Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Octobre 2019

Actes et décisions

 

1 - Délégation de signature – Directeur de cabinet d'un ministre – Exigence d'une délégation – Délégation nécessaire pour tout acte – Impossibilité de donner la même délégation à deux agents différents – Annulation d'un courrier.

Il résulte des dispositions de l'art. 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, que, d'une part, le directeur de cabinet d'un ministre doit disposer d'une délégation du ministre pour pouvoir signer un acte en son nom même lorsque, sans fixer aucune règle nouvelle, il signe un courrier dans lequel il interprète des dispositions législatives ou réglementaires et prescrit à ses destinataires d'en faire application ; et d'autre part, qu'une telle délégation, ayant le même objet, ne peut être donnée à deux agents différents du ministère, le délégataire secondement désigné  est incompétent à cet effet.

(1er octobre 2019, Société par actions simplifiée à associé unique (SASU) Abeille Parachutisme et Fédération des exploitants de parachutisme professionnel, n° 421264)

 

2 - Archives publiques – Sanction disciplinaire contre un militaire – Massacre du camp de Thiaroye (1944) – Demande de communication d'un document dans sa version d'origine – Version qui n'existe plus du fait de son effacement – Absence de droit à sa reconstitution – Rejet.

Le Conseil d'État approuve un tribunal administratif pour avoir jugé que les art. L. 213-1 et suivants du code du patrimoine ne comportent point obligation pour l'administration saisie d'une demande en ce sens de procéder - en reconstituant leur version d'origine - à la communication d'archives publiques (ici le dossier disciplinaire d'un militaire français en poste lors du massacre survenu dans le camp de Thiaroye, près de Dakar, le 1er décembre 1944) qui n'existent plus sous cette forme.

(4 octobre 2019, Mme X. et M. Y., n° 416030 ; v. aussi, sur la même affaire : 4 octobre 2019, M. Y., n° 416038)

 

3 - Décision susceptible de recours – Notion – Annonce de l'émission future de titres exécutoires – Régime contentieux – Juge des référés – Erreur de droit – Cassation.

Une personne a été rendue destinataire d'un courrier lui annonçant, d'une part, l'émission future à son encontre de titres exécutoires, d'autre part, le prélèvement des sommes dues sur son traitement. Commet une erreur de droit le juge des référés qui estime que ce courrier ne contient aucune décision susceptible de lui être déférée en vue que soit ordonnée sa suspension. En effet, si l'annonce de titres exécutoires futurs ne constitue pas une décision, en revanche l’annonce de retenues sur traitement en constitue bien une.

(1er octobre 2019, Mme X., n° 422908)

 

4 - Communication de documents relatifs à un marché public – Jugement ordonnant cette communication sous réserve d'occultations liées au secret – Sursis à l'exécution du jugement – Jugement susceptible de produire des effets irréversibles – Jugement entaché d'erreur de droit – Sursis à exécution ordonné jusqu'au jugement du pourvoi.

Suite à la conclusion d'un marché public entre un syndicat mixte du numérique et la société Orange, est demandée la communication des documents administratifs relatifs audit marché. Celle-ci ayant été refusée, le tribunal administratif saisi annule ce refus et ordonne la communication des pièces après occultation des mentions relatives aux secrets protégés par la loi.

Le syndicat se pourvoit en cassation de ce jugement et sollicite le sursis à l'exécution de celui-ci. Lui donnant raison, le Conseil d'État  accorde le sursis demandé car sont réunies selon lui les deux conditions à l'octroi d'une telle mesure : 1°/ Le jugement, s'il était exécuté, aurait un effet irréversible car la communication des documents litigieux est l'objet même du recours ; 2°/ L'argument des requérants au pourvoi selon lequel le jugement est entaché d'erreur de droit en ce qu'il  estime que la circonstance que l'occultation des documents en cause nécessiterait la mobilisation de moyens matériels et humains trop importants n'est pas de nature à faire obstacle au droit de communication paraît, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation de ce jugement, l'infirmation de la solution retenue par les juges du fond. 

(23 octobre 2019, Syndicat mixte Haute-Saône numérique (SMHSN), n° 433474)

 

5 - Instruction « provisoire » – Mise en ligne le jour même de sa publication – Publicité de nature à faire courir le délai de recours contentieux – Requête introduite tardivement – Forclusion – Rejet.

Le gendarme requérant a saisi le juge le 18 février 2019 d’un recours tendant à l’annulation de l'instruction provisoire du 8 juin 2016 du directeur général de la gendarmerie nationale relative aux positions de service et au repos physiologique journalier des militaires d'active de la gendarmerie, en tant qu'elle ne définit pas le temps de travail hebdomadaire maximal des militaires de la gendarmerie nationale.

Cette instruction ayant été mise en ligne le 8 juin 2016 il s’ensuit que le délai de recours contentieux était expiré depuis plus de six mois le jour de la saisine du juge, il était donc irrecevable pour cause de forclusion sans que puisse faire échec à celle-ci la circonstance que l'acte contesté était intitulé « instruction provisoire ».

(4 octobre 2019, M. X., n° 428971)

 

6 - Refus de prendre un acte réglementaire – Obligation de motiver – Inexistence – Refus ayant lui-même une nature réglementaire – Rejet.

Le litige dont était saisi le Conseil d'État était relatif à une demande d'annulation de la chambre de commerce requérante dirigée contre le refus du ministre des finances de prendre une mesure réglementaire tendant à permettre la compensation de la charge constituée pour elle par la hausse du taux de la contribution sociale généralisée (CSG) prévue par l'article 8 de la loi du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018.

En particulier, la chambre contestait l'absence de motivation du refus ministériel de prendre la mesure réglementaire sollicitée. Le juge, rejetant cet argument, rappelle que le refus de prendre un acte réglementaire présentant lui-même un caractère réglementaire, il ne saurait relever de l'obligation de motivation prévue par l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, laquelle ne concerne que la motivation des décisions individuelles défavorables.

(2 octobre 2019, Chambre de commerce et d'industrie de région Paris - Ile-de-France, n° 419807 et n° 421869)

 

7 - Transition écologique – Conventions conclues dans le cadre du dispositif "Territoires à énergie positive pour la croissance verte" – Circulaire ministérielle fixant le régime des subventions – Circulaire impérative ou lignes directrices – Circulaire réglementaire – Ajouts à ou contradictions avec des dispositions de nature réglementaire – Annulation.

Les communes et communauté requérantes demandaient l’annulation de la circulaire du ministre de la transition écologique et solidaire relative à la mise en place par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 sur la transition énergétique pour la croissance verte. Ils pointaient l’existence dans cette circulaire de plusieurs dispositions que son auteur n’avait pas compétence pour prendre en ce qu’elles ajoutaient aux textes réglementaires en vigueur ou les contredisaient en fixant le régime des subventions applicables à ces actions ainsi que celui de leur sanction.

Pour des motifs de procédure, seule l’action de la commune première dénommée est accueillie

En premier lieu, le ministre soutenait que les dispositions de cette circulaire ne comportaient aucune disposition impérative mais constituaient de simples lignes directrices à destination des préfets de région. Le juge rejette ce raisonnement en constatant que ce texte « ne ménage aucune marge de manœuvre (aux préfets de région) dans la mise en œuvre des critères ou modalités de versement des subventions attribuées au titre de l'enveloppe spéciale de transition énergétique et présente un caractère impératif ».

En deuxième lieu, est également rejeté l’argument ministériel selon lequel la circulaire attaquée aurait été implicitement abrogée par une circulaire postérieure car « cette seconde circulaire a simplement précisé les dispositions de la circulaire (précédente), sans se substituer aux dispositions attaquées ».

En troisième lieu, sont ensuite relevés les quatre ajouts faits par ladite circulaire à la réglementation en vigueur et la contradiction qu’elle y apporte.

Manifestement étrangère à l’exercice par la ministre de son pouvoir d’organisation des services placés sous son autorité, la circulaire attaquée présente un caractère réglementaire : la ministre était incompétente pour l’édicter. L’annulation est, sans surprise, prononcée.

(4 octobre 2019, Commune de Vitry-le-François, commune d'Aÿ Champagne et Communauté de communes de la Grande Vallée de la Marne, n° 416033)

 

8 - Ministre chargé des douanes – Réglementation de la représentation en douane – Octroi d'un pouvoir réglementaire par la loi (art. 17 bis code des douanes) – Exigence d'une preuve écrite de l'habilitation à représenter en douane – Contrariété aux règles du droit civil et du droit commercial – Rejet.

En premier lieu, c'est à tort que l'union requérante conteste la compétence du ministre chargé des douanes, d'une part, pour définir par l'arrêté et la circulaire attaqués, la définition du mode de preuve de l'habilitation des représentants en douane enregistrés, et d'autre part, pour prévoir, par la circulaire attaquée, la forme de l'information que le représentant en douane enregistré doit donner à son mandant sur l'identité du sous-traitant qu'il s'est le cas échéant substitué, ainsi que le mode de preuve de cette information.

Il résulte des dispositions de l'art. 17 bis du code des douanes que le législateur a confié audit ministre le pouvoir de prendre les mesures réglementaires nécessaires à la mise en œuvre des réglementations édictées par l'Union européenne ou par des traités ou accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés par la France, que l'administration des douanes est tenue d'appliquer. Tel est le cas en l'espèce. 

En second lieu, ne sauraient être retenues la contestation de la modalité de preuve fixée par les textes litigieux. La requérante appuyait sa critique de l'exigence d'une preuve écrite de l'habilitation du représentant en douanes sur ce qu'elle contrevenait aux dispositions des art. 1158 et 1985 du Code civil et L. 110-3 du code de commerce. L'argument, assez fort, est balayé prestement par le Conseil d'État, en ces termes : « Les règles probatoires civiles ou commerciales sont sans incidence sur les obligations prévues par l'arrêté contesté, qui sont prévues aux seules fins du contrôle par l'administration des douane ». Ceci parce que, avait indiqué le juge plus haut dans sa décision, « les règles ainsi édictées ne concernent pas les règles de formation et de délégation des mandats et ne constituent pas davantage des dérogations aux règles de preuve civile des mandats, dès lors qu'elles s'appliquent seulement aux relations entre l'administration et les opérateurs professionnels en douane à des fins de contrôle ». Il est difficile de comprendre ce que cela veut dire puisque le mandat vaut surtout aux yeux des tiers auquel il garantit les pouvoirs détenus par le représentant et, de ce point de vue, l'administration des douanes n'est pas un tiers différent... À moins qu'il faille lui trouver un privilège commodément travesti en défense de l'intérêt général ?

(9 octobre 2019, Union des entreprises Transport et Logistique de France (UTL), n° 426349)

 

9 - Silence gardé sur la demande d'un administré par l'autorité administrative – Absence, dans les circonstances de l'espèce, de caractère décisoire – Demande adressée à une autorité administrative ne détenant pas le pouvoir législatif – Rejets.

Les requérants demandaient, à titre principal, l'annulation de la décision implicite par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a rejeté leur demande aux fins de suspension de la réalisation et du remboursement des soins non vitaux destinés à traiter les variations du développement génital chez les enfants non encore en mesure d'exprimer leur consentement.

Ils essuient un double rejet.

En premier lieu, dès lors qu'en vertu de diverses dispositions du code de la santé publique le traitement ou l'acte de soin dispensé sur un mineur présentant une variation du développement génital ne peut être envisagé, d'une part, qu'après que le dépositaire de l'autorité parentale y a consenti de façon libre et éclairée et si ce traitement ou cet acte répond à une nécessité médicale vérifiée et actualisée, et d'autre part, s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision, qu'après recherche systématique du consentement du patient mineur, le silence gardé par la ministre sur la demande dont elle était saisie (de suspendre la réalisation et le remboursement de tout traitement ou acte de soins lié aux variations du développement génital ne répondant pas aux conditions de nécessité médicale et de consentement résultant de l'article 16-3 du code civil) ne constitue pas un acte faisant grief. Cela d'autant plus qu'elle n'était ni tenue de rappeler ni tenue d'interpréter l'état du droit existant (cf. cette Chronique, septembre 2019, n° 5).

En second lieu, est rejetée la demande tendant à voir annulé le refus implicite de la ministre de suspendre la réalisation et le remboursement de tout traitement ou acte de soins lié aux variations du développement génital, à l'exception de ceux qui sont justifiés par une nécessité vitale, dans les cas où le patient mineur n'est pas en mesure d'exprimer son consentement. En effet, certains de ces actes sont, dès lors qu'ils remplissent les conditions de nécessité médicale et de consentement posées par les dispositions du Code civil et du code de la santé publique, autorisés par la loi. Or il n'appartient pas à une autorité administrative de prendre de telles mesures, lesquelles ne relèvent pas de la compétence exécutive mais de la loi.

(2 octobre 2019, M. X. et Association Groupement d'information et de soutien sur les questions sexuées et sexuelles (GISS), n° 420542 ; v. aussi, du même jour, très voisin dans sa problématique : Association Groupement d'information et de soutien sur les questions sexuées et sexuelles (GISS), n° 422197)

 

10 - Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – Communiqués de presse – Publication sur le site internet de la CNIL – Plan d'action relatif aux règles applicables en matière de ciblage publicitaire en ligne et d'accompagnement des acteurs dans leur mise en conformité avec ces règles – Lignes directrices – Prise de position publique d'une autorité de régulation – Mesure déférable au juge de l'excès de pouvoir – Rejet.

(16 octobre 2019, Associations « La Quadrature du net » et « Caliopen », n° 433069)

V. ci-dessous au n° 11

On lira aussi sur cette question, avec une solution largement identique, à propos de recommandations de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé : 21 octobre 2019, Association française de l'industrie pharmaceutique pour une automédication responsable (AFIPA), n° 419996 et n° 419997, point 3.

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

11 - Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – Communiqués de presse – Publication sur le site internet de la CNIL – Plan d'action relatif aux règles applicables en matière de ciblage publicitaire en ligne et d'accompagnement des acteurs dans leur mise en conformité avec ces règles – Lignes directrices – Prise de position publique d'une autorité de régulation – Mesure déférable au juge de l'excès de pouvoir – Rejet.

Par une délibération du 4 juillet 2019, la CNIL a adopté des lignes directrices relatives aux opérations de lecture ou écriture dans le terminal d'un utilisateur, notamment aux « cookies » et autres traceurs. Par un communiqué également publié sur son site internet le 18 juillet 2019, la Commission a précisé que cette délibération constitue le socle de son plan d'action et a annoncé engager une concertation permettant d'adopter, au premier trimestre 2020, une recommandation précisant les modalités pratiques du recueil du consentement au dépôt de « cookies » et de traceurs de connexion. Elle a enfin indiqué qu'une période d'adaptation, s'achevant six mois après la publication de cette recommandation, sera laissée aux opérateurs afin de leur donner le temps d'intégrer les nouvelles règles en précisant que ce délai vise à « garantir une mise en conformité aux règles protégeant la vie privée des utilisateurs selon un standard robuste et durable fixé par le régulateur ». 

Les associations requérantes  demandaient l'annulation pour excès de pouvoir de la décision de la CNIL, révélée par ces communiqués de presse des 28 juin et 18 juillet 2019  et la délivrance d'une injonction sous astreinte de publier,  tant sur la page d'accueil de son site internet que sur les pages de ses communiqués des 28 juin et 18 juillet, un encart faisant référence à la décision du Conseil d'État  et indiquant que «  la poursuite de la navigation » ne constitue pas un mode d'expression valable du consentement en matière de « cookies » et de traceurs en ligne.

Le Conseil d'État devait d'abord se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la CNIL. Appliquant ses jurisprudences Société NC Numericable et Fairvesta (Assemblée, 21 mars 2019, respectivement n° 390023 et n°s 368082 368083 368084), il la rejette car cette prise de position a « pour objet d'influer sur le comportement des opérateurs auxquels elle s'adresse et comme étant de nature à produire des effets notables tant sur ces opérateurs que sur les utilisateurs et abonnés de services électroniques ».

Ensuite, l'examen du recours au fond entraîne son rejet.

Il est relevé que la CNIL disposant, en vertu de la loi du 6 janvier 1978, de larges pouvoirs en la matière, la décision contestée demeure dans les limites de ceux-ci. De plus, ne saurait être critiqué le délai de six mois laissé par la CNIL pour que les opérateurs concernés puissent se mettre en conformité avec les nouvelles lignes directrices car elle continuera à contrôler, durant cette période, le respect des règles relatives au caractère préalable du consentement, à la possibilité d'accès au service même en cas de refus et à la disponibilité d'un dispositif de retrait du consentement facile d'accès et d'usage. Enfin, par cette décision, la CNIL n'a nullement porté une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et au droit à la protection des données personnelles, tels qu'ils sont garantis par les articles 7 et 8 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les articles 7 et 8 de la convention EDH.

(16 octobre 2019, Associations « La Quadrature du net » et « Caliopen », n° 433069)

 

12 - Traitement de données à caractère personnel relatives au permis de conduire et à la circulation des véhicules – Accès aux informations contenues – Entreprises de transports publics routiers – Liste des catégories de personnes autorisées à y accéder – Personnel des entreprises de transport public routier désigné et habilité – Finalité légitime – Rejet.

La fédération requérante demandait l'annulation du décret n° 2018-387 du 24 mai 2018 précisant les conditions d'accès aux informations des traitements de données à caractère personnel relatifs aux permis de conduire et à la circulation des véhicules. Invoquant la loi de 1978, dite Informatique et libertés, elle soulevait plusieurs griefs à l'encontre de ce texte, tous rejetés par le Conseil d'État.

En bref, le décret attaqué autorise certains personnels des entreprises de transport public routier de passagers ou de marchandises à accéder aux données à caractère personnel relatives contenues dans le système national des permis de conduire, afin de s'assurer de la validité du permis de conduire des personnes qu'elles emploient comme chauffeurs.

Pris en exécution d'une loi, ce décret n'empiète pas sur le domaine que l'art. 34 réserve à la loi.

Seules les personnels individuellement désignés et habilités de ces entreprises peuvent accéder à ces données. Cet accès est sécurisé et sa violation ou son abus est assorti de sanctions pénales.

La finalité poursuivie par l'octroi de ce droit d'accès est ici légitime et proportionnée à l'objectif poursuivi qui est celui de la sécurité routière. Il était difficile de prévoir un autre mécanisme d'accès plus protecteur des individus concernés.

Enfin, cet accès ne peut porter que sur les seules informations relatives à l'existence, la catégorie et la validité du permis de conduire, à l'exclusion du nombre de points affectés au conducteur et des éventuelles infractions pénales que celui-ci aurait pu commettre. 

Le décret n'est, par suite, ni inconventionnel (art. 8 CEDH), ni inconstitutionnel ni illégal : le recours dirigé contre lui est donc rejeté.

(24 octobre 2019, Fédération des transports et de la logistique FO-UNCP, n° 422583)

 

13 - Traitement automatisé intéressant la sûreté de l'État, la défense ou la sécurité publique – Fichiers des services de l'information générale du ministère de l'intérieur – Conditions d'exercice du droit d'accès indirect à ces fichiers – Saisine de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – Modalités de la communication déterminées par le responsable du traitement – Consultation sur place – Refus de délivrer copie – Régularité – Cassation sans renvoi.

L'article 41 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés - dans sa version alors applicable - institue un régime propre pour l'accès indirect à tout traitement intéressant la sûreté de l'État, la défense ou la sécurité publique.

Le requérant a obtenu du juge l'annulation du refus opposé par le ministre de l'intérieur à sa demande de communication des informations le concernant contenues dans les fichiers des services de l'information générale du ministère de l'intérieur ainsi qu'une injonction au ministre, sous astreinte, de procéder à cette communication. L'intéressé, en exécution de ce jugement, a été invité à consulter ces informations en préfecture. Estimant que cette façon de procéder ne constituait pas une correcte application du jugement, la cour administrative d'appel a, sous injonction majorée, ordonné la remise au requérant d'une copie des documents sollicités. Sur pourvoi du ministre, le Conseil d'État casse cette décision motif pris de ce que la fourniture d'une copie des pièces dont la communication est demandée ne constitue pas l'unique modalité de communication. La possibilité offerte en l'espèce au demandeur de prendre connaissance desdites pièces en préfecture satisfait aux exigences de la loi.

(24 octobre 2019, Ministre de l'intérieur, n° 427204)

 

Biens

 

14 - Domaine public maritime – Convention d'occupation de ce domaine – Recours des tiers – Conditions – Invocation de la violation des règles du droit de l'Union européenne – Exigence d'un intérêt lésé (non) – Rejet.

Les requérants avaient saisi, la cour administrative d'appel, compétente en premier et dernier ressort, d'un recours en annulation de la convention d'utilisation du domaine public maritime conclue entre l'État et une société aux fins d'exploitation d'un parc éolien situé sur le domaine public maritime au large de la commune de Saint-Brieuc ainsi que de l'arrêté préfectoral l'approuvant. Leur action a été jugée, pour certains des requérants, irrecevable car ils ne justifiaient pas d'un intérêt leur donnant qualité pour agir contre ces actes et, pour d'autres requérants, comme n'étant pas fondée ; la cour a seulement annulé l'arrêté préfectoral approuvant la concession domaniale.

Des divers moyens développés on retiendra surtout le sort fait par le juge à celui reposant sur la méconnaissance, par ladite convention, du droit de l'Union.

Le juge indique d'abord que tout tiers à une convention d'occupation du domaine public maritime susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses, est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Tout autre tiers que le représentant de l'État dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, ne peut invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont il se prévaut ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office.

S'agissant du grief tiré de la contrariété de la convention attaquée au droit de l'UE, il est jugé que «  la circonstance que les moyens (que les demandeurs) invoquent à l'appui de leur demande d'annulation de la convention de concession d'utilisation du domaine public maritime soient relatifs à la méconnaissance du droit de l'Union ne permet pas, à elle seule et sans que ces moyens aient à être en rapport direct avec l'intérêt lésé dont elles se prévalent, de les regarder comme étant d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office ». 

Dans ces conditions, devait être satisfaite l'exigence de démontrer l'existence d'un intérêt propre ; à défaut, la requête est rejetée.

(21 octobre 2019, Association Gardez les caps et autres, n° 421134)

 

Collectivités territoriales

 

15 - Région – Compétence en matière de formation professionnelle et d’apprentissage – Financement des écoles et instituts de formation de certaines professions de santé – Financement comprenant celui des actions d’enseignement.

Dans un important contentieux (en raison des sommes en jeu) opposant la région demanderesse et l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris, le Conseil d’État apporte deux précisions importantes sur le régime des subventions mises à la charge des régions en matière de formation professionnelle.

En premier lieu, le juge déduit des articles L. 4151-9, L. 4244-1 et L. 4383-5 du code de la santé publique, dans leur rédaction issue de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, que le législateur, lorsqu’il a décidé que «  La région a la charge du fonctionnement et de l'équipement des écoles et instituts mentionnés à l'article L. 4383-3 lorsqu'ils sont publics », a entendu mettre à la charge des régions, tout à la fois : le fonctionnement et l'équipement des écoles et instituts de formation de certaines professions de santé, l'activité de formation continue incombant légalement à ces écoles et instituts, et ceci même dans le cas où  cette activité bénéficie aux agents des établissements publics de santé auxquels ces écoles et instituts sont rattachés.

Il s’agit là d’une interprétation large de la portée des textes en cause.

En second lieu, s’agissant du droit à subvention, il est rappelé que cette dernière étant un acte-condition leur bénéficiaire n’a un droit acquis à la percevoir que dans la mesure où il respecte les conditions mises à son octroi. Ici aussi est donnée une interprétation large de ces conditions. Celles-ci découlent ou peuvent découler des normes qui la régissent, que ces normes aient été fixées par la personne publique dans sa décision d'octroi, qu'elles aient fait l'objet d'une convention signée avec le bénéficiaire ou, encore, qu'elles découlent implicitement mais nécessairement de l'objet même de la subvention. 

(4 octobre 2019, Région d'Île-de-France, n° 411847)

 

16 - Communes – Frais de scolarité d’un enfant inscrit dans une école d’une autre commune que la commune de résidence – École où est déjà inscrit un frère ou une sœur de celui-ci – Dépense obligatoire pour la commune de résidence – Caractère obligatoire existant même si cette dépense ne l’était pas pour la scolarisation du frère ou de la sœur – Cassation sans renvoi de l’arrêt d’appel.

Une commune, dans laquelle résident un couple et leurs deux enfants, refuse de participer aux frais de fonctionnement supportés par le syndicat intercommunal du pôle scolaire de Tournes, dont elle n'est pas membre, au titre de l'accueil, pour l'année scolaire 2015-2016, de deux frères.

Rejetant le pourvoi qu’elle a formé contre l’arrêt d’appel confirmatif, le Conseil d’État juge laconiquement qu’« Il ressort des pièces du dossier que le jeune A... était déjà inscrit au Pôle scolaire de Tournes en 2014-2015 et y a poursuivi sa scolarité primaire, en classe de CM2, au cours de l'année en litige. Dès lors, la commune d'Arreux était tenue, au titre de cette même année, de participer financièrement à la scolarisation en classe de CP, dans ce même pôle scolaire de Tournes, de son frère cadet Alban alors même qu'elle n'y était pas tenue et ne l'avait jamais été, en ce qui concerne son aîné ».

(4 octobre 2019, Commune d'Arreux, n° 422992)

 

17 - Créance résultant d'une décision de justice passée en force de chose jugée – Recouvrement d'office d'une telle créance (art. 1, IV, loi du 16 juillet 1980) – Régime applicable au cas des sections de communes – Mise en demeure d'émettre l'état de recouvrement devant être adressée au maire de la commune – Rejet.

(14 octobre 2019, Commune de Chambon-sur-Dolore, sections de commune de Malvieille, de l'Hôpital, de Les Ayes, de La Mas, de Frideroche, M. X. et autres, n° 425645) V. n° 36

 

Contrats

 

18 - Délégation de service public – Remontées mécaniques – Cahier des charges prévoyant la possibilité de présenter des solutions alternatives – Présentation, outre des investissements de renouvellement, de deux solutions alternatives – Absence d'irrégularité – Rejet.

Un concurrent évincé de la procédure de passation d'un contrat de délégation du service public de la gestion et de l'exploitation du domaine skiable d'une commune demande l'annulation du contrat et l'allocation d'une indemnité en réparation du manque à gagner consécutif à son éviction. Une des questions posées par ce dossier retiendra l'attention.

Il était prétendu que l'offre de la société retenue comme délégataire était irrégulière. L'art. 24-2 du cahier des charges, lequel présentait les caractéristiques qualitatives et quantitatives de la future délégation de service public disposait : «  (...) les candidats proposeront, en plus des investissements de renouvellement, les investissements nouveaux ou toute autre proposition visant à contribuer au développement de la station, avec la réalisation a minima de deux télésièges et d'une retenue collinaire permettant l'installation d'un réseau de neige de culture sur le secteur Croix Fry ». La société retenue avait présenté lors de la phase de négociation deux solutions à la commune, l'une portant sur l'extension des réseaux d'enneigement artificiel sur le secteur de la Croix Fry sans construction d'une nouvelle retenue d'altitude, l'autre prévoyant la réalisation d'un lac d'altitude.

Le Conseil d'État considère qu'en jugeant que l'offre n'était pas, pour ce motif, irrégulière, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit. En effet, il ressortait du cahier des charges que pouvaient être présentées - comme ce fut le cas en l'espèce - et une offre répondant aux exigences du cahier des charges et une solution alternative

(14 octobre 2019, Société Les Téléskis de la Croix Fry (TCF), n° 418317)

 

19 - Délégation de service public ou concession – Exploitation et desserte maritime en fret – Imprévision – Conditions – Absence en l'espèce – Demande indemnitaire pour faute du cocontractant – Rejet.

Une délégation de service public ou concession est conclue entre la société requérante et l'État en vue de l'exploitation et la gestion du service de desserte maritime en fret de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Puis, après avoir pris deux arrêtés de réquisition à fin d'assurer la continuité du service public ainsi délégué, le préfet a prononcé la déchéance de cette concession. La société Alliance a saisi le tribunal administratif d'une demande d'annulation de cette mesure et de conclusions aux fins de résiliation de la convention. Après avoir ordonné une expertise en vue de déterminer, d'une part, les causes des difficultés financières rencontrées par la société Alliance durant l'exécution de la convention de délégation de service public et d'autre part, si les conditions économiques résultant de la diminution du trafic de fret constatée au niveau international avaient constitué un évènement extérieur ayant définitivement empêché le délégataire d'équilibrer ses dépenses avec ses ressources, le tribunal a prononcé la résiliation de la convention en raison du bouleversement de l'économie du contrat mais rejeté les conclusions indemnitaires de la société dirigées contre l'État  du chef des préjudices résultant des conditions dans lesquelles la délégation de service public avait été exécutée et avait pris fin. La cour administrative d'appel ayant confirmé ce jugement, la société Alliance se pourvoit en cassation.

Se situant dans la stricte orthodoxie de sa doctrine jurisprudentielle antérieure (30 mars 1916, Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux, n° 59928, Rec. p. 125, concl. P. Chardenet), le juge donne à nouveau, solennellement, et la définition de l'imprévision et le régime de l'indemnité d'imprévision. En premier lieu, il est rappelé que l'imprévision suppose « un déficit d'exploitation qui soit la conséquence directe d'un événement imprévisible, indépendant de l'action du cocontractant de l'administration, et ayant entraîné un bouleversement de l'économie du contrat ». En second lieu, lorsque sont réalisés ces conditions, le concessionnaire a droit à « une indemnité représentant la part de la charge extracontractuelle que l'interprétation raisonnable du contrat permet de lui faire supporter. Cette indemnité est calculée en tenant compte, le cas échéant, des autres facteurs qui ont contribué au bouleversement de l'économie du contrat, l'indemnité d'imprévision ne pouvant venir qu'en compensation de la part de déficit liée aux circonstances imprévisibles ».

Cependant, le Conseil d'État relève un obstacle procédural. En effet, si, sur ce point, le jugement du tribunal administratif est définitif en ce  qu'il « a prononcé la résiliation du contrat en raison d'un bouleversement de l'économie du contrat résultant d'un déficit d'exploitation ayant pour origine la surestimation par l'État  du volume de fret transporté » et si, normalement, « l'autorité de chose jugée s'étend non seulement au dispositif d'une décision, mais également aux motifs qui en sont le soutien nécessaire », la cour n'a pas, en l'espèce, violé l'autorité de chose jugée contrairement à ce que soutient la requérante. Il n'y avait pas d'identité d'objet entre les deux décisions de justice : le tribunal administratif a statué sur la demande de la société Alliance qui portait alors sur la résiliation de la convention de délégation de service public, tandis que la cour était saisie, par cette dernière, d'une demande de condamnation de l'État à lui verser une indemnité au titre de l'imprévision. Par suite, la cour a bien statué dans les limites de la demande dont elle était saisie et c'est sans erreur de droit ou dénaturation qu'elle rejeté l'action de la société Alliance tendant au versement d'une indemnité au titre de l'imprévision car elle a estimé que la baisse du trafic n'était pas principalement à l'origine des déficits d'exploitation de la société requérante. 

Par ailleurs, examinant le principal du litige, le juge donne raison à la cour d'avoir estimé qu'une diminution du fret de 16% par rapport à ce qui était prévu ne pouvait pas être à l'origine des déficits d'exploitation dont la société Alliance faisait état, lesquels devaient être regardés comme étant largement la conséquence de l'état de fragilité financière initiale de la société. En conséquence, est écarté le régime de l'imprévision car, d'une part, la cause des difficultés rencontrées n'était ni imprévisible ni extérieure à l'action de la société cocontractante, et d'autre part, celles-ci n'étaient pas davantage imprévisibles du fait des conditions contractuelles connues depuis la conclusion du contrat. En bref, dès lors que les éléments imprévisibles n'étaient pas principalement à l'origine du déficit d'exploitation, ne saurait jouer la théorie de l'imprévision.

(21 octobre 2019, Société Alliance, n° 419155 ; sur cette affaire, v. aussi plus bas au n° 83 : 21 octobre 2019, Société Alliance, n° 419153)

 

20 - Tiers au contrat administratif – Impossibilité pour le tiers de se prévaloir des stipulations du contrat – Exception s'agissant des clauses réglementaires du contrat – Avenant portant transaction – Recours du tiers impossible contre cet avenant – Annulation avec renvoi.

Réitération d'une position jurisprudentielle aussi constante (au moins depuis 15 février 1961, Goumy, Rec. 1092) que discutable (la jurisprudence de la Cour de cassation est d'ailleurs en sens rigoureusement contraire : Ass. plén. 6 octobre 2006, Consorts X. c/ Société Myr'Ho, D. 2006 p. 2825, note G. Viney ; Civ. 1ère, 28 septembre 2016, D. 2017 p. 341, note C. Lachèze. Dans le cas d'une transaction, voir : Civ. 1ère, 25 février 2003, SA Entreprise Rénier et SA Les Pierres de Frontenac, Bull. civ. I, n° 60) : Le tiers à un contrat administratif ne peut se prévaloir que des seules clauses réglementaires de ce contrat. C'est donc par une erreur de droit qu'une cour administrative d'appel juge qu'un groupement de maîtrise d'œuvre et le mandataire du maître d'ouvrage sont fondés à se prévaloir d'un avenant transactionnel au marché conclu entre l'État et ce mandataire comportant une clause par laquelle cette société avait renoncé à toute réclamation. L'arrêt est cassé sur ce point.

(21 octobre 2019, Société Coopérative Métropolitaine d'Entreprise Générale (CMEG), n° 420086)

 

21 - Marchés de travaux – Appel d'offres ouvert – Entreprise retenue mise postérieurement en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire avec cession à un repreneur – Entreprise repreneuse se présentant comme le successeur de celle-ci – Possibilité de compléter une candidature mais non de présenter une candidature nouvelle – Contrat irrégulier – Absence de nullité du contrat – Rejet et annulation partielle de l'arrêt d'appel.

Parmi les diverses questions soulevées dans cet arrêt, sera retenue celle relative au sort devant être fait à l'entreprise placée en redressement judiciaire après qu'a commencé la procédure d'examen des offres dans le cadre d'un marché.

Il résulte de la combinaison de diverses dispositions de l'ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics (art. 8, 3°; art. 38) et de dispositions du code des marchés publics (art. 43, 45, I de l'art. 52, I et I de l'art. 53) que les entreprises placées en redressement judiciaire sont tenues de justifier, lors du dépôt de leur offre, qu'elles sont habilitées, par le jugement prononçant leur placement dans cette situation, à poursuivre leurs activités pendant la durée d'exécution du marché, telle qu'elle ressort des documents de la consultation.

Dans l'hypothèse où l'entreprise candidate à l'attribution d'un marché a été placée en redressement judiciaire après la date limite fixée pour le dépôt des offres, elle doit en informer sans délai le pouvoir adjudicateur, lequel doit alors vérifier si l'entreprise est autorisée à poursuivre son activité au-delà de la durée d'exécution du marché et apprécier si sa candidature reste recevable. Il s'ensuit que faute que l'entreprise ait été expressément autorisée à continuer son activité, le pouvoir adjudicateur ne peut poursuivre la procédure avec cette société.

Lorsqu'il est soutenu devant lui que le placement en redressement judiciaire de l'entreprise, que celui-ci ait été prononcé avant l'engagement de la procédure du marché ou après le dépôt de son offre, affecte la recevabilité de sa candidature, il appartient au juge d'apprécier si cette candidature est recevable et d'annuler, le cas échéant, la procédure au terme de laquelle l'offre de l'entreprise aurait été retenue par le pouvoir adjudicateur.

Appliquant ces principes à la présente affaire, le Conseil d'État raisonne en trois propositions.

1°/ La faculté offerte aux candidats par le pouvoir adjudicateur de compléter leur candidature (cf. I de l'art. 52 CMP), a pour seul objet de permettre aux candidats de compléter leur dossier avant l'examen des candidatures dans le cas où des pièces seraient absentes ou incomplètes. En revanche, elle n'a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de permettre à un opérateur économique qui reprend une partie des actifs d'un candidat dont la candidature avait été regardée comme ne présentant pas les capacités suffisantes pour exécuter le marché et qui a été placé en liquidation judiciaire à la suite d'un plan de cession, de participer à la procédure de passation d'un marché public alors qu'il n'avait pas lui-même présenté de candidature.

2°/ En l'espèce, le plan de cession arrêté par le jugement du tribunal de commerce a accordé à la société repreneuse, au titre des éléments incorporels inclus dans le périmètre de la cession, le « droit de se présenter comme successeur de la société » mise en liquidation judiciaire. C'est dans ces conditions que la procédure entamée a été continuée avec le repreneur. Mais ce dernier a présenté sa candidature dans le cadre d'une simple prorogation du délai de remise de pièces complémentaires relatives aux candidatures déjà déposées. Ce n'était pas possible car la candidature de cette dernière ne peut être assimilée à celle de l'entreprise liquidée. De plus, relève le juge, « les capacités professionnelles, techniques et financières de la société (repreneuse) au regard desquelles sa propre candidature aurait dû être examinée par la commune de Chaumont si elle avait été présentée avant (la date limite pour le dépôt des offres), ne se confondent pas avec celles de la société liquidée ». Il suit de là que c'est sans erreur de droit que la cour d'appel a estimé que le contrat conclu par la commune avec la société repreneuse était nul.

3°/ Divergeant sur ce point de l'avis de la cour, le Conseil d'État estime que « ce vice, en l'absence de circonstances particulières, et notamment d'éléments révélant une volonté de la commune de favoriser cette société, n'est pas d'une gravité telle qu'elle implique que soit prononcée l'annulation du contrat ».

(21 octobre 2019, Commune de Chaumont, n° 416616)

 

22 - Communication de documents relatifs à un marché public – Jugement ordonnant cette communication sous réserve d'occultation liés au secret – Sursis à l'exécution du jugement – Jugement susceptible de produire des effets irréversibles – Jugement entaché d'erreur de droit – Sursis à exécution ordonné jusqu'au jugement du pourvoi.

(23 octobre 2019, Syndicat mixte Haute-Saône numérique (SMHSN), n° 433474) V. au n° 4

 

Droit fiscal et droit financier public

 

23 - Créances publiques – Champ d’application de l’art. 2224 du code civil – Prescription des actions en recouvrement des créances publiques et prescription d’assiette de telles créances – Maintien par le Code civil (art. 2223) des règles spéciales de prescription prévues par d’autres lois – Rejet.

Dans un litige en restitution d’une participation pour non-réalisation d’aires de stationnement, le Conseil d’État décide que la règle de prescription quinquennale fixée par l’art. 2224 du Code civil, qui est le droit commun, s’applique, en matière de créances publiques, aussi bien à la prescription des actions en recouvrement des créances publiques que, contrairement à ce qui avait été jugé en appel, à la prescription d’assiette de telles créances. Toutefois, l’art. 2223 du même Code fait la réserve des prescriptions de durées spéciales instituées par des textes spécifiques. Tel est le cas en l’espèce, où la règle de la prescription quadriennale est rappelée, dans le cas de la participation litigieuse, à l’art. R. 332-21 du code de l’urbanisme pris en application de l’art. L. 421-3 de ce code.

L’erreur de droit commise par la cour est « couverte » par l’exception énoncée à l’art. 2223 du Code civil, d’où le rejet du pourvoi formé par la commune.

(4 octobre 2019, Commune de Saint-Pierre, n° 418224)

 

24 - Contribution annuelle au titre de l’emploi de personnes handicapées – Taux insuffisant – Majoration de la contribution – Émission d’un titre exécutoire – Mentions et informations devant être portées sur un tel titre – Incomplétude en l’espèce – Irrégularité pour défaut d’indication des bases de liquidation de la dette – Rejet.

Rappel de ce que la régularité d’un titre exécutoire est strictement subordonnée à l’obligation d’indiquer les bases de liquidation de la dette. Ceci implique pour l’administration d’indiquer, soit dans le titre lui-même, soit par référence précise à un document joint à l'état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur, les bases et les éléments de calcul sur lesquels elle se fonde pour mettre les sommes en cause à la charge de ce débiteur.

Par ailleurs, bien que ces exigences ne soient expressément prévues - par l’art. 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique - que pour certaines personnes publiques seulement, elles s’appliquent à tout créancier public émettant un tel titre ou état exécutoire.

(4 octobre 2019, Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, n° 419162)

 

25 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Exonération des bâtiments agricoles – Notion d'activité agricole – Cas de l'exploitation des marais salants – Exclusion – Assujettissement à la taxe – Annulation du jugement contraire sans renvoi.

Les bâtiments de la Société coopérative agricole Les Salines de Guérande servent au tamisage et au stockage du sel récolté dans les marais salants de Guérande. Ils ont fait l'objet d'un assujettissement à la taxe foncière sur les propriétés bâties. Le tribunal administratif, saisi d'un recours, a jugé que les bâtiments servant aux activités agricoles étant exonérés de cette taxe, les bâtiments affectés à l'exploitation des marais salants devaient également en être exonérés.

Sur pourvoi du ministre, le Conseil d'État annule ce raisonnement en se fondant sur la notion d'activité agricole telle qu'elle résulte de l'art. L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime :

« Sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation. Les activités de cultures marines sont réputées agricoles, nonobstant le statut social dont relèvent ceux qui les pratiquent. (...) ». Or le juge relève que l'activité salicole ne correspondait pas à la maîtrise et l'exploitation d'un cycle biologique animal ou végétal au sens des dispositions précitées ; par ailleurs, il ne résulte d'aucune disposition spécifique que les bâtiments liés aux marais salants seraient exonérés de cette taxe. Le tribunal administratif, en jugeant le contraire, a commis une erreur de droit.

Le Conseil d'État  estime sans effet sur cette question la circonstance que l'activité salicole relève des bénéfices agricoles ou que l'article 1450 du code général des impôts exonère «  les exploitants agricoles, y compris les propriétaires ou fermiers de marais salants » de la cotisation foncière des entreprises ou encore que diverses pratiques administratives assimilent, notamment en matière sociale, les paludiers à des agriculteurs, parce que, rappelle-t-il, « les exonérations fiscales sont d'interprétation stricte »

(24 octobre 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 424077)

 

26 - Apport partiel d’actif d’une société à une autre – Solidarité entre société apporteuse et société bénéficiaire – Société débitrice solidaire d’un impôt – Intérêt lui conférant qualité pour contester le bien-fondé de l’impôt – Rejet.

C’est une question de procédure contentieuse qui est à l’origine de ce litige fiscal. Une société apporte sa branche d’activité « distribution », qui comprend notamment un immeuble à usage d’habitation, à une autre société. La société apporteuse demande la réduction de la taxe professionnelle établie au nom de la société bénéficiaire pour cet établissement au titre de l'année 2009. Cela lui ayant été refusé, elle saisit le tribunal administratif qui lui donne gain de cause, puis, sur appel du ministre des comptes publics, la cour administrative d’appel n’accorde qu’une réduction partielle de la taxe litigieuse.

Le ministre se pourvoit car il estime que la cour a commis une erreur de droit en écartant la fin de non-recevoir qu'il avait opposée à la demande de la société apporteuse, tirée de l'absence de qualité pour agir de cette dernière. Son recours en cassation est rejeté.

Le Conseil d’État considère qu’en cas d’apports partiels d’actifs dans les conditions prévues aux art. L. 236-16 à L. 236-21 et L. 236-22 du code de commerce, la société apporteuse reste, sauf cas particulier (art. L. 236-21 dudit code), solidairement obligée avec la société bénéficiaire au paiement des dettes transmises à cette dernière.

De là découle cette conséquence que les deux sociétés, l’apporteuse et la bénéficiaire de l'apport, deviennent débitrices solidaires des impositions relatives à la branche d'activité concernée dont le fait générateur est intervenu antérieurement à la réalisation de l'opération d'apport, bien que la société apporteuse conserve seule la qualité de redevable légal de ces impositions.

En l’espèce, la société apporteuse justifie donc bien d'un intérêt lui conférant qualité pour contester, dans la limite des sommes dont elle peut être déclaré redevable au titre de cette solidarité, le bien-fondé de cet impôt.

C’est donc vainement que le ministre demandeur au pourvoi a invoqué une prétendue erreur de droit qu’aurait commise la juridiction d’appel.

(9 octobre 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 414122)

 

27 - Entreprise sous la dépendance d’une entreprise située hors de France – Inclusion, dans les résultats des comptabilités, des bénéfices indirectement transférés de la première vers la seconde (art. 57 du CGI) – Transformation d’une entreprise de distributeur exclusif à agent commercial – Transfert de clientèle à titre gratuit – Annulation.

Qualifie inexactement les faits du litige la cour administrative d’appel qui, pour dire irrégulière en l’espèce l’application des dispositions de l’art. 57 du CGI, juge que la transformation d’une société située en France de distributeur exclusif en simple agent commercial de la société mère italienne n'avait pas révélé de transfert de clientèle à titre gratuit au bénéfice de cette dernière.

(4 octobre 2019, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 418817)

 

28 - Cotisation foncière des entreprises – Demandes de dégrèvement de la contribution économique territoriale en fonction de la valeur ajoutée et de la taxe foncière – Dégrèvement de la taxe seulement – Silence sur l’autre demande de dégrèvement valant rejet implicite – Imputation des dégrèvements ou des réductions de taxe accordés – Obligation de reversement sauf application de la compensation – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Dans ces trois décisions non jointes le Conseil d’État était saisi de litiges se posant en termes identiques. Il y est jugé, en vertu des dispositions combinées de l’art. 1447-0 du CGI et L. 203 du LPF, que les sommes accordées à un contribuable au titre du plafonnement de sa contribution économique territoriale en fonction de la valeur ajoutée s'imputent sur la cotisation foncière des entreprises due par celui-ci. Dès lors, l'administration peut, en application des dispositions de l'article L. 203 du LPF, effectuer ou demander, pour une année donnée, la compensation entre la réduction de cette cotisation qu'un contribuable demande et le reversement de celles des sommes précitées qui lui ont été indûment restituées. En revanche, les dispositions du III de l’art. 1647 B sexies du CGI, si elles imposent à l'administration de diminuer le montant de la cotisation foncière des entreprises due par un contribuable, par imputation, du montant du dégrèvement qui lui est accordé au titre du plafonnement de sa contribution économique territoriale en fonction de la valeur ajoutée, ne lui permettent pas de diminuer le montant de la réduction de cotisation foncière des entreprises dont peut bénéficier le même contribuable à la suite d'une révision à la baisse de ses bases d'imposition, par une telle imputation, des sommes qui lui ont été restituées au titre du dégrèvement accordé en raison du plafonnement de la contribution économique territoriale mais qui n'auraient pas dû l'être compte tenu de cette révision de base. En effet, sauf s'il y a compensation en application des dispositions de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales, ces sommes ne peuvent donner lieu qu'à une procédure de reversement dans les conditions fixées par le V de l'article 1647 B sexies précité.

C’est donc par suite d’une erreur de droit que la cour administrative d’appel a cru pouvoir juger qu'après cette révision de bases, la cotisation foncière laissée à la charge de la société était devenue inférieure au plafonnement en fonction de la valeur ajoutée, et que, par suite, l'administration fiscale avait pu, à bon droit imputer, en application du III de l'article 1647 B sexies du CGI, le dégrèvement qui lui avait été accordé à ce titre sur le montant du second dégrèvement qu'elle sollicitait. En effet, elle aurait dû rechercher si l'administration pouvait procéder à une compensation sur le fondement des dispositions de l'article L. 203 du LPF précité.

(4 octobre 2019, Société Pâtisserie Pasquier Etoile, n° 421989 ; v. aussi, du même jour avec même solution : Société d'Exploitation des Remontées Mécaniques de Morzine Avoriaz (SERMMA), n° 421991 et n° 421992)

 

29 - Agent général d’assurances – Prestations dispensées de la TVA – Prestations devant être liées à la nature même du métier de courtier ou d'intermédiaire d'assurance – Absence – Assujettissement à bon droit à la TVA – Rejet.

Il résulte de dispositions du CGI (art. 259 B, 274 à 277 A et 261 C) combinées avec l’interprétation donnée par la CJUE (17 mars 2016, (C-40/15), Minister Finansów c/ Aspiro SA) de l’art. 135, § 1, a) de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA,  que sont exonérées de TVA les prestations de services afférentes à des opérations d'assurance effectuées par les courtiers et les intermédiaires d'assurance lorsqu’elles sont liées à la nature même du métier de courtier ou d'intermédiaire d'assurance, lequel consiste en la recherche de clients et la mise en relation de ceux-ci avec l'assureur, en vue de la conclusion de contrats d'assurance et que, s'agissant d'un sous-traitant, il importe que celui-ci participe à la conclusion de contrats d'assurance.

En l’espèce, c’est à bon droit qu’a été assujetti à la TVA un agent général d'assurances à raison des  prestations de service facturées à son cabinet par une société de droit marocain qui n’effectuait aucune recherche de clients au profit du demandeur, qui ne disposait pas de la liberté de choix de l'assureur et qui fournissait des services tels que l'appel automatique des clients, programmé informatiquement à partir des fichiers transmis par le contribuable, et la fourniture, à ce dernier, des informations nécessaires à l'émission du contrat d'assurance, qui était signé au nom de celui-ci pour le compte de la compagnie d'assurance.

(9 octobre 2019, M. X., n° 416107)

 

30 - Plus-values de cession de droits sociaux – Cas des gains nets de cession à titre onéreux réalisés par un dirigeant de société – Départ à la retraite – Régime spécial d'imposition (art. 150-0 D ter CGI) – Conditions de mise en œuvre – Erreur de droit – Cassation avec renvoi à la cour administrative d'appel.

L'art. 150-0 D bis du CGI institue un abattement pour détention de longue durée de titres de société. L'art. 150-0 D ter du CGI applique l'abattement ainsi prévu aux gains nets réalisés lors de la cession à titre onéreux d'actions, de parts ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts, acquis ou souscrits avant le 1er janvier 2006, dès lors que sont remplies certaines conditions. En particulier, peut en bénéficier le cédant qui cesse « toute fonction dans la société dont les titres sont cédés et (fait) valoir ses droits à la retraite dans les deux années suivant ou précédant la cession ».

Le Conseil d'État interprète très logiquement cette disposition comme s'appliquant au cédant ayant fait valoir ses droits à la retraite au cours d'une période de quatre ans courant de deux années avant la cession à deux années après celle-ci. Il en déduit donc que ces dispositions « n'imposent ni que la cessation de fonction intervienne avant la mise à la retraite ou inversement, ni que ces deux événements interviennent tous deux soit avant, soit après la cession, ni enfin qu'ils se succèdent dans un délai plus rapproché que la période de quatre années précédemment indiquée ».

En l'espèce, l'intéressé, président de la société X.,  a cédé la totalité de ses titres au sein de celle-ci le 8 décembre 2010 alors qu'il avait fait valoir ses droits à la retraite le 1er janvier 2009 puis a conclu le 3 janvier 2011 un contrat de travail avec la société VCF Lyon aux termes duquel il devait poursuivre ses fonctions de directeur de la société X., ensuite celles de directeur commercial de cette même société, tout au long de l'année 2011, ce contrat étant en outre assorti de la conclusion le même jour d'une convention de prêt de main d'œuvre entre la société VCF Lyon et la société X. par laquelle les salaires, frais et charges relatifs au requérant étaient refacturés à cette dernière. Or  la cour administrative d'appel avait jugé, commettant ainsi une erreur de droit, qu'il ne pouvait pas bénéficier de l'abattement pour durée de détention prévu à l'article 150-0 D ter du CGI pour le calcul de la plus-value de cession de titres au motif qu'il n'avait pas cessé toute fonction au sein de la société X. au terme du délai de deux ans suivant son admission à la retraite, alors que le seul délai susceptible d'être opposé devait être apprécié au regard de la date de cession des titres.

L'arrêt est, sans surprise, cassé et l'affaire renvoyée à la cour.

(16 octobre 2019, M. et Mme X., n° 417364)

 

31 - Taxe à la valeur ajoutée (TVA) – Droit à déduction de l'assujetti à la TVA – Refus de l'administration – Opérateur assujetti sachant ou devant savoir qu'il participait à une fraude à la TVA – Obligation de diligence à la charge de l'opérateur – Charge de la preuve – Cassation avec renvoi de l'arrêt d'appel.

La société requérante, spécialisée dans le courtage des quotas d'émission de gaz à effet de serre, fait l'objet d'un important rappel de TVA, l'administration ayant remis en cause son droit à déduction de la TVA figurant sur les factures émises par seize sociétés auprès desquelles elle a acquis des quotas d'émission en raison de ce que ces dernières ont commis des fraudes.

La question était donc de savoir quelles diligences aurait dû opérer la société pour échapper à la remise en cause de son droit à déduction de TVA.

L'administration fiscale, confortée par les jugement et arrêt rendus dans cette affaire, soutenait que la contribuable savait ou aurait dû savoir qu'elle participait, même à son insu, à un concert frauduleux, d'où le rejet de son droit à déduction de TVA.

Selon le droit de l'UE (art. 17 de la directive du 17 mai 1977 repris à l'art. 168 de la directive du 28 novembre 2006) et le droit national transposant ces textes (art. 271, I, a) et II, 1) du CGI), le bénéfice du droit à déduction de TVA doit être refusé à un assujetti lorsqu'il est établi, au vu d'éléments objectifs, que celui-ci savait ou aurait dû savoir que, par l'opération invoquée pour fonder ce droit, il participait à une fraude à la TVA commise dans le cadre d'une chaîne de livraisons ou de prestations (CJUE, 8 décembre 2014, Staatssecretaris van Financiën c/ Schoenimport " Italmoda " Mariano Previti vof et Turbu.com BV, Turbu.com Mobile Phone's BV (C-131/13, 163/13 et 164/13) ). La CJUE s'est également prononcée sur le comportement attendu de l'opérateur auquel sont présentées des facturations frauduleuses (6 juillet 2006, Axel Kittel et Recolta Recycling SRPL (C-439/04 et C-440/04)). En bref, pour ne pas perdre son droit à déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont, il faut que celui-ci ait pris toute mesure pouvant raisonnablement être exigée de lui pour s'assurer que ses opérations ne sont pas impliquées dans une fraude, qu'il s'agisse de la fraude à la TVA ou d'autres fraudes. A contrario et en revanche, un assujetti qui savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA, doit être considéré comme participant à cette fraude, indépendamment de la question de savoir s'il tire ou non un bénéfice de la revente des biens, dès lors que, dans une telle situation, l'assujetti devient complice de la fraude.

De là le Conseil d'État tire les indications suivantes.

En premier lieu,  « l'administration fiscale ne peut exiger de manière générale de l'assujetti souhaitant exercer le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, d'une part, qu'il vérifie que l'émetteur de la facture correspondant aux biens et aux services au titre desquels l'exercice de ce droit est demandé dispose de la qualité d'assujetti, qu'il disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu'il a rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la taxe, afin de s'assurer qu'il n'existe pas d'irrégularités ou de fraude au niveau des opérateurs en amont, ou, d'autre part, qu'il dispose de documents à cet égard ».

En second lieu, « un opérateur avisé peut, en revanche, lorsqu'il existe des indices permettant de soupçonner l'existence d'irrégularités ou de fraude, se voir contraint de prendre des renseignements sur un autre opérateur auprès duquel il envisage d'acheter des biens ou des services afin de s'assurer qu'il s'est acquitté de ses obligations fiscales (cf., en ce sens : CJUE, 21 juin 2012, Mahagében kft (C-80/11)). Lorsque les indices permettent de soupçonner une méconnaissance, par un fournisseur de biens ou un prestataire de services, de ses obligations de déclaration ou de paiement de la TVA, il appartient ainsi à l'assujetti qui a acquis certains de ces biens ou services, pour les céder à son tour, de s'assurer qu'en ce qui concerne ces biens et services, son fournisseur ou son prestataire s'est acquitté de ses obligations ».

La conséquence de tout cela est, pour l'administration fiscale, qu'elle a l'obligation de prouver par des éléments objectifs que l'assujetti savait ou aurait dû savoir que l'opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude. Cette obligation est particulièrement lourde lorsque, comme au cas de l'espèce, sont en cause des opérations similaires réalisées par des sociétés différentes pendant une courte période, puisqu'en cette hypothèse ces éléments objectifs probants doivent porter sur chacune de ces sociétés, qu'il s'agisse de l'existence de la fraude reprochée, des indices permettant à l'assujetti mis en cause de la soupçonner ou encore des mesures qui peuvent raisonnablement être exigées. 

Appliquant ce vade-mecum au litige dont il était saisi le Conseil d'État  juge que la cour a méconnu les règles présidant à la charge de la preuve car, d'une part, elle s'est bornée à se référer aux mentions de la proposition de rectification au seul motif que ces dernières faisaient foi jusqu'à preuve du contraire dès lors qu'elles avaient été établies par un agent assermenté et a estimé, au surplus, que seule la société requérante était susceptible d'établir que les seize sociétés précitées avaient déclaré et payé la taxe qu'elles lui avaient facturée. D'autre part, la cour n'a pas analysé séparément, comme elle le devait, ainsi qu'il résulte des indications qui précèdent, la situation de chacune des seize sociétés concernées.

(14 octobre 2019, Société Consus France, n° 421925)

 

32 - Comptables publics – Détournement de fonds commis par le régisseur d’un opéra – Condamnation des comptables pour fautes ou négligences caractérisées dans l’exercice de leur fonction de contrôle – Absence de vices de procédure – Caractère régulier du fondement légal de la poursuite – Sanctions justifiées au fond – Rejet.

Suite à des détournements de fonds commis par le régisseur d’un opéra, les comptables publics sont condamnés à verser d’importantes sommes du chef de fautes ou négligences dans l’exercice de leurs fonctions de contrôle du maniement des deniers publics. Leurs condamnations par la chambre régionale ont été, pour l‘essentiel, malgré l’annulation de son jugement, confirmées par la Cour des comptes. Ces comptables et leur ministre de tutelle se pourvoient : leurs recours, joints, sont rejeté en tous chefs de demandes.

Ce sont surtout des moyens de procédure qui étaient soulevés la matérialité des faits reprochés n’étant pas sérieusement contestable.

Le Conseil d’État rappelle à nouveau que la règle d’imparité dans la composition d’une formation juridictionnelle n’est pas un principe général et qu’elle n’existe pas sans texte l’imposant.

Aucune disposition n’impose à la Cour des comptes de répondre spécifiquement aux observations orales présentées à l’audience par l’un des prévenus en sus de ses observations écrites figurant à la procédure.

Pareillement, ne peuvent être retenus les moyens critiquant le jugement de la chambre régionale ou son utilisation par la Cour dès lors que celle-ci l’a annulé.

Il est également rappelé que le juge des comptes ne peut fonder les décisions qu'il rend dans l'exercice de sa fonction juridictionnelle que sur les griefs retenus par le ministère public dans son réquisitoire introductif d'instance et, le cas échéant, dans un réquisitoire supplétif, comme susceptibles de fonder une charge à l'encontre du comptable concerné.

Enfin, contrairement à ce que soutenaient les demandeurs à la cassation, c’est bien sur les dispositions du III de l’art. 60 de la loi du 23 février 1963, de finances pour l’année 1963, que le ministère public près la Cour et la Cour elle-même se sont fondés, pour le premier, pour préconiser les condamnations et, pour la seconde, pour entrer en voie de condamnation.

(9 octobre 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 416814 ; M. X., n° 416894)

 

33 - Cotisation foncière des entreprises et taxe sur les chambres de commerce et d’industrie – Exonération (art. 1459 CGI) – Cas des locaux loués dans un immeuble où se trouve également l’habitation personnelle du loueur – Chambres d’hôtes – Condition du dégrèvement – Cassation partielle et renvoi à la C.A.A. dans cette mesure.

Une personne loue des chambres d’hôtes dans son habitation personnelle. Elle demande et obtient de la cour administrative d’appel l’exonération de la cotisation foncière des entreprises et de la taxe sur les chambres de commerce et d’industrie à raison de la partie louée en application des dispositions du b) du 3° de l’art. 1459 CGI. Le Conseil d’État, faisant une lecture très restrictive du texte, aperçoit une erreur de droit car la cour n’a pas recherché si la contribuable utilisait ou non ces locaux à titre personnel en dehors des périodes de location.

La seule classification en chambres d’hôte ne suffit pas à faire échapper les locaux concernés à cet impôt.

(9 octobre 2019, Mme X., n° 417676)

 

34 - Taxe sur la valeur ajoutée – Régularisation globale (5° du 1 du III de l’art. 207 de l’annexe II au CGI) – Subordination à la réalisation certaine de la désaffectation d’une immobilisation – Absence en l’espèce – Erreur de droit à admettre la régularisation globale – Cassation avec renvoi.

La société requérante a cessé son activité de production de matières plastiques et cédé ses actions en vue d’une entreprise qui, s’engageant à ne pas reprendre l’activité industrielle précédente et à dépolluer le site, l’affecte à des entreprises de protection de l’environnement, de production d’énergies renouvelables et de valorisation des déchets. L’administration, après contrôle, a effectué des rappels de TVA car elle estimait nécessaire une régularisation globale, conformément aux dispositions du 5° du 1 du III de l’art. 207 de l’annexe II au CGI. Contestant ces rappels, la société a saisi en vain les juges du fond et se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État tire de cette disposition la règle selon laquelle « Une entreprise n'est tenue de procéder à la régularisation globale prévue par les dispositions précitées (…) qu'à compter de l'évènement qui caractérise de façon certaine la désaffectation définitive d'une immobilisation à la réalisation d'opérations taxables ».

En l’espèce, il constate qu’à partir du mois de mars 2008 il a été procédé à la mise en sécurité du site de production, dans l'attente de son démantèlement et de sa dépollution. Cependant, si les biens immobilisés de la société ont cessé, à cette date, d'être utilisés pour les besoins de son activité industrielle, ils étaient destinés à être soit détruits, soit cédés, soit transformés dans le cadre de la réaffectation des terrains à un nouvel usage. Dans ces circonstances, la conservation, au cours de l'année 2008, des biens immobiliers dans le patrimoine de la société dans l'attente de l'engagement des opérations de démantèlement, ne constituait pas un événement de nature à entraîner la régularisation globale de la taxe ayant grevé leur acquisition. 

Ainsi, la cour, qui s’est par ailleurs méprise sur la base légale ici applicable, a commis une erreur de droit en considérant que  « la taxe initialement déduite devait faire l'objet d'une régularisation globale dès 2008 (…) aux motifs, d'une part, que ces biens avaient cessé d'être utilisés pour l'activité de production de matières plastiques et, d'autre part, qu'il n'était pas justifié qu'ils auraient été, au cours de cette période, réaffectés à la réalisation d'autres opérations imposables ». 

(9 octobre 2019, Société Industrial et Environnemental Platform, n° 418100)

 

35 - Impôt sur les sociétés – Actions en usufruit – Renonciation à l'usufruit – Absence de cession à titre gratuit – Accroissement corrélatif de l'actif net – Conséquences fiscales pour la société – Annulation de l'arrêt d'appel sans renvoi.

Une société par actions détient la nue-propriété des actions tandis que leur usufruit appartient à une personne physique. Celle-ci renonce à l'usufruit viager qu'elle détenait sur ces actions. Comment qualifier fiscalement cette opération ?

L'administration fiscale, en imposant un supplément d'impôt sur les sociétés du chef de cette renonciation à l'usufruit, et les juges du fond, saisis d'un recours contre cette décision, y ont vu une cession d'actions. Se fondant sur les dispositions pertinentes du Code civil (notamment les art. 578, 595, 617, 621 et 622) telles qu'interprétées par une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le Conseil d'État condamne cette interprétation : l'extinction volontaire de l'usufruit par la renonciation du bénéficiaire à se prévaloir de celui-ci ne vaut pas cession à titre gratuit de l'usufruit. Cet acte a donc pour effet d'entraîner la reconstitution de la pleine propriété des actions entre les mains du nu-propriétaire avant le terme normal de l'usufruit et il se traduit donc fiscalement par l'acquisition de droits nouveaux par le nu-propriétaire et par un accroissement de l'actif de l'entreprise.

L'impôt sur les sociétés du par la société demanderesse devait donc être déterminé sur la valeur globale des actions telles qu'elles devaient désormais être inscrites à son actif net. C'est à bon droit que l'administration a tenu compte de cette valeur pour l'établissement du supplément d'impôt sur les sociétés.

(14 octobre 2019, Société Techmeta Participations, n° 417095)

 

36 - Créance résultant d'une décision de justice passée en force de chose jugée – Recouvrement d'office d'une telle créance (art. 1, IV, loi du 16 juillet 1980) – Régime applicable au cas des sections de communes – Mise en demeure d'émettre l'état de recouvrement devant être adressée au maire de la commune – Rejet.

L'art. 1er, point IV, de la loi du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public, dispose  : « L'ordonnateur d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public local est tenu d'émettre l'état nécessaire au recouvrement de la créance résultant d'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée dans le délai de deux mois à compter de la date de notification de la décision de justice (...) ».

Un jugement ayant annulé la délibération par laquelle un conseil municipal a réparti les produits de la vente des coupes de bois intervenues en 2010 entre les ayants-droit affouagistes des différentes sections de commune, se posait la question de la procédure à suivre pour le recouvrement des créances sur les sections de communes. Bien que celles-ci constituent des personnes morales de droit public, c'est au maire de la commune à laquelle sont rattachées lesdites sections, en sa qualité d'ordonnateur, que le préfet doit adresser la mise en demeure d'émettre l'état nécessaire au recouvrement correspondant.

C'est ce qui a été fait en l'espèce, ce qui conduit au rejet du recours qui soutenait que cette mise en demeure devait être adressée aux sections de commune.

(14 octobre 2019, Commune de Chambon-sur-Dolore, sections de commune de Malvieille, de l'Hôpital, de Les Ayes, de La Mas, de Frideroche, M. X. et autres, n° 425645)

 

Droit public économique

 

37 - Transfert au secteur privé d'une participation publique majoritaire au capital d'une société – Aéroport de Toulouse-Blagnac (ATB) – Ouverture du pourvoi en cassation – Offre conjointe – Absence d'exigence de pérennité des participants à l'offre – Action en qualité de mandataire du chef de file – Absence d'effets – Annulation de l'arrêt d'appel.

De cette importante affaire qui illustre les péripéties de cessions d'aéroports au secteur privé, on ne retiendra que les points suivants.

En premier lieu, sont rappelés, d’abord, le principe constant selon lequel « la voie du recours en cassation n'est ouverte, en vertu des règles générales de la procédure, qu'aux personnes qui ont eu la qualité de partie dans l'instance ayant donné lieu à la décision attaquée », ensuite la notion de partie à l'instance devant les juges du fond  : cette dernière est la personne qui a été invitée par la juridiction à présenter des observations et qui, si elle ne l'avait pas été, aurait eu qualité pour former tierce opposition contre la décision rendue par les juges du fond. En l'espèce, la société qui a été appelée par la cour administrative d'appel à présenter des observations dans l'instance avait, en sa qualité d'acquéreur de la participation litigieuse, des intérêts propres à défendre dans le litige portant sur la contestation de la cession ; elle ne pouvait donc pas, en conséquence, être regardée comme ayant été représentée par le ministre de l'économie et des finances dans l'instance ayant statué sur ce litige. Par suite, faute pour la cour de l'inviter à présenter ses observations, elle aurait eu intérêt à former tierce opposition contre l'arrêt de la cour. 

En deuxième lieu, la cour avait estimé, interprétant les dispositions du cahier des charges, que le consortium constitué pour présenter une offre conjointe devait rester de composition inchangée jusqu'au dépôt de l'offre ferme. Elle en avait déduit qu'une modification des candidatures en cours de processus était interdite. C'est pourquoi elle avait jugé que le ministre chargé de l'économie, en agréant l'offre ferme présentée par le consortium en dépit des changements intervenus dans sa composition, avait méconnu les dispositions du cahier des charges. Le Conseil d'État estime, au contraire, « qu'aucune des règles fixées par le cahier des charges n'imposait aux participants à une offre conjointe de regrouper les mêmes entités tout au long de la procédure à l'exception de son chef de file ». D'où l'annulation de l'arrêt sur ce point pour erreur de droit.

En troisième lieu, est également rejetée l'argumentation tirée de ce que la privatisation d'ATB devait être précédée de l'information et de la consultation du comité d'entreprise sur les objectifs de la privatisation et sur ses répercussions quant à l'organisation juridique, économique et sociale de l'entreprise. En effet, l'ordonnance du 20 août 2014 (art. 2,7 II) combinée avec ce qui était alors les art. L. 2323-6 et L. 2323-19 du code du travail, prévoit que le choix des acquéreurs et les conditions de cession sont arrêtés par une autorité de l'État , sur avis conforme de la commission des participations et des transferts. Elle exclut donc par-là la consultation du comité d'entreprise sur le choix à opérer entre les offres des candidats à l'acquisition.

Enfin, il est rappelé qu'est inopérante la critique par les requérants de la méconnaissance des principes généraux du droit de la commande publique, en particulier des principes de liberté d'accès, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, dès lors que l'opération litigieuse, qui a pour objet la cession d'une participation de l'État au capital d'une société, ne relève pas du champ de la commande publique.

(9 octobre 2019, Ministre de l'économie et des finances, n° 430538 ; (SAS) Casil Europe, n° 431689)

 

38 - Vins d'appellation d'origine contrôlée (AOC) – Cahier des charges de l'appellation "Pauillac" – Décision de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) refusant de classer certaines parcelles dans l'aire parcellaire délimitée d'une AOC – Absence d'irrégularité – Rejet.

La Société requérante invoque divers arguments au soutien de ses demandes d'annulation, d'une part, d'un arrêté interministériel, homologué par décret, modifiant le cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée (AOC) " Pauillac " et ne classant pas dans l'aire parcellaire de cette appellation certaines parcelles lui appartenant, et d'autre part, la décision de l'INAO - suite à l'avis du comité national des appellations d'origine relatives aux vins et boissons alcoolisés et des boissons spiritueuses - refusant de proposer le classement dans l'AOC "Pauillac" de certaines de ses parcelles.

Trois points importants sont abordés.

En premier lieu, quant au régime des actes, le Conseil d'État apporte deux précisions : 1°/ les délibérations par lesquelles le comité national compétent de l'INAO propose une modification du cahier des charges ne présentent qu'un caractère préparatoire à l'arrêté homologuant le cahier des charges ainsi modifié, y compris en tant que cette proposition écarte le classement de certaines parcelles de l'aire parcellaire définie par ce cahier des charges.  Par suite est irrecevable un recours contentieux dirigé contre une telle mesure. Étant toutefois rappelé que toute irrégularité entachant ces délibérations peut être invoquée à l'appui du recours dirigé contre l'arrêté d'homologation. 2°/ L'arrêté d'homologation constituant une décision réglementaire et non une décision individuelle il n'est pas soumis à l'obligation de motiver qui ne concerne que les décisions individuelles défavorables (art. L. 211-2 CRPA).

En deuxième lieu, le cahier des charges de l'appellation "Pauillac" décrit les facteurs naturels et humains contribuant au lien avec la zone géographique ; il en résulte que l'autorité administrative pouvait écarter celles des parcelles à classer dès lors qu'elles ne satisfaisaient pas pleinement aux seuls facteurs naturels même si ceux-ci sont à prendre en compte pour la délimitation de l'aire géographique de production.

En troisième lieu, enfin, le juge n'aperçoit pas de parcelles présentées au classement par la SCI requérante qui auraient été illégalement écartées.

(14 octobre 2019, Société civile du Château Lynch-Moussas, n° 417843 ; v. aussi, sur la question, voisine, de la limite à laquelle peut être porté - par le cahier des charges de l'appellation - le titre alcoométrique volumique total du vin classé AOC "Loupiac" après enrichissement par sucrage à sec ou par moût concentré rectifié, la décision de rejet : 21 octobre 2019, Syndicat viticole de Loupiac, n° 420724) 

Dans le même sens, à propos du cahier des charges de l'appellation "Monbazillac", voir : 21 octobre 2019, Fédération des vins de Bergerac et Duras et autres, n° 419050)

 

39 - Aide à la modernisation-mécanisation en zone de montagne – Programme de développement rural 2007-2013 – Achat d'un tracteur – Aides accordées par l'État et par le Fonds européen agricole pour le développement rural au titre du plan de modernisation des bâtiments d'élevage (FEADER - PMBE) – Dépense finale inférieure, par suite d'apports familiaux, à celle initialement envisagée – Décision de réduire les aides – Rejet et annulation très partielle de l'arrêt d'appel.

Un agriculteur obtient, dans le cadre des politiques d'aides de l'État et de l'Union européenne à l'agriculture en zone de montagne, des subventions pour l'achat d'un tracteur ; celles-ci sont calculées sur le prix de vente de l'appareil. En réalité, l'agriculteur bénéficie d'une réduction de prix car il rétrocède au vendeur une presse agricole dont la valeur vient en déduction du prix d'acquisition. De plus, des oncles de l’intéressé supportent une partie du prix. Le préfet a prononcé la déchéance partielle de cette aide et en a exigé la restitution au double motif de l'apport réglé directement au fournisseur par les oncles et de la réduction du prix liée à la cession d'une presse agricole.

Le Conseil d’État estime que si le préfet est fondé à déduire du prix d'achat du tracteur le prix de cession de la presse, il n'est en revanche aucunement fondé à défalquer l'apport avunculaire dès lors que l'intéressé avait produit la facture du tracteur établie à son nom, attestant ainsi du règlement intégral du prix prévu, qu'il était seul propriétaire de cet engin agricole et qu'il n'était pas contesté par l'administration qu'il en était également l'unique exploitant.

L'arrêt d'appel est réformé seulement en tant qu'il n'avait pas déduit du prix d'acquisition du tracteur la valeur de reprise de la presse.

(14 octobre 2019, Ministre de l'agriculture et de l'alimentation, n° 417886)

 

Droit social et action sociale

 

40 - Aides sociales – RMI/RSA – Ouverture des droits au RSA – Âge de la retraite – Possibilité de différer cette ouverture jusqu'au jour de l'obtention d'une retraite à taux plein – Rejet.

On retiendra de cette décision surtout ceci.

En principe, le droit au RSA, dans certaines conditions, est subordonné à l'ouverture du droit à pension de retraite. Toutefois, si, à l'âge où l'intéressé a droit à sa pension celle-ci n'est pas encore à taux plein, il lui est possible de différer la demande du bénéfice du RSA jusqu'à la date où sa retraite pourra lui être versée à taux plein. En revanche, dès ce moment, il a l'obligation, le cas échéant, de solliciter l'allocation du RSA.

(2 octobre 2019, M. X., n° 418930)

 

41 - Conventions collectives – Arrêté portant fusion des champs conventionnels de deux conventions collectives – QPC portant sur l'atteinte, par certaines dispositions du code du travail, aux droits et libertés garantis par la Constitution – Admission du moyen et renvoi au Conseil constitutionnel.

Par un arrêté du 9 avril 2019 la ministre du travail a décidé la fusion de champs conventionnels par le rattachement de la convention collective des artistes-interprètes engagés pour des émissions de télévision (IDCC 1734) à la convention collective de la production audiovisuelle (IDCC 2642). La fédération et le syndicat requérant font valoir que les dispositions des articles L. 2261-32, L. 2261-33 et L. 2261-34 du code du travail portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution en ce qu'elles méconnaissent les principes de la liberté contractuelle et du droit au maintien de l'économie des conventions légalement conclues, de la liberté syndicale, de la " liberté de négociation collective " et de la participation des salariés à la détermination collective de leurs conditions de travail, garantis par les articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 ainsi que par les sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Le Conseil d'État aperçoit là une question nouvelle, applicable au litige et de caractère sérieux. Est ordonné le renvoi de cette QPC au C.C.

(2 octobre 2019, Fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle CGT (CGT spectacle) et syndicat français des artistes-interprètes CGT (SFA-CGT), n° 431750)

 

42 - Pôle emploi – Litiges relatifs aux prestations assurées par Pôle emploi – Compétence pour en connaître – Distinction entre prestations servies au titre du régime d'assurance chômage et prestations servies au titre du régime de solidarité – Régime contentieux des aides créées par Pôle emploi – Régime de la rémunération des formations Pôle emploi – Compétence du juge administratif – Annulation du jugement attaqué et renvoi.

Dans le cadre d'un litige né de ce qu'un bénéficiaire fait opposition à la contrainte délivrée par Pôle emploi pour la récupération de la somme versée par cet organisme audit bénéficiaire au titre de la rémunération formation Pôle emploi, est posée en particulier une délicate question de compétence juridictionnelle pour connaître de ce litige. Seul cet aspect sera retenu ici.

Celui-ci montre quel degré de complexité peuvent atteindre les réécritures partielles de textes, modifications d'organigrammes, changements de structures opérationnelles, le tout sur fond d'indétermination statutaire de l'organisme en cause, à savoir Pôle emploi. Ce dernier est "une institution nationale publique", ce qui ne veut rien dire, chargée - brevitatis causa - du service public de l'emploi.

S'agissant du régime contentieux de ses différentes actions, le législateur, lorsqu'il a remplacé l'ANPE (Agence nationale pour l'emploi) par Pôle emploi, a entendu ne pas modifier la répartition antérieure des compétences juridictionnelles.

D'où le tableau suivant :

1°/ La juridiction judiciaire continue à être compétente pour connaître des litiges relatifs à celles des prestations assurées par Pôle emploi en vertu des textes (par ex. les prestations servies au titre du régime d'assurance chômage).

2°/ La juridiction administrative est compétente, d'une part, pour les litiges concernant les prestations servies au titre du régime de solidarité, et d'autre part, pour ceux concernant toute prestation créée librement par Pôle emploi dans le cadre de ses compétences propres et de sa mission de service public, sous réserve, dans l'un et l'autre cas, que n'est pas en cause la régularité d'un acte de poursuite.

3°/ Nonobstant la circonstance que l'art. L. 6341-11 du code du travail dispose que : « Tous les litiges auxquels peuvent donner lieu la liquidation, le versement et le remboursement des rémunérations et indemnités prévues au présent chapitre relèvent de la compétence du juge judiciaire », la rémunération des formations Pôle emploi se range dans la seconde des catégories exposées au 2°/ ci-dessus et les litiges qu'elle suscite relèvent de la compétence du juge administratif.

Ne devrait-on pas faire plus simple ? Par exemple en décidant que tous les litiges suscités par les décisions de Pôle emploi comme par la réparation des dommages causés par son action, relèvent d'un seul ordre juridictionnel.

Ce disant, nous avons l'impression d'être une vox clamans in deserto...

(21 octobre 2019, Pôle emploi, n° 421250)

 

43 - Polynésie française – Loi du pays comportant des mesures en faveur d'un recrutement préférentiel des salariés de droit privé parmi les résidents en Polynésie – Légalité sous réserve – Annulation très partielle de la loi du pays.

Les organisations requérantes contestent la légalité d'une loi du pays adoptée par le territoire de Polynésie française, dans le souci de favoriser l'embauche des salariés de droit privé parmi les résidents polynésiens. Cette loi a, en conséquence, pris des mesures de discrimination positive sur le fondement de l'art. 18 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française.

En particulier, la loi a prévu que lorsqu'une activité professionnelle, dont la liste est arrêtée chaque année, atteint 10% de recrutements de salariés dont la durée de résidence, appréciée à partir de leur date d'inscription à la caisse de prévoyance sociale, est respectivement de moins de dix, cinq ou trois ans, cette activité peut justifier d'une protection " minimale ", " intermédiaire " ou " renforcée ". Ce seuil conduit à instaurer, pour les nouvelles embauches et en faveur des personnes justifiant d'une durée d'inscription à la caisse de prévoyance sociale supérieure, selon les cas, de trois ans, cinq ans ou dix ans, une priorité de recrutement à conditions de qualification et d'expérience professionnelles égales.

Le Conseil d'État juge ces dispositions conformes à la loi organique. Il fait seulement une réserve concernant le cas des embauches réalisées dans l'urgence : sur ce point la loi va au-delà des strictes nécessités pour soutenir l'emploi local et méconnait en conséquence les dispositions de la loi organique.

La déclaration d'illégalité ne concerne donc que ce point, le surplus des requêtes est rejeté.

(23 octobre 2019, Mouvement des entreprises de France de Polynésie Française (MEDEF PF) et autres, n° 433595 ; Confédération des petites et moyennes entreprises de Polynésie française (CPME PF) et autre, n° 433618)

 

Environnement

 

44 - Guyane – Opérations susceptibles d’incidences notables sur l’environnement – Défrichements d’une certaine ampleur – Décret dérogatoire du 3 avril 2018 – Principe de non-régression (art. L. 110-1, II, code environnement) – Méconnaissance partielle – Annulation dans cette mesure.

Le décret du 3 avril 2018 porte adaptation en Guyane des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement. En particulier, il exclut, pour ce département, à la rubrique 47 de la nomenclature annexée à l'article R. 122-2 du code de l'environnement, les projets de défrichement de plus de 0,5 hectares précédemment soumis à l’obligation d’une évaluation environnementale. Les associations requérantes demande l’annulation de cette disposition et d’autres.

Le Conseil d’État accueille partiellement la requête en vertu du principe de non-régression, principe essentiel du droit environnemental repris au II de l’art. L. 110-1 du code de l’environnement.

D’une part, le juge rejette la partie de la requête contestant les dispositions du décret précité exemptant de toute évaluation environnementale les projets de déboisement en vue de la reconversion des sols portant sur une superficie totale de moins de 20 hectares dans les zones classées agricoles. En effet, le principe de non-régression n’est pas atteint par cette mesure car tant le plan local d’urbanisme ou le schéma d’aménagement régional, en vertu desquels ces terrains ont fait l'objet d'un classement en zones agricoles, font eux-mêmes l’objet d’une évaluation environnementale (art. L. 443-7 CGCT et L. 104-1 c. urb.).

D’autre part, en revanche, celles des dispositions du décret attaqué qui exemptent de toute évaluation environnementale  les projets de déboisement en vue de la reconversion des sols portant sur une superficie totale de moins de cinq hectares dans les autres zones, c'est-à-dire celles non classées en zones agricoles par un document d'urbanisme ayant lui-même fait l'objet d'une évaluation environnementale ou dans le schéma d'aménagement régional, alors qu'une telle exemption était jusqu'alors limitée aux projets de déboisement en vue de la reconversion des sols portant sur une superficie totale de moins de 0,5 hectares, sont  susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, eu égard notamment à la biodiversité remarquable qu'abrite la forêt guyanaise, nonobstant l'étendue de la forêt en Guyane et la protection dont une grande partie de celle-ci  fait par ailleurs l'objet.

Par suite, les associations requérantes sont fondées à soutenir que ces dispositions méconnaissent le principe de non-régression de la protection de l'environnement.

(9 octobre 2019, Association France Nature Environnement et association Guyane Nature Environnement, n° 420804)

 

État -civil et nationalité

 

45 - Accès aux origines personnelles – Rôle du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP) – Refus de permettre la communication de l'identité de la mère biologique de la demanderesse – Fondement juridique – Accouchements intervenus antérieurement à l'entrée en vigueur des dispositions du code de l'action sociale et des familles – Erreur de droit mais substitution de base légale – Rejet.

Cette décision, qui estime régulier le refus du CNAOP d'autoriser une personne à se voir communiquer l'identité de sa mère, illustre l'inconfort intellectuel et moral engendré par ce genre de situations où il s'agit de mettre en balance le droit de chacun à connaître ses origines personnelles et celui de la mère de se réfugier dans l'anonymat pour refuser toute communication de son identité à son enfant.

En l'espèce, une enfant née et adoptée en 1952 a sollicité pouvoir connaître l'identité de sa mère, laquelle est toujours vivante. Le CNAOP a rejeté sa demande au double motif que sa mère avait, dès la naissance de sa fille, exigé l'anonymat et que, informée de la démarche de sa fille, elle a maintenu son refus que soit révélée son identité.

Après que le tribunal administratif puis la cour administrative d'appel ont rejeté son recours contre le rejet de sa demande par le CNAOP, l'intéressée se pourvoit et le Conseil d'État rejette le pourvoi.

Pour juger régulier ce refus, après avoir cité les dispositions pertinentes du code de l'action sociale et des familles (art. L. 147-1 et L. 147-2, et art. L. 147-5 et L. 147-6), la cour s'est fondée sur les articles 7 et 8 de la loi du 27 juin 1904 relative au service des enfants assistés, applicable lors de la naissance de la requérante, qui permettaient à une mère de garder le secret sur son identité.

Toutefois, la loi de 1904 ayant été abrogée par l'acte dit "loi" du 15 avril 1943, la cour a commis une erreur de droit que le Conseil d'État répare aisément par une substitution du texte de 1943 à celui de 1904, celui-là ouvrant à la mère le même droit à l'anonymat.

Enfin, sur le fond, le Conseil d'État considère, comme la cour, que le maintien du refus opposé à la demanderesse par le CNAOP de lui permettre d'accéder à la connaissance de ses origines - que celui-ci était d'ailleurs tenu de lui opposer - ne méconnaît pas les dispositions de l'art. 8 de la Convention EDH relatives au droit au respect de la vie privée et familiale.

(16 octobre 2019, Mme X., n° 420230)

 

46 - Changement de nom patronymique – Demande d'accolement des noms de famille des deux parents – Existence d'un intérêt légitime à ce changement – Circonstances exceptionnelles – Existence – Annulation des jugement et arrêt – Injonction au garde des sceaux de réexaminer la demande.

Les parents d'un enfant portant seulement le nom de famille de son père demandent à ce qu'il soit autorisé à porter les noms accolés de ses deux parents. L'administration ayant refusé et ce refus ayant été confirmé tant en première instance qu'en appel, ils saisissent le Conseil d'État d'un pourvoi.

Celui-ci, applique l'art. 61 du Code civil, lequel exige, comme condition d’une telle modification, l'existence d'un "intérêt légitime" mais admet aussi des motifs d'ordre affectif qui, "dans des circonstances exceptionnelles", peuvent constituer un motif légitime.

Il résulte des faits de l'espèce la volonté certaine des parents, dès avant la naissance de l'enfant et immédiatement après, de lui attribuer leurs deux noms de famille. Celle-ci s'est encore manifestée devant l'officier d'état-civil qui a réussi à dissuader le père dans sa démarche au motif que cela entraînerait des complications ultérieures. Enfin, la mère, dont l'accouchement avait été très difficile, est demeurée plus d'une année porteuse des séquelles de celui-ci, subissant notamment plusieurs interventions. C'est pourquoi le Conseil d'État juge, avec grande sagesse, que c'est par une inexacte qualification des faits de l'espèce que la cour d'appel a estimé que les parents ne justifiaient pas, faute de circonstances exceptionnelles, d'un intérêt légitime à demander que l'enfant porte leurs deux noms. Il est fait injonction au gardien des sceaux de réexaminer la demande des parents.

Indépendamment de l'opinion défavorable que peut susciter l'attitude de l'administration, il faut vivement regretter qu'avec cette décision, rendue dix ans et quatre mois après la naissance de l'enfant et près de neuf ans après la publication au Journal officiel de la requête parentale, l'affaire ne soit point encore réglée. Il s'en faut encore de trois mois sauf si le ministre accélère les choses... Ce qui ne serait pas du luxe...

(16 octobre 2019, Mme X. et M. Y, n° 421616)

 

Fonction publique et agents publics

 

47 - Personnel enseignant du second degré – Classement des demandes de mutation pour la rentrée 2018 – Existence de quatre critères légaux de priorité pour ce classement (loi du 11 janvier 1984, art. 60, al. 4) – Note de service instaurant des critères supplémentaires – Impossibilité pour ces derniers de prévaloir, le cas échéant, des critères de priorité fixés par la loi – Illégalité en cas contraire.

Le ministre de l’Éducation nationale pouvait, par sa note de service querellée, prévoir des critères supplémentaires de classement des enseignants candidats à une mutation de poste lorsque l’application de l’un au moins des quatre critères de priorité prévus par la loi aboutit à des égalités de classement. En revanche, le recours à de tels critères est illégal lorsque ceux-ci, loin d’avoir un caractère subsidiaire, ont pour effet que des demandes d’agents ne satisfaisant à aucun des critères légaux de priorité précèdent, dans le classement établi en vue de l'examen des demandes de mutation, celles des agents relevant d'au moins une des priorités définies au quatrième alinéa de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984.

En raison de l’indivisibilité des dispositions de la note attaquée celle-ci est annulée en son entier.

(4 octobre 2019, M. X., n° 416648)

 

48 - Praticien hospitalier – Chirurgien –Allégation de mise à l'écart délibéré – Relations dégradées avec ses supérieurs – Référé liberté – Mesures ordonnées – Annulation de l'ordonnance attaquée et injonction.

Un chirurgien, praticien hospitalier, se plaint d'avoir été de facto écarté de ses fonctions en raison de relations dégradées avec ses supérieurs hiérarchiques. Son référé liberté tendant à se voir rétabli dans ses activités de chirurgien cardiaque, dans ses activités de chirurgien thoracique ainsi que dans la totalité de ses accès informatiques ayant été rejeté par le premier juge, il interjette appel devant le Conseil d'État. 

Le juge d'appel des référés, après avoir constaté avec beaucoup de minutie qu'en effet l'intéressé s'est vu dépouillé de l'essentiel de ses activités et responsabilités professionnelles et « Sans qu'il puisse être certain que la brutale rupture d'activité de M. X. soit due à des agissements constitutifs d'un harcèlement moral », ordonne ceci qu'il estime nécessaire à la fois pour la sauvegarde d'une liberté fondamentale et pour tenir compte des exigences de qualité du service public hospitalier.

« Il y a donc lieu d'ordonner à l'hôpital d'établir avec l'intéressé un planning détaillé de ses activités, à Besançon, et, si la convention qui lui sera communiquée l'exige, à Dijon, de tenir de manière contradictoire un relevé des présences de l'intéressé, de déterminer en accord avec lui et le cas échéant de tiers impartiaux aptes à apprécier ses capacités, l'éventuelle nécessité de formations, leur organisation, leur date et leur nature, tenant compte de l'inactivité des dernières années et dans le but d'assurer un exercice efficace des compétences de M. X., et plus généralement, de traduire par écrit, de manière claire et en les motivant, les éventuelles réserves, reproches ou consignes et attentes de la direction et de ses supérieurs hiérarchiques envers M. X. pour qu'il puisse assurer son service ».

La solution est remarquable en ce que, d'une part, elle tente de désamorcer à bref délai une situation dont le pourrissement serait préjudiciable aux intérêts de l'intéressé comme du service public, et d'autre part, conduit le juge administratif des référés à se comporter comme un juge de paix, au sens courant de l'expression.

(15 octobre 2019, M. X., n° 434664)

 

49 - Agent public territorial – Admission à la retraite – Retrait de cette décision sur demande de l'intéressé – Révision de la pension concédée – Absence d'opposabilité de l'interdiction, à certaines conditions, de la prohibition de sa révision – Annulation du jugement avec renvoi.

Lorsqu'un agent public territorial est admis à la retraite, il ne peut solliciter la révision de sa pension que pour des motifs limitativement énumérés à l'art. 62 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).

Dans la présente affaire, l'intéressée, avait - sur sa demande - été admise à la retraite avant le terme légal en raison de sa qualité de mère de trois enfants, puis s'apercevant que ce mécanisme lui était défavorable, a demandé et obtenu de ses supérieurs hiérarchiques le retrait de l'arrêté l'admettant à faire valoir ses droits à la retraite. Cependant, la CNRACL a refusé de faire droit à cette demande car elle ne satisfait pas aux dispositions de l'art. 62 ci-dessus. Celles-ci énumèrent limitativement les motifs de suppression ou de révision de la pension (erreur matérielle ou erreur de droit) : au rang de ces motifs ne figure pas celui invoqué par la demanderesse.

Pour prononcer, à la demande de la requérante, l'annulation du refus opposé par la CNRACL, le Conseil d'État interprète l'art. 62 comme ne faisant pas « obstacle à ce que l'autorité administrative compétente rapporte, à la demande de l'intéressé, si elle l'estime opportun, la décision admettant un agent à la retraite, pour lui substituer une décision de radiation des cadres fondée sur un autre motif, dès lors que ce retrait ne porte pas atteinte aux droits des tiers. Dans cette hypothèse, il appartient à l'autorité chargée de la liquidation de la pension de retirer, à la date d'effet du retrait de la décision admettant l'agent à la retraite, la décision portant concession de pension et de recouvrer les arrérages versés ».

Pour généreuse qu'elle soit, cette solution repose sur une interprétation du texte en cause qui n'a pas pour elle la vertu de l'évidence.

(21 octobre 2019, Mme X., n° 422299)

 

50 - Candidatures à l'enseignement catholique sous contrat d'association – Soumission des candidatures à une commission consultative mixte après avis du chef d'établissement – Adhésion à un accord sur l'emploi – Avis ne liant pas celui de la commission consultative – Introduction au sein de la procédure de mutation des maîtres de l'enseignement privé d'une procédure interne à l'enseignement catholique – Absence d'atteinte au principe d'égalité – Rejet.

Le syndicat requérant demande l'annulation de la décision implicite du ministre de l'éducation nationale, née du silence gardé sur sa demande d'abroger la dernière phrase du 1er alinéa de l'article R. 914-77 du code de l'éducation.

Cette demande se situant dans le cadre de la procédure de recrutement ou de mutation des maîtres de l'enseignement privé sous contrat d'association avec l'État, il convient de préciser certains points de procédure. L'art. R. 914-76 du code de l'éducation comporte un troisième alinéa ainsi conçu : « Les maîtres titulaires qui demandent pour la première fois une nomination dans un établissement d'enseignement privé justifient, à l'appui de leur candidature, de l'accord préalable du chef de l'établissement dans lequel ils sollicitent cette nomination ».

L'art. R. 914-77 dispose en son premier alinéa, dont la dernière phrase est soulignée ci-dessous (et dont l'annulation était demandée au juge) : « L'autorité académique soumet les candidatures, accompagnées de l'avis des chefs d'établissement ou, à défaut d'avis, de la justification qu'ils ont été informés des candidatures par les intéressés, à la commission consultative mixte compétente. Lorsque l'avis sur les candidatures est donné dans le cadre d'un accord sur l'emploi auquel l'établissement adhère, le chef d'établissement en informe la commission consultative mixte ».

Concernant, l'"accord" visé par ce texte, il s'agit, en fait de deux accords conclus entre le secrétaire général de l'enseignement catholique et, notamment, les représentants des chefs d'établissements concernés, l'un pour l'enseignement primaire (Accord professionnel sur l'organisation de l'emploi dans l'enseignement catholique du premier degré du 10 février 2006), et l'autre pour l'enseignement secondaire, (Accord national professionnel sur l'organisation de l'emploi des maîtres des établissements catholiques d'enseignement du second degré sous contrat d'association du 12 mars 1987). Selon ces accords sont instituées des commissions académiques de l'emploi et des commissions diocésaines de l'emploi, chargées de faciliter le processus de recrutement dans les établissements relevant de l'enseignement catholique, en adaptant les offres et les demandes selon les priorités, les vœux présentés par les candidats et les remarques formulées par les chefs d'établissement. Ces accords et cette procédure doivent respecter le cadre législatif et réglementaire applicable en la matière.

La disposition dont l'annulation est demandée n'est destinée qu'à éclairer la commission consultative mixte en lui faisant connaître l'avis du chef d'établissement sans que ni la commission ne soit liée par lui ni cet avis ne puisse se substituer aux avis rendus à l'autorité académique par le chef d'établissement et la commission consultative mixte compétente.

Par ailleurs, la procédure de recrutement et de mutation des maîtres de l'enseignement privé n'entre pas dans le champ des « règles générales qui déterminent les conditions de service et de cessation d'activité des maîtres titulaires de l'enseignement public, ainsi que les mesures sociales et les possibilités de formation dont ils bénéficient » visées à l'art. L. 914-1 du code de l'éducation puisqu'elle ne concerne ni les conditions de service ni la cessation d'activité des enseignants.

Le recours est rejeté.

(21 octobre 2019, Syndicat national de l'enseignement privé - Union nationale des syndicats autonomes (SNEP - UNSA), n° 421685 ;

v. aussi, dans un domaine voisin, celui de la fixation de la liste des fonctions particulières des maîtres exerçant dans les établissements de l’enseignement privé sous contrat prises en compte pour un avancement au grade de la classe exceptionnelle : 21 octobre 2019, Syndicat national de l'enseignement privé - Union nationale des syndicats autonomes (SNEP - UNSA), n° 422041 ;

v. aussi, voisin des décisions ci-dessus : 21 octobre 2019, Syndicat national de l'enseignement privé - Union nationale des syndicats autonomes (SNEP - UNSA), n° 423755 ;

v. également, s'agissant du principe de laïcité, de la loi de Séparation de 1905, de la certification de formations assurée par un organisme confessionnel : 21 octobre 2019, Syndicat national de l'enseignement privé - Union nationale des syndicats autonomes (SNEP - UNSA), n° 424692 ;

v. encore : 21 octobre 2019, Syndicat national de l'enseignement privé - Union nationale des syndicats autonomes (SNEP - UNSA), n° 425429)

 

51 - Administrateur général des ministères économiques et financiers – Sanction de l'exclusion temporaire des fonctions – Négociation d'un bail sans respect des formalités obligatoires – Existence d'une faute disciplinaire – Absence de caractère excessif de la sanction – Rejet.

L'administrateur général des ministères économiques et financiers, exerçant les  fonctions de directeur du Fonds de solidarité, établissement public chargé de recouvrer auprès des fonctionnaires et agents de l'État  la contribution exceptionnelle de solidarité en faveur des travailleurs privés d'emploi, a négocié et conclu, alors que le Fonds était installé dans des locaux sur la base d'un bail en cours  jusqu'en avril 2019 et que la survie de ce Fonds était menacée, un nouveau bail,  en août 2016 et pour une durée de neuf ans, avec un autre propriétaire et dans d'autres locaux, sans respecter la procédure à suivre.

Il fait, en conséquence, l'objet d'une sanction d'exclusion temporaire de six mois de ses fonctions dont trois mois avec sursis.

Sa contestation de la mesure est évidemment rejetée : les faits sont d'une réelle gravité et la sanction prononcée est proportionnée à cette gravité.

(9 octobre 2019, M. X., n° 426507)

 

52 - Agent recruté sous contrat à durée déterminée (CDD) – Transformation en contrat à durée indéterminée (CDI) – Condition de durée sexennale d’emploi auprès d’un unique employeur public – Condition pouvant être satisfaite, à certaines conditions, en cas de pluralité d’employeurs apparents – Recours à la méthode du faisceau d’indices – Contractuel recruté temporairement par une université puis à nouveau temporairement, dans le cadre d’une unique unité mixte de recherche (UMR), par le CNRS – Absence d’unicité d’employeur réel – Cassation avec renvoi de l’arrêt ayant jugé le contraire.

Lorsqu’un agent contractuel de droit public a été recruté par voie de un ou plusieurs CDD pendant une durée totale d’au moins six années, le CDD est transformé en CDI. Lorsque l’agent a été recruté successivement par différents employeurs publics, il est possible, le cas échéant, de démontrer que par-delà la pluralité apparente d’employeurs existe un employeur unique, cela par le recours à la méthode du faisceau d’indices (conditions d'exécution du contrat, lieu d'affectation de l'agent, nature des missions confiées, existence ou non d'un lien de subordination vis-à-vis du chef du service concerné). En l’espèce, le requérant avait été successivement employé comme attaché temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) par une université puis comme chercheur par le CNRS, ces deux établissements publics faisant partie de la même UMR. Les juges du fond avaient estimé que l’intéressé n’avait été contractualisé qu’avec un unique employeur. Le Conseil d’État ne partage pas cette analyse car un ATER ne peut être recruté que par une université, par suite cette dernière et le CNRS ont bien été deux employeurs distincts et non un seul qui aurait été « couvert » par leur appartenance à la même UMR.

(9 octobre 2019, CNRS, n° 422866)

 

53 - Agent de droit public – Salariée d'un établissement public – Établissement français du sang (EFS) – Conventions ou accords d'entreprise conclus par l'EFS – Application aux agents de droit public – Application par le juge administratif – Rejet.

Une médecin, agent de droit public de l'EFS, sollicite, au moment de son départ à la retraite, le bénéfice de l'indemnité de départ en retraite prévue par la convention collective applicable dans l'établissement. Elle a attaqué devant le tribunal administratif le refus implicite opposé par l'EFS à sa demande, puis, après rejet de sa demande par le tribunal, elle a saisi la cour administrative d'appel qui lui a donné satisfaction en condamnant l'EFS à lui verser l'indemnité conventionnelle de départ en retraite prévue par la convention collective susmentionnée. L'EFS se pourvoit en cassation.

Le Conseil d'État rappelle que les personnels de l'EFS peuvent être, en vertu des dispositions de l'art. L. 1222-7 du code de la santé publique alors en vigueur, soit des fonctionnaires ou des agents publics soit des personnels régis par le code du travail. La requérante appartenait à la première de ces deux catégories.

Le juge rappelle également que, selon les dispositions de l'art. L. 2233-2 dudit code, des conventions ou des accords d'entreprise peuvent compléter les dispositions statutaires ou en déterminer les modalités d'application dans les limites fixées par le statut.

De la combinaison de ces deux textes il déduit, d'une part, que les agents de droit public de l'EFS peuvent être soumis à des conventions ou accords d'entreprise conclus par cet établissement pour compléter les règles qui leur sont applicables, et d'autre part, que le juge administratif est compétent pour régler les litiges concernant les agents de droit public de l'EFS au vu de l'ensemble des règles qui leur sont applicables et donc, le cas échéant, celles contenues dans les conventions ou accords d'entreprise conclus par l'établissement.

C'est à bon droit que la cour administrative d'appel a ordonné à l'EFS de faire bénéficier la requérante, conformément à sa demande, de l'indemnité conventionnelle de départ en retraite prévue par la convention collective de l'EFS.

Le pourvoi de ce dernier est rejeté.

(21 octobre 2019, Établissement français du sang (EFS), n° 420742)

 

54 - Fonctionnaires – Pension de retraite – Bonification de dépaysement – Affectation à Mayotte – Territoire d’outre-mer devenu département français – Application du droit à bonification – Absence d’effet du changement de statut territorial – Condition de bonification liée uniquement à la localisation géographique d’un territoire ou d’une zone – Erreur de droit – Cassation avec renvoi au tribunal administratif.

Les fonctionnaires qui exercent tout ou partie de leur activité professionnelle dans certains territoires ou zones fixés par décret ont droit à une bonification de leur pension de retraite prenant en compte la moitié du temps passé en ces lieux.

Un fonctionnaire qui a effectué une partie de sa carrière à Mayotte se voit refuser le bénéfice de cette bonification au motif que l’île est sous statut départemental depuis 2011.

Le Conseil d’État censure ce raisonnement par un argument de bon sens : la bonification est destinée à tenir compte des inconvénients de tous ordres inhérents à l’éloignement et à la localisation géographique du lieu d’affectation des agents publics. Notion purement géographique, elle ne saurait être liée aux changements de statut juridique du territoire ou de la zone considéré. Ainsi, est indifférente la circonstance que Mayotte ne fasse plus partie de l’entité politique des Comores dès lors qu’elle y appartient géographiquement.

(9 octobre 2019, M. X., n° 416334 ; même solution, par une décision du même jour, à propos d’une demande de bonification pour des services civils rendus hors d'Europe à bord d'un navire et non à terre, cette dernière circonstance étant jugée sans effet sur l’application de l’art. 12 du code précité : M. X., n° 421484).

 

55 - Emploi à la décision du gouvernement – Ambassadeur – Mise à la retraite d'office par mesure disciplinaire – Absence de vice de forme – Absence de caractère disproportionné de la sanction dans les circonstances de l'espèce – Rejet.

Un diplomate, ambassadeur de son état, conteste la sanction de mise à la retraite d'office prise à son encontre par le président de la république et demande l'annulation de sa décision implicite rejetant le recours gracieux dont il l'avait saisi.

Le motif de la sanction est la délivrance irrégulière d'au moins 730 visas au vu de dossiers incomplets, de faux documents ou de demandes ne remplissant pas les conditions posées, lorsqu'il était en poste en République centrafricaine.

Saisi de moyens de forme et de fond contre cette décision, le Conseil d'État les rejette tous.

Sur la forme, on retiendra que le fait  que la directrice générale de l'administration et de la modernisation du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ait engagé les poursuites disciplinaires à l'encontre du requérant  ne faisait pas obstacle à ce qu'elle pût régulièrement présider le conseil de discipline, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait, dans la conduite des débats, manqué à l'impartialité requise ou manifesté une animosité particulière à l'égard de l'intéressé. La théorie des apparences est visiblement écartée par le juge national ; peut-être que le juge de Strasbourg se serait montré plus exigeant...

Sur le fond, le Conseil d'État convainc davantage en faisant observer que la sanction retenue, dans la mesure où le comportement réprimé émane d'un agent diplomatique d'aussi haut rang, où il porte atteinte au crédit international de la France en raison de la violation du droit européen des visas et où il revêt un haut degré de gravité intrinsèque, justifie la sanction prononcée de mise à la retraite d'office. Le Conseil d'État relève, comme un obiter dictum, que le diplomate avait soixante ans au moment des faits, donc assez proche de l'âge de la retraite.

(16 octobre 2019, M. X., n° 422339 ; v. aussi, dans le cadre de cette affaire, au sujet de la sanction frappant le premier conseiller de l'ambassade pour divers motifs : M. X., n° 425223)

 

56 - Retraite anticipée – Agents ayant occupé des emplois en « catégorie active » – Distinction, parmi les agents en catégorie active, entre ceux au service exclusif de l’État et ceux successivement au service d’une entité publique et de l’État – Non prise en compte dans le second cas – Violation du principe d’égalité – Annulation sans renvoi du jugement contraire.

Les agents publics dont l’emploi est classé en catégorie active - c’est-à-dire présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles - ont droit à la retraite dès l’âge de 57 ans s’ils ont accompli au moins dix-sept années d’activité dans des emplois classés en catégorie active. Toutefois cette règle ne s’applique qu’à ceux des agents qui ont effectué cette activité au service de l’État, pas à ceux ayant occupé de tels emplois au service de l’État pendant un certain temps et au service d’une collectivité publique autre que l’État pour une autre période même si ce le cumul du temps passé est au moins de dix-sept années (dispositions combinées des art. L. 24 et R. 35 du code des pensions civiles et militaires de retraite).

Une personne se trouvant dans ce dernier cas s’est vue refuser la prise en compte de la période non étatique au titre des services actifs : celle-ci a été décomptée comme des services sédentaires. Ayant saisi en vain le tribunal administratif elle se pourvoit en Conseil d’État.

Celui-ci estime que la différence de traitement ainsi instituée n’a aucune justification car elle est sans rapport avec l'objet de la norme qui établit la possibilité de liquidation anticipée de la pension en cas d'accomplissement de dix-sept années de services dans des emplois classés dans la catégorie active en raison du risque particulier ou des fatigues exceptionnelles que présentent ces emplois. En l'absence de considérations d'intérêt général de nature à justifier cette différence, elle porte atteinte au principe d'égalité de traitement des agents publics.

Dès lors c’est à tort qu’a été refusée la qualification de services actifs à ceux de ces services accomplis auprès d’une collectivité territoriale.

Il y a lieu de s’interroger sur la persistance dans notre droit de pareilles dispositions sans que l’autorité réglementaire ou le législateur procède d’office à leur éradication.

(9 octobre 2019, Mme X., n° 416771)

 

57 - Vétérinaire inspecteur contractuel – Licenciement – Référé suspension – Urgence établie – Doute sérieux sur la légalité de la décision – Suspension accordée – Annulation de l’ordonnance rendue en première instance.

Contrairement à ce qui avait été précédemment jugé, le Conseil d’État accorde la suspension du licenciement d’un vétérinaire inspecteur contractuel pour insuffisance professionnelle.

Il considère qu’eu égard aux charges qu’il doit assumer, une diminution de 45% de ses revenus bouleverse ses conditions d’existence, faisant ainsi apparaître une situation d’urgence. Le juge rappelle au passage qu’un agent public ayant fait l'objet d'une mesure d'éviction qui le prive de sa rémunération n'est pas tenu de fournir à l'appui de sa demande de suspension de l'exécution de cette mesure le montant de certaines dépenses, notamment d'alimentation, ainsi que celui des dépenses de la vie courante qu'il ne serait pas en mesure d'honorer du fait de la décision litigieuse.

Par ailleurs, l’absence, dans son dossier administratif, de comptes rendus d’entretiens d’évaluation dont, en conséquence, il n’a pas pu prendre connaissance avant son licenciement crée un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse.

(9 octobre 2019, M. X., n° 429049)

 

Libertés fondamentales

 

58 - Étrangers – Demande d’asile – Procédure (art. L. 743-1 et art. L. 743-2, 4°bis et 7° CESEDA) – Respect du principe du contradictoire – Interventions concomitantes du tribunal administratif et de la Cour nationale du droit d’asile – Refus du renvoi d’une QPC.

La requérante est de nationalité étrangère et a sollicité l’octroi de l’asile. Elle demande l'annulation et la suspension de l'arrêté préfectoral lui faisant obligation de quitter le territoire français avec fixation du pays de renvoi et interdiction de retour de quatre mois, ainsi que l'annulation d'un deuxième arrêté l'assignant à résidence. À l’appui de ses demandes elle soulève une QPC à l’encontre des dispositions pertinentes du CESEDA. Elle soutient que le mécanisme de recours contre de telles décisions porte atteinte au droit d'asile et au droit à un recours effectif, en ce qu'il confie, au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné, la compétence pour se prononcer sur la demande formée par l'étranger, dont le droit de se maintenir sur le territoire français a pris fin en application des 4° bis ou 7° de l'article L. 743-2, tendant à ce que soit suspendue la mesure d'éloignement dont il aurait fait l'objet au regard du caractère sérieux des moyens dirigés contre la décision de rejet ou d'irrecevabilité de sa demande alors que la Cour nationale du droit d'asile serait, par ailleurs, saisie d'un recours tendant à l'annulation de la même décision. Ce dispositif, d'une part, porterait une atteinte substantielle au droit à un recours effectif et, en conséquence, au droit d'asile garanti par la Constitution, d'autre part, porterait directement atteinte à ce droit d'asile en n'offrant pas des garanties suffisantes en termes de confidentialité des éléments relatifs à la demande d'asile.

Le Conseil d’État rejette sa requête au terme d’une décision longuement motivée.

D’une part, il est observé que le Conseil constitutionnel (décis.  n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018) a jugé que compte tenu des garanties offertes, dont la faculté de demander en référé la suspension de la mesure contestée, n’étaient méconnus  ni le droit à un recours juridictionnel effectif, ni le droit d'asile, ni le principe d'égalité devant la loi, ni aucune autre exigence constitutionnelle.

Par ailleurs, s’agissant de la confidentialité des informations fournies dans le cadre de la procédure, d’une part, il ne peut être fait état que des seules informations communiquées par le requérant, d’autre part, les agents des services préfectoraux concernés sont, à la fois, tenus au secret en vertu des dispositions du code pénal et à la discrétion professionnelle qui régit la fonction publique.

(2 octobre 2019, Mme X., n° 432740)

 

59 - Étrangers – Demande d'asile et d'hébergement – Femme enceinte avec deux enfants mineures – Hébergement offert par le département – Caractère non suspensif du recours formé devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) contre une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Rejet.

Une ressortissante albanaise, enceinte près d'accoucher et accompagnée de son mari ainsi que de ses deux enfants mineures, a demandé au juge des référés d'enjoindre à un département de lui attribuer un hébergement. Cela lui est accordé en première instance. Cependant, le département et l'OFPRA avaient proposé à l'intéressée et à ses enfants un hébergement dans le cadre de l'aide au retour, offre que celle-ci avait refusée au motif qu'elle était dans l'attente de l'examen par la CNDA du recours qu'elle avait formé contre la décision de l'OFPRA déclarant irrecevable sa demande d'asile.

Sur appel du département sollicitant l'annulation de l'ordonnance de référé du premier juge, le Conseil d'État prononce cette annulation en relevant que le recours formé devant la CNDA ne confère à l'intéressée aucun droit à se maintenir sur le territoire français, en application des dispositions de l'art. L. 743-2 du CESEDA.

(14 octobre 2019, Mme X., n° 434950)

 

60 - Étrangers – Demande d'asile – Conditions de mise en œuvre du droit d'accès à l'enregistrement sonore de l'entretien personnel – Refus du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Obligation de vérification de l’accomplissement de cette formalité par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) – Absence de contestation par l'intéressé du contenu de l'enregistrement – Rejet.

Les articles L. 723-7, L. 733-5 et R 723-8 CESEDA reconnaissent à tout demandeur d'asile le droit d'accéder, sur sa demande, après l'intervention de la décision de refus opposée par le directeur général de l'OFPRA à sa demande d'asile, à l'enregistrement sonore de son entretien personnel s'il estime en avoir besoin dans le cadre du recours qu'il entend exercer contre cette décision. Dans l'hypothèse où l'office n'aurait pas fait droit à une demande en ce sens, il appartient à la CNDA de s'assurer que cette garantie procédurale soit respectée avant de se prononcer sur le recours formé par l'intéressé, sous réserve toutefois que le requérant se prévale devant elle, dans le délai de recours ouvert contre la décision de l'office, des éventuelles erreurs de traduction ou contresens qu'il identifie précisément dans la transcription de son entretien et qui, selon lui, seraient de nature à exercer une influence déterminante sur l'appréciation des risques qu'il allègue.

Faute, en l'espèce, que le demandeur d'asile ait contesté dans le délai de recours la transcription faite de son entretien, celui-ci ne saurait se plaindre de ce que la CNDA ait statué sur son recours sans lui permettre d'accéder à l'enregistrement de son entretien personnel. 

(16 octobre 2019, M. X., n° 423478)

 

61 - Étrangers – Demande d'asile en qualité de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire – Prostituée nigériane originaire de l'État d'Edo extraite d'un réseau de prostitution – Appartenance à un groupe social au sens de la convention de Genève du 28 juillet 1951 – Preuve insuffisante – Rejet.

Le Conseil d’État juge que les femmes nigérianes originaires de l'État d'Edo, lorsqu'elles ont été victimes d'un réseau de traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle, partagent, lorsqu'elles sont effectivement parvenues à s'extraire d'un tel réseau, une histoire commune et une identité propre, perçues comme spécifiques par la société environnante dans leur pays, où elles sont frappées d'ostracisme pour avoir rompu leur serment sans s'acquitter de leur dette.

Il résulte de là que, au sens et pour l'application des stipulations du 2° du A de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951, elles doivent être regardées comme constituant un groupe social, bénéficiaire des protections instituées par ce texte.

En l'espèce, cependant, la Cour nationale du droit d'asile, approuvée par le juge de cassation, a rejeté la demande dont elle avait été saisie en ce sens faute de précisions sur les éléments de fait et que ses allégations soient sérieusement étayées.

(16 octobre 2019, Mme X., n° 418328)

 

62 - Abattage rituel des animaux – Cas des bovins – Lutte contre la souffrance animale – Obligation ou faculté d’étourdissement préalable à leur mise à mort – Droit de l’UE faisant exception pour les abattages rituels – Absence d’inconventionnalité – Marge d’appréciation du législateur – Rejet.

L’association requérante demandait notamment l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur sa demande tendant à ce que soit modifié le I de l'article R. 214-70 du code rural et de la pêche maritime en ce qui concerne l'abattage des bovins, pour imposer soit un étourdissement immédiatement après la jugulation, soit un étourdissement réversible préalable à la jugulation, sous réserve dans ce dernier cas d'une validation préalable des techniques.

Pour rejeter cette demande le Conseil d’État relève tout d’abord que le droit européen (article 4, § 4, du règlement n° 1099/2009 du 24 septembre 2009), d’une part, rend l'obligation d'étourdissement qu’il institue inapplicable à la mise à mort dans des abattoirs des animaux selon les méthodes particulières d'abattage prescrites par des rites religieux, et d’autre part, ouvre aux États membres la faculté d'adopter en la matière des règles nationales plus protectrices des animaux au moment de leur mise à mort. Il s’ensuit que la règlementation nationale existante ne méconnaît pas le droit de l'Union, étant observé que l'article 13 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne impose aux États membres de tenir pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu'êtres sensibles.

Ensuite, observant que l’abattage des bovins est soumis à l’ensemble des prescriptions applicables à tout abattage, la dispense d’étourdissement à des fins religieuses ne peut être regardée comme autorisant de mauvais traitements envers les animaux au sens de la loi française.

Enfin, il ne résulte pas des opinions scientifiques sur le sujet, d’un rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux et d’autres éléments que l’état actuel du droit interne serait entaché à cet égard d’illégalité.

(4 octobre 2019, Association Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA), n° 423647)

 

63 - Médecin psychiatre – Remise par un médecin d’un certificat médical à l’autorité de police – Hospitalisation d’une personne sans son consentement – Atteinte au secret professionnel et au secret de la vie privée – Absence – Absence de faute professionnelle.

Le requérant conteste devant le juge administratif le rejet, par les juridictions ordinales, de sa plainte contre le médecin qui a établi le certificat médical en vue de son hospitalisation sans son consentement.

Il est jugé - conformément à une jurisprudence bien établie (8 février 1989, Conseil national de l'ordre des médecins et autres, n°s 54494, 54678, 54679, 54812 et 54813) - que c’est sans erreur de droit que cette plainte a été rejetée dès lors que ce certificat a été rédigé et remis dans le respect des exigences de l’art. L. 3213-1 du code de la santé publique qui régit les hospitalisations psychiatriques d’office.

(4 octobre 2019, M. X., n° 405992)

 

64 - Étranger malade – Résidence habituelle en France – Titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale » – Délivrance automatique – Avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) – Refus préfectoral de renouvellement du titre de séjour – Pouvoirs du préfet – Respect du secret médical – Régime administratif et contentieux – Application au cas de l’espèce – Annulation avec renvoi à son auteur de l’arrêt contraire.

L’étranger malade en séjour régulier en France a droit à la délivrance d’un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale ». Il en va de même pour le renouvellement de ce titre de séjour.

Le préfet a refusé de renouveler le titre de séjour de la requérante au vu de l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration relevant notamment que l'intéressée pourrait bénéficier d'un traitement approprié en Guinée. Il lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Pour confirmer l’annulation des décisions du préfet par le tribunal administratif, la cour s’est fondée sur ce qu'il appartient à l'administration de démontrer que le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a apprécié la situation en respectant les orientations générales fixées par l'arrêté ministériel du 5 janvier 2017 et notamment, lorsqu'est en cause comme en l'espèce une pathologie psychiatrique, qu'il a émis son avis en évaluant le risque pour le ressortissant étranger de voir réactiver ses troubles psychiatriques en cas de retour dans son pays d'origine.

Pour  censurer pour erreur de droit cet arrêt, le Conseil d’État , d’une part, rappelle que s’il appartient au préfet de s'assurer que l'avis a été rendu par le collège de médecins conformément aux règles procédurales fixées par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et par l'arrêté du 27 décembre 2016, il ne saurait en revanche porter d'appréciation sur le respect, par le collège des médecins, des orientations générales définies par l'arrêté du 5 janvier 2017, en raison du respect du secret médical qui interdit aux médecins de donner à l'administration, de manière directe ou indirecte, aucune information sur la nature des pathologies dont souffre l'étranger, et d’autre part, il indique qu’il est loisible au demandeur de lever le secret relatif aux informations médicales qui le concernent en faisant état de la pathologie qui l'affecte, et qu’en ce cas, il appartient au juge de se prononcer sur ce moyen au vu de l'ensemble des éléments produits dans le cadre du débat contradictoire et en tenant compte, le cas échéant, des orientations générales fixées par l'arrêté du 5 janvier 2017.

(9 octobre 2019, Mme X., n° 422974)

 

65 - Harkis et enfants de harkis – Dispositions réglementaires et législatives favorables – Discrimination prétendue – Moyen ne pouvant être soulevé par les bénéficiaires de l’avantage – Rejet.

L’association requérante demandait l’annulation pour excès de pouvoir des dispositions des points 2 et 3 de la circulaire du premier ministre, du 23 septembre 2014, ainsi que les actions n°s 7, 8 et 10 du " plan d'action en faveur des harkis " qui lui est joint.

Parmi divers arguments était particulièrement développé celui tiré de la discrimination résultant de l'absence d’exigence, pour les seuls enfants de harkis, de condition d'âge pour bénéficier des emplois réservés prévus par les textes. Après avoir rappelé qu’une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle affecte la jouissance d'un droit ou d'une liberté sans être assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi, le juge rejette le recours. En effet, il tombe sous le sens qu’en l’espèce, la mesure est favorable aux enfants de harkis et qu’ainsi elle ne constitue pas pour eux une discrimination ; par suite, un tel moyen ne peut qu’être écarté.

(4 octobre 2019, Association Générations Harkis, n° 418521). On lira aussi, sur le même sujet et du même jour mais soulevant une question différente : M. X. et association Générations Harkis, n° 426799.

 

66 - Médecine psychiatrique – Régime des internements sans consentement – Recueil, traitement et conservation des données à caractère personnel – Système dit « HOPSYWEB » - Questions diverses – Rejet.

Trois recours, introduits en vue d’obtenir l’annulation du décret du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement, sont joints pour y être statué par une seule décision.

Sont soulevées de nombreuses et importantes questions touchant au droit des libertés, au droit de la santé publique ainsi qu’à celui de l’informatique ; le régime des décisions et des actes administratifs est lui aussi concerné.

Parmi les motifs de rejet, sera retenu celui qui, principal dans cette affaire, est tiré de ce que la loi du 6 février 1978 répond à toutes les craintes exprimées concernant tant les finalités des traitements autorisés par le décret attaqué sous le nom d’ « HOPSYWEB », que les catégories de données dont la collecte est permise par lui ou encore les destinataires de celles-ci, leur régime de mise à jour, de durée de conservation et d’accès. Sont également examinés les conditions de mise en œuvre, d’une part, du droit à l’information (art. 29 de la loi de 1978), et d’autre part, du droit d’opposition (art. 38 de la loi de 1978).

On peut trouver le Conseil d’État, en certains points, trop souple ou compréhensif envers un mécanisme réglementaire qui peut légitimement inquiéter. En même temps, il n’est pas illogique de créditer les détenteurs du pouvoir réglementaire de la bonne foi et d’un souci d’œuvrer dans l’intérêt des personnes concernées.

(4 octobre 2019, Association Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie (CRPA, n° 421329 ; Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM), n° 422497 ; Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH), n° 424818)

 

Police

 

67 - Rétablissement des contrôles aux frontières intérieures de l'UE – Compétence du premier ministre pour prendre des mesures de police générale applicables à l'ensemble du territoire – Mesure proportionnée à la gravité de la menace terroriste – Durée de la mesure – Légalité ici – Règles de forme – Compatibilité avec le principe de libre-circulation des personnes –

Rejet.

Les associations requérantes contestaient devant le Conseil d'État la décision du premier ministre de rétablir des contrôles aux frontières intérieures terrestres avec la Belgique, le Luxembourg, l'Allemagne, la Confédération suisse, l'Italie et l'Espagne ainsi qu'aux frontières aériennes et maritimes, du 1er novembre 2018 au 30 avril 2019, révélée par la note des autorités françaises au secrétaire général du Conseil de l'Union européenne du 2 octobre 2018.

Tout d'abord était discutée la compétence du premier ministre à l'effet de prendre une telle décision. Sans surprise, le Conseil d'État rappelle la solution Labonne (8 août 1919) : détenteur du pouvoir réglementaire, le premier ministre est, sous l'empire de la Constitution de 1958, compétent pour prendre les mesures de police générale applicables à l'ensemble du territoire et justifiées par les nécessités de l'ordre public. C'est d'ailleurs ce qui explique que l'absence de publication de cette mesure au Journal officiel soit sans incidence sur sa légalité.

Ensuite, examinant la régularité du rétablissement des contrôles aux frontières au regard du règlement européen du 9 mars 2016 (art. 25 à 27), le juge estime que celle-ci est proportionnée à la menace qu'elle entend obvier, que le régime de sa durée et de son éventuelle prolongation est conforme au texte précité (dit "code frontières Schengen") et qu'elle ne porte pas une atteinte excessive au principe constitutionnel de l'UE qu'est celui de la libre circulation des personnes.

Enfin, s'agissant de l'éventuel non-respect de deux exigences de forme (conditions de notification préalable de la mesure à la Commission et aux autres États membres de l'UE et transmission du rapport sur la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures au parlement européen), le Conseil d'État   le juge sans incidence, au regard du droit interne, sur la légalité de la décision attaquée.

(16 octobre 2019, Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE) et Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), n° 425936)

 

68 - Permis de conduire – Suspension du permis et durée de la suspension – Étendue du contrôle exercé par les juges du fond – Contrôle, par le juge de cassation, de la qualification juridique des faits – Annulation avec renvoi.

Inaugurant une nouvelle solution jurisprudentielle en la matière, le Conseil d'État décide qu'en matière de suspension d'un permis de conduire, d'une part, il appartient aux juges du fond d'exercer un contrôle plein et entier tant sur la décision de suspension elle-même que sur celle fixant sa durée, et d'autre part, qu'il s'agit là d'une opération de qualification juridique des faits, laquelle tombe sous le contrôle du juge de cassation.

(23 octobre 2019, Ministre de l'intérieur, n° 427431)

 

Procédure contentieuse

 

69 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Méthode retenue pour l’évaluation de la valeur locative des biens (art. 1496 ou 1498-1499) – Dispense de conclusions du rapporteur public – Dispense impossible selon la méthode retenue – Annulation avec renvoi.

Dans le contentieux de la taxe foncière sur les propriétés bâties, il existe deux séries de méthodes de détermination de la valeur locative des locaux servant d'assiette à cet impôt, celle prévue à l'art. 1496 du CGI et celles prévues aux art. 1498 ou 1499 CGI. Il résulte des dispositions du 5° de l'art. R. 732-1-1 CJA que le président de la formation de jugement ne peut dispenser une affaire de conclusions du rapporteur public que dans le cas où il a été recouru à la méthode d'évaluation prévue à l'art. 1496 CGI.

En l'espèce, est irrégulière la décision présidentielle dispensant de conclusions à l’occasion d’un litige alors qu'a été appliquée la méthode tirée de l'article 1498.

(1er octobre 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 430218)

 

70 - Inspection du travail – Décision d'ordonner l'arrêt de travaux ou d'utilisation d'un appareil – Danger grave et imminent pour la vie ou la santé du travailleur (art. L. 4731-1 c. trav.) – Compétence du juge administratif des référés substituée à celle du juge judiciaire des référés – Allégation d'inconstitutionnalité de la disposition contestée – Rejet.

Un contrôle de l'inspection du travail, appuyé sur les dispositions de l'art. L. 4731-1 du code du travail, ordonne l'arrêt des travaux réalisés à l'aide d'une trancheuse à jambon.

La société requérante, tout en demandant l'annulation de cette décision, soulève une QPC à l'encontre de cet article au motif qu'il n'organise pas, au bénéfice des employeurs, de voie de recours effective contre les mesures prises en son application et que, par suite, elles méconnaissent, par elles-mêmes, le droit à un recours juridictionnel effectif, la liberté d'entreprendre et le droit de propriété et sont, en outre, entachées d'incompétence négative dans des conditions affectant ces mêmes droits et la même liberté. 

À juste titre, le Conseil d'État refuse le renvoi de cette QPC. Il résulte en effet de l'art. L. 4731-4 dudit code que l'employeur qui conteste une telle décision le fait par voie de référé administratif. Dès lors, sont possibles aussi bien un recours pour excès de pouvoir, lequel existe sans texte, que les recours en référé des art. L. 521-1 (référé suspension) et L. 521-2 (référé liberté). Par suite la question n'est pas sérieuse et encourt le rejet.

(2 octobre 2019, Société Auchan Hypermarché, n° 432388)

 

71 - Règles de procédure contentieuse spéciales – Recours en matière d'obligation de quitter le territoire français (OQTF : I bis ou III de l'art. L. 512-1 CESEDA) et de reconduite à la frontière – Avocat désigné d'office – Conditions d'obtention à son profit des sommes mises à la charge de la partie perdante – Art. 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique – Nécessité d'avoir obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle.

La question suivante était posée par un tribunal administratif au Conseil d'État : « Est-il possible, et, le cas échéant, dans quelles conditions, pour un avocat désigné d'office pour assister son client, de revendiquer le bénéfice des dispositions des articles 19 et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et 81 du décret du 19 décembre 1991 ? »

La réponse contenue dans l'avis de droit est la suivante : « (...) l'avocat désigné d'office dans le cadre de la procédure prévue par les I bis ou III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile peut obtenir le versement à son profit de la somme mise à la charge de la partie perdante sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à la condition que la personne qu'il assiste ait, soit directement soit par son entremise, en application de l'article 19 de cette loi, sollicité et obtenu l'aide juridictionnelle. Si l'avocat désigné d'office est valablement désigné au titre de l'aide juridictionnelle lorsque la personne qu'il assiste bénéficie déjà de celle-ci, sa désignation d'office ne peut, par elle-même, valoir demande et admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle au profit de cette personne et lui ouvrir droit au bénéfice de ces dispositions. Il s'ensuit qu'il appartient à l'avocat désigné d'office qui entend obtenir le versement à son profit de la somme mise à la charge de la partie perdante de formuler expressément, au besoin dans ses écritures, une demande tendant à l'attribution de l'aide juridictionnelle à son client si celui-ci ne l'a pas fait. Le juge ne peut décider que les sommes mises à la charge de la partie perdante seront versées à cet avocat dans les conditions prévues à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sans avoir, au préalable, admis son client au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire sur le fondement de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991, sans préjudice de la décision définitive du bureau d'aide juridictionnelle ».

(Avis, 16 octobre 2019, M. X., n° 431140 ; on lira aussi, du même jour, l'important avis de droit portant sur un ensemble de questions relatives notamment à la nature du contentieux de l'OQTF, au degré de contrôle du juge sur le bien-fondé de la demande d'asile, à l'ampleur des éléments de preuve que doit rapporter l'étranger demandeur d'asile, sur les effets des vices affectant éventuellement la décision de l'OFPRA : Avis, M. X., n° 432147)

 

72 - Référé suspension – Arrêté classant certaines armes et munitions – Décision implicite rejetant une demande de classement d'un lanceur de balles de défense dans une certaine catégorie – Absence d'urgence – Rejet.

Une société qui fabrique des armes de certaines catégories et des appareils de défense demande la suspension de la décision de classement de certains d'eux dans une catégorie qui en interdit la commercialisation auprès, notamment, des polices municipales, ainsi que la suspension du rejet implicite de la demande de classement dans une autre catégorie.

Pour démontrer l'urgence à statuer, la société invoque des indications antérieures données par le ministère de la défense, de lourds investissements et, en conséquence de ces décisions, le fait que celles-ci compromettent de façon irrémédiable sa stratégie économique et commerciale, et la contraignent à rembourser les communes qui ont déjà acquis ce matériel.

Le Conseil d'État rejette le recours car l'urgence ne lui semble pas établie : d'une part, la requérante est en partie elle-même à l'origine de ses difficultés pour avoir décidé de commercialiser son lanceur de balles de défense avant l'intervention de la décision de classement, et d'autre part, la chambre compétente du Conseil d'État a prévu d'inscrire dans de brefs délais au rôle d'une séance de jugement la requête tendant à l'annulation des décisions explicite et implicite litigieuses.

(15 octobre 2019, Société Redcore, n° 434606)

 

73 - Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) – Sursis à l'exécution d'une décision de justice – Allégation d'existence d'un moyen sérieux – Octroi du sursis – Absence d'indications sur le moyen reconnu comme "sérieux" – Impossibilité pour le juge de cassation d'exercer son contrôle – Cassation et renvoi.

La décision d'une juridiction administrative (ici le CNESER, juridiction spécialisée) qui octroie le sursis à l'exécution d'un jugement en raison de l'existence d'un moyen sérieux sans indiquer ce moyen ne met pas le juge de cassation à même d'exercer sa fonction de contrôle de la correction juridique de cette décision. Elle est donc cassée.

(14 octobre 2019, Université de Nantes, n° 428186 ; Ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, n°428320 ; du même jour, avec mêmes requérantes et même solution à propos de la sanction infligée à l'intéressée : Université de Nantes, n° 428187 ; Ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, n° 428310 ; Université de Nantes, n° 428186 ; Ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, n° 428320)

 

74 - Contentieux sociaux – Régime procédural aménagé – Application Télérecours – Composition du dossier (pièces) – Portée en l'espèce des dispositions combinées des art. R. 772-8 et R. 611-8-2 du CJA.

En raison, d'une part, du caractère parfois vital de l'objet des demandes pour les personnes privées concernées, et d'autre part, des caractéristiques générales du public concerné, les art. R. 772-5 à R. 772-10 organisent un aménagement des règles procédurales applicables dans les contentieux sociaux. Le Conseil d'État était interrogé sur la combinaison entre lesdites dispositions et celles régissant l'application Télérecours, notamment au regard de la présentation et de la composition du dossier constitué pour l'instruction administrative de la demande tendant à l'attribution de la prestation ou de l'allocation ou à la reconnaissance du droit, en vue de sa transmission au juge en cas de recours contentieux.

Le Conseil d'État , dans le respect de l'esprit ayant présidé à l'instauration de règles procédurales aménagées en matière de contentieux sociaux, énonce ici - de façon aussi bienveillante que possible - que : « Les dispositions (...) relatives à l'établissement d'un inventaire détaillé et à la présentation des pièces adressées à la juridiction par le moyen de l'application informatique Télérecours s'appliquent à la transmission des pièces que les parties produisent à l'appui de leurs écritures. Elles n'imposent pas au défendeur qui communique au tribunal administratif, en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative, le dossier constitué pour l'instruction administrative de la demande du requérant d'établir un inventaire des pièces contenues dans ce dossier ni, pour sa communication au moyen de l'application Télérecours, de transmettre un fichier par pièce ou de répertorier chacune de ces pièces, au sein du fichier transmis, par un signet la désignant ».

(Avis, 14 octobre 2019, M. X., n° 432543)

 

75 - Vétérinaire inspecteur contractuel – Licenciement – Référé suspension – Urgence établie – Doute sérieux sur la légalité de la décision – Suspension accordée – Annulation de l’ordonnance rendue en première instance.

(9 octobre 2019, M. X., n° 429049) V. n° 57

 

76 - Apport partiel d’actif d’une société à une autre – Solidarité entre société apporteuse et société bénéficiaire – Société débitrice solidaire d’un impôt – Intérêt lui conférant qualité pour contester le bien-fondé de l’impôt – Rejet.

(9 octobre 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 414122) V. n° 26

 

77 - Recours pour excès de pouvoir – Conclusions présentées par le demandeur comme étant l’une (ou les unes) la demande principale, l’autre (ou les autres) comme constituant la demande subsidiaire – Office du juge – Examen de la cause juridique fondant la demande principale – Demande d’injonction – Office du juge en cas de rejet de la demande principale et d’admission de la demande subsidiaire – Office, en ce cas, du juge d’appel – Annulation.

Un étudiant conteste en première instance la décision du jury d’examen de le déclarer défaillant lors d’une session de rattrapage. Cette décision est annulée par le juge qui enjoint l’université d’organiser une nouvelle session de rattrapage. Le surplus de sa requête ayant été rejeté, le demandeur a interjeté, en vain, appel de cette partie du jugement, d’où son pourvoi en cassation.

Réitérant mot pour mot une récente décision de Section (21 décembre 2018, Société Eden, n° 409678, p 468 ; voir cette Chronique, décembre 2018, n° 89), le Conseil d’État réaffirme quel est l’office du juge de l’excès de pouvoir dans les différentes configurations contentieuses susceptibles de se présenter en la matière.

Lorsque la requête saisissant le juge de l’excès de pouvoir distingue au sein de celle-ci une demande principale et une demande subsidiaire il est de l’office du juge de statuer en conséquence. Cette distinction peut résulter soit de ce que l’une d’elles est assortie de conclusions à fin d’injonction soit de ce que les demandes ont été hiérarchisées en fonction de la cause juridique. Dans le premier cas, l’office du juge saisi est d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d'injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l'article L. 911-1 du CJA et à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 911-2. Dans le second cas, l’office du juge doit le conduire à statuer en respectant cette hiérarchisation, c'est-à-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent à la cause juridique correspondant à la demande principale du requérant.

Enfin, le juge ajoute deux autres cas de figure : 1°/ Lorsque sont rejetés tous les moyens assortissant la demande principale mais qu’est retenu un moyen assortissant la demande subsidiaire, le juge - qui, il faut le rappeler, statue comme juge de l'excès de pouvoir - n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler la décision attaquée : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale. 2°/ En cas d’appel, le requérant est recevable à soutenir que le jugement n'a pas fait droit à sa demande principale. Il appartient alors au juge d'appel, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à la demande principale.

En l’espèce, c’est pour n’avoir point procédé ainsi en appel que l’ordonnance d’appel est annulée.

(4 octobre 2019, M. X., n° 417617)

 

78 - Cour nationale du droit d'asile (CNDA) – Demandeur d'asile – Exception de forclusion – Irrecevabilité manifeste – Demande d'aide juridictionnelle – Suspension du délai de recours – Erreur de droit – Cassation.

La CNDA, saisie par un étranger d'un recours contre la décision de l'OFPRA lui refusant l'asile ou la protection subsidiaire, rejette la demande pour irrecevabilité manifeste tirée de la forclusion du délai de recours. En réalité, la cour commet une erreur de droit car le demandeur ayant sollicité l'aide juridictionnelle et celle-ci lui ayant été accordée, le délai de recours contentieux a été suspendu. Le requérant est donc toujours dans le délai de saisine.

(14 octobre 2019, M. X., n° 429363)

 

79 - Acquiescement automatique de l’administration aux faits énoncés dans une requête (art. R. 612-6 CJA) – Injonction d’accorder une pension de réversion – Faits non mentionnés en réalité dans la requête – Mauvaise interprétation des conclusions – Cassation sans renvoi (art. 821-2 CJA).

Commet une erreur de droit le jugement qui condamne une administration à verser à une veuve une réversion de la pension d'ancien combattant de son mari décédé, en se fondant sur ce que l’administration des armées n’ayant pas répondu au mémoire de la demanderesse elle devait être réputée avoir acquiescé aux faits. En effet, il ne résulte pas des écritures de cette dernière que celle-ci avait sollicité le bénéfice de la réversion de la pension militaire de retraite qui aurait été concédée à son mari décédé sur le fondement du code des pensions civiles et militaires de retraite, ni même évoqué l'existence d'une telle pension.

Statuant au fond après cassation, les juges du Palais-Royal déboutent la requérante.

(4 octobre 2019, Ministre des armées, n° 426240)

 

80 - Exécution de la chose jugée – Communication de divers documents par une association chargée d'une mission de service public ordonnée par le juge administratif – Dissolution de l'association – Activité reprise par la commune – Obligation pour cette dernière d'assurer l'exécution du jugement ordonnant les communications de documents – Erreur de droit – Cassation sans renvoi.

Les requérants avaient sollicité, et obtenu, du juge que soit ordonnée la communication de divers documents et comptes de l'association gestionnaire de l'école municipale de musique. Celle-ci ne s'étant pas exécutée, le premier juge, à nouveau saisi, refuse d'ordonner les mesures nécessaires à l'exécution de son propre jugement pourtant assorti d'une injonction au motif que la requête dont il est saisi est manifestement irrecevable du fait de la dissolution de l'association mise en cause.

Le Conseil d'État, auquel le dossier a été transmis par la présidente de la cour administrative d'appel, annule le jugement querellé pour erreur de droit. Deux questions se posaient, d'inégale importance.

En premier lieu, le jugement d'irrecevabilité ne comportant point l'énoncé des mesures d'exécution sollicitées par les requérants, il appartient au juge de l'exécution, saisi sur le fondement de l'art. L. 911-4 CJA, d’ordonner ces mesures ; c'est donc le Conseil d'État qui définit ici lesdites mesures.

En second lieu, l'activité de l'association ayant été reprise, du fait de sa dissolution, par la commune, en régie directe, c'est à cette dernière qu'incombe désormais la charge d'exécuter les mesures ordonnées pour assurer le plein effet du jugement primitif.

(16 octobre 2019, M. et Mme X., n° 421839)

 

81 - Clôture immédiate de l’instruction – Envoi télématique de l’avis d’audience ou de l’ordonnance mentionnant cette clôture – Date de prise d’effet – Envoi tardif d’un mémoire – Rejet.

Lorsqu’il est fait usage par une juridiction administrative de la clôture de l’instruction par voie télématique selon les modalités combinées des art. R. 414-1, R. 611-11-1 et surtout du dernier alinéa de chacun des art. R. 613-1 et R. 613-2 du CJA, la communication de l’ordonnance ou de l’avis d’audience par l’application dite Télérecours a pour effet de clore l’instruction à l’heure d’émission de l’ordonnance ou de l’avis par cette application sauf s’il y est mentionné un horaire ou une date plus tardif.

En l’espèce, l’avis d’audience portant clôture immédiate de l’instruction ayant été envoyé à 17h29, le mémoire transmis le même jour par la société demanderesse à 18h43 ne pouvait plus être reçu, en raison de sa tardiveté, ainsi que l’a jugé à bon droit la cour administrative d’appel.

(9 octobre 2019, Société Efficience, n° 422712)

 

82 - Environnement – Projet d'éoliennes terrestres – Contentieux – Compétence en premier et dernier ressort pour en connaître – Volonté d'un traitement court des dossiers – Compétence étendue des cours administratives d'appel (art. R. 311-5 CJA).

Dans le souci d'accélérer le traitement contentieux des litiges relatifs aux autorisations d'installation et d'exploitation des éoliennes terrestres, le code de justice administrative énumère une série de décisions qui, en la matière, relèvent de la compétence de premier et de dernier ressort des cours administratives d'appel.

Le litige qui était soumis au juge était né de ce que le pétitionnaire auquel l'autorisation avait été donnée par le préfet, a informé ce dernier d'une modification tenant à la structure des mâts des éoliennes ; estimant que cette modification (au sens de l'art. L. 181-14 c. environnement) avait un caractère substantiel, le préfet a ordonné la présentation d'une nouvelle demande d'autorisation environnementale.

Se posait la question de la juridiction administrative compétente pour connaître du recours formé contre la décision préfectorale.

Le Conseil d'État, de façon expédiente et bien venue, respectant l'esprit du texte (art. R. 311-5 CJA), lequel est dominé par un souci de célérité, juge qu'a été confié aux cours « l'ensemble du contentieux des décisions qu'exige l'installation de ces éoliennes. (...) les cours administratives d'appel connaissent également de celles des mesures de police, prises sur le fondement des articles L. 171-7 et L. 181-16 du code de l'environnement, qui sont la conséquence directe d'une des autorisations mentionnées à l'article R. 311-5, de la modification d'une de ces autorisations ou du refus de prendre l'une de ces décisions ».

(9 octobre 2019, Société FE Sainte-Anne, n° 432722)

 

83 - Tierce opposition – Condition - Intérêts concordants entre deux parties dans une instance – Cession par une société à une banque d'une créance sur l'État dans le cadre d'une délégation de service public – Représentation, dans l'instance, du cédant par le cessionnaire – Inopposabilité des dispositions des articles L. 313-24 et suivants du code monétaire et financier – Requête du cédant en tierce-opposition déclarée irrecevable – Rejet.

En raison des liens de représentation existant entre une banque cessionnaire d'une créance sur l'État  et l'entreprise qui lui a cédé cette créance, la Banque représentait, au cours de l'instance, l'entreprise cédante et celle-ci ne pouvait donc pas former tierce opposition au jugement rendu au terme de l'instance, sans que puisse faire obstacle à cette solution la circonstance que le mécanisme particulier de cession de créance prévu par les articles L. 313-23 et suivants du code monétaire et financier est exclusif de toute notion de représentation ou de mandat. 

Cette solution n’allait pas de soi.

(21 octobre 2019, Société Alliance, n° 419153 ; sur la tierce opposition, on lira, dans cette chronique, au 19 : 9 octobre 2019, Ministre de l'économie et des finances, n° 430538 ; (SAS) Casil Europe, n° 431689)

 

84 - Opposition d’une fin de non-recevoir – Omission de réponse expresse à ce moyen – Examen du principal de la demande – Office du juge méconnu – Cassation.

Ne remplit pas son office la juridiction qui, saisie d'une fin de non-recevoir, fait droit aux conclusions de la partie adverse sans avoir au préalable écarté expressément cette fin de non-recevoir. Le jugement ainsi rendu encourt la cassation.

(21 octobre 2019, Syndicat intercommunal d'action sociale en milieu rural (SICASMIR) de Saint-Gaudens, n° 424235)

 

85 - Référé suspension – Autorisation de licenciement d'un salarié protégé – Décision entièrement exécutée – Caractère inopérant de la suspension d'exécution de cette autorisation par référé prudhommal – Recours devenu sans objet – Non-lieu à statuer.

La demande de sursis à l'exécution d'une décision administrative ne peut être dirigée que contre une décision encore susceptible d'exécution au moment où le juge statue, si elle a épuisé tous ses effets, la demande de suspension n'a plus d'objet et il n'y a plus lieu, pour le juge, de statuer. En l'espèce, pour accorder le sursis à l'exécution d'une autorisation ministérielle de licenciement, le juge administratif avait estimé que le juge des référés du conseil de prud'hommes ayant suspendu les effets du licenciement, l'autorisation ministérielle de licenciement n'était point encore "entièrement exécutée".

Le Conseil d'État rappelle ici que la décision administrative qui autorise le licenciement d'un salarié protégé doit être regardée comme entièrement exécutée à compter de l'envoi du courrier recommandé avec accusé de réception notifiant cette rupture.

Le juge des référés administratifs a commis une erreur de droit en jugeant le contraire : son ordonnance est cassée.

Examinant l'affaire au fond, le juge du Conseil d'État constate l'entière exécution de la décision dont était demandée la suspension d'exécution, cette dernière demande est devenue sans objet et il n'y a plus lieu pour le juge de statuer.

(21 octobre 2019, Société Allianz Vie, n° 427045 ; Ministre du travail, n° 427074)

 

86 - Appel – Rejet pour pièce manquante – Inexactitude matérielle du fait – Cassation avec renvoi.

Doit être cassée pour inexactitude matérielle du fait relevé l'ordonnance du président d'une cour administrative d'appel rejetant une requête pour défaut de production, avec le mémoire d'appel, du jugement attaqué, alors que cette pièce y figurait bien.

 (21 octobre 2019, Mme X., n° 427654)

 

87 - Permis de construire – Annulation – Dénaturation des pièces du dossier – Qualification d'une impasse comme comportant deux voies à sens unique – Voie à double sens – Cassation avec renvoi.

Dénature les pièces du dossier à lui soumis, le tribunal administratif qui annule un permis de construire au motif que l'impasse sur les côtés de laquelle est envisagée la construction est constituée de deux voies à sens unique alors qu'il résulte du dossier d'instruction qu'il s'agit d'une route à deux sens de circulation, séparés d'un muret sur quelques mètres seulement.

(21 octobre 2019, Société Angelotti, n° 428322)

 

88 - Expertise – Exigence d'un caractère contradictoire – Expertise non contradictoire ou ordonnée dans un autre litige – Éléments recueillis dans le cadre de l'expertise non contradictoire pouvant être soumis au débat contradictoire – Possibilité pour le juge d'en tenir compte à certaines conditions – Cassation avec renvoi.

Les expertises ordonnées dans le cadre de l'instruction des affaires sont soumises à la discussion contradictoire des parties ; à défaut, elles sont irrégulières.

Toutefois, estime le Conseil d'État  dans la présente décision, il est possible au juge de tenir compte des éléments que comporte soit une telle expertise  irrégulière soit une expertise ordonnée dans un autre litige (par ex. un litige se déroulant devant le juge judiciaire : 7 décembre 1951, Société des distilleries, entrepôts et usines du Languedoc et de Provence, n° 97564, Rec. 580) dès lors - et c'est là une condition alternative sine qua non - qu'ils constituent des constatations de pur fait non contestées (Cf. Section, 7 février 1969, Sieur X., n° 67774 à propos d'une recherche de causalité éventuellement fautive dans le cadre d'un constat d'urgence, Rec. 87) ou des éléments d'information que corroborent  d'autres éléments du dossier.

C'est donc par suite d'une erreur de droit que, dans cette affaire, la cour administrative d'appel a pris en compte les éléments d'une expertise ordonnée dans le cadre d'un autre litige alors qu'ils ne constituaient ni des éléments de pur fait non contestés par les parties ni des appréciations corroborées par d'autres éléments du dossier.

(23 octobre 2019, Centre hospitalier Bretagne Atlantique, n° 419274)

 

89 - Expert – Demande de récusation – Invocation de son défaut d'impartialité – Moyen devant être retenu – Cassation de l'arrêt d'appel avec renvoi.

Suite au décès in utero de leur enfant, ses parents ont recherché la responsabilité des deux centres hospitaliers intervenus. Une expertise est ordonnée mais pendant son déroulement les intéressés ont demandé la récusation de l'expert à raison de son défaut d'impartialité, ce qu'a refusé le tribunal administratif. Leur demande ayant été rejetée en première instance et en appel, ils se pourvoient en cassation.

Aucun appel n'ayant été formé dans les délais contre le jugement rejetant la demande de récusation, celui-ci est devenu définitif.

Deux questions essentielles devaient être résolues : 1°/ Quelles conséquences tirer du rejet définitif de la demande de récusation ? Le défaut d'impartialité peut-il encore être invoqué devant le juge ? 2°/ En cas de réponse positive, le comportement de l'expert révèle-t-il un défaut d'impartialité ?

Le Conseil d'État répond par l'affirmative à chacune des deux questions.

Tout d'abord, la forclusion de toute action en récusation, si elle ne permet plus la nomination d'un autre expert ou le rejet du rapport qu'il a produit, n'empêche pas pour autant l'invocation de son défaut d'impartialité.

Ensuite, pour établir ce défaut, le juge retient que cet expert, médecin gynécologue-obstétricien exerçant des responsabilités au sein de la principale organisation syndicale française de gynécologues-obstétriciens, avait, d'une part, pris parti, peu de temps avant la réalisation de l'expertise litigieuse et de manière publique, en expliquant qu'il était selon lui nécessaire que les gynécologues-obstétriciens soient mieux défendus devant les juridictions, d'autre part, mis en place, au sein de l'Union professionnelle internationale des gynécologues-obstétriciens, une commission dont il assurait la direction et qui était notamment chargée d'aider les gynécologues-obstétriciens à faire réaliser des expertises aux fins d'assurer leur défense devant les juridictions saisies de litiges indemnitaires dirigés contre eux. Si du seul fait de l'exercice de telles fonctions ne saurait être présumée une suspicion de partialité, néanmoins, dans les circonstances de l'espèce, il convient d'annuler l'arrêt frappé de pourvoi en ce qu'il a inexactement qualifié les faits en jugeant que les demandeurs n'étaient pas fondés à mettre en cause l'impartialité de l'expert.

Il appartiendra à la cour de réexaminer ce point mais la conviction du juge suprême transparaît clairement de la rédaction de sa décision.

(23 octobre 2019, M. et Mme X., n° 423630)

 

90 - Médiation – Médiation en cas de différend entre les entreprises et les administrations – Modes alternatifs de règlement des litiges – Nature juridique – Compétence de l'État – Soumission au principe d'impartialité – Rejet.

L'organisation requérante demandait l'annulation du décret n° 2018-919 du 26 octobre 2018 relatif à l'expérimentation d'un dispositif de médiation en cas de différend entre les entreprises et les administrations, celle du rejet implicite par le premier ministre de la demande d'abrogation dudit décret et celle du refus de la garde des sceaux de proposer au Premier ministre l'abrogation de ce décret.

Les divers arguments développés au soutien de cette requête sont rejetés.

Des réponses du juge on retiendra :

1°/ Cette importante affirmation de principe selon laquelle est une « mission d'intérêt général, qui relève de l'État, (celle) de développer les modes alternatifs de règlement des litiges, corollaire d'une bonne administration de la justice ». La qualification ainsi donnée semble excessive et pare d'atours très valorisants une solution plutôt dictée par des impératifs d'un prosaïsme absolu (aller vite, faire des économies, etc.). En outre, l’attribution à l’État de cette « mission » semble une pure pétition de principe.

2°/ Le rappel de la gratuité de la médiation organisée par ce décret et de l'absence de monopole au profit du médiateur des entreprises.

3°/ Que, comme toute autorité administrative et comme l'ensemble de l'administration active, le médiateur entre les entreprises et les administrations est soumis au principe d'impartialité : c’est le moins que l’on puisse attendre de celui-ci. En outre, du seul fait que cette fonction est confiée à une entité dépendant d'un ministre, ne saurait être déduite ipso facto une atteinte à l'exigence d'indépendance ou au principe d'impartialité.

(21 octobre 2019, Conseil national des barreaux, n° 430062)

 

91 - Recours répétitifs à la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) – Avocats désignés au titre de l'aide juridictionnelle demandant à être déchargés de leur mission – Bâtonnier refusant implicitement la communication au requérant des lettres des avocats – Demande d'annulation de cette décision implicite rejetée par le juge – Cassation avec renvoi.

Dans un litige relatif à la communication de documents administratifs, trois avocats successivement désignés au titre de l'aide juridictionnelle, demandent à être déchargés de la défense de l'intéressé. Celui-ci sollicite la production des courriers des avocats, ce que le bâtonnier de l'ordre refuse en raison du caractère répétitif ou systématique de ses demandes. Il saisit le juge mais sa demande ayant été rejetée pour le même motif, il se pourvoit en cassation.

Pour accueillir le pourvoi et casser le jugement contesté devant lui, le Conseil d'État, après avoir relevé que le requérant avait saisi la CADA à vingt-quatre reprises de demandes de communication de documents concernant exclusivement l'aide juridictionnelle, note qu'en revanche il n'a saisi qu'une fois le bâtonnier d'une telle demande. Celle-ci n'avait point le caractère répétitif ou systématique qui permet de faire échec au droit à communication des documents administratifs dans la mesure où il a pour effet de perturber le bon fonctionnement de l'administration sollicitée ou de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose.

C'est donc à tort que le tribunal administratif a rejeté le recours du demandeur.

On peut ne pas trouver satisfaisante une décision qui risque d'alimenter les penchants processifs d'une personne déjà quérulente en matière de recours administratifs.

(23 octobre 2019, M. X., n° 424230)

 

92 - Erreur matérielle contenue dans le dispositif d'un jugement – Office du juge de cassation – Pouvoir du juge de cassation de la rectifier – Cassation partielle et renvoi dans cette mesure.

Innovation jurisprudentielle dont le caractère expédient est bien venu : le juge de cassation se reconnaît le pouvoir de rectifier d'office une erreur matérielle contenue dans le dispositif d'un jugement qui lui est déféré.

Cela n'est pas dit mais va de soi : encore faut-il que le caractère d'erreur matérielle ressorte directement du jugement lui-même, notamment de ses motifs ou de ses visas.

(24 octobre 2019, Commune de Saint-Pierre-du-Perray, n° 425546)

 

93 - Requérant invité à confirmer le maintien de ses conclusions – Délai d'un mois – Désistement d'office à l'expiration du délai – Caractère franc de ce délai – Annulation du jugement et renvoi.

L'article R. 612-5-1 du CJA prévoit qu'à l'expiration du délai imparti par le président de la formation de jugement, qui ne peut être inférieur à un mois, le requérant est réputé s'être désisté de sa requête faute d'avoir confirmé ses conclusions avant l'expiration dudit délai. Ce délai, et c'est la nouveauté de cette décision, est franc. Il n'est donc tenu compte pour sa computation ni du dies a quo ni du dies ad quem.

(24 octobre 2019, Société Prologia, n° 424812)

 

94 - Référé suspension – Condition d'urgence – Reconnaissance d'une urgence en l'espèce – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit le juge du référé suspension qui aperçoit l'existence d'une urgence à statuer dans un dossier où la demande de suspension d'un arrêté du 13 février 2018, contre lequel le recours en annulation été formé le 15 octobre 2018, est formulée seulement le 25 mars 2019 sans que soient invoquées de circonstances particulières qui justifieraient l'écoulement d'un tel délai avant la saisine du juge des référés.

(24 octobre 2019, Ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 430319)

 

Professions réglementées

 

95 - Experts-comptables – Régime disciplinaire – Révocation automatique du sursis en cas de récidive – Absence de modulation possible – Renvoi d’une QPC.

Le Conseil d’État  estime que soulève une question présentant un caractère sérieux - notamment au regard du principe d’individualisation des peines -  la QPC relative à la constitutionnalité des dispositions de l'article 53 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 en tant qu'elles prévoient que le prononcé d'une nouvelle sanction disciplinaire pour une infraction ou une faute commise au cours du délai d'épreuve emporte révocation automatique du sursis à l'exécution de la première sanction sans que le juge disciplinaire ne puisse, par une décision motivée, dire que la sanction qu'il prononce n'entraîne pas la révocation du sursis antérieurement accordé ou n'entraîne qu'une révocation partielle.

(2 octobre 2019, Mme X., n° 432723)

 

96 - Médecin – Vaccination non obligatoire – Accord de la mère – Médecin ayant procédé à la vaccination – « Acte usuel de l'autorité parentale » – Notion – Absence – Faute disciplinaire – Annulation de la sanction.

Le consentement des parents ou de l’un d’entre eux à une vaccination constitue un « acte usuel de l'autorité parentale »(selon l’expression dont use l’art. 372-2 du Code civil)  même lorsque cette vaccination, comme en l’espèce, n’est pas obligatoire. C’est à tort que la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins s'est fondée sur la seule circonstance que la vaccination en cause n'était pas obligatoire, pour en déduire qu'elle ne pouvait être qualifiée d'acte usuel de l'autorité parentale quelle que soit l'appréciation portée sur l'absence ou non de risque pouvant en résulter.

La décision de sanction est cassée.

(4 octobre 2019, Mme X., n° 417714)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

97 - Inspection du travail – Décision d'ordonner l'arrêt de travaux ou d'utilisation d'un appareil – Danger grave et imminent pour la vie ou la santé du travailleur (art. L. 4731-1 c. trav.) – Compétence du juge administratif des référés substituée à celle du juge judiciaire des référés – Allégation d'inconstitutionnalité de la disposition contestée – Rejet.

(2 octobre 2019, Société Auchan Hypermarché, n° 432388) V. n° 70

 

98 - Conventions collectives – Arrêté portant fusion des champs conventionnels de deux conventions collectives – QPC portant sur l'atteinte portée par certaines dispositions du code du travail aux droits et libertés garantis par la Constitution – Admission du moyen et renvoi au Conseil constitutionnel.

(2 octobre 2019, Fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle CGT (CGT spectacle) et syndicat français des artistes-interprètes CGT (SFA-CGT), n° 431750) V. n° 41

 

99 - Experts-comptables – Régime disciplinaire – Révocation automatique du sursis en cas de récidive – Absence de modulation possible – Renvoi d’une QPC.

(2 octobre 2019, Mme X., n° 432723) V. n° 95

 

100 - Étrangers – Demande d’asile – Procédure (art. L. 743-1 et art. L. 743-2, 4°bis et 7° CESEDA) – Respect du contradictoire – Interventions concomitantes du tribunal administratif et de la Cour nationale du droit d’asile – Refus du renvoi d’une QPC.

(2 octobre 2019, Mme X., n° 432740) V. n° 58

 

101 - Nouvelle-Calédonie – Loi du pays instituant un plafonnement de la déductibilité des frais généraux pour les entreprises dont le siège ou la direction effective se situe hors de la Nouvelle-Calédonie – Atteinte au principe d’égalité devant la loi – Moyen présentant un caractère sérieux – Renvoi de la QPC.

Une « loi du pays » du 18 décembre 2015 décide que les entreprises n’ayant pas en Nouvelle-Calédonie leur siège social ou leur direction effective ne pourront déduire de leur chiffre d’affaires imposable qu’un montant de frais généraux plafonné à 5 % du montant des services extérieurs.

Arguant de ce que cette disposition introduit entre les établissements exerçant des activités sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie une inégalité selon qu’elles y ont ou non leur siège social ou leur direction effective, la banque requérante soulève une QPC fondée sur la violation par ladite « loi » du  principe d'égalité devant la loi fiscale et devant les charges publiques et sur ce que, d’une part, son article 7 méconnaît les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 en donnant un effet rétroactif aux dispositions de cette loi et, d’autre part, ses articles 6 et 7  sont entachés d'incompétence négative  car le premier se borne à renvoyer à un arrêté le soin de déterminer les services extérieurs pris en compte et le second ne définit pas les conditions d'entrée en vigueur du mécanisme de plafonnement.

Le Conseil d’État aperçoit ici des moyens sérieux justifiant le renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel.

(4 octobre 2019, Société Casden Banque Populaire SA, n° 432615)

 

Responsabilité

 

102 - Directive relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur – Transposition incomplète ou imparfaite – Responsabilité de l'État du chef du préjudice subi par un retraité – Décret d'application non pris – Privation pendant un certain temps de la garantie instituée contre la perte de retraites – Réparation non atteinte par la prescription quadriennale – Lien de causalité seulement partiel entre la faute et le dommage invoqué – Inexistence d'un principe " d'intangibilité " des droits à pension – Cassation partielle avec renvoi sur l'établissement du lien de causalité et sur l'évaluation du préjudice.

Un retraité, victime de la suspension de sa pension de retraite supplémentaire financée par son ancien employeur, du fait de la mise en redressement puis en liquidation judiciaires de ce dernier, recherche la responsabilité de l'État de ce chef.

Il reproche à celui-ci sa défaillance dans la transposition de l'article 8 de la directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980 - telle qu'interprétée par la CJUE (25 janvier 2007, Robins, aff. C-278/05) - concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur. Son action, rejetée en première instance, est partiellement admise en appel. Un double pourvoi saisit le Conseil d'État, celui du salarié et celui de la ministre des solidarités et de la santé.

Le Conseil d'État admet la responsabilité de l'État en raison de l'absence d'adoption du décret auquel renvoyaient les dispositions du 2° de l'article L. 941-2 du code de la sécurité sociale résultant de la loi du 8 août 1994. En effet, l'application de ces dispositions, prévoyant la faculté de satisfaire à l'obligation instituée par cet article par des provisions constituées par la ou les entreprises adhérentes, faculté dont le législateur avait entendu subordonner la mise en œuvre à la couverture du risque d'insolvabilité de ces entreprises, était manifestement impossible.

Cette carence du pouvoir réglementaire, n'a pas fait obstacle à l'entrée en vigueur des autres dispositions du même article L. 941-2, dont les trois premiers alinéas étaient suffisamment précis et pouvaient entrer en vigueur indépendamment de la faculté prévue par les dispositions de son 2°. Il s'ensuit que, sur ce point, la loi a bien pris des mesures propres à garantir, contre le risque lié à l'insolvabilité des employeurs, les engagements portés par les institutions de retraite supplémentaire qui sont nés entre le 11 août 1994 et la transformation de ces institutions en institutions de gestion de retraite supplémentaire.

Toutefois, en revanche, aucune disposition de la loi ayant effet direct ou de son décret d'application ne faisait obligation à une entreprise adhérant à une institution de gestion de retraite supplémentaire ni à une telle institution de couvrir les engagements antérieurs au 11 août 1994 ou postérieurs à la création de l'institution. Le requérant se trouvait précisément dans ce cas. C'est donc sans erreur de droit que la cour a jugé que l'État  avait commis une faute découlant directement du seul fait de la non transposition résultant, à cette date, de l'absence des mesures nécessaires à la complète transposition de l'article 8 de la directive 80/987, remplacée par la directive 2008/94, cela d'autant plus que la CJUE a estimé que la nature et l'étendue de l'obligation incombant aux États membres en vertu de l'article 8 de la directive 80/987, remplacée par la directive 2008/94, ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, ont été claires et précises au plus tard à compter du prononcé de l'arrêt Robins précité, soit à partir du 25 janvier 2007, y compris pour les engagements nés antérieurement à cette date, et que, par conséquent, une législation nationale qui aboutit à ce qu'en cas d'insolvabilité de son employeur un travailleur ne perçoive pas la moitié au moins de la valeur de ses droits à retraite supplémentaire constitue en soi une violation caractérisée des obligations de l'État  membre concerné (25 avril 2013, Hogan et autres, aff. C-398/11).

Répondant à certains arguments de la ministre défenderesse se pourvoyant, le Conseil d'État précise encore que le préjudice est certain et que la demande indemnitaire n'est pas atteinte par la prescription quadriennale, ayant commencé à courir seulement à compter du jour où l'ancien employeur du salarié a été placé en redressement judiciaire, soit dix-huit mois environ avant l'introduction de l'instance. Il relève également que le préjudice subi n'a pas pour cause exclusive les carences de l'État.

Enfin, contrairement à ce qu'avait jugé la cour, le Conseil d'État considère que la protection instituée par l'art. 8 de la directive de 1980 doit être assurée pendant toute la durée de la retraite conformément à la solution en ce sens retenue par la CJUE (6 septembre 2018, Grenville Hampshire, aff. C-17/17).

(21 octobre 2019, M. X., n° 421577 ; Ministre des solidarités et de la santé, n° 421641)

 

103 - Responsabilité hospitalière – Lien de causalité établi entre des fautes et des dommages – Expertise ordonnée pour déterminer l'ampleur des dommages subis – Allocation, dans le même temps, d'une provision – Régularité – Rejet.

Une juridiction, ayant reconnu l'existence de deux faits au moins, imputables à un hôpital, ayant eu un rôle (totalement ou partiellement) causal dans la réalisation du préjudice dont le requérant demande réparation, peut-elle, du même mouvement, lui allouer une provision alors qu’elle a ordonné une expertise en vue d’établir l’ampleur du préjudice ?

Telle est la question importante soulevée dans cette décision.

Le Conseil d'État y répond positivement mais sous deux conditions dont on peut penser que, dépassant le cas d'espèce, elles ont valeur générale. En premier lieu, le lien de causalité entre faute(s) et préjudice, même s'il devait se révéler partiel, doit être établi avec certitude, ce qui tombe sous le pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond. En second lieu, le montant de la provision doit être nettement inférieur à ce qui sera sans doute alloué in fine, au vu d'une prévision raisonnable.

En revanche, il n'est pas du tout nécessaire que le juge précise les liens entre les faits fautifs et chacun des postes du préjudice invoqué par la victime pour fixer le montant de la provision qu'il décide de lui allouer.

(23 octobre 2019, Centre hospitalier de Cannes, n° 420485)

 

104 - Responsabilité de la puissance publique – Loi interdisant toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de sa (leur) qualité vraie ou supposée de harki – Loi dépourvue de sanction pénale – Demande de réparation des préjudices subis de ce fait – Rejet.

L'article 5 de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, a interdit toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de sa (leur) qualité vraie ou supposée de harki. Ces dispositions ne prévoyant pas de sanctions pénales en cas de violation de cette interdiction, les requérants sollicitent la condamnation de l'État à verser certaines sommes en réparation des préjudices moraux et matériels qu'ils estiment avoir subis de ce fait.

Leur action, rejetée en première instance et en appel, l'est également par le juge de cassation dans les deux griefs articulés à l'endroit de la loi.

Tout d'abord, celle-ci ne saurait entraîner condamnation de l'État à réparer le préjudice qui résulterait d'une prétendue rupture de l'égalité devant les charges publiques car il n'existe au profit des demandeurs aucun droit propre à ce qu'un manquement à une interdiction posée par la loi imposerait l'incrimination pénale dudit manquement. Dès lors, en l'absence de préjudice ne saurait être invoquée une rupture de l'égalité devant les charges publiques. Ce qui signifie a contrario qu’en présence d’un préjudice ce fondement de responsabilité eût pu être accueilli.

Ensuite, l'absence d'incrimination pénale d'un comportement prohibé ne porte atteinte à aucune obligation résultant d'engagements internationaux en ce sens non plus qu'à aucune exigence constitutionnelle. Là encore, l'absence de préjudice entraîne le rejet de la demande.

Il est cependant une interrogation à formuler : à quoi cela sert-il d'interdire quelque chose sans que sa commission soit sanctionnable ? Bel exemple de loi "bavarde" sauf à ce qu'elle puisse servir de base à une action en responsabilité civile contre les éventuels transgresseurs.

(24 octobre 2019, Association générations mémoire Harkis et autre, n° 407932)

 

105 - Droit au logement opposable (DALO) – Famille reconnue prioritaire - Injonction du juge au préfet – Inexécution du jugement pendant 68 mois – Carence fautive – Responsabilité de l'État – Circonstance du caractère plus coûteux du relogement pour les intéressés que le maintien de leur situation actuelle étant sans effet sur l'obligation de l'État  et, partant, sur sa responsabilité – Annulation du jugement.

Une femme et ses enfants ayant été reconnus prioritaire pour l'attribution d'un relogement d'urgence, le tribunal saisi enjoint au préfet d'assurer ce relogement. Celui-ci n'ayant pas exécuté ce jugement pendant près de six ans (de mars 2010 à novembre 2015), l'intéressée saisit le juge d'une demande de réparation du préjudice qui est résulté de cette carence fautive.  Son recours est rejeté au motif que s'il existe bien une faute il n'existe pas, ici, de préjudice indemnisable car la demanderesse n'établit pas que les frais dont elle demande l'indemnisation étaient supérieurs aux loyers et charges qu'elle aurait supportés en cas de relogement.

Elle se pourvoit en cassation contre ce jugement de rejet.

Le Conseil d'État annule ce raisonnement pour erreur de droit : du seul fait de la persistance de la situation qui avait motivé la décision favorable à son relogement prise par la commission de médiation, la requérante avait droit à la réparation des troubles subis dans ses conditions d'existence.

(23 octobre 2019, Mme X., n° 422023)

 

Santé publique

 

106 - Spécialité pharmaceutique ADCETRIS inscrite sur la liste ad hoc (art. L. 162-22-7 code de la santé publique) – Demande d'inscription sur cette liste d'une extension d'indication de cette spécialité – Refus ministériels (ministres de la santé et des finances), fondés sur un avis de la commission de la transparence de la Haute autorité de santé (HAS), pour absence d'intérêt de santé publique – Erreur manifeste d'appréciation - Annulation et injonction de réexamen de la demande d'inscription de l'extension d'ADCETRIS.

La société requérante produit une spécialité pharmaceutique, ADCETRIS, qui, dans sa première indication, a obtenu une autorisation européenne de mise sur le marché à titre conditionnel. Ce médicament entre dans le traitement de la grave maladie dénommée " lymphome hodgkinien ". La société a demandé que soit inscrite sur la liste des spécialités pharmaceutiques (Cf. art. L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale), dite " liste en sus ", une extension d'indication de cette spécialité, l'ADCETRIS 50 mg, poudre pour solution à diluer pour perfusion, dont le principe actif est le brentuximab vedotin, dans l'indication de traitement du lymphome hodgkinien CD30 positif chez les patients adultes ayant un risque accru de récidive ou de progression après une greffe autologue de cellules souches.

Les ministres de la santé et des finances, après que la commission de la transparence de la Haute autorité de santé a rendu un avis négatif, ont refusé l'inscription sollicitée sur ladite liste. Dans son avis, dont les ministres se sont appropriés les termes, cette commission avait dénié un intérêt de santé publique à l'extension d'indication considérée, en dépit de la gravité de la pathologie et de l'existence d'un besoin médical mal couvert car elle avait relevé « l'incidence de ces patients à ce stade de la maladie estimée à environ 110 nouveaux patients par an », « l'absence de réponse au besoin médical identifié », également du fait de l'absence d'impact de la spécialité sur la morbidité et la mortalité des patients concernés, et, enfin, « l'impact potentiellement négatif d'ADCETRIS dans le cadre d'un traitement d'entretien sur la qualité de vie des patients ». 

Examinant de façon précise et approfondie les données figurant au dossier, le Conseil d'État   relève qu' « il ressort des pièces du dossier que les données disponibles à la date de la décision attaquée montraient que l'administration de la spécialité dans l'extension d'indication permettait un allongement de la survie sans progression de la maladie, qui est un indice de la morbidité de la population concernée, supérieur à 18 mois pour la médiane des patients par rapport au bras placebo, sans que des données relatives au gain de survie globale soient encore disponibles, et que le traitement par ADCETRIS dans cette indication, administré en séjour hospitalier ambulatoire, à raison d'une fois toutes les trois semaines, sur une période d'environ un an, permettait aux patients concernés, notamment les plus jeunes, de poursuivre une activité normale, contrairement aux traitements de deuxième (une nouvelle poly-chimiothérapie associée à une greffe autologue de cellules souches hématopoïétiques, dite autogreffe) et de troisième lignes (pour les patients adultes atteints d'un lymphome hodgkinien CD30 positif qui s'est révélé récidivant ou réfractaire après un traitement de première ligne, qui consiste en une poly-chimiothérapie éventuellement suivie d'une radiothérapie) ... ».

Le juge en déduit que c'est par suite d'une erreur manifeste d'appréciation que la commission de la transparence de la HAS a cru pouvoir écrire que la spécialité en cause n'avait pas d'impact sur la morbidité des patients concernés et avait un impact négatif sur leur qualité de vie. De façon sans doute surabondante dans son esprit mais importante, le juge relève aussi que « si la prévalence d'une maladie peut être prise en considération dans l'appréciation de l'intérêt de santé publique d'une spécialité, le faible nombre de patients concernés ne peut, à lui seul, justifier qu'un tel intérêt lui soit dénié ».

Il en résulte que le juge n'ayant pas trouvé dans le dossier d'éléments justifiant le refus opposé, celui-ci repose donc sur une erreur manifeste d'appréciation et entraîne son annulation avec injonction pour les ministres concernés de procéder, sous deux mois, à un réexamen de la demande de la société de production d'ADCETRIS.

(21 octobre 2019, Société Takeda France, n° 419169)

 

107 - Médicaments – Médicaments pouvant être délivrés sans prescription médicale – Recommandations de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé – Nom des médicaments – Interdiction des marques "ombrelles" – Étiquetage des conditionnements des médicaments – Rejet.

L'association requérante demandait l'annulation pour excès de pouvoir des recommandations, adoptées en janvier 2018 par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), intitulées « Étiquetage des conditionnements des médicaments sous forme orale solide (hors homéopathie) - Recommandations à l'attention des demandeurs et titulaires d'autorisations de mise sur le marché et d'enregistrement », en particulier  en tant qu'elles interdisent l'utilisation de " marques ombrelles " pour les médicaments de prescription facultative ou, à défaut de divisibilité de ces dispositions, elle demandait l'annulation des recommandations en leur entier.

Sans surprise, la requête est rejetée après que le Conseil d'État s’est prononcé positivement sur sa recevabilité en tant qu'elle est dirigée contre des recommandations de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé tendant à prévenir des erreurs médicamenteuses (V. aussi ci-dessus au n° 11). On notera que ces recommandations sont dites n'être pas des mesures de police sanitaire.

Tout d'abord, le choix du nom d'un médicament et des mentions de son étiquetage n'affecte pas l'environnement ou ne met pas en jeu le principe de précaution, d'où le caractère irrelevant de l'invocation, par la demanderesse, respectivement, de l'art. 5 de la Charte de l'environnement figurant en préambule de la Constitution de 1958, et du principe de précaution tel que l'interprète la CJUE.

Ensuite, concernant les recommandations relatives au nom des médicaments, il est jugé qu'en recommandant d'éviter l'emploi de "marques ombrelles" pour les médicaments l'ANSM n'a ni excédé ses compétences (telles qu'elles résultent des art. R. 5121-2 et R. 5121-3 du code de la santé publique), ni commis une erreur manifeste d'appréciation. En effet, une telle pratique consiste, pour un titulaire d'autorisations de mises sur le marché de médicaments pouvant être délivrés sans prescription médicale, soit à utiliser un même nom de fantaisie pour plusieurs médicaments dont la composition en substances actives et les indications thérapeutiques sont différentes, soit à choisir, pour un médicament, un nom de fantaisie qui partage tout ou partie du nom d'un autre produit de santé tel un dispositif médical, d'un produit cosmétique ou encore d'une denrée alimentaire. Il s'ensuit des risques de confusion entre produits ou d'erreur sur le produit lui-même, cela d'autant plus que ces médicaments sont délivrés sans prescription médicale.

Enfin, pour ce qui regarde l'étiquetage des conditionnements de ces médicaments, il est rappelé que le code de la santé publique ne distingue pas, pour l'étiquetage des médicaments, selon qu'ils sont délivrés sur prescription médicale ou non. Ces recommandations se bornent à améliorer la lisibilité des conditionnements et la bonne compréhension des informations qu'ils contiennent. Elles n'empêchent point leurs destinataires de connaître avec précision et d'identifier clairement le nom et le logo de la marque ou du laboratoire.

(21 octobre 2019, Association française de l'industrie pharmaceutique pour une automédication responsable (AFIPA), n° 419996 et n° 419997)

 

108 - Thanatopracteurs – Opérations funéraires sur le corps de personnes décédées atteintes de maladies transmissibles – Conditions de réalisation des soins de conservation à domicile – Abrogation des mesures antérieures de protection sanitaire des thanatopracteurs et de leur personnel – Demande de rétablissement – Rejet.

Le syndicat requérant sollicitait du juge, par trois requêtes distinctes mais jointes, l'annulation de la décision implicite par laquelle la ministre des solidarités et de la santé avait rejeté sa demande tendant à l'abrogation de l'arrêté du 12 juillet 2017, du décret du 10 mai 2017 et de l'arrêté du 10 mai 2017, qui, respectivement, fixent les listes des infections transmissibles prescrivant ou portant interdiction de certaines opérations funéraires (Cf. art. R. 2213-2-1 du CGCT), les conditions d'intervention des thanatopracteurs et de l'information des familles concernant les soins de conservation et, enfin, les conditions de réalisation des soins de conservation à domicile. En bref, il était reproché au pouvoir réglementaire l'insuffisance des mesures prises par lui pour assurer la protection des thanatopracteurs, eu égard à la possibilité de pratiquer des soins de conservation sur les corps des personnes décédées d'infection à VIH ou d'hépatite B ou C.

Le Conseil d’État rejette tous les arguments avancés et donc la requête dont il était saisi : le refus d'abrogation de ces textes opposé par le premier ministre n'était pas illégal.

En premier lieu, le décret et l'arrêté du 10 mai 2017 ne portent pas atteinte à un prétendu droit d'accès des thanatopracteurs au dossier médical d'un défunt, accès qui touche notamment aux garanties fondamentales reconnues aux patients et qui n'est ni prévu, ni impliqué nécessairement par les dispositions législatives relatives à l'exercice de leur profession. Un tel droit d'accès ne saurait être institué par le pouvoir réglementaire, qui ne dispose pas de la compétence pour ce faire. Semblablement, ces deux textes, pris sur le fondement de l'article L. 2223-20 du CGCT, ont pour objet de déterminer les conditions d'intervention des thanatopracteurs et l'information des familles concernant les soins de conservation et non de fixer les conditions de capacité professionnelle et de formation des thanatopracteurs. Il ne saurait donc leur être reproché de n'avoir pas prévu la mise en place d'une formation à la réalisation de soins de conservation sur les personnes atteintes, de leur vivant, par les virus de l'hépatite B ou C ou celui de l'immunodéficience humaine. Enfin, en renforçant les obligations de protection individuelle incombant aux thanatopracteurs lorsqu'ils pratiquent des soins de conservation au domicile du défunt, l'arrêté du 10 mai 2017, pris en suivant l'avis du Haut conseil de la santé publique, ne contient pas - contrairement à ce qui était soutenu - des mesures impropres à protéger les thanatopracteurs contre les risques infectieux et chimiques.

En second lieu, concernant l'arrêté du 12 juillet 2017, était contestée la décision qu'il contient de lever l'interdiction de pratiquer des soins de conservation des corps des personnes décédées porteuses des virus de l'immunodéficience humaine ou de l'hépatite B ou C. Le juge relève cependant que cette décision a été précédée de l'adoption des mesures réglementaires précisant les conditions auxquelles des soins peuvent être pratiqués au domicile du défunt et renforçant, dans ce cas, les exigences résultant de l'arrêté précédent, en date du 10 juillet 2013. Elle a également été assortie de l'obligation de vaccination des thanatopracteurs contre le virus de l'hépatite B (cf. art. L. 3111-3 du code de la santé publique, décret du 16 décembre 2016 relatif à la vaccination contre l'hépatite B des thanatopracteurs et arrêté du 26 décembre 2016 relatif aux conditions de vérification de l'immunisation des thanatopracteurs en formation pratique et en exercice soumis à l'obligation de vaccination contre l'hépatite B) dont la mise en œuvre a débuté le 1er janvier 2018. Enfin, tout en constatant que les travaux menés en vue du renforcement de la formation des thanatopracteurs, préconisé notamment par le Haut Conseil de la santé publique, n'ont pas encore abouti, le Conseil d'État  note, tout d’abord, que l'accès au diplôme national de thanatopracteur comprend déjà une formation à la microbiologie, à l'hygiène et à la toxicologie et, depuis l'entrée en vigueur de l'arrêté du 18 mai 2010 fixant les conditions d'organisation de la formation et de l'examen d'accès au diplôme national de thanatopracteur, une formation à la sécurité sanitaire et à l'évaluation des risques sanitaires, et, ensuite, que l'arrêté du 10 juillet 2013 relatif à la prévention des risques biologiques auxquels sont soumis certains travailleurs susceptibles d'être en contact avec des objets perforants impose à l'employeur, notamment, d'informer les travailleurs sur « les bonnes pratiques en matière de prévention » et d'organiser « la formation des travailleurs dès l'embauche, (...) portant notamment sur : / 1. Les risques associés aux AES [accidents exposant au sang ou à un autre liquide biologique considéré comme potentiellement contaminant]. / 2. Les mesures de prévention (...) / 3. Les procédures de déclaration des AES (...) / 4. Les mesures à prendre en cas d'AES » en précisant que : « La formation des travailleurs sera renouvelée régulièrement, notamment en cas de modification de l'organisation du travail ou des procédures ».

(21 octobre 2019, Syndicat professionnel des thanatopracteurs indépendants et salariés, n° 420746, n° 420747 et n° 420748)

 

Service public

 

109 - Réorganisation des postes comptables des services déconcentrés de la direction générale des finances publiques (DGFIP) en Corse – Suppression d'une trésorerie – Principe d'égalité entre usagers dans l'accès au service public – Absence d'atteinte – Rejet.

Un contribuable conteste l'arrêté ministériel qui, dans le cadre de la réorganisation des postes comptables des services déconcentrés de la DGFIP en Corse, a supprimé une trésorerie dans une commune pour la rattacher à celle de Corte. En obligeant les habitants des communes touchées par cette mesure à un allongement du trajet il serait porté atteinte au principe d'égal accès des usagers au service public.

L'argument est rejeté car, d'une part, la suppression progressive de la taxe d'habitation, source la plus fréquente de déplacements, et d'autre part, l'existence de moyens téléphoniques et électroniques de communication avec les services fiscaux justifient une solution qui ne porte ainsi pas atteinte au principe invoqué.

(1er octobre 2019, M. X., n° 426092)

 

110 - Transports publics – Île-de-France – Réductions tarifaires accordées aux personnes étrangères – Condition d'obtention – Exigence d'être en situation régulière – Illégalité – Rejet.

La requérante demandait l'annulation de l'arrêt ayant prononcé l'annulation d'une délibération tarifaire d'un syndicat de transports instituant le bénéfice des réductions tarifaires dans les transports franciliens, aux personnes dont les ressources sont égales ou inférieures au plafond fixé en application de l'article L. 861-1 du code de la sécurité sociale, « à l'exclusion des personnes justifiant du bénéfice de l'aide médicale d'État ».

Le syndicat soutenait, d'une part, que la réduction tarifaire instituée de plein droit au bénéfice des personnes mentionnées à l'article L. 1113-1 du code des transports, ne serait applicable, s'agissant des personnes de nationalité étrangère, que pour autant qu'elles soient en situation régulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour, et d'autre part, qu'en conséquence,  l'autorité organisatrice de la mobilité serait tenue d'exclure de son bénéfice les personnes en situation irrégulière, sauf à commettre le délit pénal d'aide à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France, prévu et réprimé par les dispositions de l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Rejetant cette argumentation et donc le pourvoi, le Conseil d'État  juge qu'en réalité « le législateur a mis pour unique condition au bénéfice de la réduction tarifaire qu'il a instituée un montant de ressources égal ou inférieur au plafond fixé en application de l'article L. 861-1 du code de la sécurité sociale et que ce plafond de ressources, s'il a été choisi comme condition d'accès à la couverture maladie universelle puis pour la couverture maladie universelle complémentaire, a également été retenu par le législateur pour permettre aux étrangers présents de manière ininterrompue mais non régulière sur le territoire national depuis au moins trois mois, d'accéder à l'aide médicale de l'État. En faisant référence à ce plafond et non à la qualité de bénéficiaire de la couverture maladie universelle ou de la couverture maladie universelle complémentaire, le législateur a ainsi nécessairement entendu permettre aux bénéficiaires de l'aide médicale de l'État de prétendre à la réduction tarifaire prévue à l'article L. 1113-1 du code des transports, sans que puissent y faire obstacle les dispositions de l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ». On relèvera le caractère très "constructif" de la solution retenue.

(9 octobre 2019, Syndicat des transports d'Ile-de-France (STIF) devenu Ile-de-France Mobilités, n° 423937)

 

111 - Centrale de production d'énergie électrique – Convention entre une commune et une entreprise privée – Nature de la convention – Concession – Absence – Erreur de droit – Annulation.

Dans le cadre d'un référé, commet une erreur de droit le juge qui, pour qualifier de concession de service public la convention liant une commune à une entreprise privée en vue de la production d'énergie hydroélectrique, se borne à constater que l'exploitation d'ouvrages de production d'énergie électrique a pour objet l'exécution d'un service public sans tenir compte des termes de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique alors en vigueur, laquelle, en son art. 2,  réserve la nature de concession que dans le cas des conventions portant sur des installations hydrauliques dont la puissance excède 4500 kilowatts.

Dès lors, l'ordonnance de référé ne pouvait, pour résoudre le litige qui lui était soumis, et donner satisfaction à la commune, demanderesse en première instance, se fonder sur les obligations qui sont normalement celles d'un contractant participant à l'exécution du service public, notamment l'obligation de conserver les biens en bon état d'entretien et conformes à leur destination.

(9 octobre 2019, Société Ingénierie Gestion Industrie Commerce, n° 429805)

 

112 - Égalité devant le service public – Personnel de la SNCF, de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités – Parent d'enfant handicapé ayant interrompu un temps sa carrière – Bénéfice d'une retraite anticipée avec jouissance immédiate – Règles différentes selon les cas – Illégalité – Annulation.

Étaient contestées deux dispositions du décret du 30 juin 2008 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la SNCF, SNCF réseau et SNCF Mobilités en ce qu'elles concernaient les possibilités de retraite anticipée avec jouissance immédiate ouvertes à certaines personnes ayant élevé un enfant handicapé.

Par la première (quatrième alinéa du II de l'art. 3), le bénéfice d'un départ anticipé à la retraite avec jouissance immédiate est réservé aux seuls parents ayant interrompu ou réduit leur activité professionnelle durant les trois ans suivant la naissance de l'enfant handicapé. Sont donc exclus de cette mesure les parents qui ont réduit ou interrompu leur activité après que leur enfant a atteint cet âge alors qu'il était encore à leur charge. Le Conseil d'État juge - et doit être pleinement approuvé pour cela - que cette différence de traitement ne se justifie ni par une différence de situation au regard des préjudices de carrière liées à la charge supplémentaire qu'impose l'éducation d'un enfant handicapé, que la mesure vise à compenser, ni par un motif d'intérêt général. Elle est annulée.

Par la seconde (cinquième alinéa du II de l'art. 3), une différence est établie entre, d'une part, les parents d'un enfant handicapé qui ont réduit ou interrompu leur activité avant que leur enfant ait atteint l'âge de trois ans et d'autre part, les personnes qui, en qualité de conjoints de parent d'un enfant issu d'un mariage précédent, de titulaires d'une délégation de l'autorité parentale, de tuteurs ou ayant recueilli un enfant à leur foyer, ont élevé un enfant handicapé pendant au moins neuf ans avant son vingt et unième anniversaire. Les premiers seuls se voient reconnaître le droit à une retraite anticipée avec jouissance immédiate. Là aussi le juge ne trouve aucune justification à l'atteinte ainsi portée au principe d'égalité.

Est donc annulé le refus implicite du premier ministre d'abroger les dispositions critiquées avec injonction de le faire sous trois mois et menace d'une astreinte passé ce délai sans exécution de la décision.

(9 octobre 2019, M. X., n° 428634)

 

Sport

 

113 - Discipline sportive – Sanction prononcée à l’encontre d’un entraîneur-dirigeant de club par une fédération sportive agréée – Fédération exerçant un monopole de service public – Interdiction à vie d’accès de l’entraîneur audit service public – Annulation de l’arrêt d’appel pour inexacte interprétation de la décision administrative attaquée.

La fédération requérante a infligé à un entraîneur - également dirigeant d’un club qui lui est affilié - les sanctions de radiation à vie de toutes fonctions officielles, d'interdiction d'accès au stade pendant cinq ans et d'interdiction à vie de vestiaire des arbitres et de banc de touche.

Ce dernier a d’abord été débouté de son action en annulation desdites sanctions, puis ce jugement a été annulé en appel, d’où le pourvoi formé par la fédération.

Deux points importants sont abordés dans cette décision.

En premier lieu, pouvait se poser la question de la compétence du juge administratif pour connaître de ce litige. Cependant, cette fédération jouissant d’un monopole dans l’exercice de sa mission de service public d’organisation des compétitions sportives en vue de l’octroi de titres nationaux et le club dirigé par la personne sanctionnée lui étant affilié, les décisions qui ont été prises ne concernaient point le fonctionnement interne de la fédération - ce qui du fait de sa nature de personne morale de droit privé eût entraîné la compétence du juge judiciaire - mais l’organisation même du service public : leur contestation relevait d’évidence de la compétence de l’ordre administratif de juridiction.

En second lieu, la cour administrative d’appel, pour annuler le jugement qui avait débouté cet entraîneur dans sa demande d’annulation des sanctions, s’est fondée sur ce que la décision de la fédération se serait, notamment, fondée sur des faits matériellement inexacts car elle n’établissait pas que l’intéressé aurait déjà fait l'objet d'une sanction définitive pour des faits similaires à ceux qui lui étaient reprochés et qu'aucune récidive ne pouvait en conséquence être caractérisée en l'espèce. Le Conseil d’État censure ce raisonnement car il résulte du libellé même de la décision contestée en première instance que celle-ci «  se borne à indiquer, pour justifier les sanctions infligées à l'intéressé, que celui-ci a déjà fait l'objet d'une procédure disciplinaire pour des faits similaires, sans faire référence à la notion de récidive, ni même aux dispositions du règlement disciplinaire fédéral relatives à cette notion ». C’est donc par une inexacte interprétation des termes de la décision litigieuse que la cour s’est déterminée, d’où l’annulation de son arrêt.

Cette décision laisse le lecteur dubitatif : la répétition des comportements reprochés a nécessairement pesé dans le choix par la fédération requérante des sanctions et de leur échelle. Ce n’est d’ailleurs qu’ainsi que peut se comprendre le fait qu’elle ait souligné dans sa décision la répétition des faits reprochés. Sinon pourquoi en parler si ce n’est pour ne pas en tenir compte ?

On a l’impression que le Conseil d’État voulait « sauver » une décision qui lui paraissait fondée eu égard à la gravité des faits tandis que la cour voulait « sauver » le respect du droit…

(9 octobre 2019, Fédération calédonienne de football, n° 421367)

 

Urbanisme

 

114 - Loi Montagne (9 janvier 1985) – Conditions de l'urbanisation – Notions de zones d'habitat diffus et de continuité avec des bourgs, villages ou hameaux existants – Groupes déjà existants de constructions traditionnelles ou d'habitations (art. L. 145-3, III, c. urb.) –Perception de constructions comme appartenant à un même ensemble – Rejet.

La cour administrative d'appel annule le jugement par lequel ont été rejetées les demandes d'un particulier et d'une association tendant à l'annulation de deux permis de construire des maisons individuelles situés dans la zone NBa d'un plan d'occupation des sols.

Outre une question d'alimentation en eau potable, se posait celle de l'application en l'espèce et de la portée des dispositions particulières d'urbanisme figurant dans la loi Montagne.

En l'espèce, est déclarée applicable une directive territoriale d'aménagement puisque demeurée en vigueur et compatible avec les dispositions des art. L. 145-1 et suivants du code de l'urbanisme qui transcrivent celles de la loi Montagne en ce qu'elles concernent l'urbanisation en zone de montagne. De là il résulte que peut être autorisée l'urbanisation, au moyen de constructions nouvelles, lorsqu'elle est en continuité soit « avec les bourgs, villages et hameaux existants » soit avec les « groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants ». Ceci permet donc les constructions nouvelles qui, ne s'inscrivant pas dans les traditions locales, ne pourraient être regardées comme un hameau. Le juge définit ici le groupe, de constructions traditionnelles ou d'habitations, comme celui qui « suppose plusieurs constructions qui, eu égard notamment à leurs caractéristiques, à leur implantation les unes par rapport aux autres et à l'existence de voies et de réseaux, peuvent être perçues comme appartenant à un même ensemble ».

La cour est approuvée pour avoir estimé - sans erreur de droit - que les projets litigieux n'étaient pas situés en continuité avec un groupe d'habitations existant, ces habitations, dans ce secteur, d'ailleurs au nombre d'une dizaine, étant espacées de 25 à 40 mètres et non desservies par les réseaux d'eau et d'assainissement.

(2 octobre 2019, Commune du Broc et SCI La Clave, n° 418666)

 

115 - Permis de construire – Exception d'illégalité du document d'urbanisme sur la base duquel le permis a été délivré – Annulation remettant en vigueur le précédent règlement d'urbanisme – Date d'appréciation de la légalité du permis – Rejet.

Dans un litige en contestation de la délivrance du permis de construire une maison individuelle, le Conseil d'État rappelle avec une certaine solennité sa jurisprudence Commune de Courbevoie (Section, 7 février 2008, n° 297227).

Il le fait en ces termes : « Sous réserve, en ce qui concerne les vices de forme ou de procédure, des dispositions de l'article L. 600-1 du code de l'urbanisme, et à la condition de faire en outre valoir que ce permis méconnaît les dispositions d'urbanisme pertinentes remises en vigueur par l'effet de la déclaration d'illégalité, il peut être utilement soutenu devant le juge qu'un permis de construire a été délivré sous l'empire d'un document d'urbanisme illégal. Cette règle s'applique que le document ait été illégal dès l'origine ou que son illégalité résulte de circonstances de fait ou de droitpostérieures. Par suite, le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en se plaçant à la date de délivrance du permis de construire attaqué pour apprécier la légalité du plan local d'urbanisme sous l'empire duquel il a été délivré ».

(2 octobre 2019, Commune de Limonest, n° 420808 ; M. X., n° 420851)

 

116 - Permis de construire – Permis initial et permis modificatif – Contestation par voie d’excès de pouvoir – Justification de l’intérêt donnant qualité pour agir (art. L. 600-1-2 c. urb.) – Application – Annulation du jugement attaqué et renvoi dans la mesure de la cassation prononcée.

Rappels, notamment, d’une règle établie en vue d’empêcher les recours oiseux, dilatoires ou « maffieux » en obligeant le requérant qui conteste un permis de construire, de démolir ou d'aménager à démontrer préalablement qu’il a bien un intérêt direct à intenter son recours, ainsi que l’atteinte que porterait la mise en œuvre du permis aux conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien.

Le Conseil d’État  rappelle ainsi, tout d’abord, que «  tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien ».

Il précise ensuite, que dans le cas où le requérant n’aurait pas utilement contesté le permis initial, et contesterait un permis de construire modificatif  « son intérêt pour agir doit être apprécié au regard de la portée des modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction initialement autorisé. Il appartient dans tous les cas au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci »

Enfin, est posée une présomption en ces termes : « Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction ».

En l’espèce, le jugement entrepris est annulé. En effet, pour juger que les demandeurs avaient un intérêt à agir contre le permis modificatif alors qu’ils n’avaient point contesté le permis initial, il avait retenu leur qualité de voisins immédiats du projet de construction, lequel était, d’une part, susceptible de priver en partie leur jardin de soleil, et d’autre part, susceptible de menacer la stabilité de l'immeuble situé 31, rue d'Estienne d'Orves avec lequel ils partageraient un mur mitoyen. Or il devait rechercher si ces atteintes résultaient des modifications apportées au projet initial par le permis modificatif celui-ci étant le seul acte qu’ils attaquaient.

 (4 octobre 2019, M. X., Mme Y. et syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 31, rue d'Estienne d'Orves à Vincennes, n° 419820)

 

117 - Permis de construire – Intérêt à agir du requérant – Atteinte directe aux conditions d'occupation, d'utilisation et de jouissance du bien du requérant – Rejet.

Un voisin ayant obtenu du tribunal administratif l'annulation du permis de construire, à proximité de sa maison d'habitation, d'un immeuble de 17 logements et 33 places de stationnement, les requérantes se pourvoient en cassation contre ce jugement.

C'est la discussion sur l'intérêt à agir du requérant qui est l'aspect le plus intéressant de ce dossier.  Il convient au préalable de préciser, pour le lecteur, que le secteur où devait être réalisée la construction est situé sur une colline escarpée plongeant dans la Méditerranée et disposant d'une vue remarquable sur l'ensemble de la rade de Marseille. Cet intérêt, contesté par les demandeurs à la cassation, est ainsi reconnu  positivement par le juge : « le requérant, propriétaire d'une maison d'habitation séparée d'une trentaine de mètres du terrain d'assiette de la construction projetée, justifiait, par les éléments qu'il versait aux débats, de la perte de vues sur un espace végétal et forestier et d'une augmentation de la circulation sur un chemin étroit et escarpé menant à sa propriété (...) » puis négativement : « (...) la société OGIC n'apportait aucun élément de nature à établir que ces atteintes étaient dépourvues de réalité ».

C'est pourquoi, c'est sans commettre d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique, que le tribunal a reconnu que le requérant justifiait d'une atteinte directe aux conditions d'occupation, d'utilisation et de jouissance de son bien et, en conséquence, d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation du permis de construire.

(21 octobre 2019, Société OGIC, n° 419631 ; Ville de Marseille, n° 419728 ; v. aussi, du même jour, les dix décisions suivantes joignant vingt requêtes deux à deux, avec des requérants identiques ou voisins et portant sur le même permis de construire : Société OGIC, n° 419632 et Ville de Marseille, n° 419697 ; Société OGIC, n° 419633 et Ville de Marseille, n° 419729 ;  Société OGIC, n° 419634 et Ville de Marseille, n° 419695 ; Société OGIC, n° 419635 et Ville de Marseille, n° 419726 ; Société OGIC, n° 419640 et Ville de Marseille, n° 419698 ; Société OGIC, n° 419643 et Ville de Marseille, n° 419700 ; Société OGIC, n° 419645 et Ville de Marseille, n° 419693 ; Société OGIC, n° 419647 et Ville de Marseille, n° 419696 ; Société OGIC, n° 419649 et Ville de Marseille, n° 419724 ; Société OGIC, n° 419650 et Ville de Marseille, n° 419699)

V. aussi, dans cette affaire : 24 octobre 2019, Société OGIC, n° 419630 et Ville de Marseille, n° 419690 ; également, du même jour, avec mêmes requérants, voir : n° 419641/n° 419642/n° 419646 et n° 419689/n° 419730/n° 419694.

 

118 - Permis de construire – Obligation d'affichage du permis sur le terrain d'assiette de celui-ci – Fonctions de l'affichage du permis – Affichage déclenchant le délai de recours contentieux – Cas d'un affichage comportant une erreur – Erreurs seules de nature à empêcher le délai de recours de courir – Absence en l'espèce – Rejet.

À propos d'un litige portant notamment sur les conséquences contentieuses à tirer d'une erreur affectant l'une des mentions devant figurer sur le panneau d'affichage du permis de construire, le Conseil d'État  rappelle et revisite le régime contentieux applicable en ces termes : « En imposant que figurent sur le panneau d'affichage du permis de construire diverses informations sur les caractéristiques de la construction projetée, les dispositions (des art. R. 424-15 et A. 424-16  c. urb.) ont pour objet de permettre aux tiers, à la seule lecture de ce panneau, d'apprécier l'importance et la consistance du projet, le délai de recours contentieux ne commençant à courir qu'à la date d'un affichage complet et régulier. Il s'ensuit que si les mentions prévues par l'article A. 424-16 doivent, en principe, obligatoirement figurer sur le panneau d'affichage, une erreur affectant l'une d'entre elles ne conduit à faire obstacle au déclenchement du délai de recours que dans le cas où cette erreur est de nature à empêcher les tiers d'apprécier l'importance et la consistance du projet. La circonstance qu'une telle erreur puisse affecter l'appréciation par les tiers de la légalité du permis est, en revanche, dépourvue d'incidence à cet égard, dans la mesure où l'objet de l'affichage n'est pas de permettre par lui-même d'apprécier la légalité de l'autorisation de construire ».

Dès lors, la cour ayant fait application de ces principes, elle n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que l'erreur de mention n'avait pas été de nature à faire obstacle au déclenchement du délai de recours contentieux.

Cette décision, interprétant de façon assez latitudinaire les dispositions en cause, se situe dans la ligne générale d'une jurisprudence réduisant à l'extrême la fenêtre de tir pour former un recours contentieux en matière d'urbanisme.

(16 octobre 2019, M. et Mme X. et autres, n° 419756)

 

119 - Travaux non conformes au permis de construire délivré – Arrêté ordonnant l'interruption des travaux – Contestation de cet arrêté par voie de référé suspension – Permis de construire modificatif régularisant les travaux contestés – Permis valant abrogation implicite de l'arrêté interruptif des travaux – Recours contentieux irrecevable – Substitution de motif – Rejet.

Est irrecevable le recours en référé suspension dirigé contre un arrêté municipal ordonnant l'interruption de travaux non conformes au permis de construire délivré lorsque, postérieurement, est délivré un permis modificatif valant régularisation des travaux litigieux. Un tel permis a un effet abrogatoire sur l'arrêté ordonnant l'interruption des travaux. Il n'y a donc plus lieu d'entreprendre ou de poursuivre une action contentieuse du chef de ce dernier.

(16 octobre 2019, M. X., n° 420275)

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