Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Décembre 2020

  

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Acte réglementaire d’un ordre professionnel – Conditions de reconnaissance de diplômes, titres ou fonctions - Publication dans un mensuel d’informations professionnelles sur le site internet de l’ordre – Publicité insuffisante à permettre son entrée en vigueur – Absence d’opposabilité de l’acte – Annulation.

Un chirurgien-dentiste qui sollicitait la reconnaissance d’un diplôme se l’est vu refuser par le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes, lequel s’est fondé pour cela sur sa décision à caractère réglementaire établissant le « protocole d'examen des demandes de reconnaissance des diplômes, titres et fonctions » qui fixe notamment les critères et la procédure selon lesquels ce conseil examine les demandes de reconnaissance des diplômes, titres et fonctions présentés par des chirurgiens-dentistes. 

Toutefois, cette décision n’ayant été insérée que dans un mensuel d’informations professionnelles (« La lettre de l’Ordre ») publié sur le site internet de l’ordre des chirurgiens-dentistes, le Conseil d’Etat, saisi par l’intéressé, considère qu’il s’agit là d’une publicité par trop inadéquate pour permettre l’entrée en vigueur de cette décision et donc son opposabilité au requérant. Le refus opposé au requérant est ainsi annulé car fondé sur un protocole inopposable.

(2 décembre 2020, M. D., n° 426692)

 

2 - Circulaire du ministre de la justice – Circulaire réitérant le silence de la loi – Impossibilité de la contester sur ce point par la voie du recours pour excès de pouvoir – Rejet.

Il était reproché à une circulaire ministérielle relative à l’application de la loi du 5 août 2013 (portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France relatives à l'exécution transfrontalière des condamnations à une peine ou une mesure de sûreté privative de liberté en application d'une condamnation pénale et notamment des transfèrements), alors que ladite loi ne prévoit pas de voie de recours contre les décisions du ministère public décidant ou refusant de donner suite aux demandes de transfèrement international formulées par une personne condamnée, et ne prescrit pas de délai au ministère public pour statuer sur une demande de transfèrement international, de comporter elle aussi cette lacune.

Le juge considère que la circulaire qui « réitère » (si l’on peut dire) le silence de la loi ne peut pas faire l’objet de ce chef d’un recours pour excès de pouvoir.

La solution est logique.

Peut-être eût-il fallu contester l’incompétence négative du législateur du fait d’un silence susceptible de porter atteinte à des droits et libertés que la Constitution garantit ?

(24 décembre 2020, Section française de l'Observatoire international des prisons et autre, n° 434746)

 

3 - Acte individuel – Acte de simple information – Acte insusceptible de recours – Cas de l’information d’avoir à rembourser une somme selon des modalités communiquées ultérieurement – Rejet.

La lettre par laquelle l'administration se borne à informer un fonctionnaire qu'il doit rembourser une somme indument payée et qu'en l'absence de paiement spontané de sa part, un ordre de reversement ou un titre de perception lui sera notifié ne constitue pas un acte susceptible de recours.

La solution semble d’autant plus discutable qu’est jugée susceptible de recours la lettre par laquelle l'administration informe un fonctionnaire qu'une somme indument payée fera l'objet d'une retenue sur son traitement.

(29 décembre 2020, Université de Savoie Mont-Blanc, n° 425728 ; Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, n° 4297165)

 

4 - « Instruction » relative à la suspension de conditions matérielles d’accueil à certains demandeurs d’asile – Absence de production de cette instruction – Existence de celle-ci prétendument démontrée par des éléments statistiques relatifs aux suspensions des conditions matérielles d’accueil – Absence de démarches pour se procurer, à la supposer existante, l’instruction critiquée – Rejet d’une requête manifestement irrecevable.

Est manifestement irrecevable et donc rejeté, le recours dirigé contre une instruction relative à la suspension de conditions matérielles d’accueil à certains demandeurs d’asile qui n’est pas produite à l’appui de ce recours. Ne saurait suppléer au défaut de présentation de la décision attaquée un aperçu statistique qui en démontrerait l’existence.

(3 décembre 2020, Association « La Cimade », n° 426564)

 

5 - Réduction de trois à deux du nombre d’enfants qu’une assistante maternelle est autorisée à accueillir - Non-consultation préalable de la commission consultative paritaire départementale - Vice affectant le déroulement d’une procédure – Privation d’une garantie – Rejet.

L’absence de consultation de la commission consultative paritaire départementale avant de prendre la décision de ne plus confier à une assistante maternelle agréée que deux enfants au lieu de trois antérieurement constitue un vice de procédure qui, en l'espèce, a privé l’intéressée d'une garantie, ce qui conduit à l’annulation de la décision ainsi que l’a jugé, sans dénaturation des pièces du dossier, la cour administrative d’appel.

(31 décembre 2020, Ville de Paris, n° 437006)

 

6 - Convention nationale organisant les rapports entre pharmaciens d’officine et assurance-maladie – Avenants à cette convention – Approbation ministérielle – Approbation conférant un caractère réglementaire à la convention et à ses avenants – Interdiction de toute portée rétroactive de l’approbation ou des stipulations approuvées – Annulation.

Rappel de ce que l’approbation ministérielle donnée à une convention nationale (ici entre pharmaciens d’officine et assurance-maladie) ou à l’un de ses avenants confère aux stipulations ainsi approuvées un caractère réglementaire.

Par suite, est illégale l’approbation qui a une portée rétroactive ou qui porte sur des stipulations ayant déjà par elles-mêmes une portée rétroactive.

(31 décembre 2020, Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, n° 441716)

 

7 - Recommandations de bonnes pratiques – Recommandations élaborées par la Haute autorité de santé (HAS) – Contribution à la connaissance des données acquises de la science – Obligation pour les professionnels de santé de parfaire leurs connaissances et de les adapter au patient – Mise à jour ultérieure des recommandations, rectification ou abandon de celles-ci par la HAS – HAS saisie d’une demande de réexamen d’une recommandation négative – Obligation pour la HAS, le cas échéant, de correction, même partielle, d’une recommandation -  Date à laquelle le juge se place pour statuer – Rejet.

L’association requérante avait demandé le réexamen par la HAS de la recommandation de bonne pratique « Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l'enfant et l'adolescent », adoptée en mars 2012 par cette autorité et par l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux, en ce qui concerne la méthode des « 3i ». Elle saisit le Conseil d’État du refus opposé à sa demande par la présidente de la HAS.

C’est l’occasion pour ce dernier d’apporter beaucoup de précisions sur le statut juridique des recommandations de bonne pratique, dévoilant par là même la grande complexité des questions à trancher dans une matière délicate.

En principe, il revient au collège de la HAS d’élaborer et/ou de réviser une recommandation de bonne pratique au vu d’informations de tous ordres portées à sa connaissance ou recueillies par lui ce qui se traduit par deux grands effets.

En direction des professionnels d’abord, qui doivent fonder leurs décisions sur les données actuelles acquises de la science, lesquelles résultent notamment des recommandations de bonne pratique de la HAS, mais il leur incombe aussi de rechercher par eux-mêmes des informations par d’autres sources et en fonction des caractéristiques propres de la pathologie d’un patient déterminé.

Concernant la HAS elle-même, elle a l’obligation de tenir à jour ses recommandations car elles traduisent, comme on vient de l’indiquer, le socle des connaissances médicales avérées à la date où elles sont édictées. De là suit, le cas échéant, le devoir, pour elle, de modifier, d’éliminer en cas d’obsolescence ou d’erreur manifeste d’appréciation, d’accompagner de précisions restrictives ou négatives, les recommandations existantes ou d’en produire de nouvelles. Cette exigence implique, lorsque sur un point déterminé existe une difficulté et alors même que l'engagement de travaux de refonte de l'ensemble de la recommandation ne serait pas justifié, d'en tirer les conséquences, à tout le moins en accompagnant sa publication d'un avertissement sur ce point. 

A cet égard, si le collège de la HAS est seul compétent pour décider de l'élaboration ou de la révision d'une recommandation de bonne pratique, pour adopter ou pour abroger une telle recommandation, le président de la HAS tient de son règlement intérieur la compétence pour rejeter une demande tendant à la modification ou à l'abrogation d'une recommandation de bonne pratique, et, par suite, pour l'abroger en tout ou partie ou pour accompagner sa publication d'un avertissement approprié, sauf si cette décision impose d'engager les travaux nécessaires à son réexamen.

En l’espèce, l’association requérante, qui promeut la méthode dite des " 3i ", reposant sur une stimulation individuelle, interactive et intensive de l'enfant, avait saisi la HAS d'une demande de réexamen de sa recommandation de bonne pratique pour que cette méthode ne soit plus mentionnée au nombre des « interventions globales non recommandées ».

Examinant au fond et très complètement l’argumentation des parties, le Conseil d’État se convainc, d’abord, que l’objection de déscolarisation qui résulterait du recours à cette méthode, invoquée par la HAS, peut dans certains cas être écartée. Il relève cependant, ensuite, se rangeant ici à l’opinion de la HAS, l’absence de données scientifiques sur l’efficacité de la méthode que les études récentes invoquées en réponse par l’association requérante ne suffisent pas à contredire ou contrebalancer, pour in fine en conclure que la décision de la HAS ne revêt pas un caractère manifestement erroné qui rendrait illégal d’abroger ou modifier dans cette mesure la recommandation de bonne pratique litigieuse.

Le recours est rejeté.

(23 décembre 2020, Association Autisme Espoir vers l'école, n° 428284)

 

8 - Certificats d’économies d’énergie (CEE) – Silence gardé sur une demande de CEE valant décision implicite d’acceptation – Intervention d’une mise en demeure – Effets pour le passé et pour l’avenir – Rejet.

En principe, le silence gardé par le ministre chargé de l'énergie sur une demande de CEE autre que celles relatives à des opérations spécifiques fait naître une décision implicite d'acceptation à l'issue d'un délai de deux mois suivant la date de réception par le ministre du dossier de demande.

Cependant, lorsque le ministre chargé de l'énergie notifie une mise en demeure en application de l'article R. 222-9 du code de l'énergie à la suite d’un contrôle de la régularité de la délivrance des CEE, le délai ci-dessus est suspendu au titre des demandes de certificats déposées avant la mise en demeure et n'ayant pas donné lieu à décision implicite et il ne peut commencer à courir pour toutes les demandes présentées ultérieurement.

Enfin, les effets de cette mise en demeure cessent soient quand le ministre décide de prononcer l'une ou plusieurs des sanctions prévues à l'article L. 222-2 du même code soit lorsqu’il informe le demandeur qu'il renonce à faire usage de ces dispositions.

(29 décembre 2020, Société ACI, n° 427201 et n° 432672, jonction)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

9 - Société de vente en ligne - Achats en ligne par des non-abonnés – Régime de conservation des données de cartes bancaires des non-abonnés – Récurrence des Commerce en ligne - Achats en ligne par des non-abonnés acheteurs récurrents – Demande de conservation de ces données - Recommandation de la CNIL de ne pas conserver ces données – Demande d’annulation de la décision implicite rejetant la modification de cette recommandation – Rejet.

La requérante demandait l’annulation de la décision implicite par laquelle la présidente de la CNIL a rejeté sa demande de modification d’une recommandation afin que puissent être conservées les données des cartes bancaires de clients non-abonnés mais dont les achats en ligne sont néanmoins récurrents.

Rejetant le recours, le Conseil d’État, se fondant sur l’art. 6 du règlement de la CNIL du 27 avril 2016, juge que la demande de la requérante tendant à la conservation des numéros de cartes bancaires pour les clients de son site en ligne non-abonnés, a été à bon droit rejetée car :

- d’une part, la volonté de faciliter des achats ultérieurs au moyen de cette conservation n'est nécessaire ni au respect d'une obligation légale, ni à l'exécution d'une mission d'intérêt public, ni à la sauvegarde des intérêts vitaux de la personne concernée ou d'une autre personne,

- d’autre part, la conservation du numéro de carte bancaire du client qui a procédé à un achat en ligne n’est pas nécessaire aux fins de l'intérêt légitime consistant à faciliter des paiements ultérieurs en dispensant le client de le saisir à chacun de ses achats, cet intérêt ne saurait prévaloir sur l'intérêt des clients de protéger ces données, compte tenu de la sensibilité de ces informations bancaires et des préjudices susceptibles de résulter pour eux de leur captation et d'une utilisation détournée, et alors que de nombreux clients qui utilisent des sites de commerce en ligne en vue de réaliser des achats ponctuels ne peuvent raisonnablement s'attendre à ce que les entreprises concernées conservent de telles données sans leur consentement,

- enfin, s'agissant de l'exécution d'un contrat auquel la personne concernée est partie, la conservation du numéro de carte bancaire ne saurait se justifier une fois ce contrat exécuté.

(10 décembre 2020, Société Cdiscount, n° 429571)

 

10 - Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) – Intervention pour garantir une concurrence effective et loyale sur un marché – Détermination de la pertinence de ce marché – Obligation d’une consultation publique – Expiration du délai triennal (éventuellement prolongé) – Nouvelle consultation publique nécessaire - Analyse du marché de gros amont de la diffusion hertzienne de la télévision numérique terrestre – Prolongation du quatrième cycle de régulation du marché de gros amont de la diffusion hertzienne de la télévision numérique terrestre jusqu'au 17 décembre 2021 – Maintien jusqu'à cette date les obligations imposées à TDF par deux décisions antérieures de l’ARCEP – Annulation.

 L'ARCEP, sa décision n° 2015-1583 du 15 décembre 2015, a : 1°/ défini comme pertinent le marché de gros amont de la diffusion hertzienne terrestre numérique (TNT) de programmes télévisuels, 2°/ désigné la société TDF comme opérateur exerçant une influence significative sur ce marché et 3°/ a imposé à cette dernière un certain nombre d'obligations afin qu'il soit notamment fait droit à toute demande raisonnable d'accès à des éléments de réseau ou à des ressources qui y sont associées portant sur la fourniture de prestations sur ce marché. 

A l’approche de l'arrivée à son terme de la période triennale d'application de la décision précédente, l’ARCEP a procédé à une consultation portant sur son analyse du marché de gros des services de diffusion audiovisuelle hertzienne terrestre, sur le bilan des mesures prises et sur les perspectives d'évolution de ce marché, en indiquant envisager de ne pas reconduire la régulation de ce marché. Au vu des résultats de cette première consultation, elle a décidé, après une nouvelle consultation réalisée à la fin de l'année 2018 et en l'absence d'opposition de la Commission européenne, de prolonger jusqu'au 17 décembre 2020 les effets de sa décision de 2015. 

Toutefois, l'ARCEP devait procéder, à l'issue de la période de prolongation, à une consultation publique et aux autres consultations requises avant de prendre une décision sur le maintien du marché de gros amont de la diffusion hertzienne terrestre numérique (TNT) sur la liste mentionnée à l'article D. 301 du code des postes et communications électroniques ou sur son retrait de cette liste, ainsi que sur le maintien, la modification ou la suppression des autres mesures prises dans sa décision du 15 décembre 2015, sans que pût l'en dispenser la circonstance que les documents soumis à consultation publique en juin 2018 envisageaient l'arrêt de la régulation du marché en cause et cela d’autant plus que la décision de prolongation de deux ans présentait ce délai comme « nécessaire pour mener à bien une analyse de marché incluant les phases de consultations indispensables ». 

En rejetant la demande de la société towerCast tendant à ce qu'une nouvelle analyse du marché soit engagée et soumise à consultation publique avant le terme des mesures de régulation prolongées en avril 2019, l'ARCEP a méconnu les dispositions précitées et la société towerCast est fondée à demander l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande.

(31 décembre 2020, Société towerCast, n° 444751)

 

Biens - Culture

 

11 - Subventions publiques – Irrégularité de la décision d’octroi de la subvention – Emission d’un titre exécutoire en vue du remboursement de la subvention – Demande d’indemnisation du préjudice subi – Absence de lien de causalité – Caractère de « bien » d’une subvention – Demande de restitution non contraire à la Convention EDH (art. 1er du premier protocole additionnel) – Rejet.

La société requérante demandait au juge de cassation d’annuler l’arrêt d’appel confirmant le jugement rejetant sa demande de réparation du préjudice financier qu’elle aurait subi du fait de l’obligation de rembourser une subvention qu’elle avait reçue sur la base d’une décision illégale.

En premier lieu, est rejetée l’invocation du préjudice subi du fait de l’illégalité commise dans l’octroi de la subvention dont le remboursement l’aurait mise dans une « situation désastreuse » car la société requérante n’établit pas l’existence d’un lien certain et direct de causalité entre l’attribution irrégulière de la subvention et le préjudice dont elle réclame réparation.

Ensuite, le Conseil d’Etat, s’il admet qu’une subvention, en tant qu’espérance légitime d’obtenir une somme d’argent, est un « bien » au sens de l’art. 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH, juge cependant – ce qui est assez évident – que l’obligation de rembourser une subvention illégalement octroyée comme l’ont constaté deux jugements du tribunal administratif ne contrevient nullement aux dispositions conventionnelles précitées.

(3 décembre 2020, Société Hélios Bay, n° 428939)

 

12 - Captation d’eau d’une source – Instauration d’un périmètre de protection – Déclaration d’utilité publique (DUP) – Régime juridique applicable – Appréciation sommaire des dépenses – Exploitation d’une source située en sous-sol – Prise en compte pour déterminer la plus-value du terrain du chef de sa captation – Annulation avec renvoi.

Le litige portait sur la contestation d’un arrêté préfectoral autorisant la dérivation et l'utilisation de l'eau d’une source pour la consommation humaine, déclaration d'utilité publique d'instauration des périmètres de protection autour de cette source et autorisation au titre du code de l'environnement.

Deux questions importantes de droit se posaient.

La première était de déterminer le régime juridique applicable aux déclarations d’utilité publique des travaux de prélèvement de l'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines pris sur le fondement des dispositions de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique lequel est muet sur la procédure à suivre en ce cas. Comme l’art. L. 1321-3 cde ce code dispose que « Les indemnités qui peuvent être dues aux propriétaires ou occupants de terrains compris dans un périmètre de protection de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines, à la suite de mesures prises pour assurer la protection de cette eau, sont fixées selon les règles applicables en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique », le Conseil d’État en déduit, très logiquement, que leur est applicable le code de l’expropriation.

La seconde question résultait en partie de la réponse à la précédente question : comment déterminer le montant de l’indemnisation due au propriétaire ? Rappelant que la propriété du sol emporte celle du sous-sol (art. 552 Code civil), le Conseil d’État considère que, dans le cas – qui est celui de l’espèce - d’une source située en tréfonds d’une parcelle incluse dans le périmètre de protection immédiat déterminé par la DUP, laquelle, au jour de l’ouverture de l’enquête publique, est exploitable par son propriétaire ou à son profit, cette exploitabilité est susceptible de conférer à cette parcelle une plus-value, compte tenu le cas échéant des dépenses nécessaires à la mise en exploitation, qui doit être prise en compte dans le coût de son acquisition et, par suite, dans l'appréciation sommaire des dépenses figurant dans le dossier d'enquête publique.

La cour administrative d’appel a donc commis une erreur de droit en jugeant que le dossier soumis à enquête publique répondait aux exigences des dispositions du code de l’expropriation en se fondant pour cela sur la seule circonstance que la commune requérante n'avait jamais exploité à son profit la source située dans le tréfonds du terrain lui appartenant, alors qu’il lui incombait de s’assurer, comme indiqué ci-dessus, si la source était exploitable par la commune propriétaire ou à son profit.

(29 décembre 2020, Commune de Louvie-Juzon, n° 426098)

 

13 - Monuments historiques inscrits ou classés – Imputation sans limite des déficits fonciers – Condition – Exclusion en cas de classement d’un élément isolé – Inclusion quand le classement protège l’ensemble architectural – Cas en l’espèce – Arrêt contraire – Annulation avec renvoi.

Les propriétaires d’un manoir partiellement inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques qu’ils occupent à titre privatif et qui est ouvert à des visites payantes, ont imputé sur leurs revenus fonciers 75% du coût des travaux d’aménagement d’un appartement privatif.

L’administration fiscale a remis en cause cette déduction ; les recours des intéressés, de première instance comme en appel, ont été rejetés.

Les demandeurs – sur le fondement des dispositions de l’art. L. 80 A du livre des procédures fiscales (prises de position formelles de l’administration fiscale) -s’appuient sur une réponse ministérielle de laquelle il résulte que les règles selon lesquelles les déficits fonciers correspondant aux immeubles classés ou inscrits sont imputables sans limitation de montant sur le revenu global « (ces règles) s'appliquent dans les mêmes conditions lorsque le classement ou l'inscription à l'inventaire supplémentaire ne concerne pas la totalité de l'immeuble, à condition toutefois que ce classement ou cette inscription ne soit pas limité à des éléments isolés ou dissociables de l'ensemble immobilier, tels un escalier, des plafonds ou certaines salles, mais vise la protection de l'ensemble architectural. (…) »

Pour rejeter l’appel des intéressés une cour a considéré que le classement à l'inventaire supplémentaire dont les requérants se prévalent ne vise pas à la protection d'un ensemble architectural au sens de cette réponse ministérielle car ce classement ne porte que sur les façades et toitures du manoir, la cheminée de la salle de l'aile est, le colombier et les communs, alors que la propriété acquise par les requérants comporte, outre le manoir, des dépendances, des écuries, des remises, des étables, un atelier, une grange, une bergerie, un grand hangar en bois, un logement de trois pièces, une petite grange, le tout entouré de jardins, d'un parc, de bois et de terres agricoles.

L’arrêt est cassé au motif, assez logique, que les travaux en litige ne concernant que le manoir lui-même et non les autres bâtiments ou les terrains qui les entourent, il incombait à la cour de rechercher « si le classement des façades et des toitures de l'immeuble en cause vise à protéger l'ensemble architectural constitué par le manoir ».

(31 décembre 2020, M. et Mme C., n° 431945)

 

Collectivités territoriales

 

14 - Syndicat mixte – Participation d’une commune ou d’un établissement public de coopération intercommunale à ce syndicat devenue sans objet - Retrait – Condition – Annulation sans renvoi plus rien ne restant à juger.

Reprenant et amplifiant une tendance jurisprudentielle récemment esquissée (13 décembre 2017, Assemblée des départements de France, n° 406563), le Conseil d’État décide qu’il découle des dispositions de l’art. L. 5711-5 du code général des collectivités territoriales, éclairées par les travaux parlementaires, que la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale jusque-là membre d’un syndicat mixte, qui ne dispose plus de la compétence au titre de laquelle était justifiée sa présence dans ce syndicat, n’a plus de raison de maintenir sa présence  désormais devenue sans objet : le retrait de la collectivité de ce syndicat est dès lors possible.

(8 décembre 2020, Syndicat intercommunal d'adduction d'eau et d'assainissement (SIAEA) de Saint-Jean-d'Illac et de Martignas-sur-Jalle et la commune de Saint-Jean-d'Illac, n° 438238 ; SIAEA de Saint-Jean-d'Illac et de Martignas-sur-Jalle, n° 438239 et n° 438332)

 

15 - Département – Aide sociale à l’enfance – Fermeture d’un établissement recevant des mineurs relevant de cette aide – Compétence pour décider la fermeture – Préfet ou président de département – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

La fondation requérante demandait l’annulation de la décision du président d’un département prononçant la fermeture définitive d’un établissement qui prenait jusque-là en charge des mineurs et des jeunes majeurs au titre de l'aide sociale à l'enfance et dont elle avait la charge.

La cour avait estimé que dans le silence des textes sur ce point, la compétence pour décider cette fermeture revenait au président du département, cette collectivité gérant l’aide sociale à l’enfance. Le Conseil d’État aperçoit dans ce raisonnement une erreur de droit car en l'absence de décret définissant, en application du II de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, les conditions techniques minimales d'organisation et de fonctionnement applicables à une catégorie de services ou d'établissements mentionnée au I du même article, la fermeture d'un service ou d'un établissement relevant de cette catégorie ne pouvait être prononcée, à la date de l'arrêté de fermeture en litige, sur le fondement du 1° de l'article L. 313-16 du même code mais relevait, le cas échéant, des dispositions des art. L. 331-3 et L. 331-5, et L. 313-14 à 18 du code précité, dont la mise en oeuvre incombait, à la date précitée, soit le 26 septembre 2013, au seul représentant de l'Etat.

(9 décembre 2020, Fondation Armée du Salut, n° 429063)

 

16 - Question prioritaire de constitutionnalité – Libre administration des collectivités territoriales – Transfert aux communes membres d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) des agents correspondants en cas de restitution à ces communes d’une des compétences qui avaient été transférées à l’EPCI – Pouvoir du préfet d’effectuer cette répartition à défaut d’accord entre les collectivités concernées – Continuité du service public – Refus de renvoyer la question.

Le deuxième alinéa du 2° du IV bis de l’art. L. 5211-4-1 CGCT, qui réserve au préfet la décision de répartir des agents à défaut d'accord entre les collectivités intéressées, lorsqu’une compétence jusque-là transférée à un EPCI leur est restituée, ne méconnait pas le principe de libre administration des collectivités territoriales contrairement à ce que soutenait la commune requérante.

 En effet, la disposition litigieuse confie la décision de répartition à une autorité de l'Etat dans un souci de continuité du service public et d’application continue des lois et cette autorité est placée sous le contrôle du juge qui s’assure d’ « un partage équilibré qui tienne compte des besoins effectifs de chaque commune au regard des conditions d'exercice de la compétence restituée et des ressources dont elle dispose, y compris celles résultant de la répartition des biens et de la redéfinition des relations financières avec l'EPCI en conséquence de la même restitution de compétence ».

(11 décembre 2020, Commune de Carnin, n° 444762)

 

Contentieux administratif

 

17 - Section des assurances sociales du Conseil national de l’ordre des médecins – Décision disciplinaire – Contradiction entre les motifs et le dispositif d’une décision de nature juridictionnelle – Cassation avec renvoi.

La solution est classique et imparable : la contradiction entre les motifs et le dispositif d’une décision de justice entraîne toujours son annulation.

Ici, le conseil de l’ordre, dans sa formation assurances sociales, avait, dans les motifs de sa décision, précisé que la sanction de l'interdiction du droit de donner des soins à des assurés sociaux pendant une période de trois mois, dont deux mois avec sursis, infligée à M. A., devait être publiée pendant la période d'interdiction ferme, soit un mois. Or à l’art. 4 du dispositif de son jugement ledit conseil ordonne la publication de cette même sanction pendant une période de trois mois.

La cassation était inéluctable car le dispositif n’est plus la suite logique, nécessaire et liée, des motifs.

(10 décembre 2020, M. A., n° 430744)

 

18 - Intérêt donnant qualité pour agir – Installation d’une microcentrale sur la berge d’une rivière – Effets sur la faune piscicole – Contestation, par des fédérations de pêche, du permis de construire cette centrale – Intérêt à agir – Qualification inexacte des faits – Cassation avec renvoi.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce l’arrêt qui dénie aux requérantes un intérêt à agir contre le permis de construire une microcentrale électrique sur les berges d’une rivière alors qu’elle comporte, sur huit mètres carrés, une armoire de commande électrique et son kit de secours, des appareils de mesure et un clavier de commande, ainsi qu'un compresseur et un ensemble de purgeurs dont l’ensemble comporte des nuisances pour la faune piscicole et que les requérantes ont notamment pour objet de participer à la protection du patrimoine piscicole de l'Isère et du Valbonnais, et de promouvoir les intérêts des pratiquants de la pêche dans ces milieux aquatiques.

(10 décembre 2020, Fédération de pêche et de protection du milieu aquatique de l'Isère et Association agréée de pêche et de protection du milieu aquatique (AAPMA) du Valbonnais « La Truite de la Bonne », n° 431289)

 

19 - Conclusions du rapporteur public – Affaires non dispensées de ces conclusions – Communication aux parties du sens de ces conclusions – Communication ne permettant pas d’en connaître le sens – Irrégularité de la décision subséquente - Annulation.

Dans un litige de droit fiscal relatif aux intérêts moratoires dûs, ou non, en cas de dégrèvement d’un indu de taxe s’est posé une question importante de procédure.

Le rapporteur public, conformément aux dispositions de l’art. R. 711-3 du CJA, avait communiqué aux parties le sens de ses conclusions par cette énigmatique formule « Satisfaction totale ou partielle » dont l’intelligibilité n’était pas la vertu première ; elle privait ainsi les parties de prévoir la stratégie à adopter, si d’éventuelles pièces ou précisions devaient être apportées, etc., d’où il suit que le Conseil d’État est à la cassation intégrale de l’arrêt d’appel déféré à sa censure.

(10 décembre 2020, Société Supermarchés Match, n° 432587) V. aussi cette décision à la rubrique Droit fiscal et financier public, n° 99

 

20 - Représentation de l’État devant le tribunal administratif – Préfet ou préfet de région lorsque le litige résulte de l’activité « des administrations civiles de l’État dans le département ou la région » (R. 431-10 CJA) - Cas des établissements pénitentiaires - Établissements ne constituant pas une administration civile au sens de ce texte – Rejet.

Si, aux termes de l’art. R. 431-10 du CJA l'État est représenté devant le tribunal administratif par le préfet ou le préfet de région lorsque le litige a sa source dans l'activité des « administrations civiles de l'Etat dans le département et la région », les établissements pénitentiaires, relevant de l'autorité du ministre de la justice ne sont pas des « administrations civiles de l'Etat dans le département ou la région » au sens et pour l’application des dispositions de cet article.

Seul le ministre de la justice a compétence pour signer les recours et mémoires présentés au nom de l'État devant les tribunaux administratifs dans le cadre des litiges nés de l’activité des établissements pénitentiaires.

(10 décembre 2020, M. E., n° 433458)

 

21 - Ministère d’avocat – Avocat constitué – Impossibilité de rejeter une requête pour défaut de ministère d’avocat – Avocat n’ayant ni produit ni repris à son compte le mémoire présenté par son client avant sa constitution – Annulation.

Est irrégulier l’arrêt qui, constatant qu’un avocat s’est constitué dans une affaire et a annoncé la production d’un mémoire en défense sans que cette production ait lieu et sans que l’avocat ait repris à son compte le mémoire qu’avait déposé son client avant sa constitution, juge que le requérant n’a pas présenté de défense et le déboute, sans avoir préalablement invité l’avocat constitué à effectuer ses diligences et, en cas de carence de ce dernier, sans avoir demandé au requérant de choisir un autre représentant.

(11 décembre 2020, M. B., n° 427517)

 

22 - Compétence du tribunal administratif en premier et dernier ressort – Action indemnitaire des fonctionnaires ou agents publics – Réclamation tendant seulement au versement de traitements, avantages et autres – Régime normal de compétence de ce tribunal – Renvoi de l’affaire à la cour administrative d’appel.

Rappel de ce que si, en vertu du 8° de l’art. R. 811-1 du CJA, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort, sous réserve d’un pourvoi en cassation, en matière d’action indemnitaire formée par un fonctionnaire ou un agent public, tel n’est pas le cas des réclamations financières par lesquelles il est seulement demandé au juge de se prononcer sur le versement de traitements, rémunérations, indemnités, avantages ou soldes impayés sans que, par ailleurs, ne soit demandée la réparation d’un préjudice quelconque.

Ici c’est donc à tort que le recours a été porté directement au Conseil d’État. Il est renvoyé à la cour administrative d’appel selon le régime procédural de droit commun.

(11 décembre 2020, M. B., n° 438812)

(23) V. aussi, même solution : 11 décembre 2020, Mme B., n° 438813.

 

24 - Annulation d’une décision administrative sur recours pour excès de pouvoir - Exercice par le juge du pouvoir de modulation des effets d’une annulation contentieuse - Plan de prévention des risques d'incendies de forêt pour le territoire d’une commune – Annulation – Balance des intérêts en présence – Annulation à effets différés – Rejet.

Par un arrêt du 9 novembre 2018, une cour administrative d’appel a annulé l’arrêté préfectoral approuvant le plan de prévention des risques naturels prévisibles d'incendies de forêt sur le territoire de la commune de Bormes-les-Mimosas et le rejet implicite des recours gracieux dirigés contre ledit arrêté ainsi que les jugements du tribunal administratif qui avaient rejeté les recours.

La cour, après avoir sursis à statuer sur la question de savoir si les effets de l’annulation devaient être modulés dans le temps, a jugé qu’il convenait de faire produire effet à l’annulation à compter du 9 novembre 2020.

Les demandeurs au pourvoi sollicitaient la cassation de cet arrêt, ce qui leur est refusé, le Conseil d’État approuvant en tous leurs points les chefs critiqués de l’arrêt.

Il s’est fondé pour cela sur la circonstance que seuls deux moyens de légalité avaient été retenus pour prononcer l’annulation, sur les risques très élevés d’incendie dans cette zone, sur le fait qu’une annulation aux effets immédiats aurait remis en vigueur une servitude d’urbanisme résultant de l’art. R. 111-2 du code de l’urbanisme qui n’a pas la même portée ni la même efficacité que les dispositions du plan annulé.

Enfin, sur la durée de deux ans du délai de report des effets de son arrêt, la cour est approuvée en raison de la complexité d’élaboration d’un plan de prévention des risques ; ainsi, l’élaboration du plan annulé avait duré dix ans.

(17 décembre 2020, SCI Marine et autres, n° 430572 ; Association syndicale libre des propriétaires du lotissement de la baie du Gaou Bénat et autres, n° 430604, jonction)

 

25 - Plan de prévention des risques technologiques pour un site industriel - Annulation contentieuse – Refus, en première instance, de modulation des effets dans le temps – Pouvoirs du juge d’appel en cette matière – Cassation avec renvoi.

Dans un litige relatif à l’annulation du plan de prévention des risques technologiques pour un site industriel, confirmée en appel, se posait la question des pouvoirs de la juridiction d’appel lorsqu’elle est saisie d'un jugement ayant annulé une décision et rejetant l'appel formé contre ce jugement : la circonstance que l'annulation ait été prononcée par le tribunal administratif avec un effet rétroactif fait-elle, ou non, obstacle à ce que le juge d'appel apprécie, à la date à laquelle il statue, s'il y a lieu de déroger en l'espèce au principe de l'effet rétroactif de l'annulation contentieuse et détermine, en conséquence, les effets dans le temps de l'annulation, en réformant le cas échéant sur ce point le jugement de première instance ?

La réponse est évidemment - même si la solution semble nouvelle - positive en raison du principe de l’effet dévolutif de l’appel lequel emporte re-jugement de l’affaire en son entier.

(17 décembre 2020, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 430592)

 

26 - Couches à usage unique pour bébés – Présence éventuelle de substances chimiques dangereuses – Refus d’interdiction ou d’ordonner la mention d’un avertissement sur l’emballage du produit (art. L. 521-7 et L. 521-17 du code de la consommation) - Saisine du juge de l’excès de pouvoir – Conditions dans lesquelles il statue en ce cas – Rejet.

A l’occasion d’un recours dirigé contre le refus de l’autorité administrative compétente d’interdire ou de suspendre la commercialisation de couches à usage unique pour bébés contenant des substances dangereuses pour la santé  ou d’exiger l’inscription d’une mise en garde en ce sens sur les emballages, le Conseil d’État réitère une jurisprudence discutable (Assemblée, 19 juillet 2019, Association des Américains accidentels, au Recueil p. 296 ; Voir cette Chronique, juillet-août 2019, n° 70) selon laquelle, lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation d'un refus comme celui de l’espèce, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier son bien-fondé au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa propre décision et non à celle de la décision contestée.

(23 décembre 2020, M. I. et autres, n° 431520)

 

27 - Référé « mesures utiles » - Conditions d’octroi – Impossibilité de faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative (art. L. 521-3 CJA) – Note attribuée à l’épreuve subie par un candidat à un concours – Indivisibilité de celle-ci avec la délibération – Irrecevabilité de ce référé – Annulation.

De ce que n’est pas recevable une demande de référé « mesures utiles » lorsqu’elle fait obstacle à l’exécution d’une décision administrative, il s’ensuit que n’est pas recevable l’action fondée sur cette disposition et tendant à la modification d’une note attribuée au candidat à un concours, cette modification affectant nécessairement la délibération du jury dont elle est n’est pas dissociable : le référé, en ce cas, porte atteinte à l’exécution de cette délibération qui constitue une décision administrative.

(ord. réf. 24 décembre 2020, Mme A., n° 445768)

 

28 - Recours contentieux devant être exercé après formation d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) – Exercice de ce recours administratif – Décision sur ce dernier recours se substituant à la décision initiale – Recours contentieux devant être considéré comme dirigé contre la seconde décision – Annulation.

Est entachée d’erreur de droit l’ordonnance qui considère comme manifestement irrecevable le recours dirigé contre une décision initiale alors, un RAPO ayant été formé, que la décision implicite de rejet de ce recours s’est substituée à la décision attaquée, le recours doit être considéré, en ce cas, comme tendant à l’annulation de la décision de substitution.

(29 décembre 2020, M. A., n° 434726)

 

29 - Acte invitant le requérant à confirmer expressément le maintien de ses conclusions - Ordonnance donnant acte d’un désistement – Annulation en appel – Donné acte du désistement - Obligation d’inviter préalablement le requérant à confirmer ses conclusions – Annulation avec renvoi.

Rappel d’une conséquence procédurale - inévitable mais pas toujours perçue - de l’annulation en appel d’une ordonnance de donné acte d’un désistement après qu’il a été demandé au requérant s’il confirmait le maintien de ses conclusions.

En ce cas, le juge d’appel qui, après annulation de l’ordonnance, statue au titre de son pouvoir d’évocation, ne peut pas, à son tour, donner acte du désistement sans avoir préalablement demandé à l’intéressé s’il maintenait expressément ses conclusions.

(29 décembre 2020, Mme A., n° 427834)

 

30 - Compétence de la juridiction administrative – Absence – Contrat n’ayant pas pour objet l’exécution d’un service public et ne révélant pas l’intention des parties de le soumettre au régime exorbitant du droit public – Clause d’attribution de compétence à la juridiction administrative sans effet ici – Rejet.

Ne relève pas de la compétence de l’ordre administratif de juridiction la convention conclue entre une association, personne privée, et un syndicat mixte d’un pôle hippique pour la présentation de spectacles équestres, dès lors qu’elle ne comporte ni exécution d’un service public ni intention des parties de le soumettre au régime exorbitant qui est celui du droit public des contrats et alors même que les parties contractantes y ont inclus une clause attribuant compétence à la juridiction administrative.

En effet, cette compétence étant d’ordre public elle est indisponible pour les contractants.

(30 décembre 2020, Association Barokia, n° 438094)

 

31 - Candidature pour l'inscription sur la liste de qualification aux fonctions de professeur des universités – Rejet du Conseil national des universités (CNU) – Saisine du Conseil d’État – Demande de récusation de la présidente et du rapporteur public d’une des chambres de la section du contentieux – Liens entre ces derniers et l’un des membres de la section du CNU ayant refusé la candidature ainsi qu’avec le doyen de la faculté d’affectation de l’enseignant – Rejet.

Ne saurait être  allégué au soutien d’une demande de récusation de la présidente et du rapporteur public de la 4ème chambre du Conseil d’État chargée d’examiner  un recours dirigé contre le refus du CNU de retenir la candidature du requérant car les liens entretenus entre ces derniers et l’un des membres de la section du CNU qui a rejeté sa candidature ainsi qu’avec le doyen de la faculté où il enseigne « qui sont ponctuels et qui s'inscrivent dans un cadre strictement professionnel, ne sont pas de nature à mettre en doute leur impartialité ».

(30 décembre 2020, M. F., n° 440880)

 

32 - Action contestant le bien-fondé d’une demande de restitution d’un indu d’aide personnalisée au logement – Tribunal l’interprétant comme une demande de remise gracieuse – Méprise sur la portée des écritures – Annulation avec renvoi.

Doit être cassé le jugement qui se méprend sur la requête dont il est saisi en interprétant une contestation du bien-fondé d’une demande de restitution d’un indu d’aide personnalisée au logement comme étant une demande de remise gracieuse.

Voilà comment, pour 3 960,93 euros, le contentieux résultant de deux décisions de novembre 2016 et mars 2017, n’a toujours pas trouvé sa solution et il reste encore un jugement à rendre sur le principal… Pourvu qu’il n’engendre point, à son tour, un recours…

(31 décembre 2020, M. A., n° 424959)

 

33 - Visas d’un jugement – Absence de visa de conclusions tendant à ce que le juge fasse injonction à l’administration de délivrer certaines pièces – Absence d’irrégularité – Intérêt à agir d’une association – Absence quand l’objet défini par ses statuts ne concerne pas la décision attaquée – Rejet.

L’intérêt de cette décision est double.

D’une part, elle contient un rappel : l’intérêt pour agir d’une association dépend de son objet statutaire ; elle ne peut donc contester des décisions n’entrant pas dans cet objet. Ici une association dont les statuts se donnent pour objet de « s’opposer à toute extension de l'activité [de l'aéroport de Lyon] nuisible au cadre de vie » n’a pas intérêt lui donnant qualité pour contester la modification du capital de la société Aéroports de Lyon qui n’a pas d’incidences directes sur l’accroissement du trafic aéroportuaire et ses nuisances éventuelles.

D’autre part, et cet aspect est plus nouveau – et un peu déroutant -, il est également jugé que c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a estimé que les premiers juges n'étaient pas tenus, à peine d'irrégularité de leur jugement, de viser celles des conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de produire dans l'instance, dans le cadre de l'instruction de l'affaire, l'intégralité des offres de tous les candidats, des contrats et cahiers des charges liant l'État à l'acquéreur et d'y répondre expressément.

(31 décembre 2020, Association contre l'extension et les nuisances de l'aéroport de Lyon-Saint-Exupéry (ACENAS) et autres, n° 428277)

 

34 - Parlementaire – Rapporteur d’une loi – Recours contre une ordonnance de l’art. 38 – Ordonnance excédant le champ de l’habilitation donnée au Gouvernement – Absence de qualité lui donnant intérêt pour agir – Rejet.

La circonstance qu’un requérant se prévaut de la qualité de parlementaire et de rapporteur d’une loi à l’Assemblée nationale ne lui confère pas un intérêt à former un recours pour excès de pouvoir contre la disposition d’une ordonnance qui excéderait le champ de l’habilitation accordée au Gouvernement en tant qu’elle abroge l'article L. 254-10-5 du code rural et de la pêche maritime instituant un régime de pénalités financières en cas de méconnaissance, au 31 décembre 2021, par un « opérateur obligé » au sens de l'article L. 254-10-1 du même code, de l'obligation relative aux certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques mise à sa charge, alors même que l’article abrogé serait issu de la loi sur laquelle il a rapporté.

(31 décembre 2020, M. D. Potier, n° 430925)

 

35 - Instance en appel – Communication d’un mémoire en défense pour observations éventuelles du demandeur – Absence de fixation de délai – Absence d’audience – Rejet par ordonnance pour absence manifeste de fondement (art. R. 222-1, dernier alinéa CJA) – Méconnaissance du principe du contradictoire – Annulation.

Est cassé l’arrêt d’appel qui rejette un appel comme manifestement dépourvu de fondement après avoir communiqué à la demanderesse le mémoire en défense qui concluait au rejet de sa demande en lui indiquant qu’elle pouvait produire des observations dans le cas où elle estimerait devoir le faire mais sans préciser, en l'absence de date déterminée, le délai dans lequel elle était invitée à produire ses observations en réplique alors que, en l'absence d'audience, elle n'a pas été mise en mesure de les faire éventuellement valoir avant que le juge ne statue.

L’ordonnance rendue en appel dans ces conditions méconnaît les exigences du caractère contradictoire de la procédure, d’où sa cassation avec renvoi.

(31 décembre 2020, Société Nass-y-beach, n° 431799)

(36) V. aussi, du même jour avec même solution : 31 décembre 2020, M. B., n° 431800.

 

37 - Référé suspension – Mise à la retraite – Suspension pour mise à la retraite anticipée – Agent atteint par la limite d’âge de son statut – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Dénature les pièces du dossier de l’instruction le juge des référés qui, pour ordonner la suspension d’un arrêté de mise à la retraite d’un agent public hospitalier, se fonde sur ce qu’il s’agit d’une mise à la retraite anticipée alors que l’intéressée a atteint la limite d’âge de son statut, ce qui entraîne automatiquement sa mise à la retraite.

(31 décembre 2020, Centre hospitalo-universitaire de Poitiers, n° 440484)

 

38 - Covid-19 – Instauration de l’obligation du port du masque – Demande de suspension d’un arrêté préfectoral en ce sens – Arrêté remplacé par un autre lui-même abrogé à son tour – Recours devenu sans objet – Rejet.

Est sans objet et doit donc être rejeté, le référé tendant à la suspension d’un arrêté préfectoral pris pour l’exécution d’un décret, abrogé depuis et remplacé par un autre sur la base duquel a été pris un nouvel arrêté abrogeant le précédent arrêté.

(1er décembre 2020, M. A., n° 445394)

 

 

L’intarissable contentieux du Covid-19

 

Tel un moderne Sisyphe, le juge administratif, jour après jour, n’en finit pas d’être saisi en référés divers des mesures anti-Covid prises par les pouvoirs publics, les plaideurs ne se lassant jamais de rechercher quelque faille ou biais qui leur permettrait de faire annuler telle disposition d’arrêtés, décrets ou ordonnances pris en ce domaine.

Que cela finisse par être lassant est une évidence qui se passe de démonstration, toutefois cette persistance dans le temps de l’utilisation de l’arme contentieuse devant ce juge même qui, sans arrêt, rejette la plupart des recours qui lui sont soumis, soulève une importante interrogation.

Qu’est-ce qui ne marche pas ?

La confiance dans les pouvoirs publics a-t-elle disparu ? Ceux-ci et donc leurs décisions ne seraient-ils plus vus comme bienveillants et recherchant la protection des citoyens mais comme des empêcheurs de tourner en rond, voulant tout régenter et, pour tout dire,…incapables ?

Les opinions, avis et préconisations des scientifiques sont-ils en train de devenir des « fake news » et la science n’a-t-elle plus de science que le nom et l’apparence ?

Est-ce tout simplement parce que les individus sont trop attachés à leurs libertés, si prosaïques fussent-elles, et parce que cela dure un peu trop ?

L’impatience permet-elle de jeter aux orties tout le reste ?

En tout cas, le divorce est patent et c’est à une grande crise de légitimité qu’il est donné d’assister et dont il conviendrait de saisir rapidement les causes – pour agir sur elles efficacement - car une société, si elle peut vivre longtemps sans respect de la légalité (comme l’attestent d’innombrables exemples historiques jusqu’à une époque récente), ne survit généralement jamais bien longtemps à une défiance durable de la légitimité de ceux qui la gouvernent.

 

Sont rejetées les demandes de suspension ou d’annulation :

 

(39) - du décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 instaurant un premier confinement de la population, le premier ministre disposant, à titre de pouvoir propre, du pouvoir d’édicter des mesures de police applicables sur l’ensemble du territoire national, notamment en cas d’épidémie et les mesures prises étant en l’espèce adaptées et proportionnées à l’objectif de santé publique qui les fonde : 22 décembre 2020, M. A., n° 439800, n° 439818 et n° 439855. On aura reconnu l’application au cas d’espèce de la célébrissime jurisprudence Louis Labonne (8 août 1919, au Recueil p. 737) ;

 

(40) - du IV de l'article 1er de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative aux adaptations des règles d'organisation et de fonctionnement des établissements sociaux et médico-sociaux ainsi que la demande d’injonction à l’État de verser l'aide sociale aux bénéficiaires et non aux services et d'organiser la concurrence entre services, pour permettre aux personnes âgées dépendantes de bénéficier de remplaçants lorsque les autres intervenants font défaut ; les moyens soulevés étant irrelevants pour l’essentiel et aucune erreur manifeste d’appréciation ne pouvant être relevée à l’encontre de cette décision : 31 décembre 2020, M. A., n° 440814 ;

 

(41) - des décrets des 16, 17, 23 et 30 mars 2020, 1er avril 2020 ainsi que de l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19 car contrairement à ce que soutiennent les requérants ces décrets et arrêté – dans le contexte très contraint d’une épidémie -, ne portent atteinte ni à l'objectif à valeur constitutionnelle de prévisibilité et d'intelligibilité de la loi ni au principe de légalité des délits et des peines ni, non plus, au droit de propriété, à liberté du commerce et de l'industrie, à la liberté d'entreprendre ni, encore, au droit à la vie ni au principe d’égalité ou au droit à une vie privée et familiale normale  et ils ne revêtent pas un caractère disproportionné au regard des risques sanitaires et de la disparité des situations locales : 22 décembre 2020, Mme G. et autres, n° 439804 ;

 

(42) - de l’art. 3 du décret du 23 mars 2020 car ses dispositions ne méconnaissent pas le principe de légalité des délits et des peines ni celui de nécessité et de proportionnalité des peines, les expressions « achats de première nécessité » ou « motif familial impérieux », n’étant ni imprécis ni équivoques, non plus que la liste des dérogations aux interdictions de circulation en dehors du domicile ou la notion de « sans domicile fixe » : 22 décembre 2020, M. B., n° 439954 ;

(43) V. aussi, même réponse aux mêmes arguments : 22 décembre 2020, M. B., n° 439956 ;

 

(44) - du décret du 23 mars 2020 en tant qu’il interdit tout rassemblement ou réunion au sein des établissements cultuels à l'exception des cérémonies funéraires car il trouve sa justification dans le constat de la gravité de la situation sanitaire et dans le souci d’enrayer la progression de l’épidémie : 22 décembre 2020, M. A., n° 440402 ;

 

(45) - de l'arrêté du 15 mars 2020 complétant l'arrêté du 14 mars 2020 en tant qu'il limite à 20 le nombre de personnes que peuvent accueillir les établissements de culte ainsi que le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements contre la propagation du virus Covid-19 en tant qu'il ne ménage pas d'exception à l'interdiction de déplacement qu'il édicte pour les déplacements à finalité cultuelle  car, juge le Conseil d’État, « Les cérémonies de culte exposent les participants à un risque de contamination d'autant plus élevé qu'elles ont lieu dans un espace clos, de taille restreinte, pendant une durée importante, avec un grand nombre de personnes, qu'elles s'accompagnent de prières à haute voix ou de chants, de gestes rituels impliquant des contacts, de déplacements, ou encore d'échanges entre les participants, y compris en marge des cérémonies elles-mêmes » : 23 décembre 2020, M. A., n° 439810 ;

 

(46) - des articles 1er respectivement du décret du 11 mai 2020 et de celui du 31 mai 2020 à propos des gestes « barrières » car outre qu’ils ne sont guidés que par le souci d’arrêter la progression du virus du Covid-19, ils ne constituent que des recommandations, non des mesures de police pénalement sanctionnées : 22 décembre 2020, M. Philippe B. et autres, n° 440868 ;

 

(47) - la décision révélée par la mise en ligne de modèles d'attestation de déplacement dérogatoire et de justificatif de déplacement professionnel prise sur le fondement du II de l'article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 car ces modèles ne revêtent aucun formalisme particulier, n’ont aucun caractère obligatoire, n’ont pas la nature de « décisions » administratives, n’obligent pas à mentionner l’heure de sortie lorsque cette donnée n’est pas légalement requise et ne violent pas le principe d’égalité : 22 décembre 2020, M. B., n° 439996 ;

 

(48) -  du 3° de l'article 1er du décret n° 2020-360 du 28 mars 2020 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 en tant qu'il insère dans ce décret les dispositions du II de l'article 12-3 et du décret du 11 mai 2020 ayant le même objet, en celles de leurs dispositions qui autorisent la prescription de la spécialité pharmaceutique Rivotril en dehors du cadre de son autorisation de mise sur le marché et sa dispensation par les pharmacies d'officine en vue de la prise en charge des patients atteints ou susceptibles d'être atteints par le virus SARS-CoV-2 dont l'état clinique le justifie car la mesure litigieuse adoptée est nécessaire pour que les patients puissent bénéficier des soins dont ils ont besoin pendant la catastrophe sanitaire, sous réserve qu'elles soient strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et soient appropriées aux circonstances de temps et de lieu, le cas échéant en dérogeant sur des points limités à des dispositions législatives ; et, par ailleurs, lorsqu'il est prévu par les dispositions en vigueur qu'une décision administrative doit être prise par voie d'arrêté ministériel ou interministériel, il est satisfait à ces dispositions quand cette mesure est prise par un décret contresigné par le ou les ministres compétents. Or les dispositions attaquées ont été adoptées par le Premier ministre sur le rapport du ministre des solidarités et de la santé et contresignées par celui-ci : 23 décembre 2020, M. I. et autres, n° 440030 ; M. T. et autre, n° 441520 ;

 

(49) - des 1°, 3° et 5° de l'article 1er du décret n° 2020-432 du 16 avril 2020 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 car l’extension à la Polynésie française du décret du 23 mars 2020, qui repose sur une base juridique incontestable, est parfaitement justifiée en raison de l’épidémie de Covid-19 et les pouvoirs dévolus au haut-commissaire de la république dans ce territoire sont proportionnés et justifiés par les circonstances de l’espèce : 22 décembre 2020, M. B., n° 440158 ;

 

 (50) - de l’ordonnance du 15 avril 2020 relative à la prise de jours de réduction du temps de travail ou de congés dans la fonction publique de l'Etat et la fonction publique territoriale au titre de la période d'urgence sanitaire car ses dispositions ne sont ni imprécises ni équivoques ; elles ne portent pas atteinte à l’art. 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH relatif à la protection des biens ; l’ordonnance n’est pas entachée d’une rétroactivité illégale et n’introduit pas non plus des inégalités injustifiées eu égard à son objet et aux catégories d’agents concernés : 30 décembre 2020, Syndicat national Solidaires Finances publiques, n° 440286 ;

 

(51) - du I de l’art. 47 du décret du 29 novembre 2020 encadrant les rassemblements et réunions dans les établissements de culte car cette demande est devenue sans objet du fait de l’injonction au premier ministre de modifier la disposition de l’ordonnance servant de base au texte attaqué : 1er décembre 2020, Mgr Pascal Roland, n° 446987 ;

 

(52) - de l’arrêté préfectoral (Hauts-de-Seine) du 10 septembre 2020 imposant le port du masque dans tout le département aux personnes de plus de onze ans car cette demande est devenue sans objet, l’arrêté litigieux ayant été remplacé par un autre puis celui-ci par un troisième avant que la mesure ne soit décidée par le décret du 29 octobre 2020 : 1er décembre 2020, M. A., n° 445934 ;

 

(53) - de l’art. 36 du décret du 29 octobre 2020 en ce qu’il impose l’obligation de port d’un masque aux enfants dès l’âge de six ans, cette mesure étant justifiée et proportionnée du fait de l’aggravation de la crise sanitaire à l’automne 2020 : 2 décembre 2020, Mme B., n° 445900 ; 2 décembre 2020, M. B., n° 446395 ; 8 décembre 202, M. L., n° 447184 ; M. C., n° 447192 ; Mme B, n° 447235 ; M. J. et Mme D., n° 447240 ; Mme G., n° 447241 ; 18 décembre 2020, Mme B., n° 446466 ;

 

(54) - du 2° de l’art. 1er du décret du 2 novembre 2020 modifiant le décret du 29 octobre 2020 en ce qu'il interdit aux grandes surfaces ou magasins multi-commerces la vente de certains biens, relevant de la catégorie des biens de première nécessité car cette requête est devenue sans objet du fait de la prise d’un nouveau décret, le 27 novembre 2020, permettant à ces commerces d'accueillir du public dans la limite d'une capacité maximale d'accueil en fonction de la surface de vente et, sauf pour certaines activités, dans la tranche horaire courant de 6 heures à 21 heures, mettant ainsi fin à l'exclusivité des ventes de biens de première nécessité : 2 décembre 2020, M. A., n° 445931 ; 2 décembre 2020, Commune d’Evreux, n° 445941 ;

 

(55) - du décret du 29 octobre 2020 en tant qu'il interdit de manière générale aux personnes de se déplacer hors de leur lieu de résidence car n’est pas satisfaite la condition d’urgence particulière qu’exige l’art. L. 521-2 du CJA : 2 décembre 2020, M. A., n° 445990, ou encore car cette interdiction a été modifiée par le décret du 14 décembre 2020 qui n’interdit plus que les déplacements entre 20 heures et 6 heures du matin à l'exception de ceux prévus pour les motifs listés par ce nouveau décret : 17 décembre 2020, M. B., n° 446985 ;

(56) - à propos du même décret d’octobre 2020 en tant qu’il ne permet pas la pratique non professionnelle du golf : 2 décembre 2020, M. A., n° 446710 ;

 

(57) - de l’art. 4 de ce décret en tant qu’il réserve aux seuls sportifs et professionnels de haut niveau l’accès aux établissements sportifs de plein air, cet article, ainsi que l’art. 42, ayant été modifié par un décret du 27 novembre 2020, rendant ce recours sans objet : 4 décembre 2020, M. A., n° 446719 ; V. aussi : 8 décembre 2020, M. B., n° 445998 ;

 

(58) - de supprimer tout critère de distance du domicile, de durée et d’objet de déplacement journalier dans le 6° du I de l’art. 4 du décret précité, cette demande ne revêtant pas l’urgence particulière que requiert l’art. L. 521-2 du CJA : 4 décembre 2020, Mme A., n° 446552 ;

 

(59) - ainsi que la modification des art. 40, 41, 42, 45 et 46 du décret du 29 octobre 2020 pour que, d’une part, ils prévoient la réouverture des établissements de sport et loisirs collectifs, à savoir notamment les établissements de restauration, débits de boissons, auberges, hôtels, stations thermales, salles de sport, salles de culture et de loisirs et activités nautiques, en déterminant un protocole sanitaire adapté et, d’autre part, qu’ils soient suspendus jusqu’à parfaite exécution de la décision : 21 décembre 2020, Association Réaction 19 et autres, n°447572 ;

(60) V. aussi : 4 décembre 2020, Mme A., n° 446716 ;

(61) V. également, à propos de l’atteinte réalisée par l’art. 4 précité de ce décret à la liberté d'aller et venir ainsi qu'au droit à la vie privée et familiale, à la liberté individuelle, à la liberté de réunion, au principe de primauté du droit de l'Union européenne et à l'égalité devant la loi : 4 décembre 2020, M. B., n° 446720 ;

(62) V. encore, concernant d’identiques critiques faites à l’art. 1er du décret du 27 novembre 2020 modifiant celui du 29 octobre : 7 décembre 2020, Mme A., n° 446997 ;

 

(63) - de l’art. 34 du décret du 29 octobre 2020 modifié par celui du 2 novembre 2020 en prenant les mesures strictement proportionnées d'encadrement des enseignements et des réunions dans les établissements de l'enseignement public supérieur car quels que soient les effets négatifs d’un enseignement toujours dispensé à distance, ces mesures, dictées par la situation sanitaire actuelle, ne sont pas disproportionnées par rapport à la gravité de la situation : 10 décembre 2020, M. A et autres, n° 447015 ;

 

(64) - de l’art. 37 du décret d’octobre 2020 en ce qu’il prévoit, en dehors de certaines exceptions, que les magasins de vente, relevant de la catégorie M, mentionnée par le règlement pris en application de l'article R. 123-12 du code de la construction et de l'habitation, ne peuvent accueillir du public que pour leurs activités de livraison et de retrait de commandes car cette interdiction a été levée, entre 6 heures et 21 heures, par le décret du 27 novembre 2020 pris postérieurement à l’enregistrement de la présente requête : 4 décembre 2020, Commune de Coubron et onze autres, n° 445960 ;

 

(65) - des art. 37 et 40 de ce même décret s’agissant de la fermeture des établissements de type N (restaurants et débits de boissons) car n’est pas caractérisée une situation d’urgence compte-tenu, d’une part, des mesures réparatrices ou correctrices prises par les pouvoirs publics et, d’autre part, de l’état sanitaire du pays : 4 décembre 2020, Commune de Coubron et huit autres, n° 447126 ;

 

(66) - de l’art. 40 de ce décret en tant que les différences existant dans la situation sanitaire des régions et des villes françaises justifient une appréciation géographiquement différenciée des mesures à prendre concernant les bars, restaurants et hôtels, avec une réponse – évidemment négative - longuement motivée : 8 décembre 2020, Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH), Union des métiers et des industries de l'hôtellerie Nouvelle Aquitaine (UMIH NA) et Union des métiers et des industries de l'hôtellerie de la Gironde (UMIH 33), n° 446715 ;

(67) V. aussi : 11 décembre 2020, SAS CF Groupe et autres, n° 447295 ;

 

(68) - de l’art. 42 du décret du 29 octobre 2020 qui, en interdisant la plupart des déplacements, hypothèque les conditions de fonctionnement et de développement des centres sportifs et excède ce qui est raisonnablement nécessaire pour lutter contre l’épidémie car les salles de sports présentent, comme les bars, restaurants ou hôtels, un risque significativement plus élevé de transmission du virus que d’autres lieux ou circonstances de brassage de populations : 16 décembre 2020, Société Vita Liberté la Destrousse et Société Vita Liberté, n° 447045 ;

 

(69) - de l’art. 51 II du décret du 29 octobre 2020 en ce qu'il permet la prescription du Rivotril dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, demande en outre assortie d’une QPC dirigée contre l’art. 7 de la loi du 23 mars 2020, les art. L. 3131-3, L. 3131-12, L. 3131-20 du code de la santé publique et les art. L. 211-3 et L. 213-8 du code de l'organisation judiciaire : 9 décembre 2020, M. A et Sarl FXTOP, n° 446932 ;

 

(70) - de « tweets » du premier ministre qui révéleraient l’existence d’une décision relative à un modèle officiel d’« Attestation de déplacement » seul utilisable mais de l’existence duquel le juge n’a pas trouvé trace : 2 décembre 2020, M. C., n° 446988 ;

 

(71) - d’un arrêté préfectoral (Guadeloupe) en ce qu’il impose le port du masque même dans les rues peu passantes car cet arrêté a cessé de s’appliquer rendant sans objet cette requête : 2 décembre 2020, Mme B. et autres, n° 446072 ;

 

(72) - d’une part, du protocole national actualisé en dernier lieu au 13 novembre 2020, en particulier en tant qu’il traite du télétravail et, d’autre part, de l’instruction du 3 novembre 2020, prise par le directeur général du travail, en tant également qu’elle est relative au télétravail car les moyens tirés de ce que le protocole et l'instruction seraient entachés d'incompétence, et méconnaîtraient les dispositions du code du travail en ce qu'ils imposeraient aux employeurs le recours au télétravail et porteraient ce faisant une atteinte excessive aux libertés individuelles des salariés et des employeurs et à la liberté d'entreprendre ne sont pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ce protocole. Aucun des autres moyens soulevés n'est non plus dans ce cas : 17 décembre 2020, Syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur Plastalliance, n° 446797 ;

 

(73) - d’enjoindre au premier ministre d’autoriser les personnes guéries du Covid à circuler librement sur le territoire : 9 décembre 2020, M. B., n° 447026 ;

 

(74) - dans l’attente que soit transmise à la CJUE, dans le cadre d’une procédure accélérée d’urgence, la question préjudicielle portant, d'une part, sur la compatibilité des mesures françaises de lutte contre l'épidémie de Covid-19 avec le principe de l'Etat de droit et, d'autre part, sur l'interprétation de l'article 35 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne car l’état sanitaire de la France rend dépourvue d’urgence cette demande : 11 décembre 2020, Mme B. et Société Profil CS, n° 446708 ;

 

(75) - de l’art. 1er du décret du 4 décembre 2020 (modifiant le décret du 29 octobre 2020) en tant qu’il dispose que « les services mentionnés à l'article L. 342-7 du code du tourisme ne sont pas accessibles au public », services dont font partie l’ensemble des activités des stations de ski, car cette limitation est justifiée en l’état des données actuelles sur la catastrophe épidémique : 11 décembre 2020, Syndicat Domaines skiables de France, Association nationale des maires des stations de montagne, Syndicat national des moniteurs du ski français, Syndicat national des guides de montagne et autres, n° 447208 ;

 

(76) - du décret du 10 novembre 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, sauf en ce qu'il étend la liste des personnes vulnérables par rapport au décret du 5 mai 2020 et en ce qu'il permet de faire travailler à distance les personnes vulnérables plutôt que de les faire bénéficier d'un arrêt de travail ainsi que du refus, notamment, du premier ministre d'adopter un nouveau décret qui qualifie de vulnérables au sens de l'article 20 précité les femmes enceintes à tous les stades de la grossesse, les personnes souffrant d'une quelconque pathologie rénale et les trisomiques car, relève le juge, d’une part, s’agissant des demandes fondées sur l’art. L. 521-1 du CJA, aucun doute sérieux n’existe sur les mesures adoptées et, d’autre part, quant aux demandes fondées sur l’art. L. 521-2 du CJA, aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale en raison de ce que le cas, il est vrai sérieux et pouvant susciter des préoccupations légitimes de personnes présentant certaines pathologies, ne paraissant pas avoir été exclu de toute protection par les autorités compétentes : 15 décembre 2020, Association Renaloo et autres, n° 446873 ; 15 décembre 2020, Association Renaloo et autres, n° 446876 ; 15 décembre 2020, Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé (UNAASS), n° 447162 ;

 

(77) - des art. 4, 5 et 6 de l'ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux copropriétés en ce qu’ils porteraient une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que constituent le droit à un recours effectif, les droits de la défense, le droit à un procès équitable, le principe de la collégialité de la procédure et le principe d'égalité devant la loi ; le juge estime notamment que les solutions retenues sont limitées dans le temps, ne sont souvent qu’une faculté pour le juge, sont justifiées par les circonstances et proportionnées à elles et que, concernant le recours massif à la visioconférence, toutes garanties sont prises pour s’assurer de l’identité des personnes, respecter le caractère contradictoire de la procédure et celui de la confidentialité des échanges : 17 décembre 2020, Syndicat des avocats de France et autres, n° 446904 ; 17 décembre 2020, Conseil national des barreaux et Association des avocats conseils d'entreprises, n° 446981 ;

 

(78) - de l’exécution de la décision du premier ministre révélée par ses propos tenus publiquement le 2 décembre 2020 tendant à interdire aux Français de se rendre dans les stations de sport d'hiver à l'étranger pour pratiquer le ski et, corrélativement, à faire automatiquement subir à ceux qui le feraient une mesure de « quarantaine de sept jours » car cette décision est destinée à éviter un rebond épidémique, soumise à l’appréciation des préfets des départements concernés pour tenir compte des circonstances locales et elle est marquée par le souci d’éviter une interdiction générale et absolue : 17 décembre 2020, Ligue des droits de l’homme, n° 447431.

 

Sont annulés

 

(79) - les art. 2 et 4 du décret du 29 août 2020 en tant, d’une part, qu'ils dressent la liste des pathologies et situations permettant de considérer une personne comme vulnérable au sens du deuxième alinéa du I de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 et, d’autre part, qu'ils ne diffèrent pas au 4 septembre 2020 l'application de l'article 3 du même décret : 18 décembre 2020, M. C., n° 444000 ; Ligue nationale contre l'obésité, n° 444665, jonction ;

 

 

Contrats

 

80 - Accords-cadres comportant plusieurs lots – Interdiction d’un même soumissionnaire pour plusieurs lots – Soumissions par deux personnes juridiques différentes mais en réalité sans autonomie commerciale l’une par rapport à l’autre - Personnes juridiques constituant en réalité un soumissionnaire unique – Rejet.

Un accord-cadre multi-attributaires portant sur des travaux d'aménagement, de réparation, d'entretien et de rénovation de bâtiments et ouvrages divers de la métropole Aix-Marseille-Provence, a été sl’occasion d’un litige concernant la procédure de passation du lot n° 12 « plomberie, chauffage, ventilation et climatisation-zone sud ».

Des diverses questions juridiques soulevées la plus intéressante était la suivante.

De la combinaison de divers textes (3ème alinéa de l’art. 4 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ; art. 13 de cette ordonnance, repris en substance aux art. L 1220-1 à 1220-3 du code de la commande publique ; I de l'art. 57 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, repris à l'art. R. 2151-6 du code précité) il résulte qu’un même soumissionnaire ne peut présenter qu’une seule offre par lot. Que se passe-t-il lorsque des soumissions sont faites par deux entités juridiques distinctes à propos d’un lot et qu’il est constaté que les liens existant entre elles les rend sans autonomie commerciale l’une par rapport à l’autre ?

A juste titre, le premier juge, confirmé par le Conseil d’Etat, a considéré qu’il s’agissait de fait d’un unique soumissionnaire au sens et pour l’application des textes précités. La procédure ayant été irrégulière, elle a été annulée à bon droit.

(8 décembre 2020, Métropole Aix-Marseille-Provence, n° 436532 ; Société CMT Services, n° 436582 ; Société Compagnie méridionale d'applications thermiques, n° 436583, jonction)

 

81 - Marché public de travaux – Réception des travaux avec réserves (art. 41.6 CCAG Travaux) – Délai d’établissement du décompte général et définitif – Absence d’influence de l’importance des réserves – Annulation de l’ordonnance rendue en appel et réformation partielle du jugement de première instance.

Dans le cadre d’un référé provision relatif à un marché public de travaux se posait, notamment, une intéressante double question de droit.

Lorsque le pouvoir adjudicateur prononce la réception des travaux avec réserves sur le fondement des dispositions de l’art. 41.6 du CCAG Travaux, quel est le point de départ du délai d’établissement du décompte général et définitif ?

L’importance des réserves émises a-t-elle une incidence sur la réponse à la question précédente ?

Sur le second point la réponse est négative.

Sur le premier point, il est répondu que, quelle que soit l’importance des réserves émises lors de la réception des travaux au sens et pour l’application de l’art. 41.6 précité, c’est la date de cette réception et non celle de la levée des réserves qui constitue le point de départ des délais d’établissement du décompte tels que fixé à l’art. 13.3.2 du CCAG précité.

Cette solution est souvent confondue avec celle résultant de l’art. 41.5 du CCAG qui ne concerne que l’hypothèse où certaines prestations prévues par les documents particuliers du marché et devant encore donner lieu à règlement n'ont pas été exécutées au moment où est prononcée la réception « sous réserve » et non « avec réserves ». Dans ce second cas, c’est bien à compter du jour de la levée de la réserve que court le délai d’établissement du décompte. Ce n’était pas la situation rencontrée dans le cas de la présente espèce.

(8 décembre 2020, Société Sogetra, n° 437983)

 

82 - Concession de service public – Création et exploitation d’un crématorium – Introduction de plusieurs référés précontractuels successifs – Durée du délai séparant la date d’envoi de la notification aux soumissionnaires de celle de la conclusion du contrat de concession – Régime et effets – Rejet.

Était en cause l’attribution du contrat de concession de service public portant sur le financement, la conception, la construction, l'entretien-maintenance et l'exploitation d'un crématorium. La société requérante ayant été évincée s’en est suivi un contentieux où une question principale attire l’attention.

La société a d’abord saisi le juge du référé précontractuel de deux référés successifs, portant sur le même objet, et fondés sur l’art. L. 551-1 du CJA, puis elle a saisi le juge du référé contractuel d’un troisième référé, celui-ci fondé sur les art. L. 551-13 et L. 551-18 de ce code. La troisième requête a été jugée irrecevable en première instance au motif que son auteur ayant déjà exercé deux référés précontractuels au cours desquels elle aurait pu soulever le manquement dont elle se prévalait dans son troisième référé, cette circonstance faisait obstacle à ce qu'elle forme un nouveau référé précontractuel.

Le Conseil d’État, censurant l’erreur de droit ainsi commise, juge que la demanderesse était fondée à former un nouveau référé tant que le délai de suspension de la signature du contrat n'était pas expiré.

Toutefois, précisément s’agissant du délai de signature, le Conseil d’État relève que la commune, avant de signer le contrat litigieux, avait été informée par son avocat, auquel cette ordonnance avait été notifiée, du sens de l'ordonnance du 27 février 2020 rejetant le deuxième référé précontractuel. Dès lors, elle devait être regardée comme ayant reçu notification de l’ordonnance au sens et pour l'application de l'article L. 551-4 du CJA. D’où il suit que la signature de ce contrat n'est pas intervenue en méconnaissance de l'obligation de suspension fixée par ce même article.

La société requérante n'était, à cette date, pas recevable à saisir le juge d'un référé contractuel. 

(8 décembre 2020, Société Pompes funèbres funérarium Lemarchand, n° 440704)

 

83 - Contrat de partenariat – Clause instituant une procédure obligatoire de règlement amiable – Effets et portée – Émission de titres exécutoires – Annulation partielle.

L’insertion dans un contrat administratif d’une obligation de règlement amiable des litiges emporte un certain nombre de conséquences financières. La présente affaire est l’occasion de signaler trois d’entre elles dont l’enchaînement est logique, étant auparavant rappelé que l’interprétation d’une stipulation contractuelle comme rendant obligatoire une procédure de conciliation avant la saisine du juge en cas de désaccord sur les pénalités, relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Tout d’abord, à défaut de mise en œuvre de cette procédure de conciliation, la collectivité publique ne peut émettre directement des titres exécutoires pour le règlement de sommes en contestation.

Ensuite, elle ne peut non plus, en ce cas, recouvrer les sommes litigieuses par voie de compensation avec ses dettes envers son cocontractant.

Enfin, le défaut de recourir à la procédure amiable obligatoire empêche la personne publique de se prévaloir, du chef de pénalités contractuelles qu’elle prétend lui être dues, d’une créance certaine, liquide et exigible sur son cocontractant.

(10 décembre 2020, Commune de Nogent-sur-Marne, n° 427662)

 

84 - Marché « de prestations de transports sanitaires par avion du SAMU » –Demande d’annulation du marché – Irrégularité grave justifiant cette annulation – Absence en l’espèce – Erreur de droit de la cour administrative d’appel – Cassation avec renvoi.

Une compagnie aérienne demande l’annulation du marché de « prestations de transports sanitaires par avion du SAMU » conclu entre une autre compagnie aérienne et un centre hospitalier. Refusée en première instance, cette annulation est accordée en appel. Le centre hospitalier et la compagnie attributaire se pourvoient. Leur pourvoi est accueilli.

En effet, le Conseil d’État aperçoit une erreur de droit dans le fait que, pour prononcer l’annulation du marché, la cour s’est fondée sur ce que l'absence de prise en compte des capacités financières de la compagnie attributaire du marché avait eu une influence déterminante dans le choix de l'attributaire et constituait une irrégularité grave de nature à porter atteinte aux règles de liberté de la concurrence et d'égal accès à la commande publique. Or le Conseil d’État estime que ce grief est insuffisant pour justifier à elle seule la solution retenue : la cour aurait dû s’assurer que cette omission révélait une intention de favoriser un candidat et devait, de ce fait, être regardée comme caractérisant un vice d'une particulière gravité justifiant l'annulation du contrat à l'exclusion de toute autre mesure.

Il nous semble, comme à la cour, qu’une telle omission, sans égard au point de savoir si elle était peccamineuse ou non, suffit, en elle-même, à frapper d’un vice irrémissible le contrat conclu en cet état d’ignorance surtout s’agissant de petites compagnies aériennes dont la fragilité financière est fréquente dans un univers de concurrence impitoyable.

(10 décembre 2020, Société Air Loyauté, n° 432602 ; Centre hospitalier territorial Gaston Bourret, n° 433611)

 

85 - Responsabilité contractuelle des maîtres d’œuvre – Évolution de la réglementation applicable en matière acoustique à une salle polyvalente en cours de construction – Non-signalement au maître d’ouvrage – Manquement à l’obligation de conseil – Responsabilité engagée – Rejet.

Le juge apporte ici cette importante précision, qui n’allait pas de soi, que la responsabilité des maîtres d'oeuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves. Il en va ainsi notamment quand le maître d'oeuvre ne signale pas au maître d'ouvrage l'entrée en vigueur, au cours de l'exécution des travaux, de toute nouvelle réglementation applicable à l'ouvrage, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l'ouvrage.

C’est là une conception très extensive des obligations s’imposant aux maîtres d’œuvre.

(10 décembre 2020, M. A. c/ commune de Biache-Saint-Vaast, n° 432783)

 

86 - Résiliation du contrat – Résiliation tacite – Faisceau d’indices – Motif de résiliation – Indemnisation du préjudice – Annulation partielle de l’arrêt d’appel, confirmation du jugement et rejet de la requête.

La société requérante s’était vu confier par une convention conclue en 1995 la réalisation d’une zone d’aménagement concerté (ZAC). Des quatre tranches prévues seule la première a été réalisée ; depuis l’an 2000 il n’y a plus eu de travaux. Elle demandait l’indemnisation du préjudice subi du fait de l’arrêt des travaux.

La première question était donc de savoir comment analyser, en droit, cette interruption. Il s’agit d’une résiliation tacite du contrat dès lors que sont présents un certain nombre d’éléments manifestant la volonté de la personne publique de ne pas poursuivre l’exécution du contrat que ce soit positivement, par exemple en annonçant ne plus vouloir de la réalisation projetée, ou négativement, en prenant des actes, mesures ou positions impliquant la renonciation au contrat ou l’empêchement de sa poursuite. Sur ce point, le Conseil d’État estime que la cour administrative d’appel a dénaturé les pièces du dossier en jugeant qu'aucune résiliation tacite de la convention d'aménagement conclue en vue de réaliser la zone d'aménagement concertée ne pouvait être caractérisée en l'espèce. En effet, après achèvement de la première tranche, une étude hydraulique a révélé l’existence d’un important risque d’inondation, puis, en janvier 2012 la commune a informé la requérante, qui l’interrogeait sur l’avancement du projet, de « l’arrêt de l’aménagement ».

La seconde question était de savoir si la requérante avait droit à l’indemnisation qu’elle sollicitait. Normalement, le caractère tacite d’une résiliation de contrat et alors même qu’une personne publique peut toujours résilier un contrat, ne change rien aux conditions de réparation du préjudice résultant de cette résiliation en l’absence de faute du cocontractant.

Ici la résiliation unilatérale est intervenue pour un motif d’intérêt général : le risque d’inondation.

Toutefois, il ressort des écritures de la demanderesse que le préjudice dont elle demande réparation n’est pas établi, ayant un caractère seulement éventuel, ainsi que l’a jugé le tribunal administratif, d’où le rejet de ses prétentions sur ce point.

(11 décembre 2020, Société Copra Méditerranée, n° 427616)

 

87 - Candidat évincé d’une procédure d’attribution d’un contrat public – Éviction irrégulière – Condition de réparation du préjudice – Offre irrégulière – Impossibilité pour le candidat d’être regardé « comme n’ayant pas été dépourvu de toute chance de remporter le contrat » – Caractère indifférent de l’existence d’une faculté de régularisation ou du caractère irrégulier de l’offre retenue - Rejet.

Le candidat à l’attribution d’un contrat public dont l’éviction en cours de procédure est irrégulière peut obtenir la réparation des conséquences dommageables résultant directement du caractère irrégulier de cette éviction s’il établit que, sans cette irrégularité, il n’était pas « dépourvu de toute chance de remporter le contrat ».

En l’espèce la requérante, évincée d'un marché de conception réalisation portant sur la construction d'un nouveau bâtiment hospitalier, soutenait se trouver dans ce dernier cas et réclamait réparation du préjudice subi.

Pour lui dénier tout droit à indemnisation, la cour administrative d’appel a relevé que l’offre de la demanderesse était irrégulière ce qui suffisait à l’écarter de la procédure. Ni la circonstance qu’une irrégularité est, à certaines conditions, régularisable (art. R. 2152-2 du code de la commande publique), ni celle que l’offre retenue était elle aussi irrégulière ne sont de nature à faire regarder la requérante « comme n’ayant pas été dépourvue de toute chance de remporter le contrat ».

Le Conseil d’État approuve la cour.

(18 décembre 2020, Société Architecture Studio, n° 429768)

 

88 - Marché public de fournitures courantes et de services – Fourniture et mise en service d’une grue automobile portuaire à câbles – Mise en demeure de mener à bonne fin le contrat – Marché de substitution aux frais et risques du titulaire du marché – Indifférence de l’absence de stipulations contractuelles en ce sens dans le marché d’origine - Continuation du contrat initial – Surveillance du marché de substitution par le cocontractant initial  -   Résiliation toujours possible du marché pour faute grave – Indifférence du silence ou de l’incomplétude des clauses contractuelles à cet égard – Impossibilité d’infliger des pénalités contractuelles pour la période postérieure à la date de résiliation du contrat – Rejet.

Par la diversité et le nombre de questions qu’elle aborde, la présente décision revêt une certaine importance pour le droit des contrats publics.

Les faits sont assez simples : une chambre de commerce et d’industrie (CCI) conclut un marché de fournitures courantes et de services en vue de la fourniture et de la mise en service d’une grue automobile à câbles, d’un système de contrôle/commande et d’un contrôleur d’état de charges. Après réception avec réserve ont été constatés des dysfonctionnements auxquels il a été demandé au prestataire de remédier.

Plusieurs mises en demeure en ce sens étant demeurées sans effet, la CCI a notifié au titulaire du marché son intention de conclure, à ses frais et risques, un marché de substitution. Devant l’impossibilité d’une remise en service de la grue, la CCI a résilié pour faute le marché initial.

Les juges administratifs, de première instance et d’appel, saisis par la CCI, ont condamné l’ex-titulaire du marché à indemniser cette dernière.

Celui-ci se pourvoit, en vain mais soulève d’intéressantes questions au travers de ses arguments.

 

I. - La première question abordée est celle du régime du marché de substitution.

 

Deux séries de précisions doivent être retenues de ce chef.

La première série concerne le statut de la substitution contractuelle. La faculté pour l’acheteur public, après mise(s) en demeure infructueuse(s) adressée(s) à son cocontractant, de recourir à un marché de substitution afin de faire exécuter ce qui ne l’a pas été ou ne l’a été que de manière défectueuse est au rang des règles générales applicables aux contrats administratifs et a la nature d’une règle d’ordre public.

La seconde série est relative aux clauses du contrat en matière de substitution ; à cet égard il n’est ni nécessaire que la possibilité d’y recourir ait été prévue au contrat ni, quand elle y est prévue, que l’hypothèse de l’espèce figure dans l’énumération des cas ouvrant à substitution ; c’est là la conséquence du caractère d’ordre public de la règle de substitution lequel caractère découle de l'intérêt général qui s'attache à l'exécution des prestations prévues au contrat.

 

II. - La deuxième question touche aux relations entre l’acheteur et l’entrepreneur à partir de la conclusion du marché de substitution.

 

Il est fondamental de relever que la mise en œuvre de cette mesure coercitive ne rompt pas le lien contractuel noué au moment de l’attribution du marché initial.

Il suit de là :

1° que cette exécution par un tiers du contrat de substitution a lieu aux frais et risques du cocontractant défaillant en son exécution et que ce dernier élément est d’ordre public ;

2° que, par suite, le contrat de substitution n’a pas à être précédé de la résiliation du contrat originaire ;

3° que le titulaire initial du marché peut contester la conclusion d’un tel contrat et qu’il doit être mis à même de suivre les opérations exécutées par le titulaire du marché de substitution, afin de pouvoir veiller à la sauvegarde de ses propres intérêts ;

4° que la circonstance que le marché de substitution n'aurait pas permis de réaliser avec succès les prestations attendues ne saurait, en elle-même, dispenser le cocontractant primitif d'en supporter la charge comme de réparer l’entier préjudice résultant pour la personne publique de la nécessité de recourir à un marché de substitution et, le cas échéant, y ayant recouru en vain celui-ci n’ayant, au final, pas permis la réalisation de l’objet du marché initial.


III. - La troisième question abordée est celle de la résiliation.

 

La résiliation à titre de sanction est toujours possible dans un contrat public en cas de faute grave d’une suffisante gravité de la part du titulaire du contrat.

C’est pourquoi ne font pas obstacle à cette résiliation l’absence de clause en ce sens dans le contrat ou le fait que la faute reprochée ne figure pas dans les hypothèses pour lesquelles une clause du contrat a prévu la possibilité de la résiliation.

En l’espèce, c’est donc sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a estimé qu’en livrant avec plus de deux ans de retard par rapport à la date de livraison prévue, d’une grue dont la mise en service n'a jamais pu intervenir en raison de graves vices de conception, le titulaire du marché avait  commis une faute d'une gravité suffisante pour justifier le recours à des marchés de substitution puis la résiliation du marché à ses torts exclusifs, alors même qu’un délai de cinq ans s'est écoulé entre la date de réception de la grue et celle de la résiliation.

 

IV. – La dernière question est celle des pénalités contractuelles.

 

Pendant l’exécution du contrat des pénalités contractuelles peuvent être infligés au titulaire dans les termes et selon les conditions et tarifs stipulés au contrat.

Lorsque de telles pénalités ont été infligées dans le cours de l’exécution d’un contrat public cela n’empêche pas que l’acheteur public décide finalement de prononcer la résiliation du contrat pour faute grave, les deux sanctions se cumulant.

En revanche, il n’est plus possible d’infliger des pénalités postérieurement à la date de résiliation.

(18 décembre 2020, Société Treuils et Grues Labor, n° 433386)

 

89 - Compétence de la juridiction administrative – Absence – Contrat n’ayant pas pour objet l’exécution d’un service public et ne révélant pas l’intention des parties de le soumettre au régime exorbitant du droit public – Clause d’attribution de compétence à la juridiction administrative sans effet ici – Rejet.

(30 décembre 2020, Association Barokia, n° 438094) V. n° 30

 

90 - Marchés publics – Interdiction de toute renonciation au paiement d’intérêts moratoires – Atteinte à la liberté contractuelle, notamment en cas de transaction – QPC – Rejet.

Les requérants contestaient la constitutionnalité de l'article 67 de la loi du 8 août 1994 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier en ce qu’il interdit la renonciation aux intérêts moratoires, portant ainsi atteinte à la liberté contractuelle en interdisant les transactions ayant cet objet.

La demande de renvoi d’une QPC pour ce motif est rejetée car l’atteinte ainsi portée à la liberté contractuelle est justifiée par l'intérêt général qui s'attache à réduire les retards de paiement des collectivités publiques aux entreprises et n'est pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

(23 décembre 2020, Société Territoires 62 et autres, n° 443158)

 

91 - Marché public – Accord-cadre en vue de la prestation d’infogérance d’un centre d’appels et d’assistance téléphoniques aux utilisateurs et d’un support de proximité – Offre de base devant être complétée d’une prestation supplémentaire éventuelle (PSE) – Rejet d’une offre pour irrégularité, la PSE n’étant pas chiffrée en tous les éléments attendus – Annulation du rejet par le juge des référés – Confirmation de l’ordonnance et rejet du pourvoi.

L’offre présentée par l’une des sociétés candidates à l’attribution d’un marché de prestation d'infogérance d'un centre d'appels et d'assistance téléphonique aux utilisateurs et du support informatique de proximité a été rejetée par le pouvoir adjudicateur, la Chambre de commerce et d'industrie de région Paris Ile-de-France (CCIR), au motif que la PSE « proposée par le candidat n'est pas chiffrée dans tous les éléments attendus, elle ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation.

En effet, le candidat (…) a proposé un prix pour une volumétrie dite « volumétrie actuelle » non définie contractuellement alors que les documents de la consultation exigeaient un prix par tranche de quantité ». Une ordonnance rendue en référé a, à la demande de la société évincée, annulé le rejet de l’offre et l’attribution du marché à une autre candidate.

Sur pourvoi de la CCIR, le Conseil d’État confirme le bien-fondé de l’ordonnance.

Il ressort du dossier que l’entreprise évincée a remis, à l'appui de son offre, un bordereau des prix unitaires et un détail quantitatif estimatif dont les cases relatives aux prix des licences pour la PSE indiquaient des prix unitaires et totaux de zéro euro pour chacune des tranches de quantité de licences demandées. A la suite d'une première demande de complément puis d'une nouvelle demande de précision adressées par la CCIR, la société a maintenu son prix de zéro euro pour les licences en précisant qu'en cas de migration sur l'outil Ivanti Service Manager, la CCIR n'aurait pas à payer de licences pour l'utilisation de cet outil. 

Le premier juge n’a pas commis d’erreur de droit ni, non plus, dénaturé les pièces de ce dossier, en jugeant que la seule référence, dans la réponse de la société évincée, à la volumétrie des licences actuelles du marché n'avait pu, dans les circonstances de l'espèce et compte tenu de l'ensemble des réponses apportées par cette société, créer une ambiguïté sur le prix de zéro euro proposé pour les licences dans le cadre de la PSE et en déduisant que l'offre de la société ne pouvait être regardée comme irrégulière.

(24 décembre 2020, Chambre de commerce et d'industrie de région Paris Ile-de-France (CCIR), n° 439430)

 

92 - Marché public de fourniture – Exigence du respect d’une caractéristique technique – Obligation de produire un justificatif du respect de cette exigence lorsque celle-ci sert à fixer un critère ou un sous-critère d’attribution du marché – Absence d’une telle obligation quand cet élément d’appréciation de la valeur technique n’est pas assorti de conséquences directes sur la notation des offres – Dénaturation des pièces – Annulation mais rejet au fond.

Une région a lancé un avis d'appel à candidature pour l'attribution, selon une procédure d'appel d'offres ouvert, d'un accord-cadre mono-attributaire portant sur la fourniture et la maintenance de déshydrateurs thermiques et la collecte, le transport et la valorisation des biodéchets dans le cadre du projet européen « Life IP Smart Waste » pour un groupement de commande constitué de sept lycées membres. Elle a informé la société requérante de l’attribution du marché à une société concurrente.

Saisi par la société évincée, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif a annulé la procédure et imposé à la région, pour le cas où elle entendrait conclure le marché, de lancer une nouvelle procédure.

Sur pourvoi, le Conseil d’État casse cette ordonnance mais rejette la requête au fond.

Le juge administratif suprême rappelle tout d’abord le principe selon lequel, lorsque pour fixer un critère ou un sous-critère d'attribution du marché, le pouvoir adjudicateur prévoit que la valeur des offres sera examinée au regard d'une caractéristique technique déterminée, il lui incombe d'exiger la production de justificatifs lui permettant de vérifier l'exactitude des informations données par les candidats. 

Il indique ensuite que ce principe ne joue pas quand, comme c’était le cas en l’espèce, le règlement de la consultation se bornait à prévoir que l'ergonomie des équipements constituait un élément d'appréciation du critère de la valeur technique, sans que cette exigence, au demeurant générale, soit assortie de conséquences directes sur la notation des offres.

C’est au prix d’une dénaturation des pièces du dossier à lui soumis que le premier juge a estimé que la région avait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, le respect effectif des normes européennes constituant une exigence précise qui impliquait, selon lui, la production de justificatifs, sanctionnée par le système d'évaluation des offres. Or, comme indiqué plus haut, cette exigence n’emportait pas de conséquences directes sur la notation des offres.

(24 décembre 2020, Société Cuisine froid professionnel, n° 445078)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

93 - Impôt sur les sociétés – Souscription d’emprunts rémunérés à un certain taux auprès de la société mère – Preuve devant être rapportée que ce taux est comparable à celui susceptible d’être consenti par des organismes ou établissements financiers indépendants – Comparaison avec le rendement d’emprunts obligataires émis par des entreprises en situation économique comparable – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Est annulé pour erreur de droit l’arrêt qui n’admet pas qu’une société, pour justifier du taux rémunérant des emprunts consentis par sa société mère, procède par comparaison avec le taux rémunérant des émissions obligataires souscrites par des entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables.

(10 décembre 2020, Société WB Ambassador, n° 428522)

(94) V. aussi, très voisin : 11 décembre 2020, Société anonyme BSA, n° 433723.

 

95 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Obligation d’être en rapport avec les dépenses exposées par la collectivité pour cet enlèvement – Cassation de l’ordonnance de rejet.

Rappel une nouvelle fois – car il s’agit, avec la taxe en question, d’un contentieux sans fin – que le taux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères ne doit pas être disproportionné par rapport aux dépenses de la collectivité et non couvertes par des recettes non fiscales.

Le litige portait ici sur les modalités de preuve du caractère disproportionné du taux retenu.

(10 décembre 2020, Société L'Immobilière Leroy Merlin France, n° 429451)

 

96 - Aide à l’acquisition de véhicules propres – Conditions d’octroi du bénéfice de l’aide – Sanction du non-respect de ces conditions – Non-respect par l’acheteur postérieurement à la vente – Obligation de rapporter la preuve du manquement du vendeur à son obligation de contrôle au moment de la vente – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Le décret du 26 décembre 2007, dans son article 8, crée une aide à l'acquisition des véhicules propres et permettant au vendeur d'un véhicule neuf de faire bénéficier son client de l'avance du montant de l'aide. L’octroi et le maintien de cette aide sont subordonnés à deux conditions :  le respect de conditions d'éligibilité et un engagement du bénéficiaire de l'aide.

S’agissant des conditions d'éligibilité, le demandeur de l’aide doit justifier d'un domicile ou d'un établissement en France et acquérir ou prendre en location, dans certaines conditions, un véhicule neuf revêtant des caractéristiques techniques précises.

S’agissant de son engagement, le bénéficiaire de l'aide s'engage à ne pas destiner le véhicule acquis à la vente ou à la location en tant que véhicule neuf.

En cas de non-respect des conditions, la sanction consiste en la récupération de l'aide indûment perçue. Lorsque, ce qui est le cas le plus fréquent, le montant de l'aide a été avancé à l'acheteur par le vendeur du véhicule, dans le cadre d'une convention prévue par le décret précité, peut être ordonné le reversement par le vendeur des véhicules du montant des aides que ce dernier avait avancé et dont il avait obtenu le remboursement, s'il est établi que le vendeur n'a pas satisfait à l'obligation qui lui incombe de s'assurer de l'éligibilité du dossier de demande présenté par l'acheteur. En particulier, le vendeur doit refuser de consentir une avance de l'aide en cas de doute manifeste sur le respect par l'acheteur de la règlementation relative à l'aide, notamment s'il apparait au vendeur que l'acheteur destine les véhicules en cause à la revente comme véhicules neufs.

C’est dans ces conditions que l'Agence de services et de paiement a demandé à la société requérante une attestation certifiant que l’un de ses clients, qui avait été bénéficiaire de l’avance d’aide, était toujours propriétaire du véhicule afin de vérifier que celui-ci n'était pas destiné à être cédé par l'acquéreur en tant que véhicule neuf. Estimant que la condition stipulée n'avait pas été respectée par l’acheteur qui avait revendu les véhicules ainsi acquis en Belgique comme véhicules neufs, l’Agence a réclamé au vendeur le reversement des aides remboursées.

La cour administrative d’appel a jugé que c’était à bon droit que l’Agence avait agi comme elle l’a fait en l’espèce.

Toutefois, sur pourvoi, le Conseil d’État annule l’arrêt sur ce point en ce que la cour a commis une erreur de droit car elle « n'a pas caractérisé le manquement de la société Garage du Rempart dans les contrôles réalisés par celle-ci au moment de la vente des véhicules et de l'avance du montant de l'aide ».

(10 décembre 2020, Société Garage du Rempart, n° 430514)

(97) V. aussi, identique : 10 décembre 2020, Société Avenir Automobile 78, n° 430516.

(98) V. également, identique :  10 décembre 2020, Société d'exploitation du garage de Robinson, n° 430519.

 

99 - Taxe sur les achats de viandes – Demande dégrèvement – Dégrèvement obtenu puis retiré, enfin spontanément accordé – Demande du bénéfice de l’art. 208 du livre des procédures fiscales (LPF : intérêts moratoires de la somme restituée) – Erreur de droit – Annulation et rejet.

L’art. 208 du LPF dispose : « Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts. Les intérêts courent du jour du paiement. Ils ne sont pas capitalisés. ». Le Conseil d’État en déduit que ce texte n’est applicable que dans le cas où le dégrèvement fait suite à une « réclamation » du contribuable. En revanche, lorsque, comme en l’espèce à la suite d’un véritable imbroglio, l’administration accorde spontanément un tel dégrèvement au contribuable les intérêts moratoires ne sont pas dus.

Tout d’abord, dans le contexte concret de cette affaire, il pourrait être sérieusement discuté du caractère « spontané » du dégrèvement.

Ensuite et surtout, l’intérêt moratoire n’est que le prix du temps qui passe (Times is money disent les Anglais qui ont sur ce point un esprit très boutiquier), ici du temps qui a passé du jour du versement indu jusqu’au jour du remboursement, c’est-à-dire de la remise en état du patrimoine originel du contribuable. On ne voit guère en quoi le caractère « spontané » du dégrèvement pourrait occulter – même magiquement -  le temps perdu du patrimoine en cause.

(10 décembre 2020, Société Supermarchés Match, n° 432587) V. aussi à la rubrique Contentieux, n° 19

 

100 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Territorialité de la taxation – Société irlandaise de marketing digital – Société disposant de sociétés sœurs dont une en France – Assujettissement de la société française à la TVA – Condition d’assujettissement satisfaite – Impôts sur les sociétés – Condition d’établissement stable – Condition satisfaite en l’espèce – Erreurs de droit et de qualification juridique – Annulation avec renvoi.

Dans cette importante décision, d’ailleurs rendue par quatre chambres réunies (3e, 8e, 9e et 10e) – ce qui n’est pas rare désormais mais est loin d’être fréquent cependant -, le Conseil d’État avait à connaître d’un pourvoi dirigé contre un arrêt de cour administrative d’appel qui avait jugé qu’une société française spécialisée dans le marketing digital, sœur d’une société irlandaise détenue à 100% par une société de droit américain, ne devait être soumise, pour une période donnée, ni à l’impôt sur les sociétés ni à la TVA.

L’arrêt est cassé sur ces deux points. A la lecture de la décision il se perçoit bien que sa forte motivation est d’abord justifiée parce qu’elle est limite au regard du droit de l’UE.

L’assujettissement à l’impôt sur les sociétés en France suppose que la société y ait un « établissement stable » (au sens des dispositions de l’art. 209 du CGI et des art. 2 et 4 de la convention fiscale franco-irlandaise du 21 mars 1968), ce qui désigne, selon les termes mêmes de cette convention, soit une installation fixe d'affaires où une entreprise exerce tout ou partie de son activité, soit  l’intervention d’une personne, autre qu'un agent jouissant d'un statut indépendant, agissant dans un Etat contractant pour le compte d'une entreprise de l'autre Etat contractant. Or le Conseil d’État relève qu’il ressort de l’arrêt frappé de pourvoi que « si la société irlandaise fixe le modèle des contrats conclus avec les annonceurs pour leur ouvrir le bénéfice des services dont elle assure l'exploitation ainsi que les conditions tarifaires générales, le choix de conclure un contrat avec un annonceur et l'ensemble des tâches nécessaires à sa conclusion relèvent des salariés de la société française, la société irlandaise se bornant à valider le contrat par une signature qui présente un caractère automatique ».

Le juge de cassation déduit de ces constations que la cour a commis une erreur de droit et une erreur de qualification juridique en jugeant, au motif que les contrats avec les clients français étaient signés par la société irlandaise, que la société française n'était pas, pour elle, un établissement stable au sens des dispositions de la convention franco-irlandaise précitée.

Les conditions d’assujettissement à la TVA intracommunautaire ont évolué au cours des trois années en litige dans la présente affaire même si c’est toujours l’art. 259 du CGI qui les fixe.

Jusqu’au 31 décembre 2009, cet art. 259 (issu de la transposition de l’art. 9 de la directive du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires et de l’art. 44 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, tels qu’interprétés par la CJCE pour fixer le point de rattachement des prestations de services : 4 juillet 1985, Berkholz c/ Finanzamt Hamburg-Mitte-Altstadt, aff. C-168/84 et 17 juillet 1997, ARO Lease BV c/ Inspecteur van de Belastingdienst Grote Ondernemingen te Amsterdam, aff. C-190/95) imposait, pour déterminer si la taxe sur la valeur ajoutée grevant les prestations de services servant d’assiette à cet impôt était due en France ou dans l'autre Etat membre, de savoir si les prestations pouvaient être rattachées :

- soit à un établissement satisfaisant à certains critères, fixés par les directives et jurisprudences précitées dont le prestataire dispose en France,

- soit au siège de son activité économique situé sur le territoire d'un autre Etat membre.

Pour les années 2010 à 2012, le régime d’assujettissement à la TVA est régi par les dispositions des art 259 et 283 du CGI transposant plusieurs dispositions de la directive précitée du 28 novembre 2006 dans leur nouvelle version entrée en vigueur le 1er janvier 2010, telles qu’interprétées par la CJUE et que complétées par l’art. 53 du règlement du 15 mars 2011 pris pour l’exécution de cette directive.

Dès lors que, comme indiqué plus haut, le Conseil d’État estimait que la société irlandaise disposait d’un établissement stable en France, la solution à cette seconde question pouvait aisément se deviner sous réserve, pour satisfaire aux conditions européennes, d’établir que, contrairement à ce qui avait été jugé en appel, la société française disposait bien, pour la fourniture des prestations de la société irlandaise, et cela de manière autonome, des moyens humains lui permettant de prendre la décision de conclure, avec un annonceur, un contrat lui ouvrant le bénéfice des services dont la société irlandaise assure l'exploitation. La pierre d’achoppement de cette démonstration, bien perçue par la cour, résidait en ce que la société française ne disposait que d’un parc informatique limité qui n'avait pas la nature d'un centre de données et n'était donc pas assez puissant pour permettre la prise en charge des traitements d'exécution des campagnes publicitaires. Pour le Conseil d’État cet obstacle, important il est vrai, n’en est pas un au regard de la qualification d’établissement stable dès lors « que si l'exécution des fonctionnalités de mise en relation en temps réel des annonceurs et des éditeurs de sites internet suppose une infrastructure technique, comprenant les logiciels nécessaires au fonctionnement des plateformes de mise en relation et des serveurs sur lesquels elles sont hébergées, implantés dans des centres de données, la création, le paramétrage et la gestion du compte client par les salariés de la société française, en application du contrat conclu avec un annonceur, suffisent pour ouvrir de manière effective à ce dernier un accès aux fonctionnalités prévues au contrat adapté aux besoins de ses programmes de publicité, sans restriction et sans qu'aucune intervention spécifique soit requise de la part de sociétés du groupe distinctes de la société française et de la société irlandaise, en charge du développement et de la maintenance des logiciels ou de l'exploitation des serveurs ».

Il faut donc en conclure que « les salariés de la société française doivent être regardés comme disposant de moyens techniques adaptés rendant possible, de manière autonome, la fourniture des prestations de la société irlandaise, quand bien même aucun centre de données utilisé pour l'exécution des fonctionnalités de mise en relation n'est localisé en France (…) ».

Ce ne sera pas facile, le cas échéant, de convaincre la CJUE sur la base d’un tel raisonnement.

(11 décembre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 420174)

 

101 - Impôts sur les sociétés – Sociétés françaises détenues par une même société mère – Société mère établie dans un autre État membre que la France – Impossibilité de constituer un groupe fiscalement intégré entre les deux sociétés sœurs et la société mère (art. 223 A du CGI) – Entrave à la liberté d’établissement – Rejet.

L'impossibilité de constituer un groupe fiscalement intégré entre deux sociétés françaises détenues indirectement par une même société mère située dans un autre Etat membre de l’UE constitue une entrave à la liberté d'établissement.

Toutefois, la société demanderesse en première instance est déboutée d’une partie de sa demande en tant qu’elle ne rapporte pas la preuve, pour deux des sociétés concernées, de l’existence de leur accord pour une intégration fiscale.

(29 décembre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics et société BPD France, n° 427259)

 

102 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Assujettissement des intermédiaires – Distinction entre intermédiaires agissant pour le compte d’autrui et intermédiaires agissant en leur propre nom pour le compte d’autrui – Régimes distincts – Commentaires administratifs se bornant à réitérer une disposition législative – Rejet.

L’association requérante demandait l’annulation d’un paragraphe des commentaires administratifs publiés au Bulletin Officiel des Finances Publiques (BOFiP) – Impôts relatif au taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux prestations assurées par un intermédiaire agissant au nom et pour le compte d'autrui.

Le Conseil d’État rejette le recours en rappelant la distinction entre les intermédiaires agissant en leur nom propre mais pour le compte d'autrui et les intermédiaires agissant au nom et pour le compte d'autrui.

Les premiers sont assujettis à la TVA à raison du montant total de l'opération incluant leur commission, au taux correspondant aux produits et services qu'ils sont dans ce cas réputés avoir personnellement acquis et livrés ou reçus et fournis.

Les seconds, sont soumis à la TVA du chef des seules sommes perçues en contrepartie de la prestation d'entremise assurée, au taux de droit commun correspondant à cette dernière, indépendamment du taux applicable aux produits ou services faisant l'objet de la prestation d'entremise.

Cette distinction découlant des conséquences liées à l’intervention de la loi du 17 juillet 1992, les commentaires administratifs attaqués qui se bornent à les commenter sans ajouter à la loi ne sont pas irréguliers.

La requérante ne saurait donc valablement contester le refus qui lui a été opposé de faire droit à sa demande tendant à l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée aux prestations d'entremise assurées par un intermédiaire agissant au nom et pour le compte d'autrui.

(11 décembre 2020, Association Alliance Professionnelle des Agents Commerciaux (APAC), n° 440587)

(103) V. aussi, comparable en ce qu’il est jugé que ne sont pas irréguliers les commentaires administratifs qui se bornent à interpréter correctement, en matière de prélèvements sur les trusts, les dispositions combinées de l’art. 792-0 bis, des I et III de l’art. 990 J, ainsi que des art. 1649 AB et 885 G ter du CGI (repris à l’art. 970 de ce code) : 11 décembre 2020, Société Sequent, n° 442320

 

104 - Activité de formation professionnelle continue – Dépenses non justifiées – Ordre de reversement – Annulation pour non-respect du principe du contradictoire – Moment où s’impose ce principe – Erreur de droit en l’espèce – Annulation et rejet.

Interprétant restrictivement les dispositions du code du travail sur l’exercice par l’État d’un contrôle administratif et financier sur les activités de formation professionnelle continue, le Conseil d’État, cassant l’arrêt contraire pour erreur de droit, juge que si les décisions de rejet de dépenses et de versements prises par l'autorité administrative à la suite de contrôles effectués en cette matière, ne peuvent intervenir sans qu'une procédure contradictoire ait été respectée, la mise en oeuvre de celle-ci n'est imposée qu'après la notification des résultats du contrôle. La légalité de la décision de rejet ou de versement prise n'est ainsi pas subordonnée au respect d'une telle procédure durant la conduite des opérations de contrôle.

Ce raisonnement suppose que sont sans aucune incidence pour la manifestation de la vérité les conditions dans lesquelles se déroulent les opérations de contrôle.

(23 décembre 2020, Ministre du travail, n° 431085)

 

105 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Exonération – Cas des soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales réglementées – Absence en l’espèce du fait de l’usage d’une technique sans « face-à-face » entre soignant et client - Régime alimentaire établi et géré via un logiciel et internet – Rejet.

Le 1° du 4 de l’art. 261 du CGI, pris pour la transposition en droit interne de directives européennes (§ 1 du A de l'article 13 de la directive du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, repris par l'article 132, paragraphe 1 de la directive du 28 novembre 2006), exonère de TVA les soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales réglementées.

La société requérante, invoquant ces dispositions, contestait son assujettissement à la TVA.

Pour rejeter son recours le Conseil d’État relève, comme le juge d’appel, « que la société GIIS propose aux personnes désireuses de perdre du poids, via ses sites internet, un régime culinaire adapté à leurs goûts et habitudes alimentaires, d'abord en établissant un bilan initial sur la base d'un questionnaire en ligne par lequel le client renseigne notamment, outre sa taille, son poids, son objectif de perte de poids, le délai souhaité pour l'atteindre ainsi que ses goûts et habitudes culinaires. (De plus), grâce à une analyse informatisée des données ainsi renseignées, une proposition de régime alimentaire est délivrée au client ainsi qu'un suivi dans le cadre duquel l'intéressé peut être amené à fournir, en ligne, des données complémentaires relatives à son comportement alimentaire, susceptibles d'entraîner, après une nouvelle analyse informatisée, des ajustements du régime initial ».

Surtout, comme la cour, le juge de cassation relève « que les diététiciens que la société emploie, soit en qualité de salariés soit en qualité de prestataires de services, n'entretenaient pas de relation personnalisée avec le client ».

Dès lors, les prestations fournies par cette société n’entrent pas dans les prévisions du 1° du 4 de l’art. 261 du CGI et ne sauraient être exonérées de TVA.

(29 décembre 2020, Société Groupement international d'informatique de santé (GIIS), n° 426219)

 

106 - Impôt sur les sociétés – Contribution sociale sur cet impôt – Invocation de l’art. L. 80 A du livre des procédures fiscales (LPF) – Inapplicabilité en matière de procédure d’établissement de l’impôt ou de pénalités fiscales – Rejet.

Dans le cadre d’un litige portant sur une demande de restitution d’impôts supplémentaires ainsi que des pénalités les assortissant, la demanderesse invoquait les dispositions du second alinéa de l’art. L. 80 A du LPF selon lesquelles : « Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales. » 

Le Conseil d’État décide qu’en l’espèce la requérante ne pouvait pas invoquer ce texte à l’appui de ses prétentions car le litige ne portait pas sur le recouvrement de l’impôt mais sur son établissement et celui des pénalités fiscales. Or s’agissant d’une instruction relative aux mentions que doit comporter un avis de mise en recouvrement, le texte précité n’est pas applicable car il concerne la procédure d'établissement de l'impôt ou des pénalités fiscales, et non le recouvrement de l'impôt.

Il faut regretter une position aussi rigoriste qui s’appuie sur une interprétation stricte du texte en cause alors que seules les exceptions sont strictissimae interpretationis : il serait déraisonnable et, dans une « société de la confiance », inconvenant de considérer que les dispositions protectrices de l’art. L. 80 A sont d’exception. Lorsque l’administration fiscale prend acte de ce que les contribuables lui ont fait confiance, elle ne leur fait pas un cadeau mais se plie à un évident devoir de conscience.

(11 décembre 2020, SA BNP Paribas, n° 421084)

(107) V. aussi, identique en tout point : 11 décembre 2020, SA BNP Paribas, n° 421087.

(108) V. aussi, voisine par certains aspects, la décision : 11 décembre 2020, SA BNP Paribas, n° 421113.

 

109 - Impôt sur les sociétés – EDF – Provision sur charges futures de démantèlement d’un réacteur nucléaire – Perte du combustible irradié – Cas d’un réacteur démantelé et cas d’un réacteur mis à l’arrêt – Régimes fiscaux distincts – Annulation.

La société EDF a demandé, et obtenu des juges du fond, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt ainsi que le versement d'intérêts moratoires du fait de l’obligation dans laquelle elle s’est trouvée de démanteler une centrale nucléaire et, par suite, de constituer une provision au titre des coûts futurs de la perte du combustible irradié résultant de ce démantèlement. 

Le Conseil d’État considère que si la cour n’a pas commis de dénaturation des faits en relevant que le combustible non irradié n'était, en l'état des connaissances techniques, pas réutilisable dans un autre réacteur et que l'arrêt du réacteur entraînait sa perte définitive, en revanche, cette perte constitue un coût qui est une conséquence directe de cet arrêt définitif et non des opérations de démantèlement.  Il ne relève donc pas des charges de démantèlement du réacteur.

La cour a ainsi commis une erreur de droit en même temps qu’elle a inexactement qualifié les faits en jugeant que le coût en cause devait donner lieu à la constatation d'une provision au titre des coûts futurs de démantèlement et d'un actif amortissable de contrepartie en application de l'article 39 ter C du code général des impôts.

(11 décembre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 439666)

 

110 - Impôt sur le revenu des salariés – Salariés recrutés à l’étranger par une entreprise installée en France – Bénéfice d’une exonération d’impôt forfaitaire sur leurs rémunérations – Condition d’octroi de ce bénéfice – Annulation avec renvoi.

Le 1 du I de l'article 155 B du CGI disposait, au moment des faits litigieux, que : « Les salariés et les personnes mentionnées aux 1°, 2° et 3° du b de l'article 80 ter appelés de l'étranger à occuper un emploi dans une entreprise établie en France pendant une période limitée ne sont pas soumis à l'impôt à raison des éléments de leur rémunération directement liés à cette situation ou, sur option, et pour les salariés et personnes autres que ceux appelés par une entreprise établie dans un autre Etat, à hauteur de 30 % de leur rémunération ».

Le Conseil d’État, interprétant aussi strictement que possible ces dispositions, décide qu’elles ne sont applicables qu’à des personnes qu’une entreprise sise en France a recrutées directement à l’étranger. Elles ne sont, en revanche, pas applicables à des salariés qui effectuent une mobilité entre des entités appartenant à un même groupe ou en relevant.

En l’espèce, un salarié d’HSBC UK qui avait auparavant rompu tout lien avec cette dernière, avait conclu ensuite un CDI avec la société HSBC France. Dès lors qu’il continuait à travailler pour le même groupe il ne pouvait pas bénéficier de la faveur fiscale instituée par l’article précité, contrairement à ce qu’avait jugé la cour administrative d’appel.

(22 décembre 2020, M. et Mme A., n° 427536)

 

111 - Impôt sur le revenu et cotisations sociales – Rehaussement d’impôts suite à une vérification – Demande à l’administration de la communication intégrale des documents auxquels elle a eu accès pour opérer ce rehaussement – Absence d’obligation de communiquer ceux des documents que le contribuable peut se procurer par lui-même – Annulation et rejet.

Le juge rappelle que :

1° l’art. L. 76 B du livre des procédures fiscales oblige l’administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en oeuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, à informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des documents et renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour mettre à même l'intéressé d'y avoir accès avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent.

2° Lorsque le contribuable lui en fait la demande, l'administration est, en principe, tenue de lui communiquer, alors même qu'il en aurait eu connaissance, les renseignements, documents ou copies de documents obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés, afin de lui permettre d'en vérifier l'authenticité ou d'en discuter la teneur ou la portée.

3° Toutefois, Il en va autrement pour les documents et les renseignements qui, à la date de la demande de communication, sont directement et effectivement accessibles pour le contribuable dans les mêmes conditions que pour l'administration. En ce cas, le défaut de communication n’est pas irrégulier.

(24 décembre 2020, M. et Mme A.-B., n° 433456)

 

112 - Plus-values immobilières – Taxation – Détermination de la date du transfert de propriété et donc de l’entrée dans le patrimoine – Application des règles du Code civil en l’absence de dérogation expresse - Promesse synallagmatique sans condition suspensive – Effet immédiat du transfert de propriété – Acte authentique postérieur sans effet – Annulation.

Dans un litige relatif au calcul de la plus-value immobilière imposable, une cour administrative d’appel commet une erreur de droit en jugeant que, en dépit de la signature des promesses de vente, la date du transfert de propriété devait être regardée comme fixée au jour de la signature des actes authentiques de vente dès lors que ces actes décrivaient les parcelles en litige comme appartenant aux vendeurs et stipulaient que l'acquéreur serait propriétaire du bien à compter de leur signature. En effet, il résulte des dispositions de l’art. 1589 du Code civil que, dans l'hypothèse où une promesse synallagmatique de vente sans condition suspensive révèle le consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix, le transfert de propriété, qui détermine la date de réalisation de la plus-value imposable, est réputé avoir lieu à compter de la signature de la promesse, ou le cas échéant de la date à laquelle les conditions suspensives qu'elle fixe sont levées, et que les stipulations d'un acte authentique ultérieur sont alors insusceptibles de remettre en cause la date du transfert de propriété.

Il convient d’approuver cette excellente solution.

(29 décembre 2020, Mme B. et M. E., n° 428306)

(113) V. aussi, du même jour et avec mêmes solutions : 29 décembre 2020, Mme B. et M. E., n° 428309 ; 29 décembre 2020, MM. Michel et Jean-Michel C., n° 428313 et n° 428315, deux espèces.

 

114 - Résidents fiscaux en Belgique – Perception de revenus provenant de sociétés établies en France – Retenue à source – Demande de restitution – Assiette de cette retenue – Non-application de l’abattement de 40% – Rejet.

Voici encore une importante décision de droit fiscal international. Celle-ci est relative à l’imposition – par voie de retenue à la source - de ceux des revenus tirés par des résidents fiscaux belges de distributions provenant de sociétés établies en France.

A l’occasion du pourvoi formé par ces contribuables contre le jugement et l’arrêt les ayant déboutés de leur demande de restitution de la retenue à la source, le Conseil d’État apporte trois précisions qui n’allaient pas de soi et démontrent, une fois encore, que prévaut toujours l’interprétation maximaliste de la loi fiscale.

Tout d’abord, est confirmée la solution retenue par la cour administrative d’appel selon laquelle la retenue à la source n’est pas une modalité particulière de perception de l’impôt sur le revenu mais une imposition distincte de ce dernier. Par suite, c’est sans erreur de droit que la cour a rejeté la demande du bénéfice de l’abattement de 40% sur les revenus distribués institué à l’art. 158 (au 2° du 3) du CGI.

Ensuite, est confirmé le fait que le taux de cette retenue à la source s’applique sur le montant brut des produits qui y sont assujettis par construction un peu échevelée à partir des art. 119 bis (point 2), 108 à 117 bis et 48 de l’annexe II du CGI.

Enfin et surtout, la cour avait comparé la charge fiscale supportée par les requérants et la charge qu’aurait supportée un couple de contribuables domiciliés en France percevant le même montant de dividendes et elle avait conclu que l'imposition à laquelle ceux-ci auraient été soumis aurait été supérieure au montant de la retenue à la source en litige. Elle en avait donc déduit que si l'abattement de 40 % sur les revenus distribués dont bénéficient les résidents fiscaux français pour le calcul de l'impôt sur le revenu, ne s'appliquait pas aux dividendes soumis à la retenue à la source, cette différence ne traduisait pas, par elle-même, un traitement fiscal discriminatoire contraire au principe de libre circulation des capitaux. Le Conseil d’État approuve pleinement ce raisonnement.

IL convient de signaler que cette jurisprudence n’est pas satisfaisante au regard de celle développée sur ce même sujet par la CJUE (22 novembre 2018, Sofina SA, Rebelco SA, Sidro SA c/ Ministre de l’action et des comptes publics, aff. C-575/17, où sur questions préjudicielles du Conseil d’État, la Cour dit pour droit « Les articles 63 et 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle les dividendes distribués par une société résidente font l’objet d’une retenue à la source lorsqu’ils sont perçus par une société non-résidente, alors que, lorsqu’ils sont perçus par une société résidente, leur imposition selon le régime de droit commun de l’impôt sur les sociétés ne se réalise à la fin de l’exercice au cours duquel ils ont été perçus qu’à la condition que le résultat de cette société ait été bénéficiaire durant cet exercice, une telle imposition pouvant, le cas échéant, ne jamais intervenir si ladite société cesse ses activités sans avoir atteint un résultat bénéficiaire depuis la perception de ces dividendes. ».

(11 décembre 2020, M. et Mme C., n° 434038)

(115) V. aussi, identique : 11 décembre 2020, M. et Mme B., n° 434889.

(116) V. également, pour une interprétation par trop « maximaliste » de la convention franco-brésilienne destinée à éviter les doubles impositions : 11 décembre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 440307.

 

117 - Taxe foncière – Appréciation de la consistance des propriétés assujetties à la taxe – Éléments exonérés de la taxe – Rejet et annulation partiels.

Cette décision – rendue par quatre chambres réunies (3e, 8e, 9e et 10e) - a le mérite de préciser le champ d’application et celui d’exonération de la taxe foncière.

En réalité la société requérante demandait au juge la réduction de cotisations supplémentaires de taxe professionnelle et de taxes annexes à celle-ci ainsi que de la cotisation foncière des entreprises et de taxes annexes à celle-ci. Ces taxes étant toutefois assises sur la valeur locative de l’établissement qui y est soumis, le recours mettait en jeu l’évaluation de la taxe foncière qui se trouvait ainsi au cœur du litige.

En premier lieu, le juge déduit des dispositions combinées des art. 1495 du CGI et du II de l’art. 324 B de l’annexe III à ce code que pour l’appréciation de la consistance des biens soumis à cette taxe il convient de tenir compte non seulement de tous les éléments figurant dans ces deux articles mais encore des biens faisant corps avec eux.

En second lieu, le 11° de l’art. 1382 du CGI exonérant de taxe foncière les biens qui font partie des outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation d'un établissement industriel, il est ici jugé qu’entrent dans cette catégorie les biens qui remplissent deux conditions positives et ne satisfont pas à une condition négative : ils doivent relever d’un établissement industriel au sens de l’art. 1499 du CGI ; ils doivent être substantiellement adaptés aux activités qu’exerce l’établissement ; ils ne doivent pas figurer au rang des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l’art. 1381 du CGI.

(11 décembre 2020, Société GKN Driveline, n° 422418)

(118) V. aussi, sur la notion d’établissement industriel : 28 décembre 2020, Société Covivio (ex-Société foncière des régions), n° 431198.

 

119 - Cession de créance – Cession des droits d’emphytéote d’une dépendance communale à une banque – Créance détenue sur une personne publique – Application des dispositions ad hoc du code monétaire et financier – Condition de régularité de la cession de créance – Annulation de l’arrêt d’appel et réformation partielle de l’ordonnance de référé provision rendue en première instance.

La commune demanderesse au pourvoi était débitrice envers une société en nom collectif du montant de redevances trimestrielles dues dans le cadre d’un bail emphytéotique administratif relatif à la construction d’une caserne de gendarmerie sur une dépendance communale. Cette société a cédé sa créance sur la commune à une banque.

Cette dernière, après mise en demeure infructueuse de la commune, a saisi le juge administratif du référé provision qui lui a donné gain de cause sur le principal et sur les intérêts. La cour administrative d’appel ayant, tout en réformant l’ordonnance attaquée, rejeté l’appel de la commune, celle-ci se pourvoit.

Son pourvoi est rejeté.

Le juge, confirmant la jurisprudence antérieure (25 juin 2003, Caisse centrale de crédit mutuel du Nord de la France c/ Commune de Sainte-Menehould, n° 240679), rappelle que le régime de la cession de créance, tel qu’il résulte notamment de l’art. L. 313-23 du code monétaire et financier, s’applique aux créances détenues sur des personnes morales de droit public. Il s’ensuit que, conformément aux dispositions de l’art. L. 313-29 de ce code, la souscription par le débiteur d'une créance cédée, à la demande de l'établissement de crédit cessionnaire, de l'acte d'acceptation prévu par cet article, a pour effet de créer à l'encontre de ce débiteur une obligation de paiement entre les mains du bénéficiaire du bordereau.

Toutefois, parce que, d’une part, cette obligation est alors détachée de la créance initiale de l'entreprise et, d’autre part,  le débiteur ne peut pas faire valoir contre cette obligation des exceptions tirées de ses rapports avec l'entreprise cédante, il importe que l'acceptation d'une cession de créance effectuée dans les conditions prévues par l'article L. 313-23 du code précité - en raison de ses conséquences pour le débiteur cédé - ne puisse pas intervenir avant que cette cession ait pris effet : elle doit donc résulter d'un acte postérieur à la date apposée par le cessionnaire sur le bordereau après qu'il lui a été remis.

En l’espèce, cette dernière condition n’était pas remplie car l’acte d’acceptation dont se prévalait la banque a été signé le 28 août 2017 alors que la date apposée sur le bordereau de la cession de créance litigieuse est celle du 7 février 2008. Dès lors, contrairement à ce qui avait été jugé en appel, les exceptions soulevées par la commune étaient, non pas inopérantes, mais, au contraire, recevables et opposables.

Examinant ces exceptions pour déterminer si la créance dont se prévalait la banque était bien « non sérieusement contestable », le juge de cassation les rejette et confirme sur ce point les solutions de première instance et d’appel s’agissant du montant du principal et de celui des intérêts successivement dus.

(11 décembre 2020, Commune de Thiron-Gardais, n° 436388)

 

120 - Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) – Location et sous-location d’immeubles nus autres que des immeubles d’habitation – Distinction et effets au regard de l’art. 1447 du CGI – Annulation de l’arrêt d’appel, confirmation du jugement et rejet.

Clarifiant un droit positif un peu confus, le Conseil d’État apporte les précisions suivantes.

En premier lieu, la location d'un immeuble nu par son propriétaire n'entre pas dans le champ de la CVAE sur le seul fondement du premier alinéa du I de l'article 1447 du CGI qui concerne l'exercice à titre habituel d'une activité professionnelle non salariée, sauf dans l'hypothèse où, à travers cette location, le bailleur ne se borne pas à gérer son propre patrimoine mais poursuit, selon des modalités différentes, une exploitation commerciale antérieure ou participe à l'exploitation du locataire. Il en va de même lorsqu'un immeuble nu est donné en sous-location par une personne qui en dispose en vertu d'un contrat de crédit-bail (V. sur ce dernier point : 25 septembre 2013, Société immobilière Groupe Casino SAS, n° 350893). 

En second lieu, en dehors de ce dernier cas, une activité de sous-location d'immeuble nu n'entre dans le champ de l'impôt en raison de l'exercice à titre habituel d'une activité professionnelle non salariée, sur le seul fondement des dispositions du I de l’art. 1447 du CGI, que dans l’un des trois cas suivants : soit ce sous- loueur met en oeuvre de manière régulière et effective, pour cette activité de sous-location, des moyens matériels et humains , soit il poursuit, selon des modalités différentes, une exploitation commerciale antérieure, soit il  participe à l'exploitation du locataire.

(29 décembre 2020, Société Quick Invest France, n° 428973)

(121) V. aussi, dans le même sens : 29 décembre 2020, Société Quick Invest France, n° 428975.

 

122 - Monuments historiques inscrits ou classés – Imputation sans limite des déficits fonciers – Condition – Exclusion en cas de classement d’un élément isolé – Inclusion quand le classement protège l’ensemble architectural – Cas en l’espèce – Arrêt contraire – Annulation avec renvoi.

(31 décembre 2020, M. et Mme C., n° 431945) V. n° 13

 

123 - Impôt sur les sociétés de personnes – Remise en cause – Assujettissement à l’impôt sur les sociétés - Régime de la preuve – Conditions d’application de l’art. 209 du CGI – Annulation avec renvoi.

L’intérêt de la présente espèce tient à l’application à la matière fiscale d’un principe déjà connu dans les autres branches du contentieux.

Selon ce principe : « en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci ».

S’agissant pour un contribuable, comme ici, de justifier l'existence d'un déficit reportable et son montant, il lui incombe à ce titre de produire une comptabilité régulière et probante ou, à défaut, toute autre preuve extracomptable suffisamment probante.

Dès lors que le contribuable a produit une telle comptabilité, ses obligations probatoires cessent et il incombe alors à l'administration, le cas échéant, soit de critiquer les écritures ayant conduit à la constatation d'un déficit, soit de demander au contribuable de justifier de la régularité de ces écritures.

Il revient ensuite au juge de trancher en fonction des explications fournies par le contribuable et par l'administration.

La solution est d’un intérêt pratique certain car il est assez fréquent que le contribuable ne puisse qu’arguer de sa bonne foi ou de la correcte tenue des documents qu’il doit fournir ou présenter à l’administration fiscale.

(31 décembre 2020, SCI Calme, n° 428297)

 

124 - Impôt sur le revenu - Exonérations de cet impôt les salaires versés à certaines personnes de moins de 25 ans – Élèves ou étudiants en études secondaires ou supérieures – Limitation de l’exonération à un certain plafond – Exclusion du bénéfice de l’exonération de la rémunération de stages accomplis dans le cadre d’un cursus pédagogique – Rejet.

Si est cassé l’arrêt d’appel qui juge que le 36° de l’art. 81 du CGI qui exonère certains salaires ne s’applique qu’aux salaires perçus versés à des étudiants en vue de financer leurs études et à raison seulement d'emplois sans lien avec les stages prévus dans le cadre de ces études, en revanche, il résulte des art. L. 612-8 et L. 612-11 du code de l’éducation que la gratification mensuelle versée au stagiaire pour un stage accompli dans le cadre d’un cursus pédagogique scolaire ou universitaire ayant fait l'objet entre le stagiaire, l'entreprise d'accueil et l'établissement d'enseignement d'une convention, n'a pas le caractère d'un salaire au sens de l'article L. 3221-3 du code du travail. Elle n’entre donc pas dans le champ de l’exonération d’impôt sur le revenu prévue au 36° de l’art. 81 du CGI.

(31 décembre 2020, M. et Mme B., n° 430230)

 

Droit public économique

 

125 - Droit de l’agriculture – Classement de parcelles de vignes en zone d’appellation d’origine contrôlée (AOC) – Refus de classement d’une parcelle incluse dans l’aire parcellaire de vignobles AOC – Homologations de cahiers des charges d’appellations contrôlées – Légalité – Rejet.

Le requérant contestait que des parcelles lui appartenant, incluses dans l’aire parcellaire d’AOC, aient été exclues de ces appellations.

Pour rejeter le recours, le Conseil d’État relève que c’est sans erreur d’appréciation que les arrêtés homologuant les cahiers des charges des quatre AOC concernées (Montagne-Saint-Emilion, Bordeaux, Bordeaux supérieur et Crémant de Bordeaux) n’ont pas inclus les parcelles en cause dans ces appellations dès lors que, comme relevé par les expertises  « ces parcelles, aux sols sablo-argileux, sont situées en fond de vallon et présentent un profil concave, avec un mauvais écoulement des eaux et une grande abondance de prêles. Par ailleurs (…) la présence à l'est, le long du fossé bordant les parcelles, d'un masque végétal important composé d'une flore de milieu hydromorphe avec une ombre portée très importante sur les parcelles favorisent les risques de gel, des dégâts du gel ayant d'ailleurs déjà été observés sur ces parcelles, contrairement aux parcelles incluses dans l'aire parcellaire à proximité ». 

(16 décembre 2020, M. D., n° 432169, n° 432170, n° 432171, n° 432173, jonction)

 

126 - Logement – Changement d’usage – Modification soumise à autorisation administrative préalable (art. L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation) – Locaux d’habitation servant en partie à un usage professionnel non commercial – Nature de l’autorisation – Autorisation personnelle et non réelle (loi du 1er septembre 1948 modifiée, art. 60) – Rejet.

Est confirmé l’arrêt d’appel qui juge que l’autorisation administrative donnée au propriétaire indivis d’un logement à fin d’utilisation d’une partie de sa superficie à un usage professionnel non commercial est attachée à la personne qui a sollicité et obtenu cette autorisation non au local en cause. Il suit de là que tout nouvel occupant doit solliciter et obtenir cette autorisation dérogatoire.

(23 décembre 2020, M. C. et Mme A., n° 428800)

 

127 - Autorisation d’exploitation commerciale – Organismes habilités à délivrer un certificat de conformité des exploitations commerciales – Fixation de la date d’ouverture au public – Annulation partielle.

On retient de cette décision un seul aspect, celui relatif à la subordination du début de l’exploitation commerciale d’un bâtiment à l’achèvement des travaux autorisés.

Il résulte du c) du 2° de l'article R. 752-44-1 du code de commerce que la déclaration attestant l'achèvement et la conformité des travaux au permis de construire délivré pour la construction ou la transformation de l'immeuble devant faire l'objet de l'exploitation commerciale doit être jointe au certificat de conformité de l'équipement commercial à l'autorisation d'exploitation commerciale. Cette disposition a pour effet de subordonner le début de l'exploitation commerciale de cet équipement à l'achèvement des travaux autorisés, puisque, en application des deux premiers alinéas de l'article L. 752-23 du code de commerce, le certificat de conformité doit être transmis aux autorités administratives un mois avant la date de l'ouverture au public, sous peine que l'exploitation de l'équipement soit réputée illicite.

Or cette exigence constitue une condition non prévue par la loi car l'achèvement des travaux autorisés par le permis de construire n'est pas, en soi, une condition légale de l'autorisation d'exploitation d'un équipement commercial, laquelle requiert seulement la transmission aux autorités administratives compétentes du certificat de conformité de l'équipement à l'autorisation d'équipement commercial prévu par l'article L. 752-23 précité.

Cette partie de l’art. R. 752-44-1, divisible du reste du texte, est annulée

(29 décembre 2020, Conseil national des centres commerciaux, n° 433292 et n° 434451, jonction)

 

128 - Appellation d’origine protégée « Comté » – Cahier des charges de l’appellation interdisant l’utilisation d’un robot de traite – Légalité – Rejet.

Le groupement requérant contestait la légalité de la disposition du cahier des charges de l‘appellation protégée « Comté », homologuée par arrêté ministériel du 8 septembre 2017, interdisant l’utilisation d’un robot de traite des vaches dont le lait sert à la fabrication de cette variété de fromage.

Au terme d’une analyse très fouillée, le Conseil d’État juge légale cette interdiction qui vise à empêcher la réduction du temps de pâture, l’augmentation du taux de lipolyse du lait, l’amplification du développement de certains germes et le recours à des méthodes de nettoyage palliatives qui peuvent être mises en oeuvre par le robot de traite car elles sont susceptibles, par leur caractère systématique, d'être incompatibles avec un développement harmonieux de la bonne microflore du lait.

(31 décembre 2020, GAEC Jeanningros, n° 415751)

 

129 - Commission de régulation de l’énergie – Composante d'accès aux réseaux publics de distribution d'électricité pour la gestion de clients en contrat unique dans les domaines de tension HTA et BT – Tarifs d'utilisation de ces réseaux publics d'électricité – Composante d'accès aux réseaux publics de distribution du gaz naturel pour la gestion de clients en contrat unique à compter du 1er janvier 2018 – Tarifs péréqués d'utilisation des réseaux publics de distribution de gaz naturel – Rejet.

Le Conseil d’État rejette, une nouvelle fois, des décisions arrêtées par la Commission de régulation de l’énergie en matière d’accès aux réseaux publics de gaz et d’électricité et de fixation de divers tarifs d’utilisation desdits réseaux.

La décision est importante par ses enjeux financiers et pratiques.

Elle ne sera pas rapportée ici en raison de sa technicité. Le lecteur voudra bien se reporter directement à son texte.

(31 décembre 2020, Société Direct Energie, devenue Total Direct Energie, n° 416802, n° 416805, n° 419231, jonction)

 

130 - Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) – Intervention pour garantir une concurrence effective et loyale sur un marché – Détermination de la pertinence de ce marché – Obligation d’une consultation publique – Expiration du délai triennal (éventuellement prolongé) – Nouvelle consultation publique nécessaire – Analyse du marché de gros amont de la diffusion hertzienne de la télévision numérique terrestre – Prolongation du quatrième cycle de régulation du marché de gros amont de la diffusion hertzienne de la télévision numérique terrestre jusqu'au 17 décembre 2021 – Maintien jusqu'à cette date les obligations imposées à TDF par deux décisions antérieures de l’ARCEP – Annulation.

(31 décembre 2020, Société towerCast, n° 444751) V. n° 10

 

Droit social et action sociale

 

131 - Convention collective – Extension d’un avenant à un accord conclu dans ce cadre – Création par la loi du 8 août 2016 d’une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation par branche – Absence de mesures transitoires – Délai raisonnable de mise en place – Régime juridique applicable selon les cas – Rejet.

Le litige portait sur le régime d’extension des avenants à une convention collective issue de la loi du 8 août 2016. Celle-ci a créé une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation par branche (CPPNI) sans prévoir de mesures transitoires.

Précisément, le syndicat requérant demandait l’annulation de l’arrêté du ministre du travail portant extension d’un avenant à un accord conclu dans le cadre de la convention collective nationale de la plasturgie puisque cet avenant n’avait pas été soumis à l’examen de la CPPNI compétente. Le Conseil d’Etat, devant le vide résultant de l’absence de mesures transitoires prévues par la loi précitée, construit un système palliatif : si une CPPNI existe, l’extension d’un avenant sans saisine préalable de cette commission est illégale ; à défaut de création de cette commission dans un délai raisonnable - et c’est là l’innovation jurisprudentielle -, l’extension d’un avenant survenant durant ce délai raisonnable n’est pas, de ce seul fait, irrégulière. Tel a été le cas en l’espèce où, en outre, ont été consultées les instances paritaires existantes.

Le recours est, de ce chef, rejeté.

(3 décembre 2020, Syndicat national de la plasturgie, des composites, des bioplastiques et de la fabrication additive (Plastalliance), n° 419361)

 

132 - Convention collective – Notion de travail à temps partiel – Définition légale et définition conventionnelle – Cas des salariés affectés aux équipes de suppléance – Applicabilité des dispositions du code du travail régissant le temps partiel – Rejet.

La fédération requérante demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la ministre du travail portant extension d’un accord relatif aux équipes de suppléance conclu dans le cadre de la convention collective nationale de la plasturgie, en tant qu’il décide que l’une des dispositions de son annexe V est étendue « sous réserve de l'application des dispositions relatives au temps partiel aux salariés travaillant en équipe de suppléance, dès lors que le travail effectué est à temps partiel au sens de l'article L. 3123-1 du code du travail ».

Les équipes de suppléance, dont les membres ne peuvent avoir droit à congé hebdomadaire qu’en dehors du dimanche, sont destinées à remplacer leurs collègues au moment de leur repos hebdomadaire.

Le Conseil d’Etat rejette le recours en rappelant que selon l’article L. 3123-1 précité est à temps partiel le salarié dont la durée de travail est inférieure soit à la durée légale du travail prévue par la loi soit, lorsque la convention collective fixe une durée inférieure à la durée légale, lorsque son temps de travail est inférieur à celui fixé conventionnellement.

La convention collective nationale de la plasturgie prévoit, d’une part, que la durée hebdomadaire du travail est, conformément à la loi, de trente-cinq heures dans la branche, d’autre part, que « la durée quotidienne de travail des salariés affectés aux équipes de suppléance est de douze heures maximum (…) lorsque la durée de la période de recours à ces équipes n'excède pas quarante-huit heures consécutives ». 

La durée de travail des salariés d’équipes de suppléance est donc inférieure à la durée légale, sans que puisse y faire obstacle la circonstance que ces salariés sont amenés, parfois, à travailler à temps plein. Il suit de là que leur sont applicables, contrairement à ce que soutient la fédération syndicale requérante, les dispositions légales qui régissent le travail à temps partiel.

(3 décembre 2020, Fédération de la plasturgie et des composites, n° 427860)

 

133 - Logement social – Examen des candidatures à l’attribution d’un logement social – Commission créée par un accord entre le préfet et les organismes disposant d’un parc de logements sociaux – Décisions déclarant une personne prioritaire en vue de l’attribution d’un tel logement ou lui refusant cette qualité – Étendue du contrôle exercé par le juge administratif sur ces décisions – Contrôle plein et entier – Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la juridiction qui n’exerce sur la décision d’une commission chargée de déterminer le caractère prioritaire, ou non, d’une candidature à un logement social, qu’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, qui n’est qu’un contrôle restreint, alors qu’il lui incombe d’exercer sur une telle décision un contrôle plein et entier d’excès de pouvoir.

(23 décembre 2020, M. B., n° 428196)

 

134 - Transports publics – SNCF – Continuité du service public – Grève - Plan de prévisibilité de perturbations de trafic – Régime juridique – Détermination des catégories d’agents soumis à l’obligation de déclaration individuelle – Choix de ces catégories – Rejet.

Les fédérations requérantes demandaient l’annulation de la décision du 15 janvier 2019 du directeur de la cohésion et des ressources humaines du groupe public ferroviaire portant mise en oeuvre des dispositions de la loi du 21 août 2007 relative au dialogue social et à la continuité du service public en ce que cette décision a modifié, en étendant de trois à seize catégories d'agents, la liste des salariés qui sont tenus de faire connaître à leur employeur, la SNCF, SNCF Réseau ou SNCF Mobilités, leur intention de participer à une grève, telle qu'elle résultait du plan de prévisibilité initialement défini par l'employeur le 30 mai 2008, sur le fondement de l'article L. 1222-7 du code des transports. 

Les moyens de légalité interne retiennent surtout l’attention et cela sur trois points.

Était tout d’abord critiquée une extension du nombre de catégories d’agents soumis à l'obligation d'informer, au moyen d’une déclaration d’intention, le chef d'entreprise ou la personne désignée par lui, au plus tard quarante-huit heures à l'avance, de leur intention de participer à une grève sans que ces catégories aient été définies avec une précision suffisante. Le Conseil d’État, s’il ne conteste pas une certaine imprécision quant à la désignation de leur lieu d'affectation ou à la mention des métier, fonction et niveau de compétence ou de qualification, rejette cependant le grief car « il ressort des pièces des dossiers que leur désignation sous cette forme n'a pas fait obstacle à l'identification des agents auxquels elles se rapportaient et à leur examen lors de la négociation collective ». La motivation nous semble quelque peu sibylline.

Ensuite était contesté le bien-fondé du choix des catégories d’agents soumises à l’obligation de déclaration d’intention, le principe posé par le Conseil constitutionnel (16 août 2007, Loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, n° 2007-556 DC) étant qu’il ne peut s’agir que des seuls salariés dont la présence détermine directement l'offre de services. Le juge décide qu’il en est bien ainsi en l’espèce après avoir examiné les caractéristiques des catégories litigieuses.

Enfin, concernant la déclaration individuelle d’intention de participer à une grève, aucune des critiques d’illégalité faites par les fédérations requérantes (choix par l’entreprise de deux seulement des cinq modalités prévues par l’accord collectif de prévisibilité des entreprises de transports ; prise en charge, en cas de déclaration téléphonique, par une plate-forme) n’est retenue.

(23 décembre 2020, Fédération des syndicats des travailleurs du rail - Sud Rail, n° 428717 ; Fédération nationale des travailleurs cadres et techniciens des chemins de fers français (Fédération CGT des cheminots), n° 428867, deux espèces, jonction)

 

135 - Droit de l’Union européenne – Allégements de cotisations salariales des pêcheurs – Qualification par la Commission européenne comme aides d’État incompatibles avec le marché commun – Récupération des aides par l’État français – Invalidité de la décision de la Commission constatée par la CJUE sur renvoi préjudiciel du Conseil d’État – Régime du remboursement du principal et des intérêts.

La Commission européenne avait considéré, dans une décision du 14 juillet 2004, que les allègements de charges sociales consentis par la France aux pêcheurs afin de remédier aux dommages causés par le naufrage du navire Erika le 12 décembre 1999 et par la tempête des 27 et 28 décembre 1999 constituaient des aides d’État incompatibles avec le marché commun et en a ordonné la récupération immédiate. La CJCE a constaté le manquement de la France à ses obligations pour n’avoir pas récupéré les aides illégales versées aux pêcheurs. En conséquence, a été émis un titre de perception à l’encontre de la compagnie requérante assorti des intérêts de retard. Ce titre de perception a été annulé, à la demande de la Compagnie des Pêches de Saint-Malo par le tribunal administratif et cette annulation a été confirmée en appel. Le ministre de l’agriculture s’est pourvu contre cet arrêt.

Le Conseil d’État a saisi la CJUE d’un renvoi préjudiciel.

Au terme de celui-ci, la Cour a jugé (17 septembre 2020, Compagnie des Pêches de Saint-Malo, aff. C-212/19) que la décision de la Commission, rendue en 2004, était invalide en raison de son erreur de droit ayant consisté à considérer que les allègements de cotisations salariales en cause étaient des mesures procurant un avantage aux entreprises de pêche en ce qu'elles auraient été dispensées de certaines charges qu'elles auraient normalement dû supporter alors que, les cotisations salariales n'étant pas supportées par les entreprises en leur qualité d'employeur, mais étant à la charge des salariés, ces derniers sont les bénéficiaires effectifs de ces allègements.

Tirant les conséquences de cet arrêt, le Conseil d’État juge illégal le titre de perception litigieux et ordonne la restitution du montant des allègements de cotisations salariales ainsi que le versement d’intérêts de retard dans les conditions de l’art. 1231-6 (ex.- 1153), du Code civil.

(30 décembre 2020, Compagnie des pêches de Saint-Malo et ministre de l’agriculture, n° 411507)

(136) Voir, identiques : 30 décembre 2020, Compagnie française du thon océanique, n° 411537 ; 30 décembre 2020, Société Armement Dhellemmes et ministre de l'agriculture et de l'alimentation, n° 411539 ; 30 décembre 2020, Société Scapêche Bretagne ouest et ministre de l'agriculture et de l'alimentation, n° 411540 ; 30 décembre 2020, Société Armement bigouden et ministre de l'agriculture et de l'alimentation, n° 4115405 ; 30 décembre 2020, Société Saupiquet et ministre de l'agriculture et de l'alimentation, n° 411547.

 

137 - Licenciement d’un salarié protégé – Autorisation préalable obligatoire de l’inspection du travail – Éléments susceptibles d’être pris en considération par cette dernière dans l’appréciation de l’adéquation de la faute à la sanction – Cas des antécédents disciplinaires – Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la juridiction qui pour dire irrégulière l’autorisation de licenciement d’un salarié protégé accordée par l’inspecteur du travail, retient que pour apprécier l’adéquation de la sanction à la gravité de la faute, celui-ci a, notamment, tenu compte de ses antécédents disciplinaires alors qu'ils n'ont pas donné lieu à sanction.

(29 décembre 2020, Société Groupe Services France (GSF), n° 427509)

(138) V. aussi, concernant la même entreprise, approuvant les juges du fond d’avoir estimé, sans erreur de droit ni de qualification juridique des faits, que la faute commise par un comptable n’était pas d’une gravité suffisante pour permettre de justifier son licenciement : 29 décembre 2020, Société Groupe Services France (GSF), n° 427511 ; Société Groupe Services France (GSF), n° 427512, deux espèces.

 

Élections – Financement de la vie politique

 

139 - Élections municipales du 15 mars 2020 – Dépouillement hors la présence d’électeurs – Procès-verbal des opérations électorales établi en dehors de la salle et sans présence du public – Irrégularités entraînant l’annulation.

Doivent être annulées en leur totalité des opérations électorales municipales au terme desquelles il a été procédé au dépouillement des enveloppes et à la rédaction du procès-verbal hors la présence du public, laquelle n’était pas – même réduite pour cause d’épidémie – impossible.

Cette annulation est prononcée alors même qu’aucune réclamation n’a été portée au procès-verbal et que ces irrégularités ne sont constitutives ni d’une fraude ou tentative ni de manœuvres.

(11 décembre 2020, Mme G. et autres, n° 445424)

(140) V. aussi, relatif à d’autres sortes d’irrégularités et rejetant le recours : 30 décembre 2020, Élections municipales de Mont-Saint-Jean, n° 444891.

 

141 - Élections du maire, de ses adjoints et d’un maire délégué – Recours en annulation – Mémoire en intervention de la commune – Irrecevabilité – Rejet.

Il résulte des dispositions combinées des art. L. 248 et L. 250 du code électoral que, dans un contentieux électoral, faute de justifier d'un intérêt propre, une commune ne peut avoir, quand bien même elle aurait été mise en cause dans l'instance, ni la qualité de partie, ni celle d'intervenant, ce qui rend irrecevable son intervention dans la procédure.

(30 décembre 2020, Élections du maire, de ses adjoints et d’un maire délégué de la commune de Theix-Noyalo, n° 445050)

 

142 - Élections municipales du 15 mars 2020 – Taux d’abstention très élevé – Crainte du Coronavirus – Commissariat de police fermé rendant difficiles les procurations – Atteinte à la sincérité du scrutin – Rejet.

Saisi de protestations contre les résultats de l’élection municipale s’étant déroulée dans une commune du Var en période d’épidémie, le Conseil d’État les rejette en dépit d’un taux d’abstention très élevé, des difficultés à établir et à transmettre des procurations du fait de la fermeture du commissariat de police, de l’absence d’un grand nombre de personnes âgées parmi les participants au scrutin, aucun de ces éléments pris séparément et tous ensemble ne permettant pas d’établir qu’il a été ainsi porté atteinte à la sincérité du scrutin.

(16 décembre 2020, Élections municipales de Sanary-sur-Mer, n° 442351)

(143) V. aussi, assez semblable : 29 décembre 2020, Élections municipales de Dannemarie, n° 443688.

(144) V. également, voisin mais où l’argument du niveau du taux d’abstention était faible : 29 décembre 2020, Élections municipales de Saint-Chély d’Apcher, n° 442566.

(145) V. encore, à propos de cette commune, le rejet du grief tiré de ce qu’une inéligibilité aurait été de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin : 29 décembre 2020, Élections municipales de Saint-Chély d’Apcher, n° 442928.

 

146 - Élections municipales – Jugement n’ayant ni modifié ni annulé les résultats – Impossibilité pour un protestataire non partie en première instance d’interjeter appel de ce jugement – Rejet.

Rappel d’une règle classique du contentieux électoral : lorsque le jugement modifie ou annule les résultats de l’élection tout électeur, même non protestataire en première instance, peut interjeter appel, en revanche lorsqu’il ne procède ni à leur modification ni à leur annulation, seuls peuvent former appel ceux des électeurs qui étaient déjà protestataires en première instance.

(29 décembre 2020, Élections municipales de Villers-Faucon, n° 445244)

 

147 - Élections municipales – Vote d’un électeur non inscrit sur la liste électorale – Méthode de l’annulation hypothétique – Absence de majorité absolue pour deux candidats proclamés élus à l’issue de premier tour – Annulation – Rejet.

Dans l’impossibilité de déterminer sur qui s’est porté le suffrage d’une personne ayant voté alors qu’elle n’était pas inscrite sur la liste électorale de la commune, il convient de retrancher hypothétiquement une voix à chacun des candidats parmi celles qu’il a obtenues. En l’espèce, où la majorité requise pour être élu au premier tour était de 127 voix, deux candidats proclamés élus ne disposait plus, chacun, après déduction hypothétique, que de 126 voix : leur élection a été à bon droit annulée par le tribunal administratif.

(29 décembre 2020, Élections municipales de Nogent-sur-Eure, n° 445256)

 

148 - Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre – Élections des membres du bureau – Élections devant suivre le renouvellement général des conseils municipaux - Désignation non concomitante du président et des vice-présidents – Absence d’irrégularité – Rejet.

De ce que les dispositions de l’art. L. 5211-6 du CGCT prévoient que l'ordre du jour de la première réunion de l'organe délibérant des EPCI  à fiscalité propre suivant le renouvellement général des conseils municipaux doit comporter l'élection du président et celle des vice-présidents et des autres membres du bureau, il n'en résulte pas que la régularité de l'élection du président serait subordonnée à la condition qu'il soit effectivement procédé, au cours de la même séance, au scrutin portant sur l'élection des vice-présidents et des autres membres du bureau, ces différents scrutins demeurant distincts les uns des autres.

(29 décembre 2020, Election du président de Grenoble-Alpes Métropole, n° 443524)

 

Environnement

 

149 - Projets soumis à évaluation environnementale – Organisation d’une concertation préalable sous l’égide d’un garant – Substitution, à titre expérimental, d’une participation du public par voie électronique à l’enquête publique –– Absence de motif à renvoyer une QPC – Rejet.

Les recours tendaient à l’annulation du décret du 24 décembre 2018 pris en application des articles 56 et 57 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance car, d’une part, ces articles législatifs seraient inconstitutionnels entachant de ce fait la légalité du décret qui les applique et, d’autre part, ce décret serait lui-même entaché d’illégalités.

Étaient encore demandés, dans ce cadre juridique, les renvois d’une QPC dirigée contre la loi et d’une question préjudicielle à la CJUE sur la compatibilité du décret attaqué tant avec les objectifs de la convention d’Aarhus qu’avec la directive du 13 décembre 2011, concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement et modifiée en 2014, afin de garantir la participation effective du public à un stade précoce des procédures décisionnelles.

L’art. 56 de la loi de 2018 permet à titre expérimental, dans certaines régions et pour une durée limitée, que la procédure de délivrance de l'autorisation environnementale, lorsque le projet a donné lieu à une concertation préalable sous l'égide d'un garant puisse être remplacée par une participation du public par voie électronique.

Examinant les différents moyens, le juge les rejette tous.

Tout d’abord, n’est pas retenue la demande de renvoi d’une QPC dès lors :

1° que l’institution d’une procédure expérimentale est prévue à l’art. 37-1 de la Constitution et que, le juge ajoutant cette double condition ici, l'objet et les conditions de cette expérimentation sont définis de façon suffisamment précise et ne méconnaissent pas les autres exigences de valeur constitutionnelle, comme c’est le cas de l’art. 56 attaqué ;

2° qu’eu égard aux conditions dans lesquelles la concertation préalable est organisée, au rôle du garant et aux conditions de la participation du public par voie électronique, il n’est pas porté atteinte à l’art. 7 de la Charte de l’environnement ;

3° que l’ensemble de la procédure ainsi organisée ne prive pas les personnes intéressées d'exercer un recours contre les autorisations environnementales prises dans le cadre de l'expérimentation, y compris en référé, il n’est pas, non plus, porté atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789.

Ensuite, s’agissant du contenu du décret

Le juge rejette l’argument de méconnaissance de la directive du 13 décembre 2011 en ce qu’il ne prévoirait pas pour la procédure de participation du public un tiers indépendant analogue au commissaire-enquêteur existant dans d’autres procédures, un tel tiers n’étant pas prévu par le droit de l’Union.

Il considère par ailleurs  « que les dispositions législatives et réglementaires critiquées organisent un ensemble de modalités qui offrent au public concerné une possibilité effective d'exercer ses droits à l'information et à la participation au processus décisionnel portant sur la demande d'autorisation environnementale faisant l'objet de l'expérimentation en cause, y compris lorsqu'il ne dispose pas personnellement d'une connexion internet ou n'est pas familier avec l'usage de cette technologie ».

De là découle également la non-contrariété de cette procédure aux art. 1er, 3 et 6 § 7 de la convention d’Aarhus contrairement à ce que soutenaient les requérantes.

(17 décembre 2020, Association Fédération environnement durable et autres, n° 427389 ; Association Greenpeace France, n° 428380, jonction)

 

150 - Installation d’éoliennes – Évaluation environnementale – Exigences jurisprudentielles tirées de l’art. 6 de la directive du 27 juin 2001 – Même direction régionale ayant instruit la demande d’autorisation et préparé l’avis de l’autorité environnementale – Absence d’autonomie réelle – Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit l’arrêt qui juge respectées les exigences de l’art. 6 de la directive européenne du 27 juin 2001 (concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement) modifiée par celle du 13 décembre 2001, telle qu’interprétée par le juge européen (CJUE 20 octobre 2011, Department of the Environment for Northern Ireland contre Seaport (NI) Ltd et autres, aff. C-474/10) à l’occasion de l’autorisation d’implantation de cinq éoliennes et de deux postes de livraison alors que si l'avis de l'autorité environnementale avait été émis par le préfet de région et la décision attaquée avait été prise par le préfet de département, l’un et l’autre avaient été, le premier préparé et la seconde instruite par la même direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement.

Les deux procédures étaient donc sans autonomie réelle, en particulier l’avis de l’autorité gouvernementale, en contravention avec les dispositions de l’art. 6 précité.

(30 décembre 2020, Association Les Robins des bois de la Margeride, n° 439753)

 

151 - Oiseaux sauvages – Espèce en mauvais état de conservation – Classée en catégorie vulnérable - Cas du courlis cendré – Chasse autorisée à nouveau à partir de 2012 sur le domaine public maritime – Absence d’élément scientifique justifiant une telle reprise – Violation des art. L. 424-1 et R. 424-14, du code l’environnement – Méconnaissance des objectifs de la directive du 30 novembre 2009 – Annulation.

L'arrêté du ministre de la transition écologique et solidaire du 31 juillet 2019 relatif à la chasse du courlis cendré en France métropolitaine pour la saison 2019-2020 est annulé à raison de son illégalité en ce qu’il autorise la chasse au courlis cendré alors que cet oiseau figure dans la liste officielle des oiseaux sauvages (B de l’annexe I à la directive du 30 novembre 2009), que cette espèce est en mauvais état de conservation, que le courlis cendré appartient à la catégorie des oiseaux vulnérables et que l’absence de données scientifiques disponibles sur cette espèce et sa conservation ne permettent pas de s'assurer que la chasse est compatible avec le maintien de la population et respecte une régulation équilibrée de l'espèce du point de vue écologique.

Au surplus, le ministre défendeur ne fournit aucun élément scientifique de nature à justifier sa décision en dépit des données contraires susmentionnées.

(17 décembre 2020, Association LPO France, n° 433432)

 

152 - Projet de travaux affectant l’environnement animal ou végétal – Interdiction de principe – Conditions restrictives de dérogation – Projet d’aménagement de la déviation d’une route départementale – Rejet.

Dans la présente affaire il est fait le rappel d’une jurisprudence bien établie concernant la réalisation de travaux susceptibles d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales et de leurs habitats.

Les requérants contestaient la légalité de l’arrêté préfectoral autorisant un département à réaliser et à exploiter les ouvrages et aménagements rendus nécessaires par la déviation d’un tronçon de route départementale et, pour ce faire, à déroger à l'interdiction de destructions d'espèces et d'habitats d'espèces animales protégées et de destruction d'espèces végétales protégées.  Leur demande de suspension ayant été rejetée en première instance, ils se pourvoient, en vain, le Conseil d’État rejetant leur demande.

Celui-ci rappelle les principes méthodologiques qu’il convient de mettre en œuvre en pareil cas.

En principe, il résulte des art. L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement qu'un projet de travaux, d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé.

Toutefois, à titre dérogatoire, un tel projet peut être réalisé :

1° positivement, que s'il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, tels que notamment le projet urbain dans lequel il s'inscrit, à une raison impérative d'intérêt public majeur ;

2° négativement, si, d’une part, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et si, d'autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

Appliquant aux faits de l’espèce cette ligne méthodologique, le juge de cassation, comme le premier juge, relève que l’ensemble des conditions susrappelées ayant été respectées par les autorités chargées de ce dossier, aucun doute sérieux n’existe concernant la légalité de l’arrêté préfectoral attaqué.

(ord. réf. 17 décembre 2020, Association Natur'Jalles, n° 439201)

 

153 - Forêts – Forêts de protection – Régime spécial applicable à ces forêts – Décret du 6 avril 2018 – Dispositions relatives aux fouilles et sondages archéologiques ainsi qu’à la recherche et à l'exploitation souterraine de gisements d'intérêt national de gypse – Absence d’illégalité sauf sur un point – Annulation très partielle.

La requérante poursuivait l’annulation du décret du 6 avril 2018 en celles de ses dispositions relatives, d’une part, aux fouilles et sondages archéologiques et, d’autre part, à la recherche et à l'exploitation souterraine de gisements d'intérêt national de gypse. Il soutenait qu’il était ainsi porté atteinte au principe de protection des forêts placées sous ce régime, à la destination forestière des terrains, à la fixation à six hectares des périmètres de recherche et d’exploitation des gisements de gypse, au principe de non-régression (art. L. 110-1 c. environnement.).

Le Conseil d’État rejette le recours pour l’essentiel. Il estime que les précautions prises, les limitations et les contrôles imposés, la surveillance constante par le préfet, l’absence de nouvelle limitation du droit de propriété, etc. excluent tout grief d’illégalité.

Sur un point cependant, le recours est admis car le Conseil d’État juge que le deuxième alinéa du nouvel article R. 141-38-4 du code forestier, en tant qu’il prévoit que les prescriptions que le préfet peut imposer à une opération de fouille ou de sondage autorisée avant le classement, lorsque ces prescriptions se révèlent nécessaires compte tenu de l'incidence de l'opération sur la stabilité des sols, la végétation forestière ou les écosystèmes forestiers, doivent être « proportionnées afin de ne pas compromettre l'opération ». En effet, le décret est, sur ce point, illégal : il n’impose une condition de proportionnalité qu’au regard des seuls besoins de l'opération de fouille ou de sondage et méconnaît la nécessité de veiller aussi à ne pas compromettre la conservation ou la protection des boisements (cf. art. L. 141-2 du code forestier).

(18 décembre 2020, Association Forestiers du monde, n° 424290)

 

154 - Nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement – Décret modificatif de cette nomenclature – Fixation des seuils de soumission à un régime d’autorisation – Atteinte au principe de non-régression – Rejet sauf sur un point.

Par ces deux recours joints était demandée, pour l’essentiel, l’annulation d’un décret du 22 octobre 2018 modifiant la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement, spécialement en tant qu'il modifie les rubriques 2120, 2140, 2220, 2260, 2515-1 et 2731-3 de la nomenclature en fixant des seuils inadaptés de soumission au régime de l'autorisation.

La totalité des griefs de légalité externe est rejetée ainsi que la plupart des griefs touchant à la légalité interne.

Ainsi, est notamment rejeté l’argument tiré de la méconnaissance par le décret attaqué de la directive européenne du 13 décembre 2011 relative à l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement en ce qu'il soumet des activités au régime de l'enregistrement prévu aux articles L. 512-7 et suivants du code de l’environnement, alors que l'examen au cas par cas de la nécessité d'une évaluation environnementale que comporte ce régime ne satisfait pas aux objectifs de cette directive, d'une part, parce que cet examen est effectué par le préfet par ailleurs compétent pour statuer sur la demande d'autorisation, d'autre part, parce ce qu'il ne prend pas en compte l'ensemble des critères définis dans l'annexe III de la directive, visant à déterminer si le projet d'exploitation doit faire l'objet d'une évaluation de ses incidences sur l'environnement. Le Conseil d’État rejette donc la question préjudicielle qu’il lui était demandée de ce chef de renvoyer à la CJUE

Semblablement, contrairement à ce qui était soutenu devant lui, le juge estime que le décret attaqué ne méconnaît pas le principe de non-régression de la protection de l’environnement en soumettant au régime de l'enregistrement des installations jusqu'alors soumises au régime de l'autorisation.

Toutefois, le juge impose en ce cas que soit rapportée la preuve que les projets ainsi nouvellement exemptés de toute évaluation environnementale ne sont pas susceptibles, eu égard à leur nature, à leurs dimensions et à leur localisation et compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine.

C’est précisément sur ce point qu’est prononcée une annulation dans la mesure où l’administration n’a pas fait état, s’agissant du tableau annexé à l’art. R. 122-2  du code de l’environnement, d'éléments permettant d'établir que ces installations ne font pas courir de risque à l'environnement ou à la santé humaine ou que la nature d'un tel risque a changé ou que la procédure de déclaration, exempte de toute évaluation environnementale, offrirait une protection équivalente à celle qu'assurait la procédure d'autorisation.

(29 décembre 2020, Association One Voice, n° 426528 ; Association France Nature Environnement, n° 429429, jonction)

(155) V. aussi, voisin mais rejetant le recours : 30 décembre 2020, Association Celene, n° 440144.

 

156 - Délimitation des zones vulnérables aux pollution par les nitrates – Procédure précédant l’arrêté préfectoral de délimitation – Phase d’élaboration d’un projet de concertation – Phase de consultation sur le projet de délimitation des zones vulnérables – Représentation des organisations professionnelles agricoles – Entités distinctes des chambres d’agriculture – Rejet.

Ne commet pas d’erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge qu’au cours  de la procédure d'élaboration de l'arrêté par lequel le préfet coordonnateur de bassin procède à la délimitation des zones vulnérables aux pollutions par les nitrates si les organisations professionnelles agricoles sont représentées en tant que telles lors de la première phase de cette procédure, c’est-à-dire la phase d'élaboration d'un projet en concertation, en revanche elles ne le sont pas au cours de la seconde phase, celle de consultation portant sur le projet de délimitation des zones vulnérables car les organisations professionnelles agricoles, bien que représentées au sein des chambres d'agriculture ne peuvent être assimilées à ces dernières pour la mise en oeuvre de cette procédure dès lors que les chambres d'agriculture constituent des organismes professionnels distincts des organisations professionnelles agricoles.

L’absence de consultation de ces dernières les a privées d'une garantie et a donc été susceptible d'exercer une influence sur le sens de l'arrêté contesté, d’où le bien-fondé de son annulation.

(29 décembre 2020, Ministre de la transition écologique c/ commune de Rambaud et autres, n° 431544)

 

État-civil et nationalité

 

157 - Acquisition de la nationalité française – Date d’appréciation des faits – Refus d’octroi – Rejet.

Reconnaissant comme d’ordinaire un large pouvoir d’appréciation aux autorités compétentes, le Conseil d’État estime dans le présent dossier de refus d’octroi de la nationalité française, d’une part, que le refus peut être fondé sur des faits antérieurs à la date à laquelle le préfet primitivement saisi a opposé un refus à cette demande, d’autre part,  que la circonstance que le demandeur était, à la date de la décision attaquée, débiteur envers son bailleur et alors même qu’il respectait l'échéancier de remboursement fixé par le juge judiciaire justifiait le refus opposé.

La solution est sévère à en juger par son motif.

(14 décembre 2020, M. A., n° 432778)

(158) V. aussi, pour un rejet de refus d’octroi de la nationalité à une personne ayant commis plusieurs condamnations pénales assorties de peines d’emprisonnement : 14 décembre 2020, Mme B., n° 443466 ou encore, très voisin : 18 décembre 2020, M. B., n° 440365.

(159) V. également, relatifs au rejet d’un recours contre le décret retirant la nationalité française :

- à un ressortissant égyptien qui n’avait pas signalé à l’administration l’existence d’une union qui avait été verbalement dissoute en Égypte ainsi que des six enfants nés de cette union : 14 décembre 2020, M. B., n° 439163.

- à un ressortissant comorien pour déclaration mensongère sur sa situation familiale : 14 décembre 2020, M. A., n° 440975 ;

- semblablement pour une ressortissante tunisienne : 14 décembre 2020, Mme A., n° 441987 ;

- à un ressortissant ivoirien prétendant qu’il ignorait avoir des enfants au moment de sa déclaration alors que certains ont été reconnus par lui antérieurement à la date de cette déclaration : 14 décembre 2020, M. A., n° 441193.

- à un ressortissant algérien ayant dissimulé sa situation familiale réelle : 18 décembre 2020, M. A., n° 441137 ;

 

160 - Français ayant une nationalité étrangère – Demande de libération de ses liens d’allégeance avec la France – Décision administrative individuelle notifiée à son destinataire ou dont celui-ci a eu connaissance – Délai raisonnable de recours contentieux – Délai fixé de façon prétorienne à trois ans à compter de la publication du décret ou de la date de la majorité du requérant – Condition non remplie - Rejet.

Combinant le principe de sécurité juridique et celui du régime des recours contre une décision administrative individuelle dépourvue d’indications relatives aux voies et délais du recours contentieux dont elle pourrait faire l’objet, le Conseil d’État rappelle la solution prétorienne consistant à enfermer le recours dans un délai raisonnable lequel a, ici, une durée de trois ans décomptée à partir de la date de publication du décret ou, si elle est plus favorable, à compter de l’âge de la majorité.

Ce délai était largement expiré dans cette affaire, d’où le rejet.

(18 décembre 2020, Mme C., n° 440336)

(161) V. aussi, très semblable : 18 décembre 2020, Mme D., n° 440337.

 

Fonction publique et agents publics

 

162 - Fonctionnaires – Nouvelle bonification indiciaire (NBI) – Conditions d’attribution (loi du 18 janvier 1991, art. 27) – Intégration dans le corps des adjoints administratifs – Refus d’attribution de la NBI – Recours contentieux rejetés – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Intégrée en 2007 dans le corps des adjoints administratifs, la requérante s’est vu opposer un refus à sa demande d’attribution de la NBI. Elle a saisi en vain le tribunal administratif et la cour administrative d’appel ; elle se pourvoit.

Le Conseil d’Etat énonce d’abord un principe important et souvent inaperçu en raison de que la NBI est versée dans la limite des crédits disponibles, de ce qu’est plafonné le nombre maximum d’emplois pouvant en bénéficier et, surtout, de ce qu’elle est répartie (pour ne pas écrire « éclatée ») par cadres et par départements : l’octroi de la NBI est soumis au principe d’égalité. D’où cette conséquence qu’énonce le juge : « (…) les agents qui occupent effectivement des emplois correspondant aux fonctions ouvrant droit à la nouvelle bonification indiciaire et qui comportent la même responsabilité ou la même technicité particulières bénéficient de la même bonification ».

Les premiers juges, pour rejeter la requête dont ils étaient saisis, ont considéré que l’arrêté interministériel contesté par la requérante n'avait pas fixé d'emplois d'adjoint administratif susceptibles de bénéficier de la nouvelle bonification indiciaire dans le département de la Haute-Garonne. Etait ainsi commise une erreur de droit car les juges devaient rechercher si ce refus était justifié par une différence objective dans l'exercice des fonctions, en termes de responsabilité ou de technicité particulières, avec les autres agents occupant un emploi comparable dans d'autres départements.

(2 décembre 2020, Mme D., n° 430745)

 

163 - Ouvriers de l’Etat – Emploi sur une base militaire – Validation de trimestres pour le calcul du droit à pension – Trimestres réputés cotisés en période de chômage – Limitation de leur nombre à quatre – Erreur de droit – Cassation dans cette mesure avec renvoi.

Commet une erreur de droit le jugement qui, pour déterminer le nombre total de trimestres cotisés par une ouvrière de l’Etat en vue de la constitution de ses droits à pension, retient huit trimestres comme validés au titre d’une période de chômage alors que le 6° du II de l’art. D. 16-2 du code des pensions civiles et militaires de retraite limite à quatre au maximum le nombre de trimestres pouvant être pris en compte à ce titre.

(2 décembre 2020, Mme A., n° 437941)

 

164 - Surveillants pénitentiaires – Demande d’un syndicat de surveillants de participer à la consultation en vue des campagnes de mobilité – Injonction en ce sens par le juge du référé liberté – Confirmation par le juge d’appel en l’état d’une atteinte à une liberté fondamentale et alors qu’il y a urgence.

Un syndicat des agents pénitentiaires a demandé à être associé, comme d’autres syndicats, aux réunions au cours desquelles sont discutées les candidatures à l’un des emplois de surveillant pénitentiaire ouvert à la mutation.

Du fait de la suppression du rôle des commissions administratives paritaires en matière de mutation par la loi du 6 août 2019, où siégeaient les représentants syndicaux, il a été décidé, à titre transitoire, de consulter de manière informelle les organisations syndicales représentées au comité technique ministériel. Pour cela, ont été regardées comme représentatives les organisations syndicales disposant d'au moins un siège au sein du comité technique ministériel ou de tout autre comité technique dont relève l'agent. Or le syndicat requérant en première instance,  le syndicat pénitentiaire des surveillants non gradés, qui dispose d'un siège au comité technique de l'administration pénitentiaire, n’a pas été invité à participer.

Alors même qu’il instituait une procédure spontanée de consultation, le garde des sceaux ne pouvait se dispenser de respecter le principe d’égalité en réservant le bénéfice des informations individuelles relatives à la mutation des surveillants à une partie seulement des organisations syndicales membres du comité technique ministériel ou du comité technique de l'administration pénitentiaire. Le garde des sceaux a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale et au principe de non-discrimination entre organisations syndicales, qui ont le caractère de libertés fondamentales au sens et pour l’application de l'article L. 521-2 du CJA. 

(2 décembre 2020, Ministre de la justice, n° 446507)

 

165 - Fonctionnaire militaire radié des cadres sur sa demande – Intégration dans le corps des agents techniques du ministère de la défense – Régime du reclassement – Application du régime le plus favorable – Rejet.

Ne commet pas d’erreur de droit ni ne dénature les pièces du dossier qui lui était soumis la cour administrative d’appel qui juge qu’un militaire radié, sur sa demande, des cadres de l'armée à compter de la date de sa nomination dans le corps des agents techniques du ministère de la défense, doit être reclassé dans celui-ci sur le fondement des règles fixées par l'article R. 4139-5 du code de la défense, auxquelles renvoie le II de l'article 4 du décret du 29 septembre 2005, et non, comme le soutient la ministre défenderesse, en application de celles de l'article 5 de ce décret, qui étaient applicables aux anciens militaires et qui lui étaient moins favorables et en en déduisant que l'intéressé pouvait ainsi bénéficier de la conservation, à titre personnel, de son traitement antérieur en application des dispositions du dernier alinéa de l'article R. 4139-5 du code de la défense.

(18 décembre 2020, Ministre des armées, n° 433781)

 

166 - Enseignante-stagiaire – Agent inspecté durant l’année probatoire imputant l’apparition d’un syndrome anxio-dépressif à cette inspection – Imputabilité au service de la maladie – Rejet.

Pour confirmer le jugement rejetant l’imputabilité au service du syndrome dépressif dont se plaint une enseignante stagiaire qui l’attribue à l’inspection dont elle a fait l’objet pendant son temps de probation, le Conseil d’Etat relève, notamment, des arrêts de travail antérieurs à l’inspection litigieuse et reposant sur le même motif médical ainsi que l’avis d’un expert psychiatrique estimant que l’état dépressif ne pouvait pas être la conséquence de l’inspection.

(3 décembre 2020, Mme B., n° 429611)

 

167 - Secrétaire général d’un établissement public administratif – Condamnation pénale – Interdiction d’exercer un emploi public – Reclassement impossible – Annulation de la radiation de cet agent – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Le secrétaire général d’une chambre départementale des métiers et de l’artisanat, qui est un établissement public administratif, est condamné par un jugement correctionnel assorti de l’exécution provisoire, pour détournement de fonds publics par une personne chargée d'une mission de service public et prise illégale d'intérêt, à  une peine d'emprisonnement avec sursis, à une amende et à la peine complémentaire d'interdiction d'exercer pendant une durée d'un an l'activité professionnelle ayant permis la commission de l'infraction. Son employeur, la chambre des métiers, a mis fin à ses fonctions et l’a radié de ses effectifs. Il a, en outre, rejeté la demande de l’intéressé afin d’être réintégré à l’issue de la période d’interdiction.
Le juge de première instance a rejeté le recours formé contre cette décision mais la cour administrative d’appel a annulé ledit jugement. Elle a considéré tout d’abord que la condamnation pénale, bien qu'assortie de l'exécution provisoire, n'était pas définitive et, ensuite, que la peine complémentaire d'interdiction d'exercice pendant un an de l'activité professionnelle ayant permis la commission de l'infraction n'impliquait pas une rupture définitive et automatique de tout lien de l'intéressé avec le service ; une procédure disciplinaire pouvait, par exemple, être engagée contre lui à raison de ces faits.

Sur pourvoi de la chambre des métiers concernée, le Conseil d’État a annulé l’arrêt déféré à sa censure car, en premier lieu, « l'autorité administrative est tenue de tirer les conséquences que doit emporter la condamnation pénale exécutoire d'un agent à une peine d'interdiction d'exercer un emploi public, même en l'absence de disposition de son statut prévoyant cette hypothèse » et, en second lieu,  compte tenu de sa condamnation pour détournement de fonds publics par une personne chargée d'une mission de service public et prise illégale d'intérêt et de la nature de l'emploi de secrétaire général de l'établissement public qu'il occupait, l’intéressé ne pouvait bénéficier d'une mesure de reclassement sur un autre emploi au sein de la chambre quand bien même il aurait été suspendu en vue de l'exercice de poursuites disciplinaires.

La solution doit être approuvée.

(10 décembre 2020, Chambre des métiers et de l'artisanat des Vosges, n° 437034)

 

168 - Emploi supérieur à la décision du gouvernement – Directeur d’une agence régionale de santé (ARS) – Décret mettant fin à ses fonctions – Mesure prise en considération de la personne – Obligation d’informer l’intéressé préalablement à la décision le visant – Violation de la loi du 22 avril 1905, art. 65 – Annulation.

Si le pouvoir exécutif peut mettre à tout moment fin aux fonctions exercées dans un emploi supérieur à la décision du gouvernement, tel ici celui de directeur d’une ARS, une telle mesure, prise en considération de la personne, doit être précédée de la communication de son dossier à la personne révoquée.

Comme il l’avait déjà jugé, dans des conditions assez comparables à propos du limogeage express d’un recteur d’académie (26 février 2014, Roland Debbasch, n° 364153), le Conseil d’État considère que n’a pas été, en l’espèce, une information suffisante l’appel téléphonique à l’intéressé le matin où se déroulait un conseil des ministres qu’était inscrit à son ordre du jour un décret mettant fin à ses fonctions et nommant son successeur. Le Conseil d’État précise en outre que les éléments avancés par le ministre défendeur pour justifier cette précipitation (l'urgence qui se serait attachée à la cessation des fonctions de l'intéressé, en raison notamment du retentissement médiatique de certaines de ses déclarations ; les circonstances exceptionnelles liées à la crise sanitaire et le rôle dévolu à l'agence régionale de santé pour y faire face) ne pouvaient légalement le dispenser de fournir l’information préalable requise par la loi.

(10 décembre 2020, M. Christophe Lannelongue, n° 441035)

 

169 - Fonction publique territoriale et fonction publique hospitalière – Allocation temporaire d’invalidité – Alignement sur la fonction publique d’État – Détermination de l’éligibilité à ce régime et du taux applicable – Recours au barème indicatif du code des pensions civiles et militaires de retraite non à celui du code de la sécurité sociale – Rejet.

L’article L. 417-8 du code des communes maintenu expressément en vigueur par le III de l’art. 119 de la loi du 26 janvier 1984, dispose que les agents entrant dans le champ de ses dispositions peuvent bénéficier d'une allocation temporaire d'invalidité dans les mêmes conditions que celles requises pour les fonctionnaires de l'État.

Le Conseil d’État estime que l'article 5 du décret du 2 mai 2005, relatif à l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité aux fonctionnaires relevant de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière, doit être interprété à la lumière de l'article 1er du décret du 6 octobre 1960 applicable aux fonctionnaires de l'État.

Or ce dernier texte impose à l'administration de tenir compte du barème indicatif prévu à l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite à la fois pour déterminer l'éligibilité à l'allocation temporaire d'invalidité et pour le calcul de son montant. Par suite, l'administration, lorsqu'elle vérifie si les fonctionnaires justifiant se trouver dans les cas prévus aux b et c de l'article 2 du décret du 2 mai 2005 remplissent les conditions mentionnées aux articles L. 461-1 et L. 461-2 du code de la sécurité sociale afin de déterminer leur éligibilité à l'allocation temporaire d'invalidité, doit se référer au barème indicatif prévu à l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite, et non aux barèmes indicatifs prévus à l'article R. 434-32 du code de la sécurité sociale. 

La solution est claire, elle n’allait cependant pas de soi.

(18 décembre 2020, M. A., n° 436461)

 

170 - Fonctionnaires et agents publics – Président d’un office public de l'habitat (OPH) – Révocation accompagnée de sanctions complémentaires – Sanction devant être infligée dans un délai raisonnable – Cas en l’espèce – Rejet.

La présente décision innove en précisant que la sanction infligée à un agent public doit intervenir dans un « délai raisonnable » à partir du moment de la commission des actes qui fondent ladite sanction. Sans fixer cette durée raisonnable, le juge relève cependant dans la présente affaire, eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, que le délai d'un peu plus d'une année qui s'est écoulé entre la transmission de la proposition de l'agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS) et la sanction litigieuse n'a pas revêtu un caractère déraisonnable susceptible de l'entacher d'illégalité. D’où il faut déduire qu’en principe ce délai est d’un an.

(23 décembre 2020, M. A., n° 433666)

 

171 - Fonctionnaires – Mesures tendant à favoriser, par voie de détachement, la mobilité intra-fonctions publiques des fonctionnaires – Prise en compte des avancements d’échelon et de grade obtenus dans le cadre d’emplois de détachement – Bénéfice limité aux seules trois fonctions publiques françaises – Inapplication à un détachement dans la fonction publique européenne – Rejet.

A un attaché principal qui prétendait à l’issue de son détachement dans la fonction publique européenne, être reclassé au 10e échelon de son grade en application des dispositions de l’art. 14 de la loi du 13 juillet 1983, et de l’art. 45 de la loi du 11 janvier 1984 (dans version issue de l’art. 5 de la loi du 3 août 2009), il est rappelé que ces textes ne sont intervenus que pour favoriser la mobilité à l’intérieur de chacune des trois fonctions publiques françaises et entre elles non s’agissant, comme en l’espèce, d’une mobilité entre administrations française et européenne.

(29 décembre 2020, M. B., n° 426656)

 

172 - Pensions civiles et militaires de retraite – Majoration pour enfants – Absence de caractère distinct de la pension de retraite – Nature de « bien » au sens de la Convention EDH (1er protocole) – Règle de plafonnement prévue des pensions de retraite, en cas de cumul de la majoration pour enfants et de la surcote – Institution d’une différence injustifiée de traitement entre les fonctionnaires ayant élevé au moins trois enfants – Annulation.

Le Conseil d’État juge tout d’abord que la majoration dont bénéficient les fonctionnaires retraités ayant élevé au moins trois enfants ne constitue point un revenu distinct de la pension de retraite mais un mode de calcul de cette pension elle-même.

Ensuite, les fonctionnaires – comme tous les autres salariés - qui ont travaillé et cotisé au-delà du nombre de trimestres requis pour une pension à taux plein ont droit à une majoration dite « surcote » du montant de la pension, or le V de l’art. 18 du code des pensions institue un plafonnement du montant total de la pension. Lorsqu’un pensionné ayant élevé trois enfants bénéficie également d’une surcote, la règle de plafonnement a pour effet d’introduire une discrimination entre les pensionnés ayant élevé trois enfants selon qu’ils bénéficient ou non, en outre, d’une surcote., laquelle, au demeurant, n’est elle-même plus plafonnée depuis 2010. Cette différence de traitement est sans rapport avec l’objet de l’art. 18 du code des pensions qui est de compléter le montant de la pension pour tenir compte des charges exposées par le pensionné qui a élevé au moins trois enfants. Elle est donc contraire aux stipulations de l’art. 14 de la Convention EDH et doit être écartée.

Dans le cas d’espèce, le cumul de la majoration pour enfants et de la surcote a pour effet de porter le montant total de la retraite de l’intéressée à 114% de son dernier traitement d’activité.

(29 décembre 2020, Mme B., n° 428626)

 

Hiérarchie des normes

 

173 - Directive européenne du 11 décembre 2018 remplaçant la directive du 23 avril 2009 ayant même objet – Directive de 2018 n’ayant pas encore abrogé la précédente – Intervention d’une loi durant le délai de transposition de la directive de 2009 – Exception d’inconventionnalité – Moyen inopérant – Rejet.

La société requérante demandait l’annulation du décret n° 2019-570 du 7 juin 2019 portant sur la taxe incitative relative à l'incorporation des biocarburants au motif que, pris pour l’application de la loi du 28 décembre 2018, elle-même inconventionnelle, il était entaché d’illégalité. Pour opérer sa démonstration la requérante contestait par voie d’exception la conventionnalité de l’art. 192 de la loi de finances du 28 décembre 2018 qui dispose : « Ne sont pas considérés comme des biocarburants les produits à base d'huile de palme » (cf. dernier alinéa du B du V de l’art. 266 quindecies du code des douanes) au motif qu’il est incompatible avec la directive européenne du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables.

Pour rejeter l’argument, le Conseil d’État considère que si la directive du 11 décembre 2018 remplace celle, ayant le même objet, du 23 avril 2009, elle n’opère pas pour autant, à cette date, abrogation de cette dernière.

Celle-ci était donc encore en vigueur au moment où a été adoptée la loi du 28 décembre 2018 qui n’est pas incompatible avec elle. Par suite, le décret faisant application de ladite loi n’est pas non plus illégal par voie de conséquence.

Le moyen tiré de l’inconventionnalité de la loi de 2018 par rapport à la directive du 11 décembre 2018 est, par suite, inopérant.

La construction juridique est quelque peu échevelée et il reste à démontrer que cette loi est bien compatible avec la seconde des directives, contrairement à ce que soutient la société requérante.

On peut s’interroger sur le point de savoir si la CJUE a la même appréciation que le Conseil d’État sur l’agencement de la hiérarchie des normes applicables en l’espèce.

(31 décembre 2020, Société Total Raffinage France, n° 431589)

(174) V. aussi, à propos de ce même décret en tant qu'il met en oeuvre un taxe incitative affectée aux égouts pauvres issus des plantes sucrières et obtenus après deux extractions sucrières (« EP2 »), pour un quota de 0,2 % au titre de l'année 2019, et 0,4 % pour les années suivantes : 31 décembre 2020, Chambre syndicale française de la levure, n° 433330.

 

175 - Ordonnances de l’art. 38 de la Constitution – Régime contentieux de ces ordonnances à l’expiration du délai d’habilitation – Mesures législatives susceptibles d’une QPC au regard des droits et libertés garantis par la Constitution – Compétence du Conseil constitutionnel – Décisions administratives réglementaires pour le reste – Compétence du juge de droit commun et exclusion de la compétence du Conseil constitutionnel – Rejet.

L’occasion – voire le prétexte - de cette importante décision est fournie par un recours d’organisations syndicales tendant à l’annulation de l’ordonnance du 15 avril 2020 relative à la prise de jours de réduction du temps de travail ou de congés dans la fonction publique de l'Etat et la fonction publique territoriale au titre de la période d'urgence sanitaire. En bref, le pouvoir exécutif, par cette ordonnance, constatant que la période d’épidémie de Covid-19 avait pour effet de laisser sans travail ou avec une productivité réduite en cas de télétravail, tout en demeurant rémunérés, plusieurs millions de fonctionnaires et agents publics, a décidé d’obliger ces agents à imputer sur cette inactivité totale ou partielle un certain nombre de jours de réduction du temps de travail ou de congés.

Les requérantes contestent la légalité de ce texte au regard de la Constitution, de la Convention EDH et du droit de l’Union ; elles soulèvent également une QPC à son encontre.

Disons très brièvement, car ce n’est pas là l’intérêt principal de cette décision qui a justifié qu’elle ait été rendue en Assemblée du contentieux, que les recours sont rejetés.

La mesure prise ne relève pas d’une QPC car elle ne modifie pas le droit à congé et la durée ce celui-ci et n'assure pas une conciliation manifestement déséquilibrée entre l'intérêt du service et le droit au repos et aux loisirs que garantit le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

Elle ne constitue pas une discrimination à raison du sexe même si davantage de femmes que d’hommes ont été placées en position d’inactivité ou ont eu recours au télétravail.

Elle ne porte pas atteinte à un « bien » des intéressés au sens de l’art. 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH dans la double mesure où elle n’affecte point la durée et la substance du droit à congé et où elle se borne à imputer une faible partie de ceux-ci sur une période déterminée, celle de la période d’urgence sanitaire.

Enfin, la différence de traitement entre agents selon qu’ils sont en télétravail ou présents sur leur lieu de travail est en rapport avec l’objectif poursuivi et n’est pas manifestement disproportionnée.

L’intérêt majeur de cette affaire vient de ce qu’elle est relative à des recours dirigés contre une ordonnance pour laquelle le délai d’habilitation était expiré sans qu’elle ait été ratifiée par le Parlement. Or sur ce point, l’évolution récente de la jurisprudence du Conseil constitutionnel est venue jeter le trouble dans l’ordonnancement juridique et de cet imbroglio porte la trace la présente décision.

 

I.- Avant le séisme

 

Rappelons d’abord les termes de l’art. 38 de la Constitution :

« Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.

Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation. Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse.

A l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif ».

 

On a beaucoup glosé sur ce texte dont la rédaction est, en effet, perfectible. Outre la construction grammaticale et sémantique de l’art. 38, on relèvera que là où ce dernier parle d’habilitation l’article 41 de la Constitution emploie, lui, le terme « délégation »

Toutefois, tant par sa genèse que par son objet, il est très clair ; il vise à permettre au parlement d’autoriser le gouvernement à intervenir, pour un temps et un objet délimités, dans les matières législatives.

D’une part, il s’agit d’éviter les errements constitutionnels des deux républiques précédentes : la troisième n’avait rien prévu en matière de délégation du pouvoir législatif et a été contrainte à un bricolage acrobatique sous la forme des décrets-lois ; la quatrième, forte de cette expérience, a purement et simplement interdit la délégation du pouvoir législatif mais, les choses étant ce qu’elles sont, il a fallu contourner cette interdiction intenable en pratique, là aussi par un système d’équilibriste transformiste sous la forme des lois-cadres et des lois de pleins pouvoirs. D’où le choix fait en 1958 d’habiliter le gouvernement à intervenir en matière législative mais en encadrant de façon assez précise cette intervention.

D’autre part, en droit, les ordonnances ne sont pas des lois d’abord car elles ne sont pas prises par le parlement (cf. art. 24, alinéa 1 de la Constitution : « Le Parlement vote la loi (…) ») or il n’y a de loi que votée par le Parlement ; ensuite parce que, à la différence des lois, les ordonnances peuvent, sans inconstitutionnalité, contenir des dispositions de nature réglementaire ; également parce qu’elles doivent, à peine de nullité, respecter les principes généraux du droit même non repris dans le texte constitutionnel  ou dans une convention internationale.

C’est pourquoi est prévue une ratification expresse du parlement qui est seule à conférer à l’ordonnance la nature d’une loi.

D’ailleurs, si l’ordonnance contenait des dispositions déjà en soi absolument législatives la ratification postérieure par le parlement serait une parfaite absurdité

Brevitatis causa c’est là la conséquence de l’analyse organique des actes qui domine le droit public français depuis très longtemps. Pour déterminer la nature d’un acte juridique, sont pris en considération son auteur et la procédure qu’il a suivie pour prendre l’acte en question : est loi, l’acte pris par le parlement selon la procédure législative ; en dehors de la réunion de ces deux éléments il n’y a pas de loi : ainsi une motion de renvoi, une motion de censure ou l’adoption du règlement de chaque assemblée ne sont pas des lois.

Et, à l’inverse, tout acte pris par un organe qui, au moment où il l’a pris, était un organe législatif et selon la procédure législative, est une loi : ainsi des édits et ordonnances royaux, de certaines baillettes, des actes pris par les commissaires de la république envoyés en mission sous la révolution, des avis du Conseil d’État impérial publié au Bulletin des lois, des décrets du gouvernement de la défense nationale, des décisions des gouvernements provisoires  de Londres, de Brazzaville, d’Alger puis de Paris.

Sauf à titre subsidiaire et supplétif, dans de rares hypothèses, en aucun cas n’est retenue l’analyse matérielle des actes qui, on le sait, prend en considération deux autres éléments : le contenu de l’acte et sa portée.

Partant de là avait été construit un système contentieux assez simple : tant qu’elles ne sont pas ratifiées les ordonnances, en ce qu’elles émanent du pouvoir exécutif, demeurent des actes administratifs relevant de la compétence de droit commun du juge administratif et, beaucoup plus rarement, du juge pénal par application des dispositions dérogatoires de l’art. 111-5 du code pénal, (selon lequel : « Les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis ») dont il faut redire ici le caractère malvenu et contestable.

Ce système a reçu l’aval des deux ordres de juridiction et du Conseil constitutionnel pendant plus d’un demi-siècle. C’est ainsi, qu’il a été dit, enseigné et jugé qu’une ordonnance non ratifiée, parce qu’elle n’est pas une loi, ne peut être l’objet d’une QPC.

 

II.- Le séisme

 

 Pour des raisons diverses dont pratiquement aucune n’a de valeur juridique, n’étant que des considérations pratiques, politiques, sociologiques voire d’opportunité et qui ne peuvent être développées puis critiquées ici, le Conseil constitutionnel, par deux décisions rendues dans le cadre de QPC (du 28 mai 2020 et du 3 juillet 2020, seule cette dernière étant citée dans la décision du Conseil d’État) a renversé la donne, se déjugeant avec un aplomb renversant.

S’agissant de recours en QPC, donc de l’art. 61-1 de la Constitution, et seulement en ce cas, il a jugé qu’à compter de l’expiration du délai d’habilitation et sous condition qu’ait été déposé dans les délais constitutionnels un projet de loi de ratification de l’ordonnance, les dispositions de celle-ci « doivent être regardées comme des dispositions législatives ».

Ce n’est pas le lieu, dans le cadre de cette chronique, de discuter de la portée et de la légitimité d’un tel changement mais seulement de rendre compte de ce qu’en a tiré, pour sa part, le Conseil d’État.

 

III.- Après le séisme

 

 Dans la présente affaire, le Conseil d’État botte en touche si l’on peut dire, prenant acte de ce micmac jurisprudentiel et essayant de sauver le plus possible de ce qui faisait la cohérence du système jusque-là en vigueur.

On peut faire confiance au juge administratif sur ce point : avec le temps sera retiré progressivement le venin inoculé par un juge constitutionnel que le rapporteur public sur cette affaire a qualifié de « facétieux » même si nous pensons que ces messieurs-dames ont passé l’âge des farces et attrapes, ce qui rend d’autant plus inquiétante leur position.

Pour l’heure, il faut donc au Conseil d’État composer avec le galimatias issu de l’aile Montpensier du Palais-Royal. A cet effet, est dressé un état des lieux avant que ne soit exposé le mécanisme contentieux nouveau issu de l’innovation jurisprudentielle du Conseil constitutionnel.


A) État des lieux

 

1 - Tout d’abord, le Conseil d’État réaffirme - et maintient donc - que l’habilitation conférée au gouvernement par le parlement sur le fondement de l’art. 38 de la Constitution « élargit de façon temporaire le pouvoir réglementaire dont le Gouvernement dispose, en l'autorisant à adopter des mesures qui relèvent du domaine normalement réservé à la loi, que ce soit en vertu de l'article 34 de la Constitution ou d'autres dispositions de celle-ci. » L’article 38 n’a donc pas pour effet d’autoriser le gouvernement à légiférer.

2 - Ensuite, est également réitérée la doctrine, constante jusque-là et qui complète l’affirmation précédente, selon laquelle, même si les mesures ainsi adoptées ont une portée identique à celle qu’elles auraient eu si elles avaient été prises par la loi, les ordonnances de l'article 38 conservent le caractère d'actes administratifs aussi longtemps qu'elles n'ont pas fait l'objet d'une ratification, qui ne peut être qu'expresse, par le Parlement.

De là, sont tirées trois conséquences principales :

1°/ les mesures prises par de telles ordonnances sont soumises aux règles et principes de valeur constitutionnelle et aux engagements internationaux de la France, ainsi qu’aux principes généraux du droit sauf à ce que la loi d’habilitation ait expressément permis d’y déroger.

2°/ les ordonnances sont circonscrites de toutes parts par la loi d’habilitation dont elles ne sauraient excéder les limites que cette dernière a fixées : ceci est capital car cet effet ne peut résulter que de ce que les dispositions d’ordonnances n’ont pas de nature législative ; en effet, si l’on devait considérer qu’avant leur ratification elles sont déjà législatives, alors il devient impossible de critiquer une ordonnance qui ne respecterait pas l’habilitation car ce qu’une loi (ici d’habilitation) a fait, une autre (sous la forme d’une ordonnance de l’art. 38) peut le défaire.

3°/ les ordonnances n’étant que de nature administrative, leur régularité juridique peut être contestée par la voie directe du recours pour excès de pouvoir ou par voie d’exception.

3 – Également, et c’est le point central de la décision, celui qui contient la doctrine actuelle du Conseil d’État depuis les deux décisions précitées du Conseil constitutionnel, le Conseil d’État examine le régime juridique de l’ordonnance une fois expiré le délai d’habilitation dont on sait qu’il consiste en ce que les dispositions d’une ordonnance portant sur des matières législatives ne peuvent plus être modifiées ou abrogées que par le législateur ou sur le fondement d'une nouvelle habilitation qui serait donnée au Gouvernement.

C’est de cette conséquence que le Conseil constitutionnel a cru pouvoir déduire que les dispositions d'une ordonnance qui relèvent du domaine législatif entrent, dès l'expiration du délai d'habilitation, dans les prévisions de l'article 61-1 de la Constitution et que leur conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit ne peut ainsi être contestée que par une question prioritaire de constitutionnalité.


B) « Petits arrangements entre amis »


1 - D’emblée le Conseil d’État prend acte de cette volonté.

Il est désormais acquis que l’inconstitutionnalité de la disposition d’une ordonnance de l’art. 38 portant sur une matière législative, à raison de ce qu’elle porterait atteinte à un droit ou une liberté que la Constitution garantit, ne peut faire l’objet que d’une QPC. Est fermé le recours au juge administratif ou au juge judiciaire, principalement sous sa forme pénale. S’applique alors l’entier régime des recours en inconstitutionnalité croisé avec celui de la QPC.

C’est à peu près la seule concession que le Conseil d’État fait, volens nolens, à la solution du Conseil constitutionnel.

2 - Pour le reste, c’est le maintien du système antérieur parce que, écrit malicieusement le Conseil d’État, « la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République (qui a créé le mécanisme de la QPC), (…) entendait accorder aux citoyens des droits nouveaux, en ouvrant au justiciable la faculté de contester, par voie d'exception, la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de dispositions législatives, et faire progresser l'État de droit en prévoyant la sortie de vigueur des dispositions déclarées inconstitutionnelles à cette occasion (…) ».

Parce qu’il n’est pas possible d’admettre un amoindrissement de la protection des citoyens ou que soit rendu plus difficile leur accès au juge, l’institution de la QPC « ne saurait cependant faire obstacle à ce que le juge annule l'ordonnance dont il est saisi par voie d'action ou écarte son application au litige dont il est saisi, si elle est illégale pour d'autres motifs, y compris du fait de sa contrariété avec d'autres règles de valeur constitutionnelle que les droits et libertés que la Constitution garantit ». 

Ceci entraîne deux séries de conséquences, l’une pour le justiciable, l’autre pour le juge.

Le justiciable se trouve désormais placé devant un choix lorsqu’il invoque – après expiration du délai d’habilitation - une atteinte portée à des droits ou libertés par une disposition d’une ordonnance.  Soit il fonde son action sur la violation de la Constitution : ce sera et ce ne peut être désormais que par la voie de la QPC, soit il la fonde sur la violation d’une stipulation d’un traité international ou sur un principe général du droit : ce sera dans ces deux cas au juge administratif seul de trancher. Naturellement, si est invoquée une pluralité de sources, ce n’est que si la QPC paraît sérieuse qu’elle sera renvoyée au Conseil constitutionnel, à défaut le juge de droit commun reprend tout son empire.

Le juge administratif, s’il est saisi à la fois d’un recours pour excès de pouvoir contre des dispositions d’une ordonnance et d’un recours en QPC, peut en prononcer l’annulation alors même que le délai d’habilitation est expiré, avant même l'expiration du délai de trois mois à compter de la présentation de la question, sans se prononcer sur son renvoi au Conseil constitutionnel, si un motif autre que la méconnaissance des droits et libertés garantis par la Constitution ou les engagements internationaux de la France est de nature à fonder cette annulation et que l'intérêt d'une bonne administration de la justice commande qu'il ne soit pas sursis à statuer. 

Nul doute qu’est par là annoncée la raréfaction future, dans une telle hypothèse, qui très fréquente en pratique, des renvois de QPC, façon élégante de mithridatiser une jurisprudence que le Conseil d’État n’a pas plus appréciée que cela…

 

3 - Enfin, d’une part, en présence d’une déclaration d’inconstitutionnalité d’une ordonnance sur QPC, il appartient au juge administratif saisi par voie d’action, tout en tirant les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel, de statuer sur les autres conclusions de la requête, et d’autre part, la ratification de l’ordonnance par le parlement rend sans objet le recours pour excès de pouvoir contre cette ordonnance encore pendant devant le juge administratif ; seules demeurent possibles soit une QPC fondée sur l’atteinte aux droits et libertés constitutionnellement garantis, qui sera portée devant le Conseil constitutionnel soit une exception d’inconventionnalité – qu’elle concerne des droits et libertés ou toute autre matière - portée exclusivement devant le juge administratif.

Gageons que les péripéties de l’application concrète de cet agencement vertigineux ne manqueront pas d’offrir de belles perspectives de franches empoignades ou de coups fourrés dont le Landerneau juridique demeure très friand.

(Assemblée, 16 décembre 2020, Fédération CFDT des Finances et autres, n° 440258 ; Confédération générale du travail (CGT), n° 440289 ; Fédération des personnels des services publics et des services de santé Force ouvrière, n° 440457, jonction)

 

Libertés fondamentales

 

176 - Etranger – Iranien converti au christianisme – Crainte de persécutions et de traitements dégradants – Condamnation à mort en Iran - Refus de délivrance d’un titre de de séjour – Jugement rejetant le recours contre ce refus – Annulation sans renvoi.

Un ressortissant iranien, condamné à mort dans son pays pour s’être converti au christianisme et avoir ainsi commis le crime d’apostasie, a sollicité la qualité de réfugié et demandé l’octroi d’un titre de séjour. Sa demande a été rejetée par le préfet qui lui a fait obligation de quitter le territoire français sous trente jours, et par l’OFPRA. Son recours contentieux contre le refus préfectoral a été rejeté par le tribunal administratif, refus confirmé en appel.

Le Conseil d’Etat annule arrêt et jugement dès lors, d’une part, que la conversion de l’intéressé au christianisme est certaine, et d’autre part, que cette conversion, qui est un crime en droit iranien, expose le requérant à des risques certains de traitements inhumains ou dégradants notamment du fait de sa condamnation à mort par un tribunal iranien.

(2 décembre 2020, M. A, n° 435867)

 

177 - Libre accès des riverains à la voie publique – Corollaire du droit de propriété – Liberté fondamentale – Impossibilité d’accéder à une résidence secondaire en voiture – Besoin urgent d’y accéder – Annulation sans renvoi du jugement contraire.

Contrairement à ce qui avait été jugé en première instance, le Conseil d’Etat estime qu’il y a urgence pour une personne à se rendre en voiture dans sa résidence secondaire à laquelle l’accès est rendu impossible du chef de travaux entrepris sur une voie routière du domaine public d’une commune.

Comme ce droit d’accès à partir de la voie publique riveraine est une liberté fondamentale, il est fait injonction à la commune et à la société privée chargée d’installer une nouvelle gare de télécabine, de rétablir l’accès à une propriété privée au moyen de véhicules automobiles légers sans qu’il soit besoin d’utiliser des véhicules de type « tout terrain ».

(2 décembre 2020, M. A., n° 446403)

 

178 - Étranger ayant la qualité de réfugié depuis 1990 – Personne condamnée pour faits graves – Personne présentant encore une menace grave pour la société – Retrait de la qualité de réfugié en l’état de son emprisonnement – Rejet.

Le requérant demande l’annulation de la décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) refusant d’annuler la décision de l’OFPRA mettant fin à son statut de réfugié.

Pour rejeter la demande, le Conseil d’État relève que le requérant a été condamné à plusieurs reprises pour des faits d'une gravité croissante, qu’il purge depuis 2010 une peine de dix-huit ans de réclusion criminelle assortie d'un suivi socio-judiciaire d'une durée de quinze ans, pour destruction de bien d'autrui par un moyen dangereux ayant causé la mort de trois personnes.

Il juge que la CNDA, en estimant que malgré le temps qui a passé depuis la condamnation et les réductions de peine obtenues, le requérant, toujours incarcéré à la date de sa décision,  représentait, au vu notamment de son état de récidive et du suivi socio-judiciaire d'une durée de quinze ans suivant l'exécution de sa peine que l'autorité judiciaire avait imposé, une menace grave pour la société au sens des dispositions de l'article L. 711-6 du CESEDA, n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce. 

(10 décembre 2020, M. A., n° 425040)

 

179 - Étranger demandeur d’asile – Bénéfice de cette protection dans un autre État – Obligation de mettre cet étranger en mesure de s’expliquer sur cette situation avant la tenue de l’audience – Absence – Cassation.

Est irrégulière la décision de la Cour nationale du droit d’asile qui, pour refuser, à un demandeur d’asile en France d’accéder à sa requête, objecte dans son jugement qu’il bénéficie déjà de cette protection dans un autre pays (l’Italie en l’occurrence) sans que cette situation n’ait été soutenue par l’OFPRA durant la procédure et à l’audience et, surtout, sans que l’intéressé, préalablement à la tenue de l’audience, ait été invité par la Cour à s’exprimer sur ce point.

(10 décembre 2020, M. B., n° 435910)

 

180 - Étranger demandeur d’asile – Entretien avec l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Portée – Irrecevabilité d’une demande d’asile en France pour une personne déjà bénéficiaire de l’asile dans un autre pays de l’Union – Contrôle de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) sur l’existence et le contenu de l‘entretien – Annulation avec renvoi.

Un ressortissant somalien s’est vu refuser l’asile par l’OFPRA motif pris de ce qu’il bénéficiait déjà de la protection asilaire accordée par Malte, pays membre de l’UE.

Il saisit la CNDA qui annule le refus de l’OFPRA car il n’avait pas été expressément indiqué à l’intéressé au cours de l’entretien qu’il a eu avec des agents de l’OFPRA que l'office envisageait de soulever un motif d'irrecevabilité à l’encontre de sa demande, motif tiré de ce qu'il bénéficierait déjà d'une protection effective à Malte.

Ainsi, la cour a estimé que le demandeur d’asile n'avait pas été mis à même de présenter ses observations sur l'application à sa situation personnelle du motif d'irrecevabilité de sa demande. Le Conseil d’État est à la cassation de cette décision pour erreur de droit car il considère que la CNDA devait seulement rechercher si, en application des dispositions de l'article L. 723-du CESEDA, l'entretien avait porté sur les motifs d'irrecevabilité de sa demande.

(10 décembre 2020, OFPRA, n° 441376)

 

181 - Étranger demandeur de la qualité de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire – Refus de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Saisine de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Office de la CNDA en ce cas – Annulation avec renvoi.

Cette décision rappelle un aspect important de la procédure asilaire parfois méconnu.

La CNDA est un juge de plein contentieux non un juge de l’excès de pouvoir. Saisie d’un recours contre une décision de l’OFPRA refusant à une personne la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, il lui incombe non de juger la légalité de la décision qui lui est soumise mais d’apprécier elle-même, à la date où elle statue, si le requérant est fondé en sa demande. Toutefois, et par exception, lorsqu’elle constate un vice grave de la procédure administrative non contentieuse dans le déroulement de l’instruction du dossier par l’OFPRA, elle doit annuler la décision contestée et en renvoyer l’examen à l’OFPRA.

(18 décembre 2020, M. A. et Mme B., n° 431219)

 

182 - Ressortissant russe (Tchétchénie) - Demandeur d’asile – Rejet – Expulsion en urgence absolue – Fixation de la Russie comme pays de renvoi – Contestation – Existence certaine de tortures et autres traitements inhumains - Arrêté d’expulsion n’indiquant pas les motifs de l’expulsion – Non-communication de ce motif aux autorités russes – Rejet.

C’est une affaire très délicate qu’a eue à juger le Conseil d’État.

Un ressortissant russe (Tchétchénie) a demandé, dès l’âge de dix-huit ans, l’asile politique à la France où il était entré avec ses parents à l’âge de quinze ans.

De façon concomitante, d’une part, il fait l’objet d’une expulsion vers la Russie, en urgence absolue, car il a mené des activités de recrutement au profit de l'organisation terroriste « Daech » afin de commettre des attentats contre les membres des forces de l'ordre et que depuis le mois d'août 2020, il consulte régulièrement un site internet proposant des tutoriels sur la fabrication artisanale d'explosifs et, d’autre part, sa demande d’asile est rejetée par l’OFPRA.

L’intéressé conteste et la mesure d’expulsion et le choix du pays de renvoi.

Concernant l’expulsion, celle-ci est jugée régulière d’autant que le requérant ne conteste pas les faits qui lui sont reprochés et alors que le recours contre le refus de l’asile est encore pendant devant la Cour nationale du droit d’asile.

Concernant le choix de la Russie comme pays de renvoi, la décision est très circonstanciée et motivée sans toutefois que soit évité un sentiment de malaise. Le juge reconnaît l’importance et la gravité des atteintes aux droits de l’homme perpétrées en Tchétchénie et cite plusieurs sources différentes le confirmant. Il admet aussi que la jurisprudence générale de la Cour EDH est plutôt défavorable à ce genre de renvois. Toutefois, relevant les ombres et incertitudes de ce dossier, fort de l’affirmation par l’État français que les autorités russes seront laissées dans l’ignorance des motifs d’expulsion du requérant et, enfin, retenant que la Cour EDH elle-même a, par deux décisions récentes (du 24 novembre et du 4 décembre 2020) décidé de ne pas s’opposer au renvoi en Russie du demandeur, le Conseil d’État juge régulier le choix de la destination de renvoi.

(10 décembre 2020, M. A., n° 447225)

 

183 - Étranger bénéficiaire d’un visa – Abrogation – Recours – Nature du recours – Juridiction compétente pour en connaître – Demande d’avis contentieux.

Le Conseil d’État était saisi par le tribunal administratif de Nantes, juridiction compétente pour connaître des litiges relatifs au rejet par les autorités diplomatiques et consulaires des demandes de visa d'entrée sur le territoire français ainsi que de ceux relatifs à l'abrogation d'un visa par ces autorités, de deux demandes d’avis de droit.

A la première question, le juge régulateur répond que :

1°/ lorsque la décision d’abrogation est prise par un préfet, qu’il s’agisse du préfet du département où séjourne l'étranger titulaire de ce visa ou de celui du département où sa situation est contrôlée en qualité d'autorité décisionnaire, sa contestation relève du tribunal administratif territorialement compétent pour connaître des décisions de ce préfet ;

2°/ lorsque l'abrogation du visa est décidée par les autorités diplomatiques ou consulaires, l'intérêt d'une bonne administration de la justice conduit à attribuer au tribunal administratif de Nantes, qui est déjà la juridiction nationale unique du premier degré compétente pour connaître des refus de visas opposés par les autorités diplomatiques ou consulaires.

A la seconde question, il est répondu qu’une personne dont le visa d'entrée en France est abrogé, par le préfet ou par une autorité diplomatique ou consulaire, peut exercer un recours contentieux dans les conditions du droit commun, sans avoir à saisir la commission des recours contre les refus de visa, prévue à l’art. D. 211-5 du CESEDA,  car le recours préalable obligatoire à un recours contentieux instituée devant cette commission n’est prévu qu'à l'égard des décisions refusant un visa et non de celles qui l'abrogent ou le retirent.

(11 décembre 2020, M. B., n° 443382)

 

184 - Détenu – Conditions de vie très dégradées – Encellulement défectueux – Conditions d’hygiène insatisfaisantes – Chauffage inadapté – Atteinte à la dignité des personnes – Injonctions diverses et multiples à l’administration pénitentiaire.

Dans cette décision, particulièrement illustrative de l’état déplorable de nombre de prisons françaises et de conditions de détention guère admissibles, le juge du référé liberté, confirmant largement l’ordonnance du premier juge, ordonne à l’administration de prendre à très bref délai toute une série de mesures d’hygiène, de chauffage, de lavage, etc.

A cela s’ajoutent les tentatives d’intimidation, des humiliations et des menaces contre l’intéressé pour avoir saisi le juge du Conseil d’État. Ce dernier y voyant une atteinte grave et manifestement illégale aux stipulations de l’art. 3 de la convention EDH et, confirmant le premier juge, réitère à l’administration pénitentiaire de prendre sans délai toute mesure pour garantir et assurer la sécurité et l'intégrité physique et psychologique du requérant au cours de sa détention.

On voudrait croire en l’efficacité de ces injonctions

(ord. réf. 16 décembre 2020, M. B., n° 447141)

 

185 - Étranger faisant l’objet d’une peine complémentaire d’interdiction temporaire du territoire français – Notion d’exécution de cette peine – Étranger se maintenant sur le territoire français durant la période d’interdiction – Exécution de la peine devant être considérée comme complète à l’expiration du délai fixé pour celle-ci – Caractère irrégulier du refus de titre de séjour en qualité de parent d’un enfant français – Annulation avec renvoi.

L’intéressé, qui avait été condamné par un tribunal correctionnel à la peine complémentaire d’interdiction du territoire français pendant deux ans, (art. L. 131-30 du code pénal), n’avait point respecté cette interdiction en se maintenant durant toute cette période sur le territoire national et, au terme de celle-ci, avait formé une demande de délivrance d’un titre de séjour en qualité de parent d’un enfant français.

Saisie d‘un appel de l’intéressé dirigé contre le refus du préfet de lui délivrer un titre de séjour, la cour administrative d’appel l’a rejeté car il n’était pas établi qu’il avait bien quitté le territoire français durant ces deux années.

Le Conseil d’État, interprétant de manière étrange les dispositions légales, considère que pour irrégulier que soit le maintien en France d’un individu frappé d’une interdiction de territoire, l’accomplissement de cette peine commence dès son prononcé et se poursuit jusqu’à son terme quand bien même il ne quitte pas la France. Par suite, en sa qualité de parent d’un enfant français, la délivrance du titre de séjour qu’il sollicitait au terme de l’« accomplissement » (sic) de sa peine ne pouvait pas lui être refusé.

C’est donc par suite d’une « une erreur de droit » (sic) que la cour a jugé le contraire.

La solution est très discutable car le deuxième alinéa de l’art. L. 131-30 du code pénal dispose sans équivoque : « L'interdiction du territoire entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l'expiration de sa peine d'emprisonnement ou de réclusion » soit à peu près le contraire de l’interprétation qu’en donne le Conseil d’État.

(18 décembre 2020, M. A., n° 435097)

 

186 - Embryons humains – Agence de la biomédecine – Distinction entre autorisation de conservation d’embryons humains et délivrance ou maintien de l’autorisation de recherche – Portée de la garantie de traçabilité des embryons confiés – Rejet.

La fondation requérante demandait l’annulation de la décision du 13 mai 2015 par laquelle la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a autorisé, pour une durée de cinq ans, l'unité 1197 de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) à mettre en oeuvre un protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines.

Pour rejeter le recours dont il était saisi, le Conseil d’État opère une distinction dont la subtilité laisse dubitatif, ce doute croissant avec la lecture des textes dont il est fait ici interprétation.

D’un côté, le juge indique : « l'Agence de la biomédecine ne peut délivrer une autorisation de conservation sur le fondement de l'article L. 2151-7 du code de la santé publique si la traçabilité des embryons et des cellules souches embryonnaires, qui est destinée à assurer le respect des principes éthiques auxquels le législateur subordonne la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, n'est pas garantie par l'organisme qui sollicite cette autorisation. Il en résulte également qu'il incombe à l'agence de veiller, notamment à l'occasion des inspections qu'elle diligente, à ce que cette traçabilité demeure garantie pendant toute la durée de validité de l'autorisation délivrée et, à défaut, de suspendre ou retirer cette autorisation.
Il résulte aussi de ces dispositions qu'il en va de même s'agissant des autorisations de recherche délivrées sur le fondement de l'article L. 2151-5 du même code, dont la délivrance comme le maintien sont, de la même façon subordonnés à la garantie par le bénéficiaire de l'autorisation de la traçabilité, dès leur remise pour cette recherche et tout au long de celle-ci, des embryons et des cellules souches embryonnaires
 ». 

De l’autre côté, il estime que : « La délivrance ou le maintien de l'autorisation de recherche ne sont en revanche pas subordonnés à la garantie par le bénéficiaire de cette autorisation de la traçabilité des embryons ou des cellules souches embryonnaires par l'organisme titulaire d'une autorisation de conservation qui les lui remet, l'autorisation dont bénéficie cet organisme tiers étant distincte de l'autorisation de recherche, laquelle n'est prise ni sur son fondement ni pour son application, et étant elle-même subordonnée à cette garantie de traçabilité (…). »

Par suite, «  Il revient seulement à l'Agence de la biomédecine, compétente pour délivrer, suspendre ou retirer l'une comme l'autre de ces autorisations, et à laquelle l'article R. 2151-11 du code de la santé publique confie la tenue d'un registre national des embryons et cellules souches embryonnaires permettant d'établir le lien entre les données résultant des autorisations de conservation et celles résultant des autorisations de recherche, de vérifier que l'autorisation de conservation de l'organisme le cas échéant sollicité pour la remise des embryons ou cellules souches embryonnaires humaines destinés à la recherche soumise à son autorisation est en cours de validité, à la date à laquelle cette autorisation est accordée et tout au long de la période pour laquelle elle l'est, et que ni sa suspension ni son retrait ne sont engagés ».

Dès lors, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en annulant, à la demande de la fédération requérante, l'autorisation de recherche contestée, en se fondant sur ce que les pièces du dossier n'établissaient pas que la traçabilité des cellules souches embryonnaires humaines était garantie au sein de l'unité de conservation sollicitée par l'unité de recherche pour lui céder les cellules souches embryonnaires destinées à cette recherche.

Nous avouons préférer la logique juridique de l’arrêt d’appel à celle qui sous-tend (?) celle de la décision de cassation.

(23 décembre 2020, Fondation Jérôme Lejeune, n° 430693)

(187) V. aussi, voisin, cassant un arrêt d’appel annulant, pour défaut de pertinence scientifique de la recherche, la décision de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine autorisant, pour une durée d'un an, le centre hospitalier universitaire de Marseille à mettre en oeuvre un protocole de recherche sur l'embryon humain, au motif que la cour aurait confondu la condition figurant au 1° du I de l’art. 2151-5 du code de la santé publique avec celle figurant au 3° de ce I : 23 décembre 2020, Fondation Jérôme Lejeune, n° 430694.

 

188 - Ressortissante pakistanaise – Personne n’ayant pas sollicité l’asile mais un titre de séjour - Membre active d’un groupe de chrétiens de Lahore – Risques de persécutions, violences et traitements inhumains – Refus illégal d’un titre de séjour – Annulation avec injonction d’une délivrance de titre sous un mois.

Membre de la communauté chrétienne de Lahore au Pakistan, la requérante avait demandé, en vain, un titre de séjour en France, où vivent plusieurs de ses enfants et petits-enfants, pour fuir les persécutions dont les chrétiens sont notoirement victimes dans ce pays et ce refus a été confirmé par le tribunal administratif ; pareillement a été rejeté son recours contre l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) dont elle a fait, en conséquence, l’objet, au motif, notamment, qu’elle a de nombreux liens familiaux au Pakistan.

Le Conseil d’État annule ce jugement en retenant que si, du fait qu’elle y a vécu de nombreuses années, l’intéressée a des liens familiaux au Pakistan et si elle n’a pas, formellement, présenté une demande d’asile, il est constant que les chrétiens sont victimes de persécution permanentes au Pakistan de la part de groupes musulmans, que la situation y régnant actuellement rend très dangereux le retour de la requérante dans son pays et, enfin, que vivent en France plusieurs de ses enfants dont l’un est français et l’autre a obtenu le statut de réfugié, ainsi que des petits-enfants.

Il est jugé, par suite, que le jugement confirmant le refus d’un titre de séjour ainsi que la légalité de l’OQTF doit être annulé. Injonction est, en outre, faite au préfet de délivrer sous un mois un titre de séjour à la demanderesse.

(29 décembre 2020, Mme A., n° 438108)

 

189 - Liberté de religion – Bien-être animal - Certification « halal » et mention « agriculture biologique » – Logo attestant le respect de normes élevées de bien-être animal – Animaux abattus sans étourdissement préalable – Label de production biologique refusé – Rejet.

Une association avait demandé à un organisme certificateur de mettre fin à la publicité et à la commercialisation des viandes hachées commercialisées par la société Bionoor sous la marque « Tendre France », certifiées « halal » et portant la mention « agriculture biologique » au motif qu’une telle certification était contraire au droit de l’Union européenne (règlements du 28 juin 2007, du 5 septembre 2008 et du 24 septembre 2009).

Sa demande ayant fait l’objet d’un rejet implicite, l’association a saisi la juridiction administrative. Son recours a été rejeté en première instance tandis que la juridiction d’appel a saisi le juge européen d’une question préjudicielle.

Au vu de la réponse donnée à cette question, la cour administrative d’appel a annulé le jugement de rejet et fait droit à la demande de l’association.

La société Bionoor se pourvoit et son pourvoi est, au vu de la décision de la CJUE, sans surprise, rejeté.

En effet, la CJUE (26 février 2019, Oeuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA) contre ministre de l'agriculture et de l'alimentation e.a., aff. C-497/17) a jugé que le règlement précité du 28 juin 2017 relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques, qui caractérise l'observation de normes renforcées en matière de bien-être animal à tous les stades de la production dans le cadre de l'agriculture biologique, n’autorise pas l’usage du logo de production biologique de l’Union européenne pour des produits issus d'animaux ayant fait l'objet d'un abattage rituel sans étourdissement préalable, selon la forme d'abattage autorisée à titre dérogatoire uniquement afin d'assurer le respect de la liberté de religion, car ces produits n'ont pas été obtenus dans le respect des normes les plus élevées en matière de bien-être animal au moment de la mise à mort des animaux.

 (31 décembre 2020, Société Bionoor, n° 434546)

 

190 - Extradition – Régime juridique du décret d’extradition – Absence d’atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit – Rejet de la demande de renvoi d’une QPC.

Le Conseil d’État était saisi d’une demande de renvoi d’une QPC dirigée contre l’atteinte que porterait aux libertés constitutionnellement garanties le second alinéa l’art. 689-18 du code de procédure pénale en ce qu’il fixe à un mois le délai durant lequel peut être formé un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un décret d’extradition.

Le juge rejette la demande de renvoi au motif que l’exercice d’un recours contentieux contre un décret d’extradition est entouré de garanties suffisantes et il les énumère.

La brièveté du délai de recours est destinée à assurer la célérité et l’efficacité du décret accordant l’extradition.

Sa notification – contrairement à ce que soutient le demandeur - doit comporter mention des voies et délais de recours dans les conditions du droit commun des recours contentieux (art. R. 421-5 CJA).

Une coutume constante veut que l’extradition ne soit pas exécutée tant que n’est pas expiré le délai de recours contre le décret d’extradition et, si le Conseil d’État a été saisi d’un recours, tant qu’il n’a pas statué.

L’absence de délai préfix imposé à la juridiction pour se prononcer sur le recours contentieux éventuellement formé contre un décret d’extradition n’affecte pas la liberté de l’intéressé qui peut, en cas d’incarcération, user de toutes les voies de recours juridictionnelles, tant administratives que judiciaires, pour demander sa mise en liberté.

(31 décembre 2020, M. B., n° 439436)

 

Police

 

191 - Police de l’ordre et de la sécurité publics – Chiens dangereux – Placement en fourrière – Euthanasie éventuelle – Référé suspension contre l’euthanasie – Chien appartenant à une catégorie de chiens d’attaque dangereux dite « de race Staffordshire terrier » ou « American Staffordshire » – Obligations s’imposant aux propriétaires de tels chiens – Rejet.

Le propriétaire d’un chien classé comme dangereux et ne devant circuler en extérieur que muselé, a été trouvé promenant son chien non muselé, en période de couvre-feu, à 23 heures environ, sans pouvoir fournir l'attestation d'aptitude prévue au II de l’art. L. 211-1 du code rural et de la pêche maritime ; au surplus cette personne a fait l'objet de six inscriptions au bulletin n° 2 du casier judiciaire.

Le préfet de police ayant décidé le placement du chien en fourrière, son propriétaire a saisi le juge des référés qui a seulement ordonné la suspension de l’arrêté de placement en tant qu’il évoque une possible euthanasie de l’animal.

Le Conseil d’État rejette l’appel formé contre cette ordonnance qui ne souffre de critique ni en sa forme (certains moyens étant inopérants et par ailleurs le contradictoire et l’obligation de répondre à tous les moyens ayant été respectés) ni en son fond (l’appartenance du chien à la catégorie des chiens dangereux n’étant pas sérieusement discutée, et cette classification n’étant pas entachée d’erreur manifeste d’appréciation).

(ord. réf. 1er décembre 2020, M. B., n° 446808)

 

192 - Police de l’air et des frontières – Transporteur aérien ou maritime – Obligation de déceler les erreurs manifestes sur les documents de voyage – Amende – Étendue du contrôle du juge de cassation – Confirmation de l’arrêt en tant qu’il juge irrégulier le comportement de la compagnie mais réformation sur le quantum de l’amende infligée.

L’art. L. 625-1 du CESEDA punit d’une amende d’un montant maximum de 5000 euros le transporteur aérien ou maritime qui ne décèle pas lors des formalités d’embarquement les irrégularités manifestes dont sont éventuellement entachés les documents produits par les passagers étrangers non ressortissants de l’UE, en provenance d’un État avec lequel ne s’applique pas l’acquis de Schengen et qui les laisse débarquer sur le territoire français.

La compagnie requérante est condamnée dans ces conditions à l’amende au taux maximal pour avoir laissé débarquer un passager titulaire d’un passeport contrefait.

Cette condamnation ayant été confirmée en appel, elle se pourvoit.

Le Conseil d’État précise tout d’abord l’étendue de son contrôle sur les juges du fond : 1) ceux-ci exercent, sous réserve de dénaturation, un pouvoir souverain sur l’appréciation de l’existence de l’irrégularité que le transporteur se voit reprocher de n’avoir pas décelée ; 2) le caractère manifeste de l’irrégularité peut faire l’objet d’un contrôle de qualification juridique ; 3) l’appréciation du caractère proportionné de l’amende à la gravité du manquement ne relève que du pouvoir des juges du fond hormis l’hypothèse de disproportion marquée.

Appliquées à l’espèce, ces conditions aboutissent à voir retenue la faute de la compagnie qui n’a pas aperçu une anomalie manifeste et à voir réduite l’amende jugée hors de proportion avec le comportement reproché.

(11 décembre 2020, Compagnie Air France, n° 427744)

(193) V. aussi, identique : 11 décembre 2020, Compagnie Air France, n° 427745.

 

194 - Police du permis de conduire – Échange d’un permis de conduire étranger avec un permis français – Détention d’un permis d’Arménie – Permis résultant d’un échange avec un permis antérieur russe – Échange impossible – Annulation et rejet.

Un ressortissant d’Arménie s’est vu refuser par un préfet l’échange de son permis de conduire, obtenu par échange avec le permis russe qu’il détenait jusque-là. Le tribunal administratif, qu’il a saisi, a annulé ce refus car l'intéressé était encore titulaire du permis délivré par l'URSS en 1991, sa demande devait, dès lors, être examinée en considération de l'accord de réciprocité qui avait existé entre la France et l'URSS.

Pour annuler ce jugement le Conseil d’État relève une double erreur des premiers juges : le permis en cause n’était pas russe mais arménien et la possibilité d’échange devait être examinée non par rapport aux termes d’un accord de réciprocité entre la Fédération de Russie et la France mais entre cette dernière et la république d’Arménie. La circonstance que le permis de conduire avait été délivré par les autorités arméniennes en échange d'un permis antérieurement obtenu des autorités de l'URSS n'est pas de nature à lui rendre applicables les règles d'échanges qui valaient avec l'URSS avant la disparition de cet Etat, ni celles qui valent avec la Fédération de Russie qui en est l'État continuateur.

Comme n’existe aucun accord de réciprocité entre la France et l'Arménie en matière d'échange de permis de conduire c’est sans irrégularité que le préfet a refusé l’échange sollicité.

(11 décembre 2020, Ministre de l’intérieur, n° 432899)

 

195 - Police du stationnement – Titre exécutoire pour recouvrement du forfait post-stationnement – Titre émis après trois mois d’absence de paiement du forfait – Contestation du titre – Régime – Annulation.

Encore une fois sévit le forfait post-stationnement.

Rappel du régime des recours possibles en cette matière :

(11 décembre 2020, Mme B., n° 433276) V. aussi, plus développée, nos observations sous les n° 155 et 156 de la Chronique du mois de novembre 2020.

(196) V. aussi, identiques : 11 décembre 2020, Mme B., n° 433302 ; 11 décembre 2020, Mme B., n° 433304 ; 11 décembre 2020, Mme B., n° 433306 ; 11 décembre 2020, Mme B., n° 433307 ; 11 décembre 2020, Mme B., n° 433309 ; 11 décembre 2020, Mme B., n° 433310 ; 11 décembre 2020, Mme B., n° 433312.

(197) V. également, particulièrement illustratifs de la complexité procédurale de ce régime s’agissant des réponses aux demandes du greffe de la commission du contentieux du stationnement payant et de la cascade des situations possibles et de leurs effets, tout cela pour trente-trois euros… créant ainsi des situations aussi échevelées que dans une pièce de Feydeau : 18 décembre 2020, Mme A., n° 431136 ; 18 décembre 2020, M. B., n° 436605.

(198) V. encore, sur le point de savoir s’il est possible de faire stationner sur un emplacement pendant la durée payée du stationnement, successivement plusieurs véhicules, la réponse du juge saisi pour avis de droit est positive, sauf si l’organe délibérant local en a disposé autrement, par exemple en conservant le n° d’immatriculation du véhicule : 18 décembre 2020, M. B., n° 440935.

(199) V., outre le rappel de certains éléments précédents, les conséquences de l’absence de publication ou d’affichage y compris par voie électronique, des tarifs des forfaits de post-stationnement arrêtés par délibération du conseil municipal : 23 décembre 2020, Commune de Marseille, n° 437649.

 

200 - Police de la chasse – Chasse à courre – Arrêté du 25 février 2019 – Légalité externe – Légalité interne – Fixation du nombre maximum de chiens par meute – Compatibilité avec le respect du droit de propriété – Obligations s’imposant au regard d’un animal aux abois ou au ferme près de lieux habités ou fréquentés par le public – Rejet.

Le requérant demandait, par divers moyens, l’annulation de l’arrêté du 25 février 2019 modifiant l'arrêté du 18 mars 1982 relatif à l'exercice de la vènerie et visant à limiter les incidents en fin de chasse à proximité des lieux habités.

Ils sont tous rejetés.

Les moyens de légalité externe critiquaient le non-respect par ce texte de l’art. L. 123-19-1 du code de l’environnement relatif au principe de participation du public en matière d’enquête à fins environnementales : ils sont rejetés qu’il s’agisse du délai de publication de la synthèse des observations et propositions du public, de sa complétude, de sa date de rédaction ou encore des organismes consultés.

Sur la légalité interne, sont rejetés les griefs tenant à l’obligation de détenir une attestation de conformité de meute, à celle de prévoir que tout équipage doit être dirigé par un responsable titulaire et porteur d’un permis de chasser, au régime juridique de la fin de chasse afin de prévenir les incidents fréquents à ce stade de la chasse, au respect du droit de propriété, etc.

(17 décembre 2020, M. D., n° 430314)

 

201 - Police des manifestations sur la voie publique – Dispositif de captation d’images au moyen de drones – Envoi seulement d’images floutées au centre opérationnel – Existence de données identifiantes dans les images collectées – Annulation de l’ordonnance attaquée – Injonction de cesser immédiatement toute surveillance de manifestations publiques au moyen de drones.

La requérante, se fondant sur ce que, en dépit d’une décision contraire du Conseil d’État, persistent, au moyen de drones, tant le contrôle des manifestations sur la voie publique que la captation d’images les concernant, a saisi le Conseil d’État d’un appel contre l’ordonnance du premier juge rejetant sa demande de suspendre l'exécution de la décision du préfet de police de Paris, révélée par des témoignages, des clichés photographiques et des vidéos diffusés par la presse et par des particuliers sur les réseaux sociaux, montrant que la police utilise toujours des drones à des fins de police administrative, notamment lors de manifestations sur la voie publique, et d'enjoindre au préfet de police de cesser immédiatement, à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir, de capter des images par drones, de les enregistrer, de les transmettre ou de les exploiter et de détruire toute image déjà captée dans ce contexte.

Le juge relève le non-respect de sa décision du 18 mai 2020 par laquelle il a enjoint à l’État de cesser, sans délai, de procéder aux mesures de surveillance par drone du respect, à Paris, des règles de sécurité sanitaire applicables à la période de confinement sauf à respecter des prescriptions techniques satisfaisantes. Il s’appuie pour cela sur les pièces produites par la requérante qui établissent que la préfecture de police continue à recourir à des drones pour la surveillance de manifestations publiques à Paris.

Pour dire que l’utilisation de ce procédé est irrégulière, il est rappelé que l'art. 3 de la directive du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière ou d'exécution de sanctions pénales et à la libre circulation de ces données, donne une définition précise de la notion de «  données à caractère personnel » en ce que celles-ci concernent « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable » et qu’il convient d’entendre par l’expression « personne physique identifiable », :  « une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement notamment par référence à un identifiant, tel qu'un nom, un numéro d'identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale ».

Si, en l’espèce, la préfecture de police de Paris fait valoir que les images sont floutées au moyen d’un logiciel et que c’est dans cet état qu’elles parviennent, lorsqu’elles lui sont adressées, à la salle de commandement de la direction de l'ordre public et de la circulation de la préfecture de police, le juge relève, d’une part, qu’il s’agit bien là d’un « traitement » au sens et pour l’application de la directive précitée, et d’autre part, que « Dès lors que les images collectées par les appareils sont susceptibles de comporter des données identifiantes, la circonstance que seules les données traitées par le logiciel de floutage parviennent au centre de commandement n'est pas de nature à modifier la nature des données faisant l'objet du traitement, qui doivent être regardées comme des données à caractère personnel ».

C’est donc au prix d’une erreur de droit que le premier juge des référés a estimé que la décision attaquée n'avait pas pour effet d'autoriser un traitement de données à caractère personnel, au motif que seul le flux flouté des images captées par des drones arriverait en salle de commandement et a écarté pour ce motif le moyen tiré de ce que ce traitement aurait dû faire l'objet d'un texte l'autorisant.

Estimant que le nombre de personnes susceptibles d’être et/ou d’avoir été soumises à un tel traitement est constitutif d’une urgence à statuer et qu’il existe un doute sérieux sur la légalité dudit traitement, le juge ordonne la suspension de la mesure sans délai jusqu’à ce que, le cas échéant, soit pris un texte, après avis favorable de la CNIL, autorisant la création d’un tel traitement de données à caractère personnel.

(ord. réf. 22 décembre 2020, Association « La Quadrature du Net », n° 446155)

 

202 - Police des immeubles en état de péril (art. L. 511-1 c. construct. et habit.) – Office du juge saisi d’un recours contre un arrêté de péril – Juge de plein contentieux devant se placer au jour où il statue – Méconnaissance de son office – Annulation.

Saisi d’un recours contre un arrêté municipal de péril, le juge, qui est ici un juge de plein contentieux, a l’obligation de juger en se plaçant, pour apprécier les circonstances de droit et de fait de la décision attaquée, au jour où il statue et non à celui où a été prise la décision litigieuse.

En l’espèce, le maire ayant mis fin à son arrêté de péril antérieurement au jour où le juge s’est prononcé, en réalité la demande dont ce dernier était saisi n’avait plus d’objet et il aurait dû prononcer un non-lieu à statuer.

(23 décembre 2020, Société Aramis, n° 431843)

 

203 - Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé - Police des produits cosmétiques non rincés – Obligation d’étiquetage – Mesure provisoire mais contraire au droit de l’UE – Renvoi préjudiciel.

La fédération demanderesse sollicitait l’annulation de la décision de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé du 13 mars 2019 fixant des conditions particulières d'utilisation des produits cosmétiques non rincés contenant du phénoxyéthanol et imposant l’indication sur leur étiquetage qu'ils ne peuvent pas être utilisés sur le siège des enfants de trois ans ou moins.

Constatant que cette mesure, qui n’est pas illégitime et qui est conservatoire dans l’attente d’une décision de la Commission européenne saisie à cette fin, est contraire aux prescriptions du règlement européen du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques, le Conseil d’État opère un renvoi préjudiciel à la CJUE afin qu’il soit répondu à un certain nombre de questions.

(23 décembre 2020, Fédération des entreprises de la beauté, n° 429578)

 

204 - Police du transport des animaux vertébrés vivants – Arrêté ministériel restreignant le transport routier de ces animaux en période caniculaire – Légalité – Rejet.

L’association requérante demandait l’annulation de l’arrêté du 22 juillet 2019 du ministre de l'agriculture et de l'alimentation restreignant le transport routier des animaux vertébrés vivants durant les épisodes caniculaires et qu’injonction soit faite au ministre de l’agriculture de suspendre, sur l'ensemble du territoire national, le transport routier et par voie navigable des animaux vertébrés vivants dès lors que la température extérieure est en deçà de 5° C ou supérieure à 30° C.

Les demandes sont rejetées.

D’une part l’arrêté querellé n’est ni entaché d’incompétence, ni illégal en raison de sa non-motivation car il est un acte réglementaire.

D’autre part, s’agissant de sa légalité interne, il est relevé que la réglementation du transport routier des animaux vertébrés vivants résulte du règlement du 22 décembre 2004 relatif à la protection des animaux pendant le transport et les opérations annexes et que l’arrêté contesté ne contrevient pas aux dispositions du règlement précité, pas davantage il ne saurait être argué qu’il ne prévoit pas de sanction en cas de manquement puisqu’il institue à cet effet une contravention de la quatrième classe.

(31 décembre 2020, Association Welfarm Protection Mondiale des Animaux de Ferme, n° 434754)

 

205 - Police des produits phytopharmaceutiques – Police spéciale confiée aux seules autorités de l’État – Illégalité d’un arrêté municipal pris en cette matière – Rejet.

Pour respecter l’objectif du droit de l’Union européenne d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement tout en améliorant la production agricole et de créer un cadre juridique commun pour parvenir à une utilisation des pesticides compatibles avec le développement durable, d’autant que leurs effets à long terme sont encore incertains, le code rural et de la pêche maritime, dans ses art. L. 253-1, L. 253-7, L. 253-7-1, L. 253-8 et leurs articles règlementaires d’application, a institué un pouvoir de police spéciale des produits phytopharmaceutiques confié aux autorités de l'État, exclusive du pouvoir de police générale.

Il s’ensuit que c’est sans erreur dans la qualification des faits que la cour administrative d’appel a jugé illégal un arrêté municipal réglementant cette matière et cela alors même que la commune invoquait l’existence de circonstances locales exceptionnelles.

(31 décembre 2020, Commune d’Arcueil, n° 439253)

(206) V. aussi, dans le même sens : 31 décembre 2020, Commune de Gennevilliers, n° 440923.

 

Professions réglementées

 

207 - Sages-femmes – Suspension temporaire du droit d’exercer – Condition suspensive d’obligation de suivre une formation – Absence d’erreur de de droit et d’erreur de fait – Rejet.

Le Conseil national de l'ordre des sages-femmes, statuant en formation restreinte, n’a commis ni erreur de droit ni erreur de fait en suspendant la requérante pour deux ans du droit d’exercer son métier de sage-femme et en subordonnant l’autorisation éventuelle de le reprendre après cette période au suivi d’une formation.

Il résulte des pièces du dossier l’existence chez l’intéressée de graves lacunes professionnelles rendant dangereux pour les parturientes l’ensemble des gestes d’une sage-femme ; l’obligation de formation est ainsi justifiée et proportionnée.

(2 décembre 2020, Mme B., n° 428840)

(208) V. aussi, très semblable, s’agissant d’un gynécologue : 2 décembre 2020, M. B., n° 429112.

 

209 - Médecins – Suspension du droit d’exercer jusqu’aux résultats d’une expertise sur l’aptitude de l’intéressé à exercer – Suspension sans durée déterminée – Illégalité – Annulation avec renvoi.

Fait une inexacte application du I de l'art. R. 4124-3 du code de la santé publique et encourt la cassation, la formation restreinte du Conseil national de l’ordre des médecins qui suspend un médecin du droit d'exercer la médecine jusqu'à la constatation de son aptitude par une expertise effectuée par des experts choisis dans les conditions de l'article R. 4124-3 préc. sans fixer de durée déterminée à la suspension.

Il lui appartenait de déterminer celle-ci et, sur avis des experts, d’interrompre la suspension s’il est positif ou de prendre toute mesure nécessaire s’il est négatif.

(3 décembre 2020, M. A., n° 431987)

(210) V. aussi, à propos du rejet d’une demande d’annulation de la décision de la formation restreinte du Conseil national de l’ordre des médecins suspendant pour six mois l’intéressé du droit d'exercer la médecine et subordonnant la reprise de son activité au suivi d'une formation qualifiante en anesthésie-réanimation : 3 décembre 2020, M. C., n° 438059.

 

211 - Section des assurances sociales du Conseil national de l’ordre des médecins – Décision disciplinaire – Contradiction entre les motifs et le dispositif d’une décision de nature juridictionnelle – Cassation avec renvoi.

(10 décembre 2020, M. A., n° 430744 V. n° 17

 

212 - Notaires – Tarifs réglementés de certaines de leurs prestations – Champ d’application de l’art. L. 444-1 du code de commerce – Renvoi au pouvoir réglementaire de la compétence à cet effet (cf. art. L. 444-7 c. com.) – Etendue de cette compétence – Tarification d’actes complémentaires – Rejet sauf sur un point.

Le code de commerce (art. L. 444-1 et s.) confie au pouvoir réglementaire le soin de fixer les tarifs applicables aux actes relevant du monopole des notaires, ceux qu’ils accomplissent en concurrence avec d’autres professionnels sont libres.

Un notaire conteste un certain nombre de lignes du tarif établi sur le fondement de l’art. R. 444-3 c. com. et figurant à l'annexe 4-7 du titre IV bis du livre IV du code précité.

Le Conseil d’État considère, ce qui ne va pas de soi et peut se discuter, que l’attribution de compétence faite au pouvoir réglementaire par la loi ne se limite pas aux seuls actes entrant dans le monopole mais peut concerner également, par exception, les actes qui, accomplis en concurrence avec d’autres professions, sont le complément d’actes entrant dans le champ du monopole des notaires.

Le Conseil d’État n’annule en conséquence, parmi les six lignes tarifaires contestées, que la ligne 203 concernant la « rédaction et l’envoi d’une requête au juge des tutelles », un tel acte n’entrant pas dans le monopole des notaires et n’en constituant pas, non plus, un complément.

(2 décembre 2020, M. C., n° 432470)

 

213 - Chirurgiens-dentistes – Régime disciplinaire – Jugement de deux plaintes en première instance – Chambre disciplinaire nationale ne se prononçant que sur l’une d’elles – Cassation avec renvoi.

Se méprend sur la portée de la décision qui lui est soumise et méconnaît son office, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes qui, statuant sur un jugement se prononçant sur deux plaintes visant l’intéressée, estime que les juges du premier degré n’avaient  été saisis que d’une seule plainte.

(2 décembre 2020, M. C., n° 434266)

 

214 - Chirurgiens-dentistes – Sanction disciplinaire inexécutée – Refus d’inscription au tableau de l’ordre – Mesure non disproportionnée dans les circonstances de l’espèce – Rejet.

Le requérant demandait l’annulation de la décision du conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes refusant sa réinscription à l’un des tableaux départementaux de l’ordre.

Pour rejet le recours, le juge rappelle que le demandeur a été condamné par un tribunal correctionnel à deux ans d'emprisonnement dont dix-huit mois assortis du sursis pour escroquerie en lien direct avec l'exercice de sa profession de chirurgien-dentiste et, à titre de peine complémentaire, à une interdiction d'exercice de la profession de chirurgien-dentiste d'une durée de cinq ans. Cependant, d’une part, il a continué à exercer sa profession nonobstant l’interdiction dont il faisait l’objet, d’autre part, dans sa demande de réinscription, il s’est abstenu de mentionner l’instance pendante devant le tribunal correctionnel, se bornant seulement à évoquer sa condamnation à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis prononcée par un tribunal correctionnel pour des faits de corruption active de magistrat. Il n’a pas davantage complété son dossier en faisant état de sa nouvelle condamnation, intervenue le lendemain du dépôt de sa demande de réinscription.

En conséquence, le Conseil d’Etat a jugé – sans surprise - que le conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes avait fait une exacte application de la loi en lui refusant, pour non satisfaction de la condition de moralité, sa réinscription à l’un des tableaux départementaux de l’ordre.

(2 décembre 2020, M. B., n° 434997)

 

215 - Chirurgiens-dentistes – Plainte dirigée contre un fait prescrit – Obligation de relever d’office la forclusion – Absence – Annulation.

Doit être cassée pour erreur de droit la décision de la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes  de sanctionner un chirurgien-dentiste pour des irrégularités dont l’une au moins était prescrite lors du dépôt de la plainte par le médecin-conseil d’un service médical départemental  et de la caisse primaire d'assurance maladie de ce département, sans relever d’office la forclusion entachant l’un des faits reprochés alors qu’il s’agit là d’un motif d’ordre public.

(30 décembre 2020, M. B., n° 437221)

 

216 - Acte réglementaire d’un ordre professionnel – Conditions de reconnaissance de diplômes, titres ou fonctions - Publication dans un mensuel d’informations professionnelles sur le site internet de l’ordre – Publicité insuffisante pour permettre son entrée en vigueur – Absence d’opposabilité de l’acte – Annulation.

(2 décembre 2020, M. D., n° 426692) V. n° 1

 

217 - Avocats – Marché public de travaux – Résiliation - Contestation du décompte général et définitif du marché par un avocat de l’entreprise titulaire du marché – Avocat sans qualité pour contester le décompte – Décompte considéré comme accepté par l’entreprise – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

La Banque de France avait adressé à l’entreprise titulaire d’un marché qu’elle avait conclu le décompte général et définitif de ce marché. Celui-ci avait été contesté par l’avocat de l’entrepreneur.

Se prévalant des dispositions de l'article 5.1.1 du CCAG et de l'article 1.2.6 du CCAP, selon lesquelles le titulaire du marché doit désigner une personne physique pour le représenter au cours de l’exécution du marché, la Banque de France a considéré que l’avocat ne représentait pas validement l’entrepreneur lorsqu’il a contesté ce décompte et qu’ainsi l’entrepreneur avait acquiescé à celui-ci tel que présenté par la Banque.

Son recours contre cette décision ayant rejeté en première instance et en appel, la société s’est pourvue en cassation. Le Conseil d’État lui donne raison, ces décisions de justice reposant chacune sur une erreur de droit.

Pour parvenir à ce résultat le juge résout en réalité deux questions distinctes.

La première concerne le mandat de l’avocat.

Le juge de cassation considère que les art. 4 et 6 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques et 8 du décret du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat confèrent aux avocats, sous réserves d’exceptions expresses, qualité pour représenter leurs clients devant les administrations publiques sans avoir à justifier du mandat qu'ils sont réputés avoir reçu de ces derniers dès lors qu'ils déclarent agir pour leur compte (en vertu du principe que « l’avocat est cru sur sa robe »). Les dispositions précitées du CCAG et du CCAP ne font pas obstacle à ce principe de représentation universelle de son client par l’avocat.

La seconde question découle du libellé du début de l’art. 6 précité de la loi de 1971 selon lequel « Les avocats peuvent assister et représenter autrui devant les administrations publiques (…) ». La Banque de France constitue-t-elle une « administration publique » ? On sait le particularisme de la nature juridique de cet organisme qui est un peu transgenre de ce point de vue.

Le Conseil d’État, assez logiquement et, en tout cas, de façon expédiente considère ici que la Banque de France doit être considérée comme une administration publique au sens et pour l'application des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1971.

(18 décembre 2020, Société Rudo Chantier, n° 427850)

 

218 - Pédicures-Podologues – Poursuites disciplinaires – Utilisation de procédés de publicité – Absence d’initiative en ce sens de la part du professionnel – Absence de faute disciplinaire – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la chambre disciplinaire de l’ordre des pédicures-podologues qui estime que la circonstance qu’un confrère n’était pas à l’initiative d’un article de presse dans lequel il tient des propos de nature publicitaire exclut toute faute professionnelle ou déontologique et rejette la plainte formée contre lui par un conseil régional de l’ordre.

(23 décembre 2020, Conseil régional d'Occitanie de l'ordre des pédicures-podologues, n° 425963)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

219 - Redevance post-stationnement – Régime argué d’inconstitutionnalité – Non-respect des droits de la défense – Atteinte au droit au recours – Méconnaissance de l’art. 12 de la Déclaration de 1789 – Refus de renvoi d’une QPC – Rejet.

Aucune des critiques émises par le demandeur à l’encontre de l’inconstitutionnalité du mécanisme et de la procédure du forfait post-stationnement n’a convaincu le Conseil d’Etat d’en renvoyer l’examen au Conseil constitutionnel sous forme de QPC.

Tout d’abord ce forfait ne porte pas atteinte aux droits de la défense d’une part car il ne constitue pas une sanction mais une redevance pour occupation du domaine public et, d’autre, la majoration dont il fait l’objet trois mois après son non-paiement peut être contestée devant la juridiction administrative.

Ensuite, ce forfait ne porte pas davantage atteinte au droit au recours ni en ce qu’il présuppose un recours administratif préalable obligatoire devant la commission compétente ni en ce qu’il empêcherait le recours aux personnes peu fortunées en l’état de la possibilité d’obtenir l’aide juridictionnelle.

Enfin, nulle atteinte n’est portée à l’art. 12 de la Déclaration de 1789 par le fait que la collecte de la redevance puisse être, par contrat, confiée à un tiers, cette fonction ne constituant pas une mission de souveraineté et d’ailleurs les dispositions contestées (art. L. 2333-87 CGCT) ne prévoient point que l’établissement et la collecte de la majoration due à l’Etat soient confiés à une personne privée.

(1er décembre 2020, M. B., n° 44526)

 

220 - Question prioritaire de constitutionnalité – Libre administration des collectivités territoriales – Transfert aux communes membres d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) des agents correspondants en cas de restitution à ces communes d’une des compétences qui avaient été transférées à l’EPCI – Pouvoir du préfet d’effectuer cette répartition à défaut d’accord entre les collectivités concernées – Continuité du service public – Refus de renvoyer la QPC.

(11 décembre 2020, Commune de Carnin, n° 444762) V. n° 16

 

221 - Accès aux professions médicales et pharmaceutiques – Accès réservé, sous condition, aux seuls praticiens à diplôme étranger – Atteinte au principe d’égalité – Caractère sérieux de la QPC – Renvoi au Conseil constitutionnel.

Est jugée de caractère et sérieux et renvoyée au C.C. pour y être examinée, la question de la conformité au principe d’égalité des dispositions du B du IV et du V de l'article 83 de la loi du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007 - dans la version qui lui a été donnée par les lois du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé et du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne - instaurant un accès aux professions médicales et pharmaceutiques réservé aux seuls praticiens à diplôme étranger ayant exercé des fonctions de professionnel de santé au sein d'établissements de santé, alors que de telles fonctions, notamment paramédicales, peuvent être exercées de manière comparable dans d'autres environnements professionnels, notamment médico-sociaux.

(23 décembre 2020, Mme D. et autres, n° 445041)

 

222 - Utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation – QPC dirigée contre le III de l’art. L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime – Art. 7 de la Charte de l’environnement – Question de caractère sérieux – Renvoi de la QPC.

Les associations requérantes soutenaient, à l’appui de leur demande d’annulation du décret du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d'habitation, une QPC à l’encontre du III de l’art. L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime sur la base duquel ce décret a été pris.

Le Conseil d’État envoie au Conseil constitutionnel cette QPC en relevant que présente un caractère sérieux le moyen tiré de ce que cette disposition législative méconnaît l’art. 7 de la Charte de l’environnement en tant que cette dernière dispose que « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, (...) de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement » alors  que la loi n’a pas prévu des modalités suffisantes de participation du public préalablement à l'élaboration des chartes d'engagements des utilisateurs des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation.

(31 décembre 2020, Association Générations Futures et autres, n° 439127)

 

Responsabilité

 

223 - Principe de sécurité juridique – Règle du délai raisonnable – Inapplicabilité aux recours en responsabilité – Sécurité juridique assurée par la règle de prescription quadriennale – Annulation.

Nouveau rappel de ce que la règle jurisprudentielle du délai raisonnable, normalement d’un an, a été instituée dans un souci de sécurité juridique. Elle ne s’applique donc pas aux actions en responsabilité lesquelles, d’une part, doivent être précédées d’une demande préalable à l’administration et, d’autre part, sont soumises au régime de la prescription quadriennale des créances sur les personnes publiques, ce qui assure en cette matière une protection suffisante de la sécurité juridique.

(11 décembre 2020, Société Casa, n° 433639)

 

224 - Dépôts sauvages de déchets sur un propriété privée – Propriété se trouvant sur un site classé et labellisé Natura 2000 – Inertie du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police des déchets – Carence lourdement fautive du préfet – Annulation sans renvoi, le Conseil d’État statuant au fond.

Dans cette affaire exemplaire, un couple, propriétaire d’un vaste terrain situé sur un site classé cherche, en vain depuis 1990, à faire empêcher par les autorités publiques le dépôt de déchets sur celui-ci et à les voir ordonner leur enlèvement.

Le Conseil d’État condamne la commune, d’une part, à retirer à ses frais ses propres déchets et d’autre part, à indemniser à hauteur de 70% de son montant le préjudice subi par les demandeurs à la réparation. Il condamne également l’État, pour faute lourde car il s’agit d’une grave carence dans l’exercice de son pouvoir de tutelle sur l’autorité municipale défaillante, à hauteur des 30% restants dudit préjudice, sous réserve de compléments et précisions devant être fournis au juge par les parties.

(18 décembre 2020, Commune de Six-Fours-les-Plages, n° 420569 ; Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 420584)

 

225 - Inspection du travail – Faute commise dans l’exercice de sa mission de contrôle – Comportement fautif de nature à engager la responsabilité de l’État – Annulation.

Dans un litige en responsabilité de l’État du fait d’exposition de travailleurs aux poussières d’amiante sur un chantier naval, le Conseil d’État précise les motifs et conditions de la mise en cause de la responsabilité de l’État du chef de l’éventuelle carence de l’inspection du travail.

Normalement, les membres de l'inspection du travail, qui disposent d'une large marge d'appréciation dans le choix des moyens juridiques qui leur apparaissent les plus appropriés pour assurer l'application effective des dispositions légales par les entreprises soumises à leur contrôle, doivent adapter le type et la fréquence de leurs contrôles à la nature et à la gravité des risques que présentent les activités exercées ainsi qu’à la taille des entreprises. Il leur revient de tenir compte, dans l'exercice de leur mission de contrôle, des priorités définies par l'autorité centrale ainsi que des indications dont ils disposent sur la situation particulière de chaque entreprise, au regard notamment de la survenance d'accidents du travail ou de maladies professionnelles ou de l'existence de signalements effectués en particulier par les représentants du personnel.

Il suit de là qu’une faute commise par l'inspection du travail dans l'exercice de ses pouvoirs pour veiller à l'application des dispositions légales relative à l'hygiène et à la sécurité au travail est de nature à engager la responsabilité de l'Etat s'il en résulte pour celui qui s'en plaint un préjudice direct et certain.

En l’espèce, il est considéré que la cour administrative d’appel a inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que le préjudice invoqué trouvait sa cause directe dans la carence fautive de l'Etat.

(18 décembre 2020, Ministre du travail, n° 437314)

 

226 - Réparation d’un dommage – Aggravation postérieure au jugement – Office du juge d’appel en ce cas – Annulation.

Rappel de ce que si, en principe, le juge d'appel ne peut réparer les préjudices invoqués que dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges,  il peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant si le dommage s'est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué dès lors que le demandeur en indemnisation a majoré en appel ses prétentions de première instance car le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu’il attaque.

(29 décembre 2020, M. A., n° 432775)

 

227 - Responsabilité hospitalière – Dommage anormal (art. L. 1142-1 c. santé pub.) – Présomption irréfragable d’anormalité du dommage en cas de probabilité faible de survenance – Annulation pour qualification inexacte des faits.

Rappel de ce que : « La condition d'anormalité du dommage prévue par les dispositions de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique doit toujours être regardée comme remplie lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, mais que la survenance du dommage présentait une probabilité faible ».

Il faut donc considérer qu’il s’agit là d’une présomption irréfragable d’anormalité du dommage.

(31 décembre 2020, Mme C., n° 438787)

 

Santé publique

 

228 - Covid-19 - Recours à l’avortement – Assouplissement des conditions – Avortements pratiqués avant la fin de la douzième semaine de grossesse – Avortements par voie médicamenteuse en dehors d’un établissement de santé – Délivrance de substances en dehors du champ cde l’autorisation de mise sur le marché – Impossibilité pour un pharmacien d’invoquer une clause de conscience – Rejet.

Pour tenir compte d’un certain nombre de contraintes, d’urgences ou d’impossibilités liées à l’épidémie de coronavirus et susceptibles d’affecter la possibilité pour des femmes enceintes de recourir à l’avortement, un arrêté du premier ministre, du 14 avril 2020, est intervenu pour apporter plusieurs modifications au cadre réglementaire jusque-là existant, constituant chacune autant d’assouplissements ou de mises à l’écart du droit commun. Cet arrêté est attaqué par les trois associations requérantes dont les demandes sont jointes.

Le Conseil d‘État rejette l’ensemble des arguments en se fondant, pour l’essentiel, sur la gravité de la situation sanitaire, les difficultés de déplacement des personnes concernées, la surcharge hospitalière rendant parfois impossible la réalisation d’avortements.

Brevitatis causa, l’arrêté litigieux autorise la réalisation, en dehors d'un établissement de santé, d’un avortement par voie médicamenteuse jusqu'à la fin de la septième semaine de grossesse, soit au-delà du délai de droit commun de cinq semaines de grossesse et permet la prescription à cette fin des spécialités pharmaceutiques en dehors du cadre de leur autorisation de mise sur le marché.

Par ailleurs, dérogeant sur ce point également au code de la santé publique, l’arrêté litigieux  permet – avec les accords de la femme et du praticien - la prescription, dans le cadre d'une téléconsultation réalisée par le médecin ou la sage-femme, des médicaments nécessaires à la réalisation de l’avortement ainsi que la délivrance directe, par le pharmacien d'officine à la femme, de ces médicaments, dans un conditionnement ajusté à la prescription, et la prise du premier de ces médicaments lors d'une téléconsultation avec le médecin ou la sage-femme. 

Tout d’abord, le Conseil d’État estime qu’en raison des circonstances exceptionnelles telles que régies par la loi d’urgence du 23 mars 2020, outre le premier ministre, dont la compétence se limite aux mesures générales, le ministre de la santé était compétent pour prendre toutes les autres mesures de nature à assurer la protection de la santé, pour autant qu’elles soient strictement nécessaires et proportionnées pour obvier la menace sanitaire. Il était donc, à ce titre, compétent, afin de permettre la réalisation d’un avortement par voie médicamenteuse au domicile jusqu'à la fin de la septième semaine de grossesse, pour autoriser – à titre dérogatoire - la prescription de spécialités pharmaceutiques en dehors du cadre de leur autorisation de mise sur le marché. 

Ensuite, concernant le contenu même des mesures critiquées, il est jugé que dans le contexte décrit plus haut, celui-ci est estimé proportionné, en densité et dans le temps, aux circonstances de fait nées de l’épidémie de Covid-19.

Enfin, est rejeté l’argument selon lequel serait illégale l’absence de clause de conscience qui permettrait aux pharmaciens d’officine - au contraire de ce qu’il en est pour d’autres professions de santé - de ne pas délivrer des médicaments destinés à provoquer un avortement car la circonstance qu’au lieu d’être délivrés par eux à d’autres professionnels de santé, ils le sont par eux directement à la femme enceinte ne modifierait pas la situation antérieure. De plus, est aussi avancé, sans valeur juridique en réalité et sans démonstration pertinente une fois de plus, l’argument selon lequel ces pharmaciens seraient « dans une situation différente » de celle des autres professionnels de santé.

La solution, dans son ensemble, repose – implicitement mais nécessairement - sur l’idée que le recours à l’avortement est une liberté plus fondamentale que d’autres (réunion, religion, aller et venir, etc.) puisque tout est mis en œuvre pour assurer son effectivité.

(16 décembre 2020, Association Alliance Vita et Association Juristes pour l'enfance, n° 440214 ; association Pharmac'éthique, n° 440316, jonction)

 

229 - Spécialités pharmaceutiques remboursables – Exclusion des spécialités et des préparations homéopathiques – Absence d’atteinte aux objectifs d’une directive européenne – Absence de non-respect des droits de la défense – Avis de la commission de la transparence rendu en connaissance de cause – Rejet.

Les huit requêtes jointes tendaient à l’annulation :

- des décrets n° 2019-904 du 30 août 2019 relatif à l'exclusion de préparations homéopathiques de la prise en charge par l'assurance maladie, n° 2019-905 du 30 août 2019 modifiant les conditions de remboursement des spécialités homéopathiques et des préparations homéopathiques,

- des arrêtés interministériels du 4 octobre 2019 portant radiation de médicaments homéopathiques de la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et mettant fin à la prise en charge par l'assurance maladie des préparations homéopathiques remboursables, de l’arrêté du 25 novembre 2019 fixant le taux de la participation de l'assuré prévue à l'article L. 160-13 du code de la sécurité sociale pour les spécialités homéopathiques et les préparations homéopathiques mentionnées au 7° de l'article R. 160-5 du même code,

- de la décision du 27 novembre 2019 du directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie portant application du taux de participation de l'assuré fixé au titre du 7° de l'article R. 160-5 du code de la sécurité sociale,

- de la décision tacite augmentant de 70 à 85 % le taux de la participation de l'assuré social prévue à l'article L. 160-13 du code de la sécurité sociale pour les formules homéopathiques de prescription courante, révélée par la publication en ligne, en décembre 2020, sur la base des médicaments et des informations tarifaires de l'assurance maladie, de la liste de ces formules et de leur taux modifié de prise en charge,

- de la décision tacite radiant, à compter du 1er janvier 2021, les formules homéopathiques de prescription courante de la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux, révélée par la publication en ligne, le 11 février 2020, sur la base des médicaments et informations tarifaire de l'assurance maladie, de la liste de ces formules assortie d'une date de fin de prise en charge au 31 décembre 2020 au motif d'une « radiation ».

Elles sont rejetées en tous leurs chefs de moyens, le recours contre l’avant-dernier des actes attaqués précités étant jugé irrecevable car il ne constitue pas une décision contrairement à ce qui est allégué par la société requérante première dénommée.

Pour le reste :

1° l'arrêté du 4 octobre 2019 radiant des médicaments homéopathiques de la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux ne souffre d’aucun des vices qui, selon les requérantes, affecteraient sa légalité externe ;

2° l'exception d'illégalité des articles R. 163-14-4 à R. 163-14-6 du code de la sécurité sociale est rejetée qu’il s’agisse de leur confrontation avec les art. L. 5121-13, L. 5121-8 et L. 5121-9 du code de la santé publique ou avec les objectifs de la directive 89/105/CEE du 21 décembre 1988,

3° les autres moyens de légalité interne sont également rejetés, en particulier celui tiré de la méthodologie et de l’avis de la commission de la transparence et celui tiré de ce que la radiation des spécialités homéopathiques de la liste des médicaments remboursables aurait mécaniquement pour effet d’accroître les dépenses d’assurance maladie,

4° ne prospèrent pas davantage les critiques dirigées contre le décret du 30 août 2019 et l'arrêté du 4 octobre 2019 mettant fin à la prise en charge par l'assurance maladie des préparations homéopathiques, notamment celles portant sur l’incompétence de l’auteur du décret, sur la consultation spontanée de la commission de la transparence par le premier ministre, sur la prétendue erreur manifeste d’appréciation qu’aurait commise le pouvoir réglementaire en relevant l'absence d'élément propre à établir l'efficacité des préparations homéopathiques ou leur intérêt pour la santé publique,

5° le décret du 30 août 2019, l'arrêté du 25 novembre 2019 et la décision du 27 novembre 2019 relatifs au taux de la participation de l'assuré social aux tarifs des spécialités et préparations homéopathiques n’ont pas davantage que les précédents été pris par une autorité incompétente et ne souffrent d’aucune des illégalités déjà alléguées, en vain, pour les autres textes précédemment examinés par le juge.

(18 décembre 2020, Sociétés Boiron et Homéopathie Rocal, n° 435407, n° 435409, n° 436452, n° 436453, n° 437628, n° 437631 ; Société Boiron, n° 438097 et n° 439042, jonction)

 

230 - Fixation d’éléments tarifaires – Activités de soins de suite et de réadaptation – Modification réglementaire des conditions de prise en charge des prestations d’hospitalisation par les régimes obligatoires de sécurité sociale – Fixation d’une évolution moyenne nationale et d’une évolution moyenne par région des tarifs de soins de suite et de réadaptation sans distinction entre établissements de santé privés à but lucratif ou sans but lucratif – Rejet.

Les conditions de prise en charge par le régime obligatoire de sécurité sociale des soins de suite et de réadaptation ont été modifiées par un arrêté du 18 avril 2019 fixant pour l'année 2019 les éléments tarifaires mentionnés aux 1° à 3° du I de l'article L. 162-22-3 du code de la sécurité sociale des établissements de santé figurant au d de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale. En bref, le nouveau mécanisme, à la différence du précédent, ne distingue plus, parmi les établissements de santé privés entre ceux à but lucratif et ceux sans but lucratif et se fonde sur l'évolution moyenne nationale et l'évolution moyenne dans chaque région des tarifs de ces prestations. Le recours tendait à l’annulation de cette modalité nouvelle.

Il est rejeté en tous ses chefs de moyens.

Tout d’abord, il ne résulte pas directement de ce texte, contrairement à ce que soutient la fédération requérante, qu'il modifierait les règles relatives au dispositif d'allègement de charges fiscales existant pour les établissements sans but lucratif.

Ensuite, en prenant en considération, pour édicter l'arrêté attaqué, l'incidence positive du crédit d'impôt sur la taxe sur les salaires sur le niveau des charges des établissements privés de santé à but non lucratif mentionnés au d de l'article L. 162 22-6, les nouvelles dispositions n'ont pas méconnu les termes de l'article R. 162-31-5 dont elles devaient faire application et n'ont pas commis d'erreur de droit.

Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en fixant l'évolution moyenne nationale des tarifs des prestations de soins de suite et de réadaptation et de psychiatrie aux niveaux prévus par l'arrêté attaqué, aurait été commise, au regard notamment des charges de personnel des établissements de santé ayant une activité de soins de suite et de réadaptation ou de psychiatrie, une erreur manifeste dans l'application des dispositions mises en oeuvre.

Encore, l’arrêté, se bornant à fixer d’une part les deux catégories d’évolutions moyennes et d’autre part les variations maximales et minimales des taux d'évolution des prestations qui peuvent être allouées aux établissements, n’empêche pas que les agences régionales de santé fixent les tarifs applicables à chaque établissement en tenant compte de sa situation particulière.

(23 décembre 2020, Fédération des établissements hospitaliers, et d'aide à la personne, privés à but non lucratif, n° 431858)

 

231 - Recommandations de bonnes pratiques – Recommandations élaborées par la Haute autorité de santé (HAS) – Contribution à la connaissance des données acquises de la science – Obligation pour les professionnels de santé de parfaire leurs connaissances et de les adapter au patient – Mise à jour ultérieure des recommandations, rectification ou abandon de celles-ci par la HAS – HAS saisie d’une demande de réexamen d’une recommandation négative – Obligation pour la HAS, le cas échéant, de correction, même partielle, d’une recommandation - Date à laquelle le juge se place pour statuer sur un tel litige – Rejet.

(23 décembre 2020, Association Autisme Espoir vers l'école, n° 428284) V. n° 7

 

Service public

 

232 - Invocation de règles particulières pour se soustraire à l’application de la loi commune - Restauration scolaire – Menus de substitution aux menus comportant de la viande de porc – Imposition d’un menu unique à tous les rationnaires - Absence de d’obligation ou d’interdiction de proposer de tels menus – Prise en compte de l’intérêt général – Rejet.

L’association requérante a contesté en justice la décision d’une commune de ne plus proposer de repas de substitution lorsque le menu des cantines scolaires prévoit du porc car cette dernière se serait fondée pour cela – à tort - sur les principes de laïcité, de neutralité et d’égalité entre usagers du service public.

Le Conseil d’État lui donne raison en confirmant l’essentiel de la motivation de l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel.

Selon le Conseil d’État une collectivité publique n’est pas tenue de proposer des menus de substitution et ne se le voit pas non plus interdire. Dès lors, ainsi que l’avait jugé la cour administrative d’appel, pour supprimer le système existant d’offre d’un menu de substitution, une commune n’a pas le droit de se fonder sur les principes de laïcité, de neutralité et d’égalité des usagers du service public.

La cour avait ajouté que le gestionnaire d’un service public administratif ne peut décider d’en modifier les modalités d’organisation et de fonctionnement sans invoquer « des motifs en rapport avec les nécessités du service ». Le Conseil d’État, estimant ce motif surabondant par rapport au précédent, se dispense de le censurer pour cause d’inopérance.

Par ailleurs, la commune ayant soutenu que l’existence de menus de substitution conduisait à stigmatiser les enfants concernés, à les regrouper à des tables communes et à les ficher pour des raisons de commodité de gestion, ceci en violation de la loi informatique et libertés, le Conseil d’État rejette l’argumentaire au motif que la requérante n’établit pas l’existence de ces pratiques.

La décision est critiquable pour les incertitudes qu’elle crée.

Pour quel(s) motif(s) une commune peut-elle décider de ne pas créer de menu de substitution ? En soutenant que c’est plus cher, plus compliqué, etc. En voyant dans le menu unique une façon d’amener tous les enfants à la soumission à une loi commune ?

Pour que(s) motif(s) une collectivité publique peut-elle légalement décider de mettre fin au menu de substitution ?

Que se serait-il passé si les pratiques dénoncées par la commune avaient été établies ?

Le raisonnement de la cour déclaré, ici, inopérant l’est-il relativement à l’autre motif ou bien absolument ?

Enfin, il est une question passée sous silence dans cette interminable controverse sur les menus « religieux » qui est celle de la taxation de nature religieuse que supportent les aliments de substitution. La certification qu’une viande est bien conforme aux prescriptions de telle religion est un rituel payant ; la commune qui achète ce produit verse donc, inclus dans le prix d’achat, le coût de la certification de conformité.

Que devient en ce cas le principe de la loi de 1905 que la république « ne subventionne aucun culte » ?

(11 décembre 2020, Commune de Chalon-sur-Saône, n° 426483)

 

Sport

 

233 - Football – Épidémie de Covid-19 – Interruption de la saison 2019-2020 – Décision subséquente de la Fédération française de football concernant les championnats amateurs – Rejet.

Les différents recours tendaient à l’annulation, les uns, de la décision du comité exécutif de la Fédération française de football du 16 avril 2020 en tant qu’elle a mis fin à la saison 2019/2020 des championnats amateurs et a fixé les règles relatives au classement, aux accessions et aux relégations, les autres, à la décision de cet organisme en date du 11 mai 2020 établissant les critères et les modalités d'accession et de relégation du championnat de National 1 masculin pour la saison 2019/2020, et, l’un d’eux, en outre, la décision du 15 mai 2020 établissant le classement du championnat de National 1 masculin pour la saison 2019/2020.

On n’est guère surpris que, par une argumentation très semblable à celle retenue dans le cadre d’autres recours, nombreux, formés par des organisations professionnelles (cf. cette Chronique, juin 2020, n° 163 à n° 165 inclus, juillet-août 2020, n° 207 à n° 210 inclus et n° 212, octobre 2020, n° 138 et n° 139), le juge rejette l’ensemble de ces recours en raison des circonstances sanitaires, du silence des statuts fédéraux sur une telle question, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation, et cela alors même que d’autres solutions eussent été possibles et que, dans d’autres pays européens, ont été retenues, ceci étant sans effet sur la légalité des décisions contestées.

(17 décembre 2020, Association Blanc-Mesnil Sport Football, n° 440437 ; Le Causse Limagne FC et autres, n° 440967 ; Sporting Club Toulon, n° 441114 ; Union sportive Nogent 94, n° 441188 ; Association Le Puy Foot 43 Auvergne, n° 441775 ; Société AS Béziers, n° 442089)

(234) V. aussi, le rejet de demandes d’annulation :

1° de la décision du 27 mai 2020 par laquelle le comité exécutif de la Fédération française de football a réformé, en la privant de tout effet, la décision de l'assemblée générale de la Ligue de football professionnel du 20 mai 2020 portant à vingt-deux clubs le format de la Ligue 2 et maintenant en Ligue 2, pour la saison 2020-2021, les clubs classés en 19ème et 20ème positions de ce championnat à l'issue de la saison 2019-2020 ;

2° ainsi que, par voie de conséquence, de la décision du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel du 5 juin 2020 prononçant la relégation en National 1 des clubs classés en 19ème et 20ème positions de Ligue 2 ;

3° de la décision du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel du 5 juin 2020 de ne pas organiser de barrages entre le 18ème de Ligue 2 et le 3ème de National 1 et de la décision du comité exécutif de la Fédération française de football du 22 juin 2020 approuvant cette décision : 17 décembre 2020, Société Union sportive Orléans Loiret Football, n° 441444 ; Société anonyme sportive professionnelle (SASP) Le Mans Football Club, n° 441451 ; Union sportive Boulogne Côte d'Opale (USCO), n° 442159.

(235) V. également, très semblable, à propos des effets du Covid-19 sur les compétitions de volley-ball : 18 décembre 2020, SASP Le Grand Nancy Volley-Ball et Association Le Grand Nancy Volley-Ball, n° 440801 et n° 441541.

 

Urbanisme

 

236 - Aire de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP) – Appréciation de la légalité de l’institution d’une telle aire – Cas d’une parcelle incluse dans l’aire et ne présentant pas un tel intérêt – Appréciation de la légalité au regard de l’objectif de mise en valeur de l’ensemble – Annulation avec renvoi.

Une société a obtenu le permis de construire un hôtel de cent chambres ainsi que 48 logements ; il est attaqué par un particulier qui sollicite en même temps l’annulation, pour illégalité, du règlement de l'aire de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine de la commune de La Baule-Escoublac. Débouté en première instance, il obtient gain de cause en appel avec l’annulation du règlement contesté.

La commune se pourvoit et le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel en tant qu’il a estimé illégal ledit règlement.

Pour ce faire, le juge de cassation se fonde sur le caractère global de l’objectif de création d’une AVAP ; le diagnostic qui la fonde envisage un territoire dans sa globalité et non dans ses diverses composantes territoriales. Or la cour avait jugé que la parcelle de terrain sur laquelle portait le permis ne présentait pas par elle-même de caractéristiques particulières justifiant son inclusion dans une AVAP.

La théorie de la globalité d’appréhension d’une AVAP n’impose donc pas que chaque parcelle ou chaque entité territoriale quelconque prise en elle-même possède l’une ou plusieurs des raisons d’ordre culturel, architectural, urbain, paysager, historique ou archéologique qui ont conduit à créer l’AVAP.

(10 décembre 2020, Commune de La Baule-Escoublac, n° 428303)

 

237 - Permis de construire des logements en résidence étudiante – Permis modificatif à fin de régularisation – Permis dérogeant à certaines règles d’urbanisme – Condition de mixité sociale – Pouvoir souverain d’appréciation laissé aux juges du fond – Rejet.

Dans ce litige en contestation du permis de construire délivré à une société en vue de la réalisation d’une résidence pour étudiants, le Conseil d’État, outre diverses questions se rencontrant habituellement dans ce genre de dossier, résout deux difficultés particulières.

La première relève du droit du contentieux : un pouvoir souverain d’appréciation est laissé aux juges du fond pour apprécier si est respectée la condition de mixité sociale imposée par diverses dispositions du droit de l’urbanisme pour qu’il puisse être dérogé à certaines prescriptions du plan local d’urbanisme (cf. art. L. 152-6 c. urb.).

La seconde difficulté concerne la forme qu’est susceptible de revêtir la régularisation d’un permis de construire irrégulier. Ici il est admis qu’elle puisse consister, sur demande expresse en ce sens du pétitionnaire, en une dérogation, permise par le code de l’urbanisme, aux règles d’urbanisme normalement applicables

(17 décembre 2020, Société Lapeyre, n° 432561)

 

238 - Demande d’annulation de divers articles d’un plan local d’urbanisme – Juge ordonnant la régularisation des dispositions illégales par délibération du conseil municipal – Utilisation de l’art. L. 600-9 du code de l’urbanisme - Conséquences procédurales en résultant – Non-lieu à statuer et rejet du surplus des demandes.

Le litige, qui portait sur l’illégalité de dispositions d’un plan local d’urbanisme et a conduit le juge à faire usage des pouvoirs qu’il tient de l’art. L. 600-9 du code de l’urbanisme de demander à la commune de régulariser les dispositions illégales dudit plan, est l’occasion de très utiles précisions procédurales sur le recours à cette disposition.

L’art. L. 600-9 du code précité dispose que : « Si le juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre (...) un plan local d'urbanisme (...), estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'une illégalité entachant l'élaboration ou la révision de cet acte est susceptible d'être régularisée, il peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation et pendant lequel le document d'urbanisme reste applicable, sous les réserves suivantes : 1° En cas d'illégalité autre qu'un vice de forme ou de procédure, pour (...) les plans locaux d'urbanisme, le sursis à statuer ne peut être prononcé que si l'illégalité est susceptible d'être régularisée par une procédure de modification (...).

Si la régularisation intervient avant le délai fixé, elle est notifiée au juge, qui statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations (...) ".

Il suit de là deux séries de conséquences, l’une pour le juge et l’autre pour l’auteur du recours.

Il résulte des termes mêmes de cette disposition (« après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés ») que le juge a l’obligation, avant d’ordonner la régularisation et de surseoir à statuer à cet effet, d’une part, de constater expressément qu’aucun des autres moyens soulevés par le demandeur n’est fondé et, d’autre part, d’indiquer les motifs pour lesquels ils ne sont pas retenus.

S’agissant du requérant, il s’évince de ce qui précède après qu’un tel sursis a été ordonné, qu’il peut contester aussi bien la décision de faire application de l’art. L. 600-9 précité que le rejet des autres moyens qu’il avait invoqués. Cependant, sa demande relativement à la mise en œuvre de l’art. L. 600-9 c. urb. devient sans objet dès qu’intervient la délibération régularisant l’illégalité relevée par le juge.

(18 décembre 2020, Société Fonimmo-ID, n° 421987)

 

239 - Plan d’urbanisme - Contestation du classement de parcelles dans ce plan - Annulation du plan – Nouveau plan adopté par la commune – Portée de l’autorité de chose jugée attachée au jugement d’annulation antérieur – Rejet.

Le requérant avait demandé et obtenu du tribunal administratif en 2004 l’annulation de la révision d’un plan d’occupation des sols (POS) adoptée en 2000 en tant qu’il classait trois des parcelles dont il était propriétaire en zone ND car celles-ci devaient être regardées comme faisant partie d’une zone urbanisée. Ce jugement, fondé sur l’erreur manifeste d’appréciation résultant d’un tel classement, est devenu définitif.

Le nouveau plan local d’urbanisme, adopté en 2014 classe lesdites parcelles en zone N.

Le tribunal administratif a rejeté le recours de l’intéressé qui était fondé sur ce que ce classement porterait atteinte à l’autorité absolue attachée à son précédent jugement. Le jugement ayant été confirmé en appel, un pourvoi est formé. Il est rejeté.

Le Conseil d’État approuve la cour administrative d’appel d’avoir jugé que le nouveau classement ne méconnaissait pas l’autorité de chose jugée du premier jugement car celle-ci ne concerne que le dispositif de celui-ci et ceux des motifs qui en sont le soutien nécessaire. La cour a considéré que la commune, dans son nouveau plan, retenait un parti d’aménagement et de développement durables caractérisé par une limitation de l’urbanisation en vue de préserver les milieux naturels, de limiter le mitage et de favoriser une utilisation économe de l’espace naturel, par suite, elle a pu légalement ne plus classer les parcelles litigieuses en zone urbaine et ceci « alors même que leur configuration et leur aspect n'avaient pas évolué ».

Au-delà du phénomène de mode sur le développement durable, la solution peut surprendre au regard de la « logique » de raisonnement qui y est suivi et du peu de considération pour le principe d’effectivité des recours en justice.

(18 décembre 2020, M. B., n° 421988)

 

240 - Permis de construire – Preuve d’un affichage continu de deux mois non rapportée – Absence de forclusion du recours introduit – Urgence censée toujours exister, sauf circonstance particulière, s’agissant de la construction d’un bâtiment – Construction presque achevée – Urgence inexistante – Annulation de l’ordonnance de référé contraire.

La requérante contestait un permis de construire qu’une commune s’était délivré à elle-même pour la construction d’une maison de sauvetage. Son action en référé suspension (art. L. 521-1 CJA) ayant été rejetée en première instance, elle saisit le Conseil d’État par voie d’appel.

Le Conseil d’État, accueillant l’appel mais le rejetant au fond, apporte deux indications intéressantes.

En premier lieu, est annulée la forclusion opposée à la requérante en première instance car les constats d’huissier établissent l’existence d’un affichage du permis de construire litigieux du 19 septembre au 21 octobre mais point du 21 octobre au 19 novembre. L’absence de preuve d’un affichage continu de deux mois n’étant pas rapportée la requérante est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance qui l’a déboutée pour forclusion.

En second lieu, et plus original, le Conseil d’État estime non remplie la condition d’urgence même si en principe, en matière de construction d’un bâtiment, la condition d’urgence est présumée toujours satisfaite car en l’espèce la construction était presque terminée lors de la saisine du juge puisque restait encore seule à réaliser la végétalisation du toit.

D’où le rejet de l’appel.

(ord. réf. 23 décembre 2020, Fédération des Associations de Protection de l'Environnement et du Littoral des Côtes-d'Armor, n° 441349)

 

241 - Permis de construire – Irrégularités – Invitation du juge à régulariser (art. L. 600-5-1 c. urb.) – Possibilité pour l’auteur du recours de contester ce jugement – Recours devenant sans objet à partir de la délivrance d’un permis modificatif – Annulation sans renvoi de l’arrêt d’avant-dire droit.

Rappel d’une solution bien connue quand les juges du fond, ayant retenu l'existence d'un ou de plusieurs vices entachant la légalité d’un permis de construire dont l'annulation leur était demandée, ont décidé avant dire droit de surseoir à statuer en faisant usage des pouvoirs qu'ils tiennent de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme pour inviter l'administration à régulariser ce ou ces vices.

En cette hypothèse, l'auteur du recours formé contre le jugement ou l'arrêt avant dire droit peut contester ce jugement ou cet arrêt en tant qu'il a écarté comme non fondés les autres moyens qu’il avait dirigés contre l'autorisation initiale d'urbanisme et également en tant qu'il a fait application des dispositions de l'article L. 600-5-1.

Toutefois, la délivrance du permis modificatif régularisant le ou les vices relevés, a pour effet de rendre sans objet celle de ses conclusions dirigée contre la mise en œuvre par le juge des pouvoirs de l'article L. 600-5-1 précité.

(24 décembre 2020, M. A. et société La Savane, n° 427890)

 

242 - Projet d'aménagement et de développement durables (PADD) - Absence d’opposabilité directe à une demande d’autorisation de construire – Nécessité de la prise en compte des orientations du PADD en cas d’élaboration suffisamment avancée d’un plan local d’urbanisme – Appréciation du point de savoir si l’objet du permis de construire est de nature à rendre plus onéreuse ou à compromettre l’exécution du PLU – Absence d’erreur de droit – Rejet.

Rappel de ce que, d’une part, le projet d'aménagement et de développement durables (PADD) prévu par l'article L. 151-2 du code de l'urbanisme n'est pas directement opposable aux demandes d'autorisation de construire, et d’autre part, l'autorité saisie d'une telle demande doit prendre en compte les orientations du PADD, dès lors qu'elles traduisent un état suffisamment avancé du futur plan local d'urbanisme, pour apprécier si la construction envisagée serait de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution de ce plan et décider, le cas échéant, de surseoir à statuer sur la demande, en application de l'article L. 153-11 du code de l'urbanisme.

(24 décembre 2020, M. A., n° 435980)

 

243 - Permis de construire – Contestation de deux permis identiques - Permis situé sur des terrains contigus - Identité des constructions – Desserte par une même voie – Octroi le même jour de permis modificatifs identiques – Réalisation d’un ensemble immobilier unique – Absence – Rejet.

La circonstance que deux projets, faisant l’objet de permis de construire distincts délivrés à des personnes juridiques différentes, sont identiques, que leurs plans sont similaires, que les futures constructions seront desservies par la même voie d'accès, que le local à ordures ménagères, l'abri pour les boîtes aux lettres et la borne à incendie sont communs aux deux projets et que des permis de construire modificatifs, qui ont le même objet, ont été délivrés le même jour, n’a qu’une cause d'ordre technique, insuffisante à elle seule, pour caractériser l'existence d'un ensemble immobilier unique : c’est à bon droit que la commune a délivré deux permis de construire distincts.

(24 décembre 2020, M. et Mme A., n° 436046)

 

244 - Permis de construire - Projet soumis à étude d’impact (tableau annexé à l’art. R. 122-2 c. envir.) – Contenu du dossier – Mesures et modalités à la charge du pétitionnaire (art. R. 122-14 c. envir.) – Erreur de droit – Annulation.

De cette très longue décision rendue à propos de la contestation d’un permis de construire 226 logements répartis en sept bâtiments où de très nombreux moyens étaient soulevés, on retiendra seulement un aspect, important, qui conduit à l’annulation du jugement attaqué, rendu après cassation, le Conseil d’État étant saisi pour la seconde d’un pourvoi dans ce dossier et statuant donc définitivement.

Il s’agissait d’un permis de construire portant sur un projet qui, selon les termes de l’art. L. 122-1 du code l’environnement, en raison de ses dimensions et d’autres aspects, était susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine ; il devait donc être précédé d’une étude d’impact car il figure sur les lignes 36° et 37° du tableau annexé à l’art. R. 122-2 du code précité.

Le I de l’art. R. 122-14 de ce code précise que : « La décision d'autorisation, d'approbation ou d'exécution du projet mentionne :

1° Les mesures à la charge du pétitionnaire ou du maître d'ouvrage, destinées à éviter les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine, réduire les effets n'ayant pu être évités et, lorsque cela est possible, compenser les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine qui n'ont pu être ni évités ni suffisamment réduits ;

2° Les modalités du suivi des effets du projet sur l'environnement ou la santé humaine ;

3° Les modalités du suivi de la réalisation des mesures prévues au 1° ainsi que du suivi de leurs effets sur l'environnement (...) ». 

Le tribunal administratif avait jugé que la méconnaissance de l'article R. 122-14 ne pouvait pas être utilement invoquée à l'encontre du contenu d'un permis de construire délivré pour des travaux soumis à étude d'impact. Il a donc commis une erreur de droit entraînant ipso facto son annulation.

(29 décembre 2020, Association Koenigshoffen Demain, n° 432539)

 

245 - Périmètre de secteur sauvegardé – Obligation d’un permis de démolir le cas échéant – Permis de construire devant être accompagné de la justification du dépôt de la demande d’un permis de démolir ou constituer, en même temps, un permis de démolir – Permis de construire valant aussi permis de démolir sous condition d’une demande expresse en ce sens – Annulation.

 Rappel de ce que la réalisation de travaux de démolition portant sur une construction située dans le périmètre d'un secteur sauvegardé, devenu site patrimonial remarquable, est subordonnée à l’obtention d’un permis de démolir.

Le permis de construire autorisant un projet présupposant la démolition totale ou partielle d'une construction soumise au régime du permis de démolir, doit être accompagnée de la justification du dépôt de la demande de permis de démolir ou bien porter à la fois sur la démolition et sur la construction.

Lorsque le permis de construire et le permis de démolir ont été accordés par une même décision et au terme d'une instruction commune, ils n’en demeurent pas moins des actes distincts ayant des effets propres.

Il s’ensuit que la décision accordant un permis de construire ne peut valoir également permis de démolir que si le dossier de demande mentionne explicitement que le pétitionnaire entend solliciter cette autorisation de démolir.

(29 décembre 2020, M. B., n° 434818)

 

246 - Permis de construire – Régularisation des vices l’affectant – Annulation du permis sans examen de la demande de régularisation – Méconnaissance de l’art. L. 600-5-1 c. urb. – Annulation avec renvoi.

Encourt la cassation le jugement qui annule un permis de construire sans répondre au moyen subsidiaire tendant à ce qu’il soit sursis à statuer sur cette demande d’annulation – en application des dispositions de l’art. L. 600-5-1 c. urb. – afin de permettre la régularisation de vices éventuels dont il serait entaché.

(30 décembre 2020, Société Kaufman et Broad, n° 436038)

 

247 - Plan d’urbanisme intercommunal (PLUi) – Modifications demandées par le préfet – Exécution du plan différée jusqu’à la réalisation des modifications – Référé-suspension  – Condition d’urgence satisfaite quand la demande de modifications retarde l’entrée en vigueur du PLUi – Obligation pour le juge des référés d’ordonner la suspension de l’exécution de toute demande préfectorale de modification en présence d’un doute sérieux sur sa légalité – Impossibilité de rejeter le référé sur le fondement des autres motifs fondant légalement la demande de modification - Annulation de l’ordonnance de référé – Suspension partielle de la décision préfectorale.

Le conseil communautaire de la communauté de communes requérante a approuvé le plan local d'urbanisme intercommunal valant programme local de l'habitat alors que son territoire n'est pas couvert par un schéma de cohérence territoriale. L’autorité préfectorale, au visa de  l'art. L. 153-25 du code de l'urbanisme, a demandé que soient apportées trois modifications : la suppression ou la localisation dans des parties déjà anthropisées du territoire trois zones destinées à accueillir des installations photovoltaïques ; le classement en zone UX de l'emprise de la voie d'accès au futur site d’un abattoir ; une définition plus précise des critères permettant le changement de destination des bâtiments isolés en zones agricole et naturelle, afin de limiter le nombre et la dispersion des bâtiments concernés, et la traduction de ces nouveaux critères dans les documents graphiques.

Le juge des référés ayant rejeté sa demande de suspension de l’exécution de cette décision, la communauté de communes se pourvoit en cassation.

Le litige portait pour l’essentiel sur l’office du juge des référés.

De ce que les demandes de modifications ont pour effet de retarder l’entrée en vigueur du PLUi jusqu’à la réalisation effective des modifications, le Conseil d’État juge qu’est ipso facto satisfaite la condition d’urgence nécessaire pour permettre la suspension d’une décision administrative en référé.

Ensuite, il incombe au juge des référés qui constate l’existence d’un moyen, invoqué par le demandeur, de nature à créer un doute sérieux sur l’une des demandes de modification, d’ordonner la suspension de la décision en tant qu’elle porte sur cette modification.

Or, en l’espèce, le juge des référés, après avoir estimé qu'était de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée le moyen dirigé contre l’une des demandes de modification du plan, a rejeté l'ensemble des conclusions dont il était saisi au motif que la même décision aurait été prise si n'avaient été retenus que les deux autres motifs car ils lui paraissaient de nature à fonder légalement sa décision. Son ordonnance est annulée pour méconnaissance de l’office du juge des référés en ce cas.

La décision aborde aussi la question de l’impartialité du juge.

A l’issue de l’enquête publique, lors de la remise du rapport de la commission d’enquête, le président du tribunal avait demandé que soit apporté un complément à ce rapport pour expliquer pourquoi, après avoir émis des réserves sur ce projet, la commission avait cependant donné un avis favorable. La communauté de communes requérante estimait qu’étant ainsi intervenu, le même juge ne pouvait pas se prononcer en qualité de juge des référés sur la demande elle l’avait saisi.

Le Conseil rejette l’argument car l’intervention en cause, fondée sur les dispositions de l’art. R. 123-20 du code de l’urbanisme, se bornait à demander un complément sans porter aucun jugement sur le bien-fondé du rapport ainsi que des réserves émises ; dès lors aucune atteinte n’a été portée à l’exigence d’impartialité du juge.

(30 décembre 2020, Communauté des communes de la Ténarèze, n° 441075)

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