Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Février 2020

 

Actes et décisions  - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Agrément de transport sanitaire - Retrait - Compétence liée du directeur de l’agence régionale de santé (ARS) - Absence - Obligation de motivation et d’appliquer le principe du respect des droits de la défense - Cassation partielle avec renvoi.

La société demanderesse contestait la légalité des décisions du directeur général de l’ARS par lesquelles il a, d’une part, retiré définitivement son agrément de transport sanitaire et, d’autre part, abrogé l'autorisation de mise en service d’un véhicule sanitaire léger déterminé. Son action contentieuse ayant été rejetée en première instance et en appel, la société se pourvoit en cassation et obtient partiellement gain de cause.

Tout d’abord, ainsi que cela avait été jugé par la cour administrative d’appel, le directeur général de l’ARS était dans l'obligation de mettre fin à l’agrément dès lors que la société ne disposait plus du nombre de véhicules à partir duquel l’attribution de cet agrément est subordonnée.

Ensuite, est relevée l’erreur de droit de la cour en ce qu’elle a estimé que le directeur de l’ARS était en situation de compétence liée. Pour le Conseil d’Etat, il ne s’est pas livré à un simple constat pour prendre les mesures contestées et, par suite, les autres arguments de la demanderesse ne pouvaient pas être rejetés pour inopérance.

Enfin, parce que l’agrément de transport sanitaire est un acte individuel créateur de droits, son retrait ou abrogation doit être motivé et ne peut être décidé qu’après que son titulaire a été mis à même de présenter ses observations.

(5 février 2020, Sarl Taxis Hurié, n° 426225)

 

2 - Décision du ministre de l’intérieur - Décision majorant la dotation pour émission de titres sécurisés accordée aux communes dotées d’un dispositif de recueil des empreintes digitales - Décision de nature réglementaire - Décision ne comportant pas un transfert de compétences - Existence d’un intérêt pour agir d’une commune - Rejet.

Le ministre de l'intérieur a décidé une majoration annuelle de la dotation versée pour l’émission des titres sécurisés aux communes équipées d'un dispositif de recueil des empreintes digitales.

Il ne s’agit pas là d’une compétence transférée aux communes par l’État ; elle ne peut donc donner lieu à la compensation prévue en cas de transfert de compétences par l’art. 72-2 de la Constitution.

Toutefois, cette décision que le ministre n'était pas tenu de prendre et qui revêt un caractère réglementaire, ne saurait être regardée ni comme une mesure purement gracieuse qui, pour ce motif, serait insusceptible de recours, ni comme une mesure favorable à la commune requérante : celle-ci peut donc se prévaloir d'un intérêt lui donnant qualité à en demander l'annulation.

(24 février 2020, Commune de Paimpol, n° 425034)

 

3 - Compétence du Conseil d’État en premier ressort - Actes réglementaires des ministres - Offices notariaux - Déclaration de vacance d’un office - Absence de caractère réglementaire - Renvoi au tribunal administratif de Paris.

(12 février 2020, M. X., n° 418880) V. n° 31

 

4 - Théorie de la formalité impossible - Personnel des menses épiscopales en Alsace-Moselle - Agent non titulaire de l’État - Licenciement - Application fluctuante du décret du 17 janvier 1986 - Mense épiscopale de Metz - Établissement public du culte - Établissement public administratif de l’État - Exercice du pouvoir disciplinaire selon le régime de ce décret - Absence légitime en l’espèce de commission consultative paritaire - Cassation avec renvoi.

(28 février 2020, M. X., n° 428441) V. n° 89

 

5 - Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) - Avis de la CADA - Acte ne faisant pas grief - Refus de la CADA de rétracter ou d’annuler un avis rendu par elle - Acte ne faisant pas grief - Recours pour excès de pouvoir irrecevable - Rejet.

Si toute personne à qui a été refusée la communication d’un document administratif ne peut demander au juge l’annulation de ce refus qu’après avoir saisi la CADA pour avis sur la communicabilité dudit document et si l’absence de saisine de la CADA rend le recours irrecevable, en revanche, l’avis de la CADA n’a pas la nature d’un acte faisant grief ni non plus le refus de le rétracter ou de l’annuler.

Le recours au juge ne peut être fondé que sur la décision de l’administration refusant - quel qu’ait été le sens de l’avis de la CADA - la communication sollicitée.

Il suit de là que sont irrecevables les recours formés contre un avis de la CADA ou contre le refus de le rétracter ou de le modifier.

(12 février 2020, M. X., n° 430825)

 

6 - Délégation de signature - Délégation d’un président de conseil départemental à un directeur général des services du département - Étendue de la délégation - Gestion des agents - Absence de mention expresse d’une délégation du pouvoir disciplinaire - Illégalité de la sanction - Rejet.

(24 février 2020, Département de la Manche, n° 422482) V. n° 91

 

7 - Exécution des lois - Obligation pour le premier ministre de prendre les mesures réglementaires prévues par une loi ou par un règlement pris en exécution d’une loi - Loi impérative - Absence de libre appréciation par le premier ministre - Annulation et injonction d’agir sous deux mois.

Étaient demandés, d’une part, l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le premier ministre a rejeté la demande de la requérante tendant à ce que soit adopté le décret particulier fixant les conditions d'intégration des agents affectés au secrétariat de l'officier du ministère public près le tribunal de police, prévu par le décret n° 88-599 du 3 mai 1988 et, d’autre part, le prononcé d’une injonction ordonnant au premier ministre d’adopter ledit décret.

Le Conseil d’État constate que l'article 87 de la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État, entré en vigueur le 1er janvier 1986, a, entre autres, fait l’objet du décret d’application susmentionné. Toutefois, le dernier alinéa de son art. 8 a précisé, s’agissant de l'intégration des agents affectés au secrétariat de l'officier du ministère public près le tribunal de police, que « leurs conditions d'intégration seront fixées par un décret particulier ».

Cette dernière disposition est impérative car elle ne laisse aucune marge de manœuvre au premier ministre lequel a l’obligation de prendre le décret ainsi prévu. À l’évidence, l’abstention de prendre ces dispositions réglementaires s'est prolongée très largement au-delà du délai raisonnable dans lequel elles auraient dû être prises. Le refus du premier ministre est entaché d'illégalité et il est donc annulé. Injonction lui est faite d’édicter le décret nécessaire sous deux mois.

(13 février 2020, Mme X., n° 415509)

 

8 - Fonction publique - Nouvelle bonification indiciaire (NBI) - Attribution - Conditions - Suppression - Conditions - Suppression rétroactive - Illégalité pour violation du principe de non-rétroactivité des actes administratifs réglementaires - Annulation.

(10 février 2020, M. X., n° 424245) V. n° 103

 

9 - Avis contentieux (art. L. 113-1 CJA) - Réparation des préjudices résultant d’infections nosocomiales - Application de la prescription décennale (art. L. 1142-28 code de la santé publique, CSP) ou de la prescription quadriennale (loi du 31 décembre 1968) - Silence de la loi - Recours aux travaux préparatoires de la loi du 26 janvier 2016 - Effet de la saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux sur le délai de prescription -  Effet des différentes hypothèses de solution.

(Avis, 12 février 2020, Mme X. et autres, n° 435498) V. n° 134

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

10 - Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) - Décision d’interdiction faite à TF1 d’offres publicitaires couplées entre TF1 et LCI - Même décision d’offres couplées à l’égard de LCI - Interdiction faite à TF1 de promouvoir les programmes de LCI et de diffuser des messages publicitaires en leur faveur - Décision de ne pas reconduire ces interdictions - Pouvoirs du CSA et étendue du contrôle du juge de plein contentieux sur ces décisions - Rejet.

Les sociétés requérantes reprochaient au CSA d’avoir décidé de ne pas reconduire après le 31 août 2018, d'une part, les interdictions de couplage dans la vente d'espaces publicitaires dont était assortie la délivrance de l'agrément à LCI et, d'autre part, l'interdiction de promotion croisée des programmes de LCI sur le service TF1.

Cette décision est un bon exemple de la finesse de l’analyse du juge pour examiner la régularité - contestée - du contenu de la décision prise qui revêt une grande importance économique tant pour ses destinataires directs que pour leurs concurrents.

En l’espèce, le juge se laisse convaincre du bien-fondé des décisions du CSA.

D’abord, le service TF1, qui constitue l'élément le plus attractif dans le cadre d'une offre publicitaire groupée, a connu depuis plusieurs années une érosion sensible de sa part de marché, qui s'est poursuivie entre 2015 et 2017, alors que celle de son premier concurrent, le groupe Métropole Télévision (M6), s'est maintenue sensiblement au même niveau.

Ensuite, si la part d'audience du service LCI a progressé à la suite de la modification des modalités de son financement, cette progression est restée modeste et s'est interrompue en 2018 et l'équilibre économique du service s'est détérioré dans la mesure où les recettes publicitaires perçues n'ont pas compensé les pertes consécutives au changement de modalités de financement. À l'inverse, le service BFM TV et, dans une moindre mesure, le service L'Équipe, principaux concurrents de LCI, ont enregistré une croissance sensible de leur chiffre d'affaires et une amélioration de leur résultat net.

Enfin, les parts d'audience que le service TF1 est susceptible de réaliser à compter du 31 août 2018 du fait d’une liberté retrouvée, notamment à l'occasion d'événements sportifs importants, ne sont pas comparables aux pics d'audience liés à la diffusion des matchs de la Coupe du monde de football de 2018. Par ailleurs, si, au-delà du 31 août 2018 et donc au-delà de cet événement, LCI est susceptible de retirer un avantage de la promotion de ses programmes par le service TF1, plusieurs services concurrents, dont BFM TV, sont exploités au sein de groupes qui peuvent recourir à la promotion croisée à l'occasion de programmes recueillant une forte audience et sont, ainsi, susceptibles de faire bénéficier leur chaîne d'information d'un avantage comparable.

Au reste, le juge relève qu’il ne résulte pas de l'instruction que la promotion pratiquée par TF1 au profit du service LCI aurait un impact majeur et durable sur l'audience de ce dernier service.

Il s’ensuit que les décisions querellées du CSA ne reposent pas sur une erreur d’appréciation et sont donc justifiées.

D’où le rejet des recours dirigés contre elles.

(5 février 2020, Société BFM TV et société NextRadioTV, n° 421203)

 

11 - Agent de la RATP - Demande de communication de bulletins de pointage et de paye - Communication partielle - Saisine de la CNIL par une plainte - Diligences satisfaisantes de la CNIL en l’état des documents sollicités - Rejet.

Le demandeur, qui avait saisi la CNIL d’une plainte dirigée contre son employeur, la RATP, du fait de difficultés rencontrées pour en obtenir la communication de bulletins de paye ainsi que de bulletins de pointage, demande au Conseil d’État d’annuler la décision de cette dernière de clôturer sa plainte.

Rappelant une solution appliquée également devant la CADA, le juge estime qu’il ne saurait être reproché à un organisme de service public la non-communication de pièces qu’il ne possède plus ou dont la communication est demandée après l’expiration du délai fixé pour leur conservation.

(12 février 2020, M. X., n° 434473)

 

12 - Autorisation d’émettre - Renouvellement - Renouvellement hors appel aux candidatures - Cas de « Radio Courtoisie » - Rejet en raison d’une sanction prononcée antérieurement - Modification notable de la ligne éditoriale de la station de radio - Rejet illégal - Annulation.

L'article 29 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication prévoit que l'usage des fréquences pour la diffusion de services de radio par voie hertzienne terrestre en mode analogique est autorisé par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Cette autorisation est accordée pour cinq années et peut être renouvelée - hors appel aux candidatures - deux fois, chacune pour la même durée sauf en cas de sanction justifiant le refus de renouvellement.

Le CSA s’était fondé sur ce que l’association avait été sanctionnée en octobre 2017 pour des propos à connotation raciste, xénophobe et incitant à la discrimination envers les personnes à raison de leur religion, tenus à plusieurs reprises à l’antenne par son président ou par ses invités dans son émission.

Le Conseil d’Etat annule cette sanction au motif que la ligne éditoriale de « Radio Courtoisie » a été largement modifiée et le président mis à l’écart de l’antenne, attestant la prise en compte de la sanction infligée.

En conséquence, il est décidé que « si, au terme de l'instruction de la demande de l'association, le comité territorial de l'audiovisuel accepte de recourir à la reconduction hors appel aux candidatures et que soit aucune révision de la convention n'est demandée, soit un accord est trouvé sur sa révision dans un délai de six mois, l'autorisation (doit être) reconduite pour une durée de cinq ans intégrant les périodes pendant lesquelles l'association aura effectivement émis sous couvert d'autorisations provisoires. Dans le cas où une révision de la convention est demandée mais qu'aucun accord n'est trouvé dans les six mois, les autorisations provisoires délivrées à l'association doivent cesser de produire effet au terme de six mois supplémentaires ».

 (5 février 2020, Association Comité de défense des auditeurs de Radio Solidarité (CDARS), n° 425747)

 

Biens

 

13 - Domaine public - Gestion par un tiers concessionnaire d’un réseau public situé sur le domaine public - Compétence, dans le silence des textes et de la convention, pour autoriser l’occupation de ce réseau, pour fixer et percevoir les redevances - Exclusion du concessionnaire - Compétence du propriétaire du domaine - Cassation avec renvoi.

Rappel du principe selon lequel le contrat de concession délégant à un tiers la gestion du service public exploité au moyen d'un réseau public relevant du domaine public n’a pas pour effet, dans le silence de la convention sur ce point, de transférer au concessionnaire la compétence pour autoriser l'occupation de ce réseau par les exploitants de réseaux ouverts au public, ainsi que pour fixer et percevoir les redevances correspondantes.

C’était le cas en l’espèce où ni les articles L. 45-9 et L. 47-1 du code des postes et communications électroniques, ni aucun autre texte, ni la convention n’ont prévu un tel transfert de compétence.

En jugeant le contraire la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

(24 février 2020, Département des Hauts-de-Seine, n° 427280)

 

14 - Droit de propriété - Atteinte - Emprise irrégulière - Ouvrage public mal planté - Déplacement ordonné en première instance - Régularisation jugée possible en appel du fait qu’une expropriation pourrait être envisagée - Cassation avec renvoi.

Alors que les premiers juges avaient estimé irrégulière l’implantation d’un transformateur électrique de la société ENEDIS sur le terrain des requérants et ordonné son déplacement hors de celui-ci, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement  motif pris de ce qu'une régularisation appropriée était possible, dès lors que la société ENEDIS pouvait, compte tenu de l'intérêt général qui s'attachait à cet ouvrage, le faire déclarer d'utilité publique et obtenir ainsi la propriété de son terrain d'assiette par voie d'expropriation.

Ce raisonnement est, à bon droit, cassé car, juge le Conseil d’État, « En se bornant à déduire l'existence d'une telle possibilité de régularisation de l'intérêt général qui s'attache à l'ouvrage public en cause, sans rechercher si une procédure d'expropriation avait été envisagée et était susceptible d'aboutir, la cour a commis une erreur de droit ».

Il faut saluer une solution qui tient compte du caractère de liberté fondamentale qui est celle du droit de propriété auquel il ne saurait être porté des atteintes que validerait a posteriori une sorte de prétérition procédurale.

(28 février 2020, M. et Mme X., n° 425643)

 

Collectivités territoriales

15 - Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) - Traitement et valorisation des déchets - Retrait d’une compétence transférée à un EPCI - Retour à chaque commune membre de la compétence antérieurement transférée - Transfert de tous les contrats conclus dans le cadre ou pour l’exercice de cette compétence - Suspension en référé de la décision refusant l’exécution des contrats transférés - Annulation de l’ordonnance en sens contraire.

Rappel d’une jurisprudence bien établie mais appliquée ici à une configuration particulière : il résulte des dispositions de l'art. L. 5211-25-1, al. 4, du CGCT, qu’en cas de retrait d’une compétence transférée à un EPCI, ses communes membres se trouvent de plein droit substituées à l'établissement pour l'ensemble des contrats en cours, quelle que soit leur nature, conclus par cet établissement pour l'exercice de cette compétence. En effet, contrairement à ce qui était soutenu en défense, le Conseil d’État estime que le dernier alinéa de cet article doit être lu indépendamment de ceux qui précèdent.

Par ailleurs, il est jugé qu’un EPCI est recevable à contester le refus par un autre EPCI ou une collectivité territoriale de tirer les conséquences de la substitution qui résulte de l’art. L. 5211-25-1 précité.

Réglant l’affaire au fond, le juge des référés du Conseil d’État annule l’ordonnance du premier juge et la suspension de l’exécution de la décision par laquelle le président de la communauté d'agglomération a rejeté la demande du syndicat mixte requérant tendant à ce qu'elle exécute les contrats dans lesquels elle s'est substituée à lui, pour le compte des communes de l'ancienne communauté de communes.

L’ordonnance comportant à l’endroit de la demanderesse un certain nombre d’injonctions à bref délai, assorties de sanctions financières sérieuses, son auteur en décide la communication à la section du rapport et des études du Conseil d’État.

(Ord. réf. 5 février 2020, Syndicat mixte de traitement et de valorisation des déchets du pays de Caux (SMITVAD), n° 433308 ; v. aussi, du même jour avec même demandeur et même solution sur un différend voisin, le n° 433314)

 

16 - Fonctionnaire territorial - Agent de catégorie A - Détachement dans un emploi fonctionnel - Condition - Retrait du détachement et réintégration de l’agent dans son corps - Détachement irrégulier - Application de la jurisprudence Danthony - Erreur de droit - Annulation de l’ordonnance.

(Ord. réf. 7 février 2020, Mme X. c/ commune de Bussy-Saint-Georges, n° 428625) V. n° 105

 

17 - Communautés de communes - Plan local d’urbanisme (PLU) - Règles de compétence applicables pour l’élaboration d’un PLU entamée avant le transfert de cette compétence à la communauté de communes - Régime applicable du fait de la loi du 24 mars 2014 - Cassation avec renvoi.

Le préfet du Nord a créé, par arrêté du 30 mai 2013, à compter du 31 décembre 2013, la communauté de communes de Flandre intérieure, résultant de la fusion de six établissements publics de coopération intercommunale, un syndicat à vocation unique et trois communes isolées dont celle d'Hazebrouck.

Cet arrêté, parmi les compétences obligatoires transférées au nouvel établissement, ne prévoit l'exercice de la compétence en matière de PLU intercommunal que pour les deux communautés de communes préexistantes de l'Houtland et des Monts de Flandre-Plaine de la Lys.

Par un nouvel arrêté, du 11 décembre 2015, entré en vigueur le 1er janvier 2016, le préfet du Nord procède, après avoir constaté que les membres de la communauté de communes de Flandre intérieure ont défini l'intérêt communautaire attaché aux compétences exercées par la communauté de communes de Flandre intérieure et décidé de lui transférer les compétences afférentes, à l'élargissement du périmètre des compétences de cette communauté de communes. Celle-ci exerce désormais, au titre des compétences obligatoires, la compétence en matière de plan local d'urbanisme intercommunal.

Le Conseil d’État décide, s’appuyant sur la combinaison des dispositions de l’art. 5214-16 CGCT et de celles des II à IV de l’art. 136 de la loi précitée de 2014, que  dans l'hypothèse où une commune, membre d’une communauté de communes, a déjà engagé une procédure d'élaboration de son plan local d'urbanisme avant le transfert de cette compétence à la communauté de communes, cette dernière peut décider de poursuivre cette procédure, sur son périmètre initial, une fois devenue compétente et en accord avec la commune concernée. Il décide également que si, à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 24 mars 2014, la compétence en matière de plan local d'urbanisme pour la conduite d'actions d'intérêt communautaire devient une compétence obligatoire des communautés de communes, les communautés de communes préexistantes qui n'étaient pas compétentes en matière de plan local d'urbanisme avant l'entrée en vigueur de cette loi ne le deviennent qu'à l'issue d'un délai de trois ans et sauf opposition d'au moins 25 % des communes représentant au moins 20 % de la population.

Appliqués dans la présente affaire ces principes conduisent à juger qu'avant le 1er janvier 2016, la communauté de communes de Flandre intérieure n'était pas compétente pour délibérer sur le PLU de la commune d'Hazebrouck. La cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant que la compétence en matière d'élaboration du PLU exercée par la commune d'Hazebrouck avait été transférée par l'arrêté préfectoral du 30 mai 2013 à la communauté de communes de Flandre intérieure et que, pour ce motif, cette dernière était compétente pour approuver, par la délibération contestée du 30 septembre 2014, le plan local d'urbanisme de cette commune.

(12 février 2020, M. et Mme X. et autre, n° 419439)

 

18 - Décision du ministre de l’intérieur - Décision majorant la dotation pour émission de titres sécurisés accordée aux communes dotées d’un dispositif de recueil des empreintes digitales - Décision de nature réglementaire - Décision ne comportant pas un transfert de compétences - Existence d’un intérêt pour agir d’une commune - Rejet.

(24 février 2020, Commune de Paimpol, n° 425034) V. n° 2

 

Contentieux administratif

 

19 - Référé suspension - Personnels enseignants relevant du ministère de l’agriculture - Demandes de mutation - Liste des postes offerts à la mobilité - Liste ne comportant pas tous les postes à pourvoir - Portée limitée des effets d’une procédure jugée « peu convaincante » - Caractère insuffisamment grave et immédiat de l’atteinte portée aux intérêts en cause - Rejet.

Le syndicat requérant demandait en référé la suspension de l’exécution d’une disposition de la note de service du 16 janvier 2020 du ministre de l'agriculture et de l'alimentation relative à la campagne annuelle de mobilité des personnels enseignants et d'éducation de l'enseignement technique agricole public et sous statut " agriculture " de l'enseignement maritime. Il était reproché à cette note de modifier les modalités antérieurement retenues en ce que, à la différence des années précédentes, les agents contractuels sous contrat à durée indéterminée ne voient plus les postes qu'ils occupent systématiquement regardés comme des postes vacants et inscrits comme tels sur la liste des postes offerts à la mobilité des fonctionnaires.

La demande de suspension est rejetée en raison de ses effets limités : ainsi, en 2019, alors que l'ensemble des postes occupés par des agents contractuels sur contrat à durée indéterminée étaient déclarés vacants et ouverts à la mobilité, seuls moins de vingt fonctionnaires ont effectivement été mutés sur de tels postes à rapprocher d'un total de plus de 300 mutations prononcées et d'un effectif total des corps de fonctionnaires concernés de près de 7000 agents.

La suspension est refusé car fait défaut le caractère normalement requis dans le cadre d’un référé suspension, que l’atteinte portée - ici aux intérêts des membres du syndicat requérant - soit suffisamment grave et immédiate.

Le juge relève qu’il en est ainsi - on notera le caractère inhabituel de cette formulation - « alors même que les justifications invoquées par l'administration quant aux conséquences dommageables qu'emporterait une suspension de l'exécution de la note de service litigieuse n'apparaissent guère convaincantes ».

(Ord. réf. 3 février 2020, Syndicat national de l'enseignement technique agricole public-Fédération syndicale unitaire (SNETAP-FSU), n° 347892)

 

20 - Action en responsabilité dirigée contre l’État du fait de dommages subis par suite de crimes ou délits commis à force ouverte ou par violence - Rattachement aux dispositions de l’art. R. 312-14 CJA - Compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel s’est produit le fait générateur du dommage - Attribution du jugement du litige en ce sens.

Les actions indemnitaires fondées sur les dispositions  du premier alinéa de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure selon lesquelles :  « L'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens » relèvent, en vertu du 2° de l'article R. 312-14 CJA, de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le lieu où s'est produit le fait générateur du dommage.

 (12 février 2020, Société JC Decaux France, n° 436603)

 

21 - Recours en exécution d’une décision du juge administratif (art. L. 911-4 CJA) - Référé liberté (art. L.521-2 CJA) - Cumul - Possibilité - Conditions - Rejet.

Rappel qu’il est toujours possible à un justiciable de saisir le juge administratif à la fois d’une requête en exécution d’une décision de justice jusque-là inexécutée (L. 911-4 CJA) et d’un référé liberté (art. L. 521-2 CJA) dès lors que ce dernier lui permet d’atteindre un résultat identique. Toutefois, comme toujours en cas de cumul de procédures accélérées ou d’urgence, le requérant doit satisfaire cumulativement aux conditions propres à chacune des voies contentieuses qu’il a adoptées.

Il n’y a plus urgence lorsque la date limite pour obtenir une décision ou effectuer une démarche est expirée. C’était le cas ici s’agissant de demandes d’attestations de domicile en vue de l’inscription sur les listes électorales dès lors que le référé intenté à cette fin a été introduit postérieurement à l’expiration du délai légal pour s’inscrire.

(Ord. réf. 14 février 2020, M. X., n° 438277)

 

22 - Droit d’asile - Recours de l’art. L. 512-1 CESEDA - Référé suspension et référé liberté (art. L. 521-1 et L. 521-2 CJA) - Cumul des deux sortes de recours possible - Non-lieu partiel et annulation de l’ordonnance pour le surplus.

Commet une erreur de droit le juge des référés qui, pour  juger irrecevables les conclusions de l’intéressé présentées sur le fondement de l'article L. 521-1 du CJA et tendant à ce que soit ordonnée la suspension de l'exécution d’un arrêté préfectoral  refusant de lui renouveler son certificat de résidence, retient que celui-ci avait, par une autre requête présentée devant le même tribunal, formé un recours sur le fondement de l'article L. 512-1 du CESEDA pour demander l'annulation de cet arrêté, alors que ce recours constitue une procédure spéciale exclusive de celles prévues par le livre V du code de justice administrative.

Le Conseil d’État considère que, contrairement à ce raisonnement, les dispositions de l'article L. 512-1 du CESEDA, qui prévoient que le recours devant le juge administratif a un effet suspensif sur la seule obligation de quitter le territoire français dont peut être assorti un refus de séjour ou un refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour, n'ont ni pour objet ni pour effet de priver les requérants de la possibilité de présenter une demande de suspension à l'encontre de la décision de refus de séjour ou de refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour dans les conditions énoncées aux articles L. 521-1 (référé-suspension) et L. 521-2 (référé-liberté) du CJA.

L’ordonnance est annulée et, constatant la réunion des deux conditions exigées pour l’octroi d’une suspension par l’effet de l’art. L. 521-1 CJA, le Conseil d’État l’accorde.

(17 février 2020, M. X., n° 433503)

 

23 - Exécution des décisions de justice - Condamnation au paiement d’une somme d’argent - Inexécution - Exception de prescription quadriennale - Comptable refusant de payer sans ordonnancement préalable - Annulation avec injonction.

Encore un litige comme on ne devrait pas en voir.

Une décision du Conseil d'État rendue le 23 février 2009 a, à la fois, annulé des dispositions d’une note de la direction générale des impôts, relative aux demandes de révision de la notation des agents des catégories A, B et C et mis à la charge de l'État le versement au demandeur de la modeste somme de 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Une autre décision du Conseil d’État, du 6 mars 2009, rendue sur nouveau recours du requérant, a annulé diverses dispositions de plusieurs instructions du directeur général des impôts relatives à l'évaluation et à la notation des agents, et mis à la charge de l'État le versement au requérant de la somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une demande formée le 14 décembre 2018, le requérant a à nouveau saisi le juge car, à cette date, l'État ne lui avait pas encore versé les sommes qui lui étaient dues en exécution des deux décisions susrappelées.

L’administration tentait de s’opposer aux prétentions de l’intéressé en soulevant l’exception de prescription quadriennale. Le Conseil d’État rejette cette argumentation et règle la question de l’exécution des décisions qu’il a rendues.

Tout d’abord, il résulte des dispositions du second alinéa de l’art. 7 de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics que : « (...) En aucun cas, la prescription ne peut être invoquée par l'administration pour s'opposer à l'exécution d'une décision passée en force de chose jugée ». Tel était la situation de l’espèce, d’où l’impossibilité pour l’administration de se prévaloir de cette exception.

Ensuite, s’agissant des mesures d’exécution, le juge, après avoir rappelé les dispositions de  l'article L. 911-9 du CJA (" Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné l'État au paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice./ (...) A défaut d'ordonnancement dans les délais mentionnés aux alinéas ci-dessus, le comptable assignataire de la dépense doit, à la demande du créancier et sur présentation de la décision de justice, procéder au paiement "), relève qu’en principe n’est pas recevable  une demande tendant à ce que le juge prenne des mesures pour assurer l'exécution de cette décision. En effet, cet article permet à la partie gagnante, en cas d'inexécution d'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée, d'obtenir du comptable public assignataire le paiement de la somme que l'État est condamné à lui verser à défaut d'ordonnancement dans le délai prescrit.

Cependant, il en va autrement lorsque - comme c’était le cas en l’espèce - le comptable public assignataire, bien qu'il y soit tenu, refuse de procéder au paiement.

C’est pourquoi, le juge ordonne au ministre de l'action et des comptes publics de procéder au paiement des sommes dues, assorties des intérêts au taux légal, dans le délai d'un mois avec astreinte de cinquante euros par jour de retard, jusqu'à la date à laquelle les décisions auront reçu exécution.

Onze ans ! Il aura fallu onze ans et trois recours en Conseil d’État pour obtenir le règlement de 300 euros devenus progressivement 2100 euros… Ce n’est pas acceptable. Espérons que la juridiction financière sera saisie, qu’il y aura des sanctions et que sera reconnue la faute personnelle, du comptable et du ministre, entièrement détachable du service.

(12 février 2020, M. X., n° 432598)

 

24 - Exécution des décisions de justice - Absence d’indications sur les mesures d’exécution à prendre - Office du juge de l’exécution - Date à laquelle il statue - Prise en compte des motifs soutiens nécessaires du jugement à exécuter - Interdiction de trancher un litige distinct de celui faisant l’objet du jugement à exécuter - Cassation partielle sans renvoi.

Le demandeur a obtenu l’annulation de la décision par laquelle le président de la communauté de communes du Val de Sarthe a modifié sa fiche de poste d'assistant territorial d'enseignement artistique principal de 2ème classe. Il a sollicité ensuite - et obtenu - le prononcé d’une injonction à ladite communauté de communes d’exécuter ce jugement ; celui-ci est confirmé en appel.

La communauté défenderesse se pourvoit et obtient gain de cause.

Cette affaire concerne le cas particulier, très fréquent, où la juridiction, tout en annulant une décision, ne précise pas quelles mesures d’exécution en découlant nécessairement doivent être prises. En ce cas, l’art. L. 911-4 du CJA confie au juge de l’exécution le soin de définir ces mesures. Le Conseil d’État apporte deux séries de précisions à cet égard, l’une positive, les deux autres négatives.

Positivement, le juge de l’exécution doit, dans la définition qu’il donne des mesures d’exécution, tenir compte des situations de droit et de fait existant à la date de sa décision.

Négativement, le juge de l’exécution ne doit ni méconnaître l'autorité qui s'attache aux motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle dont l'exécution lui est demandée, ni prononcer des mesures d’exécution que n'impliquait pas nécessairement le dispositif du jugement. En ce second cas, il trancherait en réalité un litige distinct de celui fondant sa saisine en tant que juge de l’exécution.

Tel était le cas en l’espèce, d’où la cassation sans renvoi qui est prononcée.

(24 février 2020, Communauté de communes du Val de Sarthe, n° 429539)

 

25 - Saisine du juge de cassation après qu’un précédent pourvoi n’a pas été admis - Saisine du juge de cassation après expiration du délai du pourvoi en cassation - Conclusions portant atteinte à l’autorité de chose jugée - Conclusions manifestement irrecevables - Rejet.

Par un arrêt du 3 avril 2015 une cour administrative d'appel s'est prononcée sur les conclusions de l'association Anti-G relatives à la cession par Réseau ferré de France à la commune de Dinard, puis par la commune de Dinard à la société Eiffage, des parcelles situées sur l'emprise du chemin de fer Dinan - Dinard et sur l'emprise de l'ancienne gare de Dinard. Le pourvoi en cassation de l'Association Anti-G contre cet arrêt n'a pas été admis par une décision du Conseil d'État n° 394135 en date du 28 juillet 2017.

Les conclusions, ayant le même objet, dont cette association saisit à nouveau le Conseil d'État, présentées en méconnaissance de l'autorité de la chose jugée, doivent être regardées comme manifestement irrecevables. Elles ne peuvent dès lors qu'être rejetées.

De plus, ces conclusions sont identiques à celles qui ont été rejetées par un jugement du 6 juillet 2018, confirmé par une ordonnance du 15 mai 2019, devenue définitive faute de pourvoi en cassation dans les deux mois de sa notification à l'association requérante, le 16 mai 2019. Elles sont donc présentées en méconnaissance de l'autorité de la chose jugée et doivent de plus fort être rejetées car manifestement irrecevables.

(13 février 2020, Association Anti-G, n° 430845)

 

26 - Question préjudicielle sur renvoi d’une juridiction judiciaire en appréciation de la validité d’un acte administratif - Pouvoir et office du juge administratif du renvoi - Distinction selon que le juge judiciaire a ou n’a pas précisé le(s) moyen(s) au soutien de sa décision de renvoi.

Rappel d’une jurisprudence constante réitérée en ces termes :

« (…) en vertu des principes généraux relatifs à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, il n'appartient pas à la juridiction administrative, lorsqu'elle est saisie d'une question préjudicielle en appréciation de validité d'un acte administratif, de trancher d'autres questions que celle qui lui a été renvoyée par l'autorité judiciaire. Il suit de là que, lorsque la juridiction de l'ordre judiciaire a énoncé dans son jugement le ou les moyens invoqués devant elle qui lui paraissent justifier ce renvoi, la juridiction administrative doit limiter son examen à ce ou ces moyens et ne peut connaître d'aucun autre, fût-il d'ordre public, que les parties viendraient à présenter devant elle à l'encontre de cet acte. Ce n'est que dans le cas où, ni dans ses motifs ni dans son dispositif, la juridiction de l'ordre judiciaire n'a limité la portée de la question qu'elle entend soumettre à la juridiction administrative, que cette dernière doit examiner tous les moyens présentés devant elle, sans qu'il y ait lieu alors de rechercher si ces moyens avaient été invoqués dans l'instance judiciaire ».

(24 février 2020, Association Inter-Rhône, n° 426867 ; v. aussi, du même jour : Interprofession des vins de Loire (InterLoire), n° 431255)

 

27 - Forme des décisions de justice - Lecture des décisions - Cour nationale du droit d’asile - Indications relatives à la date de lecture - Existence de dates contradictoires - Annulation.

Rappel d’un grand classique relatif à la forme des décisions de justice.

Ayant constaté que tant la minute que l'expédition d’une décision de la Cour nationale du droit d'asile comportent des indications contradictoires quant à sa date de lecture, le juge de cassation, qui n’est ainsi pas mis en mesure d'exercer son contrôle sur la régularité de ladite décision, en prononce la cassation. 

(12 février 2020, M. X., n° 429771)

 

28 - Chirurgiens-dentistes - Cession de parts d’un cabinet dentaire - Refus du conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes d’autoriser les modifications statutaires - Saisine directe du juge administratif impossible - Absence de recours préalable devant les instances ordinales supérieures - Rejet.

(Ord. réf. 4 février 2020, Société Cabinet 21 Libération, n° 437713) V. n° 123

 

29 - Référé suspension (art. L. 521-1 CJA) - Appréciation de la condition d’urgence - Existence malgré la circonstance que l’activité litigieuse est menée sans l’autorisation requise - Existence d’au moins un moyen de nature à créer un doute sérieux - Cassation sans renvoi.

La société requérante demandait la suspension de l'exécution de l'arrêté préfectoral ordonnant qu'elle suspende la mise sur le marché et la commercialisation des insectes (grillons et vers de farine) et produits à bases d'insectes destinés à la consommation humaine jusqu'à mise en conformité avec les dispositions du règlement (UE) n° 2015/2283 du 25 novembre 2015. Sa requête en référé ayant été rejetée en première instance, elle saisit le Conseil d’État.

Concernant l’appréciation de la condition d’urgence, et c’est un apport important de cette ordonnance,  il avait été jugé en première instance que cette condition n’était pas satisfaite en l’espèce car la requérante était elle-même à l'origine de la situation financière désastreuse qu’elle dénonçait au soutien de son recours en ayant choisi, dans un cadre administratif et juridique incertain, d'exercer son activité avant d'avoir obtenu les autorisations que le juge des référés avait qualifiées de nécessaires.

Ce raisonnement est rejeté ici car le premier juge n’a pas recherché si l'exécution de l'arrêté en cause portait atteinte de façon suffisamment grave et immédiate aux intérêts de la société. Au reste et au surplus, la demanderesse critiquait devant lui l’argument tiré de la nécessité d'obtenir les autorisations en cause. L’ordonnance attaquée est donc annulée.

Concernant l’appréciation de la condition relative au moyen de nature à créer un doute sérieux, le Conseil d’État fait le raisonnement suivant pour l’estimer réalisée ici.

La société demanderesse commercialise des insectes (grillons et vers de farine) et produits à bases d'insectes destinés à la consommation humaine et elle s’est vue ordonner de se mettre en conformité avec les dispositions du règlement (UE) n° 2015/2283 du 25 novembre 2015. Or, saisi d'un moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du règlement du 27 janvier 1997, le Conseil d'État, statuant au contentieux a, par décision en date du 28 juin 2019, (n° 42065)1, sursis à statuer sur une requête jusqu'à ce que la CJUE se soit prononcée sur la difficulté sérieuse d'interprétation que pose l'article 1er, paragraphe 2, point e) de ce règlement quant à la question de savoir si son champ d'application s'étend aux aliments composés d'animaux entiers destinés à être consommés en tant que tels ou ne s'applique qu'à des ingrédients alimentaires isolés à partir d'insectes.

Pour des motifs de la même nature que ceux ayant conduit à prononcer ce renvoi préjudiciel, les moyens tirés - en la présente espèce - de ce que l'arrêté contesté serait entaché d'une erreur de droit au regard de l'article 35, paragraphe 2, du règlement du 25 novembre 2015 et méconnaîtrait le champ d'application du règlement du 27 janvier 1997 sont, en l'état de l'instruction, propres à faire naître un doute sérieux quant à sa légalité, en tant qu'il porte sur les produits mis sur le marché par la société requérante au plus tard le 1er janvier 2018, dès lors qu'il est constant, en l'espèce, qu'une demande d'autorisation, toujours pendante, a été introduite pour les insectes en cause, au titre du règlement du 25 novembre 2015, avant le 2 janvier 2020.

La suspension de l’arrêté préfectoral attaqué est ordonnée, le surplus de la requête étant rejeté.

(Ord. réf . 13 février 2020, SAS EAP Group, n° 423430)

 

30 - Recours en interprétation - Recours en interprétation du dispositif d’une décision du Conseil d’État fixant le montant et déterminant les débiteurs de la somme allouée au titre de l’art. L.761-1 CJA - Conditions de recevabilité de la demande d’interprétation non remplies - Rejet.

Rappel d’une règle bien établie selon laquelle le recours en interprétation d'une décision juridictionnelle n'est recevable que si, d’une part, il émane d'une partie à l'instance ayant abouti au prononcé de la décision dont l'interprétation est sollicitée et, d’autre part, cette décision est obscure ou ambiguë.

Le juge affirme qu’en l’espèce sa décision était dépourvue d’ambiguïté ou d’obscurité et rejette le recours en interprétation tout en interprétant en réalité sa décision initiale qui n’était pas d’une clarté évidente…

(12 février 2020, Mme X., n° 432131)

 

31 - Compétence du Conseil d’État en premier ressort - Actes réglementaires des ministres - Offices notariaux - Déclaration de vacance d’un office - Absence de caractère réglementaire - Renvoi au tribunal administratif de Paris.

Le recours par lequel est contestée la décision ministérielle (justice) constatant la vacance d’un office notarial n’a pas le caractère d’un acte réglementaire et ne relève donc pas de la compétence dérogatoire du Conseil d’État statuant en premier ressort, à la différence de ce qui se produit quand un arrêté interministériel (finances et justice), fixe les zones dans lesquelles les notaires peuvent librement s'installer ainsi que le nombre d'offices à créer dans ces zones pour les deux années à venir, car ce dernier arrêté, à la différence du précédent, est relatif à l'organisation du service public notarial.

Le dossier est renvoyé au tribunal administratif, compétent en vertu des dispositions de l’art. R. 312-10 du CJA.

(12 février 2020, M. X., n° 418880)

 

32 - Marché public de travaux - Offre rejetée - Inexistence d’une prime en cas rejet d’offre - Affirmation erronée - Dénaturation des stipulations du règlement d’un concours d’architecture et d’ingénierie - Cassation avec renvoi à la cour.

Dénature les stipulations du règlement d’un concours d’architecture et d’ingénierie organisé en vue de l'attribution du marché de maîtrise d'œuvre de la restructuration et de l'extension d’un  collège, et encourt donc la cassation de son arrêt, la juridiction qui décide qu’un concurrent dont l’offre n’a pas été retenue ne peut percevoir une prime au titre de sa participation au concours alors qu’il résulte des termes mêmes du règlement du concours qu'en ce cas, il appartient au maître d'ouvrage, sur proposition du jury, de déterminer s'il convient de  verser la prime, de la réduire ou de la supprimer.

(10 février 2020, Société Marc Dalibard - Société d'architecture, n° 429227 ; v. aussi, à propos de cette opération de restructuration/extension, du même jour, la décision, confirmant l’arrêt d’appel sur un autre aspect du litige : Sociétés A5A Architectes, AI Project et Cosyrest, n° 429229 )

 

33 - Référé suspension - Appréciation de la condition d’urgence - Présomption d’urgence Retrait d’une commune d’une communauté de communes - Absence de présomption d’urgence - Rejet.

Dans le cadre d’un référé suspension, la condition d'urgence doit être regardée comme étant, en principe, remplie lorsqu'un arrêté préfectoral a pour objet de modifier la répartition des compétences entre une collectivité territoriale et un groupement de collectivités territoriales ou entre deux groupements de collectivités territoriales (30 décembre 2009, Syndicat intercommunal à vocation unique de gestion du centre social intercommunal rural, n° 328184).

En revanche, une telle présomption d’urgence n’existe pas s'agissant de l'exécution d'un arrêté préfectoral pris sur le fondement de l'article L. 5214-26 du CGCT, autorisant une commune à se retirer d'une communauté de communes pour adhérer à un autre établissement public de coopération intercommunale (EPCI), lequel emporte seulement modification du périmètre géographique de la communauté de communes.

Il appartient donc à la demanderesse de démontrer l’urgence à statuer.

(Ord. réf. 7 février 2020, Communauté de communes Cœur d'Ostrevent, n° 428919)

 

34 - Impôts et taxes - Demande de décharge de rappels de taxe d'apprentissage, de contribution au développement de l'apprentissage et de participation des employeurs à l'effort de construction - Reprise en appel des conclusions de première instance - Conditions et effets - Absence des précisions nécessaires - Rejet.

Rappel qu’il incombe au requérant, tant en première instance qu'en appel, d'assortir ses moyens des précisions nécessaires à l'appréciation de leur bien-fondé.

Il suit de là que le juge d'appel n'est pas tenu d'examiner un moyen que l'appelant se borne à déclarer reprendre en appel sans l'assortir des précisions nécessaires.

En l’espèce la société requérante, si elle a déclaré demander la réformation du jugement du tribunal administratif par tous les moyens qu'elle avait développés en première instance, n'a ni cité le moyen tiré de l'opposabilité d'une prise de position administrative sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, ni joint à sa requête d'appel une copie de ses écritures de première instance qui contenaient ce moyen ainsi que les éléments nécessaires à l'appréciation de son bien-fondé.

Par suite, en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas davantage entaché son arrêt d'insuffisance de motivation.

(5 février 2020, SA Réserve africaine de Sigean, n° 416307)

 

35 - Autorisation d’exploiter des terres agricoles - Autorisation donnée à un GAEC (Groupement agricole d’exploitation en commun) et refusée à un autre sollicitant cette autorisation pour une superficie plus petite - Intérêt pour agir lié à la qualité de demandeur en autorisation de cumul d’exploitations agricoles - Existence en l’espèce - Rejet du pourvoi.

Est rejeté le pourvoi du ministre de l’agriculture contestant l’admission de l’intérêt pour agir d’un GAEC à l’encontre d’un arrêté préfectoral autorisant un autre GAEC à exploiter de nouvelles terres pour une superficie plus grande que celle qu’il avait lui-même demandée.

Le juge rappelle qu’ « Un exploitant qui a demandé une autorisation d'exploiter une ou plusieurs parcelles sur des terres en application des dispositions (…) de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime justifie d'un intérêt lui donnant qualité à agir contre l'autorisation donnée à un autre exploitant d'exploiter des parcelles sur ces terres, même s'il ne s'est porté candidat que pour une partie des parcelles qui font l'objet de l'autorisation. »

La solution est on ne peut plus logique.

(5 février 2020, Ministre de l'agriculture et de l'alimentation, n° 418970, v. aussi, du même jour, la décision précisant que le propriétaire de parcelles agricoles sur lesquelles a été donnée à une autre personne une autorisation d’exploitation n’a d’intérêt pour agir qu’au titre des seules terres dont il est propriétaire, à l’exclusion d’autres terres : M. X. et autres, n° 419790)

 

36 - Délai du recours contentieux - Jurisprudence Czabaj - Application à une décision implicite de rejet - Régime procédural - Cassation.

Le principe de sécurité juridique, selon lequel  le délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d'une décision ne peut exercer de recours juridictionnel, qui ne peut en règle générale excéder un an sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, est également applicable à la contestation d'une décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur une demande présentée devant elle, lorsqu'il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision.

Le juge précise deux choses.

Tout d’abord, la preuve d'une telle connaissance ne saurait résulter du seul écoulement du temps depuis la présentation de la demande.

Ensuite, cette preuve peut en revanche résulter de ce qu'il est établi, soit que l'intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d'une décision implicite lors de la présentation de sa demande, soit que la décision a par la suite été expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l'administration, notamment à l'occasion d'un recours gracieux dirigé contre cette décision.

Le demandeur, s'il n'a pas été informé des voies et délais de recours dans les conditions prévues par les textes (cf. loi du 12 avril 2000, art. 21 et art. R. 421-2 et R. 421-5 du CJA), dispose alors, pour saisir le juge, d'un délai raisonnable qui court, dans la première hypothèse, de la date de naissance de la décision implicite et, dans la seconde, de la date de l'événement établissant qu'il a eu connaissance de la décision.

(13 février 2020, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 424595)

 

37 - Expertise - Allocation provisionnelle sur honoraires de l’expert - Refus de la partie concernée - Constat de carence - Existence d’une liste des pièces à fournir - Pièces effectivement fournies - Rejet de l’appel - Cassation partielle et renvoi.

Cette décision est relative au litige né d’un arrêté préfectoral ayant prononcé la fermeture totale et définitive, valant retrait d'autorisation, d’un établissement d'accueil collectif non permanent d'enfants de moins de six ans.

Pour des raisons de procédure non contentieuse le tribunal administratif, sur recours de l’association gestionnaire et des époux X., gérants de la structure, a annulé cet arrêté ; en appel ce jugement a été annulé pour irrégularité et la cour a estimé établi le lien de causalité entre la faute commise par le préfet et le préjudice invoqué par les demandeurs. Par un second arrêt, estimant ne pas disposer, en l'état de l'instruction, des éléments lui permettant de se prononcer sur le montant des préjudices invoqués, la cour a désigné un expert en mettant à la charge de M. et Mme X. une allocation provisionnelle sur frais d’expertise d’un montant de 6 480 euros. Ces derniers ont indiqué, en appuyant leurs dires de pièces justificatives, qu'ils n'avaient pas les moyens de s'acquitter de cette somme, pas davantage que du montant total de l'expertise, estimé à 27 540 euros et ont fait valoir qu'ils n'avaient pas réclamé cette expertise, qui portait sur le préjudice de l'association et non sur le leur, et qu'ils n'étaient pas, en vertu de l'avant dire droit, la partie perdante, ils ont sollicité du président de la juridiction qu'il prenne en compte leur situation particulière et réforme son ordonnance.

Ils ont été mis en demeure de verser sous un mois l'allocation provisionnelle aux fins d'expertise et, aucun versement n'ayant été effectué à l'expiration de ce délai, l'expert a rendu un rapport de carence. La cour, par un second arrêt, a rejeté les conclusions aux fins d'indemnisation des chefs de préjudice compris dans la mission d'expertise et alloué, au titre des chefs de préjudice non compris dans la mission d'expertise, une indemnité de 1000 euros aux époux X.

 Maître Y., mandataire liquidateur de l'AFGED, et M. et Mme X. se pourvoient en cassation contre cet arrêt.

Le Conseil d’État décide que si la cour devait tirer les conséquences du rapport de l'expert constatant les diligences accomplies et la carence résultant de l'absence de versement de l'allocation provisionnelle, il lui appartenait néanmoins de statuer sur les conclusions dont elle demeurait saisie au vu de l'ensemble des éléments recueillis dans le cadre de l'instruction menée devant elle, jusqu'à la clôture de cette instruction.

Appliquant cette ligne interprétative à l’affaire pendante devant lui, le Conseil d’État relève qu’il  ressort des pièces du dossier de la cour que, après que l'expert eut renoncé à poursuivre sa mission en l'absence de versement de l'allocation provisionnelle, le rapport qu'il a remis à la cour mentionnait, outre le constat de carence, au titre des diligences qu'il avait effectuées, la liste des pièces qu'il avait estimé nécessaires à l'exercice de sa mission et que M. et Mme X., à la suite du dépôt de ce rapport, ont versé au dossier de la procédure devant la cour.

Le Conseil d’État juge, en conséquence, que les requérants sont, en l'espèce, fondés à soutenir que la cour a insuffisamment motivé sa décision en se bornant à relever qu'ils n'avaient pas permis, de leur fait, la réalisation de l'expertise pour en déduire qu'ils n'avaient pas mis la cour en mesure d'apprécier le bien-fondé de leurs prétentions.

(26 février 2020, M. et Mme X. et Maitre Y., mandataire liquidateur de l’Association formation gestion et développement (AFGED), n° 423960)

 

38 - Référé suspension - Demande de suspension d’un décret du 30 décembre 2019 entrant en vigueur le 1er janvier 2020 ou de prise de toute mesure transitoire utile - Décret relatif aux marchés passés par les conseils nationaux des ordres des professions de santé - Rejet.

Le Conseil national de l’ordre des médecins demandait :

- d’une part, la suspension de l'exécution du décret n° 2019-1529 du 30 décembre 2019 relatif aux marchés passés par les conseils nationaux des ordres des professions de santé, en tant qu’il fixe l'entrée en vigueur de ses dispositions au 1er janvier 2020 sans instituer de mesures transitoires permettant aux conseils nationaux des ordres des professions médicales, pharmaceutiques et paramédicales de s'adapter à la nouvelle réglementation et qu’il ne prévoit ni n'organise les conditions du recours de ces conseils aux centrales d'achats déjà constituées ;

- et d’autre part, qu’injonction soit faite aux auteurs du décret : 1) de modifier l'article 4 du titre 4 du décret relatif aux dispositions finales, afin de repousser l'entrée en vigueur du décret à une date, qui ne peut correspondre à un délai inférieur à six mois à compter du 1er janvier 2020, permettant au Conseil national de l'ordre des médecins de lancer les procédures de passation nécessaires à la conclusion de ses contrats, soit de prendre toute autre mesure provisoire qui serait le mieux à même de préserver la sécurité juridique des contrats du Conseil national de l'ordre des médecins ; 2) de prévoir la possibilité pour les conseils nationaux des ordres concernés d'adhérer à une centrale d'achats dans les conditions prévues par les articles L. 2113-2 à L. 2113-4 du code de la commande publique.

Pour rejeter l’ensemble ce recours le juge des référés du Conseil d’État relève, d’abord, que ce décret ne s’applique qu’aux contrats conclus à compter du 1er janvier 2020, non à ceux conclus à compter du 1er janvier 2020 pour lesquels une consultation ou un avis d'appel à la concurrence a été réalisé avant cette date ni, s'agissant des contrats faisant l'objet d'un renouvellement par tacite reconduction, à ceux dont le délai de dénonciation était échu au 1er janvier 2020.

Il constate ensuite que, compte tenu des précisions apportées lors de l'audience publique par le ministre de la santé sur l'objet des contrats en cause et sur la nature exacte des difficultés concrètes auxquelles le Conseil national affirme être confronté, qui n'apparaissent pas telles qu'elles le mettraient dans l'impossibilité de se conformer aux dispositions issues du décret attaqué sans porter atteinte au bon fonctionnement des missions dont il a la charge, il ne résulte pas de l'instruction que l'exécution du décret en cause porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à la situation du Conseil national et aux intérêts qu'il invoque.

Ce rejet parait un peu excessif alors qu’une mesure transitoire d’une durée raisonnable eût apaisé les esprits et évité un tel contentieux surtout en l’état d’une telle précipitation normative.

(Ord. réf. 28 février 2020, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 438405)

 

39 - Procédure contentieuse - Conclusions du rapporteur public - Information sur le sens de ces conclusions - Mention irrégulière car ne permettant pas d’en savoir la teneur (art. R. 711-3 CJA) - Cassation de l’arrêt rendu et renvoi.

Avant l’audience sur une affaire, un rapporteur public devant un cour administrative d’appel porte en ces termes à la connaissance des parties le sens de ses conclusions : « Annulation partielle du jugement.  Réformation partielle du jugement ».

Le juge estime - fort justement - que cette formulation, en ne permettant pas de savoir la teneur de ces conclusions, porte atteinte à l’objectif poursuivi par la communication préalable du sens des conclusions. En l’espèce, elle ne permettait pas de connaître la position du rapporteur public sur le montant précis de l'indemnisation qu'il proposait de mettre à la charge d’une communauté de communes au bénéfice du liquidateur judiciaire de la société Les Compagnons Paveurs et ne satisfaisait donc pas aux prescriptions de l'article R. 711-3 du CJA.

Alors même que l'avocat du liquidateur, présent à l'audience, ne s'est plaint de l'imprécision de cette mention ni dans les observations orales qu'il a présentées à la suite des conclusions du rapporteur public ni dans une note en délibéré, l'arrêt de la cour administrative d'appel a été rendu au terme d'une procédure irrégulière, l'exigence posée par l'article R. 711-3 du CJA étant prescrite à peine d'irrégularité de la procédure.

(10 février 2020, M. X., liquidateur judiciaire de la société Les Compagnons Paveurs, n° 427282)

 

40 - Procédure contentieuse - Notification irrégulière d’une décision individuelle - Délai raisonnable de recours (jurisprudence Czabaj) - Traitement procédural des recours formés hors du délai raisonnable - Application combinée de l’art. R. 222-1 et du second alinéa de l’art. R. 611-7 du CJA - Rejet.

Dans le cadre d’un recours dirigé par un fonctionnaire de l’administration fiscale contre deux arrêtés ministériels, l’un le nommant dans le grade d'inspecteur départemental de première classe, 3ème échelon, et l’autre le reclassant dans le grade d'inspecteur divisionnaire des finances publiques hors classe, 3ème échelon, est posée la question du délai raisonnable de saisine du juge en cas de notification d’une décision individuelle ne comportant pas mention des voies et délais de recours (R. 421-5 CJA) ou en cas d’absence de preuve que cette information a été donnée.

Après avoir rappelé, conformément à la jurisprudence Czabaj (Assemblée, 13 juillet 2016, n° 387763), qu’il appartient au requérant qui entend contester devant le juge une décision administrative individuelle dont il a eu connaissance depuis plus d'un an, de faire valoir, le cas échéant, que, dans les circonstances de l'espèce, le délai raisonnable dont il disposait pour la contester devait être regardé comme supérieur à un an.

Faute pour le requérant de pouvoir invoquer, et le cas échéant, de prouver ces circonstances particulières, le Conseil décide que la requête ainsi introduite « peut être rejetée par ordonnance comme manifestement irrecevable, sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, sans que le requérant soit invité à justifier de sa recevabilité. » On ne pouvait guère imaginer solution plus expéditive.

Les juges du fond sont approuvés d’avoir jugé qu’ayant eu connaissance des arrêtés litigieux et de leur contenu précis au plus tard en mars et septembre 2011, le requérant avait excédé le délai raisonnable ouvert par la faculté Czabaj quand il a saisi le juge administratif le 18 juin 2014. C’est donc à bon droit que ce dernier a usé de la procédure prévue à l’art. R. 222-1 précité, du rejet des recours par voie d’ordonnance.

Pour faire bonne mesure, le Conseil d’État ajoute qu’en ce cas le relèvement d’office d’un moyen par le juge a lieu sans en informer le requérant (Cf. le second alinéa de l’art. R. 611-7 du CJA).

(10 février 2020, M. X., n° 429343)

 

41 - Militaires - Fonds de prévoyance militaire et de l'aéronautique - Litige portant sur le versement d’une allocation par ce Fonds - Compétence pour en connaitre - Absence de solution dérogatoire - Compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel a son siège la personne publique qui a pris la décision litigieuse.

(28 février 2020, M. X., n° 427529) V. n° 90

 

42 - Référé suspension - Appréciation de la condition d’urgence - Appréciation de l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée - Annulation de l’ordonnance de référé.

Le requérant, ouvrier dans un centre hospitalier et y disposant d’un logement, a fait l’objet, pour avoir injurié et menacé un infirmier, d’une mesure de révocation entrainant la perte du logement qui lui avait été concédé.

Invoquant la modestie de ses ressources et la gravité des conséquences économiques de ces deux décisions, il a demandé, en vain, au tribunal administratif la suspension de leur exécution.

Le Conseil d’État juge d’abord que c’est au prix d’une dénaturation des pièces du dossier que le juge des référés a refusé d’apercevoir une urgence alors que l’intéressé, dont les revenus sont modestes, s’est vu privé instantanément d’emploi et de logement.

Par ailleurs, un doute sérieux pèse sur la légalité d’une mesure de sanction hors de proportion avec la faute commise.

La suspension est accordée.

(Ord. réf. 10 février 2020, M. X., n° 430806)

 

43 - Désistement - Désistement d’office du requérant n’ayant pas répondu à une demande de confirmer ses conclusions - Contestation de ce désistement en appel - Office du juge d’appel - Étendue du contrôle du juge de cassation - Rejet.

Reprenant mot pour mot le point-clé d’une décision de principe relative au désistement d’office du requérant qui n’a pas répondu à la demande de production d’un mémoire récapitulatif (R. 611-8-1 CJA et 22 novembre 2020, Société SMA, n° 420067), le Conseil d’État juge pareillement ici, s’agissant du désistement d’office du requérant n’ayant pas répondu à une demande de confirmation de ses conclusions (R. 612-5-1 CJA) : «  À l'occasion de la contestation en appel de l'ordonnance prenant acte du désistement d'un requérant en l'absence de réponse à l'expiration du délai qui lui a été fixé, il incombe au juge d'appel, saisi de moyens en ce sens, de vérifier que l'intéressé a reçu la demande mentionnée par les dispositions de l'article R. 612-5-1 du code de justice administrative, que cette demande fixait un délai d'au moins un mois au requérant pour répondre et l'informait des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai et que le requérant s'est abstenu de répondre en temps utile et d'apprécier si le premier juge, dans les circonstances de l'affaire, a fait une juste application des dispositions de l'article R. 612-5-1 ».

Semblablement, il rappelle que le juge de cassation ne peut remettre en cause cette dernière appréciation que dans le cas où il estime, au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, qu'il a été fait un usage abusif de la faculté ouverte par ces dispositions.

Il s’ensuit qu’en l’espèce c’est dans le respect de son office et sans erreur de droit que la cour a jugé que le premier juge, dans les circonstances de l'affaire, n'avait pas fait une juste application des dispositions de l'article R. 612-5-1.

(12 février 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 421219)

 

44 - Fonctionnaire irrégulièrement évincé de son emploi - Demande d’annulation de la mesure - Demande de réparation pécuniaire des conséquences dommageables en résultant - Litige distinct non soumis à la juridiction - Demande d’exécution ne pouvant se rapporter qu’à la demande d’annulation - Rejet.

L’éviction d’un enseignant de son emploi ayant été jugée irrégulière par la juridiction saisie d’un recours en annulation dirigé contre cette éviction, l’intéressé avait sollicité du juge qu’il ordonne l’exécution de son jugement (art. L. 911-4 CJA). Celui-ci ne portant que sur l’annulation de l’arrêté rectoral litigieux, le demandeur n’est pas fondé à se plaindre de ce que l’exécution n’ait pas été ordonnée s’agissant des conséquences pécuniaires de l’irrégulière éviction ceci constituant un autre litige. Ainsi que le rappelle sobrement le Conseil d’État : « un agent public irrégulièrement évincé a droit, non pas au versement du traitement dont il a été privé, mais à la réparation du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre ».

(12 février 2020, M. X., n° 416007)

 

Contrats

 

45 - Conditions de formation des contrats - Conventions de raccordement au réseau public des installations d’électricité photovoltaïque - Défaut de signature des conventions mais signature des chèques les accompagnant - Application de la théorie de l’émission non de celle de la réception - Rejet.

Dans un litige entre la société EDF et un fournisseur d’électricité d’origine photovoltaïque avec lequel elle refuse de conventionner en vue d’un raccordement au réseau public, le Conseil d’État donne deux intéressantes précisions, l’une de bon sens, l’autre plus doctrinale.

En premier lieu, le fournisseur avait omis de signer les conventions envoyées à EDF mais avait signé les chèques les accompagnant : le juge a considéré cet envoi - et il doit en être approuvé - comme valant notification régulière à EDF de son acceptation de la proposition, antérieure, de raccordement.

En second lieu, et alors que se posait une question de date limite fixée au 1er décembre, le juge applique la théorie de l’émission pour dire conclue la convention à la date du 1er décembre, qui est celle de l’envoi de l’acceptation, et non à celle du 6 décembre, date de la réception par EDF de ladite acceptation.

En droit privé un immense débat a opposé les tenants respectifs de l’une ou de l’autre théorie : émission ou réception ? Aujourd’hui la question est tranchée par l’art. 1121 du Code civil (ordonnance du 10 février 2016, art. 2) qui retient la théorie de la réception en ces termes : « Le contrat est conclu dès que l'acceptation parvient à l'offrant. Il est réputé l'être au lieu où l'acceptation est parvenue. »

Le Conseil d’Etat n’a visiblement pas opté pour cette solution. Reste cependant à savoir s’il ne s’agit ici que d’une décision d’espèce ou, au contraire, de la position générale du juge administratif. En ce cas, il faudrait démontrer l’intérêt qu’il y a en cette matière à s’éloigner de la solution retenue par le Code civil. Le droit administratif n’est pas indépendant du droit civil mais seulement autonome par rapport à lui, ce qui oblige, en chaque cas, à justifier la mise à l’écart des dispositions du Code civil (En ce sens, les conclusions de René Rivet sur 25 novembre 1921, Savonneries Henri Olive, RDP 1922 p. 107).

(5 février 2020, Société EDF, n° 420753 ; v. cependant, du même jour, la solution contraire retenue lorsqu’une société demande la conclusion d'un contrat de raccordement au réseau public de distribution d'électricité auprès de la société Électricité Réseau de France (ERDF) et non, contrairement à ce qu'elle soutient, la conclusion d'un contrat d'achat avec la société EDF, les deux sortes de contrats ayant un objet distinct ; idem en cas de non-respect des dates de déclenchement des dispositions tarifaires applicables : Société EDS Cay, n° 422682)

 

46 - Marché public - Candidat évincé - Attribution du marché prétendue non conforme au droit de l’Union - Notion de « dispositif médical » - Présence en l’espèce - Qualification inexacte des faits - Cassation avec renvoi.

Candidate évincée de la procédure - conduite par un CHU - d’un marché public de " location-vente d'une enceinte blindée automatisée avec la maintenance pour la préparation de doses de radio isotopes de haute énergie et l'injection au patient, et fourniture de consommables associés ", la société requérante demande l’annulation de ce marché en ce qu’il ne respecte pas la réglementation européenne régissant les dispositifs médicaux et un euro symbolique de dommages-intérêts.

Sa demande a été rejetée au motif qu'elle ne pouvait pas contester la validité du marché attribué à une autre société en soutenant que l'offre de cette dernière était non conforme faute de marquage CE approprié de plusieurs éléments devant être qualifiés de dispositifs médicaux.

Tout le débat portait donc sur la notion de dispositif médical et sur son application dans le cadre du litige.

Selon l’art. L. 5211-1 du code de la santé, transposant une directive du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux, modifiée par celle du 5 septembre 2007 : « on entend par dispositif médical tout instrument, appareil, équipement, matière, produit, à l'exception des produits d'origine humaine, ou autre article utilisé seul ou en association, y compris les accessoires et logiciels nécessaires au bon fonctionnement de celui-ci, destiné par le fabricant à être utilisé chez l'homme à des fins médicales et dont l'action principale voulue n'est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, mais dont la fonction peut être assistée par de tels moyens. Constitue également un dispositif médical le logiciel destiné par le fabricant à être utilisé spécifiquement à des fins diagnostiques ou thérapeutiques » .

La jurisprudence de la CJUE (7 décembre 2017, Syndicat national de l’industrie des technologies médicales (Snitem), Philips France, aff. C-329/16) est venue préciser dans le point 25 de sa décision « qu’un logiciel qui procède au recoupement des données propres du patient avec les médicaments que le médecin envisage de prescrire et est, ainsi, capable de lui fournir, de manière automatisée, une analyse visant à détecter, notamment, les éventuelles contre‑indications, interactions médicamenteuses et posologies excessives, est utilisé à des fins de prévention, de contrôle, de traitement ou d’atténuation d’une maladie et poursuit en conséquence une finalité spécifiquement médicale, ce qui en fait un dispositif médical  au sens (de la directive de 1993) ». En revanche, « un logiciel qui, tout en ayant vocation à être utilisé dans un contexte médical, a pour finalité unique d’archiver, de collecter et de transmettre des données, comme un logiciel de stockage des données médicales du patient, un logiciel dont la fonction est limitée à indiquer au médecin traitant le nom du médicament générique associé à celui qu’il envisage de prescrire ou encore un logiciel destiné à faire état des contre-indications mentionnées par le fabricant de ce médicament dans sa notice d’utilisation, (ne constitue pas un dispositif médical) » (point 26).

La Cour a, enfin, encore dit pour droit que « si cette disposition prévoit que l’action principale du dispositif médical « dans ou sur le corps humain » ne peut être obtenue exclusivement ni par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, elle n’exige pas qu’un tel dispositif agisse directement dans ou sur le corps humain » (point 28).

Le Conseil d’État en déduit logiquement, appliquant cet argumentaire au cas de l’espèce, s'agissant du matériel nécessaire à la réalisation d'imagerie dans un service de médecine nucléaire, que lorsqu'un matériel est utilisé dans la préparation de solutions pharmaceutiques sans être suivi de l'administration de ces dernières à un patient, il ne peut pas, faute d'action sur le patient, être qualifié de dispositif médical et constitue alors un équipement de fabrication. En revanche, un appareil destiné à mesurer la dose d'un produit radio-pharmaceutique en vue de prévenir ses éventuels effets dangereux au moment de son administration au patient doit être qualifié de dispositif médical. Il en va de même d'un matériel destiné à être intégré au système d'administration de substances radio-pharmaceutiques au patient et qui permet le contrôle de la radioactivité des substances présentes dans le flacon.

En refusant de qualifier de « dispositif médical » l’objet du contrat, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits de l’espèce.

(10 février 2020, Société Lemer Pax, n° 421576)

 

47 - Marché public de travaux - Réclamation au sens de l’art. 50.21 du CCAG applicable au litige - Délai de trois mois non respecté - Contestation des pénalités de retard infligées lors du décompte général et définitif du marché - Refus d’examen pour tardiveté - Erreur de droit - Cassation et renvoi dans cette mesure.

Deux points méritent attention.

La cour est approuvée, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, pour avoir jugé qu’en l’absence de critique de la part du groupement requérant, par son mémoire complémentaire, d’une décision du 5 juillet 2001 rejetant leur réclamation du 25 avril 2001, celui-ci n’avait pas contesté ce rejet dans le délai de trois mois contrairement aux dispositions de l’art. 50.21 du CCAG applicable au litige.

Si la cour, s’agissant des pénalités de retard, est approuvée d’avoir souverainement jugé que les demandes du groupement formulées en 2001 et 2008 tendaient aux mêmes fins, alors même que les montants demandés différaient, elle se voit reprochée une erreur de droit pour avoir jugé que la réclamation adressée par le groupement le 25 avril 2001 pouvait porter aussi sur les pénalités de retard alors que celles-ci n'ont été infligées que lors de l'établissement du décompte général en 2008.

(10 février 2020, Société Eiffage Construction Provence et Société Dumez Méditerranée, n° 422063)

 

48 - Marché public de travaux - Offre rejetée - Inexistence d’une prime en cas rejet d’offre - Affirmation erronée - Dénaturation des stipulations du règlement d’un concours d’architecture et d’ingénierie - Cassation avec renvoi à la cour.

(10 février 2020, Société Marc Dalibard - Société d'architecture, n° 429227 ; v. aussi, à propos de cette opération de restructuration/extension, du même jour, la décision, confirmant l’arrêt d’appel sur un autre aspect du litige : Sociétés A5A Architectes, AI Project et Cosyrest, n° 429229) V. n° 32

 

49 - Agence du numérique en santé - Agence chargée à titre exclusif du programme des systèmes d'information et de télécommunication des services d'aide médicale urgente - Absence de monopole - Finalité impartie à l’Agence - Atteinte au droit des marchés et au droit de la concurrence - Absence - Absence de risque d’abus de position dominante - Rejet.

Un décret du 15 décembre 2015 crée, sous la forme d’un groupement d’intérêt public (GIP), l’Agence nationale des systèmes d'information partagés de santé, devenu Agence du numérique en santé à laquelle est confiée pour dix ans l’exécution d’un programme de modernisation des systèmes d'information et de télécommunication des services d'aide médicale urgente « ayant notamment pour objet » de permettre aux services d'aide médicale urgente (SAMU) (cf. art. L. 6311-2 du code de la santé publique) d'assurer leurs missions, par la mise en place d'une solution à vocation nationale comprenant un service de traitement des appels et de gestion de la régulation médicale, des outils de pilotage de l'activité et de gestion des crises y compris d'ampleur nationale, un interfaçage avec les partenaires, ainsi que des fonctionnalités permettant de garantir l'échange, le partage et la conservation des données de santé dans le respect des règles de confidentialité et de sécurité.

Invoquant diverses illégalités les sociétés requérantes ont sollicité du premier ministre l’abrogation de ce décret et elles attaquent donc son refus implicite d’accéder à leur demande.

Le Conseil d’État rappelle tout d’abord qu’en vertu d’une jurisprudence désormais constante - qui nous semble toujours aussi discutable -, il n’est pas possible d’invoquer dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le refus d'abroger un acte réglementaire, la légalité des conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché, ceux-ci ne pouvant plus être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir qui serait dirigé contre l'acte réglementaire lui-même et à condition qu’il ait été introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux.

Passant à l’examen du fond, le juge rejette tous les arguments développés.

En premier lieu, le décret n’aurait pas institué de monopole au profit de l’Agence. Certes, il n’existe aucun monopole du droit mais qu’en est-il en fait compte tenu des pouvoirs dévolus à celle-ci, de sa compétence nationale, de l’appui des pouvoirs publics, etc. ? La CJUE pourrait ne pas avoir la même conception des choses que le Conseil d’État

En deuxième lieu, le juge assure qu’en raison de la mission confiée par le décret attaqué à l’Agence (« remédier à l'insuffisance et à l'hétérogénéité des systèmes d'information et de télécommunication des services d'aide médicale urgente afin d'assurer la continuité du service public de l'aide médicale urgente et la qualité de la prise en charge des patients, en améliorant notamment l'interopérabilité de ces systèmes entre eux et avec les systèmes d'information et de télécommunication des autres services intervenant dans l'organisation des secours urgents »), le droit exclusif limité que le décret litigieux attribue à l'agence, qui lui permet, en vertu de l'article L. 2512-4 du code de la commande publique, reprenant les dispositions du 1° de l'article 14 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, de mettre ses prestations à disposition des établissements de santé comportant un service d'aide médicale urgente en dehors de toute mise en concurrence, tandis qu'elle-même est soumise aux règles de passation des marchés publics pour la conclusion et l'exécution des marchés qu'elle peut être amenée à passer, n'excède pas ce qui est nécessaire pour assurer l'exécution de sa mission.

Enfin, le Conseil d’État considère que si ce droit exclusif confère à l'agence une position dominante sur le marché des systèmes d'information et de télécommunication des services d'aide médicale urgente, le décret litigieux ne la place pas pour autant en situation d'exploiter de manière abusive cette position.

Il estime que ni la circonstance que l'agence peut proposer ses prestations aux établissements sièges des services d'aide médicale urgente en dehors de toute mise en concurrence ni le fait que l’éventuelle rémunération de ses prestations ne soit pas encadrée, ne traduisent, par eux-mêmes, aucun abus de position dominante.

Il juge de même qu’eu égard aux autres missions confiées à l'Agence à la date à laquelle il statue, la circonstance qu’elle puisse fournir, en dehors de toute mise en concurrence, des prestations accessoires à la mission pour laquelle un droit exclusif lui a été attribué ne saurait conduire à une distorsion de concurrence sur un marché voisin de celui des systèmes d'information et de télécommunication des services d'aide médicale urgente.

C’est sans doute ce que l’on appelle une vision optimiste des choses.

(26 février 2020, Société Appligos, société Telecom Externals Operating Systems (Telecom Exos), société d'informatique et de systèmes (SIS) et société Scriptal, n° 424407)

 

50 - Marché public - Résiliation aux torts du titulaire - Hypothèse d’une résiliation dont la régularité est contestée - Possibilités ouvertes au titulaire du marché résilié - Demande au juge d’établir le décompte définitif du marché résilié - Non-lieu opposé - Erreur de droit - Cassation et renvoi partiels.

Les articles 37, 38 et 40.1 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés publics industriels auquel renvoient les stipulations du marché litigieux, fixe le régime applicable en cas de résiliation d’un marché aux torts de son titulaire. Sur leur fondement, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la défense (Simmad) a résilié unilatéralement le marché qu’elle avait conclu avec la société requérante, portant sur l'acquisition de véhicules de dégivrage et d'antigivrage pour les aéronefs du ministère de la défense.

La requérante a saisi le tribunal administratif d’un recours en contestation de la décision de résiliation ; celui-ci l’a rejeté. La Simmad ayant ensuite notifié à la société Iveco France deux décomptes provisoires mettant à sa charge le coût des dépenses supplémentaires résultant de la passation d'un marché de substitution ayant le même objet que le marché initial, la requérante a demandé au tribunal administratif la décharge des sommes figurant dans ces décomptes de résiliation provisoires et l’établissement du décompte définitif du marché résilié. Déboutée, la société requérante a saisi la cour administrative d’appel. Cette dernière a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions relatives au décompte définitif du marché et rejeté le surplus des conclusions de la requête d'appel. Sur pourvoi de la société, le Conseil d'État a admis ses conclusions en tant que l’arrêt attaqué a prononcé un non-lieu à statuer.

Pour prononcer ce non-lieu la cour s'est fondée, d'une part, sur la circonstance qu’au cours de l'instance d'appel, la Simmad avait notifié à la société Iveco France le décompte général de résiliation de son marché primitif, tenant compte du marché de substitution et, d'autre part, sur le fait que la société Iveco France avait introduit à l'encontre de ce décompte un recours contentieux devant le tribunal administratif.

 Le Conseil d’État censure ce raisonnement pour erreur de droit en observant que les dispositions précitées ne sont applicables qu’à un marché  régulièrement résilié, par suite, elles ne font pas obstacle à ce que, sous réserve que le contentieux soit lié, le cocontractant dont le marché a été résilié à ses frais et risques saisisse le juge du contrat afin de faire constater l'irrégularité ou le caractère infondé de cette résiliation et demande, de ce fait, le règlement des sommes qui lui sont dues, sans attendre le règlement définitif du nouveau marché, après, le cas échéant, que le juge du contrat a obtenu des parties les éléments permettant d'établir le décompte général du marché résilié. La circonstance qu'un décompte général tenant compte du règlement définitif du nouveau marché passé pour l'achèvement des travaux soit notifié par l'administration avant que le juge statue sur le litige qui lui a été soumis par l'entreprise dont le marché a été résilié ne prive pas ce litige de son objet.

(26 février 2020, Société Iveco France, n° 428344)

 

51 - Concession - Contrat de mobilier urbain - Contrat prévoyant que pourront être souscrites des prestations supplémentaires - Impossibilité d’en connaitre à l’avance le volume précis - Règlement de consultation prévoyant un critère portant sur le coût d'achat de diverses prestations supplémentaires ainsi qu'un tableau de prix unitaires - Régularité - Cassation sans renvoi de l’ordonnance de référé précontractuel.

La société JCDecaux France avait contesté la possibilité pour une commune, dans le règlement de consultation en vue d’une concession de services relative à des mobiliers urbains, de commander des prestations supplémentaires, évaluées au titre du critère de jugement des offres, fondé sur la comparaison des prix unitaires proposés par les candidats pour ces prestations. Le juge du référé précontractuel avait jugé qu'en l'absence de limite quantitative pour ces prestations, la commune avait insuffisamment défini l'étendue de ses besoins et s'était ainsi réservée une marge de choix discrétionnaire ne garantissant pas l'égalité de traitement des candidats et la transparence de la procédure. Il avait annulé la procédure de consultation.

Le Conseil d’État annule le jugement motif pris que le critère de jugement des offres n° 8, intitulé « coûts supplémentaires pour la commune », portait sur le coût d'achat de diverses prestations supplémentaires et qu’à cette fin, le bordereau des prix unitaires figurant en annexe du cahier des charges de la concession comportait un tableau de prix de mise à disposition s'appliquant « au déploiement de mobiliers supplémentaires par rapport au nombre de mobiliers à déployer fixé dans le cahier des charges et dont la charge incombe au titulaire », dont les cinq lignes correspondaient à des mobiliers existants précisément décrits dans le cahier des charges, que les candidats devaient remplir en indiquant un « prix unitaire ». Par conséquent, en apercevant dans cette manière de faire une méconnaissance du  principe de la définition préalable par l'autorité concédante de l'étendue de ses besoins et la disposition par la commune d’une marge de choix discrétionnaire, le juge du référé précontractuel de première instance a commis une erreur de droit dès lors que ce tableau permettait de comparer les prix unitaires des différentes offres et que les candidats admis à concourir étaient à même de demander des précisions sur ce point à l'autorité concédante s'ils l'estimaient souhaitable.

(Ord. réf. 26 février 2020, Commune de Saint-Julien-en-Genevois, n° 436428)

 

52 - Contrat public - Délégation et marché - Éviction irrégulière d’un candidat - Conditions et limites de l’indemnisation - Cassation partielle et renvoi.

La société requérante, candidate à une procédure ouverte de passation d'une convention de délégation de service public pour la gestion d’un service de restauration municipale et dont l’offre n'a pas été retenue, a saisi le juge à la fois d’un recours en contestation de la validité du contrat conclu par la commune avec une autre société et d'une demande indemnitaire d'un montant de 8 758 890 euros en réparation de son préjudice résultant, d'une part, de son manque à gagner sur dix ans et, d'autre part, des frais engagés pour la présentation de son offre.

Le tribunal administratif a requalifié la délégation de service public en marché public et estimé que celui-ci était affecté de plusieurs vices présentant un caractère d'une particulière gravité, il a, en conséquence, prononcé la résiliation du contrat à compter du premier jour du sixième mois suivant la notification du jugement et rejeté le surplus de sa demande. La cour administrative d'appel a rejeté l'appel principal et l'appel incident formés contre ce jugement, respectivement, par la commune et la société Régal des Iles. Cette dernière se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il a rejeté ses conclusions d'appel incident tendant à la condamnation de la commune à lui verser une somme de 8 758 890 euros.

Le Conseil d’État réitère à cette occasion l’exposé de la méthodologie que doit suivre le juge administratif en matière d’indemnisation du préjudice, étant rappelé que cet examen dépend du pouvoir souverain des juges du fond sous réserve de dénaturation.

Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et à la condition expresse qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge d’opérer deux analyses.

Tout d’abord il lui appartient de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité ; si, au contraire, le candidat évincé n’était pas dépourvu d’une chance de remporter le contrat, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre.

Ensuite, le juge doit rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat finalement conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

Cependant, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général sauf, nous semble-t-il, à démontrer que la renonciation de celle-ci à contracter constitue un détournement de pouvoir aux fins d’échapper à la nécessité d’indemniser.

Appliquant cette ligne méthodologique, le juge relève que la candidature de la société requérante avait été classée en deuxième position et que celle-ci a obtenu la résiliation du contrat car il avait été passé en suivant la procédure applicable aux délégations de service public alors qu'il s'agissait d'un marché public de services.

La société attributaire de la délégation de service public s'est vu attribuer, postérieurement à la résiliation du contrat en litige, un marché public pour la gestion du service de restauration municipale de la même commune.

C’est donc par une dénaturation des pièces du dossier que la cour administrative d’appel, pour rejeter les conclusions indemnitaires de la société requérante au titre des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre, a jugé que le recours irrégulier à la procédure de passation des délégations de service public par la commune n'était pas susceptible d'avoir eu une incidence sur l'éviction de la société et que celle-ci était dépourvue de toute chance d'obtenir ce marché.

L’arrêt est cassé et l’affaire renvoyée à l’examen de la même cour administrative d’appel.

(28 février 2020, Société Régal des Îles, n° 426162)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

53 - Subvention accordée dans le cadre d'un plan de modernisation de bâtiments d'élevage - Subvention à parts égales, de l’État et du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) - Refus de versement de la subvention pour non-conformité des travaux réalisés - Réclamation et contentieux - Exception de prescription quadriennale - Point de départ du délai - Cassation partielle de l’arrêt d’appel et rejet des conclusions.

Cette décision concerne la contestation du refus préfectoral de verser une subvention déjà accordée pour non-conformité des travaux réalisés en vue de son octroi puis de son versement. Il s’agissait d’une subvention « croisée » comportant pour moitié des fonds de l’État et pour moitié des fonds du FEOGA. Deux utiles indications sont données au sujet du régime de la prescription quadriennale, qui est, on le sait, le mode ordinaire de prescription des créances détenues sur l’État et les autres personnes morales de droit public pourvues d’un comptable public.

En premier lieu, il est reproché à la cour administrative d’appel, après qu’elle a écarté l’exception de prescription quadriennale lors de l’examen du recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision du préfet refusant de verser la subvention, de ne s’être pas prononcée sur cette même exception dans le cadre de l’examen des conclusions pécuniaires tendant au versement de la somme litigieuse, d’où la cassation partielle de son arrêt.

En second lieu, devait être déterminé le point de départ du délai de prescription. Relevant que l'article 14 du décret du 16 décembre 1999 relatif aux subventions de l'État pour les projets d'investissement dispose : " Le versement de la subvention est effectué sur justification de la réalisation du projet et de la conformité de ses caractéristiques avec celles visées par la décision attributive ", le Conseil d’État juge que la créance dont se prévaut l'EARL du Coteau, requérante, est devenue liquide et exigible, à raison de l'achèvement des travaux, à la date de déclaration d'achèvement transmise par l'EARL à l'administration soit le 8 novembre 2007. La prescription a donc couru du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2011. Aucune autre nouvelle demande de paiement ou réclamation écrite ayant trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de sa créance, n’étant intervenue par la suite, il en résulte sa prescription à la date ci-dessus. Celle-ci était prescrite tant à la date de l'adoption de l'arrêté préfectoral contesté du 5 janvier 2015, qui n'a pas eu pour effet de faire renaître la créance litigieuse, qu'à la date de saisine du tribunal administratif, le 23 février 2015. Dans ces conditions, les conclusions par lesquelles l'EARL demande à ce que l'État soit condamné à lui verser la somme de 14 338,80 euros ne pouvaient qu'être rejetées.

(5 février 2020, EARL du Coteau, n° 418175)

 

54 - Société de gestion d’un portefeuille de valeurs mobilières - Répression d’un abus de droit conformément à l’avis du comité de l’abus fiscal - Renversement de la charge de la preuve - Qualification d’abus de droit - Imposition des sommes éludées dans la catégorie des traitements, indemnités et salaires - Erreur de droit - Cassation partielle.

Dans un litige relatif à un montage financier fiscalement douteux, le Conseil d’État approuve la cour administrative d’appel d’avoir jugé, d’une part, que les qualifications opérées par l’administration fiscale étant conformes à l’avis du comité de l’abus de droit cela avait pour effet de renverser la charge de la preuve, laquelle incombe alors au contribuable, et, d’autre part, d’avoir estimé réalisé en l’espèce un abus de droit.

Ce dernier constitue un acte recherchant le bénéfice d'une application des textes contraire à l'intention de leurs auteurs et motivé par un but exclusivement fiscal. Tel était le cas ici, selon le juge, où la cession de titres apportés par un contribuable à une société qu'il contrôle, s'insérait dans une série d'opérations lui ayant permis d'entrer artificiellement dans les prévisions de l'article 150-0-b du CGI sans qu’il soit besoin - pour la constitution de l’abus - d'appréhension de liquidités et de désinvestissement.

En revanche, il critique l’intégration par la cour des revenus éludés dans la catégorie des traitements et salaires ou compléments à ceux-ci alors qu’elle devait rechercher si l’avantage financier consenti au demandeur l’a été directement en raison de ses fonctions de cadre dirigeant de la société auteur du montage litigieux.

(12 février 2020, M. et Mme X., n° 421444 ; v. aussi du même jour avec identique solution : M. X., n° 421441)

 

55 - Impôt sur le revenu - Proposition de rectification des bases d’imposition - Étendue de l’obligation de motivation - Complétude de la motivation permettant au contribuable la formulation correcte de ses observations - Absence - Cassation avec renvoi.

Le juge rappelle que, pour être régulière, la proposition de rectification des bases d’imposition faite à la suite d’un contrôle fiscal et donc la notification du redressement subséquent, doit comporter les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés qui sont nécessaires pour permettre au contribuable de formuler ses observations de manière « entièrement utile ».

En l’espèce est cassé pour erreur de droit l’arrêt d’appel qui juge régulière une proposition de rectification qui ne contient pas la motivation du mode de calcul retenu par l’administration fiscale pour établir le montant de la plus-value taxable.

(25 février 2020, M. et Mme X., n° 428658)

 

56 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Détermination de la valeur locative par la méthode de la comparaison - Obligation de comparer avec des immeubles sur le territoire de la même commune - Impossibilité de comparer avec des immeubles d’une autre commune sans tentative de comparaison au sein de la même commune - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit - par mauvaise interprétation du a du 2° de l'article 1498 du CGI - le tribunal qui juge que l'administration fiscale peut légalement retenir comme terme de comparaison, pour apprécier la valeur locative du local à usage commercial de la société requérante, un immeuble situé sur le territoire d’une autre commune, sans rechercher au préalable s'il existait un terme de comparaison pertinent sur le territoire de la commune d'implantation du local à évaluer. Ce d’autant plus que le tribunal était expressément saisi d’un moyen en ce sens.

(13 février 2020, SCI Ainevil, n° 421173)

 

57 - Exécution des décisions de justice - Condamnation au paiement d’une somme d’argent - Inexécution - Exception de prescription quadriennale - Comptable refusant de payer sans ordonnancement préalable - Annulation avec injonction.

 (12 février 2020, M. X., n° 432598) V. n° 23

 

58 - Procédure de flagrance fiscale - Office du juge des référés - Date à laquelle il doit se placer pour apprécier la régularité de la procédure de flagrance - Date à laquelle il doit se placer pour apprécier la régularité des mesures conservatoires prises au titre de l’état de flagrance - Annulation du jugement et dévolution à la cour administrative d’appel.

L'art. L. 16-0 BA du livre des procédures fiscales a prévu qu’en cas, notamment, d’omission réitérée par le contribuable de respecter une obligation déclarative, les agents de l’administration fiscale peuvent, si cette omission menace le recouvrement d’une créance fiscale, dresser à l'encontre de ce contribuable un procès-verbal de flagrance fiscale et prendre des mesures conservatoires. La contestation de l’un et des autres peut être faite devant le juge du référé administratif de l’art. L. 279 du LPF.

En l’espèce devait être fixée l’étendue de l’office de ce juge des référés selon l’objet de la contestation afin de préciser les contours de solutions jurisprudentielles qui ont pu faire hésiter les juges du fond (17 janvier 2014, Société Expatrium International Ltd, n° 372282 ; 3 octobre 2016, Société Special Bannow Bay Shellfish Ltd et autres, n° 401383).

Le Conseil d’État adopte deux solutions très claires : lorsqu’il statue sur la régularité de la procédure de flagrance elle-même, le juge des référés doit se placer au jour où a été établi le procès-verbal ; lorsqu’il se prononce sur la légalité ou le bien-fondé des mesures conservatoires, le juge des référés doit se placer au jour où il statue.

(Ord. réf. 12 février 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 422362)

 

59 - Procédure de flagrance fiscale - Notion de menace pour le recouvrement d’une créance fiscale - Risque d’organisation de l’insolvabilité de l’entreprise - Régime de la preuve - Simple déduction d’une situation de fait - Cassation du jugement.

Ayant constaté qu’une société de droit suisse avait omis de façon réitérée son obligation de déclaration fiscale, l’administration a dressé un procès-verbal de carence et, cette société de droit étranger n’ayant aucun bien immobilier en France mais seulement un compte courant, elle a aussitôt pris des mesures conservatoires pour pallier tout risque d’organisation à brève échéance de son insolvabilité, ce qui constituait une menace pour le recouvrement de créances fiscales.

Le juge du référé de l’art. L. 279 LPF a estimé qu’il incombait à l’administration de rapporter la preuve de l’existence de l’imminence d’une telle organisation d’insolvabilité or ce n’était pas le cas en l’espèce et il a suspendu les mesures conservatoires.

Le Conseil d’État casse ce jugement motif pris de ce que la menace justificatrice de mesures conservatoires était réalisée du seul fait de l’existence d’un compte courant en France sans détention d’autres biens, en particulier immeubles.

La solution nous semble excessive en soi et exagérément favorable aux intérêts de l’administration fiscale.

(Ord. réf. 12 février 2020, Société Evolutec Ingenierie International, n° 422503)

 

60 - Comptable de fait - Absence de poursuites pénales sur le fondement de l’art. 433-12 du code pénal - Amende - Amende exclue en cas d’application de l’art. 433-12 - Atteinte au principe de la nécessité des délits et des peines (art. 8 DDHC) - Renvoi d’un QPC au Conseil constitutionnel.

(7 février 2020, M. X., n° 436066 ; v. aussi, du même jour avec même solution : M. X., n° 436124) V. n° 127

 

61 - Cession de biens immobiliers - Plus-value de cession - Régime fiscal issu de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966 - Régime fiscal uniforme quelle que soit la nationalité, française ou suisse, du cédant - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la juridiction qui exclut des contribuables suisses du bénéfice de l'exonération de l’impôt sur les plus-values de cessions immobilières prévue par le 1° bis du paragraphe II de l'article 150 U du CGI, s'ils en remplissent les conditions. Il résulte en effet des stipulations de l’art. 15 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 que les plus-values résultant de la cession de biens immobiliers sont imposées dans les mêmes conditions que le bénéficiaire soit résident fiscal français ou suisse, ce qui implique notamment qu'un résident suisse ne peut être exclu du bénéfice de l'exonération précitée.

(12 février 2020, M. et Mme X., n° 415475)

 

62 - Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) - Champ d’application - Travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 2009 - Redevables assujettis à la cotisation foncière - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

La loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 portant loi de finances pour 2010 dont est issu le texte de l'article 1586 ter du CGI ne définit pas vraiment les redevables de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Toutefois, le juge, s’appuyant sur les travaux préparatoires de la loi, considère que le législateur, pour opérer la détermination des redevables, a entendu renvoyer à la définition des redevables de la cotisation foncière des entreprises (CFE) telle qu'elle résulte de l'ensemble des dispositions de l'article 1447 du CGI.

C’est donc au prix d’une erreur de droit que la cour administrative d’appel, se fondant pour cela exclusivement sur les dispositions du I de l’art. 1447 CGI et alors que la Caisse nationale des barreaux français requérante soutenait que, à raison de son caractère non lucratif, elle n'était pas redevable de la cotisation foncière des entreprises (CFE) en vertu des dispositions du II de l'article 1447 du CGI  et qu’ainsi elle ne l’était pas davantage de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises CVAE, a jugé que l’exonération de la CFE était sans incidence sur l'assujettissement à la CVAE.

(12 février 2020, Caisse nationale des barreaux français, n° 420605)

 

63 - Cession de valeurs mobilières - Régime d’imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières - Date de la cession - Notion de revente à des tiers - Rejet.

La cession par des parents à leurs fils de parts détenues dans une société ayant conduit l’administration fiscale à des impositions supplémentaires et en sus de droits sociaux et de pénalités corrélatifs, un contentieux s’en est suivi qui aborde deux questions intéressantes.

La première portait sur la détermination de la date à laquelle avait été réalisée la cession des parts. Le Conseil d’État, rappelant les principes du code civil, décide que la vente est réalisée au jour de l’accord sur la chose et sur le prix sauf stipulations contractuelles contraires. En l’espèce, la cession est intervenue le 29 juillet 2004 sous la réserve suivante : « le transfert de propriété, et de jouissance, sera différé au jour du paiement de la dernière échéance du crédit vendeur ». Puis, par un second acte sous seing privé, du 13 janvier 2010, les parties à la cession devaient constater que, bien que le prix de vente n'ait pas été payé intégralement, le cédant acceptait que le transfert de propriété et de jouissance intervienne au jour de ce second acte. C’est donc sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a considéré cette dernière date comme celle à laquelle a été réalisé le transfert.

La seconde question portait sur l’applicabilité à cette cession de l'exonération de la plus-value prévue au 3 du I de l'article 150-0 A du CGI. Cette exonération est subordonnée à l'absence de revente à un tiers au groupe familial de tout ou partie des titres dans les cinq ans suivant la cession.

Le Conseil d’État en déduit que le rachat de ses propres titres par une société cédée doit être regardé comme une acquisition à titre onéreux et, par suite, que les droits sociaux rachetés au cessionnaire par la société cédée dans le cadre d'une opération de réduction du capital doivent être regardés comme revendus à un tiers au sens et pour l'application de ces dispositions.

Or en l’espèce, la cour n’a commis ni une erreur de droit ni une erreur de qualification juridique des faits quand, après avoir constaté que l'assemblée générale de la société civile familiale avait décidé, les 14 janvier 2010 et 26 janvier 2011, de réduire son capital par voie de rachat et d'annulation de titres correspondant à la totalité des parts sociales cédées par M. X. à son fils, elle a jugé que ces opérations de réduction de capital de ladite société civile devaient s'analyser, au sens de l'article 150-0 A du CGI, comme la revente par le fils de M. X. de ses parts sociales à un tiers et en a déduit que, ces opérations étant intervenues moins de cinq ans après la date à laquelle la cession des parts sociales de la société civile M. X. à son fils avait généré une plus-value, l'administration avait légalement estimé que cette cession n'entrait pas dans le champ de l'exonération prévue au 3 du I de l'article 150-0 A du CGI et imposé, au nom de M. et Mme X., la plus-value en résultant au titre des années de revente de ces droits.

(28 février 2020, M. et Mme X., n° 426065 ; dans le même sens, du même jour, voir : M. et Mme Y., n° 426069)

 

64 - Vérification de comptabilité - Comptabilité unique pour deux types différents d’activités relevant d’impositions distinctes - Conséquence - Présentation, au cours d’une vérification, de pièces sans caractère comptable - Effet - Absence de portée des dispositions combinées des art. L. 48 et L. 57 du livre des procédures fiscales (LPF) sur la ventilation des droits supplémentaires résultant d’une vérification - Rejet pour l’essentiel et cassation avec renvoi concernant les bénéfices industriels et commerciaux (BIC).

Le litige opposait un contribuable à l’administration fiscale à l’occasion des conditions de déroulement d’une vérification de comptabilité. Le juge, qui rejette tous les arguments développés au soutien de ce recours, apporte trois précisions intéressantes.

En premier lieu, le contribuable exerçait deux types d'activités, l’une à caractère commercial et l’autre de caractère non commercial et devait donc tenir deux comptabilités séparées. En réalité tous les mouvements étaient retracés dans une comptabilité unique. En conséquence, c’est à bon droit que la cour administrative d’appel a jugé que l'administration avait pu suivre une procédure de vérification unique.

En deuxième lieu, les garanties entourant, dans le LPF, les vérifications de comptabilité notamment lorsque cette comptabilité se trouve, en tout ou en partie, chez un tiers, exigeant en particulier un débat oral et contradictoire avec le contribuable vérifié, ne trouvent pas à s’appliquer à la communication de pièces ne présentant pas le caractère de documents comptables de l'entreprise vérifiée.

En troisième lieu, il résulte de la combinaison du premier alinéa de l'article L. 48 et de l’art. 57 du LPF que si l’administration est tenue de fournir au contribuable  l'indication du montant des conséquences financières des rectifications proposées et si la proposition de rectification doit indiquer de quelles catégories de revenus relèvent les différentes bases rectifiées, en revanche elle n'est pas tenue de ventiler les droits qui résultent des rectifications entre ces différentes catégories.

Le pourvoi est rejeté pour l’essentiel, à l’exception de la partie du litige portant sur les rectifications relatives aux BIC.

(24 février 2020, M. X., n° 420394)

 

65 - Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises - Taxe additionnelle à cette cotisation - Frais de gestion de 1% sur le montant de cette cotisation - Éléments déductibles du chiffre d’affaires servant d’assiette à cette cotisation - Inclusion du loyer des biens sous-loués - Exclusion des charges de contrepartie pour mise à disposition de biens corporels pris en location ou en sous-location pour une durée de plus de six mois, en crédit-bail, ou en location-gérance - Exclusion applicable même lorsque ces charges découlent pour le contribuable de l’exécution d’une convention de délégation de service public - Cassation avec renvoi.

Le Conseil d’État déduit des dispositions  du I de l'article 1586 sexies du CGI que, réserve faite de la charge que constitue le loyer des biens sous-loués et ce, dans la limite du produit de leur sous-location, ne sont pas déductibles du chiffre d'affaires, pour le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), et partant, pour le calcul de la taxe additionnelle et des frais de gestion, les charges qui ont pour contrepartie la mise à disposition de biens corporels pris, soit en location ou en sous-location pour une durée de plus de six mois, soit en crédit-bail, soit en location-gérance.

Il en va ainsi quand bien même ces charges auraient été exposées par le contribuable en exécution d'un contrat de délégation de service public.

La solution est rigoureuse.

(24 février 2020, Ministre de l'action et des comptes publics c/ Société Elior Orsay devenue société de restauration du musée d’Orsay, n°433881 ; V. aussi, du même jour et avec même solution : Ministre de l'action et des comptes publics c/ Société française d'exploitation de restaurant (SOFEREST), n° 433882 ; Ministre de l'action et des comptes publics c/ Société européenne de bars restaurants (Eurobar) n° 433883)

 

66 - Contribution foncière des entreprises (CFE) - Demande de décharge de la CFE - Demande de réduction de la CFE par application de la règle du plafonnement - Demandes distinctes, nouvelle pour la seconde - Impossibilité de former des demandes nouvelles en appel - Cassation sans renvoi de l’arrêt d’appel.

Un club sportif, assujetti à la CFE, a, par deux recours gracieux distincts adressés à l’administration fiscale, demandé à titre principal à être déchargé de cette contribution et, à titre subsidiaire, la réduction de son montant par application de la règle du plafonnement de la contribution économique territoriale en fonction de la valeur ajoutée prévu par l'article 1647 B sexies du CGI. Ses demandes ayant été rejetées par l’administration, la société n’a saisi le tribunal administratif que du seul litige portant sur la décharge de CFE. En appel, la cour a accueilli la demande fondée sur le plafonnement de la cotisation.

Le Conseil d’État relève d’abord que les deux demandes sont distinctes et concernent des litiges distincts, ensuite qu’il s’agissait en appel, non pas d’un moyen nouveau au soutien de la même demande que celle formulée en première instance mais d’une demande nouvelle irrecevable car invoquée pour la première fois en cause appel. L’arrêt de la cour, qui n’a jugé cette demande recevable que par suite d’une erreur de droit, est cassé.

(24 février 2020, Ministre de l'action et des comptes publics c/ Société Club sportif de Sedan Ardennes, n° 434423)

 

Droit public de l’économie

 

67 - Société assurant le contrôle technique de poids lourds - Agrément/accréditation de cette société venu à expiration - Absence de demande de renouvellement de l’agrément - Préfet s’abstenant de suspendre l’agrément expiré - Cassation, avec renvoi, de l’arrêt d’appel jugeant légale cette abstention.

Commet une erreur de droit au regard de dispositions du code de la route (L. 323-1, R. 323-1, R. 323-14 et R. 323-21), la cour administrative qui juge qu’un préfet peut à bon droit, malgré l’expiration de l’accréditation dont bénéficiait une société de contrôle de poids lourds et l’absence, de sa part, de demande de renouvellement ou de prolongation, refuser de mettre en œuvre la procédure de retrait ou de suspension de l'agrément car il dispose d'une marge d'appréciation et alors même que cette abstention était justifiée, d’une part, par l’absence de dysfonctionnement de cette société en matière de sécurité et, d’autre part, par le souci de l’administration de tenir  compte de « circonstances économiques et sociales locales ».

(5 février 2020, Société Vivauto PL, n° 419284)

 

68 - Pharmacie - Médicaments orphelins - Prescription d’un médicament hors indications - Application du règlement européen du 16 décembre 1999 - Marge de liberté des autorités nationales dans la fixation du prix de vente - Limites - Annulation.

(5 février 2020, Société Orphan Europe, devenue Recordati rare diseases, n° 425578) V. n° 135

 

Droit social et action sociale

 

69 - Aides sociales du département - Aides facultatives et aides obligatoires - Régime de récupération des aides - Régime existant au moment du décès - Modulation par le juge du montant à rembourser - Admission et rejet partiels.

Un président de département a prononcé la récupération d’une créance d’aide sociale sur la succession de son bénéficiaire soulevant un contentieux avec les sœurs et le frère du défunt. C’est l’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler un certain nombre de choses.

Tout d’abord, jusqu’au 1er janvier 2019 les litiges relatifs aux prestations légales d'aide sociale (article L. 134-1 code de l’action sociale et des familles) relevaient des juridictions de l’aide sociale, juridictions administratives spécialisées, et les litiges portant  sur les prestations facultatives d'aide sociale relevaient des juridictions administratives de droit commun. Pour déterminer le caractère légal ou facultatif d’une prestation d’aide sociale, il faut se placer au cours de la période au titre de laquelle elle a été versée. Ainsi, en l’espèce, les dépenses exposées par le département au titre de l'accompagnement à la vie sociale du défunt ne constituaient pas des frais d'hébergement et d'entretien (article 168 du code précité) et n’entraient donc pas dans la catégorie des prestations légales mais dans celle des prestations facultatives d'aide sociale. Seul le juge administratif de droit commun était compétent pour en connaître et non les juridictions de l'aide sociale :  la commission centrale d'aide sociale, qui n’a pas soulevé son incompétence d’office, a entaché sa décision d'une erreur de droit.

Ensuite, alors que les prestations légales d’aide sociale sont, de droit, récupérables sur la succession, les prestations facultatives ne peuvent faire l'objet d'une récupération sur succession, d’une part, que si les dispositions réglementaires régissant ces prestations le prévoyaient au cours de la période au titre de laquelle elles ont été versées, et d’autre part, que dans le respect des dispositions applicables à la récupération sur succession en vigueur à la date du décès du bénéficiaire de la prestation.

Enfin, en sa qualité de juge de plein contentieux, le juge administratif se reconnaît le pouvoir d’apprécier le bien-fondé de l'action engagée par la collectivité publique d'après l'ensemble des circonstances de fait dont il est justifié par l'une et l'autre parties à la date de sa propre décision. Il a donc la faculté, en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, d'aménager les modalités de cette récupération et, le cas échéant, d'en réduire le montant ou d'en reporter les effets dans le temps. Ce qu’il fait dans la présente affaire.

Voilà un juge bien près de faire acte d’administrateur.

(5 février 2020, Mme X. et autres, n° 422833)

 

70 - Régime des établissements sociaux et médico-sociaux - Intervention de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale - Durée de l’autorisation de fonctionnement de ces établissements - Point de départ de cette durée - Erreur de droit de la Commission centrale d'aide sociale - Cassation sans renvoi (art. L. 821-2 du CJA).

Le Conseil d’Etat juge que la loi du 2 janvier 2002, d’une part, en assujettissant, par son article 25, à une autorisation préalable  l'ensemble des établissements sociaux et médico-sociaux, qu'ils soient publics ou privés et en limitant la durée de cette autorisation à quinze ans, et d’autre part, en précisant dans son article 80 que les établissements autorisés à la date de sa publication le demeuraient dans la limite de cette dernière disposition, a entendu, en ce dernier cas, que la durée de quinze années devait être décomptée du jour de la publication de cette loi.

(5 février 2020, Département de la Seine-Saint-Denis, n° 422957)

 

71 - Revenu de solidarité active (RSA) - Détermination des ressources d’un bénéficiaire - Détention de parts sociales d’une société commerciale - Prise en compte des seuls revenus distribués dont l’intéressé a été bénéficiaire - Obligation de procéder à l’évaluation forfaitaire des ressources - Interdiction de retenir les bénéfices non distribués - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit le jugement d’un tribunal administratif qui, pour déterminer les droits d’une personne au revenu de solidarité active (RSA), tient compte des bénéfices non distribués d'une société commerciale dont l'allocataire détient des droits sociaux et s'abstient de procéder à l'évaluation forfaitaire des ressources que l'allocataire est supposé pouvoir retirer dans une telle hypothèse des parts sociales qu'il détient, dont la valeur peut être appréciée, notamment, en tenant compte des bénéfices dégagés par la société.

(26 février 2020, Mme X., n° 424335 ; v. aussi, du même jour, l’application de cette solution, par transposition, au cas où le bénéficiaire du RSA est titulaire de parts d’une société civile immobilière : Métropole de Lyon, n° 424379)

 

72 - Assurance-chômage - Personnes en recherche d’emploi - Revenu de remplacement (Allocation d’assurance) - Taux dégressif en fonction de l’âge de l’intéressé - QPC - Refus de renvoi au Conseil constitutionnel - Rejet.

Le syndicat demandeur entendait soulever une QPC à l’encontre des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 5422-3 du code du travail en ce qu'elles permettent de traiter différemment les travailleurs en recherche d’emploi bénéficiaires de l'allocation d'assurance selon leur âge lequel est assorti d’un taux dégressif de l’allocation versée.

Le Conseil d’État balaie l’argument de façon un peu trop preste à notre avis, se bornant à indiquer, pour justifier le refus de renvoi de la QPC, que, en instaurant « la possibilité d'une telle distinction entre les allocataires, le législateur a pris en compte les difficultés spécifiques que certains d'entre eux sont susceptibles de rencontrer, du fait de leur âge, pour retrouver un emploi. S'il a ainsi permis que soient traitées différemment des personnes placées dans des situations différentes, la différence de traitement qui en résulte est en rapport direct avec l'objet de la loi, qui est d'assurer l'indemnisation des travailleurs involontairement privés d'emploi tout en encourageant la reprise d'une activité professionnelle ». En réalité, l’argument est parfaitement réversible et, si l’on peut dire, peut être interprété dans les deux sens.

Au reste, il y a bien ici une discrimination dont on peut douter qu’elle serait jugée conforme tant aux conventions de l’OIT qu’à la Convention EDH.

(12 février 2020, Confédération générale du travail - Force ouvrière, n° 434931)

 

73 - Indemnités de licenciement versées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) - Exonération d’imposition - Indemnité versée à un représentant du personnel licencié en contrepartie de la démission de ses mandats - Qualification comme indemnité de licenciement exonérée d’imposition - Erreur de droit - Cassation.

En principe, les indemnités de licenciement versées dans le cadre d’un PSE ne sont pas assujetties à l’impôt en vertu des dispositions du 2° du 1 de l'article 80 duodecies du CGI.

Dans cette affaire, une indemnité avait été versée en vertu d'un protocole transactionnel à un représentant du personnel licencié dans le cadre d'un PSE en contrepartie de la démission de ses mandats.

La cour administrative a jugé que cette indemnité bénéficiait de l’exonération fiscale précitée car le principe de son versement avait été prévu à l'occasion du PSE mis en œuvre par l'employeur.

Le Conseil d’État rejette cette argumentation au motif que, s'ajoutant aux indemnités conventionnelles de licenciement et aux indemnités transactionnelles prévues par le PSE, cette indemnité ne pouvait être regardée comme relevant, en tout ou partie, des indemnités de licenciement versées dans le cadre du plan, quand bien même la démission de l'intéressé de ses mandats avait été négociée dans le but de permettre son licenciement.

La cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis et, par suite, commis une erreur de droit.

(12 février 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 423914 ; v. aussi, du même jour avec même requérant et identique solution, le n° 423916)

 

74 - Travailleurs privés d’emploi - Allocations d’aide au retour à l’emploi - Contentieux social et de pleine juridiction - Office du juge - Conditions d’ouverture du droit aux aides et conditions de maintien d’aides à l’emploi - Distinction et effets - Annulation partielle et renvoi devant la commune pour qu’il soit fait droit à certaines des demandes de la requérante.

De cette décision, relative au contentieux des allocations d’aide au retour à l’emploi, seront retenues deux précisions données par elle : une confirmation et une certaine nouveauté.

Tout d’abord, le juge rappelle que : « Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l'administration, sans remettre en cause des versements déjà effectués, détermine les droits d'une personne en matière d'aide ou d'action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs privés d'emploi, et sous réserve du contentieux du droit au logement opposable, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner les droits de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d'annuler ou de réformer, s'il y a lieu, cette décision, en fixant alors lui-même tout ou partie des droits de l'intéressé et en le renvoyant, au besoin, devant l'administration afin qu'elle procède à cette fixation pour le surplus, sur la base des motifs de son jugement. Dans le cas d'un contentieux portant sur les droits au revenu de remplacement des travailleurs privés d'emploi, c'est au regard des dispositions applicables et de la situation de fait existant au cours de la période en litige que le juge doit statuer. Il en va notamment ainsi en ce qui concerne les agents publics privés d'emploi. » La cour administrative d’appel - comme, avant elle, le tribunal administratif - a statué en qualité de juge de l’excès de pouvoir, son arrêt encourt annulation de ceux des articles de son dispositif qui sont concernés.

Ensuite, de façon plus nouvelle semble-t-il, est opérée une distinction selon que l’intéressée demande l’allocation d’une aide à l’emploi ou le maintien de l’allocation déjà accordée. Si, dans le second cas, il lui est nécessaire d’établir l'existence d'actes positifs et répétés accomplis en vue de retrouver un emploi, tel n’est pas le cas pour l’ouverture du droit à l’allocation. La commune, en l’espèce, ne pouvait opposer à la demanderesse l’absence de tels actes de recherche s’agissant de lui accorder l’aide sollicitée.

(7 février 2020, Mme X. c/ Commune du Brusque, n° 405921)

 

75 - Agents de la SNCF - Changement d’attributaire d’un contrat de service public ferroviaire - Poursuite du contrat de travail avec le nouvel attributaire - Allocations familiales supplémentaires - Qualification comme élément non exceptionnel de la rémunération de l’agent et non comme prestation sociale - Illégalité de l’'article 5 du décret n° 2018-1242 du 26 décembre 2018 n'incluant pas cette allocation dans la rémunération - Annulation.

La loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a prévu, dans le cas d'un changement d'attributaire d'un contrat de service public ferroviaire, une garantie de rémunération pour les salariés dont le contrat de travail se poursuit auprès du nouvel attributaire, le législateur a entendu (cf. art. L. 2121-26 du code des transports) que soient pris en compte l'ensemble des éléments de rémunération, en particulier les allocations lorsque celles-ci, de caractère non exceptionnel, doivent être regardées comme faisant partie de la rémunération du salarié.

Alors même que les directives générales arrêtées par la SNCF tant pour les salariés du groupe public ferroviaire régis par le statut particulier que pour ceux qui sont placés sous le régime des conventions collectives ne mentionnent pas les allocations familiales supplémentaires dans la définition de la rémunération mensuelle des agents or il résulte de la directive n° GRH00649 du 3 avril 2018, relative à cette allocation, qu'elle est un élément mensuel de rémunération propre à la SNCF.

Elle constitue ainsi, en raison de ses caractéristiques, non une prestation sociale mais un élément de la rémunération du salarié de caractère non exceptionnel. Dès lors, cette allocation doit être incluse dans les éléments de rémunération garantis en vertu du I de l'article L. 2121-26 du code des transports aux salariés dont le contrat de travail se poursuit auprès du nouvel attributaire.

Pour avoir omis d’effectuer son inclusion dans la rémunération, les II et III de l’art. 5 du décret attaqué sont annulés.

(28 février 2020, Union fédérale CFDT des cheminots et des activités complémentaires (UFCAC-CFDT), n° 428422)

 

Élections

 

76 - Sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne - Situation des ressortissants britanniques au regard du droit électoral français - Impossibilité d’inscription sur les listes électorales - Impossibilité d’exercer un mandat électoral municipal - Rejet.

Le requérant, ressortissant britannique, est conseiller municipal d’une commune française.

Il conteste la juridicité de la circulaire du ministre de l'intérieur du 23 janvier 2020 relative aux conséquences de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne sur le droit de vote et d'éligibilité des ressortissants britanniques en France aux élections municipales et européennes.

Sa requête est évidemment - et ne pouvait qu’être - rejetée.

Par les dispositions impératives à caractère général de la circulaire litigieuse, indiquant, d'une part, que les ressortissants britanniques ne pourraient plus voter ni être éligibles aux élections municipales organisées les 15 et 22 mars 2020 et, d'autre part, que les conseillers municipaux britanniques conservaient leur mandat jusqu'au renouvellement des conseils municipaux, le ministre de l'intérieur, qui s’est borné à tirer les conséquences résultant des règles du droit interne applicable en conformité avec  celles du droit de l’UE, n’a - contrairement à ce que prétend le demandeur - pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale à une ou plusieurs libertés fondamentales.

(21 février 2020, M. X., n° 438696)

 

Environnement

 

77 - Espèces protégées par la Convention de Carthagène (1983) et le Protocole de Kingston (1990) - Arrêtés ministériels fixant la liste des mammifères protégés sur l'ensemble du territoire national et les modalités de leur protection - Refus implicite de leur modification pour interdire toute perturbation intentionnelle du molosse commun en milieu naturel et du tadaride du Brésil en milieu anthropique - Annulations partielles.

Le Conseil d’Etat rejette le recours a en tant qu’il est dirigé contre l’article 2 de ces arrêtés car la protection assurée par ces dispositions à certaines espèces de chauves-souris n'est pas moindre que celle garantie par les stipulations de l'article 11 b) du protocole adopté à Kingston, dès lors que la perturbation intentionnelle que prohibent ces stipulations doit être comprise comme celle qui remet en cause le bon accomplissement des cycles biologiques des espèces considérées, pendant les périodes expressément citées par le protocole ou toute autre période biologique critique. 

En revanche, il accueille le recours en tant qu’il est dirigé contre les articles 3 desdits arrêtés car ils ne comportent aucune interdiction ni mesure permettant de protéger les deux espèces de chauve-souris, le molosse commun (Molossus molossus) et la tadaride du Brésil (Tadarida brasiliensis), contre les perturbations intentionnelles et ce en violation des dispositions conventionnelles précitées.

Il est accordé six mois au ministre concerné pour édicter les dispositions réglementaires nécessaires pour assurer le respect de ces dernières.

Une décision bien « en situation » en ces temps de coronavirus imputé à des chauves-souris chinoises…

(5 février 2020, Association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS) et Association pour la sauvegarde et la réhabilitation de la faune des Antilles (ASFA), n° 422631)

 

78 - Création d’une association communale de chasse agréée (ACCA) - Définition du périmètre d’action de l’association - Arrêté préfectoral fixant la liste des terrains en faisant partie compte tenu du rejet ou de l’acceptation des éventuelles oppositions à cette inclusion dans le périmètre - Arrêté constituant une étape dans la procédure de création d’une ACCA - Acte faisant grief - Rejet.

La création d’une ACCA s’effectue au moyen d’une procédure comportant notamment la fixation par arrêté préfectoral des terrains inclus dans son périmètre d’action. En cas d’opposition de la part de propriétaires de terrains devant en faire partie, il appartient au préfet d’accepter ou de rejeter les oppositions. Comme l’arrêté constitue une étape dans le processus de création d’une ACCA, le ministre demandeur y voyait une mesure préparatoire ne pouvant donc pas faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et reprochait à la cour administrative d’avoir jugé le contraire. Rejetant le pourvoi du ministre, le Conseil d’Etat donne raison à la cour : cet arrêté, en tant qu’il rejette des oppositions et inclut donc de force des propriétés dans le champ d’action d’une ACCA constitue, d’évidence, une décision faisant grief.

(5 février 2020, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 423105 ; v. aussi, du même jour, avec même requérant et solution identique : 423108, n° 423111)

 

79 - Implantation d’éoliennes - Obligation d’autonomie réelle de l’entité chargée de donner un avis environnemental sur un projet - Exigence tirée de l’art.  6 de la directive du 13 décembre 2011 - Cas où l’avis concerne un département autre que celui du siège de la préfecture de région et où le dossier est instruit par les services de cette dernière - Conditions de régularité - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

En vertu d’une directive du 13 décembre 2011 doit être assurée la transparence et l’impartialité des avis donnés par un organisme public dans le cadre d’un projet à incidence environnementale. Pour cela il doit disposer d’une autonomie réelle par rapport, notamment, à la personne publique qui met en œuvre ce projet.

Saisi de cette question à propos de l’autorisation d’implantation d’éoliennes, le Conseil d’Etat rappelle (6 décembre 2017, Association France Nature Environnement, n° 400559 et 20 septembre 2019, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 428274) et amplifie les exigences découlant du droit de l’Union telles que les interprète la CJUE (20 octobre 2011, Department of the Environment for Northern Ireland contre Seaport (NI) Ltd et autres, aff. C-474/10).

Tout d’abord cette exigence d’autonomie réelle n’interdit pas que le donneur d’avis soit une personne publique ou y appartienne, il faut cependant, dans un souci d’autonomie réelle, que celle-ci dispose de moyens administratifs et humains propres la mettant en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée en donnant un avis objectif sur le projet concerné.

Ensuite sont distingués deux cas : celui où l’avis doit être donné par le préfet d’un département et celui où cet avis doit être donné par le préfet de région.

Dans le premier cas, où «  le projet est autorisé par un préfet de département autre que le préfet de région, l'avis rendu sur le projet par le préfet de région en tant qu'autorité environnementale doit, en principe, être regardé comme ayant été émis par une autorité disposant d'une autonomie réelle répondant aux exigences du droit de l’Union, sauf dans le cas où c'est le même service qui a, à la fois, instruit la demande d'autorisation et préparé l'avis de l'autorité environnementale. En particulier, les exigences de la directive, tenant à ce que l'entité administrative appelée à rendre l'avis environnemental sur le projet dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui soient propres, ne peuvent être regardées comme satisfaites lorsque le projet a été instruit pour le compte du préfet de département par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et que l'avis environnemental émis par le préfet de région a été préparé par la même direction, à moins que l'avis n'ait été préparé, au sein de cette direction, par le service mentionné à l'article R. 122-21 du code de l'environnement qui a spécialement pour rôle de préparer les avis des autorités environnementales ».

Dans le second cas, où «  le préfet de région est l'autorité compétente pour autoriser le projet, en particulier lorsqu'il agit en sa qualité de préfet du département où se trouve le chef-lieu de la région, ou dans les cas où il est en charge de l'élaboration ou de la conduite du projet au niveau local, si la mission régionale d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable, définie par le décret du 2 octobre 2015 relatif au Conseil général de l'environnement et du développement durable et les articles R. 122-21 et R. 122-25 du code de l'environnement, peut être regardée comme disposant, à son égard, d'une autonomie réelle lui permettant de rendre un avis environnemental dans des conditions répondant aux exigences résultant de la directive, il n'en va pas de même des services placés sous son autorité hiérarchique, comme en particulier la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ».

Précisément, en l’espèce, la cour administrative d’appel a jugé que « par principe », l'avis de l'autorité environnementale ayant été émis par le préfet de région et la décision attaquée ayant été prise par le préfet de département, il avait donc été satisfait aux exigences de l’art. 6 de la directive précitée, alors « que la même unité territoriale de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement ( …) avait à la fois instruit la demande d'autorisation et préparé l'avis de l'autorité environnementale ».

L’erreur de droit ainsi commise conduit à la cassation de l’arrêt d’appel avec renvoi à celle-ci.

(5 février 2020, Association " Des évêques aux cordeliers " et autres, n° 425451)

 

80 - Organismes génétiquement modifiés - Organismes obtenus par mutagénèse - Directive du 12 mars 2001 - Champ d’application - Interprétation de la directive par la CJUE - Exclusion des variétés obtenues par mutagénèse de la catégorie des OGM - Exclusion, par voie de conséquence, du champ d’application de la directive - Annulation pour l’essentiel.

Les organisations requérantes avaient demandé au Conseil d’État, d'une part, l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le premier ministre sur leur demande tendant à l'abrogation de l'art. D. 531-2 du code de l'environnement et à l'interdiction de la culture et de la commercialisation des variétés de colza rendues tolérantes aux herbicides et, d'autre part, qu'il soit enjoint au premier ministre de prononcer un moratoire sur la culture et la commercialisation de ces variétés. Le juge avait sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur un certain nombre de questions préjudicielles.

Le Conseil d’État statue ici après les réponses données par la CJUE réunie en grande chambre (25 juillet 2018, Confédération paysanne et alii, aff. C-528/16).

De sa décision ressortent trois points : la demande d’annulation, celle d’injonction et celle relative au moratoire.

La Cour ayant répondu que  « les organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagenèse constituent des organismes génétiquement modifiés au sens de (la directive) » et que « ne sont exclus du champ d'application de ladite directive que les organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagenèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps », le Conseil d’État constate que l’art. D. 531-2 précité ne peut pas être interprété comme « n'excluant des règles applicables aux organismes génétiquement modifiés que les seuls organismes qui sont obtenus par des techniques de mutagenèse ayant fait l'objet d'une utilisation traditionnelle sans inconvénient avéré pour la santé publique ou l'environnement ».

Par ailleurs, la Cour de Justice a énoncé qu’entrent dans le champ de la directive les organismes obtenus au moyen de techniques ou méthodes de mutagénèse qui sont apparues ou se sont principalement développées depuis l'adoption de la directive le 12 mars 2001.

C’est donc illégalement que le premier ministre a refusé d’abroger le a) du 2° de l'article D. 531-2 du code de l'environnement.

Sur l’injonction consécutive à cette annulation, le juge donne satisfaction sur deux points aux organisations requérantes. En premier lieu, il est enjoint au premier ministre, sur le fondement de l'article L. 911-1 du CJA  de procéder dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision à la modification du a) du 2° de l'article D. 531-2 du code de l'environnement de telle sorte que ne soient inscrites sur la liste prévue à cet article que les seules techniques ou méthodes de mutagénèse qui peuvent être regardées comme ayant été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps. En second lieu, et cette exigence est sévère, injonction est faite aux autorités compétentes, cette fois sur le fondement de l'article L. 911-2 du CJA, d'identifier, dans un délai de neuf mois à compter de la notification de la présente décision, au sein du catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles, celles de ces variétés, en particulier parmi les variétés rendues tolérantes aux herbicides, qui y auraient été inscrites sans que ne soit conduite l'évaluation à laquelle elles auraient dû être soumises compte tenu de la technique ayant permis de les obtenir et d'apprécier, s'agissant des variétés ainsi identifiées, s'il y a lieu de faire application des dispositions du 2 de l'article 14 de la directive 2002/53/CE du 13 juin 2002 relatives à l'annulation de l'admission au catalogue de certaines variétés, ainsi que des dispositions des articles L. 535-6 et L. 535-7 du code de l'environnement relatives aux disséminations volontaires ayant lieu sans avoir fait l'objet de l'autorisation requise.

Enfin, sur la demande de moratoire, le Conseil d’État, se fondant sur un certain nombre de chiffres et de faits ainsi que d’incertitudes, estime que le premier ministre ne pouvait légalement opposer un refus à la demande dont il était saisi en se fondant sur une analyse écartant l'existence de tout risque justifiant la mise en œuvre du principe de précaution. En conséquence, le premier ministre dispose d’un délai de six mois à compter de cette décision pour mettre en œuvre les recommandations de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail  (ANSES) ou toute mesure équivalente tant pour pallier l’incertitude des données actuellement disponibles que pour améliorer la connaissance des pratiques liées aux variétés rendues tolérantes aux herbicides (VRTH) et de sensibiliser les agriculteurs à l'égard de celles qui sont susceptibles d'induire des risques d'apparition et de développement des résistances des adventices aux herbicides. De même, il convient d'assurer la traçabilité effective des conseils prodigués aux exploitants dans le cadre de la charte des bonnes pratiques de désherbage dans les rotations incluant des VRTH. 

Le surplus des requêtes est rejeté mais l’essentiel de leur contenu est admis.

(7 février 2020, Confédération paysanne et autres, n° 388689)

 

81 - Centrale nucléaire - Autorité de sûreté nucléaire (ASN) - Pouvoirs du président de l’ASN - Suspension d’un générateur de vapeur - Décision de levée de la suspension - Rejet.

Les demandeurs sollicitaient l’annulation de la décision du président de l'Autorité de sûreté nucléaire, du 12 mars 2018, levant la suspension du certificat d'épreuve du générateur de vapeur n° 335 fabriqué par Areva NP qu’il avait prononcée le 18 juillet 2016.

Leur recours est, sans surprise, rejeté en tous ses arguments.

Tout d’abord, il résulte de l’art. L. 557-4 du code de l’environnement que les appareils à pression ne peuvent plus être installés ou utilisés que s'ils sont conformes à des exigences essentielles de sécurité relatives à leurs performance, conception, composition, fabrication et fonctionnement et à des exigences d'étiquetage. Toutefois, l’art. L. 557-6 de ce code permet l’installation ou l’utilisation de tels appareils non conformes sur demande justifiée du fabricant s'ils sont conformes aux exigences des réglementations antérieures ou en vigueur en France ou dans un État membre de l'Union européenne. En particulier, précise l’art. R. 557-12-9 dudit code, peuvent continuer à fonctionner ceux régulièrement autorisés en application du décret du 2 avril 1926. Le Conseil d’État en déduit que ce décret, bien qu’abrogé à compter du 19 juillet 2016 par le I de l’art. 5 du décret du 1er juillet 2015 relatif aux produits et équipements à risques, « continue à régir les équipements dont l'installation et la mise en service ont été permises au motif qu'elles répondent à ses exigences ». Il suit de là que les requérants ne peuvent pas soutenir le défaut de base légale de la décision attaquée.

Par ailleurs, il découle de diverses dispositions du même code que le président de l’ASN était régulièrement habilité à prendre une décision levant la suspension du certificat d'épreuve d'un appareil à pression

Ensuite, par sa décision querellée, le président de l'ASN, d’une part,  n'a pas méconnu les contrôles qui lui incombaient au titre de la mise en œuvre de l'article L. 557-43 du code de l'environnement et, d’autre part, contrairement à ce qui est soutenu, ne s’est point abstenu de s'assurer que la conception et la fabrication de cet équipement répondent aux exigences de sécurité visées à l'article L. 557-43 du code de l'environnement. En effet, la circonstance que le fabricant n'ait pas respecté les normes de conception et de construction définies par le code RCC-M (règles de conception et de construction des matériels mécaniques des îlots nucléaires des réacteurs à eau sous pression ) ne faisant pas obstacle à ce qu'il démontre, sous le contrôle de l'ASN et au besoin au terme des mesures correctrices prescrites par elle, que l'équipement litigieux assure un niveau de sécurité identique à celui résultant des exigences fixées par le décret du 2 avril 1926.

Egalement, les examens, vérifications et expérimentations effectués à la suite de la décision de suspension de 2016, ont montré : 1° que la présence d'une partie de la masselotte n'a pas affecté les propriétés mécaniques des matériaux dans des proportions remettant en cause les hypothèses de conception ; 2° que les essais non destructifs opérés ont permis de garantir, au niveau de la zone affectée thermiquement, l'absence de défaut susceptible d'être lié à la présence de ségrégations ; 3°, enfin, que les résultats des essais non destructifs mis en œuvre ont confirmé que le procédé de fabrication n'avait pas généré de défauts affectant le niveau de sécurité attendu de cet équipement.

Enfin, la circonstance que l’ensemble des travaux d’analyse conduits par l’ASN ont permis de s'assurer que l'équipement litigieux présente un niveau de sécurité identique, ne peut être regardée comme ayant pour objet de remettre en vigueur le certificat d'épreuve délivré le 1er février 2012. Par suite, les requérants ne peuvent utilement soutenir que la décision attaquée serait entachée de nullité par voie de conséquence de la nullité du certificat d'épreuve initialement délivré.

Il convient de relever le caractère un peu acrobatique du raisonnement suivi.

(12 février 2020, Association Trinationale de Protection Nucléaire et autres, n° 420452 ; v. aussi, du même jour, avec la requérante première dénommée dans l’arrêt ci-dessus, à propos du refus d’arrêter complètement le fonctionnement de la centrale nucléaire de Fessenheim : la décision n° 428414)

 

État-civil et nationalité - Étrangers

 

82 - Étrangers - Demandeur d’asile - Demandeur mineur né après rejet de la demande d’asile de ses parents ou remise d’une attestation de demande d’asile - Régime applicable - Annulation sous astreinte.

Il est jugé par le Conseil d’État, ce qui n’allait pas de soi, qu’il résulte des dispositions de l'article 17 de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 et de celles du premier alinéa de l'article L. 744-1 ainsi que de l’art. D. 744-17 du CESEDA, que lorsque l'enfant demandeur d'asile est né après que la demande d'asile de ses parents a été définitivement rejetée ou est titulaire d'une attestation de demande d'asile enregistrée avant le 1er janvier 2019 (cf. le III de l’art. 71 de la loi du 10 septembre 2018) sur laquelle il n'a pas déjà été statué, et que ses parents ont accepté les conditions matérielles d'accueil, l'Office français de l'immigration et de l'intégration est tenu, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, d'héberger cet enfant avec ses parents ainsi que ses éventuels frères et sœurs mineurs, et de lui verser, par l'intermédiaire des parents, l'allocation pour demandeur d'asile, sans qu'y fassent obstacle les dispositions de l'article D. 744-18 du CESEDA aux termes desquelles « Pour bénéficier de l'allocation pour demandeur d'asile, les personnes mentionnées aux 1° et 2° de l'article D. 744-17 doivent être âgées de dix-huit ans révolus ».

(18 février 2020, Mme X., n° 437954)

 

83 - Demandeurs d’asile - Acceptation de l’offre de prise en charge faite par l’Office français de l’intégration et de l’immigration (OFII) - Interruption du versement de l’allocation de demandeur d’asile - Saisine du juge des référés - Inexécution de l’ordonnance - Non-lieu sur nouveau référé - Instruction à l’audience de référé - Annulation de l’ordonnance et du refus de l’OFII d’exécuter - Condamnation sous astreinte.

La présente affaire est exemplaire à bien des égards (I), elle montre la grande utilité de l’instruction orale menée à l’audience de référé (II).

I. -

Des ressortissants éthiopiens, un couple et leurs deux enfants, demandeurs d’asile, ont accepté l’offre de prise en charge de l’OFII et ont perçu l’allocation de demandeur d’asile jusqu’à ce que l’Office cesse, en janvier 2019, de la leur verser. Le juge des référés, saisi par les intéressés, a fait droit - par une ordonnance du 25 octobre 2019 -, à leur demande de suspension du refus du versement de cette allocation et a ordonné son rétablissement sous quinzaine. Cette ordonnance n’ayant pas été exécutée, le premier juge, à nouveau saisi, cette fois sur le fondement de l’art. L. 521-4 du CJA, prononce le non-lieu à statuer sur cette seconde requête car il estime que, contrairement aux allégations du requérant, l'allocation allait lui être versée en janvier 2020, un mémoire ayant été produit en ce sens par l'OFII le 19 décembre 2019. Devant la persistance de l’inexécution, l’intéressé a, à nouveau, saisi le juge des référés qui, a décidé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur cette troisième requête.

Le Conseil d’État a été saisi en qualité de juge d’appel.

Il résulte de l’instruction menée à l’audience d’appel et cela n'est d’ailleurs pas contesté par l'OFII, qui l'a expressément confirmé durant l'audience d'appel, d’une part, que ce mémoire n'a jamais été communiqué au demandeur et d’autre part, que l'OFII n'a, en réalité, produit aucun mémoire en première instance. Enfin, l'OFII a expressément confirmé au cours de cette même audience, que les versements d'allocation en janvier avaient été opérés le 5 janvier au plus tard, rendant impossible que, comme l'énonçait l'ordonnance attaquée, un versement intervienne en janvier 2020.

Fortement agacé, et on le comprend, le juge des référés du Conseil d’État écrit ceci qui en dit long sur son opinion quant à la procédure suivie en l’espèce en première instance : « Rendue en méconnaissance des droits de la défense et du caractère contradictoire de la procédure, sur le fondement d'un mémoire qui n'a pas été produit et reposant au surplus sur une erreur de fait, l'ordonnance attaquée est entachée de vices de procédure. M X. est donc fondé à en demander l'annulation ».

II. -

Comme si ce qui précède ne suffisait pas, l’imbroglio se poursuit avec l’attitude de l’OFII à l’audience qui ne manque pas d’irriter le juge.

Pour justifier du non-versement de l’allocation, l'OFII indique que des erreurs de saisie informatique ont empêché la mise en paiement de l'allocation mais qu’il n’a aucune objection au rétablissement des droits de M. X. au versement de l'allocation dans les conditions initialement prévues par l'ordonnance du 25 octobre 2019. Toutefois, interrogé sur ce point, l'OFII a indiqué d'une part qu'il ne verserait pas le montant des arriérés dus, mais seulement celui d'un mois d'allocation, et, d'autre part, qu'il entendait, pour des motifs qui, comme le relève le juge, n'ont pas été explicités, procéder par ailleurs au recouvrement d'une somme de 3600 euros, présentés comme correspondant à un trop perçu d'allocation par M. X.

À partir de là, il convient de laisser la parole au juge dont la patience atteint ici sa limite : « Cette somme n'a fait l'objet d'aucune procédure de recouvrement, ni de l'émission d'aucun titre. Il en est fait état pour la première fois, après trois procédures devant le tribunal administratif de Melun, et sous la forme de simples déclarations orales se rapportant à un tableau émanant d'une direction informatique de l'OFII. Il apparait donc que l'OFII ne s'est nullement mis en mesure de procéder au paiement ordonné, dont il ne conteste pourtant pas le bien fondé, et n'entend pas procéder à la bonne exécution de l'ordonnance du 25 octobre 2019 qui exigeait le rétablissement du paiement dans les meilleurs délais, qu'elle fixait à quinze jours après son prononcé, de sorte que sa parfaite exécution demanderait aujourd'hui le paiement des sommes dues depuis cette date lors de l'échéance du 5 mars (2020).

Dès lors qu'il résulte de ce qui précède qu'il ne peut être ajouté foi aux affirmations de l'OFII dans son mémoire en défense quant à sa volonté d'exécuter l'ordonnance du 25 octobre 2019, il y a lieu de faire droit à la demande de M.X. d'assortir le dispositif de l'ordonnance du 25 octobre 2019 d'une astreinte, dont le montant sera fixé à 50 euros par jour de retard à compter du 5 mars 2020, date à laquelle l'ensemble des sommes dues depuis l'ordonnance du 25 octobre 2019 devront avoir été versées, et à partir de laquelle le versement régulier de l'allocation devra être repris, sous réserve des évolutions ultérieures de la situation de M. X. et de ses droits ».

C’est ainsi que se construit une justice de tous les jours, conforme au droit, au bon sens et n’ignorant pas le besoin d’humanité.

(Ord. réf. 19 février 2020, M. X., n° 438417)

 

84 - Demandeur d’asile - Réadmission selon la procédure Dublin III - Demandeur pouvant être déclaré en fuite - Conditions - Abstention de se rendre sur le lieu de départ - Rejet. 

Dans cette décision, assez sévère semble-t-il, le juge érige en règle que le demandeur d'asile faisant l'objet d'une procédure de réadmission dans le cadre de la procédure Dublin III peut être regardé comme « en fuite » si, informé précisément et dans une langue qu'il comprend, des modalités exactes de son réacheminement, il s'est délibérément abstenu de se conformer aux indications données par l'administration pour son voyage ; le fait de ne pas se rendre en temps utile sur le lieu programmé du départ, compte tenu des aléas de déplacement sur le trajet et de la longueur des procédures d'embarquement, sans pouvoir faire valoir un motif valable de retard, doit être assimilé à une telle abstention délibérée.

(Ord. réf. 25 février 2020, Mme X., n° 438765)

 

85 - Droit d’asile - Recours de l’art. L. 512-1 CESEDA - Référé suspension et référé liberté (art. L. 521-1 et L. 521-2 CJA) - Cumul des deux sortes de recours possible - Non-lieu partiel et annulation de l’ordonnance pour le surplus.

(Ord. réf. 17 février 2020, M. X., n° 433503) V. n° 22

 

Fonction publique et agents publics

 

86 - Médecin hospitalo-universitaire - Professeur de l’enseignement supérieur - Mesures de suspension - Décisions successives de suspension prises par le président de l’université, par le directeur de l’hôpital, par la ministre de la santé et par la juridiction disciplinaire - Rejets pour l’essentiel sauf annulation de la décision du directeur d’hôpital.

La requérante, professeur des universités - praticien hospitalier et chef du pôle médico-judiciaire d’un centre hospitalier universitaire (CHU) puis, après la suppression de ce pôle, responsable de l'unité de l'institut médico-légal de l'établissement -, a demandé l’annulation de décisions de suspension de ses fonctions dont elle a fait l’objet, pour des faits de harcèlement moral, de la part du président de l’université où elle est affectée en qualité de professeur des universités, du directeur général de l’hôpital où elle exerce en tant que praticienne ainsi que de la ministre de la santé.

Si le Conseil d’Etat rejette pour l’essentiel ses trois recours, la suspension provisoire lui paraissant justifiée au regard du climat général ainsi créé dans le service et de la plausibilité des faits reprochés, il annule cependant la suspension décidée par le directeur général du CHU. En effet, normalement et seulement en cas d’urgence, c’est au directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) qu’appartient la compétence pour suspendre le droit d'exercer d'un médecin qui exposerait ses patients à un danger grave (cf. art. L. 4113-14 du code de la santé publique). Toutefois, par exception, cette compétence peut être exercée le directeur d'un centre hospitalier (cf. les termes dont use l’art. L. 6143-7 du CSP) dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients et sous réserve d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné. Or le juge estime « qu'eu égard aux faits reprochés, à leurs conséquences sur l'activité du service et à la nature des responsabilités exercées par (l’intéressée) qui avait été, ainsi qu'il a été dit, déchargée de ses fonctions de cheffe du pôle médico-judiciaire pour se voir confier la seule unité médico-légale, la poursuite de (son) activité hospitalière (…) n'était pas de nature à caractériser une situation exceptionnelle mettant en péril, de manière imminente, la continuité du service de médecine légale où elle exerçait ou la sécurité des patients ». C’est donc illégalement que le directeur général du CHU a pris la décision de suspension querellée.

(5 février 2020, Mme X., n°s 422922, 422925 et 424756, jonction)

 

87 - Protection fonctionnelle - Agent public étranger employé par l’État français - Interprète afghane auprès des forces françaises en Afghanistan - Protection sous la forme de la délivrance d’un visa - Personnes concernées - Annulation et rejet partiels.

 Réitérant une jurisprudence désormais bien établie au sujet des interprètes afghans de l’armée française alors déployée en Afghanistan, le Conseil d’État juge que, compte tenu des circonstances très particulières en cause ici, la protection fonctionnelle qui doit leur être accordée en qualité d’agents publics peut exceptionnellement conduire à la délivrance d'un visa ou d'un titre de séjour s’il s’agit là du moyen le plus approprié pour assurer sa sécurité.

Cependant, si ce visa couvre ou peut couvrir l'intéressé et sa famille, celle-ci ne peut comprendre que son conjoint, son partenaire au titre d'une union civile, ses enfants et ses ascendants directs.

En revanche, la sœur d’un tel agent ne fait pas partie des membres de sa famille et ne saurait bénéficier de la protection fonctionnelle. Il lui appartient donc de solliciter, si elle s'y estime fondée, un visa d'entrée en France à raison des menaces dont elle s'estime faire l'objet.

(26 février 2020, Mme X., n° 436176)

 

88 - Agent public stagiaire - Refus de titularisation en fin de stage - Mesure prise en considération de la personne ou à la suite de faute disciplinaire - Régime procédural du refus de titularisation - Cassation avec renvoi.

Le litige portait sur les conditions du refus de titulariser un agent stagiaire à l’issue de son stage. En bref, il était reproché au maire, par la cour administrative d’appel, d’avoir retenu des motifs disciplinaires au soutien de son refus de titulariser. Celui-ci se pourvoit et obtient gain de cause.

Cette affaire donne l’occasion au Conseil d’État de soigneusement rappeler le régime procédural des refus de titularisation des agents publics stagiaires. Il le fait en trois points.

Tout d’abord, parce que la situation d’un tel agent est « probatoire et provisoire », la décision de ne pas le titulariser en fin de stage est fondée sur l'appréciation portée sur son aptitude à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé et sur sa manière de servir. Il s’agit donc toujours d’une mesure prise en considération de sa personne.

Ensuite, dès lors qu’elle est justifiée par des insuffisances dans l’exercice de ses fonctions par le stagiaire et sur sa manière de servir, sa non-titularisation est régulière sous réserve du cas où celle-ci serait fondée en tout ou en partie sur des faits susceptibles de caractériser des fautes disciplinaires. En ce cas, le refus de titularisation ne peut intervenir qu’après que l'intéressé a été mis à même de faire valoir ses observations.

Enfin, le Conseil d’État fournit au juge un véritable vade-mecum de l’exercice de son pouvoir de contrôle. Il lui incombe de vérifier que la décision de refus de titularisation « ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, qu'elle n'est entachée ni d'erreur de droit, ni d'erreur manifeste dans l'appréciation de l'insuffisance professionnelle de l'intéressé, qu'elle ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire et n'est entachée d'aucun détournement de pouvoir et que, si elle est fondée sur des motifs qui caractérisent une insuffisance professionnelle mais aussi des fautes disciplinaires, l'intéressé a été mis à même de faire valoir ses observations ».

(24 février 2020, Commune de Marmande, n° 421921)

 

89 - Personnel des menses épiscopales - Agent non titulaire de l’État - Licenciement - Application fluctuante du décret du 17 janvier 1986 - Mense épiscopale de Metz - Établissement public du culte - Établissement public administratif de l’État - Exercice du pouvoir disciplinaire selon le régime de ce décret - Absence légitime en l’espèce de commission consultative paritaire - Théorie de la formalité impossible - Cassation avec renvoi.

Le requérant, agent de la mense épiscopale de Metz, a été, par une décision du 12 juin 2015 de l'évêque de Metz, licencié pour faute. Le tribunal administratif, saisi par l’intéressé, a annulé cette décision, ainsi que les décisions implicites de rejet des recours gracieux et hiérarchique formés par celui-ci et a enjoint à la mense épiscopale de procéder à la réintégration et à la reconstitution de ses droits.  La cour administrative d'appel a rejeté l'appel de l'évêque de Metz. Celui-ci se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État relève l’incertitude longtemps existante sur le régime disciplinaire applicable aux agents des menses pour des raisons de qualification juridique. À la date du licenciement litigieux, note-t-il, « les personnels des menses épiscopales n'étaient pas, en l'absence de décision du Conseil d'État ayant clarifié les règles juridiques applicables aux personnels administratifs des cultes dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, alors que les juridictions du fond avaient pris sur ce point des positions différentes, considérés comme étant soumis au décret du 17 janvier 1986 relatif aux agents non titulaires de l'État, qui ne vise d'établissements publics que ceux de l'État ». Ce n’est que par une décision du Conseil d’État du 22 juillet 2016 (M. X., n° 383412, Rec. pp. 641-749-809) - donc postérieure à la date du licenciement - que cette incertitude a été levée.

Par suite, aucune commission consultative paritaire compétente pour ces établissements n'était alors constituée ce qui rendait légitimement impossible la mise en œuvre de la procédure prévue à l'article 1-2 du décret du 17 janvier 1986. En estimant que la mense ne s’est pas heurtée à une formalité impossible, la cour administrative d’appel a dénaturé les faits. Sa décision est cassée et l’affaire lui est renvoyée.

(28 février 2020, M. X., n° 428441)

 

90 - Militaires - Fonds de prévoyance militaire et de l'aéronautique - Litige portant sur le versement d’une allocation par ce Fonds - Compétence pour en connaitre - Absence de solution dérogatoire - Compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel a son siège la personne publique qui a pris la décision litigieuse.

Le Fonds de prévoyance militaire et de l'aéronautique (FPMA) est un établissement public administratif notamment chargé de gérer le fonds de prévoyance militaire et de verser des allocations aux militaires ou anciens militaires.

Il suit de là que, ce dispositif revêtant le caractère d'un mécanisme de prévoyance collective obligatoire, le litige opposant, au sujet du versement d'une allocation, un agent à cet établissement public ne peut être regardé comme un litige d'ordre individuel intéressant un fonctionnaire ou agent de l'État au sens de l'article R. 312-12 du CJA. En effet, même si le FPMA est étroitement lié au ministère de la défense, il n'est pas l’employeur de l’agent.

Semblablement, un tel litige ne relève pas non plus des dispositions de l'article R. 312-13 du CJA car les allocations versées par le FPMA ne constituent pas un élément de la pension et leur contentieux n'est pas soumis par une disposition expresse aux règles applicables aux pensions.

Ne relevant d’aucune disposition non plus que d’aucun texte spécifique, le litige dont s’agit doit être renvoyé au tribunal administratif de Paris, dans le ressort duquel l'établissement public a son siège.

(28 février 2020, M. X., n° 427529)

 

91 - Délégation de signature - Délégation d’un président de conseil départemental à un directeur général des services du département - Étendue de la délégation - Gestion des agents - Absence de mention expresse d’une délégation du pouvoir disciplinaire - Illégalité de la sanction - Rejet.

Une mesure d’exclusion temporaire de ses fonctions a été prise à l’encontre d’un agent du conseil départemental pour harcèlement sexuel. La décision est contestée pour être émanée du directeur général des services agissant sur délégation de signature du président d’un conseil départemental.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi du département car la délégation de signature ne couvrait pas les mesures disciplinaires envers les agents du département.

Le juge donne ici une interprétation stricte de l’étendue de la délégation ainsi consentie car les mesures disciplinaires revêtent toujours un caractère accusé de gravité.

Le juge relève ainsi « que l'arrêté du 4 novembre 2015 donnant délégation de signature à M. X., directeur général des services du département de la Manche, ne vise expressément, au titre de ses attributions et compétences pour la gestion des agents du département, que la signature des " pièces relatives aux ordres de mission, à la gestion des congés, aux autorisations d'absences, aux états de frais de déplacement et aux heures supplémentaires " et ne comporte aucune référence aux sanctions disciplinaires. En outre, si cette même délégation attribue compétence à M. X. pour signer les actes, courriers, pièces et documents pour lesquels l'arrêté de délégation de signature du même jour relatif à la direction générale des services donne délégation de signature à divers responsables de services, ce dernier arrêté ne procède lui-même à aucune délégation de signature en matière de sanctions disciplinaires. À cet égard, la mention, par ce second arrêté, des " arrêtés et [...] contrats concernant le personnel " ne saurait, faute de précision en ce sens, être considérée comme visant les mesures disciplinaires. Dès lors, en jugeant que M. X. n'était pas habilité par ces deux arrêtés à signer des décisions prononçant des sanctions disciplinaires à l'encontre des agents du département, la cour administrative d'appel ne s'est méprise sur la portée d'aucun des deux arrêtés ».

(24 février 2020, Département de la Manche, n° 422482)

 

92 - Office public d’habitat (OPH) - Désignation comme président d’un OPH d’une personne ayant fait l’objet d’une condamnation pénale - Impossibilité d’être membre du conseil d’administration d’un OPH en cas de condamnation pénale assortie des interdictions édictées aux art. L. 241-3 et L. 241-4 du code de la construction et de l’habitation - Exception lorsque la condamnation doit être réputée non avenue (art. 132-35 du code pénal et 736 du code de procédure pénale) - Cassation avec renvoi.

L'article L. 423-12 du code de la construction et de l'habitation interdit qu’une personne puisse être membre du conseil d'administration ou exercer une fonction de direction dans un organisme d'habitations à loyer modéré si elle tombe sous le coup des interdictions prévues aux articles L. 241-3 et L. 241-4 de ce code.

Le 4° de l’art. L. 241-3 concerne les cas de soustraction commise par dépositaire public, concussion commise par fonctionnaire public, corruption de fonctionnaires publics et d'employés des entreprises privées, communication de secrets de fabrique.

En l’espèce, un administrateur, condamné sur le fondement de ce 4° à une peine de dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et à 50 000 euros d'amende ainsi qu'à la privation de ses droits civiques et civils pendant une durée de trois ans, est élu ensuite président d’un OPH.

Un administrateur conteste cette désignation au regard des dispositions précitées, il est débouté en première instance et en appel ; il se pourvoit.

Les juges du fond ont relevé, d’une part, que l'article 132-35 du code pénal dispose que : « La condamnation pour crime ou délit assortie du sursis simple est réputée non avenue si le condamné qui en bénéficie n'a pas commis, dans le délai de cinq ans à compter de celle-ci, un crime ou un délit de droit commun suivi d'une nouvelle condamnation ayant ordonné la révocation totale du sursis dans les conditions définies à l'article 132-36 ; le caractère non avenu de la condamnation ne fait pas obstacle à la révocation totale ou partielle du sursis en cas d'infraction commise dans le délai de cinq ans », et d’autre part, qu’aux termes de l'article 736 du code de procédure pénale : « La suspension de peine (...) ne s'étend pas non plus aux incapacités, interdictions et déchéances résultat de la condamnation. Toutefois, ces incapacités, interdictions et déchéances cesseront d'avoir effet du jour où par application des dispositions de l'article 132-35 du code pénal, la condamnation aura été réputée non avenue ». Ils en ont donc déduit que la condamnation infligée à la personne élue président devait être réputée non avenue en application des dispositions précitées, car ces dispositions, relatives au régime des peines, faisaient obstacle à ce que l'interdiction prévue par l'article L. 241-3 du code de la construction et de l'habitation soit appliquée.

Le Conseil d’État est à la cassation de l’arrêt d’appel pour erreur de droit. Il considère que les dispositions combinées des articles précités du code de la construction et de l'habitation ont pour objet d'assurer, à titre préventif et sans limitation dans le temps, que les personnes désignées en tant que membres du conseil d'administration d'un organisme d'habitations à loyer modéré et susceptibles, le cas échéant, d'être élues à la présidence de ce même conseil, présentent les garanties d'intégrité et de moralité indispensables à l'exercice des fonctions d'administration, de gestion et de direction de ces organismes.

Il faut relever cette interprétation particulièrement sévère des textes assortie de facto de la mise à l’écart du droit pénal : salutaire rappel que les exigences de la chose publique ne sauraient être traitées à l’aune de la moralité des actes individuels. Ceci dit, un esprit chagrin ne manquerait pas d’y apercevoir une sérieuse entorse au principe de proportionnalité tant à la mode ces temps-ci.

(13 février 2020, M. X., n° 425961)

 

93 - Maladie d’un fonctionnaire - Imputabilité au service - Lien direct avec le service - Présomption d’imputabilité - Exceptions - Cassation ave renvoi.

Réitération d’une jurisprudence désormais classique.

Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

(13 février 2020, Département du Finistère, n° 427660 ; v. aussi, identique : 28 février 2020, M. X., n° 422548)

 

94 - Fonctionnaire de La Poste - Agissements irréguliers multiples dans un centre de tri ou de plateformes de distribution du courrier - Sanction d’exclusion temporaire des fonctions pendant deux ans - Annulation de la sanction par une cour d’appel pour disproportion - Dénaturation des pièces du dossier - Cassation avec renvoi.

Cette affaire est un cas d’école.

Un fonctionnaire de La Poste s’est rendu coupable de diverses actions répréhensibles que le Conseil d’État prend soin d’énumérer ainsi : « (…) entre 2009 et 2015, M. X. a participé au blocage d'un centre de tri, s'est introduit sans autorisation à de très nombreuses reprises, accompagné de personnes étrangères au service, dans des plateformes de distribution du courrier pour s'adresser aux personnels, a participé, avec d'autres manifestants, à l'occupation du bureau du directeur de la direction opérationnelle du courrier des Hauts-de-Seine, a fait obstacle à la distribution de documents électoraux, a agressé physiquement un agent, a entraîné des retards dans l'envoi de 9 500 plis et a conduit La Poste à trois reprises à solliciter l'intervention des forces de police ».

Cet agent a fait l’objet d’une sanction disciplinaire de deux ans d’exclusion temporaire de ses fonctions.

Sur son recours, le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel, ont annulé la décision de sanction pour excès de pouvoir. En particulier la cour a, selon le Conseil d’État « estimé que la gravité de ces faits était faible, dans la mesure où ils avaient été commis dans un climat social tendu, n'avaient porté qu'une atteinte limitée au fonctionnement du service et à la liberté individuelle du travail et où La Poste n'invoquait aucun préjudice d'ordre commercial lié à ces agissements. Elle en a déduit que la sanction d’exclusion prise par La Poste à l'encontre de M. X. était disproportionnée aux fautes que celui-ci avait commises (…) ».

Le juge de cassation ne partage pas du tout cette analyse assez bienveillante des faits et le fait savoir assez vivement : « En portant cette appréciation sur la gravité des faits, alors que ni l'existence d'un climat social tendu ni la circonstance que La Poste n'avait pas invoqué de préjudice commercial n'étaient de nature, dans les circonstances qu'elle avait relevées, à remettre en cause la gravité des agissements reprochés à l'intéressé, lesquels ne pouvaient, eu égard à leur nature et à leur nombre, avoir été dénués d'incidence sur le bon fonctionnement du service, la cour a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ».

Ce n’est pas donc pas d’une inexacte qualification des faits que la cour s’est rendue coupable mais d’une dénaturation de pièces, manière de dire combien le juge de cassation a peu apprécié…

(12 février 2020, La Poste, n° 422650)

 

95 - Médecin hospitalo-universitaire - Professeur de l’enseignement supérieur - Demande de prolongation d’activité au-delà de la limite d’âge - Distinction entre les fonctions d’enseignement et celles de consultant en matière hospitalière - Régimes différents de prolongation de fonctions pourtant indissociables - Cassation avec renvoi de l’arrêt d’appel opposant le caractère indissociable.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge, à propos du refus opposé à un praticien hospitalier et professeur des universités de bénéficier d’une prolongation d’activité, que dès lors que celui-ci s’est refuser définitivement la prolongation de ses fonctions hospitalières il ne saurait obtenir celles de sa fonction d’enseignement l’une et l’autre étant indissociables.

Le Conseil juge, au contraire, que si ces fonctions sont, en effet, indissociables, le refus opposé à la prolongation des fonctions hospitalières ne saurait entrainer celui de la prolongation des fonctions d’enseignement, cette dernière étant de droit, à la différence de la première.

(5 février 2020, Mme X., n° 423838)

 

96 - Retraites des militaires - Bonification et majoration pour services de campagne accomplis dans certains territoires - Cas des militaires affectés dans un tel territoire lorsqu’ils en sont originaires ou s’y fixent définitivement - Maintien du bénéfice des campagnes - Cassation du jugement pour erreur de droit et renvoi.

Commet une erreur de droit le tribunal administratif qui juge qu’un militaire né à La Réunion qui y accomplit une partie de sa carrière et s’y fixe définitivement n’a pas droit à la bonification pour accomplissement de campagnes dans ce territoire alors que ce dernier est éligible au rang des territoires donnant droit à l’attribution de bonifications par dispositions combinées des art. L. 12 et R.14 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

(12 février 2020, M. X., n° 416965 ; du même jour avec même solution : M.X., n° 416966)

 

97 - Pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre (art. L. 37, b/) - Avantages pour infirmités imputables au service - Cas de l’infirmité non imputable au service mais aggravée par le service - Absence de prise en compte - Cassation partielle avec renvoi à la cour régionale des pensions.

Doit être cassé pour erreur de droit l’arrêt d’une cour régionale des pensions qui se fonde, pour juger que l'hypoacousie bilatérale et les acouphènes dont souffre le requérant devaient être pris en compte pour l'application des dispositions du b) de l'article L. 37 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, sur la seule circonstance que ces infirmités avaient été aggravées par des blessures reçues par le fait du service, sans rechercher si elles trouvaient elles-mêmes leur origine dans ce même service.

En effet, les avantages supplémentaires accordés aux pensionnés remplissant certaines conditions relatives tant à l'imputabilité de leurs infirmités qu'au degré d'invalidité en résultant, ne sauraient s'appliquer à des infirmités qui ont une origine étrangère au service et qui ont été aggravées par une blessure ou une maladie imputable à celui-ci.

(13 février 2020, Ministre des armées, n° 421929)

 

98 - Praticien stagiaire dans un hôpital - Refus de raser sa barbe - Barbe à signification religieuse - Résiliation de la convention de stage - Principe de laïcité et service public - Liberté de conscience - Cassation sans renvoi.

Un étranger, praticien stagiaire dans un hôpital, a refusé de raser sa barbe tout en reconnaissant qu’elle pouvait été perçue comme un signe religieux ; son contrat de stage a été résilié.

Le Conseil d’État casse pour erreur de droit l’arrêt d’appel confirmatif du jugement de première instance qui avait validé la résiliation car ces seuls éléments (port d’une longue barbe, refus de la raser et reconnaissance de sa signification religieuse) étaient en  eux-mêmes insuffisants pour caractériser la manifestation de convictions religieuses dans le cadre du service public dès lors que la cour  n’établit  aucune autre circonstance susceptible de démontrer que le requérant  aurait manifesté de telles convictions dans l'exercice de ses fonctions.

(12 février 2020, M. X., n° 418299)

 

99 - Enseignant agent contractuel d’un GRETA (groupement d’établissements) - Enseignements dispensés dans le cadre des missions de formation professionnelle - Demande de réintégration et de régularisation - Refus - Recours dirigé contre l’Etat - Annulation partielle et renvoi dans cette mesure.

Rappel de ce que les personnels contractuels des GRETA, alors même que ces agents relèvent, pour leur gestion, des dispositions législatives et réglementaires applicables aux agents non titulaires de l'Etat, sont des agents de l'établissement support du GRETA et non des agents de l'État et le versement des sommes qui leur sont dues à raison du contrat qui les lie à l'établissement support du GRETA, y compris l'indemnisation des fautes imputables à cet employeur lors de la conclusion, de la mise en œuvre ou de la rupture de leur contrat, incombe exclusivement à ce dernier.

C’est donc à tort qu’ici les juges du fond sont entrés en voie de condamnation du ministre de l’Éducation nationale.

(5 février 2020, Ministre de l’Éducation nationale, n° 426226)

 

100 - Enseignants de l’enseignement supérieur - Exercice du droit de grève - Vérification du service fait - Note ministérielle à cet effet - Retenue éventuelle sur traitement - Régime - Rappel de la définition des obligations de service.

Vingt-et-un enseignants contestaient la légalité d’une note de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation du 7 mai 2018 rappelant les dispositions applicables aux enseignants-chercheurs en cas de grève et d'absence de service fait.

Leurs arguments sont tous rejetés.

En réalité cette note n’ajoute rien à la réglementation existante y compris lorsque, d’une part, elle rappelle les obligations statutaires de ces enseignants, lesquelles  « impliquent (...) la participation aux heures d'enseignement inscrites dans les tableaux de service et selon les emplois du temps prévus, (...) la surveillance et la correction des épreuves d'examen ainsi que la participation aux délibérations de jurys, de même que la transcription des notes » et d’autre part, indique que  « [l'absence de service fait] peut être constatée lorsqu'elle porte sur des activités programmées de façon calendaire, notamment celles exercées en présentiel (cours, TP, TD, surveillance examens, auditions, etc.) et dont le calendrier prévu coïncide avec une période couverte par un préavis de grève ». Enfin, la circonstance que la note précise que toute grève non précédée d’un préavis déposé dans les conditions réglementaires constitue une faute susceptible de faire l’objet d’une sanction disciplinaire ne lui confère pas davantage le caractère d’un acte faisant grief n’étant que le rappel des textes législatifs et réglementaires en vigueur.

Il n’est ainsi porté atteinte ni à l’exercice du droit constitutionnel de grève ni à la liberté d’expression de ces agents. Le recours est, sans surprise, rejeté.

(12 février 2020, Mme X. et autres, n° 421997)

 

101 - Fonctionnaire - Directeur de l’Établissement national des invalides de la marine - Mesure prise en considération de la personne - Obligation de communication préalable du dossier de l’intéressé - Contenu du dossier - Enquête diligentée par un corps d’inspection - Exigence de complétude du dossier y compris s’agissant de témoignages recueillis dans le cadre d’une enquête - Exception en cas de risque de grave préjudice pour un témoin - Annulation.

Depuis la loi du 22 avril 1905 votée à la suite de la célèbre et désastreuse « affaire des Fiches », les mesures défavorables prises à l’encontre d’un fonctionnaire qu’elles constituent des sanctions ou des mesures prises en considération de la personne doivent obligatoirement être précédées de la communication, à l’agent qui en fait la demande, de la communication de son dossier ; cette communication doit porter sur toutes les pièces qu’il contient.

Dans la présente affaire, une enquête administrative sur le comportement de l’intéressé avait été confiée à l'inspection générale des affaires sociales et au conseil général de l'environnement et du développement durable qui, au terme de leurs travaux, avaient rendu un rapport aux ministres concernés.

Invité à prendre connaissance de son dossier, le requérant constata qu’y figurait, notamment, le rapport d’inspection mais point les 55 procès-verbaux d’audition d’agents de l’Établissement national des Invalides de la marine. Sa demande de communication desdits procès-verbaux a été rejetée.

Jugeant irrégulière la procédure de révocation, le requérant a saisi le Conseil d’État qui lui donne raison.

Ainsi, un dossier n’est complet que s’il comporte non seulement les pièces ayant directement concouru à la décision prise envers le fonctionnaire mais encore celles qui ont contribué à l’élaboration de cette dernière, c’est-à-dire, ici, les témoignages.

Le Conseil d’État, en annulant la procédure suivie, apporte deux précisions : positivement, doivent figurer au dossier les rapports produits par un corps d’inspection, négativement, n’ont pas à y figurer ceux des documents « de nature à porter gravement préjudice aux personnes » dont les propos ou témoignages y sont contenus.

(5 février 2020, Richard Decottignies, n° 433130)

 

102 - Fonctionnaire irrégulièrement évincé de son emploi - Demande d’annulation de la mesure - Demande de réparation pécuniaire des conséquences dommageables en résultant - Litige distinct non soumis à la juridiction - Demande d’exécution ne pouvant se rapporter qu’à la demande d’annulation - Rejet.

(12 février 2020, M. X., n° 416007) V. n° 44

 

103 - Fonction publique - Nouvelle bonification indiciaire (NBI) - Attribution - Conditions - Suppression - Conditions - Suppression rétroactive - Illégalité pour violation du principe de non-rétroactivité des actes administratifs réglementaires - Annulation.

Par deux arrêtés du 2 février 2018, le ministre de la transition écologique et solidaire modifiant l'arrêté du 4 janvier 2017 portant désignation d'emplois éligibles à la nouvelle bonification indiciaire au sein du secrétariat général du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer, en charge des relations internationales sur le climat, a prévu, d'une part, la suppression, à compter du 1er janvier 2017, de l'emploi d'adjoint du chef du bureau des affaires juridiques de l'eau et de la nature de la liste des emplois éligibles à la nouvelle bonification indiciaire et, d'autre part, l'inscription, à compter du 1er mars 2017, du même emploi sur cette même liste avec attribution de 21 points.

Le demandeur, qui occupe les fonctions d’attaché principal, a été nommé le 1er janvier 2017 dans l'emploi d'adjoint au chef du bureau des affaires juridiques de l'eau et de la nature, au sein de la direction des affaires juridiques du ministère de la transition écologique et solidaire. Il demande à ce titre l’annulation des deux arrêtés.

Donnant raison à l’intéressé, le Conseil d’État relève que si l'article 25 de la loi n° 94-628 du 25 juillet 1994 permet de faire prendre effet à une date antérieure à leur publication à des dispositions réglementaires attribuant pour certains emplois le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire (NBI), il ne saurait servir de fondement légal à des dispositions réglementaires retirant rétroactivement le bénéfice total ou partiel de cette bonification pour certains emplois y ouvrant déjà droit en vertu des dispositions prises antérieurement.

Il suit de là qu’en supprimant, pour la période allant du 1er janvier au 28 février 2017, la nouvelle bonification indiciaire de 25 points attachée à l'emploi d'adjoint du chef du bureau des affaires juridiques de l'eau et de la nature, puis en la fixant à 21 points pour la période antérieure au 26 mars 2018, les deux arrêtés attaqués ont méconnu le principe de non-rétroactivité des actes réglementaires.

(10 février 2020, M. X., n° 424245)

 

104 - Fonctionnaire territorial - Congé de longue maladie - Commission de réforme - Condition de fonctionnement - Avis médical - Maladie imputable au service - Absence - Rejet.

Rappel de deux règles bien établies s’agissant des agents de la fonction publique, en matière de recours d’une commission de réforme à une expertise médicale et de détermination de l’imputabilité d’une pathologie au service.

Sur le premier point, dans le cas où il est manifeste, eu égard aux éléments dont dispose la commission de réforme, que la présence d'un médecin spécialiste de la pathologie invoquée par un agent est nécessaire pour éclairer l'examen de son cas, l'absence d'un tel spécialiste est susceptible de priver l'intéressé d'une garantie et d'entacher ainsi la procédure devant la commission d'une irrégularité justifiant l'annulation de la décision attaquée. Cette présence médicale n’est pas jugée nécessaire dans les circonstances de fait de l’espèce.

Sur le second point, il est réitéré qu’une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. Ici aussi, la requête est rejetée car la condition d’imputabilité au service n’est pas remplie.

(10 février 2020, Mme X., n° 428103)

 

105 - Fonctionnaire territorial - Agent de catégorie A - Détachement dans un emploi fonctionnel - Condition - Retrait du détachement et réintégration de l’agent dans son corps - Détachement irrégulier - Application de la jurisprudence Danthony - Erreur de droit - Annulation de l’ordonnance.

Dans le cadre d’un pourvoi contre une ordonnance de référé refusant de suspendre l’exécution de la décision d’un maire retirant sa décision antérieure de détachement d’un agent communal de catégorie A dans un emploi fonctionnel et le réintégrant dans son corps d’origine, le Conseil d’État est conduit à plusieurs solutions intéressantes.

Tout d’abord, il rappelle que dans les communes de 2000 à 40.000 habitants le détachement d’un agent territorial dans un emploi de directeur général des services n’est soumis qu’à une seule condition : être un agent de catégorie A.

Ensuite, est rappelé le principe de la jurisprudence Danthony selon une formulation classique : «  Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision ou s'il a privé les intéressés d'une garantie. Il en résulte qu'une décision créatrice de droits, entachée d'un vice qui n'a pas été susceptible d'exercer une influence sur le sens de cette décision et qui n'a pas privé les intéressés d'une garantie, ne peut être tenue pour illégale et ne peut, en conséquence, être retirée ou abrogée par l'administration de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers, même dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. »

Précisément, la demanderesse invoquait en l’espèce la circonstance que la consultation de la commission administrative paritaire - qui aurait dû intervenir préalablement à son détachement - ne constituait une garantie qu’au bénéfice du seul agent que l'on se proposait de nommer et que la décision lui étant en l'espèce favorable elle ne pouvait être regardée comme ayant été privée de cette garantie et que, d'autre part, en tout état de cause, la consultation de la commission administrative paritaire postérieurement à la décision avait régularisé la procédure.

Rejetant cette argumentation, le Conseil d’État décide que la consultation préalable d'une commission administrative paritaire avant une décision de détachement constitue une garantie au bénéfice de l'ensemble des agents candidats à ce détachement ou susceptibles de l'être. Le défaut de cette consultation préalable ne peut en outre être regardé comme régularisé par la consultation de la commission administrative paritaire après la décision que dans les hypothèses où la loi ou le règlement permettent expressément de déroger au caractère préalable de la consultation. Il existe donc bien un doute sérieux sur la légalité de la procédure de détachement de la requérante.

(Ord. réf. 7 février 2020, Mme X. c/ commune de Bussy-Saint-Georges, n° 428625)

 

106 - Enseignement supérieur - Professeur associé à mi-temps nommé pour trois ans - Nomination par décret du président de la république - Renouvellement non prévu par le décret - Incompétence du directeur de l’établissement d’enseignement supérieur pour se prononcer sur un tel renouvellement - Rejet et annulation. 

Le directeur de l'École nationale supérieure d'informatique pour l'industrie et l'entreprise n’est pas compétent pour renouveler, pour une période de trois, un professeur associé à mi-temps d’une part parce qu’il avait été initialement nommé dans cet emploi par un décret du président de la république, et d’autre part pace que ce décret ne prévoyait pas que l'intéressé pourrait, sur sa demande, au terme d'une période de trois ans, être maintenu en fonctions.

(12 février 2020, M. X. et M. Y., n° 425401)

 

107 - Enseignants du second degré - Participation aux jurys d’examens - Dispense correspondante d’heures d’enseignement entrant dans le service - Droit au paiement d’heures supplémentaires - Absence - Rejet.

Il résulte des dispositions de l'article 5 de l'arrêté du 13 avril 2012 que les enseignants qui sont autorisés à s'absenter pour participer aux jurys d'examen et n'assurent pas, de ce fait, leurs obligations d'enseignement ne peuvent bénéficier des indemnités pour heures supplémentaires instituées par le décret du 6 octobre 1950, et que l'administration est ainsi fondée, s'il y a lieu, à pratiquer une retenue sur les indemnités le cas échéant perçues en méconnaissance de la règle de non-cumul.

C’est à bon droit que le recteur de l’académie a pratiqué en l’espèce - comme il y était tenu - cette retenue. Confirmation des jugement et arrêt rendus. Le recours est rejeté.

(28 février 2020, Syndicat national de l'enseignement initial privé-CGT (SNEIP-CGT) et M. X., n° 420586)

 

108 - Militaires - Sanction disciplinaire - Radiation des cadres - Contrôle du juge sur la proportionnalité de la sanction à la gravité des faits - Rejet.

Application à un officier militaire de la jurisprudence (Assemblée, 13 novembre 2013, M. X., n° 347704, à propos de la mise à la retraite d’office, à titre de sanction, d’un agent diplomatique), plusieurs fois réitérée depuis, ouvrant au juge administratif le double contrôle des fautes de nature à justifier une sanction et de la proportionnalité de ladite sanction militaire par rapport à la gravité des faits reprochés.

(28 février 2020, M.X., n° 428711)

 

Libertés fondamentales - Protection des personnes

 

109 - Étrangers se déclarant mineurs et hors du lien familial - Intérêt supérieur de l’enfant - Modalités de détermination de l’âge d’un individu - Pouvoirs et devoirs du président du conseil départemental - Création de traitements automatisés de données à caractère personnel - Légalité - Rejet.

Les vingt associations requérantes soutenaient que les dispositions du décret  n° 2019-57 du 30 janvier 2019 relatif aux modalités d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et autorisant la création d'un traitement de données à caractère personnel relatif à ces personnes méconnaîtraient l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, le droit au respect de la vie privée protégés par l'article 2 de la Déclaration de 1789 et par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le droit à la protection des données personnelles, qui découle du droit au respect de la vie privée et est également protégé par l'article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Ces recours sont rejetés au terme d’une très longue analyse fortement et abondamment motivée.

Il résulte de celle-ci, d’abord, que les stipulations du 1 de l'article 20 de la convention de New York du 28 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant produisent directement leurs effets en droit interne français et que le principe de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant découle des alinéas 10 et 11 du Préambule de 1946 ainsi que du 1 de l’art. 3 de la convention de New York précitée.

Ensuite, la loi du 10 septembre 2018 dite « pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie » a prévu la prise, la mémorisation et le traitement automatisé des empreintes digitales ainsi que d’une photographie des ressortissants étrangers se déclarant mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille (art. L. 611-6-1 CESEDA), a été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Elle est assortie des garanties accordées aux personnes en matière d’informatique et de fichiers ainsi que de la faculté de saisir le juge : ces dispositions constituent la base légale du décret attaqué.

Ce décret tend à donner au président du conseil départemental les moyens d’évaluer la situation d'une personne se déclarant mineure et se disant privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille. Ceux-ci comprennent, outre ceux déjà existants (entretiens conduits avec la personne dans le cadre d'une approche pluridisciplinaire, examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge réalisés sur décision de l'autorité judiciaire (art. 388 c. civ.) et concours du préfet de département ou du préfet de police pour vérifier l'authenticité des documents détenus par la personne), les  informations fournies par ces autorités pour aider à la détermination de l'identité et de la situation de la personne, laquelle doit, à cette fin, communiquer aux agents habilités des préfectures toute information utile à son identification et au renseignement du traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « appui à l'évaluation de la minorité » (AEM). Il définit  les caractéristiques de ce traitement, qu'il autorise le ministre de l'intérieur à mettre en œuvre et dans lequel peuvent être enregistrées certaines données à caractère personnel des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, et, dans le but d'aider à la détermination de l'identité de ces personnes, modifie les dispositions applicables au traitement « application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France » (AGDREF2) et au traitement automatisé de données à caractère personnel relatives aux étrangers sollicitant la délivrance d'un visa ou « VISABIO ». Pour autant, le décret ne modifie pas l'étendue des obligations du président du conseil départemental en ce qui concerne l'accueil provisoire d'urgence des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille, non plus que sa compétence pour évaluer, sur la base d'un faisceau d'indices, leur situation, notamment quant à leur âge, et ne l'autorise pas à prendre une décision qui serait fondée sur le seul refus de l'intéressé de fournir les informations nécessaires à l'interrogation ou au renseignement des traitements mentionnés ci-dessus ni sur le seul constat qu'il serait déjà enregistré dans l'un d'eux.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments et des nombreuses garanties offertes aux individus concernés lors de l’application de ces procédés que le décret attaqué, qui ne viole aucune des dispositions législatives, conventionnelles et constitutionnelles invoquées à son encontre, n’est pas entaché d’illégalité.

(5 février 2020, Comité français pour le Fonds des Nations Unies pour l'enfance, dit « UNICEF France » et autres, n° 428478 et Conseil national des barreaux, n° 428826, jonction)

 

110 - Majeurs protégés - Mandataires judiciaires à la protection des majeurs - Coût et financement des mesures de protection exercées par les mandataires judiciaires à la protection des majeurs - Exonération en dessous d’un seuil  - Taxation au-delà - Effet de seuil disproportionné - Illégalité - Annulation dans cette mesure.

Les organisations requérantes poursuivaient l’annulation du décret n° 2018-767 du 31 août 2018 relatif au financement des mandataires judiciaires à la protection des majeurs en tant qu'il modifie l'article R. 471-5-3 du code de l'action sociale et des familles, en particulier en ce qu’il concerne la détermination du coût des mesures de protection exercées par les mandataires judiciaires à la protection des majeurs.

Aux termes de ce texte, les majeurs protégés dont les ressources sont inférieures ou égales au montant de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), soit, au maximum, 819 euros par mois au 1er avril 2018, sont exonérés de toute participation au financement de la mesure de protection les concernant tandis qu’un prélèvement de 0,6 % est appliqué à l'intégralité de la tranche de revenus correspondant au montant de cette allocation dès que les ressources du majeur protégé excèdent ce montant.

Les requérantes faisaient valoir l’importance de l’effet de seuil au-delà de 819 euros par mois maximum : Ainsi, le montant mis à la charge d'un majeur protégé, lorsque ses ressources excèdent d'un euro ce seuil, est de l'ordre de cinq euros par mois. Le Conseil d’État juge qu’en raison de la modicité des ressources des intéressés, le seuil étant en dessous de l'indicateur de pauvreté relative, les conséquences de l'application du taux de 0,6% en l'absence de tout mécanisme de lissage, ont un caractère manifestement disproportionné au regard de l'objet de la mesure, lequel est de les faire participer au financement de leur protection juridique en fonction de leurs ressources.

Dans cette mesure est prononcée l’annulation du 1° de l'article R. 471-5-3 du code de l'action sociale et des familles dans la version qui lui a été donnée par le décret attaqué.

(12 février 2020, M. X., n° 425138 ; Fédération nationale des associations tutélaires et autres, n°425163 ; Fédération nationale des associations tutélaires, l'Union nationale des associations familiales et l'Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis, n° 425164)

 

111 - Praticien stagiaire dans un hôpital - Refus de raser sa barbe - Barbe à signification religieuse - Résiliation de la convention de stage - Principe de laïcité et service public - Liberté de conscience - Cassation sans renvoi.

(12 février 2020, M. X., n° 418299) V. n° 98

 

112 - Droit de propriété - Atteinte - Emprise irrégulière - Ouvrage public mal planté - Déplacement ordonné en première instance - Régularisation jugée possible en appel du fait qu’une expropriation pourrait être envisagée - Cassation avec renvoi.

(28 février 2020, M. et Mme X., n° 425643) V. n° 14

 

113 - Référé liberté - Banque de France - Réquisition de personnels en cas de grève sans limitation de durée - Principe de continuité du service public - Droit de grève, liberté fondamentale - Restriction légitime du droit de grève - Conditions et compétence - Nature juridique de la Banque de France - Mission d’intérêt général de conservation des réserves en or de l’État - Nécessité et proportionnalité de la mesure de réquisition - Rejet.

(Ord. réf. 3 février 2020, Syndicat national autonome de la Banque de France-Solidaire (SNABF-Solidaire), n° 437751) V. n° 138

 

114 - Transfert d’embryon(s) ou utilisation de gamètes - Exportation à l’étranger - Prohibition législative non contraire à la Convention EDH - Réserve en cas d’ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette Convention - Absence en l’espèce - Rejet.

Réitération d’une jurisprudence empreinte d’un subjectivisme hédoniste fondée sur le dogme de l’ « ingérence disproportionnée » que, de façon prémonitoire, fustigeait Hegel voyant dans le droit « ce qui est indifférent à la particularité ».

Les interdictions posées par la loi française de procéder, en cas de décès du mari, à un transfert d'embryon ou à une utilisation de ses gamètes au profit de sa veuve  (art. L. 2141-2, code de la santé publique) ou que des embryons ou des gamètes conservés en France puissent faire l'objet d'un déplacement, s'ils sont destinés à être utilisés, à l'étranger, à des fins qui sont prohibées sur le territoire national, ne portent pas, par elles-mêmes, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'art. 8 de la Convention EDH.

Cependant doit être faite la réserve du cas où ces interdictions, dans certaines circonstances particulières, constitueraient une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette convention. Cette éventuelle ingérence est appréciée concrètement par le juge administratif.  

En l’espèce, n’est pas aperçue - dans les prohibitions législatives - une ingérence disproportionnée alors même que cette demande de déplacement des embryons ou gamètes hors de France, dans un État de l’Union européenne,  résulte d'un projet parental auquel le mari de la requérante a consenti de son vivant car il n'est pas contesté que celle-ci n'est fondée que sur la possibilité légale d'y faire procéder à une insémination artificielle ou à un transfert d'embryon post-mortem, alors, au surplus, que la demanderesse, qui n'a aucun lien avec un autre pays européen que la France, ne fait état d'aucune circonstance particulière.

Le juge relève encore que les deux circonstances que l'objet du litige concerne non seulement les gamètes de son mari mais également les embryons conçus grâce à ses propres gamètes et que l’intéressée ait perdu in utero un enfant conçu antérieurement au décès de son mari, ne permettent pas de qualifier d’ingérence disproportionnée les interdictions formulées par les dispositions législatives précitées.

(28 février 2020, Mme X. veuve Y., n° 438854 ; v. aussi, du même jour, avec solution identique : Mme X., n° 438852)

 

Police

 

115 - Police de contrôle des véhicules poids lourds - Agrément délivré aux sociétés de contrôle - Expiration - Préfet s’abstenant de suspendre l’agrément expiré - Cassation, avec renvoi, de l’arrêt d’appel jugeant légale cette abstention.

(5 février 2020, Société Vivauto PL, n° 419284) V. n° 67

 

116 - Police municipale des chemins ruraux - Présence d’obstacles sur un chemin rural - Obligation d’y mettre un terme « sans délai » (art. D. 161-11 du code rural et de la pêche maritime) - Disposition ne caractérisant pas ipso facto une situation d’urgence ou de compétence liée - Obligation de respecter une procédure préalable contradictoire - Cassation avec renvoi.

Une société, dont des parcelles de terrain qu’elle possède sont traversées par un chemin rural qu’elle a barré par une chaine et comportant en son milieu un bloc de ciment, conteste un arrêté municipal pris sur le fondement des articles L. 161-5 et D. 161-11 du code rural et de la pêche maritime lui ordonnant de retirer tous les obstacles à la circulation sur ledit chemin rural. Après qu’elle a obtenu gain de cause en première instance, la cour d’appel administrative, sur l’appel de la commune, a annulé ce jugement ; la société se pourvoit.

Le Conseil d’État estime que le texte de l’art. D. 161-11 du code précité (« Lorsqu'un obstacle s'oppose à la circulation sur un chemin rural, le maire y remédie d'urgence (...) »), d’une part, ne met pas le maire en situation de compétence liée, et d’autre part, ne constitue pas automatiquement par lui-même  la situation d’urgence qui, aux termes de l’art. 24 de la loi du 12 avril 2000, dispense l’autorité administrative de motiver ses décisions en les faisant précéder d’une procédure contradictoire.

Le maire n’est pas en situation de compétence liée car il lui revient d’apprécier les circonstances de fait et de droit, donc à porter une appréciation avant de décider.

L’expression « sans délai » ne caractérise pas en elle-même une situation d’urgence, cette condition s’appréciant indépendamment au vu des éléments concrets de l’espèce. C’est donc à tort que la cour a jugé inopérant le moyen soulevé par la demanderesse intimée selon lequel n’avait pas été respectées les exigences du principe du contradictoire.

D’où la cassation prononcée avec renvoi.

(24 février 2020, Société des Fourneaux et M. X., n° 421086)

 

117 - Détenu - Mise à l’isolement - Mesure de police et non sanction - Inapplicabilité du principe non bis in idem - Rejet.

Rappel de ce qu’une mesure de mise à l'isolement ne constitue pas une sanction disciplinaire mais une mesure de police destinée à garantir le bon ordre au sein d'un établissement pénitentiaire (cf. art. R. 57-7-62 du code de procédure pénale). Par suite, le requérant ne saurait utilement invoquer à l’encontre d’une telle mesure la méconnaissance du principe non bis in idem, lequel est inapplicable en matière de police.

(Ord. réf. 11 février 2020, M. X., n° 438039)

 

118 - Responsabilité de la police - Police municipale - Sapeurs-pompiers de Paris - Exercice de missions de police municipale par le préfet de police - Possibilité de mettre en cause la responsabilité communale et celle de l’Etat - Cassation pour erreur de droit de l’arrêt d’appel excluant toute responsabilité de l’Etat.

L’époux et les deux fils d’une femme décédée durant l’intervention de secours recherchent la responsabilité de la commune de Courbevoie et celle de l’Etat à raison de fautes qui auraient été commises durant cette intervention ou à son occasion.

La police générale des secours d’urgence appartient aux communes et incombe aux maires (art.  L.2212-1, article L. 2212-2, 5° et article L. 2216-2 du CGCT) et, en cas de faute dans son exercice, peut être mise en jeu la responsabilité de la commune. C’est pourquoi la cour administrative d’appel avait considéré que la responsabilité de la commune de Courbevoie était seule susceptible d'être engagée à raison des agissements fautifs imputés à la brigade de sapeurs-pompiers de Paris à l'occasion de son intervention sur son territoire.

Le Conseil d’Etat aperçoit dans ce raisonnement une erreur de droit car il résulte, d’une part, des dispositions de l’art. L. 2521-3 du CGCT, que le préfet de police de Paris est chargé du secours et de la défense contre l'incendie dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, et d’autre part des dispositions de l’art. R. 2521-2 du même code, que « La brigade de sapeurs-pompiers de Paris assure sa mission dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. / À cet effet, elle est à la disposition du préfet de police de Paris ». Le préfet de police exerce donc en ce cas des missions de police municipale ce qui est susceptible d’engager la responsabilité fautive de l’État contrairement à ce qu’a jugé la cour administrative d’appel.

(5 février 2020, M. X. et autres, n° 423972)

 

119 - Action en responsabilité dirigée contre l’État du fait de dommages subis par suite de crimes ou délits commis à force ouverte ou par violence - Rattachement aux dispositions de l’art. R. 312-14 CJA - Compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel s’est produit le fait générateur du dommage - Attribution du jugement du litige en ce sens.

(12 février 2020, Société JC Decaux France, n° 436603) V. n° 20

 

120 - Plan de prévention des risques technologiques (PPRT) - Estimation indicative du coût des réserves foncières - Contestation - Régime contentieux.

Un arrêté préfectoral a approuvé le plan de prévention des risques technologiques autour des sites de plusieurs établissements, autorisés au titre de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement, dont ceux de la société Frangaz requérante.

Cette dernière a demandé l’annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté. Son action ayant été rejetée en première instance comme en appel, la société se pourvoit.

Les PPRT délimitent, à l'intérieur des zones prévues au I de l'article L. 515-16 du code de l'environnement, des secteurs dans lesquels ou bien les propriétaires des biens concernés peuvent mettre en demeure les personnes publiques compétentes en matière d'urbanisme de procéder à l'acquisition de leur bien, ou bien l'État peut déclarer d'utilité publique l'expropriation au profit de ces mêmes personnes des immeubles et droits réels immobiliers. Le coût des mesures foncières doit être mentionné dans le plan de prévention, en vertu de l'article R. 515-41 du code de l'environnement,

En cas de recours contre cette évaluation financière, le Conseil d’État opère une distinction.

D’une part, cette évaluation financière peut être contestée à l'appui d'un recours dirigé contre le PPRT, mais, d’autre part, en raison de ce  qu’elle n'a pas pour objet de déterminer le montant des indemnités versées aux propriétaires faisant l'objet de mesures foncières ni de fixer les modalités de financement de ces mesures, cette estimation n'est pas susceptible d'être opposée aux futures décisions administratives qui devront être nécessairement prises pour assurer la mise en œuvre du plan (cf. art. L. 515-19 du code de l'environnement). Il en résulte donc que c’est par suite d’une erreur de droit que la cour a jugé que la société Frangaz ne saurait utilement contester la pertinence du coût estimé des futures mesures d'indemnisation dont elle pourra être amenée à supporter une partie des charges à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation du PPRT. En effet, les exploitants des installations à l'origine du risque, qui participent au financement des mesures prises en application des II et III de l'art. L. 515-16 et de l’art. L. 515-19 du code de l'environnement, pourront contester l'indemnisation due au titre de ces mesures à l'appui de recours dirigés contre les actes administratifs pris dans le cadre de la mise en œuvre du PPRT. Dès lors ne peut être retenu le moyen tiré de ce que la cour aurait méconnu l'article 16 de la Déclaration de 1789 ainsi que les articles 6 et 13 de la Convention EDH en privant la société Frangaz de tout recours utile pour contester l'indemnisation due à ce titre.

(12 février 2020, Société Frangaz, n° 424153)

 

121 - Permis de conduire d’un État membre de l’UE - Permis délivré en échange d’un permis français - Reconnaissance automatique - Absence si le permis français n’était plus valide lors de l’échange des permis -

Le Conseil d’État apporte cette réponse de bon sens que si un permis délivré régulièrement par un autre État membre de l'Union européenne doit, en principe, être reconnu en France, ces dispositions ne sauraient imposer aux autorités françaises de reconnaître en France un tel permis dans le cas où il a été délivré par l'autre État par voie d'échange avec un permis français qui n'était plus valide à la date à laquelle il a été échangé, notamment en raison d'un retrait de points.

(12 février 2020, Ministre de l’intérieur, n° 428983)

 

122 - Police de l’affichage et de la publicité - Notions d’enseigne et d’immeuble au sens de l’art. L. 581-3 du code de l’environnement - Prise en compte du lieu d’exercice de l’activité - Dispositif publicitaire placé sur ou dans le sol - Cassation avec renvoi.

Les juges du fond ayant prononcé puis confirmé l’annulation d’un arrêté préfectoral ordonnant à une société la dépose de plusieurs dispositifs publicitaires placés sur son terrain parce que placés à proximité de ses locaux, la ministre de l’environnement se pourvoit.

Pour annuler la décision litigieuse la cour avait estimé que les dispositifs signalant l'activité de la société, implantés sur le terrain du local commercial ne pouvaient être qualifiés d'enseignes, au motif qu'ils n'étaient pas installés à proximité immédiate de l'entrée de ce local mais en périphérie du terrain.

Cassant ce raisonnement, le Conseil d’État décide qu’au regard des dispositions des art. L. 581-3 et L. 581-64 du code de l’environnement, d’une part, doit être qualifiée d'enseigne, l'inscription, forme ou image installée sur un terrain ou un bâtiment où s'exerce l'activité signalée et, d’autre part, que s'agissant d'un dispositif scellé au sol ou installé sur le sol, sa distance par rapport à l'entrée du local où s'exerce l'activité est sans incidence sur la qualification d'enseigne, dès lors que ce dispositif est situé sur le terrain même où s'exerce cette activité et est relatif à cette dernière. 

C’est une interprétation très large du champ d’application de l’art. L. 581-3 qui est ici retenue.

(28 février 2020, Ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, n° 419302)

 

Professions réglementées

 

123 - Chirurgiens-dentistes - Cession de parts d’un cabinet dentaire - Refus du conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes d’autoriser les modifications statutaires - Saisine directe du juge administratif impossible - Absence de recours préalable devant les instances ordinales supérieures - Rejet.

Rappel de la règle de procédure selon laquelle, parce que la décision par laquelle un conseil départemental de l'ordre se prononce sur la conformité d'une modification des statuts d'une société d'exercice libéral aux dispositions législatives et réglementaires a la nature d'une décision prise pour l'inscription au tableau, elle doit être contestée devant le conseil régional, puis le cas échéant devant le conseil national de l'ordre, avant que ne puisse être saisie la juridiction administrative.

Faute d’avoir respecté cette procédure le recours porté directement devant le Conseil d’État est, parce que sans objet, manifestement irrecevable.

 (Ord. réf. 4 février 2020, Société Cabinet 21 Libération, n° 437713)

 

124 - Assermentation et agrément obligatoire des agents chargés d’un contrôle - Agents chargés de procéder à toutes vérifications ou enquêtes administratives concernant l'attribution des prestations et la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles - Agents membres du service du contrôle médical - Absence d’obligation d’assermentation et d’agrément - Rejet.

S’il résulte de diverses dispositions du code de la sécurité sociale et notamment son art. L. 114-10, que les agents chargés de procéder à toutes vérifications ou enquêtes administratives concernant l'attribution des prestations et la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles doivent être assermentés et agréés, il n’en va pas de même des médecins-conseils exerçant leur mission d'analyse de l'activité des professionnels de santé dispensant des soins aux bénéficiaires de l'assurance maladie.

C’est donc sans erreur de droit que la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins a écarté le moyen par lequel un requérant contestait la validité des éléments recueillis par les médecins-conseils ayant participé aux opérations de contrôle de son activité, faute d'agrément et d'assermentation de ces derniers.

 (12 février 2020, M. X., n° 425566)

 

125 - Chirurgien-dentiste - Dispensation de soins - Soins auquel le patient n’a pas donné son consentement - Obligation de donner une information claire et loyale - Absence - Faute de nature à justifier une sanction - Caractère indifférent de la circonstance que le patient possède des connaissances en ce domaine - Cassation.

Commet une faute de nature à justifier une sanction, le professionnel de santé, tenu à un devoir d’information claire et loyale envers son patient, qui prodigue à celui-ci des soins (pose d'une couronne de type à incrustation vestibulaire) auxquels il n’a pas consenti. La circonstance que ce patient détienne des connaissances en la matière est sans incidence sur l’obligation d’information.

En rejetant la plainte de la patiente, les juridictions ordinales de première instance et d’appel ont commis une erreur de droit.

(12 février 2020, Mme X., n° 425722)

 

126 - Notaires - Faculté d’accorder des remises sur émoluments - Remise partielle ou remise totale - Étendue de la compétence du pouvoir réglementaire - Rejet.

Était demandée l’annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé de faire droit à une demande d’abrogation des dispositions de l'article R. 444-70 du code de commerce qui sont relatives à la faculté ouverte aux notaires de renoncer à la totalité de leurs émoluments pour un acte ou un ensemble d'actes déterminés.

Il est reconnu aux notaires, officiers ministériels, la possibilité de renoncer en tout ou en partie aux émoluments qui leur sont dus à raison des actes qu’ils dressent.

S’agissant de la faculté de renonciation totale, les dispositions de l’art. R. 444-70 du code de commerce en fixent les conditions en ces termes : « Le notaire peut renoncer à la totalité des émoluments afférents à un acte déterminé ou aux différents actes reçus à l'occasion d'une même affaire ».

S’agissant de la faculté de renonciation partielle, les articles L. 444-1 à L. 444-7 du code de commerce l’encadrent sans remettre en cause la faculté de renonciation totale.

Le Conseil d’État rejette le recours car contrairement à ce qui était soutenu par le requérant, aucune disposition ni aucun principe n'interdisait au pouvoir réglementaire de maintenir cette faculté, qui ne présente pas de contrariété avec les dispositions des articles L. 444-1 et suivants du code du commerce qui régissent  les tarifs réglementés applicables à certaines professions judiciaires réglementées, parmi lesquelles les notaires.

(12 février 2020, M. X., n° 429670)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

127 - Comptable de fait - Absence de poursuites pénales sur le fondement de l’art. 433-12 du code pénal - Amende - Amende exclue en cas d’application de l’art. 433-12 - Atteinte au principe de la nécessité des délits et des peines (art. 8 DDHC) - Renvoi d’un QPC au Conseil constitutionnel.

Est jugée sérieuse la contestation de la constitutionnalité de l’art. L. 131-11 du code des juridictions financières qui punit d’une amende le comptable de fait qui n’a pas fait l’objet, pour les opérations en cause, des poursuites prévues à l’art. 433-12 du code pénal (qui réprime l’immixtion sans titre dans l’exercice d’une fonction publique pour en accomplir les actes) alors qu’en cas de telles poursuites l’amende est exclue. Le Conseil d’État aperçoit dans ce traitement différencié un risque d’atteinte au principe de la nécessité des délits et des peines énoncé à l’art. 8 de la Déclaration de 1789.

(7 février 2020, M. X., n° 436066 ; v. aussi, du même jour avec même solution : M. X., n° 436124)

 

128 - Question prioritaire de constitutionnalité - Contestation de la constitutionnalité des trois derniers alinéas de l'article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle - Changement dans les circonstances suite à une jurisprudence nouvelle du Conseil constitutionnel - Renvoi de la question.

Les organisations requérantes estimaient contraires aux droits et libertés que la Constitution garantit les trois derniers alinéas de l'article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle en ce qu’ils méconnaissent le droit au respect de la vie privée, le droit à la protection des données à caractère personnel et le secret des correspondance, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dans la mesure où le droit de communication des données personnelles accordé aux membres de la commission de protection des droits et aux agents de la Haute autorité n'est pas assorti de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre, d'une part, le droit au respect de la vie privée et, d'autre part, la protection du droit d'auteur et des droits voisins.

Bien que le Conseil constitutionnel ait jugé ces dispositions conformes à la Constitution (déc. n° 2009-580 DC du 10 juin 2009), le Conseil d’État estime que : « l'intervention des décisions du Conseil constitutionnel n° 2015-715 DC du 5 août 2015 et n° 2017-646/647 QPC du 21 juillet 2017 revêt le caractère d'un changement dans les circonstances de droit de nature à justifier que la conformité à la Constitution des trois derniers alinéas de l'article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel. Par ces décisions, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions du 2° de l'article 216 de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques et de la seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier dans sa rédaction résultant de la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, qui conféraient respectivement aux agents de l'Autorité de la concurrence et aux enquêteurs de l'Autorité des marchés financiers la possibilité d'obtenir la communication de données de connexion en des termes semblables à ceux des dispositions contestées ».

Présentant un caractère sérieux, la question soulevée est renvoyée au juge constitutionnel.

(12 février 2020, La Quadrature du Net, French Data Network, Franciliens.Net et Fédération des fournisseurs d'accès à internet associatifs, n° 433539)

 

129 - QPC - Contribution aux charges du mariage - Déduction en vue du calcul du revenu net imposable à l’impôt sur le revenu - Déduction permise seulement quand son versement résulte d’une décision de justice - Question présentant un caractère sérieux - Renvoi de la QPC.

Le Conseil d’État juge que présente un caractère sérieux, au regard du principe d'égalité devant la loi et du principe d’égalité devant les charges publiques, la question de la constitutionnalité des dispositions de l’art. 156 du CGI en ce qu'elles subordonnent, pour la détermination du revenu net annuel soumis à l'impôt sur le revenu, la déduction de la contribution aux charges du mariage (cf. art. 214 du Code civil) à ce que son versement résulte d'une décision de justice, excluant tout autre cas.

(28 février 2020, M.X., n° 436454)

 

Responsabilité

 

130 - Indemnisation de frais d’obsèques - Détermination du montant du préjudice - Absence d’indications de la part des victimes - Office du juge reconnaissant l’existence du préjudice subi - Impossibilité de ne pas statuer sur les conclusions indemnitaires - Erreur de droit - Cassation.

Rappel d’un principe assez souvent méconnu par les juridictions.

« Conformément à une règle générale de procédure, applicable même en l'absence de texte, le juge qui reconnaît la responsabilité de l'administration et ne met pas en doute l'existence d'un préjudice ne peut, sans méconnaître son office ni commettre une erreur de droit, rejeter les conclusions indemnitaires dont il est saisi en se bornant à relever que les modalités d'évaluation du préjudice proposées par la victime ne permettent pas d'en établir l'importance et de fixer le montant de l'indemnisation. Il lui appartient d'apprécier lui-même le montant de ce préjudice, en faisant usage, le cas échéant, de ses pouvoirs d'instruction. »

(10 février 2020, M. et Mme X., n° 421443)

 

131 - Établissement hébergeant des personnes âgées dépendantes (EHPAD) - Autorisation d’ouverture - Transfert de cette autorisation - Pouvoirs du directeur de l’agence régionale de santé (ARS) - Directeur agissant au nom et pour le compte de l’État - Refus du transfert fondé sur l’absence de crédits publics disponibles - Illégalité - Responsabilité de l’ARS et de l’État - Cassation partielle avec renvoi.

Importante décision que celle rendue ici par le Conseil d’État et qui intéressera nombre des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes (EHPAD).

D’abord, la création des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes est autorisée pour une durée de quinze ans sous la réserve de satisfaire à deux conditions.

D’une part, cette création doit être compatible, au moment de l'octroi de cette autorisation, avec le programme interdépartemental par lequel le directeur général de l'agence régionale de santé recense les besoins et priorités en la matière. D’autre part, cette création doit également être compatible avec le montant, pour l'exercice au cours duquel l'autorisation prend effet, de la dotation régionale limitative arrêtée par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie au vu de ce programme.

Ensuite, une fois la création de l’établissement autorisée, celui-ci doit, d’une part, satisfaire à un contrôle de conformité aux conditions techniques minimales d'organisation et de fonctionnement et, d’autre part, faire l’objet de la signature de la convention tripartite (État, département et établissement : cf. art. L. 313-12 du code de l'action sociale et des familles).

En outre, négativement cette fois, il ne faut pas que l’autorisation cesse, au cours de sa durée de validité, de produire ses effets, notamment faute d'avoir connu un début d'exécution dans un délai de trois ans ou par suite de son retrait en vertu de l'article L. 313-16 du même code ou du retrait de l'autorisation de dispenser des soins remboursables aux assurés sociaux dans les conditions définies à l'article L. 313-9 de ce code.

Enfin, l'autorisation délivrée habilite l'établissement à dispenser des prestations prises en charge par l'État ou les organismes de sécurité sociale pendant toute la durée de sa validité.

Il suit de là que le refus par l'administration du transfert d'une autorisation en vigueur ne peut légalement se fonder sur l'absence de financement correspondant au fonctionnement de l'établissement pour lequel l'autorisation a été accordée.

La décision de l’ARS de refuser à la société requérante le transfert qu’elle sollicitait au motif de l’insuffisance des crédits disponibles est donc illégale et annulée.

(26 février 2020, Société Thessalie, n° 422344)

 

132 - Action en responsabilité dirigée contre l’État du fait de dommages subis par suite de crimes ou délits commis à force ouverte ou par violence - Rattachement aux dispositions de l’art. R. 312-14 CJA - Compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel s’est produit le fait générateur du dommage - Attribution du jugement du litige en ce sens.

(12 février 2020, Société JC Decaux France, n° 436603) V. n° 20

 

133 - Infection nosocomiale - Lien de causalité avec une chute (oui) - Lien de causalité avec l’intervention nécessitée par les conséquences de la chute (non) - Qualification inexacte des faits - Cassation avec renvoi.

À la suite d’une chute dans un CHU, la victime a eu d’abord une luxation de l’épaule puis une récidive de cette luxation. Lors de sa prise en charge par le CHU une intervention chirurgicale que nécessitait la récidive de luxation, la demanderesse a contracté une infection à staphylocoque.

La cour administrative d’appel avait estimé que la responsabilité du CHU n'était pas engagée à raison des conséquences dommageables de l'infection nosocomiale contractée par l’intéressée car si sa chute était imputable à un manquement fautif de l'établissement à son devoir de surveillance, il n'existait pas, pour autant, de lien de causalité suffisamment direct entre cette faute et l'infection nosocomiale contractée par l'intéressée.

Le Conseil d’État juge que la cour a inexactement qualifié les faits de l'espèce dès lorsqu’il n’était pas contesté que l'infection avait été contractée au cours d'une intervention qui avait été rendue nécessaire par la blessure causée par la chute.

(12 février 2020, ONIAM, n° 421483)

 

134 - Avis contentieux (art. L. 113-1 CJA) - Réparation des préjudices résultant d’infections nosocomiales - Application de la prescription décennale (art. L. 1142-28 code de la santé publique, CSP) ou de la prescription quadriennale (loi du 31 décembre 1968) - Silence de la loi - Recours aux travaux préparatoires de la loi du 26 janvier 2016 - Effet de la saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux sur le délai de prescription -  Effet des différentes hypothèses de solution.

Saisi selon la procédure d’avis contentieux de l’art. L. 113-1 CJA, le Conseil d’État tranche plusieurs importantes questions relatives au délai de prescription applicable en cas d’action en réparation du préjudice causé par une infection nosocomiale, d’une part, du fait du silence du code de la santé publique sur un point particulier, et d’autre part du fait de l’enchevêtrement désordonné de textes législatifs successifs. Par ailleurs, l’intervention de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux pouvant déboucher sur diverses hypothèses, le délai de prescription applicable à chacune d’elles engendrait une confusion certaine. Trois questions principales étaient posées.

En premier lieu, il convenait de déterminer si les actions engagées contre l'ONIAM sur le fondement de l'article L. 1142-1-1 CSP sont, en dépit de la lettre de l'article L.1142-28 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 puis de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016, toujours soumises à une prescription décennale. Dans la négative, devait être déterminé le délai de prescription applicable et cela à partir de quelle(s) date(s).

Pour le Conseil d’État, s’appuyant sur les travaux parlementaires préparatoires à la loi du 26 janvier 2016, le législateur a entendu inclure dans le champ d'application de la prescription décennale que prévoient ces dispositions, non seulement les actions susceptibles d'être engagées contre l'ONIAM sur le fondement des articles L. 1142-24-9, L. 1221-14, L. 3111-9, L. 3122-1 et L. 3131-4 du code de la santé publique, mais aussi, bien qu'elles ne soient pas expressément mentionnées par l'article L.1142-28, celles susceptibles de l'être sur le fondement de l'article L. 1142-1-1 du même code.

En deuxième lieu, le dernier alinéa de l'article L. 1142-7 CSP disposant que « La saisine de la commission suspend les délais de prescription et de recours contentieux jusqu'au terme de la procédure prévue par le présent chapitre », il convenait de savoir si ce texte doit être combiné avec l'alinéa 2 de l'article 2238 du code civil, selon lequel lorsque la médiation ou la conciliation est terminée le délai de prescription recommence à courir pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois.

La réponse du juge est plus complexe en raison de la diversité des situations recouvertes par l’intervention de ladite commission et sa réponse.

Lorsque la saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux au titre soit de la procédure de règlement amiable, soit de la procédure de conciliation, a suspendu le délai de prescription applicable à l'action indemnitaire, sont applicables les dispositions de l'article 2238 du code civil ; il suit de là que ce délai recommence à courir pour la durée restant à courir ou, si celle-ci est inférieure à six mois, pour une durée de six mois.

Ensuite, deux cas se présentent :

- Soit la demande a été présentée à la commission précitée au titre de la procédure amiable et il y a alors lieu de distinguer deux hypothèses. Si la commission rend un avis concluant à l'absence de droit à réparation, le délai court à compter de la date à laquelle cet avis est notifié à l'intéressé. Si la commission rend un avis estimant que le dommage est indemnisable par un établissement de santé ou au titre de la solidarité nationale, si l'intéressé reçoit une offre d'indemnisation de l'assureur de la personne considérée comme responsable ou de l'ONIAM, le délai recommence à courir à compter de la date de réception de cette offre.

- Soit la demande a été présentée au titre de la procédure de conciliation, le délai de prescription recommence à courir à la date à laquelle l'intéressé reçoit le courrier de la commission l'avisant de l'échec de la conciliation, ou à la date à laquelle le document de conciliation partielle mentionné à l'article R. 1142-22 du code de la santé publique est signé par les deux parties.

En troisième lieu, devait être résolue la question de savoir si une demande indemnitaire, postérieure à l'avis rendu par une commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, peut suspendre ou interrompre le délai de prescription.

Simplifiant beaucoup - et à juste titre - des données textuelles compliquées, le Conseil d’État juge qu’une demande indemnitaire présentée à l'administration n'est pas de nature à suspendre ou interrompre le délai de prescription prévu par l'article L. 1142-28 du code de la santé publique et cela qu'elle soit formulée antérieurement ou postérieurement à l'avis rendu par une commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux.

Cette clarification est opportune et doit être saluée mais il n’est guère admissible que soit aussi difficile voire acrobatique la connaissance du délai de prescription applicable à une espèce.

(Avis, 12 février 2020, Mme X. et autres, n° 435498)

 

Santé publique

 

135 - Pharmacie - Médicaments orphelins - Prescription d’un médicament hors indications - Application du règlement européen du 16 décembre 1999 - Marge de liberté des autorités nationales dans la fixation du prix de vente - Limites - Annulation.

Des règlements (de 1993 et 1999) et une directive (de 1988) européens fixent le régime de la transparence des mesures régissant l’établissement des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes d'assurance-maladie. Un régime particulier régit le cas des médicaments « orphelins », c’est-à-dire ceux qui, d’une part, concernent des affections très graves car elles mettent la vie en danger, touchant moins de 5 personnes sur 10.000 dans l’UE ou dont le prix de vente ne couvre pas les investissements pour l’inventer et le produire, et d’autre part, dont les indications ne sont comparables à aucun autre parmi les médicaments autorisés dans l’UE. En ce cas, les États membres et l’Union « s'abstiennent, pendant dix ans, eu égard à la même indication thérapeutique, d'accepter une autre demande d'autorisation de mise sur le marché, d'accorder une autorisation de mise sur le marché ou de faire droit à une demande d'extension d'une autorisation de mise sur le marché existante pour un médicament similaire » (règlement du 16 décembre 1999, art. 8 point 1).

La  société Orphan Europe, requérante, a obtenu la désignation de la spécialité qu’elle commercialise sous le nom de Carbaglu, comme médicament orphelin pour le traitement de plusieurs maladies mais, moins de dix ans après l'extension, le 27 mai 2011, de l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité Carbaglu aux nouvelles indications thérapeutiques pour lesquelles elle a également été désignée comme médicament orphelin, le comité économique des produits de santé a institué un tarif unifié comme base de remboursement des spécialités relevant du groupe générique « acide carglumique 200 milligrammes », fixé au niveau du prix de cession et du tarif de responsabilité de la spécialité générique Ucedane, autorisée dans la plus ancienne des indications de Carbaglu seulement.

Le comité économique des produits de santé a ainsi adopté une mesure qui, en assimilant la spécialité Carbaglu, y compris dans ses indications bénéficiant encore d'une exclusivité commerciale, à une spécialité similaire ne bénéficiant pas d'une autorisation dans les mêmes indications, fait obstacle à ce que la société commercialisant la spécialité Carbaglu puisse tirer de l'exclusivité commerciale qui lui est reconnue pour ses trois nouvelles indications les bénéfices attendus, destinés à rémunérer l'investissement consenti, conformément à l'objectif poursuivi par le règlement de 1999.

Une telle mesure est irrégulière car prise en violation des dispositions précitées de l’art. 8 en le privant d’effet utile.

Cette décision est annulée.

(5 février 2020, Société Orphan Europe, devenue Recordati rare diseases, n° 425578)

 

136 - Marché public - Candidat évincé - Attribution du marché prétendue non conforme au droit de l’Union - Notion de « dispositif médical » - Présence en l’espèce - Qualification inexacte des faits - Cassation avec renvoi.

(10 février 2020, Société Lemer Pax, n° 421576) V. n° 46

 

137 - Agrément de transport sanitaire - Retrait - Compétence liée du directeur de l’agence régionale de santé (ARS) - Absence - Obligation de motivation et d’appliquer le principe du respect des droits de la défense - Cassation partielle avec renvoi.

(5 février 2020, Sarl Taxis Hurié, n° 426225) V. n° 1

 

Service public

 

138 - Référé liberté - Banque de France - Réquisition de personnels en cas de grève sans limitation de durée - Principe de continuité  du service public - Droit de grève, liberté fondamentale - Restriction légitime du droit de grève - Conditions et compétence - Nature juridique de la Banque de France - Mission d’intérêt général de conservation des réserves en or de l’Etat - Nécessité et proportionnalité de la mesure de réquisition - Rejet.

Le syndicat requérant interjetait appel de l’ordonnance de référé refusant de suspendre l’exécution d’une part, d’une note de service par laquelle le secrétaire général de la Banque de France a précisé les modalités pratiques applicables dans le cadre de réquisitions nécessaires à la continuité des activités de sécurité et de sûreté du siège de l'établissement et, d’autre part, de la décision du directeur de la sécurité du siège procédant à la réquisition de 31 salariés du service de sécurité et de sûreté affectés au siège de la Banque, au titre de la période du 7 janvier au 7 février 2020.

Il contestait cette ordonnance sur divers points ; tous ses arguments sont rejetés après que le juge d’appel a estimé suffisamment motivée l’ordonnance du premier juge.

Rappelant une jurisprudence traditionnelle depuis 70 ans (Assemblée, 7 juillet 1950, Dehaene, n° 01645), le juge du Palais-Royal indique, à la fois, que le droit de grève est une liberté fondamentale au sens de l’art. L. 521-2 CJA, qu’il doit se concilier avec d’autres libertés ou principes de même valeur juridique et que, faute de l’existence de la loi réglementant son exercice dans les services publics, contrairement à qu’avait prévu le Préambule de la Constitution de 1946, c’est à chaque autorité administrative - en sa qualité de responsable du bon fonctionnement d'un service public - qu’il incombe de fixer elle-même, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et l'étendue des limitations à apporter au droit de grève pour le service dont l'organisation lui est confiée.

Le juge constate que la Banque de France, bien qu’elle ne constitue pas un établissement public, est chargée de missions de service public et dispose d’un personnel dont les membres sont des agents publics en dépit d’une large soumission au code du travail.

Il suit de là que le gouverneur de la Banque et, sur sa délégation, les deux sous-gouverneurs et les directeurs généraux, les directeurs de service et les directeurs de succursales, ainsi que, sur subdélégation par ces derniers, les agents du personnel des cadres, disposent du pouvoir de réquisition à l'effet de faire assurer, dans les directions ou services placés sous leur autorité, le respect des dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles applicables en matière notamment de sécurité et de durée du travail.

Le secrétaire général de la Banque n’a donc pas, par sa note contestée, excédé les pouvoirs qui sont les siens en cette matière.

Enfin, l’examen au fond des mesures de réquisitions prises ne fait pas apparaître de caractère excessif ou disproportionné d’une part par rapport à une grève annoncée comme étant de durée illimitée et d’autre part, au regard des exigences découlant des missions de service public confiées à la Banque dont la conservation des réserves en or de l’Etat.

L’absence d’atteinte grave dispense le juge de se prononcer sur l’urgence de la mesure de référé qu’il lui était demandé de prononcer.

(Ord. réf. 3 février 2020, Syndicat national autonome de la Banque de France-Solidaire (SNABF-Solidaire), n° 437751)

 

139 - Infection nosocomiale - Invalidité permanente supérieure au taux de 25% - Calcul et application de ce taux en cas de perte de chance - Réparation au titre de la solidarité nationale - Annulation partielle et renvoi dans cette mesure.

Une personne a été victime d'un accident vasculaire cérébral liée à un cavernome. L’ablation de ce dernier, prévue dans un CHU, a été retardée d’une semaine en raison d'une infection par le staphylocoque doré.  Estimant que cette infection bactérienne était de nature nosocomiale et que, ayant diminué les chances de succès de l'opération chirurgicale, elle était à l'origine des séquelles dont elle demeure atteinte, a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation qui a émis un avis favorable à son indemnisation au titre de la solidarité nationale.

 L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a toutefois refusé d'adresser une offre d'indemnisation à la patiente. Un contentieux s’en est suivi.

Le juge de cassation trouve là l’occasion de rappeler trois choses, en les précisant et en élargissant le champ d’application au cas d’une perte de chance.

En premier lieu, il est rappelé que l'art. L. 1142-1-1 du code de la santé publique, négativement, n'a pas pour objet de définir les conditions dans lesquelles il est procédé à l'indemnisation du préjudice, et positivement, a pour objet de prévoir que les dommages résultant d'infections nosocomiales ayant entraîné une invalidité permanente d'un taux supérieur à 25 % ou le décès du patient peuvent être indemnisés au titre de la solidarité nationale. C’est pourquoi ce texte trouve également à s'appliquer dans le cas où une infection nosocomiale a entraîné la perte d'une chance d'éviter de tels préjudices.

En second lieu, s’agissant de cette hypothèse où une infection nosocomiale est à l'origine d'un préjudice constitué d'une perte de chance, le préjudice est indemnisé au titre de la solidarité nationale lorsque le taux d'atteinte permanente à l'intégrité du patient est supérieur à 25%. Ce taux est calculé par la différence entre, d'une part, la capacité que l'intéressé aurait eu une très grande probabilité de récupérer grâce à l'intervention en l'absence de cette infection et, d'autre part, la capacité constatée après consolidation du préjudice résultant de l'infection.

En troisième lieu, il est rappelé une solution désormais bien établie : lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire permettant, dans les circonstances de l'espèce, le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat, sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime. Par suite, commet une erreur de droit la cour qui tient compte de ce que l'assistance nécessaire à la victime était assurée par un membre de sa famille pour écarter toute prise en compte des majorations de rémunération dues les dimanches et jours fériés, ainsi que des congés payés. C’est sur ce dernier point que portent la cassation et donc le périmètre du renvoi à la cour administrative d’appel.

(12 février 2020, ONIAM, n° 422754)

 

Sport

 

140 - Contrôle anti-dopage - Suspension provisoire d’un sportif (art. L. 232-23-4 du code du sport) - Décision du président de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) - Date d’appréciation de la légalité de la mesure - Durée de la suspension devant être raisonnable - Rejet.

Cette décision, relative à la suspension provisoire d’un sportif ayant fait l’objet d’un contrôle anti-dopage, aborde deux questions distinctes quoique connexes ici.

En premier lieu, à quelle date le juge de l’excès de pouvoir doit-il se placer pour apprécier la légalité d’une mesure de suspension provisoire prononcée - en application de l’art. L. 232-23-4 du code du sport - à l’encontre d’un sportif suspecté de dopage ?

Tout d’abord,  le juge de l'excès de pouvoir doit apprécier la légalité de cette décision à la date de son édiction et l’annuler s’il l’estime illégale. Ensuite, et pour donner son plein effet au recours pour excès de pouvoir dont il est saisi, ce juge doit, en vertu cette fois de son office, et à condition d’avoir été saisi de conclusions en ce sens, apprécier la légalité de la décision à la date où il statue et l’abroger s'il juge qu'elle est devenue illégale.

En second lieu, quelle est l’étendue du contrôle exercé par le juge de l’excès de pouvoir sur la durée de la suspension provisoire ?

La question se pose car la disposition précitée ne fixe aucune durée limite à une suspension provisoire prise sur son fondement. Normalement, selon ce texte, la suspension prend fin lorsqu'intervient la décision de la commission des sanctions de l'AFLD.

Toutefois, le juge estime ici qu’Il appartient au président de l'Agence, outre l’hypothèse ci-dessus, de lever la suspension dans deux cas : 1) lorsque la suspension se prolonge au-delà d'un délai raisonnable alors même que la commission des sanctions n'a pas encore adopté de décision ; 2) dès qu'il apparaît que cette mesure conservatoire n'est plus justifiée, notamment si les premiers résultats de l'analyse sont infirmés ou au vu d'éléments nouveaux produits le cas échéant par le sportif concerné, tels qu'une autorisation d'usage à des fins thérapeutiques.

Cette solution, élégante, doit être approuvée car elle assure un bon équilibre entre les nécessités de la lutte contre le dopage et l’abus, même involontaire, des mesures à caractère provisoire et conservatoire notamment s’agissant de leur durée.

(28 février 2020, M. X., n° 433886)

 

Urbanisme

 

141 - Permis de construire - Refus - Effets du retrait du refus - Octroi d’un permis de construire tacite - Conséquences au regard des règles de transmission des actes d’urbanisme au préfet - Annulation partielle.

Après avoir refusé d’accorder un permis de construire, un maire retire ce refus, le pétitionnaire renouvelle sa demande de permis et obtient un permis de construire tacite. Comment s’applique en ce cas le mécanisme de transmission au préfet de certains actes locaux (art. L. 2131-1 du CGCT) ?

Dans le cas de la délivrance tacite d'un permis de construire, la commune est réputée avoir satisfait à cette formalité si le maire a transmis au préfet l'entier dossier de demande. Le délai dans lequel doit s'exercer le déféré préfectoral court soit à compter de la date à laquelle le permis est acquis, soit, dans l'hypothèse où la commune ne satisfait à l'obligation de transmission que postérieurement à cette date, à compter de la réception de cette transmission par le préfet.

Cependant, comme le retrait par l'autorité compétente d'une décision refusant un permis de construire ne rend pas le pétitionnaire titulaire d'un permis de construire tacite et impose à l’autorité administrative de statuer à nouveau sur la demande, le délai de nature à faire naître une décision tacite ne court qu'à compter de la confirmation de cette demande par le pétitionnaire. En ce cas, il appartient à la commune d'informer le préfet de la confirmation de sa demande par le pétitionnaire, en lui indiquant sa date de réception. Le délai de deux mois imparti au préfet pour intenter son déféré court alors, sous réserve que le préfet soit en possession de l'entier dossier de demande, à compter de la date du permis tacite si le préfet a eu connaissance de la confirmation de la demande avant la naissance du permis ; à défaut de cette connaissance à cette date, le délai court à compter de la date à laquelle le préfet est informé par la commune de l'existence du permis tacite.

(5 février 2020, SCI de l'Aire et du Cros, n° 426160)

 

142 - Référé suspension - Permis de construire tacite - Retrait - Délai de retrait - Existence d’une urgence et d’un moyen créant un doute sérieux - Annulation de l’ordonnance de référé.

Était demandée ici la suspension d’un arrêté municipal retirant un permis de construire tacite.

Pour juger qu’existe en l’espèce une urgence, le Conseil d’État relève  que les travaux de construction de leur maison pour lesquels les requérants avaient obtenu un permis de construire ont commencé et que l'exécution immédiate du retrait du permis de construire est de nature à entraîner, en raison du retard apporté à l'opération qu'il autorise, un préjudice économique important pour eux, compte tenu, d'une part, de la modestie de leurs ressources, d'autre part, des factures qu'ils ont déjà réglées et de celles qu'ils doivent honorer. 

Par ailleurs, constitue un moyen créant un doute sérieux le fait que l’arrêté de retrait est intervenu au-delà du délai de trois mois prévu par l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme.

(Ord. réf. 7 février 2020, M. X. et Mme Y., n° 432424)

 

143 - Référé suspension - Appréciation de l’urgence - Permis de construire un abribus délivré par une commune membre d’une communauté de communes et située dans le périmètre du Syndicat des transports d'Ile-de-France, IDF Mobilités - Rejet.

Ne commet pas d’erreur de droit et n’entache son ordonnance ni d’irrégularité ni d’insuffisante motivation, le juge du référé suspension qui, pour apprécier concrètement les effets de la décision par laquelle le permis de construire un abribus à un carrefour a été délivré et eu égard à l'exécution immédiate de travaux d'aménagement de voirie, travaux non encore achevés, qui se traduisent par l'engagement de budgets importants et sont difficilement réversibles, décide que la condition d'urgence est remplie sans retenir que l'intérêt public prépondérant de l'opération puisse lui être opposé.

En outre, est jugé sérieux le doute né de l’incompétence du maire pour délivrer un permis relatif à une compétence transférée à une communauté de communes et relevant d’un syndicat régional des transports.

(Ord. réf. 7 février 2020, Commune du Chesnay-Rocquencourt, n° 434785)

 

144 -Certificat d’urbanisme - Demande de prorogation d’une année - Refus - Motifs possibles de refus - Existence de motifs réguliers - Cassation avec renvoi.

L'autorité administrative, saisie d'une demande de prorogation d'un certificat d'urbanisme, ne peut refuser de prolonger d'une année la durée de cette garantie que si, conformément aux dispositions de l'art. R. 410-17 c. urb., les prescriptions d'urbanisme, les servitudes administratives de tous ordres ou le régime des taxes et participations d'urbanisme qui étaient applicables au terrain à la date du certificat ont changé depuis cette date. En l’espèce, le Conseil d’Etat estime, contrairement à ce qu’avait jugé la cour administrative d’appel, que l'adoption, la révision ou la modification du plan local d'urbanisme couvrant le territoire dans lequel se situe le terrain, à moins, pour la révision ou la modification de ce plan, qu'elle ne porte que sur une partie du territoire couvert par ce document dans laquelle ne se situe pas le terrain, constitue en principe le changement exigé par le texte précité.

(5 février 2020, Commune de Firmi, n° 426573)

 

145 - Communautés de communes - Plan local d’urbanisme (PLU) - Règles de compétence applicables pour l’élaboration d’un PLU entamée avant le transfert de cette compétence à la communauté de communes - Régime applicable du fait de la loi du 24 mars 2014 - Cassation avec renvoi.

(12 février 2020, M. et Mme X. et autre, n° 419439) V. n° 17

 

146 - Permis de démolir dans le champ de visibilité d’un édifice classé ou inscrit - Silence ne valant pas permis de construire tacite - Solution identique pour un permis de démolir ou pour un permis de construire comportant une démolition - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

En principe, lorsqu’une construction nécessite une démolition, la demande peut porter à la fois sur un permis de démolir et un permis de construire (art. L. 451-1 c. urb.). En ce cas, le permis de construire autorise la démolition. En cas de silence, est acquis un permis de construire et de démolir (b/ de l’art. R. 424-1 c. urb.).

Toutefois, l’art. R. 424-2 c. urb. précise : « Par exception au b de l'article R. 424-1, le défaut de notification d'une décision expresse dans le délai d'instruction vaut décision implicite de rejet dans les cas suivants : (...) / i) Lorsque le projet porte sur une démolition soumise à permis en site inscrit ».

En l’espèce, une société avait sollicité une demande de permis de construire portant sur la démolition de deux bâtiments, la surélévation d'un bâtiment existant et la construction d'un nouveau bâtiment. À l’expiration du délai de silence prévu par les textes, la société a demandé à la Ville de Paris de lui délivrer une attestation de permis tacite. Ce qui lui a été refusé et ce refus a été validé par le tribunal administratif que la société avait saisi.

En appel, ce jugement fut annulé au motif que l’art. R. 424-2 précité ne visait que l’hypothèse d’une demande de démolition sans demande de permis de construire. La cour a donc estimé que devait s’appliquer la règle du silence valant permis de construire tacite et non celle où le silence vaut rejet de la demande de permis de construire.

Interprétant audacieusement mais logiquement la fin de la phrase dudit article, le Conseil d’État censure l’arrêt d’appel en jugeant que le principe du silence valant rejet énoncé à l’art. R. 424-2 s’applique aussi bien aux demandes portant seulement sur un permis de démolir qu’aux demandes portant sur un permis de démolir et de construire.

Le pourvoi est admis et la cassation prononcée.

(12 février 2020, Ville de Paris, n° 421949)

 

147 - Plafond légal de densité - Dépassement - Calcul de la participation pour dépassement du plafond légal - Date de fixation du plafond - Jour de la délivrance du permis de construire - Rejet.

Il résulte des dispositions de l’art. 112-2 c. urb. dans sa version alors en vigueur que le fait générateur de la participation pour dépassement du plafond légal de densité est la délivrance du permis de construire. Cette même date est celle à laquelle il faut se placer pour la prise en compte de la valeur du plafond légal de densité.

C’est donc le plafond en vigueur au 22 décembre 2009 qu’il fallait retenir dans le présent litige car c’est la date de délivrance du permis de construire autorisant la réhabilitation d'un hôtel, la construction d'une nouvelle aile de l'hôtel et la démolition d'un bâtiment à usage de garage, et non celle du 7 août 1986 qui est celle de la délivrance du permis initial, pour la construction de l’hôtel.

(12 février 2020, Société Hôtel Paris Sud, n° 422342)

 

148 - Permis de construire, de démolir ou d’aménager - Irrégularité - Existence d’une pluralité de motifs d’illégalité - Refus des juges du fond d’user du pouvoir de régularisation partielle par un permis modificatif (art. L. 600-5 et L. 600-5-1 c. urb.) - Étendue des pouvoirs du juge de cassation.

De cette décision, relative à la contestation d’un permis de construire des immeubles et des maisons individuelles, qui porte sur plusieurs questions de droit on retiendra surtout l’aspect suivant.

Lorsque le juge administratif estime qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé par un permis modificatif, il peut limiter à cette partie seulement la portée de l'annulation qu'il prononce et inviter le titulaire du permis litigieux d’en solliciter la régularisation.

Dans le cas où il refuse, en présence de plusieurs motifs d’illégalité du permis, d’user de la faculté ouverte par l’art. L. 600-5 c. urb. et où un pourvoi en cassation est formé, le juge du pourvoi, dans le cas où il censure une partie de ces motifs, ne peut rejeter le pourvoi qu'après avoir vérifié si les autres motifs retenus et qui demeurent justifient ce refus.

Cette solution - assez expédiente - se justifie par l’objectif de célérité et de simplification du contentieux de l’urbanisme

(12 février 2020, Société Erilia, n° 422576)

 

149 - Demande d’autorisation d’utilisation du sol - Demande de permis d’aménager - Qualité de propriétaire du pétitionnaire - Pétitionnaire titulaire d’une promesse de vente - Absence d’annulation de la promesse et absence de manœuvres frauduleuses - Existence de la qualité pour demander ce permis - Annulation du retrait rétroactif du permis tacite - Rejet.

Les autorisations d'utilisation du sol - tel ici un permis d’aménager - , qui ont pour seul objet de s'assurer de la conformité des travaux qu'elles autorisent avec la législation et la réglementation d'urbanisme, étant accordées sous réserve du droit des tiers, il n'appartient pas en principe  à l'autorité compétente de vérifier, dans le cadre de l'instruction d'une demande de permis, la validité de l'attestation établie par le demandeur, dès lors que les demandes de permis d'aménager doivent seulement comporter l'attestation du pétitionnaire qu'il remplit les conditions définies à l'article R. 423-1 c. urb. Ce n’est que dans le cas où l’autorité compétente dispose d'informations de nature à établir le caractère frauduleux de cette attestation ou faisant apparaître, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que le pétitionnaire ne dispose, contrairement à ce qu'implique l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme, d'aucun droit à la déposer, que celle-ci peut, pour ce motif, le permis sollicité. Ce serait, par exemple, le cas si le juge judiciaire avait remis en cause le droit de propriété sur le fondement duquel le pétitionnaire a présenté sa demande.

Lorsque le pétitionnaire est, pour le terrain faisant l'objet de la demande de permis, titulaire d'une promesse de vente qui n'a pas été remise en cause par le juge judiciaire à la date à laquelle l'autorité administrative se prononce, l'attestation par laquelle il déclare remplir les conditions pour déposer la demande de permis ne peut, en l'absence de manœuvre frauduleuse, être écartée par l'autorité administrative pour refuser de délivrer le permis sollicité.

Tel était le cas dans la présente affaire.

Une société est titulaire d’une promesse consentie par la commune pour la vente du terrain d'implantation du projet et d'une délibération du conseil municipal de cette commune approuvant cette vente. Elle fournit donc, lors du dépôt de sa demande de permis d'aménager, l'attestation prévue par le code de l’urbanisme (art. R. 441-1) en sa qualité de propriétaire.

 Le maire de la commune ayant retiré le permis d'aménager dont la société était devenue tacitement bénéficiaire le 18 février 2015 au motif qu'une délibération du conseil municipal du 6 novembre 2014 avait constaté la caducité de la vente, il a estimé que le pétitionnaire n’avait pas (ou plus) la qualité requise pour obtenir le permis d'aménager. Or il résulte de l’instruction devant la cour administrative d’appel qu'à la date de naissance du permis tacite, le juge judiciaire, qui était seulement saisi d'une action engagée pour contester la caducité de la promesse de vente, n'avait pas remis en cause la validité de cette promesse.

Ainsi, la société, à la date du dépôt de sa demande de permis d’aménager était fondée à se prévaloir de la qualité de propriétaire et l'attestation qu’elle a fournie à cet effet, sans aucune manœuvre frauduleuse, ne pouvait être écartée par la commune au prétendu motif que le permis d'aménager tacite obtenu par cette société était illégal. Par voie de conséquence, était illégal retrait de ce permis auquel elle a procédé.

(12 février 2020, Commune de Norges-la-Ville, n° 424608)

 

150 - Permis de construire - Intérêt pour le contester - Propriétaire voisin et riverain de la voie où sera édifiée la construction - Cassation avec renvoi.

Pour rejeter le recours en annulation du permis de construire qu’il contestait, un tribunal administratif estime que le requérant n’a pas d’intérêt pour agir.

Rappelant les conditions, désormais assez restrictives, d’appréciation de l’intérêt pour agir en excès en annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, le Conseil d’État annule ce jugement pour qualification inexacte des faits.

En effet, le permis de construire litigieux concerne la construction d'une résidence de tourisme de dix-huit suites après démolition de la construction existante sur un terrain situé en face de la villa du demandeur. Alors que le terrain d'assiette du projet supporte actuellement un bâtiment d'un seul étage à usage d'hôtel-restaurant, d'une surface de 630 m² et d'une hauteur de 8,5 mètres, le projet autorisé par le permis de construire attaqué prévoit la construction d'un bâtiment de deux étages d'une surface de 956 m², pour une hauteur totale de 11,5 mètres, de nature à porter ainsi atteinte aux conditions de jouissance de sa propriété par M. du Beaudiez, notamment à sa vue et à sa tranquillité. C’est donc à tort que les premiers juges lui ont dénié un intérêt à contester le permis litigieux.

(27 février 2020, M. du Beaudiez, n° 425942)

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