Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Janvier 2021

  

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Décrets d'application de dispositions législatives - Obligation de mise à disposition effective du public des décisions de justice - Refus implicite - Décret renvoyant à un arrêté ultérieur le soin de fixer la date d'entrée en vigueur de cette mise à disposition - Inexécution persistante de dispositions législatives - Injonction au garde des sceaux de le faire sous trois mois.

Les articles L. 10 du code de justice administrative et L. 111-13 du code de l'organisation judiciaire, dans la version qui leur a été donnée successivement par les art. 20 et 21 de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique et par l'art. 33 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, ont prévu la mise à disposition du public des décisions de justice. L'association requérante, qui avait saisi en ce sens le premier ministre par un courrier du 18 décembre 2018, estimant s'être heurtée au refus implicite du premier ministre de prendre les mesures réglementaires d'exécution de ces textes législatifs, a demandé au Conseil d’État l'annulation de ce refus d'autant que lui semble expiré le délai raisonnable de leur exécution.

Si, en défense, le garde des sceaux oppose un non-lieu à statuer du fait de la publication du décret du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives, cette demande est rejetée car ce décret se borne à renvoyer à un arrêté ultérieur le soin de fixer le calendrier d'entrée en vigueur de ces dispositions législatives. En effet, cet arrêté, pris en exécution d'un décret lui-même pris en exécution d'une loi, devait l'être à son tour dans un délai raisonnable, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, plus de vingt mois s'étant écoulés depuis la loi de 2019, d'où l'injonction, mais sans astreinte, au garde des sceaux d'y satisfaire sous trois mois.

(21 janvier 2021, Association " Ouvre-boîte ", n° 429956)

 

2 - Droit transitoire - Réforme de la durée d'études conduisant à un diplôme universitaire - Application différenciée de la réforme selon l'année d'entrée dans le troisième cycle des études - Principe de non-rétroactivité - Portée en cas de modification de la durée des études en cours - Rejet.

Le requérant, étudiant en médecine, demandait l'annulation de l'arrêté ministériel portant de quatre à cinq années la durée totale de la formation conduisant au diplôme d'études spécialisées de médecine cardiovasculaire. Outre des moyens de légalité externe ne pouvant prospérer, le requérant invoquait deux arguments de la légalité interne.

D'abord était avancé le moyen tiré de la différence de traitement entre étudiants selon qu'ils sont entrés dans ce cycle d'études après l'édiction de l'arrêté litigieux ou qu'ils y sont entrés antérieurement. D'évidence, c'était là la conséquence nécessaire et liée de la succession des règles applicables et une application normale des principes régissant le droit transitoire.

Ensuite, était invoquée la violation du principe de non-rétroactivité des actes administratifs : celle-ci n'est pas retenue car aucune atteinte excessive aux intérêts des internes en médecine cardiovasculaire n'est portée par la disposition attaquée contrairement aux exigences de l'art. L. 221-5 du code des relations du public avec les administrations (CRPA).

Il en va d'autant plus ainsi que les administrés n'ont pas de droit acquis au maintien d'une disposition réglementaire.

(21 janvier 2021, M. P., n° 432311)

 

3 - Communiqué de presse d'un centre hospitalier régional appelant aux dons d'ovocytes - Communiqué relayant une campagne de sensibilisation en ce sens de l'Agence de biomédecine - Acte sans caractère décisoire ne pouvant donc pas faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir - Rejet.

Cette décision, confirmant l'ordonnance rendue en première instance, peut surprendre. Une association demandait l'annulation de la décision du centre hospitalier régional universitaire de Tours, révélée par un communiqué de presse, de diffuser une campagne de promotion du don d'ovocytes initiée nationalement par l'Agence de biomédecine.

Pour rejeter la requête, le premier juge, confirmé par le Conseil d'État a estimé qu'une telle campagne d'information ne constituait ni ne révélait une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

On trouvera étrange qu'une campagne officielle, labellisée par les pouvoirs publics, destinée, sur fonds publics, à provoquer des dons d'ovocytes en se fondant pour cela sur ce que le déficit de tels dons " mettait en péril le modèle français " du don d'ovocytes, puisse n'être pas qualifiée de décision, ne serait-ce a minima qu'en tant qu'elle a décidé une telle campagne.

(28 janvier 2021, Association Tous pour la famille, n° 432460)

 

4 - Motivations des décisions administratives - Refus d'admission en master - Absence d'obligation de motivation au sens de l'art. L. 211-2 du CRPA - Obligation de communiquer cette motivation à l'étudiant sur sa demande (art. D. 612-36-2 c. éducat.).

Il résulte des dispositions de l'art. L. 211-2 du CRPA que la décision par laquelle un président d'université refuse à un étudiant l'accès en première ou en deuxième année de master n'est pas au nombre des décisions devant être spontanément motivées car elle ne restreint pas l'exercice des libertés publiques, ne subordonne pas l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives et ne refuse pas une autorisation.

En revanche, il découle des dispositions de l'art. D. 612-36-2 du code de l'éducation que, sur demande de l'étudiant, les motifs de cete décision doivent lui êttre communiqués.

La solution peut paraître compliquer inutilement les choses pour un bénéfice pratique ou théorique guère perceptible.

(Avis de droit, 21 janvier 2021, Mme B., n° 442788)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

5 - Loi du 6 janvier 1978 sur les fichiers, l'informatique et les libertés - Traitement des données à caractère personnel - Interdiction du traitement des données révélant certaines informations - Obligation de saisine préalable de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNI) - Décisions réglementaires prises sans cette saisine préalable, tendant à la modification de dispositions réglementaires antérieures prises après cette consultation et prévoyant l'enregistrement de ces données - Rejet.

Les requêtes en référé contestaient la légalité des dispositions des décrets n° 2020-1510, n° 2020-1511 et n° 2020-1512 du 2 décembre 2020 modifiant les dispositions du code de la sécurité intérieure relatives au traitement de données à caractère personnel dénommés respectivement "enquêtes administratives liées à la sécurité publique", "prévention des atteintes à la sécurité publique" et "gestion de l'information et prévention des atteintes à la sécurité publique".

Etait invoqué le fait que ces décrets, qui entraient dans la catégorie des dispositions réglementaires relatives au traitement de données "à caractère personnel qui révèlent la prétendue origine raciale ou l'origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l'appartenance syndicale d'une personne physique ou de traiter des données génétiques, des données biométriques aux fins d'identifier une personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l'orientation sexuelle d'une personne physique", n'ont pas été soumis, comme ils devaient l'être, en vertu du I de l'art. 6 de la loi précitée du 6 janvier 1978, à l'avis préalable de la CNIL.

Pour rejeter les recours le juge relève que ces décrets se bornent à modifier une disposition réglementaire (l'art. R. 236-12 du code de la sécurité intérieure) elle-même soumise à l'avis de la CNIL sans y ajouter d'autres catégories de données susceptibles d'être enregistrées, autres que celles soumises à l'avis de la CNIL.

De ce fait et au surplus, ces décrets, qui ne mettent pas en évidence une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée ou à la liberté d'opinion, n'avaient pas davantage à être soumis, préalablement à leur édiction ou à la collecte des informations qu'ils autorisent, à la saisine du Conseil de l'Europe.

On regrettera une interprétation par trop étroite des textes : la modification du texte originaire n'est ni neutre ni sans effets et il n'eût pas été déraisonnable de saisir la CNIL pour qu'elle donne son avis sur la nouvelle architecture de la collecte résultant des textes litigieux et apprécie sa compatibilité avec les prévisions de son avis antérieur.

(ord. réf. 4 janvier 2021, Association VIA La Voie du Peuple, n° 447868, n° 447869, n° 447870 ; Association Fondation service politique, n° 447879, n° 447881 et n° 447882)

(6) V. aussi :

- relativement au décret n° 2020-1511 précité, sur divers aspects du traitement de certaines données : ord. réf. 4 janvier 2021, Confédération générale du travail, et autres, n° 447970 ;

- relativement au décret n° 2020-1512 précité : ord. réf. 4 janvier 2021, Confédération générale du travail, et autres, n° 447972 ;

- relativement au décret n° 2020-1510 précité : ord. réf. 4 janvier 2021, Confédération générale du travail, et autres, n° 447974.

 

Biens

 

7 - Cession de terrains appartenant au domaine privé communal - Accord sur la chose et sur le prix - Notion de prix "déterminé" - Création de droits au profit de l'acquéreur - Retrait impossible des délibérations antérieures fût-ce pour un motif d'intérêt général - Cassation sans renvoi.

Deux délibérations d'un conseil municipal, du 22 septembre 2011 et du 17 octobre 2013, avaient autorisé le maire à consentir puis consenti la cession de terrains du domaine privé communal, à un certain prix à parfaire à la marge, à une société de production de béton.

Par la suite, la commune a entendu retirer la décision contenue dans les délibérations antérieures en tirant argument d'un motif d'intérêt général.

Le Conseil d’État annule le jugement et l'arrêt confirmatif ayant rejeté la demande d'annulation de cette dernière délibération dont les juges du fond avaient été saisis par la société acquérante.

Le Conseil relève d'abord que la vente était parfaite, conformément aux dispositions du code civil, dès lors que les parties étaient d'accord sur la chose et sur le prix et encore que, d'une part, la chose n'ait point encore été livrée et que, d'autre part, le prix n'ait point encore été payé.

Ensuite, la vente s'étant faite au prix de 6,14 euros par mètre carré, prix à parfaire en fonction du coût des marchés à conclure par la commune pour la viabilisation des terrains, se posait la question de savoir si le prix était suffisamment déterminé en l'espèce ; le juge répond positivement car " un prix doit être regardé comme suffisamment déterminé s'il est déterminable en fonction d'éléments objectifs ne dépendant pas de la volonté d'une partie ". C'était le cas en l'espèce où le prix définitif avait été porté à 7,88 euros par mètre carré pour tenir compte des travaux de viabilisation susindiqués et de la réalisation d'un rond-point non prévu à l'origine. Au reste, ce prix a été expressément accepté par l'acquéreur par courrier du 13 mai 2015.

Enfin, pour tenter de justifier le retrait des délibérations initiales, la commune invoquait un motif d'intérêt général. Le juge décide que ce motif est sans effet sur le caractère parfait et définitif de la cession.

(26 janvier 2021, Société Pigeon Entreprises, n° 433817)

 

Collectivités territoriales

 

8 - Polynésie française - Incompatibilités applicables au Président et aux membres du gouvernement de ce territoire - Obligation d'option - Pouvoir du haut-commissaire - Absence d'incompatibilité en l'espèce - Rejet.

Dans cette importante décision, le Conseil d’État  apporte cette précision que, soit spontanément soit sur demande d'un électeur, le haut-commissaire en Polynésie française, lorsque le président, un membre du gouvernement de ce territoire ou un représentant à l'assemblée de la Polynésie française exerce une fonction incompatible avec cette qualité et n'exerce pas l'option entre cette dernière et la fonction incompatible, a l'obligation de constater le défaut d'option et de déclarer l'intéressé démissionnaire d'office.

Toutefois, cette incompatibilité, s'agissant de l'exercice des fonctions de directeur ou de président d'établissement public, suppose l'existence d'une rémunération.

Au cas d'espèce, l'exercice par un ministre du gouvernement des fonctions de président du centre de gestion et de formation ne crée pas une situation d'incompatibilité, ces dernières n'étant pas rémunérées.

(21 janvier 2021, M. C., n° 439105)

(9) V. aussi, semblables mutatis mutandis en ce que, à l'inverse de la situation précédente, la loi organique réserve au seul haut-commissaire le pouvoir de prononcer la démission d'office d'un représentant qui a méconnu l'interdiction de prendre une part active aux décisions relatives  à une affaire à laquelle il est intéressé (21 janvier 2021, M. C., n° 439106) et en ce que les incompatibilités édictées, étant de droit étroit, ne peuvent pas concerner le vice-président d'un établissement public y exerçant des fonctions même rémunérées (21 janvier 2021, M. B., n° 439107).

 

10 - Exercice du droit de préemption urbain - Délégation consentie par le conseil municipal à un maire pour la durée de son mandat - Faculté accordée au maire de déléguer l'exercice de cette compétence - Conditions et limites - Rejet.

Saissant l'occasion d'un recours dirigé contre l'exercice par le maire d'une commune du droit de préemption urbain, le Conseil d’État apporte trois précisions très importantes.

En premier lieu, le conseil municipal a toujours la faculté de déléguer au maire, pour la durée de son mandat, l'exercice du droit de préemption que la commune soit titulaire de ce droit ou seulement délégataire de ce droit.

En deuxième lieu, la circonstance que cette délibération soit antérieure à la décision par laquelle une commune a reçu du président de la communauté d'agglomération délégation pour préempter deux parcelles identifiées est sans incidence sur la compétence que le maire tenait de la délibération susmentionnée, pour toute la durée de son mandat.

Enfin, en toute hypothèse il faut, d'une part, que soit sauf le pouvoir du conseil municipal de mettre fin à tout moment à la délégation qu'il a accordée au maire et, d'autre part, qu'à la date de la décision de préempter la commune soit toujours titulaire ou délégataire du droit de préempter.

(28 janvier 2021, Sociétés Matimo, Perspective Avenir et Juliette, n° 429584)

 

11 - Taxe de séjour - Institution successive ou concomitante de cette taxe par une commune et par une communauté de communes - Impossibilité - Rejet.

Le litige était relatif au désaccord entre une commune et la communauté de communes à laquelle elle appartient sur la collectivité compétente pour instituer une taxe de séjour.

Tout d'abord, jusqu'au 31 décembre 2014, les dispositions de l'art. L. 5211-21 du CGCT ne permettaient pas aux communes membres d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) de s'opposer à l'institution d'une taxe de séjour par ce dernier. Par suite, les communes membres d'un EPCI ne pouvaient instituer une telle taxe concurrement à celle décidée par l'EPCI et, si elles en avaient institué une auparavant, la décision de l'EPCI de créer cette taxe emportait abrogation de toute taxe de séjour antérieurement créée par une commune membre de l'EPCI.

Ensuite, à compter de l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2015, des nouvelles dispositions contenues aux art. L. 5211-21 et L. 2333-6 du CGCT, s'il a été possible aux communes membres d'un EPCI de faire valoir leur opposition à l'institution d'une taxe de séjour par cet EPCI, c'est sous la double condition que ce droit d'opposition : 1° ne peut s'exercer qu'au moment où l'EPCI décide d'instituer cette taxe, et non postérieurement à l'entrée en vigueur de la taxe qu'il a instituée et 2° n'est ouvert qu'aux communes ayant institué une taxe de séjour encore en vigueur au moment où l'EPCI décide de créer une telle taxe ; en effet, la loi du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 a précisé que l'article L. 5211-21 du CGCT, prévoyant ce droit d'opposition réservé aux communes ayant déjà institué une taxe dont la délibération est encore en vigueur, n'avait sur ce point qu'une portée interprétative.

(26 janvier 2021, Commune de Linguizzetta c/ communauté de communes de l'Oriente, n° 431187)

 

Contentieux administratif

 

12 - Compétence territoriale du juge administratif - Recours dirigé contre une décision rendue sur recours hiérarchique (Paris) - Compétence contentieuse pour en connaître appartenant au juge compétent pour statuer sur les recours formés contre la décision initiale (Nice) - Rejet.

Rappel de ce que la juridiction administrative compétente pour connaître d'une requête dirigée contre la décision rendue sur recours hiérarchique est celle compétente pour statuer sur un éventuel recours formé contre la décision initiale.

Les décisions initiales ayant été prises par le directeur territorial de l'Office français de l'immigration et de l'intégration de Nice, le tribunal administratif de Paris n'était, de toute évidence, pas compétent pour connaître du recours contentieux dirigé contre le recours hiérarchique formé contre les décisions initiales quand bien même l'autorité hiérarchique compétente siégerait à Paris.

(ord. réf. 12 janvier 2021, M. B., n° 448235)

 

13 - Clôture de l'instruction - Indication postérieure à cette clôture que la décision de justice à intervenir est susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office - Communication aux parties - Absence de réouverture de l'instruction - Réception et communication des observations subséquentes des parties - Absence de réouverture de l'instruction - Réserve de l'exception de réouverture pour fait ou moyen nouveau susceptible d'influence sur le jugement à venir - Rejet.

Dans cette importante décision, dont on peut regretter la solution en ce qu'elle va plutôt à rebours de l'évolution du droit du contentieux administratif depuis trente ans, le juge se prononce sur le statut contentieux des moyens indiqués aux parties comme susceptibles d'être relevés d'office.

Lorsque le juge, usant des dispositions de l'art. R. 611-7 du CJA, informe les parties que la décision à intervenir est susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, ni cette information, ni les observations éventuelles des parties sur cette information n'ont pour effet de rouvrir l'instruction même lorsque, dans cette seconde hypothèse, l'une des parties, en reprenant à son compte le moyen énoncé par le juge, soulève ainsi un moyen nouveau. Il n'en va autrement, comme d'ailleurs, en toute hypothèse de pièces ou mémoires remis après clôture de l'instruction, que si ces observations contiennent l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire et dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction. La solution est doublement discutable : en ce qu'elle refuse la réouverture en présence d'un moyen nouveau et en ce qu'elle déroge au principe de non-réouverture de l'instruction dans un cas où l'invocation du moyen ou du fait nouveau n'est pas initialement le fait des parties mais du juge lui-même...

(25 janvier 2021, Mme C. et autres, n° 425539)

 

14 - Référé suspension - Communiqué commun de l'Autorité des marchés financiers et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution - Appréciation de la condition d'urgence - Absence d'urgence - Rejet.

Les requérantes demandaient la suspension de l'exécution d'un communiqué commun de l'Autorité des marchés financiers et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution par lequel les prestataires de services sur actifs numériques étaient informés que " la période transitoire pour exercer une activité sur actifs numériques sans enregistrement prend fin le 18 décembre 2020 ". Elles invoquaient l'urgence à statuer née car le communiqué litigieux allait avoir des conséquences irréversibles dans la mesure où il a pour effet de leur interdire, tant que l'enregistrement qu'elles ont sollicité avant le 18 décembre 2020 ne leur aura pas été octroyé, de poursuivre leur activité, ce qui les prive de toute ressource financière et les contraint à licencier l'intégralité de leur personnel.

Pour dire non satisfaite la condition d'urgence et donc rejeter la demande dont il était saisi, le juge des référés relève, d'une part, que ces sociétés ne contestent point les éléments produits en défense par l'Autorité des marchés financiers, d'autre part, que les requérantes exercent d'autres activités et n'indiquent pas la part respective de ces dernières et de celles qui sont l'objet du référé dans leur volume global d'activités et, enfin, que le Conseil d’État  est appelé à statuer à bref délai sur la demande d'annulation de la décision contenue dans le communiqué attaqué.

(26 janvier 2021, Société Blockchain Process Security, n° 448419 ; Société Digital Broker, n° 448432 ; Société Kamix, n° 448433, jonction)

 

15 - Contentieux général de la sécurité sociale - Institution d'un recours administratif obligatoire préalablement à la saisine du juge - Règle instaurée par voie réglementaire - Absence d'inconstitutionnalité pour incompétence du pouvoir réglementaire - Droit d'agir en justice restant sauf - Rejet.

L'instauration par le premier alinéa de l'art. R. 142-1 du code de la sécurité sociale, alors applicable au litige, de l'obligation que les réclamations formées contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole et relevant du contentieux général de la sécurité sociale soient soumises à la commission de recours amiable composée et constituée au sein du conseil d'administration de chacun de ces organismes, ne réalise pas un empiétement du pouvoir réglementaire sur la compétence du législateur.

En effet, cette obligation de recours préalable avant saisine du juge n'a ni pour objet ni pour effet de remettre en cause l'exercice par tout intéressé du droit d'agir en justice. Elle ne contrevient donc pas aux dispositions de l'art. 34 de la Constitution invoqués par la demanderesse.

(27 janvier 2021, SAS Lilly France, n° 441213)

 

17 - Recours en rectification d'erreurs matérielles - Recours dirigés contre des décisions prises par le bureau d'aide juridictionnelle établi près le Conseil d’État - Irrecevabilité.

Irrecevabilité de recours, portés devant le Conseil d’État, et tendant à la rectification d'erreurs matérielles qu'aurait commis le bureau d'aide juridictionnelle établi près le Conseil d’État.

(25 janvier 2021, Mme A., n° 447912, n° 448715 et n° 448787)

 

18 - Référé liberté - Requête ne comportant ni demande ni conclusions relevant de l'office du juge des référés - Irrecevabilité - Rejet.

Rappel d'une solution constante et logique.

Doit être rejetée en tant qu'elle est irrecevable une requête ne comportant aucune demande ou conclusion relevant de l'office du juge saisi (ici le juge du référé liberté).

(29 janvier 2021, M. A., n° 449107)

 

Covid-19

 

 

Hydroychloroquine et azithromycine : le retour...

 

Elles ont été, un temps, les vedettes incontestées d'une palpitante saga sanitaire puis, s'en étaient allées après trois petits tours et les revoilà, bien en chair et guillerettes, de nouveau sur la scène médiatique contentieuse.

 

19 - Interdiction du traitement par hydroychloroquine et azithromycine aux personnes présentant des symptômes de Covid-19 mais non hospitalisées et non atteintes d'une affection rendant nécessaire une réanimation - Demande d'injonction tendant à un approvisionnement suffisant de ces produits - Evaluation difficile de l'efficacité du traitement par ces substances - Inapplicabilité du principe de précaution - Données acquises de la science - Principe de libre prescription des médecins - Absence de disproportion des mesures critiquées - Droit à la protection de la santé - Rejet.

Les requérants contestaient les dispositions des décrets du 23 mars 2020, du 26 mars 2020 et du 11 mai 2020 (décr. n° 545 et n° 548), en tant qu'elles limitent la prescription, la dispensation et l'administration de l'hydroxychloroquine aux seuls patients pris en charge en établissement de santé et présentant une pneumonie oxygéno-requérante ou une défaillance d'organes.

Dans une longue décision promise à la publication, le juge semble vouloir faire le point sur une polémique médico-sanitaire de plusieurs mois, sans doute dans l'espoir d'y mettre un terme.

Il relève en premier lieu que s'agissant des données acquises de la science à la date où ont été prises chacune des décisions susrappelées, il n'existe pas de preuve scientifique suffisante de l'efficacité certaine de l'administration généralisée de l'hydroychloroquine associée à l'azithromycine pour le traitement de l'épidémie de Covid-19.

Ensuite, ne saurait être invoqué en l'espèce le principe de précaution qui ne joue qu'en cas de risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé, hypothèses absentes en l'espèce.

Pas davantage, ne saurait être invoqué l'art. L. 5121-12-1 du code de la santé publique qui permet qu'une spécialité pharmaceutique ne peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu'en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient. Les conditions qui viennent d'être rappelées n'étant pas, d'évidence, réunies au cas de l'espèce.

Enfin, ne sauraient non plus être invoquées à l'encontre des dispositions critiquées ni l'atteinte au principe de libre prescription des médecins en l'absence de toute recommandation temporaire d'utilisation et en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation, ni le défaut de proportionnalité de celles-ci, ni, non plus, la méconnaissance du droit à la protection de la santé et du droit à la vie.

(28 janvier 2021, M. F. et autres, n° 439764)

(20) V. aussi, largement semblables :

28 janvier 2021, Syndicat des médecins d'Aix et région et autres (SMAER), n° 439936 ;

28 janvier 2021, Union générale des travailleurs de Guadeloupe, n° 440025 ;

28 janvier 2021, M. B., n° 440129 ;

28 janvier 2021, M. D., n° 440244 ;

28 janvier 2021, Syndicat des médecins d'Aix et région et autres (SMAER), n° 441751 ;

28 janvier 2021, Association Victimes coronavirus Covid-19 et autres, n° 441767.

 

21 - Référé liberté - Contestation d'un décret - Décret modifié postérieurement à l'introduction de la requête - Conclusions devenues sans objet - Non-lieu à statuer.

Il n'y a pas lieu pour le juge des référés de statuer sur une requête dirigée contre le I de l'article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 en vue d'y inclure les actes domestiques d'autoconsommation impliquant un déplacement des administrés hors de leur résidence, ces dispositions ayant été modifiées, postérieurement à l'introduction de la requête en référé, par le décret n° 2020-1582 du 14 décembre 2020 substituant à l'interdiction générale de se déplacer en dehors des cas limitativement énumérés, une mesure d'interdiction des déplacements entre 20 heures et 6 heures du matin.

(ord. réf. 4 janvier 2021, M. A., n° 446000)

(22) V. aussi, la solution identique retenue, mutatis mutandis, à propos d'un référé dirigé contre l'article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 successivement modifié en cours d'instance, d'abord  par  le décret n° 2020-1454 du 27 novembre 2020, aux termes duquel sont autorisés les "déplacements, sans changement du lieu de résidence, dans la limite de trois heures quotidiennes et dans un rayon maximal de vingt kilomètres autour du domicile, liés aux activités de plein air (...) ", puis par le décret n°2020-1582 du 14 décembre 2020 qui a à nouveau modifié l'article 4 du décret du 29 octobre 2020, en substituant à l'interdiction générale de se déplacer en dehors de cas limitativement énumérés une mesure d'interdiction des déplacements entre 20 heures et 6 heures du matin : ord. réf. 4 janvier 2021, Mme A., n° 446684 ; ord. réf. 4 janvier 2021, Mme B., n° 447266.

(23) V. également, dans le même sens, mais déclarant irrecevables des conclusions, prises par des ressortissants français aux Etats-Unis, à fin de suspension de l'article 11, section II, alinéa 3 du décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020, modifié par l'article 1 du décret n° 2020-1358 du 6 novembre 2020 imposant un test aux voyageurs provenant des Etats-Unis, le décret du 16 octobre 2020 ayant été abrogé le 29 octobre 2020, antérieurement à l'enregistrement de la requête, le 2 janvier 2021: ord. réf. 7 janvier 2021, M. C. et autres, n° 448321.

 

24 - Référé liberté - Demande de suspension de l'art. 4 du décret du 29 octobre 2020 - Absence de preuve d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale - Rejet.

La requête tendant à la suspension de l'article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire au double motif qu'il porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et de venir dès lors qu'aucune dérogation n'est prévue pour voyager en véhicule individuel dans le cadre d'un déplacement de longue distance entre 20 heures et 6 heures du matin et qu'il méconnaît le principe d'égalité, est rejetée car, se bornant à des observations de caractère très général, son auteur n'apporte aucun élément de nature à établir que le décret attaqué porte à cette liberté et à ce principe une atteinte grave et manifestement illégale. 

Cette ordonnance constitue un rappel de l'obligation pour tout requérant en référé liberté d'établir lui-même la nature et, surtout, la preuve ou un faisceau d'éléments concordants, établissant la gravité de l'atteinte invoquée, celle-ci étant seule de nature à permettre au juge de ce référé d'exercer son office.

(ord. réf. 4 janvier 2021, M. B., n° 447925)

 

25 - Référé liberté - Décret du 29 octobre 2020 - Réglementation du nombre maximum de participants à une cérémonie funéraire - Atteinte grave alléguée à certaines libertés - Absence d'établissement de la condition d'urgence - Rejet.

La circonstance qu'en raison de l'épidémie de Covid-19 l'art. 3 du décret contesté limite strictement le nombre de personnes pouvant participer à une cérémonie funéraire, portant ainsi atteinte à plusieurs libertés fondamentales (liberté d'aller et de venir, liberté de réunion) ne dispense l'auteur de la requête de démontrer qu'en sus de cette première condition, est satisfaite la seconde condition, laquelle consiste en l'urgence qu'il y aurait pour le juge des référés à statuer.

Le juge revient ainsi à une certaine orthodoxie conforme à la lettre comme à l'esprit de l'art. L. 521-2 CJA - qu'il a parfois un peu perdu de vue en considérant que la gravité de l'atteinte portée valait aussi urgence - lequel requiert la réunion de deux conditions distinctes, appelant chacune la démonstration de sa réalité par le requérant.

(ord. réf. 4 janvier 2021, Mme B., n° 448165)

 

26 - Référé liberté - Recours tendant à ce que le juge statue sur une requête dont il est saisi - Décision ayant été déjà rendue - Recours sans objet - Non-lieu à statuer.

Est sans objet le recours contentieux formé le 7 décembre 2020 tendant à ce que le juge des référés statue sur la requête dont il a été saisi le 30 novembre 2020 alors que celle-ci a été rejetée selon la procédure de l'art. L. 522-3 CJA le 7 décembre. Le non-lieu à statuer est prononcé.

(ord. réf. 5 janvier 2021, Mme A., n° 447238)

 

27 - Référé liberté - Interdiction générale et absolue des fêtes foraines - Mesures sanitaires strictes prises par leurs organisateurs - Absence de perspective d'avenir - Diffusion élevée du virus - Rejet.

La présente décision est curieusement construite et argumentée.

Le juge des référés du Conseil d’État était saisi d'une requête dirigée contre l'interdiction générale et absolue de tenir des fêtes foraines.

Tout d'abord, il donne le sentiment que cette mesure est illégale et qu'il convient de l'annuler. Il écrit ainsi : "9.  Il résulte toutefois de l'instruction que les exploitants de fêtes foraines ont conçu des aménagements des pratiques professionnelles et des protocoles sanitaires stricts qui sont de nature à diminuer de manière significative le risque lié à l'existence de rassemblements. Ces protocoles, outre le port obligatoire du masque, prévoient, en particulier, des limitations du nombre de visiteurs, des nettoyages et désinfections des équipements réguliers, des espaces entre les personnes lors de l'arrivée du public, l'obligation d'utiliser des solutions hydro-alcooliques avant de monter sur un manège ou de prendre part à un jeu et une information des visiteurs sur l'ensemble des contraintes à respecter. 
10. Par ailleurs, le risque de contamination est d'une intensité relativement plus faible que pour d'autres événements rassemblant du public dès lors que les activités des fêtes foraines se pratiquent pour l'essentiel en extérieur.

11. Au vu de l'ensemble de ces circonstances, et en l'absence de perspective d'éradication du virus dans un avenir proche, le maintien d'une interdiction générale et absolue de fêtes foraines, mesure qui, ainsi qu'il a été dit, porte une atteinte grave aux libertés (fondamentales que constituent la liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie ainsi que le droit au libre exercice d'une profession), constituerait une illégalité manifeste si elle était justifiée par la seule persistance d'un risque de contamination du public par le virus SARS-CoV-2 (...)".

Ensuite, pour justifier la solution de rejet finlement retenue, il indique : " 11. (...) Le maintien d'une telle interdiction sur l'ensemble du territoire national ne peut être regardé comme une mesure nécessaire et adaptée et, ce faisant, proportionnée à l'objectif de préservation de la santé publique qu'elle poursuit, qu'en présence d'un contexte sanitaire marqué par un niveau particulièrement élevé de diffusion du virus au sein de la population susceptible de compromettre à court terme la prise en charge, notamment hospitalière, des personnes contaminées et des patients atteints d'autres affections.

12. En l'espèce, il résulte des données scientifiques disponibles qu'à la date du 24 janvier 2021, 3 053 617 cas sont confirmés positifs au virus, en augmentation de 18 436 dans les dernières vingt-quatre heures, le taux de positivité des tests se situe à 7,1% et 73 049 décès liés à l'épidémie sont à déplorer, en hausse de 172 personnes dans les dernières vingt-quatre heures. Le taux d'incidence est de 205,15. Le taux d'occupation des lits en réanimation par des patients atteints de la covid-19 demeure à un niveau élevé avec une moyenne nationale de 58,4%, mettant sous tension l'ensemble du système de santé. Ces données, qui montrent une dégradation de la situation sanitaire au cours de la période récente à partir d'un " plateau épidémique " déjà très élevé, pourraient se révéler encore plus préoccupantes au mois de mars. En outre, la détection de nouveaux variants du SARS-CoV-2, notamment au Royaume-Uni, avec un taux de transmission plus important, qui a conduit à fermer provisoirement les frontières avec ce pays, est de nature à accroître l'incertitude. Dans ces conditions, compte tenu du contexte actuel d'augmentation avérée de la circulation de l'épidémie, la décision du Premier ministre, à la date de la présente ordonnance, ne porte pas une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales dont se prévaut la fédération requérante ". 

Enfin, oubliant que l'on peut vouloir travailler pour de multiples raisons autres que financières, comme, par exemple, pour le plaisir et l'accomplissement de soi que l'on y trouve, le juge des référés croit bon d'ajouter qu' "Il résulte par ailleurs de l'instruction que les professionnels du secteur des fêtes foraines ont accès aux différents types d'aides mises en place par le gouvernement. Ils bénéficient en particulier du fonds de solidarité prévu par le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020, ainsi que des exonérations ou aides relatives aux cotisations sociales et des mesures relatives au chômage partiel, et ont la possibilité de contracter un prêt garanti par l'Etat jusqu'au 30 juin 2021."

Cette rédaction argumentative révèle l'embarras du juge - parfaitement compréhensible - pour rendre sa décision.

(27 janvier 2021, Fédération des forains de France, n° 448732)

 

28 - Référé liberté - Suspension de l'obligation du port du masque par les enfants de 6 à 11 ans - Art. 36, II du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 - Rejet.

Est rejeté un énième recours contre l'obligation faite aux enfants de 6 à 11 ans, au sein des écoles primaires, de porter un masque.

L'évolution de la situation épidémique, en particulier l'apparition du variant dit "anglais" du virus, à contagiosité très forte, la difficulté à faire respecter par des enfants les autres gestes barrières dont la distanciation physique, enfin, le bienfait sanitaire global apporté par cette mesure ne confèrent pas à l'obligation querellée le caractère d'une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales des enfants.

(ord. réf. 11 janvier 2021, Mme A. et autres, n° 447993)

(29) V. aussi, très sembables, à propos de l'obligation de port de masques pour les enfants de 6 à 11 ans, dix-neuf requêtes étant jointes : 25 janvier 2021, Mme O., n° 447319 ; Mme AN., n° 447462 ; Mme U., n° 448031 ; Mme AM., n° 448082 ; M. AF. Et autres, n° 448089 ; Mme B., n° 448164 ; Mme A., n° 448168 ; Mme AD., n° 448192 ;  Mme S., n° 448247 ;  Mme AA., n° 448386 ; Mme C., n° 448452 ; Mme AO., n° 448527 ; M. AE. et autres, n° 448528; Mme W., n° 448531 ; Mme AI., n° 448532 ; Mme K., n° 448533; Mme V., n° 448545 ; Mme AI., n° 448550 ; Mme AC., n° 448551.

Et aussi, rejets en termes identiques : 25 janvier 2021, Mme G., n° 448733 ; Mme D., n° 448735 ; Mme P., n° 449739 ; Mme C., n° 448740 ; M. B. et autre, n° 448789 ; Mme L., n° 448832 ; Mme K., n° 448838 ; Mme O., n° 448844, requêtes jointes. Ou encore, identiques : 25 janvier 2021, Mme D., n° 448833 ; Mme C., n° 448915 ; Mme H., n° 448936 ; Mme F., n° 448937.

(30) V. encore, solution très voisine : 25 janvier 2021, Mme A., n° 448169.

(31) V. également, rejetant semblable demande au motif que le juge des référés, juge du provisoire, ne saurait annuler une décision administrative donc se prononcer de façon définitive : 25 janvier 2021, Mme I. et autres, n° 448206.

 

32 - Référé suspension - Décrets imposant le port du masque - Décret imposant une distanciation physique - Condition d'urgence non satisfaite - Rejet.

Le requérant contestait la légalité de l'obligation de port d'un masque et des mesures de distanciation physique.

Compte tenu de la situation sanitaire, d'une part, et de ce que le demandeur se bornait à soulever l'illégalité des mesures en cause, la condition d'urgence n'est pas établie rendant impossible l'octroi de la suspension sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre condition, en toute hypothèse impuissante à elle seule à justifier les suspensions sollicitées.

(ord. réf. 5 janvier 2021, M. B., n° 447984)

(33) V. aussi, s'agissant d'un référé liberté cette fois, réitérant la solutioprécédente mais en sens inverse, à propos de l'article 2 du décret n° 2020-1582 du 14 décembre 2020 en tant qu'il ne prévoit pas de dérogation au couvre-feu instauré de 20 heures à 6 heures du matin, l'absence d'atteinte à une liberté fondamentale dispense d'examiner l'éventuelle satisfaction de la condition d'urgence : ord. réf. 7 janvier 2021, M. D. et M. C., n° 448029.

 

34 - Référé suspension - Demande de suspension de l'interdiction d'utiliser l'hydroxychloroquine - Requête à fin d'annulation non jointe - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

Rappel de ce que toute demande en référé suspension doit être accompagnée d'une requête distincte tendant à l'annulation de la décision dont la suspension est demandée.

A défaut la requête en référé est manifestement irrecevable et rejetée selon la procédure de l'art. L. 522-3 du CJA.

(ord. réf. 5 janvier 2021, M. A., n° 447989)

 

35 - Personnes vulnérables - Fonctionnaires et agents publics - Conditions d'identification et modalités de leur prise en charge - Circulaire du directeur général de l'administration et de la fonction publique - Condition de retour des personnes vulnérables sur leur lieu de travail - Mesures de protection - Distinction de deux catégories de personnes vulnérables - Rejet.

Les requérants, qui en contestaient la légalité, demandaient la suspension d'exécution de la circulaire du directeur général de l'administration et de la fonction publique du 10 novembre 2020 relative à l'identification et aux modalités de prise en charge des agents publics civils reconnus personnes vulnérables.

Le I de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 a placé en position d'activité partielle ceux des salariés du secteur privé ne pouvant continuer à travailler en raison de leur qualité de "personne vulnérable". Le décret du 5 mai 2020, modifié sur ce point par celui du 29 août 2020, a fixé les critères d'identification du caractère vulnérable d'un salarié. Ce dernier décret a été suspendu par décision du Conseil d’État le 15 octobre 2020.

Le décret du 10 novembre 2020, abrogeant en totalité celui du 5 mai précédent et, en grande partie, celui du 29 août 2020, fixe de nouveaux critères de vulnérabilité que met en oeuvre la circulaire litigieuse.

Les salariés du secteur privé qui le souhaitent peuvent être placés en position d'activité partielle sous réserve de la présentation d'un certificat médical et de répondre cumulativement à deux critères.

1°/ un critère tenant soit à leur âge, être âgé d'au moins soixante-cinq ans, soit à leur état de grossesse, à partir du début du septième mois, soit à la pathologie dont ils sont atteints et qui figure sur une liste.

2°/ un critère tenant à leur impossibilité, à la fois, de recourir au télétravail et de bénéficier de mesures de protections renforcées, que le décret énumère, s'agissant de leur poste de travail et de leur trajet entre leur domicile et leur lieu de travail, notamment pour prendre en compte l'utilisation des moyens de transports collectifs.

Ces dispositions ne sont applicables qu'aux seuls salariés du secteur privé.

Toutefois, la circulaire attaquée reprend, à destination des fonctionnaires et des agents publics les critères susrappelés. C'est donc de cette circulaire que les requérants demandaient la suspension, sauf en tant que la liste des critères de vulnérabilité fixée par le décret du 10 novembre 2020, qu'elle reprend, étend celle qui était fixée par le décret du 5 mai 2020.

La requête est d'abord rejetée en tant qu'elle invoque une erreur manifeste d'appréciation en ce que la circulaire permettrait le retour des personnes vulnérables sur leur lieu de travail ; au contraire, c'est le télétravail qui est, en ce cas, privilégié et, à défaut, la reprise sur le lieu de travail est subordonnée au respect strict des gestes barrières (masque, gel et distanciation).

Elle est ensuite rejetée en tant qu'elle critique l'insuffisance de ces gestes barrière et l'impossibilité pour les intéressés de former contre elles un recours alors que, d'une part, ces mesures sont suffisantes, claires et intelligibles et, d'autre part, qu'elles sont soumises à recours éventuels.

(ord. réf. 11 janvier 2021, Association Renaloo, Association France lymphome espoir et M. A., n° 447978)

 

36 - Arrêté ministériel (Santé) - Étendues respectives de la compétence du premier ministre et de celle du ministre de la santé en matière de santé publique dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 - Mesure proportionnée et correctement fondée - Rejet.

Le ministre de la santé était bien et seul compétent pour prendre l'arrêté querellé du 26 mai 2020 en tant que, par l'art. 6-2 qu'il insère dans le décret du 23 mars 2020 et au visa de l'art. L. 3131-1 du code de la santé publique, il a prévu que la spécialité pharmaceutique Plaquenil (c) ne pourrait être dispensée en officine, dans le respect des indications de son autorisation de mise sur le marché, que sur le fondement d'une prescription initiale émanant de certains spécialistes susceptibles de la prescrire dans le cadre de son autorisation de mise sur le marché ou dans le cadre d'un renouvellement de prescription émanant de tout médecin. Par cette mesure, le ministre de la santé a entendu éviter une tension sur l'approvisionnement pour les patients y recourant conformément à son autorisation de mise sur le marché, afin qu'ils puissent bénéficier des soins dont ils ont besoin pendant la catastrophe sanitaire.

Par ailleurs, l'arrêté n'est pas entaché d'illégalité car, contrairement à ce qui était soutenu, il ne repose pas sur des faits inexacts ou inexactement appréciés, est conforme aux données acquises de la science actualisées au jour où il a été pris, ne porte pas atteinte à la liberté d'aller et de venir, à la liberté de prescription des médecins ou au droit à la vie et, enfin, ne repose pas sur un détournement de pouvoir.

(28 janvier 2021, M. B., n° 441038)

 

37 - Police spéciale de lutte contre une catastrophe sanitaire - Police appartenant notamment au premier ministre - Institution d'un régime d'autorisation préalable de rassemblements sur la voie publique - Incompétence - Interdiction des rassemblements de plus de 5000 personnes - Mesure illégale - Annulations.

La circonstance que le premier ministre est, en vertu du 6° du I de l'art. L. 3131-15 du code de la santé publique, l'une des autorités de la police spéciale de lutte contre la catastrophe sanitaire née de l'épidémie de Covid-19, ne lui conférait pas compétence pour créer, en matière de rassemblements sur la voie publique, un régime d'autorisation préalable substitué à celui de déclaration préalable existant jusque-là.

Par ailleurs, le souci de lutter contre un fléau sanitaire, s'il lui permettait de réglementer réunions et rassemblements, ne l'autorisait pas à créer un régime d'interdiction générale et absolue du tout rassemblement de plus de 5000 personnes. L'atteinte ainsi portée à la liberté de manifester "n'est ni nécessaire, ni adaptée ni proportionnée".

(15 janvier 2021, Confédération générale du travail et autres, n° 441265)

 

38 - Référé liberté - Décret du 15 janvier 2021 - Absence d'urgence - Rejet.

Est rejetée pour défaut d'urgence et en raison de la généralité des arguments de principe invoqués à son soutien, la demande de référé dirigée contre le décret du 15 janvier 2021 en tant qu'il n'est applicable que pendant quinze jours et qu'il porterait par nature une atteinte grave aux libertés publiques.

(ord. réf. 21 janvier 2021, M. A., n° 448734)

 

39 - Référé liberté - Enseignement supérieur - Interdiction d'accès à certains enseignements faite notamment aux étudiants de master - Absence d'atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales - Rejet.

Est rejetée la demande en référé liberté d'un étudiant que soient étendues aux autres étudiants, notamment ceux de master, les dérogations consenties pour certains enseignements, aux étudiants de première année.

En raison de la situation sanitaire actuelle ce refus ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales ; la demande est rejetée sans qu'il soit besoin d'examiner la condition d'urgence.

(ord. réf. 21 janvier 2021, M. B., n° 448736)

 

40 - Référé liberté - Injonction au ministre de la santé - Imposition à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) de l'obligation de prendre une mesure d'élaboration et de délivrance d'un médicament - Absence d'urgence - Rejet.

Les requérants demandaient au juge des référés d'enjoindre au ministre des solidarités et de la santé de saisir l'ANSM afin qu'une recommandation temporaire d'utilisation (RTU) puisse être considérée, élaborée et délivrée en urgence pour la molécule ivermectine afin de lutter contre l'épidémie de Covid-19.

Pour rejeter cette demande le juge des référés relève que l'ANSM a d'ores et déjà décidé de procéder, dans les plus brefs délais, à l'évaluation de l'efficacité et de la sécurité présumées de l'ivermectine pour la lutte contre la Covid-19 en vue, le cas échéant, d'adopter une RTU en ce sens. Ainsi n'est pas satisfaite la condition d'urgence, particulière au référé liberté, d'où le rejet du référé.

(26 janvier 2021, Syndicat des médecins d'Aix et Région (SMAER) et autres, n° 448714)

 

41 - Élections municipales et communautaires - Scrutin s'étant déroulé sous l'empire d'une contrainte épidémique - Circonstance favorisant l'abstention notamment des personnes âgées - Absence d'atteinte à la sincérité du scrutin - Rejet.

La circonstance que des élections municipales et communautaires aient été maintenues en dépit d'une grave crise sanitaire n'est pas de nature, même si elle a pu provoquer un nombre plus élevé d'abstentions, à avoir porté atteinte à la sincérité du scrutin alors qu'en l'espèce le taux de participation, de 62,75%, s'est situé bien au-dessus de la moyenne nationale

(27 janvier 2021, M. E. et autres, Élect. mun. et cnautaires de la commune de Ruffey-lès-Echirey, n° 445579)

 

 

Droit fiscal et droit financier public

 

42 - Entreprises industrielles, commerciales, artisanales ou professionnelles situées en zone de revitalisation rurale - Entreprises créées ou reprises durant une certaine période - Exonération temporaire partielle d'impôt sur le revenu ou sur les sociétés - Cas du rachat de la totalité des parts d'un associé dans une société civile professionnelle (SCP) par un nouvel associé - Reprise d'entreprise individuelle éligible au mécanisme d'exonération - Cassation pour erreur de droit.

Le I de l'article 44 quindecies du CGI a institué au bénéfice des créateurs ou des repreneurs d'entreprises exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale ou professionnelle, situées dans une zone de revitalisation rurale (cf. art. 1465 A CGI), une exonération temporaire partielle d'impôt sur le revenu ou sur les sociétés dès lors que cette reprise ou création est intervenue entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2013.

Cassant un arrêt de cour administrative d'appel contraire sur ce point, le Conseil d’État  considère que le rachat, dans une société civile professionnelle (SCP), de la totalité des parts d'un associé par un nouvel associé doit être regardé comme constituant une reprise d'entreprise individuelle et comme ouvrant droit à l'exonération d'imposition précitée dès lors que la société compte moins de dix salariés et que l'opération de cession des parts ne se fait pas au profit de proches parents ou alliés du cédant.

(26 janvier 2021, M. A., n° 428124)

 

43 - Recouvrement de créances fiscales - Débiteur résidant à l'étranger - Régime de la prescription des créances - Régime de l'action en recouvrement - Cassation partielle.

Le litige opposait l'administration fiscale à un contribuable résidant en Suisse à propos du paiement de cotisations à l'impôt sur le revenu, de prélèvements sociaux et de frais des mises en demeure émises à cet effet.

Dans cette importante décision qui concerne une situation de fait désormais très répandue, le Conseil d’État se prononce en particulier sur l'office du juge de l'impôt en ce cas.

En premier lieu, lorsque le juge de l'impôt est saisi d'une contestation relative au recouvrement d'une créance fiscale auprès d'un débiteur qui ne réside pas habituellement en France, il lui incombe de déterminer si une norme communautaire ou un traité international autorise des modalités de notification ou de signification à l'étranger des actes pris dans le cadre de la procédure en cause qui dérogent aux modalités qui sont prévues, en l'absence de tels textes, par les dispositions du livre des procédures fiscales, en particulier celles des art.L. 257-0 A, L. 257-0 B, L. 258 A, L. 277 et par celles du code de procédure civile (art. 683 et 684).

En second lieu, lorsque ce juge est saisi d'une telle contestation par un débiteur ne résidant habituellement ni en France ni dans un Etat membre de l'Union européenne il entre dans son office de déterminer si un instrument juridique relatif à l'assistance mutuelle en matière de recouvrement ayant une portée similaire à celle de la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 est applicable à l'intéressé, auquel cas celui-ci n'est soumis qu'au délai de prescription de quatre années prévu par le premier alinéa de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales.

En l'espèce il est fait application des principes susindiqués aux sommes mises en recouvrement en 2005 au titre de l'impôt sur le revenu pour les années 2001 à 2003 ainsi qu'au titre des contributions sociales de l'année 2003, avec les frais correspondants. Le surplus de la demande n'est rejeté que pour une raison de procédure.

(26 janvier 2021, M. A., n° 429381 ; Ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, n° 429410)

 

44 - Taxe de séjour - Institution successive ou concomitante de cette taxe par une commune et par une communauté de communes - Impossibilité - Rejet.

(26 janvier 2021, Commune de Linguizzetta c/ communauté de communes de l'Oriente, n° 431187) V. n° 11

 

45 - Bois et forêts - Régime fiscal des cessions de terres à usage forestier ou de peuplements forestiers - Détermination des plus-values imposables - Cas d'acquisitions par fractions successives - Conséquence de l'abattement pour durée de détention - Rejet.

Une personne a cédé, par fractions successives, la quasi-totalité des parts qu'elle possédait dans un groupement forestier à une SCI dont ses enfants sont associés et déclaré à cette occasion que la plus-value résultant de cette cession devait être exonérée sur le fondement du IV de l'article 150 U du CGI. Le litige, après accord partiel avec l'administration fiscale, portait sur l'application aux 323 dernières parts cédées de l'abattement pour cession de peuplements forestiers alors que cette cession avait déjà bénéficié de l'abattement pour durée de détention.

Confirmant les jugement et arrêt rendus dans ce litige, le Conseil d’État juge tout d'abord qu'en cas de cession de biens immobiliers ou de droits relatifs à ces biens, qui ont été acquis par fractions successives, la plus-value est calculée à partir des plus et moins-values propres aux différentes fractions en cause, corrigées par l'abattement pour durée de détention.

Il juge aussi que lorsqu'une fraction des peuplements forestiers cédés ne donne lieu à aucune plus-value prise en compte dans ce calcul, elle n'ouvre pas droit, eu égard à son objet, à l'abattement prévu, en cas d'imposition, pour la cession de tels biens.

La cour administrative d'appel n'a donc pas commis d'erreur de droit en jugeant que, dès lors que les 323 parts détenues depuis 1981 n'avaient fait l'objet d'aucune imposition, l'administration n'avait pas à les prendre en compte pour déterminer le montant de l'abattement prévu par le III de l'article 150 VF du CGI.

En quelque sorte, ici abattement sur abattement ne vaut...

(26 janvier 2021, M. et Mme B., n° 429576)

 

46 - Impôts sur le revenu - Impôt sur les sociétés - Intervention d'une procédure de reprise ou de rectification - Délai de réclamation - Notification postérieure d'une mise en recouvrement - Absence d'effet sur le cours du délai de réclamation - Rejet.

Si, par application des art. L. 169, L. 189 et R. 196-3 du livre des procédures fiscales, le contribuable qui a fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification de la part de l'administration fiscale, dispose, symétriquement, d'un délai de réclamation dont la durée est égale à celle dont bénéficie l'administration pour établir l'impôt, qui s'achève le 31 décembre de la troisième année au cours de laquelle a été notifiée la proposition de rectification, en revanche la notification postérieure de la mise en recouvrement des impositions n'a pas pour effet de proroger ce délai.

La solution est parfaitement logique.

(26 janvier 2021, Société Accor, n° 437802)

 

47 - Imposition des sociétés - Société mère d'un groupe fiscalement intégré - Rehaussement de son bénéfice imposable - Détermination du délai de réclamation - Rejet.

Parce que la notification régulière à la société mère d'un groupe fiscalement intégré de rehaussements apportés à son propre bénéfice imposable, en tant que société membre de ce groupe, ne lui permet de se prévaloir du délai de réclamation prévu à l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales que pour les seules impositions correspondant à ses propres résultats individuels, c'est sans erreur de droit que la cour administrative d'appel a jugé tardive la réclamation de la société requérante tendant à la restitution d'une fraction, correspondant à des bénéfices d'une autre société membre du groupe, des cotisations primitives d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale additionnelle à cet impôt qu'elle avait acquittées au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2010. En effet, la proposition de rectification en date du 17 décembre 2013 qui lui avait été notifiée portait sur son seul résultat propre et n'avait eu aucune incidence sur le résultat individuel de l'autre société, de sorte qu'elle ne pouvait se prévaloir de cette notification pour l'application du délai prévu à l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales.

On peut regretter la rigidité d'une solution trop générale et peu adaptée à des situations fiscales multiformes.

(26 janvier 2021, Société Vicat, n° 438217)

 

48 - Option d'une société pour le régime d'intégration fiscale (art. 223 A CGI) - Refus de l'administration - Conditions d'octroi du régime d'intégration - Ajout par une disposition de l'annexe III au CGI de conditions supplémentaires à celles prévues par la loi - Illégalité - Annulation sans renvoi (seconde cassation).

La société demanderesse s'était vu refuser par l'administration fiscale le bénéfice de son option pour le régime d'intégration fiscale prévu par l'article 223 A CGI car elle ne remplissait pas l'ensemble des conditions nécessaires pour être éligible à cette intégration.

En réalité ces conditions figurent à l'art. 223 A précité ainsi qu'à l'art. 46 quater-0 ZF de l'annexe III au CGI.

Si la société satisfaisait bien à la condition prévue à l'art. 223 A, elle ne satisfaisait pas aux autres conditions prévues à l'annexe III.

Toutefois, constatant que ces dernières conditions méconnaissent la portée de la disposition législative dont l'art. 46 quater-0 ZF a pour objet de préciser les modalités d'application, le juge les dit entachées d'incompétence et, par suite, inopposables à la requérante.

C'est donc illégalement que l'administration a refusé à la société le bénéfice de l'intégration fiscale qu'elle sollicitait.

(26 janvier 2021, SELAS Biomnis, n° 439582)

 

49 - Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) - Conditions d'assujettissement - Exercice habituel d'une activité professionnelle non salariée - Condition réalisée en l'espèce - Rejet.

La société requérante avait contesté son assujettissement à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ; si le tribunal administratif lui a donné raison en ordonnant la restitution des sommes versées, la cour administrative d'appel a infirmé ce jugement. Le pourvoi en cassation est rejeté par adoption des motifs retenus par le juge d'appel.

L'art. 1447 du CGI définit l'activité professionnelle, au sens de l'art. 1586 ter du CGI, comme l'exercice à titre habituel d'une activité professionnelle non salariée.

En l'espèce, la contribuable tirait des revenus de la concession d'un brevet ; il est jugé que dès lors que le concédant met en oeuvre de manière régulière et effective, pour cette activité de concession, des moyens matériels et humains ou qu'il est en droit de participer à l'exploitation du concessionnaire et qu'il est rémunéré, en tout ou partie, en fonction des résultats de cette exploitation, il exerce une activité professionnelle au sens et pour l'application des dispositions régissant le champ d'application et les conditions d'assujettissement à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.

Or, en l'espèce, en premier lieu, la cour a relevé qu'au cours de la période d'imposition en cause, la SAS SCA Hygiène Holding détenait directement ou indirectement la totalité du capital de l'ensemble des filiales françaises du groupe SCA, au nombre desquelles figuraient la société SEGAS, requérante, et celles auxquelles cette dernière avait sous-concédé des brevets pour lesquels elle bénéficiait d'une licence d'usage et d'exploitation exclusive.

En deuxième lieu, la cour a constaté que les stipulations des contrats de sous-concession de brevets en cause prévoyaient que le montant des redevances perçues par la société requérante était, au moins pour partie, fixé en fonction du volume des ventes et donc proportionnel à l'activité et aux résultats des sociétés sous-concessionnaires.

En déduisant de là que la totalité du capital de la société concessionnaire et des sociétés sous-concessionnaires était, directement ou indirectement, détenue par un seul et même actionnaire, et qu'ainsi la société SEGAS devait être regardée comme étant en droit de participer à l'exploitation de ses sous-concessionnaires, d'où il résultait que la sous-concession du droit d'usage et d'exploitation des brevets en cause revêtait, en l'espèce, le caractère d'une activité professionnelle au sens de l'article 1447 du CGI, la cour n'a pas entaché son arrêt d'une erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits au plan juridique.

(26 janvier 2021, SAS Société d'Etude et de Gestion d'Appareils Sanitaires (SEGAS), n° 439856)

 

50 - Procédure fiscale - Substitution de la base légale de l'imposition - Limite - Contribuable privé d'une garantie procédurale légale - Respect du droit de saisine de la commission départementale des impôts - Rejet.

Des diverses questions juridiques abordées dans cette décision sera retenue, même si elle est sans effet en la présente espèce, l'affirmation  centrale que " si l'administration peut, à tout moment de la procédure, invoquer un nouveau motif de droit propre à justifier l'imposition, une telle substitution de base légale ne saurait avoir pour effet de priver le contribuable des garanties de procédure prévues par la loi compte tenu de la base légale substituée et notamment de la faculté, prévue par les articles L. 59 et L. 59 A du livre des procédures fiscales, de demander la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, lorsque celle-ci est compétente pour connaître du différend ".

 (26 janvier 2021, M. A., n° 439976)

 

Droit public économique

 

51 - Programme d'aide de l'Union européenne accordé dans le cadre du volet " lait et fruits à l'école " - Notification de la stratégie de la France à la Commission européenne - Décision de FranceAgriMer modifiant cette stratégie - Information de la cessation de cet agrément en fin d'année scolaire en cours - Absence de rétroactivité illégale, d'atteinte à des droits acquis, à la sécurité juridique ou à la confiance légitime - Annulation de l'ordonnance de référé suspension.

L'établissement public requérant avait informé, le 6 juin 2019, une société qu'il avait agréée à partir du deuxième trimestre de l'année scolaire 2018/2019 commençant le 1er janvier 2019, en tant que gestionnaire de la partie "fruits et légumes" du programme d'aide de l'UE dénommé "lait et fruits à l'école", que cet agrément cesserait de s'appliquer à compter de la fin de l'année scolaire en cours.

FranceAgriMer invoquait à l'origine de cette décision l'évolution de la stratégie nationale pour ce programme d'aide qui conduisait à réserver l'accès à l'aide aux organismes supportant le coût de la restauration collective dans les établissements scolaires, ce qui en excluait les opérateurs qui, comme la société en cause, intervenaient en qualité de fournisseurs.

Par ailleurs, FranceAgriMer informait cette dernière de la faculté qui lui était ouverte d'intervenir dorénavant auprès des organismes précités en qualité de fournisseur référencé. 

Le juge des référés a suspendu cette décision et enjoint FranceAgriMer de reprendre le fonctionnement de l'agrément.

Sur appel de cet établissement, le Conseil d’État annule l'ordonnance de référé au motif que les Etats membres de l'Union ont la faculté, notamment en vertu du 4 de l'art. 2 du règlement délégué (UE) 2017/40 de la Commission du 3 novembre 2016, de modifier leur stratégie nationale, notamment pour déterminer, parmi les catégories de demandeurs visées par ce texte, celles qui pourront être agréées en vue de bénéficier de l'aide.

Il s'ensuit que les opérateurs concernés sont en mesure de prévoir que cette stratégie, en particulier en tant qu'elle détermine l'accès direct à l'aide, est susceptible d'être adaptée et de connaître des évolutions ce qui implique nécessairement qu'ils ne disposent d'aucun droit au maintien de la stratégie nationale en vigueur au moment où ils ont été agréés et qu'ils ne se sont, alors, engagés à aucune contrepartie autre que celle de fournir les denrées alimentaires correspondant à leur agrément au cours du trimestre où celui-ci leur a été accordé.

C'est donc à tort que, pour rendre l'ordonnance attaquée, le premier juge a cru pouvoir se fonder sur l'illégalité rétroactive de la décision informant de la fin de l'agrément ainsi que sur le fait qu'elle aurait porté atteinte à des drois acquis ainsi qu'aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime.

(26 janvier 2021, FranceAgriMer, n° 436639)

 

52 - Redevances aéroportuaires - Directive du 11 mars 2009 sur les redevances aéroportuaires - Consultation des usagers - Intervention d'une autorité de supervision indépendante - Intervention non nécessaire en l'espèce - Rejet.

Des divers points de droit abordés dans cette décision on retiendra surtout celui relatif au grief tiré de la non-consultation de l'Autorité de la concurrence.

Selon le juge, il résulte des dispositions du code des transports (art. L. 6325-1 et L. 6325-6) que si les redevances pour services rendus sur les aérodromes ouverts à la circulation aérienne publique sont fixées par décret en Conseil d’État  qui peut réglementer les prix " après consultation de l'Autorité de la concurrence ", cette consultation n'est prévue que pour les textes  ayant pour objet les règles relatives au champ, à l'assiette et aux modulations des redevances, les principes et les modalités de fixation de leurs tarifs lorsque de telles règles ne se bornent pas à préciser les modalités d'application des dispositions législatives ou de la directive précitée de 2009 et modifient de manière substantielle l'état du droit antérieur.

Or les dispositions querellées du décret du 3 octobre 2019 n'ont pas cette portée car elles se bornent à préciser ou à réitérer selon une rédaction antérieure des dispositions existantes et ne modifient pas de manière substantielle l'état du droit antérieur.

La consultation de l'Autorité de la concurrence n'étant pas nécessaire en l'espèce, son absence ne saurait entacher d'illégalité le décret attaqué.

Cette jurisprudence réitère mutatis mutandis la décision du 3 mai 2004, Fonds régional d'organisation du marché du poisson (FROM Nord), n° 260036, encore que cette dernière reposait sur une interprétation plus souple que dans la présente affaire, de la notion de modification substantielle.

(28 janvier 2021, Syndicat des compagnies aériennes autonomes (SCARA), n° 436166 et n° 439999 ; Chambre syndicale du transport aérien (CSTA), n° 436517 ; Société Ryanair, n° 438178, jonction)

 

53 - Exonération de cotisations sociales pour création ou reprise d'activité professionnelle ou exercice d'une autre profession non salariée (art. L. 131-6-4 c. sécurité sociale) - Décret du 20 novembre 2019 apportant des modifications substantielles au régime antérieur - Entrée en vigueur au 1er janvier 2020 - Espérance légitime frustrée - Cessation du régime antérieur motivée par l'intérêt général - Rejet.

Une disposition du code de la sécurité sociale avait institué au profit de personnes créant ou reprenant une activité professionnelle ou entreprenant l'exercice d'une autre profession non salariée, pour douze mois prorogeables jusqu'à trente-six mois à certaines conditions, une exonération des cotisations dues aux régimes d'assurance maladie, maternité, veuvage, vieillesse, invalidité et décès et d'allocations familiales dont elles sont redevables au titre de l'exercice de leur activité (art. L. 131-6-4, I du code de la sécurité sociale).

Le décret attaqué, du 20 novembre 2019, entré en vigueur le 1er janvier 2020, modifie profondément ce mécanisme. En particulier, il limite à un an seulement la durée d'application de l'exonération et, pour les périodes d'activité postérieures au 1er janvier 2020, plafonne l'exonération à 50% des sommes dues au lieu de 100% jusque-là. D'autres dispositions sont prévues à titre transitoire pour les personnes dont l'activité a débuté antérieurement à cette date.

Le Conseil d’État , s'il rejette l'argument des requérantes fondé sur l'atteinte au principe de non rétroactivité des actes administratifs puisque le décret ne contient pas de dispositions rétroactives, admet que soit invoqué - uniquement pour celles des activités existant antérieurement au 1er janvier 2020 non pour celles ayant débuté postérieurement - l'argument tiré de ce qu'elles disposaient bien " d'une espérance légitime de bénéficier de cette exonération pendant la durée et dans les conditions prévues par ces dispositions, constitutive d'un bien au sens des stipulations (de l'art. 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH)".

Toutefois, il relève que les mesures contenues dans le décret litigieux étant justifiées par un motif d'intérêt général, l'atteinte invoquée n'est pas illégale.

Pour parvenir à ce résultat le juge relève, d'une part, que même réduit, le taux d'exonération de cotisations "demeure relativement proche de celui dont elles auraient pu bénéficier sur le fondement des dispositions antérieures", et, d'autre part, que les mesures adoptées visent "à atténuer l'avantage que les règles précédentes avaient pour effet de procurer aux micro-entrepreneurs par rapport aux autres travailleurs indépendants, en rapprochant les exonérations dont ils bénéficient et en assurant le respect de l'article L. 613-7 du code de la sécurité sociale qui prévoit que le taux global appliqué aux cotisations et contributions sociales durant les premières années d'activité des travailleurs indépendants relevant du régime micro-social ne peut être inférieur à la somme des taux de la contribution sociale généralisée et de la contribution au remboursement de la dette sociale".

L'argument ne convainc pas car c'était précisément ce qui faisait toute l'attractivité du régime antérieur que d'apporter un avantage jusque-là inexistant dans l'intérêt général de développer la création d'entreprises et de favoriser l'initiative productive individuelle.

L'Etat donne une nouvelle fois le sentiment, comme c'est souvent le cas en matière d'avantages sociaux ou fiscaux, de reprendre d'une main ce qu'il a lâché de l'autre lorsqu'il s'aperçoit avoir été incapable de déterminer le coût global futur du nouveau mécanisme institué. C'est là une façon de légitimer l'absence de confiance des citoyens envers leurs gouvernants, si largement répandue en France, à la différence d'autres Etats européens.

(28 janvier 2021, Association pour le droit à l'initiative économique et Fédération nationale des autoentrepreneurs, n° 437776)

 

54 - Référé suspension - Communiqué commun de l'Autorité des marchés financiers et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution - Appréciation de la condition d'urgence - Absence d'urgence - Rejet.

(26 janvier 2021, Société Blockchain Process Security, n° 448419 ; Société Digital Broker, n° 448432 ; Société Kamix, n° 448433, jonction) V. n° 14

 

Droit social et action sociale

 

55 - Conventions collectives - Fusion - Représentativité des organisations syndicales - Appréciation - Absence d'urgence à statuer compte tenu des dispositions prises - Rejet.

Les syndicats requérants, qui ont demandé  l'annulation de l'exécution de l'arrêté du 9 avril 2019 du ministre du travail procédant, en application de l'article L. 2261-32 du code du travail, à la fusion de la convention collective des artistes-interprètes engagés pour les émissions de télévision  et de la convention collective de la production audiovisuelle, sollicitent également sa suspension  au motif qu'en cas d'annulation contentieuse de cette fusion et alors que des élections à cet effet sont prévues du 22 mars au 4 avril 2021, il ne serait plus possible d'apprécier la représentativité des organisations syndicales relevant de chacune des deux branches objet de la fusion contestée.

Pour dire n'y avoir pas urgence à statuer le juge du référé suspension relève, sur les affirmations ministérielles réitérées à la barre du Conseil d’État , que des urnes distinctes correspondant aux champs de chacune des conventions collectives composant la nouvelle branche sont proposées aux électeurs dans toutes les nouvelles branches issues de fusions soumises à un contentieux et que, à cet effet, au sein de la liste électorale, les électeurs ont été affectés selon les branches professionnelles qui préexistaient à la fusion des champs. De sorte que si le Conseil d'État décidait de l'annulation de l'arrêté litigieux, la direction générale du travail serait en capacité d'affecter les résultats du vote des salariés de l'une et l'autre conventions collectives à chacune et ce en vue de l'édiction d'arrêtés de représentativité syndicale distincts.

(ord. réf. 11 janvier 2021, Syndicat indépendant des artistes interprètes et Union nationale des syndicats autonomes Spectacle et Communication, n° 447183)

 

56 - Conventions collectives et accords de branche - Portée de l'art. L. 2261-15 du code du travail - Conditions d'appréciation de la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs - Extension d'un avenant à une convention collective - Absence d'appréciation préalable de la représentativité des participants à l'accord - Exclusion d'une organisation remplissant les critères de représentativité - Annulation de l'arrêté ministériel opérant cette extension.

Doit être annulé l'arrêté ministériel portant extension d'un accord professionnel et de l'avenant à cet accord sans qu'il ait été procédé auparavant à une enquête de représentativité des organisations professionnelles d'employeurs participant à cet accord ou n'y participant pas. En l'espèce, une des organisations requérantes, non appelée à la négociation de l'avenant, satisfaisait aux critères légaux de représentativité, l'arrêté portant extension de cet avenant est donc annulé.

(21 janvier 2021, Chambre nationale des professions libérales, n° 418617 ; Institut français des experts-comptables et des commissaires aux comptes (IFEC), n° 418618 ; Conseil national des barreaux, n°444576)

 

57 - Licenciement d'un salarié pour faute - Conducteur de car - Permis de conduire ayant perdu sa validité - Motif d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement - Qualification inexacte des faits - Cassation avec renvoi.

L'arrêt attaqué qualifie inexactement comme n'étant pas d'une gravité suffisante pour motiver son licenciement, le fait pour un conducteur de car de continuer à conduire alors, d'une part, que la durée de validité de son permis de conduire était arrivée à expiration et, d'autre part, qu'il lui incombait d'en solliciter en temps utile la prorogation.

(21 janvier 2021, Société N'4 Mobilités, n° 427235)

 

58 - Médecine du travail - Visite médicale à l'embauche d'un apprenti - Expérimentation de l'accomplissement d'une visite médicale par un médecin autre qu'un médecin du travail - Régime de cette expérimentation - Rejet.

Le I de l'article 11 de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel permet qu'à titre expérimental, jusqu'au 31 décembre 2021, pour un apprenti embauché en contrat d'apprentissage, la visite d'information et de prévention prévue par le code du travail (art. L. 4624-1, alinéa 2) peut être réalisée par un professionnel de santé de la médecine de ville, dans des conditions définies par décret, lorsqu'aucun médecin du travail n'est disponible pour réaliser cette visite dans un délai de deux mois à compter de l'embauche. Le décret du 28 décembre 2018, pris pour l'exécution de ces dispositions, était argué d'illégalité par l'organisation requérante.

Tous ses arguments sont rejetés.

La consultation du Conseil national de l'ordre des médecins préalablement à l'édiction de ce texte n'était pas requise. La circonstance qu'une disposition législative impose " un diplôme spécial (...) pour l'exercice des fonctions de médecin du travail " n'interdisait pas à une disposition législative postérieure d'y déroger en particulier à titre expérimental. En troisième lieu, le décret litigieux ne s'applique qu'à défaut de médecin du travail disponible et ne fait nullement obstacle à l'exercice par celui-ci de ses prérogatives.

La loi n'interdit pas que le médecin substitué soit le médecin traitant de l'intéressé et le fait que ce dernier, à l'issue de la visite d'information et de formation, puisse orienter son client vers un médecin du travail ne porte pas atteinte au principe de l'indépendance professionnelle du médecin.

Enfin, le décret attaqué comporte les garanties et précisions nécessaires à la bonne application du I de l'art. 11 précité et il n'apporte aucune dérogation au principe du secret médical.

(21 janvier 2021, Conseil national de l'ordre des médecins, n° 431492)

 

59 - Syndicat mixte gérant un service de remontées mécaniques et de pistes de ski - Service public à caractère industriel et commercial - Grave déficit d'enneigement - Demande de mise en activité partielle de ceux des agents placés sous un régime de droit privé - Marge d'appréciation de l'administration sollicitée en vue ce donner son accord à l'utilisation de ce dispositif - Caractère exceptionnel ou non du déficit d'enneigement - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge régulier le refus du préfet, confirmé par le ministre, d'accorder au syndicat requérant, gestionnaire d'un service public de remontées mécaniques ou de pistes de ski, l'autorisation de placer ses salariés en position d'activité partielle en raison d'un déficit d'enneigement.

En effet, l'activité, même gérée en régie directe par une commune ou un groupement de communes, y compris avec la participation d'un département, constitue toujours un service public à caractère industriel et commercial. Il s'ensuit, contrairement à ce qui avait été jugé en appel, que les agents contractuels recrutés pour exercer dans un service de remontées mécaniques ou de pistes de ski sont soumis à un régime de droit privé et qu'ils peuvent donc être placés par leur employeur en position d'activité partielle dans les conditions prévues par le code du travail, sous réserve de l'adhésion de ce dernier au régime d'assurance chômage.

Reste une question pratique à résoudre, celle de déterminer si le déficit d'enneigement a, en l'espèce, revêtu, ou non, un caractère exceptionnel.

(28 janvier 2021, Syndicat mixte Savoie Grand Revard, n° 432340)

 

Élections

 

60 - Élections municipales et communautaires du 15 mars 2020 - Apparition d'un élément nouveau de polémique électorale - Article de presse relatif à l'effondrement de la voûte d'une église - Absence de caractère polémique - Rejet.

Ne constitue pas, au sens de l'art. L. 48-2 du code électoral, un élément nouveau de polémique électorale, la publication dans un quotidien local d'un article relatif aux opérations de déblaiement menées le mercredi précédent le scrutin à la suite de l'effondrement de la voûte de l'église de la commune et aux étapes à venir de la réfection de l'édifice. D'une part, la publication d'un article de presse dans un quotidien local rendant compte de l'intervention des services municipaux sur un bâtiment communal ne saurait constituer, par elle-même, une méconnaissance des articles L. 48-2 et L. 49 du code électoral et, d'autre part, les organes de presse demeurent libres de leurs publications durant la campagne électorale, notamment en mentionnant les propos de certains candidats, sous réserve, dans ce dernier cas, que ces propos ne constituent pas, par leur présentation et leur contenu, de la part de ces candidats, un procédé de publicité commerciale prohibé par l'article L. 52-1 du code électoral.

Dans les circonstances de l'espèce, ces conditions ont été respectées d'où le rejet de la protestation.

(27 janvier 2021, M. E. et autres, Élections mun. et cnautaires de la commune de Ruffey-lès-Echirey, n° 445579)

 

61 - Élections municipales et communautaires du 15 mars 2020 - Altérations alléguées de la sincérité du scrutin - Absence - Rejet.

Le protestataire demandait l'annulation d'opérations électorales s'étant déroulées dans une commune de plus de mille habitants au motif que divers éléments auraient entaché la sincérité du scrutin.

Le Conseil d’État rejette le recours dirigé contre le jugement de rejet de cette protestation.

La présentation des détails d'un projet communal de construction d'un quartier destiné aux séniors, par la liste conduite par M. D., maire sortant, ne constitue pas une manoeuvre frauduleuse de nature à altérer la sincérité du scrutin dès lors que le conseil municipal avait déjà été informé du projet de construction de ce quartier et que cette annonce dans la presse est intervenue avant le début de la campagne officielle, de sorte que le protestataire disposait du temps nécessaire pour y répondre dans le cadre de la campagne. Pas davantage ne constitue une telle manoeuvre la circonstance que le site internet de campagne de M. D. a été réalisé par l'agence de communication qui réalise des prestations pour la commune.

Le taux d'abstention de 60,6% constaté lors des élections, peut-être du fait de l'épidémie de coronavirus, n'a pas, non plus, altéré la sincérité du scrutin.

(28 janvier 2021, M. B., Élections mun. et cnautaires de la commune de Faulquemont, n° 443737)

 

62 - Élections municipales et communautaires du 15 mars 2020 - Taux élevé d'abstention - Altération prétendue de la sincérité du scrutin - Ecart des voix -Rejet.

Rejetant la protestation dont il était saisi en appel d'un jugement la rejetant, le Conseil d’État juge que le nombre d'abstentions peut-être lié à l'existence d'une épidémie n'a pas altéré la sincérité du scrutin pas plus qu'une inscription à la peinture sur le sol en un lieu et un temps non identifiés.

Enfin, le sort incertain de deux procurations n'a pas, non plus, eu cet effet dès lors qu'en retranchant hypothétiquement deux voix à la liste la mieux placée celle-ci dépasse encore de deux voix la majorité absolue requise.

(28 janvier 2021, M. C., Élections mun. et cnautaires de la commune de Saint Geoges-d'Oléron, n° 445084)

 

63 - Élections municipales et communautaires du 15 mars 2020 - Éléments nouveaux de polémique électorale - Faible écart des voix - Confirmation de l'annulation des opérations électorales - Rejet de l'appel.

La circonstance de l'apparition d'éléments nouveaux de polémique électorale, au moyen de la distribution de deux tracts, l'avant-veille du scrutin, auxquels il ne pouvait être utilement répliqué, a, à bon droit, conduit le premier juge à annuler les opérations électorales en raison du faible écart des voix entre les listes, ne représentant que 0,28% des suffrages exprimés.

(28 janvier 2021, M. C. et autres, Élections mun. et cnautaires de la commune de Duttlenheim, n° 445308)

(64) Voir aussi, constatant l'existence d'un élément nouveau de polémique électorale mais jugé ici comme n'ayant pas altéré la sincérité du scrutin : 28 janvier 2021, M.  G., Élections mun. et cnautaires de la commune de Delme, n° 445518.

 

65 - Élections municipales et communautaires du 15 mars 2020 - Intervention officielle au moyen d'un courrier distribué aux habitants d'une commune - Utilisation de moyens municipaux - Très faible écart des voix - Altération de la sincérité du scrutin - Confirmation de l'annulation des opérations électorales du premier tour et, par voie de conséquence, du second tour de ces élections - Rejet.

La distribution aux habitants d'une commune, par des moyens municipaux, d'un courrier du maire sortant qui ne se représentait pas, pour soutenir l'une des listes en présence constitue, eu égard à ce que l'unique candidate élue au premier tour ne disposait que de trois voix de plus seulement que la majorité absolue requise, une irrégularité ayant altéré le scrutin. L'annulation du premier tour entraîne, par voie de conséquence, celle du second tour de ces élections.

(28 janvier 2021, M. AN. et autres, Élections mun. et cnautaires de la commune de Champdeuil, n° 445775)

 

État-civil et nationalité

 

66 - Français ayant demandé la libération de ses liens d'allégeance à la France - Acquisition antérieure de la nationalité suisse - Demande de réintégration dans la nationalité française - Régime applicable en l'état d'un vide juridique - Conditions de la réintégration - Absence - Rejet.

Le requérant, français d'origine, a obtenu la nationalité suisse en 1975, sollicité la libération de ses liens d'allégeance à la France en 1977 et demande désormais sa réintégration dans la nationalité française.

Rejetant le recours qu'il a introduit contre la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'intérieur sur la demande, qu'il lui a adressée le 10 avril 2019, de retrait du décret du 3 août 1977 portant libération de ses liens d'allégeance avec la France, le Conseil d’État précise deux points qu'il importe de retenir.

En premier lieu, relevant que les " dispositions du code civil, qui régissent aujourd'hui l'acquisition et la perte de la nationalité française, n'organisant aucune procédure d'abrogation ni de retrait d'un décret autorisant la perte de la qualité de Français, il appartient à celui qui a été l'objet d'une telle décision, s'il souhaite recouvrer la nationalité française, de solliciter sa réintégration dans la nationalité française dans le cadre de l'une des deux procédures (instituées et régies par les articles 24 à 24-2 du code civil)".

En second lieu, l'intéressé peut, à tout moment, demander le retrait de la décision de libération des liens d'allégeance à la France lorsque celle-ci n'a pas été prise à sa demande ou que cette dernière est entachée d'un vice du consentement.

Comme ce n'était pas le cas en l'espèce, la demande est rejetée.

(28 janvier 2021, M. B., n° 435279)

 

Fonction publique et agents publics

 

67 - Enseignants dans l'enseignement technique - Enseignants agrégés du second degré - Conditions de rémunération des heures supplémentaires - Obligation d'effectuer un nombre minimum d'heures hébdomadaires au titre du service statutaire - Annulation sans renvoi, le Conseil d’État réglant l'affaire au fond.

Les personnels enseignant dans des établissements publics d'enseignement technique peuvent percevoir une rémunération supplémentaire en cas d'accomplissement de services d'enseignement au-delà du minimum hebdomaire d'enseignements statutaires.

Si, en l'espèce, la cour administrative a, à bon droit, estimé que le requérant, professeur agrégé enseignant en section de technicien supérieur sous la forme de séances de travaux dirigés de sciences appliquées ou de cours d'essais de systèmes dispensés sous forme de travaux pratiques d'atelier, avait bien accompli des heures complémentaires, elle a cependant commis une erreur de droit en ordonnant leur paiement alors que n'était pas remplie la condition d'un nombre minimum d'heures d'enseignement au titre du service statutaire hebdomadaire, lequel était de treize et trente minutes.

(21 janvier 2021, M. D., n° 428299)

 

68 - Technicien supérieur des études et de l'exploitation de l'aviation civile - Épuisement de ses droits à congé de longue durée - Contestation par l'intéressé, devant le comité médical supérieur, de l'avis du comité médical - Conséquence sur la position statutaire de l'agent - Position arrêtée à titre provisoire - Mise en disponibilité d'office - Rejet.

La question posée ici au juge était de savoir dans quelle position statutaire il convient de placer l'agent qui, ayant épuisé ses droits à congé de longue durée, conteste devant le comité médical supérieur l'avis du comité médical estimant qu'il n'était pas en état de reprendre un emploi ?

Le ministre compétent avait fait choix de placer l'intéressé, à titre provisoire, en position de disponibilité d'office pour trois ans. C'est cette décision que le requérant a contestée en vain en première instance. La juridiction d'appel avait annulé ce jugement et enjoint le ministre de réunir sous deux mois la commission de réforme afin qu'elle se prononce sur la mise en disponibilité d'office.

Le Conseil d’État estime que c'est sans illégalité que, dans les circonstances de l'espèce, le demandeur a été placé à titre provisoire en disponibilité d'office dans l'attente de l'avis du comité médical supérieur statuant sur sa réintégration. Il précise encore qu'il n'y avait pas lieu, en l'état de ce caractère provisoire, de réunir le comité de réforme, celui-ci ne devant l'être, le cas échéant, qu'en fonction du sens de l'avis du comité médical supérieur.

La procédure suivie n'a donc pas été irrégulière contrairement à ce qui a été jugé en appel.

(26 janvier 2021, M. C., n° 430790)

 

69 - Fonctionnaire employé dans un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) - Office national des forêts (ONF) - Régime applicable aux heures supplémentaires - Inapplicabilité des dispositions y relatives du code du travail - Annulation pour erreur de droit.

Commet une erreur de droit l'arrêt d'une cour administrative d'appel qui fait application à une fonctionnaire employée par l'ONF, qui est un EPIC, des règles fixées par le code du travail (art. L. 3111-1, L. 3121-10, L. 3121-22) en matière de rémunération des heures supplémentaires, inapplicables par principe aux fonctionnaires

(26 janvier 2021, Office national des forêts, n° 433291)

 

70 - Fonctionnaire - Supplément familial de traitement pour enfant à charge - Notion d'enfant à charge - Enfant de plus de 20 ans - Absence de qualité d'enfant à charge - Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit dans son interprétation de l'art. R. 512-2 du code de la sécurité sociale, la cour administrative d'appel qui juge qu'un enfant âgé de plus de vingt ans entre dans la catégorie des enfants à charge ouvrant droit au bénéfice du parent fonctionnaire à un supplément familial de traitement

(26 janvier 2021, M. A., n° 433426)

 

71 - Fonctionnaire - Recul de l'âge de la retraite - Enfant de moins de 21 ans - Enfant devant être pris en compte pour l'application de la loi du 18 août 1936 - Rejet.

Ne commet pas d'erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que doit être pris en compte pour le recul d'un an de l'âge de la retraite d'un fonctionnaire par ancienneté, en application de l'art. 4 de la loi du 18 août 1936, l'enfant de ce fonctionnaire âgé de moins de 21 ans.

(26 janvier 2021, Ministre de l'économie et des finances et Ministre de l'action et des comptes publics, n° 433429)

 

72 - Élections au comité technique d'établissement et aux commissions administratives paritaires d'un centre hospitalier - Possibilité de voter à l'urne, par correspondance ou par voie électronique via internet - Possibilité de solliciter un nouvel identifiant ou mot de passe en cas de perte - Obligation de sécuriser la procédure - Absence en l'espèce - Annulation eu égard au nombre des votes électroniques - Annulation.

Il est possible, au même titre que les votes par correspondance ou à l'urne, de recourir au vote électronique pour les élections au comité technique d'établissement et aux commissions administratives paritaires.

En l'absence de toute réglementation le prévoyant, il est également possible d'instaurer une procédure permettant aux votants par voie électronique qui les auraient égaré de solliciter la réédition électronique - en lieu et place de celle "papier" prévue par le décret du 14 novembre 2017 - du mot de passe et/ou de l'identifiant. Toutefois, le recours à cette solution est subordonné à ce que la procédure adoptée garantisse le respect des principes de secret du vote et de sincérité du scrutin de manière équivalente à ce qu'il en est pour les deux autres modalités de vote. A cette fin, elle doit permettre de s'assurer de l'identité de l'électeur qui sollicite une nouvelle communication de son identifiant et de son mot de passe ainsi que du caractère personnel du ou des modes de communication par lesquels ils lui sont transmis. 

L'absence en l'espèce de telles garanties et le recours important à cette procédure conduisent à l'annulation des opérations électorales litigieuses.

(26 janvier 2021, Centre hospitalier du pays d'Aix n° 437986 et n° 437998)

(73) V. aussi, la solution identique retenue sur ce point par :

- 26 janvier 2021, Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM), n° 437989 et n° 437985

- ainsi que par : 26 janvier 2021, Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM), n° 437992 et n° 438006

- et par : 26 janvier 2021, Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM), n° 437993 et n° 438008.

 

74 - Inspecteur de la jeunesse et des sports - Directeur général de l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP) - Sanction disciplinaire - Mise à la retraite d'office - Communication préalable du dossier - Caractère en principe intégral de cette communication - Absence - Annulation de la sanction et obligation de réintégration.

Le requérant s'était vu reprocher d'avoir fait prendre en charge par l'INSEP des frais de séjour à Rio-de-Janeiro, à l'occasion des Jeux olympiques, de personnes proches de lui et étrangères à cet établissement. Après une enquête de l'inspection générale de son corps, une procédure disciplinaire a été engagée, au terme de laquelle un décret du président de la république l'a mis à la retraite d'office.

Le requérant contestait la régularité de la procédure suivie ; le Conseil d’État accueille le recours.

Le conseil de discipline disposait de trois documents ou séries de documents à l'ouverture de la procédure disciplinaire : un rapport de la Cour des comptes sur l'INSEP qui n'était pas relatif à l'affaire, le rapport de l'inspection générale et les pièces annexées à celui-ci.

Ces dernières n'ont pas été communiquées à l'agent malgré la demande expresse en ce sens de son avocat, en particulier les procès-verbaux d'audition des personnes entendues par les enquêteurs en vue de l'établissement de leur rapport. Pas davantage ne lui ont été communiqués les procès-verbaux des auditions réalisées, pour son propre rapport, par la Cour des comptes.

Le Conseil d’État écarte le grief de non-communication de ces dernières auditions puisque le rapport de la Cour ne concernait que l'INSEP non le requérant, elle n'affectait point son droit au respect des droits de la défense. En revanche, la non-communication des auditions réalisées dans le cadre de l'établissement du rapport de l'inspection générale affecte ces droits dès lors qu'il n'est pas soutenu que leur communication serait susceptible d'avoir de graves incidences sur leurs auteurs.

L'annulation de la procédure entraîne celle de la sanction disciplinaire subséquente et conduit à ordonner la réintégration de l'agent, celui-ci n'étant pas, à cette date, atteint par la limite d'âge.

(28 janvier 2021, M. Jean-Pierre de Vincenzi, n° 435946)

 

Libertés fondamentales

 

75 - Reconnaisance de plein droit de la qualité de réfugié - Personne placée sous le mandat du Haut-Conseil des Nations unies pour les réfugiés (HCR) - Retrait de cette qualité - Conditions - Annulation avec renvoi à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

La CNDA avait annulé la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) retirant à un individu le statut de réfugié au motif que celui-ci lui ayant été accordé automatiquement en sa qualité de personne placée sous le mandat du HCR, il ne pouvait lui être retiré.

Le Conseil d’État censure cette solution pour erreur de droit : la circonstance d'un octroi automatique de cette qualité comme dans le cas de l'espèce ne prive pas l'OFPRA du droit de mettre fin au statut de réfugié dès lors que sont découverts, postérieurement à l'octroi de ce statut, soit des éléments nouveaux soit des éléments révélés après cette date.

 (21 janvier 2021, OFPRA, n° 428146)

 

76 - Reconnaissance de la qualité de réfugié ou octroi de la protection subsidiaire - Octroi de cette qualité ou de cette protection aux parents ou à l'un d'eux - Effet sur ceux de leurs (ses) enfants mineurs se trouvant avec eux ou l'un d'eux - Extension à leur profit de l'attribution de cette qualité ou du bénéfice de la protection - Rejet du pourvoi.

Saisi d'un recours de l'Office de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) dirigé contre la décision par laquelle la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire à une personne ainsi qu'à ses enfants mineurs se trouvant avec elle en France, le Conseil d’État rejette le pourvoi.

Il décide en premier lieu - par une interprétation très bienveillante du deuxième alinéa de l'art. L. 741-1 du CESEDA - que les effets de la décision conférant l'asile à un ressortissant étranger se trouvant en France accompagné de ses enfants mineurs, soit en qualité de réfugié soit au titre de la protection subsidiaire, s'étendent également ipso facto à ses enfants mineurs.

Il décide également que dans le cas où il est statué sur la demande de chacun des parents, la décision accordant la protection la plus étendue est réputée prise également au bénéfice des enfants sans qu'il y ait lieu de distinguer entre la qualité d'enfants de réfugiés et celle d'enfants de bénéficiaires de la protection subsidiaire, alors même que ces derniers ne peuvent pas se prévaloir du principe de l'unité de la famille lequel est un principe général du droit des seuls réfugiés.

(21 janvier 2021, OFPRA, n° 439248)

 

77 - Enregistrement des demandes de visas long séjour par les consulats de France - Procédures de réunification familiale et de regroupement familial - Décision ministérielle interdisant cet enregistrement - Circulaire primo-ministérielle ne prévoyant aucune dérogation - Annulation avec injonction.

Sont suspendues en tant qu'elles ne sont pas proportionnées à la menace sanitaire à laquelle elles entendent pallier, d'une part, l'instruction donnée par le ministre de l'intérieur de ne pas délivrer les visas de long séjour demandés aux consulats de France dans le cadre de procédures de regroupement familial ou de réunification familiale et, d'autre part, la circulaire du premier ministre, du 29 décembre 2020, en tant qu'elle ne prévoit pas de dérogations pour les bénéficiaires d'un visa au titre du regroupement familial ou de la réunification familiale.

(21 janvier 2021, Cimade, service oecuménique d'entraide, n° 447878 ; Association des avocats pour la défense du droit des étrangers (ADDE) et autres, n° 444893)

 

78 - Étranger - Expulsion - Respect de la vie privée et familiale - Gravité des faits commis - Absence d'atteinte manifestement disproportionnée - Rejet.

L'expulsion d'un ressortissant malien, condamné en 2016 à une peine de sept ans de prison ferme pour des faits de viol en réunion, qui a fait l'objet d'une libération conditionnelle en avril 2020 pour son bon comportement en détention, qui a épousé une française en octobre 2017, laquelle est enceinte depuis le mois d'août 2020, ne porte pas une atteinte manifestement disproportionnée au respect de sa vie privée et familiale, eu égard au caractère récent du crime commis et à la gravité de celui-ci.

(26 janvier 2021, M. A., n° 448576)

 

79 - Étranger - Expulsion - Suspension de l'expulsion ordonnée - Comportement de l'intéressé - Intérêt supérieur des enfants - Confirmation de l'ordonnance de suspension - Rejet.

Le ministre de l'intérieur demandeur entendait voir annulée une ordonnance suspendant l'exécution de l'arrêté d'expulsion d'un ressortissant comorien à l'issue de son incarcération.

Le Conseil d’État rejette le recours du ministre au terme d'un examen minutieux des éléments de fait de l'affaire, d'une part ceux concernant l'intéressé lui-même, et d'autre part ceux relatif à sa vie familiale.

S'agissant de l'intéressé, celui-ci, condamné à 10 ans de réclusion criminelle pour des faits commis entre 2007 et 2012, a fait l'objet d'une libération anticipée, le 24 décembre 2020, après évaluation du risque de récidive, soit plus de trois ans avant le terme normal de sa peine. Au cours de sa détention, il a bénéficié, à sa demande, d'un suivi par le service médico-psychologique du centre de détention, lequel a pris fin le 19 novembre 2019, sa psychologue estimant que leurs objectifs avaient été atteints. Enfin, le juge des enfants lui a accordé, après avoir évalué sa dangerosité potentielle, un droit de visite de ses enfants placés auprès des services de l'aide sociale à l'enfance, d'abord sous le contrôle de ces derniers, puis un droit simple sans contrainte. 
S'agissant de sa vie familiale, le juge relève qu'il est père de trois enfants français, dont les deux plus jeunes ont été confiés à l'aide sociale à l'enfance, compte tenu de son incarcération et du comportement défaillant de leur mère, celle-ci étant très peu investie dans l'éducation de ses deux fils, refusant de collaborer avec les services sociaux et n'adoptant pas un comportement adapté lors des quelques visites auxquelles elle a participé. En revanche, le père, selon les services sociaux et judiciaires, témoigne d'un réel investissement affectif envers ses enfants, entretenant avec eux une relation épistolaire régulière et faisant usage de son droit de visite plusieurs fois par mois, de telle sorte qu'il constitue le seul repère parental pour eux. Enfin, les représentants du ministre de l'intérieur ont admis à l'audience que, dans la situation actuelle, tant que la mère de ces deux enfants, française également, conserverait l'autorité parentale, ceux-ci ne seraient pas autorisés à aller vivre aux Comores avec leur père. Il en résulte que l'expulsion de l'intéressé empêcherait ses enfants de voir leur père et, a fortiori, de reconstituer la cellule familiale sur le territoire français, alors même que cette reconstitution serait également impossible aux Comores.

Faisant la balance entre les diverses libertés fondamentales en cause, le Conseil d’État juge que l'auteur de l'ordonnance attaqué n'a pas commis d'erreur en estimant que la mesure d'expulsion en litige porte à l'intérêt supérieur des deux enfants de l'intéressé une atteinte grave et manifestement illégale.

(28 janvier 2021, Ministre de l'Intérieur, n° 448629)

 

80 - Demande d'asile - Effets de la demande sur les enfants mineurs - Cas des enfants mineurs nés ou entrés en France postérieurement à l'enregistrement de la demande d'asile - Situation des mineurs en cas de refus de l'asile opposé aux parents - Rejet.

Cette décision apporte des précisions ou en complète certaines antérieurement établies.

En premier lieu, l'étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile doit présenter une demande en ce sens en son nom et, le cas échéant, en celui de ses enfants mineurs qui l'accompagnent.

En deuxième lieu, en cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur postérieurement à l'enregistrement de sa demande, l'étranger est tenu d'en informer l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). En ce cas, la décision rendue par l'OFPRA (ou, en cas de recours, par la Cour nationale du droit d'asile), est réputée l'être à l'égard du demandeur et de ses enfants mineurs. 

En troisième lieu, les parents d'un enfant né après l'enregistrement de leur demande d'asile et alors que celle-ci a été rejetée, peuvent présenter, postérieurement, une demande au nom de leur enfant. Celle-ci doit alors être regardée, dans tous les cas, comme une demande de réexamen (cf. les dispositions de l'art. L. 723-15 du CESEDA).
Enfin, si, dans cette dernière hypothèse, le bénéfice des conditions matérielles d'accueil peut être refusé à la famille, après un examen au cas par cas et en tenant notamment compte de la présence au sein de la famille du mineur concerné, lorsque l'OFPRA décide de proposer à la famille les conditions matérielles d'accueil et que les parents les acceptent, il est tenu, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur cette demande, d'héberger la famille et de verser aux parents l'allocation pour demandeur d'asile, calculée en fonction du nombre de personnes composant le foyer du demandeur d'asile.

Par suite, doit être rejetée la requête de l'OFPRA soutenant que c'est à tort que le juge des référés lui a enjoint de verser à Mme C., en sa qualité de représentante légale de son fils mineur, l'allocation pour demandeur d'asile en tenant compte des trois personnes composant le foyer du demandeur.

(27 janvier 2021, OFPRA, n° 445958)

 

81 - Presse - Institution par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) d'une contribution exceptionnelle des éditeurs - Atteinte à des libertés ou droits constitutionnels (liberté contractuelle, principe du consentement à l'impôt, égalité devant les charges publiques et droit de propriété) - Demande de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) - Rejet.

La requête contestait une décision de l'ARCEP relative à une décision du Conseil supérieur des messageries de presse instituant une contribution exceptionnelle des éditeurs pour le financement des mesures de redressement du système collectif de distribution de la presse. Elle soulevait une QPC tirée de ce que la faculté pour l'ARCEP d'imposer une contribution financière sans garantie suffisante aux éditeurs de presse affecterait un certain nombre de libertés et de droits que la Constitution garantit (liberté contractuelle, principe du consentement à l'impôt, égalité devant les charges publiques et droit de propriété).

Le Conseil d’État  refuse de renvoyer cette question par le double motif, d'une part, que la décision critiquée n'a pas été prise sur le fondement de l'article 18 de la loi du 2 avril 1947 modifiée et n'est pas régie par cet article, qui n'étant pas applicable au litige ne saurait faire l'objet, de ce chef, d'une QPC, et d'autre part, que l'art. 16 de cette loi, qui fait également l'objet de la demande de QPC, se borne à définir les missions générales de l'ARCEP mais ne concerne point ses pouvoirs qui sont seuls l'objet du recours, sa contestation est donc irrelevante.

(28 janvier 2021, Société Coopérative des Editeurs Libres et Indépendants et autres, n° 442464)

 

Professions réglementées

 

82 - Chirurgien dentiste - Procédure disciplinaire - Analyse de l'activité du praticien préalable à la saisine du juge - Respect des droits de la défense - Recevabilité de la plainte non subordonnée au respect de cette exigence procédurale - Absence de contrariété aux droits et libertés garantis par la Constitution - Possibilité d'invoquer devant la juridiction du contrôle technique les effets d'irrégularités entachant la phase d'analyse de l'activité préalable à la saisine du juge - Rejet de la QPC et, sur les autres moyens, du pourvoi.

La circonstance que des irrégularités affectent la phase d'analyse préalable à la saisine de la juridiction du contrôle technique, réalisée par le service du contrôle médical sur le fondement du IV de l'art. L. 315-1 du code de la sécurité sociale, n'a pas, par elle-même, d'effets sur la régularité de la procédure juridictionnelle en cas de saisine, subséquente à ce contrôle, de la juridiction du contrôle technique et ne porte pas atteinte aux droit et libertés que la Constitution garantit.

En effet, si, au cours de la phase préalable, le principe du respect des droits de la défense s'impose, la double circonstance que son respect ne conditionne pas la recevabilité de la plainte dirigée contre le professionnel de santé et que cette phase ne constitue pas un élément de la procédure juridictionnelle, n'empêche pas l'intéressé de se prévaloir, devant la juridiction compétente, de ce que cette irrégularité a affecté substantiellement la procédure juridictionnelle elle-même dans l'un quelconque de ses éléments (matérialité des faits, possibilité de rapporter une preuve, qualification des faits dénoncés dans la plainte, droits de la défense dans la phase juridictionnelle, etc.).

Par suite, la demande de renvoi de la QPC ne peut qu'être rejetée.

(14 janvier 2021, M. A., n° 442985 et n° 445397)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

83 - QPC - Question invoquant le principe d'égalité entre contribuables - Matière transférée à la Polynésie française - Impossibilité d'invoquer ce principe dans le cadre d'une QPC - Rejet.

La requérante avait soulevé une QPC fondée sur la violation du principe d'égalité en matière d'impôt sur les sociétés car le contribuable n'est pas traité de la même manière selon qu'il est une société polynésienne ayant des activités sur le territoire métropolitain ou qu'il est une société métropolitaine ayant une activité en Polynésie française.

Le renvoi de la question est refusé au motif que " lorsqu'une matière a été transférée à une collectivité d'outre-mer sur le fondement de l'article 74 ou 77 de la Constitution, le principe d'égalité ne peut être utilement invoqué pour contester le fait que la collectivité adopte des dispositions différentes de celles qui sont applicables sur le territoire métropolitain".

La solution peine à convaincre et, en tant que cette inégalité crée des distorsions de concurrence, elle n'est guère compatible avec le droit européen et le droit mondial de la concurrence.

(21 janvier 2021, Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), n° 429998)

 

84 - Élections municipales - Invocation en appel de l'exception d'inconstitutionnalité - Irrecevabilité de l'exception - Dispositions inapplicables au litige - Rejet de la demande de renvoi de l'exception d'inconstitutionnalité.

Le requérant avait - en vain - contesté en première instance des opérations électorales municipales ; en appel de ce jugement il faisait valoir, par voie de QPC, que des dispositions de l'article L. 52-1 du code électoral porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Le Conseil d’État relève que pour rejeter sa protestation le tribunal administratif ne s'est pas fondé sur ce texte, qui, au demeurant, n'était pas invoqué devant lui. Par suite, le Conseil d’État, en vertu du principe d'immutabilité du litige, ne peut en faire application pour la première fois en appel, celui-ci n'étant pas d'ordre public.

Il en résulte que la question de sa conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution est sans incidence sur la régularité ou le bien-fondé du jugement dont le requérant relève appel.

Par voie de conséquence, ce texte n'étant pas applicable au litige dont est saisi le Conseil d’État, les conditions de recevabilité d'une QPC ne sont pas réunies.

(21 janvier 2021, M. B., Élections de la commune de Fay-de-Bretagne, n° 444766)

 

85 - Droit pénal - Modalités d'aménagement des peines - Impossibilité pour le juge de l'application des peines de tenir compte de conditions de détention indignes - Question de caractère sérieux - Renvoi de la QPC.

Le Conseil d’État  juge que présente un caractère sérieux la question de la conformité à la Constitution des art. 707, 720-1, 720-1-1, 723-1, 723-7 et 729 du code de procédure pénale en tant qu'ils portent  atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment le principe à valeur constitutionnelle de dignité de la personne humaine et le droit à un recours juridictionnel effectif, faute de prévoir la possibilité pour le juge de l'application des peines de tirer les conséquences de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine afin qu'il y soit mis fin par un aménagement de la peine.

La question est renvoyée au Conseil constitutionnel pour qu'il procède à son examen.

(27 janvier 2021, Section française de l'observatoire international des prisons, n° 445873)

 

Santé publique

 

86 - Personne hospitalisée en phase terminale - Décision de limitation des traitements - Caractère d'obstination déraisonnable - Opposition de la famille - Instructions écrites contrauires de la patiente - Suspension de la décision de limitation des traitements - Annulation de l'ordonnance attaquée.

Dramatique affaire que celle qui fait l'objet de la présente décision.

Une personne atteinte de nombreuses et très graves pathologies à l'issue irrémissible, fait l'objet, à deux reprises, d'un protocole afin de décider de la limitation des traitements dont elle était l'objet jusque-là car les médecins estiment que leur poursuite constituerait une obstination déraisonnable.

En dernier lieu, à la suite d'une réunion au titre de la procédure collégiale tenue le 4 janvier 2021, les requérants sont informés oralement de la nouvelle décision de limitation des soins. Le juge des référés de première instance, saisi le 11 janvier d'une demande de référé suspension, l'a rejetée le 13 janvier. Le Conseil d’État est à nouveau saisi.

Celui-ci constate que l'ensemble de la procédure suivie par les médecins et l'hôpital en vue de la décision de limitation des soins l'a été régulièrement ainsi que l'a constaté l'ordonnance attaquée.

Toutefois, relevant que le 18 janvier, après qu'un médecin lui a expliqué son état et son évolution et qu'il a constaté qu'elle était " bien consciente et attentive " et a " très bien compris ces informations ", la patiente a écrit une lettre dans laquelle elle déclare vouloir " avoir tous les traitements " et " ne veux pas avoir de limitation de traitement ". Cette volonté est confirmée par l'entretien qu'elle a eu le 20 janvier avec trois médecins. Dès lors, quelle que soit la gravité de l'état de la patiente et quelque régulière qu'ait été la procédure suivie, il y a lieu d'ordonner la suspension de la décision querellée du 4 janvier 2021.

(ord. réf. 29 janvier 2021, Mme C. et M. C., n° 448923)

 

87 - Arrêté ministériel (Santé) - Étendues respectives de la compétence du premier ministre et de celle du ministre de la santé en matière de santé publique dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 - Mesure proportionnée et correctement fondée - Rejet.

 (28 janvier 2021, M. B., n° 441038) V. n° 36

 

Travaux publics et expropriation

 

88 - Expropriation - Annulation de la déclaration d'utilité publique par le juge administratif - Travaux de viabilisation entrepris pendant le cours de l'instance - Audience de plaidoirie devant le juge de l'expropriation fixée au 11 janvier 2021 - Continuation et accélération des travaux - Ordonnance de suspension des travaux jusqu'à ce que le juge de l'expropriation se soit prononcé - Rejet.

La création, par une communauté de communes, d'une zone d'activité intercommunale à finalité industrielle, artisanale et commerciale a été déclarée d'utilité publique, entraînant l'acquisition, par voie d'expropriation, de diverses parcelles auparavant à finalité agricole.

L'arrêté portant DUP a été annulé par un jugement confirmé en appel puis en cassation.

La communauté de communes, alors que l'affaire était pendante devant le Conseil d’État, a entrepris des travaux de viabilisation, interrompus pendant la crise sanitaire du printemps 2020, puis repris et accélérés au mois de sptembre 2020. Compte tenu de la fixation, par le juge de l'expropriation, au 11 janvier 2021, de l'audience devant se tenir dans le cadre de l'action en annulation de l'ordonnance d'expropriation, le juge du référé liberté du tribunal administratif a enjoint la communauté de communes de suspendre l'exécution des travaux qu'elle avait entrepris jusqu'à ce que le juge de l'expropriation se soit prononcé, la poursuite desdits travaux étant de nature à priver d'effet utile le recours des personnes expropriées devant ce juge dans la mesure où celui-ci tendait, à titre principal, à obtenir la restitution de leurs parcelles.

La communauté de communes sollicite du juge des référés du Conseil d’État l'annulation de cette ordonnance. Sa demande est, sans surprise, rejetée.

En premier lieu, le juge des référés ne s'est pas mépris sur sa compétence, laquelle était d'ailleurs exclusive s'agissant d'ordonner l'interruption de travaux publics, interruption que le juge judiciaire ne pouvait pas ordonner.

Ensuite, ce juge ne s'est pas mépris en constatant l'urgence à statuer sur la requête dont il était saisi car la poursuite, en toute connaissance de cause, des travaux de viabilisation des parcelles en litige par la communauté de communes était de nature à préjudicier de manière grave et immédiate aux intérêts des requérants tels qu'ils entendaient les défendre devant le juge de l'expropriation, en ôtant à ces parcelles, en raison de l'ampleur des modifications qui leur seraient apportées, la qualité de biens susceptibles d'être restitués au sens des dispositions de l'article R . 123-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

La circonstance que les demandeurs n'auraient pas mis en avant l'existence d'une circonstance particulière justifiant de cette urgence est sans effet car, d'une part, les travaux en cours au moment de cette demande n'avaient pas transformé les biens d'une manière telle que le juge de l'expropriation se serait vu privé de toute possibilité d'en ordonner la restitution et, d'autre part, cette urgence ressortait à l'évidence de " l'accélération des travaux à l'automne 2020 et la volonté publiquement affirmée de la communauté de communes de les mener à bien en dépit des trois décisions de la juridiction administrative intervenues entre janvier 2018 et février 2020 ".

Egalement, si la communauté de communes excipe de ce qu'étant propriétaire des terrains en cause, il lui est loisible, tant que l'ordonnance d'expropriation n'a pas été annulée, d'y conduire les travaux en litige, il est évident qu'aucune nouvelle déclaration d'utilité publique n'est susceptible d'être obtenue avant que le juge de l'expropriation ne statue au début de l'année 2021, et qu'aucune nécessité impérieuse de réaliser de manière urgente ces travaux n'a été mise en avant, " excepté le souhait de la communauté de communes de les conduire à leur terme en dépit des décisions de la juridiction administrative ayant annulé la déclaration d'utilité publique sur le fondement de laquelle ils ont été entrepris".

On aura compris qu'outre l'absence de toute base juridique sérieuse à l'appui du raisonnement conduit par la communauté de communes devant le Conseil d’État, son comportement de fait, assez peu respectueux des décisions de la juridiction administrative, n'a pas peu contribué au rejet d'une requête si mal fondée.

(ord. réf. 11 janvier 2021, Communauté de communes des Portes de Rosheim, n° 448094)

 

89 - Référé suspension dirigé contre un arrêté de cessibilité - Condition d'urgence remplie ipso facto sous réserve de l'existence d'un intérêt public attaché à une réalisation rapide du projet - Rejet.

La présente décision, qui porte sur un litige d'expropriation, se signale à l'attention, indépendamment de l'application qu'elle retient en l'espèce de la jurisprudence dite du "bilan coûts-avantages" (cf. Assemblée, 28 mai 1971, Ministre de l'Équipement c. Fédération de défense des personnes concernés par le projet actuellement dénommé "Ville nouvelle Est", Rec. 409, concl. G. Braibant), par la présomption d'urgence qu'elle institue.

Le référé suspension ayant été dirigé contre un arrêté préfectoral de cessibilité, le juge considère que l'urgence est ipso facto établie ainsi que l'a jugé le premier juge et qu'il en va ainsi même dans le cas où serait déjà intervenue l'ordonnance du juge judiciaire de l'expropriation procédant au transfert de propriété.

Il n'y a d'exception à cette présomption que par suite de circonstances particulières, telle, par exemple, l'existence d'un intérêt public à la réalisation rapide du projet en vue duquel est réalisée l'expropriation.

Tel n'était pas le cas en l'espèce.

(ord. réf. 27 janvier 2021, Établissement public foncier de la Vendée et commune du Poiré-sur-Vie, n° 437237 ; Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 437293)

 

Urbanisme

 

90 - Procédure en cours de réalisation d'un plan urbanisme (PLU) - Sursis à statuer - travaux de nature à remettre en cause la procédure du PLU (art. L. 424-1 c. urb., ex-art. L. 111-7) - Sursis possible en phase d'élaboration du PLU - Exclusion du sursis en cas de modification du PLU - Annulation.

Confirmant une tendance jurisprudentielle récente (cf. CAA Lyon, 18 juin 2019, Société Denali Consulting et autres, n° 18LY03593), le Conseil d’État décide qu'un maire ne peut opposer le sursis à statuer dans le cadre de la modification d'un PLU, ce sursis ne pouvant être décidé que lors de l'élaboration d'un PLU ou durant la procédure de sa révision (art. L. 123-6 et art. L. 123-13, II c. urb.).

(28 janvier 2021, EURL Denali Consulting et autres, n° 433619)

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