exécution du marché est constaté ». En d’autres termes elles sont dues dès qu’est constaté un retard dans les travaux, services ou livraisons « alors même que le pouvoir adjudicateur n'aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché (tel qu’il) résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi ».

Tout aussi classiquement, le juge rappelle que ce n’est qu’à titre exceptionnel qu’il peut être amené - sur demande expresse de l’une des parties - à réduire ou à augmenter leur montant lorsque celui-ci serait manifestement excessif ou dérisoire tant par rapport au montant global du marché qu’au regard du retard apporté à l’exécution du marché.

Il suit de là que le demandeur en modération des pénalités de retard doit « fournir aux juges tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif ». Or ici la cour administrative d’appel a rejeté la demande de modération motif pris de ce que la majeure partie des pénalités était consécutive aux retards provoqués par le sous-traitant de la société demanderesse et par son fournisseur. Elle a relevé en outre qu'il était loisible à la demanderesse d'engager une action contre ceux-ci devant le juge judiciaire en vue du recouvrement de la part des pénalités qui leur était imputable et dont le pourcentage avait été déterminé dans le cadre d'une expertise.

Pour casser sur ce point l’arrêt à raison de l’erreur de droit qui le fonde - et c’est là un des deux apports principaux de cette décision - le Conseil d’État juge que la cour devait seulement rechercher si la demande de modération des pénalités formulée par la société titulaire pouvait être accueillie au regard des règles susrappelées.

En second lieu, un autre aspect important de la décision doit être signalé ; il concerne le régime de répartition des pénalités de retard.

L’art. 20.7 du CCAG Travaux organise une répartition des compétences : c’est au maître de l'ouvrage seul qu’il revient de liquider le montant global des pénalités de retard dues par l'ensemble des entreprises, tandis que c’est au seul mandataire commun qu’il revient de répartir entre les entreprises les pénalités dont il fait l'avance jusqu'à ce qu'il ait fourni les indications nécessaires à leur répartition.

Dans le cas où le mandataire commun n’effectue pas lui-même cette répartition, le maître de l'ouvrage est tenu de lui imputer la totalité des pénalités et, conséquemment, sauf impossibilité de recouvrer effectivement le montant de ces pénalités sur le mandataire, le maître de l'ouvrage ne peut pas les imputer à une autre entreprise. Il suit de là également que l’accomplissement correct par le mandataire de sa charge de répartition des pénalités entre les entreprises interdit au maître de l’ouvrage de modifier cette répartition (cf. la jurisprudence de principe sur ce point : 17 mars 1999, Syndicat intercommunal Eau et assainissement de Pointe-à-Pitre-Abymes, n° 165595).

Chacune des sociétés membres d'un groupement conjoint peut contester l'existence de retards imputables au groupement ainsi que le principe ou le montant des pénalités de retard qui lui sont infligées par le maître d'ouvrage, dans le cadre du règlement financier de leur part de marché.

Lorsque ces sociétés entendent contester aussi la répartition des pénalités que le maître d'ouvrage a opérée entre elles conformément aux indications fournies par le mandataire commun, elles doivent d’abord trouver entre elles une résolution amiable et, à défaut d’accord, elles doivent présenter des conclusions dirigées contre les autres sociétés membres du groupement tendant au règlement, par le juge administratif, de la répartition finale de ces pénalités entre elles. Une telle action relève de la compétence du juge administratif (21 février 1986, Société de génie civil de l'Ouest, n° 19751).

Enfin, ces sociétés peuvent, en outre, uniquement si leur a été causé de ce chef un préjudice financier ou économique, rechercher la responsabilité du mandataire commun (18 avril 1984, Société d'entreprise générale de peinture S.O.G.E.P.) si elles estiment qu'il a commis une faute pour avoir communiqué au maître d'ouvrage des indications erronées, imprécises ou insuffisantes à l’origine de ce préjudice.

Dès lors qu’en l’espèce le maître de l’ouvrage a réparti le montant des pénalités conformément aux indications fournies par le mandataire commun, la société requérante ne pouvait pas contester cette décision du maître de l’ouvrage.

(2 décembre 2019, Société Giraud-Serin, n° 422615 et n° 425080, jonction)

 

22 - Marchés publics - Personne publique signataire devenue une personne privée - Litige né après ce changement de nature juridique - Contrat demeurant un contrat administratif - Annulation de l'ordonnance de référé et renvoi.

Le juge administratif des référés avait décliné la compétence des juridictions administratives au motif que le recours dont il était saisi avait été formé par une personne de droit privé en laquelle avait été transformée une personne morale jusque-là de nature publique et qu'ainsi le contrat, initialement un marché public par détermination légale, était devenu un contrat de droit privé ce dont résultait la compétence du juge judiciaire pour connaître du contentieux résultant de son exécution.

Le Conseil d’État casse cette ordonnance au motif que le contrat, initialement de droit public, n'a pas perdu cette nature du fait de la transformation des anciens offices publics d’aménagement et de construction (OPAC), personnes de droit public, en offices publics de l’habitat (OPH), personnes privées.

C'est le rappel du principe que la nature juridique d'un contrat s'apprécie au jour de sa conclusion.

(18 décembre 2019, OPH Gironde Habitat, n° 431364)

23 - Marchés publics - Marché de défense et de sécurité - Cas d'un marché de fourniture de pistolets pour l'exercice de missions de police en mer - Absence de caractère d’une mission de défense et de sécurité - Prohibition de principe des références aux marques, brevets ou types - Application en l'espèce - Rejet.

La ministre demanderesse au pourvoi en cassation contestait l'annulation, par le juge du référé précontractuel, de la procédure de passation d'un accord-cadre mono-attributaire à bons de commande en vue de la fourniture de pistolets semi-automatiques afin de répondre aux besoins du dispositif de contrôle et de surveillance des affaires maritimes.

Le Conseil d’État apporte deux réponses qui frappent par leur interprétation stricte - et justifiée - des textes.

Tout d'abord, alors que la ministre plaidait pour que la procédure litigieuse soit considérée comme portant sur un marché de défense et de sécurité, il lui est répondu que, devant satisfaire les besoins des missions de police en mer, il ne pouvait s'agir d'un marché de défense et de sécurité, nulle nécessité militaire n'étant ici en cause. Cette solution est justifiée par le caractère largement dérogatoire au droit commun des marchés publics qui est celui d'un tel marché, dérogation qui est donc d'interprétation stricte.

Ensuite, le premier juge avait estimé qu'en spécifiant dans le cahier des clauses techniques particulières que les pistolets à fournir devaient être conformes aux « 28 spécifications techniques principales », il avait été porté atteinte à l'interdiction d'exclure irrégulièrement a priori certains opérateurs, - dont la société demanderesse en première instance -, dès lors que certaines d'entre elles n'étaient pas justifiées par l'objet du marché. Il est approuvé par le Conseil d’État

(18 décembre 2019, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 431696)

 

24 - Marchés publics de prestations intellectuelles - Notion de réception de l’ouvrage - Notion de prestations indissociables de la réalisation de l’ouvrage - Travaux supplémentaires résultant d’une faute des maîtres d’œuvre - Rejet, le moyen contesté et fondé étant surabondant.

Le Conseil d’État était saisi d’un pourvoi dirigé contre un arrêt d’appel ayant estimé que la réception de l’ouvrage au terme du marché ne faisait pas obstacle à ce que la responsabilité contractuelle des maîtres d'œuvre soit recherchée à raison des fautes de conception qu'ils ont éventuellement commises.

En l’espèce, il s’agissait du marché de construction d’un hôpital où était en cause l’indemnisation des sociétés requérantes à raison de travaux supplémentaires, travaux liés ici à une faute des maîtres d’œuvre dans la conception de l’ouvrage. N’étaient contestés ni la nature des travaux, qui étaient « supplémentaires » au sens de la jurisprudence, abondante en la matière, ni le lien direct de causalité entre la faute des maîtres d’œuvre et la nécessité des travaux devant être réalisés en conséquence de cette faute.

Si la décision est classique tant dans son analyse en droit que dans ses constatations de fait relatives à l’existence et au régime des travaux supplémentaires, elle innove sur la question de la causalité. En effet, la cour estimait que la réception des travaux par le maître de l’ouvrage ne faisait pas obstacle à ce que soit recherchée par ce dernier la responsabilité à son égard de l’éventuelle faute contractuelle commise par les maîtres d’œuvre.

Au contraire, le Conseil d’État, faisant application de la théorie des prestations indissociables, juge que la réception de l’ouvrage vaut aussi réception des éléments qui en sont indissociables et que tel est le cas de la conception même de celui-ci. Il suit de là que, dans la présente affaire, ne pouvait plus être recherchée la responsabilité des maîtres d’œuvre.

Le caractère surabondant de ce motif de l’arrêt le fait échapper à la cassation.

(2 décembre 2019, Sociétés Guervilly, Puig Pujol Architecture et Bâti Structure Ouest, n° 423544)

 

25 - Concessions - Principe d'impartialité - Étendue et limites - Absence de violation en l'espèce - Cassation sans renvoi.

Après avoir rappelé qu' « Au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent à l'autorité concédante comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, dont la méconnaissance est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence », le Conseil d’État fait en l'espèce une application un peu décevante du principe ainsi énoncé.

Le juge du référé précontractuel avait estimé exister un manquement du Port autonome de la Nouvelle-Calédonie au principe d'impartialité du fait qu'il avait reporté la date limite de remise des offres à la demande de la Société d'économie mixte de la baie de la Moselle, alors que cette société, dont il détient 11,43% du capital, n'avait pas sollicité de renseignements complémentaires pour la remise de son offre. Pour censurer ce raisonnement, le Conseil d’État juge que « Toutefois, d'une part, le principe d'impartialité ne fait pas obstacle à ce qu'un acheteur public attribue un contrat de délégation de service public à une société d'économie mixte locale dont il est actionnaire, sous réserve que la procédure garantisse l'égalité de traitement entre les candidats et que soit prévenu tout risque de conflit d'intérêts. D'autre part, la seule circonstance qu'un candidat se soit abstenu de solliciter des renseignements complémentaires avant le délai de remise des offres n'est pas de nature à faire obstacle à ce que l'autorité concédante décide que des raisons objectives justifient la prolongation de ce délai ». Ceci est par trop laconique et insuffisant.

(18 décembre 2019, Port autonome de la Nouvelle-Calédonie (PANC), n° 432590 ; Société d'économie mixte de la baie de la Moselle (SODEMO), n° 432782)

 

26 - Délégation de service public - Impossibilité pour la collectivité délégante de porter atteinte à l'intégrité des offres reçues - Nature contractuelle prévalente - Délai de recours contre un contrat - Interruption du délai par la formation du recours administratif d'un tiers contre le contrat - Naissance d'un silence valant rejet de ce recours administratif - Prise d'une décision explicite de rejet par la suite - Réouverture du délai de recours contentieux - Rejet.

Le contentieux portait, dans cette affaire, sur la contestation, par l'Association de gestion des équipements sociaux (AGES), candidate évincée de la procédure, du contrat de délégation de service public conclu entre la communauté de communes de Sélestat avec l'association La Farandole, portant sur la gestion et l'exploitation des services de la petite enfance, et, subsidiairement, sur la demande de résilier ce contrat. Le juge de première instance donna raison, pour l'essentiel, à l'association requérante, ce jugement n'étant que très partiellement réformé en appel. La communauté des communes est demanderesse en cassation de cet arrêt.

On retiendra de la décision du Conseil d’État deux points importants, l'un relatif à la procédure contractuelle devant l'autorité administrative, l'autre concernant la procédure contentieuse.

En premier lieu, pour pouvoir comparer les offres reçues, la communauté de communes avait unilatéralement modifié ou complété l'une des offres. Ce comportement est bien évidemment déclaré irrégulier par le juge : le contrat administratif est fondamentalement un contrat non une variété d'acte unilatéral...

En second lieu, l'un des candidats évincés avait formé un recours gracieux contre la décision d'attribution de la délégation, celui-ci a bien été effectué dans les deux mois d'accomplissement des formalités de publicité du contrat. Il a donc interrompu le délai du recours contentieux qui n'a commencé à courir qu'à compter du jour où a été constituée une décision implicite de rejet de ce recours. Dans les deux mois de ce rejet implicite a été prise une décision explicite de rejet. C'est à compter de la publicité de cette dernière qu'a commencé à courir à nouveau le délai du recours contentieux et cela pendant deux mois. Le recours contentieux qui saisissait le juge de première instance n'était donc pas tardif contrairement à ce que prétendait la communauté demanderesse au pourvoi.

(20 décembre 2019, Communauté de communes de Sélestat, n° 419993)

 

27 - Marchés publics - Marché de prestations culinaires - Candidature irrégulièrement évincée - Conditions et champ de l'indemnisation du manque à gagner - Cas d'un marché conclu pour une durée fixe renouvelable - Indemnisation du seul préjudice certain - Cassation partielle.

Cette décision concerne un marché de prestations culinaires sur appel d'offres ouvert dont une des sociétés candidates, classée deuxième et dont l'offre a été rejetée, a réclamé l'annulation pour irrégularité ainsi que la réparation de son manque à gagner. En appel, le litige ne portait plus que sur ce second point, le pourvoi également.

Le marché a été conclu pour une période de douze mois renouvelable deux fois. La cour, estimant que la requérante avait des chances sérieuses d'obtenir le marché, avait indemnisé la société requérante pour les trois années d'exécution du contrat et c'est sur cette modalité de calcul que porte la cassation.

Le Conseil d’État estime que le manque à gagner n'est certain que pour une année non pour trois car énoncent les juges : « Dans le cas où le marché est susceptible de faire l'objet d'une ou de plusieurs reconductions si le pouvoir adjudicateur ne s'y oppose pas, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu'en tant qu'il porte sur la période d'exécution initiale du contrat, et non sur les périodes ultérieures qui ne peuvent résulter que d'éventuelles reconductions. » Il nous semble discutable de dire que des renouvellements sur tacite reconduction puissent être qualifiés de « reconductions éventuelles » alors que le contrat ne dit rien de semblable par exemple quant au caractère discrétionnaire de la décision de reconduction.

Seul le souci de protéger les deniers publics motive une telle solution

(2 décembre 2019, Groupement de coopération sanitaire du Nord-Ouest Touraine, n° 423936)

 

28 - Concessions - Critères de sélection des offres - Critères à caractère social - Conditions de régularité - Rejet.

Réitérant une solution déjà adoptée en matière de marchés publics (25 mai 2018, Nantes Métropole, n° 471580, point 7), le Conseil d’État reconnaît la régularité du recours d'une collectivité territoriale, dans le cadre d’une concession, à un sous-critère social tiré du nombre d'emplois locaux susceptibles d'être créés du fait de la gestion du port objet de cette concession. Il y met une double condition de bon sens mais importante : ce critère ou sous-critère ne doit pas être discriminatoire et il doit être en lien direct avec les conditions d'exécution du contrat, ceci afin de mettre le concédant en état de déterminer l'offre la plus avantageuse.

(20 décembre 2019, Société Edeis, venant aux droits de la société Lavalin, n° 428290)

 

29 - Marchés publics - Marché de travaux - Construction d'un paravalanche - Sous-traitant accepté - Paiement direct - Travaux supplémentaires - Conditions de délai - Rejet.

Il résulte des dispositions combinées de l'art. 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, dans sa version alors applicable, que le sous-traitant accepté doit, pour obtenir le paiement direct par le maître d'ouvrage de tout ou partie des prestations qu'il a exécutées dans le cadre de son contrat de sous-traitance, adresser en temps utile sa demande de paiement direct à l'entrepreneur principal, titulaire du marché. S'il se trouve dans l'hypothèse visée au deuxième alinéa de l'article 186 ter du code des marchés publics, il doit, en outre, adresser également cette demande au maître d'ouvrage.

Dès lors que cette demande a été adressée après la notification du décompte général du marché au titulaire de celui-ci, elle ne peut être considérée comme ayant été adressée en temps utile.

(2 décembre 2019, Société Fides, venant aux droits de la société EMJ, n° 425204)

 

30 - Contrat d'engagement conclu entre le bénéficiaire du RSA et le département qui le lui verse - Absence de nature contractuelle - Acte ne faisant pas grief - Recours irrecevable - Rejet.

Le contrat d'engagement conclu entre le futur bénéficiaire du RSA et le département qui le lui verse n'a pas la nature juridique d'un contrat nonobstant les dispositions des art. L. 262-35 et L. 262-36 du code de l'action sociale et des familles et en particulier malgré l'expression de « contrat librement débattu » dont use le législateur. Par ailleurs, cet acte n'ayant pas le caractère d'un acte faisant grief le recours de l'intéressée était irrecevable, motif de pur droit et d'ordre public que le juge de cassation substitue à celui des premiers juges, justifiant ainsi le dispositif de leur jugement.

(4 décembre 2019, Mme X., n° 418975)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

31 - Taux réduit de la TVA applicable aux œuvres d’art - Photographies - Artiste ou auteur d’une photographie - Droit de l’Union - Cas de l’espèce - Annulation et renvoi à la cour administrative d’appel.

La société requérante, qui réalise des photographies de portraits, de mariages, etc., a fait l’objet de rappels de TVA au motif qu’elle ne pouvait pas appliquer un taux réduit de TVA à des photographies ne pouvant pas être considérées comme des œuvres d’art, seules soumises à ce taux réduit. Ayant contesté en vain cette décision en première instance et en appel, la société se pourvoit. Après un renvoi préjudiciel à la CJUE et la réponse de celle-ci, le Conseil d’État donne gain de cause à la requérante.

Dans son arrêt du 5 septembre 2019 (Regards Photographiques SARL contre Ministre de l'Action et des Comptes publics, aff. C-145/18) interprétant à la fois les dispositions de l’art. 103 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA  et le  point 7 de la partie A de l'annexe IX, la CJUE a dit pour droit que les termes «  auteur » et « artiste », utilisés par eux désignent  la même personne, c’est-à-dire l’auteur d'une photographie, dès lors que celle-ci  remplit les conditions explicitement prévues à ce point 7 sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur le caractère artistique ou non des photographies.

D’où la cassation de l’arrêt en sens contraire.

(2 décembre 2019, Société Regards Photographiques, n° 400837)

 

32 - Action en décharge des droits et pénalités et des rappels de TVA - Apport d'actif d'une société à une autre - Soumission au régime fiscal des scissions de société - Sociétés devenus débitrices solidaires - Conséquence en cas d'irrégularité de l'avis d'une proposition de rectification - Cassation avec renvoi.

Après l'apport total d'actif d'une société à une autre, l'administration fiscale, à la suite d'une vérification de comptabilité, a notifié des rappels de TVA à la société absorbante, rappels qu'elle a contestés, en vain, en première instance et en appel. Cette dernière voit son pourvoi accueilli par le Conseil d’État car celui-ci aperçoit une erreur de droit dans l'arrêt d'appel en ce qu'il a jugé, pour écarter le grief tiré de l'irrégularité de la procédure d'imposition, que la vérification de comptabilité à laquelle cette dernière faisait référence concernait nécessairement la comptabilité de la société apporteuse non celle de la société bénéficiaire. Comme le relève très justement le juge de cassation, « une telle circonstance ne permettait pas d'établir que la proposition de rectification était effectivement parvenue à cette société et que, par suite, celle-ci avait notamment été mise à même de faire valoir ses observations avant la mise en recouvrement de l'imposition en litige. " La cour devait vérifier si l'erreur commise par l'administration dans la désignation de la société avec laquelle elle entendait engager la procédure contradictoire n'avait pas privé la société requérante d'une garantie.

(4 décembre 2019, SAS Saint Gilles Sud, devenue SAS Foncière Saint Gilles, n° 418414)

 

33 - Comptable public - Obligations de contrôle comptable - Conditions de sa responsabilité - Distinction entre manquement ayant causé un préjudice financier à l'organisme public concerné et manquement n'ayant pas causé un tel préjudice - Notion de faute du comptable public - Erreur de droit - Cassation partielle et renvoi dans cette mesure à la Cour des comptes.

L'agent comptable de l'ONIAM est déclarée débitrice, par la Cour des comptes, de diverses sommes envers cet organisme.

Saisi d'un pourvoi contre cet arrêt, le Conseil d’État énonce un certain nombre de règles réalistes s'éloignant quelque peu du fétichisme traditionnel envers le respect des formes en honneur à la rue Cambon, préférant se concentrer sur les notions de préjudice financier et de faute du comptable. Ceci a justifié la réunion de la section du contentieux.

Le juge de cassation pose en principe qu'il convient de distinguer selon que le manquement du comptable aux obligations qui lui incombent n'a pas causé de préjudice financier à l'organisme public concerné ou qu'il lui en a causé un.

Dans le premier cas, le juge des comptes peut obliger le comptable à s'acquitter d'une somme non rémissible. Dans le second cas, le comptable est mis en débet sur ses deniers personnels à concurrence du montant de l'entier préjudice financier causé à l'organisme concerné. Pour ce faire, il importe d'opérer une distinction chronologique : si le juge des comptes doit se placer à la date de la commission des faits ou de l'abstention pour déterminer le lien de causalité entre le manquement et le préjudice, il doit se placer à la date à laquelle il statue pour apprécier le montant du préjudice et, s'agissant d'un contrôle de plein contentieux, il doit tenir compte des éléments postérieurs à ce manquement.

Le Conseil d’État apporte également des précisions sur la notion, centrale on vient de le lire, de « préjudice financier ». Il faut entendre par là la vérification par le juge de ce que la correcte exécution, par le comptable, des contrôles lui incombant aurait permis d'éviter que soit payée une dépense qui n'était pas effectivement due.

Dès lors, deux cas se présentent.

En premier lieu, si le manquement porte sur l'exactitude de la liquidation de la dépense et qu'il en est résulté un trop-payé, ou le paiement d'une dépense en l'absence de tout ordre de payer ou d'une dette prescrite ou non échue, ou la privation d'effet libératoire du paiement, le comptable doit, normalement, être regardé comme ayant par lui-même causé un préjudice financier à l'organisme public concerné. 

En second lieu, il convient de distinguer deux sous-hypothèses.

1°/ Si le manquement porte seulement sur le respect de règles formelles (imputation budgétaire de la dépense ou existence, lorsqu'il est nécessaire, du visa du contrôleur budgétaire), le comptable doit être normalement regardé comme n'ayant pas par lui-même causé de préjudice financier à l'organisme public concerné.

2°/ Si le manquement du comptable concerne les autres obligations lui incombant (comme le contrôle de la qualité de l'ordonnateur ou de son délégué, de la disponibilité des crédits, de la production des pièces justificatives requises ou de la certification du service fait), il doit être regardé comme n'ayant, en principe, pas causé un préjudice financier à l'organisme public concerné lorsqu'il ressort des pièces du dossier, y compris d'éléments postérieurs aux manquements en cause, que la dépense repose sur les fondements juridiques dont il appartenait au comptable de vérifier l'existence au regard de la nomenclature, que l'ordonnateur a voulu l'exposer, et, le cas échéant, que le service a été fait.

Appliquant ce cadre général de contrôle aux données de fait et de droit de l'espèce, le juge de cassation relève que sur les cinq charges de débet retenues à l'encontre de l'agent par la Cour des comptes, deux l’ont été sur le fondement d'erreurs de droit.

(Section 6 décembre 2019, Mme X., n° 418741 ; V. aussi, très semblable, du même jour : Section, M. X., n° 425542 ; et encore, du 11 décembre : M. X., n° 420626)

 

34 - Bénéfices industriels et commerciaux - Détermination du bénéfice net - Imposition des pertes ou des profits résultant, à la date de clôture de l'exercice, de l'exécution de contrats à terme d'instruments financiers - Interprétation stricte de la loi fiscale dérogatoire - Règles applicables en cas de position symétriques - Cassation avec renvoi à la cour administrative d'appel.

Le Conseil d’État, donnant une interprétation particulièrement stricte de l'art. 38 (1° du 6) du CGI en vue de protéger au maximum le niveau des recettes fiscales, se prononce dans cette affaire sur le régime d'imposition des résultats de l'exécution de contrats à terme d'instruments financiers en cours à la clôture de l'exercice.

La notion de "pertes" sur contrat d'option en cours à la date de la clôture de l'exercice, doit s'entendre - pour le vendeur de l'option - de la seule marge déficitaire qui résulterait de l'exercice, à cette date, de l'option, c'est-à-dire de l'écart négatif constaté, le jour de la clôture, entre la valeur d'exercice convenue et le cours de l'actif sous-jacent. C'est pourquoi, pour préserver les recettes publiques, les dispositions du 3° de ce même 6 limitent le montant des pertes déductibles sur la position procédant de la détention de l'actif sous-jacent à leur fraction excédant les gains non encore imposés sur la position symétrique procédant de la souscription du contrat d'option. Inversement, la notion de "gains" ou de "profits" sur contrat d'option en cours à la date de la clôture de l'exercice, doit s'entendre - pour l'acheteur de l'option - de la seule marge bénéficiaire qui résulterait de l'exercice à cette date de l'option, c'est-à-dire de l'écart positif constaté, le jour de la clôture, entre la valeur d'exercice convenue et le cours de l'actif sous-jacent. Il s'ensuit que le montant des gains non encore imposés sur contrat d'option s'entend aussi de la marge bénéficiaire qui résulterait de l'exercice de l'option. Dès lors, et indépendamment du point de savoir à quel exercice doit être rattachée la charge correspondante pour l'acheteur de l'option, ce montant ne s'établit pas sous déduction de la prime versée par celui-ci en contrepartie de l'acquisition de l'option.

L'arrêt frappé de pourvoi est cassé pour avoir jugé - au prix d'une erreur de droit - que le calcul des gains non encore imposés prévu au premier alinéa du 3° du 6 de l'article 38 du CGI devait prendre en compte l'ensemble des coûts de l'opération, et notamment, déduire les primes versées lors de la souscription des contrats d'option.

(19 décembre 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 431066)

 

35 - Gestion de fait - Qualification d'une cession fictive comme étant une gestion de fait - Personne morale qualifiée de gestionnaire de fait en raison de sa connaissance du montage fictif et irrégulier d'une prétendue opération immobilière - Gestion de fait possible sans manipulation de deniers publics - Rejet.

La qualification de gestionnaire de fait peut-être donnée à toutes les personnes qui ont contribué à la mise en place de la gestion de fait alors même qu'elles n'auraient pas elles-mêmes manipulé des deniers publics ; il suffit qu'elles aient directement ou indirectement participé aux irrégularités constitutives d'une gestion de fait ou que, par leur inaction ou tolérance, elles les aient facilitées.

En l'espèce, la société requérante ayant connu la dissimulation au comptable public du caractère fictif de l'opération présentée comme une cession des biens et du fonds de commerce d'une clinique, était donc au courant du caractère injustifié du paiement litigieux comme de l'existence d'une convention d'occupation précaire ; elle doit donc être déclarée gestionnaire de fait et cela d'autant plus qu'elle était la principale bénéficiaire de ces irrégularités.

C'est donc sans erreur de droit ni de qualification juridique des faits que la Cour des comptes a jugé qu'en l'absence de transfert réel des biens incorporels à l'hôpital et de contrepartie réelle à cette partie de l'acquisition, celle-ci était purement fictive et caractérisait une gestion de fait.

(18 décembre 2019, Société de gestion des cliniques d'Épinal réunies (SOGECLER), n° 416819)

 

36 - Imposition sur les bénéfices industriels et commerciaux - Régime du report en arrière des déficits - Cas d’une société à la tête d’un groupe fiscalement intégré, puis devenue autonome, enfin devenue membre d’un groupe fiscalement intégré - Impossibilité de confusion des reports - Cassation partielle avec renvoi à la cour.

Une société est, en 2005, à la tête d’un groupe fiscalement intégré comportant une seule filiale puis elle l’absorbe et devient autonome en 2006 et 2007 avant de redevenir, en 2008, société mère d’un groupe fiscalement intégré.

Elle prétend bénéficier des dispositions des art. 223 A et 223 G (1) du CGI et donc de l’imputation des déficits sur le bénéfice réalisé les années antérieures ; ayant essuyé un refus de l’administration fiscale, elle saisit le juge.

Le Ministre demandeur se pourvoit contre l’arrêt d’appel qui a donné partiellement raison à cette société après que les premiers juges ont rejeté son recours.

Le Conseil d’État censure l’arrêt d’appel au motif qu’il découle des dispositions précitées du CGI, qui sont d’interprétation stricte, que le déficit d'ensemble d'un groupe fiscalement intégré, qui est déclaré au titre d'un exercice par sa société mère, ne peut être imputé, s'agissant des exercices antérieurs à la constitution de ce groupe, que sur les bénéfices qui ont été déclarés, en propre, par cette société.

La solution est logique.

(2 décembre 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 420910)

 

37 - Amende pour dissimulation ou travestissement d'identité ou pour acceptation de l'utilisation d'une identité fictive ou d'un prête-nom - Art. 1737 CGI - Personne ayant la charge de l'amende - Auteur ou destinataire de la facture - Rejet.

Le Conseil d’État juge que l'amende prévue à l'art. 1737 du CGI, destinée à réprimer  «  le fait de travestir ou dissimuler l'identité ou l'adresse de ses fournisseurs ou de ses clients, les éléments d'identification mentionnés aux articles 289 et 289 B et aux textes pris pour l'application de ces articles ou de sciemment accepter l'utilisation d'une identité fictive ou d'un prête-nom », peut être infligée soit à l'auteur de la facture soit à la personne destinataire de la facture, dès lors que l'une d'elles se trouve dans l'une des situations envisagées par cet article.

(19 décembre 2019, Société DMS, n° 423263)

 

38 - Impôt sur les sociétés - Retenue à la source sur les rémunérations de prestations fournies ou utilisées en France - Cas des sociétés étrangères non installées de façon permanente en France - Exercice de la retenue à la source même en cas de résultats déficitaires - Inégalité de traitement fiscal fondée sur la nationalité des sociétés - Absence d'inconstitutionnalité selon le Conseil constitutionnel - Conséquences - Rejet.

L'art. 182 B du CGI dispose que les rémunérations versées par des sociétés étrangères n'ayant pas d'installation permanente en France à propos de prestations fournies ou utilisées en France font l'objet d'une retenue à la source de 33,33% même lorsqu'elles sont en situation déficitaire. Au contraire, en pareil cas, les sociétés installées en France sont dispensées, à due concurrence du déficit, de cette retenue à la source.

La société requérante avait vu dans ce traitement inégalitaire, avec grande raison, une inconstitutionnalité au regard du principe d'égalité devant les charges publiques tel que le définit l'art. 13 de la Déclaration de 1789. Le Conseil d’État (25 février 2019, n° 412497) avait estimé qu'en effet se posait ainsi une question sérieuse justifiant qu'elle fût renvoyée au Conseil constitutionnel. Celui-ci (C.C. n° 2019-784 QPC du 24 mai 2019, même requérante) ne l'a pas entendu ainsi et, se fondant, sur une argumentation mêlée de considérations de natures diverses et quelque peu touffues, a jugé cette disposition non contraire à la Constitution. Le Conseil d’État en tire donc volens nolens les conséquences.

(4 décembre 2019, Société Cosfibel Premium, auparavant dénommée Mandalay Prestige, n° 412497)

 

39 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Détermination de la valeur locative des locaux assujettis - Notion d’activité commerciale - Absence - Obligation de recourir à la méthode comparative de l’art. 1496 du CGI - Annulation du jugement contraire.

Il résulte des termes mêmes de la loi (art. 2 et 22 et I de l'art. 7 ter de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 décembre 1945) que les activités des associations de gestion et de comptabilité ont un caractère non commercial. Il suit de là que, pour la détermination de la valeur locative des locaux de ces associations affectés à cette activité, s’appliquent les dispositions du I de l’art. 1496 du CGI et celles du 1 de l’art. 92 du CGI et non celles de l’art. 1498 du CGI, contrairement à ce qu’avait jugé en l’espèce, au prix d’une erreur de droit, le tribunal administratif.

(2 décembre 2019, Centre départemental d'économie rurale des exploitations agricoles de la Marne, n° 423626)

 

40 - Règle du rattachement à l'exercice - Commission bancaire pour frais de dossier portant sur plusieurs exercices - Absence de prestation continue - Rattachement obligatoire à l'année de la date de proposition de prêt bancaire - Rejet.

Les commissions pour frais de dossier perçues par l'établissement bancaire à l'occasion de l'octroi d'un prêt rémunèrent la prestation d'instruction du dossier de demande de ce prêt qui prend fin à la date de la proposition de prêt par l'établissement bancaire et cela alors même que le montant de ces commissions est fixé en fonction du montant du prêt accordé et pris en compte pour la détermination du taux effectif global et que leur paiement conditionnerait l'octroi du prêt.

Il suit de là que c'est sans erreur de droit ni inexacte qualification des faits que la cour a, en l'espèce, jugé que, ne pouvant être regardées comme fournies jusqu'au terme du prêt accordé, ces commissions ne pouvaient pas être regardées comme la contrepartie d'une prestation continue au sens du a du 2 bis de l'article 38 du CGI et que, par suite, elles devaient être rattachées à l'exercice au cours duquel elles étaient perçues, conformément au premier alinéa du 2 bis de l'article 38.

(4 décembre 2019, Société Crédit agricole, n° 420414)

 

41 - Proposition de rectification en matière d'impôts - Précisions que doit comporter cette proposition - Possibilité de se référer à une précédente proposition résultant d'un contrôle antérieur - Obligation d'identification précise de la proposition de référence - Insuffisance en l'espèce - Cassation avec renvoi dans cette mesure de l'arrêt d'appel faisant litière de cette circonstance.

S'il est loisible à l'administration fiscale, procédant à une proposition de rectification, de se borner à se référer aux motifs retenus dans une proposition de rectification, ou une réponse à ses observations, consécutive à un précédent contrôle et qui lui a été régulièrement notifiée, c'est à l'expresse condition qu'elle identifie précisément la proposition ou la réponse en cause et que celle-ci soit elle-même suffisamment motivée. Commet donc une erreur de droit l'arrêt qui juge suffisamment motivée une proposition du fait seulement de sa référence à une décision antérieure de rectification qui n'était pas jointe à la seconde proposition.

(4 décembre 2019, Société Rellumix, n° 424178)

 

42 - Taxe d'aménagement - Contribution des constructeurs aux dépenses d'équipement public - Abattement de taxe pour divers motifs - Cumul d'abattements impossibles pour les mêmes locaux - Cumul possible en cas d'abattements distincts appliqués à des locaux distincts y compris au sein d'une même construction - Cassation partielle et renvoi dans cette mesure au tribunal administratif.

Une société de construction a sollicité un abattement de taxe d'aménagement (art. L. 331-12 code de l'urbanisme) alors qu'elle avait déjà bénéficié d'un tel abattement au titre de la construction de logements sociaux, cela lui est refusé et le premier juge confirme la légalité de ce refus. Le Conseil d’État, saisi par la société, aperçoit une erreur de droit dans cette analyse car l'article précité du code de l'urbanisme distingue deux hypothèses d'abattement de la taxe d'aménagement : le tribunal administratif ne pouvait donc pas écarter l'éligibilité de la société au second chef d'abattement sans s'être au préalable assuré s'il était sollicité pour les mêmes locaux que ceux ayant déjà bénéficié d'un abattement ou pour d'autres au sein de la même construction. D'où le prononcé d'une cassation partielle portant précisément sur ce point.

(19 décembre 2019, Société civile de construction vente (SCCV) Capitole Promotion, n° 419800)

 

43 - Nouvelle-Calédonie - Impôt sur les sociétés - Impôt sur le revenu des valeurs mobilières - Bénéfices réalisés sur les produits d'assurance - Double imposition pour les sociétés n'ayant pas leur siège en Nouvelle-Calédonie - Interprétation neutralisante - Rejet.

La société requérante conteste la double imposition instituée de fait par la loi du pays de Nouvelle-Calédonie du 16 janvier 2007 pour les sociétés commercialisant des produits d'assurance n'ayant pas la qualité d' « entreprises exploitées en Nouvelle-Calédonie » (art. 15 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie). Ainsi, une entreprise ayant un établissement stable seulement en France continentale serait doublement taxée, en France continentale et en Nouvelle-Calédonie.

Le Conseil d’État, pour faire échapper ce texte à la censure, en donne une interprétation   neutralisante en jugeant que la définition donnée par le texte précité « n'est susceptible de s'appliquer qu'aux entreprises ayant un établissement stable dans un État autre que la France », ce qui n'allait pas de soi en dépit des dispositions de l'art. 7 de la convention conclue entre le gouvernement de la République française et le conseil de gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale, approuvée par la loi du 26 juillet 1983, ce qui lui confère une valeur législative.

(18 décembre 2019, Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), n° 429996)

 

44 - Impôts sur les revenus et sur les bénéfices - Détermination de l'actif - Théorie du bilan - Charges et bénéfices délibérément non comptabilisés - Erreurs non rectifiables - Absence d'obligation pour le juge saisi d'établir le motif de ces omissions et erreurs - Rejet.

Le Conseil d’État rappelle que, sauf dans le cas où elles sont incertaines à la date de clôture de l'exercice, les charges d'un exercice donné doivent être prises en compte pour établir la valeur ajoutée taxable de l'entreprise. En l'espèce, ni la société mère n'a comptabilisé en charge les prestations réalisées pour ses filiales ni ces dernières n'ont porté en bénéfices les prestations ainsi reçues. De ce que cela constituait une erreur comptable délibérée il s'en déduit l'impossibilité d'en demander la rectification.

Pour autant, la cour n'avait pas à prouver ou à établir le(s) motif(s) de ces omissions, volontaires au demeurant.

(19 décembre 2019, Société Veolia Eau - Compagnie Générale des Eaux, n° 419968 ; Société Veolia Propreté, n° 419970, jonction)

45 - Taxe de balayage - Ville de Paris - Calcul de l'assiette de la taxe - Cas d'un immeuble situé au croisement de deux rues, celles-ci étant, en outre, d'inégale largeur - Erreur de droit - Annulation du jugement avec renvoi.

Se prononçant sur les conditions de détermination de la taxe de balayage imposée aux immeubles riverains des voies publiques, cette décision est pittoresque par l'application qu'elle fait des règles de géométrie et de projection d'angles dans le cas d'un immeuble présentant la double particularité de se situer au croisement de deux voies et celles-ci étant d'inégale largeur.

(19 décembre 2019, Ville de Paris, n° 426315 ; v. aussi, du même jour : Société Acom, n° 427875)

46 - Impôts sur les sociétés - Revenus distribués et donc soumis à l'impôt - Notion de revenus distribués - Exercice présenté comme déficitaire mais devenu bénéficiaire par suite de réintégrations opérées par l'administration - Inexistence d'une présomption de distribution des bénéfices - Annulation de l'arrêt d'appel avec renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui présume la distribution, aux associés d'une Sarl, d'un bénéfice résultant de ce que l'exercice initialement établi comme déficitaire est devenu bénéficiaire par suite de la prise en compte par l'administration, d'une part, de recettes non comptabilisées et d'autre part, de charges non justifiées ainsi que d'une variation négative des stocks.

En effet, l'art. 109, 1, 1° du CGI n'établit pas une présomption de distribution. Il convenait donc pour la taxer de la prouver.

(19 décembre 2019, Sarl SOCOPRIM, n° 429309 ; v. aussi, sur cette affaire et du même jour : M. et Mme X., n° 429310)

 

47 - Régime fiscal du bénéfice mondial consolidé - Fraction d’impôts étrangers non imputée sur le montant de l’impôt sur les sociétés du pour une année donnée - Règle du report - Extinction du régime du bénéfice mondial consolidé - Absence d’effets sur la possibilité du report - Cassation sans renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge que la fraction des impôts étrangers acquittés au cours des exercices d'application du régime du bénéfice mondial consolidé qui n'avait pu être imputée sur l'impôt sur les sociétés dû par l'entreprise agréée au cours de ces exercices cessait d'être reportable dès sa sortie de ce régime.

Tout d’abord, il découle clairement des dispositions de l'article 122 bis de l'annexe II au CGI, que la fraction des impôts étrangers dus au titre d'un exercice qui n'a pu être imputée sur le montant de l'impôt sur les sociétés dû par la société agréée au titre de cet exercice est placée en report et peut être imputée sur l'impôt sur les sociétés dû par la même société au titre des cinq exercices suivants, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que la société ne bénéficierait plus, au titre des exercices en cause, du régime du bénéfice mondial consolidé, notamment du fait de l'extinction de ce dernier, et que, par suite, elle ne peut plus imputer les impôts étrangers afférents à l'exercice considéré.

Ensuite, les dispositions qui régissaient ce mode d’imposition (art. 122, 1, de l’annexe II du CGI et art. 132 de cette annexe) sont demeurées applicables aux sociétés agréées jusqu'à l'extinction des effets du régime du bénéfice mondial consolidé auxquels elles peuvent prétendre, sans qu'ait d'incidence la circonstance qu'elles ont été déclarées périmées par le décret du 3 juin 2013 portant incorporation au code général des impôts et au code des douanes de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ces codes.

(19 décembre 2019, Société Vivendi, n° 426730)

 

48 - Impôt sur les revenus et sur les bénéfices - Revenus de capitaux mobiliers - Notion de revenus distribués - Solde débiteur d’un compte courant d’associés - Variation prise en compte pour l’imposition éventuelle - Différence positive devant seule être retenue - Erreur de droit - Cassation sans renvoi.

Il résulte des dispositions combinées de l’art. 109 et du 3° de l’art. 120 du CGI que doivent être regardés comme des revenus distribués, sauf preuve contraire, les montants des soldes débiteurs des comptes courants ouverts dans les écritures d'une société au nom de ses associés, actionnaires ou porteurs de parts au 31 décembre de l'année en cause.

Par ailleurs, en cas de variation de ce solde d'une année civile sur l'autre, seule la différence positive entre ces deux soldes peut légalement être incluse dans le revenu imposable de l'associé, l'actionnaire ou le porteur de parts pour l'année en cause.

(27 décembre 2019, M. et Mme X., n° 420478)

 

49 - Impôts sur les revenus et sur les bénéfices - Revenus distribués - Notion - Avantage occulte - Vente en l’état futur d’achèvement - Libéralité imposable dès la conclusion de la vente - Rejet.

La vente d’un bien à un prix sous-évalué constitue pour l’acquéreur un avantage occulte qui doit être imposé, au titre de l'impôt sur le revenu et de contributions sociales, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers (en vertu du c de l’art. 111 du CGI).

Bien qu’en l’espèce la vente portait sur un immeuble en l’état futur d’achèvement dont l’acquéreur ne devenait propriétaire de chacune des tranches de construction qu’au fur et à mesure de leur livraison, l'acquéreur devait être regardé comme ayant disposé de la fraction de ce prix constitutive d'une libéralité dès la conclusion de la vente et sans attendre la livraison du bien.

(27 décembre 2019, M. et Mme X., n° 420819)

 

50 - Impôts sur les bénéfices industriels et commerciaux - Exonérations d’entreprises installées et exerçant en zones franches urbaines - Conditions - Non-respect de ces conditions - Exonération impossible - Rejet.

Une société qui exerce une activité de négoce de sel de déneigement à destination d'entreprises et de collectivités locales ainsi qu'une activité accessoire de vente de paillis de bois entendait bénéficier du régime d'exonération institué en faveur des sociétés créant ou exerçant une activité dans une zone franche urbaine (art. 44 octies A du CGI) ; elle invoquait le fait qu’elle avait établi son siège social dans une telle zone.

Pour contester cette interprétation de l’article précité, l’administration fiscale faisait valoir que le bénéfice de l’exonération était subordonné, selon les termes mêmes de la loi fiscale, d’une part à ce que l’entreprise exerce son activité dans la zone franche urbaine, d’autre part à ce qu’elle dispose des moyens d’exploitation nécessaires à l’exercice effectif de cette activité.

Tel n’était pas le cas en l’espèce où le stockage des marchandises commercialisées par la société et l'ensemble de l'activité logistique étaient sous-traités à deux sociétés établies en dehors de la zone franche urbaine et où, dans le siège social où n’exerçait qu’une seule salariée, secrétaire commerciale en charge d'activités commerciales et administratives, n’avaient lieu ni accueil des clients ni exercice, par le président de la société, d’une quelconque activité.

(27 décembre 2019, SAS Univer’sel, n° 422558)

 

Droit public économique

 

51 - Aide à l'acquisition de véhicules "propres" - Réclamation d'un indu - Conditions - Absence en l'espèce - Cassation avec renvoi.

Le décret du 26 décembre 2007 a créé une aide à l'acquisition de véhicules propres en confiant au vendeur des véhicules un double contrôle : celui de l'éligibilité de l'acquéreur de véhicules à cette aide et la vérification que le bénéficiaire a souscrit un engagement à cette fin.

L'administration (Agence de services et de paiement) a entendu réclamer à la société requérante le remboursement de l'indu qu'elle avait perçu au motif qu'elle n'avait pas rempli les obligations découlant pour elle des dispositions du décret précité de 2007. En réalité, il lui était reproché de ne pas s'être assurée de ce que le comportement des acquéreurs de véhicules après l'acquisition ne respectait pas les engagements pris. Sur pourvoi contre un jugement et un arrêt la déboutant, le Conseil d’État juge que les reproches faits ne sont pas justifiés car les obligations incombant à la société ne trouvent à s'appliquer qu'au moment de la cession de chaque véhicule non après celle-ci. D'où la cassation prononcée. L'indu ne pouvait être réclamé qu'en cas de manquement lors de la vente point après celle-ci.

 (11 décembre 2019, Société Nissauto, n° 424801)

 

52 - Vins d'appellation d'origine contrôlée (AOC) - Inspection de l'appellation - Contrôle vinificateur - Obligation de conservation seulement du fût où a été prélevé l'échantillon - Durée de la conservation - Rejet.

Lorsqu'un opérateur fait l'objet d'un contrôle dit vinificateur en application de l'article IV.2.1. du plan d'inspection d’une appellation d'origine contrôlée (AOC, ici Bordeaux-Bordeaux supérieur) il est tenu, en vertu de la réglementation applicable (art. D. 644-2 du code rural et de la pêche maritime), de conserver ses vins en l'état jusqu'aux résultats du contrôle.

Il faut entendre par là non pas la date à laquelle le directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) lui notifie, le cas échéant, la sanction prise à la suite de ce contrôle mais la date à laquelle l'organisme de contrôle lui communique les résultats des examens analytiques et organoleptiques menés par prélèvements sur échantillon.

(19 décembre 2019, M. X. n° 418500)

 

53 - Dénominations enregistrées et protégées - Protection contre les risques d'évocation - AOP " Jambon sec de Corse - Prisuttu " - IGP " Jambon sec de l'Ile de Beauté " - Absence de risque de confusion et d'évocation en raison des règles différentes de protection - Lien causal entre aire géographique et qualité ou caractéristiques du produit - Rejet.

Rejetant le recours dont il avait été saisi par un syndicat professionnel de productions agricoles, le Conseil d’État juge que la création, à côté de l'appellation d'origine protégée (AOP) " Jambon sec de Corse - Prisuttu ", d'une indication géographique protégée (IGP) dénommée " Jambon sec de l'Ile de Beauté ", n'entraîne pas un risque de confusion ou d'évocation. D'abord, les régimes juridiques et la portée des protections instituées sont différents pour une AOP et pour une IGP. Ensuite, l'IGP « n'est pas une simple indication de provenance géographique ».

Enfin, doit être écarté l'argument selon lequel l'arrêté attaqué serait entaché d'une erreur d'appréciation en ce qu'il n'établirait pas l'existence du lien causal requis entre l'aire géographique et la qualité ou les caractéristiques du produit.

 (19 décembre 2019, Syndicat de défense et de promotion des charcuteries corses « Salameria Corsa », n° 421818)

 

54 - Indication géographique protégée (IGP) - Homologation du cahier des charges d'une IGP "Sel de Camargue" - Procédure nationale d'opposition à une demande de reconnaissance d'une indication géographique - Portée - Composition et contenu du cahier des charges de l'IGP - Rejet.

L'Association française des producteurs de sel marin de l'Atlantique a demandé l'annulation de l'arrêté interministériel (agriculture et finances) relatif à l'homologation du cahier des charges concernant les dénominations " Sel de Camargue " et " Fleur de sel de Camargue " en vue de la transmission à la Commission européenne d'une demande d'enregistrement en tant qu'indication géographique protégée.

Parmi les divers griefs développés par les auteurs du recours et par les personnes publiques intervenantes, deux retiennent l'attention.

En premier lieu, l'article R. 641-13 du code rural et de la pêche maritime institue une procédure nationale d'opposition d'une durée de deux mois organisée par le directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) après avis du comité national compétent. Les requérants soutenaient, assez logiquement nous semble-t-il, que s'agissant d'une garantie de la procédure préalable applicable à la reconnaissance d'une indication géographique protégée, le non-respect de l'obligation imposée d'informer les opposants sur les suites données à leurs oppositions entache d'irrégularité la procédure. Le Conseil d’État ne l'a pas jugé ainsi dans la mesure où il considère que cette obligation d'informer les opposants n'est pas prescrite à peine de nullité de l'arrêté subséquent homologuant le cahier des charges en vue de la reconnaissance de cette indication géographique.

En second lieu, il était également soutenu un risque de confusion entre l'appellation, déjà existante et reconnue comme IGP, de "Fleur de sel de Guérande" avec celle, litigieuse, en cours de création, de "Fleur de sel de Camargue". Le Conseil d’État rejette l'argument au double motif, d'une part, qu'il n'existait, à la date de l'arrêté attaqué, aucune définition légale de la fleur de sel ou de sa méthode d'obtention, applicable en France à la généralité des produits et, d'autre part, que les différences susceptibles d'exister entre les deux produits résultent des conditions de production propres à l'aire géographique concernée, ce dont le cahier des charges a précisément pour objet d'informer les consommateurs.

(27 décembre 2019, Association française des producteurs de sel marin de l'Atlantique (AFPS) et autres, n° 425492 ; v. aussi, du même jour, l’arrêt de rejet à propos de la contestation par une association de producteurs de vins de Bourgogne en Beaujolais de l’arrêté ministériel  modifiant le cahier des charges de l’appellation d'origine contrôlée " Bourgogne "  en tant que le cahier des charges qu'il homologue impose : 1°/ de faire suivre le nom de l'appellation d'origine contrôlée " Bourgogne " de l'indication " gamay " pour les vins issus des aires parcellaires délimitées relevant des appellations d'origine contrôlée " Brouilly ", " Chénas ", " Chiroubles ", " Côtes de Brouilly ", " Fleurie ", " Juliénas ", " Morgon ", " Moulin-à-Vent", " Régnié " et " Saint-Amour ", 2°/ de maintenir la proportion du cépage gamay N à un niveau inférieur ou égal à 30 % dans l'encépagement et dans l'assemblage des vins et 3°/ d'inscrire l'indication " gamay " immédiatement au-dessous du nom de l'appellation d'origine contrôlée avec des caractères dont les dimensions, aussi bien en hauteur qu'en largeur, sont égales à celles des caractères du nom de l'appellation d'origine contrôlée : 27 décembre 2019, Association des producteurs de Bourgogne en Beaujolais, n° 417160)

 

55 - Productions viticoles - Cotisation professionnelle des vins de France comportant mention du cépage et/ou du millésime - Fixation par un accord interprofessionnel triennal - Avenant à cet accord - Refus ministériel d'extension de l'avenant - Étendue du contrôle exercé par l'État sur les décisions relatives aux cotisations - Annulation.

L'organisation interprofessionnelle agricole requérante (ANIVIN de France), qui est une organisation reconnue sur le fondement de l'article L. 632-1 du code rural et de la pêche maritime (CRPM), a adopté en 2018 un avenant à l'accord interprofessionnel de 2016, dont l'objet est d'augmenter le taux des cotisations interprofessionnelles auxquelles sont assujettis les vins comportant certaines mentions. Elle a demandé au ministre de l'agriculture qu'il procède à l'extension de cet avenant, ce qui a été refusé, ce refus ayant été confirmé par le rejet implicite du recours gracieux contre celui-ci. Étaient donc demandées les annulations du refus d'extension et du rejet du recours gracieux dirigé contre ce refus.

L'essentiel de l'argumentation se concentrait sur la légalité interne de ces refus et rejet : celle-ci portait d'abord sur le degré du contrôle que peuvent exercer les pouvoirs publics sur les décisions prises en matière de cotisation, ensuite sur les motifs susceptibles de fonder validement l'exercice de ce contrôle.

En premier lieu, le juge estime que le contrôle exercé par le ministre de l'agriculture sur la décision de l'ANIVIN de France d'augmenter le montant de certaines contributions volontaires obligatoires (prévues à l'art. D. 632-4 du CRPM) ne peut porter que sur la régularité des conditions dans lesquelles a été prise la décision et sur sa conformité à la loi car une telle cotisation demeure une créance de droit privé.

En second lieu, le juge exerce un contrôle plein et entier sur les motifs qui déterminent une décision relative aux cotisations étant entendu qu'il ne peut s'opposer à une extension qu'en cas de disproportion manifeste entre les besoins à couvrir le taux d'augmentation des cotisations. Ici, n'est nullement démontrée cette disproportion manifeste. De plus, le ministre ne pouvait, contrairement à ce qu'il a fait en l'espèce, tenir compte - en se trompant d'ailleurs sur son interprétation - de l'état des finances de l'ANIVIN de France. Enfin, il ne pouvait subordonner sa décision d'extension, ou non, de l'avenant, à ce que l'augmentation ne couvre que les actions bénéficiant spécifiquement aux vins en cause, c'est-à-dire ceux vendus avec mention de cépage et/ou de millésime.

Le refus d'étendre l'avenant est annulé et il est fait injonction à son auteur de réexaminer la demande dans un délai de deux mois.

(27 décembre 2019, Association nationale interprofessionnelle des vins de France (ANIVIN de France), n° 422958)

 

Droit social et action sociale

 

56 - Licenciement d’un salarié protégé - Recours hiérarchique - Détermination du point de départ du délai de recours contentieux - Obligation de mentionner les voies et délais de recours - Existence en l’espèce - Rejet du pourvoi.

Cette décision tranche une question procédurale rendue complexe par l’imbrication de textes divers ne poursuivant pas les mêmes objectifs. En effet, pour y répondre il faut mobiliser les articles R. 411-1, R. 421-1, R. 421-5, le premier alinéa de l'article R. 421-2 du CJA, l'article R. 2422-1 du code du travail, le premier alinéa de l'article 18, les premier, troisième et quatrième alinéas de l'article 19 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et le dernier alinéa de l'article 1er du décret n° 2001-492 du 6 juin 2001… Reconnaissons que cela fait beaucoup et même, en pays prétendu cartésien, que cela fait un peu désordre.

Le Conseil d’État déduit de cet ensemble que les délais de recours contentieux contre une décision administrative prise en matière d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, soit dans sa notification si la décision est expresse, soit dans l'accusé de réception de la demande l'ayant fait naître si elle est implicite.

Lorsque l’intéressé exerce un recours hiérarchique devant le ministre la solution est identique bien que, d’une part, la décision du ministre sur recours hiérarchique ne se substitue pas à celle de l’inspecteur du travail, et d’autre part, le recours hiérarchique ne constitue pas en cette matière un préalable obligatoire au recours contentieux.

En l’espèce, l'accusé de réception du recours hiérarchique du requérant répondant aux conditions susexposées, l'intéressé disposait d'un délai de deux mois à compter de la décision implicite de la ministre du travail. Il ne pouvait donc échapper à ce que lui soit opposée l’exception de forclusion.

(2 décembre 2019, M. X., n° 415470)

 

57 - Droit au logement opposable - Carence de l’État - Recours en indemnisation - Absence de nature de contentieux social - Juridiction administrative compétente - Cassation avec renvoi.

Les demanderesses, mère et sœurs d’une personne dont elles sont les héritières, qui avait été reconnue prioritaire et comme devant être relogée en urgence, sur le fondement de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation, par la commission de médiation de Paris, recherchent la responsabilité de l’État en raison de ce que sa carence aurait contraint la défunte à demeurer dans un logement insalubre, situation qui serait la cause directe de son décès. Déboutées en première instance devant le tribunal administratif de Paris elles saisissent le Conseil d’État d’un pourvoi.

Le litige portait sur la question de savoir si le tribunal avait en l’espèce statué en premier et dernier ressort ce qui aurait justifié la saisine directe du Conseil d’État ou bien si, selon la procédure ordinaire, il avait statué seulement en première instance sous réserve d’appel lequel doit alors être porté devant la cour administrative d’appel. La difficulté vient de ce que dans les contentieux sociaux (requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d'emploi) le code de justice administrative (art. R. 772-5 et suivants) a prévu, dans un souci de simplification et de célérité, la compétence de premier et de dernier ressort du tribunal administratif.

Mais le litige dont le Conseil d’État était ici saisi ne portait point sur un contentieux social puisqu’il était relatif à la réparation des préjudices imputés à la carence de l'État à exécuter une décision de la commission de médiation déclarant un demandeur prioritaire et devant être logé en urgence. Le tribunal avait donc statué seulement en premier ressort sous réserve d’appel, ce dernier devant être exercé exclusivement devant la cour administrative d’appel : c’est à cette dernière que l’affaire est renvoyée.

(31 décembre 2019, Mme X. et autres, n° 432867)

 

58 - Contentieux général de la sécurité sociale - Contestations relatives à l'allocation journalière d'inaptitude et au paiement d'arriérés de cotisations sociales - Compétence du juge judiciaire - Rejet du référé selon la procédure expéditive (art. L. 522-3 CJA).

Saisi d'une requête portant sur l'allocation journalière d'inaptitude et sur le paiement d'arriérés de cotisations sociales, lesquels relèvent de la compétence du juge judiciaire par détermination de la loi (dispositions combinées des art. L. 142-1 et L. 142-8 du code de la sécurité sociale), le juge administratif des référés peut la rejeter selon la procédure expéditive de l'art. L. 522-3 CJA, sans instruction et sans audience.

(9 décembre 2019, M. X., n° 436455)

 

59 - Conventions collectives - Extension d'un avenant - Extension par le ministre du travail de clauses comportant des obligations relevant du domaine de la loi - Légalité - Rejet.

Il faut surtout retenir de cette décision, rendue après renvoi préjudiciel à la Cour de Paris  dont la réponse a été cassée par la Cour de cassation, que le ministre du travail peut, sur le fondement de l'art. L. 2261-15 du code du travail, dérogeant au principe de l'effet relatif des contrats, étendre les clauses d'un avenant à une convention collective alors même que ces clauses emporteraient des obligations dont certaines relèvent de la compétence du seul législateur en vertu de l'art. 34 de la Constitution.

La solution peut être discutée au regard des principes qui fondent et justifient la hiérarchie des normes.

(16 décembre 2019, Société Allianz I.A.R.D. et Société Allianz Vie, n° 396001)

60 - Arrêté ministériel d'extension d'une convention collective - Convention collective illégale pour défaut de clause de réexamen - Nullité de l'arrêté par voie de conséquence - Annulation.

L'arrêté ministériel portant extension d'une convention collective que le juge judiciaire, sur renvoi préjudiciel du juge administratif, a jugé illégale car elle ne comportait pas la clause de réexamen qu'exige le III de l'art. L. 912-1 du code de la sécurité sociale, est elle-même illégale par voie de conséquence. L'annulation est ici assortie d'une modulation de ses effets dans le temps.

(31 décembre 2019, Syndicat des auxiliaires de la manutention et de l'entretien pour le rail et l'air (SAMERA) et autres, n° 397137 ; v. aussi, du même jour, très voisins et où, à la différence de la décision précédente, la divisibilité est admise : Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA), n° 397152 et n° 397315, deux espèces)

 

Environnement

 

61 - Police spéciale - Procédure contentieuse spéciale - Contentieux de la pleine juridiction - Exécution complète des prescriptions contenues dans une mise en demeure - Non-lieu à statuer de ce chef - Rejet.

Le code de l'environnement (art. L. 171-7) institue un contentieux de pleine juridiction s'agissant des recours formés contre les contrôles et les mesures de police administrative environnementale prises en application des art. L. 171-8 et L. 171-10 du même code et, par voie de conséquence, contre les mises en demeure dont ils sont assortis.

L'on sait que le juge du plein contentieux se place toujours, pour apprécier les faits et le droit, au jour où il statue. Il s'ensuit que devient sans objet et aboutit à un non-lieu le recours d'un exploitant dirigé contre les obligations mises à sa charge par l'autorité compétente si, à la date à laquelle le juge statue, il s'est plié à cette dernière en ayant entièrement exécuté ce qui a été exigé de lui. Solution logique mais peu satisfaisante : faut-il alors recourir à l'action en responsabilité du chef de mises en demeure irrégulières, excessives ou inadéquates ? On a fait et on a vu plus simple...

(18 décembre 2019, Société GGL Aménagement, n° 418921)

 

62 - Limitation au 1er janvier 2040 du droit d'exploiter en France des gisements d'hydrocarbures - Atteinte à une espérance légitime - Atteinte justifiée par la nécessité de lutter, notamment, contre le réchauffement climatique - Rejet.

La société requérante demande, au principal, l'annulation pour excès de pouvoir du décret lui accordant la concession de mines d'hydrocarbures conventionnels liquides ou gazeux, dite " concession d'Amaltheus ", en tant qu'il a fixé son terme au 1er janvier 2040.

Le Conseil d’État juge que l'art. L. 111-12 du code minier, dans la version qui lui a été donnée par la loi du 30 décembre 2017, porte atteinte à une espérance légitime en tant qu'il décide que les concessions auxquelles peuvent prétendre les titulaires de permis exclusifs de recherche ne pourront pas se poursuivre au-delà du 1er janvier 2040. Il estime qu'en principe une telle frustration de l'espérance légitime engage normalement la responsabilité de la puissance publique.

Toutefois, il est relevé que l'art. 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH ne fait pas obstacle à ce que le législateur adopte des mesures nouvelles dans le souci de ménager un juste équilibre entre l'atteinte portée par la loi nouvelle aux droits nés de législations antérieures et les motifs d'intérêt général justifiant cette atteinte.

En l'espèce, les obligations internationales souscrites par l'État français (Accord de Paris du 12 décembre 2015 sur le réchauffement climatique) justifient une limitation dans le temps du droit d'exploiter les gisements d'hydrocarbures existants en France. Ceci, à la fois, établit la régularité du décret contesté et justifie l'absence d'indemnisation de ce chef.

Si la ligne directrice de cette décision ne surprend pas, il faut cependant regretter un raisonnement trop stéréotypé, à base de pétitions de principe et d'analyses juridiques par trop sommaires, à la limite, parfois, de la non-réponse aux moyens...

(18 décembre 2019, Société IPC Petroleum France SA, n° 421004 ; v. aussi, du même jour, avec même solution et même requérante, à propos du permis d'exploitation délivré pour un autre site : Société IPC Petroleum France SA, n° 421336 ; v. également, du même jour, en partie voisin : Société Vermillon REP, n° 422271)

 

État -civil et nationalité

 

63 - Retrait d'un décret accordant la naturalisation - Règles d'octroi et de retrait de la naturalisation relevant de la souveraineté étatique - Cas des ressortissants membres de l'UE - Perte de la citoyenneté de l'Union - Application du principe de proportionnalité - Absence d'atteinte en l'espèce - Rejet.

Réitération d'une jurisprudence qui peut être discutée : si, en principe, les règles régissant l'octroi et le retrait de la naturalisation relèvent exclusivement de la souveraineté des États, la perte de la nationalité française entraînant celle de citoyen de l'Union européenne, il y a lieu d'appliquer le principe de proportionnalité en outre de la prise en considération de l'intérêt général.

Cette solution, qui ne peut concerner qu'un individu qui ne détenait aucune des nationalités de l'UE avant sa naturalisation, n'est pas satisfaisante. Dès lors que celui-ci n'est devenu citoyen de l'UE qu'en raison de sa naturalisation comme Français, l'irrégularité même de la cause de l'obtention de la citoyenneté européenne devrait entraîner ipso facto la perte de celle-ci en cas de retrait du décret de naturalisation. L’invocation du principe de proportionnalité, parfois discutable, est ici injustifiée.

(2 décembre 2019, Mme X., n° 432187)

 

64 - Mineur français dont l'un des parents est étranger - Mineur faisant l'objet d'une mesure d'assistance éducative - Délivrance à ce parent d'un titre de séjour - Délivrance possible seulement si le parent s'occupe de son enfant - Cassation des jugement et arrêt sans renvoi.

Lorsqu'un mineur de nationalité française fait l'objet de mesures d'assistance éducative (art. 375, 375-3, 375-7 et 3758 du Code civil) celui de ses parents qui est étranger ne peut, normalement, obtenir de ce chef un titre de séjour en France. Toutefois, la délivrance d'un tel titre est possible s'il est établi que ce parent peut être considéré, selon les termes de l'art. 372 du Code civil, comme contribuant « à l'entretien et à l'éducation (de son) enfant à proportion de ses ressources ». Tel est le cas en l'espèce d'où l'annulation des jugement et arrêt contraires.

(20 décembre 2019, M. X., n° 420321)

 

Fonction publique et agents publics

 

65 - Agent public employé par une collectivité ou un établissement public - Affectation à une tâche ponctuelle à plusieurs reprises - Absence de caractère d’agent public contractuel - Agent affecté à une ou plusieurs tâches répondant à un besoin permanent de cette collectivité ou de cet établissement - Caractère contractuel de l’agent en ce second cas - Annulation et renvoi, dans cette mesure, à la cour administrative d’appel.

 Une personne est recrutée régulièrement, pendant une dizaine d’années par le centre d'action sociale de la Ville de Paris (CASVP) afin d’assurer le remplacement des gardiens titulaires de résidences accueillant des personnes âgées lorsque ces derniers prennent leur repos hebdomadaire, leurs congés légaux ou des jours de récupération, le fonctionnement de ces résidences exigeant la présence permanente jour et nuit d'une personne chargée d'assurer les fonctions de gardien et les agents titulaires ne suffisant pas à répondre à ce besoin. Il est mis fin aux fonctions de cette personne et celle-ci sollicite  sa réintégration en qualité d’agent contractuel pour une durée indéterminée ainsi que l’octroi de diverses sommes : alors que ses prétentions sont accueillies en première instance, le juge d’appel rejette la plupart d’entre-elles au motif que les fonctions exercées par le requérant  ne répondaient pas à un besoin permanent de l'administration et qu'en conséquence ce dernier ne pouvait être regardé comme un agent public non titulaire.

En cassation, il est jugé que cet arrêt repose sur une qualification inexacte des faits. En effet, si un agent qui a été recruté pour accomplir une mission répondant ponctuellement à un besoin de l'administration, cela même plusieurs fois, ne peut être qualifié d'agent contractuel, tel n’est pas le cas en l’espèce. Le requérant était appelé à exécuter diverses tâches répondant toutes à un besoin permanent de l'administration : il devait donc, contrairement à ce qu’a jugé la cour, être regardé comme ayant la qualité d'agent non titulaire de l'administration.

(2 décembre 2019, M. X., n° 412941)

 

66 - Harcèlement moral - Personne ayant subi ou refusé de subir un tel harcèlement - Absence d'effet en vue d'une mutation, d'un détachement de la personne harcelée - Mesure susceptibles d'être prises - Cassation de l'arrêt d'appel avec renvoi.

Le Conseil d’État décide dans cette affaire que si, en principe, le fait pour un agent public d'avoir subi ou refusé de subir des actes de harcèlement moral ne permet pas de lui imposer, de ce chef, une mesure d'affectation, une mutation ou un détachement, il est cependant possible à l'administration qui l'emploie, lorsqu'aucune autre mesure concernant cet agent, prise notamment à l'égard des auteurs des agissements en cause,  n'est de nature à atteindre le même but, de prendre dans l'intérêt de la victime ou dans l'intérêt du service, une telle mesure. Le juge fixe à cet égard la marche à suivre en ce cas : en premier lieu, saisi par l'agent qui se prétend harcelé, il doit d'abord d'apprécier si celui-ci a subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement moral. En second lieu, convaincu qu'il en est bien ainsi, il revient de vérifier si l'administration justifie n'avoir pu prendre, pour préserver l'intérêt du service ou celui de l'agent, aucune autre mesure, notamment à l'égard des auteurs du harcèlement moral. 

Il suit de là qu'en l'espèce la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en ne recherchant pas, en l'absence d'autorité de la chose jugée par le juge judiciaire statuant en matière civile, si le demandeur avait été victime d'agissements de harcèlement moral de la part du directeur général du Grand Port maritime de la Guadeloupe et, dans l'affirmative, si son administration d'origine justifiait ne pouvoir prendre d'autre mesure que la mesure litigieuse pour préserver l'intérêt du service et celui de l'agent, c'est-à-dire la décision de mettre fin à son détachement et sa nomination comme « chargé de mission temporaire transport maritime ». 

Cette décision permet de mesurer combien non seulement il est difficile, souvent, d'établir la réalité d'un harcèlement moral mais encore combien est malaisée la recherche de la solution la plus adéquate pour assainir une telle situation.

(19 décembre 2019, M. X., n° 419062)

 

67 - Indemnité de départ volontaire - Création ou reprise d'entreprise - Date de la demande d'indemnité - Refus d'octroi de l'indemnité - Réparation du préjudice - Refus - Annulation pour erreur de droit et renvoi à la cour.

Le requérant, ingénieur rural, des eaux et des forêts, d'abord en disponibilité pour convenances personnelles, a sollicité ensuite l'indemnité de départ volontaire instituée par l'article 3 du décret n° 2008-368 du 17 avril 2008 et l'article L. 351-24 du code du travail pour les agents publics désirant créer ou reprendre une entreprise.

Cette indemnité lui ayant été refusée, il saisit les juridictions administratives mais en vain. En particulier, la cour administrative d’appel a estimé que seuls les agents qui créent ou reprennent une entreprise après avoir définitivement quitté la fonction publique de l'État peuvent en bénéficier, puis elle a relevé que le requérant avait créé son entreprise d'expertise-comptable et de commissaire aux comptes dès le 26 avril 2013, alors qu'il n'avait pas quitté définitivement la fonction publique. Ce jugeant, la cour a, selon le Conseil d’État, commis une erreur de droit, les dispositions précitées exigeant seulement que les agents concernés demandent cette indemnité avant de créer ou reprendre une entreprise. Tel a bien été le cas en l'espèce.

(24 décembre 2019, M. X., n° 423168)

 

68 - Fonctionnaires et agents publics hospitaliers - Distinction entre travail effectif et astreinte - Astreinte assimilée en l'espèce à un temps de travail - Annulation du jugement avec renvoi.

L'article 5 du décret du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l'organisation du travail dans les établissements hospitaliers publics distingue entre le temps de  travail effectif, période durant laquelle «  les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles » et la période d'astreinte au cours de laquelle « l'agent, qui n'est pas sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de son employeur, a l'obligation d'être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au service de l'établissement ». 

En l'espèce un contentieux s'était élevé du fait que, dans le centre hospitalier de la Vendée, les infirmiers en période d'astreinte bénéficiaient de la mise à leur disposition d'un logement situé dans l'enceinte de l'hôpital pour effectuer leur garde ainsi que d'un récepteur téléphonique par lequel ils devaient pouvoir être contactés pendant toute la durée de cette garde, ce récepteur ne pouvant, en outre, fonctionner qu'à proximité d'un émetteur situé dans l'établissement.  Les intéressés estimaient que, dans ces conditions, la période d'astreinte, était en réalité un temps de travail effectif puisqu'ils étaient obligés de demeurer à disposition immédiate de leur employeur sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. Le tribunal administratif ayant rejeté cette analyse, l'un d'eux saisit le Conseil d’État qui, annulant, ce jugement, donne raison au requérant.

(19 décembre 2019, M. X., n° 418396 ; v. aussi, du même jour avec même solution : M. X., n° 418397 ; Mme X., n° 418398 Mme X., n° 418399 Mme X., n° 418400 ; Mme X., n° 418401 ; Mme X., n° 418403 ; Mme X., n° 418404 ; Mme X., n° 418405 ; Mme X., n° 418406 ; Mme X., n° 418407 ; Mme X., n° 418408)

69 - Fonctionnaires territoriaux - Services accomplis au-delà de la limite d'âge - Nature des fonctions exercées (art. 47, al. 2 et 3, loi n° 84-53 du 26 janvier 1984) - Prise en compte pour le calcul de la pension de retraite et pour la détermination de son taux - Erreur de droit - Cassation et renvoi au tribunal administratif.

L'intéressé a continué à exercer ses fonctions, antérieures, de directeur général adjoint des services du conseil général de la Haute-Savoie, en charge de l'éducation, de la culture, des sports et du tourisme, au-delà de son soixante-cinquième anniversaire pendant un peu plus de dix-huit mois. Le directeur de la Caisse des dépôts et consignations, gestionnaire de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, lui a fait alors savoir qu'il ne pouvait pas être tenu compte, pour le calcul de sa pension et de son taux, de la période accomplie au-delà de la limite d'âge de son grade sauf à ce qu'elle serve à compléter dans la limite des cent soixante trimestres de cotisation nécessaires à l'ouverture d'une pension à taux plein.

Le tribunal administratif, saisi par l'agent, a confirmé ce raisonnement que, sur pourvoi de l'intéressé, le Conseil d’État censure pour erreur de droit. En effet, il résulte des dispositions de l'art. 7-1 de la loi du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public que les fonctionnaires ou contractuels de droit public exerçant, par voie de recrutement direct, les fonctions énumérées aux deuxième et troisième alinéas de l'article 47 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, qui ont atteint la limite d'âge « peuvent demander à être maintenus en activité jusqu'au renouvellement de l'assemblée délibérante de la collectivité territoriale ou de l'organe délibérant de l'établissement public qui les emploie. En cas d'acceptation dans l'intérêt du service, la liquidation de la retraite d'un agent maintenu en activité n'intervient qu'à compter du jour de la cessation de sa prolongation d'activité. Dans ce cas, la radiation des cadres et la liquidation de la pension sont différées à la date de cessation des fonctions ». Or l'emploi exercé par le requérant entrait dans l'énumération de l'art. 47 de la loi de janvier 1984, il s'ensuit donc que devait être prise en compte pour la détermination de ses droits à pension la période d'activité litigieuse.

(24 décembre 2019, M. X., n° 408985)

70 - Fonctionnaires et agents publics contractuels - Personnels administratif et ouvrier du Centre national (CNOUS) et des centres régionaux (CROUS) des œuvres universitaires et scolaires - Détermination de la représentativité des syndicats - Absence de règles de droit positif - Libre détermination par l'administration sous le contrôle du juge - Rejet.

Était sollicitée l'annulation de la décision implicite par laquelle la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a refusé de modifier les articles R. 822-4 et R. 822-10 du code de l'éducation fixant la composition des collèges des représentants des personnels administratifs et ouvriers devant siéger dans les conseils d'administration du CNOUS et des CROUS.

La difficulté tenait à l'absence de disposition législative ou réglementaire régissant ces collèges.

Le Conseil d’État en déduit l'existence, au bénéfice de l'administration, de larges pouvoirs, de nature presque discrétionnaire, sous réserve du contrôle éventuel, par le juge de l'excès de pouvoir, de l'erreur de droit, de l'inexactitude matérielle des faits, du détournement de pouvoir ou de l'erreur manifeste d'appréciation, donc à l'exclusion des vices de forme mais pas de l'incompétence, bien que la décision soit muette sur ce cas d'ouverture.

(2 décembre 2019, Union nationale des syndicats CGT des CROUS (UN-CGT-CROUS) et autres, n° 430712)

 

71 - Agents publics contractuels et temporaires - Logement de fonction concédé par utilité de service - Intérêt du service - Installation d'un commerce de bouche dans le logement de fonctions - Décision de non-renouvellement du contrat - Légalité - Cassation de l'arrêt d'appel avec renvoi.

Un fonctionnaire territorial occupant un logement de fonction attribué par utilité de service y installe un commerce de bouche et la commune employeur décide donc de ne pas renouveler son contrat à l'expiration du terme prévu. Ce motif est contesté et la cour administrative d'appel le juge illégal car étranger à l'intérêt du service dès lors que la commune n'établit pas que cette activité n'aurait pas permis à l'agent de remplir ses obligations de service de manière satisfaisante dans la journée ou aurait eu des répercussions sur sa capacité à assurer les astreintes auxquelles il était soumis. En outre, la cour relève que la commune pouvait, de ce chef, si elle s'y croyait fondée, engager une procédure disciplinaire à son encontre. Le Conseil d’État désapprouve ce raisonnement en inversant l'ordre d'analyse des facteurs. La cour aurait dû s'attacher à répondre à l'argumentation de la commune employeur selon laquelle, par son comportement, l'agent avait méconnu les interdictions prévues par le règlement d'occupation des logements appartenant à la commune ainsi que les obligations relatives aux cumuls d'activités, les unes et les autres établies dans l'intérêt du service.

(19 décembre 2019, Commune du Vésinet, n° 423685)

 

72 - Agents publics - Sapeurs-pompiers professionnels - Durée hebdomadaire du travail - Dépassement - Application du régime général prévu par une directive européenne - Dérogation instaurée par la directive inapplicable en l'espèce - Rejet.

Un sapeur-pompier professionnel a sollicité, et obtenu en appel, la condamnation du SDIS du Loiret à lui verser une somme en réparation de préjudice subi du fait de l'obligation dans laquelle il s'est trouvé d'effectuer durant les années 2009 à 2013 un volume horaire de travail excédant les limites posées par la réglementation européenne. Le SDIS défendeur se pourvoit en cassation et invoque à titre principal la circonstance que la directive européenne du 4 novembre 2003 comporte en son article 17 - pour certaines professions et à certaines conditions - une possibilité de dérogation au plafond qu'elle fixe.

Tout d'abord, cet argument est rejeté car il résulte de la jurisprudence de la CJUE (21 février 2018, Ville de Nivelles c/ Rudy Matzak, aff. C-518-15), que doit être considéré comme un temps de travail le temps de garde qu'un travailleur passe à domicile avec l'obligation de répondre aux appels de son employeur dans un bref délai, laquelle restreint très significativement la possibilité d'avoir d'autres activités. Tel est le cas des périodes d'astreintes que comportent les gardes assurées par les sapeurs-pompiers au cours desquelles ceux-ci doivent, même s'ils sont à leur domicile, se tenir en permanence prêts à intervenir, en tenue, sous trois minutes. Par suite, ne saurait jouer ici la dérogation invoquée par le SDIS.

Ensuite, il est jugé que même si les dispositions des articles 6, 16, 17 et 19 de la directive n'empêchent pas, pour l'établissement de la rémunération des sapeurs-pompiers pendant leurs gardes, de fixer des équivalences en matière de durée du travail, afin de tenir compte des périodes d'inaction, le dépassement de la durée maximale de travail qu'elles prévoient porte atteinte à la sécurité et à la santé des intéressés en ce qu'il les prive du repos auquel ils ont droit et leur cause, de ce seul fait, un préjudice, indépendamment de leurs conditions de rémunération ou d'hébergement.

Il suit de là que la cour a jugé sans erreur de droit et que le recours de la SDIS du Loiret doit être rejeté.

(19 décembre 2019, Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Loiret, n° 426031 ; SDIS du Loiret, n° 428635 ; v. aussi, du même jour avec même  requérant, à propos du refus d'admettre le pourvoi de celle-ci contre un arrêt de la cour de Nantes annulant le jugement du tribunal administratif d'Orléans en tant, d'une part, qu'il avait rejeté la demande du syndicat autonome SPP-PATS 45 dirigée contre la délibération du conseil d'administration du SDIS du Loiret et le règlement qui y est annexé en ce qu'ils régissent le régime des astreintes des sapeurs-pompiers professionnels postés logés, et d'autre part, qu'il a annulé cette délibération et le règlement intérieur qui y est annexé dans la même mesure : SDIS du Loiret, n° 426416)

 

73 - Fonctionnaires - Principe d’égalité entre agents d’un même corps - Impossibilité, sauf cas exceptionnels, de solutions différentes en fonction de la voie d’accès au corps - Cas de l’espèce - Différence non justifiée - Annulation.

Le décret n° 2017-1391 du 21 septembre 2017 relatif au corps de catégorie A de la direction générale des finances publiques et à divers emplois des ministères économiques et financiers institue en son article 17 un dispositif transitoire de reclassement pour les inspecteurs des finances publiques accédant au grade d'inspecteur principal par la voie du concours professionnel ; en revanche, ce dispositif ne s'applique pas aux inspecteurs des finances publiques accédant au grade d'inspecteur principal par la voie du concours professionnel prévu à l'article 17 du décret du 26 août 2010 alors que les uns et les autres appartiennent à un même corps.

Le syndicat requérant n’a guère de peine à convaincre le juge du caractère illégal d’un traitement différencié entre agents d’un même corps au regard du principe d’égalité les régissant.

Cette différence ne résultant ni de différences objectives existant entre les situations des agents des deux catégories ni de circonstances particulières justificatives, les dispositions transitoires figurant à l’art. 17 du décret précité de 2017 sont annulées.

(2 décembre 2019, Syndicat national Solidaires Finances publiques, n° 415979)

 

74 - Fonctionnaire à la retraite - Fonctionnaire dont la carrière a été révisée par le retrait rétroactif d'un acte antérieur au cours d'une instance introduite par le fonctionnaire - Pension déjà octroyée à un certain niveau indiciaire - Fonctionnaire sollicitant la révision de sa pension de retraite en conséquence de la révision dont il a fait l'objet - Refus - Annulation par les premiers juges - Confirmation du jugement en cassation et rejet du pourvoi ministériel.

Cette décision est importante. 

Elle concerne le cas d'un agent ayant pris sa retraite alors qu'il avait auparavant introduit un recours contentieux tendant à l'annulation d'un acte illégal concernant sa situation administrative. Durant l'instance, l'administration a, sur sa demande, retiré la décision initiale de calcul des droits, procédant ainsi à une modification rétroactive de ce calcul.  L'intéressé se voyait reconnaître une plus longue ancienneté dans l'indice terminal de sa rémunération d'activité. Comme on le sait, la retraite d'un fonctionnaire, en l'état actuel du droit positif, est constituée d'un certain pourcentage du traitement afférent au dernier indice de rémunération auquel l'agent est demeuré au moins six mois.

L'agent a donc demandé la révision du calcul de sa pension en se prévalant de cette règle ; cette demande ayant été implicitement rejetée, il a saisi le tribunal administratif qui a annulé le refus de réviser le taux de sa pension de retraite. Le ministre des finances se pourvoit contre cette partie du jugement.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi, approuvant les premiers juges d'avoir vu dans le retrait de la décision illégale la cause de la révision de la pension qui était sollicitée sans que puisse y faire obstacle le dépassement du délai d'un an  dans lequel est normalement enfermée la révision de toute erreur de droit concernant la détermination de la situation administrative du fonctionnaire retraité au jour de son admission à la retraite et ayant eu une influence sur la liquidation de sa pension.

(20 décembre 2019, Ministre de l'économie et des finances, n° 408967)

 

75 - Fonctionnaires membres d’un ordre professionnel - Infirmiers - Pédicures-podologues - Masseurs-kinésithérapeutes - Établissement de listes nominatives en vue de l’inscription au tableau de l’ordre - Paiement d’une cotisation à l’ordre - Organisme chargé de missions de service public - Rejet.

Les fonctionnaires qui sont en même temps membres d’un ordre professionnel doivent se soumettre à l’ensemble des obligations découlant de leur appartenance ordinale : paiement d’une cotisation à l’ordre, obligation d’inscription au tableau de l’ordre sans que les intéressés aient été préalablement consultés ou informés, obligation pour leurs employeurs de communiquer à l’ordre les listes nominatives et les données d’identification de ces agents. Aucune de ces obligations n’est illégale et, pas davantage, ne saurait être opposée aux instances ordinales la circonstance qu’elles seraient des associations car les ordres sont des organismes chargés d'une mission de service public.

Rappelons que la situation est la même pour ceux des membres d’un ordre professionnel qui dépendent d’employeurs privés.

(19 décembre 2019, Fédération CGT de la santé et de l'action sociale, n° 426833)

 

76 - Reprise de l’activité d’une personne privée par une personne publique assurant un service public administratif - Centre communal d’action sociale - Sort du personnel (art. L. 1224-3 code du travail) - Maintien de la rémunération antérieure brute dans la mesure compatible avec les règles de droit public - Erreur de droit - Cassation avec renvoi à la cour administrative d’appel.

Le Conseil d’État fait application de sa jurisprudence antérieure relative au principe du maintien des rémunérations en cas de reprise de l’activité d’une personne privée par une personne de droit public gérant un service public administratif (21 mai 2007, Mme Mireille X. et autres, n° 299307 ; 25 juillet 2013, Centre hospitalier général de Longjumeau, n° 355804) tout en la précisant.

Afin d’assurer le principe susrappelé, la comparaison entre les rémunérations antérieure et nouvelle, doit s’effectuer par comparaison, pour leurs montants bruts, entre les salaires ainsi que les primes éventuellement accordées à l'agent et liées à l'exercice normal des fonctions, dans le cadre de son ancien comme de son nouveau contrat.

L’arrêt est partiellement cassé pour erreur de droit en tant, d’une part, qu’il a comparé la rémunération perçue par l’intéressée au mois de décembre 2011 dans le cadre de son ancien contrat avec le montant net de la rémunération qu'elle a perçue en janvier 2012 en qualité d'agent du centre communal d'action sociale et, d’autre part, qu’il a jugé que les différences de rémunération brute sont sans incidence sur l'appréciation du caractère équivalent des rémunérations en cause. 

(2 décembre 2019, Mme X., n° 421715)

 

77 - Principe de parité entre la fonction publique d'État et la fonction publique territoriale - Parité des régimes de retraite (II de l'art. 119 de la loi du 26 janvier 1984) - Impossibilité pour le régime de retraite des agents territoriaux de prévoir des avantages supérieurs à ceux reconnus par les régimes de retraite de la fonction publique d'État - Inapplicabilité du code des pensions civiles et militaires de retraite aux agents territoriaux - Rejet du pourvoi.

Rappel de la règle de parité, instaurée à partir de 1982, au moment du développement de la décentralisation, qui s'applique aussi bien au déroulement des carrières qu'aux régimes de retraite.

Un agent territorial ne peut pas disposer d'un régime de retraite octroyant des avantages supérieurs à ceux consentis aux fonctionnaires d'État.

La retraite anticipée dont peuvent bénéficier les agents publics territoriaux ayant plus de quinze ans d'ancienneté lorsqu'ils ont eu au moins trois enfants, ne peut leur être octroyée qu'en respectant les conditions imposées à la fonction publique d'État et découlant des II et III de l'art. 24 du décret du 26 décembre 2003, c'est-à-dire avoir élevé ces enfants pendant au moins neuf années avant leur seizième anniversaire ou avant la date à laquelle ils ont cessé d'être à charge.

C'est donc à tort que le tribunal administratif a jugé applicables à la requérante les dispositions, inapplicables aux fonctionnaires territoriaux, de l'art. 18 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

(20 décembre 2019, Mme X., n° 412626)

 

78 - Sous-préfète - Directrice de cabinet d'une préfète - Agent stagiaire - Prolongation de la durée du stage - Absence de titularisation tacite - Décision sans caractère disciplinaire non soumise à l'obligation de motivation - Licenciement en période de congé maladie - Caractère régulier - Rejet.

À l'occasion du recours formé par une sous-préfète stagiaire en qualité de directrice de cabinet d'une préfète, le Conseil d’État rappelle et précise divers points du droit des agents stagiaires.

Tout d'abord, si aucune disposition ne prévoit la possibilité de proroger la période de stage de deux ans que doit accomplir, dans les fonctions de directeur du cabinet de préfet, le sous-préfet recruté au titre des dispositions du 3° du I de l'article 8 du décret du 14 mars 1964 portant statut des sous-préfets, il ne s'ensuit pas que l'absence de décision prise à l'issue de cette période biennale de stage puisse être considérée comme une décision de titularisation tacite : on ne devient pas titulaire dans la fonction publique par prétérition.

Ensuite, la décision mettant fin à ses fonctions, prise à l'issue du stage et non au cours de celui-ci, ne constitue pas une sanction disciplinaire et n'avait donc pas à être motivée ni, non plus, à être soumise au principe du respect des droits de la défense.

Enfin, la circonstance qu'un agent public soit en congé maladie n'empêche point son licenciement à l'issue du stage, aucun texte ou principe général n'y faisant obstacle.

(11 décembre 2019, Mme X., n° 427522)

 

Hiérarchie des normes

 

79 - Orientations émises par un organe de l'UE - Cas de l'Autorité bancaire européenne (ABE) - Actes non décisoires pris par une autorité régulatrice - Cas de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) - Recours formé par un organisme professionnel contre une décision qui ne la concerne ni directement ni individuellement - Renvois préjudiciels à la CJUE.

L'Autorité bancaire européenne (ABE) a adopté des orientations sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail auxquelles l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a, dans un avis, déclaré se conformer. La Fédération bancaire française (FBF) demande au Conseil d’État l'annulation de cet avis et, subsidiairement, la saisine de la CJUE.

Il convenait tout d'abord de déterminer si un tel avis de l'ACPR pouvait faire l'objet d'un recours contentieux. Se situant dans la lignée d'une importante jurisprudence relative aux actes émis par des autorités régulatrices (Assemblée, 21 mars 2016, Société Fairvesta International GMBH et autres, n°s 368082 368083 368084, p. 76 et Assemblée, 21 mars 2016, Société NC Numéricâble, n° 390023, p. 88) et, à vrai dire, sans grande surprise, la présente décision répond positivement.

Ensuite, se posait la délicate question de savoir comment traiter au plan contentieux le fait que la FBF reprochait à l'ACPR d'avoir déclaré se soumettre aux orientations sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail émises par l'ABE en estimant invalide lesdites orientations au regard du droit de l'UE.

D'une part, le Conseil d’État estime possible que la FBF soulève une exception d'invalidité mais relève que les orientations arrêtées par l'ABE ne sont destinées qu'aux établissements financiers qui en sont les seuls destinataires directs et qu'il en va de même de l'avis de l'ACPR, attaqué par la FBF, alors que cette dernière n'en est destinataire ni directement ni individuellement.

D'autre part, le Conseil d’État énonce qu'il appartient en tout état de cause au juge administratif, saisi d'un moyen mettant en cause la validité d'un acte de portée générale pris par l’une des institutions de l'Union, d'écarter un tel moyen s'il ne présente pas de difficulté sérieuse ou lorsque la partie qui l'invoque avait sans aucun doute la possibilité d'introduire un recours en annulation, sur le fondement de l'article 263 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, contre l'acte prétendument invalide. Il relève d'ailleurs que si la CJUE a jugé que les simples recommandations échappent au contrôle juridictionnel prévu à l'article 263 du TFUE, elle a, en revanche, décidé que l'article 267 du traité lui attribuait la compétence pour statuer, à titre préjudiciel, sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions de l'Union, sans exception aucune. Ce qui soulève la question de savoir si les orientations émises par une autorité européenne de surveillance sont susceptibles de faire l'objet du recours en annulation prévu par les stipulations de l'article 263 du TFUE.

Cette question, à son tour, peut recevoir deux types de réponse :

Ou bien la réponse y est positive et il conviendrait alors de savoir si une fédération professionnelle est recevable à contester, par cette voie, la validité d'orientations destinées aux membres dont elle défend les intérêts et qui ne la concernent ni directement ni individuellement ;

Ou bien la réponse est négative les orientations émises par une autorité européenne de surveillance n'étant pas susceptibles de faire l'objet du recours en annulation direct ou ce recours n'étant pas ouvert à une fédération professionnelle. En cette seconde hypothèse, la recevabilité de l'exception d'invalidité soulevée par la fédération requérante devant le Conseil d’État dépendrait alors de la réponse à la question de savoir si ces orientations sont susceptibles de faire l'objet du renvoi préjudiciel prévu par les stipulations de l'article 267 TFUE. En cas de réponse positive, resterait encore à savoir si une fédération professionnelle est recevable à contester, par cette voie, la validité d'orientations destinées aux membres dont elle défend les intérêts et qui ne la concernent ni directement ni individuellement.

Enfin, au fond cette fois, constatant que l'argumentation de la Fédération requérante repose sur l'invalidité des orientations de l'ABE en ce qu'elle aurait utilisé des notions et catégories qu'aucun des textes fixant son champ de compétences ne l'habilitent à utiliser, le Conseil d’État est conduit  à poser la question préjudicielle de savoir si, en émettant des orientations sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail, cette Autorité a excédé les compétences qui lui sont dévolues par le règlement du 24 novembre 2010 qui la régit. 

Il sera très intéressant de connaître les réponses de la CJUE aux importantes interrogations que contient cette riche décision.

(4 décembre 2019, Fédération bancaire française (FBF), n° 415550)

 

80 - Conventions collectives - Extension d'un avenant - Extension par le ministre du travail de clauses comportant des obligations relevant du domaine de la loi - Légalité - Rejet.

Il faut surtout retenir de cette décision, rendue après renvoi préjudiciel à la Cour de Paris  dont la réponse a été cassée par la Cour de cassation, que le ministre du travail peut, sur le fondement de l'art. L. 2261-15 du code du travail, dérogeant au principe de l'effet relatif des contrats, étendre les clauses d'un avenant à une convention collective alors même que ces clauses emporteraient des obligations dont certaines relèvent de la compétence du seul législateur en vertu de l'art. 34 de la Constitution.

La solution peut être discutée au regard des principes qui fondent et justifient la hiérarchie des normes.

(16 décembre 2019, Société Allianz I.A.R.D. et Société Allianz Vie, n° 396001 ; v. aussi, du même jour et dans le même sens : Fédération française de l'assurance, n° 397134 ; Société Toma Intérim, n° 419087 ; Société Interaction, n° 420379 ; Société Intérim 16, n° 420381 ; Société Sup Intérim 01, n° 420380 ; Société Sup Intérim 88, n° 420383)

 

81 - Jeux et paris en ligne - Avoirs des joueurs en déshérence - Liquidation et recouvrement des montants - Sommes mises en réserve sur un compte-joueur provisoire - Versement à l'État en cas de non-réclamation des sommes pendant six ans - Rétroactivité de cette règle - Règle technique - Obligation de communication immédiate à la Commission européenne de tout projet de règle technique - Obligation satisfaite en l'espèce en raison de l'intervention de la loi et du décret - Rejet.

Des textes ont successivement prévu le dépôt, par les sociétés organisatrices, des gains consécutifs à des jeux ou des paris en ligne, sur un compte-joueur en l'attente de leur récupération. Puis, il a été prévu qu'au terme, d'abord de cinq années, ensuite de six années, les sommes non réclamées tombent en déshérence et sont versées à l'État.

L'une des sociétés concernées conteste par plusieurs arguments le décret du 3 décembre 2018 relatif au régime des avoirs des joueurs en déshérence, dont elle demande l'annulation.

Le recours est rejeté.

Le Conseil d’État juge que la rétroactivité du décret attaqué n'est point illégale, que l'absence de versement par l'État de frais de garde ou de frais de clôture ne l'est pas non plus et ne porte pas atteinte à la liberté d'entreprendre des sociétés en cause. Il estime également que l'instauration d'un régime de récupération des sommes par l'État au bout de six années succédant à un régime où n'était, en ce cas, prévu aucun reversement à l'État, ne porte pas atteinte à l'espérance légitime des opérateurs d'en devenir propriétaires et donc aux dispositions de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH : on regrettera que ce rejet soit effectué sans trop d'explication et même sans explication aucune.

Enfin, et c'est l'apport principal de la décision, était en jeu dans cette affaire le 1 de l'article 5 de la directive 2015/1535 du 9 septembre 2015 qui impose aux États membres la communication immédiate à la Commission européenne de tout projet de norme technique. Or il était reproché le fait que cette communication n'a eu lieu, en l'espèce, que le 31 juillet 2018 alors que ce système a été instauré par la loi de finances pour 2016, donc en décembre 2015. Toutefois, le Conseil d’État estime, assez ingénieusement (peut-être même trop ingénieusement), que lorsqu'en droit interne l'élaboration d'une règle technique résulte de la combinaison de dispositions de nature législative et de dispositions d'application de nature réglementaire, la communication à la Commission européenne des dispositions législatives relatives à cette règle technique peut n'être effectuée qu'au stade de l'élaboration des mesures réglementaires qui en fixent les conditions d'application, soit lorsque l'application de la loi est manifestement impossible en l'absence de ces mesures réglementaires et que, par suite, l'adoption de ces dernières conditionne l'entrée en vigueur de la règle technique, soit lorsque le texte législatif ne détermine pas, à lui seul, la règle technique d'une manière suffisamment précise pour que ses effets puissent être évalués par la Commission européenne.

Ainsi, la communication à la Commission n'aurait pas été tardive au cas de l'espèce.

On peut douter du bien-fondé de ce raisonnement car ce qu'exige la directive c'est, semble-t-il, la communication immédiate du projet, son principe, dès qu'il est envisagé dans ses grandes lignes, la communication du texte complet étant faite dans un second temps. De plus, on voit mal la notion d'immédiateté dépendre du temps mis à publier les textes réglementaires et donc de la volonté unilatérale de l’État.

(19 décembre 2019, Société Betclic Enterprises Limited, n° 427639)

 

82 - Responsabilité du fait des lois ne respectant pas la hiérarchie des normes - Cas d'engagement et conditions d'engagement de cette responsabilité - Loi inconstitutionnelle - Mise en cause possible de la responsabilité de l'État de ce chef - Nécessité d'un lien de causalité - Absence - Rejet.

 (Assemblée, 24 décembre 2019, Société Paris Clichy, n° 425981 ; du même jour, dans la même formation, avec même solution : Société hôtelière Paris Eiffel Suffren, n° 425983 ; et M. X., n° 428162) V. n° 123

 

 

Libertés fondamentales

 

83 - Étrangers - Policier afghan ayant quitté son pays - Notion de "force militaire" pour l'application de l'art. L. 712-1 CESEDA - Cas d'un policier - Rejet.

L'art. L. 712-1 du CESEDA n'ayant vocation à conférer le bénéfice de la protection subsidiaire qu'à des civils, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant son application impossible à un policier (ou ex-policier) afghan, lequel, sans être strictement un militaire, n'est pas pour autant un civil.

Une autre solution aurait pu être retenue.

(11 décembre 2019, M. X., n° 424219 ; v. aussi : M. X., n° 427714)

 

84 - Étrangers - Admission exceptionnelle au séjour comme "salarié" ou "travailleur temporaire" - Pouvoirs et obligations du préfet - Étendue du contrôle du juge - Contrôle restreint.

Lorsqu'un étranger sollicite du préfet, dans l'année suivant son 18ème anniversaire, une carte de séjour temporaire avec la mention "salarié" ou "travailleur temporaire", celui-ci, après avoir vérifié le respect des conditions légales par l'intéressé (avoir été confié entre 16 et 18 ans à l'aide sociale à l'enfance, justifier suivre depuis au moins six mois une formation professionnelle qualifiante, ne pas constituer une menace pour l'ordre public, vérification de l’état des liens avec sa famille dans son pays d'origine, avis favorable de la structure d'accueil sur son degré d'insertion dans la société française) peut lui délivrer cette carte. Cette décision est soumise au contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation, ce qui caractérise un contrôle juridictionnel restreint.

(11 décembre 2019, M. X., n° 424336)

 

85 - Étranger - Apatride - Cas des palestiniens - Nature juridique de l'UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) - Diverses situations susceptibles de se présenter - Défaut d'examen de celles-ci - Erreur de droit - Cassation et renvoi.

La requérante, née de parents palestiniens en 1986, a vécu jusqu'en 2015 dans un camp de réfugiés avant d'entrer en France munie d'un document de voyage délivré pour les réfugiés palestiniens par les autorités libanaises à Beyrouth.

Elle s'est vue refuser par l'OFPRA l'octroi de la qualité d'apatride ; ce refus, attaqué devant le juge administratif, a été annulé par un jugement du tribunal administratif confirmé par arrêt de la cour administrative d'appel. L'OFPRA se pourvoit en cassation.

Le juge relève d'abord que l'art. 1er de la convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides auquel renvoie, pour sa définition de l'apatridie, l'art. L. 812-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), dispose, pour l'essentiel, que : « 1. Aux fins de la présente convention, le terme " apatride " désigne une personne qu'aucun État ne considère comme son ressortissant par application de sa législation.

2. Cette convention ne sera pas applicable : i) Aux personnes qui bénéficient actuellement d'une protection ou d'une assistance de la part d'un organisme ou d'une institution des Nations Unies autre que le haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, tant qu'elles bénéficieront de ladite protection ou de ladite assistance (...) ».

Ensuite, il qualifie l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), d'organisme des Nations Unies, autre que le haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, offrant une assistance à ces personnes, au sens des stipulations précitées du i) du 2. de l'art. 1er. En effet, le juge note que cette institution a été créée le 8 décembre 1949 par une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies afin d'apporter un secours direct aux " réfugiés de Palestine " se trouvant sur l'un des États ou des territoires relevant de son champ d'intervention géographique, à savoir le Liban, la Syrie, la Jordanie, la Cisjordanie et la bande de Gaza. Il note également que ces prestations sont délivrées, d'une part, aux personnes, enregistrées auprès de l'UNRWA, qui résidaient habituellement en Palestine entre le 1er juin 1946 et le 15 mai 1948 et qui ont perdu leur logement et leurs moyens de subsistance en raison du conflit de 1948, ainsi qu'à leurs descendants et, d'autre part, aux autres personnes éligibles mentionnées au point B. du III des instructions de l'UNRWA de 2009, qui en font la demande sans faire l'objet d'un enregistrement par l'UNRWA.

Egalement, le Conseil d’État constate qu'il découle de là l'existence de deux situations.

Soit le réfugié palestinien est sous la protection et bénéficie de l'assistance de l'UNRWA, en ce cas il ne relève pas du statut d'apatridie fixé par la convention de New-York de 1954.

Soit le réfugié, d'une part, n'est plus dans la situation de protection par l'UNRWA, et d'autre part, n'est reconnu par aucun État, en vertu de sa législation nationale, comme l'un de ses ressortissants, en ce cas - et sous réserve de ne pas se trouver dans l'un des autres cas d'exclusion énumérés à l'art. 1er de la convention de 1954 -, il peut solliciter l'octroi du statut d'apatride sur le fondement de l'art. L. 812-1 du CESEDA.

Enfin, s'agissant de déterminer dans quels cas un réfugié palestinien se trouvant en dehors de la zone d'activité de l'UNRWA, peut être considéré comme n'étant plus bénéficiaire de la protection ou de l'assistance de l'UNRWA, le juge en décrit quatre, trois découlant de la convention précitée de New York, la quatrième née de la convention EDH.

1er cas

Celui dans lequel le réfugié palestinien, d'une part, a été contraint, du fait d'une menace grave contre sa sécurité, de quitter l'État ou le territoire situé dans la zone d'intervention de l'UNRWA dans lequel il avait sa résidence habituelle et d'autre part, ne peut y retourner en raison de cette même menace qui y fait obstacle. 

2eme cas

Celui dans lequel, cette menace, apparue après le départ du réfugié palestinien, fait pareillement obstacle à son retour sur place.

3eme cas

Celui où, pour des motifs indépendants de sa volonté mais autres que l'existence d'une menace pour sa sécurité, un réfugié palestinien se trouve dans l'impossibilité de regagner l'État ou le territoire dans lequel il avait sa résidence habituelle. 

4eme cas

Enfin, il découle de l'art. 8 de la convention EDH, protégeant les apatrides, que doit également être regardé comme ne bénéficiant plus effectivement de l'assistance ou de la protection apportée par l' UNRWA dans sa zone d'intervention un réfugié palestinien qui possède en France des liens familiaux ou des liens personnels, compte tenu notamment de la durée de sa résidence sur le territoire, tels que le centre de ses intérêts se trouve désormais en France où il est dès lors fondé, à la condition qu'aucun État ne le reconnaisse comme l'un de ses ressortissants par application de sa législation, et sous réserve des autres clauses d'exclusion prévues par la convention du 28 septembre 1954, à demander que lui soit octroyé le statut d'apatride sur le fondement de l'article L. 812-1 du CESEDA afin de bénéficier de la protection juridique à laquelle il a droit à ce titre.

Or, en l'espèce, la cour administrative d'appel, pour juger illégal le refus opposé par l'OFPRA, s'est bornée à relever que la requérante ne possédait aucune nationalité et qu'elle n'avait pas conservé sa résidence habituelle dans une zone placée sous la protection de l'UNRWA. Elle n'a donc pas examiné si, en outre, l'intéressée se trouvait dans l'un des quatre cas ci-dessus, d'où la cassation sanctionnant cette erreur de droit.

Seront remarqués, à la fois, l'effort particulièrement constructif du juge pour donner un contenu certain à la notion et au statut de réfugiés des palestiniens et la complexité du résultat ainsi obtenu, notamment du fait de la combinaison d'exigences et de conditions résultant de deux conventions internationales distinctes, notamment par leur objet et par leurs signataires.

 (Assemblée, 24 décembre 2019, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 427017)

 

86 - Étrangers - Enfant faisant l’objet d’une mesure d’assistance éducative - Parent considéré comme ne contribuant pas à la vie de son enfant - Refus de séjour - Erreur de droit et qualification inexacte des faits - Cassation sans renvoi.

Commet une erreur de droit et qualifie inexactement les faits de l’espèce l’arrêt qui juge qu’un père - qui n'a pas été privé de son autorité parentale sur son fils, s'est vu reconnaître un droit de visite hebdomadaire de son enfant et a exercé ce droit de manière assidue et régulière - ne pouvait, du seul fait que son enfant avait été confié au service d'aide sociale à l'enfance, être regardé comme contribuant effectivement à l'entretien et à l'éducation de son fils français et qui en déduit que l'arrêté préfectoral lui refusant la délivrance d'un titre de séjour en sa qualité de parent d'un enfant français ne méconnaissait ni les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, ni celles du 1 de l'article 8 de la convention EDH.

(20 décembre 2019, M. X., n° 420321)

 

87 - Liberté de religion - Abattage rituel des animaux - Circulaire interministérielle autorisant les abattoirs temporaires lors d’une fête religieuse - Autorité compétente - Loi de séparation des Églises et de l’État - Obligation d’agrément des abattoirs - Principe de précaution - Rejet.

L’Association requérante demandait l’annulation pour excès de pouvoir d’une circulaire interministérielle (intérieur et agriculture) relative à la célébration d’une fête religieuse musulmane au mois d'août 2019, en tant qu'elle autorise les abattoirs temporaires. Elle invoquait plusieurs griefs, tous rejetés par le juge.

Il est jugé que le ministre de l’agriculture est bien compétent pour définir les normes sanitaires applicables aux abattoirs ainsi que les modalités d'application des règles de l'Union en cette matière, y compris en ce qu'elles prévoient des dérogations comme, ici, l’autorisation d’abattoirs temporaires.

La circulaire attaquée ne contrevient pas aux dispositions de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État car elle se borne à mentionner l'éventualité d’une intervention de collectivités territoriales dans l’installation d’un abattoir temporaire sans entrer dans le détail des conditions à respecter pour garantir la légalité d'une telle intervention.

La requérante n’établit pas en quoi la circulaire en cause contreviendrait à la jurisprudence de la CJUE (deux décisions : 29 mai 2018, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen VZW e.a., C-426/16 ; 26 février 2019, Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA), C-497/17) laquelle porte sur des questions que la circulaire n’examine pas.

Enfin, ne saurait être invoqué le principe de précaution par le motif que le nombre de contrôles exercés sur les abattoirs temporaires est insuffisant, cette circonstance étant sans influence sur la légalité de la circulaire attaquée.

(27 décembre 2019, Association Vigilance Halal, protection et respect de l'animal et du consommateur, n° 433067)

 

Police

 

88 - Espèces migratrices - Chasse - Dérogation à la prohibition de la chasse en période de nidification - Autorisation de chasse justifiée par aucun motif sérieux - Annulation.

L'arrêté attaqué, du 30 janvier 2019, est entaché d'illégalité car il autorise la chasse d'espèces migratrices (oie cendrée, oie rieuse et oie des moissons) en des périodes où celle-ci est prohibée à raison de ce qu'elles reviennent vers leurs lieux de nidification, sans que soient justifiées les conditions d'une dérogation posées par les dispositions de l'article L. 424-2 du code de l'environnement transposant l'article 9 § 1 de la directive du 30 novembre 2009.

(11 décembre 2019, Ligue pour la protection des oiseaux, n° 427513 ; Association France nature environnement, n° 427518 ; Association Humanité et biodiversité, n° 427545 ; Association One Voice, n° 427550)

 

89 - Événements et manifestations nécessitant un dispositif de sécurité - Instruction ministérielle fixant le régime de l'indemnisation des services de police et de sécurité - Régime financier - Frais pris en charge - Clauses de la convention à conclure entre responsables de l'ordre et organisateurs d'événements ou manifestations - Annulation partielle.

Les requérants contestaient une instruction ministérielle relative à l'indemnisation des services d'ordre du fait de leur intervention en cas d'événement ou manifestation qu’ils organisent, ainsi que le rejet du recours gracieux dirigé contre cette instruction.

L'instruction litigieuse tend à organiser les conditions et les motifs du remboursement des dépenses occasionnées par le déploiement des forces de l'ordre afin d'assurer la sécurité de manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif lorsque leur objet ou leur importance le justifie. L'instruction se fonde à la fois sur les dispositions de l'art. L. 211-11 du code de la sécurité intérieure (CSI), sur celles du décret n° 97-199 du 5 mars 1997 et enfin sur l'arrêté du 28 octobre 2010 fixant le montant des remboursements de certaines dépenses supportées par les forces de police et de gendarmerie.

Le Conseil d’État rejette un certain nombre de griefs : ainsi en définissant les missions susceptibles de faire l'objet d'un remboursement comme étant les missions de service d'ordre, exécutées à l'occasion de l'événement, qui sont « en lien avec la gestion ou la sécurisation des flux de population ou de circulation et la prévention des troubles à l'ordre public » et « directement imputables à l'événement », le ministre de l'intérieur n'a pas donné une interprétation inexacte des dispositions de l'article L. 211-11 du CSI ;  pareillement, ce dernier pouvait compétemment - sur le fondement de l'article 2 du décret du 5 mars 1997 - déterminer les éléments qui doivent être pris en charge par l'assurance souscrite par l'organisateur, en cas de dommages subis ou causés par les forces de l'ordre dans le cadre des missions donnant lieu à remboursement. ; semblablement, il pouvait, en sa qualité de chef de service, fixer un modèle de convention indiquant les différents points sur lesquels devait porter la convention qui doit être signée (en vertu des dispositions de l'art. 4 du décret du 5 mars 1997) entre l'organisateur et l'autorité compétente de l'État. Enfin, il pouvait prévoir l'organisation d'au moins une réunion préparatoire portant sur les questions d'ordre et de sécurité avant la tenue de l'événement tout comme il pouvait, à l'annexe 5 de cette instruction, indiquer que les frais à couvrir comportent le coût des indemnités de mission et, pour les escortes, les indemnités de repas et un tarif kilométrique.

Le Conseil d’État retient en revanche les griefs suivants et les annulations sont prononcées dans cette limite. En premier lieu, le ministre de l'intérieur ne dispose pas du pouvoir de déterminer, de façon générale, le montant de l'acompte ou les conditions de son versement, ceci relève de la seule compétence de la convention et donc de ses auteurs. En second lieu, alors que le décret du 5 mars 1997, dans son art. 5, prévoit que le paiement des sommes dues par l'organisateur de la manifestation doit intervenir dans un délai de trente jours à compter de la réception de la demande de paiement, le ministre ne pouvait pas, par l'instruction contestée, décider que le paiement du solde « devra intervenir dans un délai maximum d'un mois après la fin de la manifestation ».

(31 décembre 2019, Association Union française des métiers de l'événement (UNIMEV), n° 422679 ; Syndicat national du spectacle musical et de variété (PRODISS) et autre, n° 425266, deux espèces jointes)

 

Procédure contentieuse

 

90 - Contentieux sociaux - Réclamation d'un indu social (RSA) - Demande de remise gracieuse du remboursement de l'indu - Règles procédurales assouplies et aménagées - Requête ne comportant aucun moyen ou des moyens non assortis de précisions en permettant l'appréciation - Conséquences procédurales - Statut procédural du défendeur - Limites - Rejet.

Le code de justice administrative (Art. R. 772-5 et suivants) a organisé, dans les contentieux sociaux, d'importants assouplissements procéduraux pour tenir compte de l'environnement sociologique et culturel des requêtes portant sur les matières relevant de ces contentieux.

Une personne, dont la demande de remise gracieuse d'un remboursement de RSA indu a été rejetée, saisit en vain le tribunal administratif et se pourvoit en Conseil d’État. Ceci fournit à celui-ci l'occasion de préciser le régime contentieux dérogatoire caractérisant les contentieux sociaux.

En particulier, le juge ne peut rejeter purement et simplement une requête entrant dans leur champ d'application au motif qu'elle ne comporte l'exposé d'aucun moyen ou qu'elle ne comporte que des moyens qui ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé - ce qui ne nécessite ni instruction contradictoire ni audience publique. Il doit, pour ce faire, avoir informé le requérant, sauf s'il est représenté par un avocat ou a utilisé le formulaire comportant ces informations, du rôle du juge administratif et de la nécessité de lui soumettre une argumentation propre à établir que la décision attaquée méconnaît ses droits et de lui transmettre, à cet effet, toutes les pièces justificatives utiles.

Egalement, le Conseil d’État rappelle qu'en vertu de l'art. R. 772-8 CJA il appartient au défendeur, si nécessaire à l'invitation du tribunal, de communiquer à celui-ci l'ensemble du dossier constitué pour l'instruction de la demande ou pour le calcul de l'indu et le juge ne peut régulièrement rejeter les conclusions dont il est saisi, pour un motif sur lequel son contenu peut avoir une incidence, s'il ne dispose pas des éléments pertinents de ce dossier, sauf à avoir invité le requérant à produire les pièces précises, également en sa possession, qui sont nécessaires à l'examen de ses droits.

Enfin, la procédure contradictoire peut être poursuivie au cours de l'audience sur les éléments de fait qui conditionnent l'attribution de la prestation ou de l'allocation ou la reconnaissance du droit, objet de la requête, et le juge peut décider de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure à l'audience pour permettre aux parties de verser des pièces complémentaires (art. R. 772-9 CJA).

Toutefois, cette vision « généreuse » de la position de demandeur dans le procès en contentieux sociaux ne saurait être étendue à l'infini. C'est pourquoi, il est jugé ici que le juge n'a pas l'obligation, lorsque le défendeur a communiqué au tribunal l'ensemble des éléments pertinents du dossier constitué pour l'instruction de la demande ou pour le calcul de l'indu et que ces éléments ont été soumis au débat contradictoire, de diligenter une mesure supplémentaire d'instruction ou d'inviter le demandeur à produire les pièces qui seraient nécessaires pour établir le bien-fondé d'allégations insuffisamment étayées.

S'agissant du refus de remise gracieuse et du jugement qui rejette le recours contentieux dirigé contre ce refus, le Conseil d’État juge qu'il découle de l'art. L. 262-46 du code de l'action sociale et des familles qu'un allocataire du RSA ne peut bénéficier d'une remise gracieuse de la dette résultant d'un paiement indu d'allocation que si sont cumulativement remplies deux conditions : la bonne foi de l'allocataire, résultant de ce qu'il  n'a ni effectué une manœuvre frauduleuse ni fait une fausse déclaration et la précarité de sa situation, appréciée par le département à la date de sa décision, justifiant l'octroi d'un remise.

Il s'ensuit que, statuant sur une décision refusant ou ne faisant que partiellement droit à une demande de remise gracieuse, le juge administratif, ici juge de plein contentieux, ne doit pas se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais seulement examiner si une remise gracieuse totale ou partielle est susceptible d'être accordée, en se prononçant lui-même sur la demande au regard des dispositions applicables et des circonstances de fait dont il est justifié par l'une et l'autre parties à la date de sa propre décision.

Le pourvoi est rejeté.

(4 décembre 2019, Mme X., n° 420655 ; v. aussi : 19 décembre 2019, Mme X., n° 422374)

 

91 - Question préjudicielle sur renvoi de la juridiction judiciaire - Obligation pour le juge administratif de statuer sur une telle question - Exception lorsque la question ne relève pas de la compétence du juge administratif - Cas en l'espèce - Renvoi au Tribunal des conflits.

Le Conseil d’État était saisi par le TGI d'Épinal d'une question préjudicielle portant sur la légalité d'arrêtés ministériels ayant étendu l'accord relatif au régime des frais de santé des salariés intérimaires et ses avenants n° 1 et n° 2. 

Celui-ci observe que la juridiction administrative n'est pas compétente pour statuer sur cette question préjudicielle car l'accord et les avenants sur lesquels elle porte sont des actes de droit privé et que ne sont pas en cause ici les arrêtés ministériels les ayant étendus. Constatant la double incompétence d'une juridiction de chacun des deux ordres de juridiction, le juge renvoie au Tribunal des conflits le soin de décider, par application de l'art. 32 du décret du 27 février 2015.

(16 décembre 2019, CGT Intérim, Fédération CFTC commerce et services, Fédération des services CFDT, Fédération nationale encadrement commerce et services CFE-CGC, Fédération des employés et cadres Force ouvrière et Prism'emploi, n° 421349)

 

92 - Composition de la formation de jugement - Irrégularité - Moyen susceptible d'être soulevé à tout moment de la procédure y compris devant le juge de cassation - Annulation du jugement et renvoi au tribunal qui l'a rendu.

Rappel d'une constante du contentieux administratif : Le moyen relatif à l'irrégularité de la composition d'une formation de jugement, quel qu'en soit le fondement, peut être invoqué à toute étape de la procédure y compris devant le juge de cassation. Tel est le cas du jugement rendu à juge unique alors que celui-ci avait livré à l'une des parties, par courrier officiel, son appréciation sur le dossier, portant ainsi atteinte au principe d'impartialité. Il n'y a pas lieu, en l'espèce, de s'arrêter au fait que ce courrier a été soumis au contradictoire, ni à la circonstance que le jugement attaqué ne se fonde pas sur ce courrier. 

Il faut approuver une solution dont la rigueur se situe au niveau de l'importance du principe ici malmené.

(4 décembre 2019, Mme X., n° 421719)

 

93 - Élections des représentants des enseignants-chercheurs et des chercheurs au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) - Contentieux - Incompétence du Conseil d’État pour statuer en premier et dernier ressort - Renvoi au tribunal administratif de Paris.

La connaissance des litiges relatifs aux élections au CNESER relève, en application des dispositions de l’art. R. 312-9 CJA, de la compétence de premier ressort du tribunal administratif de Paris, ville où le CNESER a son siège. C’est donc à tort que le Conseil d’État a été saisi du litige en cause, d’où le renvoi opéré à ce tribunal.

(27 décembre 2019, M. X., n° 436087)

 

94 - Moyen inopérant - Organisation du vote électronique pour l'élection de représentants du personnel - Ministère des outre-mer - Défaut de création de comités techniques pour certains agents - Rejet.

Le syndicat requérant forme un recours contre un arrêté ministériel fixant l'organisation du vote électronique par internet en vue de l'élection, prévue à la fin de l'année 2018, des représentants du personnel au sein des instances de représentation du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer. Il est renvoyé par ce texte à deux annexes devant énumérer les instances et les corps concernés. À l'appui de son recours en annulation de cet arrêté le syndicat invoque le fait qu'il « ne prévoit pas la création de comités techniques pour les agents civils exerçant leurs fonctions dans le cadre du service militaire adapté, au sein de l'administration supérieure de Wallis-et-Futuna et de l'administration supérieure des Terres australes et antarctiques françaises, ainsi qu'au sein de la Fondation Singer Polignac. »

Le Conseil d’État, constatant que ledit arrêté « n'a pas pour objet de déterminer les instances de dialogue social au sein du ministère de l'outre-mer et se borne à organiser les modalités du vote électronique aux élections professionnelles », juge inopérants les moyens soulevés à l'appui de la requête. Nous aurions, plutôt que d'inopérance, penché pour l'irrelevance des motifs en ce qu'ils sont ici purement et simplement hors sujet par rapport à l'objet du recours.

(24 décembre 2019, Syndicat UATS-UNSA Service militaire adapté, Administration centrale et Personnes morales de droit public du ministère chargé de l'outre-mer, délégation nationale d'UATS-UNSA, n° 424588)

 

95 - Communication des observations des parties - Moyen relevé d'office - Absence d'obligation de communiquer - Autres moyens - Demande de substitution de base légale - Obligation de communiquer les observations - Non-respect du contradictoire - Annulation avec renvoi.

Lorsque la juridiction administrative communique aux parties un moyen d'ordre public qu'elle a soulevé d'office elle n'est pas tenue de transmettre à une partie les observations produites par l'autre partie sur le moyen ainsi relevé d'office. En revanche, si, en réponse à cette communication, l'une des parties sollicite une substitution de base légale, la juridiction doit, avant d'y statuer, soumettre cette demande à la discussion contradictoire. Faute de l'avoir fait en l'espèce l'arrêt de la cour est cassé et renvoyé à elle pour réexamen.

(20 décembre 2019, M. et Mme X., n° 421437 ; v. aussi, du même jour et avec même solution : M. et Mme X., n° 421438 ; M. X., n° 421440 ; M. et Mme X., n° 421447 ; M. et Mme X., n° 421452 ; M. et Mme X., n° 421457 ; M. et Mme X., n° 421471 ; M. et Mme X., n° 423020 ; M. et Mme X., n° 423146)

96 - Recours excès de pouvoir - Intérêt pour agir - Radiation de médicaments de la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques - Qualité d'interne en pharmacie - Défaut d'intérêt - Rejet.

Un interne en pharmacie de tire pas de cette qualité intérêt pour agir en excès de pouvoir aux fins d'annulation d'un arrêté interministériel portant radiation de spécialités pharmaceutiques de la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques. En effet, un tel arrêté n'a pas d'incidence sur les conditions d'exercice, par cet interne, de ses missions de santé publique ni, non plus, sur ses conditions d'emploi et de travail, ni, également, sur ses droits et prérogatives.

 (16 décembre 2019, M. X., n° 422536)

 

97 - Récusation - Récusation impossible d'une personne n'étant pas un juge - Demande d'application de l'art. L. 911-5 CJA (exécution des jugements et astreinte) - Disposition inapplicable à une décision de la CJUE - Rejet.

Dans le cadre d'un litige relatif à l'exécution, en France, d'une décision de la CJUE, le Conseil d’État rappelle deux points de procédure.

Tout d'abord, une demande de récusation ne peut être dirigée que contre une personne ayant la qualité de juge. Il faut aussi, même si la décision est muette sur ce point, y ajouter au moins celui ayant la qualité d'expert.

Ensuite, la saisine du juge sur le fondement des dispositions de l'art. L. 911-5 du CJA, qui tend à voir ordonner l'exécution d'une décision de justice ou à en définir les mesures d'exécution, au besoin sous astreinte, ne peut concerner qu'une décision rendue par une juridiction administrative : tel n'est pas le cas, à l'évidence, de la CJUE.

(19 décembre 2019, Société Efinovia, n° 430753)

V. aussi au n° 15

 

98 - Exercice du droit de préemption - Contestation - Application de la règle du délai raisonnable - Recours tardif - Impossibilité de rouvrir le délai par l'exercice d'un recours gracieux postérieurement à l'expiration du délai de recours contentieux - Rejet.

(16 décembre 2019, M. et Mme X., n° 419220 ; v. aussi, du même jour, les décisions rappelant que ce délai raisonnable est de trois ans dans le cas d'un recours contre un décret de libération des liens d'allégeance avec la France : Mme X., n° 428798 ; Mme X., n° 429387 ; v. aussi, à propos du contrôle des motifs du recours à l'exercice du droit de préemption : 19 décembre 2019, Commune de Villemomble, n° 420227)

V. n°15

 

99 - Recours direct en interprétation d'un acte - Conditions de recevabilité - Cas où ce recours est irrecevable ou sans objet.

Le recours direct en interprétation d'un acte administratif n'est possible devant le juge administratif qu'à la double condition qu’il concerne un différend né et actuel susceptible de relever de la compétence du juge administratif et que sa résolution soit subordonnée au résultat de cette interprétation.

Il suit de là qu'un tel recours ne peut être formé à propos d'un différend porté devant une juridiction administrative puisqu'en ce cas il appartient à cette dernière de délivrer l'interprétation des actes administratifs dont dépend la solution du litige qui lui est soumis.

Enfin, si le différend est porté devant une juridiction administrative après l'introduction du recours en interprétation, ce dernier recours perd son objet et c'est un non-lieu qui doit être prononcé en ce cas. 

(Section, 6 décembre 2019, Société cabinet dentaire X. et autres, n° 415731 ; v. aussi, du même jour avec même solution et également de Section : M. X., n° 416762)

 

100 - Désistement - Non-production dans les délais d'un mémoire annoncé - Désistement d'office - Suspension de l'avocat - Nouvel avocat désigné - Production du mémoire ampliatif dans le délai imparti - Absence de désistement d'office.

Normalement, le justiciable qui, au moment du dépôt d'une requête sommaire, annonce l'envoi ultérieur d'un mémoire, est réputé s'être désisté lorsqu'aucun mémoire n'est parvenu au greffe ou au secrétariat de la juridiction dans les trois mois. En l'espèce, l'avocat ayant annoncé l'envoi d'un mémoire a été suspendu par le conseil de l'ordre. Après désignation d'un nouvel avocat, un délai de deux mois lui a été imparti pour déposer ce mémoire. Ce second délai ayant été respecté en l'espèce, l'intéressé ne peut pas être réputé comme s'étant désisté d'office.

(31 décembre 2019, M. X., n° 426831)

 

101 - Recours en annulation du refus de prendre un arrêté relatif à une taxe d'aéroport - Intérêt pour agir d'un syndicat à cet effet - Absence en raison du caractère indirect et incertain des effets de la prise d'un tel arrêté - Rejet.

Le syndicat requérant se voit dénier un intérêt à agir en excès de pouvoir pour demander l'annulation du refus de prendre un arrêté fixant la proportion de la taxe d'aéroport destinée au financement des matériels de contrôle automatisé aux frontières par identification biométrique. En effet, le Conseil d’État estime que l'effet de l'absence d'un tel arrêté sur la situation des compagnies aériennes membres de ce syndicat est trop indirect et trop incertain pour que soit reconnu à ce dernier un intérêt suffisant pour agir.

 (31 décembre 2019, Syndicat des compagnies aériennes autonomes, n° 427262)

 

102 - Recours en interprétation d'une décision du Conseil d’État pour cause d'ambiguïté - Détermination de la personne publique redevable d'une somme - Admission de la requête et réponse à celle-ci.

Dans une affaire, rapportée dans cette Chronique au n° de juillet-août 2018, était en cause le transfert à la commune d'Isola de parcelles appartenant à une société privée contre paiement par la commune à cette société d'une certaine somme. Des difficultés s'étant élevées pour obtenir ce paiement, la société a saisi la Section du rapport et des études du Conseil d’État puis, la commune, prétendant que le paiement de la somme en litige ne lui incombait pas mais devait être mis à la charge du Syndicat mixte pour l'aménagement et l'exploitation de la station d'Isola 2000, a interrogé le Conseil d’État en vue qu'il interprète sa décision précitée du 11 juillet 2018 qu'elle estimait obscure.

Le Conseil d’État délivre cette interprétation alors que, nous semble-t-il, la décision était pourtant tout à fait claire. La somme à régler est à la charge exclusive de la commune d'Isola.

(20 décembre 2019, Commune d'Isola, n° 407865)

 

103 - Chasse - Régime d'indemnisation des dégâts causés par le gibier aux cultures et aux récoltes agricoles - Institution de commissions départementales et d'une commission nationale de la chasse et de la faune sauvage - Commission nationale d'indemnisation saisie par voie d' « appel » - « Appel » devant être considéré comme un recours administratif préalable obligatoire - Irrecevabilité d'un recours porté directement devant la juridiction administrative - Rejet.

L'art. L. 426-5 du code de l'environnement, en instituant devant la Commission nationale d'indemnisation des dégâts de gibier un « appel » contre les décisions indemnitaires des commissions départementales de la chasse et de la faune sauvage dans leur formation spécialisée pour l'indemnisation des dégâts de gibier aux cultures et aux récoltes agricoles et un « appel » contre les décisions de ces mêmes commissions adoptant un barème départemental d'indemnisation, a nécessairement entendu faire de ces « appels » des recours administratifs préalables obligatoires avant toute saisine de la juridiction administrative. D'où il suit que faute d'avoir saisi la Commission nationale antérieurement à la saisine du juge administratif, la fédération requérante a entaché sa saisine d'irrecevabilité ainsi que l'a jugé à bon droit la cour administrative d'appel, d'où le rejet du pourvoi.

(11 décembre 2019, Fédération départementale des chasseurs du Var, n° 425351)

 

104 - Recours pour excès de pouvoir - Recours dirigé contre une circulaire - Circulaire réitérant les silences que contient une loi - Recours irrecevable - Rejet.

La circonstance qu'une circulaire ministérielle réitère le silence de dispositions législatives (art. 728-15 à 728-22 du code de procédure pénale) en tant qu'elles ne prévoient pas de voie de recours contre les décisions du ministère public décidant ou refusant de donner suite aux demandes de transfèrement international formulées par une personne condamnée et ne prescrivent pas de délai au ministère public pour statuer sur une demande de transfèrement international, ne saurait donner ouverture à la formation d'un recours pour excès de pouvoir, un tel recours étant, en ce cas, irrecevable.

(18 décembre 2019, Section française de l'Observatoire international des prisons et autre, n° 434746)

 

105 - Sursis à l'exécution d'une décision - Décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins - Infliction d'un blâme - Atteinte à la réputation professionnelle - Absence de conséquences difficilement réparables - Rejet de la demande de sursis.

L'infliction d'un blâme à un médecin par l'instance disciplinaire ordinale ne crée pas pour lui de conséquences difficilement réparables qui justifieraient que soit ordonné le sursis à l'exécution de la décision de sanction.

La solution serait différente si, par exemple, du fait de sa qualité de membre d'une instance ordinale, le médecin qui a fait l'objet d'un blâme se verrait interdit désormais d'y siéger (dans le cas d'un chirurgien-dentiste, voir : 7 novembre 2001, Daniel X., n° 237107).

(24 décembre 2019, M. X., n° 434494)

 

106 - Expert - Octroi d'une allocation provisionnelle pour des travaux d'expertise - Partie concernée n'ayant pas versé la provision - Rapport de carence - Obligation de mise en demeure - Absence - Irrégularité - Annulation et renvoi.

Rappel de ce qu'il résulte des art. R. 621-1, R. 621-1-1, R. 621-12, R. 621-12-1 et R. 761-1 que lorsque la partie qui en a la charge ne verse pas à l'expert l'allocation provisionnelle accordée, le président de la juridiction ou le magistrat qu'il a désigné ne peut autoriser l'expert à déposer un rapport de carence, dont la juridiction tirera les conséquences, qu'après en avoir averti cette partie par une mise en demeure qui lui impartit un nouveau délai pour verser l'allocation.

(31 décembre 2019, M. X., n° 420025 ; v. aussi, dans le cas d'un rapport de carence de l'expert fondé sur le refus d'une partie de fournir ses observations à l'expert et des obligations découlant en ce cas pour le juge : 31 décembre 2019, M.X., n° 420231)

 

107 - Reconnaissance à un individu de la qualité de réfugié - Détention d'un permis de séjour provisoire - Délai d'un an pour effectuer l'échange de permis - Délai non franc courant à compter du jour de la reconnaissance de la qualité de réfugié - Annulation du jugement et renvoi au tribunal.

Le Conseil d’État juge, contrairement au tribunal administratif de Strasbourg, que le délai d'un an ouvert à la personne à laquelle a été reconnue la qualité de réfugié pour échanger son permis de conduire contre un permis français, court du jour même de cette reconnaissance et n'est pas un délai franc. Il s'ensuit que, s'achevant un samedi le terme du délai ne peut pas être reporté au lundi qui suit.

(31 décembre 2019, M. X., n° 429356)

 

108 - Recours des syndicats de fonctionnaires au nom de leurs membres - Mesures d'organisation du service - Irrecevabilité du recours en principe - Exception en cas d'atteinte aux droits statutaires des agents - Absence ici - Rejet.

Les recours formés par les syndicats ou unions syndicales de fonctionnaires ne peuvent être dirigés contre les mesures d'organisation du service, lesquelles n'affectent pas, par leur nature comme par leur contenu, les droits statutaires des agents ; ils sont donc irrecevables. Il n'en va autrement que dans le cas où, par exception, en dépit de ce caractère d'organisation du service ils affectent lesdits droits statutaires. Tel n'est pas le cas, en l'espèce, d'un décret (du 24 mai 2017) relatif aux attributions des ministres, qui se borne à définir les attributions des membres du Gouvernement et les services et organismes sur lesquels ils ont autorité, dont ils disposent ou sur lesquels ils exercent un pouvoir de tutelle pour l'exercice de leurs missions. De telles dispositions, parce qu'elles se rapportent à l'organisation du service, n'ont pas pour objet d'affecter, par elles-mêmes, les conditions d'emploi et de travail des agents exerçant leurs fonctions dans les services concernés.

C'est là la réitération, quant au principe, d'une jurisprudence ancienne, classique et constante issue notamment de l'arrêt d'Assemblée du 26 octobre 1956, Association générale des administrateurs civils, Rec. p. 391 et, quant à l'exception, de l'arrêt du 16 décembre 1960, Sieur L'Herbier, Rec. p. 707.

(31 décembre 2019, Syndicat UATS-UNSA, n° 429715)

 

Professions réglementées

 

109 - Médecins - Société d’exercice libéral (S.E.L.) exploitant un laboratoire de biologie médicale - Inscription au tableau de l’ordre - Contrôle plein et entier du juge administratif - Absence d’illégalité - Rejet.

Une institution ordinale régionale demande l’annulation de la décision par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a inscrit une société de biologie médicale au tableau de l'ordre des médecins. Rejetant ce recours, le Conseil d’État apporte deux précisions importantes.

En premier lieu, le juge administratif de l’excès de pouvoir exerce un contrôle normal, dit encore « plein et entier », sur l’appréciation portée (en application des dispositions des art. R. 4113-4 et L. 4113-11 ainsi que du III de l'art. L. 6223-8 du code de la santé publique) par le Conseil national de l’ordre des médecins du respect par une société d’exercice libéral des conditions d'inscription au tableau de l'ordre. Cette solution, qui n’allait pas de soi, doit être approuvée.

En second lieu, et en conséquence de ce qui vient d’être dit, la compétence du Conseil national de l’ordre est très en cadrée car il ne peut refuser l’inscription, d’une S.E.L. en l’espèce, qu’en cas d’irrégularité(s) de ses statuts au regard des règles régissant la profession de médecin ou si ceux-ci sont de nature à conduire à la méconnaissance des règles professionnelles et/ou déontologiques.

 (2 décembre 2019, Conseil départemental de la Guyane de l'ordre des médecins, n° 404973 ; v. aussi, du même jour et largement comparable, à propos de l’inscription d’une société de biologie vétérinaire au tableau de l’ordre des vétérinaires : Société Vebio et Syndicat des laboratoires de biologie vétérinaire (SLBV), n° 410693 et n° 411619 ; Société Vebio, n° 416373)

 

110 - Pédicures-podologues - Installation d'un cabinet secondaire - Refus de l'ordre des pédicures-podologues - Juridiction refusant de tenir compte de l'augmentation très importante de la population saisonnière - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la juridiction qui, pour refuser d'annuler la décision de l'ordre des pédicures-podologues refusant l'autorisation à l'un de ses membres d'ouvrir un cabinet secondaire, estime que n'avait pas à être pris en considération le besoin de la clientèle non sédentaire. Au contraire, il lui incombait de vérifier s'il existait, dans le secteur géographique considéré, au vu des besoins des patients et des nécessités de la continuité des soins, tant pour les résidents permanents que pour les résidents saisonniers et la population de passage, une carence ou une insuffisance de l'offre de soins de pédicurie-podologie.

(31 décembre 2019, M. X., n° 426172)

 

111 - Médecins - Contrat de remplacement temporaire d’un médecin - Pouvoirs du conseil départemental de l’ordre des médecins - Absence du pouvoir d’autoriser le remplacement même lorsque le remplaçant est un étudiant en médecine - Rejet.

Dans cette affaire, où était en cause un contrat de remplacement temporaire d’un médecin par un étudiant en médecine, se posaient deux questions distinctes que le conseil national requérant a peut-être confondues.

En premier lieu, un étudiant en médecine, donc non encore inscrit au tableau de l’ordre, doit bénéficier d'une autorisation délivrée par le conseil départemental pour remplacer temporairement un médecin (art. L. 4131-2 du code de la santé publique).

En second lieu, le contrat de remplacement temporaire d’un médecin doit être transmis au conseil départemental de l’ordre seulement pour avis sur sa compatibilité avec les règles applicables à la profession ; cet avis ne constitue donc pas une autorisation de recourir au remplacement même lorsque ce contrat est conclu avec un étudiant en médecine.

Il y a lieu de bien distinguer les deux titres d’intervention du conseil départemental en ce cas : vérification que l’étudiant en médecine satisfait aux conditions légales à l’effet de remplacer temporairement un médecin en exercice et vérification que le contrat conclu entre eux satisfait aux règles de la profession. En aucun cas, il ne s’agit, pour ledit conseil, d’autoriser l’étudiant à effectuer ce remplacement ou le médecin en exercice à conclure un contrat de remplacement. Pour avoir pensé cela le conseil national de l’ordre des médecins voit son recours rejeté.

(2 décembre 2019, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 418260)

 

112 - Fonctionnaires membres d’un ordre professionnel - Infirmiers - Pédicures-podologues - Masseurs-kinésithérapeutes - Établissement de listes nominatives en vue de l’inscription au tableau de l’ordre - Paiement d’une cotisation à l’ordre - Organisme chargé de missions de service public - Rejet.

(19 décembre 2019, Fédération CGT de la santé et de l'action sociale, n° 426833)

V. au n° 75

 

113 - Vétérinaires - Vétérinaires exerçant exclusivement à domicile - Collaboration de vétérinaires exerçant à domicile avec d'autres vétérinaires ou avec des établissements de soins vétérinaires - Irrégularité - Rejet.

Il était demandé au Conseil d’État d'annuler pour illégalité la décision du Conseil national de l'ordre des vétérinaires annulant la décision du conseil régional Provence-Alpes-Côte-d'Azur-Corse de l'ordre des vétérinaires et disposant que l'activité de vétérinaire à domicile des vétérinaires collaborateurs d'Adomvet est illégale.

Se fondant sur les dispositions très claires de l'art. R. 242-57 du code de rural et de la pêche maritime (« Est dénommée vétérinaire à domicile la personne physique ou morale habilitée à exercer la médecine et la chirurgie des animaux qui, n'exerçant pas dans un établissement de soins vétérinaires, exerce sa profession au domicile du client. Le vétérinaire à domicile ne peut exercer cette activité pour le compte d'un vétérinaire ou d'une société possédant par ailleurs un ou plusieurs établissements de soins vétérinaires ».), le Conseil d’État rejette le recours, ajoutant au surplus que ces dispositions ne contreviennent ni à celles de l'art. 16 de la directive services dans le marché intérieur (2006/123/CE du 12 décembre 2006) ni aux objectifs poursuivis par l'art. 25 de ce texte en raison de son inopérance sur le litige car il vise l'exercice de plusieurs activités différentes alors qu'en l'espèce il ne s'agit que du seul exercice de l'activité de vétérinaire.

(20 décembre 2019, Société Adomvet et autres, n° 410771)

 

114 - Vétérinaires - Recours administratif préalable obligatoire - Compétence du Conseil national de l'ordre pour connaître des décisions administratives prises par un conseil régional de l'ordre - Conseil national s'estimant incompétent - Conséquence sur la sanction et pour ce Conseil - Cassation avec renvoi.

(20 décembre 2019, M. X., n° 417824)

V. au n° 7

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

115 - Invocation de la violation du principe de légalité - Invocation de la méconnaissance de l'art. 37-1 de la Constitution - Absence de droit ou liberté que garantit la Constitution - Rejet.

Après que le maire de Locronan, après avoir retiré l'arrêté de non-opposition à la déclaration préalable de travaux délivrée à la société Orange pour l'implantation d'une installation de téléphonie mobile sur le territoire de sa commune, a fait opposition à cette déclaration, la société Orange, excipant des dispositions de l'article 222 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, a saisi le tribunal administratif d'une demande de référé suspension. La commune ayant soulevé en défense une QPC, celle-ci est renvoyée au Conseil d’État.

Le juge rejette cette question en ses deux branches. Il juge, d'une part, que si les dispositions de l'art. 222 interdisent à l'autorité administrative de revenir sur une décision illégale dont elle serait l'auteur, la seule invocation par la commune de Locronan du principe de légalité des actes administratifs ne permet pas de caractériser une atteinte à un droit ou une liberté au sens de l'article 61-1 de la Constitution, et d'autre part, qu'est irrelevante, dans le cadre d'une QPC, l'invocation de l'art. 37-1 de la Constitution, dont la méconnaissance, à la supposer établie, n'est pas relative à un droit ou à une liberté que la Constitution garantit.

(11 décembre 2019, Commune de Locronan, n° 434741)

 

116 - Autorisation d'exploitation commerciale - Délivrance par la commission départementale d'aménagement commercial - Nécessité de la contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial urbain - Atteinte à la liberté d'entreprendre - Renvoi de la QPC.

L'organisation requérante soutient que les dispositions du e) du 1° du I, du III et du IV de l'article L. 752-6 du code de commerce, méconnaissent la liberté d'entreprendre découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors qu'elles subordonnent la délivrance d'une autorisation d'exploitation commerciale à la prise en considération de la contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale concerné, laquelle est appréciée par la commission départementale d'aménagement commercial au vu d'une étude d'impact évaluant les effets du projet sur l'animation et le développement économique des centres-villes de ce territoire et sur l'emploi, cette même étude d'impact devant, en outre, établir qu'aucune friche existante en centre-ville, ou à défaut, en périphérie, ne permet l'accueil du projet. 

Le Conseil d’État, constatant que la disposition contestée est applicable au litige, n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution et que, ainsi posée, la question est nouvelle, décide de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de savoir si cette disposition porte atteinte à la liberté d'entreprendre que garantit l'art. 4 de la Déclaration de 1789. On relèvera le ton dubitatif adopté par le juge ici lorsqu'il évoque « une question qui peut être regardée comme présentant un caractère sérieux ».

(13 décembre 2019, Conseil national des centres commerciaux, n° 431724)

 

117 - Plus-values en report - Plus-value entrant dans le champ de la directive fusions - Abattement pour durée de détention - Plus-values n'entrant pas dans ce champ - Absence de droit à abattement - Renvoi d'une QPC.

Il est jugé que présente un caractère sérieux, justifiant son renvoi au Conseil constitutionnel, le moyen tiré de ce que les dispositions du III de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, en combinaison avec celles de l'article 150-0 B ter du CGI, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment au principe d'égalité devant la loi.

En effet, ce mécanisme aboutit à faire bénéficier d'un abattement pour durée de détention les seules plus-values en report résultant d'opérations réalisées dans le champ matériel d'application de la directive fusions du 19 octobre 2009 telle qu'interprétée par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 18 septembre 2019, X. et Y. c/ Ministre de l'action et des comptes publics, aff. C-662/18 et C-672/18) et à exclure de ce bénéfice celles réalisées en dehors de ce champ, c'est-à-dire uniquement entre contribuables établis en France.

(19 décembre 2019, M. X., n° 423118)

 

118 - QPC - Principe constitutionnel du respect des droits de la défense - Décisions prises par des autorités administratives autres que celles ayant un caractère de punition - Principe inapplicable - Établissement de l’impôt - Rejet.

Rappel de ce que le principe constitutionnel du respect des droits de la défense ne s'applique pas aux décisions émanant des autorités administratives, sauf lorsqu'elles prononcent une sanction ayant le caractère d'une punition.

Il s’ensuit que ce principe ne saurait être utilement invoqué à l'encontre des dispositions du VI de l’art. 16B du Livre des procédures fiscales, en tant que, régissant la procédure administrative d'établissement de l'impôt, elles n'assortiraient pas de garanties suffisantes, au profit du contribuable, la faculté laissée à l'administration de procéder à des traitements informatiques sur une comptabilité saisie lors d'une visite domiciliaire effectuée dans le cadre d'une ordonnance du juge judiciaire, dans la mesure où elles ne prévoient pas la possibilité pour le contribuable d'effectuer lui-même les traitements en cause ni n'imposent à l'administration de délai pour leur réalisation.

La demande de renvoi de la QPC est rejetée.

(27 décembre 2019, SAS Le Bistrot du Dôme, n° 427716)

 

Responsabilité

 

119 - Procédure irrégulière de recrutement d’un agent public - Préjudice subi du fait du non-recrutement - Nomination simplement éventuelle - Absence de lien de causalité entre l’irrégularité et le dommage - Rejet.

La requérante, candidate à plusieurs reprises au recrutement en qualité de titulaire de la chaire accessibilité du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), estime n’avoir été évincée qu’en raison des irrégularités entachant les procédures suivies et demande la réparation du préjudice qui lui a été causé de ce chef.

Le Conseil d’État relève l’existence d’au moins deux irrégularités : l’absence de réunion du quorum requis lorsqu’a été examinée la candidature de l’intéressée pour la première fois et, lors du second examen de cette candidature, l’absence de transmission de celle-ci au ministre.

Toutefois, la demande de réparation est rejetée car le Conseil d’État estime que ces irrégularités n’ont pas causé un préjudice direct et certain en raison de ce que le pouvoir de nomination appartient discrétionnairement au ministre de l’enseignement supérieur. Or la cause du préjudice réside dans la non-nomination sans que les irrégularités relevées puissent être considérées comme ayant eu un rôle, même partiellement, causal dans la réalisation du préjudice.

La solution semble discutable dans la mesure où la volonté manifeste des organes statutaires du CNAM de ne pas recruter la requérante n’est pas demeurée sans influence sur la décision finale du ministre de refuser la nomination de Mme X.

(2 décembre 2019, Mme X., n° 416260)

V. aussi au n° 1

 

120 - Avocats aux conseils - Recherche de responsabilité - Conditions de mise en jeu de sa responsabilité - Conditions non satisfaites - Rejet.

Dans cette affaire, était recherchée la responsabilité d'une société d'avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation du chef d'omission d'acquittement de la contribution pour l'aide juridique qui aurait eu pour conséquence l'irrecevabilité de son recours pour excès de pouvoir contre le permis de construire délivré par le maire de Courbevoie à la société Tour Air 2 pour la construction d'une tour dans le quartier de la Défense.

Les principes du droit de la responsabilité comportent, notamment, l'exigence que le demandeur en réparation établisse avoir subi un préjudice or, en l'espèce, le préjudice matériel n'est ni actuel ni futur ni certain et l'invocation du préjudice moral n'est pas assortie de précisions suffisantes pour le faire regarder comme établi.

Le recours est évidemment rejeté.

(4 décembre 2019, Société Saint Martins Management Corporation Ltd, représentant l'État du Koweït, n° 422423)

 

121 - Responsabilité du fait du service public de santé - Patient victime du Benfluorex (principe actif du Médiator) - Acceptation de l'offre d'indemnisation de l'ONIAM (art. L. 1142-24-6 code de la santé publique) - Possibilité de rechercher en outre la responsabilité de l'État - Carence à l'expertise - Absence de lien de causalité - Rejet.

Statuant sur une demande d'indemnisation que le requérant fondait sur la prise du médicament Médiator, le juge rappelle plusieurs exigences du droit de la réparation des préjudices liés à la prise de médicaments.

Trois seront retenues ci-après.

Tout d'abord, la circonstance que la victime d'un médicament ait accepté l'offre d'indemnisation faite par l'ONIAM, au titre de l'art. L. 1142-24-6 du code de la santé publique, ne l'empêche nullement de saisir le juge administratif d'une action en responsabilité dirigée contre l'État à raison des mêmes préjudices et pour un montant supérieur à celui de l'offre.

Ensuite, il est relevé que la cour administrative d'appel, en jugeant minime le caractère des troubles invoqués, n'a pas entendu subordonner l'indemnisation à un seuil minimal de gravité du préjudice, en violation du principe de réparation intégrale du préjudice lorsque la responsabilité est fondée sur la preuve d'une faute, mais a seulement voulu indiquer que ce caractère minime établit l'absence de lien de causalité entre les troubles invoqués et la prise du Médiator.

Enfin, la victime ne s'étant pas prêtée aux opérations expertales, un rapport de carence a été établi par l'expert. Si ce rapport devait être notifié aux parties pour observations, avant que le juge ne statue, il n'incombait nullement au juge de provoquer, fut-ce par mise en demeure, des observations écrites de la part de la partie défaillante en son obligation de collaborer à l'expertise.

(31 décembre 2019, M.X., n° 420231 ; v. cependant, pour une décision accueillant le recours d'une utilisatrice du Médiator, en raison de circonstances différentes de celles de l'affaire précédente : 31 décembre 2019, Mme X., n° 420232)

 

122 - Dommages résultant de l'exécution de travaux publics ou de l'existence d'un ouvrage public - Action en responsabilité de ce chef - Dommages persistant ou non ou insuffisamment pris en compte - Pouvoir d'injonction du juge en cas d'abstention illégitime de la puissance publique - Pouvoirs du juge en cas de persistance des dommages et d'absence de faute de l'administration.

Le syndicat de copropriétaires demandeur a, à titre principal, réclamé devant les premiers juges la réfection, par la commune de Beausoleil, de l'étanchéité de la voie piétonne située entre les immeubles de la copropriété ainsi que le remboursement de divers frais engagés par lui. Il n'obtient que partiellement gain de cause, tandis que la cour administrative d'appel, saisie par la commune défenderesse, a partiellement réformé ce jugement et fait injonction à celle-ci d'exécuter les travaux d'étanchéité nécessaires.

Saisi d'un pourvoi par le syndicat demandeur, le Conseil d’État construit une sorte de théorie jurisprudentielle - en forme de vade-mecum - des pouvoirs et devoirs du juge saisi d'une action en responsabilité du chef de travaux publics ou d'un ouvrage public.

Tout d'abord, lorsqu'une personne publique est condamnée par le juge administratif en raison de dommages trouvant leur origine soit dans l'exécution de travaux publics soit dans l'existence ou le fonctionnement d'un ouvrage public, le juge peut, à la condition d'avoir été saisi de conclusions en ce sens, s'il constate qu'un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet la personne publique en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures.

Ensuite, on vient de lire, ceci n'est possible que si le comportement de la personne publique revêt le caractère d'une abstention fautive.

Pour qu'il en soit ainsi, il convient que, prenant en compte l'ensemble des circonstances de fait à la date de sa décision, le juge vérifie si la persistance du dommage trouve son origine non dans la seule réalisation de travaux ou la seule existence d'un ouvrage, mais dans l'exécution défectueuse des travaux ou dans un défaut ou un fonctionnement anormal de l'ouvrage et, si tel est le cas, il doit s'assurer qu'aucun motif d'intérêt général, qui peut tenir au coût manifestement disproportionné des mesures à prendre par rapport au préjudice subi, ou aucun droit de tiers ne justifie l'abstention de la personne publique.

En l'absence de toute abstention fautive de la personne publique, le juge ne peut pas faire droit à une demande d'injonction, mais il peut décider que l'administration aura le choix entre le versement d'une indemnité dont il fixe le montant et la réalisation de mesures dont il définit la nature et les délais d'exécution.

Enfin, le Conseil d’État précise encore qu'il appartient au juge, saisi de conclusions tendant à ce que la responsabilité de la personne publique soit engagée, de se prononcer sur les modalités de la réparation du dommage, au nombre desquelles figure le prononcé d'injonctions, dans les conditions qui viennent d'être susindiquées, alors même que le requérant demanderait l'annulation du refus de la personne publique de mettre fin au dommage, demande assortie de conclusions aux fins d'injonction à prendre de telles mesures.

De façon très audacieuse, le juge précise que, dans ce cas, le requérant doit regarder ce refus de la personne publique comme ayant pour seul effet de lier le contentieux.

(Section 6 décembre 2019, Syndicat des copropriétaires du Monte Carlo Hill, n° 417167)

 

123 - Responsabilité du fait des lois - Cas d'engagement et conditions d'engagement de cette responsabilité - Loi inconstitutionnelle - Mise en cause possible de la responsabilité de l'État de ce chef - Nécessité d'un lien de causalité - Absence - Rejet.

Une ordonnance du 21 octobre 1986 a, dans son article 7, institué ou, selon les cas, renforcé l'obligation pour les entreprises comportant un certain effectif minimal de salariés d'organiser le droit pour leurs salariés à participer aux résultats de l'entreprise, tandis que, dans son art. 15, elle a renvoyé à un décret le soin de fixer quelles entreprises publiques et sociétés nationales, et à quelles conditions, pourraient être soumises à cette obligation. Ces dispositions ont été codifiées, par la loi du 25 juillet 1994, dans les art. L. 442-1 et L. 442-9 du code du travail. La Cour de cassation ayant jugé (Cass. sociale, 6 juin 2000, Comité d'entreprise de la Sarl Hôtel Frantour Paris-Berthier et Union locale CGT des syndicats du 17e arrondissement de Paris, Bull. 2000, V, n° 216 p. 169) ces textes applicables à toute personne de droit privé exerçant une activité commerciale « qui n'est ni une entreprise publique ni une société nationale, peu important l'origine du capital », la loi de finances pour 2005 a renvoyé à un décret, pour l’application de ces articles du code du travail, la détermination de ceux des établissements publics à caractère industriel ou commercial (EPIC) de l'État, des sociétés, groupements ou personnes morales, quel que soit leur statut juridique, dont plus de la moitié du capital est détenue, directement ou indirectement, ensemble ou séparément, par l'État et ses établissements publics qui sont soumis aux dispositions sur l'intéressement des salariés.

Toutefois, le Conseil constitutionnel (déc. n° 2013-336 QPC du 1er août 2013) a jugé inconstitutionnel le premier alinéa de l'art. 15 de l'ordonnance de 1986, codifié comme indiqué plus haut, motif pris de ce qu'en soustrayant les entreprises publiques à l'obligation d'instituer un dispositif de participation des salariés aux résultats de l'entreprise et en se bornant à renvoyer à un décret le soin de désigner celles de ces entreprises qui y seraient néanmoins soumises, sans définir le critère en fonction duquel elles seraient ainsi désignées ni encadrer ce renvoi au pouvoir réglementaire, le législateur avait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions qui affectaient l'exercice de la liberté d'entreprendre.

C'est pourquoi la société Paris Clichy, venant aux droits de la Sarl Hôtel Frantour Paris-Berthier, qui, à la suite de la décision du 6 juin 2000 de la Cour de cassation, avait été condamnée, par un jugement du tribunal de grande instance de Paris, à répartir entre l'ensemble des salariés bénéficiaires le montant de la participation leur revenant au titre des exercices allant de 1986 à 1995, augmenté des intérêts légaux au profit des salariés requérants, a, invoquant la décision précitée du Conseil constitutionnel, du 1er août 2013, demandé la condamnation de l'État à lui verser, à titre de réparation du préjudice subi, une certaine somme augmentée des intérêts légaux.

La société requérante, se fondant sur le fait qu'elle avait dû verser cette somme à ses salariés et anciens salariés en exécution de ce jugement ainsi qu'au titre du forfait social, de la contribution sociale généralisée et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, faisait valoir que ce versement était la conséquence de l'inconstitutionnalité du premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance du 21 octobre 1986, devenu le premier alinéa de l'article L. 442-9 du code du travail.

Son recours a été rejeté en première instance et en appel ; la société Paris Clichy s'est donc pourvue en cassation.

La réponse du Conseil d’État est importante dans la mesure où elle va le conduire à reformuler l'ensemble du mécanisme de la responsabilité du fait des lois même si la rigueur des exigences en matière de causalité du préjudice va conduire la juridiction du Palais-Royal à rejeter le recours dont elle était saisie.

Tout d'abord, le Conseil d’État simplifie et clarifie le périmètre de la responsabilité du fait des lois : les trois cas retenus jusque-là par la jurisprudence (responsabilité fondée sur la rupture d'égalité devant les charges publiques (14 janvier 1938, SA des produits laitiers "La Fleurette") ; responsabilité du fait de l'incorporation en droit interne français d'une convention internationale (30 mars 1966, Cie générale d'énergie radio-électrique),  ou de la réception de la coutume internationale (23 septembre 2011, Om Hachem Saleh et autres) ;  responsabilité  "de plein droit" résultant de la violation du droit international (8 février 2007, Gardedieu), semblent désormais être ramenés à deux par le Conseil d’État. D'une part, la classique responsabilité fondée sur la rupture d'égalité devant les charges publiques et d'autre part, la responsabilité du chef des dommages résultant du non-respect de la hiérarchie des normes.

Ensuite, concernant ce second cas d'ouverture de l'action en responsabilité du fait des lois, le Conseil d’État fait sienne une jurisprudence antérieure en rassemblant sous une unique rubrique tous les cas de responsabilité du fait des lois pour atteinte à la hiérarchie des normes que celle-ci résulte de la violation d'une convention internationale ou assimilée ou de la violation de la Constitution (sur ce point il s'agit d'une reprise de TA Paris, 7 février 2017, Société Pais Clichy, n° 1505725/3-1, confirmé par cour administrative d’appel Paris, 5 octobre 2018, même requérante, n° 17PA01180).

C'est cette seconde situation qui était en cause en la présente espèce.

En effet, la société requérante faisait valoir que les versements qu'elle avait été contrainte d'effectuer entre les mains de ses salariés et des organismes publics (intéressement aux bénéfices, intérêts légaux des sommes dues, forfait social, CSG et contribution au remboursement de la dette sociale) n'étaient que la conséquence directe de l'inconstitutionnalité du premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance du 21 octobre 1986 (art. L. 442-9 du code du travail).

Pour se prononcer sur les mérites de cette réclamation le Conseil d’État devait, à la fois, faire jouer le régime spécial applicable lorsque le préjudice est imputable à une loi et mettre en œuvre les principes généraux d'indemnisation des préjudices.

Concernant les règles et principes spécifiques à la responsabilité du fait des lois, le Conseil d’État rappelle en premier lieu que celle-ci, lorsqu'elle est fondée sur une rupture de l'égalité devant les charges publiques, ne peut être engagée que si, d'une part, la loi n'a pas elle-même exclu toute indemnisation, et d'autre part, le préjudice, s'agissant d'une responsabilité engagée sans faute à prouver, est à la fois grave et spécial. Il faut s'étonner qu'au niveau d'exigence de l'État de droit où notre société est parvenue il soit encore possible au législateur - exception faite de ceux de ses actes ayant un objet répressif - de s'exonérer des conséquences préjudiciables des textes qu’il vote. Imagine-t-on pareille solution pour le chef de l'État pourtant issu, comme l'Assemblée nationale et mieux que le Sénat, du suffrage universel direct ? De plus, on voit mal comment le chef de l'État pourrait n'être pas l'un des « représentants » du peuple qu'évoque le premier alinéa de l'art. 3 de la Constitution et donc, par suite, comment il serait possible de traiter différemment les actes dommageables de ces deux catégories de représentants de la souveraineté nationale que sont le chef de l'État et le parlement.

Ajoutons que ce privilège d'auto-exclusion, par l'État, de sa responsabilité directe du fait de ses actes volontaires, n'est guère compatible avec les principes et dispositions de droit positif émanés tant du droit de l'Union européenne que de celui de l'Europe des libertés.

Le Conseil d’État indique ensuite que la responsabilité de l'État législateur peut encore être engagée lorsqu'il est porté atteinte aux exigences découlant de la hiérarchie des normes soit par une loi inconstitutionnelle soit par une loi inconventionnelle. Ici le régime de responsabilité doit être combiné avec celui de l'inconstitutionnalité et trois cas sont possibles.

Le premier, sans grand intérêt ici, est celui de la déclaration d'inconstitutionnalité de la loi par le Conseil constitutionnel puisque celle-ci empêche la promulgation de la loi et donc, par là même, son caractère éventuellement préjudiciable ; dans le cas où, par extraordinaire, il serait passé outre à une interdiction de promulguer, ce serait un coup d'État qu'il n'appartiendrait pas au droit d'empêcher (cf. R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l'État, Sirey 1920, T. II, § 444, p. 497, cité in J. Bourdon, C. Debbasch, J.-M. Pontier et J.-C. Ricci, Droit constitutionnel et institutions politiques, Économica, 4ème édit., 2001, p. 119).

Le second est celui de l'inconstitutionnalité relevée par le Conseil à l'occasion de l'examen d'une loi qui modifie ou complète une ou plusieurs lois antérieures ou qui affecte le domaine de la loi.

Le troisième est celui de l'inconstitutionnalité incidente ou préjudicielle résultant de l'examen d'une question prioritaire de constitutionnalité.

Dans ces deux cas, si le principe est la possibilité d'engager la responsabilité du législateur c'est sous la double réserve que le Conseil constitutionnel n'ait pas exclu la remise en cause des effets de la loi préjudiciable et qu'il n'ait pas exclu toute réparation pécuniaire ou même seulement en partie, de telle sorte que la reconnaissance d'un droit à réparation viendrait contredire cette exclusion.

Concernant la mise en œuvre les principes généraux d'indemnisation des préjudices, naturellement, puisqu'il s'agit d'une action en responsabilité, la victime devra établir et l'existence d'un préjudice et le lien de causalité existant entre le motif de l'inconstitutionnalité de la loi et le préjudice effectivement subi.

Sur ce point la décision appelle deux observations.

En premier lieu, on est surpris de lire que le Conseil d’État a décidé dans cette espèce que la prescription quadriennale commence à courir dès lors que le préjudice qui résulte de l'application de la loi à sa situation peut être connu dans sa réalité et son étendue par la victime, sans qu'elle puisse être légitimement regardée comme ignorant l'existence de sa créance jusqu'à l'intervention de la déclaration d'inconstitutionnalité. Il faut avouer ne pas comprendre ce que cela veut dire car le préjudice dont il est ici question n'est point un préjudice générique ou en soi mais bien le préjudice résultant de ce que le texte que la victime a été forcée d'appliquer était inconstitutionnel : ce n'est pas le texte en soi qui est la cause du préjudice mais son inconstitutionnalité.

En second lieu, il faut dire notre plein accord avec le motif du rejet final de la requête dans la mesure où, d'évidence, ce qui a été jugé inconstitutionnel c'est l'inachèvement de son travail par le législateur, son incompétence négative donc, alors qu’il est pourtant toujours obligé d'épuiser sa compétence. Or il est bien certain que cette incomplétude du texte légal n'est pas la cause du préjudice dont se plaint la demanderesse ; pour cela il eût fallu que fût jugée inconstitutionnelle l'instauration de l'obligation faite aux entreprises d'instituer un dispositif de participation des salariés à leurs résultats. Ce n'est pas ce qu'a dit le Conseil constitutionnel, il a seulement censuré l'imprécision du champ d'application de cette mesure non la mesure elle-même alors que la société Paris Clichy poursuivait la réparation du dommage que lui aurait causé, précisément, cette mesure en elle-même.

Le rejet de son pourvoi était donc inéluctable.

(Assemblée, 24 décembre 2019, Société Paris Clichy, n° 425981 ; du même jour, dans la même formation, avec même solution : Société hôtelière Paris Eiffel Suffren, n° 425983 ; v. aussi, du même jour, dans la même formation, la solution retenue dans le cas où l'action en réparation est introduite par un salarié se plaignant du non-versement par son employeur de la participation des salariés aux résultats de l'entreprise pour les exercices 1989 à 2001 : M. X., n° 428162)

 

124 - Autorisation de lotir - Permis de construire - Retrait après la tempête Xynthia - Demande d'indemnisation - Réparation - Cassation partielle avec renvoi.

La société requérante demande réparation du préjudice résultant pour elle, d'abord,  de la décision  du maire de L'Aiguillon-sur-Mer - après le passage de la tempête Xynthia - de retirer le permis de construire qui lui avait été précédemment accordé pour la construction d'une maison d'habitation sur un lot d'un lotissement, ensuite, de ceux résultant de deux certificats d'urbanisme négatifs en raison du caractère non réalisable d'opérations de construction de maisons individuelles sur un lot du lotissement " La Petite Jetée " et sur l'ensemble des lots d'un autre lotissement. Après que le tribunal administratif a accueilli cette demande d'indemnisation et condamné l'État à garantir à hauteur de 60% la commune, la cour administrative d'appel a réduit, d'une part, le montant de l'indemnisation que la commune avait été condamnée à payer en limitant à 50% la part de responsabilité de cette dernière et d'autre part, l’évaluation du préjudice subi par la société LDA au titre de l'indemnisation des frais d'acquisition des parcelles. 

Le Conseil d’État admet le principe même de la responsabilité de la commune car il appartenait au maire de vérifier la compatibilité du projet d'aménagement de la société LDA avec les exigences de la sécurité publique compte tenu, notamment, de l'existence d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles, élaboré par l'État, destiné en particulier à assurer la sécurité des personnes et des biens exposés à certains risques naturels et valant servitude d'utilité publique. Les prescriptions qu'il contient sont donc susceptibles de s'imposer aux autorisations d'urbanisme dont le permis de construire ; le maire peut aussi, le cas échéant, imposer des prescriptions spéciales allant au-delà de ce que dispose ledit plan et jusqu'au refus de délivrer un permis de construire. Par ailleurs, et alors même que ce plan classait les terrains d'assiette des parcelles acquises par la société LDA en zone "bleu clair" c'est-à-dire correspondant à une zone constructible sous conditions, le maire ne pouvait ignorer que des documents datant de 2007 et 2008 contredisaient l'évaluation du risque de submersion, que l'embouchure du Lay était considérée comme la zone la plus dangereuse et que plusieurs tempêtes, survenues notamment en 1937 et en 1940,  avaient submergé la zone et provoqué la rupture de la digue communale.  C'est donc souverainement et sans dénaturation des faits ou du dossier que la cour administrative d'appel a jugé que le maire avait commis une erreur manifeste d'appréciation en délivrant les permis litigieux. Cette faute est évidemment de nature à engager la responsabilité de la commune.

Le Conseil d’État, ensuite, annule l'arrêt d'appel en tant qu'il a aperçu une faute de la société victime en raison de sa qualité de professionnelle de l'immobilier qui devait donc connaître le risque : la cour, commettant ainsi une erreur de droit, n'a pas recherché si cette société, eu égard aux éléments dont elle avait connaissance et aux moyens dont elle disposait, avait effectivement commis une imprudence fautive en poursuivant ses projets d'aménagement dans la zone de l'estuaire du Lay.

Concernant les préjudices subis et donc réparables, le Conseil d’État juge que ce n'est pas, contrairement aux allégations du ministre défendeur, la tempête qui est la cause directe et certaine du préjudice dont se prévaut la société demanderesse puisque celui-ci réside dans la faute commise par la commune en délivrant, antérieurement à la tempête, des autorisations de lotir et de construire. L'indemnisation doit porter sur les frais d'acquisitions des parcelles déduction faite de celles revendues avant le passage de la tempête et de la plus-value réalisée à cette occasion. Par ailleurs, le manque à gagner résultant de la privation des bénéfices escomptés des ventes de maisons envisagées par la société n'étant pas la conséquence de l'illégalité des autorisations délivrées à la société mais de l'inconstructibilité des terrains d'assiette, il ne saurait être indemnisé.

Enfin, la condamnation de l'État à garantir la commune à hauteur de 60% des condamnations prononcées contre elle est logique dès lors qu'il avait classé dans le plan de prévention des risques en zone "bleu clair" les parcelles litigieuses alors qu'il savait à cette date quelle était la dangerosité particulière de l'estuaire du Lay, ainsi que cela ressort en particulier des documents établis antérieurement à la tempête Xynthia faisant état de tempêtes ayant par le passé conduit à la conjonction d'une submersion marine et de crues dans l'estuaire, ainsi qu'à des ruptures de digues sur le territoire de la commune de L'Aiguillon-sur-Mer.

L'arrêt est donc seulement cassé en ce qu'il a limité la part de responsabilité de la commune de L'Aiguillon-sur-Mer à hauteur de 50 % et à 76 211 euros le préjudice subi par la société LDA au titre de l'indemnisation des frais d'acquisition des parcelles. 

(18 décembre 2019, Société LDA, n° 423681)

 

125 - Responsabilité hospitalière - Contamination par le virus de l'hépatite C - Preuve de l'existence de transfusions sanguines non rapportée - Absence de commencement de preuve - Inapplicabilité de la présomption légale d'imputation de la contamination à des transfusions sanguines - Rejet.

Les requérants avaient demandé en vain, d'abord au tribunal administratif puis à la cour administrative d'appel, la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à les indemniser des préjudices qu'ils estimaient avoir subis en raison de la contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C de leur épouse et mère.

Leur pourvoi est, pareillement, rejeté. En effet, les demandeurs n'ont pas réussi à établir l'existence matérielle de transfusions sanguines auxquelles ils entendaient imputer la contamination de la défunte par le virus de l'hépatite C. Pas davantage n'était produit un commencement de preuve en ce sens. La circonstance que l'ONIAM ait paru admettre dans certaines de ses écritures le principe de sa responsabilité en l'espèce, n'a aucune incidence sur l'office du juge administratif de la responsabilité qui est de s'assurer de l'existence d'un lien de causalité, ici entre transfusion et contamination.

Le rejet du recours était donc inévitable.

(19 décembre 2019, M. X. et autres, n° 426402)

 

Santé publique

 

126 - Haute autorité de santé - Recommandation de bonne pratique relative à la borréliose de Lyme et autres maladies vectorielles à tiques - Procédure de la recommandation suivie en l'espèce, contenu de la recommandation et de ses préconisations en matière de stratégie diagnostique - Régularité - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 13 juin 2018 par laquelle le collège de la Haute Autorité de santé a adopté la recommandation de bonne pratique intitulée « Borréliose de Lyme et autres maladies vectorielles à tiques (MVT) » et les fiches associées, ainsi que cette recommandation et ces fiches.

L'argumentation était articulée autour de trois griefs principaux, tous rejetés par le Conseil d’État.

En premier lieu était critiquée la procédure d'élaboration de la recommandation tant en ce qui concerne l'absence de publication des déclarations d'intérêts de certains des membres du groupe de travail chargé d'élaborer la recommandation, le défaut d'impartialité de certains d'entre eux, la composition de ce groupe et la procédure d'évaluation sous-tendant l'élaboration de la recommandation. Ce grief est rejeté compte tenu des précisions apportées par les intéressés, de l'absence de conflits d'intérêts avérés, des incertitudes révélées par les controverses persistantes sur la maladie de Lyme et, enfin, de la marge de choix offerte à la HAS de ses procédures d'évaluation.

En deuxième lieu était critiqué le contenu de la recommandation spécialement concernant son chapitre 4 (Symptomatologie/syndrome persistant(e) polymorphe après une possible piqûre de tique (SPPT)). Là aussi, le juge n'aperçoit ni erreur de qualification, ni caractère obsolète de la préconisation, ni absence de conformité aux données actuelles de la science, ni, enfin, atteinte aux droits des malades.

En troisième lieu étaient critiquées les préconisations relatives à la stratégie diagnostique en ce qu'elles reposeraient une sur erreur manifeste d'appréciation et méconnaîtraient les articles 2 et 3 de la convention EDH. Ces griefs ne sont pas retenus par le juge.

Les deux recours joints sont rejetés.

(4 décembre 2019, Association " Le droit de guérir ", n° 423060 ; Association " Enfance Lyme and co " et autres, n° 423385, jonction)

 

127 - Médicaments - Traitement du diabète - Incitation des établissements de santé à la prescription de médicaments biologiques similaires délivrés en ville - Notions de « médicaments biologiques similaires » ou de « médicaments biosimilaires » - Notions fixées par le code de la santé publique - Incompétence des ministres à s'en écarter - Erreur de droit - Annulation en tant qu'est concernée la spécialité Toujeo.

Une instruction interministérielle (santé et finances) est prise en vue de l'incitation à la prescription hospitalière de médicaments biologiques similaires lorsqu'ils sont délivrés en ville et une autre relative à l'expérimentation pour l'incitation à la prescription hospitalière de médicaments biologiques similaires délivrés en ville. La société requérante en demande l'annulation en tant qu'elle s'applique à la spécialité Toujeo qu'elle produit.

La discussion s'est concentrée sur les notions de médicament biologique similaire ou de médicament biosimilaire que définissent les art. L. 5125-23-2 et L. 5125-23-3 du code de la santé publique.  Ces notions sont capitales en particulier afin que le pharmacien puisse substituer, sans risque pour les patients, un médicament à un autre présentant en tout point des caractéristiques positives comme des contre-indications rigoureusement identiques. Il suit de là, d'évidence, que les ministres défendeurs ne peuvent pas, pour définir le champ de l'expérimentation qu'ils autorisent ou pour déterminer les indicateurs qui fondent l'évaluation des résultats des établissements de santé ouvrant le bénéfice d'une dotation du fonds d'intervention régional, inciter à la prescription de certains médicaments biologiques de préférence à d'autres en utilisant les notions de médicaments biologiques similaires ou de médicaments biosimilaires dans un sens différent de celui qui résulte des dispositions de l'article L. 5121-1 du code de la santé publique. 

En l'espèce, le médicament Toujeo, produit et commercialisé par la société requérante, ne peut être dit biosimilaire ou biologiquement similaire d'autres qui pourraient lui être substitués ou qu'il pourrait lui-même substituer ; le juge décrit longuement les différences existantes qui montrent l’originalité de ce médicament.

Par suite, il conclut que « les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont commis une erreur de droit en qualifiant la spécialité Toujeo de médicament " référent " d'un groupe insuline glargine pour les besoins des mesures d'incitation des établissements de santé à la prescription de médicaments biologiques similaires délivrés en ville qu'ils adoptaient sur le fondement des articles L. 162-31-1 et L. 162-22-7-4 du code de la sécurité sociale ». D'où l'annulation qui est prononcée.

(31 décembre 2019, Société Sanofi Aventis France, n° 423958 ; Société Sanofi Aventis France, n° 429693 ; Société Sanofi Aventis France, n° 430318 ; Société Sanofi Aventis France, n° 433185)

 

128 - Médicaments et produits pharmaceutiques - Autorisation de mise sur le marché _ Recours à la procédure allégée - Présence d'une substance active rigoureusement identique - Absence en l'espèce - Annulations.

S'il est possible d'accorder à une spécialité pharmaceutique une autorisation de mise sur le marché (AMM) selon une procédure allégée dite bibliographique (art. R. 5121-26 du code de la santé publique) c'est à la triple condition que celle-ci fasse l'objet d'un « usage médical bien établi », qu'elle ait une efficacité reconnue et qu'elle contienne une ou des substances identiques à celles rencontrées dans d'autres spécialités ayant déjà obtenu une AMM. L'exigence que les substances soient identiques exclut qu'elles puissent n'être que similaires avec d'autres, du moins si l'autorisation allégée est fondée, comme en l’espèce, sur la disposition précitée.

La décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui a délivré l'autorisation de mise sur le marché attaquée, relative aux spécialités Palmier de Floride Biogaran (serenoa repens), capsules molles (B/180) et Palmier de Floride Biogaran (serenoa repens), capsules molles (B/60), est illégale en ce qu'elle se fonde non sur l'identité mais seulement sur la similitude des substances présentes dans ces dernières et dans les médicaments à base d'extrait hexanique du fruit de palmier de Floride, substance active reconnue comme étant d'un usage médical bien établi depuis au moins dix ans dans l'Union européenne.

(31 décembre 2019, Société Pierre Fabre médicament, n° 419269)

 

129 - Haute autorité de santé (HAS) - Commission de la transparence de la HAS - Indépendance et impartialité de ses membres - Obligations - Rejet.

Saisi d'un recours en annulation d'un arrêté interministériel portant radiation de spécialités pharmaceutiques de la liste mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, et fondé, notamment, sur l'irrégularité de l'avis de la commission de la transparence de la HAS ayant précédé la prise de cet arrêté, le Conseil d’État apporte un certain nombre d'indications au sujet des exigences déontologiques s'imposant à cette commission.

Celles-ci se ramènent à trois selon le juge.

En premier lieu, les membres de la commission de la transparence ainsi que les personnes lui apportant ponctuellement leur concours ne peuvent ni participer à des travaux ou délibérations ni être appelées à siéger et/ou à donner leur avis sur toute question appelant une réponse au contenu de laquelle ils auraient personnellement un intérêt quelconque, qu'il soit direct ou indirect.

En deuxième lieu, ils sont tenus - dans les mêmes conditions que les fonctionnaires (cf. art. 26 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires) - à la fois à une obligation de secret professionnel et à une obligation de discrétion professionnelle au sujet des faits, analyses, constats, délibérations, connus dans le cadre de leurs fonctions à ladite commission.

En troisième lieu, enfin, il leur est interdit - en application du principe d'impartialité objective comme de celui d'impartialité subjective - de prendre publiquement position sur des questions examinées, en cours d'examen ou à examiner portées devant cette commission.

(16 décembre 2019, Fédération des centres mémoire et autres, n° 422672)

 

130 - Dispositifs médicaux - Bioprothèses valvulaires, transcutanées, aortiques - Tarif de responsabilité et prix des dispositifs médicaux - Pouvoir du Comité économique des produits de santé - Conclusion avec certains fabricants seulement de conventions sur le tarif de responsabilité et les prix des dispositifs - Refus d'un fabricant de conclure une telle convention - Invocation d'une différence injustifiée de traitement - Fabricant se trouvant, au regard de l'objet de la mesure, dans une situation différente - Rejet.

Dans le souci de réduire les dépenses publiques en matière de santé, le Comité économique des produits de santé, dont c'est là l'une des missions principales, conclut avec deux des trois fabricants de bioprothèses valvulaires, transcutanées, aortiques, inscrites sur la liste des produits et prestations remboursables prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, un avenant à la  convention fixant les tarifs de responsabilité et les prix de vente de ces bioprothèses, ayant notamment pour objet de réduire ces tarifs et prix. La société requérante qui est celle des trois fabricants ayant refusé de conclure l’avenant, se plaint de ce que, subissant un traitement différent de celui des deux autres sociétés ayant, elles, conventionné, il serait porté atteinte au principe d'égalité.

Rappelant que le principe d'égalité peut, à certaines conditions, n'être pas respecté entre des situations objectivement différentes, le Conseil d’État rejette le recours en relevant  d'abord que la diminution du tarif  et des prix convenue dans un souci de maîtrise des dépenses de santé n'est pas excessive, ensuite que la société requérante qui s'est mise hors convention n'est pas dans la même situation que les deux autres sociétés, également qu'elle ne peut discuter les conditions de la négociation préalable à la conclusion de l'avenant, négociations auxquelles elle n'a pas voulu participer et, enfin, qu'il lui est, en toute hypothèse, loisible de conclure à tout moment le même avenant que les sociétés concurrentes.

 (13 décembre 2019, Société Edwards Lifesciences, n° 422515)

 

131 - Refus d'inscription d'un dispositif sur la liste des produits et prestations remboursables - Contestation - Absence d'erreur manifeste d'appréciation et d'atteinte au principe d'égalité - Rejet.

Les sociétés requérantes contestaient par divers moyens de légalité externe et de légalité interne, l'arrêté interministériel refusant d'inscrire, en nom de marque, sur la liste des dispositifs médicaux remboursables le cotyle à double mobilité Avantage 3P Plasma TiHA.

Les moyens sont tous rejetés ; seuls seront présentés ici ceux de légalité interne.

Tout d'abord, c'est à tort que sont contestées les deux décisions de la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé, celle portant sur les critères d'appréciation du service attendu de ce dispositif et celle statuant sur les justificatifs susceptibles d'être exigés des fabricants, en particulier la preuve de l'équivalence revendiquée par les demanderesses entre le dispositif en cause et les cotyles Avantage 3P et Avantage Reload, dont le service attendu avait été jugé suffisant par la commission. « (...) les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les ministres auraient pris leur décision sur le fondement de dispositions contraires à l'objectif de clarté, d'intelligibilité et d'accessibilité de la norme ou auraient exigé des fabricants des données qu'ils n'auraient pas été mis en mesure de fournir. Elles ne sont ainsi, en tout état de cause, pas fondées à en déduire que la décision attaquée méconnaîtrait les principes de sécurité juridique et de confiance légitime ou porterait atteinte à une espérance légitime d'obtenir l'inscription du produit en cause sur la liste des produits et prestations remboursables. »

Ensuite, le juge n'aperçoit aucune erreur manifeste d'appréciation dans la décision constatant l'absence d'équivalence entre les deux catégories de dispositifs ci-dessus indiquées.

Enfin, nulle atteinte au principe d'égalité n'est, non plus, relevée car la commission n'a pas traité différemment des situations identiques.

(16 décembre 2019, Société Zimmer Biomet France et la société Biomet France, n° 423295)

 

Service public

 

132 - Tarif des redevances aéroportuaires - Rôle de l'Autorité de supervision indépendante (ASI) - Détermination, par le ministre des transports, du périmètre des activités et des services, dit régulé, pris en compte - Règles combinées de hausse modérée des tarifs et de rémunération convenable des capitaux investis - Annulation partielle.

Les organismes requérants demandaient l'annulation de l'arrêté ministériel modifiant les règles applicables à la détermination des redevances pour services rendus sur les aérodromes de Nice-Côte d'Azur et de Cannes-Mandelieu.

Le Conseil d’État définit la mission de l'ASI, lorsqu'elle fixe les tarifs des redevances aéroportuaires (cf. art. R. 224-3-4 du code l'aviation civile) comme uniquement commandée, d'une part, par le souci de garantir aux usagers une hausse modérée des prix, et d'autre part, par celui d'assurer aux investisseurs une rémunération mesurée de leurs capitaux investis.

Ensuite, le juge reconnaît au ministre des transports d'importants pouvoirs en la matière. Il peut fixer assez librement un périmètre, dit « périmètre régulé » dans lequel, pour les aéroports en litige, sont comprises outre les activités directement liées à l'exploitation des aéronefs, celles liées au stationnement automobile et aux transports publics. De plus, s'il a exclu en l'espèce de ce périmètre les activités commerciales et de services, telles que les boutiques, la restauration, les services bancaires et de change, l'hôtellerie, la location d'automobiles et la publicité, ainsi que les activités foncières et immobilières hors aérogares, en revanche ces dernières peuvent être prises en compte, dans la fixation des tarifs, en retenant les profits qu'elles dégagent pour les soumettre à l'ASI en vue qu'elle fixe les tarifs. Enfin, les situations de fait différant d’un aéroport à l'autre, le ministre a pu n'appliquer un tel périmètre qu'aux deux seuls aéroports de Nice et de Cannes à l'exclusion de tous les autres aéroports français. Ce dernier argument est spécieux car les taxes ne frappent que les usagers des aéroports sur lesquels les gestionnaires sont bien forcés de les répercuter. Par suite, dire que ces usagers sont eux-mêmes dans des situations différentes de celles des autres usagers d'aéroport n'est guère convaincant. À moins de soutenir qu'ils sont, en moyenne, plus riches ? Mais est-ce que cela a rapport avec une quelconque rationalité de gestion du service public ? Nous ne le pensons pas.

(31 décembre 2019, Chambre syndicale du transport aérien, n° 424088 ; Syndicat des compagnies aériennes autonomes, 424089 ; Société Aéroports de la Côte d'Azur, 427840 ; Société Aéroports de la Côte d'Azur, 429724 ; Syndicat des compagnies aériennes autonomes, 430789 ; Chambre syndicale du transport aérien, 431344)

 

133 - Droit de grève dans les services publics - Exercice du droit de grève par les agents des écoles publiques - Note de service réglementant cet exercice - Légalité - Rejet.

Était contestée une note de service du directeur général des services de la Ville d’Aix-en-Provence informant les agents des écoles qu’ils doivent désormais exercer leur droit de grève dès leur prise de service et jusqu'à son terme, indépendamment de toute appréciation d'un risque de désordre manifeste dans l'exécution du service. Le recours a été accueilli favorablement  par le juge des référés en première instance mais le syndicat requérant demande au Conseil d’État, d’une part, l’annulation  de cette ordonnance en tant qu'elle précise que « cette suspension  ne fait pas obstacle à ce que, une fois informée par les agents des écoles de leur intention de participer à la grève, et s'il apparaît alors que l'exercice du droit de grève en cours de service peut entraîner un risque de désordre manifeste dans l'exécution du service, l'autorité territoriale impose aux agents ayant déclaré leur intention de participer à la grève d'exercer leur droit dès leur prise de service et jusqu'à son terme » et, d'autre part, de faire droit à ses conclusions de première instance.

Le juge des référés du Conseil d’État estime cet appel manifestement mal fondé et le rejette selon la procédure expéditive de l’art. L. 522-3 du CJA au motif qu’il résulte des dispositions de l'article 7-2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, « que l'autorité territoriale peut exiger des agents exerçant leur fonction dans les services d'accueil périscolaire ou de restauration scolaire, et ayant déclaré leur intention de participer à la grève, qu'ils exercent ce droit dès leur prise de service et jusqu'à son terme, dans le cas où l'interruption soudaine du service en cours d'exécution est susceptible de susciter un " désordre manifeste " dans l'exécution de ce service, sans que cette faculté instituée par la loi soit subordonnée à la conclusion de l'accord mentionné au I de ces dispositions, ni davantage limitée par les termes du préavis de grève déposé. »

(Ord. réf. 20 décembre 2019, Syndicat FSU Territoriale 13, n° 436794)

 

134 - Référé suspension - Organisation de la justice judiciaire - Réforme de la procédure civile - Création du tribunal judiciaire - Formation des requêtes par voie électronique - Exécution provisoire de droit des décisions rendues en première instance - Date d’entrée en vigueur de la réforme de la procédure civile - Rejet.

Les organisations requérantes demandaient la suspension du décret du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile. Ils invoquaient l’urgence à statuer sur un certain nombre de griefs articulés à l’encontre de ce texte. Ces griefs sont tous rejetés.

L’art. 54 du décret, relatif à la formation électronique de la demande initiale n’a pas le champ d’application prétendu par la requête et ne pourra d’ailleurs entrer en vigueur qu’au printemps 2020, il ne saurait donc relever d’une procédure d’urgence.

L’art. 3, qui porte aménagement du principe de l'exécution provisoire de droit des décisions rendues en première instance, n’appelle pas davantage de mesures d’urgence car il ne sera applicable qu’aux jugements rendus sur les affaires introduites à compter du 1er janvier 2020.

Enfin, si l’art. 56 de ce décret, daté du 11 décembre 2019 et publié le 12 décembre, fixe au 1er janvier 2020 la date d’entrée en vigueur de la plupart des dispositions de celui-ci, ce qui n’est, assurément pas, un délai très confortable, d’une part, celles entrant en vigueur au 1er janvier 2020 ne sont applicables que dans le respect des exigences découlant du principe de non-rétroactivité des actes administratifs et, d’autre part, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction et au vu de l'ensemble des intérêts en cause, qu'en retenant la date du 1er janvier 2020 pour l'entrée en vigueur de la plupart des dispositions du décret contesté, l'auteur de ce décret ait fixé un délai trop bref au regard de l'exigence tenant à l'édiction, pour des motifs de sécurité juridique, des mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, une réglementation nouvelle.

Dès lors, nulle urgence ne justifie que le juge du référé suspension use des pouvoirs particuliers dont il dispose envers le décret attaqué.

(Ord. réf. 30 décembre 2019, Conseil national des barreaux et autres, n° 436941 ; Syndicat des avocats de France, n° 437005, jonction)

 

Sport

 

135 - Sanction pour dopage - Interdiction d'exercer les fonctions d'éducateur sportif - Sanction sans caractère disproportionné - Nécessité de protéger la pratique et les pratiquants d'un sport - Rejet.

Contestant les conséquences professionnelles d'une sanction pour dopage laquelle l'empêche d'exercer les fonctions d'éducateur sportif, l'intéressé se voit répondre, de façon laconique, que si : « la sanction prononcée lui interdira d'exercer les fonctions d'éducateur sportif comme il l'envisageait, la protection des pratiquants d'une activité physique ou sportive contre le dopage est de nature à justifier qu'un sportif sanctionné pour dopage ne puisse, pendant la durée de l'interdiction, enseigner, animer ou encadrer cette activité physique ou sportive ou entraîner ses pratiquants. »

(31 décembre 2019, M. X., n° 428180)

 

Travaux publics et expropriation

 

136 - Expropriation - Travaux d'aménagement d'une rue - Utilité publique - Notion et portée - Absence en l'espèce - Qualification juridique erronée - Cassation sans renvoi des jugement et arrêt.

En estimant que sont d'utilité publique les travaux de restructuration de l'accès à une zone d'activités commerciales et d'amélioration de sa visibilité afin de renforcer l'attractivité de son secteur ouest, les juges du fond ont donné une qualification juridique erronée aux faits de l'espèce. Il ressort du dossier que ces travaux, qui n'apportent qu'une amélioration d'accès assez limitée, qui portent une atteinte très importante à la propriété bâtie de la requérante et sont d'un coût excessif, ne sauraient être qualifiés comme étant d'utilité publique même s'ils répondent à une finalité d'intérêt général : ils ne pouvaient être réalisés sans expropriation.

La solution peut sembler sévère, elle se justifie si l'on veut donner une portée réelle au contrôle de l'utilité publique d'une opération.

(11 décembre 2019, Mme X., n° 419760)

 

137 - Référé sursis - Réalisation par la SNCF de travaux souterrains sans droit ni titre sur la parcelle concernée - Atteinte grave et manifestement illégale au droit des propriétaires surjacents - Absence d’urgence en raison de circonstances de fait et de droit - Rejet.

Après avoir constaté l’irrégularité de travaux souterrains entrepris par la SNCF au droit de la propriété des requérants et donc l’atteinte qu’ils portent à leur droit de propriété, le juge des référés refuse d’apercevoir une urgence à ordonner la cessation des travaux.

D’une part, ces travaux ne concernent que le tréfonds de cette propriété dans la mesure où ils se situent à 28 mètres de profondeur et doivent servir au raccordement de la nouvelle portion de la ligne E du RER à la ligne existante, d’autre part, les travaux font l’objet d’une régularisation juridique en cours. Enfin, la décision d’interrompre ces travaux, qui ne peuvent être entrepris qu’en période estivale, les repousserait d’une année en fait, engendrant un retard tel qu’il aurait des conséquences sur le chantier d'aménagement de la Porte Maillot, site lié à l'organisation des jeux Olympiques de 2024.

La requête à fin de sursis est rejetée.

L’urgence est sacrifiée aux exigences d’un intérêt général bien maladroitement mis en œuvre ici par la SNCF.

(Ord. réf. 20 décembre 2019, M. X. et autres, n° 436606)

 

Urbanisme

 

138 - Dispositif de clôture - Clôtures prenant la forme d'un mur - Application des seules règles pertinentes du plan local d'urbanisme - Cas du mur incorporé à une construction - Application de l'ensemble des règles du PLU - Annulation avec renvoi à la cour administrative d'appel.

À l'occasion d'un contentieux s'étant élevé du fait du refus d'une demande de permis de construire pour l'édification d'une pergola en bois et d'un mur de clôture, le Conseil d’État apporte une précision qui rend bien complexe les choses s'agissant du mur de clôture.

En effet, si le mur n'est qu'un mur de clôture, doivent être appliquées, à propos de son autorisation d'édification, uniquement celles des règles du plan local d'urbanisme qui prévoient spécifiquement ce cas particulier. En revanche, dès lors que ce mur est incorporé à une construction, même s'il n'a qu'une fonction de clôture, il doit être soumis à l'ensemble des règles applicables aux constructions que contient le plan local d'urbanisme.

(18 décembre 2019, M. X., n° 421644)

 

139 - Prescription d'un PLU limitant à 9 mètres la hauteur des constructions - Dérogation pour les constructions ou installations nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif - Cas de logements sociaux pour personnes défavorisées ou de revenus modestes - Erreur de droit - Cassation du jugement avec renvoi.

Qualifie inexactement les faits de l'espèce le jugement qui voit dans des constructions d'habitat individuel pour personnes défavorisées ou de revenus modestes des « constructions d'intérêt collectif » au sens et pour l'application d'un PLU communal.

(20 décembre 2019, M. et Mme X., n° 423407)

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