Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Janvier 2020

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Accès aux documents administratifs - Traitements algorithmiques utilisés dans la procédure Parcoursup - Accès limité aux seuls candidats non retenus en faisant la demande - Constitutionnalité - Question présentant un caractère sérieux - Renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel.

(15 janvier 2020, UNEF, n° 433296 ; UNEF, n° 433297, jonction)

V. au n° 48

 

2 - Accès aux documents administratifs - Documents fiscaux - Documents accessibles sur un espace numérique personnel - Demande abusive sauf difficultés particulières - Annulation partielle.

En principe, dès lors que des documents administratifs sont disponibles sur un espace de stockage numérique hébergé sur une plateforme, mis à la disposition de la personne qu'elle concerne par l'administration, auquel cette personne peut librement accéder sur Internet grâce à un identifiant et un code et à partir duquel il lui est loisible de télécharger le document demandé, elle doit en principe être regardée comme détenant ces documents, au même titre que l'administration. Toutefois, il appartient au juge de vérifier s'il ressort des pièces du dossier l'existence de circonstances particulières faisant obstacle à un accès effectif à cet espace.

(30 janvier 2020, SAS Cutting Tools Management Services, n° 418797)

 

3 - Note ministérielle (éducation nationale) - Dispositions impératives à caractère général - Acte dérogatoire à un décret - Incompétence d'un ministre pour prendre une telle décision - Moyen d'ordre public - Annulation sans examen des moyens de la requête.

Le II de l'article 8 du décret du 28 octobre 2013 a mis en place un dispositif transitoire permettant aux fonctionnaires titulaires et stagiaires de l'État et aux magistrats affectés à Mayotte entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2016 de bénéficier d'une indemnité d'éloignement dégressive versée en quatre fractions annuelles. 

Par sa note attaquée, le ministre de l'éducation nationale a, d'une part, suite à un engagement gouvernemental, décidé de maintenir, pendant deux années supplémentaires, pour ceux d'entre eux qui ont été affectés à Mayotte en 2012 et 2013, l'indemnité d'éloignement à taux plein dans les conditions qui avaient été prévues par les dispositions du décret du 27 novembre 1996, remplacé par un décret du 15 avril 2013, lui-même rendu applicable à Mayotte par le décret du 28 octobre 2013, et d'autre part, réduit à deux années la durée dudit dispositif quadriennal.

L'auteur de cette note était évidemment incompétent pour, par elle, modifier ou abroger des dispositions contenues dans des décrets. L'annulation de la note est ainsi prononcée sans même que soient examinés les moyens de la requête en raison du caractère d'ordre public du vice d'incompétence.

(31 janvier 2020, MM. X. et autres, n° 426956)

 

4 - Référé suspension - Procédure disciplinaire - Haut conseil du commissariat aux comptes - Rapport final du rapporteur général devant la formation disciplinaire restreinte - Demande de suspension de la procédure - Caractère de mesure préparatoire du rapport final - Absence de décision disciplinaire - Rejet.

 (27 janvier 2020, M. X. et autres, n° 437509)

V. au n° 18

 

Biens

 

5 - Domanialité publique (appartenance de parcelles à la -) - Renvoi préjudiciel du juge judiciaire - Affectation à l'usage direct du public (absence) - Aménagement indispensable (absence) - Immeubles situés dans le périmètre d'une association foncière urbaine libre (AFUL) - Absence d'appartenance au domaine public - Cassation et règlement de l'affaire au fond.

Sur renvoi préjudiciel de l'autorité judiciaire, le juge administratif devait se prononcer sur l'appartenance de locaux au domaine public. Le tribunal administratif avait répondu par l'affirmative : l'immeuble était affecté à l'usage direct du public et il avait fait l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution, par les services publics municipaux, de leurs missions de service public.

Le Conseil d’État annule ce jugement, aucun des deux éléments retenus ne pouvant l'être, y ajoutant un autre motif de non-appartenance au domaine public.

Relevant tout d'abord une erreur de droit, le Conseil d’État juge que ne peuvent être dits affectés à l'usage direct du public des salles et des locaux à usage de bureaux mis à la disposition de diverses associations à caractère social, sportif ou culturel, afin d'y recevoir leurs adhérents et les habitants de la commune intéressés par les activités qu'elles proposaient.

Relevant ensuite une inexacte qualification des faits, le juge de cassation estime que ne peut être considéré comme un aménagement indispensable à l'exécution, par les services municipaux, de leurs missions de service public, la simple installation d'un point d'accueil et d'orientation qui n'a comme objet que l'accueil téléphonique ainsi que l'information et l'orientation des personnes reçues dans les bureaux.

Enfin, il constate que les locaux en cause, même acquis par une personne publique et fût-ce pour les besoins d'un service public ne peuvent constituer des dépendances de son domaine public car ils sont inclus dans le périmètre d'une association foncière urbaine libre, situation incompatible avec la domanialité publique ainsi qu'il résulte de la combinaison des dispositions des art. L. 322-1, L. 322-2 et L. 322-9 du code de l'urbanisme.

Les locaux litigieux font partie du domaine privé communal.

Cette solution, dans le souci de ne pas dilater à l'extrême le champ d'application de la domanialité publique, est justifiée et elle est conforme à la volonté du législateur.

(23 janvier 2020, Société JV Immobilier et autres, n° 430192)

 

Contrats

 

6 - Marché public de travaux - Construction d’un réseau urbain de tramways - Devoir de conseil des maîtres d’œuvre - Étendue - Responsabilité contractuelle - Cassation avec renvoi.

Le Conseil d’État rappelle que la responsabilité des maîtres d'œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves.

Après réception des travaux de création d’un réseau de tramways, avec des réserves levées par la suite, sont apparus des désordres affectant le revêtement en dallage de pierres naturelles noires. Bordeaux Métropole a, entre autres, recherché la responsabilité contractuelle des maîtres d’œuvre pour défaillance dans l’exercice de leur devoir de conseil. Cette demande a été rejetée en première instance et en appel au motif que les désordres allégués n'avaient pas présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux et qu'il ne résultait pas de l'instruction que les maîtres d'œuvre auraient eu connaissance de ces désordres au cours du chantier.

Le juge casse ce raisonnement pour erreur de droit car la cour aurait dû aussi vérifier, comme Bordeaux Métropole le lui demandait expressément, si les maîtres d'œuvre auraient pu avoir connaissance de ces vices s'ils avaient accompli leur mission selon les règles de l'art.

Cette solution doit être approuvée.

(8 janvier 2020, Bordeaux Métropole, n° 428280 ; v. aussi, du même jour, avec solution identique sur ce point : Communauté d'agglomération du Grand Angoulême, n° 434430)

 

7 - Marché publics de travaux - Réalisation d’une médiathèque - Réception de l’ouvrage - Portée - Réception et décompte définitif, portées respectives - Erreur de droit - Cassation partielle et renvoi dans cette mesure à la cour administrative d’appel.

Il était fait reproche au juge des référés d’une cour administrative d'appel d’avoir jugé que la réception des travaux sans réserve faisait obstacle à tout remboursement du coût de travaux à la communauté d'agglomération requérante, alors, selon le pourvoi, que cette réception ne mettait pas fin aux droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché.

Le Conseil d’État casse sur ce point l’ordonnance en rappelant la distinction des effets propres à chacun de ces deux actes : la réception et le décompte général et définitif.  

La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve. Elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. Elle a pour effet d’interdire au maître de l'ouvrage d'invoquer, après qu'elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l'ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation. En revanche, et contrairement à ce qui a été jugé en appel en l’espèce, la réception est sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché, à raison notamment de retards ou de travaux supplémentaires. En effet, la détermination de ces droits financiers n’intervient irrévocablement que lors de l'établissement du solde du décompte définitif. Ce dernier est donc seul à interdire au maître de l'ouvrage toute réclamation à cet égard.

(8 janvier 2020, Communauté d'agglomération du Grand Angoulême, n° 434430)

 

8 - Marché public - Décompte général et définitif - Effets - Possibilité à certaines conditions d'un appel en garantie du maître de l'ouvrage contre le titulaire d'un marché dont le décompte est devenu défintif - Absence en l'espèce - Cassation sans renvoi.

Le Conseil d’État rappelle que si en principe le décompte général et définitif détermine irrévocalement les droits et obligations des parties, toutefois, la circonstance que ve décompte soit devenu définitif ne fait pas, par elle-même, obstacle à la recevabilité de conclusions d'appel en garantie du maître d'ouvrage contre le titulaire du marché. 

Cette faculté suppose que le maître d'ouvrage n'avait pas eu connaissance de l'existence du litige avant qu'il n'établisse le décompte général du marché et qu'il n'a donc pas assorti le décompte d'une réserve, même non chiffrée, concernant ce litige. Or, en l'espèce, le maître d'ouvrage, attrait par un concurrent évincé devant le juge administratif, et ainsi nécessairement informé de l'existence d'un litige, après avoir appelé en garantie le maître d'oeuvre, avait signé avec celui-ci, sans l'assortir de réserve, le décompte général du marché qui les lie : le caractère définitif de ce dernier a pour effet de lui interdire toute réclamation correspondant à ces sommes.

C'est donc par suite d'une erreur de droit que la cour a jugé que n'étaient pas irrecevables les conclusions d'appel en garantie prises par le maître d'oeuvre postérieurement à l'intervention du décompte général du marché de maîtrise d'oeuvre, alors qu'elle a elle-même constaté que le décompte avait été établi postérieurement à l'appel en garantie et à une date à laquelle le maître d'ouvrage avait nécessairement connaissance du litige l'opposant au groupement d'entreprises demandeur en première instance.

(27 janvier 2020, Société Atelier d'architecture Bégué Peyrichou Gérard et associés, n° 425168)

 

9 - Eau et assainissement - Concession - Résiliation anticipée - Indemnisation des préjudices causés au concessionnaire - Calcul de la prise en compte de l'état des amortissements - Non-rétroactivité de la loi du 29 janvier 1993 (dite "loi Sapin") - Bouleversement de l'équilibre financier du contrat - Absence - Rejets.

Une commune conclut un contrat de concession eau/assainissement avec la société Lyonnaise des Eaux France, aux droits de laquelle vient Suez Eau France, la communauté urbaine du Grand Toulouse, devenue Toulouse Métropole, succédant à la commune.

Désirant harmoniser les tarifs des différentes concessions eau/assainissement existant dans son périmètre, Toulouse Métropole a proposé un avenant modificatif réduisant la rémunération du concessionnaire. Devant le refus de ce dernier, qui estimait, de ce fait, rompu l'équilibre financier du contrat primitif, Toulouse Métropole a modifié unilatéralement le contrat. Puis, deux ans plus tard, a prononcé la résiliation anticipée du contrat. Entretemps s'est ouvert un contentieux en annulation de diverses actes et décisions et en indemnisation. Les premiers juges ont condamné Toulouse Métropole à indemniser la demanderesse du montant des investissements non amortis à la date de la résiliation, somme augmentée en appel.

Toulouse Métropole se pourvoit contre cet arrêt tandis que Suez Eau France forme un pourvoi incident.

Puisque les biens de retour rentrent gratuitement en fin de contrat dans le patrimoine de la personne publique, il importe de déterminer l'état des amortissements de ces biens pour calculer l'éventuel préjudice subi par le concessionnaire en cas de résiliation non fautive anticipée. Le Conseil d’État décrit ce mécanisme dans un considérant à la fois pédagogiquement rédigé et de principe : "  Lorsque la collectivité publique résilie une concession de service public avant son terme normal, le concessionnaire est fondé à demander l'indemnisation du préjudice qu'il subit à raison du retour des biens nécessaires au fonctionnement du service public à titre gratuit dans le patrimoine de cette collectivité, lorsqu'ils n'ont pu être totalement amortis, soit en raison d'une durée du contrat inférieure à la durée de l'amortissement de ces biens, soit en raison d'une résiliation à une date antérieure à leur complet amortissement. Lorsque l'amortissement de ces biens a été calculé sur la base d'une durée d'utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan. Dans le cas où leur durée d'utilisation était supérieure à la durée du contrat, l'indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l'amortissement de ces biens sur la durée du contrat. Si, en présence d'une convention conclue entre une personne publique et une personne privée, il est loisible aux parties de déroger à ces principes, l'indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus." On aura remarqué le rappel discret in fine de la règle qu'une personne publique ne peut payer une somme qu'elle ne doit pas.

En conséquence, ne peut être objecté le fait que les biens de retour auraient été amortis "économiquement" avant la décision de résiliation grâce aux résultats produits par l'exécution de la concession.

Pas davantage ne peut être retenu le moyen tiré de ce que la concession en cause avait une durée plus longue que le maximum fixé par la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques ou par la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement car la conclusion de cette concession est antérieure à l'entrée en vigueur de ces textes. La solution est logique mais elle semble contredire celle de l'arrêt Commune d'Olivet (Assemblée, 8 avril 2009, Compagnie générale des eaux et commune d'Olivet, n° 271737, Rec. p. 116). Le pourvoi principal est rejeté.

Le pourvoi incident de Suez Eau France l'est pareillement. Deux arguments étaient invoqués pour l'essentiel : l'institution par le cahier des charges de la concession d'une commission chargée de procéder à la révision des tarifs et le caractère fautif de la baisse des tarifs décidée unilatéralement par Toulouse Métropole. D'une part, l'intervention de cette commission ne dispensait pas Toulouse Métropole de proposer la conclusion d'un avenant ou, à défaut d'accord du cocontractant, de procéder par voie unilatérale ; la personne publique n'était donc pas dépossédée de sa compétence du fait de l'existence de cette commission, et, d'autre part, la procédure de modification tarifaire qui a été suivie ici était conforme aux stipulations du cahier des charges librement accepté par les parties.

 (27 janvier 2020, Toulouse Métropole, n° 422104)

 

10 - Délégation de service public ou concession de travaux - Force majeure (absence) - Imprévision (absence) - Biens nécessaires au fonctionnement du service public - Nature juridique des jeux de casino - Absence d'activité de service public mais contribution au financement de missions de service public et rémunération essentielle sur les usagers - Présence d'une délégation de service public - Biens de retour - Notion - Retour gratuit dans le patrimoine de la collectrivité publique délégante - Rejet.

La commune de la Trinité-sur-Mer a confié, par une convention, l'exploitation d'un casino à la société Grand Casino de la Trinité-sur-Mer, devenue société Touristique de la Trinité. Le cahier des charges pour l'exploitation des jeux de la convention prévoyait notamment que le délégataire prendrait à sa charge les investissements nécessaires pour la réalisation d'un hôtel et d'un restaurant, de locaux de réunion, d'une salle polyvalente pour l'accueil de congrès et séminaires, d'un centre de remise en forme et d'une galerie d'arts plastiques.

Le conseil municipal de la commune ayant estimé que la société n'avait pas rempli ses obligations, son maire a été autorisé à prononcer la déchéance du contrat.

La commune a en outre saisi le tribunal administratif d'une demande d'indemnisation pour non-réalisation, par la société Touristique de la Trinité, d'équipements prévus par le contrat et d'une demande de restitution du casino, de l'hôtel et du restaurant inclus dans le périmètre du contrat de concession.

La société Touristique de la Trinité a saisi le tribunal administratif, lequel a rejeté une partie de ses demandes. La cour administrative, saisie d'un appel de la commune, a augmenté le montant des indemnités mises à la charge de la société et lui a enjoint de libérer les locaux correspondant à l'ensemble immobilier du casino et de l'hôtel-restaurant. La société se pourvoit en cassation, en vain : ses trois arguments principaux sont rejetés.

Tout d'abord, c'est dans la limite de son pouvoir souverain d'appréciation des faits et sans dénaturation que la cour a jugé que n'étaient pas réunies les trois conditions auxquelles est subordonnée la constatation de l'existence d'une force majeure exonératoire. Au passage, s'agissant de l'invocation de la théorie de l'imprévision, le juge rappelle qu'elle se résout en une aide indemnitaire pour assurer la poursuite de l'exécution du contrat.

Ensuite, le Conseil d’État procède à la qualification juridique de la convention liant la société demanderesse au pourvoi et la commune. Il y voit une délégation de service public bien que " les jeux de casino ne constituent pas, par eux-mêmes, une activité de service public ". On sait que la jurisprudence s'est montrée passablement incertaine et cahotante sur ce sujet, tantôt y voyant purement et simplement un service public (25 mars 1966, Ville de Royan, p. 237 ; 3 octobre 2003, Commune de Ramatuelle, BJCP p. 430) et tantôt refusant cette qualification,  d'abord à partir de 1922 (12 mai 1922, Commune de Saint-Malo, p. 413 ; 21 novembre 1947, Société fermière du Palais de la Méditerranée, p. 430), puis, à nouveau, à l'époque actuelle (19 mars 2012, SA Groupe Partouche,  n° 341562). Ici , il est relevé que " les conventions conclues pour leur installation et leur exploitation ont, compte tenu de ce que le cahier des charges impose au cocontractant des obligations relatives notamment à la prise en charge du financement d'infrastructures et de missions d'intérêt général en matière de développement économique, culturel et touristique et que sa rémunération est substantiellement assurée par les résultats de l'exploitation, le caractère d'une délégation de service public ou d'une concession de travaux publics ". On aura noté l'incertitude du juge sur la qualification juridique exacte des contrats.

De cette nature juridique de la relation contractuelle ainsi instaurée il découle que l'ensemble des biens, meubles ou immeubles, dont la création ou l'acquisition est mise à la charge du cocontractant, tenu d'effectuer les investissements nécessaires à cet effet, appartient à la personne publique et ce, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition. D'où cette conséquence, logique eu égard aux prémisses, mais sévère : " Il en résulte que les biens nécessaires au fonctionnement du service public confié au cocontractant, alors même que des jeux de casino y sont installés, constituent des biens de retour et appartiennent à la personne publique contractante ". Le Conseil d’État a estimé sans effet sur cette conséquence la double circonstance, d'une part, que ces biens n'étaient pas édifiés sur une dépendance du domaine public de la commune, et d'autre part, que le contrat prévoyait que la société ferait son affaire des opérations immobilières relatives à la création du casino, alors que cette dernière précision pouvait laisser croire à l'existence d'un sort juridique autonome pour le casino.

Enfin, étant des biens de retour, ces immeubles font retour gratuitement dans le patrimoine de la commune contractante sans que puisse être invoquée la protection du droit de propriété et donc la violation des art. 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Le rejet a une portée incertaine car s'il peut sembler porter sur le fond même de l'argumentation (la gratuité des biens de retour ne contrevient pas aux dispositions constitutionnelles garantissant le respect du droit de propriété), il peut aussi résulter de ce que - comme le souligne le juge - ce moyen est nouveau en cassation.

Reste que ce retour automatiquement gratuit des biens de retours dans le patrimoine public mériterait, non pas une QPC car celle-ci serait vouée à l'échec en l'état du fétichisme jurisprudentiel actuel en faveur du patrimoine public, mais un recours à la cour EDH.

(23 janvier 2020, Société Touristique de la Trinité, n° 426421)

 

11 - Aéroport - Convention d'occupation du domaine public - Activités de débit de boissons et de restauration rapide - Offres - Candidat évincé - Exigences excessives du règlement de consultation - Restriction excessive des conditions d'accès au contrat - Interprétation du règlement de la consultation - Pluralité des motifs d'annulation de la convention - Rejet du pourvoi.

La chambre de commerce et d'industrie (CCI) d'Ajaccio et de la Corse-du-Sud, au terme d'une consultation, a attribué une convention d'occupation du domaine public pour un local situé dans l'enceinte de l'aéroport de Figari et destiné à l'exploitation d'une activité commerciale de débit de boissons et de restauration rapide. Deux sociétés, " Bar de l'arrivée " et " Café des voyageurs ", ayant présenté leur candidature, c'est l'offre de cette dernière qui a été retenue.

La société " Bar de l'arrivée ", évincée, a saisi le juge et ses demandes ont été rejetées en première instance. La cour administrative d'appel, censurant dans cette mesure le jugement querellé, a annulé la convention d'occupation du domaine public conclue avec la société " Café des voyageurs " et a condamné la CCI à verser à la société " Bar de l'arrivée " une indemnité de 200 000 euros.

La CCI se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

La cour avait annulé la convention d'occupation du domaine public pour deux motifs d'irrégularité dont elle a jugé que chacun d'eux, pris ut singuli, était de nature à justifier l'annulation.

Le premier motif était fondé sur le non-respect par la société, attributaire de cette convention, d'une disposition du règlement de la consultation qui rendait son dossier de candidature incomplet. Le règlement  disposait en effet que les candidats devaient soit, pour la société, être en possession, au plus tard à la date limite de dépôt des candidatures, de la licence de 4ème catégorie prévue à l'article L. 3331-1 du code de la santé publique, soit, pour la personne déclarante, du permis d'exploitation d'un débit de boissons prévu par les dispositions de l'article L. 3332-1-1 du même code, soit, à tout le moins, avoir accompli, avant la date limite de dépôt des candidatures, les démarches en vue de l'obtention de cette licence et de la délivrance du permis d'exploitation à la date d'effet de la convention. Le Conseil d’État reproche à la cour d'avoir commis sur ce point une erreur de droit en ne relevant pas (d'office ?) que l'exigence prévue par le règlement de la consultation sur ce point devait être regardée comme restreignant de façon excessive et arbitraire l'accès des entreprises intéressées au contrat en cause. Nous avouons être dubitatif sur le motif de cassation ainsi retenu.

Le second motif était tiré de ce que la société attributaire ayant été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le jour même de la date limite de dépôt des candidatures fixée par le règlement de la consultation, la CCI avait pu la dispenser de la production des éléments financiers prévus par les stipulations de ce règlement. Toutefois, cette tolérance était subordonnée à ce que la société justifie par tous moyens de sa capacité financière. Or la cour a souverainement jugé qu'il résultait des faits de l'espèce que les pièces produites par la société " Café des voyageurs " relatives aux statuts, bilans et comptes de résultats pour les exercices 2011 et 2012 de deux sociétés dans lesquelles son président et associé unique détenait 16 % du capital, n'étaient pas de nature à justifier de cette capacité. Le Conseil d’État considère que la cour, ce jugeant, n'a pas, contrairement à ce qui est soutenu, retenu du règlement de la consultation une interprétation ayant pour effet de restreindre l'accès à la convention des entreprises de création récente et n'a ainsi pas commis d'erreur de droit.

Enfin, comme indiqué plus haut, la cour ayant jugé les deux motifs retenus par elle comme justifiant l'annulation de la convention et la CCI n'ayant pas contesté les motifs de l'arrêt sur ce point, l'annulation est confirmée et le pourvoi rejeté.

(23 janvier 2020, Chambre de commerce et d'industrie d'Ajaccio et de la Corse-du-Sud, n° 427058)

 

Droit du contentieux

 

12 - Question préjudicielle - Taxe générale sur les activités polluantes - Taxe frappant les personnes et activités mettant des imprimés à la disposition du public - Perception par un organisme de droit privé agréé sans mise en œuvre d’une transparence - Saisine du Conseil d’État - Qualité pour se pourvoir - Intervenant en première instance - Compétence pour statuer sur la question préjudicielle - Étendue de la question posée - Rejet.

Une société conteste devant le juge judiciaire la légalité de l'arrêté interministériel du 19 janvier 2007 portant agrément d'un organisme, la société Ecofolio, ayant pour objet de percevoir la contribution à la collecte, à la valorisation et à l'élimination des déchets d'imprimés et de verser les soutiens aux collectivités locales en application de l'article L. 541-10-1 du code de l'environnement et de l'article 1er du décret n° 2006-239 du 1er mars 2006. Le tribunal de grande instance saisi aperçoit une question préjudicielle qui est renvoyée au tribunal administratif de Paris ; celui-ci juge illégal l’arrêté précité.  Ce jugement est frappé de pourvoi en cassation.

Trois questions importantes de procédure se posaient.

1°/ La société Ecofolio, qui est volontairement intervenue en première instance peut-elle se pourvoir en cassation ? On sait que la personne qui est régulièrement intervenue devant le tribunal administratif n'est recevable à se pourvoir en cassation contre le jugement rendu en premier et dernier ressort contrairement aux conclusions de son intervention que lorsqu'elle aurait, à défaut d'intervention de sa part, eu qualité pour former tierce opposition contre la décision du juge de première instance. Or ne peut former tierce opposition contre une décision rendue au terme d’une instance la personne qui, au cours de ladite instance, y avait été valablement représentée par une personne ayant des intérêts concordants avec les siens. En l’espèce, la société Ecofolio n’avait pas, dans l’instance s’étant déroulée devant le tribunal administratif, que des intérêts concordants avec ceux du ministre. Elle ne pouvait donc être considérée comme y ayant été valablement représentée par le ministre. Son pourvoi est recevable.

2°/ Dans la mesure où étaient contestés, d’une part, un arrêté ministériel qui porte agrément de la société Ecofolio et comporte en annexe le cahier des charges applicable à son activité, et d’autre part, le cahier - qui a une nature réglementaire - et forme un tout indivisible avec l’agrément, l’ensemble a une nature réglementaire et sa contestation ne peut relever, en premier et dernier ressort, que du seul Conseil d’État. Le tribunal administratif était donc incompétent pour connaître du renvoi préjudiciel, il est cassé.

3°/ Quelle était en l’espèce l'étendue de la question préjudicielle en appréciation de validité de l’arrêté ? Le Conseil d’État rappelle que deux cas sont possibles.

Soit le juge judiciaire énonce le ou les moyens qui l’amènent à interroger son homologue administratif et ce dernier ne peut répondre qu’en se fondant sur ces seuls moyens, ne pouvant retenir ni un moyen d’ordre public soulevé d’office ni un moyen soulevé devant lui par les parties.

Soit le juge judiciaire a opéré le renvoi préjudiciel sans préciser, ni dans les motifs ni dans le dispositif de sa décision, les moyens au soutien de ce renvoi, en ce cas la juridiction administrative de renvoi « doit examiner tous les moyens présentés devant elle, sans qu'il y ait lieu alors de rechercher si ces moyens avaient été soulevés dans l'instance judiciaire ».

(10 janvier 2020, Ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, n° 404468 ; Société Ecofolio, n° 404487, jonction)

V., sur l’autre volet de cette décision, au n° 37

 

13 - Mandataires autorisés - Obligation - Autorité administrative indépendante dépourvue de personnalité morale - Cas du Comité d'indemnisation des victimes d'essais nucléaires (CIVEN) - Représentation en justice par l’État - Dispense de recourir à un mandataire autorisé - Cassation avec renvoi à la cour administrative d’appel.

Dans le cadre d’un litige en indemnisation d’une personne se prétendant victime d’essais nucléaires, le CIVEN a interjeté appel d’un jugement le condamnant à réparer les préjudices subis par cette personne. Son appel a été jugé irrecevable faute d’avoir été présenté par l’un des mandataires autorisés par l’art. R. 431-11 du CJA.

Sur pourvoi, le Conseil d’État casse l’arrêt d’appel et lui renvoie l’affaire. En effet, dès lors que le CIVEN est une autorité administrative indépendante sans personnalité juridique, il ne peut être représenté en justice que par l’État, lequel est, en vertu des dispositions de l’art. R. 431-12 du CJA, toujours dispensé du ministère d’avocat. C’est donc à tort que la cour a opposé l’irrecevabilité pour défaut de mandataire autorisé.

(8 janvier 2020, Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), n° 432536 ; du même jour avec même requérant et identique solution : n° 432537)

 

14 - Moyen d'ordre public - Note ministérielle (éducation nationale) - Dispositions impératives à caractère général - Acte dérogatoire à un décret - Incompétence d'un ministre pour prendre une telle décision - Annulation sans examen des moyens de la requête.

(31 janvier 2020, MM. X. et autres, n° 426956)

V. n° 3

 

15 - Référé liberté (art. L. 521-2 CJA) - Droit d’asile - Conditions d’octroi des mesures sollicitées - Absence - Rejet.

Répondant à une requête de ressortissants koweïtiens, demandeurs d’asile en France, se plaignant des conditions matérielles d’accueil, le juge des référés du Conseil d’État rappelle une nouvelle fois les conditions particulières de mise en œuvre des pouvoirs qu’il tient en matière de référé liberté.  Si, en principe, le refus ou  la privation du bénéfice des mesures prévues par la loi afin de garantir aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur demande, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile, ce double caractère s'apprécie en tenant compte : 1° des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et 2° de la situation du demandeur.

Il s’ensuit que le juge des référés ne peut faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du CJA en adressant une injonction à l'administration que si sont réunies à la fois ces deux conditions : en premier lieu, le comportement de l’administration doit  fait apparaître une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile ; en second lieu, il doit résulter de ce comportement des conséquences graves pour le demandeur d'asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation familiale.

C’est donc au vu de ces derniers éléments qu’il incombe au juge des référés d'apprécier, dans chaque situation, les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de santé et de la situation familiale de la personne intéressée.

En l’espèce, cet examen conduit au rejet de l’appel et à la confirmation de l’ordonnance rendue en première instance.

(Ord. réf. 10 janvier 2019, M. X. et Mme Y., n° 437419)

 

16 - Astreinte - Liquidation - Compétence du juge du référé-liberté en première instance comme en appel - Constatation de l'exécution d'une injonction sous astreinte à la date fixée - Non-lieu à liquidation de l'astreinte - Rejet.

Le juge rappelle que si le code de justice administrative prévoit en son art. L. 911-7 la possibilité pour le juge du référé-liberté (art. L. 521-2 CJA) de se prononcer sur la liquidation d'une astreinte qu'il a antérieurement prononcée, cette compétence appartient également au juge d'appel de ce référé.

En l'espèce est constatée l'exécution de l'injonction à la date fixée par l'ordonnance de référé et donc prononcé le non-lieu à liquider l'astreinte.

(14 janvier 2020, X. c/ Commune d'Achères et ministre de l'intérieur, n° 435462)

 

17 - Référé suspension - Note de l'administration des douanes d'information relative au maintien dans la taxe incitative relative à l'incorporation de bio-carburants (TIRIB) de biocarburants provenant de palmiers - Absence d'urgence démontrée - Rejet.

Les associations requérantes demandaient la suspension de l'exécution de la note d'information du 19 décembre 2019 de la direction générale des douanes et droits indirects du ministère de l'action et des comptes publics relative à la taxe incitative relative à l'incorporation de bio-carburants (TIRIB) en tant qu'elle prévoit que les biocarburants produits à partir de distillats d'acides gras de palme (PFAD) ne seront pas exclus du mécanisme de la TIRIB à compter du 1er janvier 2020. Elles invoquaient l'urgence à statuer du fait que cette note était susceptible d'avoir pour effet d'augmenter la demande française d'huile de palme et, partant, sa production à l'étranger, portant par là atteinte de manière grave et immédiate à l'intérêt public qui s'attache à la lutte contre la déforestation et le changement climatique.

Pour rejeter la requête sur ce point, le juge des référés estime que les demanderesses n'apportent aucune précision, analyse ou autre établissant que cette note contribuerait directement et immédiatement au développement de phénomènes ayant pour effet de dégrader l'environnement. S'il n'est pas douteux qu'elle aura un certain effet, celui-ci ne revêt pas néanmoins une gravité immédiate telle qu'il y ait urgence à y statuer. Au reste, la requête au fond sera jugée avant l'été 2020.

(24 janvier 2020, Association Canopée et Association Les Amis de la Terre France, n° 437276)

 

18 - Référé suspension - Procédure disciplinaire - Haut conseil du commissariat aux comptes - Rapport final du rapporteur général devant la formation disciplinaire restreinte - Demande de suspension de la procédure - Caractère de mesure préparatoire du rapport final - Absence de décision disciplinaire - Rejet.

Les requérants, poursuivis devant la juridiction disciplinaire des commissaires aux comptes, demandent, par référé, la suspension de la procédure disciplinaire, parvenue au stade du rapport final, dans l'attente du jugement pénal relatif aux mêmes faits.

Le juge des référés rejette cette demande car, d'une part, le rapport final n'est qu'une mesure préparatoire non détachable de la décision de l'instance disciplinaire et d'autre part, cette instance n'est pas achevée au moment où statue le juge des référés.

Il n'existe donc dans ce dossier aucune décision qui, susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, permettrait d'en demander la suspension par voie de référé.

(27 janvier 2020, M. X. et autres, n° 437509)

 

19 - Action en justice - Qualité pour agir - Représentant d'une personne morale - Perte de cette qualité en cours d'instance - Circonstance sans effet sur la recevbilité du recours introduit - Cassation avec renvoi.

Rappel d'une règle classique du contentieux administratif qui a échappé à la vigilance de la cour administrative d'appel.

Si seule une personne ayant qualité à cet effet peut introduire une action en justice au nom d'une personne morale, la circonstance qu'elle perde cette qualité en cours d'instance est sans effet sur la recevabilité du recours qu'elle a introduit.

(30 janvier 2020, Commune de Païta, n° 421951 et n° 421952, deux espèces ; v. aussi, du même jour, sur le fond, avec prononcé d'un non-lieu à statuer : n° 421954)

 

20 - Recours pour excès de pouvoir - Moyens susceptibles d'être invoqués au soutien du refus d'abroger un acte réglementaire - Application de la jurisprudence   Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT- Rejet.

Réitération d'une innovation prétorienne que nous persistons à considérer comme mauvaise.

Le Conseil d’État juge que dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d'abroger un acte réglementaire, la légalité des règles fixées par celui-ci, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n'en va pas de même des conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même.

Le refus d'abroger un acte réglementaire a perdu sa nature antérieure d'acte réglementaire.

(30 janvier 2020, Syndicat départemental Confédération française des travailleurs chrétiens Santé-Sociaux de La Réunion et de Mayotte et autres, n° 425812)

 

21 - Organisation de la procédure devant le tribunal administratif - Ordonnance fixant la date après laquelle ne pourront plus être invoqués de moyens nouveaux - Ordonnance pouvant fixer une date antérieure à celle de la clôture de l'instruction - Nécessité que soit expiré le délai pour produire un mémoire en défense - Cassation avec renvoi.

Interprétant l'art. R. 611-7-1 du CJA ("Lorsque l'affaire est en état d'être jugée, le président de la formation de jugement ou, au Conseil d’État, le président de la chambre chargée de l'instruction peut, sans clore l'instruction, fixer par ordonnance la date à compter de laquelle les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux ") le Conseil d’État juge que cette disposition ne peut être mise en oeuvre qu'à condition que le délai accordé aux requérants pour répliquer au premier mémoire en défense soit expiré.

On peut comprendre que les premiers juges n'aient pas aperçu une exigence procédurale qui ne figure pas dans le texte.

(30 janvier 2020, M. X. et autres, n° 426346)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

22 - Procédure d'imposition - Redressement contradictoire - Irrégularité d'un contrôle fiscal - Constatation par l'administration de cette irrégularité - Dégrèvement d'office -  Reprise de la procédure d'imposition - Nouvelle rectification - Légalité -  Rejet.

Dès lors que l'administration - qui a procédé à un dégrèvement d'office de l'impôt supplémentaire qu'elle avait mis à sa charge en raison de l'irrégularité de la procédure d'imposition - a régulièrement informé le contribuable - dans sa décision même de dégrèvement - de la persistance de son intention de l'imposer et avait repris la procédure au stade de la communication de sa réponse aux observations du contribuable, elle n'était pas tenue, après avoir prononcé le dégrèvement des impositions supplémentaires primitivement établies, de reprendre entièrement la procédure et de notifier à la société une nouvelle proposition de rectification, dès lors que l'imposition devait porter sur les bases précédemment notifiées.

(22 janvier 2020, Sarl Études et Marketing, n° 420816)

 

23 - Renseignements recueillis dans le cadre d'une procédure judiciaire - Communication à l'administration fiscale - Conditions - Absence de satisfaction à ces conditions en l'espèce - Cassation pour erreur de droit de l'arrêt d'appel.

Il résulte des dispositions combinées de l'art. 101 du livre des procédures fiscales (dans sa version antérieure à la loi du 29 décembre 2015 portant loi de finances rectificative pour 2015), et de l'art. 49 du code de procédure pénale que si " L'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manoeuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt " c'est sous l'expresse condition que cette communication ait lieu dans le cadre d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle ouverte par un juge d'instruction. En l'espèce c'est donc à tort que la cour administrative d'appel a jugé que l'autorité judiciaire avait pu, sur le fondement de l'art. susmentionné du LPF, communiquer les renseignements en cause à l'administration fiscale alors qu'ils avaient été recueillis dans le cadre d'une enquête préliminaire ayant fait l'objet d'un classement sans suite par le procureur de la république.

(22 janvier 2020, Société CS Aviation, n° 421012)

 

24 - Impôt sur les sociétés - Location de locaux - Exploitation à caractère lucratif par un État - Soumission des revenus de cette activité à l'impôt - Rejet.

C'est sans erreur de droit qu'une cour administrative d'appel juge que l'État du Koweït doit être assujetti à l'impôt sur les sociétés du chef de son activité de location de la tour Manhattan à des entreprises privées, sous forme de sociétés commerciales, pour qu'elles y exercent leurs activités à un tarif de location qui est celui du marché.

En effet, il se déduit des dispositions du 1. de l'art. 206 du CGI que toutes les personnes morales qui se livrent à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif, y compris les États étrangers, sont soumises à l'impôt sur les sociétés dès lors que cette activité, eu égard à son objet et aux conditions particulières dans lesquelles elle est exercée, relève d'une exploitation à caractère lucratif.

La solution est, au reste, la même pour les collectivités territoriales françaises (20 juin 2012, Commune de La Ciotat, communauté urbaine Marseille Provence Métropole, n° 341410).

Cette jurispridence est logique car l'impôt résulte d'un fait objectif qui est, ici, la lucrativité

 (22 janvier 2020, État du Koweït, n° 421913)

 

25 - Taxe communale d'aménagement - Taxe instituée en Nouvelle-Calédonie - Taxe due par le bénéficiaire d'un permis de construire - Demande de permis de construire succédant à une précédente autorisation de construire - Fraude à la loi - Absence - Cassation avec renvoi.

Alors qu'il existe en Nouvelle-Calédonie une taxe communale d'aménagement frappant les autorisations de construire, la société requérante a demandé et obtenu le permis de construire une clinique, s'acquittant à cet effet de ladite taxe. Une modification de la " loi du pays " a introduit un nouveau cas d'exonération de cette taxe bénéficiant à cette société. Celle-ci a déposé et obtenu un nouveau permis de construire et sollicité le remboursement de la taxe qu'elle avait précédemment versée. La commune ayant refusé, le tribunal administratif saisi a vu dans cette succession de deux permis de construire une fraude à la loi dans le but d'éluder le paiement de la taxe et a rejeté le recours.

La société s'est pourvue en Conseil d’État et a obtenu gain de cause.

En effet, le Conseil d’État considère que l'octroi du second permis, demandé sur la même parcelle et pour la même construction, doit être analysé comme retirant rétroactivement, à la demande du pétitionnaire, le premier permis. Le tribunal a donc commis une erreur de droit en y voyant une fraude à la loi.

La solution nous semble par trop généreuse car elle révèle un classique cas d'abus de droit au sens du droit fiscal.

(30 janvier 2020, SAS Pôle hospitalier privé, n° 417565)

 

26 - Plus-value de cession immobilière - Prélèvement sur cette plus-value - Exonération en faveur de certains organismes : organisations internationales, États étrangers, etc.) - Absence d'exonération pour les sociétés de personnes y compris celles comprenant des États étrangers - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que la plus-value de cession immobilière réalisée par une SCI dont l'État du Koweït détient 99,99% des parts bénéficie de l'exonération de l'impôt sur les plus-values immobilières instituée par l'art. 244 bis du CGI en faveur des organisations internationales, des États étrangers, des banques centrales, etc., alors qu'en l'espèce la plus-value a été réalisée par une société de personnes dont un État fait partie, société qui ne bénéficie pas de l'exonération précitée.

(22 janvier 2020, SCI Faucon, n° 423160)

 

27 - Taxe sur les surfaces commerciales (art. 3 de la loi du 13 juillet 1972) - Réduction du taux de la taxe en cas de besoin de superficies anormalement élevées (loi de 1972 et décret du 26 janvier 1995) - Réduction fixée par décret - Compétence réglementaire - Annulation sans renvoi de l'arrêt d'appel et décision rendue au fond par le juge de cassation (art. L. 821-2 CJA).

Pour financer diverses mesures prises en faveur de certaines catégories de commerçants et d'artisans âgés, la loi du 13 juillet 1972 a institué une taxe sur les surfaces commerciales assise, dès lors qu'elle dépasse quatre cents mètres carrés, sur la surface de vente des magasins de commerce de détail des établissements ouverts à partir du 1er janvier 1960 quelle que soit la forme juridique de l'entreprise qui les exploite. Cette loi a également prévu qu'un décret détermine la réduction de taux applicable aux professions dont l'exercice requiert des superficies de vente anormalement élevées. C'est l'objet du décret du 26 janvier 1995 qui établit en ce cas une réduction de 30% du taux de la taxe. Celui-ci a subordonné cette réduction à la condition que les surfaces concernées soient exclusivement affectées à une activité de vente des marchandises figurant sur une liste limitative. La cour administrative d'appel a jugé qu'en instaurant cette condition, le pouvoir réglementaire n'était pas resté dans les limites de l'exécution de la loi, laquelle n'autorisait qu'une fixation de taux, mais avait illégalement restreint le champ d'application de la loi du 13 juillet 1972 en posant une condition d'exclusivité qu'elle ne prévoyait pas. Elle a donc rejeté l'appel de la société demanderesse qui réclamait l'application par l'administration fiscale de ces dispositions réglementaires.

Le Conseil d’État casse l'arrêt au motif qu'en subordonnnt le bénéfice d'un taux réduit de la taxe sur les surfaces commerciales à l'exigence que ces dernières soient affectées exclusivement à la vente de certaines marchandises, le pouvoir réglementaire n'avait point excédé sa compétence car, ce faisant, il s'est borné à déterminer le champ d'application de la mesure de réduction de taux prévue par le législateur. Cette détermination était indispensable pour donner sa pleine efficacité à la loi dont le décret fait application.

Le Conseil d’État n'a pas renvoyé l'affaire à la cour et s'est prononcé lui-même directement au fond, en vertu des dispositions de l'art. L. 821-2 CJA, rejetant d'ailleurs la requête de la demanderesse.

(23 janvier 2020, SAS Distribution Sanitaire Chauffage, n° 423238)

 

28 - Associé d'une société en nom collectif ou commandité d'une société en commandite simple - Société n'ayant pas opté pour la soumission à l'impôt sur les sociétés et n'y étant pas obligatoirement soumise - Associé non soumis lui-même à cet impôt - Impossibilité d'assujettir sa part de bénéfice audit impôt - Cassation des deux arrêts d'appel avec renvoi.

Rappel de ce que l'associé d'une société régie par l'art. 8 du CGI (société civile en nom collectif ou en commandite simple) laquelle n'a pas opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés ou n'y est pas assujettie de plein droit, ne peut être soumis à l'impôt sur les sociétés sur la part des bénéfices réalisés par la société, à proportion des droits qu'il y détient, que s'il est lui-même assujetti à cet impôt. Ce n'est pas le cas de l'espèce ; la cour a donc commis une erreur de droit en jugeant le contraire.

(22 janvier 2020, État du Koweït, n° 421914 et n° 421915, jonction)

 

29 - Impôt sur les bénéfices - Employeur entendant déduire des provisions - Cotisations sociales (accidents du travail et des maladies professionnelles) - Fait générateur - Versement de la rémunération - Rejet.

La société requérante, pour faire face à l'augmentation attendue de ses cotisations au régime général de la sécurité sociale au titre de la couverture du risque d'accidents du travail et de maladies professionnelles, avait constitué une provision à cet effet à la clôture de l'exercice 2008. L'administration fiscale a remis en cause la déduction de la provision.

La société, après avoir obtenu gain de cause en première instance, est déboutée en appel sur l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics. Elle se pourvoit, en vain.

En effet, selon le Conseil d’État, la responsabilité du financement des prestations et indemnités versées aux salariés au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles incombe aux caisses d'assurance maladie, tandis que les employeurs affiliés au régime général de sécurité sociale acquittent des cotisations présentant un caractère libératoire et dont le fait générateur est constitué par le versement des rémunérations.

C'est donc la date de ce versement qui est seule à prendre en considération pour la détermination du bénéfice imposable. Même dans le cas où, comme en l'espèce, il s'agit d'entreprises où le taux de cotisation est calculé, en tout ou partie, en fonction des indemnisations versées ou dues à raison des accidents du travail et des maladies professionnelles survenus dans l'établissement au cours des années précédentes, cette prise en compte de la sinistralité passée de l'entreprise constitue une simple modalité de calcul des cotisations dues par celle-ci. Ainsi, l'obligation, pour ces entreprises, de verser les cotisations trouve sa source, non dans la réalisation de risques passés, mais, comme pour les autres entreprises, dans le versement des rémunérations des salariés au cours des périodes de référence.

(22 janvier 2020, Société Saint Louis Sucre, n° 422501)

 

30 - Droits de mutation à titre gratuit - Exonération partielle de ces droits - Cas de certains actifs dits "Pactes Dutreil" - Instruction fiscale - Appréciation du critère de la prépondérance - Champ d'application de l'exonération partielle - Annulation de la disposition litigieuse de l'instruction fiscale.

L'article 787 B du CGI, dans sa rédaction issue de l'article 28 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005, décide dans son 1er alinéa que sont susceptibles de bénéficier d'une exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit les parts ou actions d'une société qui, ayant également une activité civile autre qu'agricole ou libérale, exerce principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Pour l'appréciation de cette prépondérance le code se fonde sur la prise en considération d'un faisceau d'indices déterminés d'après la nature de l'activité et les conditions de son exercice. 

Le litige portait sur le paragraphe n° 20 d'une instruction fiscale de 2014, dont le dernier alinéa était ainsi conçu : " Le caractère prépondérant de l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale s'apprécie au regard de deux critères cumulatifs que sont le chiffre d'affaires procuré par cette activité (au moins 50 % du montant du chiffre d'affaires total) et le montant de l'actif brut immobilisé (au moins 50 % du montant total de l'actif brut) ". Les requérants contestaient la régularité de cette disposition en ce qu'elle outrepassait les termes de l'art. 787 B du CGI. Le Conseil d’État retient pleinement cette argumentation en relevant, d'abord, qu'il résulte des termes même de cette disposition que la prépondérance, comme on l'a lu plus haut, est appréciée en tenant compte d'un faisceau d'indices déterminés d'après la nature de l'activité et les conditions de son exercice. Ainsi, cette disposition ne subordonne pas l'avantage qu'elle institue, s'agissant des parts et actions d'une société d'activité mixte, à la condition que le montant de l'actif brut immobilisé représente au moins 50 % du montant total de l'actif brut. Ensuite, le juge ajoute, non sans une ironie un tantinet agacée " alors de surcroît que la faiblesse du taux d'immobilisation de l'actif brut n'est pas davantage l'indice d'une activité civile autre qu'agricole ou libérale, que son importance celui d'une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ".

L'annulation de la disposition litigieuse est prononcée sans qu'il y ait renvoi d'une QPC au Conseil constitutionnel comme l'avaient demandé les requérants.

On regrettera l'obligation dans laquelle se sont trouvés les demandeurs d'introduire un recours au plus haut niveau contentieux que le bon sens combiné à la bonne foi devraient avoir rendu inutile.

(23 janvier 2020, M. X. et Mme Y., n° 435562)

 

31 - Crédit impôt recherche - Élaboration d'échantillons de tissus - Demande de restitution de crédit d'impôt recherche - Refus de l'administration - Annulation par le juge - Rejet.

Le CGI accorde un crédit d'impôt pour les dépenses de recherche. En l'espèce, une société, exerçant dans le secteur de l'ennoblissement textile, propose à ses clients, aux fins de la fabrication par eux de nouvelles collections, des échantillons de tissus non destinés à la vente. Considérant que les dépenses engagées pour la réalisation de tels échantillons étaient éligibles au crédit d'impôt recherche, elle en a demandé le bénéfice à l'administration fiscale qui a refusé car la société n'élaborait pas elle-même de nouvelles collections. Elle a saisi, en vain, le tribunal administratif mais avec succès la cour administrative d'appel contre l'arrêt de laquelle se pourvoit le ministre chargé des finances.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi du ministre en faisant entièrement sien le raisonnement de la cour. La société est éligible à ce mécanisme pour les dépenses qu'elle engage pour le traitement des ingénieurs et des techniciens de production chargés de la réalisation d'échantillons non vendus ; ces dépenses sont en effet exposées dans le cadre de l'activité industrielle de la société en vue de la création de nouvelles gammes de tissus répondant aux demandes de ses clients.

(23 janvier 2020, ministre de l'action et des comptes publics, n° 430846)

 

32 - Redevances et taxes - Taxe sur les titulaires d'ouvrages hydrauliques - QPC - Atteintes à divers droits et libertés que garantit la Constitution - Sécurité juridique - Droit non garanti par la Constitution - Refus du renvoi de QPC - Rejet.

EDF contestait par divers moyens la légalité de la taxe perçue par Voies navigables de France sur les titulaires d'ouvrages hydrauliques à laquelle elle a été assujettie de 2009 à 2015 pour un montant total de 7,5 millions d'euros environ. Déboutée en première instance, elle a, en cause d'appel, outre la reprise des arguments antérieurs, soulevé une QPC que la cour a renvoyée au Conseil d’État. Celui-ci rejette en tous ses chefs la demande de renvoi d'une QPC.

Tout d'abord, n'est pas retenu le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu son office en ne définissant pas avec suffisamment de précision le fait générateur et la date d'exigibilité de la taxe, dès lors que ces deux éléments sont très précisément définis par l'article 10 du décret du 20 août 1991 pris pour l'application du II de l'article 124 de la loi de finances pour 1991 du 29 décembre 1990, qui fixe le fait générateur comme étant la détention d'une autorisation d'occupation du domaine public au 1er janvier de l'année au titre de laquelle la taxe est due  et la date d'exigibilité au 1er mai d'une telle année.

Ensuite, est également rejeté l'argument selon lequel l'absence de définition, par le législateur, de l'assiette de la taxe autoriserait Voies navigables de France à déterminer de façon discrétionnaire le montant de l'imposition contribuable par contribuable et méconnaîtrait ainsi le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration de 1789 et le droit de propriété. En effet, toutes les précisions utiles en ce sens, excluant la pertinence de la critique susmentionnée,  découlent directement  de l'article 124 de la loi du 29 décembre 1990 de finances pour 1991, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige, de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1991 portant dispositions diverses en matière de transports, applicable aux années d'impositions en cause, de leur abrogation et de leur codification aux articles L. 4316-3 à L. 4316-14 du code des transports également applicables aux impositions litigieuses et, enfin, de l'article 10 du décret du 20 août 1991 relatif aux recettes instituées au profit de Voies navigables de France par l'article 124 de la loi de finances pour 1991, pris pour l'application de ces dispositions, modifié par l'article 3 du décret du 26 décembre 1996 et ultérieurement codifié à l'article R.4316-1 du code des transports.

Enfin, si lorsqu'il définit une imposition, le législateur doit déterminer ses modalités de recouvrement, lesquelles comprennent les règles régissant le contrôle, le recouvrement, le contentieux, les garanties et les sanctions applicables à cette imposition et si l'absence de détermination des modalités de recouvrement d'une imposition affecte le droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789, tel n'est pas le cas en l'espèce où - contrairement à ce que soutient EDF - ne se constate nulle incompétence négative du législateur.

Pour "sauver" le mécanisme existant, le Conseil d’État se livre à un exercice acrobatique d'où il ressort qu'à supposer que le législateur n'ait pas défini avec suffisamment de précision les modalités de recouvrement de la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydrauliques, celles-ci peuvent être reconstituées en mettant en application :

s'agissant des modalités de recouvrement de la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydrauliques, les articles L. 4316-10 à L. 4316-14 du code des transports, issues des dispositions de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1991qui définissent ces modalités avec suffisamment de précision ;

s'agissant les règles relatives aux garanties et aux sanctions, les articles L. 4316-6 et L.4316-12 du même code, issus du II de l'article 124 de la loi de finances pour 1991 et de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1991 qui leur font application de celles prévues pour les taxes sur le chiffre d'affaires et, s'agissant du recouvrement de la taxe que celui-ci intervient soit par un paiement spontané accompagnant la déclaration que les redevables sont tenus d'adresser, chaque année, au comptable de l'établissement public, soit, à défaut, par voie de taxation d'office, par application des règles de droit commun de l'article L.252 A du livre des procédures fiscales, relatives au recouvrement, par un établissement public, des recettes de toute nature qu'il est habilité à recevoir. 

s'agissant du contentieux de ces impositions, la jurisprudence constante du Tribunal des Conflits qui inclut le contentieux des impositions qui, telles que la taxe en litige, ne sont ni des contributions indirectes ni des impôts directs, dans le contentieux général des actes et des opérations de puissance publique relevant de la juridiction administrative. 

Bel exemple de jurisprudence "constructive".

(23 janvier 2020, Société Électricité de France (EDF), n° 435947)

 

Droit public économique

 

33 - Contrat d'achat obligatoire de l'électricité produite - Électricité d'origine photovoltaïque - Tarifs fixés par voie réglementaire - Dérogation impossible par voie contractuelle - Cassation de l'arrêt d'appel pour erreur de droit.

Les sociétés demanderesses - dont l'une d'elles exploite une installation de production d'électricité d'origine photovoltaïque - ont conclu un contrat d'achat d'électricité selon le dispositif d'obligation d'achat par EDF prévu à l'art. L.314-1 du code de l'énergie. Ayant commis une erreur sur le tarif applicable à cet achat d'électricité, EDF en a informé lesdites sociétés ; celles-ci ont contesté cette "modification" tarifaire, en vain en première instance, avec un succès partiel en appel. EDF, défenderesse, se pourvoit en cassation, celui-ci est reçu au fond par le Conseil d’État.

La cour administrative avait jugé que l'article L. 314-1 du code de l'énergie ainsi que l'arrêté du 12 janvier 2010 pris pour son application - qui fixent le régime d'achat obligatoire de l'électricité produite - avaient pour objet de fixer les conditions minimales auxquelles la société EDF est tenue d'acheter l'électricité produite sans lui interdire de prévoir des conditions tarifaires plus favorables pour les producteurs. Retenant l'argumentation d'EDF le Conseil d’État juge que le contrat d'achat obligatoire de l'électricité produite par une installation bénéficiant de ce régime doit être établi conformément aux seules dispositions du décret du 10 mai 2001 et de son arrêté d'application selon la filière de production concernée et qu'il se déduit de l'économie générale de ces dispositions qu'il ne peut y être dérogé contractuellement.

(22 janvier 2020, Société EDF, n° 418737)

 

Droit social et action sociale

 

34 - Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) - Document unilatéral fixant le contenu du PSE - Critères à prendre en considération en ce cas (art. 1233-5, 1° à 4°, du code du travail) - Conditins de dérogation - Inexistence ici - Rejet du pourvoi.

Lorsqu'un PSE est arrêté, en l'absence d'accord collectif, par une décision unilatérale du chef d'entreprise, celui-ci est tenu, en cas de licenciement collectif pour motif économique, de fixer l'ordre des licenciements en prenant en considération l'ensemble des critères d'appréciation mentionnés aux 1° à 4° de l'art. 1233-5 du code du travail. Il ne peut donc fixer des critères qui omettraient l'un de ces critères ou en neutraliseraient les effets.

Par exception, il peut toutefois s'en écarter seulement dans le cas où il est établi de manière certaine, dès l'élaboration du PSE, que, dans la situation particulière de l'entreprise et pour l'ensemble des personnes susceptibles d'être licenciées, aucune des modulations légalement envisageables pour le critère d'appréciation en question ne pourra être matériellement mise en oeuvre lors de la détermination de l'ordre des licenciements.

La cour a souverainement jugé, sans dénaturation des pièces du dossier et sans erreur de droit, qu'en l'espèce le PSE était entaché d'illégalité car il ne prenait en compte que la seule ancienneté des salariés alors que pouvaient être aussi utilisés les autres critères précités.

Le pourvoi est ainsi rejeté.

(27 janvier 2020, Société GM et S Industry France et autres, n° 426230)

 

Élections

 

35 - Élection des représentants au Parlement européen - Élections des 25 et 26 mai 2019 - Nombre de représentants à élire - Instauration d'un seuil de 5% - Accès à un emprunt bancaire - Composition du corps électoral - Propagande électorale - Déroulement de la campagne - Déroulement des opérations de vote - Commission nationale de recensement général des votes - Rejets.

Dans cette décision-fleuve (près de 45000 caractères, de quoi "couvrir" plus d'une quinzaine de pages d'un manuel Dalloz...), le Conseil d’État était saisi de recours et de protestations dirigés contre de multiples aspects juridiques relatifs à l'élection des représentants des électeurs des différents États-membres au Parlement européen. Étaient visées tant des dispositions du droit de l'Union que des dispositions propres au droit français.

En particulier, étaient suggérées des questions préjudicielles à poser à la CJUE sur l'interprétation de l'art. 14 du Traité sur l'Union européenne, ainsi que sur des décisions du Conseil de l'Union et du Conseil européen, une demande d'avis consultatif à la CEDH, etc. En outre, étaient contestées les opérations électorales aux divers stades de leur réalisation et de leur déroulement.

Tout d'abord, étaient contestées les dispositions transitoires prises par le Conseil européen pour aménager un mécanisme transitoire de fixation du nombre de sièges à pourvoir pour chaque État membre en prévision d'un possible retrait du Royaume-Uni de l'Union europénne. Le juge rejette tous les griefs dont ceux dirigés contre la validité de la décision du Conseil européen du 28 juin 2018 fondée sur les stipulations de l'art. 14 du Traité sur l'Union, ou tirés de ce que les cinq députés français élus susceptibles de remplacer des députés britanniques après l'éventuel Brexit, n'auraient pas un mandat d'une durée complète, de ce que la Commission de recensement des votes aurait disposé d'un pouvoir discrétionnaire pour les désigner ou encore du non respect du principe de "dégressivité proportionnelle" qui régit la représentation des citoyens au Parlement européen. Ceci lui permet de rejeter, en l'état de la clarté du droit européen applicable sur ce point, la demande de renvoi préjudiciel à la CJUE.

Pareillement, est rejetée la critique de l'instauration par la loi française d'un seuil minimal de 5% des suffrages exprimés pour qu'une formation politique puisse participer à l'attribution des sièges, la fixation d'un seuil minimal étant laissée, par le droit de l'Union, à l'appréciation de chaque État dans la limite établie par les règles de ce droit. L'invocation de l'inconstitutionnalité de cette solution est rejetée, le Conseil constitutionnel ne l'ayant pas estimée inconstitutionnelle (déc. n° 2019-811 du 25 octobre 2019, Mme Fairouz H. et autres). En outre, cette règle se justifie par un souci d'efficacité et de clarté.

Au passage, le Conseil d’État apporte cette précision, car le protocole n° 12 à la Convention EDH était invoqué par les requérants protestataires, que non seulement ce protocole n° 12, que la France n'a pas ratifié, ne peut pas être invoqué en tant que tel devant le juge mais qu'il ne peut pas non plus être invoqué en combinaison avec une disposition de la Convention que la France a ratifiée, ce qui est tout à fait logique : ni effet direct, ni effet indirect.

Ensuite, divers griefs sont rejetés soit parce qu'ils ne sont pas établis (refus prétendu d'enregistrer une liste déposée avant l'heure légale limite pour son dépôt ou nombre élevé d'électeurs irrégulièrement radiés des listes électorales), soit parce qu'ils ne sauraient être imputés à l'État (comme le refus allégué d'ouvrir un emprunt bancaire, lequel relève du pouvoir de chaque banque et du médiateur institué en matière de financement politique), soit parce qu'ils sont dirigés contre la législation britannique à l'égard de laquelle le juge administratif n'est pas compétent, soit encore parce qu'ils concernent des aspects non établis ou sans influence sur les résultats du scrutin (divers éléments de critiques de la propagande électorale ou du déroulement de la campagne électorale elle-même ou encore du déroulement du scrutin, en particulier concernant le nombre de bulletins).

Enfin, des recours visaient le défaut d'impartialité des chambres du Conseil d’État statuant sur le présent litige en tant que des membres de cette juridiction siègent à la Commission nationale du recensement général des votes dont plusieurs décisions sont critiquées par ces recours. Le juge rappelle qu' " En vertu d'une règle générale de procédure applicable même sans texte, un membre d'une juridiction administrative ne peut pas participer au jugement d'un recours dirigé contre une décision administrative ou juridictionnelle dont il est l'auteur ou qui a été prise par une juridiction ou un organisme collégial dont il était membre et aux délibérations desquelles il a pris part. Il en résulte que la formation de jugement appelée à statuer sur une protestation dirigée contre l'élection de représentants au Parlement européen ne peut être composée de membres du Conseil d’État qui ont été membres de la commission nationale de recensement général des votes exprimés lors de cette élection ".

Les onze recours, individuels ou collectifs selon les cas, dont avait été saisi le Conseil d’État sont donc, sans surprise, rejetés.

(31 janvier 2020, M. AM., n° 431143 ; Mme AV., n° 431228 ; M. I. et autres, n° 431281 ;  M. W., n° 431335 ;  M. O., n° 431418 ; Mme D., n° 431471 ;  Mme S. et autres, n° 431482 ;  Mme J. et autre, n° 431501 ;  M. AN., n° 431537 ; M. T., n° 431538 ; M. K., n° 431564, jonction)

 

36 - Élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 - Attribution de nuances politiques aux candidats - Circulaire ministérielle (intérieur) fixant ces nuances - Circulaire réglementaire non encore publiée - Annulation partielle.

Une circulaire du ministre de l'intérieur, du 10 décembre 2019, non encore publiée à la date où a été rendue la présente ordonnance, entend régir l'attribution de nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020.

Parmi les diverses critiques des multiples requérants à l'endroit de ce texte, le juge collégial des référés en retient trois, au vrai les plus importantes, le surplus des requêtes étant rejeté.

Auparavant, s'agissant d'une circulaire réglementaire non encore publiée à la date où le juge statuait, se posait la double question de la recevabilité des demandes et de leur caractère urgent, seul susceptible de donner ouverture à l'usage de référés urgents dans la mesure où l'une des demandes était formée sur le fondement de l'art. L. 521-2 CJA (référé liberté) et les autres sur celui de l'art. L. 521-1 CJA (référé suspension).

Assuré de l'existence matérielle de cette circulaire et encore qu'elle ne soit point opposable, le juge admet qu'elle puisse être contestée au contentieux, appliquant ainsi une jurisprudence classique et très logique.

Par ailleurs, également assuré de l'application prochaine de cette circulaire aux candidats à ces élections, dont l'enregistrement des candidatures débute le 10 février pour s'achever le 27 février 2020, le Conseil d'État n'a pu que constater l'urgence à statuer.

Sur le fond des demandes, le juge retient trois d'entre elles.

En premier lieu, la circulaire décidait de limiter l'attribution des nuances seulement aux listes dans les communes de 9 000 habitants ou plus et dans les chefs-lieux d'arrondissement quelle que soit leur population. Or la juridiction des référés constate que ce seuil aboutit : 1° à ne plus attribuer de nuance politique dans plus de 95% des communes ; 2° à exclure de la présentation nationale des résultats  les suffrages exprimés par près de la moitié des électeurs ; 3° aux précédentes élections municipales (2014) il avait été possible dans 75% des collectivités, d'attribuer des nuances intitulées " divers droite " et " divers gauche ", preuve qu'il est possible, par là, de refléter les choix politiques des électeurs. Ces effets sont en contradiction avec l'objet de la circulaire attaquée qui propose, par ce seuil, d'avoir une photographie aussi précise que possible des résultats des élections sans " altérer, même en partie, le sens politique du scrutin en sous-estimant les principaux courants politiques ". Très douteuse dans sa légalité, la circulaire est suspendue sur ce point. Elle ne pourra donc pas être appliquée aux prochaines élections.

En second lieu, était vivement contesté - c'était d'ailleurs là la principale objection à l'encontre de ce texte -  le mode d'attribution de la nuance " Liste divers Centre " (LDVC). Pour comprendre la portée de la critique il convient de citer la circulaire elle-même.

Celle-ci précisait : " La nuance LUG (liste d'union des partis de gauche) sera attribuée aux listes qui auront obtenu l'investiture du Parti socialiste et celle d'au moins un autre parti de gauche (EELV, PRG, PCF, Générations.s) / La nuance LUD (Liste Union de la Droite) sera attribuée aux listes qui auront obtenu l'investiture conjointe des Républicains et d'un autre parti. / La nuance LDVC sera attribuée aux listes qui auront obtenu l'investiture de plusieurs partis dont LREM ou le MODEM. Elle a également vocation à être attribuée aux listes de candidats qui, sans être officiellement investies par LREM, ni par le MODEM, ni par l'UDI, seront soutenues par ces mouvements ". Et, dans la grille des nuances, la circulaire ajoutait que la nuance " Liste divers centre " (LDVC) correspond aux partis et formations politiques suivants : " Liste d'Union entre plusieurs parties dont au moins LREM ou le MODEM. Listes soutenues par la majorité présidentielle sans pour autant être investies par un parti du bloc du centre. Autres listes de sensibilité centriste (dont les dissidents) ".

De la combinaison de ces deux éléments d'identification et d'attribution des nuances,  il résultait une différence de traitement des listes : si,  en principe, seule l'investiture par un parti politique, et non son simple soutien, permet d'attribuer une nuance politique à une liste et d'agréger ainsi les résultats obtenus par cette liste à cette nuance,  il est fait exception, en revanche, pour les seules listes simplement " soutenues " par les partis LREM, le MODEM, l'UDI ou par la " majorité présidentielle ", dont les résultats seront comptabilisés dans la nuance " divers centre ", alors que le soutien d'un parti de gauche ou d'un parti de droite à une liste ne permet pas, aux termes de la circulaire, de prendre en compte ses résultats au titre respectivement des nuances " divers gauche " et " divers droite ". La discrimination était patente et la violation du principe conventionnel et constitutionnel d'égalité entre formations politiques était tout aussi manifeste. Le doute sur la légalité étant suffisamment sérieux, la suspension d'exécution en est ordonnée. On ajoutera qu'à notre sens, eu égard à l'appartenance politique de l'auteur de la circulaire, il y a là un bel exemple de détournement de pouvoir en forme de cas d'école.

Enfin, le parti Debout la France se plaignait de son classement, par le nouveau nuancier du ministère de l'intérieur, dans le bloc de clivage "extrême droite". La formation des référés lui donne raison en retenant plusieurs éléments de fait : de 2008, date de sa création, à 2014, ce parti s'est vu attribuer la nuance politique " divers droite " (DVD), à l'exception des élections européennes de 2009 où il s'était vu attribuer une nuance " droite souverainiste " (DSV) ; depuis les élections sénatoriales de 2014, lui a été attribuée une nuance politique propre. Enfin, si cette nuance a été classée, pour les élections législatives de 2017 dans le bloc de clivage " extrême droite " au même titre que le Rassemblement national, il résulte de l'instruction que cette classification se fonde essentiellement sur les seules déclarations publiques du président du parti, à l'issue du premier tour des élections présidentielles, en faveur de la présidente du Rassemblement national, sans que puissent être regardés comme ayant été pris en considération le programme du parti et la circonstance que les deux partis n'ont pas conclu d'accord électoral, en vue de ces élections ni depuis lors. N'a pas plus été prise en considération la position du parti " Debout la France " à l'occasion des élections européennes selon laquelle ses élus ne siègeraient pas dans le même groupe que les élus du Rassemblement national, mais siègeraient dans le groupe des conservateurs britanniques et polonais. Il ressort de tout cela qu'en attribuant à ce parti la nuance qu'il conteste, le ministre de l'intérieur a commis une erreur manifeste d'appréciation.

(Or. réf., formation collégiale, 31 janvier 2020, Mme T. et M. R., n° 437675 ; M. J., n° 437795 ; Parti Les Républicains, n° 437805 ; M. G. et M. K., n° 437824 ; Parti socialiste, n° 437910 ; Parti Debout la France et autres, n° 437933, jonction)

 

Environnement

 

37 - Taxe générale sur les activités polluantes - Taxe frappant les personnes et activités mettant des imprimés à la disposition du public - Perception par un organisme de droit privé agréé - Agrément accordé à un opérateur unique sans mise en œuvre d’une transparence - Situation contraire à la liberté d’établissement sauf exception - Cas en l’espèce - Absence d’aide d’État - Rejet.

Une société conteste devant le juge judiciaire la légalité de l'arrêté interministériel du 19 janvier 2007 portant agrément d'un organisme ayant pour objet de percevoir la contribution à la collecte, à la valorisation et à l'élimination des déchets d'imprimés et de verser les soutiens aux collectivités locales en application de l'article L. 541-10-1 du code de l'environnement et de l'article 1er du décret n° 2006-239 du 1er mars 2006. Le tribunal de grande instance saisi aperçoit une question préjudicielle qui est renvoyée au tribunal administratif de Paris, celui-ci juge illégal l’arrêté précité.  Ce jugement est frappé de pourvoi en cassation. Outre, d’importantes questions de procédure, le Conseil d’État tranche plusieurs questions de fond relatives à l’argumentation de la société demanderesse selon laquelle serait entaché d’irrégularité le recours à une société agréée pour la perception de la taxe générale sur les activités polluantes.

En premier lieu, la circonstance que la société perceptrice de la taxe ait été seule agréée sans mise en œuvre d’une transparence n’est pas, dans les circonstances de l’espèce, contraire au principe communautaire de la liberté d’établissement. En effet, si la CJUE condamne normalement l’agrément d’un opérateur unique sans qu’ait été organisée une procédure de transparence, c’est sous le bénéfice d’une exception reconnue lorsque le bénéficiaire de l'agrément est un opérateur privé sur les activités duquel l'État est en mesure d'exercer un contrôle étroit. Selon le juge, c’est le cas en l’espèce.

En second lieu, ne s’aperçoit dans cette affaire aucune aide d’État contrairement à ce que prétend la demanderesse.

Le pourvoi du ministre est admis.

(10 janvier 2020, Ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, n° 404468 ; Société Ecofolio, n° 404487, jonction)

V., sur le volet procédural de cette décision au n° 12

 

38 - Projets d’ouvrages ou d’aménagement à incidence notable sur l’environnement - Étude d’impact - Détermination des cas dans lesquels cette étude est nécessaire - Autorité compétente - Nécessité pour la loi de prévoir le recours à une entité indépendante - Absence - Compétence discrétionnaire du législateur - Rejet de la QPC.

Les organisations requérantes reprochaient à l’art. L. 122-1 du code de l’environnement son inconstitutionnalité faute de n’avoir pas imposé que l'étude d'impact -  figurant au dossier d’enquête accompagnant les projets  de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine -  soit réalisée par un tiers indépendant du pétitionnaire ou du maître d'ouvrage du projet. Ils en déduisaient la violation de l’art. 7 de la Charte de l’environnement contenue dans le Préambule de la Constitution et soulevaient donc une QPC.

Pour rejeter cet argument qui nous semble très pertinent et, par voie de conséquence, la demande de renvoi de la QPC, le Conseil d’État se contente de relever que : « Eu égard à la marge d'appréciation dont dispose le législateur pour déterminer les modalités de mise en œuvre de l'article 7 de la Charte de l'Environnement, les dispositions critiquées ne peuvent pas être regardées comme méconnaissant cet article ». C’est faire bon marché du principe général d’impartialité, objective et subjective, s’imposant à l’autorité administrative.

(20 janvier 2020, Association Force 5 et autres, n° 432819)

 

Fonction publique et agents publics

 

39 - Agents publics retraités - Révision du montant de la pension de retraite hors du délai légal - Révision nécessité par l'obligation d'exécuter une décision de justice - Application erronée du principe de la compensation de créances - Cassation partielle avec renvoi au tribunal administratif.

L’administration ne peut invoquer la prescription d’un an édictée par l’article L. 55 du code des pensions civiles et militaires de retraite en matière de réclamation en vue d’obtenir la révision du montant d’une pension de retraite lorsque cette révision est la conséquence d’une décision de justice.

Ici le jugement est cassé car il a opéré, en violation des dispositions de l’art. 1347 du Code civil, une compensation entre des créances relevant de personnes - ici publiques - différentes.

(8 janvier 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 428597)

 

40 - Agents chargés de fonctions syndicales - Liberté d'expression - Étendue - Obligations de respecter les exigences déontologiques - Conciliation entre liberté syndicale et devoir professionnel - Sanction disciplinaire justifiée - Rejet.

Rappel ferme et justifié de ce que " Si les agents publics qui exercent des fonctions syndicales bénéficient de la liberté d'expression particulière qu'exigent l'exercice de leur mandat et la défense des intérêts des personnels qu'ils représentent, cette liberté doit être conciliée avec le respect de leurs obligations déontologiques. En particulier, des propos ou un comportement agressifs à l'égard d'un supérieur hiérarchique ou d'un autre agent sont susceptibles, alors même qu'ils ne seraient pas constitutifs d'une infraction pénale, d'avoir le caractère d'une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire. "

Au cas d'espèce, les propos et comportement de la demanderesse envers la directrice générale des services, tenus au cours d'une réunion du comité technique communal étaient bien constitutifs d'une faute justifiant une sanction disciplinaire alors même qu'ils ne revêtaient pas la nature d'une infraction pénale.

(27 janvier 2020, Mme X., n° 426569 et n° 426571, deux espèces)

 

41 - Enseignement supérieur - Procédure de recrutement des professeurs d'université - Pouvoirs et devoirs du comité de sélection - Obligation de motiver le refus d'auditionner un candidat - Insuffisance en l'espèce - Annulation et annulations par voie de conséquence.

Est insuffisamment motivée et doit donc être annulée la décision du comité de sélection d'une université qui refuse d'auditionner une candidate à un emploi de professeur des universités en se bornant seulement à indiquer pour justifier ce refus : " Peu d'adéquation aux profils d'enseignement et de recherche ". Par voie de conséquence sont annulés pour illégalité, la délibération suivante du comité de sélection, la délibération du conseil académique restreint, la délibération suivante du conseil d'administration restreint, la décision implicite par laquelle le président de l'université a rejeté le recours gracieux de la requérante tendant au retrait de l'ensemble des décisions défavorables à son recrutement, ainsi que le décret du président de la république nommant une personne en qualité de professeur des universités affecté à cette université. 

Il convient de saluer les efforts du juge pour contrôler plus étroitement que par le passé l'exercice par les organes universitaires de leurs pouvoirs de décision en matière de recrutement des enseignants de l'enseignement supérieur car il est assez lacunaire face à des pratiques qui peuvent être critiquables.

(27 janvier 2020, Mme X., n° 415314)

 

Libertés fondamentales

 

42 - Aide sociale à l’enfance - Jeune majeur de vingt-et-un ans - Prise en charge par le département - Obligation de préparation vers l’autonomie - Rupture de l’aide en cours d’année scolaire - Atteinte à une liberté fondamentale - Rejet.

Le département demandeur contestait l’ordonnance du juge des référés de première instance enjoignant au président du conseil départemental du Val-de-Marne de réexaminer sous huit jours la situation d’un élève, relevant jusque-là de l’aide sociale à l’enfant, devenu majeur en cours d’année scolaire et auquel il avait de ce fait supprimé toute aide et tout hébergement. Le juge ordonnait au département de lui proposer un accompagnement adapté comportant en particulier une solution d'hébergement compatible avec la poursuite de ses études en voie générale ainsi qu'une assistance en vue de la régularisation de sa situation administrative auprès de la préfecture du Val-de-Marne.

Le Conseil d’État fait sienne cette solution en relevant que quelle que soit l’étendue du pouvoir dont il dispose, le président du département ne peut - sans porter une atteinte grave et immédiate à une liberté fondamentale - refuser à un enfant isolé, sans attache familiale sur le territoire français, sans ressources et sans solution d'hébergement autre que ponctuelle et qui est en cours de scolarité en première scientifique, où il obtient, d'ailleurs, de très bons résultats, sa prise en charge en qualité de jeune majeur de moins de vingt-et-un ans au moins jusqu’au terme de l’année scolaire en cours.

Le recours du département est rejeté.

(Ord. réf. 13 janvier 2020, Département du Val-de-Marne, n° 437102)

 

43 - Allégation d'une discrimination - Absence de mise à disposition d'un local isolé pour l'allaitement au sein d'un enfant - Journée de formation civique organisée par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII)- Règles de procédure à suivre en cas d'invocation d'une discrimination - Rejet.

Une ressortissante tunisienne demande réparation des préjudices qu'elle aurait subis du fait des discriminations dont elle aurait été l'objet à l'occasion de la journée de formation civique organisée par une société privée, prestataire de services de l'OFII, à laquelle elle avait été convoquée dans le cadre de son contrat d'accueil et d'intégration. Cette discrimination aurait consisté dans le fait qu'elle n'a pas pu allaiter son enfant dans des conditions garantissant son intimité.

Le Conseil d’État rejette le recours en approuvant la cour administrative d'appel, d'une part, d'avoir jugé que l'intéressée ayant reconnu avoir pu correctement suivre la formation dispensée avec son bébé et allaiter celui-ci quand cela était nécessaire, elle pouvait en déduire qu'alors même qu'elle n'avait pas disposé d'un local isolé pour ce faire, elle n'apportait pas d'éléments susceptibles de caractériser une pratique ayant entraîné un désavantage particulier,  et d'autre part, de s'être abstenue, en l'absence de caractérisation d'une présomption de discrimination, de rechercher si l'OFII avait apporté la preuve que le traitement réservé à l'intéressée était justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

(30 janvier 2020, Mme X., n° 426430)

 

44 - Demande de transfert post mortem d'embryons à l'étranger - Interdiction légale de transfert - Convention EDH et marge d'appréciation des États - Compatibilité avec la Convention EDH mais examen de l'éventuel caractère disproportionné de l'interdiction - Rejet.

Un couple a effectué un dépôt de gamètes dans le centre d'étude et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS) d'un CHU dans le but de recourir à une assistance médicale à la procréation. Cinq embryons conçus à partir des gamètes du couple ont été conservés et une fécondation in vitro a permis la naissance d'un enfant. Au décès de son époux, Mme X. a demandé que les embryons conservés au CHU soient déplacés en Espagne afin d'y débuter une grossesse. Le CHU, en application de la législation française, a refusé ce transfert d'embryons.

Le référé liberté introduit par la demandersse a été rejeté en première instance et la demanderesse saisit le juge des référés du Conseil d’État. Celui-ci rejette la requête.

Il rappelle d'abord, d'une part, que le régime des interdictions du recours à la PMA édicté par l'art. L. 2141-2 du code de la santé publique et de transfert d'embryons à l'étranger fixé à l'art. 2141-9 de ce code entre dans la marge d'appréciation dont dispose chaque État pour l'application de la Convention EDH, et d'autre part, que même compatible avec cette convention une législation peut constituer une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette Convention (c'est le désormais célèbre contrôle de conventionnalité in concreto...).

Ensuite, il constate qu'en l'espèce la volonté de transférer ces embryons en Espagne - quand bien même entrait-elle expressément dans les intentions du couple au moment de la demande de conservation des gamètes - n'est commandée que par le désir de pouvoir y faire réaliser une action médicale interdite en France et qu'en outre l'intéressée n'a aucune relation particulière avec l'Espagne.

(24 janvier 2020, Mme X., n° 437328)

 

45 - Référé liberté (art. L. 521-2 CJA) - Droit d’asile - Conditions d’octroi des mesures sollicitées - Absence - Rejet.

(Ord. réf. 10 janvier 2019, M. X. et Mme Y., n° 437419)

V. au n° 15

 

Professions réglementées

 

46 - Pharmaciens d'officine - Institution d'un service obligatoire de garde des officines d'une même zone - Atteinte à la liberté d'entreprendre - QPC - Nécessité de concilier cette liberté avec l'intérêt général de la santé publique - Rejet de la QPC.

Un pharmacien d'officine est sanctionné - par la juridiction disciplinaire ordinale - d'une interdiction d'exercice de la pharmacie pendant six mois pour n'avoir pas respecté l'obligation d'effectuer son tour de garde en ouvrant sa pharmacie en dehors des jours et heures ouvrables.

Au soutien de sa demande d'annulation ou, subsidiairemnt, de réformation de la décision de sanction, le requérant soulève une QPC tirée de ce que cette obligation de tour de garde porte atteinte à la liberté constitutionnelle d'entreprendre.

Pour rejeter la QPC et refuser son renvoi au Conseil constitutionnel, le Conseil d’État rappelle que cette liberté, comme les autres, peut faire l'objet d'atteintes de la part du législateur dans un but d'intérêt général pourvu que celles-ci ne soient pas disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

Il tombe sous le sens que l'institution de tours de garde est destinée à assurer en cas d'urgence la continuité de l'activité des officines et qu'elle répond ainsi à un objectif impérieux de santé publique qui est un motif d'intérêt général justificatif de l'atteinte ainsi porté à la liberté d'entreprendre et non disproportionné au regard de cet objectif.

(27 janvier 2020, M. X., n° 435612)

 

47 - Référé suspension - Procédure disciplinaire - Haut conseil du commissariat aux comptes - Rapport final du rapporteur général devant la formation disciplinaire restreinte - Demande de suspension de la procédure - Caractère de mesure préparatoire du rapport final - Absence de décision disciplinaire - Rejet.

(27 janvier 2020, M. X. et autres, n° 437509)

V. au n° 18

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

48 - Droit d’accès aux documents administratifs - Traitements algorithmiques utilisés dans la procédure Parcoursup - Accès limité aux seuls candidats non retenus en faisant la demande - Constitutionnalité - Question présentant un caractère sérieux - Renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel.

L’organisation étudiante requérante conteste deux jugements rejetant ses demandes tendant à l'annulation de décisions du président d'université de Corse refusant de lui communiquer les procédés algorithmiques utilisés localement dans le cadre du traitement des candidatures d'entrée en licence via la plateforme Parcoursup ainsi que les codes sources correspondants. Elle soulève devant le Conseil d’État une QPC.

L’art. L. 612-3 du code de l’éducation crée pour l’inscription dans le premier cycle de l’enseignement supérieur une procédure nationale de préinscription organisée, lorsque le nombre de candidatures excède les capacités d'accueil d'une formation, sur la base d’algorithmes.

 Il prévoit, par dérogation aux dispositions des art. L. 311-3-1 et L. 312-1-3 du code des relations du public avec l’administration, que les candidats dont la candidature a été refusée sont informés de la possibilité d'obtenir, s'ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d'examen de leurs candidatures ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise.

La requérante soutenait qu’en raison de ce qu’elle n’autorise qu’une communication très limitée des algorithmes utilisés cette disposition est contraire à la Constitution. Le Conseil d’État estime que les moyens tirés de ce qu’il est, par là, porté atteinte, d'une part, au droit d'accès aux documents administratifs et, d'autre part, au droit à un recours effectif soulèvent une question sérieuse.

(15 janvier 2020, UNEF, n° 433296 ; UNEF, n° 433297, jonction)

 

49 - Projets d’ouvrages ou d’aménagement à incidence notable sur l’environnement - Étude d’impact - Détermination des cas dans lesquels cette étude est nécessaire - Autorité compétente - Nécessité pour la loi de prévoir le recours à une entité indépendante - Absence - Compétence discrétionnaire du législateur - Rejet de la QPC.

(20 janvier 2020, Association Force 5 et autres, n° 432819)

V. au n° 38

 

50 - Certification du respect par un établissement commercial du respect des conditions d'autorisation - Délégation à une personne privée de pouvoirs de police administrative - Violation de l'art. 12 de la Déclaration de 1789 - Absence - Rejet.

Le requérant estimait contraires à l'art. 12 de la Déclaration de 1789 (" La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. ") les dispositions de l'art. L. 752-23 du code de commerce en ce qu'elles confient à des organismes, qui peuvent être privés, le soin d'établir un certificat attestant du respect, par l'établissement commercial, de l'autorisation d'exploitation commerciale qui lui a été délivrée et sans lequel l'exploitation de l'établissement est réputée illicite. Le Conseil d’État rejette sèchement une QPC qui ne présenterait pas de caractère sérieux car les dispositions critiquées " ne méconnaissent aucunement l'article 12 de la Déclaration de 1789 en tant qu'il interdit de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l'exercice de la " force publique " nécessaire à la garantie des droits. "

Une motivation moins absconse eût été bienvenue.

(29 janvier 2020, Conseil national des centres commerciaux, n° 433292)

 

Responsabilité

 

51 - Dommages résultant de la réalisation de travaux publics ou de l'existence ou du fonctionnement d'un ouvrage public - Persistance du dommage par abstention de prendre les mesures pour y mettre fin ou pallier ses effets - Office du juge - Prise en considération de l'intérêt général et du coût de la remise en état - Distinction entre abstention fautive et abstention non fautive - Conséquences en ce second cas - Annulation de l'arrêt d'appel.

Le Conseil d’État rappelle - conformément à une jurisprudence désormais établie (18 mars 2019, Commune de Chambéry, n° 411462 ; voir cette Chronique, mars 2019, n° 83) - la marche à suivre en cas de dommages imputables à la réalisation de travaux publics ou à un ouvrage public du fait de son existence ou de son fonctionnement lorsqu'ils persistent à la date à laquelle il statue.

Il distingue tout d'abord deux cas.

Si la persistance des dommages résulte du fait d'une abstention fautive de la puissance publique à prendre les mesures utiles ou à effectuer les travaux nécessaires, le juge enjoint à celle-ci de les prendre ou de les réaliser. Pour déterminer le caractère fautif de l'abstention il convient de vérifier : 1° si la persistance du dommage trouve son origine non dans la seule réalisation de travaux ou la seule existence d'un ouvrage, mais dans l'exécution défectueuse des travaux ou dans un défaut ou un fonctionnement anormal de l'ouvrage ; 2° si tel est bien le cas, qu'aucun motif d'intérêt général, qui peut tenir au coût manifestement disproportionné des mesures à prendre par rapport au préjudice subi, ou qu'aucun droit de tiers ne justifie l'abstention de la personne publique.

Si la persistance des dommages ne découle pas d'une abstention fautive de la personne publique, le juge ne peut entrer en voie d'injonction ; il doit placer l'administration devant le choix entre le versement d'une indemnité dont il fixe le montant ou la réalisation de mesures dont il définit la nature et les délais d'exécution.

Ensuite, lorsque la victime ne demande que l'annulation du refus ou de l'abstention de la personne publique de mettre fin au dommage, assortie de conclusions à fin d'injonction, sans solliciter d'indemnisation, il incombe au juge de se prononcer sur les modalités de la réparation du dommage.

L'arrêt d'appel est ici cassé  pour avoir décidé  d'annuler pour excès de pouvoir la décision du président d'un syndicat mixte d'assainissement pour inexactitude matérielle des faits et de lui enjoindre de réexaminer la demande de l'intéressée dans un délai de deux mois, alors que, comme indiqué ci-dessus, il était de son office, dès lors que la requérante ne présentait pas de conclusions indemnitaires, de mettre en oeuvre les pouvoirs injonctifs qui sont les siens aux conditions que l'on vient de rappeler.

(27 janvier 2020, Syndicat mixte d'assainissement du Val Notre-Dame (SMAVND), n° 427079)

 

Santé publique

 

52 - Indemnisation des victimes d'essais nucléaires français - Lois du 5 janvier 2010, du 28 février 2017 et du 28 décembre 2018 - Succession dans le temps - Effet sur la présomption de causalité - Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) - Rejet.

La loi du 5 janvier 2010 a créé un mécanisme de réparation des dommages subis du chef des essais nucléaires français, celui-ci reposait notamment sur une présomption forte de causalité assez difficile à combattre pour la puissance publique même si la loi lui ouvrait cette possibilité. Cette solution a été confirmée par l'art. 113 de la loi du 28 février 2017.

En revanche, l'art. 232 de loi du 28 décembre 2018 a élargi la faculté pour l'administration de renverser cette présomption de causalité.

Dans la présente affaire se posait la question des effets dans le temps de cette succession de régimes législatifs en l'absence de dispositions transitoires.

Une personne imputait sa maladie auxdits essais nucléaires et en avait demandé la réparation, en vain en première instance, avec succès en appel.

Ainsi condamné, le CIVEN se pourvoit en cassation.

Confirmant l'arrêt d'appel, le Conseil d’État rejette le pourvoi en relevant que la loi de 2018, dans le silence du texte, n'est applicable qu'aux demandes d'indemnisation formées postérieurement à son entrée en vigueur ; les demandes antérieures, même instruites après cette loi, ne relèvent que du système de présomption de causalité institué par la loi du 5 janvier 2010.

C'est donc sans erreur de droit que, dans ce litige, la cour administrative d'appel a fait application des dispositions du V de l'art. 4 de la loi du 5 janvier 2010, dans la rédaction qui lui a été donnée par la loi du 28 février 2017, et non dans celle résultant de l'art. 232 de la loi du 28 décembre 2018.

(27 janvier 2020, Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), n° 429574 ; du même jour, avec même solution, voir : Ministre des armées, n° 432578)

 

Sport

 

53 - Référé liberté - Football - Interdiction de déplacements de supporters d’une équipe aux abords d’un stade à l’occasion d’un match - Pouvoirs et devoirs du préfet (art. L. 332-16-2 code du sport) - Mesures proportionnées au risque de troubles - Interdiction cependant illégale à l’égard d’un groupe déterminé de supporters - Cassation partielle sans renvoi de l’ordonnance de référé rendue en première instance.

Par un arrêté du 15 janvier 2020, le préfet du Territoire de Belfort a édicté l’interdiction, à toute personne se prévalant de la qualité de supporter du club de l'association sportive Nancy Lorraine (ASNL), de circuler ou de stationner aux abords du stade Serzian de Belfort et d'accéder au stade à l'occasion du match de football du 18 janvier 2020 opposant l'ASNL et l'ASM Belfort.

L’association requérante a demandé en vain, au juge des référés de première instance statuant sur le fondement des dispositions de l’art. L : 521-2 CJA (référé liberté), d’une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté précité et, d'autre part, à titre principal, d'indiquer quel régime juridique sera opposable aux supporters nancéiens dans le périmètre dédié à l'occasion de la rencontre sportive et, à titre subsidiaire, de réexaminer la situation et de prendre une mesure mieux proportionnée. 

Elle saisit le juge des référés du Conseil d’État qui admet, pour l’essentiel, sa requête.

Selon le juge, ne sont pas critiquables les mesures prises par le préfet pour assurer la sécurisation du stade et des lieux avoisinants eu égard, d’abord, aux incidents violents, notamment des rixes avec des supporters de l'équipe adverse, avec l'utilisation d'engins pyrotechniques, ayant caractérisé des rencontres précédentes, ensuite, à la très forte mobilisation des forces de l'ordre dans la ville de Belfort dans un contexte de mouvements sociaux divers, notamment contre la réforme des retraites. 

En revanche, est jugée irrégulière l'interdiction de la venue en car d'une cinquantaine de personnes qui se prévalent de la qualité de supporter de l'ASNL et sont déjà titulaires d'un billet pour le match du 18 janvier 2020 car  « il appartient à l'administration de justifier dans le détail, devant le juge, la portée des interdictions prises sur le fondement des dispositions de l'article L. 332-16-2 du code du sport tant en ce qui concerne les risques de troubles graves pour l'ordre public que la proportionnalité des mesures prises ».

On observera la particulière efficacité et l’extrême célérité de la procédure ici suivie : l’arrêté préfectoral attaqué est du 15 janvier, l’ordonnance de référé de première instance, du 17 janvier et la décision du Conseil d’État du 18 janvier en fin de matinée pour un match ayant lieu à 15 heures.

(Ord. réf. 20 janvier 2020, Association nationale des supporters, n° 437733)

 

Travaux publics et expropriation

 

54 - Ouvrage public - Dommages de travaux publics - Responsabilité extra-contractuelle - Notion d’usager d’un ouvrage public - Référé provision (art. R. 541-1 CJA) - Caractère non sérieusement contestable d’une créance - Rejet malgré une erreur de droit et une inexacte qualification juridique des faits.

Condamnée en première instance, par voie de référé, à verser une provision à la Régie des eaux du canal de Belletrud (RECB) en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait d'un glissement de terrain dont la cause a été imputée au défaut d’entretien normal d’un canal, ouvrage entretenu par EDF. Cette dernière, dont l’appel dirigé contre cette ordonnance a été rejeté, se pourvoit en cassation en excipant que n’étaient pas réunies les conditions d’octroi d’une provision en référé.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi, apportant deux précisions importantes bien que sans nouveauté.

En premier lieu, contrairement à ce qui avait été jugé en appel, le Conseil d’État rappelle que la reconnaissance de la qualité d'usager d'un ouvrage public ne peut pas être subordonnée à l’exigence d’être utilisateur de l'ouvrage au moment de la survenance du dommage.

En second lieu, le juge d’appel est approuvé pour avoir jugé que la responsabilité fondée sur les dommages de travaux publics ne constitue pas une responsabilité contractuelle, et qu’ainsi la société EDF ne pouvait pas se prévaloir utilement des clauses exonératoires de responsabilité en sa faveur contenues dans les conventions conclues avec la Régie victime du dommage :  le préjudice tenant à la rupture de la canalisation d'adduction d'eau réalisée par la Régie demanderesse  du fait du défaut d'entretien normal des ouvrages publics dont EDF a la garde était étranger à l'exécution d'une convention dont l'objet était seulement de définir les conditions d'utilisation de l'eau du canal d'amenée par cette Régie.

(17 janvier 2019, Société EDF, n° 433506)

 

55 - Dommages résultant de la réalisation de travaux publics ou de l'existence ou du fonctionnement d'un ouvrage public - Persistance du dommage par abstention de prendre les mesures pour y mettre fin ou pallier ses effets - Office du juge - Prise en considération de l'intérêt général et du coût de la remise en état - Distinction entre abstention fautive et abstention fautive - Conséquences en ce second cas - Annulation de l'arrêt d'appel.

(27 janvier 2020, Syndicat mixte d'assainissement du Val Notre-Dame (SMAVND), n° 427079)

V. au n° 51

 

Urbanisme

 

56 - Urbanisme commercial - Autorisation d'exploitation d'un supermarché - Permis de construire valant autorisation d'aménagement commercial - Régime antérieur à la loi du 18 juin 2014 - Permis initial de 2013 et permis modificatifs postérieurs au 15 février 2015 - Permis ne tenant pas lieu d'autorisation d'exploitation commerciale - Avis de la commission départementale (ou nationale) d'aménagement commercial non nécessaire - Rejet.

La société requérante contestait le rejet, par la cour administrative d'appel, de son recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision par laquelle une commission départementale d'aménagement commercial a autorisé une société concurrente à exploiter une surface de vente.

Son pourvoi est rejeté.

Le Conseil d’État rappelle qu'en matière d'autorisation d'exploitation commerciale un changement de législation impose de distinguer selon que les décisions litigieuses ont été prises avant ou après le 15 février 2015 date de l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises.

En effet, alors que les permis de construire délivrés avant le 15 février 2015 pour les projets soumis à autorisation d'exploitation commerciale ne tenaient pas lieu d'autorisation d'exploitation et n'avaient donc pas à être soumis pour avis à la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, à la Commission nationale d'aménagement commercial, ceux postérieurs à cette date sont des permis valant ipso facto autorisation d'exploitation et sont, de ce fait, soumis à l'exigence d'un avis favorable de la Commission nationale.

En l'espèce, le permis de construire était antérieur au 15 février 2015 et l'un des deux permis modificatifs postérieurs à cette date. Quelle règle appliquer ? Le Conseil d’État considère que la cristallisation du droit applicable est constituée le jour du dépôt du permis initial. Il en résulte que même postérieur au 15 février 2015 le permis modificatif ne tient pas lieu d'autorisation d'exploitation commerciale.

Par suite, toute décision de la Commission nationale d'aménagement commercial prise après le 15 février 2015, mais relative à un projet dont le permis de construire a été délivré avant le 15 février 2015, revêt le caractère non d'un avis, mais d'un d'acte faisant grief, susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.

Examinant les différents moyens du pourvoi, le juge n'aperçoit dans aucun d'eux une argumentation convaincante d'où le rejet.

(27 janvier 2020, Société Distribution Casino France, n° 422287)

 

57 - Règlement local d'urbanisme (RLU) - Permis de construire - Aménagement d'espaces habitables dans les combles - Absence d'interdiction par le RLU - Erreur de droit Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit le jugement qui déduit des dispositions d'un RLU interdisant que la hauteur des constructions excède 17 mètres, que celles-ci interdisent l'aménagement d'espaces habitables dans les combles situés sous le toit au-dessus de la hauteur de 17 mètres.

La solution retenue ne nous semble pas avoir pour elle la vertu d'évidence.

(30 janvier 2020, SCCV " 3D Promotions ", n° 427521 et Commune de Saint-Raphaël, n° 428004, jonction)

58 - Lotissement - Inclusion dans le périmètre du lotissement de lots inconstructibles - Inclusion possible sous réserve du respect de deux conditions - Rejet.

Dans le cadre d'un recours dirigé contre un permis d'aménager délivré en vue de la réalisation d'un lotissement multi-activités, les requérantes soulevaient le moyen tiré de ce que certains lots de ce lotissement étaient inconstructibles. Il est rejeté ici par le Conseil d’État statuant sur un pourvoi dirigé contre un jugement du tribunal administratif rejetant partiellement la requête dont il était saisi.

Sur le principe, le juge affirme qu'un lotissement peut comporter des lots qui ne sont pas destinés à supporter des constructions. En effet, est retenue une définition étroite de la notion de lotissement "division d'une propriété foncière en plusieurs lots (...) s'il est prévu d'implanter des bâtiments sur l'un au moins de ces lots" (outre la présente décision, voir : 20 février 2013, Mme X. et autres, n° 345728, cons. n° 2).

Toutefois, le juge soumet cette faculté au respect de deux conditions qu'il semble placer sur un plan d'égalité quant à la portée : d'une part, cette inclusion de lots ne comportant pas de construction doit être nécessaire à la cohérence d'ensemble de l'opération, d'autre part, la réglementation applicable aux lotissements doit être respectée. Concernant la première condition il convient de relever l'emploi du mot "nécessaire". En d'autres termes cela exclut que l'inclusion de lots inconstructibles résulte d'un simple choix, il faut qu'eu égard à l'objet et à la nature de l'opération, à son étendue, à ses caractéristiques de tous ordres, aux contraintes physiques liées à la configuration comme à l'emplacement du terrain, une telle inclusion apparaisse comme inévitable pour assurer la réalisation du lotissement.

(30 janvier 2020, Association "Non au béton" et Mme X., n° 419837)

 

59 - Immeubles situés dans le périmètre d'une association foncière urbaine libre (AFUL) - Impossible appartenance à la domanialité publique - Renvoi préjudiciel du juge judiciaire - Cassation et règlement de l'affaire au fond.

(23 janvier 2020, Société JV Immobilier et autres, n° 430192)

V. au n° 5

 

60 - Plan local d'urbanisme (PLU) - Modification simplifiée du plan et non révision - Conditions de légalité du recours à cette procédure - Erreur matérielle évidente - Rejet sur un autre fondement.

Il faut retenir de cette décision les précisions qu'ellle apporte concernant la faculté pour une commune de recourir à la procédure de modification simplifiée (art. L. 123-13-3 c. urb.) de son plan d'urbanisme plutôt qu'à la procédure de révision.

Le juge indique possible l'utilisation d'une telle procédure pour la correction d'une erreur matérielle "en cas de malfaçon rédactionnelle ou cartographique portant sur l'intitulé, la délimitation ou la règlementation d'une parcelle, d'un secteur ou d'une zone ou le choix d'un zonage, dès lors que cette malfaçon conduit à une contradiction évidente avec les intentions des auteurs du plan local d'urbanisme, telles qu'elles ressortent des différents documents constitutifs du plan local d'urbanisme, comme le rapport de présentation, les orientations d'aménagement ou le projet d'aménagement et de développement durable." En l'espèce, si le règlement du PLU ne faisait pas état de l'existence d'une carrière et de l'ensemble de ses éléments d'exploitation, il ressortait évidemment des autres documents constitutifs du PLU que cette présence et ses conséquences n'étaient point remises en cause par le silence malencontreux du règlement du PLU sur ces points et ce d'autant plus qu'il présentait une contradiction évidente avec les intentions manifestes des auteurs du PLU.

Sur le fond, l'arrêt de la cour, bien qu'entaché, outre la qualification inexacte des faits, de deux erreurs de droit, n'est cependant pas cassé, un autre motif d'illégalité relevé à bon droit par la cour suffisant à justifier le dispositif de son arrêt.

(31 janvier 2020, Commune de Thorame Haute, n° 416364)

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