Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Novembre 2019

Actes et décisions

 

1 - Demandes d’asile en Guyane - Expérimentation de modalités spécifiques de traitement de ces demandes - Article 37-1 de la Constitution - Conditions d’exercice de l’expérimentation par le pouvoir réglementaire - Régularité - Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation du décret du 23 mai 2018 portant expérimentation de certaines modalités de traitement des demandes d'asile en Guyane, décret dont elles critiquaient de nombreux aspects (notamment la non consultation du conseil d’administration de l’OFPRA, les conditions de la consultation du comité technique de l’OFPRA, le régime particulier d’introduction des demandes d’asile en Guyane et de leur examen, celui de la notification des décisions de l’OFPRA, la suppression du délai de distance en cas de saisine du juge, enfin, la méconnaissance de l’art. 37-1 de la Constitution). C’est ce dernier grief, rejeté comme tous les autres par le Conseil d’État, qui attire surtout l’attention.

L'article 37-1 de la Constitution permet au pouvoir réglementaire, dans le respect de la hiérarchie des normes, d’instituer, à titre expérimental, des règles dérogatoires au droit commun applicables à une portion de territoire ou à des catégories de personnes sous réserve qu’elles aient un objet et une durée limités, que leurs conditions de mise en œuvre soient définies de façon suffisamment précise et que la différence de traitement instituée soit en rapport avec l'objet de l'expérimentation. Une telle expérimentation ne méconnaît pas le principe d'égalité devant la loi. Répondant à certaines critiques des demanderesses, le Conseil d’État apporte deux précisions très importantes.

En premier lieu, lorsque les dérogations sont expérimentées en raison d'une différence de situation propre à la portion de territoire ou aux catégories de personnes objet de l'expérimentation, elles n'ont, de ce fait, pas vocation à être généralisées au-delà de leur champ d'application. C’est pourquoi le juge exige en ce cas que la différence de traitement instituée à titre expérimental soit en rapport avec l'objet de l'expérimentation et ne soit pas manifestement disproportionnée avec cette différence de situation.

En second lieu, sont clairement précisées les règles applicables au terme de l’expérimentation. Le Conseil d’État, qui ajoute ici beaucoup au texte même si cet ajout est de pur bon sens, pose en principe qu’il appartient au Premier ministre, au terme de l'expérimentation de normes relevant de sa compétence, de décider soit du retour au droit applicable antérieurement, soit de la pérennisation de tout ou partie des normes appliquées pendant l'expérimentation, pour le champ d'application qu'il détermine, sous réserve que le respect du principe d'égalité n'y fasse pas obstacle.

(6 novembre 2019, Syndicat national CGT OFPRA, n° 422207 et n° 424196 ; Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) et autres, n° 422604)

 

2 - Délibération du conseil d’administration d’un établissement d’enseignement supérieur - Annulation par le juge de la composition du conseil d’administration - Adoption des statuts antérieurement à l’annulation - Effets sur le décret approuvant lesdits statuts lui aussi avant le jugement d’annulation - Texte constituant une garantie - Annulation du décret d’approbation par voie de conséquence.

Par une décision du 25 juin 2016, le président de l'École normale supérieure de Lyon a fixé la composition du conseil d'administration de cet établissement, notamment en ce qui concerne les personnalités qualifiées, les représentants des institutions partenaires et les représentants des collectivités territoriales. Cette décision a été annulée par un jugement devenu définitif, du tribunal administratif de Lyon le 21 septembre 2017.

Les requérants contestaient la légalité du décret du 9 mai 2017 approuvant les statuts de l’École.

Ces statuts ont été adoptés par le conseil d’administration par délibération du 11 octobre 2016. Il résulte du jugement précité que la composition de ce CA était irrégulière à cette date, sa délibération l’est donc tout autant. Or cette délibération portant sur l’adoption de statuts constituait par elle-même une garantie, il s’ensuit donc que le décret approuvant des statuts irrégulièrement adoptés est lui-même entaché d’illégalité, d’où son annulation.

(8 novembre 2019, Association Démocratie et transparence à l'université de Lyon, n° 412388)

 

3 - Perte de la nationalité française par acquisition d’une autre nationalité - Recours contre le décret libérant une personne de ses liens d’allégeance avec la France - Délai raisonnable de recours - Durée de trois ans - Rejet.

Le requérant demandait l’annulation du décret du 19 juin 1974 portant libération de ses liens d'allégeance avec la France.

Se fondant sur ce que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. S'agissant d'un décret de libération des liens d'allégeance, le Conseil d’État juge que ce délai ne saurait, eu égard aux effets de cette décision, excéder, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, trois ans à compter de la date de publication du décret ou, si elle est plus tardive, de la date de la majorité de l'intéressé.

En l’espèce, l’intéressé, né le 12 octobre 1962, n’a contesté le décret du 19 juin 1974 portant libération de ses liens d'allégeance avec la France, pris à la demande de sa mère, que le 2 juin 2017 soit plus de trois ans après qu'il a atteint l'âge de la majorité. Par suite, en l'absence de circonstances particulières, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que la requête est irrecevable en raison de sa tardiveté et doit être rejetée.

(29 novembre 2019, M. X., n° 411145) V. aussi à État-civil sous le n° 411145

 

 

4 - Compétence des autorités administratives - Portée - Choix des mesures à prendre - Liberté d’adéquation des mesures aux obligations s’imposant à elles - Rejet.

Cette décision rappelle un principe constant gouvernant la liberté de décision des personnes publiques et l’assortit de deux précisions utiles.

Le principe est celui selon lequel il n’appartient qu’aux seules autorités compétentes de déterminer, parmi les mesures juridiques, financières, techniques ou d'organisation qui sont susceptibles d'être prises, celles qui sont les mieux à même d'assurer le respect des obligations qui leur incombent.

Il découle de là l’irrecevabilité de tout recours qui tendrait à faire regarder comme illégal le refus de prendre une mesure déterminée au seul motif que la mise en œuvre de cette mesure serait susceptible de concourir au respect de ces obligations.

En revanche, serait fondée la requête soutenant que l'édiction de la mesure sollicitée se révélerait nécessaire au respect de l'obligation en cause et, par suite, que l'abstention de l'autorité compétente exclurait, dès lors, qu'elle puisse être respectée.

(27 novembre 2019, Association Droits d'urgence et autres, n° 433520)

 

5 - Saisine de l’administration par voie électronique - Décret du 27 mai 2016 - Inexistence, pour l’usager, d’une obligation de saisine électronique - Obligation, en cas de saisine électronique, de recourir au téléservice existant - Rejet.

Les associations requérantes sollicitent l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence du premier ministre sur leur demande de modification du décret n° 2016-685 du 27 mai 2016 afin de prévoir le caractère facultatif et alternatif, pour les usagers, de la saisine de l'administration par voie électronique.

Le Conseil d’État rejette le recours en apportant deux précisions très utiles.

Tout d’abord, le texte attaqué n’établit aucune obligation pour les usagers de saisir l’administration seulement par voie électronique. Ensuite, lorsque les usagers décident d’user de la procédure électronique ce ne peut être qu’au moyen du téléservice mis en place par l’administration qu’ils entendent saisir.

Le recours est donc rejeté.

(27 novembre 2019, CIMADE, Ligue des droits de l'homme, GISTI et Syndicat des avocats de France, n° 422516)

 

6 - Recrutement d’enseignants de l’enseignement supérieur - Instructions ministérielles figurant sur le site Galaxie - Absence de valeur normative - Non-respect de ces instructions ne pouvant être sanctionné - Rejet.

Une candidate à un emploi de professeurs des universités, qui n’a pas été retenue par le comité de sélection compétent, estime cette décision illégale car non conforme aux instructions ministérielles relatives au recrutement de professeurs des universités, telles qu’elles figurent sur le site Galaxie du ministère des universités. Il lui est répondu que ces instructions étant sans portée juridique, leur non-respect n’emporte aucune conséquence.

(25 novembre 2019, Mme X., n° 417380)

 

7 - Notification d'une décision - Preuve de son caractère régulier et de sa date - Cas d'une lettre recommandée remise par l'administration postale - Preuve complète et suffisante - Rejet.

Réitération de ce que compte tenu des modalités de présentation des plis recommandés prévues par la réglementation postale, doit être regardé comme portant des mentions précises, claires et concordantes suffisant à constituer la preuve d'une notification régulière le pli recommandé retourné à l'administration auquel est rattaché un volet d’avis de réception sur lequel a été apposée la date de vaine présentation du courrier et qui porte, sur l'enveloppe ou l'avis de réception, l'indication du motif pour lequel il n'a pu être remis.

La solution retenue ici dans le cas d'un pli de l'administration fiscale est transposable à toute notification administrative effectuée sous cette forme.

(15 novembre 2019, M. X., n° 420509)

 

8 - Normes d'accessibilité aux personnes handicapées des locaux recevant du public - Arrêté ministériel de 2014 portant application de dispositions législatives du code de la construction et de l'habitation - Création, par l'arrêté attaqué (de 2018) d'un modèle Cerfa de formulaire simplifié pour l'attestation de conformité des lieux aux exigences d'accessibilité - Non-conformité du formulaire à l'arrêté de 2014 - Illégalité - Annulation totale.

Deux arrêtés ministériels (Intérieur) sont intervenus en 2014, l'un, du 8 décembre, relatif à l'accessibilité aux personnes handicapées des établissements recevant du public situés dans un cadre bâti existant et des installations existantes ouvertes au public, l'autre, du 15 décembre, a fixé les modèles des formulaires des demandes d'autorisation et d'approbation prévues aux articles L. 111-7-5, L. 111-8 et L. 122-1 du code de la construction et de l'habitation.

Un arrêté ministériel du 23 juillet 2018 est venu modifier le second de ces arrêtés en simplifiant lesdits formulaires sans modifier les dispositions de l'arrêté du 8 décembre 2014. L'association requérante demande l'annulation de l'arrêté pris en 2018 en ce que le formulaire qu'il établit méconnaît les dispositions de l'arrêté du 8 décembre 2014.

Le Conseil d’État accueille ce raisonnement car l'arrêté de 2018, qui réitère expressément le maintien en vigueur de l'arrêté du 8 décembre 2014 et se borne seulement à modifier celui du 15 décembre 2014,  crée un formulaire à destination des personnes devant adresser une attestation d'accessibilité à l'administration, dans lequel n'est exigée que la satisfaction seulement de sept points ; il ne reprend donc que de manière très incomplète les obligations résultant de l'arrêté du 8 décembre 2014, d'où son illégalité. Il en va d'autant plus ainsi que l'arrêté litigieux ne comporte point modification du premier des deux arrêtés de 2014 : le formulaire devait donc comporter les rubriques traduisant l'ensemble des prescriptions de l'arrêté du 8 décembre 2014.

Enfin, à raison de l'indivisibilité existant entre les six étapes d'établissement du formulaire, c'est l'annulation de l'entier arrêté qui est prononcée.

(13 novembre 2019, Association des paralysés de France, n° 425543)

 

9 - Permis de recherche d'hydrocarbures - Demande de prolongation de la durée du permis - Prolongation de droit sauf circonstances exceptionnelles - Refus d'autorisation devant être motivé (loi du 11 juillet 1979) - Annulation et renvoi partiel à la juridiction d'appel.

L'article L. 142-2 du code minier dispose que le titulaire d'un permis exclusif de recherches peut en obtenir la prolongation sans nouvelle mise en concurrence soit de droit, à deux reprises, pour une durée de cinq ans au plus, la superficie du permis étant alors réduite à l'occasion de chaque renouvellement, soit de manière dérogatoire, pour l'une des périodes de validité de ce permis, pour une durée de trois ans au plus et sans réduction de surface, ceci en cas de circonstances exceptionnelles.

Il résulte de la portée que revêt une décision administrative de refus opposée à une telle demande de prolongation que celle-ci doit être regardée comme un refus d'autorisation et, par application de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979, qu'elle doit être soumise à l'obligation de motivation.

La décision de refus querellée par les sociétés demanderesses n'étant pas motivée est illégale.

(13 novembre 2019, Société Investaq Energie et société Celtique Energie Limited, n° 419618 ; v. aussi, du même jour, avec mêmes requérantes, pour un autre aspect de cette affaire : n° 419692)

 

10 - Médicament - Prise en charge par l’assurance maladie - Restriction de la prise en charge - Obligation de motiver cette décision - Exigence du droit et de la jurisprudence de l’UE - Annulation de la décision.

La société requérante, qui produit la spécialité pharmaceutique Trimbow, médicament destiné au traitement continu de la bronchopneumopathie chronique obstructive sévère chez les adultes non traités de façon satisfaisante par l'association d'un corticostéroïde inhalé et d'un bêta-2 agoniste de longue durée d'action, conteste trois arrêtés interministériels (santé et finances) dont elle demande l’annulation en ce qu’ils ont limité les conditions de remboursement du Trimbow.

Par les deux premiers, du 4 juillet 2018, le remboursement aux assurés sociaux de l’achat de ce médicament, est subordonné à ce que sa prescription initiale, jusque-là libre, soit ordonnée par un médecin pneumologue, et par le troisième, du 5 juillet, la même exigence pour obtenir le remboursement de cette spécialité est imposée à l’usage des collectivités publiques.

Ces décisions ne sont pas motivées, ce que conteste la société requérante.

Le Conseil d’État lui donne raison en se fondant à la fois sur l’article 6 de la directive 89/105/CEE du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance-maladie, sur l’interprétation qu’en donne la jurisprudence de la CJUE (16 avril 2015, LFB Biomédicaments SA, Association des déficitaires en Alpha 1 Antitrypsine (Association ADAAT Alpha 1-France), aff. C-271/14 et Pierre Fabre Médicament SA, aff. C-273/14, point 30) « avec une évidence telle qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable » (selon la formule de CJCE, 6 octobre 1982, Srl Cilfit et Lanificio di Gavardo SpA, aff. C-283/81, point 16) et sur les dispositions de l'art. R. 163-14 du code de la sécurité sociale, elles-mêmes interprétées strictement à la lumière du droit de l’Union puisque prises pour l’exécution de la directive précitée.

La décision d’exiger, pour pouvoir prétendre au remboursement de cette spécialité, sa prescription initiale par un médecin pneumologue n'est pas motivée au sens et pour l’application des textes et jurisprudences précités. Elle tombe donc sous la censure du juge.

(8 novembre 2019, Société Chiesi SAS, n° 423971 et n° 424067 ; du même jour avec même solution, à propos de la spécialité Trelegy Ellipta : Société Laboratoire Glaxosmithkline France, n° 424148)

 

11 - Instruction interministérielle - Prise en charge des demandeurs d’asile - Extraction de données à partir d’un traitement autorisé par la CNIL - Incompétence négative alléguée - Demande de renvoi d’une QPC - Incompétence - Rejet.

(6 novembre 2019, Fédération des Acteurs de la Solidarité et autres, n° 434376 et n° 434377) V. n° 71

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

12 - Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Pouvoir de sanction - Obligation d'une mise en demeure préalable aux faits donnant lieu à la sanction - Exigence d'impartialité - Application du principe de légalité des délits et des peines - Obligations légales touchant au respect de l'image de la femme - Exacte qualification juridique des faits - Sanction proportionnée dans sa nature et son quantum - Rejet.

A la suite d'une séquence de la chaîne C8 qu'il a jugée répréhensible, le CSA a infligé à celle-ci, à titre de sanction, la suspension pendant une durée de deux semaines de la diffusion des séquences publicitaires au sein de l'émission " Touche pas à mon poste " et des séquences publicitaires diffusées pendant les quinze minutes qui précèdent et les quinze minutes qui suivent la diffusion de cette émission, que celle-ci soit diffusée en direct ou rediffusée.

La chaîne visée demande au Conseil d’État, pour l'essentiel, de condamner le CSA à lui verser une indemnité de 9,5 millions d'euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité de cette décision. Le recours est rejeté en tous ses chefs d'argumentation.

Le CSA, du moins ceux de ses membres visés par le recours, n'a pas fait preuve, dans les circonstances de l'espèce, de partialité. Il a suivi une procédure régulière en ce qu'il n'a sanctionné qu'un comportement survenu après une première mise en demeure, respectant ainsi le principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines. Enfin, pour dire exacte la qualification juridique des faits que le CSA a donnée en l'espèce, le Conseil d’État écrit éloquemment : " Il résulte de l'instruction que, le 7 décembre 2016, lors de l'émission " Touche pas à mon poste ", a été diffusée une séquence, censée montrer les coulisses de l'émission, au cours de laquelle l'animateur a proposé à une chroniqueuse un " jeu " consistant à lui faire toucher, pendant qu'elle gardait les yeux fermés, diverses parties de son corps qu'elle devait ensuite identifier. Après avoir fait toucher à l'intéressée sa poitrine et son bras, l'animateur a posé sa main sur son entrejambe. Celle-ci a réagi en se récriant puis en relevant le caractère habituel de ce type de geste. La mise en scène d'un tel comportement, procédant par surprise, sans consentement préalable de l'intéressée et portant, de surcroît, sur la personne d'une chroniqueuse placée en situation de subordination vis-à-vis de l'animateur et producteur, ne peut que banaliser des comportements inacceptables et d'ailleurs susceptibles de faire l'objet, dans certains cas, d'une incrimination pénale. Elle place la personne concernée dans une situation dégradante et, présentée comme habituelle, tend à donner de la femme une image stéréotypée la réduisant à un statut d'objet sexuel. Le CSA a pu légalement estimer que ces faits, constituant, d'une part, une méconnaissance par la chaîne des obligations qui lui incombent en application des dispositions (...) de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, rappelées dans la mise en demeure que lui a adressée le CSA le 23 novembre 2016, et révélant, d'autre part, un défaut de maîtrise de l'antenne, étaient, alors même qu'ils s'étaient produits dans le cadre d'une émission humoristique, de nature à justifier le prononcé d'une sanction sur le fondement de l'article 42-1 cité ci-dessus. Eu égard tant aux pouvoirs dévolus au CSA, auquel le législateur a confié la mission de veiller à l'image donnée des femmes dans les programmes, qu'à la nature des faits décrits ci-dessus au regard des obligations qui s'imposent à la société requérante, la décision de sanctionner cette dernière ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression, protégée tant par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 que par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales."

(13 novembre 2019, Société C8, n° 415396 ; v. aussi, sur cette affaire, du même jour : Société C8, n° 415397)

 

13 - Émission d'une chaîne de télévision relative à une plainte pour viol - Saisine du CSA aux fins de mise en demeure de cette chaîne - Refus - Rejet du recours.

Un service de télévision ayant diffusé deux courtes séquences évoquant le dépôt d'une plainte pour viol contre M. X., celui-ci a saisi le CSA de plusieurs demandes, toutes rejetées, notamment le prononcé contre cette chaîne d'une suspension pendant trois mois de l'autorisation d'émettre, celui d'une mise en demeure et la saisine du procureur de la république.

Le Conseil d’État, pour rejeter toutes ces demandes, relève « que les séquences en litige font preuve de retenue et de neutralité dans l'évocation du dépôt de la plainte pour viol le visant, évoquant les faits susceptibles de qualification pénale avec prudence et faisant état des points de vue de l'accusé et de la plaignante de manière équilibrée, la journaliste soulignant la nécessité d'aborder cette information avec précaution, au stade de l'ouverture d'une enquête préliminaire et pour des faits remontant à plus de dix ans ».

La chaîne n'ayant pas manqué à ses obligations, c'est à bon droit que le CSA a refusé de la mettre en demeure de respecter une convention qu'elle n'avait pas violée.

(13 novembre 2019, M. X., n° 425933)

 

14 - Convention conclue entre le CSA et l'éditeur d'un service de télévision - Obligation d'une présentation équilibrée des questions controversées - Obligation ne portant pas atteinte à la liberté d'opinion comme à la libre définition d'une ligne éditoriale - Diffusion d'un programme portant, notamment, sur l'utilisation d'armes chimiques en Syrie - Fausse attribution de propos ou mauvaise traduction - Manquements justifiant la mise en demeure prononcée - Rejet.

La société requérante contestait la mise en demeure que lui a adressée le CSA, qui est la première étape pouvant déboucher sur le prononcé d'une sanction. Celui-ci, se fondant sur une stipulation de la convention liant le CSA à cette société, aux termes de laquelle cette dernière était soumise à « L'exigence d'honnêteté (qui) s'applique à l'ensemble des programmes. / L'éditeur (...) vérifie le bien-fondé et les sources de chaque information. Dans la mesure du possible, celle-ci doit être indiquée. L'information incertaine est présentée au conditionnel. / Il fait preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l'information. / Il veille à l'adéquation entre le contexte dans lequel des images ont été recueillies et le sujet qu'elles illustrent... », l'a mise en demeure de respecter à l'avenir ces stipulations.

Il était reproché à cet éditeur, dans une émission consacrée à la situation en Syrie, d'avoir :

- diffusé des extraits d'interviews de personnes s'exprimant en arabe syrien et évoquant, dans cette langue, la situation de famine qui sévissait dans la région de Douma, citation qui avait été accompagnée d'une traduction simultanée dénuée de lien avec ces propos et mentionnant une simulation d'attaque à l'arme chimique.

- dans la traduction en français, au cours du même programme, de certains propos des personnes interviewées, qui s'exprimaient en arabe syrien, substitué au pronom " ils " employé par ces personnes, les mots « Jaych al Islam », ce qui avait pour effet d'attribuer à ce groupe armé des simulations d'attaques à l'arme chimique, alors qu'une telle attribution ne ressortait pas des propos tenus dans leur langue par les personnes interviewées.

- d'avoir présenté d'une manière déséquilibrée la question, très controversée, de l'emploi des armes chimiques en Syrie, et ainsi traité de manière univoque cette question des armes, alors que la sensibilité et le caractère controversé du sujet imposaient que, conformément aux obligations prévues par la convention précitée, différents points de vue soient exposés.

Le Conseil d’État estime que ces éléments justifient la mesure décidée par le CSA sans que cette exigence d'équilibre dans la présenttion d'une controverse puisse être considérée comme constituant une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression protégée tant par la Déclaration du 26 août 1789 (art. 11) que par la convention EDH (art. 10).

Le recours est rejeté.

(22 novembre 2019, Société RT France, n° 422790)

 

Biens

 

15 - Domanialité publique - Acquisition par une commune de terrains de tennis et de parcelles annexes - Affectation au service public municipal des activités sportives et de loisirs - Existence d’aménagements spéciaux - Clause de l’acte de cession réservant l’exclusivité d’utilisation de ces terrains et équipements à l’association venderesse desdites parcelles - Incompatibilité avec la domanialité publique - Absence d’empêchement de leur appartenance au domaine public communal -  Clause inopposable - Rejet.

Une association sportive de pratiquants du tennis cède à une commune, à la condition qu’elles servent perpétuellement à l’usage exclusif des membres de cette association, des parcelles sur lesquelles sont implantés des installations et équipements nécessaires à la pratique du tennis. Un différend s’étant élevé du chef de cette revendication d’exclusivité, se pose la question de la domanialité desdites parcelles.

Le Conseil d’État relève tout à la fois que, utilisées par le service public municipal des ports et des loisirs et bénéficiant d’aménagements spéciaux, ces parcelles font partie du domaine public communal.

Si la clause d’exclusivité est évidemment incompatible avec la domanialité publique, elle n’a pas empêché cependant l’incorporation des parcelles litigieuses dans le domaine public et elle est, de ce chef, inopposable à la commune.

(8 novembre 2019, Association Club seynois multisport (CSMS), n° 421491)

 

16 - Fondation reconnue d’utilité publique - Fondation bénéficiaire d’une donation immobilière avec charge - Conclusion d’un bail emphytéotique avec une commune pour la mise à disposition de cette dernière d’un bien immobilier de la Fondation - Obligation d’une autorisation préalable du bail par arrêté préfectoral - Vérification par le préfet de la compatibilité du bail avec les charges et conditions grevant le bien loué. - Application des art. 900-2 à 900-8 inclus du Code civil - Seconde cassation de l’arrêt d’appel mais rejet.

Une Fondation reconnue d’utilité qui a reçu de son bienfaiteur un bien immobilier avec charge conclut avec une commune un bail emphytéotique portant sur ledit bien.

Une personne demande au juge administratif l’annulation de l’arrêté préfectoral autorisant ce bail motif pris de ce que l’affectation donnée au bien dans le cadre de ce bail ne respecterait pas la volonté du donateur qui a fait don à la Fondation du bien objet du bail assorti de charges et conditions.

La cour a rejeté cet argument, fondé sur les dispositions de l’art. 900-2 du Code civil, car ce dernier, qui ne vise que les « libéralités » ne saurait être appliqué à un bail, lequel n’a pas cette nature mais seulement de conférer un droit réel immobilier. Ce raisonnement est jugé erroné par le Conseil d’État : en effet, la combinaison des articles 900-2 et 900-4 dudit Code impose « que la modification des charges et conditions grevant un bien légué ou l'aliénation de ce bien ne peut avoir lieu que par décision de justice, dans les conditions et selon la procédure définies par les articles 900-2 à 900-8 du code civil ». En d’autres termes, ces charges et conditions grèvent perpétuellement ce bien en quelque main qu’il passe et sous quelque forme juridique que cela soit.

Statuant au fond après cette seconde cassation, le juge constate qu’en l’espèce le bail ne portait pas atteinte aux charges et conditions en cause et, partant, que l’arrêté préfectoral l’approuvant n’est pas entaché d’illégalité.

(8 novembre 2019, M. X., n° 421867)

 

17 - Propriété intellectuelle - Rémunération pour copie privée - Fixation du barème - Méthodologie applicable - Rejet.

L’art. L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle institue une commission chargée de déterminer les types de support, les taux de rémunération et les modalités de versement la rémunération pour copie privée due par les éditeurs d'un service de télévision ou leurs distributeurs qui fournissent à une personne physique, par voie d'accès à distance, la reproduction à usage privé d'œuvres à partir d'un programme qu'ils diffusent de manière linéaire.

Pour fixer cette rémunération, cette commission, sur la base des capacités techniques des matériels et de leurs évolutions, doit apprécier le type d'usage qui en est fait par les différents utilisateurs. Elle s’appuie pour cela sur des enquêtes et des sondages qu’elle doit actualiser régulièrement.

D’évidence, cette méthode repose nécessairement sur des extrapolations, cependant, celles-ci doivent toujours être fondées sur une étude objective des techniques et des comportements. Ceci exclut qu’elles puissent reposer sur des hypothèses ou des équivalences simplement supposées.

En somme, il est demandé à cette commission de raisonner à partir d’un bricolage intelligent.

(27 novembre 2019, Société Molotov, n° 424398 ; v. aussi, du même jour, à propos d’une décision de cette commission étendant la rémunération pour copie privée due au titre des « mémoires et disques durs intégrés aux tablettes tactiles multimédias avec fonction baladeur, avec ou sans clavier détachable (mais non attaché) » à l'ensemble de ces tablettes, y compris aux tablettes équipées des systèmes d'exploitation Windows 8.1. et des versions ultérieures, qui en étaient jusqu'alors exemptées : Société Archos, n° 425595 et n° 425595, deux espèces)

 

Collectivités territoriales

 

18 - Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) - Retrait d’une compétence auparavant transférée à celui-ci - Retour à la compétence des communes membres - Cas des contrats en cours - Cas des baux emphytéotiques - Proposition par le juge d’une médiation - Mesure d’instruction - Absence - Rejet.

Lorsqu’un EPCI se voit retirer l’une des compétences qui lui avaient été transférées, celle-ci revient aux communes membres, ce retour étant à la fois instantané, automatique et intégral.

Cette solution est applicable aux contrats en cours d’exécution portant sur la compétence re-transférée y compris lorsqu’il s’agit d’un contrat constituant un bail emphytéotique.

Par ailleurs la décision d’un juge administratif de proposer aux parties le recours à une médiation n’a pas la nature d’une mesure d’instruction. Elle peut donc être proposée sans réouverture de l’instruction et cette absence de réouverture ne constitue pas une irrégularité.

(7 novembre 2019, Syndicat d'élimination et de valorisation énergétique des déchets de l'Estuaire (SEVEDE), venant aux droits de la communauté urbaine " Le Havre Seine Métropole ", n° 431146)

 

Contrats

 

19 - Marché de partenariat - Clause prévoyant une procédure de règlement amiable des différends - Clause inapplicable à l'exercice par l'autorité publique de son droit à compensation entre créances - Annulation.

Commet une erreur de droit l'arrêt estimant qu'une commune ne pouvait pas émettre de titres exécutoires sans avoir préalablement respecté la procédure de règlement amiable des différends prévue au contrat de partenariat alors que cette procédure n'était pas applicable en cas de compensation de créances.

(8 novembre 2019, Commune de Nogent-sur-Seine, n° 429675)

 

20 - Concession pour la mise aux normes et l’exploitation d’un crématorium municipal - Conditions de passation - Prolongation de neuf jours du délai de remise des offres - Délai suffisant au regard d’une modification non substantielle des conditions de la consultation - Régularité - Annulation de l’ordonnance de référé précontractuel.

Dans le cadre de la procédure de passation d’une convention de concession de service public portant sur la mise aux normes et l'exploitation d’un crématorium communal, a été posée par l’une des entreprises candidates une question relativement au cheminement des cercueils, sur soixante mètres, hors de l’ensemble immobilier du crématorium. Après avoir interrogé le préfet et malgré sa réponse favorable, la commune a choisi de modifier le circuit d'acheminement des cercueils vers la partie technique du crématorium pour le rendre plus court et faciliter l'activité du délégataire, grâce à la création d'une servitude de passage accordée par le propriétaire du terrain au complexe funéraire.

En conséquence de cette modification, elle a accordé une prolongation de neuf jours du délai de remise des offres.

Saisi par certains concurrents, le juge du référé précontractuel a estimé cette prolongation de délai insuffisante ce qui expliquerait que des sociétés avaient été dissuadées de présenter leur candidature.

Cassant ce raisonnement, le Conseil d’État juge qu’eu égard au caractère non substantiel de la modification introduite dans les conditions de la consultation et de son caractère purement matériel, ce délai supplémentaire de neuf jours avait été suffisant en l’espèce.

(27 novembre 2019, Commune d'Hautmont, n° 432996)

 

21 - Concession d'un service public de fourniture d'eau potable - Recours d'un candidat non retenu - Règles de passation particulières applicables à certains contrats - Exclusion des concessions relevant du secteur de l'eau potable - Absence d'irrégularité - Rejet.

La société Martiniquaise de Distribution et de Services (SMDS) a demandé au juge des référés, et obtenu, sur le fondement de l'article L. 551-18 CJA, l'annulation du contrat de concession du service public de fourniture d'eau potable communautaire conclu entre la communauté d'agglomération du Pays Nord Martinique (CAP Nord) et la société Martiniquaise des Eaux.  Ces deux dernières ont, chacune pour leur part, demandé l'annulation de l'ordonnance annulant le contrat de concession.  Leurs pourvois sont admis et reçoivent satisfaction.

Le juge des référés avait annulé à la demande de la SMDS, sur le fondement du 3ème alinéa de l'article L. 551-18 CJA, le contrat de concession du service public de fourniture d'eau potable communautaire, conclu entre la CAP Nord et la SME, parce qu'il a considéré que s'imposait au contrat en litige, eu égard à sa valeur, l'obligation de prévoir et d'indiquer la hiérarchie des critères de sélection des offres prévue à l'article 27 du décret du 1er février 2016 et que cette obligation avait été méconnue par la CAP Nord.

Le Conseil d’État, combinant les dispositions de l'art. 10 du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession avec celles du 3° du I de l'article 11 de l'ordonnance du 29 janvier 2016, relative aux contrats de concession, décide que leur auteur s'est fondé sur le critère matériel de l'objet du contrat pour exclure l'application des règles de passation particulières qui sont applicables aux contrats dont la valeur estimée hors taxe est égale ou supérieure au seuil européen. Tel est le cas des contrats relatifs à la mise à disposition, à l'exploitation ou à l'alimentation de réseaux fixes destinés à fournir un service au public dans le domaine de la production, du transport ou de la distribution d'eau potable, quelle que soit leur valeur estimée et qu'ils soient conclus par un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice.

Au nombre de ces règles figure l'obligation pour l'autorité concédante, prévue au II de l'article 27 du décret, de fixer les critères d'attribution du contrat par ordre décroissant d'importance ainsi que l'obligation prévue au I de l'article 29 de notifier aux soumissionnaires la décision d'attribution de la concession et de respecter un délai de suspension d'au moins onze jours entre la date d'envoi de la notification et la date de conclusion du contrat de concession.

C'est donc à tort que le juge des référés a retenu le motif susrappelé pour annuler la procédure qui a été suivie. Par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu par la SMDS, l'exclusion des concessions relevant du secteur de l'eau potable du champ d’application de ces obligations n'est contraire ni au principe d'égalité devant la loi ni aux principes du droit de la commande publique ni au droit à un recours effectif. 

Enfin, deux autres précisions sont apportées par cette décision. En premier lieu, il résulte des art. L. 551-14, L. 551-15 et R. 551-7-1 du CJA que, s'agissant des concessions ayant pour objet les activités relevant du 3° du I de l'article 11 de l'ordonnance du 29 janvier 2016, qui ne sont pas soumises à l'obligation, pour l'autorité concédante, de notifier aux soumissionnaires, avant la signature du contrat, la décision d'attribution, l'annulation d'un tel contrat ne peut, en principe, résulter que de l'absence des mesures de publicité requises pour sa passation. En second lieu, le juge du référé contractuel doit également annuler une telle concession, lorsque cela lui est demandé sur le fondement des dispositions du 3ème alinéa de l'article L. 551-18 du CJA, ou prendre l'une des autres mesures mentionnées à l'article L. 551-20 dans l'hypothèse où, si un recours en référé précontractuel a été formé, l'autorité concédante n'a pas respecté la suspension de signature du contrat prévue aux articles L. 551-4 ou L. 551-9 ou ne s'est pas conformée à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé. Or la CAP Nord a publié un avis d'appel public à concurrence le 21 juin 2018 au bulletin officiel des annonces de marchés publics et n'a pas méconnu l'obligation de suspension de signature du contrat prévue à l'article L. 551-4 du CJA, et comme la SMDS se prévaut uniquement de manquements visés au 3ème alinéa de l'article L. 551-18 du CJA, les manquements invoqués ne relèvent d'aucune des hypothèses dans lesquelles le juge du référé contractuel peut exercer son office. D'où le rejet de la demande d''annulation de la concession.

 (8 novembre 2019, Communauté d'agglomération du Pays Nord Martinique, n° 432216 ; Société Martiniquaise des Eaux, 432223)

 

22 - Marché à bons de commande - CCAG applicables aux marchés publics de fournitures courantes et de services - Régime de traitement des différends - Notion de "différend" - Délai de trente jours - Cas de l'espèce - Rejet.

Un litige s'étant élevé entre l'établissement public de gestion du quartier d'affaires de La Défense, devenu Etablissement Paris La Défense et une entreprise de nettoyage concernant l'exécution, puis le paiement de factures d'un marché à bons de commandes, était en cause ici, principalement, la notion de "différend" au sens et pour l'application de l'article 34.1 du CCAG applicables aux marchés publics de fournitures courantes et de services, notamment au marché en litige. Celui-ci dispose : « Tout différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l'objet de la part du titulaire d'un mémoire de réclamation qui doit être communiqué à la personne responsable du marché dans le délai de trente jours compté à partir du jour où le différend est apparu ».

Le Conseil d’État énonce en ces termes ce qu'il convient d'entendre par ce mot de "différend" : « L'apparition d'un différend, au sens (de l'art. 34.1 précité), entre le titulaire du marché et l'acheteur, résulte, en principe, d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l'acheteur et faisant apparaître le désaccord. Elle peut également résulter du silence gardé par l'acheteur à la suite d'une mise en demeure adressée par le titulaire du marché l'invitant à prendre position sur le désaccord dans un certain délai. En revanche, en l'absence d'une telle mise en demeure, la seule circonstance qu'une personne publique ne s'acquitte pas, en temps utile, des factures qui lui sont adressées, sans refuser explicitement de les honorer, ne suffit pas à caractériser l'existence d'un différend au sens des stipulations précédemment citées ».

En l'espèce, l'établissement public avait indiqué oralement qu'il entendait « bloquer intégralement » les factures émises par l'entreprise de nettoyage et en faisant part de son intention de « contester immédiatement », « si elle était avérée », l'éventuelle compensation des sommes dues au titre de ces factures avec celles dues au titre de la redevance d'occupation domaniale. Toutefois, ainsi que la cour l'avait relevé, l'établissement public, en réglant, postérieurement au courrier de son cocontractant, une facture d'un certain montant, a légitimement laissé croire à celui-ci qu'il n'entendait pas refuser le paiement de ses factures. Par suite, le mémoire de réclamation adressé par l'entrepreneur plus de trente jours après son courrier du 7 août 2013, n'était pas tardif.

(22 novembre 2019, Etablissement Paris La Défense, n° 417752)

 

23 - Marché à prix global et forfaitaire - Travaux supplémentaires - Travaux effectués sans ordre de service - Indemnisation possible - Rejet.

Rappel de ce que le caractère global et forfaitaire du prix d'un marché ne fait nullement obstacle à l'indemnisation des travaux supplémentaires même réalisés sans ordre de service, dès lors qu'il est établi qu'ils étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art.

(13 novembre 2019, Me X., agissant en qualité de liquidateur de la société Entreprise Georges Cazeaux, n° 417176)

 

24 - Marchés et contrats - Conditions de mise en concurrence - Candidats devant se noter eux-mêmes pour plusieurs critères ou sous-critères - Illégalité en l'absence de vérification lors de l'analyse des offres - Cassation et renvoi.

Le Conseil d’État rappelle que si, en matière de notation de la mise en oeuvre de chacun des critères de sélection des offres, le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation c'est sous l'importante limite du respect de l'égalité des candidats et de la transparence. En conséquence, le choix d'une méthode de notation de nature à affaiblir ou à neutraliser la portée des critères et/ou leur pondération est de nature à invalider l'ensemble de la procédure car il peut conduire « à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie ».

Tel était le cas en l'espèce, où le pouvoir adjudicateur avait laissé aux candidats le soin de fixer, pour l'un des critères ou sous-critères, la note qu'ils estimaient devoir leur être attribuée car cette "méthodologie" était de nature à priver de portée utile le critère ou sous-critère en cause : cette note ne pouvait donner lieu à vérification au stade de l'analyse des offres, quand bien même les documents de la consultation avaient prévu que le candidat attributaire qui ne respecterait pas, lors de l'exécution du marché, les engagements que cette note entend traduire pourrait, de ce fait, se voir infliger des pénalités.

(22 novembre 2019, Société Autocars Faure, n° 418460 ; dans le même sens et du même jour : Société Cars Annequin, n° 418461)

 

25 - Marché public de travaux - Pratiques anticoncurrentielles relevées par l'autorité de la concurrence - Responsabilité civile quasi-délictuelle du fait de ces pratiques - Régime de prescription applicable - Loi du 17 juin 2008 - Cassation partielle et renvoi dans cette mesure.

L'importance de cette décision tient à l'application dans le temps des règles de prescription des actions en responsabilité quasi-délictuelle par suite de la modification du régime de la prescription par la loi du 17 juin 2008 (nouvel art. 2224 C. civ.).

Combinant le texte de l'art. 2270-1 du Code civil tel qu'il était libellé jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de 2008 avec celui de l'art. 2224 issu de cette loi, le Conseil d’État décide que jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les actions fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle des auteurs de pratiques anticoncurrentielles se prescrivaient par dix ans à compter de la manifestation du dommage. Après l'entrée en vigueur de cette loi, la prescription de ces actions est régie par les dispositions de l'article 2224 du Code civil qui réduisent à cinq ans la durée au terme de laquelle la prescription est acquise.

(22 novembre 2019, SNCF Mobilités, n° 418645)

 

26 - Marché de services de traitement des déchets ménagers - Règlement des différends - Article 37 du CCAG applicables aux marchés de fournitures courantes et de services - Portée - Distinction entre surgissement d’un différend et résiliation - Effets - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

La société SMA Environnement a conclu avec le syndicat d'agglomération nouvelle Ouest Provence un marché d'exploitation des centres de transfert de déchets ménagers et de traitement des ordures ménagères en centre de stockage des déchets ultimes. Suite aux observations du préfet, le président du syndicat prononce la résiliation du lot n° 2 de ce marché. Il refuse l’allocation de l’indemnité réclamée par le titulaire du marché.

Les sociétés requérantes saisissent le tribunal administratif d’un recours en reprise des relations contractuelles et d’une demande d’indemnisation en raison du préjudice subi du fait de la résiliation qu’ils estiment illégale.

Leurs actions sont rejetées en première instance et, en appel, un non-lieu est prononcé sur la demande de reprise des relations contractuelles tandis que le surplus de la requête est rejeté.

Les sociétés se pourvoient en cassation. Le Conseil d’État leur donne raison.

Il résulte de l’art. 37 du CCAG applicables aux marchés de fournitures courantes et de services que la survenance, au cours de l'exécution d'un marché, d’un différend entre le titulaire et l'acheteur, résultant d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de ce dernier et faisant apparaître le désaccord, le titulaire doit présenter, dans un délai de deux mois, un mémoire de réclamation, à peine d'irrecevabilité de la saisine du juge du contrat. Toutefois, manifestement, cette disposition ne concerne pas le cas où survient non un différend qui a effet sur la poursuite du contrat mais la résiliation pure et simple dudit contrat. En cette hypothèse, qui est celle de l’espèce, où l'acheteur a résilié unilatéralement le marché, puis s'est abstenu d'arrêter le décompte de liquidation dans le délai qui lui était imparti, si le titulaire ne peut saisir le juge qu'à la condition d'avoir présenté au préalable un mémoire de réclamation et s'être heurté à une décision de rejet, les stipulations de l'article 37 relatives à la naissance du différend et au délai pour former une réclamation ne sauraient lui être opposées contrairement à ce qu’ont jugé les juridictions de première instance et d’appel qui ont estimé qu’en l’espèce était applicable la forclusion instituée par cette disposition.

Après la résiliation prononcée par le syndicat le 6 août 2013, ce dernier s’est abstenu de communiquer au titulaire le décompte de résiliation, de sorte que les sociétés requérantes ont dû adresser elles-mêmes au syndicat, le 7 février 2014, une demande d’indemnisation du préjudice qu’elles estimaient avoir subi du chef d’une résiliation qu’elles considéraient comme illégale. Cette demande valait mémoire en réclamation tel que prévu par les dispositions précitées du CCAG. Elle a été rejetée par une décision du syndicat du 12 mars 2014.

C’est donc par suite d’une erreur de droit que la cour a estimé que la demande du 7 février 2014 n'avait eu pour seul objet que de faire naître le différend dans des conditions irrégulières au regard des dispositions précitées du CCAG.

L’arrêt cassé est renvoyé, dans cette mesure, à la cour.

(27 novembre 2019, Sociétés SMA Propreté, SMA Environnement et SMA Vautubière, n° 422600)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

27 - Banques et établissements de crédit - Évaluation de l’actif dans le cadre de l’imposition aux bénéfices industriels et commerciaux - Acquisition de titres de participation - Comptabilisation de ces titres - Absence d’obligation de comptabiliser identiquement chacune de ces acquisitions - Prise en considération de l’intention de l’acquéreur lors de chaque acquisition des titres - Rejet.

Une banque sollicite de l’administration fiscale la restitution de l'impôt sur les sociétés qu’elle a acquitté au titre d’un exercice clos afin de tenir compte de la différence de 2,32 milliards d'euros entre le montant du bénéfice qu’elle a initialement déclaré et ce montant corrigé pour tenir compte de la déduction de la provision sur les nouvelles actions d’une banque, acquises dans le cadre de l'augmentation de capital réalisée au cours de ce même exercice. L’administration a opposé un refus. Le recours contentieux de la banque, rejeté en première instance, a été accueilli en appel, d’où le pourvoi dont le ministre des finances saisit le Conseil d’État.

Pour rejeter ce pourvoi, le juge indique, de manière assez nouvelle, se fondant sur une interprétation du plan comptable général qu’il a sollicitée de l'Autorité des normes comptables, que l’acquisition successive par un établissement de crédit, de titres de participation, ne doit pas nécessairement recevoir dans tous les cas la même qualification juridique. Il convient chaque fois de se placer à la date d’acquisition et de tenir compte de l’intention de l’acquéreur pour qualifier, positivement ou négativement au regard de la loi fiscale, l’opération d’acquisition en cause.

(8 novembre 2019, Société anonyme Crédit agricole, n° 422377)

 

28 -Taxe foncière sur les propriétés bâties - Demande de dégrèvement - Refus - Assimilation à un rehaussement d'imposition - Absence - Impossibilité d'invoquer l'art. L. 80 A du LPF - Annulation du jugement et rejet de la requête.

Rappel utile en raison d'une confusion souvent commise par les contribuables lorsqu'ils invoquent l'art. L. 80 A LPF, lequel leur permet d'opposer, de bonne foi, à l'administration sa propre doctrine fiscale.

Cette disposition ne concerne que les décisions de "rehaussement" d'impôts. Il s'ensuit qu'elle ne joue pas dans le cas d'un refus de dégrèvement qui, maintenant l'imposition primitivement établie, n'est point un rehaussement de celle-ci.

(18 novembre 2019, M. X., n° 418466)

 

29 - Retenue à la source - Déduction des frais professionnels du prestataire de service - Impossibilité pour le prestataire de services non-résident fiscal - Possibilité pour le prestataire résident fiscal - Inconventionnalité des dispositions de l'art. 182 B du CGI - Annulation partielle et renvoi dans cette mesure.

L'art. 182 B du CGI est contraire aux art. 56 et 57 TFUE, tels que les interprète une jurisprudence constante de la CJUE car il exclut que le débiteur de la rémunération versée à un prestataire de services non résident déduise, lorsqu'il procède à la retenue à la source de l'impôt, les frais professionnels que ce prestataire lui a communiqués et qui sont directement liés à ses activités dans l'État membre où est effectuée la prestation, alors qu'un prestataire de services résident de cet État ne serait soumis à l'impôt que sur ses revenus nets, c'est-à-dire sur ceux obtenus après déduction des frais professionnels.

Solution logique dont on peine à comprendre qu'il ait fallu remonter toute la chaïne juridictionnelle pour la trouver. Illustration supplémentaire du leurre qu'est désormais la prétendue souveraineté fiscale des États membres de l'Union.

(22 novembre 2019, Société de gestion du Port Vauban, n° 423698)

 

30 - Entreprises de spectacles vivants - Perception de subventions publiques globales non remboursables et donc non affectées à un spectacle donné - Combinaison avec le crédit d'impôt - Déduction de la base de calcul du crédit d'impôt - Contestation de commentaires administratifs relatifs à cette déduction - Rejet.

Les entreprises de spectacles vivant bénéficient d'un crédit d'impôt pour dépenses de production de spectacles vivants (art. 220 quindecies CGI). Lorsqu'elles perçoivent des subventions publiques non remboursables qui leur sont versées globalement et qui ne sont donc pas affectées à un spectacle déterminé, il résulte du VII de l'article précité que ces subventions doivent être déduites de la base de calcul du crédit d'impôt. Par suite, ne sauraient être contestées les énonciations contenues dans le paragraphe 200 des commentaires administratifs publiés le 1er février 2017 au Bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-IS-RICI-10-45, dès lors que celles-ci se bornent à expliciter, sans y ajouter, les dispositions de l'article 220 quindecies précité.

(8 novembre 2019, Orchestre national d'Ile-de-France, n° 430794)

 

31 - Cession de titres - TVA ayant grevé la cession - Conditions de déductibilité de la TVA - Déductibilité possible à certaines conditions pour une holding - Annulation avec renvoi.

Le Conseil d’État rappelle que si, en vertu des dispositions des paragraphes 1 et 2, 3 et 5 de l'article 17 de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 relative à l'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les dépenses inhérentes à la cession des titres elle-même n'est en principe pas déductible dès lors que ces dépenses présentent un lien direct et immédiat avec cette opération. La société holding est néanmoins en droit de déduire cette taxe si elle établit, compte tenu de la nature des titres cédés ou par tous éléments probants tels que sa comptabilité analytique, que ces dépenses n'ont pas été incorporées dans leur prix de cession et que, par suite, elles doivent être regardées comme faisant partie de ses frais généraux et se rattachant ainsi aux éléments constitutifs du prix des opérations relevant des activités économiques qu'elle exerce comme assujettie.

Il en va de même lorsque les dépenses ont été payées à un même intermédiaire, chargé à la fois de préparer cette cession et de réaliser la transaction, dès lors que ces deux catégories de prestations n'ont pas donné lieu à une rémunération distincte et qu'elles doivent alors être regardées comme un tout indissociable se rattachant à la transaction.

 (22 novembre 2019, Société anonyme Vivendi, n° 423805)

 

32 - TVA - Régime de l'auto-liquidation de taxe - Demande de restitution de TVA - Absence de réglementation européenne sur ce point - Retour à la compétence et aux règles du droit national - Conditions du remboursement de la taxe par les autorités nationales - Annulation et renvoi à la cour.

Cette décision est relative au régime de restitution de la TVA lorsque celle-ci a été payée à tort, par un redevable, à un fournisseur.

Constatant l'absence de réglementation de l'Union en matière de demandes de restitution de taxes, le Conseil d’État juge, qu'en ce cas il convient de faire retour aux règles propres  à l'ordre juridique interne de chaque État membre et aux conditions qu'il fixe pour une telle restitution.

S'agissant de la France, il est décidé que, conformément aux principes d'équivalence et d'effectivité, ces conditions ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des réclamations semblables et fondées sur des dispositions du droit interne, ni aménagées de manière à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice, par l'acquéreur des biens, des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union.

C'est pourquoi le juge estime que si le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée devient impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d'insolvabilité du vendeur, le principe d'effectivité peut exiger que l'acquéreur puisse diriger sa demande de restitution directement contre les autorités fiscales nationales.

Enfin, lorsque le non-respect des règles du régime de l'auto-liquidation entraîne un risque de perte de recettes fiscales pour l'État membre intéressé, ce dernier peut, avant d'accorder la restitution demandée, vérifier que le risque d'une telle perte a été préalablement éliminé, notamment du fait que l'auteur de la facture erronée a reversé au Trésor public la taxe indûment collectée.

En l'espèce, c'est par suite d'une erreur de droit que la cour administrative d'appel a rejeté la demande de restitution formée par la société requérante sans rechercher si elle avait établi être dans l'impossibilité d'obtenir de son fournisseur (suisse ici) le remboursement de la taxe qu'elle lui avait versée ou que ce remboursement était excessivement difficile et, dans l'affirmative, de s'assurer que le risque de perte de recettes fiscales pour le Trésor public avait été éliminé. L’arrêt de la cour est cassé et l’affaire lui est renvoyée. 

(15 novembre 2019, Société Eye Shelter, n° 420251)

 

33 - Plus-values immobilières réalisées par des particuliers - Bien cédé à titre gratuit - Détermination de la plus-value taxable - Valeur fixée pour le calcul des droits de mutation éventuellement rectifiée en tenant compte d’un événement postérieur à la date de cession - Cassation sur ce point avec renvoi.

Lorsqu’un bien immobilier a été obtenu à titre gratuit, le calcul du montant de la plus-value taxable en cas de cession s’effectue à partir d’un prix d'acquisition de celui-ci fixé à la valeur retenue pour le calcul des droits de mutation (art. 150 VB CGI)).

Pour déterminer cette valeur il convient de retenir la déclaration du contribuable au titre des droits d'enregistrement ou, le cas échéant, la rectification définitive de cette déclaration par l'administration fiscale quand bien même cette valeur procéderait d'un événement postérieur au fait générateur de la plus-value que constitue le transfert de la propriété du bien immobilier, réalisé à la date de sa cession.

(27 novembre 2019, M. X., n° 418379)

 

34 - Comptable public - Obligations de contrôle - Contrôle de légalité (non) - Contrôle de la discordance entre ordre de paiement et arrêté le fondant (oui) - Responsabilité dans cette mesure - Cassation partielle avec renvoi à la Cour des comptes.

La Cour des comptes a mis en débet deux comptables successifs de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) pour le paiement d'une prime qui ne pouvait pas être versée aux agents de cet office ; ces comptables se pourvoient en cassation contre cette décision.

Le Conseil d’État leur donne en partie raison.

D'une part, c'est à tort que la Cour des comptes, pour entrer en voie de condamnation, s'est fondée sur la seule circonstance que les comptables n'avaient pas suspendu les paiements de la prime de mobilité litigieuse alors que les décisions à caractère réglementaire du directeur général de l'Office et les lettres du ministre prévoyant l'attribution de la prime de mobilité à certains agents non affectés en brigades mobiles d'intervention étaient contraires aux dispositions de l'article 6 du décret du 21 décembre 2001. Elle a ainsi commis une erreur de droit en exigeant des comptables qu'ils exercent un contrôle de légalité sur les pièces fournies par l'ordonnateur, alors que, en présence des pièces justificatives requises, ceux-ci étaient tenus de procéder aux paiements litigieux.

D'autre part, en revanche, la Cour n'a pas commis d'erreur en jugeant que l'ONEMA ne figurait pas sur la liste des organismes ouvrant droit au bénéfice de cette prime résultant de l'arrêté du 11 août 2004, dans sa version alors applicable, et qu'ainsi les comptables ne pouvaient procéder au paiement de ces indemnités sans que soit produit, au nombre des pièces justificatives, de texte rendant la prime applicable aux agents de l'Office.

(13 novembre 2019, Mme X. et autre, n° 421299)

 

35 - Plus-values immobilières - Cas des cessions d'un montant inférieur à 15 000 euros - Détermination du seuil de 15 000 euros - Annulation partielle avec renvoi dans cette mesure à la cour administrative d'appel.

Le code général des impôts prévoit une exonération de la taxation des plus-values immobilières dans le cas des cessions d'un montant inférieur à 15 000 euros. Pour la détermination de ce seuil, il y a lieu de tenir compte du prix encaissé lors de chaque cession indépendamment du nombre de biens vendus. Ainsi, lors de la vente, par un même acte, de quatre lots distincts situés dans un même immeuble, le seuil de 15 000 euros s'apprécie non pour chacun des lots mais sur le montant global de la cession.

(15 novembre 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 421337)

36 - Contribuable joueur de poker - Obligation déclarative ou fourniture d’acte en vue de la liquidation de l’impôt - Omission - Pénalité de 80% - Changement dans la qualification juridique des gains - Exonération - Rejet.

Le contribuable qui, dans le délai légal, ne satisfait pas à ses obligations déclaratives en vue de la détermination de l’assiette ou de la liquidation de l’impôt ou ne justifie pas avoir fait connaître l’existence de son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce est passible d’une pénalité égale à 80% de l’imposition due, en sus du montant de celle-ci, et, en ce cas, l’administration est présumée avoir rapporté la preuve de l’existence de l’activité occulte (art. 1728 CGI), sauf à ce que le contribuable établisse avoir commis une erreur en s’abstenant de ses obligations déclaratives.

Un joueur de poker se trouvant dans cette situation, l’administration fiscale entend lui appliquer le régime décrit ci-dessus mais la cour administrative d’appel rejette l’argumentation de cette dernière. Elle juge que dès lors que  l’examen de la situation fiscale personnelle et celui de sa comptabilité ont porté, respectivement, sur les années 2009-2010 et 2010-2011, le joueur de poker n’exerçait pas une activité alors soumise à l’une des formalités susrappelées puisque ce n'est que postérieurement aux années 2010 et 2011 que la jurisprudence et l'administration fiscale ont estimé que les gains réalisés au poker étaient, dans certaines conditions, imposables à l'impôt sur le revenu, et que la circonstance que le poker était qualifié de jeu de hasard par les juridictions civiles et pénales au sens des lois et règlements était, en outre, de nature à induire en erreur le contribuable sur la nature de ses obligations déclaratives, aucune règle précise ne distinguant la pratique du poker selon qu'elle était exercée à des fins ludiques ou lucratives. Il suit de là que l'absence de souscription de déclaration par le contribuable devait être regardée, dans les circonstances de l'espèce et alors même qu'il avait conclu un contrat de partenariat avec la société Everest Poker lui permettant notamment de bénéficier de la prise en charge des droits d'inscription à certains tournois, comme ayant constitué une erreur justifiant qu'il ne se soit pas acquitté de ses obligations.

La cour est approuvée par le Conseil d’État et le recours du ministre est rejeté.

(22 novembre 2019, ministre de l'action et des comptes publics, n° 429286)

 

37 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Exonération dans le cadre de contrats de partenariat - Construction dans le cadre d'un contrat de location en l'état futur d'achèvement (LEFA) pour le compte de Pôle emploi - Absence d'incorporation certaine au domaine public en fin de contrat - Absence d'exonération - Rejet.

La société requérante, invoquant les dispositions de l'art. 1382 du CGI relatives à l'exonération de la taxe foncière sur propriétés bâties issues d'un contrat de partenariat et incluses in fine dans le domaine public de la personne publique cocontractante de ce contrat de partenariat, sollicitait, d'une part, le remboursement de la taxe déjà payée et, d'autre part, l'exonération de la taxe due.

Elle se pourvoit en Conseil d’État après le rejet de sa requête en première instance mais en vain.

L'art. 1382 précité n'exonère de la taxe litigieuse que les immeubles qui, à la fois, sont construits dans le cadre d'un contrat de partenariat et sont incorporés in fine dans le domaine public de la personne publique co-contractante. En l'espèce, la requérante avait conclu avec Pôle emploi un contrat de location en l'état futur d'achèvement (LEFA), dont une clause stipulait un droit de préférence pour Pôle emploi en cas de cession. Ceci ne constituait donc pas un acte d'incorporation certaine au domaine public de cet établissement public. Par suite, l'exonération sollicitée ne pouvait pas être accordée, ce qui justifie le rejet du pourvoi.

(21 novembre 2019, Société Alliance La Foncière, n° 420352) ; v. aussi, du même jour avec même requérante : n° 426328, n° 426696, deux espèces)

 

38 - Plus-values mobilières - Imputation des pertes - Régime rappelé par des commentaires administratifs  publiés au Bulletin officiel des finances publiques - impôts - Impossibilité d’imputation des pertes afférentes aux annulations de titres réalisées en application de l'article L. 225-248 du code de commerce - Possibilité d’imputation pour les titres annulés dans le cadre d'une procédure collective - Discrimination injustifiée - Violation de l’art. 14 de la convention EDH et de l’art. 1er du premier protocole additionnel à cette convention - Annulation.

Le Conseil d’État, dans une décision importante, juge que l’administration fiscale commet une illégalité en réitérant dans les commentaires administratifs de cette disposition  le 12 de l'article 150-0 D du CGI qui dispose que dans l'hypothèse où les pertes d'une société sont au moins égales ou supérieures à ses capitaux propres et si l'assemblée générale extraordinaire n'a pas décidé sa dissolution anticipée, les associés, pour réduire le capital de la société d'un montant au moins égal à celui des pertes qui n'ont pas pu être imputées sur ses réserves et son report à nouveau, sont tenus de procéder à l'annulation des titres de cette société. Ceux-ci, en effet, ne se trouvent pas, au regard de la loi fiscale, dans une situation suffisamment différente de celle des contribuables dont les titres sont annulés dans le cadre d'une procédure collective pour justifier, sans méconnaître les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, une différence telle que celle qu'instaure le premier alinéa du 12 de l'article 150-0 D CGI, dans le traitement fiscal des annulations de titres opérées à la suite de ces deux procédures. Il en résulte que les paragraphes 5 et 6 de la fiche n°5 de l'instruction administrative 5 C-1-01 du 3 juillet 2001 réitèrent des dispositions législatives qui méconnaissent dans cette mesure les stipulations précitées de la convention EDH.

(22 novembre 2019, M. X., n° 431867)

 

39 - Société non-résidente déficitaire - Régime de la retenue à la source - Discrimination entre sociétés déficitaires selon qu’elles sont résidentes ou non - Inconventionnalité - Cassation avec renvoi.

Est contraire au droit de l’Union (art. 63 et 65 TFUE) la législation fiscale française (2  de l’art. 119bis CGI) en ce que, d’une part, elle procure un avantage fiscal substantiel aux sociétés résidentes se trouvant en situation déficitaire dont ne bénéficient pas les sociétés non-résidentes déficitaires - car elles sont automatiquement soumises à la retenue à la source - et, d’autre part, cette différence de traitement dans l'imposition des dividendes, qui ne se limite pas aux modalités de perception de l'impôt, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux qui n'est pas justifiée par une différence de situation objective. Il y a donc lieu d’écarter ici l’application du 2 de l’art.119bis du CGI.

(27 novembre 2019, Société Vorwerk Elektrowerke GmbH et Co. KG, n° 405496)

 

40 - Caractère immobilier prépondérant d’une société (art. 219, I, a sexies-0 bis CGI) - Absence de cession des titres - Titres faisant l’objet d’une provision pour dépréciation - Date d’appréciation de cette prépondérance immobilière - Avis de droit.

Dans le cadre d’une action en réduction de la cotisation supplémentaire à l’impôt sur les sociétés dont elle avait été saisie par la société requérante, une cour administrative d’appel interroge ainsi le Conseil d’État : « Pour l'application des dispositions du a sexies-0 bis du I de l'article 219 du CGI, comment et, en particulier, à quelle date s'apprécie, en l'absence de cession des titres, le caractère immobilier prépondérant de la société détenue ? ».

Il lui est répondu assez logiquement : « (…) lorsque les titres d'une société font l'objet d'une provision pour dépréciation, cette société doit être regardée comme étant à prépondérance immobilière au sens du premier alinéa du a sexies-0 bis de l'article 219 du CGI, ce qui a pour effet de soustraire la provision à l'application du régime du long terme et de permettre sa déduction des bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun du I du même article, lorsque son actif est constitué pour plus de 50 % de sa valeur réelle par des immeubles, des droits portant sur des immeubles, des droits afférents à un contrat de crédit-bail conclu dans les conditions prévues au 2 de l'article L. 313-7 du code monétaire et financier ou par des titres d'autres sociétés à prépondérance immobilière, soit à la clôture de son dernier exercice précédant la constitution de cette provision, soit à la date à laquelle cette dernière est constituée, c'est-à-dire à la date de clôture de l'exercice de la société qui détient ses titres ».

(22 novembre 2019, SA l'Auxiliaire, n° 432053)

 

41 - Taxe sur les surfaces commerciales - Demande de décharge - Pénalités pour manœuvres frauduleuses - Preuve non rapportée faute de mesures d’instruction à cet effet - Annulation partielle avec renvoi.

Est entaché d’erreur de droit le jugement estimant que l'administration devait être regardée comme apportant la preuve des manœuvres frauduleuses dont se serait rendue coupable la société requérante sans rechercher si cette dernière avait fait usage de procédés destinés à égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle.

Le jugement est annulé en tant qu'il porte sur les pénalités pour manœuvres frauduleuses.

(27 novembre 2019, SAS Courtoise Distribution Auto, n° 413725)

 

Droit public économique

 

42 - Tabacs - Augmentation brutale du minimum de perception des droits fiscaux - Invocation du principe de confiance légitime - Invocation possible - Absence en l’espèce - Rejet.

Par les deux requêtes jointes par le juge, les requérantes demandaient l’annulation d’un arrêté interministériel (santé et finances) mettant en œuvre la majoration des minima de perception prévue par l'article 575 du CGI en matière de produits de tabacs.

Parmi les nombreux arguments, tous rejetés, doit être noté celui tiré de la violation du principe de confiance légitime.

Le Conseil d’État pose nettement que « la possibilité de se prévaloir du principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit de l'Union européenne, est ouverte à tout opérateur économique auprès de qui une institution publique a fait naître, à l'occasion de la mise en œuvre du droit de l'Union, des espérances fondées ».

En l’espèce, est rejeté l’argument du SEITA selon lequel l'arrêté attaqué aurait été adopté en méconnaissance de ce principe au motif que la majoration du minimum de perception, en une seule fois et à hauteur du seuil maximal prévu par la loi, ne pouvait être anticipée. En effet, le SEITA ne pouvait ici se prévaloir d'aucune garantie qu’auraient donné les pouvoirs publics quant au maintien de cette majoration à son niveau antérieur.

(6 novembre 2019, Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA), n° 415947 ; Société British American Tobacco France, n° 416031)

 

43 - « Vendeur actions » - Utilisation d’informations privilégiées - Sanction infligée par l’Autorité des marchés financiers (AMF) - Obligation du respect du principe de proportionnalité - Principe non bis in idem - Application à plusieurs manquements distincts mais causalement reliés - Rejet.

Dans cette affaire, où un « vendeur actions » est sanctionné par l’AMF pour des manquements aux règles applicables, un point, parmi de nombreux autres, retient l’attention.

Le requérant invoquait la circonstance qu’était retenu pour « preuve » de son comportement un faisceau d’indices constitués de plusieurs manquements, ce qui était selon lui et un manquement au principe de proportionnalité des sanctions administratives et un manquement au principe non bis in idem.

Rejetant cette argumentation, le Conseil d’État estime que tant l’obligation de proportionnalité pesant sur toute sanction administrative que le principe non bis in idem, n’empêchent pas l’AMF, dans le cadre d’une même et unique poursuite, de tenir compte d’une pluralité de manquements qui, quoique distincts les uns des autres, reposaient sur une unique causalité factuelle.

Ceci appelle deux observations.

La première, relevée par le juge, est le fait qu’en l’absence de preuve rapportée par l’AMF au soutien de sa décision constatant les manquements, l’AMF a substitué à cette preuve un faisceau d’indices. Il y a donc lieu de s’interroger sur le point de savoir si cette situation n’a pas eu un rôle déterminant sur la solution retenue par le juge.

La seconde sera pour constater la portée générale, donc à l’égard de toute sanction administrative, des principes soutenant la solution retenue.

(6 novembre 2019, M. X., n° 418463)

 

44 - Pouvoir de sanction de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) - Etendue du contrôle exercé par le juge administratif sur ce pouvoir de sanction - Contrôle de proportionnalité.

Les décisions de sanction prises par l'ACPR contre un établissement financier pour défaillances dans son dispositif relatif au gel des avoirs, sont soumises au contrôle de proportionnalité du Conseil d’État (Cf., comparable en substance : 25 octobre 2017, Union des mutuelles d'assurance Monceau (UNAM) et Société Mutuelle centrale de réassurance (MCR), n°s 399491 et 399493).

 (15 novembre 2019, Société anonyme La Banque Postale (LBP), n° 428292)

 

45 - Électricité - Tarifs réglementés de vente d’électricité aux consommateurs de France continentale (tarifs « verts ») - Fixation - Exercice d’une concurrence tarifaire effective - Tarifs réglementés de vente de l'électricité aux sites des clients non domestiques (tarifs « bleus ») - Effets des directives européennes - Annulations partielles.

Était demandée l’annulation de diverses décisions ministérielles arrêtant des tarifs réglementés de vente d’électricité.

Si la plupart des arguments soulevés à l’appui des cinq recours, certains sont néanmoins retenus.

Concernant l’un des rejets, on notera que le Conseil d’État énonce avec une certaine solennité que : « Dans l'hypothèse où des dispositions législatives ou réglementaires se révèlent incompatibles avec des règles du droit de l'Union européenne, il appartient aux autorités administratives nationales de ne pas en faire application tant que ces dispositions n'ont pas été modifiées. Par suite et sans qu'y fassent obstacle le principe de sécurité juridique ni les principes généraux du droit des contrats, les (art. L. 337-7 et R. 337-18) du code de l'énergie (…) ne pouvaient davantage, sans méconnaître les objectifs de la directive 2009/72/CE, servir de base légale aux décisions attaquées en tant qu'elles permettent le maintien du bénéfice des tarifs dits " bleus " ou " verts " pour les grandes entreprises ayant un contrat en cours à la date de ces décisions tant qu'elles ne demandent pas un changement de puissance ou d'option tarifaire ».

Il s’ensuit, nous semble-t-il, qu’une action à fins indemnitaires dirigée contre l’État pourrait être fondée sur le fait que la mise à l’écart des principes susénoncés cause directement préjudice aux organismes concernés.

Deux arguments sont, pour l’essentiel, retenus.

En premier lieu, interprétant des dispositions de la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, la CJUE a jugé (20 avril 2010, Federutility e.a. contre Autorità per l'energia elettrica e il gas, aff. C-265/08 ; 7 septembre 2016, ANODE, aff. C-121/15), que la conformité d'une réglementation des prix de vente au détail de l'électricité, qui constitue, par sa nature même, une entrave à la réalisation d'un marché de l'électricité concurrentiel, aux objectifs poursuivis par cette directive est subordonnée au respect de trois conditions : 1) elle doit répondre à un objectif d'intérêt économique général ; 2) elle ne peut porter atteinte à la libre fixation des prix que dans la seule mesure nécessaire à la réalisation de cet objectif et notamment pour un temps limité ; 3) elle doit être clairement définie, transparente, non discriminatoire et contrôlable. Si la réglementation des tarifs de vente au détail de l'électricité instituée par le code de l'énergie, que contestent les requérantes, peut être regardée comme poursuivant l'objectif d'intérêt économique général de stabilité des prix, ce qui la rend compatible avec les objectifs poursuivis par la directive précitée, ne l’est pas sur les deux autres conditions susrappelées car elle présente un caractère permanent et elle est applicable à tous les consommateurs finals, domestiques et non domestiques, pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères.

En second lieu, interprétant des dispositions de la directive précitée, la CJUE exige qu’il soit tenu compte, pour déterminer les catégories de consommateurs éligibles aux tarifs réglementés de vente de l'électricité, d'une part, de la différence de situation entre les entreprises et les consommateurs domestiques et, d'autre part, des différences objectives entre les entreprises elles-mêmes, selon leur taille.

Pour ce qui regarde les consommateurs en France métropolitaine continentale, la nature des intérêts en présence justifie seulement que les clients professionnels ayant un profil similaire à celui des consommateurs domestiques, tels que les artisans, commerçants et professions libérales, soient traités de manière identique. Par suite, une réglementation permettant à toutes les entreprises n'appartenant pas à la catégorie des grandes entreprises au sens du décret du 18 décembre 2008, qui comprennent des entreprises moyennes et des entreprises de taille intermédiaire, de bénéficier des tarifs réglementés de vente de l'électricité n'est pas proportionnée à l'objectif de stabilité des prix poursuivi par cette réglementation. Il suit de là que les dispositions précitées du code de l'énergie ne pouvaient, sans méconnaître les objectifs de la directive du 13 juillet 2009, servir de base légale à l'article 2 des décisions attaquées définissant les grandes entreprises inéligibles aux tarifs réglementés par référence au décret du 18 décembre 2008.

(6 novembre 2019, Société ENGIE, n° 424573, n° 424576 ; Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE), n° 424586, n° 424589, n° 424590)

V. aussirelative aux tarifs réglementés de vente de l'électricité applicables aux consommateurs résidentiels en France métropolitaine continentale, aux tarifs réglementés de vente de l'électricité applicables aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale, aux tarifs réglementés de vente de l'électricité applicables dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental et aux tarifs de cession de l'électricité aux entreprises locales de distribution, du même jour, la décision  Associations Union fédérale des consommateurs - Que choisir (UFC - Que choisir) et Consommation, logement et cadre de vie (CLCV), n° 431902.

 

46 - Vins AOC - Cahier des charges de l’appellation « Corrèze » - Homologation - Condition tenant à la durée déjà existante de la production dans l’aire concernée - Appellation « vin de paille » - Rejet.

(7 novembre 2019, Société de viticulture du Jura, n° 416076)

Sur les questions soulevées dans cette décision, on lira cette Chronique, octobre 2019, au n° 38

 

47 - Contrôle des concentrations économiques - Sanction infligée par l’Autorité de la concurrence - Obligation de motiver la sanction financière - Absence - Nature répressive d’une sanction infligée par l’Autorité de la concurrence - Conséquences et régime - Rejet.

L’Autorité de la concurrence, avisée d’une concentration économique, comme en l’espèce à l’occasion de la prise de contrôle exclusif de Darty par la Fnac, doit y donner une autorisation qui peut être pure et simple ou conditionnelle ou qui peut être refusée. En ce second cas des sanctions financières seraient encourues pour non-respect des conditions posées.

Deux reproches principaux étaient dirigés contre la décision de l’Autorité sanctionnant l’opération en cause.

Tout d’abord, était invoquée l’insuffisante motivation de l’indication de sanctions financières possibles : la société requérante estimait que l’Autorité aurait dû préciser le montant de la sanction auquel l'exposeraient les éventuels manquements constatés, puis indiquer les corrections qu'elle apporterait à ce montant pour tenir compte de circonstances atténuantes ou aggravantes qu'elle retenait du fait de son comportement, des diligences qu'elle avait effectuées et des difficultés qu'elle avait rencontrées. Le juge, rejetant cet argument, relève qu’aucune exigence de motivation n’existe ni dans les textes ni dans des lignes directrices que l’Autorité de la concurrence se serait donné.

Ensuite, répondant à une autre objection de la requérante, le juge précise, pour la première fois avec cette netteté, qu’à la différence des sanctions que l'Autorité de la concurrence peut prononcer en application des dispositions des 1°, 2° et 3° du IV de l'article L. 430-8 du code de commerce (retrait de la décision conditionnelle ou injonctions), la sanction financière qu'elle peut, en outre, infliger en cas d'absence de réalisation effective d'engagements pris par les parties à une opération de concentration a un objet purement répressif.

Il en résulte l’obligation pour l’Autorité comme pour le juge du plein contentieux éventuellement saisi, d'apprécier la proportionnalité d'une telle sanction.

Cette proportionnalité s’apprécie « au regard de la gravité des manquements constatés, c'est-à-dire de l'importance des engagements non respectés dans l'ensemble des mesures correctrices adoptées afin de prévenir les effets anticoncurrentiels de l'opération de concentration, du comportement de l'entreprise dans la mise en œuvre des engagements souscrits ainsi que de sa situation particulière, notamment de sa situation financière ».

C’est ce qui a eu lieu dans cette affaire, d’où le rejet de la requête.

(7 novembre 2019, Société Fnac Darty, n° 424702)

 

Droit social et action sociale

 

48 - Convention collective - Extension - Contrôle du juge - Atteinte à la liberté d’entreprendre - Loi écran - Absence de QPC - Rejet.

Parmi les nombreuses critiques formulées par la fédération requérante à l’encontre d’un arrêté du ministre du travail portant extension de la convention collective de branche des salariés en portage salarial, l’une vise l’atteinte que cette décision porterait à la liberté d’entreprendre. En effet, ses dispositions feraient obstacle à ce qu'exercent en qualité de salarié porté des personnes qui ne parviennent pas à trouver un emploi après plusieurs années de recherche, ou des personnes qui choisissent ce statut pour commencer une nouvelle activité, ou encore des personnes dont les prestations ne pourront faire l'objet d'une facturation suffisamment importante pour couvrir les niveaux minima de rémunération prévus.

Pour rejeter cet argument, le Conseil d’État, recourant à la théorie de la « loi-écran », relève qu’en réalité ces exclusions découlent directement du libellé de l’art. L. 1254-2 du code du travail : ainsi la critique porte sur le texte d’une disposition législative qui, par nature, échappe au contrôle du juge administratif sauf à ce qu’ait été soulevée une QPC, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Par ailleurs, la requérante ne soutient pas non plus que la convention collective étendue ne serait, sur ce point, pas conforme à la loi.

(6 novembre 2019, Fédération des entreprises de portage salarial, n° 412051)

 

49 - Convention collective - Extension d’un avenant dans le champ de la convention collective nationale du personnel des cabinets d'avocats - Illégalité d’une disposition de l’avenant constatée par un jugement de TGI - Annulation de l’arrêté ministériel d’extension.

Est illégal et, en conséquence, annulé,  l'arrêté du 12 mai 2017 par lequel la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a étendu, sous un certain nombre de réserves, pour tous les employeurs et tous les salariés compris dans le champ d'application de la convention collective nationale du personnel des cabinets d'avocats, les stipulations de l'avenant n° 115 du 18 décembre 2015 relatif au travail à temps partiel des cadres car le TGI de Paris, par un jugement devenu définitif, a annulé l'avenant à l'extension duquel procède l'arrêté attaqué en raison de l'illégalité des stipulations de son article 2.2.

Contrevenant ainsi aux dispositions de l’art. L. 2261-25 du code du travail, l’arrêté litigieux ne pouvait qu’être annulé.

(8 novembre 2019, Fédération nationale des personnels des sociétés d'études, de conseil et de prévention CGT, n° 412465)

 

50 - Convention collective d’assurance-chômage - Convention de droit privé - Compétences des juges judiciaire et administratif pour en apprécier la légalité - Saisine du juge administratif par voie de question préjudicielle - Compétence pour connaitre de la validité de l’approbation ministérielle donnée à une telle convention - Incompétence du juge administratif pour se prononcer sur les effets de l’illégalité qu’il a relevée à titre préjudiciel.

Saisi d’une question préjudicielle, sur renvoi de l’autorité judiciaire, portant sur la légalité d’une convention d’assurance-chômage et sur l’agrément qui lui a été donné par arrêté ministériel, le Conseil d’État énonce solennellement que : «  Les conventions d'assurance chômage, conclues entre les organisations représentatives d'employeurs et de salariés, ont le caractère de conventions de droit privé.

Toutefois, leur entrée en vigueur est subordonnée à l'intervention d'un arrêté ministériel d'agrément, qui a le caractère d'un acte administratif réglementaire et qui les rend obligatoires pour tous les employeurs et salariés compris dans leur champ d'application. D'une part, le juge judiciaire a compétence pour apprécier la validité d'une telle convention et peut en écarter, le cas échéant, l'application, alors même que l'arrêté qui l'agrée n'aurait pas été contesté devant le juge administratif. D'autre part, compte tenu de la nature particulière de ces conventions, auxquelles le législateur a confié le soin de définir les mesures prises pour l'application de la loi et dont il a subordonné l'entrée en vigueur à l'intervention d'un arrêté ministériel d'agrément, le juge administratif, compétemment saisi d'une contestation mettant en cause la légalité de cet agrément, a également compétence pour se prononcer sur les moyens mettant en cause la validité de la convention. »

En l’espèce, il est jugé que les parties à l'accord litigieux n'étaient pas compétentes pour prévoir une réduction des droits des travailleurs privés d'emploi qui auraient omis de déclarer, dans les conditions prévues par cet accord, des périodes d'activité. Les stipulations du troisième paragraphe de l'accord d'application n° 9 de la convention du 6 mai 2011 relative à l'indemnisation du chômage ne pouvaient ainsi légalement faire l'objet d'un agrément.

Enfin, parce qu’il est saisi d’une question préjudicielle et qu’il ne saurait sortir du cadre de la question posée, il n’appartient pas au juge administratif, en ce cas, de se prononcer sur les effets de sa déclaration d'illégalité.

(8 novembre 2019, M. X., n° 424424)

 

51 - Salarié protégé - Procédure de licenciement - Entretien préalable - Obligation d’entendre le salarié seul - Exclusion de tout entretien collectif même avec l’accord du salarié - Substitution d’un motif de pur droit - Rejet.

Dans le cadre de l’examen d’un litige relatif à l’autorisation donnée par un inspecteur du travail au licenciement d’un salarié protégé, le Conseil d’État exclut toute possibilité que l’entretien préalable puisse avoir un caractère collectif, même à la demande du salarié dont le licenciement est envisagé. Par cette importante précision jurisprudentielle, le juge administratif se rallie à la position de la Cour de cassation (v. Cass. soc, 23 avril 2003, n° 01-40.817, Bull. civ. 2003, V, n° 138 p. 134, où on lit : « Vu l'article L. 122-14 du Code du travail ; Attendu que l'entretien préalable au licenciement d'un salarié revêt un caractère strictement individuel qui exclut que celui-ci soit entendu en présence de collègues contre lesquels il est également envisagé de prononcer une mesure de licenciement, quand bien même les faits reprochés seraient identiques ; que cette présence ne peut au surplus être assimilée à une assistance telle que prévue par le même texte ; »).

(8 novembre 2019, Mme X., n° 412566)

 

52 - Allocation de solidarité aux personnes âgées - Nature de prestation sociale - Allocation ne constituant pas une pension de vieillesse - Droit au revenu de solidarité active (RSA) subordonné à une demande en ce sens - RSA non lié à l’allocation de solidarité aux personnes âgées - Annulation du jugement et renvoi à celui-ci.

De ce que l’allocation de solidarité aux personnes âgées a bien la nature de prestation sociale, il ne résulte pas qu’elle constitue une pension de vieillesse ou qu’elle puisse y être assimilée. Il s’ensuit que, par combinaison, d’une part, des dispositions des art.  L. 262-2 et L. 262-10 du code de l'action sociale et des familles, et d’autre part, des art. L.815-1 et L. 815-2 du code de la sécurité sociale, le droit au revenu de solidarité active est subordonné, pour les personnes qui remplissent les conditions pour en bénéficier, à la condition de faire valoir leurs droits à cette allocation, sauf à ce qu'elles ne remplissent pas encore les conditions pour bénéficier de la liquidation d'une pension de retraite à taux plein. C’est pourquoi commet une erreur de droit le tribunal administratif qui juge, au contraire, que le droit au revenu de solidarité active ne pouvait être subordonné à la condition que l'intéressé fasse valoir ses droits à l'allocation de solidarité aux personnes âgées.

(6 novembre 2019, Département de Seine-et-Marne, n° 419425)

 

53 - Personnels de la Banque de France - Applicabilité du code du travail - Conditions et limites - Requalification d’une mise illégale à la retraite en licenciement - Absence en l’espèce - Annulation sans renvoi.

Rappel d’une solution constante.

La Banque de France est une personne publique qui, bien que chargée par la loi de missions de service public, n'a pas cependant le caractère d'un établissement public, mais revêt une nature particulière et présente des caractéristiques propres. Au nombre de ces caractéristiques figure l'application à son personnel de celles des dispositions du code du travail qui ne sont incompatibles ni avec son statut, ni avec les missions de service public dont elle est chargée.

En l’espèce, il est jugé que c’est à tort que la cour administrative d’appel a estimé applicables aux agents de cette Banque les dispositions des art. L. 1237-5 et L. 1237-8 du code du travail.

Celles-ci, qui prévoient, pour la première, seulement la faculté pour l'employeur de rompre le contrat de travail d'un salarié ayant atteint l'âge mentionné au 1° de l'article L. 351-8 du code de la sécurité sociale, et pour la seconde, les règles applicables à la mise à la retraite dans des conditions irrégulières, sont incompatibles avec celles de l’art. 1er du décret du 29 mars 1968 portant modification des limites d'âge du personnel de la Banque de France, tout comme avec la règle de réparation intégrale du préjudice causé par une éviction irrégulière d’un agent de la Banque, ces dernières faisant partie intégrante du statut de la Banque de France.

(7 novembre 2019, Banque de France, n° 420450 ; v. aussi, du même jour avec même solution : Banque de France, n° 420453 ; Banque de France, n° 420456, deux espèces)

 

54 - Service public pénitentiaire - Compétence du juge administratif - Travail salarié des détenus - Charge et assiette de diverses cotisations sociales - Annulation partielle avec renvoi.

Le Conseil d’État précise le régime des cotisations sociales afférentes aux rémunérations perçues par les détenus du fait de l'accomplissement d'une activité salariée en milieu pénitentiaire.

1°/ La cotisation d'assurance maladie et maternité et la cotisation patronale pour l'assurance vieillesse frappant ces rémunérations sont à la charge de l'employeur.

2°/ La cotisation salariale pour l'assurance vieillesse est à la charge du détenu salarié sauf s'il effectue un travail pour le compte des services généraux de l'administration pénitentiaire.

3°/ Dans tous les cas, la rémunération perçue sert d'assiette à la contribution sociale généralisée et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale.

(13 novembre 2019, M. X., n° 420671)

 

Environnement

 

55 - Autorisation environnementale - Procédure prétendue irrégulière - Rejet - Demande de sursis à exécution de l’arrêt rejetant le recours contre cette autorisation - Référé autre que ceux régis par la loi du 30 juin 2000 - Moyen sérieux mais vice régularisable - Rejet.

Les requérants avaient sollicité l’annulation d’un arrêté préfectoral autorisant, au titre de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement, l'exploitation d’un parc éolien. Le tribunal leur donna gain de cause mais son jugement fut annulé par la cour administrative d’appel. En cassation, les requérants, outre l’annulation de cet arrêt, demandent qu’il soit sursis à son exécution. Le pourvoi est rejeté au terme d’une intéressante argumentation.

Un tel sursis est soumis à la réunion de deux conditions (cf. art. R. 821-5 CJA) : 1) Il faut d’abord que la décision risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables ; 2) Il faut ensuite que les moyens invoqués paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation de la décision juridictionnelle rendue en dernier ressort, l'infirmation de la solution retenue par les juges du fond.

Le Conseil d’État aperçoit un moyen sérieux et une dénaturation des pièces du dossier dans le fait que la cour a estimé qu'aucun élément du dossier ne permettait de tenir pour établi que l'avis de l'autorité environnementale n'aurait pas été rendu dans les conditions d'objectivité et d'impartialité requises.

Cependant, il résulte des dispositions de l’art. L. 181-18 du code de l’environnement que la cour peut ordonner la régularisation de ce vice ; par suite, en l'état de l'instruction, ce moyen ne paraît pas de nature à conduire à infirmer la solution retenue par les juges du fond.

L’une des conditions d’octroi du sursis à l’exécution de l’arrêt faisant défaut, le recours est rejeté.

(6 novembre 2019, Association Boischaut Marche Environnement et autres, n° 430352)

 

56 - Dépollution d'un site - Charge de la dépollution - Prescription trentenaire - Régime antérieur au décret du 21 septembre 1977 pris en application de la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement -  Charge de la dépollution en ce cas - Absence d'obligation pesant sur l'État sauf en cas de risque grave pour la santé, la sécurité et la salubrité publiques ou pour l'environnement - Motivation de la décision - Étendue de l'obligation de motiver - Rejet.

Désireuse de créer une zone d'aménagement concerté sur une friche industrielle lui appartenant, la commune de Marennes, après qu'une étude technique, confirmée ensuite par des études complémentaires, a révélé l'existence d'une importante pollution des sols et des eaux souterraines du site, a saisi le juge des référés et obtenu que soit ordonnée une expertise pour déterminer l'origine, l'étendue et les conditions d'éradication de la pollution. La société Saint-Gobain ayant exploité en ce lieu une fabrique de soude et d'engrais chimique de 1872 à 1920, c'est à cette activité que l'expertise a imputé la pollution. Le préfet a prescrit à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) la réalisation, aux frais de la personne responsable du site, de nouvelles études destinées à mieux cerner la pollution existante, son origine et les moyens de gestion adéquats. La commune a demandé l'annulation de cet arrêté du 30 avril 2010 ainsi que de celle de la décision préfectorale du 11 juin 2010 refusant d'ordonner à la société Saint-Gobain de remettre le site en l'état ou, à défaut, d'indemniser la commune de ses préjudices. Cette action a été rejetée en première instance comme en appel et, après cassation de l'arrêt d'appel, à nouveau rejetée par la cour.

Tout d'abord était critiquée par la commune l'insuffisante motivation de la décision du 11 juin 2010. Rejetant ce grief, le juge rappelle, d'une part, que "l'appréciation du caractère défavorable d'une décision doit se faire en considération des seules personnes physiques ou morales qui sont directement concernées par elle, et non au regard de celles, le cas échéant distinctes, qui sont à l'origine de la demande adressée à l'administration" et, d'autre part, que "la mise en oeuvre, par l'autorité administrative, des pouvoirs de police dont elle dispose en application de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement ne saurait être regardée comme un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les tiers à l'exploitation, et notamment le propriétaire du terrain qui a été le siège d'une telle installation". 

Ensuite, se posait une question de prescription car l'activité à l'origine de la pollution a cessé en 1920. Or la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement a établi une prescription trentenaire, sauf fraude ou dissimulation, de l'obligation de remise en état des sites pollués pesant sur le dernier exploitant ou sur ses ayants-droit. Le Conseil d’État approuve la Cour d'avoir jugé applicable ce délai aux pollutions intervenues avant la loi de 1976. En l'espèce, elle a estimé prescrite l'obligation de dépollution pour une activité qui, à la date de la décision litigieuse (11 juin 2010) avait cessé depuis 90 ans.

Enfin, il est relevé que ne pèse normalement sur l'État aucune obligation de dépolluer par substitution au dernier exploitant sauf dans le cas où la pollution d'un sol présente un risque grave pour la santé, la sécurité et la salubrité publiques ou pour l'environnement. 

C'est à tort que la commune a estimé irrégulier le refus du préfet de mettre en demeure le dernier exploitant et c'est en vain qu'invoquant une faute - au demeurant inexistante - de l'État elle a prétendu reporter sur celui-ci la charge de la dépollution ou de son indemnisation.

(13 novembre 2019, Commune de Marennes, n° 416860)

 

État-civil et nationalité

 

57 - Demande de naturalisation - Refus fondé sur l’insuffisance de ressources - Insuffisance non liée à une maladie ou à un handicap - Légalité - Rejet.

Le refus de naturalisation fondé sur l’insuffisance des ressources du pétitionnaire est légal dès lors que cette insuffisance n’est liée ni à une maladie ni à un handicap dont elle serait la conséquence directe.

(29 novembre 2019, Mme X., n° 421050)

 

58 - Perte de la nationalité française par acquisition d’une autre nationalité - Cas du mineur de 16 ans - Cas du mineur devenu majeur - Date d’appréciation de la condition d’âge - Délai raisonnable de recours - Rejet.

Le requérant demandait l’annulation du décret du 19 juin 1974 portant libération de ses liens d'allégeance avec la France.

Selon les textes alors applicables, perd, sur sa demande, la nationalité française par suite de l’acquisition d’une autre nationalité, le Français même mineur, qui est autorisé ou représenté à cet effet par ses parents. Toutefois, le décret prononçant, en conséquence, la libération des liens d’allégeance avec la France ne peut être signé, si l’intéressé a atteint l’âge de seize ans, sans qu'il ait lui-même exprimé, avec l'accord de ceux qui exercent sur lui l'autorité parentale, une demande en ce sens et, s'il a atteint l'âge de dix-huit ans, sans qu'il ait personnellement déposé une demande à cette fin.

Le juge considère que ces seuils d’âge, dans le silence des textes, s’apprécient au jour de la signature du décret de libération.

Par ailleurs, se fondant sur ce que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. S'agissant d'un décret de libération des liens d'allégeance, ce délai ne saurait, eu égard aux effets de cette décision, excéder, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, trois ans à compter de la date de publication du décret ou, si elle est plus tardive, de la date de la majorité de l'intéressé.

En l’espèce, l’intéressé, né le 12 octobre 1962, n’a contesté le décret du 19 juin 1974 portant libération de ses liens d'allégeance avec la France, pris à la demande de sa mère, que le 2 juin 2017 soit plus de trois ans après qu'il a atteint l'âge de la majorité. Par suite, en l'absence de circonstances particulières, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que la requête est irrecevable en raison de sa tardiveté et doit être rejetée.

Une probable erreur - sans incidence sur la solution du litige - s’est glissée dans cette décision puisque, à la date du 19 juin 1974, la majorité civile, comme politique, était alors en France fixée non à dix-huit ans mais à vingt-et-un ans.

(29 novembre 2019, M. X., n° 411145 ; v. cependant, la solution contraire retenue lorsque la contestation du décret libérant une personne de ses liens d’allégeance avec la France, se présente sous la forme d’une exception d’illégalité et se situe dans le cadre d’une question préjudicielle posée par le juge judiciaire et renvoyée au juge administratif : M. X., n° 429248)

 

Fonction publique et agents publics

 

59 - Enseignant du premier et du second degrés - Condamnation pour délit contraire à la probité ou aux mœurs - Radiation des cadres - Prise d’effet de la radiation antérieurement à la date de la décision de radiation - Absence d’irrégularité - Annulation sans renvoi de l’arrêt d’appel contraire.

Un enseignant condamné définitivement par le juge pénal à six mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits d'agression sexuelle sur mineur de quinze ans par ascendant ou personne ayant autorité, fait l’objet d’un arrêté rectoral, le 3 mars 2015, le radiant des cadres à compter du 29 octobre 2014.

Il conteste la légalité de la fixation du point de départ de sa radiation à une date antérieure à celle de l’arrêté qui la prononce. La cour administrative d’appel annule cette décision en tant qu’elle fait remonter ses effets antérieurement au 3 mars 2015.

Le Conseil d’État casse cet arrêt en rappelant qu’en vertu du texte applicable (L. 911-5 code de l’éducation) un enseignant ayant fait l’objet d’une condamnation pour un tel motif est frappé d’une incapacité d’exercice. En l’espèce, la radiation a été prononcée à bon droit à compter du 29 octobre 2014, jour de l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation rejetant le pourvoi de l’intéressé contre sa condamnation pénale, puisque c’est à partir de cette date qu’il a été dans l’incapacité d’exercer ses fonctions. La décision attaquée, qui se borne à en tirer les conséquences était donc régulière, d’où l’annulation de l’arrêt d’appel contraire sur ce point.

(6 novembre 2019, Ministre de l'éducation nationale, n° 418178)

 

60 - Sapeurs-pompiers volontaires - Accident de service ou maladie professionnelle - Indemnisation forfaitaire - Réparation des divers préjudices - Possibilité de réparation de certains préjudices au-delà du forfait - Annulation de l’arrêt d’appel avec renvoi.

Dans la lignée de son arrêt d’assemblée Dame Moya-Caville (4 juillet 2003, n° 211106, Rec. 423), le Conseil d’État décide qu’un sapeur-pompier volontaire victime d’un accident de service ou d’une maladie professionnelle, s’il n’a pas droit en ce cas, en sus de la réparation forfaitaire des préjudices liés aux pertes de revenus et à l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique en résultant, à  l'attribution d'avantages supplémentaires de la part de la collectivité qui bénéficie de ses services, peut cependant percevoir une indemnité supplémentaire de cette collectivité, même en l’absence de faute de cette dernière, en réparation des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels qu’il subit. Semblablement, en cas de faute, lui est ouverte l’action de droit commun contre la personne publique fautive, cette action pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie lui serait imputable ou résulterait de l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.

Cette solution généreuse prend une certaine liberté par rapport à une disposition de la loi du 31 décembre 1991 (le c/ de l’art. 20) que le juge déclare ici « éclairée par les travaux préparatoires de la loi n° 62-873 du 31 juillet 1962 dont (cette disposition) est issue ».

(7 novembre 2019, M. X., n° 409330)

 

61 - Élève d'une école militaire - Exclusion de l'École de guerre - Comportement révélant une inaptitude aux fonctions postulées - Mesure n'ayant pas le caractère de sanction disciplinaire - "Blâme du ministre" - Sanction pour propos inconvenants - Rejet.

Un chef d'escadron se voit reprocher la tenue récurrente de propos inconvenants envers ses subordonnés. D'une part, il fait l'objet d'une mesure d'exclusion de l'École de guerre, d'autre part, il est sanctionné par un "blâme du ministre".

La décision d'exclusion de l'École, en ce qu'elle se borne à constater des propos et un comportement révélant l'inaptitude à l'exercice des fonctions postulées, est une mesure de service sans caractère de sanction disciplinaire. En revanche, le blâme est une mesure disciplinaire justifiée en l'espèce et exactement proportionnée à la gravité des comportements reprochés.

De la sorte, l'intéressé ne saurait, invoquant le principe non bis in idem, prétendre avoir fait l'objet de deux sanctions disciplinaires à raison de mêmes faits.

(22 novembre 2019, M. X., n° 425849)

 

62 - Enseignant contractuel - Proposition de passer d’un CDD à un CDI - Refus - Refus légitime - Modification substantielle du contrat - Modification liée aux nécessités du service public - Agent ne pouvant pas être considéré comme involontairement privé d’emploi - Annulation sans renvoi.

Le recteur d’une académie propose à une enseignante, à l’issue de son CDD, - comme il y était obligé - la transformation de celui-ci en CDI mais alors qu’elle exerçait jusque-là dans un seul établissement, le CDI couvrirait tout le territoire de l’académie et elle serait amenée à assurer son service sur plusieurs établissements.

Elle refusa et, estimant qu’il s’agissait là d’une modification substantielle de son contrat, l’intéressée a demandé le bénéfice de l'allocation d'assurance liée à la perte d'emploi. Devant le refus rectoral, elle a saisi le tribunal administratif de ce refus et sollicité de sa part d’autres mesures. Le tribunal a accédé à ces demandes.

Le ministre de l’éducation se pourvoit et le Conseil d’État accueille son recours.

Tout d’abord, c’est sans erreur de qualification des faits que le tribunal a estimé que le CDI comportait une modification substantielle du CDD antérieur.

En revanche, c’est par suite d’une erreur de qualification des faits qu’il en a déduit l’obligation pour le recteur d’allouer l’allocation sollicitée par la requérante.

En effet, si, normalement, l’agent qui refuse la transformation de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée pour un motif légitime (invocation de considérations d'ordre personnel ou modification substantielle du contrat par l'employeur sans justification), peut être regardé comme involontairement privé d'emploi, tel n’est pas le cas lorsque la modification substantielle repose elle-même sur un motif légitime invoqué par l’employeur.

Tel est le cas ici où le recteur invoquait une affectation en fonction des besoins du service ce qui rendait nécessaire la modification substantielle du contrat primitif.

En soi ce raisonnement peut très bien être admis mais il autorise en pratique tant de dérives et de coups bas apparemment justifiés qu’il ne nous semble pouvoir être retenu que sous la condition d’un contrôle très étroit du juge sur les motifs de choix des lieux d’affectation, ceci pouvant aller jusqu’à un contrôle d’opportunité seul de nature à assurer la garantie effective des droits des salariés.

(8 novembre 2019, Ministre de l'éducation nationale, n° 408514)

 

63 - Liquidation de la pension d’un fonctionnaire - Greffier des services judiciaires - Application d’un coefficient au dernier traitement afférent à un emploi, grade, classe, échelon effectivement détenu pendant au moins six mois - Fonctionnaire reclassé par suite d’une réforme statutaire du corps auquel il appartient - Reclassement avec reprise d’ancienneté - Règle des six mois inapplicable à un simple reclassement.

La retraite d’un fonctionnaire - du moins jusqu’à la réforme que tente d’introduire un projet gouvernemental actuellement en débat - est calculée en appliquant un certain coefficient au dernier traitement afférent à un emploi, grade, classe, échelon effectivement détenu pendant au moins six mois.

En l’espèce, suite à la réforme statutaire du corps des greffiers des services judiciaires, l’intéressé a fait l’objet d’un reclassement afin que soit maintenue la continuité de sa carrière, ce qui a conduit à le faire passer d’une rémunération initiale à l’indice brut 638 à une rémunération à l’indice brut 675 à compter du 15 octobre 2015 avec reprise de son ancienneté.

Il a été radié des cadres lors de son départ en retraite le 1er avril 2016, toutefois sa pension n’a pas été liquidée sur la base du nouvel indice mais de celui antérieur.

Il saisit le Conseil d’État d’un pourvoi dirigé contre le jugement qui l’a débouté.

Ce pourvoi est rejeté car le code des pensions exige que les services   soient effectivement assurés durant six mois au moins ; la simple reprise d’ancienneté ne constitue pas une occupation effective du nouveau grade ou échelon. Or ici, cinq mois et demi seulement s’étaient écoulés entre l’arrêté de reclassement indiciaire et la mise à la retraite.

C’est donc à bon droit qu’appliquant la règle énoncée à l’art. 15 du code des pensions civiles et militaires de retraite, le tribunal administratif a rejeté la requête dont il était saisi. Dura lex sed lex.

(6 novembre 2019, M. X., n° 420979)

 

64 - Fonctionnaires et agents publics - Principe d’égalité de traitement - Règles différentes applicables à des situations différentes - Fusion de corps existants avec maintien provisoire des primes antérieures - Compatibilité avec le principe d’égalité - Rejet.

Un recours était dirigé contre certaines dispositions du décret du 17 juillet 2018 modifiant des décrets antérieurs relatifs à l'indemnité spécifique de service allouée aux ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts et aux fonctionnaires des corps techniques de l'équipement. Un décret d’avril 2018 ayant organisé l’intégration des membres du corps des inspecteurs des affaires maritimes, selon la nature des fonctions qu'ils exerçaient, soit dans le corps interministériel des attachés d'administration de l'État, soit dans le corps des ingénieurs des travaux publics de l'État, le décret attaqué modifie le régime des primes des membres du corps des ingénieurs des travaux publics de l'État. L’objet du litige est le maintien, au bénéfice des inspecteurs des affaires maritimes intégrés dans le corps des ingénieurs des travaux publics de l'État, du régime indemnitaire antérieur à leur intégration ; les requérants font valoir que cette différence de traitement entre agents d’un même corps est illégale car elle ne correspond à aucune différence de situation entre les uns et les autres.

Rejetant le recours, le Conseil d’État rappelle un principe constant et inaugure une précision jurisprudentielle. Tout d’abord, le juge rappelle que : «  L'égalité de traitement à laquelle ont droit les agents d'un même corps ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes, en particulier en instituant des régimes indemnitaires tenant compte de fonctions, de responsabilités ou de sujétions particulières ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un comme dans l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit ».

Ensuite, en venant à l’affaire en cause ici, où était contesté le maintien de primes antérieures à la fusion de deux corps, à certains seulement des membres d’un corps désormais unique, sans que cela soit justifié par des fonctions, responsabilités ou sujétions particulières. Il relève que : « L'intérêt général qui s'attache à la création de corps interministériels ou ministériels par la fusion de corps existants justifie ainsi le maintien de régimes indemnitaires différents au sein du nouveau corps, qui ne tiennent pas à la particularité des fonctions, responsabilités ou sujétions dès lors qu'une telle différence, ayant pour objet de faciliter la création du corps, disparaît à l'issue d'une période de transition d'une durée raisonnable ». En outre, est notée la réforme prochaine du régime indemnitaire des ingénieurs des travaux publics de l'État. D’où la décision de rejet du recours.

(6 novembre 2019, Fédération nationale de l'Équipement et de l'Environnement CGT et autres, n° 424391)

 

65 - Agents de l’administration pénitentiaire - Jours de grève non payés - Certificat médical justifiant l’absence - Référé provision - Octroi - Qualification inexacte des faits - Annulation de l’ordonnance.

Alors que la grève est interdite aux personnels des services extérieurs de l'administration pénitentiaire, un important mouvement de cessation du travail se produit dans les prisons. M. X. se voit retenir sur son traitement trois jours de rémunération correspondant à la durée de la « grève », ce qu’il conteste car il dispose d’un certificat médical d’arrêt du travail portant sur cette période ; il saisit le juge des référés d’une demande de provision égale au montant de la somme retirée de son traitement. Le premier juge a fait droit à cette demande mais, sur pourvoi de la garde des sceaux, le Conseil d’État annule cette ordonnance.

On sait que l’une des conditions essentielles à l’allocation d’une provision réside en ce que l'existence de l'obligation dont se prévaut le demandeur ne soit pas sérieusement contestable.

En réalité, le juge a la conviction que le certificat médical est de complaisance, relevant en particulier qu’au centre pénitentiaire de Maubeuge 98 agents sur 122 appartenant au corps concerné, ont cessé le travail durant les trois jours de « grève » et 89 d’entre eux (soit 91%) ont présenté des certificats médicaux. De plus, il constate que l'administration pénitentiaire soutient avoir été dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par le décret du 14 mars 1986.

Il en conclut que c’est par une inexacte qualification des faits que le juge des référés du tribunal administratif a jugé que la provision sollicitée n’était pas sérieusement contestable ; au contraire, elle l’était. D’où la cassation de l’ordonnance, sans renvoi évidemment.

(6 novembre 2019, Garde des sceaux, ministre de la justice, n° 428820)

 

Hiérarchie des normes

 

66 - Primauté des traités sur les lois - Contrariété d’une loi à une directive européenne - Exception d’inconventionnalité dirigée contre un décret - Régime contentieux - Inopérance - Rejet.

Le Conseil d’État était saisi d’un recours dirigé contre le décret n° 2017-1880 du 29 décembre 2017 relatif à l'abondement du compte personnel de formation des salariés licenciés à la suite du refus d'une modification du contrat de travail résultant de la négociation d'un accord d'entreprise. La confédération syndicale requérante soulevait par voie d’exception l'incompatibilité du VI de l'article L. 2254-2 du code du travail avec les objectifs définis à l'article 2 de la directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs.

Pour rejeter le recours, le juge rappelle que : « La contrariété d'une disposition législative aux stipulations d'un traité international ou au droit de l'Union européenne ne peut utilement être invoquée à l'appui de conclusions dirigées contre un acte réglementaire que si ce dernier a été pris pour son application ou si elle en constitue la base légale ».

Or en l’espèce, le décret attaqué faisait application du V de cet article et ces V et VI étant divisibles l’un de l’autre, les conditions d’examen de l’incompatibilité alléguée n’étaient point réunies, d’où le rejet du recours pour inopérance.

(6 novembre 2019, Confédération générale du travail (CGT), n° 418621)

 

Libertés fondamentales

 

67 - Étrangers - Demande d’asile - Obligation pour l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) de permettre un entretien personnel au demandeur d’asile - Cas du demandeur accompagné de ses enfants mineurs - Absence d’obligation d’entretien individuel avec ces derniers - Absence d’obligation subsistant en cas de demande d’asile formulée par un mineur, même devenu majeur entretemps, lorsque ses parents, eux-mêmes demandeurs ont été entendus lors d’un entretien - Cassation de l’arrêt de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) avec renvoi.

L'OFPRA a l’obligation d’accorder un entretien personnel, à sa demande, à tout demandeur d'asile. Quand celui-ci est accompagné d’enfants mineurs, l’OFPRA n’est pas obligé d’organiser un entretien avec ces derniers. Lorsque - comme c’était le cas de l’espèce - l'office a déjà entendu l'un au moins des parents, la demande émanant du mineur à être entendu s’analyse en une demande de réexamen : l’OFPRA n’a pas, en ce cas, d’obligation d’organiser un entretien.

En annulant le refus de l’OFPRA d’organiser un tel entretien en cette occurrence la CNDA a donc commis une erreur de droit ouvrant à la cassation de son arrêt.

(6 novembre 2019, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 422017)

 

68 - Étrangers - Demande d’asile rejetée définitivement - Maintien dans le local d’hébergement - Demande préfectorale d’expulsion au juge des référés - Demande rejetée pour cause de réexamen de la demande d’asile - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui, pour refuser d’ordonner l’expulsion d’occupants indus que lui demandait le préfet, se fonde sur ce que les intéressés ont formulé une demande de réexamen de leurs demandes d'asile et bénéficiaient d'une attestation de demandeurs d'asile valable jusqu’à une certaine date. En effet, si, aux termes de l’art.  L. 744-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), les demandeurs d’asile ont droit, en cas de besoin, à un hébergement pendant toute la durée d’instruction de leur demande et jusqu’à la date de leur transfert effectif, en revanche, ce droit disparaît en cas de demande de réexamen de la demande de protection asilaire (art. L. 744-8 CESEDA).

(6 novembre 2019, M. et Mme X., n° 427137)

 

69 - Étrangers - Demande d’asile - Bénéfice de l’aide juridictionnelle - Expiration du délai d’un mois - Irrecevabilité du recours entaché de forclusion - Exception en raison de l’information tardive de sa désignation donnée à l’auxiliaire de justice - Annulation et renvoi à la Cour nationale du droit d’asile.

Lorsque le demandeur d’asile qui a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle, saisit le juge plus d’un mois après que l’auxiliaire de justice a été informé de sa désignation, il est déclaré forclos et son recours est irrecevable.

Cependant, et c’était le cas de la présente affaire, lorsque l'auxiliaire de justice justifie avoir été informé de sa désignation à une date rendant en pratique impossible l'introduction du recours avant l'expiration de ce nouveau délai, le recours introduit dans le mois qui suit la date de cette information ne peut être regardé comme tardif. Solution satisfaisante que le juge fonde sur le souci d'assurer au requérant le bénéfice effectif du droit qu'il tient de la loi du 10 juillet 1991.

L’arrêt de la CNDA est cassé avec renvoi pour n’avoir pas retenu cette solution.

(29 novembre 2019, M. X., n° 415837 ; v. aussi, du même jour : M.X., n° 420515, et encore, avec une légère variante des faits : M. X., n° 421205)

 

70 - Étrangers réfugiés - Étranger bénéficiant du droit d’asile par extension de celui accordé à son conjoint - Principe général du droit de l’unité de la famille - Divorce subséquent à l’octroi de l’asile - Vérification de la possibilité ou non de maintenir le statut de réfugié - Rejet.

Lorsqu'une personne ayant obtenu la qualité de réfugié au titre de l'unité de la famille, à raison du statut dont bénéficie son conjoint, divorce d’avec celui-ci cela constitue un changement dans les circonstances ayant justifié la reconnaissance de la qualité de réfugié (dispositions combinées de la section C de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951relative aux réfugiés et de l'article L. 711-4 du CESEDA).

Il appartient, dès lors, à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) puis, le cas échéant, à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), d'apprécier, compte tenu de ce changement et au regard de l'ensemble des circonstances de l'espèce, si l'intéressé doit continuer, ou non, à bénéficier de la protection qui lui avait été accordée.

En l’espèce c’est sans dénaturation des pièces du dossier et sans erreur de droit que la cour a refusé au requérant le maintien de sa qualité de réfugié par extension.

(29 novembre 2019, M. X., n° 421523)

 

71 - Instruction interministérielle - Prise en charge des demandeurs d’asile - Extraction de données à partir d’un traitement autorisé par la CNIL - Incompétence négative alléguée - Demande de QPC - Incompétence - Rejet.

Les organismes requérants demandaient la suspension d’exécution et l’annulation d’une instruction interministérielle du 4 juillet 2019 relative à la coopération entre les services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO) et l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) pour la prise en charge des demandeurs d'asile et des bénéficiaires d'une protection internationale. Cette instruction a été prise sur le fondement du 6ème alinéa ajouté à l’art. L. 744-6 du CESEDA par la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.

De nombreux arguments sont invoqués au soutien des deux demandes, ils sont tous rejetés.

Le grief d’inconstitutionnalité pour cause d’incompétence négative affectant le droit au respect de la vie privée, le droit constitutionnel d'asile et le principe de confidentialité des demandes d'asile, est rejeté car le juge estime que le régime de traitement des données, qui était en cause, est conforme aux droits de l’Union et interne français d’autant que les dispositions contestées ne concernent pas le contenu même du droit d’asile. D’où le rejet de la demande de renvoi d’une QPC.

L’argument principal reposait sur l’incompétence des ministres pour prendre l’instruction litigieuse. En réalité, par application des principes de la jurisprudence Jamart (Section, 7 février 1936, n° 43321, Rec. 172), il est jugé qu’en leur qualité de chefs de services, lesdits ministres avaient compétence pour définir un traitement de données destiné à être utilisé par les services placés sous leur autorité. Il en va d’autant plus et d’autant mieux ainsi qu’en la matière l’organisation d’un traitement des données résultait d’une obligation légale. La circonstance que l’analyse d’impact devant être effectuée par le responsable d'un traitement de données n’ait pas eu lieu avant la prise de l’acte définissant le traitement n’affecte point la régularité de cet acte.

Enfin sont rejetés également tous les autres moyens tels que la méconnaissance par l’instruction critiquée du droit à la protection des données personnelles, la méconnaissance des dispositions du code de l'action sociale et des familles relatives à l'hébergement d'urgence (art. L. 345-2-2 et L. 345-2-3) ou encore l’atteinte qui serait portée au respect du domicile.

(6 novembre 2019, Fédération des Acteurs de la Solidarité et autres, n° 434376 et n° 434377)

 

72 - Union européenne - Liberté d'établissement et liberté de la prestation des services (art. 49 et 56 du TFUE) - Restrictions - Conditions de régularité des restrictions - Epilation au laser - Monopole des médecins en la matière - Absence de  nécessité d'un tel monopole en l'espèce - Demande d'abrogation - Refus - Irrégularité - Maintien de l'obligation de protection de la santé des intéressés - Annulation du refus implicite d'abrogation.

Les requérants demandent l'annulation du refus implicite opposé par la ministre de la santé à leur demande d'abrogation du 5° de l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 fixant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins ou pouvant être pratiqués également par des auxiliaires médicaux ou par des directeurs de laboratoires d'analyses médicales non-médecins. Par cet arrêté est maintenu le monopole des médecins pour pratiquer « Tout mode d'épilation, sauf les épilations à la pince ou à la cire », les requérants critiquant ce monopole en tant qu'il porte sur l'épilation pratiquée au laser ou à la lumière pulsée.

Après avoir constaté l'application au cas de l'espèce des principes européens de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services, le Conseil d’État relève qu'il résulte tant des art. 49 et 56 du TFUE que de la jurisprudence de la CJUE (19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes et autres et Helga Neumann-Seiwert contre Saarland et Ministerium für Justiz, Gesundheit und Soziales, aff. C-171/07 et C-172/07), que des restrictions peuvent être apportées à ces libertés si elles sont justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général, dès lors que ces mesures s'appliquent de manière non discriminatoire, sont propres à garantir, de façon cohérente, la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre.

Le refus de revenir sur le monopole des médecins en ce qui concerne l'épilation au laser s'analysant en une telle restriction, le Conseil d’État recherche s’il est justifié au regard des conditions susrappelées. Il juge qu'il ne ressort pas des éléments versés au dossier que seul un médecin puisse manipuler, sans risque pour la santé, des appareils à laser ou des appareils à lumière pulsée et que des mesures mieux adaptées, tenant par exemple à l'examen préalable des personnes concernées par un médecin et à l'accomplissement des actes par des professionnels qualifiés sous la responsabilité et la surveillance d'un médecin, ne puissent garantir la réalisation de l'objectif de protection de la santé publique poursuivi par la mesure critiquée. Le monopole est illégal et le refus implicite de l'abroger est annulé. Cependant il n'en reste pas moins que l'épilation n'est pas une opération neutre pour la santé. Il incombe donc à la ministre défenderesse de veiller à ce que soient édictées des mesures de protection de la santé.

D'où cette conclusion de l'arrêt, originale et bien venue : « L'annulation de cette décision ne saurait toutefois avoir pour effet de porter atteinte à la protection de la santé publique. Il y a lieu, dans ces conditions, d'en préciser la portée par des motifs qui en constituent le soutien nécessaire. Ainsi, la présente décision a nécessairement pour conséquence que les autorités compétentes sont tenues, dans un délai raisonnable, non seulement d'abroger le 5° de l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 en tant qu'il porte sur l'épilation au laser et à la lumière pulsée, mais aussi d'encadrer ces pratiques d'épilation par des mesures de nature à garantir, dans le respect des règles du droit de l'Union européenne relatives au libre établissement et à la libre prestation de services, la protection de la santé publique. "

(8 novembre 2019, M. X. et SELARL Docteur X., n° 424954)

 

73 - Procédure civile - Décret du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile  - Illégalité externe - Rejet - Objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et de clarté du droit - Atteinte à l'art. 6 de la Convention EDH - Mise en cause de règles ou principes fondamentaux relevant du domaine de la loi - Régime des consultations facultatives -  Droit d'accès au juge - Respect des droits de la défense - Bonne administration de la justice - Célérité de la procédure - Régime des exceptions et incidents de procédure - Régime de l'appel incident - Obligation de complétude des moyens  - Nouvelle définition de l'office du juge d'appel - Rejet.

Cette très longue décision - comme le montrent les nombreux mots-clés du "chapeau" ci-dessus - est signalée aux lecteurs de cette Chronique car elle touche à de nombreux articles, nouveaux, réécrits ou abrogés, du code de procédure civile, touchant en particulier la réforme de l'appel ainsi que le régime des exceptions ou incidents de procédure.

(13 novembre 2019, Conseil national des barreaux, n° 412255 ; Union des jeunes avocats (UJA) de Paris, n° 412286 ; Fédération nationale des unions des jeunes avocats (FNUJA), n° 412287 ; Ordre des avocats au barreau de Paris, n° 412308 ; Syndicat des avocats de France, n° 415651)

 

74 - Exécution des décisions de justice - Refus du concours de la force publique - Régime - Office du juge saisi une seconde fois après un premier refus - Dénaturation, en l'espèce, des pièces du dossier - Annulation et renvoi.

Rappels d'une jurisprudence désormais bien établie en matière d'exécution, par le recours à la force publique, des décisions de justice ayant force exécutoire.

Le juge indique tout d'abord l'obligation pour l'État (tant en vertu des dispositions de l'art. 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH qu'en vertu de l'art. L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution) de prêter main-forte, au besoin au moyen de la mise en mouvement de la force publique, à l'exécution des décisions de justice ayant force exécutoire. Il ne pourrait en aller autrement que dans deux cas : existence de considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public ou existence de circonstances postérieures à une décision de justice ordonnant l'expulsion d'occupants d'un local, faisant apparaître que l'exécution de cette décision serait de nature à porter atteinte à la dignité de la personne humaine.

Ensuite, lorsque, à la suite d'un premier refus de concours de la force publique, la décision de justice demeure inexécutée pendant une durée manifestement excessive au regard des droits et intérêts en cause, il incombe au représentant de l'État, alors même que des considérations impérieuses justifieraient toujours un refus de concours de la force publique, de rechercher toute mesure de nature à permettre de mettre fin à l'occupation illicite des lieux. S'il est alors saisi d'une demande d'annulation pour excès de pouvoir d'un nouveau refus de concours de la force publique, il appartient au juge administratif d'analyser les conclusions dont il est saisi comme dirigées non seulement contre ce refus, mais aussi, subsidiairement, contre le refus d'accomplir des diligences appropriées pour mettre en oeuvre l'obligation définie ci-dessus. Il lui appartient, par suite, de se prononcer sur la légalité du nouveau refus de concours, mais aussi, dans l'hypothèse où il juge que ce refus est légalement justifié, sur les diligences accomplies par le représentant de l'État. Dans cette dernière hypothèse, s'il annule la décision en tant qu'elle refuse d'accomplir des diligences appropriées, il peut, saisi de conclusions en ce sens, enjoindre au représentant de l'État, le cas échéant sous astreinte, d'accomplir de telles diligences, dans un délai qu'il fixe. 

En l'espèce, le Conseil d’État annule le refus du premier juge de condamner la puissance publique pour son refus de concours de la puissance publique pour assurer l'exécution d'un jugement car celui-ci se fonde sur des documents, dont l'un est trop ancien par rapport aux faits de la cause, et les autres rédigés en termes stéréotypés ne rendant pas compte des circonstances, réalisant ainsi une dénaturation des pièces du dossier.

(13 novembre 2019, Société Usine du Marin, n° 415262)

 

Procédure contentieuse

 

75 - Pourvoi en cassation - Qualité de partie à l'instance - Absence - Pourvoi irrecevable - Qualité de partie reconnue à tort en première instance - Reconnaissance sans effet sur l'irrecevabilité du pourvoi - Rejet.

Rappel de la solution classique selon laquelle : « La voie du recours en cassation n'est ouverte, suivant les principes généraux de la procédure, qu'aux personnes qui ont eu la qualité de partie dans l'instance ayant donné lieu à la décision attaquée. Doit être regardée comme une partie à l'instance devant les juges du fond la personne qui a été invitée par la juridiction à présenter des observations et qui, si elle ne l'avait pas été, aurait eu qualité pour former tierce opposition contre la décision rendue par les juges du fond ». En revanche, ne revêt pas une telle qualité, une personne mise en cause pour observations par une juridiction et que cette dernière a regardé à tort comme partie à l'instance.

(8 novembre 2019, Commune de Montreuil, n° 425177)

 

76 - Détenu mis à l'isolement carcéral - Référé - Présomption d'urgence - Distinction selon le référé en cause (suspension, L. 521-1 CJA, ou liberté, L. 521-2 CJA) - Absence ici au regard des exigences procédurales propres au référé-liberté - Rejet.

Un détenu mis à l'isolement carcéral a saisi le juge d’un référé-liberté dirigé contre cette décision.

Cette affaire conduit le Conseil d’État, d'une part, à accentuer le caractère de droit commun du référé-suspension par rapport aux autres référés, ainsi cette voie de droit est ouverte même quand un texte prévoit le recours à une autre forme de référé (tel l'art. 726-1, alinéa 3, du code de procédure pénale), d'autre part, à juger que la notion d'urgence est appréciée différemment selon la procédure de référé utilisée. Ainsi, si la mise à l'isolement d'un détenu constitue une présomption d'urgence dans le cadre d'un référé-suspension il n'en va pas de même dans le cas d'un référé-liberté : en ce second cas « il appartient, en revanche, à la personne détenue qui saisit le juge des référés (liberté) de justifier de circonstances particulières caractérisant, au regard notamment de son état de santé ou des conditions dans lesquelles elle est placée à l'isolement, la nécessité, pour elle, de bénéficier à très bref délai, du prononcé d'une mesure de sauvegarde sur le fondement de (l'art. L. 521-2 CJA) ».

On sera dubitatif sur cette solution : pourquoi ne pas apercevoir une présomption d'urgence dans tous les cas de mise à l'isolement et vérifier seulement la satisfaction de la seconde condition - d'ailleurs spécifique pour chacun de ces deux référés - pour que soit accordé ou non le bénéfice du référé sollicité ? De plus, elle place détenus et juges dans une position délicate tant elle recèle de complexité et de subtilité d'analyse au sein d'une procédure qui se veut pourtant d'"urgence".

(20 novembre 2019, M. X., n° 435785)

 

77 - Appel - Évocation - Examen des moyens de première instance - Réexamen intégral de ces moyens sauf renonciation expresse - Annulation avec renvoi.

Rappel - opportun - de ce que lorsque le juge d'appel statue par la voie de l'évocation, il est tenu d'examiner l'ensemble des moyens soulevés en première instance même lorsqu'ils n'ont pas été repris devant lui, à la seule exception des moyens qui ont été expressément abandonnés en appel.

(27 novembre 2019, Mme X., n° 426593)

 

78 - Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) - Fondements possibles de cette obligation - Régime contentieux - Formation compétente - Formation collégiale ou juge statuant seul.

Dans cet avis contentieux le Conseil d’État répond à une série de questions que lui a renvoyées un tribunal administratif, relatives au statut contentieux de certains litiges liés à une OQTF.

Trois réponses, parmi d’autres, très constructives en l’état des textes, sont intéressantes.

Les deux premières concernent le régime du recours contentieux formé par l’étranger dans l’hypothèse où, un refus d’autorisation de séjour lui ayant été opposé et ce refus étant devenu définitif et l’étranger s’étant maintenu sur le territoire français, le préfet prend une décision d’OQTF en se fondant sur la décision de refus.

En premier lieu, le Conseil d’État estime qu’il n’est pas possible à cet étranger d'exciper de l'illégalité du titre de séjour. En second lieu, s’agissant d’un recours de plein contentieux, le juge est tenu, pour apprécier la légalité de la mesure d'éloignement au regard du droit au séjour de l'étranger, de se placer à la date de l'OQTF.

Enfin, répondant à la question de savoir quelle formation est compétente au sein du tribunal administratif lorsque celui-ci est saisi d'un recours pour excès de pouvoir exercé à l'encontre d'une obligation de quitter le territoire français, la distinction suivante doit être opérée. 1°) Si l’OQTF est fondée sur les 3°, 5°, 7° ou 8° du I de l'article L. 511-1 du CESEDA et que le tribunal administratif constate que cette décision aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement, des 1°, 2°, 4° ou 6° du I du même article, il peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la mesure d'éloignement attaquée sans avoir à renvoyer l'examen du recours au président du tribunal ou au magistrat désigné par lui. 2°) En revanche, l’inverse n’a pas lieu : si le recours pour excès de pouvoir est exercé à l'encontre d’une OQTF fondée sur les 1°, 2°, 4° ou 6° du I de l'article L. 511-1 précité et que le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin constate que cette décision aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement des 3°, 5°, 7° ou 8° du I du même article, il ne peut, dès lors que le législateur a expressément prévu la compétence de la formation collégiale du tribunal administratif pour statuer sur la légalité des OQTF assorties d'un délai de départ volontaire fondées sur ces dispositions, procéder à une substitution de la base légale de la décision attaquée sans renvoyer l'examen du recours à cette formation collégiale de jugement.

On ne peut s’empêcher de trouver ceci trop complexe, au surplus s’agissant de procédures destinées à régir des situations où sont en cause des étrangers, plus ignorants encore que les nationaux français des subtilités, vénéneuses ici, du contentieux administratif.

(Avis, 6 novembre 2019, Mme X., n° 431585)

 

79 - Incompétence d'une cour administrative d'appel pour statuer sur l'appel dirigé contre un jugement rendu en matière de taxe sur les surfaces commerciales - Erreur de droit à inviter le requérant à indiquer le maintien de sa requête puis à le regarder comme s'étant désisté d'office faute de réponse dans le délai fixé - Cassation - Invitation à régulariser le pourvoi par le ministère d'un avocat aux conseils.

Dans le contentieux de la taxe sur les surfaces commerciales, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort, seul un pourvoi en cassation étant possible. Commet donc une erreur de droit la cour administrative d'appel qui, incompétente pour statuer sur ce litige, invite le requérant à indiquer s'il maintient ses conclusions puis, ayant relevé son silence dans le délai imparti pour sa réponse, le déclare s'être désisté d'office. En revanche, le pourvoi devait être formé par un avocat aux conseils, d'où l'invitation adressée au requérant de régulariser sous deux mois les conditions de présentation de son pourvoi.

(18 novembre 2019, SAS Europe Automobiles, n° 414518)

 

80 - Contentieux sociaux - Allocation aux adultes handicapés - Compétence contentieuse - Régime spécifique en cas d’incompétence de la juridiction saisie - Renvoi direct à l’autre ordre de juridiction - Absence de saisine du Tribunal des conflits - Rejet.

Rappel du principe, souvent ignoré, posé par la dernière phrase du premier alinéa de l'article 32 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles : « (…) Toutefois, lorsque la juridiction est saisie d'un contentieux relatif à l'admission à l'aide sociale tel que défini par le code de l'action sociale et des familles ou par le code de la sécurité sociale, elle transmet le dossier de la procédure, sans préjuger de la recevabilité de la demande, à la juridiction de l'autre ordre de juridiction qu'elle estime compétente par une ordonnance qui n'est susceptible d'aucun recours ».

Ici, le litige portait sur l’allocation aux adultes handicapés, celle-ci relevant du contentieux général de la sécurité sociale et non du contentieux de l'admission à l'aide sociale tel que défini à l'article L. 142-3 du code de la sécurité sociale, non plus que du contentieux de l'admission à l'aide sociale relevant du code de l'action sociale et des familles, le président du tribunal administratif n'était pas dans la situation, prévue par l'article 32 du décret précité du 27 février 2015, où il devait transmettre le dossier de la procédure à la juridiction de l'autre ordre de juridiction qu'il estimait compétente. Toutefois, la demande de Mme X. relevant bien, pour un autre motif, de la compétence du tribunal de grande instance, l'ordonnance qu'elle attaque ne lui fait pas grief en tant qu'elle transmet le dossier de la procédure à cette juridiction.

Le pourvoi est rejeté pour un motif expédient certes mais que l’on ne peut qu’approuver.

(6 novembre 2019, Mme X., n° 432143)

 

81 - Règle générale de procédure - Obligation de mentionner les textes dont la juridiction fait application - Règle s’imposant à la juridiction des pensions - Caractère irrégulier du défaut de mention - Annulation même lorsque le texte utilisé est évident.

Rappel sévère et sec de ce qu’ « Au nombre des règles générales de procédure que les juridictions des pensions sont tenues de respecter figure celle selon laquelle leurs décisions doivent mentionner les textes dont elles font application ». Le défaut d’une telle mention entache d’irrégularité la décision rendue même dans le cas où la source scripturaire de celle-ci est évidente.

(8 novembre 2019, Mme X., n° 421048)

 

82 - Représentation des parties devant le juge administratif - Mandataires autorisés - Avocat ou avocat aux conseils - Invitation à confirmer le maintien des conclusions d'une requête à peine de désistement d'office - Substitution d'un nouveau mandataire au précédent - Invitation adressée à ce dernier seul et non à la requérante - Validité - Rejet.

L'art. R. 612-5-1 du CJA permet au juge doutant que la requête introduite conserve encore un intérêt pour son auteur de l'inviter à confirmer le maintien de celle-ci, à peine, à défaut de réponse dans le délai fixé - qui ne peut être inférieur à un mois - de le réputer s'être désisté d'office. Cette demande est adressée au mandataire du demandeur. Lorsque celui-ci déclare n'être plus le mandataire et indique qui est son successeur, la juridiction doit adresser sa demande à ce dernier. Faute pour celui-ci d'avoir répondu dans le délai qu'elle a fixé, la juridiction doit  déclarer son client comme s'étant désisté de l'ensemble de ses conclusions, sans qu'il y ait lieu pour elle de s'adresser directement à ce dernier pour l'interroger sur le maintien ou non de ses conclusions. Ceci constitue une réitération de : 21 février 2000, Ville d'Annecy, n° 196405. C'est l'application du principe énoncé à l'art. R. 431-1 du CJA selon lequel, en cas de représentation des parties en justice, les actes de procédure ne sont accomplis qu'à l'égard du seul mandataire, sauf l'exception constituée par les art. R. 751-3 et suivants

 (13 novembre 2019, Mme X., n° 417855 ; v. aussi, soulevant des questions voisines, du même jour : M. X., n° 422938)

 

83 - Référé provision - Litige pour rémunérations impayées - Recours n'ayant pas en l'espèce la nature d'une action indemnitaire - Recours contre l'ordonnance en référé provision constituant un appel - Incompétence du Conseil d’État saisi - Renvoi à la cour administrative d'appel.

Le référé provision introduit par un agent public tendant au versement de rémunérations impayées, sans que soit mise en cause la responsabilité de la personne publique qui l'emploie, ne soulève pas un litige entrant dans l'une des catégories énumérées aux 1° à 9° de l'article R. 811-1 du CJA et, notamment, ne constitue pas une action indemnitaire au sens des dispositions du 8° de cet article.

Il suit de là que la requête de la commune de Néoules, défenderesse, dirigée contre une ordonnance du juge des référés rendue sur la demande de l'un de ses agents tendant au versement d'une provision au titre de la bonification indiciaire, a le caractère d'un appel qui ne ressortit pas à la compétence du Conseil d’État, juge de cassation, mais à celle de la cour administrative d'appel de Marseille.

(21 novembre 2019, Commune de Néoules, n° 430797)

 

84 - Désistement d'office pour non-production, dans le délai imparti, du mémoire récapitulatif (art. R. 611-8-1 CJA) - Contrôle contentieux de l'ordonnance donnant acte de ce désistement - Étendue du contrôle respectivement en appel et en cassation - Rejet.

Lorsque, en vertu des dispositions de l'art. R. 611-8-1 CJA, il est demandé à l'une des parties de reprendre, dans un mémoire récapitulatif, les conclusions et moyens précédemment présentés dans le cadre de l'instance en cours, celle-ci est informée en même temps que, si elle donne suite à cette invitation, les conclusions et moyens non repris seront réputés abandonnés. Lorsqu'aucune suite n'est donnée à cette demande il est donné acte à la partie intéressée de son désistement.

Quel contrôle s'exerce, en appel puis en cassation en cas de contestation de l'ordonnance prenant acte du désistement ?

Selon le Conseil d’État, le  juge d'appel doit, d'abord, vérifier que l'intéressé a bien reçu la demande de production d'un mémoire récapitulatif, qu'il a bien été informé qu'il disposait du délai d'un mois à cet effet  et qu'à défaut de réponse dans ce délai il serait réputé s'être désisté, ensuite, que le requérant s'est abstenu de répondre en temps utile, enfin, il doit apprécier si le premier juge, dans les circonstances de l'affaire, a fait une juste application des dispositions de l'article R. 611-8-1. Le juge de cassation ne peut remettre en cause cette dernière appréciation du juge d'appel que dans le cas où il estime, au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, qu'il a été fait un usage abusif de la faculté ouverte par ces dispositions.

Pour justifiée que cette solution puisse apparaître au regard des fonctions respectives de l'appel et de la cassation, elle introduit une subtilité dont la pratique pourra révéler l'effet délétère.

(22 novembre 2019, Société SMA, n° 420067)

 

85 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort - Décisions non réglementaires de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé - Compétence du juge de droit commun - Renvoi au tribunal administratif.

Rappel de ce que : « Les décisions par lesquelles l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé identifie une spécialité pharmaceutique comme générique d'une spécialité de référence ne présentent pas de caractère réglementaire. Il en va de même des décisions par lesquelles le directeur de cette agence procède à l'inscription d'une spécialité pharmaceutique au répertoire des groupes génériques en créant à cette fin, le cas échéant, un nouveau groupe générique au sein de ce répertoire. Les recours dirigés contre ces décisions ne relèvent donc pas de la compétence (directe) du Conseil d’État en application de l'article R. 311-1 du code de justice administrative ».

(15 novembre 2019, Société Boehringer Ingelheim International GmbH et Société Boehringer Ingelheim France, n° 433009)

 

86 - Référés spéciaux - Référé précontractuel (art. L. 551-1 CJA) - Obligation d’une audience publique - Saisine du juge du référé précontractuel avant la décision d’attribution du contrat - Cassation de l’ordonnance de référé et renvoi.

Rappel de deux précisions majeures en matière de procédure du référé précontractuel.

Premier rappel : Il résulte de l’importance des pouvoirs conférés au juge par l’art. L. 551-1 CJA et de la circonstance que l'ordonnance rendue par le juge n'est pas susceptible d'appel, que les parties doivent être mises à même de présenter au cours d'une audience publique des observations orales à l'appui de leurs observations écrites.

Second rappel : Les dispositions de l’art. R. 551-1 CJA selon lesquelles « Le juge (du référé précontractuel) ne peut statuer avant le seizième jour à compter de la date d'envoi de la décision d'attribution du contrat aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre »,  n'ont ni pour objet, ni pour effet, d'exclure une saisine du juge du référé précontractuel avant la décision d'attribution car elles n’ont vocation à s'appliquer que dans l'hypothèse où la saisine du juge intervient après l'envoi de la décision d'attribution aux candidats ou soumissionnaires non retenus, lorsque les textes prévoient une telle information et un délai entre celle-ci et la signature du contrat.

Pour n’avoir pas satisfait à ces éléments l’ordonnance du premier juge est annulée.

(22 novembre 2019, Société d'exploitation de l'Aqua Club, n° 433716)

 

87 - Moyen soulevé en première instance - Moyen repris en appel sous une formulation différente - Juridiction d’appel adoptant les motifs des premiers juges - Motivation suffisante - Conditions - Rejet.

Rappel d’une solution bien établie.

En présence d'une formulation différente d'un moyen examiné par le tribunal administratif, le juge d'appel peut se prononcer sur ce moyen par adoption des motifs des premiers juges sans méconnaître le principe de motivation des jugements, rappelé à l'article L. 9 du code de justice administrative, dès lors que la réponse du tribunal à ce moyen était elle-même suffisante et n'appelait pas de nouvelles précisions en appel.

(27 novembre 2019, Mme X., n° 422211)

 

88 - Appel - Obligation de joindre la copie du jugement attaqué - Irrecevabilité de l’appel en cas de défaut de production du jugement - Communication erronée d’un jugement rendu sur le même litige - Irrecevabilité prononcée à tort - Cassation avec renvoi.

Le code de justice administrative (art. R. 412-1 et R. 811-13) prévoit que les requêtes d'appel sont, à peine d'irrecevabilité, accompagnées d'une copie du jugement attaqué.

La société demanderesse s’était trompée en joignant à son appel non la copie du jugement attaqué mais celle d’un autre jugement rendu dans le même litige mais pas à son encontre. Jugeant cette erreur non régularisable, cette obligation de joindre le jugement attaqué ayant été mentionnée dans la communication du jugement de première instance, la cour a rendu une ordonnance d’irrecevabilité.

Jugeant sans doute cette solution trop sévère dans les circonstances de l’espèce, le Conseil d’État a estimé qu’il avait été fait une inexacte application des dispositions applicables. Cette solution doit être approuvée.

(27 novembre 2019, Société SMACL Assurances, n° 424456)

 

89 - Proposition par le juge d’une médiation - Caractère de mesure d’instruction - Absence - Rejet.

La décision d’un juge administratif de proposer aux parties le recours à une médiation n’a pas la nature d’une mesure d’instruction. Elle peut donc être proposée sans réouverture de l’instruction et cette absence de réouverture ne constitue pas une irrégularité.

(7 novembre 2019, Syndicat d'élimination et de valorisation énergétique des déchets de l'Estuaire (SEVEDE), venant aux droits de la communauté urbaine " Le Havre Seine Métropole ", n° 431146) v. aussi n° 18

 

Procédure administrative non contentieuse

 

90 - Médecins chargés d’un service public - Régime disciplinaire - Obligation d’un recours administratif préalable avant la saisine du juge - Absence - Dérogation au droit commun ordinal - Erreur de droit - Annulation de l’arrêt d’appel et renvoi au tribunal administratif.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge que les décisions par lesquelles un conseil départemental de l'ordre des médecins a refusé de traduire des praticiens concernés devant la chambre disciplinaire étaient au nombre de celles pour lesquelles l'article R. 4127-112 du code de la santé publique exige un recours administratif préalable et que les conclusions à fin d'annulation de l’intéressé devaient être regardées comme dirigées contre les décisions du Conseil national de l'ordre des médecins, substituées à celles du conseil départemental en application de cet article.

En effet,  les décisions visées par ce texte sont seulement les décisions d'ordre administratif prises par les instances ordinales en application du code de déontologie des médecins, lesquelles ne comprennent pas les décisions que ces instances peuvent prendre en matière disciplinaire, comme celles qui sont mentionnées aux articles L. 4124-2, s’agissant des médecins chargés d'un service public et inscrits au tableau de l'ordre, lorsqu'ils sont poursuivis du chef d’actes de leur fonction publique, et L. 4123-2 du code de la santé publique, qui énumère limitativement les personnes et les autorités publiques ayant le pouvoir de traduire un médecin devant la juridiction ordinale disciplinaire.

(6 novembre 2019, Conseil national de l'ordre des médecins, n° 414356)

 

Professions réglementées

 

91 - Médecins libéraux - Interdiction de recourir à la publicité - Principe de la libre prestation de services - Contrariété - Annulation.

Un médecin libéral demandait l’annulation de la décision implicite de la ministre de la santé refusant d’abroger, notamment, la seconde phrase de l’art. R. 4127-19 du code de la santé publique selon laquelle : « Sont interdits (aux médecins) tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale ».

Le Conseil d’État constate, un peu à regret semble-t-il, - ce qui se comprend -, que l’interprétation donnée de l’art. 56 TFUE (« (…) les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation (...)) par la CJUE ( 4 mai 2017, Nederlandstalige rechtbank van eerste aanleg te Brussel, strafzaken c/ Luc Vanderborght, aff. C-339/15, où on lit : « l'article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation nationale (...) qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires (...) ») conduit à déclarer illégal le refus d’abrogation de l’art. R. 4127-19 du code de la santé publique opposé par la ministre de la santé.

(6 novembre 2019, M.X., n° 416948)

 

92 - Masseurs-kinésithérapeutes - Diplôme professionnel délivré par une université - Refus de reconnaissance d’un diplôme d'université d'études complémentaires de kinésithérapie du sport - Erreur de droit dans l’application des dispositions du code de la santé publique - Annulation avec injonction de réexaminer, sous deux mois, la demande rejetée.

Un masseur-kinésithérapeute s’étant vu refuser par le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes la reconnaissance du diplôme universitaire d'études complémentaires en kinésithérapie du sport que lui a délivré l'Université de Nice, saisit le Conseil d’État. Celui-ci lui donne raison.

Pour refuser cette reconnaissance, le Conseil national de l’ordre s’est fondé, d’une part, sur la non-conformité aux données actuelles de la science, au sens des dispositions de l'article R. 4321-80 du code de la santé publique, des techniques dites " Tecar thérapie ", " ventouses " et " kinésio-taping " figurant dans le programme d'enseignement du diplôme universitaire en cause, et d’autre part, sur la méconnaissance, par cet enseignement, de l'interdiction, posée à l'article R. 4321-65 du même code, de divulguer auprès d'un public non professionnel des pratiques insuffisamment éprouvées.

Guère convaincu par ces motifs, le Conseil d’État estime que le Conseil national de l’ordre « doit cependant tenir compte de la place relative dévolue aux techniques en cause dans la formation et des modalités de la présentation qui est prévue, la présentation des caractéristiques et des risques de certaines techniques encore peu éprouvées n'étant pas nécessairement à exclure de la formation des praticiens ».

Par ailleurs, et peut-être surtout, il estime :

-       d’abord, que cette décision n’a pas tenu compte de ce que le programme de la formation en litige ne réservait qu'une place très limitée à la présentation des techniques controversées, inférieure à cinq pour cent du volume d'heures total ;

-       ensuite, qu’il n'est ni établi ni même allégué que les modalités prévues pour cette présentation méconnaîtraient les principes déontologiques applicables ;

-       enfin, s'il est soutenu que ces techniques ne présentent pas une efficacité suffisamment établie, il n'est pas allégué qu'elles présentent un danger pour les patients.

Le Conseil d’État considère que l’instance ordinale a commis une erreur de droit dans l’application des textes du code de la santé publique qu’elle vise et, annulant cette décision, enjoint à celle-ci de procéder sous deux mois à un nouvel examen de la demande de reconnaissance du diplôme universitaire litigieux.

(22 novembre 2019, M.X., n° 430764)

Question prioritaire de constitutionnalité

93 - Imposition d’après le bénéfice réel - Crédit d’impôt recherche - Violation prétendue de l’égalité devant la loi et de l’égalité devant les charges publiques - Cas des art. L. 199 ter B du CGI et art. L. 169 et L. 190 du livre des procédures fiscales (LPF) - Absence de prescription opposable à l’administration fiscale - Cas de la demande en restitution d'une créance de crédit d'impôt recherche - Refus de renvoi d’une QPC.

Dans le cadre d’une action en restitution de son crédit d'impôt au titre de dépenses de recherche, la société requérante a soulevé une QPC. Celle-ci porte sur la différence de traitement existant, du fait d’une interprétation jurisprudentielle du Conseil d’État, en matière de demande de remboursement d’une créance de crédit d’impôt recherche. En effet, selon le cas, il existe, ou non, un délai de prescription et cette différence porterait atteinte aux deux principes, d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques. Lorsque la demande de remboursement d'une créance de crédit d'impôt recherche s’inscrit dans le cadre d’une procédure de reprise ou de redressement, la prescription applicable à l’administration est de trois ans à compter de la date à laquelle est constatée cette créance. En revanche, lorsque la demande de remboursement d'une créance de crédit d'impôt recherche est présentée sur le fondement des dispositions de l'article 199 ter B du CGI, elle constitue une réclamation et le délai de prescription ne joue pas.

Pour estimer cette différence non contraire à une disposition constitutionnelle, le Conseil d’État se borne à énoncer qu’ « Un contribuable qui fait l'objet d'une procédure de reprise décidée par l'administration ne se trouve pas dans la même situation qu'un autre contribuable qui demande la restitution d'une créance fiscale. En raison de cette différence de situation, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les règles qui lui sont applicables quant à l'exercice par l'administration de ses pouvoirs de contrôle, en particulier l'absence de règle de prescription du droit de celle-ci de remettre en cause le montant de la créance dont elle demande le remboursement, seraient contraires au principe d'égalité ». Non sérieuse, la QPC n’est pas renvoyée.

La décision pèche par son laconisme extrême : son libellé ne permet pas de comprendre comment et pourquoi une différence de situation justifie l’absence de prescription. C’est au juge à démontrer en quoi il est constitutionnel, ici, de traiter différemment ces situations au regard de l’objet de la prescription. Il faut regretter ce jeu du Sphinx.

(6 novembre 2019, Société de diffusion et de conditionnement (Sodico), n° 433682)

 

94 - Interdiction de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives - Atteinte à la liberté d’entreprendre - Caractère sérieux - Renvoi d’une QPC.

La question de la conformité à la Constitution, au regard de la liberté d’entreprendre,  du IV de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime (qui dispose : « Sont interdits à compter du 1er janvier 2022 la production, le stockage et la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale ou de l'environnement conformément au règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 précitée, sous réserve du respect des règles de l'Organisation mondiale du commerce »), présente un caractère sérieux justifiant son renvoi au Conseil constitutionnel.

(7 novembre 2019, Union des industries de la protection des plantes, n° 433460)

 

95 - Prestation compensatoire (art. 274 et s. C. civ.) - Versement pour partie en capital et pour partie sous forme de rente - Régime fiscal différent selon que le versement en capital intervient dans une période d'une durée inférieure ou supérieure à douze mois - Moyen sérieux - Renvoi d'une QPC.

Il est jugé que présente un caractère sérieux et que doit être renvoyé au Conseil constitutionnel le moyen tiré de ce que, en cas de paiement d'une prestation compensatoire à la fois sous forme d'un capital et sous forme de rente, le traitement fiscal de la partie en capital versée dans une période inférieure à douze mois méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques dès lors que le montant versé n'ouvre droit ni à la réduction d'impôt prévue à l'article 199 octodecies du CGI ni à la déduction du revenu global prévue au 2° du II de l'article 156 du CGI, alors que le même montant est déductible lorsque la partie de la prestation compensatoire sous forme d'un capital est versée sur une période supérieure à douze mois ou bénéficie de la réduction d'impôt précitée lorsque la prestation compensatoire est versée uniquement sous forme de capital sur une période inférieure de douze mois.

(15 novembre 2019, M. X., n° 434325)

 

Responsabilité

 

96 - Préjudice résultant d’une décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) - Compétence des juridictions de l’ordre judiciaire - Obligation pour l’État d’assurer la scolarisation de tous les enfants - Responsabilité de l’État à raison de défaillances dans l’exercice de cette obligation - Condition d’imputabilité - Absence - Rejet.

Les parents d’une enfant atteinte de surdité demandent réparation du préjudice causé à leur fille dont la scolarisation a été interrompue pendant deux années.

Ce dysfonctionnement a pour cause une décision incomplète de la commission départementale des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) or le contentieux des décisions de cette commission prises, comme en l’espèce, sur le fondement des dispositions de l'article L. 241-9 du code de l'action sociale et des familles, relève du juge judiciaire.

Par ailleurs, l’État a l’obligation d’assurer une scolarisation à tous les enfants en âge pour cela quelle que soit leur condition physique. À défaut, il engage sa responsabilité sur le fondement de la faute. Une fois ce principe essentiel rappelé le juge rejette ici la demande de réparation du préjudice causé à l’enfant car ce préjudice, dans les circonstances de l’espèce, n’est pas imputable à l’État qui n’avait ni compétence pour décider ni pouvoir de se substituer à la CDAPH.

(8 novembre 2019, M. X. et Mme Y., n° 412440)

 

97 - Retard excessif à prendre les mesures réglementaires d'application d'une loi - Protection des majeurs en Polynésie française - Comportement fautif - Conditions de l'action en réparation - Annulation et injonction.

Le requérant, qui se prévaut de la qualité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs, demande la réparation du préjudice qui lui est causé par l'absence de textes réglementaires d'application des art. L. 471-5 et L. 564-3 du code de l'action sociale et des familles.

Rappelant que la prise des mesures réglementaires d'application des lois, qui incombe au premier ministre, non seulement lui donne compétence à cet effet mais, surtout, lui impose l'obligation de le faire et cela dans un délai raiosonnable.

Ce délai étant dépassé en l'espèce, selon le juge, l'intéressé est recevable à demander réparation.

Toutefois, encore faut-il, pour obtenir réparation, que cette action soit fondée, c'est-à-dire que doit être établie l’existence, d'une part, d'un préjudice subi par le requérant, et, d'autre part, d'un lien direct de causalité entre ce préjudice et le dépassement du délai raisonnable dont disposait le pouvoir réglementaire pour prendre les mesures d'exécution qu'imposaient les dispositions précitées du code de l'action sociale et des famlilles.

Ces conditions sont jugées réunies en l'espèce.

(13 novembre 2019, M. X., n° 416546)

 

98 - Occupants sans titre d'une propriété privée - Concours de la force publique en vue de leur expulsion en exécution d'un jugement passé en force de chose jugée - Droit à indemnisation jusqu'au départ effectif des occupants - Réinstallation postérieure desdits occupants - Nécessité d'une nouvelle demande de concours de la force publique - Absence de caractère continu du préjudice - Cassation partielle avec renvoi dans cette mesure.

En principe, sauf circonstances particulières, le bénéficiaire d'une décision de justice ordonnant l'expulsion d'occupants illicites de sa propriété a droit au concours de la force publique et, en cas de carence de celle-ci, à la réparation des préjudices qui en résultent. En revanche, si, après leur départ, lesdits occupants réinvestissent les lieux le propriétaire doit solliciter à nouveau le concours de la force publique et peut, le cas échéant, obtenir l'indemnisation du préjudice nouveau qui résulterait alors de son éventuelle carence. Il ne peut rattacher ce préjudice au premier en faisant l'économie d'une seconde demande - vaine - de concours de la force publique.

(21 novembre 2019, Me X., agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société SMPA Transmar et M. Y., gérant de cette société, n° 417631)

 

99 - Contamination transfusionnelle - Régime de prescription de l'action en responsabilité en cas d'action subrogatoire - Action subrogatoire des tiers payeurs contre l'Etablissement français du sang (EFS) - Prescription décennale (art. L. 1142-28 c. de la santé publique) - Rejet.

Ne commet pas d'erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que dès lors que l'article L.1221-14 CSP, d'une part, a substitué à l'action des victimes contre l'EFS une action en indemnisation par l'ONIAM, laquelle se prescrit par dix ans à compter de la consolidation du dommage (cf. art.  L. 1142-28 CSP) et, d'autre part, a également ouvert aux tiers payeurs une action subrogatoire contre l'EFS, cette dernière doit être regardée comme obéissant aux mêmes règles de prescription que l'action des victimes contre l'ONIAM, soit dix ans à compter de la consolidation du dommage.

(22 novembre 2019, Etablissement français du sang, n° 419941)

 

100 - Femme enceinte - Consultation libérale à l'hôpital public - Régime de responsabilité : responsabilité sous régime de droit privé - Service public hospitalier - Défaut d'information d'une femme enceinte sur les risques encourus du fait de son état - Faute simple du centre hospitalier engageant sa responsabilité - Cassation partielle avec renvoi.

Dans le cadre d'une action en responsabilité dirigée contre un hôpital public pour faute dans le suivi d'une grossesse, le Conseil d’État apporte deux précisions.

En premier, les conséquences éventuellement dommageables des consultations données par un praticien dans un hôpital public dans un cadre libéral ne peuvent donner lieu à la mise en jeu de la responsabilité de cet hôpital.

En second lieu constitue une faute du service public hospitalier la circonstance que celui-ci n'ait pas informé une femme enceinte, même à un stade avancé de la grossesse, du risque que son enfant soit atteint de trisomie 21 ou de l'intérêt de pratiquer des examens afin de détecter d'éventuelles affections du foetus, cela alors même que cette personne avait été suivie jusque-là dans un autre cadre.

(13 novembre 2019, M. X. et autres, n° 420299)

 

101 - Police municipale de la baignade - Zone propice à des attaques de requins - Signalisation de dangers sans spécifier leur nature - Interdiction de la baignade - Obligation d'information satisfaite - Absence de faute - Rejet.

Saisie par l'intéressé, son épouse et ses enfants, d'une demande d'indemnisation du chef des préjudices subis par lui alors qu'il pratiquait le surf sur une plage de La Réunion, par suite d'une attaque de requins, la cour administrative d'appel a rejeté cette demande car elle a estimé qu'aucune faute à l'origine du dommage ne pouvait être reprochée au maire de la commune.

Celui-ci avait, d'une part, pris un arrêté portant réglementation de la baignade, qui désignait cette plage comme un endroit dangereux, dont l'accès ne pouvait se faire qu'aux risques et périls de la population et qui y interdisait la baignade et, d'autre part, fait installer de manière visible sur le site un panneau sur lequel était mentionné : « baignade interdite, site dangereux, accès à vos risques et périls ». Alors que les demandeurs reprochaient au maire de n'avoir pas indiqué que le danger était constitué par le risque d'attaques par des requins, la cour a estimé suffisante l'information figurant dans l'arrêté et sur la plage même.

En outre, surfeur confirmé, la victime connaissait bien cet endroit, habitant l'île de La Réunion depuis trente ans et ne pouvait ignorer la présence de requins.

En l'absence de faute de la commune ayant joué un rôle causal dans la réalisation du préjudice sa responsabilité ne se trouvait pas engagée.

(22 novembre 2019, M. et Mme X., n° 422655)

 

Santé publique

 

102 - Décret portant prise en compte  d'allégements fiscaux et sociaux dans les tarifs des établissements de santé - Arrêté d’application  fixant en conséquence, les éléments tarifaires - Institution d’un coefficient de minoration - Violation ou détournement de pouvoir ou de procédure par rapport à la législation instituant des allègements fiscaux ou sociaux - Absence - Décret ne pouvant avoir des effets de minoration excédant le bénéfice retiré des dispositifs d’allègement - Absence de mesures transitoires jugée compatible en l’espèce avec le principe de sécurité juridique - Rejet.

On se permet de renvoyer le lecteur au texte de cette longue et importante décision suscitée par un recours formé par de très nombreux hôpitaux privés sans but lucratif contestant un décret qui décide qu’il sera désormais tenu compte des allègements fiscaux et sociaux dans l’établissement des tarifs hospitaliers.

Il est regrettable que, dans un dossier où l’État donne l’impression de reprendre d’une main ce qu’il a donné de l’autre, surtout s’agissant d’organismes sans but lucratif, le Conseil d’État se montre souvent très peu disert pour justifier le rejet des arguments soulevés.

(8 novembre 2019, Groupement des hôpitaux de l'Institut catholique de Lille et Fédération des établissements hospitaliers, et d'aide à la personne, privés à but non lucratif, représentante désignée pour l’ensemble des requérants, n° 420140, 420158, 420236)

Urbanisme

 

103 - Plans d’occupation des sols (POS)/Plans d’urbanisme (PLU) - Règles de fond de ces plans - Prescriptions relatives aux limites séparatives - Notion - « Marge d’isolement entre les constructions » - Notion dans le silence du règlement du POS/PLU sur ce point - Annulation avec renvoi à la cour administrative d’appel.

Cette décision, qui porte sur l’interprétation de deux dispositions litigieuses d’un POS, est importante car elle concerne et précise deux notions souvent présentes dans les règlements des documents d’urbanisme.

En premier lieu, l’expression « limite séparative » appliquée pour régir l’implantation de constructions par rapport à cette limite s’entend de la limite « entre la propriété constituant le terrain d'assiette de la construction et la ou les propriétés qui la jouxtent, quelles que soient les caractéristiques de ces propriétés, dès lors qu'il ne s'agit pas de voies ou d'emprises publiques ».

Il résulte de cette définition que c’est par suite d’une erreur de droit que la cour administrative d’appel a déduit de la destination de la parcelle, voisine du projet, sur laquelle est installé un transformateur, et de sa très faible superficie, ne lui permettant pas d'accueillir une habitation, que la limite de propriété séparant les deux parcelles ne pouvait être regardée comme une limite séparative au sens des dispositions du règlement du plan d'occupation des sols.

En second lieu, dans le silence du règlement du POS sur ce point, lorsque des dispositions de ce dernier imposent « une marge d'isolement entre constructions édifiées sur une même propriété », celles-ci n'ont pas pour effet d'interdire la construction de maisons jumelées ou en bande, qui n'ont pas de vues les unes sur les autres.

(8 novembre 2019, M. et Mme X. et M. et Mme Y., n° 420324)

 

104 - Déclaration préalable de travaux - Silence d'un mois valant non-opposition à cette déclaration - Demande complémentaire de pièces - Pièce ne figurant pas au nombre de celles pouvant être exigées en vertu des dispositions de code de l'urbanisme - Conséquences - Rejet.

Saisie d'une demande de déclaration préalable la commune, demeurée silencieuse durant un mois, est réputée avoir pris tacitement une décision de non-opposition à cette déclaration préalable. Lorsque, dans ce délai, la commune demande au pétititionnaire de produire des pièces complémentaires alors que celles-ci ne figurent pas parmi celles dont le code de l'urbanisme autorise la demande de production, il en résulte l'illégalité de la décision tacite d'opposition à la déclaration de travaux (cf. art. R. 423-39 c. urb.) mais le pétitionnaire ne devient pas pour autant ipso facto titulaire d'une décision implicite de non-opposition.

Si la pièce demandée est néanmoins fournie ceci n'a pas pour effet d'entacher d'irrégularité la décision de l'administration refusant de faire droit à la demande d'autorisation de travaux sauf si le motif de ce refus est fondé sur ladite pièce car la demande de permis ou d'autorisation de travaux ne peut être examinée qu'au vu des seules pièces dont la production est exigée par le code de l'urbanisme.

(13 novembre 2019, M. X., n° 419067)

 

105 - Permis de construire - « Atteinte grave aux conditions d'éclairement » - Notion - Appréciation souveraine des juges du fond - Absence d'atteinte grave - Rejet.

Les voisins d'un immeuble à construire devant s'élever sur cinq étages demandent l'annulation du permis autorisant sa construction en s'appuyant sur une disposition du règlement du plan local d'urbanisme de la ville de Paris, l'article UG.7.1, selon lequel «  Nonobstant les dispositions du présent article UG.7 et de l'article UG.10.3, l'implantation d'une construction en limite séparative peut être refusée si elle a pour effet de porter gravement atteinte aux conditions d'éclairement d'un immeuble voisin ou à l'aspect du paysage urbain, et notamment à l'insertion de la construction dans le bâti environnant (...) ».

Le Conseil d’État définit cette atteinte grave comme « une obstruction significative de la lumière, qui ne saurait se réduire à une simple perte d'ensoleillement ». Il approuve le tribunal d'avoir jugé, pour rejeter ce recours, que si la construction projetée affectait l'ensoleillement des immeubles des requérants du fait de l'élévation d'un mur de cinq étages en limite séparative, qui a notamment pour effet de priver des rayons directs du soleil certains appartements situés dans les étages les moins élevés, elle ne portait pas une atteinte grave aux conditions d'éclairement de ces immeubles.

Cette solution donne le sentiment de tourner en rond : il eût été plus judicieux et plus simple de raisonner en termes de diminution du flux lumineux mesurée scientifiquement (en Lux ou lumen par mètre carré, par exemple) et de fixer un pourcentage de diminution au-delà duquel l'atteinte serait toujours considérée comme constituant une atteinte grave.

(22 novembre 2019, M. X. et autres, n° 420948)

 

106 - Permis de construire nécessairement délivré à titre provisoire - Édification d’ouvrages publics - Demande de démolition d’une construction irrégulière - Conditions et régime - Nature de contentieux de pleine juridiction - Balance des intérêts et absence de régularisation possible - Annulation du jugement et de l’arrêt d’appel - Démolition ordonnée avec injonction de l’avoir menée à bien au 31 décembre 2020.

Il s’agit d’une importante décision qu’il n’aurait pas été déraisonnable de rendre en Section du contentieux.

En 2001 le préfet délivre à l’État un permis de construire en vue de la réalisation de bâtiments dans les jardins de l'École nationale supérieure des Beaux-arts à Paris, en bordure de la propriété du requérant. Les bâtiments objet de ce permis n’étaient installés que pour quatre ans, le temps de réalisation des travaux de restructuration du site de l’École des beaux-Arts. En 2012, après que des courriers demandant l’enlèvement de ces ouvrages - adressés au ministre de la culture, au directeur de l'École nationale supérieure des Beaux-arts et au directeur de l'École nationale supérieure d'architecture de Paris-Malaquais - sont restés sans effet, le demandeur saisit le juge administratif d’un recours dirigé contre  les décisions implicites de rejet nées du silence gardé par ces autorités et d’une demande de leur enjoindre de procéder à l'enlèvement de ces ouvrages. Ces demandes sont rejetées en première instance et en appel, elles sont favorablement accueillies en cassation.

Tout d’abord, se posait la question de la durée de validité du permis de construire, la cour administrative d’appel estimant que le permis n’avait pas été accordé pour une durée limitée. Au contraire, à juste raison, le Conseil d’État juge qu’un permis accordé pour l’édification de bâtiments temporaires ne devant demeurer en place que quatre années avait nécessairement lui-même une durée limitée à quatre années quand bien même serait-il silencieux sur son terme.

Ensuite le juge rappelle les conditions auxquelles est subordonnée une demande de démolition d’ouvrages publics : implantation irrégulière, préjudice causé au demandeur de ce fait, demande infructueuse d’enlèvement adressée à l’administration, existence d’une régularisation possible, inconvénients de tous ordres du maintien de l’ouvrage public, atteinte que porteraient, respectivement, la démolition ou le maintien de celui-ci aux intérêts publics et privés en cause.

Egalement, et alors que l’action fondée sur l’irrégularité de l’édification d’un ouvrage public soulève une question de légalité puisqu’elle repose d’abord sur la violation du droit applicable, elle institue le juge administratif saisi en juge du plein contentieux, dotés des pouvoirs importants décrits au point précédent.

Enfin, appliquant cette méthodologie au cas de l’espèce, le juge, après avoir constaté l’intérêt pour agir du requérant (il était contesté par les défendeurs) car les ouvrages litigieux sont visibles depuis son fonds et créent des vues sur celui-ci, affectant ainsi les conditions de jouissance de son bien, relève les points suivants : 1) L’irrégularité du maintien pendant plus de 18 ans de constructions devant être retirées au bout de quatre années. 2) Leur impossible régularisation car leur édification, incompatible avec les lieux (monuments historiques et site classé), n’a pu être obtenu précisément qu’en raison de leur durée temporaire d’utilisation, sinon le permis de construire n’aurait pas pu être accordé en raison de son illégalité. 3) La gravité de l’atteinte substantielle portée aux espaces environnants qui exclut à son tour toute régularisation. 4) L’absence d’atteinte à la continuité du service public de l’enseignement supérieur en raison de la durée limitée d’existence de ces ouvrages.

La conclusion découle de ces prémisses : la démolition de ces ouvrages est possible car, outre l’irrégularité de leur implantation, leur démolition ne porte pas d’atteinte excessive à l’intérêt général.

Injonction est donc faite en ce sens.

(29 novembre 2019, M. F.-H. Pinault, n° 410689)

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