Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Mars 2021

  

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Droit de toute personne à connaître l'identité et la fonction de l'agent public chargé d'instruire sa demande - Champ d'application - Procédure disciplinaire à l'égard d'un détenu - Absence de ces indications sans effet sur la décision - Décision confirmée au fond par substitution de motif.

L'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration, dispose que : " (...) toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées. Si des motifs intéressant la sécurité publique ou la sécurité des personnes le justifient, l'anonymat de l'agent est respecté. "

Un détenu ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire reproche à l'administration de n'avoir pas respecté les dispositions précitées ; une cour administrative d'appel ayant estimé ces dernières inapplicables au compte-rendu établi par l'agent présent lors du manquement d'un détenu à la discipline ou informé de ce dernier, le Conseil d’État juge le contraire.

Toutefois, le non-respect de l'art. L. 111-2 n'entache pas d'illégalité, par lui-même, la décision prise au terme de la procédure par l'administration.

(1er mars 2021, M. B., n° 436013)

 

2 - Décret - Intitulé du décret - Absence d'une quelconque force normative - Rejet.

Rappel de ce que l'intitulé d'un décret n'a aucune valeur normative ; il en va de même de tout autre texte dont les lois et ordonnances.

(4 mars 2021, Mme B., n° 441649)

 

3 - Communication des documents administratifs - Création d'une ZAC en vue de l'établissement d'un éco-quartier - Décision refusant cette communication - Contrôle du juge de l'excès de pouvoir - Moment où se place le juge pour apprécier la légalité de la décision - Rejet.

Sa demande de communication de plusieurs documents administratifs produits dans le cadre de la réalisation d'une ZAC en vue de la création d'un "éco-quartier", notamment de ceux relatifs à la décision de sélection d'un groupement d'aménageurs pour l'aménagement de la ZAC, ayant été rejetée, l'intéressée se pourvoit en Conseil d’État.

Sa requête est rejetée au fond au terme d'un raisonnement qui n'est certes pas nouveau mais qui demeure très intéressant en tant qu'il confirme et accentue une tendance lourde du contentieux administratif.

Le rejet opposé à la demanderesse est fondé sur ce que "tant que cette sélection n'a pas conduit à la conclusion d'un contrat avec un aménageur, les informations relatives à l'environnement (que) contiennent (les documents dont la communication est demandée) ne sauraient, à ce stade, être regardées comme ayant pour objet des décisions ou des activités susceptibles d'avoir des incidences sur l'état des éléments de l'environnement, au sens des dispositions (du) point 5 du 2° de l'article L. 124-2 du code de l'environnement. Par suite, en jugeant que les documents demandés ne pouvaient être regardés comme contenant des informations relatives à l'environnement au sens de cet article L. 124-1 (...), le tribunal administratif n'a commis ni erreur de droit, ni erreur de qualification juridique des faits."

Or pour parvenir à cette conclusion, et c'est ce qui fait l'importance de la décision, il fallait que le juge saisi, juge de l'excès de pouvoir, se place non à la date à laquelle a été pris l'acte en cause (ce qui caractérise le contrôle d'excès de pouvoir) mais à celle où il statue, date on sait qu'elle est caractéristique du contentieux de la pleine juridiction.

C'est pourquoi, préalablement, le Conseil d’État prend soin d'indiquer "(...) par exception au principe selon lequel le juge de l'excès de pouvoir apprécie la légalité d'un acte administratif à la date de son édiction, il appartient au juge, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l'écoulement du temps et l'évolution des circonstances de droit et de fait afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention, de se placer à la date à laquelle il statue."

Certes, en apparence, demeure toujours en vigueur le principe que le juge de l'excès de pouvoir se place au jour de la prise de la décision contestée - comme le rappelle encore la présente décision - mais les exceptions sont allées se multipliant ces dernières années au point que rares vont être les cas dans lesquels le principe sera appliqué.

Si l'on ajoute à cela que le juge de l'excès de pouvoir peut décerner injonction et condamner à astreinte comme celui de la pleine juridiction, il y a de quoi s'inquiéter (ou de se réjouir) pour le maintien de la summa divisio entre excès de pouvoir et plein contentieux.

(1er mars 2021, Mme A., n° 436654)

 

4 - Notice publiée par l'URSSAF des Bouches-du-Rhône sur son site internet - Compétence du juge administratif pour connaître du litige - Absence de caractère décisoire de la partie de la notice contestée - Rejet.

Le litige portait sur la contestation, par la société requérante, de la légalité de deux membres de phrase figurant dans une notice explicative relative aux modalités d'application de la contribution sociale de solidarité des sociétés au titre de l'année 2020 publiée sur le site internet de l'URSSAF des Bouches-du-Rhône.

Tout d'abord se posait une question de compétence juridictionnelle dans la mesure où les contentieux individuels auxquels donne lieu l'assujettissement à la CSG relèvent de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire. Le Conseil d’État, conformément à sa jurisprudence traditionnelle, y aperçoit un acte de nature administrative car il contient l'interprétation qu'il convient de retenir de dispositions législatives. Autant dire qu'il s'agit d'un acte à caractère général et impersonnel.

Ensuite, se posait la question de savoir si l'acte en question, pour administratif qu'il soit, était bien déférable au juge de l'excès de pouvoir. La réponse est négative car cet acte n'est pas décisoire : il ne prend pas position, contrairement à ce que soutenait la requérante, ni directement ni explicitement sur la question de savoir si les redevances et revenus en cause doivent être inclus ou non dans l'assiette de la cotisation sociale de solidarité des sociétés due par l'exploitant du service public de l'eau.

Le recours est rejeté.

(12 mars 2021, Société des Eaux de Trouville Deauville, n° 442602)

 

5 - TVA - Remises accordées par les laboratoires pharmaceutiques à un organisme d'assurance-maladie - Réduction corrélative de la base d'imposition à la TVA - Application du régime institué par la directive 2006/112, art. 90 - Rejet.

Le ministre demandeur au pourvoi contestait l'arrêt par lequel une cour administrative d'appel a jugé que ne doivent pas être comprises dans leur base d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée les remises prévues aux articles L. 162-18 et L. 138-9-4 du code de la sécurité sociale, consenties à l'assurance-maladie, et qui, postérieurement aux opérations de vente des spécialités pharmaceutiques par les entreprises qui les produisent, viennent réduire la contrepartie perçue par ces entreprises.

Pour rejeter le pourvoi, le Conseil d’État se fonde sur les dispositions de l'art. 90 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée telles qu'interprétées par la CJUE (20 décembre 2017, Finanzamt Bingen-Alzey c/ Boehringer Ingelheim Pharma GmbH & Co. KG, aff. C-462/16), lesquelles décident que les remises accordées par une entreprise pharmaceutique à un organisme d'assurance-maladie entraînent une réduction de la base d'imposition en faveur de cette entreprise pharmaceutique lorsque cet organisme rembourse à ses assurés le prix d'achat des produits pharmaceutiques.

En l'espèce, les remises prévues par le code précité, en dépit de la circonstance qu'elles étaient versées aux caisses d'assurances maladies sur le fondement d'une convention conclue avec le Comité économique des produits de santé en application de l'article L. 162-18 du code de la sécurité sociale ou d'un accord conclu sur le fondement de l'article L. 138-19-4 du même code, s'inscrivaient dans le cadre de la participation au financement de la sécurité sociale dans une perspective de régulation des dépenses de santé. Il suit de là que la base d'imposition à la TVA de la société concernée devait être réduite du montant correspondant à ces remises.

(12 mars 2021, Min. de l'Economie, des Fin. et de la Relance, n° 442871)

 

6 - Orientations adoptées par le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel relatives à l'obligation de mobilité conditionnant l'avancement au grade de président - Circulaire du 21 janvier 2020 du secrétaire général du Conseil d’État relative aux avis en vue de l'avancement au grade de président au titre de l'année 2020 - Documents de portée générale à effets susceptibles d'être notables sur les droits ou la situation de certaines personnes - Cas notamment des documents à caractère impératif et des lignes directrices - Étendue du contrôle exercé en cette matière par le juge - Absence de vices d'incompétence, de violation de la légalité applicable ou de caractère réglementaire obligeant à prendre des mesures transitoires - Rejet.

Le syndicat requérant demandait l'annulation, d'une part, des orientations adoptées le 10 décembre 2019 par le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (CSTACAA) relatives à l'obligation de mobilité conditionnant l'avancement au grade de président et, d'autre part, de la circulaire du 21 janvier 2020 du secrétaire général du Conseil d’État relative aux avis en vue de l'avancement au grade de président au titre de l'année 2020, en tant qu'elle reprend ces orientations.

Le recours est rejeté.

Le juge rappelle à titre liminaire le régime juridique - au demeurant assez flou - de cette catégorie de documents interlopes lorsqu'ils sont " susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en oeuvre ". Il indique qu'ont, en particulier mais pas exclusivement, de tels effets ceux d'entre eux ayant un caractère impératif ou présentant le caractère de lignes directrices. L'impérativité permet seule de soumettre ces documents au régime qui va être décrit, elle est une condition sine qua non de l'application de ce régime, en revanche les lignes directrices sont, elles, ipso facto soumises au dit régime.

Dans ce régime, d'une part, le juge examine les vices susceptibles d'affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il émane et, d'autre part,  décide que le recours contre un tel document " doit être accueilli notamment s'il fixe une règle nouvelle entachée d'incompétence, si l'interprétation du droit positif qu'il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s'il est pris en vue de la mise en oeuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure".

Sur la base de ces prémisses, le Conseil d’État relève qu'il est de la compétence du CSTACAA de déterminer, aux termes des art. L. 234-2, L. 234-2-2 et L. 234-7 du cja, " ceux des magistrats ayant soit satisfait à l'obligation de mobilité statutaire, soit exercé des fonctions juridictionnelles pendant trois ans dans une cour administrative d'appel qui doivent être inscrits au tableau d'avancement au grade de président et les y inscrire par ordre de mérite." A cette fin, le CSTACAA s'est doté de lignes directrices préconisant les critères à retenir pour l'établissement du tableau d'avancement ; il a également précisé qu'il pouvait y déroger pour des considérations propres à la situation individuelle d'un magistrat ou à l'intérêt du service. C'est ainsi qu'il a prévu que dans le cadre de l'appréciation " des compétences, des aptitudes et des mérites " des magistrats administratifs ayant satisfait à l'une ou l'autre des obligations mentionnées à l'article L. 234-2-2 du cja, il est susceptible de donner, en principe et à mérite égal, d'une part, la priorité aux magistrats administratifs ayant accompli une mobilité statutaire sur ceux ayant servi en cour administrative d'appel et, d'autre part, parmi tous ceux ayant exercé une mobilité statutaire, la priorité à ceux d'entre eux ayant exercé, dans ce cadre, des fonctions comprenant des responsabilités d'encadrement. 

Examinant successivement les trois éléments de son contrôle de cette catégorie de documents, le Conseil d’État constate qu'aucun des griefs d'illégalité ne saurait prospérer. 1°/ le CSATACAA avait bien compétence, eu égard à ses prérogatives, pour arrêter les lignes directrices litigieuses ainsi que les orientations en découlant et la circulaire du secrétaire général du Conseil d’État, qui se borne à les rappeler, n'est pas davantage entachée d'incompétence. 2°/ les dispositions du décret du 28 juillet 2010 auxquelles il aurait été porté atteinte par les orientations et par la circulaire attaquées n'étant pas applicables à l'avancement des magistrats administratifs au grade de président, lequel relève de dispositions du CJA, le grief d'illégalité est rejeté. 3°/ L'obligation qui s'impose de prévoir, le cas échéant, pour des motifs de sécurité juridique, des mesures transitoires ne s'applique pas en l'espèce car les orientations contestées comme la circulaire litigieuse ne sont pas des actes réglementaires.

Cette décision illustre parfaitement la complexité actuelle du statut des décisions, des actes et des documents de l'administration tant pour ce qui regarde leur régime juridique que pour ce qui concerne leur régime contentieux.

(22 mars 2021, Union syndicale des magistrats administratifs, n° 438202)

(7) Voir, très comparable, à propos de la légalité d'indications données par le collège de l'Autorité nationale des jeux aux opérateurs de jeux et de paris sur l'applicabilité à ces activités de certaines dispositions du code de la consommation, relatives notamment aux clauses abusives des contrats conclus entre un professionnel et un consommateur, ou aux pratiques commerciales déloyales : 24 mars 2021, Association française du jeu en ligne, n° 431786.

 

8 - Tabacs - Vignettes de sécurité à apposer sur les unités de conditionnement des produits du tabac - Objectif de traçabilité - Renvoi par la loi à un décret en Conseil d’État - Incompétence du ministre de l'action et des comptes publics - Annulation.

La société requérante demandait l'annulation de la lettre du directeur général des douanes et droits indirects en date du 27 février 2019 relative aux vignettes de sécurité que les fabricants de tabac doivent apposer sur les unités de conditionnement des produits du tabac, ainsi que de la décision implicite de rejet opposée à son recours gracieux formé le 26 avril 2019.

Pour accueillir le recours, le Conseil d’État relève en premier lieu que, par la lettre attaquée, le directeur général des douanes a explicité les conditions de contrôle et de validation des dispositifs de sécurité sur le fondement du  I de l'art. L. 3512-25 du code de la santé publique qui impose que les unités de conditionnement de produits du tabac fabriqués, importés d'un État non membre de l'Union européenne ou provenant d'un État membre de l'Union européenne comportent un dispositif de sécurité infalsifiable, composé d'au moins cinq types d'éléments authentifiants.

Il relève en second lieu et surtout que l'art. L. 3512-25 de ce code, qui détaille le contenu des indications qui doivent être portées sur les unités de conditionnement, renvoient à un décret en Conseil d’État la détermination des conditions d'application des dispositions de ce code aux unités de conditionnement en matière de traçabilité et de dispositif de sécurité.

Or, en l'espèce, le directeur des douanes avait agi sur délégation du ministre chargé des douanes, sans ce que ce dernier ait reçu compétence en la matière d'une disposition législative du code de la santé publique ou de tout autre et sans que son intervention ne puisse être considérée comme relevant de sa qualité de chef de service en application de la jurisprudence Jamart (Section, 7 février 1936, Rec. Lebon p. 172).

La procédure obligatoire de contrôle préalable et de validation des caractéristiques physiques et techniques des dispositifs de traçabilité et de sécurité mentionnés à l'article L. 3512-25 du code de la santé publique ne pouvait être instituée par le directeur des douanes sur délégation d'un ministre lui-même incompétent à cet effet.

D'où l'annulation prononcée conformément à la requête.

(25 mars 2021, Société British American Tobacco France, n° 433924)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

9 - CNIL - Sanction pour démarchage téléphonique - Infraction continue justifiant l'application rétroactive du règlement général sur la protection des données (RGPD) - Rejet.

Il était reproché à la CNIL d'avoir sanctionné dans des conditions irrégulières une société pour démarchage téléphonique suite à une plainte en ce sens. La requête est rejetée en ses deux chefs principaux d'argumentation.

La requérante invoquait la circonstance qu'ont été sanctionnés des manquements antérieurs à la date d'entrée en vigueur du RGPD alors que ce dernier institue des sanctions plus sévères, en violation du principe constitutionnel de la non-rétroactivité des sanctions plus sévères. Le Conseil d’État estime être en présence d'une infraction continue, ayant commencé avant l'instauration du RGPD et s'étant poursuivie après. Par suite, le grief est rejeté. Cette solution peut se discuter car plutôt que d'une infraction continue il semblerait s'agir d'infractions répétées, chacune autonome dans son irrégularité.

Ensuite, la requérante demandait la clémence en raison des difficultés qu'elle aurait rencontré à mettre en place le nouveau mécanisme. En vain car lui rappelle le juge, les obligations qu'elle n'a pas respectées s'imposaient à elle antérieurement à l'entrée en vigueur du RGPD, en raison de la réglementation qui l'a précédé.

(1er mars 2021, Société Futura internationale, n° 437808)

 

10 -Traitement de données à caractère personnel - Prévention et lutte contre les violences collectives lors de manifestations sportives - Existence d'autres traitements de données personnelles dédiés aux violences commises par des supporters - Rejet.

La présente décision rejette le recours d'une association de supporters tendant à la suspension de l'exécution des articles 2 et 3 du décret du 2 décembre 2020, en tant seulement que les modifications que ces articles apportent aux articles R. 236-12 et R. 236-13 du code de la sécurité intérieure s'appliquent aux personnes susceptibles d'être impliquées dans des actions de violences collectives à l'occasion de manifestations sportives.

En premier lieu, la non-consultation - préalablement à la prise de ce décret - de l'instance nationale du supportérisme prévue par l'article L. 224-2 du code du sport n'est pas illégale car les dispositions litigieuses " ne sont pas spécifiques aux supporters mais concernent toutes les personnes dont l'activité peut porter atteinte à la sécurité publique".

En deuxième lieu, est rejeté l'argument tiré de ce que le texte attaqué procéderait à une extension du champ des données personnelles collectées, cela en violation de l'art. 4 de la loi informatique et libertés. Toutefois, il n'en est pas ainsi en l'espèce car les dispositions contestées ne visent que les actions de violences collectives exercées en milieu urbain ou à l'occasion de manifestations sportives - qu'elles soient ou non le fait de supporters - mettant en danger la sécurité publique et n'autorisent l'enregistrement de données personnelles que dans la stricte mesure où elles sont nécessaires à la poursuite des finalités du traitement. 

Enfin, est rejeté l'argument tiré de l'existence d'autres traitements de données qui eussent plus opportunément pu servir de support aux dispositions contestées.

(ord. réf. 2 mars 2021, Association nationale des supporters, n° 449429 et n° 449432, deux espèces)

 

11 - CNIL - Compétence pour prononcer une injonction de mise en conformité d'un traitement de données avec les obligations résultant de l'article 82 de la loi " informatique et libertés " - Existence d'un "guichet unique" excluant la compétence de la CNIL - Rejet.

La CNIL a adressé à la société Google LLC une injonction de mettre en conformité le traitement de données à caractère personnel consistant en des opérations d'accès ou d'inscription d'informations dans les terminaux des utilisateurs résidant en France lors de l'utilisation du moteur de recherche Google Search avec les obligations résultant de l'article 82 de la loi " informatique et libertés ". La CNIL a enjoint Google d'informer les personnes concernées au préalable et de manière claire et complète, par exemple sur le bandeau d'information présent sur la page d'accueil du site " google.fr " : 1°/ des finalités de tous les cookies soumis au consentement, 2°/ des moyens dont elles disposent pour les refuser " et elle a assorti cette injonction d'une astreinte de 100 000 euros par jour de retard " à l'issue d'un délai de trois mois suivant la notification de sa délibération avec obligation que les justificatifs de la mise en conformité aient être adressés à la formation restreinte de la CNIL dans ce délai.

Les requérantes, par la voie d'un référé suspension, ne contestaient pas l'objet de l'injonction, à savoir la réglementation des cookies, mais estimaient que la CNIL n'était pas compétente pour cela, cette prérogative appartenant, selon les requérantes, à l'autorité de contrôle de l'établissement principal du traitement en application du mécanisme dit du guichet unique prévu par l'article 56 du règlement du 27 avril 2016, c'est-à-dire, en l'espèce, l'autorité irlandaise, la société Google Ireland Limited étant l'établissement principal de Google en Europe.

Rejetant le moyen, le juge des référés du Conseil d’État affirme que si les conditions de recueil du consentement de l'utilisateur prévues par le règlement du 27 avril 2016, tel qu'interprété par la CJUE (1er octobre 2019, Bundesverband der Verbraucherzentralen und Verbraucherverbände – Verbraucherzentrale Bundesverband eV c/ Planet49 GmbH, C-673/17), sont applicables aux opérations de lecture et d'écriture dans le terminal d'un utilisateur, cette technique dite du "guichet unique" ne concerne pas les mesures de mise en oeuvre et de contrôle de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 qui relèvent de la seule compétence des États membres en application des dispositions mêmes de l'article 15 bis de cette directive, lesquelles font donc, ici, obstacle à l'application des dispositions sur le guichet unique institué par le règlement précité du 27 avril 2016.

(ord. réf. 4 mars 2021, Sociétés Google LLC et Google Ireland Limited, n° 449212)

 

12 - Référé liberté - Vaccination contre le Covid-19 - Convention conclue entre l'État et une société prestataire - Société recourant aux services d'un hébergeur de données personnelles basé aux États-Unis - Incompatibilité avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) - Absence en raison des mesures prises par la société cocontractante avec l'État - Rejet.

Pour gérer la prise de rendez-vous en vue d'injections pendant la campagne de vaccination contre le Covid-19, le ministère de la santé a conclu des contrats de prestations de services en ce sens avec trois sociétés. L'une d'elles, Doctolib, fait héberger ses données auprès d'une société américaine.

Les requérants considèrent que la législation américaine n'est pas compatible avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) applicable dans l'UE. Ils demandent la suspension du partenariat État-Doctolib et que soit ordonné le recours à d'autres modalités de prises de rendez-vous respectueuses du droit à la protection des données.

Le juge des référés du Conseil d’État reconnaît l'incompatibilité entre le régime américain et les exigences du RGDP ainsi que du règlement du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (en particulier avec les art. 28, 44, 46 et 48) tel qu'interprété par un arrêt de grande chambre de la CJUE  (16 juillet 2020, Data Protection Commissioner contre Facebook Ireland Ltd et Maximillian Schrems, aff. C-311/18). Toutefois, il considère que les mesures prises par la société Doctolib (absence de données de santé figurant sur la prise de rendez-vous, suppression des données dans les trois mois de la date du rendez-vous, protocole particulier de contrôle des demandes de l'autorité publique contrevenant à la réglementation européenne, chiffrement des données par un tiers de confiance situé en France) sont de nature à pallier les risques dénoncés par la demande de référé. Celle-ci est rejetée

La masse des précautions prises laisse rêveur sur le degré d'autonomie numérique de l'UE et de ses États-membres.

(ord. réf. 12 mars 2021, Association InterHop et autres, n° 450163)

 

Biens

 

13 - Greffiers des tribunaux de commerce - Occupation du domaine public - Obligation de détenir un titre régulier d'occupation et d'acquitter une redevance - Distinction entre leurs missions de service public (exonérées) et celles de leurs activités qui en sont détachabers (soumises) - Annulation et rejet partiels.

Etaient en cause les art. L. 2122-1 et 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques qui permettent aux propriétaires des locaux où sont installés les tribunaux de commerce d'assujettir les greffiers de ces tribunaux à une redevance pour occupation de dépendances du domaine public.

Le Conseil d’État décide que la partie des locaux qui est utilisée par eux pour la mise en oeuvre du service public de la justice commerciale auquel sont affectés les locaux des tribunaux de commerce ne constitue pas une utilisation privative et n'a donc pas à être soumise au versement d'une redevance. En revanche, l'occupation par les greffiers de locaux pour l'exercice des missions distinctes, de nature non juridictionnelle, qui leur sont par ailleurs confiées par les lois et règlements, telles que la tenue du registre du commerce et des sociétés ou celles relevant des centres des formalités des entreprises, est soumise à redevance dans la proportion des surfaces occupées.

(12 mars 2021, Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, n° 442284)

 

14 - Domaine public maritime - Plage - Installation temporaire de meubles par une société hôtelière - Caractère d'occupation privative en lien avec l'exercice d'une activité commerciale - Urgence à retirer un ponton non démontable implanté sur le domaine public maritime - Pouvoir souverain d'appréciation du juge du fond - Rejet.

C'est sans erreur de droit ou de fait et dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation qu'un tribunal administratif :

- considère que la mise en place par une société hôtelière, au droit de l'établissement qu'elle gère en bordure d'une plage, de parasols et de transats, constitue une occupation privative du domaine public irrégulière dès lors, d'une part, qu'elle n'a pas été autorisée, et d'autre part, que la mise en place et l'enlèvement de ces mobiliers sont effectués par le personnel de l'établissement non par les clients, chacun pour son compte ;

- aperçoit une urgence à enlever un ponton non démontable afin de permettre le libre accès des piétons à la plage et l'exercice des prérogatives et missions de service public, notamment de sécurité, en tout point du domaine public.

(12 mars 2021, Société Hôtelière d'Exploitation de la Presqu'île et M. B., n° 443392)

 

15 - Domaine public fluvial - Objets gênants pour la navigation ou la sécurité - Cas des "bateaux-logements" - Contravention de grande voirie - Rejet d'une demande de renvoi d'une QPC - Rejet du recours.

Le code général de la propriété des personnes publiques prévoit que les personnes (riverains, mariniers et autres) qui négligent d'enlever les objets encombrants faisant obstacle à la navigation fluviale ou à sa sécurité, sont redevables d'une amende, de la confiscation de l'objet encombrant et de la mise à leur charge des frais d'enlèvement d'office par l'administration (art. L. 2132-9 CGPPP).

Les requérants, qui sont propriétaires d'un bateau-logement, forment une QPC à l'encontre de l'art. susrappelé du CGPPP. Leur requête est rejetée.

Contrairement à ce qui est soutenu, l'enlèvement d'office des encombrants ainsi que la confiscation ne sont pas des sanctions à caractère de punition mais des mesures d'action domaniale destinées à assurer le maintien du domaine public dans un état permettant d'en faire un usage conforme à sa destination. Il s'ensuit l'inopérance de l'invocation, ici, de l'art. 8 de la Déclaration de 1789.

Ensuite, le juge rappelle deux règles procédurales propres aux actions en QPC : d'une part, ne peut être invoquée dans ce cadre la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, et, d'autre part, ne peut être soulevée pour la première fois devant le Conseil d’État, un grief qui n'a pas été présenté dans l'instance s'étant déroulée devant le premier juge. L'un et l'autre sont déclarés irrecevables.

Enfin, ne sont pas admis non plus les moyens tirés :

- de ce que l'amende aurait un caractère disproportionné et violerait le principe de nécessité des peines alors qu'elle est fixée par le juge, lequel prend en considération toutes les circonstances de l'affaire, et que son montant maximum est de douze mille euros ;

- l'amende, destinée à sanctionner la nécessaire protection d'un usage de la dépendance fluviale conforme à sa destination, infligée après mise en oeuvre du principe du contradictoire, tout comme la confiscation et le remboursement des frais d'enlèvement, ne portent pas une atteinte excessive au respect de la vie privée comme à l'inviolabilité du domicile s'agissant d'un logement ou au droit de propriété.

(12 mars 2021, M. et Mme B., n° 448007)

 

16 - Bien classé monument historique et trésor national - Rejet d'une demande d'autorisation de travaux - Refus annulé par une cour administrative d'appel - Demande de sursis à l'exécution de cet arrêt - Conditions d'octroi du sursis remplies - Sursis ordonné.

La tombe de Tania Rachewskaïa, y compris le groupe sculpté " Le Baiser " de Constantin Brancusi et son socle formant stèle, située au cimetière du Montparnasse, a été classée monument historique et trésor national.

Une autorisation de travaux a été sollicitée par diverses personnes ou sociétés, elle leur a été refusée.

Sur leur recours, la cour administrative d'appel, infirmant le jugement du tribunal administratif, a annulé le refus d'autorisation de travaux et enjoint de procéder au réexamen de la déclaration de travaux.

La ministre de la culture se pourvoit en arguant, d'une part, de ce que cet ensemble est désormais sans aucune protection ce qui est de nature à entraîner des conséquences difficilement réparables et, d'autre part, de ce que la subordination par la cour de la qualification d'immeuble par nature donnée à la sculpture à la preuve de l'intention de son auteur de la concevoir dans le but de l'incorporer à la sépulture, constitue une erreur de droit. Le Conseil d'Etat, voyant là un moyen sérieux, fait droit, pour les mêmes motifs, à la demande ministérielle de sursis à l'exécution de cet arrêt.

(31 mars 2021, Ministre de la culture, n° 447968)

V. aussi n° 35

 

Collectivités territoriales

 

17 - Création d'une commune nouvelle - Nouvelle commune créée par fusion de trois communes - Absence de consultation préalable d'un comité technique - Consultation constituant une garantie - Rejet du pourvoi.

Ne commet ni une erreur de droit ni une dénaturation la cour administrative d'appel qui prononce l'annulation de l'arrêté préfectoral créant une commune nouvelle par fusion de trois existantes au double motif que devait être consulté, préalablement à cette décision, le comité technique des communes existantes et que cette consultation constituant une garantie pour le personnel son omission entache d'irrégularité ledit arrêté.

(10 mars 2021, Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 433584)

(18) V. identique : 10 mars 2021, Association " Les voix des riverains de la Seine " et autres, n° 433562.

 

19 - Spectacles - Subvention municipale à la création d'un complexe cinématographique - Conditions de légalité - Absence - Annulation.

Sont illégales la délibération d'un conseil municipal et la convention qui en résulte, accordant une subvention en vue du financement d'un projet de création d'un établissement de spectacle cinématographique de huit salles dans une commune alors que l'art. L. 2251-4 du CGCT n'autorise l'octroi de subventions à cette fin qu'aux salles réalisant une moyenne hebdomadaire inférieure à 7500 entrées ou qui font l'objet d'un classement "art et essai", condition non satisfaite en l'espèce.

Par ailleurs, la société requérante, qui exploite un cinéma dans la même commune, justifie d'un intérêt lui donnant qualité à agir contre une délibération approuvant l'octroi d'une subvention pour la création d'un établissement concurrent.

(10 mars 2021, Société Royal Cinéma et M. B, n° 434564)

 

Contentieux administratif

 

20 - Recours des militaires - Commission des recours des militaires - Litige relevant du plein contentieux - Absence de décision expresse - Détermination du délai de recours contentieux - Cas d'une décision implicite née antérieurement au 1er janvier 2017 - Avis de droit.

Dans cet avis contentieux le Conseil d’État répond aux deux questions suivantes : 1°/ le délai de recours contentieux court-il lorsque la saisine de la commission des recours des militaires n'a été suivie d'aucune décision expresse en matière de plein contentieux ? 2°/ En cas de réponse affirmative à la question précédente, selon quelles modalités a couru le délai de recours contre une décision implicite relevant du plein contentieux née antérieurement au 1er janvier 2017 ?

Il faut rappeler, pour bien situer le contexte de ces questions, d'une part, que de nombreux recours contentieux formés par des militaires relativement à des questions concernant leur état doivent obligatoirement être précédés d'une saisine en ce sens de la commission des recours des militaires et, d'autre part, que les dispositions du décret du 2 novembre 2016 relatif à certains délais de recours contentieux, est entré en vigueur le 1er janvier 2017.

En réponse à la première question, le Conseil d’État indique que le délai de recours contentieux de deux mois (art. R. 421-2 cja) à l'égard des décisions implicites de rejet est applicable aux recours formés contre les décisions relevant du plein contentieux, y compris lorsque la décision litigieuse a été prise par ou après avis d'une assemblée locale ou d'un organisme collégial. Il suit de là, en l'espèce, que la commission de recours des militaires disposant de quatre mois à compter de sa saisine par l'intéressé pour lui notifier la décision du ministre, le recours de plein contentieux doit être formé dans les deux mois de l'expiration du délai de quatre mois. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'un recours excès de pouvoir ce délai ne peut être appliqué.

Concernant la réponse à la seconde question, il convient de rappeler que jusqu'à l'intervention du décret de 2016, en matière de plein contentieux, seule une décision explicite portée régulièrement à la connaissance de l'administré faisait courir le délai de recours contentieux.

Eclaircissant une matière complexe, le Conseil d’État indique quatre choses.

1°/ Les décisions implicites de rejet intervenues en matière de plein contentieux nées avant le 1er janvier 2017 ne sont pas affectées par les dispositions du décret du 2 novembre 2016 : le délai de recours contentieux n'a pas, en ce cas, commencé à courir à compter de la date à laquelle elles sont nées.

2°/ Cependant, les dispositions entrées en vigueur le 1er janvier 2017 ont été rendues applicables aux requêtes enregistrées à partir de cette date.

3°/ Toutefois ces dernières ne pouvaient pas déroger à ce qui constitue un principe général du droit processuel, à savoir l'impossibilité de porter atteinte rétroactivement à un droit acquis sous l'empire du droit positif existant à la date laquelle le délai de recours contentieux a commencé à courir.

4°/ Dès lors que la situation litigieuse n'était pas constituée à la date du 1er janvier 2017, était supprimée l'ancienne exception que constituait le régime spécifique du délai de recours contre les décisions implicites de rejet en matière de plein contentieux. En effet, de ce que le délai de recours contentieux ne commençait à courir qu'à compter de la notification d'une décision explicite de rejet il ne s'ensuivait pas, pour les intéressés, un droit acquis à ce que tout rejet tacite rendu en plein contentieux pouvait être contesté indéfiniment.

Les décisions implicites de rejet nées antérieurement à l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2017, des dispositions du décret du 2 novembre 2016 devaient donc être contestées au contentieux dans les deux mois de cette entrée en vigueur.

(Avis, 4 mars 2021, M. B., n° 445956)

 

21 - Avocats à la Cour de cassation et au Conseil d’État - Conditions d'accès à la profession - Dispenses de certaines obligations selon les catégories de candidats - Cas des membres et anciens membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel - Dispense soumise à condition d'ancienneté dans leur corps - Absence d'erreur manifeste d'appréciation - Rejet.

L'ordonnance du 10 septembre 1817 qui fixe notamment les conditions d'accès à la profession d'avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, dispense les membres et anciens membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel de conditions de diplôme et d'inscription pendant un an au moins au tableau d'un barreau ainsi que de la formation à la profession d'avocat  sous condition de justifier d'une pratique d'au moins huit années d'exercice professionnel dans leur corps. Ces dispositions ne sont point entachées d'une erreur manifeste d'appréciation et, en prévoyant des régimes distincts d'accès à cette profession pour d'autres catégories de personnes, elles ne méconnaissent point le principe d'égalité.

(5 mars 2021, M. C., n° 428609)

 

22 - Membres du Conseil d’État - Demande de récusation - Personnes ne faisant pas partie de la formation de jugement devant connaître du litige - Non-lieu à statuer.

Dans un litige portant sur une demande de renouvellement d'une allocation temporaire d'invalidité le requérant sollicitait la récusation de certains membres du Conseil d’État. Aucun d'eux ne faisant partie de la formation devant se prononcer sur ce litige, la demande de récusation est rejetée car sans objet.

(5 mars 2021, M. B., n° 432425)

 

23 - Recours gracieux contre une décision - Objet d'un tel recours - Rejet de ce recours - Formation postérieure d'un recours contentieux - Recours devant être considéré comme dirigé contre la décision initiale non contre les vices propres de la décision rejetant le recours gracieux - Délai du recours contentieux - Rejet.

Rappel, en termes très pédagogiques du sens, de la fonction et des effets d'un recours gracieux ainsi que des conséquences de son rejet : " Il est toujours loisible à la personne intéressée, sauf à ce que des dispositions spéciales en disposent autrement, de former à l'encontre d'une décision administrative un recours gracieux devant l'auteur de cet acte et de ne former un recours contentieux que lorsque le recours gracieux a été rejeté. L'exercice du recours gracieux n'ayant d'autre objet que d'inviter l'auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d'un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l'autorité administrative. Il appartient, en conséquence, au juge administratif, s'il est saisi dans le délai de recours contentieux qui a recommencé de courir à compter de la notification du rejet du recours gracieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, d'interpréter les conclusions qui lui sont soumises comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale."

(5 mars 2021, Mme B., n° 433529)

 

24 - Conclusions et appel incidents - Régime procédural - Conclusions soulevant un litige distinct - Délai d'introduction de l'appel incident - Conclusions irrecevables et appel entaché de forclusion - Rejet.

Les solutions contenues dans cette décision qui portent sur un litige d'ordre fiscal valent en toute matière. Le contribuable avait été assujetti à des rappels d'impôt sur le revenu assortis d'une pénalité de 40%, de cotisations sociales et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Le ministre des finances ayant interjeté appel du jugement qui avait fait partiellement droit aux demandes du contribuable, ce dernier se pourvoit contre l'arrêt ayant annulé le jugement et rejetant son appel incident.

Le Conseil d’État rappelle deux principes régissant l'appel incident en contentieux administratif.

En premier lieu, l'appel incident ne peut pas porter sur un litige distinct de celui qui est l'objet de l'appel principal puisqu'en ce cas il n'est qu'un second appel principal parallèle au premier et doit respecter les exigences procédurales propres à la formation d'un appel principal. Ici l'appel principal du ministre portait sur l'impôt lui-même tandis que l'appel prétendu "incident" avait pour objet de contester les pénalités mises à la charge du contribuable par la juridiction d'appel : il y avait là deux litiges distincts. L'appel incident était donc irrecevable.

En second lieu, le délai dans lequel est enfermée la possibilité d'interjeter appel ne s'impose pas à l'auteur d'un appel incident puisque, par hypothèse, un tel appel ne porte pas sur un litige nouveau et réagit à un appel principal déjà formé. Il peut donc être introduit, et c'est l'un de ses principaux intérêts, après expiration du délai d'appel. Mais, pour cela il doit réellement constituer un appel incident sinon la forclusion est encourue. En l'espèce, comme indiqué ci-dessus, l'appel n'était pas incident car il ne constituait qu'un appel principal parallèle à celui introduit par le ministre des finances ; il aurait donc dû être formé dans le délai normal d'appel. Faute de se trouver dans ce cas, l'appel prétendu incident était, ici, entaché de forclusion.

(8 mars 2021, M. B., n° 434803)

 

25 - Permis de construire - Demande d'annulation - Demande rejetée - Omission de réponse à moyen - Annulation et renvoi.

Motive insuffisamment son jugement le tribunal administratif qui, saisi d'une demande d'annulation d'un permis de construire fondée sur deux motifs rejette l'un (invocation d'un préjudice de vue sur la parcelle des requérants) et ne se prononce pas sur le second (illégalité du permis en ce qu'il autorise, pour certains lots, des balcons et fenêtres). Le jugement défectueux est annulé.

(10 mars 2021, M. E. et autres / Commune de Chanteloup-en-Brie, n° 430623)

(26) Voir, comparable mutatis mutandis, pour non-réponse à des moyens d'inconstitutionnalité dans le cadre d'un litige fiscal : 8 mars 2021, Société Comasud, n° 431550.

 

27 - Recours en rectification d'erreur matérielle - Exigence d'impartialité - Participation d'un juge ayant siégé lors de l'instance ayant conduit à prendre la décision dont rectification est demandée - Irrégularité - Cassation.

Le juge qui a participé à la formation qui a rendu le jugement dont rectification pour cause d'erreur matérielle est demandée ne peut, à peine de violation du principe d'impartialité, statuer sur la demande de rectification.

La solution pourrait surprendre si le recours en rectification d'erreur matérielle n'était, comme ce fut le cas à son origine, qu'un recours destiné à corriger les simples erreurs de plume. Depuis, ce recours a une portée plus large et surtout plus substantielle d'où la solution, justifiée, retenue ici par le juge.

(11 mars 2021, M. B., n° 434983)

 

28 - Notification d'un jugement - Avis de réception de cette notification - Avis sans date de distribution ni de réexpédition - Absence de certitude de la notification - Dénaturation de pièces par l'arrêt affirmant le contraire - Cassation.

Doit être cassé en ce qu'elle dénature une pièce d'un dossier contentieux l'ordonnance d'appel affirmant qu'une requérante avait reçu notification d'un jugement alors que l'avis de réception du pli contenant ce dernier, s'il indique avoir été présenté à l'adresse de la requérante n'indique ni la date de sa distribution ni celle de sa réexpédition.

(11 mars 2021, Mme A., n° 436971)

 

29 - Référé - Office du juge des référés - Modification d'un décret - Incompétence du juge des référés - Rejet.

Il n'entre pas dans l'office du juge des référés d'enjoindre au premier ministre de modifier un décret. Il est remarquable que le rejet soit opéré sur l'incompétence de la juridiction saisie alors que le recours était entaché de forclusion.

(ord. réf. 10 mars 2021, M. B., n° 450214)

 

30 - Référé mesures utiles (art. L. 521-3 cja) - Recours contre les mesures disciplinaires arrêtées par le Conseil supérieur de la magistrature - Demande d'introduction d'un recours en révision valant voie de droit - Constat de la caducité d'une note ministérielle en la matière - Rejet.

Si le juge des référés de l'art. L. 521-3 cja peut prescrire toutes mesures ayant un caractère provisoire ou conservatoire, à condition que ces mesures soient utiles, justifiées par l'urgence, qu'elles ne fassent obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative et ne se heurtent à aucune contestation sérieuse, les mesures sollicitées en l'espèce, tendant, d'une part, à ce que soit ordonnée l'inscription dans le statut de la magistrature de l'exercice du recours en révision comme valant voie de droit effective contre les décisions disciplinaires prononcées par le Conseil supérieur de la magistrature et, d'autre part, que soit prononcée la caducité de la note établie par le ministère de la justice relative au recours en révision qu'il a formé le 23 avril 1981 contre la décision du Conseil supérieur de la magistrature du 8 février 1981 qui lui est opposée, n'entrent pas dans le champ des mesures, de nature provisoire ou conservatoire, que le juge des référés peut ordonner sur le fondement de l'article L. 521-3 du cja. Par suite, ces conclusions sont manifestement irrecevables. 

(ord. réf. 15 mars 2021, M. A., n° 449016)

 

31 - Exception d'illégalité ou contestation du refus d'abroger un acte prétendu irrégulier - Moyens seuls invocables - Effets sur l'art. L. 600-1 c. urb. - Rejet.

(24 mars 2021, M. A. c/ Commune de Saint-Sauveur-de-Puynormand, n° 428462)

V. n° 153

 

32 -Référé mesures utiles - Requête en expulsion d'un hébergement d'urgence - Absence de convocation à une audience et de connaissance de celle-ci - Annulation de l'ordonnance rendue dans ces conditions.

Le préfet de Saône-et-Loire a saisi le 20 décembre 2019 le juge des référés du tribunal administratif de Dijon d'une requête tendant à l'expulsion de M. A. et de Mme C. du logement géré par le dispositif d'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile qu'ils occupaient à Ciry-le-Noble (Saône-et-Loire).

Le préfet a pris connaissance de la demande de notification administrative à M. A. et Mme C. de sa requête et de la date de l'audience le 31 décembre 2019 à 10h26, soit 34 minutes avant le début de celle-ci fixée à 11heures le même jour. Ainsi, les requérants n'ont pas été informés de l'existence de cette audience avant sa tenue. Ils sont ainsi fondés à soutenir que l'ordonnance attaquée du 31 décembre 2019 a été rendue à la suite d'une procédure irrégulière.

Le juge des référés du Conseil d'Etat est donc à la cassation.

(ord. réf. 30 mars 2021, M. A. et Mme C., n° 438858)

 

33 - Procédure devant la Cour nationale du droit d'asile - Dépôt d'une note en délibéré - Note non visée dans l'arrêt de la Cour - Irrégularité - Cassation.

A été rendu dans des conditions irrégulières conduisant à sa cassation l'arrêt de la CNDA qui ne vise pas la note en délibéré que le requérant lui avait transmise le 26 septembre 2019 via l'application " CNDém@t ", après l'audience qui s'est tenue le 20 septembre 2019 et avant la lecture de sa décision le 27 septembre 2019. 

(30 mars 2021, M. B., n° 439960)

 

34 - Sursis à l'exécution d'un jugement - Communication de documents administratifs - Documents soumis à un régime spécial de communication et couverts par le secret médical et professionnel - Caractère irréversible de cette communication - Sursis à l'exécution du jugement ordonné.

Une association avait obtenu d'un tribunal administratif l'annulation de la décision d'un centre hospitalier lui refusant la communication d'une copie du registre de contention et d'isolement de l'établissement correspondant à l'année 2017 et du rapport annuel établi pour cette même année.

Le centre hospitalier obtient du Conseil d'Etat le sursis à l'exécution du jugement par le double motif, d'ailleurs requis pour que soit ordonné ce sursis, d'une part, que  cette communication, indépendamment du contenu des documents en cause, revêtirait un caractère irréversible, et qu'ainsi le jugement l'ordonnant entraînerait des conséquences difficilement réparables, et, d'autre part, que paraissent sérieux en l'état de l'instruction, les moyens tirés de ce que le tribunal administratif a entaché son jugement d'erreur de droit et d'inexacte qualification juridique en admettant la communicabilité sur le fondement des articles L. 311-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration des documents demandés, en dépit, d'une part, du régime spécial de consultation de ces documents prévu par l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique et, d'autre part, du secret médical et professionnel couvrant la plupart des informations contenues dans ces documents.

(31 mars 2021, Centre hospitalier Sainte-Marie de Privas, n° 445846)

(35) V. dans le même sens, mutatis mutandis, à propos du sursis à exécution d'un arrêt de cour administrative d'appel privant de toute protection la tombe de Tania Rachewskaïa, y compris le groupe sculpté " Le Baiser " de Constantin Brancusi et son socle formant stèle, située au cimetière du Montparnasse : 31 mars 2021, Ministre de la culture, n° 447968.

V. aussi n° 16

 

 

Contrats

36 - Concession de réalisation d'une zone d'aménagement concerté - Contrat conclu entre personnes privées - Nature du contrat - Absence de caractère de concession de travaux publics - Absence de qualité de mandataire d'une personne publique - Inexistence d'une société tranaparente - Incompétence de la juridiction administrative.

Aux termes d'une concession d'aménagement, la collectivité métropole Montpellier Méditerranée Métropole, a confié à la société d'aménagement de l'agglomération de Montpellier (SAAM) devenue SA3M, société publique locale d'aménagement, dont elle est l'actionnaire majoritaire, la réalisation de la zone d'aménagement concerté dite " Ode à la Mer ", portant sur un ensemble de terrains. Après avoir consulté neuf opérateurs commerciaux, la SA3M a conclu avec la société IF Ecopôle une promesse synallagmatique de vente portant sur un terrain destiné à recevoir les bâtiments et ouvrages de la zone d'aménagement concerté dite " Ode Acte 1 ". La société SOCRI Gestion a demandé l'annulation de cette promesse. Sa requête a été rejetée en première instance et en appel pour incompétence de l'ordre administratif de juridiction.

Elle se pourvoit en cassation ; son pourvoi est rejeté.

Après avoir rappelé que les contrats conclus entre personnes privées sont, sauf dispositions législatives contraires, des contrats de droit privé, hormis le cas où l'une des parties agit pour le compte d'une personne publique ou celui dans lequel ils constituent l'accessoire d'un contrat de droit public, le juge de cassation vérifie, sous réserve du pouvoir souverain des juges du fond, la qualification pouvant être retenue pour déterminer si le contrat en cause relève du juge administratif.

Il le fait en trois points : ce contrat n'est pas une concession de travaux publics, la société SA3M n'est pas, en la circonstance, mandataire de la collectivité montpelliéraine et elle ne constitue pas non plus une entité transparente.

Pour dire que le contrat ne constitue pas une concession de travaux publics, le juge retient, se fondant sur la définition de la concession donnée par l'art. 1er de l'ordonnance du 15 juillet 2009, que la promesse de vente litigieuse a pour objet la cession d'un terrain devant comporter des bâtiments et ouvrages, sur lesquels la société SA3M n'a aucun droit d'exploitation ni en propre ni par voie de contrepartie accordée à la société IF Ecopôle du chef des prestations que cette dernière a affectuées. En effet, son droit de construire et d'exploiter découle directement du transfert à son profit du droit de propriété sur ce terrain. Par suite, le contrat en cause ne satisfait pas aux exigences de la disposition légale précitée pour pouvoir être qualifié de concession de travaux publics, d'où l'examen par le juge des deux autres critères.

Tout d'abord, la société SA3M n'est pas mandataire de la métropole car, en principe, le " titulaire d'une convention conclue avec une collectivité publique pour la réalisation d'une opération d'aménagement ne saurait être regardé comme un mandataire de cette collectivité" sauf si des stipulations ou circonstances particulières tenant à la mission du cocontractant ou à la persistance de certaines compétences au profit de la collectivité publique peuvent faire regarder ce contrat comme étant, en tout ou en partie, un contrat de mandat par lequel, en l'espèce, la SA3M agirait pour le compte de cette collectivité. Rien de tel ne se retrouve en l'espèce : ce contrat ne maintenait pas la compétence du concédant pour décider des actes à prendre pour la réalisation de l'opération, il ne prévoyait pas de substitution de la collectivité publique à son cocontractant pour engager des actions contre les personnes avec lesquelles celui-ci a conclu des contrats et il ne comportait pas davantage de mandat explicite au bénéfice de cette société pour agir au nom et pour le compte de la communauté d'agglomération.

Ensuite, la société SA3M n'est pas une entité transparente car étant une société publique locale d'aménagement, elle a été créée, en application de l'art. L. 327-1 du code de l'urbanisme, pour permettre à la collectivité montpelliéraine de transférer certaines missions à une personne morale de droit privé contrôlée par elle, notamment des opérations d'aménagement.

Par suite, la promesse synallagmatique litigieuse ne constituant pas un contrat administratif, son contentieux ne saurait relever de l'ordre administratif de juridiction, ainsi que l'ont, à bon droit, jugé le tribunal et la cour.

(4 mars 2021, Société SOCRI gestion, n° 437232)

 

37 - Référé précontractuel - Marché public - Notion - Calcul de la valeur estimée du besoin objet du marché - Entreprise non-candidate par crainte de l'irrégularité de la conclusion du contrat - Manquement de nature à léser une entreprise - Rejet.

Le département de la Loire a engagé une procédure, sans publicité ni mise en concurrence préalables, pour la passation d'un accord-cadre dont les lots n° 2, 3, 5 et 6 portaient sur l'émission et la distribution de chèques emploi service, de titres-restaurants et de chèques cadeaux. Estimant irrégulières les conditions de passation de cet accord-cadre, une entreprise refuse de se porter candidate à l'attribution et saisit le juge du référé précontractuel, lequel prononce l'annulation des procédures de passation des lots susindiqués.

Le département saisit le juge des référés du Conseil d’État qui rejette son pourvoi.

Celui-ci aborde plusieurs questions intéressantes à commencer par la qualification juridique du contrat en cause.

Confrontant les définitions légales respectives du marché et de la concession (art. L. 1111-1 et L. 1121-1 du code de la commande publique), le juge réaffirme qu'un contrat ne peut être qualifié de concession que s'il transfère un risque réel lié à l'exploitation de l'ouvrage ou du service et si le transfert de ce risque trouve sa contrepartie, au moins partiellement, dans le droit d'exploiter l'ouvrage ou le service. Reprenant une solution bien établie (cf. 15 avril 1996, Préfet des B.-du-Rh. c/ commune de Lambesc, n° 168325), le juge rappelle que "le risque d'exploitation est constitué par le fait de ne pas être assuré d'amortir les investissements ou les coûts liés à l'exploitation du service." En l'espèce, il est patent que le cocontractant de l'administration ne court aucun risque, par suite, ne pouvant être un contrat de concession, le contrat litigieux constitue un marché public.

Ensuite, le choix ayant été fait d'une passation sans publicité ni mise en concurrence préalables, il convenait de déterminer la valeur estimée du marché conformément aux dispositions de l'art. R. 2121-8 du code précité selon lesquelles : "Pour les accords-cadres et les systèmes d'acquisition dynamiques définis à l'article L. 2125-1, la valeur estimée du besoin est déterminée en prenant en compte la valeur maximale estimée de l'ensemble des marchés à passer ou des bons de commande à émettre pendant la durée totale de l'accord-cadre ou du système d'acquisition dynamique.

Lorsque l'accord-cadre ne fixe pas de maximum, sa valeur estimée est réputée excéder les seuils de procédure formalisée ".

S'agissant ici d'un marché de titres de paiement, il convenait, pour satisfaire aux dispositions précitées, de prendre en compte, comme l'a fait l'ordonnance attaquée, d'une part, les frais de gestion versés par le pouvoir adjudicateur et, d'autre part, la valeur faciale des titres susceptibles d'être émis pour son exécution, puisque cette somme doit être payée par le pouvoir adjudicateur à son cocontractant en contrepartie des titres mis à sa disposition.

Ainsi, il est établi qu'était dépassé le seuil en dessous duquel il peut être recouru à une passation sans publicité ni mise en concurrence préalables. D'où l'irrégularité du recours à ce mode de passation comme l'a relevé le premier juge.

Enfin, et ceci conditionnait la recevabilité autant que le fond de l'action entreprise, le juge devait déterminer si l'entreprise requérante avait réellement était lésée du fait des manquements dont elle l'avait saisi. Relevant qu'elle avait été dissuadée de présenter une offre en raison de l'irrégularité qui, selon elle, affectait la procédure de passation, le juge a exactement qualifié les faits en considérant que l'entreprise avait bien été lésée du fait des manquements relevés par elle.

(4 mars 2021, Département de la Loire, n° 438859)

 

Covid-19

 

38 - Recommandations du ministère de la santé - Interdiction de sortie des personnes résidant dans des EHPAD - Développement de la vaccination des résidents et des personnels qui leur sont affectés - Interdiction générale et absolue - Mesure disproportionnée - Suspension.

Le juge considère illégale à raison de son caractère disproportionné la recommandation du ministère de la santé du 28 janvier 2021 prévoyant que dans les EHPAD ainsi que dans tous les établissements médico-sociaux hébergeant des personnes âgées " les sorties dans les familles et pour des activités extérieures sont suspendues temporairement jusqu'à nouvel ordre ".

Il rejette l'argument de l'administration fondé d'une part sur l'apparition de variants du virus du Covid-19 et, d'autre part, sur l'ignorance des degrés de contagiosité comme d'immunité des personnes vaccinées. Relevant, d'abord, que plus de 80% de la population concernée et 43% des soignants ont reçu une dose de vaccin et 50% des résidents et 23% des soignants, ont reçu deux doses de vaccin, et ensuite qu'est déjà perceptible une diminution de cas de Covid signalés chez les personnes de plus de 75 ans ainsi que chez les résidents en EHPAD, le juge des référés ordonne la suspension de toutes les recommandations ministérielles interdisant les sorties de résidents en EHPAD.

Le juge prend bien soin d'encadrer cette liberté retrouvée en indiquant, avec beaucoup de sagesse,  qu' " apparaissent désormais compatibles avec la sécurité de l'ensemble des résidents et du personnel de l'établissement, selon la décision du responsable de celui-ci et dans les conditions qu'il définit, notamment des sorties de résidents ayant été vaccinés, ce en fonction de la taille de l'établissement, de la nature de la sortie envisagée, du taux de vaccination des résidents et des personnels ou encore de la proportion constatée des nouveaux variants au niveau départemental ou infra départemental et accompagnées de l'application de mesures de protection renforcée lors du retour dans l'établissement. "

(ord. réf. 3 mars 2021, Mme B. veuve D., n° 449744)

 

39 - Référé liberté - Couvre-feu de 18 heures à 6 heures - Absence de dérogation pour les déplacements chez un professionnel du droit - Cas d'actes ou démarches ne pouvant être réalisés à distance - Atteinte au droit à recours effectif - Suspension.

L'absence de toute dérogation au couvre-feu pour permettre à une personne de se rendre chez un professionnel du droit, notamment un avocat, pour un acte ou une démarche, réalisé après 18 heures " porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale d'exercer un recours effectif devant une juridiction dans des conditions assurant un respect effectif des droits de la défense et du droit à un procès équitable ".

(ord. réf. 3 mars 2021, Ordre des avocats du barreau de Montpellier, n° 449764)

(40) V. aussi, largement comparable avec ajout du grief tiré de la difficulté d'entraînements de sportifs de haut niveau non professionnels en vue ce la participation à des compétitions : 26 mars 2021, Association Patinage artistique briviste et autres, n° 450411.

 

41 - Référé liberté - Arrêté préfectoral imposant le port obligatoire du masque dès l'âge de onze ans - Demande de modification de la portée del'arrêté - Rejet.

Le requérant a saisi juge des référés d'un référé liberté aux fins que soit suspendue l'exécution d'un arrêté préfectoral du 5 février 2021 imposant l'obligation du port du masque en extérieur sur l'ensemble du territoire du département, qu'il soit enjoint à ce préfet de décider que le port du masque en extérieur ne concernera que les zones de forte densité de personnes ou celles présentant une difficulté à assurer le respect de la distance physique et, enfin, que l'obligation du port du masque en extérieur ne concernera ni les utilisateurs de moyens de transport individuel ni les personnes en train de fumer, boire et manger dans l'espace public ouvert.

Son recours a été rejeté et il interjette appel.

La réponse du Conseil, guère imprévisible, est identique à celle du premier juge. Les données épidémiologiques du département, l'adéquation des mesures à la situation, leur caractère proportionné ne sauraient être sérieusement discutés.

(4 mars 2021, M. A., n° 450151)

 

42 - Covid-19 - Dispositions portant adaptation de règles de la procédure pénale pour cause d'épidémie - Délai d'exercice des voies de recours - Utilisation des techniques de communication audiovisuelle - Publicité restreinte ou supprimée des débats judiciaires - Entretien de garde à vue sous forme électronique ou téléphonique - Régime de prolongation des gardes à vue de certains mineurs - Règles dérogatoires de durée de détention provisoire ou d'assignation à résidence - Prolongation du délai des mesures de placement des mineurs délinquants -  Annulations partielles et réouverture des débats sur une éventuelle modulation des effets de celles-ci.

(5 mars 2021, Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation et autres, n° 440037 ; M. C., n° 440165, jonction)

V. n° 129

 

43 - Covid-19 - Arrêté préfectoral interdisant tout déplacement dans certaines communes du département des Alpes-Maritimes durant les fins de semaine - Demande de suspension - Rejet confirmatif de celui décidé en première instance.

Plusieurs centaines de requérants demandaient la suspension, en référé liberté, de l'arrêté du 26 février 2021 du préfet des Alpes-Maritimes portant restriction des déplacements dans certaines communes de ce département.

Leur requête est rejetée en première instance et en appel pour des motifs connus : croissance forte de l'épidémie, saturation des moyens hospitaliers, caractère proportionné de la mesure qui consiste à interdire, dans les communes concernées du département, tout déplacement de personnes les samedis et dimanches 27, 28 février et 6 et 7 mars entre 6 heures et 18 heures.

(ord. réf. 5 mars 2021, Mme FI. et autres, n° 450368)

(44) V. aussi, dans le même sens : 13 mars 2021, Mme F. et autres, n° 450656.

(45) V. également, dans le même sens, concernant le rejet d'un recours dirigé contre le décret du 19 mars 2021 étendant notamment au département des Alpes-Maritimes diverses mesures portant restrictions à la liberté de déplacement : ord. réf. 29 mars 2021, Mme A., n° 450912.

 

46 - Référé suspension - Commerces d'optique-lunetterie situés au sein de grandes surfaces commerciales - Commerces non dérogatoires ne pouvant demeurer ouverts - Rejet.

L'organisation requérante demandait la suspension de l'exécution du décret modificatif du 30 janvier 2021, en tant qu'il n'autorise pas l'ouverture des commerces de détail de produits d'optique en magasin spécialisé au sein des centres commerciaux et magasins de vente comportant un ou plusieurs bâtiments dont la surface commerciale utile cumulée est supérieure ou égale à vingt mille mètres carrés, y compris pour les retraits de commandes.

Pour rejeter la demande de suspension, en dépit d'arguments non dépourvus de pertinence, le juge des référés retient, d'une part la situation sanitaire générale et le risque d'affaiblissement de la lutte contre le Covid-19 qui résulterait de l'ouverture des commerces d'optique, et d'autre part, la double circonstance que les prescriptions d'optique sont de longue durée et que la fidélité de la clientèle à leur opticien-lunetier est très élevée.

(ord. réf. 8 mars 2021, Rassemblement des opticiens de France, n° 449861)

(47) V. aussi, dans le même sens, à propos du rejet d'un recours contre la fermeture des commerces ne relevant ni de l'alimentation de détail ni de la pharmacie d'officine situés dans une surface commerciale supérieure à vingt mille mètres carrés, dans la mesure où il n'est pas démontré que serait, par là, causé un préjudice économique tel qu'il serait constitutif d'une situation d'urgence : ord. réf. 29 mars 2021, SAS " Agneaux distribution " et groupement d'intérêt économique " Centre commercial Odyssée ", n° 450403.

 

48 - Référé liberté - Fermeture administrative d'un établissement de restauration pour non-respect de mesures d'hygiène - Invocation de perte de chiffre d'affaires et de perte d'aides d'État - Défaut d'urgence et requête mal dirigée - Rejet.

Un établissement de restauration est condamné par mesure administrative à fermer pendant quinze jours pour non-respect par les employés de l'obligation de porter un masque. La société propriétaire sollicite la suspension de la mesure ; sa demande est rejetée pour défaut d'urgence.

D'une part, il ressort des écritures de la demanderesse que son chiffre d'affaires pour les trois premières semaines de février 2021 n'a été que de 1388 euros hors taxes, par suite l'urgence à suspendre une sanction d'une durée de quinze jours n'est pas établie.

D'autre part, le risque de pertes d'aides publiques invoqué par la requérante soulève un litige distinct, de nature indemnitaire, qui ne relève pas de la procédure de référé. Dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner s'il a été porté atteinte à une liberté fondamentale, la demande en référé est rejetée.

(8 mars 2021, Société SD Soleil, n° 450331)

 

49 - Référé suspension - Police sanitaire - Entrée des Français de l'étranger en France - Liberté fondamentale du droit au retour des ressortissants Français - Cas des Français provenant de certains territoires hors Union européenne - Caractère non nécessaire ni proportionné de l'interdiction d'entrée ou des restrictions à cette entrée - Suspension du décret attaqué.

Le juge des référés du Conseil d’État, estime, d'une part, qu'existe la liberté fondamentale de tout Français de rentrer en France même en période de pandémie, et d'autre part que, s'il est difficile de mesurer avec exactitude le nombre de déplacements depuis l'étranger vers le territoire national, le nombre de déplacements de Français qui se voient ainsi interdits par le décret attaqué n'est pas de nature à faire diminuer de manière significative le nombre total d'entrées sur le territoire métropolitain en provenance de l'étranger. En conséquence, il juge que l'interdiction ou les restrictions d'entrée frappant les Français provenant de certains pays autres que ceux membres de l'Union européenne ne sont, en l'état de l'instruction, ni nécessaires ni proportionnées. Il ordonne la suspension des art. 57-2 du décret du 16 octobre 2020 et 56-5 du décret du 29 octobre 2020 en tant que, sauf pour des motifs limitativement énumérés, ils interdisent l'accès du territoire français métropolitain à ceux des ressortissants français en provenance d'autres pays que de l'UE.

(ord. réf. 12 mars 2021, M. B., n° 449743 ; Union des Français de l'étranger, n° 449830)

(50) V. également, du même jour, la décision rejetant le recours dirigé contre les mêmes dispositions des deux décrets cités dans l'affaire ci-dessus par lesquelles le Premier ministre a interdit tout déplacement en provenance ou à destination des outre-mer, sauf motifs impérieux : 12 mars 2021, Sarl Société antillaise de location de véhicules automobiles et autres, n° 449908.

(51) V. aussi, un peu voisins : 11 mars 2021, M. A. et autres, n° 450210 ; 26 mars 2021, M. C. et autres, n° 449993, prononçant un non-lieu à statuer.

 

52 - Référé liberté - Vaccination contre le Covid-19 - Convention conclue entre l'État et une société prestataire - Société recourant aux services d'un hébergeur de données personnelles basé aux États-Unis - Incompatibilité avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) - Absence en raison des mesures prises par la société cocontractante avec l'État - Rejet.

(ord. réf. 12 mars 2021, Association InterHop et autres, n° 450163)

V. n° 12

 

53 - Référé liberté - Décret du 25 février 2021 - Couvre-feu national et absolu - Absence de prise en compte de certaines situations - Mesure à durée indéterminée - Absence de préjudice grave et immédiat - Absence de situation d'urgence - Rejet.

Les requérants contestaient par référé liberté l'art. 4 du décret du 29 octobre 2020 modifié par le décret n° 2021-217 du 25 février 2021 en tant qu'il instaure pour une durée indéterminée un couvre-feu national et absolu à compter de 18 heures, sans prévoir de motifs légitimes dérogatoires tels les déplacements brefs, sous conditions, liés soit à l'activité physique individuelle des personnes, soit aux besoins des animaux de compagnie.

L'invocation de l'atteinte ainsi portée par ces mesures à de nombreuses libertés fondamentales, pouvant être indéfiniment reconduites, qui n'ont pas été édictées en considération des circonstances propres à chaque région et qui, de ce fait, seraient entachées d'erreur d'appréciation, inutiles et peu lisibles, ne caractérise pas l'existence d'un préjudice suffisamment grave et immédiat pour les requérants et, par suite,  n'établit pas l'existence  d'une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du CJA. 

(12 mars 2021, M. Y. et autres, n° 450315)

(54) V. aussi, la solution identique retenue à l'égard de la contestation des dispositions comparables du décret du 19 mars 2021 : 24 mars 2021, Association Le cercle droit et liberté et autres, n° 450406 et n° 450407 ; M. B., n° 450409 ; M. A., n° 450412.

 

55 - Couvre-feu de 19h à 6h du matin - Semaine de Pâques - Célébrations liturgiques - Vigile pascale - Aménagements et dispositions pris par la Conférence des évêques de France - Absence d'atteinte manifestement disproportionnée à la liberté de culte au regard de l'objectif de préservation de la santé publique - Rejet.

Dès lors, d'une part, que, à la différence de ce qui s'est passé lors du premier confinement, les établissements de culte sont demeurés ouverts et que les cérémonies peuvent se tenir dans le respect des gestes sanitaires, et d'autre part, que la Conférence des évêques de France a proposé des aménagements liturgiques permettant de célébrer la vigile pascale en dépit des restrictions liées au couvre-feu, la circonstance que les célébrations de la Semaine sainte doivent se dérouler entre 6 heures du matin et 19 heures ne porte pas une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté de culte au regard de l'objectif de préservation de la santé publique.

(ord. réf. 29 mars 2021, Association Civitas, n° 450893 ; Association VIA La Voie du Peuple, n° 451038)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

56 - Acte anormal de gestion - Valeur locative réelle d'une villa - Loyer jugé anormalement bas - Preuve incombant à l'administration fiscale - Application d'un taux abstrait - Absence de prise en considération du rendement réel de l'immeuble - Erreur de droit - Cassation avec renvoi à la cour.

L'administration fiscale avait estimé anormalement bas le loyer consenti pour la location d'une villa appartenant à la société de droit suisse requérante. Elle avait donc appliqué - comme lui paraissant normal - un taux de rendement de 4% sur la valeur vénale du bien. La cour administrative d'appel avait rejeté l'argument de la société selon lequel ce taux n'était pas pertinent au cas de l'espèce.

Sur pourvoi, l'arrêt est cassé, le Conseil d’État donnant raison à la demanderesse : il incombait à la cour, à peine d'erreur de droit, de vérifier si ce taux de 4% était fondé au regard du rendement réel d'un tel bien immobilier. Ce jugeant, elle a renversé la charge de la preuve qui incombait exclusivement à l'administration.

(8 mars 2021, Société "La Maisonnette", n° 433019)

 

57 - Commissions versées par un constructeur d'avions à une société sur le fondement de conventions d'"asset swap agreements" et de "put option agreements" - Nature juridique de ces commissions - Charges "constatées d'avance" - Déductibilité des bénéfices en vue de l'imposition - Absence en l'espèce - Condition de rattachement à l'exercice - Rejet.

Afin de faciliter la vente de ses avions aux États-Unis, Airbus avait conçu le montage suivant : ses appareils étaient vendus à des sociétés d'investisseurs qui les louaient à longue durée à des sociétés qui, à leur tour, les sous-louaient à des compagnies aériennes. Des garanties financières étaient prévues en contrepartie desquelles était versée une commission. Ce dernier mécanisme était l'objet des deux conventions, d'asset swap agreements, et de put option agreements. Airbus ayant intégralement déduit de ses résultats cette commission au titre de l'exercice clos chaque année de conclusion desdits contrats, l'administration fiscale conteste ce choix.

L'art. 38 CGI, alors applicable, dispose que :

" 1. (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises (...)

2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés.

2 bis. Pour l'application des 1 et 2, les produits correspondant à des créances sur la clientèle ou à des versements reçus à l'avance en paiement du prix sont rattachés à l'exercice au cours duquel intervient la livraison des biens pour les ventes ou opérations assimilées et l'achèvement des prestations pour les fournitures de services.

Toutefois, ces produits doivent être pris en compte :

a. Pour les prestations continues rémunérées notamment par des intérêts ou des loyers et pour les prestations discontinues mais à échéances successives échelonnées sur plusieurs exercices, au fur et à mesure de l'exécution ; (...) ".

Par ailleurs, l'art.  39 du CGI précise que " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges (...) " et l'art. 38 quater de l'annexe III audit code dispose : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt ".

Le Conseil d’État, après avoir rappelé le principe de l'indépendance des exercices comptables annuels prévu au 2. de l'art. 38 précité, indique que cette disposition autorise la déduction des charges payées par l'entreprise au cours de l'exercice dont les résultats doivent servir de base à l'impôt, à l'exception de celles de ces charges qui sont  " constatées d'avance ". En ce dernier cas, en effet, la charge consiste dans le paiement d'un bien ou d'une prestation de service dont la livraison ou la fourniture n'interviendra qu'au cours d'un exercice ultérieur, c'est donc sur cet exercice ultérieur qu'il conviendra d'imputer le paiement en tant que charge.

Les charges constatées d'avance comprennent en particulier les charges achats de prestations de services continues ou discontinues mais à échéances successives, du moins pour la partie de ces prestations qui sera fournie au cours d'exercices ultérieurs.

Dans le cas de l'espèce, s'agissant de la convention d' "asset swap agreements" il est jugé que le paiement étant réalisé sur la base  d'une facturation chaque mois pendant vingt-deux ans, ne devaient donc être rattachées à chaque exercice annuel que les seules facturations acquittées au cours de cet exercice.

La solution est la même mutatis mutandis pour les paiements au titre de la convention de "put option agreements".

Ainsi que l'a jugé la cour, les charges litigieuses étaient bien "constatées d'avance" et devaient être rattachées au titre de chacune des années d'exécution de la convention.

Seul est annulé le refus de la cour de rattacher à l'exercice clos en 2005 de la part des commissions versées au titre des conventions intitulées " put option agreements " correspondant à l'exécution, au cours de cet exercice, des prestations dues par la société de droit irlandais Airbus Financial Services.

(10 mars 2021, SAS Airbus, SAS Airbus Opérations et Société en participation (SEP) Airbus, n° 423983)

 

58 - Réduction d'impôt sur le revenu attachée à la location nue de logements dans les territoires ultra-marins - Condition d'octroi - Location devant être consentie dès l'achèvement des travaux - Cassation.

L'art. 199 undecies A du CGI avait institué une réduction d'impôt sur le revenu pour les contribuables domiciliés en France investissant, au cours d'une certaine période, dans la construction de logements neufs soit en vue d'en faire leur habitation principale soit en vue de leur location. En ce dernier cas la location devait être une location de locaux nus pour une durée minimale de cinq ans et elle devait être consentie à l'exclusion de certaines personnes.

Ce dispositif fiscal étant destiné à lutter contre le déficit de logements offerts à la location dans ces zones, la mise en location devait intervenir à bref délai après l'achèvement ou l'acquisition de la construction, soit six mois selon le c du 2 du 7 de l'article précité.

En l'espèce, où les intéressés avaient mis leur bien en location après l'expiration de ce délai de six mois, une cour administrative d'appel avait estimé que c'est à tort que l'administration fiscale avait contesté le bénéfice de l'exonération fiscale appliquée par les contribuables. Le Conseil d’État casse cet arrêt en raison de l'erreur de droit dont il est entaché même si les dispositions précitées n'imposent pas une location de ces logements dès le jour d'achèvement de leur construction.

(10 mars 2021, M. et Mme A., n° 434696)

 

59 - Établissement de vente et de réparation de véhicules automobiles - Taxe sur les surfaces commerciales - Notion de "surface commerciale" - Cas en l'espèce - Imposition justifiée - Rejet.

Une entreprise de vente et de réparations automobiles contestait l'assujettissement d'une partie de son installation à la taxe sur les surfaces commerciales instituée à l'art. 3 de la loi du 13 juillet 1972 portant mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés dès lors que leur superficie excède 400m2. Il s'agissait donc de déterminer si les lieux en cause constituaient ou non des surfaces commerciales au sens et pour l'application de cette disposition. Pour répondre positivement à cette question à propos de la zone litigieuse qui consistait en un espace de livraison, le Conseil d’État, statuant comme juge de cassation et confirmant le jugement de première instance, prend en considération deux éléments cumulés :

1) cet espace ne constituait pas un espace fermé au sein duquel la clientèle ne pouvait circuler,

2) cet espace, dans lequel les clients prenaient possession du véhicule qu'ils avaient acheté, permettait à ces derniers de finaliser leur achat.

(10 mars 2021, Société de distribution automobile, n° 435095)

 

60 - Société civile débitrice d'impôts - Dissolution de cette société - Notification du titre exécutoire devant être faite à chacun des associés - Délai de prescription de cinq ans - Délai courant à compter de la publication de la dissolution - Application des art. 1844-5, 1857 à 1859 du Code civil - Acte de poursuite ne valant pas interruption de la prescription - Erreur de droit - Cassation sans renvoi, le Conseil d’État statuant lui-même au fond.

L'administration fiscale a entendu assujettir une société civile détenue à parts égales par deux personnes physiques à des cotisations supplémentaires d'impôt assorties d'intérêts de retard et de pénalités. La société, qui avait formé des réclamations contre cette décision en février et octobre 2005, a été dissoute le 31 octobre 2008 après que les deux associés ont, la veille, cédé leurs parts à une EURL. La publication de la dissolution a eu lieu le 23 juin 2009. L'administration a adressé un commandement de payer le 10 janvier 2012 et estimé, confirmée en cela par les juges du fond, que cet acte de poursuites avait interrompu la prescription de cinq ans applicable en la matière.

Cassant l'arrêt puis le jugement, le Conseil d’État aperçoit dans ce raisonnement une erreur de droit. Le point de départ du délai de prescription était constitué par la publication de la dissolution le 23 juin 2009 mais les actes de poursuite intervenus le 10 janvier 2012 à l'encontre de l'EURL ne pouvaient interrompre le cours de la prescription qu'à son égard et de toute autre personne venant à ses droits non à l'égard des deux associés de la société civile débitrice de l'impôt. La prescription était donc acquise envers ces derniers - depuis le 23 juin 2014 - lorsque le 18 février 2015 a été, enfin, émis l'avis de recouvrement.

C'est donc a tort qu'a été rejetée la demande du contribuable tendant à la décharge des impôts, intérêts et pénalité à lui réclamés.

(12 mars 2021, M. A., n° 438508)

 

61 - Taxe d'enlèvement des ordures ménagères - Conditions d'assujettissement - Existence d'un service municipal de collecte - Caractère indifférent de l'obligation faite aux établissements de santé, par la réglementation sanitaire, d'assurer eux-mêmes la collecte et l'élimination de leurs déchets - Annulation.

La législation sanitaire faisant obligation aux établissements de santé de procéder eux-mêmes à la collecte et à l'élimination de leurs déchets, la société requérante estimait que ceux-ci n'avaient pas, en conséquence, à s'acquitter de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. Ce raisonnement de bon sens et équitable, retenu en première instance, a été annulé par le Conseil d’État au motif qu'il résulterait d'une erreur de droit car cette taxe est bien une taxe donc un impôt et non une redevance laquelle n'est due qu'en cas de service rendu.

Le distinguo ainsi mis au service d'un assujettissement inévitable est très injuste. On peut douter qu'il convainque la Cour EDH éventuellement saisie sur le fondement de l'art. 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH.

(12 mars 2021, Société Natixis Lease Immo, n° 442583)

 

62 - Procédure fiscale non contentieuse - Vérification de comptabilité - Charte du contribuable vérifié - Possibilité de s'adresser au supérieur hiérarchique du vérificateur puis à l'interlocuteur départemental ou régional - Double garantie substantielle - Omission de l'une des deux informations requises - Irrégularité - Irrégularité couverte ici par d'autres motifs - Rejet.

Si en définitive, en l'espèce, le pourvoi est rejeté en raison d'autres motifs retenus par la juridiction d'appel, celui-ci est très intéressant par la solution qu'il comporte concernant la possibilité pour le contribuable vérifié de s'adresser au supérieur hiérarchique du contrôleur puis à l'interlocuteur départemental ou régional.

La charte des droits et obligations du contribuable vérifié institue une double garantie substantielle en faveur du contribuable vérifié car elle intervient à deux moments distincts de la vérification : au cours de la vérification et avant l'envoi de la proposition de rectification, s'agissant des difficultés affectant le déroulement des opérations de contrôle ; après la réponse faite par l'administration fiscale aux observations du contribuable sur cette proposition de rectification, s'agissant du bien-fondé des rectifications envisagées.

Or en l'espèce, le conseil de la contribuable avait informé le supérieur hiérarchique qu'il assurait la défense des intérêts de la société au titre du contrôle en cours et indiqué que " dans le cadre de cette mission, il nous paraît nécessaire de solliciter un entretien auprès de vous-même ", en invitant le supérieur hiérarchique à lui proposer une date de rendez-vous. La requérante soutenait que la procédure d'imposition était irrégulière, faute pour l'administration d'avoir donné suite à cette demande. Pour rejeter ce moyen la cour administrative d'appel a relevé qu'un entretien avait eu lieu avec le supérieur hiérarchique le 23 mai 2013, en réponse à la demande formulée par la société après la réponse faite par l'administration à ses observations sur la proposition de rectification. Ce jugeant elle commettait une erreur de droit dès lors que la contribuable était privé de l'une des deux garanties substantielles, à savoir celle lui permettant de saisir le supérieur hiérarchique avant l'envoi de la proposition de rectification.

(25 mars 2021, Société RTE Technologies, n° 430593)

 

63 - Fédération française de rugby - Contrat conclu avec une société de droit irlandais - Organisation de la coupe du monde de rugby 2007 - Perception de revenus de billetterie et de compétition - "Redevance de tournoi" versée par la Fédération à la société - Redevance, contrepartie de la concession du droit incorporel d'orgnisation - Assujettissement à la TVA - Invocations impossibles d'une doctrine fiscale et du principe de confiance légitime - Substitution de motif - Rejet.

La fédération requérante a été chargée par l'International Rugby Board (IRB) d'accueillir la 6ème édition de la coupe du monde de rugby du 7 septembre au 20 octobre 2007. Elle s'est vu confier, par un contrat (dénommé " Host Union Agreement" (HUA)) du 10 avril 2003, par la société de droit irlandais RWC Limited, titulaire du droit d'organiser le tournoi, l'organisation matérielle de cette compétition. Par une convention du 22 octobre 2004, un groupement d'intérêt public (GIP), dénommé " Coupe du monde de rugby 2007 ", a été conclu entre la Fédération française de rugby, l'État et le Comité national olympique et sportif français ; il avait pour objet la préparation, le financement et l'organisation du tournoi.

En février 2008, ce GIP a versé à la société RWC Limited une somme de 52 millions de livres sterling (48 millions au titre de la " redevance de tournoi " prévue par le contrat du 10 avril 2003, et 4 millions correspondant à une prime de participation).

 L'administration fiscale a estimé que ces deux sommes auraient dû être assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée en France et a, par suite, notifié à la Fédération française de rugby, en sa qualité de liquidateur du GIP, des rappels de taxe assortis d'une amende de 5 %.

Saisi par la Fédération, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à la décharge des suppléments d'impôt litigieux. La cour administrative d'appel, sur appel de la fédération, a prononcé la décharge du rappel de TVA correspondant à la prime de participation de 4 millions de livres sterling versée à la société RWC Limited.

La Fédération se pourvoit en cassation contre l'article 4 de cet arrêt, par lequel la cour a rejeté le surplus des conclusions de sa requête d'appel. 

Le Conseil d’État, comme la juridiction d'appel considère que la fédération française de rugby a irrévocablement reçu - par l'effet du HUA- le droit incorporel d'accueil de la compétition et le droit de recevoir les revenus de billetterie produits par le tournoi. Cette situation n'est en rien modifiée par la circonstance que l'article L. 131-15 du code du sport confie aux fédérations délégataires la mission d'organiser les compétitions sportives à l'issue desquelles sont délivrés les titres internationaux, par le rôle qu'a conservé la société RWC Limited dans l'organisation de la compétition, en particulier la définition de la politique de billetterie, ou encore par le fait que cette société est restée titulaire de l'ensemble des droits commerciaux attachés au tournoi.

Par ailleurs, si la "redevance de tournoi" est présentée comme le montant versé par la fédération à RWC Limited pour couvrir les frais encourus par cette dernière dans le cadre de l'organisation de la compétition, en réalité aucune clause contractuelle ni aucune annexe au contrat ne définissent la nature des frais administratifs et des dépenses connexes devant ainsi être remboursés ; mieux, l'annexe 8 au contrat précise que le montant de cette redevance a été fixé forfaitairement, un paiement minimum de 20 millions de livres sterling - pouvant être porté jusqu'à 48 millions - étant en tout état de cause garanti à la société sans que cette augmentation ne dépende des frais et charges éventuellement supportés par la société.

C'est donc sans erreur de droit, ni de qualification juridique et sans dénaturation que la cour a regardé la redevance de 48 millions de livres sterling comme étant la contrepartie du droit confié à la Fédération française de rugby d'exploiter la compétition qu'elle avait la charge d'organiser, et qu'elle a, en conséquence, jugé que cette redevance avait été, à juste titre, assujettie en France à la TVA.

Vainement la fédération requérante se prévaut d'une prise de position formelle de l'administration fiscale (art. L. 80 A et L. 80 B du LPF), résultant de réunions de travail avec l'administration fiscale et de l'avis d'une cellule du cabinet du ministre du budget car aucune autorité compétente à cet effet n'est intervenue pour adopter une prise de position dont la fédération pourrait se prévaloir en l'espèce.

Enfin, la fédération requérante ne saurait davantage, pour le même motif que ci-dessus, exciper du principe de confiance légitime pour s'opposer aux rehaussements et amende dont elle fait l'objet.

(25 mars 2021, Fédération française de rugby, liquidateur du groupement d'intérêt public (GIP) " Coupe du monde de rugby 2007 ", n° 438050)

 

64 - Plus-values financières - Report d'imposition (art. 150-0 B ter CGI) - Abattement pour durée de détention - Suppression pour les plus-values réalisées antérieurement au 1er janvier 2013 (art. 150-0 D, I ter et I quater, CGI) - Illégalité et inconventionnalité (Convention EDH) - Rejet.

Le requérant contestait :

- d'une part, la légalité du § 130 des commentaires administratifs publiés au BOFiP le 20 avril 2015 en tant qu'il écarte l'application de l'abattement pour durée de détention prévu par l'article 150-0 D du CGI aux plus-values réalisées antérieurement au 1er janvier 2013 et placées en report d'imposition en application de l'article 150-0 B ter du CGI au lieu de prescrire l'application d'un abattement global déterminé en fonction de la durée de détention décomptée depuis l'acquisition des titres remis à l'échange jusqu'à la cession des titres issus de l'échange et pratiqué sur la somme de la plus-value mise en report lors de l'échange et de la plus-value réalisée sur la cession des titres issus de l'échange ;

- d'autre part, la conventionnalité des art. 17 point III de la loi de finances du 29 décembre 2013 et 34, II, 5° de la loi du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016, au regard de l'art. 14 de la Convention EDH et de l'art. 1er de son premier protocole additionnel.

Le recours est rejeté.

D'abord, il est jugé que lorsqu'elles sont afférentes à des opérations entrant dans le champ matériel et territorial de la directive " fusions " du 19 octobre 2009, les plus-values placées avant le 1er janvier 2013 en report d'imposition en application de l'article 150-0 B ter sont susceptibles de faire l'objet de l'abattement pour durée de détention prévu au 1 de l'article 150-0 D du CGI, dans les conditions énoncées par deux arrêts de la CJUE du 18 septembre 2019 (AQ contre Ministre de l'Action et des Comptes publics, aff. C-662/18 et DN contre Ministre de l'Action et des Comptes publics, aff. C-672/18) censurant le régime français des plus -values en report d'imposition prévu à l'article 150-0 B ter CGI.

Ensuite, il résulte des dispositions de l'art. 14 de la Convention EDH qu' "une distinction entre des personnes placées dans une situation comparable est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi."

Or le juge, s'il est d'accord avec le requérant pour considérer que les dispositions contestées créent une différence de traitement, en matière d'abattement pour durée de détention, selon que cette opération a été réalisée dans le cadre de l'Union européenne ou qu'elle l'a été dans le cadre national ou en dehors de l'Union européenne, estime que les arrêts précités de la CJUE, du 18 septembre 2019, imposent de renforcer la neutralité fiscale des opérations européennes d'échange de titres et que le respect des exigences découlant du droit de l'Union européenne constitue un objectif d'intérêt public légitime de nature à justifier une différence de traitement entre des situations au demeurant comparables, selon qu'elles sont ou non régies par ces règles.

Le juge considère donc que la loi ainsi interprétée par lui institue un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. Par suite, la différence de traitement en cause peut être regardée comme répondant à une justification objective et raisonnable.

On peut n'être pas convaincu par une motivation censée tenir compte d'une censure européenne du mécanisme en cause et qui se borne à voler au secours d'une interprétation maximaliste de la loi fiscale au terme d'un raisonnement acrobatique.

(31 mars 2021, M. B., n° 441912)

 

65 - Impôt sur le revenu - Action en recouvrement - Mises en demeure - Notifications irrégulières - Absence d'interruption de la prescription - Annulation de l'arrêt d'appel et confirmation de son contenu - Annulation du jugement de rejet.

Le requérant a fait l'objet, les 18 et 19 juin 2014, d'un avis à tiers détenteur et de trois mises en demeure qui ont été notifiés non pas à Lille, dernière adresse que l'intéressé avait communiquée à l'administration fiscale, mais à Paris, adresse à laquelle, au demeurant, il ne résidait plus depuis 1985 et où il n'était propriétaire ou locataire d'aucun bien.

Comme le ministre n'allègue pas que le contribuable aurait tenté d'égarer l'administration fiscale par des changements d'adresse successifs, il s'ensuit que ces notifications irrégulières n'ont pas pu avoir pour effet d'interrompre la prescription de l'action en recouvrement, sans que puisse faire échec à cela le fait que l'adresse située à Paris  figurait au fichier national des comptes bancaires et assimilé (Ficoba) comme étant celle correspondant à un compte détenu par l'intéressé à la Caisse d'Epargne ni non plus le fait que les plis expédiés à cette adresse sont revenus au service revêtus de la mention " Avisé - Non réclamé ".

Le délai de quatre années prévu par l'article L. 274 du livre des procédures fiscales était expiré à la date à laquelle les trois mises en demeure du 24 novembre 2016 ont été notifiées au contribuable, de sorte qu'à cette date, les impositions mentionnées dans ces mises en demeure et restant en litige n'étaient, par l'effet de la prescription, plus exigibles.

C'est ainsi à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande. 

(31 mars 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 438333)

 

66 - Impôt sur la fortune immobilière (IFI) - Plafonnement - Incidence sur ce plafonnement de l'institution d'un prélèvement de l'impôt par retenue à la source - Création d'un impôt de modernisation du recouvrement - Égalité devant les charges publiques - Niveau excessif de fiscalité - Rejet.

La présente affaire est la conséquence de la conjonction entre le principe du plafonnement de l'IFI et la création du prélèvement à la source pour le recouvrement de l'impôt.

Étaient contestés divers paragraphes des commentaires administratifs publiés le 22 novembre 2018 au BOFiP.

Le cadre du litige était constitué, pour l'essentiel et brevitatis causa, par deux dispositions législatives telles qu'interprétées par le § 130 de ces commentaires administratifs.

En premier lieu, le premier alinéa du I de l'article 979 du CGI dispose que :

" L'impôt sur la fortune immobilière du redevable ayant son domicile fiscal en France est réduit de la différence entre, d'une part, le total de cet impôt et des impôts dus en France et à l'étranger au titre des revenus et produits de l'année précédente, calculés avant imputation des seuls crédits d'impôt représentatifs d'une imposition acquittée à l'étranger et des retenues non libératoires et, d'autre part, 75 % du total des revenus mondiaux nets de frais professionnels de l'année précédente, après déduction des seuls déficits catégoriels dont l'imputation est autorisée par l'article 156, ainsi que des revenus exonérés d'impôt sur le revenu et des produits soumis à un prélèvement libératoire réalisés au cours de la même année en France ou hors de France (...) ".

En deuxième lieu, le A du II de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, qui institue, pour le calcul de l'impôt sur le revenu, un prélèvement à la source des revenus perçus par le contribuable au cours de la même année, dispose :

" Les contribuables bénéficient, à raison des revenus non exceptionnels entrant dans le champ du prélèvement mentionné à l'article 204 A du code général des impôts, tel qu'il résulte de la présente loi, perçus ou réalisés en 2018, d'un crédit d'impôt modernisation du recouvrement destiné à assurer, pour ces revenus, l'absence de double contribution aux charges publiques en 2019 au titre de l'impôt sur le revenu ".

Enfin, le § 130 susmentionné concerne l'incidence, pour le calcul du plafonnement de l'impôt sur la fortune immobilière, de l'entrée en vigueur en 2019 du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu.

Le litige porte sur deux critiques adressées à ce paragraphe des commentaires administratifs.

Tout d'abord, ce § 130 précise que l'impôt sur le revenu retenu pour la mise en oeuvre du plafonnement de l'impôt sur la fortune immobilière dû en 2019 est calculé après imputation du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement, lequel neutralise en 2019, dans le cadre de la première année de mise en oeuvre du prélèvement de l'impôt à la source, la cotisation d'impôt sur le revenu due en 2019 sur les revenus de l'année 2018.  Les requérants reprochent à ce paragraphe de méconnaître la volonté du législateur quant à l'effectivité du plafonnement de l'impôt sur la fortune immobilière et d'être ainsi contraires au principe d'égalité devant les charges publiques, garanti par l'article 13 de la Déclaration de 1789, en grevant leur capacité contributive d'une charge de nature confiscatoire. Le juge rejette l'argument en relevant que ces commentaires se bornent à réitérer, sans y ajouter, le I de l'art. 979 du CGI qui a exactement le même contenu. Par suite, s'ils entendaient contester ce dernier, il leur incombait de soulever une QPC à l'appui de laquelle ils auraient déeloppé cette argumentation. Leur prétention est, de ce chef, écarté.

Ensuite, les requérants prétendaient que le § 130 des commentaires administratifs réitèreraient des dispositions législatives qui méconnaissant les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH. En effet, de ce que ces dispositions ne prévoient pas, pour le calcul du plafonnement de la cotisation d'impôt sur la fortune immobilière due au titre de l'année 2019, la possibilité d'inclure les acomptes d'impôt sur le revenu payés en 2019 sur les revenus perçus au titre de cette même année tout en prévoyant qu'il y a lieu, pour ce même calcul, d'imputer sur l'impôt sur le revenu dû au titre de 2018, acquitté en 2019, le crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement dont ils ont bénéficié, il s'ensuivrait que le total des impôts effectivement acquittés en 2019 serait porté à un niveau excessif, constituant ainsi une charge spéciale et exorbitante d'où leur inconventionnalité.

Le Conseil d'État écarte le grief  en relevant que cette disposition transitoire, si elle a pour effet que se cumulent au cours de l'année 2019 le paiement, d'une part, par voie d'acomptes, de la cotisation d'impôt sur le revenu due au titre des revenus de 2019, qui sera définitivement établie en 2020, et, d'autre part, la cotisation d'impôt sur la fortune immobilière dû au titre de 2019, plafonnée en fonction de l'impôt sur le revenu dû au titre de 2018 après imputation du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement, "les conséquences en trésorerie de l'instauration d'un mode de recouvrement de l'impôt sur le revenu contemporain de la perception des revenus qui y sont soumis sont indifférentes pour l'appréciation de la capacité contributive des contribuables concernés".

La réponse est cavalière et fait fi de la loyauté que l'État doit à ses contribuables lesquels risquent de se trouver, par l'effet d'une législation fiscale aussi inattendue que mal venue, dans une situation de trésorerie précaire qui ne doit rien à leur impéritie ou autres. Que la trésorerie ne soit pas un élément ce la capacité contributive des contribuables cela est certain mais que la mise en péril de la trésorerie puisse laisser l'État et surtout le juge, de marbre est une autre affaire. A notre connaissance, il n'existe pas (ou pas encore) un principe de rapacité fiscale.

(31 mars 2021, M. et Mme C. et autres, n° 440543)

(67) V. aussi, pour d'autres illustrations de cette "philosophie" : 31 mars 2021, Mme B., n° 440545 ; 31 mars 2021, M. B., n° 440576.

(68) V. également, très voisin : 31 mars 2021, Mme B., n° 441918.

 

69 - Octroi de mer - Assujettissement des opticiens à cette imposition - Interprétation correcte de la loi fiscale - Rejet.

L'organisation requérante contestait l'interprétation donnée par la directrice générale des douanes de la loi du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer en tant, d'une part, qu'elle estime que l'activité des opticiens est incluse dans le champ de cette imposition et, d'autre part, qu'elle refuse de modifier les termes de la circulaire du 27 décembre 2018 retenant la même interprétation.

Le Conseil d'État rejette le recours en s'appuyant d'abord sur l'art. 2 de la loi précitée selon lequel : " Sont assujetties à l'octroi de mer les personnes qui exercent de manière indépendante, à titre exclusif ou non exclusif, une activité de production (...).

Sont considérées comme des activités de production les opérations de fabrication, de transformation ou de rénovation de biens meubles corporels (...)".

Il se fonde également sur l'annexe I au règlement n° 2658/87 du Conseil du 23 juillet 1987 relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun.

Il résulte de ces dispositions que si les montures, les verres et les lunettes correctrices relèvent de positions tarifaires différentes, l'activité consistant à obtenir des lunettes correctrices à partir, d'une part, de montures et, d'autre part, de verres assemblés après avoir été ajustés, a ainsi, alors même qu'elle s'accompagne de la fourniture de conseils à la clientèle qui les acquiert, la nature d'une activité de production au sens de l'article 2 de la loi du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer. 

(31 mars 2021, Rassemblement des opticiens de France, n° 447979)

 

Droit public de l'économie

 

70 - Opération de concentration - Presse, magazines et sites internet - Offre de prise de contrôle exclusif - Autorisation conditionnelle de l'Autorité de la concurrence - Non-consultation préalable du comité social et économique (CSE) de l'entreprise par cette Autorité - Intérêt pour agir du comité - Vérification de l'existence de la consultation préalable du CSE ne s'imposant pas à l'Autorité de la concurrence - Rejet.

Cette importante décision, rendue en Section, à la lisière du droit public de l'économie et du droit social, est relative à une opération de prise de contrôle exclusif de la société Mondadori France, qui exerce son activité essentiellement dans les secteurs de l'édition de magazines papier ainsi que de l'exploitation de sites éditoriaux en ligne, par le groupe Reworld Media, qui exerce son activité dans les secteurs de l'édition de magazines papier, de l'exploitation de sites éditoriaux en ligne, de la vente d'espaces publicitaires sur ces supports et de l'intermédiation en matière de publicité en ligne. Cette opération a été autorisée par l'Autorité de la concurrence sous condition que le preneur cède à l'un de ses concurrents l'un des magazines de Mondadori consacrés à l'automobile.

Le comité social et économique de la société Mondadori demande l'annulation de la décision d'autorisation prise par l'Autorité de la concurrence motif pris de ce que cette dernière devait s'assurer préalablement à sa décision, ce qu'elle n'a pas fait, que les dispositions relatives à l'information et à la consultation du comité social et économique avaient été respectées par cette société.

Le Conseil d'État résout deux questions juridiques délicates.

En premier lieu, répondant à un argument de l'Autorité de la concurrence en sens contraire, le juge estime qu'eu égard à ses missions légales (cf. art. L. 2312-8 du code du travail) et aux effets de la décision en cause, le CSE justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour former le recours en annulation de la décision litigieuse.

En second lieu, en revanche, il décide qu'aucune disposition des codes du travail ou de commerce n'oblige l'Autorité de la concurrence à ne rendre sa décision qu'après vérification du respect par l'entreprise des dispositions relatives à la consultation du CSE.

(Section, 9 mars 2021, Comité social et économique de l'UES Mondadori Magazines France élargie, n° 433214)

 

71 - Droit public de l'agriculture - Contrôle des structures agricoles - Autorisation d'exploiter des terres agricoles - Aide à l'installation de jeunes agriculteurs - Rejet.

En l'espèce, une personne s'était installée en qualité de jeune agriculteur dans le cadre du GAEC de la Caille, requérant, à compter du 3 octobre 2013, et avait fait valider par le préfet de la Marne, en vue d'obtenir une aide à la première installation d'un jeune agriculteur, un plan de développement de l'exploitation en application des articles D. 343-3 et suivants du code précité. Par un avenant à ce plan validé le 5 mars 2015, il avait été envisagé d'intégrer à l'exploitation les 32 hectares de terre en litige.

Le 4 février 2015, l'un des membres du GAEC a sollicité du préfet de la Marne, au titre de la législation sur le contrôle des structures agricoles, une demande d'autorisation d'exploiter une superficie de 32 hectares environ de terres agricoles en complément des 308 hectares de terres et de vignes déjà exploités par le GAEC. Le préfet a refusé.

Le recours contre ce refus a été rejeté en première instance et en appel. Le GAEC de la Caille se pourvoit en cassation. Le pourvoi est rejeté.

Les textes ont prévu deux dispositifs parfaitement distincts d'aide en matière agricole. En particulier, les art. L. 331-1 à L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime ont prévu une aide à la politique d'installation et au contrôle des structures agricoles tandis que celles des art. D. 343-3 et suivants de ce code fixent le régime des aides à la première installation des jeunes agriculteurs.

En conséquence, le Conseil d’État approuve la cour d'avoir jugé que la validation par le préfet de la Marne, dans le plan de développement de l'exploitation de ce jeune agriculteur, des 32 hectares pour lesquels le GAEC de la Caille sollicitait par ailleurs une autorisation d'exploitation, ne faisait pas obstacle à ce que la même autorité préfectorale, pour l'instruction de cette dernière demande, vérifie si ces terres étaient destinées à permettre l'installation d'un jeune agriculteur. Vainement la requérante fait valoir que le schéma départemental des structures agricoles du département de la Marne alors applicable plaçait en tête de l'ordre de ses priorités " l'installation aidée [d'un jeune agriculteur] après réalisation d'un plan de développement de l'exploitation ". Or l'intéressé, comme l'a également relevé la cour sans dénaturation, avait rejoint le GAEC en 2013, s'était installé comme jeune agriculteur sans intégrer dans son projet d'installation la reprise des terres en litige. Comme cette demande de reprise était intervenue après son installation, elle devait être regardée comme portant sur un agrandissement d'une exploitation existante.

(24 mars 2021, GAEC de la Caille, n° 427955)

 

72 - Contrôle des banques - Demande de désignation, par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), d'un administrateur provisoire auprès d'une banque - Refus - Motivation - Nature juridique - Compétence du juge de l'excès de pouvoir - Condition de désignation non remplie - Rejet.

La société requérante demandait l'annulation de la décision par laquelle le collège de supervision de l'ACPR a refusé de faire droit à sa demande tendant à ce que soit désigné un administrateur provisoire auprès d'une banque.

Sa requête est rejetée.

Tout d'abord, le juge indique que la décision attaquée constitue une décision administrative susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir et non soumise à l'obligation de motivation.

Ensuite, la requérante ayant fait valoir l'existence d'irrégularités et d'anomalies dans le fonctionnement ou la gestion de la banque ainsi que l'intervention du juge correctionnel et tiré de là qu'en raison de la gravité de la situation sa demande de désignation d'un administrtateur provisoire était justifiée, le Conseil d’État reconnaît en cette matière un large pouvoir d'appréciation - autant dire un pouvoir discrétionnaire - à l'ACPR.

Enfin, dès lors que les dirigeants de la banque n'ont pas fait l'objet de mesures de suspension et que cette dernière n'est pas "confrontée à une situation de blocage de ses instances de gouvernance ou à des difficultés financières d'une particulière gravité, de nature à compromettre la préservation de la stabilité du système financier et la protection de ses clients",  l'ACPR, en refusant par la décision contestée de désigner un administrateur provisoire, n'a pas porté une appréciation manifestement erronée.

(25 mars 2021, Société Interhold, n° 438669)

 

Droit social et action sociale

 

73 - Opération de concentration - Presse, magazines et sites internet - Offre de prise de contrôle exclusif - Autorisation conditionnelle de l'Autorité de la concurrence - Non-consultation préalable du comité social et économique (CSE) de l'entreprise par cette Autorité - Intérêt pour agir du comité - Vérification de l'existence de la consultation préalable du CSE ne s'imposant pas à l'Autorité de la concurrence - Rejet.

(Section, 9 mars 2021, Comité social et économique de l'UES Mondadori Magazines France élargie, n° 433214) V. n° 70

 

Élections

 

 

Cette rubrique est particulièrement nourrie ce mois-ci en raison de l'arrivée devant le Conseil d'État des recours, déjà examinés en première instance, dirigés contre les scrutins municipaux et/ou communautaires qui ont eu lieu au printemps 2020, échelonnés, du fait de la pandémie, sur plusieurs mois.

La pandémie elle-même est d'ailleurs l'un des griefs souvent soulevés pour contester soit l'organisation ou le déroulement des opérations électorales soit le résultat du scrutin.

 

 

 

74 - Élections municipales et communautaires - Conseillers - Inéligibilité - Entrepreneurs de services municipaux - Cas d'un chef de cuisine et d'un président d'OGEC - Absence de qualité d'entrepreneurs de services municipaux - Rejet.

L'art. L. 231 du code électoral déclare inéligibles en qualité de conseillers municipaux les entrepreneurs de services municipaux qui exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de six mois.

Le protestataire se fondait sur cette disposition pour demander au juge de déclarer inéligibles deux personnes élues le 15 mars 2020 alors qu'elles revêtaient cette qualité. Sa protestation est rejetée.

En premier lieu, si l'un des élus contestés est salarié de la société titulaire d'une convention de restauration passée avec la commune en vue de fournir le restaurant scolaire de la commune en liaison chaude, il y exerce, en tant qu'agent de maîtrise, des fonctions de chef de cuisine chargé de la gestion. Si ses fonctions le conduisent à être l'interlocuteur de la commune pour établir les besoins en approvisionnements de la restauration scolaire, prestation pour laquelle il dispose de marges de manoeuvre opérationnelles, il n'exerce pas un rôle prépondérant dans les relations contractuelles entretenues avec la commune et ne saurait donc être regardé, au sens et pour l'application de l'article précité, comme "entrepreneur d'un service municipal".

En second lieu, étaient alléguées à l'encontre d'un autre élu la qualité de président de l'organisme de gestion des écoles catholiques (OGEC) gérant l'école Saint-Joseph située sur le territoire de la commune et la circonstance que cette dernière reçoit des subventions municipales. L'argument est rejeté car, d'une part, la présidence de l'OGEC est bénévole, et d'autre part, les subventions sont versées en vertu d'obligations mises par la loi à la charge des communes (art. L. 442-5 et L. 442-44 du code de l'éducation). Ainsi l'OGEC n'a pas la nature d'un service municipal et son président ne saurait être qualifié d'"entrepreneur de services municipaux".

(3 mars 2021, M. B., Élect. mun. et cnautaires de la commune de Saint-Jacut-les-Pins, n° 445635)

 

75 - Élections municipales - Mise à disposition d'une liste de moyens de la commune - Écart important des voix - Autres griefs - Rejet.

La circonstance que des moyens de la commune aient été mis à la disposition d'une liste de candidats, si elle constitue une illégalité certaine, n'entraîne cependant pas ici l'annulation du scrutin en raison du trop grand écart entre les voix obtenues par cette liste et celles recueillies par la liste suivante, ce qui exclut toute atteinte à la sincérité du scrutin.

Les autres griefs (l'existence du courrier d'un adjoint à caractère informatif ou les renvois opérés par le site internet du maire sortant vers le site internet de la mairie) ne sont pas de nature à avoir entaché l'expression des suffrages.

(5 mars 2021, M. E., Él. municipales de la commune de Saint-Germain-sur-Morin, n° 446672)

 

76 - Élections municipales - Élément nouveau de polémique électorale - Élément n'ayant pas été diffusé par un candidat - Circonstance indifférente - Faible écart des voix - Annulation du scrutin.

La diffusion d'un élément nouveau de polémique électoral à un moment où il ne pouvait plus y être répliqué en temps utile avant la clôture de la campagne est de nature, en raison du faible écart des voix, à entacher la sincérité du scrutin quand bien même un candidat n'aurait pas été à l'origine de cette polémique.

(5 mars 2021, M. D., Élections municipales de la commune d'Aiguillon, n° 446493)

(77) V. pour une solution largement identique mutatis mutandis où le juge d'appel confirme le jugement annulant les opérations électorales : 12 mars 2021, M. D. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune de Vendegies-sur-Écaillon, n° 445805.

 

78 - Élections municipales - Existence et moyens de polémique électorale - Absence d'atteinte à la sincérité du scrutin - Confirmation du jugement.

L'utilisation et la diffusion de tracts, de teneur regrettable mais demeurant dans les limites de la polémique électorale, la diffusion d'éléments non publics, attribuables à l'une et à l'autre listes de candidats se compensant, il n'y a pas lieu, ainsi que jugé en première instance, d'annuler le scrutin.

(5 mars 2021, M. B., Él. municipales de Saint-Thibault-des-Vignes, n° 445826)

 

79 - Élections municipales et communautaires - Utilisation de la cérémonie des voeux à des fins de propagande électorale - Courrier adressé à des habitants d'un quartier - Utilisations des moyens ou deniers communaux - Conditions d'accueil des électeurs dans les bureaux de votes - Absence d'atteintes à la sincérité du scrutin - Annulation du jugement annulant les opérations électorales.

Par cette décision, le Conseil d’État annule le jugement prononçant l'annulation des opérations électorales dans une commune.

Il considère, contrairement aux premiers juges, que ni par sa tenue, ni par son importance, ni par le contenu des propos qui y ont été tenus, la cérémonie des voeux du 15 janvier 2020 ne peut être considérée comme ayant constitué une campagne de promotion publicitaire prohibée par les dispositions de l'article L. 52-1 du code électoral et de nature à rompre l'égalité des moyens de propagande entre les candidats. Pas davantage ne constitue une manoeuvre le courrier adressé par le maire et un adjoint en réponse aux demandes des habitants d'un quartier. Enfin, il n'est ni établi que les photographies utilisées par un candidat pour illustrer ses documents de campagne aient été soumises à des droits de reproduction qui auraient été pris en charge par le budget communal, ni établi que le maire aurait utilisé le téléphone dont il disposait en tant que maire à des fins de propagande électorale.

Les autres griefs, divers et variés, ne sont pas retenus non plus.

(5 mars 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Croissy-Beaubourg, n° 445772)

 

80 - Élections municipales et communautaires - Élections s'étant déroulées en période d'épidémie - Atteinte à la sincérité du scrutin - Présence de certaines personnes près de bureaux de vote - Rejet.

La circonstance que les élections litigieuses se sont déroulées en période d'épidémie, si elle a pu dissuader certains électeurs de se déplacer pour voter, n'a pas altéré la sincérité du scrutin auquel la participation a été plus élevée en 2020 qu'en 2014. Les circonstances que le conjoint d'une candidate se soit trouvé en train de discuter, en fin d'après-midi, le jour du scrutin, avec d'autres personnes, à proximité d'un bureau de vote, que des membres d'une liste étaient présents dans les bureaux de vote en qualité de présidents ou de scrutateurs et, enfin, que les électeurs aient été accueillis par certains candidats à l'entrée des bureaux de vote pour garantir les conditions sanitaires et leur respect, n'ont pas altéré la sincérité du scrutin.

(5 mars 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Schnersheim, n° 445561)

(81) V. aussi, présentant quelques similitudes et portant pareillement rejet du recours : 11 mars 2021, Mme C., Él. mun. et cnautaires de Cussac-Fort-Médoc n° 442540.

 

82 - Élections municipales et communautaires - Promotion de l'action municipale - Travaux dans un stade entre les deux tours de scrutin - Distribution de chèques alimentaires aux familles des élèves inscrits à la cantine scolaire - Annulation du jugement annulant les opérations électorales.

Le tribunal administratif avait annulé les opérations électorales dans une commune au triple motif que, dans les six mois précédant les élections, avaient été promues dans un bulletin municipal mensuel les actions réalisées durant le mandat du maire sortant ; que la réalisation de travaux dans un stade paraissaient répondre à des critiques faites durant la campagne concernant l'absence d'accomplissement desdits travaux et, enfin, qu'avaient été distribués entre les deux tours de scrutin des bons alimentaires aux familles dont les enfants étaient insrits à la cantine scolaire.

Le Conseil d’État annule ce jugement, estimant que la promotion de l'action municipale dans des termes identiques à ceux des années précédentes, sur une demi-page d'un bulletin de vingt pages n'excédait pas sa portée simplement informative, que le fait d'entreprendre entre les deux tours de scrutin des travaux de rénovation d'un stade - dont l'absence de rénovation avait été critiquée durant la campagne - ne révélait pas une manoeuvre susceptible d'avoir altéré la sincérité du scrutin et qu'enfin, la chronologie des faits entourant la distribution de chèques ou bons alimentaires accordés par la métropole du Grand Paris, en grande partie indépendante de la volonté communale, n'était pas davantage constitutive d'une telle altération même si a été "regrettable"  "la diffusion sur le compte Facebook personnel de M. X. (maire sortant) d'un message se prévalant des dotations obtenues pour financer l'opération".

Visiblement, la solution n'a pas pour elle les vertus de l'évidence...

(10 mars 2021, M. X. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune de l'Île-Saint-Denis, n° 445257 ; Mme W., Él. mun. et cnautaires de la commune de l'Île-Saint-Denis, n° 445540)

(83) V. aussi, en dépit de l'originalité de certains griefs qu'elle contient, de leur diversité et de leur nombre, la protestation rejetée par : 10 mars 2021, M. BA., Él. mun. et cnautaires de la commune de Parempuyre, n° 445547.

(84) V. également le rejet d'une protestation comportant de nombreux griefs : 12 mars 2021, Mme C., Él. municipales de la commune de Saintigny, n° 445423.

(85) Voir encore, rejetant notamment le grief tiré du comportement d'une association de parents d'élèves : 12 mars 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de Saint-Germain-au-Mont-d'Or, n° 445425.

(86) Voir, à propos d'une élection au bénéfice de l'âge après validation d'un bulletin comportant deux noms dont l'un rayé par stylo et ajout d'un autre nom, lequel n'est pas considéré ici comme un signe de reconnaissance : 12 mars 2021, M. C., Él. municipales de la commune de Confolent-Port-Dieu, n° 445458.

(87) Voir, rejetant en particulier, d'une part, le grief tiré de ce que la liste élue n'avait pas obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés car il a été présenté après l'expiration du délai de recours en première instance et, d'autre part, du grief tiré de ce qu'une liste n'aurait recueilli qu'un nombre de suffrages inférieur au quart du nombre des électeurs inscrits du fait des irrégularités affectant les listes d'émargements, celui-ci ayant été présenté pour la première fois en appel : 12 mars 2021, M. F., Élection municipale de la commune de Templeuve-en-Pévèle, n° 445717. 

 

88 - Élections municipales du 28 juin 2020 - Tardiveté de la saisine du juge - Irrecevabilité - Rejet.

Des élections municipales s'étant déroulées le 28 juin et le délai de recours expirant le vendredi 3 juillet à 18heures, l'envoi postal d'un recours contre celles-ci ayant eu lieu le 2 juillet, les requérants ne sauraient incriminer un retard anormal dans l'acheminement du courrier qui n'a été enregistré au greffe du tribunal que le 6 juillet.

La requête était irrecevable en raison de sa tardiveté.

(12 mars 2021, Mme C. et autres, Él. municipales de la commune de Saint-Michel, n° 443637)

(89) Voir, semblable : 30 mars 2021, M. A., Élections municipales de Wavrin, n° 44950)

(90) Voir, très comparable en ce qu'il est relatif à la tardiveté de certains des griefs invoqués au soutien de la requête, la confirmation du rejet de celle-ci par : 12 mars 2021, M. E., Él. mun. et cnautaires de la commune de Saint-Marcellin, n° 445875.

 

91 - Élections municipales et communautaires - Survenue d'une épidémie - Faiblesse du taux de participation - Conditions de recueil des procurations - Contamination des membres d'une liste - Durée réduite de campagne - Annulation du jugement prononçant l'annulation des opérations électorales.

Cette décision est une bonne démonstration, en matière électorale, de la ténuité qui sépare parfois l'annulation du refus d'annuler ainsi que du degré de subjectivité dans l'appréciation des circonstances de fait.

Pour l'essentiel, il était soutenu que les circonstances épidémiques entourant la campagne et les opérations électorales litigieuses avaient eu pour effet d'altérer la sincérité du scrutin : diminution importante du taux de participation, conditions défectueuses du recueil des procurations, contagion et quarantaire d'une dizaine de membres d'une liste, raccourcissement de la durée effective de la campagne, etc. Les juges du tribunal administratif avaient ainsi annulé les opérations électorales.

Le Conseil d’État, saisi d'un appel contre ce jugement, en a décidé autrement, prenant en considération notamment la disposition d'un mois pour faire campagne, l'utilisation du réseau social "Facebook", la possibilité de répondre dans le cadre de la polémique électorale.

(22 mars 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de La Balme de Sillingy, n° 445083)

(92) V., rejetant notamment ce même argument : 29 mars 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Le Lardin-Saint-Lazare, n° 443527)

(93) V. aussi : 29 mars 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Livarot-Pays d'Auge, n° 445639.

 

94 - Élections municipales - Reprise par une liste de candidats d'éléments de propagande audio-visuels commandés par et réalisés pour la commune en vue de sa propre communication - Avantage financier en raison du moindre coût de ces documents - Faible écart des voix - Annulation de l'élection et du jugement en sens contraire.

Le Conseil d’État censure le jugement refusant de procéder à l'annulation des opérations électorales alors que, d'une part, la liste élue a bénéficié d'un avantage financier injustifié en utilisant pour sa campagne, à moindre coût, dans le cadre de sa page "Facebook", sans réellement les modifier, deux vidéos de projets d'aménagement de la commune portant sur le pôle administratif et les abords de l'église et qui avaient été commandées par la commune à des cabinets d'architectes, et, d'autre part, l'écart entre les deux listes en présence n'était que de 0,47% des suffrages exprimés.

Par là, il a été porté atteinte à la sincérité du scrutin.

(12 mars 2021, Mme A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Pusignan, n° 445719)

 

95 - Élections municipales - Diffusion d'un tract contenant des imputations diffamatoires - Délai de trois jours insuffisants pour répondre - Faible écart des voix - Confirmation de l'annulation des opérations électorales.

La diffusion trop tardive d'un tract contenant des imputations diffamatoires à l'égard de certains candidats, excédant les limites de la polémique électorale, combinée au faible écart des voix justifient l'annulation du scrutin prononcée en première instance.

(12 mars 2021, M. G. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune de Moidieu-Détourbe, n° 445847)

 

96 - Élections municipales et communautaires - Qualité d'ancien maire de la commune - Absence d'intérêt à agir en intervention - Informations municipales sans lien avec l'élection en cours - Mise à disposition d'une liste d'une salle et autres - Éléments non refusés aux autres listes - Impossibilité de tirer argument d'un jugement d'annulation d'autres opérations électorales sur le fondement de griefs identiques - Rejet.

Le juge rappelle que la seule qualité d'ancien maire d'une commune ne confère pas à celui-ci intérêt à intervenir dans une instance en annulation des opérations électorales s'étant déroulées dans cette commune.

Par ailleurs, aucun des griefs soulevés ne convainc ici le juge d'opérer l'annulation électorale qu'il lui était demandé de prononcer, qu'il s'agisse de l'usage de photographies dont le droit de reproduction a été régulièrement acquis auprès de la commune, du prêt à une liste d'une salle communale, d'un chapiteau et de l'utilisation d'un branchement électrique dès lors que ceux-ci n'ont pas été refusés aux autres listes, de la diffusion d'informations municipales sans rapport avec les élections litigieuses, ou encore la circonstance que le même tribunal aurait, pour annuler les élections tenues dans une autre commune, retenu les griefs développés dans la présente instance, etc.

(12 mars 2021, M. E. et Mme J., Él. mun. et cnautaires de Sainte-Anne, n° 441734)

 

97 - Procédure contentieuse en matière électorale - Particularités - Notion de bulletin valide - Signe de reconnaissance - Présence ou non d'un bulletin de vote accompagnant une profession de foi - Égalité de voix - Annulation confirmée du scrutin.

Cette affaire est intéressante d'abord parce qu'elle permet au juge de rappeler deux particularités de la procédure contentieuse en matière électorale.

D'abord, il résulte des dispositions combinées de l'article R. 773-1 du code de justice administrative et des articles R. 119 et R. 120 du code électoral que, par dérogation aux dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, les tribunaux administratifs ne sont pas tenus d'ordonner la communication aux auteurs des protestations, des mémoires en défense des conseillers municipaux dont l'élection est contestée, ni des autres mémoires ultérieurement enregistrés et qu'il appartient seulement aux parties, si elles le jugent utile, de prendre connaissance de ces défenses et mémoires ultérieurs au greffe du tribunal administratif, dépôt dont ils sont avisés par l'examen de l'application Sagace (sur ce point, voir ci-après, au n° 98, du même jour : M. M. et autres, Élections de la commune de Biches, n° 445338). 

Ensuite, la protestation tendant à l'annulation d'une élection, lorsqu'elle est fondée sur des griefs tirés de la validité des bulletins de vote, a pour effet automatique de saisir le juge de la validité des bulletins qui sont contestés devant lui et de tous ceux des mêmes bureaux.

En l'espèce, était contestée la validité d'un bulletin de vote et le juge examine d'office celle de deux autres bulletins. Le premier bulletin a été déclaré à tort nul comme comportant un signe de reconnaissance alors que cela ne résulte pas des documents annexés au procès-verbal, le deuxième n'était pas nul, contrairement aux indications du procès-verbal, parce que si l'enveloppe contenait une profession de foi elle contenait aussi un bulletin de vote ; enfin, le dernier était nul car, à l'inverse du précédent, s'il contenait une profession de foi il ne comportait pas de bulletin de vote.

Les deux listes ayant recueilli le même nombre de suffrages aucune d'elles ne dispose de la majorité des voix et c'est donc sans erreur de droit que le tribunal administratif a annulé le premier tour de scrutin.

(12 mars 2021, Mme AK. et autres, Él. mun. et cnautaires de Chevreuse, n° 442454)

 

98 - Élections municipales - Moyens de propagande - Destruction des bulletins de vote autres que ceux annexés au procès-verbal - Rejet.

Outre le rejet des habituels arguments d'irrégularité de la propagande dès lors qu'ils ne sont pas en réalité irréguliers ou disproportionnés ou qu'il n'est pas démontré qu'ils ont eu pour effet d'altérer les résultats du scrutin, cette décision se signale à l'attention par deux aspects.

Le premier est évoqué au n° précédent.

Le second est relatif à l'application en l'espèce des dispositions de l'art. R. 68 du code électoral selon lesquelles " Les bulletins autres que ceux qui, en application de la législation en vigueur, doivent être annexés au procès-verbal sont détruits en présence des électeurs ". En l'espèce tous les bulletins avaient été détruits hors la présence des électeurs, sauf deux, déclarés nuls et annexés au procès-verbal du dépouillement du scrutin. Le juge estime ce procédé régulier.

(12 mars 2021, M. M. et autres, Élections municipales de la commune de Biches, n° 445338)

 

99 - Élections municipales et communautaires - Bulletins - Bulletins blancs et bulletins nuls - Décompte annexé au procès-verbal - Mention postérieure dans ce procès-verbal - Absence d'admission du grief d'irrégularité - Rejet.

Parmi les griefs, dont aucun n'est retenu par le juge, figurait celui tiré du non-respect des dispositions des articles 63, 64 et 67 du code électoral. En particulier, le dernier alinéa de ce dernier article dispose : " Dès l'établissement du procès-verbal, le résultat est proclamé en public par le président du bureau de vote et affiché en toutes lettres par ses soins dans la salle de vote ". En l'espèce, selon la narration du juge, à l'issue des opérations de vote "(...) 517 enveloppes ont été trouvées dans l'urne.

Le dépouillement, dont il est constant qu'il a été effectué conformément aux dispositions (précitées), a conduit à constater que 9 bulletins étaient nuls et 8 bulletins blancs.

Parmi les 500 suffrages exprimés, 251 bulletins de vote ont été comptés en faveur de la liste conduite par M. H., contre 249 bulletins de vote en faveur de la liste de M. E.

Le résultat de l'élection a été proclamé et le procès-verbal des opérations électorales, qui ne portait alors aucune réclamation, a été signé par les personnes requises à 19 heures 6 minutes. Si un recomptage des voix a été effectué postérieurement, à l'issue duquel M. E. allègue avoir identifié deux bulletins qui auraient dû, selon lui, être regardés comme nuls, ce qui l'a conduit à ajouter une mention au procès-verbal, ce nouveau décompte ne peut être regardé comme revêtant un caractère probant alors que les bulletins de vote sont restés sans surveillance pendant une vingtaine de minutes.

Le grief tiré de l'irrégularité des opérations de vote ne peut par suite qu'être écarté".

(12 mars 2021, M. E., Él. mun. et cnautaires de la commune de Maubert-Fontaines, n° 447200)

 

100 - Élections municipales - Manoeuvres - Absence - Irrégularités prises ensemble et séparément ne pouvant entraîner l'annulation du scrutin - Rejet.

Le protestataire invoquait plusieurs griefs au soutien de sa demande d'annulation d'opérations électorales.

Tout d'abord, la circonstance que, pendant deux périodes de deux heures, le bureau de vote n'aurait pas été tenu par deux de ses membres, en méconnaissance des dispositions de l'art. R. 42 du code électoral, n'est pas susceptible, en l'absence de toute manoeuvre, d'entraîner l'annulation de l'élection.

Ensuite, la circonstance que les corrections apportées sur la feuille de pointage ne portaient que sur la comptabilisation du nombre total des voix apportées à chaque candidat, non sur le pointage des voix, dont il n'est d'ailleurs pas soutenu qu'elles aient constitué des manoeuvres, ne sont pas de nature à entraîner l'annulation du scrutin d'autant que le dépouillement a été opéré publiquement, sans que les personnes présentes aient été empêchées de vérifier que le pointage opéré correspondait aux bulletins lus.

Enfin, ni la circonstance que le procès-verbal aurait été rédigé par la secrétaire de mairie et non par le secrétaire du bureau, ni celle que les ratures figurant sur la feuille de pointage n'y auraient pas été mentionnées, ni celles que les bulletins n'auraient pas été détruits en présence des électeurs mais dans la pièce attenante ou que les résultats auraient été proclamés avant l'établissement du procès-verbal, ne sont de nature, dès lors qu'il n'est pas soutenu qu'elles auraient été constitutives de manoeuvres, à entraîner l'annulation du scrutin.

Ainsi, aucun des moyens pris séparément et ceux-ci pris ensemble ne justifie une annulation du scrutin.

(26 mars 2021, M. N., Élections municipales de Mongaillard, n° 445505)

 

101 - Élections municipales - Enveloppes adressées au domicile des électeurs avec un des bulletins de vote manquant - Désignation de délégués en nombre insuffisant - Défaut de leurs signatures sur des procès-verbaux - Rejet.

La circonstance de la réception par certains électeurs, à leur domicile, d'enveloppes où était manquant l'un des bulletins de vote, même en présence d'une épidémie incitant à exprimer son vote chez soi avec les moyens à disposition, n'a pas été de nature à altérer le scrutin dès lors que ces bulletins étaient en nombre suffisant dans les bureaux de vote.

Une liste n'ayant pas désigné un nombre suffisant de délégués habilités ne saurait se plaindre de ce que ceux-ci, absents, n'ont pas signé deux des trois procès-verbaux et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que les candidats et représentants de cette liste qui ont assisté aux opérations de vote et au dépouillement auraient constaté des irrégularités dont l'inscription au procès-verbal leur aurait été refusée. 

(26 mars 2021, M. B., Élections municipales de Ballainvilliers, n° 445788)

 

102 - Élections municipales et communautaires - Polémique électorale - Sincérité du scrutin - Bulletins comportant des erreurs - Rejet.

Aucune des irrégularités invoquées, dont une partie n'est pas établie et certaines ont été soulevées trop tardivement, n'a convaincu le juge de l'existence d'atteintes à la sincérité du scrutin susceptibles d'en avoir influencé les résultats.

Les propos tenus et accusations portées au cours d'une séance du conseil municipal n'ont pas excédé les limites de la polémique électorale ;  la lacération d'affiches et l'apposition de graffitis injurieux tout comme la distribution de tracts en faveur d'une liste sont intervenues bien trop avant le déroulement du scrutin pour en avoir altéré la sincérité ; il n'est pas établi que le refus de prêt d'une salle communale n'ait pas été opposé à toutes les listes ; les erreurs de prénoms ou de noms entachant certains des bulletins d'une liste n'entachaient point de nullité ces derniers dès lors qu'il s'agissait d'un scrutin de liste et que les électeurs ne pouvaient se méprendre sur la liste pour laquelle ils  avaient à se prononcer, etc.

(29 mars 2021, M. F., Él. mun. et cnautaires de la commune de Voulx, n° 447182)

 

103 - Élections municipales - Établissement des procurations - Refus de dépôt de bulletins de vote - Emplacement contesté de bulletins - Rejet.

Est confirmé en tous points le jugement rejetant la protestation de l'appelant et fondé sur ce que : 1°/ contrairement à ses allégations, le recueil des procurations n'a pas été irrégulier, 2°/ c'est à bon droit qu'a été refusé le dépôt de ses bulletins en format portrait, donc irrégulier, 3°/ ce refus n'a pas altéré la sincérité du scrutin étant donné le laps de temps très bref s'étant écoulé entre ce refus, à l'ouverture du bureau de vote, et la fourniture, quelques minutes plus tard, de bulletins de forme régulière, 4°/ enfin la disposition prétendument irrégulière, parce que guère visible, des bulletins de sa liste n'est pas attestée.

(30 mars 2021, M. D., Élections municipales de Boëseghem, n° 445503)

 

104 - Listes électorales - Inscriptions et radiations à tort sur et de ces listes - Confirmation du jugement du tribunal administratif - Rejet.

La circonstance que cinq électeurs auraient été radiés à tort et cinq autres retirés à tort des listes électorales, à la supposer établie, ne résulte pas de manoeuvres ou d'irrégularités de nature à avoir altéré la sincérité du scrutin.

(30 mars 2021, M. C., Élections municipales de Larrivoire, n° 445658)

 

105 - Élections municipales - Protestation dirigée contre le premier tour de scrutin - Absence de candidat proclamé à l'issue de celui-ci - Absence de demande qu'un candidat soit proclamé élu - Requête sans objet - Rejet.

Est sans objet et peut être rejetée par ordonnance la protestation demandant l'annulation d'un tour de scrutin qui n'a donné lieu à la proclamation d'aucun élu et qui ne sollicite pas qu'il soit procédé à la désignation d'un élu.

(30 mars 2021, Liste Alliance Meyzieu Indépendante, n° 441780)

 

106 - Élections municipales et communautaires - Faible écart des voix - Vidéo dénonçant des "intimidations" - Polémique électorale tardive - Altération de la sincérité du scrutin - Annulation des opérations électorales.

La double circonstance d'une accusation grave portée contre les membres d'une liste adverse d'être à l'origine d'intimidations à laquelle il a été répondu sans que puisse être mesuré l'effet utile de cette réponse et d'une distribution massive de tracts auxquels il n'a pu être répliqué utilement jointe au faible écart de voix (cinq voix) séparant les listes conduit le juge à confirmer le jugement prononçant l'annulation du scrutin.

(30 mars 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Crespin, n° 445347)

 

107 - Élections municipales - Inéligibilités - Entrepreneur de services municipaux - Débroussaillage occasionnel par un auto-entrepreneur - Absence d'inéligibilité - Annulation du jugement en sens contraire.

C'est à tort qu'un tribunal administratif déclare inéligible un élu en raison de sa qualité d'entrepreneur des services municipaux, dont il annule ainsi l'élection (cf. 6° de l'art. 231 du code électoral), alors qu'en tant qu'auto-entrepreneur il a été rémunéré en deux ans pour 67 heures, effectuées de façon occasionnelle, de débroussaillage, de nettoyage et d'entretien de chemins alors qu'en outre la commune fait également appel à un autre entrepreneur pour ses travaux de broyage.

Il faut approuver une solution marquée au coin du bon sens et du réalisme.

(30 mars 2021, M. B., Élections municipales de Pretin, n° 445410)

(108) V. aussi, rejetant une protestation fondée sur la prétendue inéligibilité d'une électrice dont il n'est pas établi qu'elle ne remplirait pas les conditions fixées aux art. L. 11 et L. 228 du code électoral dans la mesure où elle est inscrite sur les listes électorales, réside dans la commune dans une maison dont elle est usufruitière : 30 mars 2021, M. A., Élections municipales de Saint-Lizier, n° 445496.

 

109 - Élections municipales et communautaires - Accessibilité du bureau de vote aux personnes handicapées - Faible taux de participation - Diffusion non irrégulière de tracts - Présence d'un grand nombre de personnes dans la salle de dépouillement du scrutin - Méconnaissance éventuelle des recommandations sanitaires - Rejet.

C'est à juste titre que le tribunal administratif a rejeté une protestation en vue que soient annulées les élections ici en cause : la circonstance d'un faible taux de participation liée à une épidémie n'a pas altéré la sincérité du scrutin; la distribution d'un tract litigieux a eu lieu durant la période de campagne électorale ; il n'est pas établi que des électeurs handicapés aient été empêchés d'exercer leur droit de vote et, enfin, la circonstance du non respect des prescriptions sanitaires n'entache pas d'irrégularité le scrutin.

(30 mars 2021, MM. C. et B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Pernes, n° 445494)

 

110 - Élections municipales et communautaires - Griefs présentés tardivement - Note en délibéré - Absence de réouverture de l'instruction - Rejet.

D'une part, le protestataire ne saurait faire grief aux premiers juges de n'avoir pas rouvert l'instruction à la suite de la réception de la note en délibéré que ce dernier avait produite, cette réouverture n'étant pour le juge qu'une faculté sauf dans trois cas dont aucun ne se présente en l'espèce.

D'autre part, les griefs soulevés devant la juridiction d'appel sont irrecevables faute d'avoir été soulevés dans le délai de recours devant le tribunal administratif.

(30 mars 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Monchecourt, n° 445665 et n° 447858)

 

111 - Élections municipales - Griefs nouveaux en appel - Autres griefs non étayés - Rejet.

L'appel contre le jugement de première instance est rejeté : d'une part, sont irrecevables les moyens nouveaux en appel, d'autre part sont rejetés par adoption des motifs retenus par les premiers juges, les moyens repris de première instance sans être étayés par des éléments nouveaux ou encore l'invocation de pressions qu'aucun élément du dossier ne vient corrober.

(30 mars 2021, M. A., Élections municipales de Saint-Romain-au-Mont-d'Or, n° 446007)

 

112 - Élection d'adjoints de quartier - Convocation aux réunions du conseil municipal - Absence d'irrégularité - Moyen nouveau en appel - Irrecevabilité - Rejet.

Rejet d'une protestation :

1°/ car la remise en main propre et dans le délai légal des convocations à une séance de conseil municipal ne saurait constituer une irrégularité d'autant que l'ensemble des conseillers municipaux étaient présents à cette séance ;

2°/ car le moyen tiré d'un vice de forme dans le libellé des convocations n'a été invoqué pour la première fois qu'en cause d'appel, il est donc irrecevable.

(30 mars 2021, Mme F., Élection d'adjoints de quartier de la commune du Tampon, n° 446461)

 

113 - Élections municipales - Contestation de la validité de bulletins de vote - Office du juge - Rectification des résultats de l'élection - Bulletins déclarés nul à tort - Rejet.

Estimant que deux bulletins avaient été à tort considérés comme nuls, des protestataires avaient obtenu du tribunal administratif l'annulation de la décision du bureau de vote et, en conséquence, procédé à la modification des résultats du scrutin proclamés par le bureau de vote.

Une élue qui du fait de ces rectifications ne l'est plus, conteste ce jugement mais en vain.

Tout d'abord, le Conseil d'État rappelle une règle très illustrative des pouvoirs de juge de plein contentieux qui sont ceux du juge électoral : " (...) une protestation tendant à l'annulation d'une élection, lorsqu'elle est fondée sur des griefs tirés de la validité des bulletins de vote, saisit le juge de la validité des bulletins qui sont contestés devant lui et de tous ceux des mêmes bureaux qui figurent au dossier ou dont il ordonne le versement au dossier. Il n'appartient pas au juge de procéder, notamment pour d'autres bureaux, à d'autres investigations que celles qu'impliquent les griefs soulevés devant lui dans les délais impartis par la loi aux recours en matière électorale. Au terme de ses vérifications, le juge doit réviser les décomptes des voix et modifier, le cas échéant, les résultats de l'élection".

Ensuite, pour le cas de l'espèce, il est jugé que c'est à tort que deux bulletins de vote ont été écartés du décompte des voix au motif qu'ils comportaient des signes distinctifs. L'un ne portait qu'une simple éraflure et l'autre une tache à peine perceptible : ils ne pouvaient être déclarés nuls dès lors que ces traces ne sont pas suffisantes pour être considérées comme des signes de reconnaissance. C'est donc sans erreur de droit que les premiers juges ont réintégré ces deux bulletins dans les suffrages exprimés et procédé à la rectification subséquente des opérations électorales du second tour de scrutin de la commune.

(31 mars 2021, Mme J., Élections municipales de Frayssinet, n° 446450)

 

114 - Élections municipales - Annulation du scrutin par le tribunal - Motifs insuffisants pour justifier cette annulation - Exament des autres griefs du fait de l'effet dévolutif de l'appel - Annulation du jugement et rejet des autres griefs.

Le Conseil d'État annule ici un jugement prononçant l'annulation d'élections municipales au double motif d'un travestissement à des fins politiques des indications portées sur trois panneaux de circulation routière et d'une mise en cause de la probité d'un candidat via le réseau Facebook. Il estime, d'une part, que les panneaux maquillés font allusion à un élément de polémique électorale qui n'est pas nouveau et, d'autre part, que l'information litigieuse donnée sur un réseau télématique n'a été suivie d'aucune réaction de ses membres et a été retirée peu après.

Toutefois, saisi par l'effet dévolutif de l'appel des griefs que les premiers juges n'avaient pas examinés du fait de l'annulation qu'ils avaient prononcée, le Conseil d'État les rejette notamment parce que les uns sont relatifs à des éléments non nouveaux de polémique électorale et parce qu'il a pu être répliqué en temps utile aux autres.

(31 mars 2021, M. CV. et autres, Élections municipales du Chesnay-Rocquencourt, n° 447880)

 

Environnement

 

115 - Produits biocides - Réglementation nationale plus restrictive que celle de l'Union européenne - Marge de liberté des États - Difficulté sérieuse conditionnant la solution du litige - Renvoi préjudiciel à la CJUE.

Les requérants demandaient l'annulation du décret 26 juin 2019 relatif à la publicité commerciale pour certaines catégories de produits biocides. Rejetant les autres griefs, le Conseil d’État retient que constitue une difficulté sérieuse la question de savoir, dès lors que le règlement européen n° 528/2012 ne comporte aucune disposition autorisant un État membre à prévoir des mesures restrictives du type de celles qui figurent aux articles L. 522-18 et L. 522-5-3 du code de l'environnement ni le lui interdisant, si de telles mesures, non prévues par le règlement, peuvent être prises sans déroger ou porter atteinte à ce règlement et sans faire obstacle à son bon fonctionnement.

En effet, les dispositions législatives en application desquelles ont été prises les dispositions réglementaires attaquées ont pour objectif de prévenir, pour certains produits biocides, les inconvénients que leur usage excessif présente pour la santé publique et l'environnement. Si cet objectif n'est pas en contradiction avec ceux du règlement européen précité, les interdictions que prévoient ces dispositions législatives interviennent dans le champ de la mise sur le marché des produits biocides, que le règlement a pour objet d'harmoniser au niveau européen, sans renvoyer à l'adoption de textes d'application par les États membres et sans que de tels textes d'application soient rendus nécessaires pour sa pleine efficacité. 

La réponse à cette question conditionne bien la solution du litige et revêt par suite un caractère préjudiciel d'où le renvoi à la Cour de Luxembourg.

(5 mars 2021, Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises (CIHEF) et autres, n° 433889 ; CIHEF et autres, n° 433890, jonction)

 

116 - Référés liberté et suspension - Semences de betterave sucrière - Traitement par produits phytopharmaceutiques - Produits contenant des substances néonicotinoïdes - Arrêté autorisant à titre provisoire un tel traitement - Suspension refusée - Rejet.

En raison de la propagation de pucerons ayant provoqué la jaunisse de la betterave sucrière et la perte d'une grande partie de la récolte, le ministre de l'écologie a, en application de dispositions dérogatoires du droit national ainsi que du droit de l'Union, autorisé pour une période provisoire le traitement de ces betteraves avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride ou thiaméthoxame. 

Les deux recours joints contestent la légalité dudit arrêté, ils sont rejetés.

Le premier, qui est un référé liberté, estimait illégal un arrêté ayant des incidences mortifères en particulier pour les abeilles et leur fonction pollinisatrice en raison de la persistance dans les sols et les plantes, pendant une longue durée, des substances autorisées. Le Conseil d’État rejette cette argumentation en raison 1° de la limitation dans le temps - conformément à la réglementation européenne - de la dérogation litigieuse afin de sauver une production agricole, 2° de ce que ce qui est reproché figure en réalité non dans l'arrêté attaqué mais dans la loi elle-même qui a été jugée conforme à la Charte de l'environnement et au droit de propriété des apiculteurs, par le Conseil constitutionnel (n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020).

Le second recours, en référé suspension, invoquait diverses violations, de fond et de forme, du droit de l'Union (absence de réelle urgence, autorisation d'emploi d'une substance non autorisée par la Commission européenne, absence de notification régulière de l'arrêté à la Commission et aux États-membres, etc.).

 (ord. réf. 15 mars 2021, Association " Terre d'abeille " et autres, n° 450194 ; Association "Agir pour l'environnement" et autres, n° 450199, jonction)

116 bis - Emballages ménagers - Cahiers des charges des éco organismes de traitement d'emballages - Signalétique et marquage en matière de tri de déchets d'emballages - Pénalisation financière des producteurs utilisant des emballages marqués "Point vert" - Interdiction propre à la France - Mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative (art. 34 TFUE) - Suspension ordonnée.

L'annexe II, 4°, à un arrêté ministériel du 25 décembre 2020 portant modification du cahier des charges des éco-organismes et à un arrêté du 30 novembre 2020 relatif aux signalétiques et marquages pouvant induire une confusion sur la règle de tri ou d'apport du déchet issu du produit, était contesté par des organismes producteurs et utilisateurs d'emballages.

L'arrêté du 25 décembre 2020 frappe d'une pénalité financière les producteurs et utilisateurs d'emballages comportant le logo "Point vert" au motif de protection de l'environnement en vue d'économiser des ressources naturelles.

Les requérants, obligés de distinguer entre les emballages selon qu'ils sont destinés à être utilisés et jetés en France ou dans le reste de l'Union européenne, se plaignent de ce que l'application, seulement en France, de cette pénalité a pour effet de renchérir le coût dans ce dernier pays et donc constitue une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative, prohibée par l'art. 34 du TFUE.

Guère convaincu par l'argumentation ministérielle, le juge des référés, constatant l'existence simultanée d'un moyen sérieux et d'une urgence, ordonne la suspension de l'arrêté litigieux.

(ord. réf. 15 mars 2021, Association française des industries de la détergence (AFISE) et autres, n° 450160 et n° 450164)

 

État-civil et nationalité

 

117 - Référé suspension - Adoption internationale d'enfants - Adoption en Haïti - Suspension par arrêté - Absence d'urgence - Rejet.

Les requérants demandaient la suspension d'arrêtés ministériels suspendant du 11 mars 2020 jusqu'au 30 juin 2021 les procédures d'adoption internationale, par toute personne résidant en France, d'enfants ayant leur résidence habituelle en Haïti.

Pour rejeter la requête, le juge des référés du Conseil d’État relève que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et cela pour plusieurs motifs : la durée longue de la procédure haïtienne d'adoption; le renouvellement quasi automatique, à conditions inchangées, des agréments déjà accordés lorsqu'est expirée la durée pour laquelle ils ont été accordés; la circonstance que celles des procédures qui sont proches de leur dénouement ont été exclues de la suspension décidée par les arrêtés litigieux ; enfin, la certitude qu'une décision du Conseil d’État sera rendue au fond avant l'été.

Par ailleurs, le juge rappelle que si les enfants concernés encourent de graves risques de toute nature du fait de la situation haïtienne actuelle, l'installation en France des enfants adoptés ne pourra pas avoir lieu, de toute façon, avant plusieurs mois.

Enfin, est rappelé le risque grave qu'encourent les adoptants français en se rendant dans ce pays.

(ord. réf. 15 mars 2021, Mme BM. et autres, n° 450145)

 

Étrangers

 

118 - Référé liberté - Demandeurs d'asile - Cessation de l'hébergement d'urgence - Suppression des conditions matérielles d'accueil - Situation particulière de Mayotte au regard des questions asilaires - Impossibilité d'hébergement et substitution d'octroi d'une aide matérielle - Annulation de l'ordonnance attaquée.

Une demanderesse d'asile et son enfant de onze ans, de nationalité burundaise, se sont vus privés, dans l'attente d'une décision sur le recours introduit devant la Cour nationale du droit d'asile contre le rejet par l'OFPRA de ladite demande enregistrée à Mayotte, d'abord d'un hébergement d'urgence assuré par une association puis de l'aide financière sous forme de bons alimentaires à compter du 31 janvier 2020. Le tribunal administratif, par une ordonnance du 25 décembre 2020, a rejeté son référé liberté dirigé contre le refus de l'Office français de l'immigration et de l'intégration de la diriger vers un centre d'hébergement pour elle et son fils, de lui verser l'allocation pour demandeur d'asile et de l'autoriser provisoirement à travailler. Elle conteste le rejet de son référé devant le Conseil d’État.

Celui-ci, après avoir relevé qu'actuellement l'intéressée et son fils sont sans ressources depuis le 31 janvier 2020 et vivent dans l'unique pièce d'une habitation de fortune partagée avec douze autres personnes, sans accès à l'eau courante ni à l'électricité, estime qu'en dépit du temps qui a passé sa requête revêt encore un caractère d'urgence et que la situation est, pour eux, grave.

Puis, prenant acte de ce qu'aucune place d'hébergement n'est actuellement disponible dans la seule structure existant à cet effet à Mayotte, le juge enjoint à l'État d'accorder sans délai les aides matérielles mentionnées à l'article L. 761-1 du CESEDA. Il ajoute que si la forme de ces aides peut être liée aux particularités de la situation dans ce département, elles doivent être de nature à assurer à la requérante ainsi qu'à son fils un niveau de vie qui garantisse leur subsistance et protège leur santé physique et mentale, en prenant en compte la circonstance qu'il ne leur est pas proposé d'hébergement. 

La solution est généreuse et empreinte d'une certaine compassion.

(ord. réf. 12 mars 2021, Mme C., n° 448453)

 

119 - Demande d'asile présentée par les parents - Rejet définitif de leur demande - Enfant mineur entré en France postérieurement au rejet de la demande de ses parents - Possibilité de demander l'asile au nom de cet enfant - Demande s'analysant en une demande de réexamen (art. L. 723-15 CESEDA) - Rejet.

Rappel de deux solutions bien établies en jurisprudence en matière de demandes d'asile en présence d'enfant(s) mineur(s).

D'une part, l'étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile doit présenter une demande en son nom et, le cas échéant, au nom de ses enfants mineurs qui l'accompagnent. En cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur postérieurement à l'enregistrement de sa demande, l'étranger est tenu, tant que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou, en cas de recours, la Cour nationale du droit d'asile, ne s'est pas prononcé, d'en informer cette autorité administrative ou cette juridiction. La décision rendue par l'office ou, en cas de recours, par la Cour nationale du droit d'asile, est réputée l'être à l'égard du demandeur et de ses enfants mineurs.

D'autre part, les parents d'un enfant entré en France après l'enregistrement de leur demande d'asile peuvent présenter, postérieurement au rejet définitif de leur propre demande, une demande au nom de leur enfant. Cependant, la demande ainsi présentée au nom de l'enfant mineur doit alors être regardée, dans tous les cas, comme une demande de réexamen au sens de l'article L. 723-15 du CESEDA.

(25 mars 2021, M. B. représenté par son père, n° 450659)

 

120 - Statut de réfugié d'un ressortissant russe - Décision de l'OFPRA mettant fin à ce statut - Cour nationale du droit d'asile (CNDA) annulant la décision de l'OFPRA mettant fin à la qualité de réfugié et rejetant les conclusions de l'intéressé tendant à se voir reconnaître cette qualité - Office du juge - Erreur de droit - Cassation et renvoi à la CNDA.

Méconnaît son office et commet une erreur de droit la décision de la CNDA vérifiant d'office si l'intéressé remplissait les conditions prévues aux articles 1er de la convention de Genève et L. 711-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour se voir reconnaître la qualité de réfugié alors que l'OFPRA n'avait pas remis en cause devant la CNDA la qualité de réfugié du requérant. En effet, la possibilité de refuser le statut de réfugié ou d'y mettre fin, en application de l'article L. 711-6 du CESEDA, est sans incidence sur le fait que l'intéressé a ou conserve la qualité de réfugié. La CNDA, seulement saisie d'un recours dirigé contre une décision mettant fin au statut de réfugié prise sur le fondement dudit article L. 711-6, ne pouvait donc pas décider comme elle l'a fait en l'espèce. La cassation est prononcée avec renvoi à la Cour.

(30 mars 2021, M. B., n° 431792)

 

121 - Procédure devant la Cour nationale du droit d'asile - Dépôt d'une note en délibéré - Note non visée dans l'arrêt de la Cour - Irrégularité - Cassation.

A été rendu dans des conditions irrégulières conduisant à sa cassation l'arrêt de la CNDA qui ne vise pas la note en délibéré que le requérant lui avait transmise le 26 septembre 2019 via l'application " CNDém@t ", après l'audience qui s'est tenue le 20 septembre 2019 et avant la lecture de sa décision le 27 septembre 2019. 

(30 mars 2021, M. B., n° 439960)

 

Fonction publique et agents publics

 

122 - Pension militaire d'invalidité - Révision - Date d'effet de la décision de révision - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Rappel de ce qu'en cas de révision du taux d'une pension militaire d'invalidité la décision prend effet non à compter de la demande initiale de liquidation de la pension mais à celle de la demande de révision.

(3 mars 2021, Ministre des armées, n° 432081)

 

123 - Attribution d'une pension de réversion du chef d'une épouse décédée - Remariage subséquent de l'intéressé - Non-déclaration du mariage - Répétition de l'indu par la Caisse des dépôts et consignations - Faute partielle de la Caisse - Réduction du montant de l'indu - Annulation du jugement.

Son épouse, ouvrière de l'État, étant décédée, une pension de réversion a été concédée au requérant. Celui-ci n'a déclaré que treize ans après, à la Caisse des dépôts et consignations, organisme versant la pension, qu'il s'était remarié. La Caisse a réclamé la restitution des montants indus de pensions qu'il avait perçus soit 44026,66 euros.

On ne revient pas ici sur une part importante de la décision qui est consacrée à la résolution d'une délicate question de prescription, pour relever plutôt la circonstance que le juge, prenant en considération le fait que l'intéressé n'était pas de mauvaise foi et que la Caisse était fautive pour ne l'avoir point interrogé sur sa situation familiale, a réduit le montant de la restitution allouée à la Caisse à 29350,00 euros, soit une réduction d'un tiers de la dette.

(4 mars 2021, M. B., n° 433653)

(124) V. aussi, s'agissant du régime de la preuve de la durée minimale d'un mariage célébré en Algérie en vue de l'attribution d'une pension de réversion à la veuve d'un militaire : 4 mars 2021, Mme C., n° 434588.

 

125 - Officier du service de renseignement - Non-dénonciation d'activités suspectes de son futur beau-père - Sanction disciplinaire - Connaissance des faits par l'intéressé non établie - Annulation.

Un officier du renseignement a fait l'objet de la sanction de vingt jours d'arrêt pour n'avoir pas porté à la connaissance de ses supérieurs des éléments d'information qu'il détenait sur des agissements d'intelligence avec une puissance étrangère de son futur beau-père alors qu'il servait lui-même dans un service de renseignement à cette date. 

Relevant que l'administration du renseignement ne fournit aucun élément pour établir l'inaction du requérant, le juge annule la sanction.

En revanche, il refuse de lui accorder l'euro symbolique en réparation du préjudice moral subi par le demandeur faute qu'il ait sur ce point lié le contentieux par une demande préalable...

(4 mars 2021, M. A., n° 441755)

 

126 - Compétence du tribunal administratif en premier et dernier ressort - Litige portant sur le non-versement d'une prime - Litige étant sans finalité indemnitaire - Appel devant être porté devant la cour administrative d'appel.

Si les tribunaux administratifs, jusqu'à un certain montant, statuent en premier et dernier ressort sur les actions indemnitaires sous réserve d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, cette règle dérogatoire n'est pas applicable à une contestation relative au non-versement d'une prime. En ce cas l'appel doit être porté devant la cour administrative d'appel.

(10 mars 2021, Mme C., n° 433225)

 

127 - Ouvrier de l'État (cuisinier) - Admission d'office à faire valoir ses droits à la retraite - Annulation de cette décision - Obligation de réintégration formelle - Absence - Annulation de l'arrêt d'appel imposant cette exigence.

Commet une erreur de droit l'arrêt d'appel qui, pour juger non exécutée une décision ordonnant la réintégration d'un agent admis à tort d'office à la retraite, juge que ne pouvait être prise qu'une "réintégration formelle" alors qu'une réintégration de fait suffit à considérer la décision de justice comme exécutée.

(4 mars 2021, Ministre des armées, n° 438372)

 

128 - Agent hospitalier - Auxiliaire de puériculture - Demande de reclassement sur un emploi sédentaire - Mise à la retraite pour limite d'âge - Statut particulier ne comportant pas d'indication sur la limite d'âge - Application des règles régissant les emplois de la fonction publique hospitalière classés dans la même catégorie - Erreur de droit - Annulation.

Voila une affaire peu banale de mise à la retraite pour limite d'âge d'un agent hospitalier, auxiliaire de puériculture, dont le statut particulier ne contient pas de dispositions relatives à la limite d'âge.

Le Conseil d’État juge qu'il faut en ce cas procéder par comparaison avec les règles de fixation de l'âge de départ à la retraite applicables dans les emplois de la fonction publique hospitalière classés dans la même catégorie que celle à laquelle appartient l'agent. En l'espèce, l'emploi occupé par l'agent relevait de la catégorie B dite "active" où la limite d'âge applicable est régie par les dispositions de l'art. 28 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites et non, contrairement à ce qui avait jugé par la cour administrative d'appel, par celles de l'art. 31 qui concerne les agents de catégorie "A".

L'annulation est prononcée avec renvoi de l'affaire à la cour.

(24 mars 2021, CHU de Toulouse, n° 421065)

 

Libertés fondamentales

 

129 - Covid-19 - Dispositions portant adaptation de règles de la procédure pénale pour cause d'épidémie - Délai d'exercice des voies de recours - Utilisation des techniques de communication audiovisuelle - Publicité restreinte ou supprimée des débats judiciaires - Entretien de garde à vue sous forme électronique ou téléphonique - Régime de prolongation des gardes à vue de certains mineurs - Règles dérogatoires de durée de détention provisoire ou d'assignation à résidence - Prolongation du délai des mesures de placement des mineurs délinquants -  Annulations partielles et réouverture des débats sur une éventuelle modulation des effets de celles-ci.

Les requérants demandaient l'annulation au fond de dix articles de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale et de la circulaire du 26 mars 2020 de la ministre de la justice présentant les dispositions de cette ordonnance.

S'il rejette nombre de griefs, le juge des référés en retient un certain nombre parmi les plus importants. Il prononce l'annulation :

- de l'article 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020 en tant qu'il ne prévoit pas la suspension des délais fixés par les dispositions du code de procédure pénale ou par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour l'exercice d'une voie de recours entre le 17 et le 26 mars 2020 lorsque le recours ne pouvait, en l'état des textes applicables, être exercé que par déclaration au greffe de la juridiction compétente et que le délai de recours était échu au cours de cette période ;

- de l'article 5 de cette ordonnance en ce qu'il ne soumet l'exercice de la faculté pour le juge d'imposer au justiciable le recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle ou, le cas échéant, de communication téléphonique devant l'ensemble des juridictions pénales, à la seule exception des juridictions criminelles, à aucune condition légale et ne l'encadre par aucun critère. En raison de l'importance que revêt la garantie qui s'attache à la présentation physique du justiciable devant la juridiction pénale, les dispositions de cet article sont jugées porter une atteinte au droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la convention EDH que ne peut justifier le contexte de lutte contre l'épidémie de Covid-19;

- de l'article 16 de l'ordonnance attaquée en tant qu'il prévoit la prolongation de plein droit des délais maxima de détention provisoire pour une durée de deux, trois ou six mois, et de l'article 17 de cette ordonnance en tant qu'il allonge les délais d'audiencement dans le cadre des procédures de comparution immédiate et de comparution à délai différé pour les personnes placées en détention provisoire dans l'attente de l'audience de jugement, parce que, ce décidant, ces dispositions méconnaissent les stipulations du paragraphe 3 de l'article 5 de la convention EDH selon lesquelles : "3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1. c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience ". L'annulation concerne aussi l'article 15 de l'ordonnance ainsi que la circulaire du garde des sceaux du 26 mars 2020 en tant qu'ils concernent les dispositions de ces articles 16 et 17.

(5 mars 2021, Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation et autres, n° 440037 ; M. C., n° 440165, jonction)

 

130 - Prisons - Condition de vie et d'hygiène en milieu carcéral - Pouvoirs et office du juge du référé liberté - Exercice du pouvoir d'injonction.

Le requérant, détenu dans une prison de Polynésie française, a saisi le juge du référé liberté d'une série de demandes relatives à l'état, parfois déplorable, de ce service public.

C'est là une question récurrente et irritante à laquelle le juge s'efforce d'apporter quelque solution dans les étroites limites d'action qui sont les siennes.

Le juge rappelle, aux points 6 et 7 de son ordonnance, le cadre de son intervention : l'exigence d'une atteinte grave à une liberté fondamentale, l'exercice d'une juridiction du provisoire sauf si cela ne suffit pas à sauvegarder la liberté fondamentale en cause et qui peut aller jusqu'à ordonner, à titre provisoire, que soit prise une mesure d'organisation du service,  le bref délai de 48 heures, la prise en compte des efforts déjà faits par l'administration, des moyens dont elle dispose et du délai de mise en place des mesures éventuellement ordonnées, la faculté d'ordonner, dans des décisions ultérieures, des mesures complémentaires, le pouvoir d'enjoindre et d'ordonner sous astreinte, etc.

En l'espèce, il est fait injonction aux autorités pénitentiaires de demander à leur prestataire de modifier les méthodes qu'il utilise afin de renforcer l'efficacité de la lutte contre les rats dans la cour de promenade et les coursives d'un bâtiment du centre pénitentiaire ; de procéder à un curage toutes les semaines des canalisations d'évacuation des eaux usées situées dans la cour de promenade d'un bâtiment ; de modifier l'aménagement des parloirs afin de permettre une qualité de communication correcte entre les détenus et leurs visiteurs.

(2 mars 2021, M. A., n° 449514)

 

Police

 

131 - Traitement de données à caractère personnel - Prévention et lutte contre les violences collectives lors de manifestations sportives - Existence d'autres traitements de données personnelles dédiés aux violences commises par des supporters - Rejet.

(ord. réf. 2 mars 2021, Association nationale des supporters, n° 449429)

V. n° 10

 

132 - Services d'ordre assurés par la police ou la gendarmerie pour le compte de personnes privées - Mise à leur charge des dépenses induites par l'accomplissement de missions excédant les obligations légales des forces de l'ordre - Missions ne plaçant pas les forces de l'ordre sous l'autorité de personnes privées - Charge de ces dépenses ne rompant pas l'égalité devant les charges publiques - Rejet de la QPC.

L'article L. 211-11 du code de la sécurité intérieure dispose que : " Les personnes physiques ou morales pour le compte desquelles sont mis en place par les forces de police ou de gendarmerie des services d'ordre qui ne peuvent être rattachés aux obligations normales incombant à la puissance publique en matière de maintien de l'ordre sont tenues de rembourser à l'État les dépenses supplémentaires qu'il a supportées dans leur intérêt ".

La requérante conteste la constitutionnalité de cette disposition et soulève de ce chef une QPC que le Conseil d’État rejette.

Tout d'abord, de ce qu'une circulaire serait irrégulière en tant qu'elle commente cette disposition il ne s'ensuit pas l'inconstitutionnalité de cette dernière.

Ensuite, il est à nouveau rappelé qu'il n'est pas possible d'invoquer l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité ou d'intelligibilité de la loi au soutien d'une QPC.

Egalement, la circonstance que des personnes privées puissent bénéficier de services d'ordre assurés par les forces de police ou de gendarmerie n'a pas pour effet de placer ces dernières sous l'autorité de ces personnes. L'inconstitutionnalité invoquée de ce chef n'existe pas.

Enfin, concernant la mise à la charge de ces personnes privées des frais engendrés par la mise en oeuvre de ces services d'ordre ne porte pas atteinte au principe d'agalité devant les charges publiques, d'une part parce que l'initiative d'y recourir appartient aux seules personnes privées le désirant, et d'autre part, parce que seule est mise à la charge de ces personnes la partie des frais excédant ceux résultant de l'accomplissement de missions d'intérêt général.

(16 mars 2021, Société d'exploitation de l'Arena, n° 448010)

 

133 - Personnes handicapées - Détention d'une carte de stationnement pour personnes handicapées ou d'une carte mobilité inclusion avec mention "stationnement pour personnes handicapées " - Gratuité du stationnement - Absence d'apposition de la carte contre le pare-brise du véhicule - Circonstance sans incidence sur le droit à gratuité - Rejet.

Le Conseil d’État juge que le droit à la gratuité du stationnement sur les emplacements publics institué en faveur des véhicules des personnes handicapées ou destinés à leur transport est lié seulement à la détention d'une carte de stationnement pour personnes handicapées ou d'une carte mobilité inclusion avec mention "stationnement pour personnes handicapées" et non, en outre, à l'apposition de cette carte contre la face interne du pare-brise du véhicule.

Solution généreuse mais peu réaliste au regard de l'exigence de contrôle et du risque avéré de fraude.

(24 mars 2021, Commune de Tours, n° 428742)

(134) Voir, par comparaison, la solution retenue lorsque l'accompagnateur de la personne handicapée titulaire de la carte omet d'enregistrer son stationnement par horodateur ou système dématérialisé alors que la commune avait fixé une durée maximale de stationnement gratuit de vingt-quatre heures pour les personnes titulaires d'une carte de stationnement pour personnes handicapées ou pour les tierces personnes les accompagnant et imposé à celles-ci de déclarer le début de leur stationnement par horodateur ou système dématérialisé : 24 mars 2021, Commune de Marseille, n° 431132.

 

Professions réglementées

 

135 - Référé suspension - Masseur-kinésithérapeute - Refus d'inscription à un tableau départemental de l'ordre - Praticien sous le coup d'une interdiction d'exercer - Absence d'urgence à statuer - Rejet.

Est rejeté pour défaut d'urgence le référé tendant à la suspension d'un refus d'inscrire un masseur-kinésithérapeute sur un tableau départemental de l'ordre, l'intéressé se trouvant sous le coup d'une interdiction d'exercer sa profession durant seize mois.

(2 mars 2021, M. B., n° 449945)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

136 - Services d'ordre assurés par la police ou la gendarmerie pour le compte de personnes privées - Mise à leur charge des dépenses induites par l'accomplissement de missions excédant les obligations légales des forces de l'ordre - Missions ne plaçant pas les forces de l'ordre sous l'autorité de personnes privées - Charge de ces dépenses ne rompant pas l'égalité devant les charges publiques - Rejet de la QPC.

(16 mars 2021, Société d'exploitation de l'Arena, n° 448010) V. n° 132

 

Responsabilité

 

137 - Préjudice lié à une hospitalisation - Evaluation du taux de perte de chance - Application de ce taux à l'état de santé ainsi qu'aux frais exposés par la victime - Erreur de droit - Cassation partielle sans renvoi.

Commet une erreur de droit la juridiction  qui, après avoir estimé à 85% la perte de chance d'éviter une aggravation de l'état de santé de la demanderesse du fait des conditions de prise en charge au CHU de Caen, applique ce taux non seulement aux préjudices affectant son état de santé mais également aux frais exposés par elle pour se faire assister de trois médecins-conseils et pour ses déplacements afin de se rendre aux réunions d'expertise, alors que ces derniers frais doivent être entièrement remboursés.

(10 mars 2021, Mme B., n° 433790)

 

138 - Agent public - Éducation nationale - Retard dans la prise du décret d'exécution d'une loi - Perte d'une chance sérieuse d'être titularisé - Absence d'examen de l'existence de cette perte - Cassation dans cette mesure.

Dans le cadre d'un litige portant sur le retard mis par l'État à prendre le décret d'application de la loi du 11 janvier 1984 en vue de permettre la titularisation de certains agents, les parties, dont l'État défendeur, n'avaient pas contesté le motif du jugement du 5 juillet 2016 par lequel le tribunal administratif de Lille avait jugé que lors de la demande faite par l'intéressé en 1987, l'abstention de l'État, au-delà d'un délai raisonnable, à avoir pris le décret d'application nécessaire à la titularisation des agents contractuels dans les corps de catégories A et B relevant du ministère de l'éducation nationale était fautive. Le Conseil d’État censure l'erreur de droit commise par la cour administrative d'appel en se bornant à juger qu'il n'était pas alors légalement possible que celui-ci soit titularisé sans rechercher si la faute commise par l'État ne l'avait pas privé d'une chance sérieuse de l'être. 

(11 mars 2021, Mme C., n° 433065)

 

139 - Évaluation de l'indemnisation - Préjudice de même nature que celui dont souffrait la victime antérieurement à l'accident - Lien direct entre préjudice et accident - Interdiction d'évaluer un préjudice global par retranchement de celui-ci du préjudice existant - Annulation sans renvoi, réglement de l'affaire au fond.

L'intéressé, ouvrier professionnel qualifié dans un centre hospitalier, a perdu la vue de son oeil gauche par suite d'un décollement de la rétine en 2004. En 2007, un accident de service lui fait perdre également la vision par son oeil droit. Devenu aveugle, se pose la question de l'évaluation du préjudice en vue de son indemnisation.

Le Conseil d’État pose, pour la première fois, le principe suivant en ces termes : " Pour évaluer le montant de l'indemnité due au titre du préjudice de déficit fonctionnel permanent imputable à un accident alors que la victime souffrait antérieurement d'une infirmité de même nature, il appartient aux juges du fond de se livrer, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce, à une estimation du préjudice de déficit fonctionnel permanent résultant directement de l'événement ayant causé la nouvelle infirmité."

La cour administrative d'appel, pour calculer ce préjudice, avait déterminé le préjudice global résultant de la cécité totale dont elle avait déduit le préjudice résultant de la cécité de l'oeil gauche. Le Conseil d’État reproche à cette solution de ne pas reposer sur une évaluation directe du seul préjudice résultant de la cécité consécutive à l'accident de service. Pour autant, se perçoit bien lalimite de cette critique lorsqu'on lit ensuite comment procède le Conseil d’État. Celui-ci écrit : " Il résulte de l'instruction et notamment des rapports d'expertise, que M. A. souffre, en raison de sa cécité totale, d'un taux de déficit fonctionnel permanent de 85%. Compte tenu, d'une part, du montant de l'indemnisation correspondant à un tel taux de déficit fonctionnel permanent pour une personne de son âge et, d'autre part, de la circonstance qu'il souffrait, avant l'accident en litige, d'un déficit fonctionnel permanent lié à la perte totale d'un de ses deux yeux, il sera fait, eu égard à l'indemnisation correspondant à cette infirmité d'un oeil, une juste appréciation de ce chef de préjudice en le fixant à 250 000 euros."

En réalité, il est aisé de relever que la perte d'un second oeil conduisant à une cécité totale est un préjudice bien plus important que la perte de deux fois un seul oeil.

(24 mars 2021, M. A., n° 428924)

 

Santé 

 

140 - Référé liberté - Arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales - Invocation de l'obstination déraisonnable - Conditions de mise en oeuvre - Mesure d'instruction ordonnée - Suspension de l'arrêt des traitements.

Nouvelle illustration d'une situation devenue si fréquente qu'elle en revêt une banalité tragique : une équipe médicale décide, au nom du refus de l'obstination déraisonnable, d'arrêter les traitements de suppléance des fonctions vitales d'un patient tandis que sa famille s'y oppose.

Cette dernière saisit le Conseil d’État d'un recours en annulation de l'ordonnance de référé rejetant sa demande de suspension de la décision d'arrêter les soins.

Le juge rappelle dans les termes suivants le protocole à suivre et les exigencers impératives qu'il comporte :

" 6. Pour apprécier si les conditions d'un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies s'agissant d'un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu'en soit l'origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité. Les éléments médicaux doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l'état actuel du patient, sur l'évolution de son état depuis la survenance de l'accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique. Une attention particulière doit être accordée à la volonté que le patient peut avoir exprimée, par des directives anticipées ou sous une autre forme.

7. Enfin, si l'alimentation et l'hydratation artificielles ainsi que la ventilation mécanique sont au nombre des traitements susceptibles d'être arrêtés lorsque leur poursuite traduirait une obstination déraisonnable, la seule circonstance qu'une personne soit dans un état irréversible d'inconscience ou, à plus forte raison, de perte d'autonomie la rendant tributaire d'un tel mode d'alimentation, d'hydratation et de ventilation ne saurait caractériser, par elle-même, une situation dans laquelle la poursuite de ce traitement apparaîtrait injustifiée au nom du refus de l'obstination déraisonnable."

Cette rédaction témoigne d'une exigence accrue des juges à l'égard des décisions du corps médical, peut-être même d'un certain raidissement, le point 7 est, à cet égard, éloquent et en forme d'avertissement.

Constatant être saisi d'appréciations contradictoires entre celles données par la requérante et sa famille et celles fournies par le groupe hospitalier universitaire (GHU) Paris - Psychiatrie et Neurosciences, le juge ordonne une mesure d'instruction à fin de désignation d'un expert disposant de compétences reconnues en neurosciences.

La suspension de l'arrêt des traitements est ordonnée.

(ord. réf. 8 mars 2021, Mme Sylvie Hannion, n° 449834)

 

141 - Référé liberté - Vaccination contre le Covid-19 - Convention conclue entre l'État et une société prestataire - Société recourant aux services d'un hébergeur de données personnelles basé aux États-Unis - Incompatibilité avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) - Absence en raison des mesures prises par la société cocontractante avec l'État - Rejet.

(ord. réf. 12 mars 2021, Association InterHop et autres, n° 450163)

V. n° 12

 

142 - Spécialité pharmaceutique - Demande d'inscription d'une spécialité sur la liste de celles agréées pour les collectivités publiques - Refus - Motivation - Appréciation du service médical rendu par cette spécialité - Rejet.

Les requérantes demandaient l'annulation de la décision interministérielle du 11 avril 2019 refusant l'inscription de la spécialité Reverpleg 40 U.I/2ml, sur la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités publiques prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, ainsi que la décision implicite de rejet de leur recours gracieux formé le 7 juin 2019.

Deux moyens principaux étaient développés au soutien du recours.

En premier lieu, était critiquée la motivation des décisions attaquées, ce grief est rejeté car le juge relève l'existence d'une motivation suffisante notamment par appropriation de l'avis frendu à ce sujet par la Haute autorité de santé ; il rappelle que l'exigence de motivation ne s'impose qu'à la décision contestée non au rejet du recours gracieux formé contre cette décision.

En second lieu, il ressort de l'examen des pièces que le motif tiré de ce que le médicament en cause, d'une part, n'a une efficacité hémodynamique que sur le maintien d'une pression artérielle moyenne cible de plus de 65 mmHg chez des patients ayant déjà un choc septique stabilisé, qui ne présentent donc pas d'hypotension réfractaire aux catécholamines et, d'autre part, que celui-ci n'a pas un effet réducteur de la morbi-mortalité des patients démontrée d'une manière statistiquement significative. Aucune erreur manifeste d'appréciation n'est ainsi relevée cdans les décisions attaquées.

(17 mars 2021, SAS Amomed Pharma et Centre spécialités pharmaceutiques, n° 435139)

(143) V. aussi, assez comparable mutatis mutandis : 17 mars 2021, Société Bayer Healthcare, n° 436965.

 

Service public

 

144 - Enseignement privé hors contrat - Organisation d'une épreuve optionnelle au baccalauréat - Différence de régime par rapport à l'enseignement public et à l'enseignement privé sous contrat - Atteinte au principe d'égalité devant les examens et concours publics - Absence.

Cette décision soulève une question récurrente concernant la place faite par notre droit à l'enseignement privé hors contrat. D'un côté est reconnue la liberté fondamentale d'organisation et de fonctionnement d'un enseignement privé ne faisant pas appel à l'argent public car situé hors contrat, d'un autre côté sont sans cesse portés des coups de canif à une prétendue égalité sans cesse grignotée par l'administration confortée par le juge. C'est une situation malsaine et dangereuse. Malsaine car il faut appeler un chat un chat et dissocier complètement le pouvoir de contrôle de l'État de la condition juridique de l'enseignement privé, qu'il soit sous ou hors contrat : il suffirait de dire que, s'agissant des conditions morales, de programme, d'hygiène et de sécurité, l'étendue du contrôle exercé est la même quelle que soit la nature, publique ou privée, de l'établissement. En se comportant de façon beaucoup plus insidieuse l'État court un danger, celui de se voir accusé, avec succès, de vider de sa substance la liberté prétendument reconnue.

L'association requérante  demandait, par voie de référé liberté, que soient étendues  aux élèves de l'enseignement privé hors contrat ayant choisi l'enseignement optionnel " Langues et cultures de l'Antiquité " les modalités d'évaluation applicables pour cette épreuve optionnelle aux élèves de l'enseignement public et de l'enseignement privé sous contrat telles qu'elles sont contenues dans  l'arrêté du 31 décembre 2018 modifiant l'arrêté du 16 juillet 2018 relatif aux épreuves du baccalauréat général à compter de la session de 2021.

Pour rejeter ce recours, le Conseil d’État retient tout d'abord que la liberté laissée aux  établissements hors contrat en matière de programmes d'enseignement et de déroulement de la scolarité pour l'enseignement du second degré, la faculté de prévoir des modalités distinctes de fixation de la note de contrôle continu du baccalauréat selon que l'établissement est public ou privé sous contrat ou, au contraire hors contrat, " ne méconnaît ni la liberté de l'enseignement, ni la liberté d'expression et de conscience, ni l'intérêt supérieur de l'enfant".

Ensuite, le juge tire de là que la circonstance que la note de contrôle continu prévue à l'article 1er de l'arrêté du 16 juillet 2018 soit fixée, pour les candidats inscrits dans les établissements hors contrat en tenant compte des notes obtenues par eux aux évaluations ponctuelles prévuesce texte n'est pas de nature à porter atteinte au principe d'égalité entre les candidats au baccalauréat.

Avouons qu'aussi bien la première proposition que la seconde peinent à convaincre. On voudrait pousser les établissements hors contrat à contracter que l'on ne s'y prendrait pas autrement. Que reste-t-il de la "substance" du droit qui leur est reconnu d'exister ? Qu'en penserait la Cour EDH éventuellement saisie ?

(ord. réf. 4 mars 2021, Association Civitas, n° 449467)

 

Sport

 

145 - Traitement de données à caractère personnel - Prévention et lutte contre les violences collectives lors de manifestations sportives - Existence d'autres traitements de données personnelles dédiués aux violences commises par des supporters - Rejet.

(ord. réf. 2 mars 2021, Association nationale des supporters, n° 449429) V. n° Informatique

 

146 - Fédération française de rugby - Contrat conclu avec une société de droit irlandais - Organisation de la coupe du monde de rugby 2007 - Perception de revenus de billetterie et de compétition - "Redevance de tournoi" versée par la Fédération à la Société - Redevance contrepartie de la concession du droit incorporel d'orgnisation - Assujettissement à la TVA - Invocations impossibles d'une doctrine fiscale et du principe de confiance légitime - Substitution de motif - Rejet.

(25 mars 2021, Fédération française de rugby, liquidateur du groupement d'intérêt public (GIP) " Coupe du monde de rugby 2007 ", n° 438050) V. n° Dr F

 

Travaux publics et expropriation

 

147 - Expropriation - Arrêté de cessibilité - Parcelles constituant un "patecq" - Terrain en indivision perpétuelle et forcée - Obligation d'identifier toutes parties de parcelles et tous les co-indivisaires du patecq - Absence - Annulation de l'arrêt sans renvoi.

Dans le cadre d'une procédure d'expropriation des terrains nécessaires au réaménagement de la place de la mairie de la commune de Taradeau en vue de réaliser un espace public piétonnier avec rampe d'accès à cette place, a été pris un arrêté de cessibilité. Celui-ci portait notamment sur un terrain constituant un "patecq" c'est-à-dire une indivision perpétuelle et forcée. Il était reproché à l'arrêté préfectoral de cessibilité de n'avoir point, en violation des dispositions de l'art. R.11-28 du code de l'expropriation, identifié les différentes parcelles constituant le terrain à exproprier ainsi que les différents co-indivisaires.

Annulant l'arrêt d'appel qui s'était mépris sur la portée des écritures déposées par les requérants, le Conseil d’État confirme le jugement de première instance qui avait estimé que l'omission, dans l'arrêté de cessibilité litigieux, de mentionner l'ensemble des propriétaires indivis ne satisfaisait pas aux exigences de l'article précité.

(2 mars 2021, M. J. et autres, n° 437392)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

148 - Règles particulières de procédure - Obligation de notification du recours (gracieux et/ou contentieux) au pétitionnaire (art. R. 600-1 c. urb.) - Absence - Irrecevabilité opposée à tort - Recours non dirigé contre un permis de construire - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis le juge qui déclare irrecevable un recours prétendument dirigé contre un permis de construire pour n'avoir pas fait l'objet d'une notification au pétitionnaire alors que le recours gracieux contestait la délibération du conseil municipal approuvant la procédure de mise en compatibilité du plan local d'urbanisme engagée sur le fondement de l'article L. 300-6-1 du code de l'urbanisme.

(3 mars 2021, Association Sauvons la forêt valbonnaise, n° 431525)

 

149 - Règles particulières de procédure - Compétence du tribunal administratif en premier et dernier ressort (R. 811-1-1 cja) - Compétence dérogatoire d'interprétation stricte - Attribution du litige à une cour.

Le Conseil d’État rappelle que les dispositions de l'art. R. 811-1-1 cja qui attribuent aux tribunaux administratifs, jusqu'au 31 décembre 2022, la compétence en premier et dernier ressort pour connaître des recours dirigés contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou contre les permis d'aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire de certaines communes sont, parce que dérogatoires, d'interprétation stricte. Elles ne s'appliquent donc pas aux jugements statuant sur des recours formés contre des refus d'autorisation.

C'est pourquoi la présente affaire est soumise au droit commun, l'appel relevant non du Conseil d’État mais d'une cour administrative d'appel.

(3 mars 2021, Commune de La Garde, n° 441112)

(150) V. aussi, pour un autre cas d'inapplication de l'art. R. 811-1-1 cja : 3 mars 2021, Préfet de la Charente-Maritime, n° 445809.

 

151 - Routes et autoroutes - Création d'une liaison routière à deux fois deux voies - Légalité externe projet - Légalité interne du projet - Rejet.

Le présent arrêt concerne le contentieux né du projet de mise à deux fois deux voies, sous forme de liaison autoroutière, de la route conduisant de Castres à Verfeil.

Le recours est rejeté car les arguments de légalité externe comme ceux de légalité interne n'ont pas convaincu le juge.

Au plan de la légalité externe, le contreseing du ministre chargé de l'urbanisme n'était pas requis; la composition de la commission d'enquête n'était pas irrégulière du seul fait que plusieurs de ses membres étaient des retraités de la fonction publique; l'étude d'impact est suffisamment détaillée et précise au regard des objectifs qui lui sont assignés et compte tenu des précisions complémentaires apportées dans le cadre de l'enquête publique ; l'évaluation socio-économique est globalement satisfaisante en tant qu'elle informe suffisamment les participants à l'enquête et qu'elle n'est pas susceptible, en dépit de quelques insuffisances, de les induire en erreur ; le déroulement de l'enquête publique n'est pas entaché des irrégularités prétendues par les requérants et la création d'un échangeur ne constituant pas une modification substantielle du projet il n'y a pas lieu de procéder à une seconde enquête publique ; enfin, la Commission européenne n'avait pas à être consultée contrairement à ce que prétendent les demandeurs.

Au plan de la légalité interne, d'une part, l'importance qui s'attache à ce projet combiné avec les inconvénients qu'il peut comporter ne lui retire pas son caractère d'utilité publique, d'autre part, les articles L. 212-1 et L. 215-13 du code de l'environnement, contrairement à ce qui est soutenu, ne sont pas méconnus : la déclaration d'utilité publique de travaux autoroutiers ne constitue pas une décision prise "dans le domaine de l'eau" au sens de ces dispositions et il ne résulte pas des textes que la déclaration d'utilité publique de travaux de dérivation des eaux impliqués par la réalisation d'un projet déclaré d'utilité publique doive être préalable à la déclaration d'utilité publique du projet.

(5 mars 2021, Commune de Bonrepos Riquet et autres, n° 424323 ; Associations France nature environnement Midi-Pyrénées et Nature en Occitanie, n° 424356 ; Association La coulée verte, n° 424375, jonction)

 

152 - Permis de construire - Permis de régularisation - Utilisation successive de l'art. L. 600-5-1 puis L. 600-5 du code de l'urbanisme - Respect du droit à recours effectif - Importance des effets de la régularisation sur le projet objet du permis de construire - Rejet.

Il est parfois permis de se demander s'il existe encore, pleinement, un contentieux de l'urbanisme tant il est devenu difficile pour un requérant d'obtenir l'annulation d'un permis de construire ou d'une procédure juridictionnelle portant sur un tel permis.

Une société avait obtenu le 25 avril 2018 un permis de construire en vue de l'édification de deux maisons individuelles et de la création de deux logements supplémentaires dans un bâtiment existant, puis un permis de construire modificatif le 30 mai 2018.

Le tribunal administratif, statuant sur le premier permis de construire, sur le fondement de l'art. L. 600-5-1 c. urb., avait sursis à statuer dans l'attente d'un permis de régularisation. Ce permis obtenu, son annulation a été demandée à ce juge. Le tribunal l'a annulé et, sur le fondement cette fois de l'art. L. 600-5 c. urb., a sursis à statuer dans l'attente de la délivrance d'un permis de régularisation.

Saisi d'un pourvoi de la demanderesse le Conseil d’État apporte deux séries de précisions.

1°/ Les premiers juges n'ont pas commis d'erreur de droit en décidant, par un premier jugement, de surseoir à statuer sur le fondement de l'art. L. 600-5-1 c. urb. puis, par un second jugement et alors qu'ils constataient l'irrégularité du permis de régularisation pour un autre vice que celui ayant entraîné l'annulation du permis initial, de surseoir à nouveau à statuer pour régularisation, sur le fondement de l'art. L. 600-5 c. urb. L'intéressée pouvant saisir le juge administratif dans les deux cas il n'est nullement porté atteinte à son droit à un recours effectif.

2°/ De façon assez subtile en pratique, le juge indique qu'un vice entachant le bien-fondé d'un permis de construire peut être régularisé même dans le cas où cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, sous une double limite.

D'une part, il faut que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent cette mesure de régularisation et d'autre part, cette dernière  ne doit pas impliquer qu'il soit apporté à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.

La différence entre revoir l'économie générale d'un projet d'urbanisme (ce qui est permis) et bouleverser ledit projet (ce qui est interdit) ne va pas de soi.

(17 mars 2021, Mme C., n° 436073)

 

153 - Exception d'illégalité ou contestation du refus d'abroger un acte prétendu irrégulier - Moyens seuls invocables - Effets sur l'art. L. 600-1 c. urb. - Rejet.

Rappel de ce qu'en cas de contestation d'un acte réglementaire intervenant après l'expiration du délai de recours contentieux contre cet acte, soit par voie d'exception soit au moyen d'un recours pour excès de pouvoir contre le refus de l'abroger, la légalité des règles qu'il fixe, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées. En revanche, les conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne peuvent être utilement invoqués que dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre cet acte réglementaire lui-même et à condition qu'il ait été introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux.

L'art. L. 600-1 du code de l'urbanisme prévoit que certains vices de forme affectant la légalité d'un plan local d'urbanisme (PLU) peuvent être invoqués par voie d'exception sans condition de délai. Cette règle ne concerne pas le contentieux né du refus d'abrogation d'un PLU.

Il s'ensuit qu'en ce dernier cas c'est le droit commun ci-dessus rappelé qui s'applique.

(24 mars 2021, M. A. c/ Commune de Saint-Sauveur-de-Puynormand, n° 428462)

 

154 - Taxe d'aménagement - Assiette - Notion de reconstruction - Détermination de l'assiette de la taxe en ce cas - Substitution de motifs - Rejet.

La taxe d'aménagement est due en cas de construction, de reconstruction et d'agrandissement des bâtiments, installations ou aménagements de toute nature soumises à un régime d'autorisation en vertu du code de l'urbanisme.

En l'espèce, il fallait, d'une part, déterminer la nature de l'opération assujettie à cette taxe et d'autre part, calculer cette dernière.

Pour qu'une opération soit qualifiée de "reconstruction", le Conseil d’État relève qu'elle doit comporter la construction de nouveaux bâtiments à la suite de la démolition totale des bâtiments existants, ce qui était bien le cas dans chacune de ces affaires jointes.

Ensuite, pour le calcul de l'assiette de la taxe, le juge estime qu'elle est constituée par la surface totale des constructions nouvelles sans déduction de la surface détruite.

(25 mars 2021, Société Villa Florence, n° 431603 ; Société Les Terrasses de Lauga, n° 431605 ; Société L'Amiral, n° 431606 ; Société Villa Irrika, n° 431607 ; Société Meridiana, n° 431609, jonction)

Précédent
Précédent

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Suivant
Suivant

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État