Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Février 2021

  

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Décret portant reconnaissance de l'utilité publique d'une association - Demande de retrait d'agrément en cette qualité - Refus de prendre un décret - Décret non réglementaire - Absence de compétence directe du Conseil d’État en premier ressort - Renvoi au tribunal administratif de Paris.

Le décret reconnaissant la qualité d'utilité publique d'une association n'a pas de caractère réglementaire et il en va de même du refus implicite de prendre le décret retirant cet agrément. Dès lors le recours tendant à l'annulatiuon de ce refus est mal dirigé en tant qu'il est porté en premier ressort devant le Conseil d’État.

Renvoi de l'affaire au tribunal administratif de Paris, dans le ressort duquel a son siège l'autorité qui a pris la décision implicite de refus.

(4 février 2021, M. B., n° 436911)

 

2 - Détenu - Sanction disciplinaire - Composition de la commission de discipline - Irrégularité affectant une garantie offerte au détenu - Annulation de l'arrêt d'appel.

Le code de procédure pénale prévoit que la commission disciplinaire appelée à connaître des fautes commises par les personnes détenues doit comprendre une personne extérieure à l'administration pénitentiaire. Le Conseil d’État y voit, à juste titre, une garantie reconnue au détenu alors même que cette personne n'a qu'une voix consultative.

En l'espèce, l'absence d'un tel assesseur a constitué, contrairement à ce qu'a jugé l'arrêt d'appel infirmatif, une irrégularité, d'où l'annulation de cet arrêt.

(5 février 2021, M. B., n° 434659)

 

3 - Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Réunion des collèges du CSA - Respect des dispositions de l'art. 4 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication - Procès-verbal des réunions desdits collèges - Absence de certaines mentions - Mentions non obligatoires - Annulation.

(16 février 2021, Société Catalogne Informations, n° 439435) V. n° 10

 

4 - Référé suspension d'une décision implicite - Décision ministérielle refusant implicitement de prendre les mesures d'exécution d'un décret - Injonction demandée en ce sens - Mesures d'exécution non nécessaires - Mesures relevant de la compétence des recteurs - Rejet.

Le syndicat demandeur poursuivait la suspension de la décision implicite du ministre de l'éducation nationale, rejetant sa demande tendant à ce que soient prises les mesures d'application qu'implique nécessairement le décret du 31 juillet 2015 relatif aux maîtres délégués des établissements d'enseignement privés sous contrat d'association du 1er degré en tant qu'il les rend éligibles à l'avancement au choix. Il demandait également la prise d'injonctions dans le délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, afin que le ministre, d'une part, prenne les mesures nécessaires pour que, à l'occasion de la campagne d'avancement 2020-2021, le droit des maîtres délégués à bénéficier d'un avancement au choix soit respecté, et d'autre part, reconstitue les tableaux d'avancement avec effet rétroactif et en prenant en compte l'avancement au choix des maîtres délégués au titre des années 2017-2018, 2018-2019 et 2019-2020.

L'ensemble de ces demandes est rejeté.

Tout d'abord, le Conseil d'État juge inutile d'ordonner la prise de mesures d'exécution du décret du 31 juillet 2015 car il ne ressort pas des dispositions de ce texte qu'il ne puisse être appliqué en l'état ; en l'état de l'instruction il n'appelle pas, sur ce point, de mesures réglementaires d'application.

Ensuite, il n'est pas davantage nécessaire que soit prise une instruction à destination des recteurs leur impartissant de prendre les mesures réclamées par le syndicat car elles relèvent de la compétence des recteurs et que, d'ailleurs, une circulaire en ce sens a déjà été adressée aux recteurs en novembre 2015.

Au passage, le juge rappelle une constante du droit administratif : l'administration n'est jamais tenue de faire connaître à ses agents l'interprétation qu'elle retient de l'état du droit.

(16 février 2021, Syndicat National de l'Enseignement Chrétien - Confédération des Travailleurs Chrétiens, n° 449135)

 

5 - Référé suspension - Légalisation des actes publics pris par une autorité étrangère - Régime juridique issu du décret du 10 novembre 2020 - Caractère obligatoire de la légalisation - Autorités de légalisation - Rejet.

Les organisations requérantes demandaient la suspension de l'exécution des articles 3 et 4 du décret du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère pris pour l'exécution du II de l'art. 16 de la loi du 23 mars 2016 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui dispose : "Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet."

La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu.

Un décret en Conseil d'État précise les actes publics concernés par le présent II et fixe les modalités de la légalisation". Ce mécanisme succède d'abord au régime de légalisation instauré par le titre IX du Livre 1er de l'ordonnance de la marine de 1681 puis, après l'abrogation de celui-ci par le II de l'article 7 de l'ordonnance du 21 avril 2006, en vertu d'une jurisprudence constante du juge judiciaire, sur le fondement d'une coutume internationale.

Il est tout d'abord clair que ne saurait sérieusement être contestée la compétence du pouvoir réglementaire pour prendre ce décret.

Ensuite, le régime français de légalisation des actes pris par une autorité étrangère s'applique sous réserve d'engagement international contraire, ainsi de l'article 8 de la convention relative à la coopération internationale en matière d'aide administrative aux réfugiés, signée à Bâle le 3 septembre 1985, ratifiée et entrée en vigueur en France, dispensant de toute légalisation ou de toute formalité équivalente sur le territoire de chacun des États liés par cette convention les documents concernant l'identité et l'état civil des réfugiés qui émanent de leurs autorités d'origine.

Également, les requérantes ne peuvent soutenir que la seule circonstance que le législateur n'ait pas dispensé de légalisation les actes d'état civil produits en justice par des mineurs étrangers dans le cadre d'une demande de mesure d'assistance éducative ou dans des contentieux d'urgence les concernant ferait, par elle-même, obstacle à ce que la protection à laquelle les intéressés ont droit soit le cas échéant assurée ou à ce qu'ils bénéficient des garanties attachées à leur minorité comme c'était d'ailleurs également le cas sous l'empire des régimes antérieurs de légalisation ayant existé d'août 1681 à 2006 puis de 2006 à 2021.

La légalité du décret attaqué ne souffre pas de doute sérieux.

Enfin, les requérantes contestaient les modalités de la légalisation en ce que celle-ci est réservée aux autorités diplomatiques et consulaires françaises et non, sauf rares exceptions, ouverte également aux autorités diplomatiques et consulaires de l'État d'émission en France. Contrairement à ce qui est soutenu la solution préconisée ne repose sur aucune coutume internationale qui inclurait l' "usage diplomatique" qu'évoque  l'instruction générale relative à l'état civil du 11 mai 1999. Le principe de l' "égalité souveraine des États" n'y fait pas davantage obligation.

Pour finir, la solution retenue par le décret se justifie par la nécessité de vérifier l'authenticité des actes, de leurs auteurs et de leurs contenus et elle n'aboutit pas à ce que les légalisations soient délivrées au terme d'un délai déraisonnable.

(ord. réf. 12 février 2021, Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s et syndicat des avocats de France, n° 448294 ;  et Association Avocats pour la défense des droits des étrangers et autre, n° 448307)

 

6 - Référé liberté - Inscription d'une formation sur la plateforme Parcoursup - Refus ne constituant pas une décision réglementaire - Incompétence du Conseil d'État saisi en premier et dernier ressort - Rejet.

Un organisme de formation conteste directement devant le Conseil d'État le refus tacite du ministre de l'éducation d'inscrire les formations qu'il dispense sur la plateforme Parcoursup, parce qu'il voit dans ce refus une décison réglementaire en raison de son caractère général et impersonnel.

L'argumentation est rejetée car " la circonstance que le recours à l'encontre de cet acte soit introduit par un syndicat, à l'égard duquel l'acte aurait une portée générale, et, ne le concernant que par l'intermédiaire de ses membres, impersonnelle, est dénuée d'incidence sur la nature de l'acte, qui ne dépend pas du rapport qu'un requérant entretient avec son contenu". Cette formulation est d'une grande importance, elle rappelle la place majeure du critère organique : ce n'est ni son contenu ni la qualité ou la nature juridique de ses destinataires qui confère à celui-ci sa nature juridique, réglementaire ou non, mais seulement la qualité de l'auteur de l'acte.

Faute que l'acte soit réglementaire, son contentieux ne relève pas de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d'État. Le recours est rejeté.

(ord. réf. 18 février 2021, Syndicat Franceactive-FNEAPL, n°449394)

(7) V. aussi, voisine, la décision qui juge  que la décision par laquelle le ministre de la santé autorise un établissement de santé à porter, pour certaines catégories de personnel et pour une certaine durée, le nombre d'heures supplémentaires au-delà des bornes horaires fixées par le cycle de travail, est dépourvue de caractère général et impersonnel et n'a pas, par elle-même, pour objet l'organisation du service public : elle ne revêt pas un caractère réglementaire permettant de la contester devant le Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort : 19 février 2021, Syndicat CGT du personnel de l'hôpital Beaujon, n° 439207. 

 

8 - Motivation des décisions administratives - Habilitation au "secret défense" - Refus d'habilitation - Décision non soumise à l'obligation de motivation - Cassation et rejet.

Dans une affaire à rebondissements contentieux - faisant l'objet d'un second pourvoi - où était en cause, notamment, le retrait d'une habilitation au "secret défense", le Conseil d'État juge que la décision refusant l'habilitation au " secret défense " étant au nombre de celles dont la communication des motifs est de nature à porter atteinte au secret de la défense nationale, n'a pas à être motivée.

La solution n'est pas nouvelle.

(23 février 2021, Ministre des armées, n° 432198)

 

9 - Décision de rejet annulée par le juge - Nouveau rejet fondé sur des motifs identiques en l'absence de changement de fait ou de droit de la situation - Violation de l'autorité de chose jugée - Illégalité - Annulation.

À propos d'une décision du conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes refusant de reconnaître un diplôme universitaire d'études complémentaires en kinésithérapie du sport alors qu'une identique décision précédente avait été annulée par le juge de l'excès de pouvoir, le Conseil d'État rappelle que l'autorité de chose jugée qui s'attache au dispositif d'une décision juridictionnelle d'annulation et aux motifs qui en sont le support nécessaire fait obstacle à ce que, à la suite de l'annulation d'une décision ayant rejeté une demande et en l'absence de modification de la situation de droit ou de fait, la même demande fasse l'objet d'un nouveau rejet pour des motifs identiques à ceux qui ont été censurés par la décision juridictionnelle.

(19 février 2021, M. A., n° 439649)

 

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

10 - Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Réunion des collèges du CSA - Respect des dispositions de l'art. 4 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication - Procès-verbal des réunions desdits collèges - Absence de certaines mentions - Mentions non obligatoires - Annulation de l'arrêt d'appel.

Selon l'art. 4 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " Le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne peut délibérer que si quatre au moins de ses membres sont présents. Il délibère à la majorité des membres présents. (...) ". Se fondant sur cette disposition, la cour administrative d'appel avait accueilli favorablement la demande d'une société exploitant une chaîne de radio d'annuler une délibération du collège plénier du CSA dont le procès-verbal ne permettait pas d'établir qu'elle avait été adoptée conformément aux règles de majorité applicables en vertu de l'art. 4 précité.

Le Conseil d'État décide, à l'inverse, que ni les dispositions de cet article ni aucune autre disposition législative ou réglementaire ni aucun principe général n'impose que les procès-verbaux des réunions du collège du CSA portent mention de sa composition ou de ce que ses délibérations ont été approuvées à la majorité des membres présents.

En l'espèce, dès lors que le procès-verbal de la réunion du collège plénier porte mention de ce que le projet de délibération rejetant le recours formé par la société Catalogne Informations a été approuvé et, en l'absence de tout élément de preuve contraire, les mentions du procès-verbal établissent ipso facto la régularité de la procédure suivie au regard des dispositions susrappelées. La cour a commis une erreur de droit, d'où l'annulation, avec renvoi, de son arrêt.

(16 février 2021, Société Catalogne Informations, n° 439435)

 

Biens

 

11 - Locataires d'un bien immobilier loué par une société commerciale à une SCI - Bien faisant l'objet d'une préemption - Contestation par les locataires des décisions en cause - Réclamation indemnitaire - Rejet.

Les requérants, associés d'une société locataire d'un terrain loué par une SCI, contestent l'exercice par la commune de son droit de préemption sur ce terrain à propos duquel les deux sociétés avaient conclu une promesse de vente. Ils réclament l'annulation de la décision de préemption ainsi que celle, intervenue postérieurement à la préemption, de céder ce terrain à un syndicat d'action foncière. Ils réclament également réparation du préjudice causé par la préemption.

Leurs prétentions sont rejetées en leurs deux chefs.

Tout d'abord, les requérants, tiers par rapport à la préemption qui ne concernait que la société dans laquelle ils étaient associés, ont été informés par un courrier du 18 décembre 2007 de l'acquisition du terrain par le syndicat et de ce que désormais ils devraient payer le loyer de son occupation audit syndicat. Le délai du recours contentieux ayant commencé à courir à compter de cette date, il était expiré lorsqu'ils ont saisi le juge le 27 octobre 2015, d'où la forclusion encourue.

Ensuite, informés à cette date du 18 décembre 2007 des décisions contestées, les requérants devaient avoir formé leur action dans le délai de la prescription quadriennale soit au plus tard le 31 décembre 2011. De ce chef aussi la forclusion était encourue.

(24 février 2021, M. E. et M. B., n° 431475)

 

Contentieux administratif

 

12 - Référé liberté - Caractérisation particulière de l'urgence dans le cadre de l'art. L. 521-2 CJA - Caractère impérieux qu'une décision soit rendue à bref délai - Absence d'urgence - Rejet.

Cette décision fournit une bonne illustration de ce qu'il convient d'entendre par l' "urgence particulière" à l'art. L. 521-2 (référé liberté).

La société requérante demandait qu'il soit fait injonction à un préfet de rétablir l'accès au service d'immatriculation des véhicules (SIV) dont elle disposait en vertu d'une convention du 18 avril 2018 et dont elle a été privée à compter du 26 août 2020. Elle invoquait la privation de toute ressource financière résultant de cette décision et le risque qu'elle soit, en conséquence, conduite au dépôt de bilan.

Le juge rejette cette requête motif pris de ce que la société, qui a pour objet social " le commerce de voitures et véhicules automobiles légers ", "ne fournit aucune indication sur le chiffre d'affaires dont elle aurait été privée du fait de la décision du préfet". Ainsi, ne justifiant pas de circonstance particulières manifestant la nécessité pour elle d'obtenir à bref délai la mesure qu'elle sollicite du juge du référé liberté, elle n'établit pas la satisfaction de la condition d'urgence.

(2 février 2021, SAS 3SM, n° 445695)

 

13 - Cour nationale du droit d'asile (CNDA) - Obligation d'informer le demandeur de la tenue de l'audience trente jours au moins avant la date de celle-ci - Non-respect de ce délai - Absence du bénéfice de l'un des délais dérogatoires plus brefs - Annulation.

Le droit commun du délai de convocation à l'audience dont dispose la CNDA sauf les hypothèses dérogatoires de délais de convocation plus brefs est de trente jours. En l'absence de situation dérogatoire, doit être annulée la décision de la CNDA rendue alors que l'intéressé avait été convoqué à l'audience moins de trente jours avant sa tenue.

(4 février 2021, M. B., n° 437994)

 

14 - Recours contentieux - Arrêté relatif à la formation exigée des télépilotes qui utilisent des aéronefs civils circulant sans personne à bord à des fins de loisir - Requête ne comportant pas de conclusions - Irrecevabilité.

Est frappée d'irrecevabilité la requête qui ne comporte pas de conclusions, notamment, ici, à fin d'annulation.

(11 février 2021, M. D., n° 438382)

(15) V. aussi, très voisin, appliqué à une protestation contre un refus d'inscription sur les listes électiorales : 11 février 2021, M. I., n° 440953.

 

16 - Inopérance - Absence de délégation régulière de signature à l'effet de signer les mémoires produits devant le juge administratif - Irrégularité sans effet sur la solution du litige - Rejet pour inopérance du moyen.

Le moyen tiré de ce que la signataire d'observations présentées en défense au nom de l'État devant le Conseil d'État et tendant au rejet de la requête n'aurait pas disposé d'une délégation de signature régulière étant ici sans incidence sur la solution du présent litige, il est donc inopérant et rejeté comme tel.

(11 février 2021, Société MEI Partners, Me A., en qualité de liquidateur judiciaire de cette société et autres, n° 439928)

 

17 - Cour nationale du droit d'asile (CNDA) - Procédure - Production de pièces en langue étrangère - Pièces émanant d'un État membre de l'Union - Impossibilité de rejet sans invitation à les traduire - Manquement de la Cour à son office - Annulation et renvoi.

Les pièces et documents présentés par les demandeurs d'asile à la CNDA doivent être produites accompagnées de leur traduction en langue française, à défaut, la Cour peut refuser d'en tenir compte. Elle peut aussi en tenir compte pour autant que cela ne fasse pas obstacle à l'exercice de son contrôle par le juge de cassation.

Cependant, lorsque ces pièces ou documents émanent d'un État membre de l'Union européenne et revêtent donc ainsi un caractère probant, elle ne peut pas refuser d'en tenir compte sans avoir, préalablement, invité le demandeur, en vertu de son pouvoir d'instruction, à produire une traduction en vue qu'elle figure au dossier de la procédure. En s'abstenant de le faire, la Cour a manqué à son office d'où l'annulation prononcée.

(5 février 2021, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 436759)

 

18 - Expertise en cours de procès - Extension de la mission expertale - Demande en référé - Portée et effets des articles 2241 et 2244 du code civil - Nécessité de mettre en cause tous les bénéficiaires - Annulation des ordonnances rendues en première instance et en appel - Extension de l'expertise.

Des désordres étant apparus après la réalisation des travaux d'aménagement d'une médiathèque pour le compte d'une communauté de communes, le juge des référés a été saisi d'une demande d'expertise pour en déterminer l'origine et fixer l'étendue. Il a pris une ordonnance en ce sens.

L'assureur du maître d'ouvrage, appelé en la cause, a demandé à ce juge l'extension, à la fois, de la mission expertale et des parties mises en cause. Le juge des référés a accueilli la première partie de la demande mais rejeté la seconde qui tendait à la mise en cause de deux autres sociétés d'assurances.

Son appel sur ce dernier point ayant été rejeté, la requérante se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État, d'une part, rappelle les dispositions de l'article 2241 du code civil ("La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription (...)") et, d'autre part, relève que si la réforme de la prescription issue de la loi du 17 juin 2008 n'a pas repris la disposition de  l'art. 2244 de ce code qui réservait un effet interruptif à la demande justice qu'aux seuls actes "signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire", il ne résulte ni des textes ni des travaux préparatoires à cette réforme que cette dernière aurait eu pour effet d'étendre le bénéfice de la suspension ou de l'interruption du délai de prescription à d'autres personnes que le demandeur à l'action. Il faut donc en déduire que la demande en justice n'interrompt la prescription "qu'à la double condition d'émaner de celui qui a la qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait".

C'est donc par suite d'erreurs de droit que tant l'ordonnance du premier juge que celle rendue en appel ont dénié à la requérante le droit d'exercer dans sa plénitude le droit à demander l'extension de l'expertise qu'elle a sollicitée en vain.

C'est pourquoi le Conseil d’État est à la cassation de l'ordonnance rendue en appel et à l'annulation de celle rendue en première instance et ordonne l'extension de l'expertise telle que sollicitée par la requérante.

(4 février 2021, Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), n° 441593)

 

19 - Juge de cassation - Application d'une convention fiscale internationale - Étendue du contrôle exercé sur la notion de "bénéficiaire effectif" utilisée par la convention - Contrôle de qualification juridique - Cassation avec renvoi.

La convention fiscale franco-britannique du 19 juin 2008 dispose en son article 13 :

" 1. Les redevances provenant d'un Etat contractant et dont le bénéficiaire effectif est un résident de l'autre Etat contractant ne sont imposables que dans cet autre Etat.

2. Le terme " redevances " employé dans le présent article désigne les rémunérations de toute nature payées pour l'usage ou la concession de l'usage d'un droit d'auteur sur une oeuvre littéraire, artistique ou scientifique ".

Dans le cadre d'un litige relatif à l'imposition de droits d'auteurs cédés à une société britannique mais redistribués par elle, pour leur plus grande part, aux auteurs, il s'agissait de déterminer qui avait la qualité de "bénéficiaire effectif" au sens et pour l'application de la convention précitée.

La société avait répondu la cour administrative d'appel, ses membres rétorque le Conseil d’État, annulant ainsi les arrêts déférés à sa censure.

Par là le juge de cassation révèle exercer un contrôle de qualification juridique sur la notion en cause.

(5 février 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 430594 et n° 432845)

 

20 - Référé liberté - Référé modificatif (art. L. 521-4 cja) - Accès à une propriété privée - Inexécution de l'ordonnance enjoignant de rendre libre cet accès - Circonstances de fait empêchant cette exécution - Rejet.

Le requérant avait obtenu du juge des référés du Conseil d'État, le 2 décembre 2020, une ordonnance enjoignant le maire de la commune de Samoëns et une société effectuant des travaux sur une voie communale de rétablir l'accès à sa propriété par des véhicules automobiles légers ne nécessitant pas d'aptitude spécifique de type "tout terrain".

Constatant l'inexécution de cette injonction, le requérant a, quarante jours plus tard, le 11 janvier 2021, saisi à nouveau le juge des référés du Conseil d'État sur le fondement de l'art. L. 521-4 du cja.

Ce dernier, après avoir constaté qu'à la date du 10 février 2021, soit soixante-dix jours après son ordonnance assortie d'une injonction, l'accès n'était toujours pas rétabli, rejette la demande car " il résulte de l'instruction qu'à la date de la présente ordonnance, ces travaux sont rendus temporairement impossibles du fait des conditions météorologiques et nivologiques, sans qu'il soit possible de fixer une date à bref délai pour leur réalisation."

L'on pourrait s'étonner d'une décision aussi avantageuse pour des justiciables condamnés à faire quelque chose et pourtant demeurés inertes. En particulier, il pourrait sembler possible d'objecter que si la collectivité n'avait pas tant tardé, le demandeur aurait eu la possibilité d'accéder depuis deux mois à sa propriété.

Cependant, il demeure vrai qu'en l'état des conditions climatiques aucun ordre exécutable à bref délai ne pouvait être donné.

Toutefois, il convient de rappeler que, d'une part, l'ordonnance primitive conserve toute sa valeur et son caractère exécutoire dès que cela sera possible et que, d'autre part, il est loisible à l'intéressé de former une action à fins indemnitaires en vue que soit réparé le dommage subi du fait de l'incurie municipale.

 (ord. réf. 10 février 2021, M. A., n° 448663)

 

21 - Référé suspension - Commentaires administratifs de la loi fiscale - Commentaires se bornant à rappeler la loi fiscale - Urgence éventuelle née d'une ordonnance non des commentaires administratifs - Rejet.

Une demande en référé suspension dirigée contre un texte (ici des commentaires administratifs de la loi fiscale) qui se borne à faire application des dispositions contenues dans un texte antérieur doit être rejetée car l'urgence invoquée ne résulte pas du texte attaqué mais de celui dont il fait application qui, lui, n'a pas été contesté dans le délai de recours contentieux.

(10 février 2021, Conseil national des barreaux, Conférence des Bâtonniers et Ordre des avocats du barreau de Paris, n° 448485)

 

22 - Vins - Classement des vins dans l'appellation d'origine contrôlée Saint-Emilion grand cru - Décision prise après nouvel examen - Délai du recours contentieux - Point de départ - Notification de la décision de la commission de classement - Erreur de droit - Annulation avec renvoi dans la mesure de l'annulation prononcée.

Les requérants, candidats malheureux au classement de leur vignoble dans l'appellation Saint-Emilion grand cru ont contesté, en vain, ce refus devant les juridictions administratives de premier degré et d'appel, cette dernière ayant rejeté leur recours pour tardiveté.

Le juge de cassation, estime, lui, qu'il résulte du cahier des charges annexé au décret du 5 décembre 2011 relatif à cette prestigieuse appellation que les demandes de classement sont prises par la commission de classement y compris en cas de réexamen demandé par le candidat rejeté une première fois lorsqu'elles sont rejetées. En revanche, pour les candidats retenus, c'est par un arrêté des ministres chargés de l'agriculture et de la consommation qu'est homologuée la liste définitive approuvée par le comité national des appellations d'origine relatives aux vins et aux boissons alcoolisées et des eaux-de-vie de l'INAO. Il s'ensuit que le délai de recours contre ces décisions court à compter de la notification de la décision de la commission à l'égard du demandeur contestant le rejet de sa candidature et à compter de la publication de l'arrêté d'homologation pour les tiers qui contestent les décisions de classement.

La cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en jugeant tardive la requête dont elle était saisie car elle a considéré qu'elle avait été présentée plus de deux mois après la publication de l'arrêté du 29 octobre 2012 homologuant la liste établie par la commission de classement alors que les intéressés contestaient non l'homologation mais le refus de retenir leur candidature ; ils doivent donc être regardés comme contestant la décision de la commission du 5 septembre 2012. Il incombait donc à la cour, ce qu'elle n'a pas fait, de vérifier si cette décision avait été notifiée, et à quelle date, aux requérants.

(12 février 2021, M. A. et groupement foncier agricole Geoffrion, n° 431597)

 

23 - Référé liberté - Inscription d'une formation sur la plateforme Parcoursup - Refus ne constituant pas une décision réglementaire - Incompétence du Conseil d'État saisi en premier et dernier ressort - Rejet.

(ord. réf. 18 février 2021, Syndicat Franceactive-FNEAPL, n°449394)

(24) V. aussi 19 février 2021, Syndicat CGT du personnel de l'hôpital Beaujon, n° 439207.  V. n° 7

 

25 - Interdiction partielle de manifestations sur la voie publique - Référé liberté - Rejet en première instance - Appel - Formulation de conclusions nouvelles - Irrecevabilité.

Les requérants avaient demandé au juge du référé liberté de première instance la suspension d'un arrêté préfectoral qui avait interdit toute manifestation ou rassemblement revendicatif sur diverses voies et places publiques de Strasbourg le samedi 9 janvier 2021. Leur recours ayant été rejeté, ils interjettent appel.

Au soutien de leur appel, ils demandent la suspension de l'exécution de l'arrêté préfectoral interdisant de manifester le samedi comme indiqué ci-dessus ainsi que de manifester en dehors du parcours imposé. Ils demandent également qu'il soit fait injonction à l'autorité préfectorale de prendre toutes mesures propres à garantir l'exercice par les manifestants de leur liberté de manifester et le respect du parcours qu'ils ont déclaré le 22 janvier 2021.

Sans surprise, ces demandes, nouvelles en appel sont rejetées car irrecevables.

C'est l'occasion de rappeler que le principe d'immutabilité des éléments fondamentaux du litige en appel s'applique dans toutes les procédures même de référé.

(ord. réf. 12 février 2021, M. C., Mme A. et M. D., n° 449047)

 

26 - Référé liberté - Référé formé contre une mesure entièrement exécutée - Rejet.

Rappel d'une constante du droit du contentieux administratif de l'urgence : il n'y a pas lieu à statuer sur un référé dirigé contre une décision entièrement exécutée avant la saisine du juge.

On observera qu'en cette hypothèse il s'agit bien d'un non-lieu à statuer et non d'une irrecevabilité.

(15 février 2021, M. A., n° 449018)

 

27 - Allocation personnalisée au logement (APL) - Suspension de son paiement jugée justifiée - Omission de réponse à un chef des conclusions - Annulation.

Doit être annulé pour omission de réponse à un chef des conclusions, le jugement qui décide que c'est à bon droit qu'une caisse d'allocations familiales a un temps suspendu le paiement de l'APL car l'intéressé ne lui avait pas adressé en temps utile son titre de séjour et qu'ainsi la requête de ce dernier était en son entier devenue privée d'objet par le versement rétroactif de cette allocation alors que le requérant demandait également une révision du montant de l'aide perçue depuis le mois de février 2016.

Omettant de répondre à un chef des conclusions, le jugement, irrégulier, est annulé.

(16 février 2021, M. B., n° 438324)

 

28 - Exécution des jugements et arrêts - Article L. 911-5 du cja - Mesures d'exécution d'un arrêt du Conseil d'État rendu le 24 octobre 2001 - Organisme ne pouvant plus être réuni - Conséquences sur l'exécution de la décision juridictionnelle censurant l'une de ses décisions - Injonction au ministre avec mode d'emploi.

La présente affaire atteint l'extravagance.

Un requérant a contesté une décision de la commission départementale d'aménagement foncier de la Somme du 27 octobre 198. Il a reçu satisfaction (façon de parler comme on va le voir) d'abord par un jugement du tribunal administratif en 1992 puis par décision du Conseil d'État du 26 janvier 1996.

La commission départementale s'étant abstenue d'agir pendant un an pour exécuter la décision du Conseil d'État, le requérant a saisi en 1997, conformément aux dispositions du code rural alors en vigueur (art. L. 121-11), la Commission nationale d'aménagement foncier afin qu'elle statue en lieu et place de la commission départementale négligente d'agir. Celle-ci s'est déclarée incompétente le 3 décembre 1999. Cette décision d'incompétence a été annulée par le Conseil d'État, par une décision du 24 octobre 2001. C'est de cette décision toujours inappliquée à ce jour et pourtant apparemment rendue au nom de peuple français, que le requérant, faisant montre d'une grande patience, demande au Conseil d'État, dix-neuf ans après qu'elle a été prononcée, de faire assurer l'exécution en vertu des pouvoirs qu'il tient de l'art. L. 911-5 du cja.

Relevant que la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a largement changé la donne et que la Commission nationale, qui a fonctionné jusqu'en avril 2014, n'a pas daigné exécuter la décision de 2001, le Conseil d'État constate qu'aujoud'hui cette commission n'est plus susceptible d'être réunie.

Il va donc donner à l'administration un vade-mecum pour mettre un terme à ce véritable déni.

Il juge que, par conséquent, " il appartient désormais au ministre chargé de l'agriculture de prendre une nouvelle décision, le cas échéant en prévoyant que le rétablissement des propriétaires intéressés dans leurs droits sera assuré par une indemnité dont il déterminera le montant, s'il constate que la modification du parcellaire nécessaire pour assurer ce rétablissement par des attributions en nature aurait des conséquences excessives sur la situation d'autres exploitations".

Six mois sont donnés à l'actuel locataire du n° 78 de la rue de Varennes pour exécuter l'injonction du Conseil d'Etat.

Il se sera écoulé, si tout se passe bien à ce moment-là, trente-deux ans et dix mois depuis qu'a été rendue la décision attaquée. Espérons que le requérant pourra rester en vie jusque-là.

"Plaisante justice" dirait Pascal...

(24 février 2021, M. C., remembrement de la commune de Poulainville, n° 441556)

 

Contrats

 

29 - Marché public de travaux de dragage - Demande de résiliation du marché par son titulaire pour ordre de service tardif - Demande fondée sur le fondement de l'art. 46.2.1 du CCAG Travaux de 2009 - Demande non dispensée du respect de l'art. 50.1.1. de ce cahier - Absence d'envoi d'une copie de la réclamation au maître d'oeuvre - Annulation avec renvoi.

L'arrêt d'appel est censuré en raison de l'erreur de droit commise en estimant qu'une demande fondée sur l'art. 46.2.1. du CCAG Travaux (ordre de service tardif) était dispensée de l'obligation, posée à l'art. 50.1.1. dudit cahier, d'adresser copie au maître d'oeuvre de la réclamation dont le maître d'ouvrage a été rendu destinataire.

(3 février 2021, Grand port maritime de Marseille, n° 442844)

 

30 - Référé de l'art. L. 551-1 CJA - Marché de prestations de gardiennage, accueil et filtrage de sites militaires - Marché ne constituant pas un marché de défense ou de sécurité - Rejet.

La ministre des armées s'est pourvue en cassation contre une ordonnance de référé refusant de regarder un marché de prestations de gardiennage, d'accueil et de filtrage de trois sites militaires à La Réunion comme un marché de défense ou de sécurité régi par l'art. L. 1113-1 du code de la commande publique qui institue un régime dérogatoire au droit commun de la commande publique.

Le juge des référés s'est fondé pour cela sur la triple constatation que les services prévus par le marché ne faisaient pas intervenir des informations protégées dans l'intérêt de la sécurité nationale au sens  de l'article précité, que les informations en cause nécessaires pour l'exercice des missions objet de ce marché n'étaient pas protégées et que les installations qui, au sein de ces sites, contiennent des informations protégées ou classifiées bénéficient d'une protection spécifique par des personnels militaires.

Le Conseil d’État, par adoption des motifs du premier juge, rejette le pourvoi, confirmant ainsi la tendance jurisprudentielle antérieure à interpréter strictement les cas de dérogation à l'application du droit commun de la commande publique.

(ord. réf. 4 février 2021, Ministre des armées, n° 445396)

 

31 - Contrat d'exploitation d'une salle de spectacles - Délégation de service public -  Référé suspension de l'art. L. 521-1 du cja - Recours de la société candidate évincée - Attribution du contrat à un autre candidat - Atteinte grave et immédiate aux intérêts de la candidate évincée - Manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence - Imprécisions des informations fournies par la commune de nature à rompre l'égalité entre candidats - Suspension du contrat confirmée en cassation.

Était demandée l'annulation de l'ordonnance de référé ordonnant la suspension de l'exécution d'un contrat de délégation de service public conclu entre la ville de Toulon et une société Arts et Loisirs Gestion relatif à l'exploitation de la salle de spectacles du Zénith de cette ville.

Le recours est rejeté, le Conseil d'État approuvant en tous ses chefs querellés l'ordonnance du premier juge.

Tout d'abord, c'est sans dénaturer les pièces du dossier que le premier juge a estimé que la seule circonstance que la société évincée n'avait qu'une chance de se voir attribuer le contrat ne faisait pas, par elle-même, obstacle à ce que l'attribution de celui-ci à une autre société fût regardée comme portant une atteinte grave et immédiate à ses intérêts.

Ensuite, il a pu, sans erreur de droit, juger qu'en accordant une part prépondérante, parmi les éléments d'appréciation des offres, à l'estimation du montant du chiffre d'affaires pendant toute la durée de la délégation alors que cet élément d'appréciation ne reposait que sur les seules déclarations des candidats, sans engagement contractuel de leur part et sans possibilité d'en contrôler l'exactitude, il avait été manqué à l'obligation de transparence et de mise en concuurence.

Également, l'imprécision des indications fournies par la commune sur le régime fiscal de la subvention qu'elle était susceptible d'allouer au futur délégataire était de nature à créer une rupture de l'égalité entre les candidats.

Enfin, aucun motif d'intérêt général ne faisait obstacle à la suspension d'exécutiuon du contrat litigieux décidé par le premier juge.

(15 février 2021, Commune de Toulon, n° 445488)

 

32 - Procédure - Juge administratif des référés - Désignation par un bâtonnier d'un avocat commis d'office - Litiges en résultant - Incompétence de l'ordre administratif de juridiction - Annulation de l'ordonnance en sens contraire.

Incompétence du juge administratif pour connaître, même dans le cadre d'une procédure se déroulant devant une juridiction administrative, d'un litige né de la désignation, par un bâtonnier, d'un avocat commis d'office.

(23 février 2021, Ordre des avocats au Barreau de Hauts-de-Seine, n° 449214)

 

33 - Décret portant reconnaissance d'utilité publique d'une association - Demande de retrait d'agrément en cette qualité - Refus de prendre un décret - Décret non réglementaire - Absence de compétence directe du Conseil d’État en premier ressort - Renvoi au tribunal administratif de Paris.

(4 février 2021, M. B., n° 436911) V. n° 1

 

Covid-19

Poursuite de l'épidémie contentieuse...

 

34 - Référé suspension - Accès aux remontées mécaniques - Limitation aux seuls mineurs licenciés à une association sportive affiliée à la Fédération française du ski - Légalité au regard des circonstances sanitaires - Rejet.

Les organisations requérantes demandaient la suspension du 3° du I de l'article 18 du décret du 29 octobre 2020 modifié par le décret n° 2020-1519 du 4 décembre 2020, en tant qu'il limite l'accès aux remontées mécaniques aux seuls pratiquants mineurs licenciés au sein d'une association sportive affiliée à la Fédération française de ski.

La requête est rejetée motif - très classique et constant - pris de ce qu'une atteinte au principe d'égalité peut être justifiée pour des motifs d'intérêt général et à la double condition que cette différence soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et qu'elle ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

En l'espèce, tout en interdisant l'accès du public aux remontées mécaniques, la disposition contestée a néanmoins entendu maintenir l'accès à celles-ci aux mineurs résidant à proximité des stations de ski et pratiquant le ski alpin de manière intensive, notamment en compétition. Ainsi, conciliant ces deux objectifs, la différence de traitement entre les pratiquants mineurs licenciés dans une association sportive affiliée à la Fédération française de ski et les pratiquants mineurs licenciés dans d'autres fédérations sportives agréées, "n'apparaît pas, (...) compte tenu du contexte très particulier lié à l'épidémie de Covid-19 et de la nécessité de limiter le brassage d'une population importante dans les stations de ski, comme manifestement disproportionnée au regard de l'objet du décret du 4 décembre 2020 ".

Le lecteur sera-t-il surpris de nous voir dubitatif sur le bien-fondé cette solution ?

(ord. réf. 3 février 2021, Fédération gymnique et sportive du travail et autres, n° 448939)

 

35 -Dispositions réglementaires relatives à la lutte contre l'épidémie de Covid-19 - Diverses demandes d'injonction - Invocations d'atteintes, de disproportions ou d'insuffisances de ces dispositions - Rejet.

Le requérant sollicitait l'annulation de six décrets pris dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de Covid-19 et leur transformation en simples recommandations (sic) et demandait que soient prononcées dix injonctions.

Les griefs soulevés, formulés en termes généraux, étaient multiples : mesures inefficaces, inadaptées, excessives, insuffisantes, etc.

Sans surprise la requête est rejetée

(4 février 2021, M. B., n° 440118)

(36) V. aussi, rejetant une requête en référé posant une QPC, à laquelle il avait déjà été répondu par le Conseil constitutionnel, et des demandes exigeant l'intervention du juge judiciaire pour l'interdiction des sorties de domicile ou contestant l'exonération de responsabilité des professionnels de santé instituée par l'art. L. 3131-3 du code de la santé publique. Le lecteur ne sera pas surpris de leur rejet : ord. réf. 4 février 2021, M. A., n° 446888.

(37) V. également, assez voisin, le rejet, en raison du caractère très général de la demande en son argumentation et en ses conclusions, d'un référé liberté tendant à ce qu'il soit enjoint au premier ministre de modifier les dispositions du I de l'article 37 du décret du 29 octobre 2020, en prenant les mesures strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriés aux circonstances de temps et de lieux applicables pour permettre l'ouverture des commerces : ord. réf. 19 février 2021, M. B. et Association Victimes Coronavirus Covid-19 - France, n° 449136.

(38) V. encore, toujours dirigés contre de nombreuses dispositions du décret du 29 octobre 2020 (y compris dans les versions que lui ont successivement données les décrets du 27 novembre puis du 14 décembre 2020), les référés suspension rejetés en tant qu'ils contestent brevitatis causa l'obligation de port du masque alors que son efficacité est certaine et que la situation sanitaire générale est de nature à justifier l'obligation de le porter : ord. réf. 22 févr. 2021, M. AC. et autres, n° 448682, ou encore, du même jour : ord. réf., M. D., n° 448842 ; Mme K, n° 448952 ; Mme C. épouse B., n° 448953 ; Mme F., n° 448977 ; Mme I., n° 449021 ; Mme L., n° 449022.

(39) V. aussi, plus original, la requête en référé liberté, rejetée pour non-justification de l'urgence à statuer, tendant au renvoi à la Cour EDH d'une demande d'avis portant sur la conformité de l'article 36 du décret du 29 octobre 2020 à certaines stipulations de la convention EDH ainsi que de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : ord. réf. 22 février 2021, Mme B., n° 449393.

 

40 - Référé liberté - Arrêtés préfectoraux interdisant les vols au départ ou à destination de la Guyane - Arrêtés pris sur le fondement du décret du 29 octobre 2020 - Incompétence du Conseil d'État - Absence d'urgence - Rejet.

La requérante se plaint de ce que les dispositions de l'art. 10 du décret du 29 octobre 2020 habilitent le préfet à interdire, pour les vols au départ ou à destination des collectivités d'outre-mer, les déplacements de personnes par transport public aérien autres que ceux fondés sur un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé, lorsque les circonstances locales l'exigent. Elle invoque l'urgence à statuer.

Tout d'abord, le Conseil d'État, qui n'est pas compétent en premier ressort pour statuer sur des recours dirigés contre des arrêtés préfectoraux, rejette ce chef de demande.

Ensuite, si elle invoque l'urgence pour justifier se rendre en Martinique auprès de ses parents, l'intéressée n'indique pas avoir un projet prochain de déplacement en Martinique. L'urgence n'est pas établie.

(ord. réf. 24 février 2021, Mme B., n° 449629)

 

41 - Référé liberté - Fermeture temporaire d'un établissement à usage de débits de boissons et restauration - Art. L. 3332-15 c. santé pub. - Invocation de la mise en péril de l'exploitation - Éléments rapportés insuffisants à établir l'urgence - Rejet.

Comme l'avait fait le premier juge, le juge des référés du Conseil d’État estime que la société requérante n'établit pas l'urgence à statuer sur sa demande en référé liberté tendant à la suspension de l'arrêté préfectoral ordonnant la fermeture provisoire d'un débit de boissons et restaurant contrevenant à l'art. L. 3332-15 du code de la santé publique.

Les éléments, trop épars et trop généraux, apportés par la société requérante au soutien de sa demande ne permettent pas au juge de s'assurer de l'existence, en l'espèce, de l'urgence, particulière à l'art. L. 521-2 du CJA, à statuer.

(ord. réf. 5 février 2021, Société L'Amourette, n° 449065)

 

42 - Référé liberté - Vaccination des détenus - Instruction ministérielle laissant supposer l'impossibilité de vacciner ces personnes lors de la première campagne vaccinale - Rejet.

Pour rejeter la requête en référé liberté tendant au classement de l'ensemble des détenus dans une catégorie particulière de personnes à risques au regard de la propension à être contaminées par le virus Covid-19, le Conseil d’État retient trois éléments.

D'abord, les personnes prioritaires lors de la première campagne de vaccination, soit celles âgées de plus de 75 ans, l'étaient aussi dans les prisons.

Ensuite, des mesures strictes, dites gestes barrière, ont été appliquées dans les prisons et continuent de l'être afin de protéger la santé de ceux qui y séjournent.

Enfin, aucune étude ne démontre l'existence d'un risque particulier plus fort de contamination pour les personnes incarcérées.

Par suite, en ne retenant pas l'ensemble de la population carcérale comme constituant un groupe spécifique de personnes à risque, les autorités responsables n'ont pas fait montre d'une carence grave et donc manifestement illégale dans le traitement de cette épidémie et de ces personnes.

(ord. réf. 5 février 2021, Association Robin des Lois, n° 449081)

 

43 - Référé liberté - Police spéciale de lutte contre l'urgence sanitaire - Police générale du maire - Interdiction de principe de l'intervention de cette police générale en matière spéciale - Dérogation possible sous deux conditions restrictives et cumulatives - Rejet.

(ord. réf. 16 février 2021, Commune de Nice, n° 449605) V. n° 116

 

44 - Référé suspension - Interdiction de l'éducation physique et sportive en divers lieux - Absence d'illégalité manifeste - Rejet.

Le recours du syndicat requérant tendant à la suspension de l'exécution de l'article 2 du décret n° 2021-31 du 15 janvier 2021, notamment les 6° et 9° qui proscrivent l'éducation physique et sportive obligatoire en salle, gymnase et autres lieux clos, est rejeté.

Compte tenu de l'état sanitaire du pays et des risques engendrés par ces activités, le juge n'aperçoit dans ces dispositions aucune illégalité manifeste, ce qui le conduit au rejet sans examiner la condition d'urgence ni même l'intérêt à agir du demandeur.

(ord. réf. 19 février 2021, Syndicat national de l'enseignement privé - Union nationale des syndicats autonomes (SNEP-UNSA), n° 449449)

 

45 - Référé liberté - Décret du 30 janvier 2021 restreignant fortement l'entrée sur le territoire national de ressortissants français en provenance de pays étrangers sauf ceux de l'Union et de quelques autres États - Absence d'urgence.

En dépit de ce que le droit d'entrer sur le territoire français constitue, pour un ressortissant français, une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du cja, un ressortissant français résidant au Japon qui n'allègue pas devoir rentrer en France prochainement ne justifie pas de l'urgence particulière de l'art. L. 521-2 cja pour demander la suspension de l'exécution du décret du 30 janvier 2021 en tant qu'il soumet l'entrée sur le territoire métropolitain des ressortissants français présents dans un pays étranger autre que ceux de l'Union européenne, Andorre, l'Islande, le Liechtenstein, Monaco, la Norvège, Saint-Marin, le Saint-Siège ou la Suisse à la justification d'un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé.

(ord. réf. 10 février 2021, M. B., n° 449211)

(46) V. aussi, en revanche, affirmant qu'"Un ressortissant français, mineur, qui doit rejoindre son père ou sa mère en France, doit être regardé comme justifiant d'un motif impérieux d'ordre familial qui fait obstacle à ce que lui soient opposées les dispositions du décret dont la suspension est demandée. Conformément à ces dispositions, il appartient seulement au titulaire de l'autorité parentale de produire, avant l'embarquement, une déclaration sur l'honneur du motif de leur déplacement, accompagnée de tout document permettant d'en justifier, sans qu'y puisse faire obstacle la liste des motifs, purement indicative, fournie à cet égard par le ministère de l'intérieur." : ord. réf. 10 février 2021, M. A., n° 449466.

(47) V. également, voisin : ord. réf. 16 février 2021, Mme A., n° 449462

(48) V. encore, rejetant la demande de référé pour défaut de caractérisation de l'urgence particulière au référé liberté dans le cas d'un établissement de restauration rapide invoquant, sans l'établir, que la situation financière de la société serait gravement menacée sans remède et à brève échéance : ord. réf. 16 février 2021, Société Providence, n° 449508. Et aussi, très voisin : ord. réf. 17 février 2021, M. A., n° 449491

(49) Voir pareillement, le rejet, pour défaut d'urgence, d'un référé liberté tendant à ce que soit octroyé un passeport à une enfant mineure alors que n'est invoqué aucun projet proche de déplacement : ord. réf. 19 février 2021, M. D. et Mme C., n° 449737.

 

50 - Référé suspension - " Guide ministériel Mandataires judiciaires à la protection des majeurs " - Document ne comportant pas de dispositions impératives - Simples recommandations - Absence d'effet immédiat sur l'exercice de la profession - Absence d'urgence - Rejet.

Les requérants contestaient le contenu du " Guide ministériel Mandataires judiciaires à la protection des majeurs " publié le 20 novembre 2020 par la Direction générale de la cohésion sociale du ministère des solidarités et de la santé et dont ils demandaient que l'exécution en soit suspendue car, sous couleur de "recommandations", il contient des dispositions de caractère impératif.

Pour rejeter la demande le juge relève, d'une part, que ce document précise lui-même en préambule que "les préconisations contenues dans ce guide ont la valeur de recommandations" dans le cadre des mesures sanitaires de lutte contre l'épidémie de Covid-19, et, d'autre part, qu'à l'audience de référé les représentants de l'administration ont reconnu la maladresse de certaines formulations et réaffirmé le simple caractère de recommandations des indications qu'il contient. Il en déduit que n'affectant point les obligations professionnelles des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, ses dispositions ne revêtent pas, de ce fait, un caractère d'urgence.

(ord. réf. 12 février 2021, Chambre nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs et Mme A., n° 448698)

 

51 - Référé liberté - Tenue possible par visioconférence des audiences pénales en matière criminelles (ordonnance du 18 novembre 2020, art. 2) - Suspension par le juge administratif - Caducité de l'ordonnance - Non lieu à statuer - Recours à la visioconférence devant les juridictions pénales autres que criminelles - Absence d'encadrement - Annulation.

Les requérants avaient déjà obtenu la suspension de l'exécution de l'art. 2 de l'ordonnance du 18 novembre 2020 instaurant le recours à la visioconférence pour les juridictions pénales statuant en matière criminelle. Dans la présente décision il est statué sur le régime applicable à toutes les juridictions pénales.

S'agissant de celles statuant en matière criminelle le Conseil d'État constate que dans le délai fixé par la loi d'habilitation prise sur le fondement de l'art. 38, le projet de loi de ratification de cette ordonnance ne soumet au parlement que la ratification des dispositions s'appliquant aux juridictions pénales autres que criminelles, il suit de là que les dispositions de l'ordonnance relatives aux juridictions criminelles sont devenues caduques.

S'agissant des juridictions pénales intervenant en matière non criminelle, le Conseil d'État considère, assez sèchement, que les " dispositions de l'article 2 de l'ordonnance contestée, en ce qu'elles autorisent le recours à la visioconférence, sans l'accord des parties, devant les juridictions pénales autres que criminelles, sans subordonner cette faculté à des conditions légales ni l'encadrer par aucun critère, portent une atteinte grave et manifestement illégale aux droits de la défense". La condition d'urgence n'étant pas contestée par le ministre défendeur, la suspension de cet article est ordonnée.

(ord. réf. 12 février 2021, Syndicat des avocats de France, Syndicat de la magistrature et Association des avocats pour la défense des droits des détenus, n° 448972)

(52) V. aussi, identique : ord. réf. 12 février 2021, Association des avocats pénalistes, n° 448981)

 

53 - Référé liberté - Demande de suspension des art. 3 et 4 du décret du 27 novembre 2020 et de la totalité du décret du 14 décembre 2020 - Atteintes aux libertés fondamentales et inutilité des mesures prises - Nécessité d'une régionalisation des mesures - Absence d'un préjudice suffisamment grave et immédiat - Rejet.

Un recours tend à voir conciliées libertés fondamentales et lutte contre l'épidémie de Covid-19 et, pour cela, demande la suspension partielle d'un décret (art. 3 et 4 du décret n° 2020-1454 du 27 novembre 2020) et totale d'un autre (n° 2020-1582 du 14 décembre 2020) car en tant que textes à portée nationale ils ne tiennent pas compte de la diversité des situations régionales.

Encore une fois, le juge rappelle que l'urgence au sens de l'art. L.521-2 cja n'est pas l'urgence simple de droit commun. Ici, manifestement, la requérante ne saurait invoquer l'existence d'un préjudice suffisamment grave et immédiat.

Le rejet est, très logiquement, prononcé.

(5 février 2021, Mme B., n° 448166)

 

54 - Référé liberté - Obligation de dépistage virologique imposée aux personnes en provenance du Royaume-Uni - Situation sanitaire grave en France - Capacité de réalisation de tests en Grande-Bretagne - Rejet.

Le requérant contestait l'obligation faite aux personnes âgées de onze ans ou plus en provenance du Royaume-Uni de présenter le résultat d'un examen biologique de dépistage virologique réalisé sur le territoire britannique moins de 72 heures avant l'embarquement ne concluant pas à une contamination par le Covid-19. Il invoquait une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de circulation et au droit des ressortissants français d'entrer sur le territoire national.

Sans surprise, la requête est rejetée au double motif, d'une part, de la gravité croissante de la situation sanitaire française, et d'autre part, de la facilité d'accès aux tests de dépistage au Royaume-Uni. Ainsi, et alors même qu'aucune dérogation n'a été prévue à cette exigence, celle-ci est nécessaire et adaptée au risque lié à l'épidémie de Covid-19.

(16 février 2021, M. B., n° 449011)

 

55 - Référé liberté - Épidémie de Covid-19 - Établissements d'une superficie de vingt mille mètres carrés - Interdiction d'accueil du public - Rejet.

La requête contestant l'interdiction d'ouverture au public - pour motif de risque épidémique - des établissements commerciaux d'une superficie utile d'au moins 20000 m2 est rejetée car elle est fondée sur des allégations formulées en termes généraux et n'établit pas l'existence en l'espèce de l'urgence spécifique exigée par l'art. L. 521-2 cja.

(ord. réf. 23 février 2021, Société Cigusto Vannes et autres, n° 449577)

 

56 - Référé liberté - Covid-19 - Persistance de la fermeture des cinémas, théâtres et salles de spectacles - Atteinte grave à plusieurs libertés fondamentales - Accroissement élevé du nombre d'états anxieux et dépressifs - Situation sanitaire justificative - Rejet.

Il n'est pas douteux, comme le soutiennent les requérants dont plusieurs sont des artistes, que la fermeture des cinémas, théâtres et salles de spectacles, d'une part, porte une atteinte grave aux libertés fondamentales d'expression et de libre communication des idées, de création artistique, d'accès aux oeuvres culturelles, d'entreprendre ainsi qu'à la liberté du commerce et de l'industrie et au droit au libre exercice d'une profession, sans que la possibilité qu'une partie de ces activités puisse demeurer accessible au public à travers d'autres supports ou de manière dématérialisée, fasse disparaître cette atteinte et sa gravité, et d'autre part contribue de manière certaine à une augmentation avérée des pathologies mentales, il n'en reste pas moins qu'en l'état des données sur la situation sanitaire globale du pays cette fermeture n'est pas manifestement illégale.

(ord. réf. 26 février 2021, M. Francis B. et autres, n° 449692)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

57 - Habitation principale neuve - Financement à plus de 50% par des prêts aidés par l'État - Exonération sous conditions de la taxe foncière sur les propriétés bâties - Cas où le financement est partiellement assuré au moyen de l'avance remboursable ne portant pas intérêt (art. R. 317-1 c. de la construct. et de l'habit.) - Annulation.

Commet une erreur de droit le tribunal administratif qui considère que le cumul, en vue de la construction neuve d'une habitation principale, du bénéfice d'un prêt aidé par l'État dont le montant excède de plus de 50% le coût de la construction et de l'avance remboursable ne portant pas intérêt instituée par l'art. R. 317-1 du code de la construction et de l'habitation ne fait pas perdre le droit à l'exonération temporaire de la taxe foncière sur les propriétés bâties.

En effet, il résulte des dispositions du I de l'art. 1384 du CGI combinées, d'une part, avec celle des art. L. 301-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation et, d'autre part, avec celles de l'art. R. 317-1 de ce code, que l'exonération ne joue pas en cas de financement partiel de l'acquisition au moyen de l'avance remboursable précitée même dans le cas où ladite acquisition serait par ailleurs financée à plus de 50% au moyen d'un prêt aidé par l'État.

(3 février 2021, Mme A., n° 429004)

 

58 - Revenus tirés de détournements de fonds - Revenus imposables au titre des bénéfices non commerciaux - Assujettissement aux contributions sociales - Arrêt contraire entaché d'erreur de qualification juridique - Cassation.

Commet une erreur de qualification juridique l'arrêt qui estime que des revenus tirés de détournements de fonds, parce qu'ils constituent des revenus d'activité et de remplacement au sens des articles L. 136-1 à L. 136-4 du code de la sécurité sociale, ne doivent pas être assujettis à la contribution sociale généralisée, à la contribution au remboursement de la dette sociale et au prélèvement social majoré des contributions additionnelles.

En réalité, il s'agit, comme le soutenait le ministre défendeur, de revenus imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux et assujettis, à ce titre, aux contributions précitées.

(3 février 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 429882)

 

59 - Demande de justifications adressée à un contribuable (art. L. 16 LPF) - Absence de réponse de ce dernier ou réponse imprécise ou invérifiable - Imposition d'office - Réponses reposant sur des éléments insuffisants - Obligation d'une mise en demeure préalable assortissant la demande de justifications complémentaires (art. L. 16 A LPF) - Erreur de droit - Annulation partielle - Rejet au fond.

L'administration fiscale peut, lorsqu'elle contrôle les déclarations faites par un contribuable, lui demander de fournir des justifications de certaines opérations.

Si le contribuable ne répond pas à cette demande ou ne fournit que des éléments imprécis ou invérifiables, l'administration impose d'office le contribuable sans mise en demeure préalable.

Si le contribuable répond à la demande de justifications mais que ses justifications apparaissent insuffisantes, l'administration doit le mettre en demeure préalablement à toute taxation (art. L. 16 A LPF)) en vue de l'informer sur les précisions attendues de lui.

Commet donc une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que, compte tenu des demandes de justification qui lui avaient été adressées, l'absence de mise en demeure de l'intéressée ne l'avait pas privée des garanties attachées à cette mise en demeure.

(3 février 2021, Mme B., n° 430852)

 

60 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Exonération de cette taxe pour certains bâtiments à usage agricole exploités par les sociétés coopératives agricoles (SCA) - Conditions et limites - Absence d'exonération pour les activités accomplies pour le compte de sociétaires négociants n'ayant pas qualité pour être associés coopérateurs d'une SCA - Annulation.

Il résulte des dispositions des a et b du 6° de l'art. 1382 du CGI complétées par celles des art. L. 521-3, L. 522-1 et L. 532-1 du code rural et de la pêche maritime, que l'exonération de taxe foncière qu'ils établissent ne concernent que les opérations réalisées habituellement par les agriculteurs eux-mêmes. Une activité conduite par une société d'intérêt collectif agricole (SICA), soit pour le compte des sociétaires n'ayant pas qualité pour être associés coopérateurs d'une société coopérative agricole, soit pour le compte de tiers à la société dans un cadre commercial, ne peut être regardée comme une opération habituellement réalisée par les agriculteurs eux-mêmes, sauf si l'activité conduite dans l'un ou l'autre cas a pour seul objet de compenser, à activité globale inchangée et dans des conditions normales de fonctionnement des équipements, une réduction temporaire des besoins des sociétaires ayant qualité pour être associés coopérateurs d'une société coopérative agricole.

Ces conditions n'étant pas satisfaites en l'espèce, il en résulte que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif par suite d'une erreur de droit, la société demanderesse ne pouvait pas contester le refus d'exonération opposé par l'administration fiscale.

(3 février 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 431014)

(61) V. aussi, sur ce litige : 3 février 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 431015, n° 431018 et n° 431020)

 

62 - Crédit impôt recherche (art. 244 quater B CGI) - Contrôle de l'effectivité de la recherche - Procédure à suivre (art. L. 45 B LPF) - Effets - Annulation sans renvoi.

Un crédit impôt recherche est accordé aux entreprises, sous certaines conditions, à raison des dépenses qu'elles affectent à une activité de recherche. Lorsqu'un contrôle de l'administration aboutit à la constatation que l'activité en cause n'est pas vraiment une activité de recherche ou, si elle l'est, que le montant prétendument affecté à celle-ci n'est pas celui avancé par l'entreprise, il est procédé aux rectifications et rehaussements consécutifs.

Le décret du 5 février 2013, entré en vigueur le 15 février 2013, a modifié les dispositions de l'art. R. 45 B du CGI qui réglemente la procédure de contrôle de la réalité de l'affectation à l'activité de recherche des dépenses annoncées par l'entreprise.

Les agents du ministère chargé de la recherche qui effectuent le contrôle d'une entreprise au titre du crédit d'impôt recherche doivent lui adresser une demande d'éléments justificatifs et lui laisser à cet effet un délai de trente jours pour y répondre, ce délai étant prorogé d'une durée égale sur demande de l'entreprise contrôlée.

L'agent contrôleur a l'obligation de motiver son avis lorsqu'il conteste la réalité de l'affectation à la recherche des dépenses contrôlées.

Par ailleurs, dans le cas où l'agent chargé du contrôle, ne pouvant mener à bien son expertise, a adressé à cette entreprise une seconde demande d'informations complémentaires, il doit lui faire connaître la faculté de s'entretenir avec lui. Toutefois, s'il est établi que le non-respect par l'administration de cette formalité n'a pas eu d'influence sur la décision de redressement, celui-ci est sans conséquence sur le bien-fondé de l'imposition.

En revanche, lorsque l'entreprise n'a pas été destinataire d'une seconde demande d'informations complémentaires, l'agent contrôleur n'est pas tenu d'engager avec l'entreprise contrôlée un débat oral et contradictoire sur son appréciation de la réalité de l'affectation à la recherche des dépenses prises en compte pour la détermination du crédit d'impôt recherche.

En l'espèce est relevée la dénaturation des pièces du dossier par une cour administrative d'appel qui déclare le non-respect de la procédure ci-dessus comme ayant été sans conséquence sur le bien-fondé de l'imposition alors que l'agent du ministère chargé de la recherche, tout en soulignant l'ambiguïté et l'insuffisance des explications fournies par la société pour démontrer le caractère novateur des réponses techniques qu'elle soutenait avoir développées, ne lui avait adressé ni demande d'éléments justificatifs, ni demandes d'informations complémentaires qui lui auraient permis de mener son expertise à bien. Or ce n'est que sous la satisfaction de cette condition que la cour aurait pu adopter le raisonnement qu'elle a suivi dans son arrêt.

Le Conseil d’État statuant au fond (art. L. 821-2 CJA), aucun renvoi n'est ordonné.

(3 février 2021, Société Zoomici, n° 431253)

(63) V. aussi, dans le cas d'une association exerçant des activités de recherche au profit exclusif d'une société, s'agissant de déterminer  l'intérêt propre de l'association aux dépenses de recherche engagées et donc l'éligibilité de celle-ci au mécanisme du crédit impôt recherche : 5 février 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 426882.

(64) V. également, jugeant que peuvent être qualifiés de techniciens de recherche - et donc éligibles au mécanisme du crédit d'impôt recherche - les salariés qui réalisent des opérations nécessaires aux travaux de recherche ou de développement expérimental eux-mêmes éligibles au crédit d'impôt recherche, sous la conduite d'un ou plusieurs chercheurs qui les supervisent, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'ils ne disposeraient pas d'un diplôme ou d'une qualification professionnelle dans le domaine scientifique : 24 février 2021, Société Nurun, n° 429222.

 

65 - Taxe foncière sur les propriétés bâties (TFB) - Notion de "propriété bâtie" pour l'application de l'art. 1380 CGI - Démolition complète ou travaux affectant le gros-oeuvre et rendant l'immeuble impropre à sa destination - Exonération - Absence d'exonération si l'une au moins de ces conditions n'est pas remplie - Rejet.

Le juge interprète l'art. 1380 du CGI comme exonérant de la TFB soit la propriété bâtie qui fait l'objet de travaux entrainant sa destruction intégrale avant sa reconstruction et ce jusqu'à l'achèvement des travaux, soit celle qui fait l'objet de travaux nécessitant une démolition qui, sans être totale, affecte son gros oeuvre d'une manière telle qu'elle le rend dans son ensemble impropre à toute utilisation.

En revanche, l'exonération est refusée à l'immeuble bâti qui, ultérieurement à son achèvement et alors qu'il est soumis à ce titre à la taxe foncière sur les propriétés bâties, fait l'objet de travaux qui, sans emporter démolition complète ni porter une telle atteinte à son gros oeuvre, le rendent inutilisable au 1er janvier de l'année d'imposition.

On a vu des solutions plus équitables.

(3 février 2021, Société de la Reine Blanche, n° 434120)

 

66 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Cas de la cession d'un établissement - Notion - Équipements nécessaires à l'exercice autonome de l'activité par le cédant - Hypothèse d'un bail - Erreur de droit à faire abstraction de cette notion - Annulation.

L'art. 1518 B du CGI décide que : "À compter du 1er janvier 1980, la valeur locative des immobilisations corporelles acquises à la suite (...) de cessions d'établissements réalisés à partir du 1er janvier 1976 ne peut être inférieure aux deux tiers de la valeur locative retenue l'année précédant (...) la cession (...)". Selon le juge, la notion de "cession d'établissement industriel" doit s'entendre de l'acquisition par le même redevable de l'ensemble des éléments mobiliers et immobiliers qui étaient nécessaires à l'exercice autonome de l'activité par le cédant, en vue d'y exercer, avec ces moyens, sa propre activité.

Il s'ensuit, d'une part, qu'une cession de locaux nus ne constitue pas une cession d'établissement au sens des dispositions précitées, et d'autre part, que la circonstance que l'immeuble soit cédé à bail n'empêche pas d'y voir une cession d'établissement pour autant que soient respectées les conditions ci-dessus.

D'où l'erreur de droit commise par un tribunal qui a exclu la qualification comme "cession d'établissement industriel" au seul motif que l'immeuble cédé était donné à bail.

(16 février 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 431774)

 

67 - Comptable d'une chambre d'agriculture - Paiement irrégulier d'une dépense par un comptable public - Détermination de l'existence d'un préjudice financier pour la personne publique - Nécessité d'une délibération préalable à ce versement - Absence - Irrégularité couverte par une délibération postérieure rétroactive - Absence de préjudice - Cassation avec renvoi à la Cour des comptes.

Si le versement à un agent comptable d'une chambre d'agriculture d'une indemnité pour rémunération de services à laquelle il a droit doit être précédé d'une délibération de cette chambre arrêtant le montant de cette indemnité et si le non-respect de cette formalité constitue une irrégularité comptable devant être sanctionnée c'est à la condition que cette dernière ait causé un préjudice financier à cet organisme.

Lorsque, postérieurement aux versements irréguliers, une délibération de la chambre d'agriculture, à portée rétroactive, fixe ce montant, il n'y a pas de préjudice financier pour cette dernière.

L'arrêt de la Cour des comptes qui a constaté en l'espèce l'existence d'un tel préjudice est cassé.

(4 février 2021, Mme A., n° 428887)

(68) V. aussi, identique : 4 février 2021, Mme C., n° 428888

(69) V. également, très voisin : 4 février 2021, M. B., n° 431393

 

70 - Distribution occulte de revenus - Loyers versés par deux sociétés à une SCI - Bénéficiaire prétendu de la distribution occulte n'étant pas associé de la SCI - Absence de caractère de revenus occultes - Rejet.

Une SCI acquiert au moyen d'un emprunt un appartement qu'elle loue à M. B. ainsi qu'à deux sociétés et à une entité sans personnalité juridique. L'administration fiscale soutient que les loyers versés par ces dernières sociétés et entité constituent une distribution occulte consentie au profit de M. B. et qu'ils ont permis à la SCI de rembouser l'emprunt qu'elle avait contracté.  En conséquence, elle entend imposer ces sommes comme revenus entre les mains de M. B.

Le Conseil d’État, confirmant le jugement et l'arrêt, rejette le pourvoi du ministre en relevant, d'une part, que c'est bien à la SCI qu'incombait la charge du remboursement de l'emprunt et, d'autre part, que M. B., son locataire n'était pas un associé de la SCI.

(4 février 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 431399)

 

71 - Députés français au parlement européen - Régime fiscal des indemnités perçues - Régime de l'art. 80 undecies du CGI - Régime résultant d'une décision du parlement européen (28 septembre 2005) - Erreur de droit - Annulation partielle avec renvoi.

Le régime fiscal des indemnités versées aux députés membres du parlement européen, jusqu'en 2005, reposait sur une option de l'État membre entre une imposition selon les règles du droit national ou une imposition au profit des Communautés. Depuis cette date, une décision du parlement européen du 28 septembre 2005 a supprimé cette option : les indemnités versées aux députés au parlement européen sont à la charge de ce dernier tout comme leur imposition, sauf pour les députés antérieurement soumis à la législation nationale et qui ont opté pour le maintien de ce régime après la décision de 2005.

C'est donc au prix d'une erreur de droit que la cour administrative d'appel a jugé que l'intéressé continuait après 2005 à relever du régime français.

(5 février 2021, M. B. et Mme C. épouse B., n° 438853)

 

72 - Procédure fiscale non contentieuse - Correspondances avec l'administration fiscale - Désignation d'un mandataire - Effets - Avocat désigné comme mandataire - Destinataire exclusif des notifications fiscales - Annulation.

Le mandat donné par un contribuable à un mandataire pour recevoir l'ensemble des actes de la procédure d'imposition et y répondre emporte élection de domicile auprès de ce mandataire.

Quand l'existence de ce mandat a été portée à la connaissance de l'administration fiscale, celle-ci est en principe tenue d'adresser au mandataire l'ensemble des actes de la procédure d'imposition.

Enfin, lorsque le mandataire du contribuable a la qualité d'avocat et que celui-ci déclare que son client a élu domicile à son cabinet, l'administration fiscale est tenue de lui adresser les actes de la procédure d'imposition sans pouvoir exiger de lui la production d'un mandat exprès en vertu du principe que "l'avocat est toujours cru sur sa robe".

Entache donc d'irrégularité la procédure d'imposition, l'administration fiscale qui, avisée de la constitution d'un mandataire, ne lui notifie pas ses propositions de rectification de la base imposable à l'issue d'une vérification de comptabilité ; l'arrêt qui n'aperçoit pas dans ce cas une irrégularité est vicié pour erreur de droit et doit être annulé.

(24 février 2021, M. C., n° 428745)

 

73 - TVA - Fait générateur et exigibilité de la TVA - Acomptes - Conditions d'exigibilité de la TVA en cas de versements d'acomptes - Annulation.

Une société Fellous avait encaissé en août 2007 une certaine somme à titre d'acompte pour l'exécution de travaux d'aménagement en appartements d'un corps de ferme et ne s'était pas acquittée de la taxe sur la valeur ajoutée au moment de cet encaissement. L'administration fiscale soutenait qu'il s'agissait là du paiement anticipé d'une partie du montant des travaux et que cette somme devait ainsi être assujettie à la TVA.

Le contribuable soutenait, au contraire, que cette somme avait été versée avant la délivrance du permis de construire, de telle sorte que la réalisation des travaux envisagés restait incertaine à la date de ce versement, cette incertitude rendant la TVA non exigible.

La cour administrative d'appel, confirmant la position de l'administration, a rejeté cet argument.

Cependant, s'il est exact qu'en principe, le fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée et son exigibilité interviennent au moment où la livraison du bien ou la prestation de services est effectuée, la taxe devient toutefois exigible dès l'encaissement, à concurrence du montant encaissé, lorsque des acomptes sont versés avant que la prestation de services ne soit effectuée. En revanche, lorsque la prestation n'a pas encore été effectuée, ce qui était le cas en l'espèce, la TVA n'est exigible, en vertu de la jurisprudence de la CJUE (13 mars 2014, Firin Ood, aff. C-107/13 ;  31 mai 2018, Finanzamt Dachau c/ Achim Kollross, aff. C-660/16 et  Finanzamt Göppingen c/  Eric Wirtl, aff. C-661/16, deux espèces), que si sont cumulativement réunies deux conditions : 1°/ tous les éléments pertinents de la future prestation, laquelle constitue le fait générateur de la taxe, doivent être déjà connus ce qui implique que lors du versement de l'acompte, les biens ou les services soient désignés avec précision ; 2°/ la réalisation de la prestation ne doit pas être, à cette même date, incertaine.

En l'espèce, lors du versement de l'acompte, il n'est pas discuté que ces deux conditions n'étaient pas remplies et que la TVA n'était pas, par suite, exigible ; en jugeant le contraire, la cour a commis une erreur de droit.

(24 février 2021, M. C., n° 429647)

 

74 - Intérêts alloués par une société à une société mère domiciliée à l'étranger - Régime fiscal de leur taxation - Portée du 3. de l'art. 119 quater du CGI - Absence de présomption légale de fraude - Administration tenue de rapporter la preuve d'une fraude - Absence en l'espèce - Annulation dans cette mesure.

Le litige était relatif à la comptabilisation en charges, par une société, d'intérêts qu'elle a alloués à deux autres sociétés, la première domiciliée aux îles Caïman, la seconde, qui détient la demanderesse à 100%, domiciliée aux Pays-Bas et elle-même détenue par une société domiciliée aux Îles Caïman et par deux sociétés domiciliées aux Îles Vierges britanniques, en rémunération des avances en compte courant que ces sociétés lui avaient apportées. Si plusieurs questions de droit étaient soulevées, l'une d'elles retiendra l'attention en ce qu'elle concerne la procédure fiscale non contentieuse et, spécifiquement, le régime de la preuve.

En premier lieu, il résulte de l'art. 125 du CGI que " L'impôt est dû par le seul fait, soit du paiement des intérêts, de quelque manière qu'il soit effectué, soit de leur inscription au débit ou au crédit d'un compte " et du III de l'art. 125 A de ce code que " (...) Le prélèvement est obligatoirement applicable aux revenus visés ci-dessus, dont le débiteur est établi ou domicilié en France, qui sont encaissés par des personnes n'ayant pas en France leur domicile fiscal ou leur siège social ".

En deuxième lieu, l'article 119 quater du CGI alors applicable dispose que : " 1. (...) le prélèvement prévu au III de l'article 125 A [n'est] pas applicable […] aux intérêts entendus, pour l'application du présent article, comme les revenus des créances de toute nature, à l'exclusion des pénalités pour paiement tardif, payés par (...) une société par actions simplifiée (...) à une personne morale qui est son associée ou à un établissement stable dépendant d'une personne morale qui est son associée. / (...) 3. Les dispositions du 1 ne s'appliquent pas lorsque les revenus payés bénéficient à une personne morale ou à un établissement stable d'une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d'Etats qui ne sont pas membres de la Communauté européenne et si la chaîne de participations a comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage des dispositions du 1 ". 

Le Conseil d'État en déduit très logiquement, tout d'abord, que, par le 3. précité, "le législateur n'a pas entendu instaurer une présomption de fraude à l'égard des bénéficiaires contrôlés par des résidents d'États tiers" et, ensuite, qu'"Il appartient à l'administration, si elle estime que la chaîne de participations a comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage des dispositions du 1 de cet article, d'apporter au soutien de ses affirmations des éléments suffisants pour constituer un commencement de preuve de fraude ou d'abus. Il appartient ensuite au contribuable d'opposer à l'administration tout élément qu'il estime pertinent et, enfin, au juge de l'impôt, de se prononcer au vu des éléments produits par les parties".

Ainsi interprétées, les dispositions litigieuses, comme cela a été jugé en appel, ne sont pas incompatibles avec les objectifs de la directive 2003/49/CE. 

En troisième lieu, il découle de ce qui précède qu'en l'espèce la cour administrative d'appel s'est bornée à relever que l'administration faisait valoir que la société FCV BV était contrôlée par une société domiciliée aux îles Caïmans et deux sociétés domiciliées aux Iles Vierges britanniques, lesquels sont des pays à fiscalité privilégiée au sens de l'article 238 A du CGI, pour juger que la société requérante ne pouvait prétendre, au titre des intérêts alloués à sa mère, la société néerlandaise FCV BV, au bénéfice de l'exonération du prélèvement libératoire prévu au 1 de l'article 119 quater CGI. Par suite, la cour ne pouvait pas, comme elle l'a fait, "déduire de cette seule circonstance que l'administration fiscale apportait un commencement de preuve de fraude, alors qu'elle n'apportait, en l'état de l'instruction, aucun autre élément, relatif notamment à l'objet de l'interposition de la société mère néerlandaise dans la chaîne de participations".

L'arrêt est ainsi annulé, dans cette limite, pour inexacte application des règles gouvernant la charge de la preuve et pour une erreur de droit.

(24 février 2021, Société France Citévision, n° 434129)

 

Droit public économique

 

75 - Délai légal de paiement des fournisseurs - Dépassement de ce délai - Sanctions - Amendes - Application des dispositions de la loi du 17 mars 2014 - Loi pénale plus douce - Sanction non disproportionnée en l'espèce - Rejet.

Le code commerce (art. L. 442-6) punit d'amendes le fait pour un producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de ne pas régler ses factures dans le délai légal (cf. art. L. 441-6 de ce code). L'entreprise auteur de la requête a été condamnée à payer une amende au taux maximum de 375000 euros.

Deux enseignements doivent être tirés de cette décision.

En premier lieu, était contestée l'application de la loi du 17 mars 2014, relative à la consommation, à des faits commis antérieurement. Donnant raison à la cour administrative d'appel, le Conseil d’État considère que cette loi, qui punit cette infraction d'amendes d'un montant maximum de 75 000 euros lorsqu'elle est le fait d'une personne physique et de 375 000 euros lorsqu'elle est commise par une personne morale, est une loi pénale plus douce que la précédente (où le montant maximum de l'amende était de deux millions d'euros) et qu'elle est donc d'application immédiate y compris aux infractions commises antérieurement à son entrée en vigueur. Le juge précise en outre, d'une part, que cette amende a bien le caractère d'une punition alors même qu'elle est prononcée par une autorité qui n'a pas la nature d'une juridiction, et, d'autre part, que la loi en cause est plus douce même si les sanctions qu'elle comporte sont appliquées plus fréquemment que celle qui avait été instituée par la législation antérieure.

En second lieu, la cour ayant jugé que le montant de 375 000 euros retenu pour l'amende infligée à la demanderesse n'était pas disproportionné, le Conseil d’État approuve la solution " Au vu de l'ampleur des dépassements constatés, du volume d'affaire concerné, ainsi que de la position de force de l'entreprise dans ses relations commerciales ".

(3 février 2021, Société Airbus Helicopters, n° 430130)

 

76 - Emprunt bancaire - Domiciliation obligatoire des salaires auprès du prêteur - Renvoi préjudiciel à la CJUE - Inconventionnalité de la base légale - Annulation du décret attaqué.

Le Conseil d'État avait saisi la CJUE de deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de directives européennes au regard des dispositions législatives (art. L. 312-25-1 du code de la consommation) permettant à un prêteur d'imposer à l'emprunteur la domiciliation de ses salaires ou revenus assimilés sur un compte de paiement.

La Cour ayant dit pour droit dans sa réponse, notamment, que le droit de l'Union s'oppose à une réglementation nationale qui autorise le prêteur à imposer à l'emprunteur, lors de la conclusion d'un contrat de crédit, la domiciliation de l'ensemble de ses revenus salariaux ou assimilés sur un compte de paiement ouvert auprès de ce prêteur, la présente décision en tire les conséquences.

L'art. 313-25-1 du code de la consommation, dont les dispositions sont indivisibles, est déclaré incompatible avec les objectifs de la directive du 4 février 2014. Par suite, privé de sa base légale qui était constituée par cet article, le décret querellé, du 14 juin 2017, est annulé.

(4 février 2021, Association française des usagers des banques, n° 413226)

 

77 - Compensation entre dettes et créances - Décision unilatérale d'une personne publique - Compensation possible seulement entre dettes et créances certaines - Créances faisant l'objet d'un recours - Annulation de l'ordonnance et de la décision ordonnant la compensation.

Une commune avait prétendu compenser sa dette envers une société par suite de la condamnation à lui verser une certaine somme par un arrêt de cour administrtative d'appel avec des créances qu'elle détenait sur cette société du fait de l'émission à son encontre de titres exécutoires. Cette argumentation a été retenue par la cour administrative d'appel. Sur pourvoi le Conseil d'Etat casse cette solution dès lors que les créances de la commune n'étaient pas certaines car elles faisaient l'objet d'un recours en contestant le bien-fondé, ce qui est la confirmation d'une solution constante et bien établie (6 juillet 1966, Consorts des Acres de l'Aigle, Rec. p. 441 ; 19 décembre 1973, commune d'Arcangues, Rec. p. 731).

(23 février 2021, Société Les Moulins, n° 441222)

 

78 - Agriculture - Ordonnance du 24 avril 2019 - Organisation de la coopération agricole - Régime de la rémunération abusivement basse des apports des membres coopérateurs - Haut Conseil de la coopération agricole - Médiateur de la coopération agricole - Annulation partielle.

L'association requérante demandait l'annulation l'ordonnance n° 2019-362 du 24 avril 2019 relative à la coopération agricole en tant qu'elle insère un V à l'article L. 521-3-1 du code rural et de la pêche maritime et qu'elle modifie ou crée d'autres dispositions du même code. En particulier, elle reproche aux auteurs de l'ordonnance trois éléments qu'elle contient.

La requérante ne reçoit satisfaction que sur le premier d'entre eux. En effet, en créant au V de l'article L. 521-3-1 du code rural et de la pêche maritime une action en responsabilité contre les coopératives agricoles en cas de fixation d'une rémunération abusivement basse des apports des membres coopérateurs, et en en prévoyant le régime, l'auteur de l'ordonnance a méconnu le champ de l'habilitation qui lui avait été donnée tant par l'article 11, et notamment son 8°, que par le II de l'article 17 de la loi d'habilitation du 30 octobre 2018. 

Sur les deux autres points sa requête est rejetée.

Tout d'abord, la mission donnée au Haut Conseil de la coopération agricole n'excède pas le champ de l'habilitation conférée au pouvoir réglementaire et les conditions d'intervention de ce dernier ne sont pas insuffisamment définies.

Ensuite, la définition des missions du médiateur d'un secteur économique, ici la coopération agricole, et de la procédure applicable devant lui ne relevant pas, en elle-même, du domaine de la loi, l'ordonnance attaquée ne saurait avoir excédé le champ de l'habilitation conférée sur ce point au pouvoir réglementaire.

(24 février 2021, Association Coop de France, n° 430261)

 

Droit social et action sociale

 

79 - Allocation d'aide au retour à l'emploi - Refus opposé par Pôle emploi à une demande d'attribution de cette allocation - Compétence juridictionnelle pour connaître du contentieux né de ce refus - Compétence judiciaire - Rejet.

Le contentieux né des décisions par lesquelles Pôle emploi refuse d'admettre une personne au bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi relève du juge judiciaire. Le recours est rejeté comme porté devant une juridiction incompétente pour en connaître.

(3 février 2021, M. C., n° 442346)

 

80 - Travailleurs étrangers détachés en France - Obligation déclarative - Date d'exigibilité de cette obligation - Modification des exigences administratives de déclaration postérieurement à l'envoi de la déclaration - Rejet.

Le code du travail (art. L. 1262-1) fait obligation à l'employeur établi hors de France qui détache temporairement des salariés sur le territoire français, pour l'un des motifs prévus par la loi, d'adresser une déclaration, préalablement au détachement, à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation.

Le Conseil d'État confirme la solution retenue en appel :

- d'une part, parce que ces obligations déclaratives sont attachées non à la conclusion du contrat de prestation de services mais au détachement effectif des salariés, elles étaient applicables, en l'espèce, à tout détachement réalisé à compter de l'entrée en vigueur du décret du 30 mars 2015, intervenue le 1er mai 2015 ;

- d'autre part, si l'entreprise, au regard de la situation de droit existant à la date où a été rempli en ligne le formulaire mis à sa disposition par le ministère du travail, soit le 19 mars 2015, avait satisfait à ses obligations, le détachement, alors même qu'il était initialement prévu comme devant débuter le 23 mars 2015, n'a été effectif qu'à compter du 4 mai 2015 soit postérieurement à l'entrée en vigueur, le 1er mai 2015, du décret du 30 mars 2015.

L'entreprise était donc fautive de n'avoir pas, en conséquence, modifié sa déclaration primitive afin de se mettre en conformité avec les nouvelles dispositions ; c'est donc à bon droit que deux amendes lui ont été infligées par le directeur régional du travail.

Cette décision, alors que la bonne foi de l'intéressée n'était pas discutée, est très inéquitable et témoigne de l'un des travers du modèle administratif français plus soucieux d'un respect symbolique que d'une efficacité pratique.

(24 février 2021, Société Tradi Art Construction, n° 431090)

 

81 - Agents de Pôle emploi - Remboursement des frais de déplacement - Fixation d'un ordre de priorité dans l'usage des moyens de transports - Invocation de l'existence d'un "usage" - Rejet.

Le syndicat requérant contestait une instruction par laquelle le directeur général de Pôle emploi a fixé les modalités de remboursement des frais de déplacements pour motif syndical en établissant un ordre de priorité entre les moyens de transports utilisés avec dérogation possible lorsque les circonstances l'imposent.

Le Conseil d'État rejette en premier lieu le grief tiré de ce que cette instruction serait contraire à la convention collective nationale de Pôle emploi puisqu'elle ne porte point atteinte au libre exercice du mandat syndical.

Il rejette, en second lieu, l'argument tiré de l'existence d'un "usage" à Pôle emploi concernant l'utilisation d'un véhicule personnel, un tel usage ne pouvant être invoqué qu'à la condition, absente en l'espèce, d'avoir fait l'objet d'un agrément dans les conditions prévues à l'art. L. 5312-9 du code du travail.

(24 février 2021, CGT Pôle emploi Centre Val-de-Loire, n° 432039)

 

Élections

 

82 - Élections municipales et communautaires du 15 mars 2020 - Diffusion d'un tract l'avant-veille du scrutin contenant un élément nouveau de polémique électorale - Protestataires ne démontrant pas l'impossibilité d'y répliquer en temps utile - Liste élue avec un nombre de voix très supérieur à la majorité absolue - Rejet.

La double circonstance qu'il n'était pas impossible à une liste de candidats de répliquer à la diffusion tardive d'un tract comportant un élément nouveau de polémique électorale et que le nombre de suffrages de la liste élue excédait notablement la majorité absolue des suffrages entraîne le rejet de la protestation tendant à l'annulation d'opérations électorales

(3 février 2021, M. J. et autres, Élections mun. et cnautaires de Talais, n° 445759)

(83) V., à l'inverse, à propos, d'une part, de tracts diffusés par voie postale mettant gravement en cause la probité d'un candidat dans des termes excédant ce qui peut être toléré dans le cadre d'une polémique électorale et, d'autre part, de l'impossibilité d'y répondre en temps utile, conduisant à l'annulation du premier tour de scrutin et, par voie de conséquence, du second tour : 11 février 2021, M. I, Élections mun. et cnautaires de la commune d'Oisy, n° 445100.

Dans le même sens que la décision précédente, voir aussi : 12 février 2021, M. L. et autres, Élect. municipales de Cléon, 445409

 

84 - Élections municipales et communautaires du 15 mars 2020 - Communes de mille habitants et plus - Bulletin devant comporter deux listes de candidats, municipaux et communautaires - Désignation insuffisante d'une des listes - Bulletins devant être déclarés nuls - Conséquence - Annulation des élections et du jugement contesté.

Le code électoral (art. L. 273-9) impose que les bulletins de vote, dans les communes de mille habitants et plus, s'agissant d'élections municipale et communautaires, comportent simultanément les deux listes de candidats, respectivement de conseillers municipaux et de conseillers communautaires.

Sont nuls, en leur entier, les bulletins ne comportant qu'une désignation insuffisante de la liste.

En l'espèce, treize bulletins ne comportaient qu'une seule liste, celle des candidats au mandat de conseiller municipal. Contrairement aux premiers juges, le Conseil d’État les déclare nuls.

Du fait de cette irrégularité et en raison du faible écart de voix entre les différentes listes, l'annulation des bulletins concernés provoque l'inversion des résultats du scrutin, altérant ainsi - malgré l'absence de manoeuvre et de doute sur l'intention des électeurs concernés - la sincérité du scrutin, ce qui conduit à l'annulation de l'ensemble des opérations électorales.

(4 février 2021, M. D., Élections mun. et cnautaires de la commune de Thénac, n° 443446)

 

85 - Élection d'adjoints au maire - Principe de parité - Non-respect - Annulation de l'élection - Rejet.

Le principe de parité imposé pour la présentation des listes de candidats aux élections exige que chaque liste soit composée alternativement d'un candidat de chaque sexe.

Une liste de candidats d'adjoints au maire composée successivement d'un homme, d'une femme, d'un homme et de deux femmes est irrégulière et l'élection de ces personnes doit être annulée.

(10 février 2021, M. D. et autres, Élections des adjoints au maire de la commune de Plourhan, n° 442495)

 

86 - Élections municipales du 15 mars 2020 - Non-correspondance entre le nombre de bulletin et celui des émargements - Annulation du bulletin excédentaire et retranchement d'une voix à chacun des élus - Conséquence - Annulation partielle.

La présence d'un bulletin de plus que le nombre d'émargements conduit à l'annulation de celui-ci et, par voie de conséquence, à le retrancher du nombre total des suffrages exprimés ainsi que du nombre de voix obtenues par chacun des candidats déclarés élus.

Ceci a pour conséquence que le dernier candidat élu n'a plus la majorité absolue et que son élection est annulée comme l'ont à bon droit décidé les premiers juges. En revanche, ces derniers ne pouvaient pas, à égalité de voix et par application du principe de séniorité, proclamer élue la première candidate qui avait été déclarée non élue puisque, par retranchement d'un suffrage au nombre de voix obtenues elle n'était plus en position d'être déclarée élue.

(10 février 2021, M. L., Élections municipales d'Éteveaux, n° 445165)

 

87 - Élections municipales et communautaires du 15 mars 2020 - Niveau élevé inhabituel du taux des abstentions - Absence d'altération de la sincérité du scrutin, au libre exercice du droit de vote ou à l'égalité entre candidats - Rejet.

La circonstance que la tenue d'un scrutin en période de pandémie expliquerait le taux élevé d'abstentions dans une commune ne constitue pas une circonstance propre à cette dernière, ne porte pas atteinte à la liberté d'exercice du droit de vote, ni à l'égalité entre candidats et donc, par suite, n'a pas altéré la sincérité du scrutin.

(11 février 2021, M. C., Élections mun. et cnautaires de la commune de Savigneux, n° 445309)

 

88 - Élections municipales du 15 mars 2020 - Protestation émanant d'une personne n'ayant pas la qualité d'électeur ni celle d'éligible - Irrecevabilité.

Est irrecevable la protestation dirigée contre les résultats d'une élection par une personne qui, non inscrite sur les listes électorales et n'ayant pas contesté cette absence d'inscription, n'est, en conséquence, ni électeur ni éligible.

(15 février 2021, M. D., Élections municipales de la commune de Régina-Kaw, n° 445636)

 

89 - Élections municipales et communautaires - Absence d'indication de la nationalité de candidats ressortissants de l'UE autres que Français - Annulations des bulletins litigieux - Conséquences - Altération de la sincérité du scrutin - Confirmation de l'annulation des opérations électorales.

L'art. L.O. 247-1 du code électoral dispose que les bulletins de vote, dans les communes concernées, doivent, à peine de nullité, comporter, à la suite du nom des candidats, l'indication de leur nationalité lorsqu'il s'agit de ressortissants de pays de l'Union européenne autres que la France.

Dans ces conditions, les bulletins obtenus par une liste D. ont été déclarés nuls et cette liste, qui avait recueilli plus de 42% des suffrages exprimés n'a donc obtenu aucun siège de conseiller municipal alors même que la loi a prévu que toute liste ayant recueilli au moins 5% des suffrages doit être représentée au sein du conseil municipal. Les électeurs concernés ont ainsi vu leurs votes privés de tout effet utile.

Le juge d'appel en déduit l'altération de la sincérité du scrutin en dépit de l'absence de manoeuvre. Il confirme l'annulation du scrutin prononcée en première instance.

(16 février 2021, M. F., Élections mun. et cnautaires de la commune de Cousolre, n° 445433)

 

90 - Polynésie française - Élections des 15 mars et 28 juin 2020, des maires délégués dans les communes associées - Régimes juridique et contentieux applicables - Formation d'une QPC - Existence d'une candidature déclarée en vue de sa désignation comme maire délégué - Candidature non prise en compte - Rejet de l'appel contre le jugement annulant les opérations électorales.

Le régime électoral applicable en Polynésie française combine des dispositions propres à ce territoire et des dispositions communes au droit électoral national.

Étaient en cause les opérations électorales ayant conduit à la désignation des maires délégués dans les communes associées de la commune de Taha'a.

Le juge aborde trois questions.

La première est une question de droit du contentieux électoral. En tant qu'il est formé par la commune précitée, l'appel comme au reste l'action introduite en première instance, est irrecevable  car il résulte, d'une part des dispositions des articles L. 2113-22, L. 2122-13, L. 2573-3 et L. 2573-6 du code général des collectivités territoriales, et d'autre part de celles des articles L. 248 et L. 250 du code électoral, que les protestations dirigées contre les opérations électorales par lesquelles un conseil municipal désigne, en Polynésie française, les maires délégués des communes associées doivent être formées dans les conditions, formes et délais prescrits pour les réclamations contre les élections du conseil municipal et qu'il en va de même pour l'appel d'un jugement statuant sur de telles protestations. Ainsi, une commune ne saurait donc avoir la qualité de partie devant le juge de l'élection saisi d'une contestation relative à l'élection de maires délégués des communes associées, ni pour faire appel d'un jugement annulant les opérations électorales par lesquelles un conseil municipal désigne ces délégués. 

La seconde question prend la forme d'une contestation de la décision des premiers juges refusant le renvoi d'une QPC ainsi que d'une demande au juge d'appel de renvoyer cette QPC. Il était prétendu qu'étaient inconstitutionnelles les dispositions de l'article L. 2573-3 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de l'article 3 de la loi du 5 décembre 2016 en ce qu'elles porteraient atteinte aux principes d'égalité devant le suffrage, de pluralisme des courants d'idées et d'opinion, de la prohibition de tout mandat impératif et de libre administration des collectivités territoriales. L'argument est rejeté car le principe d'égalité n'exclut pas les différences de traitement aux conditions d'encadrement ordinaires, l'atteinte invoquée au pluralisme n'est pas jugée sérieuse, et enfin, les dispositions contestées ne portent aucune atteinte aux deux derniers principes invoqués par les requérants.

Enfin, sur les opérations électorales elles-mêmes, le rejet était inévitable. En effet, l'article L. 2573-3 du CGCT dispose que les maires délégués des communes associées de Polynésie française sont élus par le conseil municipal parmi les conseillers municipaux faisant acte de candidature qui figurent sur la liste ayant recueilli le plus de suffrages dans la section électorale concernée, ou à défaut parmi les candidats élus sur les autres listes dans la même section électorale ou encore à défaut parmi les autres membres du conseil municipal. Dès lors, comme c'était le cas en l'espèce, qu'un conseiller municipal élu sur la liste arrivée en tête dans chacune de ces communes associées était candidat, sa candidature ne pouvait pas être écartée.

(17 février 2021, Commune de Taha'a et autres, n° 446734)

(91) V. aussi, semblables : 17 février 2021, Mme J. et autres, n° 446738 ; 17 février 2021, M. M. et autres, n° 446740 ; 17 février 2021, Commune de Taha'a et M. B., n° 446743 ; 17 février 2021, Commune de Taha'a, n° 446746, Mme L. et autres, n° 446747 ; 17 février 2021, Commune de Hitia'a O Te Ra, n°446754 ; 17 février 2021, M. I., n° 446755 ; 17 février 2021, Commune de Huahine, MM. Tuihani et Mou-Sin, n° 446756

(92) V. également, très proche : 17 février 2021, Commune de Tumaraa, n° 446752 ; 17 février 2021, Mme C., n° 446753.

(93) V. voisin mais soulevant des questions spécifiques : 17 février 2021, M. A., en son nom personnel et en qualité de maire de Taiarapu-Est, n° 446767 et Commune de Taiarapu-Est et M. A., en qualité de maire de Taiarapu-Est, n° 446788.

(94) V. encore, un peu voisin : 17 février 2021, M. B., n° 446777.

 

Environnement

 

95 - Protection de la faune - Ours brun des Pyrénées - Dommages causés aux troupeaux domestiques - Mesures expérimentales d'effarouchement simple de l'ours et d'effarouchement renforcé - Annulation partielle.

Afin de prévenir les dommages causés aux troupeaux par les ours pyrénéens, un arrêté du 27 juin 2019 a mis en place, à titre expérimental, des mesures d'effarouchement des ours et, à cette fin, a permis aux préfets d'accorder des dérogations à l'interdiction de perturbation intentionnelle des ours bruns. Deux niveaux d'effarouchement ont ainsi été créés : l'effarouchement simple, lorsque se sont produites au  moins une attaque sur l'estive lors de l'année précédente ou au moins quatre attaques cumulées au cours des deux années précédentes, et l'effarouchement renforcé lorsque malgré la mise en oeuvre effective de moyens d'effarouchement simple, une deuxième attaque en moins d'un mois ou, sur les estives ayant subi au moins quatre attaques sur les deux dernières années, dès la première attaque imputable à l'ours.

Tout d'abord, le juge rejette l'argument tiré du principe de précaution, celui-ci ne pouvant jouer en l'absence d'incertitudes scientifiques en la matière.

Ensuite, le juge relève que les mesures d'effarouchement simple ne sont pas illégales en ce que, notamment, elles ne sont pas de nature à porter atteinte au maintien des populations d'ours ou à compromettre l'amélioration de l'état de conservation de l'espèce.

En revanche, il juge illégal l'art. 4 de l'arrêté attaqué en tant que, au titre de l'effarouchement renforcé, il autorise le recours à des tirs non létaux de toute arme à feu chargée de cartouches en caoutchouc ou de cartouches à double détonation, il prévoit que les dérogations accordées sont délivrées pour deux mois et sont reconductibles deux fois et, enfin, autorise cet usage à l'éleveur ou au berger, titulaires du permis de chasser, aux lieutenants de louveterie, aux chasseurs ou encore aux agents de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, après une formation préalable par les agents de cet Office. En effet, le juge considère qu'en n'encadrant pas davantage l'usage de l'effarouchement renforcé,  les dispositions de l'arrêté litigieux relatives à ce mode d'effarouchement ne permettent pas de s'assurer, eu égard aux effets d'un tel effarouchement sur l'espèce, que les dérogations susceptibles d'être accordées sur ce fondement par le préfet ne portent pas atteinte, en l'état des connaissances prévalant à la date de l'arrêté attaqué, au maintien des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle et ne compromettent pas l'amélioration de l'état de l'espèce.

(4 février 2021, Association Ferus - Ours, loup, lynx et autres, n° 434058)

 

96 - Protection des sites Natura 2000 - Compétitions de sports motorisés - Manifestations se déroulant en dehors des lieux ou parcours fermés de manière permanente à la circulation publique - Obligation de produire une évaluation des incidences Natura 2000 - Obligation s'imposant à toutes les manifestations - Illégalité - Annulation partielle.

L'arrêté  du 2 avril 2019, pris pour l'application de l'art. R. 331-24-1 du code du sport relatif aux épreuves et compétitions de sports motorisés sur les voies non ouvertes à la circulation publique, impose à l'organisateur d'une manifestation se déroulant sur des terrains ou des parcours fermés de manière permanente à la circulation publique et non soumis à la procédure prévue à l'article L. 421-2 du code de l'urbanisme qu'il produise, au soutien de sa demande d'autorisation, d'une part, une évaluation des incidences Natura 2000 prévue en application de l'article R. 414-19 du code de l'environnement et, d'autre part, un formulaire décrivant les incidences de la manifestation sur l'environnement ainsi que les mesures préventives et correctives.

Or une telle évaluation n'est exigée, selon les termes mêmes du I de l'art. L. 414-4 du code de l'environnement, que pour les manifestations "susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés (...)".

En imposant cette formalité à toute demande d'autorisation d'une manifestation de véhicules terrestres à moteur sur des voies non ouvertes à la circulation publique, l'arrêté litigieux est illégal car il excède le champ de l'article L. 414-4 du code précité.

(15 février 2021, Fédération française de motocyclisme, n° 431578)

 

97 - Énergie électrique d'origine nucléaire - Catastrophe de Fukushima - Contrôle subséquent de l'ensemble des réacteurs nucléaires français (systèmes et composants essentiels du "noyau dur") - Diverses mesures ordonnées par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) - Absence de vice de forme ou d'erreur d'appréciation - Rejet.

Suite à la catastrophe nucléaire de Fukushima (11 mars 2011), l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a demandé à EDF de procéder à une vérification de l'ensemble des réacteurs nucléaires de ses centrales et, au vu des résultats, a pris un certain nombre de décisions ou de préconisations.

Les requérantes contestent deux décisions de l'ASN fixant des prescriptions complémentaires à EDF ou en modifiant d'autres antérieures. Leurs demandes sont rejetées.

Un premier moyen était tiré de l'irrégularité de la procédure de participation du public car l'ASN a omis d'annexer le dossier de demande d'EDF au projet de décision mis en ligne sur son site Internet à l'occasion de la première procédure de participation du public qui s'est déroulée du 22 octobre au 5 novembre 2018. Il est rejeté par le double motif que cette omission a été réparée lors de la seconde procédure de participation, qui s'est tenue du 21 décembre 2018 au 10 janvier 2019, et qu'aucune personne ayant participé à la première procédure n'a été empêchée de participer à la seconde. Le juge estime que la circonstance de la coïncidence de cette dernière avec les fêtes de fin d'année a été sans incidence alors même que la participation à la seconde procédure a été inférieure à celle de la première procédure.

On peut regretter ce rejet un peu expéditif du moyen.

Un second moyen soulevait l'erreur d'appréciation commise par l'ASN concernant la dispense accordée à EDF de rendre obligatoire la présence de diesels d'ultimes recours pour le cas où l'alimentation électrique ne serait plus possible ou insuffisante en cas de catastrophe car, relève le juge, la sûreté de chacun des réacteurs de l'installation en cause a été renforcée par la mise en place d'un système d'alimentation électrique de l'appoint en eau ultime permettant le refroidissement des réacteurs et des piscines de cette installation.

(15 février 2021, Associations Réseau " Sortir du nucléaire " et Greenpeace France, n° 433832 et n° 433834)

 

98 - Loups - Destruction - Dérogation préfectorale au quota annuel de destructions - Compétence des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement - Tirs autorisés, de défense simple ou mixtes - Rejet.

La requérante demandait l'annulation de deux arrêtés interministériels (écologie et agriculture) du 26 juillet 2019 et du 30 décembre 2019 portant expérimentation de diverses dispositions en matière de dérogations aux interdictions de destruction pouvant être accordées par les préfets concernant le loup.

Un seul des moyens soulevés est retenu : les dispositions des II des articles 5 des deux arrêtés attaqués  sont illégaux car si l'art. 2 du décret du 12 septembre 2018 dont ces arrêtés font application permet aux préfets de département d'autoriser la poursuite de tirs de défense simple ou renforcée, dans la limite de 2 % de l'effectif moyen de loups estimé annuellement, lorsqu'est atteint avant la fin de l'année civile concernée le nombre maximum de spécimens de loups dont la destruction est autorisée, ce texte ne permet pas, comme le font à tort les dispositions querellées des arrêtés litigieux, la poursuite de tirs de défense mixte ainsi que de tirs de prélèvement simple.

En revanche sont rejetés tous les autres moyens : l'arrêté du 26 juillet 2019 n'était pas tenu de suivre le sens des observations formulées par le public ; la possibilité octroyée au préfet coordinateur de suspendre certaines autorisations de tir délivrées par les préfets de département, ni aucune autre disposition du décret du 12 septembre 2018 ne s'opposent à ce que les ministres chargés de l'environnement et de l'agriculture prévoient, sur le fondement de l'article R. 411-13 du code de l'environnement, une suspension automatique des seuls tirs de prélèvements afin de garantir le respect du plafond annuel mentionné à l'article 2 de l'arrêté du 19 février 2018 ; contrairement à ce qui est soutenu, d'une part, le recours à des tirs de défense mixte est toujours conditionné au constat préalable, dans des zones précisément identifiées par la voie réglementaire, de l'existence de dommages importants aux élevages  et, d'autre part, le recours aux tirs de prélèvement simples est bien toujours conditionné à l'existence préalable de dommages importants causés aux troupeaux ; la solution retenue ne méconnaît pas la condition relative à l'absence d'autre solution satisfaisante ; la fixation du nombre de spécimens de loups pouvant être détruits, pour les années 2019 puis 2020, par référence à un plafond correspondant à 17 % de l'effectif moyen de la population de l'espèce, ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ; pas davantage ne sont ici méconnus le principe de précaution et celui de non-régression.

(15 février 2021, Association One Voice, n° 434933 et n° 437646)

 

99 - Rivières et cours d'eau - Notion d'obstacle à la continuité écologique et au débit réservé à laisser à l'aval des ouvrages en rivière - Décret du 3 août 2019 - Illégalité de l'art. 1er - Rejet pour le surplus.

Les requérants demandaient l'annulation entière ou de certaines des dispositions du décret n° 2019-827 du 3 août 2019 modifiant diverses dispositions du code de l'environnement relatives à la notion d'obstacle à la continuité écologique et au débit réservé à laisser à l'aval des ouvrages en rivière.

De très nombreux moyens étaient soulevés, qui ne peuvent être présentés ici, un seul d'entre eux prospérant.

Le Conseil d'État annule l'art. 1er du décret attaqué en tant qu'il interdit  de manière générale, la réalisation, sur les cours d'eau classés au titre du 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, de tout seuil ou barrage en lit mineur de cours d'eau atteignant ou dépassant le seuil d'autorisation du 2° de la rubrique 3.1.1.0 de la nomenclature annexée à l'article R. 214-1 de ce code, alors que la loi prévoit que l'interdiction de nouveaux ouvrages s'applique uniquement si, au terme d'une appréciation au cas par cas, ces ouvrages constituent un obstacle à la continuité écologique (cf. 1° du I de l'art. L. 214-17 précité).

(15 février 2021, Association Union des étangs de France, n° 435026 ; Fédération Électricité autonome française, n° 435036 ; Fédération nationale de la pêche en France et de protection du milieu aquatique, n° 435060 ; Syndicat France hydro-électricité et autres, n° 435182 ; Association France nature environnement, n° 438369)

 

100 - Biocarburants - Huile de palme - Note d'information de l'administration des douanes incluant les carburants produits à partir d'huile de palme (PFAD) dans le mécanisme de la taxe incitative à l'incorporation de biocarburants - Loi excluant des biocarburants les produits à partir d'huile de palme - Illégalité - Annulation de la note d'information.

Est entachée d'illégalité la note d'information de l'administration des douanes, du 19 décembre 2019, qui range les carburants produits à partir d'huile de palme ou de ses dérivés (PFAD) éligibles à la taxe incitative relative à l'incorporation de biocarburants alors, d'une part, que la loi (dernier alinéa du B du V de l'article 266 quindecies du code des douanes) décide que " Ne sont pas considérés comme des biocarburants les produits à base d'huile de palme " et que, d'autre part, les PFAD  sont extraits de l'huile de palme brute au cours de son raffinage.

On peine à concevoir qu'une administration d'État puisse à ce point faire fi de prescriptions législatives : les lobbies parviennent-ils jusqu'à faire nier l'évidence ?

(24 février 2021, Associations Canopée et Les amis de la terre et autre, n° 437277)

 

Fonction publique et agents publics

 

101 - Militaire - Retraite - Calcul du montant de la pension de retraite - Traitement des six derniers mois précédant le départ en retraite - Traitement afférent à des services effectifs - Annulation.

La base de calcul de la retraite des fonctionnaires est constituée par le dernier traitement d'activité afférent à leur grade, touché durant six mois au moins de services effectifs.

En l'espèce, un militaire versé par la suite dans la réserve opérationnelle a demandé la révision du montant de sa pension de retraite en se prévalant de la règle rappelée ci-dessus. Le tribunal lui a donné raison en relevant que la nomination de l'intéressé dans son nouveau grade était intervenue plus de six mois avant la fin de la période de réserve d'une durée continue de plus d'un mois.

Le Conseil d’État aperçoit une erreur de droit dans le fait que le tribunal n'a pas vérifié, ce qui lui était demandé par le ministre défendeur, si l'intéressé avait accompli au moins six mois de services effectifs, continus ou non, dans son nouveau grade au sein de la réserve opérationnelle.

Après annulation du jugement, traitant l'affaire au fond, le Conseil d’État constate que la durée des services effectifs accomplis par le demandeur dans le nouveau grade était très inférieure à la durée minimale de six mois. Sa requête est rejetée.

(4 février 2021, M. C., n° 439662)

 

102 - Accident de service - Accident survenu à un agent à l'intérieur de sa propriété - Notion de trajet entre le domicile et le lieu du travail - Absence ici - Annulation.

Un jugement qualifie inexactement d'accident de service l'accident subi par l'intéressé à l'intérieur de sa propriété alors qu'ayant placé son véhicule sur la voie publique en vue de son départ vers son lieu de travail, il était retourné sur sa propriété pour fermer la porte du garage.

La solution ne brille pas par son équité.

(12 février 2021, M. A., n° 430112)

 

103 - Sanction disciplinaire - Procédure - Absence de motivation - Absence de comunication des auditions organisées dans le cadre de l'enquête administrative - Annulation de l'arrêté attaqué.

Doit être annulé pour illégalité l'arrêté ministériel qui inflige la sanction de déplacement d'office à un fonctionnaire :

- d'une part, à raison du défaut de production de la motivation de l'avis rendu par la commission administrative paritaire compétente siégeant en conseil de discipline car cette exigence de motivation constitue une garantie, cela d'autant plus que n'a pas non plus été produit le procès-verbal de la réunion de cette commission,

- d'autre part, pour non-communication à l'intéressé des procès-verbaux des auditions auxquelles la mission d'inpection a procédé au cours de l'enquête en vue de l'établissement de son rapport, alors qu'ils avaient été expressément demandés et que n'est allégué aucun obstacle à cette communication tel le risque de nuire gravement aux personnes interrogées.

(12 février 2021, M. A., n° 435352)

 

104 - Polynésie française - Intégration dans la fonction publique polynésienne des agents de droit privé d'entités dont l'activité est reprise par le territoire - Conditions - "Loi du pays" - Contrôle contentieux.

Une "loi du pays" a fixé le régime juridique des personnels d'entités privés dont l'activité est reprise par le territoire de Polynésie française lorsque ces agents étaient placés sous le régime du contrat à durée indéterminée. Le texte prévoit leur intégration, à diverses conditions, dans la fonction publique polynésienne.

Sasi d'un recours formé par un syndicat de fonctionnaires, le Conseil d'État apporte d'utiles indications dont l'une est propre au droit public local de ce territoire et les deux autres ont valeur de portée générale.

Sur le premier point, il est rappelé que l'article 177 de la loi organique du 27 février 2004, ne permet au Conseil d'État d'apprécier la légalité des " lois du pays " qu'au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit. Est par suite inopérant le moyen tiré de ce que la " loi du pays " contestée méconnaitrait les dispositions du code du travail de la Polynésie française alors qu'elles ont elles-mêmes été édictées par une " loi du pays ".

Sur le second point, le juge rappelle deux choses importantes qui valent pour toute la France.

En premier lieu, ne constitue pas, par elle-même, une opération de recrutement soumise au principe d'égal accès aux emplois publics (cf. art. 6 de la Déclaration de 1789), la reprise de contrats de travail par une personne publique gérant un service public administratif, lorsqu'elle résulte du transfert à cette personne d'une entité économique employant des agents de droit privé.

En second lieu cependant, alors même qu'aucune règle ni aucun principe n'interdit de prévoir que certains fonctionnaires puissent être recrutés sans concours, il incombe à l'autorité compétente de ne procéder à une intégration en qualité d'agents titulaires de la fonction publique que sous le respect de trois conditions : 1°/  avoir précisé les modalités selon lesquelles les aptitudes des candidats seront examinées ; 2°/ se conformer à ces modalités; 3°/ fonder sa décision de nomination sur les seuls vertus, talents et capacités des intéressés à remplir leurs missions, au regard de la nature du service public considéré et des règles, le cas échéant statutaires, régissant l'organisation et le fonctionnement de ce service. 

(17 février 2021, Syndicat de la fonction publique et M. B., n° 446833)

 

105 - Référé suspension - Principale adjointe de collège - Révocation - Perte de traitement entraînant une situation d'urgence - Sanction disproportionnée - Annulation de l'ordonnance attaquée - Suspension d'exécution de l'arrêté litigieux.

L'intéressée a été révoquée de sa fonction de principale adjointe de collège pour comportement agressif à l'égard de ses supérieurs, chefs d'établissement, et vexatoire envers ses subordonnés.

Elle a obtenu la suspension d'exécution de l'arrêté de révocation et le ministre défendeur se pourvoit en Conseil d'État. Son pourvoi est rejeté.

Tout d'abord, le juge constate que la condition d'urgence est remplie en raison de l'état de précarité dans lequel la révocation place l'intéressée du fait de ses maigres ressources personnelles ainsi que de celles de son conjoint.

Ensuite, le juge estime disproportionnée la révocation prononcée alors que l'administration disposait d'un large éventail large d'autres sanctions.

(ord. réf. 23 février 2021, Ministre de l'Éducation nationale, n° 445072)

 

106 - Personnel hospitalier - Fixation de la durée quotidienne de travail dans un centre hospitalier - Justification par les contraintes du service public - Insuffisance - Annulation.

Une délibération du conseil de surveillance du centre hospitalier de Lisieux et une note de service de son directeur relatives au plan de retour à l'équilibre ont fixé une durée quotidienne de travail de douze heures pour les infirmiers et les aides-soignants du service pédiatrie, ainsi que les infirmiers des services d'accueil des urgences, de neurologie, de cardiologie, de gastro-entérologie et de gynécologie-obstétrique du centre hospitalier.

Pour juger cette décision régulière la cour administratives d'appel a estimé qu'il n'était pas établi que cette amplitude horaire dérogatoire ne répondrait pas à des contraintes de service public, " eu égard au type de patients qui y sont accueillis ".

Le Conseil d'État estime qu'il incombait à la cour administrative d'appel - ce qu'elle n'a pas fait - de rechercher l'existence d'un motif de nature à justifier, compte tenu des particularités des services en cause et, le cas échéant, d'engagements souscrits par l'établissement dans le cadre d'un plan de redressement ayant donné lieu à un avenant au contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens, que l'organisation du travail des agents en cycle de douze heures était nécessaire pour assurer la continuité et le maintien d'un niveau adéquat de qualité des soins. L'arrêt est annulé avec renvoi.

(19 février 2021, Syndicat départemental Sud santé du Calvados et autre, n° 430606)

 

Libertés fondamentales

 

107 - Étranger - Demande de visa - Visa de court ou de long séjour - Motifs de refus - Annulation.

Lorsqu'un étranger sollicite l'octroi d'un visa de court séjour, sa demande peut être refusée, entre autres motifs, en cas de risque avéré de détournement de son objet car le motif qu'il a indiqué dans sa demande de visa n'est pas le motif réel de son séjour en France, il en va ainsi en particulier si ce dernier cache une finalité migratoire avérée.

Lorsqu'est sollicité un visa de long séjour en qualité de visiteur, donc d'une durée supérieure à trois mois, l'exception de finalité migratoire ne peut pas être opposée à l'étranger demandeur d'un tel visa. En effet, en ce cas, il est loisible à l'étranger, durant son séjour sous visa, de solliciter la délivrance d'un titre de séjour afin de s'installer durablement en France, c'est pourquoi l'exception de finalité migratoire ne peut motiver un refus de visa long séjour. Il n'en irait autrement que dans le cas où, dès la demande de visa de long séjour, l'administration établirait que l'étranger n'est manifestement pas susceptible de remplir les conditions lui permettant d'obtenir le titre de séjour qui lui sera nécessaire après la période couverte par le visa.

L'arrêt d'appel, qui avait jugé possible d'opposer à un demandeur de visa de long séjour le caractère de finalité migratoire de sa demande, est cassé avec renvoi.

(4 février 2021, M. A., n° 434302)

 

108 - Ressortissant d'un pays tiers à l'Union - Détention d'un titre de séjour délivré par un État partie à la convention sur l'accord de Schengen - Droit à séjourner en France quatre-vingt-dix jours - Annulation et injonction.

Il résulte des dispositions du 1. de l'art. 21 de la convention d'application de l'accord de Schengen, dans la version qui lui a été donnée successivement par  le règlement du 25 mars 2010 et par celui du 26 juin 2013 que : " 1. Les étrangers titulaires d'un titre de séjour délivré par un des États membres peuvent, sous le couvert de ce titre ainsi que d'un document de voyage, ces documents étant en cours de validité, circuler librement pour une durée n'excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours sur le territoire des autres États membres, pour autant qu'ils remplissent les conditions d'entrée visées à l'article 5, paragraphe 1, points a), c) et e), du règlement (...) du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) et qu'ils ne figurent pas sur la liste de signalement nationale de l'État membre concerné (...)".

En l'espèce, un ressortissant tunisien dont les diverses demandes de titre de séjour ont toutes été rejetées, a été interpellé sur le territoire français le 23 octobre 2018 et a fait l'objet le jour même d'un arrêté préfectoral l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, lui interdisant d'y revenir pendant six mois et fixant le pays de destination.

Cet arrêté a été annulé par le tribunal administratif mais, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé le jugement, en tant qu'il a annulé les décisions par lesquelles le préfet a obligé le requérant à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination ; elle a rejeté les demandes du requérant dirigées contre ces deux décisions.

La cour a motivé son arrêt en objectant au requérant, qui soutenait que son retour depuis moins de trois mois sur le territoire français faisait obstacle à son éloignement, qu'il ne se prévalait d'aucune règle ni d'aucun principe. Ce jugeant elle n'a pas correctement motivé son arrêt dès lors qu'il était soutenu devant elle que l'intéressé avait quitté le territoire français à la suite du refus de séjour qui lui avait été opposé en 2017, qu'il bénéficiait d'un titre de séjour de longue durée délivré par les autorités italiennes et que le droit à la libre circulation qu'il tirait de l'article 21 de la convention d'application de l'accord de Schengen faisait obstacle à ce qu'une mesure d'éloignement soit prise à son encontre. 

Le Conseil d’État annule l'arrêt sans renvoi et fait injonction au préfet de munir immédiatement le demandeur d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas, cela dans le délai maximum de quatre mois. 

(4 février 2021, M. A., n° 436109)

 

109 - Cour nationale du droit d'asile (CNDA) - Procédure - Supplément d'instruction ordonné - Régime - Tenue d'une audience - Absence - Annulation avec renvoi.

Il résulte des art. R. 733-25, 733-28 et 733-29 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

1°/ que le président de la formation de jugement de la CNDA peut, à l'issue de l'audience publique, ordonner un supplément d'instruction ;

2°/ que les productions et observations des parties dans le cadre de ce supplément d'instruction doivent intervenir dans un délai d'un mois à compter de la date de l'audience ;

3°/ qu'à l'expiration de ce délai, il appartient à la formation de jugement de délibérer ;

4°/ que dans le cas où le président de la formation de jugement entend permettre aux parties de produire de nouvelles observations au-delà de ce délai, il doit renvoyer l'affaire à une audience ultérieure. Il en va de même s'il estime nécessaire de recueillir leurs observations orales sur les éléments produits.

En rendant en l'espèce sa décision après avoir ordonné un nouveau supplément d'instruction mais sans tenir d'audience, la formation de jugement de la CNDA a statué dans des conditions irrégulières, notamment au regard des dispositions de l'art. R. 733-2ç du CESEDA, ce qui conduit à la cassation.

(5 février 2021, Office français de protection des réfugiés et apatrides, n° 431131)

 

110 - Réfugié - Conditions de perte de cette qualité (art. L. 711-6 CESEDA) - Deux conditions cumulatives - Apologie publique d'un acte de terrorisme - Absence de qualification comme "acte de terrorisme" - Rejet.

Se fondant sur les dispositions du 2° de l'art. L. 711-6 du CESEDA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin au statut de réfugié d'une personne de nationalité russe et d'origine tchétchène, car condamnée pour apologie publique d'un acte de terrorisme. La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a annulé cette décision et rétabli l'intéressé dans sa qualité de réfugié. L'OFPRA se pourvoit contre cette décision.

Le Conseil d'État rejette le pourvoi en relevant que la disposition précitée ne prévoit la perte de la qualité de réfugié que pour "acte de terrorisme" or si l'apologie publique d'un tel acte constitue bien un délit prévu dans un chapitre du code pénal intitulé "Actes de terrorisme", le législateur n'a pas qualifié l'apologie d'un tel acte comme étant elle-même un acte de terrorisme ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel (18 mai 2018, Jean-Marc R., n° 2018-706 QPC).

Cet angélisme est-il bien encore de saison ?

(12 février 2021, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 431239)

 

111 - Référé liberté - Détenu mis à l'isolement carcéral - Contestation et demande de prise de diverses mesures - Rejet.

Un détenu mis à l'isolement carcéral à raison de multiples violations du règlement de la prison, détention et utilisation massive de son téléphone, possession de cartes SIM, commission, depuis sa cellule de prison, d'escroqueries, au moyen de téléphones poortables, sur 52 personnes âgées, se plaint de ses conditions de détention : il demande à sortir du régime d'isolement cellulaire, exige une expertise aux fins d'apprécier ses états psychologique et psychiatrique, etc.

Rejetant le recours dirigé contre l'ordonnance rejetant sa demande en première instance, le Conseil d'État estime tout d'abord que la mise à l'isolement compte tenu de ses activités insolites au sein de la prison n'est une mesure ni injustifiée ni disproportionnée. Ensuite, il juge le maintien de cette condition de détention compatible avec son état général ainsi que l'atteste le suivi régulier dont il fait l'objet à cet égard.

(ord. réf. 12 février 2021, M. A., n° 448997)

 

Police

 

112 - Référé liberté - Évacuation de campements illégaux de migrants - Instauration de périmètres de sécurité - Atteintes à la liberté d'expression et à la liberté de communication des idées et des opinions - Obstacles inadaptés et disproportionnés à l'exercice effectif du métier de journaliste - Absence - Rejet.

Les requérants, qui exercent le métier de journalistes, se plaignent de ce que les conditions matérielles selon lesquelles se déroulent les démantèlements de campements illégaux de migrants portent atteinte à diverses libertés fondamentales en les empêchant d'exercer effectivement leur métier de journalistes couvrant ces opérations de police.

Le Conseil d’État rejette le recours en relevant, d'une part, que les opérations en cause sont justifiées à raison de l'illégalité des campements, parce qu'elles font suite à des décisions de justice les ordonnant et tendent, en particulier, à protéger les mineurs, et, d'autre part, que les périmètres de sécurité sont justifiés afin de faciliter le travail des forces de l'ordre. Par ailleurs, les mesures critiquées ne privent pas les journalistes de toute visibilité sur le déroulement des opérations de telle sorte qu'ils dépendraient exclusivement des informations délivrées par le service de communication des préfectures ; il en va de même des contrôles d'identité.

La requête est rejetée sans qu'il y ait lieu pour le juge de se prononcer sur la condition d'urgence.

(ord. réf. 3 février 2021, MM. Louis J. et Simon A., n° 448721)

 

113 - Police des circuits de vitesse - Homologation - Conditions d'homologation - Respect - Rejet.

Des associations de riverains d'un circuit de vitesse contestent la légalité tant externe qu'interne de l'arrêté ministériel (intérieur) homologuant ledit circuit.

Tous les moyens sont rejetés.

Au plan externe, le délégataire de signature au nom du ministre avait bien le pouvoir de signer l'arrêté, la Commission nationale d'examen des circuits était régulièrement composée au moment où elle a rendu son avis favorable et elle l'a fait dans des conditions conformes au code du sport, enfin le dossier de demande d'homologation comportait bien les documents le complétant à la demande du préfet et de l'agence régionale de santé.

Au plan interne, les mesures exigées afin de préserver la tranquillité publique notamment concernant le niveau des émissions sonores sont conformes aux dispositions du code de la santé publique en la matière.

(11 février 2021, Association des riverains du circuit de Lédenon et autres, n° 432064)

 

114 - Permis de conduire - Suspension - Détermination du conducteur d'un véhicule - Classement sans suite par le procureur de la république - Appréciation souveraine des juges administratifs du fond - Rejet.

Le Conseil d'État estime que le tribunal administratif a pu juger souverainement, sans dénaturation et sans erreur de droit, que, au vu des pièces du dossier, le requérant  était le conducteur du véhicule dont l'immobilisation, sur le bas-côté de la route, avait conduit au contrôle effectué par la gendarmerie alors même que l'autorité administrative n'avait pas établi de procès-verbal à la suite de ce contrôle routier et que la procédure avait, pour ce motif, fait l'objet d'un classement par le procureur de la République.

On peut ne pas approuver cette solution.

(12 février 2021, M. B., n°427187)

 

115 - Travaux sur un immeuble privé - Préfet de police de Paris imposant des études techniques préalables - Invocation des pouvoirs de police municipale du préfet - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement selon lequel le préfet de police de Paris pouvait, sur le fondement de ses pouvoirs de police municipale, imposer la réalisation d'études techniques préalables à d'éventuels travaux sur un immeuble privé en copropriété alors que ces études visaient à assurer une plus grande sécurité d'un immeuble aux incendies et non d'assurer par elles-mêmes la sécurité de cet immeuble ou de son environnement.

(12 février 2021, Syndicat des copropriétaires de l'immeuble des deux Moulins, n° 428379)

 

116 - Référé liberté - Police spéciale de lutte contre l'urgence sanitaire - Police générale du maire - Interdiction de principe de l'intervention de cette police générale en matière spéciale - Dérogation possible sous deux conditions restrictives et cumulatives - Rejet.

Le maire de Nice avait pris un arrêté interdisant pour les logements de particuliers proposant des hébergements payants temporaires de courtes à moyennes durées, d'accueillir, de recevoir, d'héberger des vacanciers, des touristes ou toute autre personne se déplaçant aux motifs de vacances, villégiatures, tourisme, visites dans la famille ou tout autre motif similaire durant la période du 6 au 20 février 2021. Cet arrêté avait été suspendu par le juge des référés de première instance. La commune a interjeté appel de cette ordonnance, en vain.

Selon le juge la loi du 23 mars 2020 dite d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, aurait institué au profit des autorités étatiques des pouvoirs exclusifs de police sanitaire qui constituent une police spéciale. Le maire, titulaire des pouvoirs de police générale, ne peut édicter des mesures de lutte contre l’épidémie qu’à la double condition qu'elles soient exigées par des raisons impérieuses propres à la commune et qu'elles ne soient pas susceptibles de compromettre la cohérence et l'efficacité des mesures prises par l'État dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale.

Le raisonnement reprend intégralement celui qui avait été adopté dans l'ordonnance du 17 avril 2020 (Commune de Sceaux, n° 440057 ; V. cette Chronique, avril 2020 n° 43) et il est toujours aussi peu convaincant.

D'une part, on chercherait vainement l'institution d'une police spéciale dans les art. L. 3131-13, L. 3131-15, L. 3131-19 et L. 3131-22 du code de la santé publique, dans la rédaction que leur a donnée la loi d'urgence sanitaire et sur lesquels le Conseil d'État s'appuie. D'autre part, a fortiori et surtout, on trouverait évidemment encore moins une exclusion de toute compétence de la police générale du maire en matière d'épidémie notamment (cf. les termes sans équivoque du 5° de l'art. L. 2212-2 du CGCT), cette exclusion, qui concernerait un texte législatif, devant revêtir un caractère exprès.

(ord. réf. 16 février 2021, Commune de Nice, n° 449605)

 

Professions réglementées

 

117 - Masseur-kinésithérapeute - Demande de l'nscription de la mention "conseil en micronutrition" - Refus - Rejet.

Est, sans surprise, rejeté le recours d'une masseuse-kinésithérapeuthe contre le refus du conseil national de son ordre de l'autoriser à ajouter à ses compétences propres la faculté de conseiller ses patients en "micronutrition".

Le refus de cet ordre de reconnaître le diplôme d'université d'études complémentaires en " micronutrition " délivré en 2018 par l'université de Strasbourg est jugé justifié car cette discipline ne présente pas de liens suffisants avec la masso-kinésithérapie.

(19 février 2021, Mme B., n° 432994)

(118) V. aussi, voisin, à propos d'une décision du conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes refusant de reconnaître la micro-kinésithérapie et le titre de micro-kinésithérapeute : 19 février 2021, Association Microkiné France, n° 440021.

 

119 - Masseurs-kinésithérapeutes - Décision de rejet annulée par le juge - Nouveau rejet fondé pour des motifs identiques en l'absence de changement de fait ou de droit de la situation - Violation de l'autorité de chose jugée - Illégalité - Annulation.

(19 février 2021, M. A., n° 439649) V. n° 9

 

120 - Infirmier - Sanction disciplinaire pour nombre excessif de cotations journalières - Rejet par une instance ordinale d'une demande de reversement d'honoraires à une caisse de sécurité sociale - Violation de l'autorité de chose jugée - Cassation sans renvoi (second pourvoi).

En refusant, dans le cadre d'une instance disciplinaire, d'ordonner à un infirmier sanctionné, de reverser à la caisse demanderesse les honoraires irréguliers pour défaut de production par cette dernière d'éléments nouveaux permettant d'apprécier la réalité de certains des actes reprochés et la justification de leur facturation, la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins a violé l'autorité de chose jugée attachée à une décision antérieure du Conseil d'Etat ayant tranché cette question en sens inverse.

La cassation était inévitable et, s'agissant d'un second pourvoi, elle conduit le juge à statuer au fond dans une longue décision dont la lecture montre le souci du Conseil d'État dans la précision de l'analyse.

(24 février 2021, Caisse primaire d'assurance maladie de Bayonne, n°420777)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

121 - Réfugié - Décision mettant fin à ce statut - Faculté pour le président d'une formation de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) de décider le huis clos des débats (art. L. 733-1-1 CESEDA) - Faculté pour la CNDA de recueillir des informations auprès du juge judiciaire (art. L. 713-5 CESEDA) - Rejet des deux QPC.

Le requérant auquel le statut de réfugié a été supprimé par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) confirmée par la CNDA, soulevait deux questions préjudicielles.

La première tendait à contester la constitutionnalité des dispositions de l'art. L. 733-1-1 du CESEDA en ce qu'elles permettent au président d'une formation de la CNDA de prononcer le huis clos sans ce que ce pouvoir soit encadré par la loi. Celle-ci décide que l'exercice de ce pouvoir n'est possible que "si les circonstances de l'affaire l'exigent", sans préciser en quoi peuvent consister ces circonstances. L'argument est rejeté car le législateur a ainsi tenu compte de la nature des litiges portés devant la CNDA et des enjeux particuliers qu'ils présentent, notamment au regard de l'intimité et de la vie privée des personnes, de la sécurité et de la confidentialité ; par suite, le prononcé du huis clos n'est possible que dans les seuls cas où la sauvegarde de l'ordre public, le respect de l'intimité des personnes ou des secrets protégés par la loi l'exigent. Il n'est ainsi porté atteinte ni au principe de la publicité des débats ni à celui de l'égalité devant la justice.

La seconde QPC visait l'art. L. 713-5 du CESEDA en ce qu'il permet à la CNDA de refuser de faire droit à une demande de mesure d'instruction auprès de l'autorité judiciaire présentée par le requérant. L'argument est rejeté car s'il appartient à la Cour de rechercher les faits pertinents pour lui permettre de fonder sa décision et, pour cela, le cas échéant, de solliciter l'autorité judiciaire en vue d'obtenir des informations recueillies dans le cadre de procédures civiles ou pénales, de telles dispositions ne portent atteinte ni aux droits de la défense, ni à l'égalité devant la justice ni au droit à un procès équitable garantis par les articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789.

Les demandes de renvois des QPC sont rejetées.

(12 février 2021, M. A., n° 439141)

 

122 - Titres nobiliaires - Régimes de leur attribution héréditaire et de leur inscription sur le registre du sceau de France- Impossibilité d'une QPC contre des dispositions législatives inapplicables au litige - QPC irrecevable contre un acte royal de nature souveraine dans l'exercice de son pouvoir administratif - Rejet.

Le requérant, auquel a été refusé par le garde des sceaux le titre de duc de Broglie attribué à son frère cadet (non à lui qui est le frère aîné) et inscrit comme tel au registre du sceau de France, soulève deux QPC.

En premier lieu, est invoquée l'incompétence négative du législateur, aucune disposition du Code civil relatives, d'une part, aux actes de l'état-civil (art. 34, 34-1, 35, 40, 46 et 49) et, d'autre part, aux changements de nom, (art. 61, 61-1, 61-2, 61-3, 61 3-1 et 61-4) ne définissant les règles relatives à la transmission des titres nobiliaires.

Cet argument est rejeté au motif que les dispositions critiquées ne sont pas applicables au litige ce qui est une condition sine qua non de la recevabilité des QPC.

En effet, le Conseil d'Etat rappelle que les titres nobiliaires ne peuvent plus être collationnés, confirmés ou reconnus par une quelconque autorité de la république depuis la promulgation des lois constitutionnelles de 1875 (lois des 24 et 25 février et du 16 juillet 1875). Au reste, le garde des sceaux, en vertu des décrets du 8 janvier 1859 et du 10 janvier 1872, se borne à décider sur les demandes de vérification des titres de noblesse, ce qui le conduit uniquement à examiner les preuves de la propriété du titre par celui qui en fait la demande ; ce faisant, car le titre nobiliaire ne se confond pas avec le nom, il n'exerce aucune compétence qui ferait application des dispositions contestées du Code civil.

En second lieu, est rejetée la QPC tendant à faire juger par le Conseil constitutionnel la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des lettres patentes du roi  Louis XV de juin 1742, enregistrées au Parlement de Paris le 20 août 1742, au vu desquelles les arrêtés litigieux ont été pris, qui prévoient que " le titre, qualité et honneur de duc héréditaire " Broglie est exclusivement transmis de son titulaire à " l'aîné de ses mâles nés et à naître de lui en légitime mariage " car elles ne sont pas de nature législative.

En effet, si certains actes des rois de France constituent des lois, tels la plupart des édits ou des ordonnances, quelques baillettes aussi, c'est à la condition qu'ils aient été pris par le roi selon la procédure alors usitée pour les actes à portée générale et impersonnelle.

En l'espèce, il est jugé que "les actes conférant, confirmant ou maintenant les titres nobiliaires antérieurement à l'instauration de la république constituent des actes de la puissance souveraine dans l'exercice de son pouvoir administratif, y compris en ce qu'ils fixent, le cas échéant, les règles de transmission de ces titres. Par suite, les lettres patentes du roi Louis XV de juin 1742 ne sont pas au nombre des dispositions législatives susceptibles d'être renvoyées au Conseil constitutionnel en application de l'article 61-1 de la Constitution".

Notre requérant aura perdu son procès mais gagné une jolie leçon de droit nobiliaire sous la république.

(12 février 2021, M. B., n° 440401)

 

123 - Décision-cadre n° 2008/909/JAI du Conseil du 27 novembre 2008 - Reconnaissance mutuelle et exécution des jugements rendus en matière pénale dans l'UE - Transfèrement international des détenus - Pouvoir du garde des sceaux (art. 728-10 à 728-22 inclus du c. proc. pén.) - Question de caractère sérieux - Renvoi de la QPC.

Est jugée de caractère sérieux et renvoyée au Conseil constitutionnel la question de savoir si les art. 728-10 à 728-22 inclus du code de procédure pénale portent atteinte à un droit ou à une liberté que garantit la Constitution en tant, d'une part, qu'ils ne prévoient pas de voie de recours contre les décisions du ministère public décidant d'engager, sans le consentement de la personne détenue, une procédure de transfèrement international ou refusant de donner suite à une demande de transfèrement international et, d'autre part, qu'ils ne prescrivent pas de délai au ministère public pour statuer sur une telle demande.

(16 février 2021, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 446531)

 

124 - Transaction commerciale sans facture - Amende égale à 50% du montant de la transaction - Solidarité en paiement du client (art. 1737, I du CGI) - QPC renvoyée au Conseil constitutionnel.

Constitue une question de caractère sérieux justifiant son renvoi au Conseil constitutionnel celle de savoir si le I de l'art. 1737 du CGI porte atteinte au principe de nécessité des peines en tant qu'il prévoit qu'entraîne l'application d'une amende égale à 50 % du montant de la transaction, le fait de ne pas délivrer une facture.

(24 février 2021, Société KF3 Plus, n° 443476)

 

125 - Pensions alimentaires - Régime fiscal - Article 156 du CGI - Cas des pensions pour enfants en résidence alternée - Atteinte ux principes d'égalité devant la loi et les charges publiques - Question de caractère sérieux - Renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel.

Revêt un caractère sérieux la question de sa voir si les dispositions du deuxième alinéa du 2° du II de l'article 156 du CGI (selon lesquelles le contribuable ne peut opérer aucune déduction pour ses descendants mineurs, des pensions alimentaires versées en vertu d'une décision de justice et en cas de révision amiable de ces pensions lorsque ces descendants sont pris en compte pour la détermination de son quotient familial), en tant qu'elles sont applicables  aux parents d'enfants mineurs en résidence alternée en cas de séparation, de divorce, d'instance de séparation ou de divorce, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment aux principes d'égalité devant la loi et les charges publiques.

(24 février 2021, M. B. et Mme G., n° 447219)

 

Responsabilité

 

126 - Enfant victime d'un malaise cardiaque dans la cour d'une école - Soins de premiers secours donnés sur place - Appel tardif aux services de secours - Faute - Faute sans effet sur le préjudice - Annulation de l'arrêt d'appel et confirmation du premier jugement.

Un enfant est victime d'un malaise cardiaque dans une cour d'école ; des soins appropriés lui sont donnés immédiatement puis, les massages cardiaques avec ventilation et utilisation d'un défibrillateur automatique demeurant sans effets, les services de secours sont appelés. Estimant ce délai, de dix minutes, excessif, les premiers juges y aperçoivent une faute résultant d'un défaut d'organisation du service public et ordonnent, par un jugement avant dire droit, une expertise aux fins de déterminer le taux de perte de chance d'éviter le décès de l'enfant lié à ce délai. L'expert a conclu à l'absence de caractère fautif de ce délai en raison notamment de la maladie cardiaque génétique dont l'enfant était atteint, laquelle a provoqué une forte résistance aux manoeuvres de réanimation. Le tribunal a rejeté les requêtes à fins indemnitaires dont il était saisi.

La cour, a annulé le jugement avant dire droit au motif qu'il n'y avait pas eu de faute dans l'organisation du service public et rejeté l'appel formé par les requérants ainsi que leurs demandes d'indemnisation.

Ceux-ci se pourvoient.

Le Conseil d'Etat annule l'arrêt car il y a bien eu faute dans l'organisation du service public. En effet, même formés et équipés pour ce genre d'incident, les personnels de l'école devaient immédiatement alerter les services de secours tout en prodiguant les premiers soins et non attendre que ces derniers aient échoué. Toutefois, comme le tribunal administratif, le Conseil d'Etat considère que le caractère excessif de la durée du délai à appeler les secours " n'a pas eu d'incidence sur les chances de survie de l'enfant, en raison notamment de la maladie cardiaque génétique dont il était atteint, qui a entraîné une forte résistance aux manoeuvres de réanimation, même réalisées par des équipes spécialisées de secours, et de l'importance du délai écoulé jusqu'à la reprise de l'activité cardiaque, au cours duquel des lésions cérébrales sont apparues, qui sont à l'origine de l'encéphalopathie anoxique ayant conduit au décès de l'enfant après plusieurs jours d'hospitalisation en service de réanimation".

Le rejet des requêtes est confirmé.

(12 février 2021, Mme D. et autres, n° 429801)

 

127 - Travailleur exposé à l'amiante - Bonification de retraite au titre de travaux insalubres - Indemnisation du préjudice d'anxiété - Rejet.

Un agent de la direction des constructions navales (DCN) de Toulon y ayant travaillé en qualité d'ouvrier de l'État, a obtenu, par application d'un arrêté ministériel, une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante et une bonification de retraite au titre de l'accomplissement de travaux insalubres. Il a sollicité la réparation du préjudice moral d'anxiété résultant de la crainte de développer une pathologie liée à l'amiante. Il se pourvoit contre l'arrêt confirmatif rejetant sa demande motif pris de ce que l'intéressé n'ayant pas produit de relevé de carrière indiquant l'état exact des services ayant pu risquer de l'exposer aux poussières d'amiante, ni d'attestation d'exposition à l'amiante, la circonstance qu'il ait bénéficié d'une bonification de retraite au titre de travaux insalubres ne suffisait pas à établir les conditions et la durée de son exposition personnelle aux poussières d'amiante et, par suite, à justifier la réparation du préjudice moral d'anxiété invoqué.

Le juge de cassation approuve en tout point cette solution.

(23 février 2021, M. B., n° 439489)

 

128 - Carence dans l'exercice des pouvoirs de police par un maire - Délai de deux ans pour remédier à des désordres résultant du dispositif d'évacuation des eaux usées - Délai d'exécution excessif - Carence fautive - Annulation.

Doit être annulé le jugement estimant que ne révèle pas une carence fautive le délai de deux ans mis par une commune pour mettre un terme aux nuisances olfactives subies par la demanderesse du fait du fonctionnement défectueux du système communal d'évacuation des eaux usées.

(19 février 2021, Mme D., n° 423658)

 

Sport

 

129 - Protection des sites Natura 2000 - Compétitions de sports motorisés - Manifestations se déroulant en dehors des lieux ou parcours fermés de manière permanente à la circulation publique - Obligation de produire une évaluation des incidences Natura 2000 - Obligation s'imposant à toutes les manifestations - Illégalité - Annulation partielle.

(15 février 2021, Fédération française de motocyclisme, n° 431578) V. n° 96

 

130 - Police des circuits de vitesse - Homologation - Conditions d'homologation - Respect - Rejet.

(11 février 2021, Association des riverains du circuit de Lédenon et autres, n° 432064) V. n° 113

 

Urbanisme

 

131 - Permis de construire et permis modificatif - Examen au cas par cas pour l'appréciation du besoin d'une étude d'impact - Prise en considération globale de deux permis de construire des habitats sociaux sur deux parcelles adjacentes - Jugement fondé sur l'existence d'un projet unique - Erreur de droit - Annulation.

Lorsqu'une demande de permis de construire concerne l'édification de bâtiments d'une certaine importance, la réglementation impose un examen au cas par cas afin de déterminer s'il doit donner lieu à une étude d'impact.

En l'espèce, le tribunal administratif avait estimé que si, en vue de la construction de logements sociaux, deux permis avaient été demandés, portant sur deux parcelles, il convenait toutefois de les apprécier globalement pour l'appréciation du point de savoir s'ils relevaient ou non d'une étude d'impact.

A cet effet les premiers juges avaient retenu que les deux permis portaient sur deux parcelles adjacentes, que celles-ci comportaient deux passages communs et que les permis étaient relatifs à des constructions ayant même finalité d'être des logements sociaux. Le Conseil d'État annule pour erreur de droit cette solution car les juges n'ont pas recherché s'il s'agissait bien d'un projet unique, conçu dans sa globalité, qui n'avait fait l'objet d'un fractionnement que pour bénéficier de l'application minimale de la réglementation.

Dans les circonstances de fait de l'espèce on peut estimer cette solution par trop exigeante et bien favorable aux constructeurs, ce qui est tout à fait dans l'air du temps.

(1er février 2021, Société Le Castellet-Faremberts, n° 429790)

 

132 - Annulation d'un document d'urbanisme sans remise en vigueur d'un document d'urbanisme antérieur - Délivrance des permis de construire - Nécessité d'un avis conforme du préfet - Compétence liée du maire en cas d'avis défavorable non en cas d'avis favorable - Annulation avec renvoi à la cour.

Lorsque, dans une commune ou une intercommunalité, la carte communale, le plan d'urbanisme ou le document d'urbanisme en tenant lieu est annulé par le juge ou est abrogé sans remise en vigueur d'un document d'urbanisme antérieur, l'autorité compétente pour délivrer le permis de construire doit recueillir l'avis préalable conforme du préfet (art. L. 442-6 c. urb.).

Interprétant de façon inattendue ces dispositions de l'art. L. 442-6 du code de l'urbanisme, le Conseil d'État estime que le maire n'a compétence liée pour refuser le permis de construire que dans le cas d'un avis défavorable du préfet, en revanche, en cas d'avis favorable du préfet, il n'est pas en situation de compétence liée et n'est donc pas tenu de délivrer le permis sollicité.

(3 février 2021, Commune de Cuttoli-Corticchiato, n° 434335)

 

133 - Permis de construire - Régularisation - Contestation de l'invitation à régulariser - Effets de la régularisation sur le contentieux en cours - Rejet du pourvoi.

Cette décision est intéressante en ce qu'elle revisite plusieurs questions relatives aux conditions et aux effets de la décision du juge, saisi d'un recours en annulation d'un permis de construire, d'inviter le(s) bénéficiaire(s) à en demander la régularisation.

Tout d'abord, il se déduit des dispositions de l'art. L. 600-5-2 du code de l'urbanisme que lorsque, sur le fondement de l'article L. 600-5-1 de ce code, a été rendu un jugement avant dire droit invitant le bénéficiaire à solliciter la régularisation de son permis de construire, les requérants qui sont parties à l'instance ayant donné lieu à ce jugement ne peuvent contester la légalité de la mesure de régularisation, sur laquelle le tribunal les a invités à présenter des observations, que dans le cadre de la même instance. La circonstance qu'ils aient formé appel contre le jugement avant dire droit est sans incidence à cet égard.

Ensuite, il est rappelé que si le juge qui fait usage des pouvoirs qu'il tient de l'art. L. 600-5-1 précité, doit en principe, dans sa décision avant dire droit, se prononcer sur l'ensemble des moyens qu'il estime non fondés, il ne commet pas d'irrégularité en y statuant non dans cette dernière mais dans le jugement mettant fin à l'instance. 

Enfin, après qu'a été prononcé le sursis à statuer dans l'attente de la décision de régularisation, le requérant, dont les autres moyens qu'il avait soulevés ont été rejetés, est recevable à faire appel de ce jugement avant dire droit, d'une part, en tant qu'il a écarté comme non fondés les moyens dirigés contre l'autorisation d'urbanisme initiale et, d'autre part, en tant qu'il a fait application des dispositions de l'art. L. 600-5-1.

Cependant, dès l'intervention de la mesure de régularisation, c'est-à-dire, généralement, la délivrance d'un permis de construire modificatif, les conclusions contestant la mise en oeuvre par le jugement de l'art. L. 600-5-1 sont privées d'objet.

 (5 février 2021, M. et Mme C., n° 430990)

 

134 - Permis de construire - Permis de construire un garage enterré avec rampe d'accès - Recours des voisins immédiats - Présomption d'intérêt à agir - Annulation avec renvoi.

Dans le souci de limiter les recours contentieux contre des autorisations d'urbanisme, le législateur a durci les conditions d'appréciation de l'intérêt à agir des requérants potentiels.

Toutefois, s'il doit exister entre l'autorisation délivrée et celui qui la conteste un lien assez étroit tel que l'autorisation affecte directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'il détient ou occupe régulièrement, (cf. art. L. 600-1-2 c. urb.), en principe cette condition est censée remplie par le voisin immédiat du terrain d'assiette de l'autorisation contestée dès lors qu'il apporte des éléments rendant assez vraisemblable l'atteinte aux intérêts dont il se prévaut sans que, pour autant, il rapporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de son recours. Il s'agit donc d'une présomption simple que le défendeur peut et doit combattre s'il veut en démontrer l'inexactitude ou l'inexistence.

En l'espèce, c'est par suite d'une qualification inexacte des faits que le juge des référés du tribunal administratif a dénié à la requérante un intérêt à agir suffisant alors qu'elle contestait un permis de construire un  garage enterré auquel conduisait une rampe d'accès de vingt mètres de long et de quatre mètres de large, précédée d'un portail électrique d'accès à cette rampe et d'une zone de manoeuvre à l'entrée du garage, le tout étant à édifier sur un terrain situé à moins d'un mètre de la propriété de la requérante.

La solution doit être approuvée.

(5 février 2021, Mme A., n° 439618)

 

135 - Permis de construire - Intérêt à agir - Voisin immédiat - Importance du projet contesté - Annulation du jugement.

Commet une erreur de droit le tribunal administratif qui dénie à un syndicat de copropriété intérêt à agir en annulation du permis de construire sur une parcelle immédiatement voisine de cette copropriété, trois immeubles comportant un total de 74 logements, soit le triplement de la surface actuellement bâtie, et la création de 124 places de parking.

On remarquera la ténuité de la différence, ici, entre l'erreur de droit qui a été retenue, et l'erreur de fait.

(24 février 2021, Syndicat des copropriétaires de la résidence La Dauphine, n° 432096)

 

136 - Association syndicale libre de propriétaires d'un lotissement - Capacité à agir - Recouvrement des droits reconnus à l'art. 5 de l'ordonnance du 1er juillet 2004 dès la mise en conformité de ses statuts - Condition - Annulation.

L'article 60 de l'ordonnance du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires a prévu, au troisième alinéa de son I, dans la rédaction issue de l'art. 59 de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, que ces associations, dès lors que, postérieurement au 5 mai 2008, elles auraient mis leurs statuts en conformité avec les dispositions du titre II de l'ordonnance, recouvreraient l'ensemble des droits énumérés à l'art. 5 de ladite ordonnance. Au rang de ces droits figure celui d'ester en justice.

Interprétant largement le texte, mais respectant en cela l'intention du législateur, le Conseil d'État juge que cette disposition liant directement et immédiatement ce recouvrement des droits à la mise en conformité des statuts, il importe peu que celle-ci intervienne en cours d'instance, ce qui a pour effet de régulariser ipso facto la requête, comme c'est le cas en l'espèce.

Ainsi, doit être annulé le jugement rejetant en pareille circonstance le recours de l'association syndicale pour irrecevabilité.

(24 février 2021, Association syndicale libre de La Joallière, n° 432417)

 

137 - Procédure de déclaration de projet - Opération d'aménagement - Mise en compatibilité du plan d'occupation des sols (POS) - Réunion d'examen conjoint par les personnes publiques associées à l'élaboration de ce document - Nouvelle réunion nécessaire pour aboutir à un procès-verbal de réunion conforme au projet modifié - Nouvelle réunion non nécessaire en cas de compléments apportés au rapport de présentation du document d'urbanisme pour satisfaire aux exigences de l'évaluation environnementale - Annulation de l'arrêt exigeant en l'espèce une nouvelle réunion.

La commune requérante a engagé une procédure de déclaration de projet pour la réalisation d'une opération d'aménagement comprenant 140 logements, dont 80 logements locatifs sociaux, sur des parcelles jusque-là classées en zone agricole, d'une superficie totale de 20 hectares. Cette procédure a conduit à la mise en compatibilité du POS de la commune à la suite d'une réunion d'examen conjoint par les personnes publiques associées à l'élaboration de ce document. Par la suite l'autorité étatique compétente a émis son avis sur l'évaluation environnementale et une enquête publique a été organisée.

La commune ayant produit un document intitulé "addenda au rapport de présentation et évaluation environnementale", comportant une série de réponses aux observations qui avaient été faite au cours de l'enquête publique et du fait de l'avis de l'autorité environnementale et ayant complété sur des éléments de fond le dossier de présentation de la mise en compatibilité du plan d'occupation des sols, le conseil municipal a, ensuite, déclaré ce projet comme étant d'intérêt général et il a approuvé la mise en compatibilité du POS de la commune.

Une association a contesté cette délibération, en vain en première instance, avec succès en appel. La cour administrative d'appel a, en effet, estimé que les compléments apportés au rapport de présentation du document d'urbanisme, qui portaient sur la description et l'évaluation des incidences notables que le document pouvait avoir sur l'environnement, rendaient nécessaire une nouvelle réunion des personnes publiques associées et, jugeant qu'en l'absence de cette nouvelle réunion, le public avait été privé d'une garantie, elle a en conséquence annulé la délibération attaquée.

Cet arrêt est annulé car selon le Conseil d'État, "une nouvelle réunion d'examen conjoint n'a, en principe, pas à être organisée en cas de compléments apportés au rapport de présentation du document d'urbanisme pour satisfaire aux exigences de l'évaluation environnementale en ce qui concerne la description et l'évaluation, prévue au 1° de l'article L. 104-4 du code de l'urbanisme (...), des incidences notables que peut avoir le document sur l'environnement ou l'exposé, prévu au 3° du même article, des raisons pour lesquelles, notamment du point de vue de la protection de l'environnement, parmi les partis d'aménagement envisagés, le projet a été retenu".

Poursuivant sur une tendance jurisprudentielle désormais bien établie, le juge retient une interprétation très souple des dispositions ici en cause.

(24 février 2021, Commune de Cestas, n° 433084)

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