Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Septembre 2020

 

 Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Décision du président de la république - Décision de rapatriement "au cas par cas" d'enfants français se trouvant en Syrie - Incompétence du juge administratif pour connaître des recours dirigés contre des décisions non détachables des relations internationales - QPC - Irrecevabilité - Rejet de la QPC et non admission du pourvoi pour le surplus.

(9 septembre 2020, Mmes X. et Y., n° 439520) V. n° 65

 

2 - Circulaire - Circulaire contenant des dispositions impératives ou des lignes directrices - Interprétation inexacte par le juge du fond tombant sous le contrôle du juge de cassation - Annulation.

Dans une affaire relative au contentieux né du refus du CNRS de maintenir un agent en activité au-delà de la limite d'âge, l'auteur de la décision litigieuse s'était appuyé sur une circulaire dont les juges d'appel ont estimé que, contenant des dispositions impératives, elle avait été prise par une autorité incompétente et qu'elle était donc entachée d'illégalité.

Le juge de cassation s'estime compétent pour censurer cette interprétation et décider que cette circulaire ne contenait, en la matière que des lignes directrices dont l'édiction entrait dans la compétence de leur auteur.

(21 septembre 2020, CNRS, n° 425960)

 

3 - Article 37, alinéa 2 de la Constitution - Délégalisation - Refus du premier ministre de délégaliser des dispositions figurant dans une loi - Dispositions incompatibles avec des normes supérieures - Circonstance indifférente à l'exercice par le premier ministre de sa compétence en matière de délégalisation - Rejet.

La société requérante demandait l'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'engager la procédure prévue au second alinéa de l'article 37 de la Constitution et de procéder par décret à la modification des dispositions de l'article 5 de la loi du 22 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques. 

Le Conseil d'État constate que les dispositions de cet article relèvent manifestement, en vertu de l'art. 34 de la Constitution, du domaine de la loi car elles concernent le principe de la liberté commerciale, les règles relatives à la liberté, au pluralisme et à l'indépendance des médias ainsi qu'aux principes fondamentaux du régime des obligations commerciales, elles instaurent un droit des éditeurs à être distribués dans des conditions transparentes et non discriminatoires différencié selon la nature des publications, en préservant un droit absolu d'accès à la distribution pour la presse d'information politique et générale, en prévoyant un droit d'accès dans les limites de règles d'assortiment et de détermination des quantités fixées par un accord interprofessionnel pour la presse autre que d'information politique et générale bénéficiant de tarifs postaux aidés.

Cependant, la requérante invoquait au soutien de sa demande la circonstance que ces dispositions seraient incompatibles avec des normes supérieures. Cet élément, à le supposer établi, ne peut venir étayer ladite demande car le premier ministre n'est compétent, selon l'art. 37 al. 2 de la Constitution, que pour abroger celles des dispositions contenues dans un texte de forme législative qui sont de nature réglementaire, non en raison de leur inconstitutionnalité ou de leur inconventionnalité, cette situation n'ayant pas pour effet de porter atteinte à ou de modifier la nature législative des dispositions en cause.

C'est donc sans illégalité que le premier ministre a refusé d'exercer en l'espèce le pouvoir qu'il tient des dispositions constitutionnelles précitées. 

(28 septembre 2020, Société World Actu Magazines Ltd, n° 441171)

 

4 - Attribution d'un avantage - Conditions d'attribution incomplètement définies - Autorité non détentrice du pouvoir réglementaire - Volonté d'assurer la complétude du régime juridique de l'avantage – Édiction d'une circulaire comportant des lignes directrices - Examen particulier de chaque cas - Annulation.

L'absence de définition par un texte prévoyant l'octroi d'un avantage de l'ensemble des conditions permettant de déterminer à qui l'attribuer parmi ceux qui sont en droit d'y prétendre, ouvre à l'autorité compétente, même non détentrice du pouvoir réglementaire, la possibilité d'encadrer l'action de l'administration, dans le but d'en assurer la cohérence, en déterminant, par la voie de lignes directrices, sans édicter aucune condition nouvelle, des critères permettant de mettre en œuvre le texte en cause, sous réserve de motifs d'intérêt général conduisant à y déroger et de l'appréciation particulière de chaque situation. Dans ce cas, la personne en droit de prétendre à l'avantage en cause peut se prévaloir, devant le juge administratif, de telles lignes directrices si elles ont été publiées. 

(21 septembre 2020, CNRS, n° 425960) V. aussi n° 2

(5) V. aussi, identique sur cet aspect, le point 5 de : 21 septembre 2020, M. X., n° 428683. Sur ce dernier arrêt, V. n° 26

 

6 - Acte réglementaire - Commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques - impôts - Commentaires ajoutant à la loi - Incompétence - Annulation.

Le III de l'art. 244 quater B du CGI dispose que les sommes reçues par les organismes de recherche privés agréés mentionnés au d bis du II du même article pour la réalisation d'opérations de recherche qui leur sont confiées par des entreprises entrant elles-mêmes dans le champ des bénéficiaires du crédit d'impôt recherche constituent, pour ces entreprises donneuses d'ordre, des dépenses éligibles à ce crédit.

En revanche, selon ce texte, les organismes de recherche sous-traitants ne peuvent inclure les dépenses exposées pour réaliser de telles opérations dans la base de calcul de leur crédit d'impôt recherche.

Commentant ces dispositions, l'administration fiscale (commentaires administratifs publiés le 4 avril 2014 au bulletin officiel des finances publiques impôts sous la référence BOI-BIC-RICI-10-10-20-30 et exemple chiffré illustrant cette position) considérait que les organismes privés agréés de recherche étaient tenus de déduire de l'assiette de leur crédit d'impôt la fraction des sommes facturées à des donneurs d'ordre pour la réalisation d'opérations de recherche pour le compte de ces derniers qui excèderait le montant des dépenses de recherche éligibles afférentes à ces mêmes opérations.

Ces commentaires ajoutent donc à la loi et sont, par suite, entachés d'incompétence.

(9 septembre 2020, Société Takima, n° 440523)

 

7 - Décisions suspendant la pratique du parachutisme sportif au-dessus d'un aérodrome ouvert à la circulation aérienne publique - Décisions de caractère réglementaire - Décisions n'ayant ni à être motivées ni à être précédées d'une procédure contradictoire - Rejet.

Les décisions par lesquelles le ministre chargé de l'aviation civile suspend l'activité de parachutisme sur l'aérodrome Amiens-Glisy à titre conservatoire sont des actes à caractère réglementaire alors même qu'ils n'ont d'effet que sur la société requérante. Ces décisions n'ont donc ni à être précédées d'une procédure contradictoire ni à être motivées que ce soit en vertu du CRPA ou d'autres textes ou d'un principe général.

Cette solution n'a pas pour elle la vertu d'évidence.

(25 septembre 2020, Société "Sauter en parachute", n° 433586) V. aussi au n° 78

(8) V. aussi, confirmatif de cet aspect du litige, le point 5 de : 25 septembre 2020, Mme X. et Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA), n° 437524.

 

Collectivités territoriales

 

9 - Dotation forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement - Détermination de son montant en cas de division de communes (art. L. 2334-12 CGCT) - Travaux préparatoires de la loi du 31 décembre 1993 - Annulation juridictionnelle d'une fusion de communes - Inapplicabilité des dispositions précitées - Rejet.

Le code général des collectivités territoriales dans ses dispositions codifiant la loi du 31 décembre 1993 (notamment art. L. 2334-7, art. L. 2334-12) portant réforme de la dotation globale de fonctionnement, règle les conditions de détermination des différentes composantes de la dotation globale de fonctionnement dans l'hypothèse d'une décision administrative aboutissant à une division de communes.

En l'espèce, avait été adoptée une fusion de communes qui avait été, ensuite, annulée par le tribunal administratif. La commune requérante prétendait au bénéfice de l'application des dispositions susrappelées du CGCT. Les juges de première instance et d'appel en ont jugé différemment, estimant que l'annulation d'une fusion ne constituait pas une "division de communes" au sens et pour l'application des textes issus de la réforme de 1993. Le Conseil d'État, se fondant notamment sur les travaux préparatoires de la loi, confirme cette analyse. Il précise en outre qu'est "sans incidence à cet égard la circonstance que le juge aurait décidé, tout en prononçant l'annulation de la décision de fusion de communes, de réputer définitifs tout ou partie des effets produits par cette décision de fusion avant son annulation". 

(21 septembre 2020, Commune de Bois-Guillaume, n° 426859)

 

10 - Collectivités locales de Polynésie française, de Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna – Dotation d’équipement des territoires ruraux – Absence de définition par la loi des modalités de versement et de répartition de cette dotation – Atteinte à la libre administration, à l’autonomie financière de ces collectivités et au principe d’égalité devant la loi – Absence – Rejet de la demande de transmission d’une QPC.

Saisi par les communes requérantes d’une demande de transmission d’une QPC dirigée contre diverses dispositions du code général des collectivités territoriales fondée sur ce que celles-ci, en raison du silence de la loi sur les conditions de versement et de répartition de la dotation d’équipement des territoires ruraux, porteraient atteinte aux principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales ainsi qu’à celui d'égalité devant la loi, le Conseil d’Etat rejette le recours.

Tout d’abord, il est rappelé que l’incompétence négative du législateur, soit, ici, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence, ne peut pas être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sauf si cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. 

Ensuite, s’il résulte, d’une part, de l’'article 72 de la Constitution que : « Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences », et d’autre part, de l’article 72-2, que : «  Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi », ces dispositions, positivement,  n’imposent pas au législateur de définir les modalités de versement et de répartition de la dotation d'équipement des territoires ruraux pour les collectivités polynésiennes et, négativement, ne lui interdisent pas de prévoir que l'État versera à des collectivités territoriales des subventions dans un but déterminé.

Par suite, les requérantes ne sauraient soutenir qu’il est ainsi porté atteinte aux principes constitutionnels sus-énoncés du fait que la loi ne précise pas, pour les territoires concernés, si la dotation litigieuse constituera pour eux une subvention ou une dotation libre d’emploi.

On regrettera une lecture très restrictive des principes constitutionnels invoqués au soutien de la demande de transmission de la QPC. Le jacobinisme est encore bien vivant.

(28 septembre 2020, communes de Faa’a et de Punaauia, n° 439964)

 

11 - Établissement public territorial - Régime de l'indemnité mensuelle du président, des vice-présidents, des conseillers supplémentaires membres du bureau et des autres conseillers territoriaux (art. L. 5211-12, L. 5219-2, L. 5219-9 et L. 5219-2-1 CGCT) - Cas des conseillers territoriaux - Régime indemnitaire distinct - Annulation de l'arrêt d'appel.

Commet une erreur de droit l'arrêt d'une cour administrative d'appel qui juge que, de la combinaison des dispositions précitées du CGCT, il résulte que l'enveloppe indemnitaire globale définie par le deuxième alinéa de l'article L. 5211-12 doit être répartie entre l'ensemble des élus, président, vice-présidents mais aussi conseillers de l'établissement public territorial, alors que ces derniers ne relèvent pas de ce régime indemnitaire.

(21 septembre 2020, Établissement public Grand Orly Seine-Bièvre, n° 431880)

 

Contentieux administratif

 

12 - Référé suspension - Fonctionnaires - Enseignants des universités - Recrutement d'un professeur - Procédure déclarée infructueuse - Demande de suspension - Absence d'atteinte grave et immédiate caractérisant une urgence - Rejet.

Un maître de conférences, classé premier à un poste de professeur des universités, parmi les trois candidats auditionnés, demande la suspension de la décision par laquelle le conseil académique de l'université a déclaré cette procédure de recrutement infructueuse.

Si le juge reconnaît la vocation du requérant à être nommé professeur dans le cas où la procédure n'aurait pas été déclarée infructueuse, sa demande est rejetée par le double motif qu'il n'est, en l'espèce, porté une atteinte grave et immédiate ni à la situation personnelle de l'intéressé ni à l'intérêt public qui s'attache au bon fonctionnement de l'université. En l'absence d'une telle atteinte il n'existe donc pas d'urgence à statuer.

On peut discuter cette solution d'autant que, saisi sur le fondement de l'art. L. 521-1 CJA, le juge examine une condition qui n'appartient qu'au référé de l'art. L. 521-2, le référé liberté.

(ord. réf. 1er septembre 2020, M.X., n° 442755)

 

13 - Référé suspension - Arrêté préfectoral instaurant l'obligation de porter un masque dans la ville de Rouen - Rejet en première instance - Requête d'appel avec argumentation inchangée - Rejet de l'appel.

La requête tendant à la suspension de l'arrêté préfectoral instaurant le port obligatoire d'un masque dans la ville de Rouen avait été rejetée par le tribunal administratif en formation collégiale par des motifs jugés pertinents par le Conseil d'État. Le recours en appel se bornant à reprendre l'argumentation de première instance, il est rejeté selon la procédure expédiente de l'art. L. 522-3 CJA.

(ord. réf. 1er septembre 2020, M. X., n° 443381)

 

14 - Référé suspension - Obligation de former une requête au fond - Absence - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

Il ne saurait exister de requête en référé suspension sans une requête distincte demandant une annulation au fond. Le défaut de cette dernière rend manifestement irrecevable le référé suspension.

(ord. réf.  4 septembre 2020, M. X., n° 443529)

 

15 - Référé suspension - Interdiction de l’utilisation du cannabidiol obtenu à partir de la plante de chanvre entière (art. R. 5132-86, code de la santé publique) - Confédération de buralistes demandant la suspension de l’exécution de cette disposition - Absence d’atteinte grave au point de rendre urgente la suspension - Rejet.

La confédération requérante demandait l’annulation et, dans l’attente, la suspension du refus implicite du premier ministre opposé à sa demande d’abrogation de l’art. R. 5132-86 CSP et de son arrêté d’application du 22 août 1990 en tant qu'ils interdisent l'importation, l'exportation et l'utilisation industrielle et commerciale du cannabidiol obtenu à partir de la plante de chanvre entière.

Pour rejeter le référé le juge se fonde sur le fait que si des pratiques locales diverses concernant cette interdiction sont de nature à porter atteinte à la concurrence et à l’impératif d’ordre public d'une vente strictement encadrée de ce produit afin d'assurer plus efficacement la protection de la santé publique et celle des mineurs, cette circonstance n’est pas de nature à conférer à elle seule un caractère d’urgence à la situation en résultant.

(29 septembre 2020, Confédération des buralistes, n° 444888)

 

16 - Juge des référés - Recours contre une ordonnance de désistement rendue par le juge du pôle social d'un tribunal judiciaire - Incompétence de la juridiction administrative - Rejet de la requête par voie d'ordonnance.

Est rejetée par voie d'ordonnance en raison de l'incompétence manifeste de la juridiction administrative, selon les dispositions de l'art. R. 522-8-1 du CJA, la demande de suspension dirigée contre une ordonnance de désistement prononcée par le juge du pôle social d'un tribunal judiciaire.

La solution est évidente.

(ord. réf. 14 septembre 2020, M. X., n° 444018)

 

17 - Référé liberté - Conditions d'octroi - Absence de réunion de ces conditions - Rejet.

Est rejetée selon la procédure expédiente de l'art. L. 522-3 CJA, la requête en référé liberté qui ne justifie pas de l'urgence à statuer et qui ne comporte aucun élément sérieux et précis susceptible de caractériser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. 

(ord. réf. 4 septembre 2020, Mme X., n° 443649)

 

18 - Compétence ratione materiae du Conseil d'État - Recours (référé liberté) dirigé contre un arrêté préfectoral - Incompétence manifeste - Rejet.

Irrecevabilité manifeste d'une requête en référé dirigée contre un arrêté préfectoral (obligation du port du masque) et portée devant le Conseil d'État en première instance.

(ord. réf. 4 septembre 2020, Association Sant-Roumié Hier Saint-Rémy Demain, n° 443686)

 

19 - Désistement d'office pour défaut de réponse dans le délai imparti - Appel de l'ordonnance donnant acte du désistement - Obligations s'imposant au juge d'appel - Annulation.

En première instance la société appelante avait été réputée d'office s'être désistée pour n'avoir pas, dans le délai imparti, confirmé expressément le maintien de ses conclusions (art. R. 612-5-1 CJA).

En appel, alors que la société contestait l'ordonnance de donné acte du désistement, le juge d'appel a estimé que la société ne pouvait pas discuter utilement devant lui les motifs ayant conduit le premier juge à faire application des dispositions de l'article R. 612-5-1 CJA.

Cassant cette analyse, le Conseil d'État  rappelle ainsi l'office du juge d'appel en cette occurrence : « A l'occasion de la contestation en appel de l'ordonnance prenant acte du désistement d'un requérant en l'absence de réponse à l'expiration du délai qui lui a été fixé, il incombe au juge d'appel, saisi de moyens en ce sens, de vérifier que l'intéressé a reçu la demande mentionnée par les dispositions de l'article R. 612-5-1 du code de justice administrative, que cette demande fixait un délai d'au moins un mois au requérant pour répondre et l'informait des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai et que le requérant s'est abstenu de répondre en temps utile et d'apprécier si le premier juge, dans les circonstances de l'affaire, a fait une juste application des dispositions de l'article R. 612-5-1. »

Il convient de s'interroger sur le point de savoir si la solution retenue est bien respectueuse du but poursuivi par l'auteur de l'article litigieux.

(07 septembre 2020, SAS Almerys, n° 427640)

 

20 - Référé liberté - Appel de l'ordonnance - Absence de moyen d'appel - Rejet pour irrecevabilité manifeste (art. L. 522-3 CJA).

La requête en appel qui ne comporte aucun moyen d'appel est manifestement irrecevable et elle est rejetée selon la procédure expédiente de l'art. L. 522-3 du CJA.

En l'espèce, il s'agissait d'un appel sur référé mais la solution est la même pour tout appel non assorti de moyens.

(ord. réf. 7 septembre 2020, M. X., n° 443571)

 

21 - Référé réexamen (art. L. 521-4 CJA) - Absence de mesure ordonnée - Irrecevabilité de l'appel - Ordonnance refusant de prendre une mesure - Appel possible.

Dans un litige portant sur la suspension, par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), du versement de l'allocation pour demandeur d'asile, le Conseil d'État précise les conditions de l'appel dirigé contre une ordonnance rendue sur le fondement des dispositions de l'art. L. 521-4 CJA (dit référé réexamen).

En principe, lorsque le juge saisi d'une demande de réexamen d'une ordonnance de référé n'a ordonné aucune mesure, l'appel contre cette ordonnance est irrecevable.

Il en va toutefois différemment lorsque le juge du réexamen a expressément refusé de faire droit à une demande de réexamen et que l'appel est dirigé contre le refus de réexamen. En ce cas, en effet, la recevabilité de l'appel ne dépend pas du sens du dispositif de l'ordonnance primitive mais de la décision de refus.

(ord. réf. 17 septembre 2020, M. X., n° 438417) V. aussi n° 67

 

22 - Référé réexamen - Centralisation et traitement des données en lien avec l'épidémie de Covid-19 - Demande de saisine de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) - Demande excédant les pouvoirs du juge des référés - Rejet.

Les requérants avaient, par la voie d'un référé liberté, demandé et obtenu (ordonnance du 19 juin 2020) que la Plateforme des données de santé, d'une part, fournisse à la CNIL, dans un délai de cinq jours, tous éléments relatifs aux procédés de pseudonymisation utilisés, propres à permettre à celle-ci de vérifier que les mesures prises au titre du Covid-19 assurent une protection suffisante des données de santé traitées sur le fondement de l'arrêté du 23 mars 2020 modifié et, d'autre part, complète, dans le même délai, les informations figurant sur son site internet relatives au projet portant sur l'exploitation des données de passages aux urgences pour l'analyse du recours aux soins et le suivi de la crise sanitaire de la Covid-19, conformément aux motifs de sa décision. 

Par une nouvelle demande de référé, fondée cette fois sur l'art. L. 521-4 CJA (dit référé réexamen), les requérants demandent au juge :

- d'une part, à titre principal, d'ordonner la suspension de la centralisation et du traitement des données en lien avec l'épidémie de Covid-19 sur la Plateforme des données de santé, ainsi que toutes mesures utiles pour garantir l'absence d'atteinte grave et manifestement illégale aux droits et libertés fondamentaux du fait de l'utilisation de cette plateforme pour le traitement des données en lien avec le Covid-19,

- et, d'autre part, à titre subsidiaire, de renvoyer à la Commission nationale de l'informatique et des libertés la question de l'appréciation de la protection adéquate des données liées au Covid-19 centralisées et traitées au sein de la Plateforme des données de santé, au regard du transfert de ces données vers les États-Unis. 

Ce recours est rejeté par motif de procédure puisqu'il ne tend ni à voir modifiées les mesures prescrites le 19 juin 2020, ni à ce qu'il y soit mis fin ni, enfin, à ce que leur exécution soit assurée. En réalité, est demandée au juge la prise de nouvelles mesures, à savoir la suspension de la centralisation et du traitement, par le biais de la Plateforme des données de santé, des données de santé utiles à la gestion de l'urgence sanitaire et à l'amélioration des connaissances sur le SARS-CoV-2 prévues par l'arrêté du 23 mars 2020. Or ces mesures figurant désormais à l'art. 30 de l'arrêté du 10 juillet 2020, abrogeant celui du 23 mars, la demande excède donc le champ de ce que le juge du référé de l'art. L. 521-4 CJA peut ordonner.

Enfin, il n'existe dans cette nouvelle requête aucune justification de l'urgence qu'il y aurait à statuer.

(ord. réf. 21 septembre 2020, Conseil national du logiciel libre et autres, n° 444514)

 

23 - Référé liberté (art. L. 521-2 CJA) - Covid-19 - Obligation, par arrêté préfectoral, de port d'un masque dans un périmètre donné - Requête en référé - Modification postérieure substantielle de l'arrêté - Régime procédural applicable en ce cas (art. L. 522-1 et art. L. 522-3 CJA) - Tenue ou non d'une audience publique - Requête devenue sans objet – Non-lieu à statuer.

Un arrêté préfectoral du 4 septembre 2020, pris sur le fondement de la loi du 9 juillet 2020 et du II de l'article 1er du décret du 10 juillet 2020, a imposé le port du masque, jusqu'au 30 septembre 2020 inclus, à toute personne de onze ans ou plus, sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public, entre 7 heures et 2 heures, dans 44 des 71 communes de la métropole Rouen Normandie, abritant plus de 7 500 habitants et/ou avec une densité de population supérieure à 200 habitants au km², en excluant de cette obligation certains lieux, certaines activités, certaines personnes et certaines formes de circulation.

La demande de référé liberté du requérant dirigée contre cet arrêté ayant été rejetée le 8 septembre et la saisine du Conseil d'État ayant eu lieu le 10 septembre, le 16 septembre 2020 le préfet, à l'issue d'une instruction nouvelle, a abrogé son précédent arrêté et l'a remplacé par un nouveau substantiellement différent (modifications du périmètre visé, des critères d'exception, de l'amplitude horaire de l'obligation...) créant ainsi une situation de droit et de fait nouvelle. La requête d'appel est jugée sans objet.

Dans cette affaire se posait la question de la procédure à suivre pour prononcer ce non-lieu. Normalement le juge du référé liberté qui estime devoir engager la procédure prévue à l'article L. 522-1 CJA doit la poursuivre, notamment, en tenant une audience publique. Toutefois, lorsqu'après engagement de cette dernière procédure, intervient un désistement ou un évènement rendant sans objet la requête, le juge des référés peut, en vertu de son office, donner acte du désistement ou constater un non-lieu sans tenir d'audience. Au Conseil d'État, cette faculté appartient au président de la section du contentieux, ainsi qu'aux conseillers d'État qu'il a désignés à cet effet (art. R. 123-23 CJA) ; elle est exercée sur le fondement du 1° ou du 3° de l'art. R. 122-12 du CJA.

(ord. réf. 21 septembre 2020, M. X., n° 443996)

 

24 - Covid-19 - Référé liberté - Obligation de port du masque par les personnes de plus de onze ans - Atteinte avérée à une liberté fondamentale - Absence d’effet sur l’urgence à statuer - Obligation de satisfaire distinctement à chacune des deux conditions d’octroi de ce référé - Rejet.

Saisi d’un référé liberté contre deux arrêtés préfectoraux imposant l’obligation de port du masque pour les personnes plus de onze ans, sauf cas dérogatoires, le premier dans les 24 communes de la Métropole de Montpellier Méditerranée, le second sur le territoire de 23 communes du département de l’Hérault, le Conseil d’État rejette l’appel contre l’ordonnance de rejet du premier juge. C’est l’occasion pour lui de rappeler qu’il ne suffit pas qu’une atteinte avérée soit portée à une liberté fondamentale pour qu’en résulte une situation d’urgence, d’autant que dans le cadre de ce référé c’est d’une double urgence qu’il s’agit car, d’une part, il faut aller vite et, d’autre part, une solution doit pouvoir être apportée très vite.

Il y a bien deux conditions distinctes qui doivent l’une et l’autre, distinctement, être satisfaites pour qu’une demande en référé liberté puisse avoir quelque chance de prospérer. Le recours en appel est rejeté selon la procédure expédiente de l’art. L. 522-3 du CJA (sans contradictoire et sans conclusions du rapporteur public).

(29 septembre 2020, M. X. et autres, n° 444802)

 

25 - Demande d'inscription scolaire dérogatoire - Décisions de rejet - Introduction d'un recours contentieux - Retrait rétroactif des décisions durant l'instance - Décisions non contestées, revêtant ainsi un caractère rétroactif - Possibilité de condamner la partie perdante, même bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, au paiement des frais exposés non compris dans les dépens.

Le requérant avait sollicité une dérogation à la carte scolaire en vue de l'inscription de quatre de ses enfants à l'école primaire. L'annulation prononcée en première instance a été annulée en appel car le jugement s'était prononcé sur des décisions qui avaient été rétroactivement retirées en cours d'instance ; le requérant se pourvoit et sa demande est rejetée sur deux points qui méritent l'attention.

En premier lieu, il est rappelé qu’« un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif n'a d'autre objet que d'en faire prononcer l'annulation avec effet rétroactif. Si, avant que le juge n'ait statué, l'acte attaqué est rapporté par l'autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif faute d'être critiqué dans le délai du recours contentieux, il emporte alors disparition rétroactive de l'ordonnancement juridique de l'acte contesté, ce qui conduit à ce qu'il n'y ait lieu, pour le juge de la légalité, de statuer sur le mérite du pourvoi dont il était saisi. Il en va ainsi, quand bien même l'acte rapporté aurait reçu exécution. »

En second lieu, se posait la question de savoir si le requérant pouvait être condamné au paiement des frais non compris dans les dépens alors qu'il était bénéficiaire de l'aide juridictionnelle. La réponse est positive ainsi que cela avait été jugé en appel.

(9 septembre 2020, M. X., n° 425377)

 

26 - Principe de bonne administration de la justice - Demande de report d'audience - Liberté du juge - Absence d'obligation de motiver le refus du report - Rejet.

Rappel de ce que :

- d'une part, s'il incombe au juge saisi d'un recours de veiller à la bonne administration de la justice, celui-ci, sur demande de l'une des parties en ce sens, n'a aucune obligation, hormis le cas où des motifs exceptionnels tirés des exigences du débat contradictoire l'imposeraient, de faire droit à une demande de report de l'audience formulée par une partie

- et, d'autre part, le juge n'a pas davantage à motiver le refus qu'il oppose à une telle demande.

(21 septembre 2020, M. X., n° 428683) V. aussi n° 63

 

27 - Impartialité des juridictions - Tribunal administratif - Moyen énoncé pour la première fois en cassation - Moyen recevable - Formation de jugement comprenant un magistrat intervenu dans le cadre d'un précédent jugement - Second jugement opposant la chose jugée par le précédent jugement - Absence d'irrégularité - Rejet.

Le litige portait sur le licenciement, jugé irrégulier, d'une agente publique communale contractuelle. Estimant dommageables les conditions de sa réintégration, l'intéressée a formé un second recours qui sera rejeté, en première instance, en appel et en cassation.

Elle soulève pour la première fois, en cassation, le grief de défaut d'impartialité de la formation de jugement. Le Conseil d'État admet recevable ce moyen alors qu'il est présenté pour la première fois en cassation, ce qui est plus généreux que logique.

Ce moyen était fondé sur la circonstance que la formation qui a prononcé le second jugement comprenait un magistrat qui, en qualité de rapporteur, avait participé au jugement relatif à sa première demande indemnitaire. Pour rejeter l'argument, le juge de cassation retient que le second jugement, pour rejeter la demande dont il était saisi, a opposé l'autorité de chose jugée par le précédent jugement. Ce faisant, il n'a porté aucune appréciation sur les faits de nature à engager la responsabilité de la commune non plus que sur leur éventuel lien de causalité avec les préjudices dont la réparation leur était demandée. Sa composition n'était donc pas irrégulière et ce grief est rejeté. La solution doit être approuvée.

(25 septembre 2020, Mme X., n° 427050)

 

28 - Compétence juridictionnelle - Instauration d'espaces dédiés à l'accueil des détenus au sein des palais de justice - Recours pour excès de pouvoir soulevant une difficulté sérieuse - Renvoi au Tribunal des conflits.

Un syndicat d'avocats demande l'annulation, ainsi que le refus implicite de l'abroger, de l'une des dispositions d'un arrêté du garde des sceaux instaurant dans chaque palais de justice, une répartition des espaces en différentes zones afin notamment d'en assurer la sécurité, certaines zones étant ainsi dédiées à l'accueil des détenus, avant leur comparution ainsi que lors de celle-ci dans les salles d'audience.

Jugeant sérieuse la difficulté de la détermination de l'ordre juridictionnel compétent pour connaître de ce recours, le juge, selon la procédure prévue à l'art. 35 du décret du 27 février 2015, renvoie au Tribunal des conflits le soin de la résoudre.

(28 septembre 2020, Syndicat des avocats de France, n° 418694)

 

 

29 - Intérêt donnant qualité pour agir - Entreprise gestionnaire de microcentrales électriques utilisant l'énergie hydraulique sur la rive droite de la Mayenne - Autorisation administrative renouvelée pour 40 ans à une filiale d'EDF d'exploiter des microcentrales sur la rive gauche de la Mayenne - Existence en l'espèce d'un tel intérêt - Cassation.

Une entreprise privée, la société Socardel, qui exploite deux microcentrales électriques utilisant l'énergie hydraulique de la rive droite de la Mayenne, d'une part, conteste en justice l'arrêté préfectoral renouvelant, pour une durée de quarante ans, le règlement d'eau applicable aux ouvrages hydroélectriques exploités par la Société hydraulique d'études et de missions d'assistance (SHEMA) sur la Mayenne, filiale d'EDF, et reconduit, pour la même durée, l'autorisation d'exploiter ces installations dont bénéficiait cette société et, d'autre part, demande à être rétablie dans sa priorité de débit pour les ouvrages hydroélectriques qu'elle exploite.

Son recours est rejeté en première instance et en appel, il est accueilli en cassation.

Le juge observe d'abord qu'en principe un établissement industriel ou commercial ne peut se voir reconnaître la qualité de tiers recevable à contester devant le juge une autorisation délivrée en application de l'article L. 214-1 du code de l'environnement à une entreprise, fût-elle concurrente, que dans les cas où les effets que les installations, ouvrages, travaux et activités autorisés comportent sur les objectifs protégés par la police de l'eau sont de nature à affecter par eux-mêmes les conditions d'exploitation de cet établissement industriel ou commercial.

La recevabilité de son éventuelle action est donc subordonnée à l'existence d'un intérêt suffisamment direct lui donnant qualité pour demander l'annulation de l'autorisation en cause, compte tenu des conséquences directes que présentent pour lui les installations, ouvrages, travaux et activités autorisés, appréciés notamment en fonction de leurs conditions de fonctionnement, de la configuration des lieux ainsi que de l'état de la ressource en eau.

La cour avait dénié à la requérante tout intérêt qui lui aurait donné qualité pour agir en l'espèce. Son arrêt est cassé pour erreur dans la qualification juridique de la situation de fait de celle-ci.

En effet, la société Socardel exploite deux microcentrales hydroélectriques en rive droite de la rivière Mayenne, au droit des microcentrales hydroélectriques implantées en rive gauche et exploitées par la Société hydraulique d'études et de missions d'assistance. Chacune des installations hydroélectriques se trouve à l'extrémité d'un barrage commun nécessaire à l'utilisation de l'énergie hydraulique, de telle façon que leur utilisation de la force du cours d'eau pour la production d'électricité d'origine renouvelable affecte nécessairement les conditions de leurs exploitations respectives. A quoi il faut encore ajouter, ce qui "renforce" davantage encore l'intérêt à agir de l'intéressée, que l'arrêté litigieux a autorisé l'entreprise concurrente à augmenter son débit autorisé en le faisant passer de 9 à 13 mètres cubes par seconde.

(28 septembre 2020, Société Socardel, n° 424192)

 

30 - Caractère contradictoire de la procédure administrative - Notification d'un mémoire à une adresse autre que celle du logement occupé - Irrégularité - Annulation.

Le principe du contradictoire impose au juge, même des référés, de communiquer à chaque partie le mémoire adverse. Il doit le faire à l'adresse du logement occupé par chacune d'elles. A défaut d'une telle communication ou d'envoi à une autre adresse et en l'absence de production d'un mémoire par la partie concernée, la procédure est viciée pour non-respect du principe du caractère contradictoire de la procédure administrative contentieuse.

Il n'en irait autrement que si, nonobstant l'envoi à une adresse inexacte, l'intéressé a eu connaissance du mémoire irrégulièrement communiqué et, a fortiori, s'il y a répondu dans le cadre de l'instance.

(25 septembre 2020, Mme X., n° 440634 et n° 441647)

 

31 - Délai de recours contentieux - Demande d'expertise formulée durant le délai de recours contentieux - Absence d'interruption du cours de ce délai - Recours tardif - Rejet.

Rappel de ce que l'ordonnance de référé prescrivant une expertise sur demande d'une partie n'a pas pour effet d'interrompre le cours du délai de recours contentieux et cela même dans le cas où la demande d'expertise aurait été elle-même formée dans le délai du recours contentieux.

(28 septembre 2020, Mme X., n° 425630)

 

32 - Dénaturation des pièces du dossier - Interprétations erronées des conclusions d'un rapport d'expertise - Annulation.

Dénature doublement les pièces du dossier la cour d'appel qui :

- d'une part, affirme qu'un expert qui écrit que « la biopsie a été pratiquée (...) après repérage préalable par échographie mais sans contrôle par la sonde d'échographie au moment de la ponction » a regardé cette dernière comme " réalisée dans les règles de l'art "

- et d'autre part, affirme également que le rapport d'expertise ne se prononce pas sur la fréquence du risque hémorragique imputable à une biopsie rénale alors qu'il se fonde « sur des publications qui font état d'un risque hémorragique compris entre 13 et 56 % ».

L'annulation de cet arrêt s'imposait d'évidence.

(28 septembre 2020, Mme X., n° 426125)

 

Contrats

 

33 - Contrat de fourniture des services téléphoniques et internet à des services municipaux - Action contentieuse tendant au rétablissement du service interrompu par l'arrachage d'un poteau - Litige portant sur l'exécution d'un contrat ayant la nature d'un marché public - Compétence du juge administratif - Non-lieu à statuer.

Suite à l'arrachage d'un poteau supportant une ligne aérienne de télécommunications, le fonctionnement du téléphone et d'internet a été interrompu sur le territoire de la commune de Belvezet. Celle-ci a obtenu du juge des référés administratifs statuant sur le fondement des dispositions de l'art. L. 521-3 CJA, qu'il soit enjoint sous astreinte à Orange de prendre « toute mesure nécessaire pour rétablir les télécommunications sur la commune de Belvezet ».

Sur pourvoi d'Orange, qui sera rejeté pour non-lieu à statuer, la ligne ayant été rétablie entre-temps, le Conseil d'État voit dans ce litige qui porte sur l'exécution d'un contrat passé à titre onéreux par la commune avec un opérateur économique, en vue de répondre à ses besoins en matière de services de télécommunications, un litige en matière de marché public, donc relatif à un contrat administratif par détermination légale. Un tel litige relève, comme l'a jugé sans erreur de droit le premier juge, de la compétence de la juridiction administrative.

(ord. réf. 25 septembre 2020, Société Orange, n° 432727)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

34 - Détermination du bénéfice net en matière de BIC - Régime de la déductibilité pour pertes - Notion d'opérations suffisamment homogènes - Rejet.

Une société, appartenant à un groupe dont la société mère est la société requérante, exerce une activité de concession de véhicules automobiles. A ce titre, elle conclut avec certains de ses clients des contrats de vente aux termes desquels elle s'engage à reprendre à l'acheteur le véhicule qu'elle lui cède pour un prix fixé à l'avance, à une date ou à l'issue d'une période déterminée ou après que ce véhicule aura parcouru un certain nombre de kilomètres défini dans les contrats. Elle a donc déduit de son bénéfice imposable les sommes correspondant à l'agrégation des moins-values anticipées lors de la revente de véhicules cédés à des clients en application de ces contrats. L'administration fiscale a redressé la société, après vérification, et l'a assujettie à un supplément d'imposition. Ses recours, de première instance et d'appel ayant été rejetés, la société se pourvoit en cassation.

Selon l'art. 39 CGI le bénéfice net est déterminé après déduction de toutes les charges au nombre desquelles le 5° de ce texte fait figurer " Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. (...) ".

Une jurisprudence constante (au moins depuis : Assemblée, 28 juin 1991, ministre du budget c/ Société générale, n° 77921) a posé deux règles importantes en matière de déductibilité des charges.

En premier lieu, une entreprise ne peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, que si sont remplies les quatre conditions suivantes : 1°Les pertes ou les charges en cause doivent être nettement précisées quant à leur nature, 2° Elles doivent pouvoir être évaluées avec une approximation suffisante, 3° Elles doivent apparaître comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice, 4°/ Enfin,  elles doivent se rattacher par un lien direct aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise.

En second lieu, la jurisprudence n'admet la déductibilité des provisions pour charges au titre d'un exercice que si se trouvent comptabilisés, au titre du même exercice, les produits correspondant à ces charges et, en ce qui concerne les provisions pour pertes, elle subordonne leur déductibilité à la condition que la perspective de cette perte se trouve établie par la comparaison, pour une opération ou un ensemble d'opérations suffisamment homogènes, entre les coûts à supporter et les recettes escomptées.

En l'espèce, la contribuable avait déduit de ses résultats imposables au titre des exercices clos en 2009 et 2010 des sommes correspondant à l'agrégation des moins-values anticipées lors de la revente de véhicules cédés à des clients en application de contrats de vente par lesquels elle s'engageait à reprendre à l'acheteur le véhicule qu'elle lui cédait pour un prix fixé à l'avance, à une date ou à l'issue d'une période déterminée ou après que ce véhicule aura parcouru un nombre de kilomètres défini dans le contrat de cession. 

Par suite, le Conseil d'État, rejetant le pourvoi, approuve la démarche de l'arrêt contesté et son contenu.

Tout d'abord, la cour administrative d'appel a exactement qualifié les provisions en cause comme "provisions pour pertes". En effet, après avoir relevé que le montant des provisions constituées par la société, rattachées à l'exercice au cours duquel les véhicules ont fait l'objet de leur première cession, avait été déterminé par les écarts, lorsqu'ils sont négatifs, entre le prix de rachat des véhicules et leur valeur probable de revente au jour de leur rachat et que, ce faisant, la société avait entendu anticiper un événement de nature à diminuer son bénéfice au cours d'un exercice futur, lié, non pas à la charge que représenterait le rachat de véhicules en exécution d'une clause d'engagement de reprise, mais à la perte qui serait générée par leur revente à un prix inférieur au prix de rachat.

Ensuite, c'est sans erreur de droit que la cour a jugé, d'une part,  que l'ensemble des contrats concernés reposant sur un modèle économique et juridique unique, quels que soient la catégorie de véhicules et les clients concernés, devaient être analysés comme formant un ensemble d'opérations suffisamment homogènes au sein duquel gains et pertes devaient être calculés de manière agrégée pour la détermination du montant de la provision correspondante et, d'autre part, que l'administration avait à bon droit remis en cause la déductibilité des provisions en cause à concurrence du montant des opérations bénéficiaires.

(9 septembre 2020, Société ZF Holding, n° 429100)

 

35 - Comptable public - Comptable d'une personne publique soumise aux principes généraux de la comptabilité publique - Faculté pour ce comptable d'effectuer tous actes interruptifs du cours de la prescription quadriennale - Cassation avec renvoi.

Le litige portait sur la récupération par la communauté requérante auprès du département de Saône-et-Loire d'une somme au titre de la participation de ce dernier au financement de travaux d'amélioration de la voirie de l'agglomération chalonnaise.

L'intérêt de cette décision réside dans la reconnaissance au bénéfice du comptable public d'une personne morale soumise aux principes généraux de la comptabilité publique, dès lors qu'il est chargé du recouvrement d'une créance dont cette dernière est titulaire sur une personne publique bénéficiaire de la prescription quadriennale (loi du 31 décembre 1968), de la qualité pour effectuer tous actes interruptifs du cours de cette prescription.

Le juge ajoute qu'est sans incidence à cet égard la circonstance que l'action en recouvrement du comptable public se trouverait, par ailleurs, soumise au délai de prescription prévu au 3° de l'article L. 1617-5 du CGCT.

(21 septembre 2020, Communauté d'agglomération Chalon-Val-de-Bourgogne, n° 430915)

 

36 - Impôts sur le bénéfice des sociétés - Détermination du bénéfice net d'une société mère - Absence de déductibilité des titres financiers pris en pension par elle - QPC - Rejet.

La requérante contestait la constitutionnalité du cinquième alinéa du c. du 1. de l'article 145 du CGI, dans sa rédaction issue de l'article 83 de la loi de finances rectificative pour 2006, en tant qu'elles font obstacle à ce qu'une société mère retranche de son bénéfice net total, sur le fondement du I de l'article 216 du même code, les produits nets de titres financiers pris en pension.

Le Conseil d'État rejette la demande de renvoi de cette QPC.

Tout d'abord, il estime que faute pour le législateur d'avoir transposé dans l'ordre interne, en laissant inchangés les articles 145 et 216 du CGI, les dispositions de la directive du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents, lequel est applicable aux impositions en litige, ces dispositions législatives doivent être interprétées à la lumière des seuls objectifs de la directive, dès lors qu'une telle interprétation n'est pas contraire à leur lettre. L'objectif de la directive est, selon son troisième considérant, d'éliminer par l'instauration d'un régime fiscal commun toute pénalisation de la coopération entre sociétés d'États membres différents par rapport à la coopération entre sociétés d'un même État membre et à faciliter ainsi la coopération transfrontalière. 

Ensuite, la requérante faisait valoir que les dispositions critiquées par elle entraînent, pour les sociétés mères, une différence de traitement fiscal des produits de titres pris en pension selon la localisation des filiales émettrices de ces titres, ainsi, selon elle, d'une part, ces dispositions, méconnaissant les objectifs de la directive dont elles assurent la transposition, ne peuvent être légalement appliquées qu'aux situations qui sont hors du champ de cette directive, et, d'autre part, le juge, saisi de moyens en ce sens, devrait en écarter l'application lorsque sont en cause des sociétés d'États membres différents.

Pour rejeter cette argumentation le Conseil d'État, se fondant notamment sur la définition de la pension, telle qu'elle résulte des articles L. 211-27, L. 211-31, L. 211-32, L. 211-33 et L. 211-34 du code monétaire et financier dans sa version applicable lors du fait générateur des opérations litigieuses, relève que le cessionnaire de titres financiers remis en pension n'est pas imposé sur les éventuels revenus attachés à ces titres, qu'il lui appartient de reverser au cédant. Il en va notamment ainsi lorsque, à raison de sa détention d'autres titres de la société émettrice que ceux qu'il a pris en pension, le régime des sociétés mères lui est applicable. Dès lors, il se déduit invinciblement de là que, en tant qu'elles font obstacle à ce qu'une société mère retranche de son bénéfice net total, sur le fondement du I de l'article 216 du code général des impôts, les produits nets de titres financiers pris en pension, les dispositions attaquées (i.e. cinquième alinéa du c. du 1. de l'article 145 du CGI) ne sauraient être incompatibles avec les objectifs de la directive du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents, tels qu'ils sont mis en œuvre, notamment, par son article 4. 

Enfin, répondant à un autre argument de la requérante, le Conseil d'État rappelle que si le législateur doit, pour se conformer au principe d'égalité devant les charges publiques, fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose et si ce principe n'interdit pas de faire supporter des charges particulières à certaines catégories de personnes pour un motif d'intérêt général, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Tel est le cas en l'espèce, contrairement à ce qui est soutenu par la société européenne Dassault Systèmes.

Ne remplissant pas les conditions requises, la question posée qui n'est pas nouvelle et ne présente pas un caractère sérieux n'est pas renvoyée au Conseil constitutionnel.

Il n'est pas du tout certain que la CJUE, éventuellement saisie, partage ce point de vue surtout en l'état d'une directive non transposée dont les termes certains sont réduits à de simples objectifs.

(9 septembre 2020, Société européenne Dassault Systèmes, n° 431283)

 

37 - Droit de l’Union européenne - Lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme – Obligations de formation et d’information s’imposant à certains employeurs – Secteur des jeux d’argent et de hasard – Sanction de leur omission ayant le caractère d’une punition – Invocation du principe de légalité des délits et des peines – Rejet de la demande de transmission d’une QPC.

La législation française, prise pour l’application du droit de l’Union européenne en matière de lutte contre blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme, oblige certaines catégories d’employeurs, dont ceux d’entreprises où s’effectuent des jeux d’argent et de hasard, à organiser pour leur personnel, sous réserve de sanctions punitives, des formations et des informations régulières en fonction du niveau de responsabilité propre à chacun d’eux.

Le requérant demande la transmission d’une QPC contre des dispositions législatives du code monétaire et financier (L. 561-33, et L. 561-40) dont il estime que faute de déterminer avec suffisamment de précision le champ de l'obligation de formation et d'information régulières de leurs personnels qu'elles mettent à la charge des personnes concernées (art. L. 561-2 code préc.) et du fait des sanctions assortissant les manquements (art. L. art. L. 561-37 et L. 561-40 eod. loc.), elles méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines.

Rejetant la demande, le Conseil d’État rappelle que s’agissant ici non de la matière pénale mais du droit administratif répressif, l'exigence d'une définition des infractions sanctionnées se trouve satisfaite dès lors que les textes applicables font référence aux obligations auxquelles les intéressés sont soumis en raison de l'activité qu'ils exercent, de la profession à laquelle ils appartiennent, de l'institution dont ils relèvent ou de la qualité qu'ils revêtent.

Il est donc jugé qu’il résulte des textes précités que, d’une part, au cas de l’espèce, les obligations sont clairement définies tant pour ce qui regarde leur contenu matériel que pour ce qui concerne ceux qui en ont la charge, et que, d’autre part, les sanctions encourues sont elles aussi très clairement définies.

(30 septembre 2020, M. X., n° 440228)

 

38 - Droit de l'Union européenne - Libre circulation des travailleurs - Droit de la sécurité sociale - Principe d'interdiction de versement, par un travailleur, de contributions à fonds perdus au financement d'un régime national de sécurité sociale - Application à des cotisations qualifiées "impôts" - Champ d'application de l'art. 45 du TFUE - Rejet.

(9 septembre 2020, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 432985) V. n° 49

 

39 - Procédure fiscale non contentieuse - Interprétation administrative de la loi fiscale (art. L. 80 LPF) - Conditions d'opposabilité à l'administration fiscale de sa propre doctrine - Plus-value de cession de biens incorporels - Résolution de la vente - Application postérieure de l'art. L. 80 LPF - Annulation de l'arrêt d'appel pour erreur de droit avec renvoi.

Dans cette affaire, un contribuable avait cédé des titres d'une société mais la cession avait été résolue en vertu des stipulations du contrat de cession car la quatrième tranche du prix de cession des titres n'avait pas été versée, contrairement à l'échéancier de paiement prévu au contrat.

Il a demandé le dégrèvement de la totalité de l'imposition mise à sa charge du fait de la plus-value retirée de cette cession mais l'administration fiscale ne lui a accordé qu'un dégrèvement limité à la fraction du prix de vente non acquittée par l'acquéreur des titres. Par ailleurs, il fondait également sa revendication sur une prise de position formelle de l'administration.

Le demandeur se pourvoit en cassation contre l'arrêt d'appel confirmatif du jugement rejetant sa requête. La cour administrative d'appel a rejeté les deux chefs d'argumentation. Le Conseil d'État confirme le premier rejet et annule le second.

Tout d'abord, c'est sans erreur de droit que le juge d'appel a estimé la résolution du contrat de vente survenue le 13 avril 2016 sans effet sur le bien-fondé de l'imposition de la plus-value puisqu'elle est intervenue postérieurement à l'année d'imposition de la plus-value. Le juge écarte explicitement ici la règle issue de l'ancien art. 1183 du code civil selon laquelle la résolution tend à l'anéantissement du contrat au jour de sa conclusion (Cass. civ. 3e, 24 nov. 1999, Mlle X. c/ société Domofrance, n° 97-17.026). Cela est discutable car n'est pas justifié par le particularisme ou la nature des intérêts en cause.

Ensuite, la cour ayant jugé que le demandeur ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'art. L. 80 du LPF (selon lesquelles : « Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente ».), dès lors qu'il avait été imposé conformément à sa déclaration sans faire l'objet d'un redressement et que ces énonciations ne comportaient aucune interprétation formelle d'un texte fiscal, le juge casse cet aspect de l'arrêt. En effet, d'une part, le contribuable ne pouvait faire application de la doctrine fiscale que par voie de réclamation présentée postérieurement à la résolution de la vente, ce qu'il a fait dans sa réclamation contentieuse, et d'autre part, ces énonciations comportaient une interprétation formelle de l'article 150-0 A du code général des impôts en prévoyant, selon les modalités particulières qu'ils explicitent, la possibilité, pour le contribuable imposé à raison d'une plus-value de cession de biens incorporels de bénéficier d'une restitution de l'imposition initialement établie en cas de résolution de la vente.

(9 septembre 2020, M. X., n° 433821)

(40) V. aussi, sur les conditions d'application de l'art. L. 80 LPF : 9 septembre 2020, SAS Damolin Etrechy, n° 434364

 

41 - Taxe d'habitation - Délibération locale fixant ce taux ne pouvant plus servir de base au recouvrement de la taxe une année donnée - Possibilité de demander au juge de l'impôt le retour au taux fixé l'année précédente.

Interrogé sur ce point par un tribunal administratif (cf. art. L. 113-1 CJA), le Conseil d'État répond, s'inspirant d'une jurisprudence voisine (1er juillet 2019,  Ministre de l'action et des comptes publics, n° 427067), qu'il résulte de la combinaison des dispositions des art. 1639 A et  1640 E du CGI, qu'au cas où la délibération d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public de coopération intercommunale ne peut plus servir de fondement légal à l'imposition mise en recouvrement pour une année donnée, l'administration dispose de la faculté de demander au juge de l'impôt, à tout moment de la procédure, que soit substitué, dans la limite du taux appliqué à cette imposition, le taux retenu lors du vote de l'année précédente.

Il s'ensuit que s'agissant d'une commune située sur le territoire de la métropole du Grand Paris, qui était membre au 1er janvier 2015 d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, dont la délibération ne peut plus servir de fondement légal à la taxe d'habitation mise en recouvrement au titre de l'année 2016, les décisions de l'année précédente au sens du III de l'article 1639 A du CGI s'entendent des décisions afférentes à cette taxe prises, au titre de l'année 2015, par cette commune et par l'établissement dont elle était membre au 1er janvier 2015.

(Avis de droit, 28 septembre 2020, M. X., n° 441190)

 

 

42 - Litige fiscal - Fraude à la TVA - Avoirs en Suisse non déclarés - Procédure fiscale - Principes du droit de l'Union - Application en l'espèce - Rejet.

La SCI demanderesse, dont le gérant est pénalement poursuivi pour détention à l'étranger (Suisse) d'avoirs non déclarés, contestait les rappels de TVA mis à sa charge de ce chef ainsi que les pénalités y rattachées. Elle invoquait en particulier des irrégularités procédurales. C'est l'aspect de la décision qui est présenté ici.

En bref, la SCI soutenait que ne lui avait pas été communiqué l'entier dossier détenu dans cette affaire par l'administration fiscale.

Le juge confronte les exigences, d'une part, de l'art. 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne relatif au principe de protection juridictionnelle effective tel que cet article est interprété par la jurisprudence de la cour de Luxembourg, et d'autre part, celles tirées de l'art. 76 B du Livre des procédures fiscales.

Le Conseil d'État tire trois observations de la jurisprudence européenne édifiée sur la base de l'art. 47 précité :

1°/ En toute matière, le principe de protection juridictionnelle effective comprend le respect des droits de la défense, de l'égalité des armes, du droit d'accès aux tribunaux ainsi que du droit de se faire conseiller, défendre et représenter (CJUE, 6 novembre 2012, Europese Gemeenschap c/ Otis et alii, aff. C-199/11).

2°/ En matière fiscale, ce principe a pour corollaire le droit d'accès au dossier au cours de la procédure administrative et implique qu'une violation du droit d'accès au dossier commise lors de la procédure administrative n'est pas, en principe, régularisée du simple fait que l'accès au dossier a été rendu possible au cours de la procédure juridictionnelle concernant un éventuel recours visant à l'annulation de la décision contestée (CJUE 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary/ Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága, aff. C-189/18).

3°/ Toujours en matière fiscale et s'agissant spécifiquement d'un litige en matière de TVA, la CJUE a précisé (décision C-189/18 précitée) que le respect des droits de la défense n'impose pas à l'administration fiscale une obligation générale de fournir un accès intégral au dossier dont elle dispose, mais exige que l'assujetti ait la possibilité de se voir communiquer, à sa demande, les informations et les documents se trouvant dans le dossier administratif et pris en considération par cette administration en vue d'adopter sa décision, c'est-à-dire non seulement l'ensemble des éléments du dossier sur lesquels l'administration fiscale entend fonder sa décision mais aussi ceux qui, sans fonder directement sa décision, peuvent être utiles à l'exercice des droits de la défense. Il en va ainsi en particulier des éléments que cette administration a pu rassembler et qui seraient susceptibles de faire douter de la participation du contribuable, en connaissance de cause, à des opérations impliquées dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée mais qu'elle a regardés comme non probants. 

L'art. L. 76 B, plus sobrement, impose à l'administration fiscale de tenir informé le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition.

Appliquant ces éléments au cas de l'espèce, le Conseil d'État constate que l'administration fiscale a indiqué, dans sa proposition de rectification adressée à la SCI, qu'elle avait exercé son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire et obtenu dans ce cadre de consulter et de prendre copie de pièces du dossier relatif au gérant en reproduisant, en annexe à cette proposition de rectification, un certain nombre d'extraits de procès-verbaux de constatations et d'auditions issus de la procédure judiciaire.

Par ailleurs, le juge relève, positivement, que la société a exercé le droit d'accès aux documents prévu à l'article L. 76 B LPF en demandant la communication de certaines des factures mentionnées dans la proposition de rectification, qu'elle a obtenue avant la mise en recouvrement des rappels de taxe sur la valeur ajoutée litigieux, tout en s'abstenant de demander aucun autre document issu du dossier de la procédure judiciaire.

Il relève aussi, négativement, que la SCI n'a soutenu à aucun moment devant les juges du fond que l'administration fiscale aurait recueilli d'autres documents que ceux mentionnés dans la proposition de rectification et qui auraient été de nature à lui permettre de se défendre utilement en faisant douter du caractère fictif des factures pour lesquelles l'administration a remis en cause son droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée qui y était mentionnée.

En conséquence, il est jugé que la SCI ne saurait prétendre irrégulière la procédure suivie au motif qu'en violation des dispositions de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, elle n'aurait pas eu accès, à ce stade, aux mêmes éléments que ceux pris en considération par l'administration fiscale et que celle-ci se serait abstenue de dresser une liste exhaustive des pièces consultées lors de l'exercice de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire.

Sur le fond, sont rejetées les prétentions de la demanderesse tant en ce qui concerne le bien-fondé des rappels de TVA que pour ce qui regarde les pénalités infligées.

(21 septembre 2020, M. X., n° 429487)

 

43 - Impôts sur les revenus et bénéfices - Régime des plus-values immobilières - Vente sur licitation - Calcul de la durée de détention du bien en vue de l'abattement (art. 150 VC du CGI) - Annulation partielle.

L'héritier d'un bien immobilier en indivision, reçu pour l'essentiel d'une vente sur licitation (laquelle met fin à l'indivision en vertu des dispositions de l'art. 883 C. civ.), conteste les conditions de calcul de la plus-value imposable qu'il a réalisée lors de la vente de ce bien.

Il convient d'indiquer la chronologie des actes pour la bonne compréhension de cette affaire.

Le bien dont la plus-value de cession est l’objet du litige appartenait initialement à M. B. décédé le 23 août 1998 et a été alors inclus dans l'indivision successorale dont était membre, pour 1/8ème, la tante de cette personne. A la suite du décès de cette dernière, en 2003, puis de son époux, en 2007, M. X., leur fils, est devenu titulaire par voie de succession, de même que chacun de ses sept frères et sœurs, d'1/64ème des parts de l'indivision successorale de M. B. Aux termes d'un acte authentique reçu le 29 avril 2010, l'ensemble des autres titulaires de droits indivis sur l'immeuble en litige a cédé à M. X., à titre de licitation faisant cesser l'indivision, les 63/64èmes qu'ils possédaient. Enfin, ce dernier a cédé ce bien le 28 juin 2012.

Se posait la question de la détermination du montant imposable de la plus-value réalisée lors de cette cession.

Selon le juge, il convient de distinguer deux fractions.

S'agissant des 63/64èmes de l'immeuble, leur acquisition par l'un des héritiers indivisaires ayant eu lieu par licitation, celle-ci a mis fin à l'indivision successorale. La licitation ayant un effet déclaratif (art. 883 C. civ.), la date d'acquisition à prendre en compte est celle du 23 août 1998, date du décès de M. B., cette date constituant donc le point de départ de la durée de détention à prendre en compte pour déterminer l'abattement à lui appliquer ainsi que la valeur de l'immeuble pour le calcul de la plus-value en litige. Sur ce point la cour administrative d'appel n'a commis aucune erreur de droit.

S'agissant du 1/64ème restant de l'immeuble, l'effet déclaratif de la licitation ne joue pas puisque cette part a été acquise par M. X., d'abord en nue-propriété à titre gratuit par voie successorale du fait du décès de sa mère en 2003, puis en pleine propriété lors du décès de son père en 2007. Il s'ensuit que le point de départ du délai de calcul de la plus-value dégagée lors de la vente de cette part ne peut être, contrairement à ce qu'a jugé la cour, la même date que celle à retenir pour les 63/64èmes autres parts.

(9 septembre 2020, ministre de l'action et des comptes publics, n° 436712)

 

44 - Location ou affermage de biens immeubles - Régime de TVA applicable - Art. 135 et 137 de la directive du 28 novembre 2006 - Marge de manœuvre des États - Exclusion de cette marge des exonérations prévues au 1 de l'art. 135 - Choix de soumettre à la TVA certains seulement des locaux loués dans un immeuble - Faculté d'option du propriétaire - Rejet.

Le litige portait sur la possibilité, pour une société propriétaire d'un immeuble dont elle loue les divers locaux, de n'opter pour une soumission des loyers à la TVA que pour certains de ces locaux seulement. L'administration soutenait que tous les loyers procurés par tous les locaux d'un même immeuble appartenant à un propriétaire donné devaient être assujettis à la TVA même si l'option en faveur de cette soumission n'avait été expressément exercée que pour certains d'entre eux.

Le Conseil d'État entérine l'arrêt de la cour administrative d'appel en se fondant sur la jurisprudence communautaire (CJCE 12 janvier 2006, Turn- und Sportunion Waldburg contre Finanzlandesdirektion für Oberösterreich, n° C-246/04) qui, si elle autorise les États membres à préciser, dans leur droit interne, la portée et les conditions du droit d'option institué à l'art. 137 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, leur interdit de subordonner à des conditions ou de restreindre de quelque manière que ce soit les exonérations prévues par le 1 de l'article 135, leur réservant seulement la faculté d'ouvrir aux bénéficiaires de ces exonérations, la possibilité d'opter eux-mêmes pour la taxation, s'ils estiment que tel est leur intérêt. 

Il s'ensuit donc qu'en l'espèce la société, qui louait plusieurs locaux d'un même immeuble et qui avait très précisément identifié dans sa déclaration d'option ceux de ces locaux dont elle voulait voir les loyers assujettis à la TVA, ne pouvait être contrainte d'assujettir tous ses locaux à cet impôt contrairement à ce que soutenait l'administration fiscale.

Le pourvoi du ministre est rejeté.

(9 septembre 2020, ministre de l'action et des comptes publics, n° 439143)

 

45 - Droit fiscal - Évaluation d'office - Régime de contestation de cette évaluation - Principe de la responsabilité personnelle - Principe de l'individualisation des peines - Absence d'atteinte - Rejet de la demande de renvoi d'une QPC.

La société requérante entendait voir déclarées inconstitutionnelles les dispositions de l'article 1732 du code général des impôts et de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales en ce que ces dispositions, d'une part, en prévoyant l'infliction d'une amende fiscale dans le cas où l'opposition à contrôle fiscal ayant permis l'établissement de l'impôt selon la procédure d'évaluation d'office est le fait d'un tiers, elles méconnaissent le principe de responsabilité personnelle en matière pénale et, d'autre part,  faute de toute possibilité de moduler la sanction en fonction du comportement du contribuable ou de la gravité du manquement, elles méconnaissent le principe d'individualisation des peines.

Pour refuser le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité et éviter ainsi la censure des dispositions contestées, le Conseil d'État en donne une interprétation très constructive.

En premier lieu, il est jugé que ces dispositions ne peuvent pas être interprétées comme autorisant l'administration à mettre la pénalité prévue par l'article 1732 CGI, qui vise à sanctionner l'opposition à contrôle fiscal, à la charge du contribuable lorsque celui-ci n'a pas pris personnellement part à l'opposition au contrôle. En effet, en cas d'opposition à contrôle fiscal qui serait exclusivement le fait d'un tiers, la pénalité précitée ne peut pas être mise à la charge du contribuable dont les bases ont été évaluées d'office.

En second lieu, il est jugé que pour chaque sanction prononcée, la juridiction saisie, qui a l'obligation d'exercer son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, peut décider soit de maintenir la pénalité, soit d'en dispenser le contribuable notamment si ce dernier n'a pas pris personnellement part à l'opposition au contrôle.

L'interprétation ainsi donnée des textes litigieux permet de considérer qu'ils ne portent pas atteinte aux principes de responsabilité personnelle et d'individualisation des peines, ce qui entraîne le rejet de la demande de renvoi de la QPC.

(28 septembre 2020, Société Artelim, n° 438028)

 

46 - Fait générateur de l'élément imposable - Fait générateur de l'impôt - Distinction - Absence de rétroactivité inconstitutionnelle de la loi - Refus de transmission d'une QPC.

Le demandeur en QPC soutenait l'inconstitutionnalité des dispositions du 3° du V-A de l'article 8 de la loi du 30 décembre 2017 en ce qu'elles rendent applicable à des cessions réalisées au cours de l'année 2017, antérieurement à leur entrée en vigueur, la hausse de contribution sociale généralisée de 1,7 point prévue par le b du 6° du I de l'article 8 de cette loi.

Cette requête était vouée immanquablement au rejet en raison d'une distinction classique du droit fiscal entre le fait générateur de l'élément taxable et le fait générateur de l'impôt.

En l'espèce, la cause de l'imposition était la plus-value dégagée par la cession de droits sociaux réalisée au cours de l'année 2017, donc antérieurement à loi du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018. Le requérant demandait que lui soit appliqué le taux en vigueur à la date de cession et non celui arrêté à la fin de cette même année. Rejetant la demande, le Conseil d'État rappelle que « si le transfert de propriété constitue le fait générateur de la plus-value, le fait générateur de l'imposition de la plus-value intervient le 31 décembre de l'année de réalisation du revenu. » D'où le rejet opposé au redevable.

Pour constant que soit ce principe, il n'en est pas moins hautement critiquable et facteur, à la fois, d'insécurité juridique et de trouble dans l'usage de la liberté puisque des décisions sont prises sous l'empire d'une législation dont rien ne garantit qu'elle sera appliquée au cas de l'espèce.

On peut craindre de voir ce principe déraisonnable tomber sous la critique de la Cour EDH.

(28 septembre 2020, M. X., n° 440954)

 

Droit public économique

 

47 - Aménagement commercial - Autorisation administrative de création d'un ensemble commercial - Absence d'intérêt direct et personnel à agir - Absence d'atteinte à la concurrence - Rejet.

Les requérantes demandaient la cassation de l'arrêt d'appel ayant rejeté leur recours contre la décision par laquelle la Commission nationale d'aménagement commercial a rejeté leur recours contre la décision de la commission départementale d'aménagement commercial des Pyrénées-Orientales refusant de retirer sa décision autorisant des sociétés à créer un ensemble commercial d'une surface de vente de 12 798 m² à Perpignan.

Rejetant le pourvoi, le Conseil d'État confirme, tout d'abord, l'arrêt contesté en ce qu'il a estimé que ni la qualité de propriétaire bailleur de locaux commerciaux, ni la qualité de propriétaires de terrains situés à proximité immédiate du projet ne suffisent, à elles seules, à conférer un intérêt personnel, direct et certain à contester une autorisation d'exploitation commerciale.

Ensuite, sur le fond, il a estimé que la cour avait suffisamment motivé son arrêt en jugeant souverainement et sans dénaturation, d'une part, que le commerce d'équipement mobilier devant être créé n'était pas susceptible de concurrencer un commerce d'articles de sport exercé par la société locataire de l'une des requérantes, et, d'autre part, que les difficultés de desserte routière alléguées n'étaient pas de nature à affecter l'activité de bailleur des sociétés requérantes.

(21 septembre 2020, Société L'avenir en Europe-Lotissement, société RG Investissements et société SCI Les roses, n° 427941)

 

48 - Agriculture - Autorisation préfectorale d'exploiter des terres - Annulation contentieuse après commencement de leur exploitation - Obligations s'imposant au préfet lors de l'examen de la seconde demande d'autorisation d'exploitation - Annulation de l'arrêt d'appel.

Dans une formulation de principe, le Conseil d'État décide que  : « Lorsqu'une autorisation d'exploiter des terres a fait l'objet d'une annulation par le juge administratif après que l'exploitant a pu les exploiter en vertu de cette autorisation, il appartient à l'autorité préfectorale, à nouveau saisie de la demande présentée par le candidat et des modifications que ce dernier est susceptible d'y apporter, de statuer en considération des éléments de droit et de fait prévalant à la date à laquelle intervient sa nouvelle décision, sans pouvoir tenir compte, quel que soit le motif de l'annulation contentieuse, de l'exploitation effectuée sur la base de l'autorisation annulée. Il en va notamment ainsi dans le cas particulier où la décision préfectorale n'est annulée que pour une partie des terres dont elle autorisait l'exploitation, l'autorité préfectorale, à nouveau saisie de la demande en tant qu'elle porte sur ces terres, n'ayant pas à tenir compte de ce que, le cas échéant, une exploitation a pu légalement débuter sur le reste des terres dont l'exploitation était autorisée. »

En conséquence est annulé pour erreur de droit l'arrêt qui se place à des dates différentes pour apprécier la légalité de la décision litigieuse d'autorisation d'exploitation, en estimant que la légalité de l'autorisation devait être appréciée au vu des circonstances de droit en vigueur à la date de cette décision et celle des circonstances de fait en vigueur à la date du dépôt initial de la demande d'autorisation.

(28 septembre 2020, M. X., n° 422400)

 

Droit social et action sociale

 

49 - Droit de l'Union européenne - Libre circulation des travailleurs - Droit de la sécurité sociale - Principe d'interdiction de versement, par un travailleur, de contributions à fonds perdus au financement d'un régime national de sécurité sociale - Application à des cotisations qualifiées "impôts" - Champ d'application de l'art. 45 du TFUE - Rejet.

Un couple franco-italien de retraités du CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire qui est une organisation internationale) - dont le siège est à Meyrin dans le canton de Genève (Suisse) et dont les installations chevauchent la frontière franco-suisse -  résidant en France, conteste son assujettissement à la contribution sociale généralisée, à la contribution au remboursement de la dette sociale, au prélèvement social, à la contribution additionnelle à ce prélèvement et au prélèvement de solidarité sur les revenus de leur patrimoine, correspondant à des rentes viagères à titre onéreux et des revenus de capitaux mobiliers perçus par l’époux. Leur recours, rejeté en première instance, est accueilli en appel à la seule exception du prélèvement de solidarité.

Le ministre de l'économie se pourvoit contre cet arrêt et les défendeurs forment un pourvoi incident s'agissant du prélèvement de solidarité. L'ensemble est rejeté.

Dans cette longue et importante décision le juge rappelle que le principe de libre circulation des travailleurs entre les États de l'Union a, notamment, pour corollaire, aux termes du 1. de l'art. 45 du TFUE, « l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail ». Cet article est jugé, conformément à la jurisprudence de la CJUE, applicable tout à la fois, d'une part, à un ressortissant de l'Union européenne travaillant dans un État membre autre que son État membre d'origine et ayant accepté un emploi dans une organisation internationale et, d'autre part, à des personnes à la retraite, cette dernière situation résultant de relations de travail relevant de la protection de l'art. 45 précité.

Semblablement la circonstance que le litige porte sur des "impositions" qualifiées telles par la législation française, n’empêche pas que leur soit opposé le droit européen dérivé régissant le domaine de la sécurité sociale. A cet égard la qualification des cotisations litigieuses comme impôt et non comme cotisation sociale est sans effets.

Également, le juge donne une large extension au principe selon lequel une réglementation nationale en matière de sécurité sociale n'est conforme au droit de l'Union, dans le cas où son application est moins favorable, que pour autant que, notamment, cette réglementation nationale ne désavantage pas le travailleur concerné par rapport à ceux qui exercent la totalité de leurs activités dans l'État membre où elle s'applique et qu'elle ne le conduit pas purement et simplement à verser des cotisations sociales à fonds perdus. C'est donc à bon droit que la cour administrative d'appel a jugé que l'assujettissement des intéressés aux diverses cotisations susrappelées - sauf au prélèvement de solidarité - constituait bien une contribution à fonds perdus au financement d'un régime national de sécurité sociale dont ils ne relèvent pas en raison de leur affiliation au régime de retraite du CERN.

Enfin, c'est à bon droit que la cour a estimé que l'assujettissement des intéressés au prélèvement de solidarité n'était, lui, pas irrégulier car l'affectation de ce prélèvement, fixée par le IV de l'article 1600-0 S du CGI, donnait à cette contribution vocation à financer le fonds national d'aide au logement, le fonds national des solidarités actives et le fonds de solidarité. Or ces prestations, eu égard aux risques qu'elles avaient vocation à couvrir et aux modalités de leur attribution, soit correspondaient à des prestations d'assistance et non à des prestations de sécurité sociale soit ne pouvaient être regardées comme relevant d'une branche de sécurité sociale. Par suite, son paiement ne se heurte pas à la prohibition découlant de l'art. 45 du TFUE.

(9 septembre 2020, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 432985)

(50) V. aussi, voisin quoique portant sur une question différente (régime de la retenue à la source des sommes payées par un débiteur, qui exerce une activité en France, à des personnes ou des sociétés relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : art. 182 B CGI) : 9 septembre 2020, SAS Damolin Etrechy, n° 434464.

 

51 - Exercice d'un travail dissimulé - Sanction du donneur d'ordre - Sanction prétendue disproportionnée - Invocation impossible de la Convention EDH - Rejet.

L'art. L. 133-4-5 du code de la sécurité sociale sanctionne le manquement par un donneur d'ordre aux obligations de vigilance ou de diligence mises à sa charge en matière de recours au travail dissimulé en le privant des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dont il a pu bénéficier au titre des rémunérations versées à ses salariés, cette sanction ne pouvant excéder 15 000 euros pour une personne physique et 75 000 euros pour une personne morale.

Sanctionnée dans ces conditions, la société requérante soutenait que ce texte institue une sanction disproportionnée et méconnaît pour ce motif les stipulations de l'art. 6 § 1 de la Convention EDH.

Le Conseil d'État rejette ce moyen car il est inopérant en ce qu'il porte, non sur le contrôle juridictionnel auquel est soumise cette sanction administrative, mais sur l'existence de la sanction elle-même.

(28 septembre 2020, Société Autolille, n° 428206)

 

52 - Salariée protégée - Transfert du contrat de travail d'un salarié protégé d'une entreprise à une autre - Décision de l'inspection du travail - Recours hiérarchique au ministre - Salariée prenant acte de la rupture de son contrat de travail - Effets en fonction du sens de la décision du ministre - Rejet.

Cette décision est intéressante à un double titre.

En premier lieu, elle rappelle que les dispositions de l'art. L. 122-1 du CRPA qui énumèrent les décisions ne pouvant intervenir « qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales » est applicable dans la procédure d'autorisation de licenciement ou de transfert d'un salarié protégé.

En second lieu, lorsque le salarié protégé auquel a été proposé un transfert de son emploi d'une société à une autre, a "pris acte" de la rupture de son contrat de travail entre le jour où une autorisation favorable à son transfert a été donnée par l'inspection du travail et celui où le ministre, saisi d'un recours hiérarchique, doit se prononcer, ce dernier ne peut que confirmer la décision de l'inspecteur ou, s'il l'estime illégale, l'annuler. Dans le cas d'espèce, la prise d'acte de la rupture par la salariée prive d'objet la demande de son transfert et donc le recours hiérarchique.

(21 septembre 2020, Société BM Environnement, n° 425216)

 

53 - Contentieux sociaux - Aide individuelle à la formation - Nature du contentieux - Contentieux de la pleine juridiction et non de l'excès de pouvoir - Cassation sans renvoi, le juge statuant au fond.

Méconnaît l'office de la juridiction saisie et commet une erreur de droit le jugement qui estime que le recours dirigé contre le refus de Pôle emploi d'accorder une aide individuelle à la formation relève du contentieux de l'excès de pouvoir. En effet, lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l'administration détermine les droits d'une personne en matière d'aide ou d'action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs privés d'emploi, le juge administratif statue en qualité de juge de plein contentieux.

(28 septembre 2020, Mme X., n°429026)

 

Élections

 

54 - Référendum sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à l'indépendance - Réglementation des graphismes et symboles utilisés sur les affiches et les circulaires - Absence de l'interdiction traditionnelle d'utiliser l'emblème national ainsi que les trois couleurs de celui-ci - Rejet de la demande de suspension.

Le juge des référés du Conseil d'État, qui statue en l'espèce en formation collégiale, était saisi d'une demande de suspension de certaines dispositions du décret du 24 juin 2020 relatif à la seconde consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie en ce qu'elles ne confient pas à la commission de contrôle du scrutin  le contrôle du respect de l'interdiction sur les affiches et circulaires ayant un but ou un caractère électoral, de l'utilisation de l'emblème national ainsi que de la juxtaposition des trois couleurs : bleu, blanc et rouge dès lors qu'elle est de nature à entretenir la confusion avec l'emblème national, à l'exception de la reproduction de l'emblème d'un parti ou groupement politique (art. R. 27 du code électoral). Les requérants y voient un risque d'inéquité du fait que les adversaires de l'indépendance ne manqueront pas de s'approprier ces couleurs et symboles.

Le juge rejette l'argumentation pour deux motifs.

D'abord, selon ses propres termes, il estime que si le décret attaqué ne rend pas applicable ces dispositions, ne prohibant ainsi pas de manière générale l'utilisation de l'emblème national ou la juxtaposition des trois couleurs, il prévoit néanmoins que les graphismes ou symboles utilisés ne doivent pas leur conférer un caractère officiel et confie à la commission de contrôle le soin de s'assurer que l'éventuelle utilisation des couleurs de l'emblème national ou de celui-ci, leur place dans les documents, le graphisme ou les symboles qui les accompagnent ne sont pas susceptibles de créer une confusion, dans l'esprit des électeurs, entre les utilisateurs de cet emblème et les institutions de l'État, chargées d'organiser de manière neutre et loyale le processus électoral. 

Ensuite, et d'une façon originale qui sera diversement appréciée, il considère  que le reproche fait au décret litigieux de comporter une erreur de droit et une erreur de fait en ce qu'il estime que sera de nature à favoriser l'inéquité du débat électoral en raison de la possibilité d'utiliser les couleurs de l'emblème national n'est pas fondé car il sera tout aussi possible aux partisans de l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté d'utiliser les couleurs des signes identitaires de Kanaky-Nouvelle-Calédonie.

(ord. réf., format. coll., 1er septembre 2020, M. X. et autres, n° 443429)

 

Environnement

 

55 - Référé suspension - Chasse à la tourterelle des bois - Arrêté ministériel autorisant un certain quota de prélèvement - Urgence - Principe de précaution et doute sérieux - Annulation.

Le juge ordonne la suspension de l'exécution de l'arrêté du ministre de la transition écologique et solidaire du 27 août 2020 relatif à la chasse de la tourterelle des bois en France métropolitaine pour la saison 2020-2021.

D'une part, il lui apparaît qu'existe une urgence, l'arrêté étant applicable du 29 août 2020 au 20 février 2021.

D'autre part, le juge déduit l'existence d'un doute sérieux du fait de la réunion de plusieurs circonstances conduisant à appliquer ici le principe de précaution : la tourterelle des bois est une espèce en déclin, le nombre ayant diminué de 80% entre 1980 et 2015; engagement pris par la France dans le cadre du « plan d'action international pour la conservation de la tourterelle des bois » adopté en 2018 par les États signataires de l'accord sur la conservation des oiseaux d'eau migrateurs d'Afrique-Eurasie (AEWA), auquel l'Union européenne est partie et qu'elle met en œuvre par la directive du 30 novembre 2009 ; préconisation du comité d'experts sur la gestion adaptative (CEGA) (art. D. 421-51 code env.) ; absence de données actuelles de la part des pouvoirs publics ; mise en demeure adressée à la France, le 25 juillet 2019, par la commission européenne ; exigence d'un quota de capture égal à zéro.

(ord. réf. 11 septembre 2020, Ligue pour la protection des oiseaux, n° 443482 Association One Voice, n° 443567)

 

Fonction publique et agents publics

 

56 - Agent public contractuel - Radiation des cadres de 1989 à 1995 prétendue illégale - Demande de prise en compte de cette période pour le calcul de la pension civile de retraite - Refus - Rejet.

Un agent, recruté par contrat par le ministère de la coopération pour exercer les fonctions d'économiste de la production agricole au sein de l'association inter-gouvernementale pour le développement de la riziculture en Afrique de l'Ouest, a été radié des effectifs de ce ministère en 1989 en raison de la cessation de l'assistance technique française au sein de cette association inter-gouvernementale. Estimant cette décision irrégulière au motif qu'il remplissait les conditions lui donnant vocation à être titularisé sur le fondement de l'article 74 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, il a saisi le tribunal administratif aux fins d'obtenir l'indemnisation des préjudices résultant pour lui de cette radiation. Par suite de la conclusion avec le ministère concerné, en juillet 1995, d'un protocole d'accord à cet effet, il a été indemnisé des préjudices invoqués et s'est désisté de l'action introduite devant le tribunal administratif.

Estimant que la période 1989-1995 devait être incluse dans le calcul de ses droits à pension civile de retraite, il a contesté le refus opposé à cette dernière demande.

Le tribunal administratif a rejeté sa demande en relevant qu'il ne justifiait pas durant cette période de services effectifs au sens des dispositions du 1°/ de l'art. L. 5 du code des pensions civiles et militaires de retraite, qu'il s'agisse de services accomplis en qualité de fonctionnaire ou de stagiaire ou de services d'auxiliaire, de temporaire, d'aide ou de contractuel.

Cette solution est approuvée par le Conseil d'État qui, en conséquence, rejette le pourvoi.

(9 septembre 2020, M. X., n° 418925)

 

57 - Fonctionnaire territorial - Sanction disciplinaire - Pouvoir de contrôle du juge - Étendue du contrôle du juge de cassation sur la décision juridictionnelle rendue en matière disciplinaire.

Le requérant, qui exerçait les fonctions de gardien d'un parc municipal, est révoqué de ses fonctions suite à sa condamnation à un an de prison avec sursis pour détention non autorisée d'une arme et de munitions de première catégorie. Sur recours de l'intéressé le tribunal administratif annule la sanction mais sur appel de la commune le jugement est annulé et la sanction validée.

Le Conseil d'État confirme en tous points l'arrêt d'appel, qui nous semble bien sévère et de motivation incertaine. C'est l'occasion pour lui de rappeler l'étendue du contrôle exercé par le juge de cassation sur les jugements et arrêts rendus en matière disciplinaire.

D'une part, le juge de cassation exerce un contrôle de qualification juridique sur le caractère fautif des faits reprochés, d'autre part, l'appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des fautes commises relève, pour sa part, de l'appréciation des juges du fond et n'est susceptible d'être remise en cause par le juge de cassation que dans le cas où la solution qu'ils ont retenue quant au choix, par l'administration, de la sanction, est hors de proportion avec les fautes commises.

(9 septembre 2020, M. X., n° 422493)

 

58 - Présomption d’imputabilité au service de maladies figurant sur un des tableaux de maladies professionnelles – Présomption applicable aux fonctionnaires à partir de l’ordonnance du 19 janvier 2017 – Inapplicabilité antérieurement à cette date – Invocation d’un principe fondamental reconnu par les lois de la république (PFRLR) – Rejet – Invocation d’un droit constitutionnel à la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles – Refus de transmission d’une QPC.

La veuve d’un fonctionnaire, infirmier dans un établissement de santé et décédé d’un adénocarcinome pulmonaire, conteste le refus des juges du fond de reconnaître l’imputabilité au service de la cause de ce décès au motif que, à l’époque des faits, les dispositions de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, qui instituent une présomption d'origine professionnelle pour toute maladie figurant dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau, n'étaient pas applicables aux fonctionnaires de la fonction publique hospitalière.

Elle demande au juge de cassation de transmettre une QPC fondée sur ce que cette position méconnaît les droits et libertés que la Constitution garantit car, selon elle, le régime de présomption aurait une valeur constitutionnelle, d'une part en ce qu'il résulterait d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République et, d'autre part, en ce qu'il découlerait du droit constitutionnel à la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles. 

Pour rejeter cette argumentation le Conseil d’Etat relève, d’une part, que le droit des fonctionnaires hospitaliers à bénéficier de la présomption tirée de tableaux professionnels ne se rencontre en réalité « dans aucun texte de la législation républicaine intervenue avant l'entrée en vigueur du Préambule de la Constitution de 1946 » et, d’autre part, que cette absence n’a pas pour effet de priver tout fonctionnaire de son droit à réparation, par l’administration qui l’emploie,  des conséquences dommageables résultant de ceux des accidents ou de celles des maladies imputables au service.

(30 septembre 2020, Mme X., n° 439868)

 

59 - Fonction publique - Fonctionnaire exerçant dans l'entreprise Orange - Agent titulaire d’un mandat syndical bénéficiaire d'une décharge totale de service - Régime de déroulement de carrière - Règles d'avancement - Application du droit commun - Cassation avec renvoi.

Pour garantir aux fonctionnaires exerçant à temps plein une activité de délégué syndical, un déroulement de carrière équivalent à celui des autres fonctionnaires relevant du même statut particulier et pour les prémunir contre des appréciations défavorables qui pourraient être liées à l'exercice de leur mandat syndical, l'art. 59 de la loi du 11 janvier 1984 a prévu la prise en compte de l'avancement moyen constaté pour l'ensemble des autres fonctionnaires relevant du même statut particulier que l'agent exerçant les fonctions syndicales.

En l'espèce, un cadre supérieur d'Orange (dont l'emploi relève du décret du 26 mars 1993), qui a conservé sa qualité de fonctionnaire, antérieure à la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom, a sollicité une promotion « à titre syndical » sur un emploi supérieur de premier niveau et l'accès à ce titre au premier échelon fonctionnel de son grade. Cette demande lui a été refusée et son recours en annulation a été d'abord rejeté par le tribunal administratif, puis, sur son appel, la cour administrative d'appel, se fondant sur les dispositions susrappelées de l'art. 59 de la loi du 11 janvier 1984, a annulé ledit jugement ainsi que la décision refusant l'avancement demandé et enjoint à la société Orange de procéder au réexamen de la demande de l'intéressé tendant à accéder aux échelons fonctionnels de son grade.

Sur pourvoi d'Orange, le Conseil d'État casse cet arrêt pour erreur de droit car, contrairement à ce qui a été jugé en appel, les dispositions précitées de l'art. 59 « n'ont ni pour objet ni pour effet de soustraire les fonctionnaires concernés aux procédures d'avancement qui s'appliquent à tous les fonctionnaires, ni de leur reconnaître un droit automatique à l'avancement. Elles ne sauraient davantage leur ouvrir un droit à nomination sur un emploi fonctionnel, catégorie dont relèvent les emplois supérieurs régis par le décret du 26 mars 1993, ni un droit d'accès « sur la base de l'avancement moyen » aux échelons fonctionnels qui y sont directement rattachés ».

(25 septembre 2020, Société Orange, n° 431200)

 

60 - Fonction publique territoriale - Exercice du droit syndical - Autorisations d'absence - Régimes distincts selon le niveau de l'organisme concerné (art. 14 et 16 combinés du décret du 3 avril 1985) - Rejet.

Le décret du 3 avril 1985 fixe le régime applicable aux autorisations spéciales d'absence pour l'exercice du droit syndical dans la fonction publique territoriale. Pour contester le refus opposé à ses membres du bénéfice d'une telle autorisation le syndicat requérant se fonde sur les dispositions de l'art. 16 du décret du 3 avril 1985.

Le juge commence par rappeler que les organisations syndicales peuvent désigner comme bénéficiaires des autorisations d'absence des membres des sections locales de ces organisations, dotées d'organes directeurs, pour participer aux réunions des organismes directeurs déterminés par leurs statuts, dans la limite du contingent d'autorisations d'absence sans que puisse y faire obstacle le fait que ces sections sont dépourvues de personnalité juridique.

Cependant, si, en vertu de l'article 16 du décret précité, les syndicats locaux disposent des mêmes droits pour leurs congrès et pour les réunions de leurs organismes directeurs, que ceux prévus pour les réunions d'organes directeurs d'un niveau supérieur, seuls les congrès et réunions des comités directeurs de ces syndicats, et non ceux des sections syndicales qui ont pu être créées au sein des collectivités ou établissements où ces organisations syndicales sont représentées, peuvent donner lieu aux autorisations d'absence hors contingent prévues par l'article 16. 

(ord. réf. 4 septembre 2020, Syndicat autonome de la fonction publique territoriale de la Réunion (SAFPTR), n° 443570)

 

61 - Inspecteur général en service extraordinaire à l'inspection générale de l'administration - Conditions de nomination - Absence d'occupation effective d'un emploi déterminé par les textes - Occupation d'emplois équivalents - Emplois non énumérés limitativement - Rejet.

Le requérant contestait le refus de retenir sa candidature en vue d'une nomination comme inspecteur général en service extraordinaire auprès de l'inspection générale de l'administration et, corrélativement, demandait l'annulation de la nomination d'un autre candidat.

Il était soutenu qu'ayant occupé pendant six ans la fonction de directeur de l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers puis, durant cinq ans, celle de chargé de mission auprès de l'inspection générale de l'administration, emplois équivalents à celui de directeur départemental de service d'incendie et de secours de la catégorie la plus élevée, sa candidature aurait du être retenue en vue de sa nomination dans l'emploi pour lequel il s'est porté candidat.

Cependant, le juge relève que le 10° de l'art. 3 du décret du 27 juillet 1995 sur lequel se fonde l'argumentation du requérant exige la nomination effective dans la fonction de directeur départemental de service d'incendie et de secours de la catégorie la plus élevée et ne prévoit nullement qu'il puisse lui être substitué l'exercice de fonctions simplement "équivalentes". Au reste, les règles d'équivalence instituées au III de l'art. 61-1 de la loi du 26 janvier 1984 se limitent à permettre la prise en compte, pour le seul avancement au sein du cadre d'emplois de conception et de direction des sapeurs-pompiers professionnels, des expériences professionnelles acquises par des sapeurs-pompiers professionnels dans le cadre de mises à disposition auprès de l'État ou de ses établissements publics en matière de défense et de sécurité civile. Elles ne sauraient donc être applicables, par analogie, transposition ou extrapolation, à la nomination aux fonctions d'inspecteur général en service extraordinaire à l'inspection générale de l'administration.

(21 septembre 2020, M. X., n° 429471)

 

62 - Fonction publique - CNRS - Attribution d'un avantage - Conditions d'attribution incomplètement définies - Refus d'autoriser un agent à continuer à exercer ses fonctions après avoir atteint la limite d'âge - Étendue du contrôle du juge sur une telle décision - Contrôle de la seule erreur manifeste d'appréciation - Annulation.

En raison de la large marge d'appréciation laissée par la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 (art. 1-1) à l'autorité administrative compétente, la décision par laquelle celle-ci refuse de maintenir un fonctionnaire en activité au-delà de la limite d'âge n'est soumise de la part du juge qu'à un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation, ce qui caractérise l'existence d'un pouvoir discrétionnaire.

(21 septembre 2020, CNRS, n° 425960) V. aussi n° 2

 

63 - Maître de l'enseignement privé - Indemnité pour démission volontaire en vue de la création d'une entreprise - Régime de calcul et d'attribution de cette indemnité - Rejet.

Le requérant, maître de l'enseignement privé sous contrat, donc agent public, a sollicité le bénéfice d'une indemnité pour démission volontaire en vue de créer une entreprise. Estimant erroné le montant arrêté par le rectorat de son académie et qui lui a été versé, il a saisi le juge administratif d'un recours en se fondant sur les dispositions de circulaires venues combler certaines lacunes relatives à la détermination de cette indemnité existant dans le décret du 17 avril 2008 qui l'institue et qui n'avait fixé qu'un plafond et indiqué sa modulation possible en fonction de l'ancienneté de l'agent.

L'administration avait appliqué un taux de 30% au plafond. La cour administrative d'appel avait rejeté le recours de l'intéressé au motif qu'il s'agissait là d'un taux non entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

Le Conseil d'État estime qu'en se bornant à appliquer mécaniquement le décret sans tenir compte des circulaires le complétant dans ses lacunes, la cour a commis une erreur de droit.

Cependant, alors que le requérant avait interrogé l'administration et reçu une information sur ce taux, par une décision du 17 novembre 2014 rendue sous l'empire de la circulaire du 19 mai 2009, il n'a présenté sa démission qu'en janvier 2015 et celle-ci n'a été acceptée qu'en mars 2015, postérieurement à la circulaire du 27 novembre 2014 : c'est donc à bon droit que l'indemnité litigieuse a été liquidée sur le fondement de cette dernière.

(21 septembre 2020, M. X., n° 428683)

 

Hiérarchie des normes

 

64 - Covid-19 - Pouvoirs accordés au premier ministre en matière d'urgence sanitaire en Nouvelle-Calédonie - Compétence sanitaire appartenant, dans ce territoire, en vertu de la loi organique, aux autorités de celui-ci - Renvoi de la QPC alors même qu'elle est dirigée contre une ordonnance non encore ratifiée.

(28 septembre 2020, M. X. et autres, n° 441059). V. sur ce point le n° 93

 

Libertés fondamentales

 

65 - Décision du président de la république - Décision de rapatriement "au cas par cas" d'enfants français se trouvant en Syrie - Incompétence du juge administratif pour connaître des recours dirigés contre des décisions non détachables des relations internationales - QPC - Irrecevabilité – Refus de transmission de la QPC et non admission du pourvoi pour le surplus.

La grand-mère et la mère de deux enfants français se trouvant dans les camps du nord-est de la Syrie ont demandé, en vain, l'annulation de la décision du président de la république, rapportée par la presse le 13 mars 2019, d'organiser " au cas par cas " le rapatriement d'enfants à partir de cette région. Elles saisissent le Conseil d'État d'un pourvoi en vue, à la fois, que soit posée une question prioritaire de constitutionnalité et de contester au fond les rejets qui leur ont été opposés.

Parce que le refus qu'elles ont essuyé était fondé sur l'incompétence manifeste du juge administratif français pour connaître d'un recours dirigé contre des décisions non détachables des relations internationales, elles soulèvent l'inconstitutionnalité des articles  L. 211-1 et L. 211-2 du CJA en tant  qu'ils n'étendent pas la compétence de ces juridictions au contentieux de l'annulation des actes non détachables de la conduite des relations extérieures de la France portant ainsi atteinte au droit constitutionnel à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Sans surprise, la demande est rejetée car l'exception tirée de la non détachabilité des relations internationales ne résulte pas, à l'évidence, des deux dispositions critiquées.

S'agissant des autres moyens, le pourvoi n'est pas admis au terme de la procédure préalable d'admission prévue à l'art. L. 822-1 du CJA.

Implicitement mais nécessairement, le Conseil d'État a donc vu dans l'annonce présidentielle un acte de gouvernement. Ceci peut être discuté dans la mesure où il ne s'agit que d'une décision unilatérale de la France à l'égard de ses propres ressortissants sans interposition d'une puissance étrangère.

On peut se demander quelle eût été la réponse du Conseil d'État dans le cas où, plus pertinemment, les requérantes auraient soulevé une QPC à l'encontre de la jurisprudence constante du Conseil d'État en matière d'exception de non détachabilité des relations internationales.

(9 septembre 2020, Mmes X. et Y., n° 439520)

 

66 - Étrangers - Demande d'asile - Transfert du demandeur vers l'État responsable de cet examen - Délai - Effets - Rejet.

Le juge du référé liberté du Conseil d'État juge qu'il résulte de la combinaison, d'une part, des dispositions de l'art. 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte), et d'autre part, de celles des art. L. 742-1, L. 742-3 et L. 741-4 du CESEDA, que :

1°/ l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert d'un demandeur d'asile vers un autre État de l'Union a pour effet d'interrompre le délai de six mois, fixé à l'article 29 du règlement précité, au terme duquel l'État requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale,

2°/ que ce délai court à compter de l'acceptation du transfert par l'État requis,

3°/ que ce délai recommence à courir intégralement à compter de la date de notification à l'autorité administrative du jugement du tribunal administratif statuant au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision.

En cette hypothèse, ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du CJA n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'État requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale. 

(ord. réf. 08 septembre 2020, M. X., n° 443654)

 

67 - Étrangers - Demande d'asile - Suspension du versement de l'allocation de demandeur d'asile - Comportement de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) - Succession d'irrégularités - Engagement - pris dans un mémoire en défense - entaché de doute - Condamnation sous astreinte.

Dans cette affaire qui confine le cas d'école, le juge du Conseil d'État relève que : "(qu')il n'est pas contesté par l'OFII, qui l'a expressément confirmé durant l'audience d'appel, que (son) mémoire (en défense) n'a jamais été communiqué (au demandeur). L'OFII a également expressément confirmé durant l'audience d'appel n'avoir, en réalité, produit aucun mémoire en première instance. L'OFII a enfin expressément confirmé lors de l'audience d'appel que les versements d'allocation en janvier avaient été opérés le 5 janvier au plus tard, rendant impossible que, comme l'énonçait l'ordonnance attaquée, un versement intervienne en janvier 2020. Rendue en méconnaissance des droits de la défense et du caractère contradictoire de la procédure, sur le fondement d'un mémoire qui n'a pas été produit et reposant au surplus sur une erreur de fait, l'ordonnance attaquée est entachée de vices de procédure (dont le demandeur) est donc fondé à en demander l'annulation."

Visiblement ulcéré par le comportement de l'OFII, le Conseil d'État, en termes peu amènes, assortit une ordonnance antérieure non exécutée, d'une astreinte à compter du jour où n'aurait pas été versée l'intégralité des sommes dues au titre de l'allocation de demandeur d'asile et avec reprise ensuite du versement régulier mensuel de cette allocation.

(ord. réf. 17 septembre 2020, M. X., n° 438417) V. aussi n° 21

 

68 - Étranger - Mineur isolé - Demande d'admission à l'aide sociale à l'enfance - Obligations s'imposant au président du conseil départemental saisi - Intervention de l'autorité judiciaire (art. 375 c. civ.) - Doutes sur l'état de minorité du demandeur et sur les documents présentés par lui - Office du juge administratif des référés saisi - Rejet.

Une personne se disant mineur isolé et de nationalité bangladaise - qui a également saisi à deux reprises de sa situation le tribunal pour enfants sur le fondement de l'article 375 du Code civil et dont la seconde instance est encore pendante - saisit le juge administratif du référé liberté (L. 521-2 CJA) du refus d'une commune de le prendre en charge, motif pris de ce que sa minorité et son isolement n'étaient pas caractérisés. Ce juge a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de procéder à son hébergement dans une structure agréée au titre de la protection de l'enfance, adaptée à son âge et à la prévention des risques de propagation du Covid-19 et de prendre en charge ses besoins alimentaires, sanitaires et médicaux quotidiens, jusqu'à ce qu'à ce que l'autorité judiciaire ait définitivement statué sur son recours fondé sur les articles 375 et suivants du Code civil. Le Conseil d'État est saisi par voie d'un appel dirigé contre cette ordonnance.

Le Conseil d'État rappelle tout d'abord fermement et complètement les obligations s'imposant en pareille occurrence au département au titre de la protection des mineurs isolés (dispositions combinées des art. 375, 375-3, 4 et 5 du code civil, et L. 221-1, L. 222-5 et L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles).

Il indique aussi, au plan procédural, que lorsque le département refuse de saisir l'autorité judiciaire à l'issue de l'évaluation de l'existence éventuelle d'un danger pour la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé ou de ce que seraient gravement compromises les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social, au motif que l'intéressé n'aurait pas la qualité de mineur isolé, l'existence d'une voie de recours devant le juge des enfants par laquelle le mineur peut obtenir son admission à l'aide sociale (art. 375 c. civ.) rend irrecevable le recours formé devant le juge administratif contre la décision du département. Toutefois, il incombe au juge administratif du référé liberté « lorsqu'il lui apparaît que l'appréciation portée par le département sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en en danger de sa santé ou de sa sécurité, d'enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire ».

En l'espèce, le juge des enfants a ordonné au service compétent du ministère de l'intérieur de procéder à une analyse de la véracité du document produit par l'intéressé, qui a donné lieu, en l'état, à un avis défavorable. Ce même juge, qui ne s'est pas encore prononcé sur la demande du requérant, n'a pas davantage, à ce jour, ordonné l'une des mesures prévues à l'article 375-3 du code civil, notamment en le confiant provisoirement à un service d'aide sociale à l'enfance ainsi que l'article 375-5 du même code le lui permet et que cela lui a été demandé par le conseil de l'intéressé. Il suit de là que le juge des référés du tribunal administratif a, sans erreur de droit ni de fait, pu juger, en l'état de l'instruction et à la date de l'ordonnance du juge du Conseil d'État, que n'existait aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. 

(ord. réf. 22 septembre 2020, M. X., n° 444634)

 

69 - Covid-19 - Obligation de port du masque - Atteinte à la liberté d'aller et de venir - Droit au respect de la liberté personnelle de chacun - Liberté du commerce et de l'industrie - Prix d'acquisition des masques - Rejet de la demande d'annulation d'une ordonnance en référé liberté.

Le juge des référés rejette la requête en référé dirigé contre un arrêté préfectoral rendant le port du masque obligatoire entre 7 heures et 3 heures du matin pour toutes les personnes de 11 ans et plus, pour leurs déplacements sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public sur le territoire de la commune de Toulouse, ainsi que sur les marchés de plein vent, les brocantes, les vides greniers situés dans le département de la Haute-Garonne.

Les libertés invoquées au soutien de sa requête par la demanderesse (liberté d'aller et de venir, droit de chacun au respect de sa liberté personnelle, respect des droits d'autrui et droit au respect de sa vie privée) sont bien des libertés fondamentales.

La mesure prise par le préfet de la Haute-Garonne au vu d'une réactivation de l'épidémie est bien de la nature de celles qui pouvaient l'être ainsi que l'a jugé le tribunal administratif. En effet, cette mesure est, au regard des circonstances de temps et de lieu, nécessaire, proportionnée et adaptée à la lutte contre le Covid-19. En outre, s'il est exact que la nocivité du virus est moindre en plein air que dans des lieux clos, toutes les recommandations des instances sanitaires nationale et internationale rappellent l'exigence impérative du port du masque en plein air lors de la présence d'une forte densité de personnes ou lorsque le respect de la distance physique ne peut être garantie, par exemple en cas de rassemblement, regroupement, file d'attente, ou dans les lieux de forte circulation.

Est, en particulier, rejeté l'argument selon lequel le coût d'acquisition de masques serait dissuasif et, compte tenu du montant des amendes encourues, pousserait les personnes concernées à ne pas sortir de chez elles en violation de leur liberté, les personnes démunies pouvant obtenir à très bref délai une distribution gratuite d'au moins 28 masques.

Enfin, s'agissant des atteintes invoquées pour la première fois en appel (à la pratique sportive, aux sans domicile fixe, aux personnes sourdes ou malentendantes, situations particulières inopinées ou contingentes), leur rejet est fondé soit sur ce que la requérante n'indique pas en quoi elle serait concernée soit sur ce que l'arrêté préfectoral n'avait pas à prévoir toutes les situations y compris les plus singulières car il revient aux agents verbalisateurs d'apprécier dans chaque cas si l'absence de port d'un masque est, dans les circonstances concrètes de l'espèce,  infractive ou pas.

(ord. réf. 14 septembre 2020, Mme X., n° 443904)

 

70 - Retrait d'agrément d'une assistante maternelle (art. L. 2324-1 code de la santé publique) - Absence d'atteinte à une liberté fondamentale - Mesure prévue par la loi et n'étant pas contraire à un engagement international de la France - Irrecevabilité d'une demande en référé liberté (art. L. 521-2 CJA) - Rejet.

L'art. L. 2324-1 du code de la santé publique a institué une procédure d'agrément administratif pour l'exercice de l'activité d'assistant maternel. Les restrictions ainsi apportées en ce domaine à la liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie ou au libre exercice d'une activité professionnelle résultent de la loi elle-même. La mise en œuvre de celle-ci par l'autorité administrative, dans les conditions et pour les motifs prévus par les textes législatifs et réglementaires applicables, y compris en cas de suspension ou de retrait de cet agrément, ne peut être regardée comme portant atteinte à une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 CJA.

Il n'en irait autrement que s'il était soutenu - ce qui n'est pas le cas en l'espèce - qu'elles seraient manifestement incompatibles avec les engagements européens ou internationaux de la France, ou que leur mise en œuvre entraînerait des conséquences manifestement contraires aux exigences nées de ces engagements.

(ord. réf. 18 septembre 2020, Mme X., n° 443993)

 

Police

 

71 - Covid-19 - Arrêté préfectoral imposant le port du masque dans les lieux publics des communes du département de plus de 10 000 habitants - Injonction de modifier ou de réécrire cet arrêté jugé disproportionné - Confirmation partielle par le juge d'appel.

Le juge des référés de première instance a estimé que l'arrêté préfectoral imposant le port du masque toute la journée dans toutes les communes du département ayant plus de 10 000 habitants était disproportionné dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'il existerait en permanence et sur la totalité du territoire de ces communes une forte concentration de population ou des circonstances particulières susceptibles de contribuer à la propagation du Covid-19. Par suite il a jugé que l’arrêté attaqué portait une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et de venir et au droit de chacun au respect de sa liberté personnelle. Il a, en conséquence, enjoint le préfet de prendre un nouvel arrêté avant le lundi 7 septembre à midi en excluant de l'obligation de port du masque les lieux et les tranches horaires qui ne sont pas caractérisés par une forte densité de population ou par des circonstances locales susceptibles de favoriser la propagation du Covid-19.

Le juge des référés du Conseil d'État réforme partiellement cette ordonnance en en supprimant l'aspect horaire mais la confirme pour le reste, reportant au mardi 8 septembre à midi le terme du délai imparti à l'autorité préfectorale.

(ord. réf. 6 septembre 2020, Ministre des solidarités et de la santé, n° 443750) V. aussi le n° 72

 

72 - Covid-19 - Arrêtés préfectoraux imposant le port du masque dans les lieux publics - Injonction de modifier ou réécrire ces arrêtés jugés disproportionnés - Annulation sauf pour la pratique d'activités physiques ou sportives.

C'est à tort que le premier juge a estimé excessive l'obligation préfectorale du port du masque sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public de Lyon et de Villeurbanne en tant qu'elle s'applique toute la journée et sur l'ensemble du territoire de ces communes, sans qu'il résulte de l'instruction qu'il serait nécessaire d'imposer le port du masque d'une façon aussi générale.

En revanche, cette obligation ne saurait être imposée aux personnes pratiquant des activités physiques ou sportives. Le préfet est invité, par cette ordonnance rendue un dimanche en fin d'après-midi (situation banale désormais), à exclure du champ d'application de cette obligation la pratique des activités physiques ou sportives, ses arrêtés modificatifs devant avoir été pris au plus tard le mardi 8 septembre 2020 à midi.

(ord. réf. 6 septembre 2020, Ministre des solidarités et de la santé, n° 443751) V. aussi le n° 71

(73) V. aussi, très voisin et en prolongement chronologique de la décision précédente : ord. réf. 8 septembre 2020, Ministre des solidarités et de la santé, n° 443752.

 

74 - Covid-19 - Obligation, par arrêté préfectoral, de port d'un masque dans un périmètre donné - Requête en référé - Modification postérieure substantielle de l'arrêté - Régime procédural applicable en ce cas (art. L. 522-1 et art. L. 522-3 CJA) - Requête devenue sans objet – Non-lieu à statuer.

(ord. réf. 21 septembre 2020, M. X., n° 443996) V. n° 23

 

75 - Chasse - Autorisation de capture de l'alouette des champs, des vanneaux et pluviers dorés, grives et merles noirs - Importance des populations d'oiseaux concernées - Précautions imposées aux chasseurs - Rejet.

Les demandes de l'association requérante, tendant à la suspension d'arrêtés de la ministre de la transition écologique autorisant la chasse des oiseaux mentionnés dans l'incipit sont rejetées pour défaut d'urgence tant en raison de ce que les éléments avancés par la ministre apparaissent plus convaincants que ceux fournis par la requérante qu'en raison de l'importance des populations d'oiseaux concernées en France au regard du nombre de prélèvements autorisés, du caractère sélectif des méthodes de capture en cause et des précautions imposées aux chasseurs.

(ord. réf. 22 septembre 2020, Association One Voice, n° 443778, 443779, 443781, 443782, 443784 et 443788)

(76) V. aussi, comparable sur le fond mais rejetant le recours dont le juge était saisi s'agissant du refus de la ministre de la transition écologique d'autoriser l'emploi des gluaux pour la capture des grives et des merles destinés à servir d'appelants dans les départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Alpes-Maritimes, des Bouches-du-Rhône, du Var et du Vaucluse : ord. réf. 22 septembre 2020, Fédération nationale des chasseurs et Fédération régionale des chasseurs de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, n° 443851.

(77) V. aussi à propos de l'alouette des champs : ord. réf. 22 septembre 2020, Ligue pour la protection des oiseaux, n° 444599.

 

78 - Police de la circulation aérienne - Décisions suspendant la pratique du parachutisme sportif au-dessus d'un aérodrome ouvert à la circulation aérienne publique - Pouvoir de police spéciale du ministre chargé de l'aviation civile - Rejet.

Les décisions par lesquelles le ministre chargé de l'aviation civile suspend l'activité de parachutisme sur l'aérodrome Amiens-Glisy à titre conservatoire relèvent, pour l'aviation civile, d'un pouvoir de police spéciale appartenant au seul ministre chargé de l'aviation civile alors même que la réglementation du parachutisme sportif relève du ministre chargé des sports.

La décision peut surprendre, elle est logique au regard des motifs de la suspension qui tiennent à la protection de la sécurité dans l'utilisation d'un aérodrome et de l'espace qui l'environne.

(25 septembre 2020, Société "Sauter en parachute", n° 433586) V. aussi le n° 7

 

79 - Police des immeubles menaçant ruine - Charge des travaux de démolition - Cas d'une vente d'immeuble en l'état futur d'achèvement - Inapplicabilité de l'art. L. 511-2 du code de la construction et de l'habitation - Cassation avec renvoi.

En principe, les frais de démolition d'édifices menaçant ruine sont à la charge des propriétaires de ces édifices, soit qu'ils procèdent eux-mêmes ou font procéder à cette démolition, soit que, par suite de leur carence, cette démolition est effectuée par la commune. En ce second cas, il faut, préalablement, qu'ait été émis un titre mentionnant les sommes à payer et que les propriétaires aient été mis en demeure.

En l'espèce, les juges du fond avaient approuvé la commune d'avoir fait application de ces dispositions aux propriétaires d'un immeuble vendu en l'état futur d'achèvement mais devenu un danger du fait de son inachèvement par suite de la mise en liquidation judiciaire du promoteur.

Le Conseil d'État censure ce raisonnement car il résulte des dispositions de l'art. 1601-3 du Code civil que si l'acquéreur d'un bien vendu en vertu d'un contrat de vente en l'état futur d'achèvement devient immédiatement propriétaire du terrain et des constructions existantes et propriétaire des ouvrages à venir au fur et à mesure de leur construction, ces mêmes dispositions ne peuvent avoir pour effet de lui transférer, avant la date de réception des travaux, les obligations de réparation ou de démolition incombant à la personne propriétaire d'un édifice menaçant ruine, au sens de l'article L. 511-2 précité, dès lors que, jusqu'à cette date, il ne dispose pas des pouvoirs de maître de l'ouvrage. 

(28 septembre 2020, M. X. et autres, n° 426290)

(80) V. aussi, à propos de la date de détermination de la qualité de propriétaire ou de copropriétaire, débiteur à ce titre du paiement de la créance détenue sur lui par la collectivité publique qui a exécuté d'office des travaux sur son immeuble : 28 septembre 2020, ville de Paris, n° 429980.

 

81 - Police de la circulation - Forfait post-stationnement - Contestation devant être obligatoirement précédée d'un recours administratif préalable - Limites à cette exigence de recours préalable - Annulation.

Il arrive à la réglementation du forfait post-stationnement, censée rendre plus simple et plus rapide la perception et la contestation dudit forfait, la même mésaventure qu'à la loi de 1957 censée améliorer et simplifier le contentieux de la réparation des dommages causés par des véhicules quelconques : la "simplification" tourne au cauchemar en étant la cause d'un développement exponentiel du contentieux suscité par ce malheureux forfait et son tout aussi malheureux régime juridique et contentieux.

Tout d'abord, et c'est le cas général, l'art. L. 2333-87 du CGCT impose au redevable d'un forfait de post-stationnement qui entend contester le bien-fondé de la somme mise à sa charge, de saisir l'autorité administrative d'un recours administratif préalable dirigé contre l'avis de paiement et, en cas de rejet de ce recours, d'introduire une requête contre cette décision de rejet devant la commission du contentieux du stationnement payant. 

Ensuite, lorsqu'aucun paiement n'a eu lieu dans les trois mois et qu'a été émis, en conséquence, un titre exécutoire portant sur le montant du forfait de post-stationnement augmenté de la majoration due à l'État, il est loisible au débiteur de contester ce titre exécutoire devant la commission du contentieux du stationnement payant, qu'il ait ou non engagé un recours administratif contre l'avis de paiement.

Enfin, dans le cadre du litige ainsi introduit, aucune disposition ne fait, par principe, obstacle à ce qu'il conteste, s'il s'y croit fondé, l'obligation de payer la somme réclamée par l'administration.

L'ordonnance du magistrat désigné par le président de la commission du contentieux du stationnement payant, qui a rejeté la requête de l'intéressé, est donc entachée d'erreur de droit en tant qu'elle se fonde sur ce que celui-ci ne pouvait utilement contester l'obligation de payer la somme réclamée par l'administration car une telle contestation met forcément en cause la légalité de l'avis de paiement auquel le titre exécutoire s'est substitué.

(28 septembre 2020, M. X., n° 431565)

(82) V. aussi, largement identiques : 28 septembre 2020, M. X., n° 432434 ; 28 septembre 2020, M. X., n° 432669.

 

Professions réglementées

 

83 - Chirurgien-dentiste - Chirurgien diplômé d'une université portugaise - Inscription au tableau de l'ordre en France - Application du droit de l'Union - Rejet.

Le Conseil d'État rejette le recours formé par la fédération syndicale requérante contre la décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes estimant qu'un diplôme obtenu au Portugal permettait l'inscription de son titulaire au tableau de l'ordre en application de la directive du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, transposées notamment à l'article L. 4141-3 du code de la santé publique, obligeant les États membres à admettre l'équivalence de tels titres de formation.

En outre, en estimant que la circonstance que l'intéressé avait commencé ses études en France et les avait achevées au Portugal ne pouvait faire obstacle, au regard des dispositions précitées, à son inscription au tableau de l'ordre, le Conseil national n'a pas davantage commis d'erreur de droit.

(9 septembre 2020, Fédération des syndicats dentaires libéraux, n° 421772)

 

83 - Vétérinaires - Régime disciplinaire - Demande d'abrogation des dispositions de l'article R. 242-93, des II et IV de l'article R. 242-95 et de l'article R. 242-102 du code rural et de la pêche maritime - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation du refus du ministre compétent d'abroger plusieurs dispositions du décret du 10 avril 2017 portant réforme de l'ordre des vétérinaires et concernant plus spécialement le régime de la procédure disciplinaire. Tous leurs arguments sauf un sont rejetés.

La circonstance qu'il ne soit pas prévu que le président du conseil national de l'ordre des vétérinaires ou le président du conseil régional de l'ordre dans le ressort duquel le vétérinaire a son domicile professionnel administratif doivent être mandatés à cet effet par leurs conseils respectifs est par elle-même dépourvue d'incidence sur le respect du principe des droits de la défense ou du droit à un procès équitable.

Pareillement, la seule circonstance que le président du conseil régional de l'ordre des vétérinaires puisse, en tant que garant des règles déontologiques de l'ordre des vétérinaires, à la fois déclencher une procédure disciplinaire en qualité de plaignant et demander à la juridiction disciplinaire, au cours de l'audience, le prononcé d'une sanction n'est pas, par elle-même, de nature à porter atteinte au principe du respects des droits de la défense et au droit à un procès équitable, dès lors que le président du conseil régional de l'ordre ne siège pas au sein de la chambre régionale de discipline et que le vétérinaire poursuivi bénéficie des garanties rappelées par le décret attaqué.

De la même manière, le principe de la présomption d'innocence n'est pas affecté, d'une part,  par  le fait que les dispositions contestées écartent la procédure de conciliation si le plaignant est un président du conseil de l'ordre, eu égard à l'objet même de cette procédure qui a vocation à favoriser le règlement amiable de litiges entre confrères ou entre un client et un vétérinaire, et, d'autre part,  par les dispositions de l'article R. 242-102 du code rural et de la pêche maritime qui prévoient que le président du conseil de l'ordre est entendu par la chambre régionale de discipline en ses demandes de peines disciplinaires.

Pas davantage ne peuvent être considérées comme méconnaissant les principes d'indépendance et d'impartialité de la juridiction ordinale, ni les dispositions de l'article L. 242-5 du code précité en tant qu'elles décident que la chambre régionale de discipline est présidée par un magistrat de l'ordre judiciaire, désigné par le premier président de la cour d'appel et qu'elle est composée de conseillers ordinaux tirés au sort, qui ne peuvent être du ressort du même conseil régional de l'ordre que le vétérinaire poursuivi., ni le fait que le président du conseil régional ou national de l'ordre des vétérinaires disposerait d'une autorité morale de nature à influencer les membres de la chambre régionale de discipline.

Toutefois, les requérants sont fondés à soutenir que les dispositions de l'article R. 242-95 du code précité, en ce qu'elles prévoient la transmission du rapport au président du conseil régional de l'ordre, alors que les autres parties n'en disposent pas encore, méconnaissent le principe de l'égalité des armes et le droit à un procès équitable.

La décision attaquée, en tant qu'elle refuse de faire droit à l'abrogation de ces dispositions, être annulée dans cette mesure.

(21 septembre 2020, M. X., et SELARL de vétérinaires Les Essarteaux, n° 424360)

 

84 - Médecins - Respect du secret médical - Refus du défunt de voir communiquer son dossier médical à ses enfants - Volonté formelle - Refus du médecin traitant de communiquer ces informations - Violation de règles déontologiques - Absence - Rejet.

Le médecin traitant, après la mort de son patient, avait refusé de communiquer des informations concernant le dossier médical de son père, à sa fille désireuse de connaître les motifs d'une modification de dispositions testamentaires. La plainte déposée par cette dernière contre le médecin traitant ayant été rejetée par les instances ordinales disciplinaires de première instance et d'appel, elle se pourvoit en cassation.

Le pourvoi est rejeté car, d'une part, les obligations déontologiques du médecin envers ses patients ne cessent pas après la mort (réitération de : Assemblée, 2 juillet 1993, A. Milhaud, RFDA 1993, p. 1002 et s., concl. D. Kessler), et, d'autre part, le défunt avait expressément, à deux reprises, oralement, fait défense à son médecin de communiquer des éléments de son dossier médical à ses enfants. Il suit de là qu'en agissant conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'art. L. 1110-4 du code la santé publique, le médecin traitant n'a pas commis de faute déontologique et que le conseil de l'ordre statuant en matière disciplinaire n'a pas commis d'erreur de droit en rejetant la plainte dont la requérante l'avait saisi.

(21 septembre 2020, Mme X., n° 427435)

 

85 - Pédicures-podologues - Faculté de renouvellement des prescriptions médicales initiales d'orthèses plantaires (art. L. 4322-1 code santé pub.) - Orthopédistes - Orthésistes - Absence de droit à renouvellement de telles prothèses (art. L. 4364-1 code santé pub.) - Différence de traitement justifiée - Rejet de la QPC.

Est rejetée la demande de transmission d'une QPC tirée de l'inégalité inconstitutionnelle résultant de ce que les dispositions du code de la santé publique autorisent les pédicures-podologues à renouveler les prescriptions médicales initiales d'orthèses plantaires datant de moins de trois ans (art. L. 4322-1 code santé pub.) sans accorder le même droit aux orthopédistes-orthésistes (art. L. 4364-1 code santé pub.), ce qui porterait atteinte tant au principe d'égalité devant la loi qu'à la liberté d'entreprendre et au libre choix du professionnel de santé par le patient.

Le Conseil d'État considère tout d'abord que si les orthopédistes-orthésistes peuvent, comme les pédicures-podologues, délivrer des orthèses plantaires sur mesure ou de série, les seconds sont en outre compétents pour établir un diagnostic de pédicurie-podologie et analyser et évaluer les troubles morphostatiques et dynamiques du pied. Cette différence objective dans la formation et la compétence justifie la différence de traitement par le code précité, d'autant que, d'une part, elle est en rapport direct avec l'objet de la mesure attaquée, et d'autre part, ne revêt point un caractère disproportionné.

Ensuite, le juge note que les dispositions contestées sont sans incidence sur la possibilité pour les patients de s'adresser à l'orthopédiste-orthésiste de leur choix pour la réalisation d'une d'orthèse plantaire.

(23 septembre 2020, Syndicat national de l'orthopédie française, n° 438690)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

86 - Pédicures-podologues - Faculté de renouvellement des prescriptions médicales initiales d'orthèses plantaires (art. L. 4322-1 code santé pub.) - Orthopédistes - orthésistes - Absence de droit à renouvellement de telles prothèses (art. L. 4364-1 code santé pub.) - Différence de traitement justifiée - Rejet de la QPC.

 (23 septembre 2020, Syndicat national de l'orthopédie française, n° 438690) V. n° 85

 

87 - Décision du président de la république - Décision de rapatriement "au cas par cas" d'enfants français se trouvant en Syrie - Incompétence du juge administratif pour connaître des recours dirigés contre des décisions non détachables des relations internationales - QPC - Irrecevabilité - Rejet de la demande de transmission d’une QPC et non admission du pourvoi pour le surplus.

(9 septembre 2020, Mmes X. et Y., n° 439520) V. n° 65

 

88 - Impôts sur plus-values - Plus-value de cession à titre onéreux d'actions, parts ou droits - Report d'imposition - Obligation de remploi de 80 % de la plus-value dans les trois ans - Obligation légale instituée après la cession - Invocation, au soutien d'une QPC, de la violation du principe d'égalité sans justification d'intérêt général - Rejet.

La loi du 28 décembre 2011 a ouvert une option en cas de plus-value de cession à titre onéreux, d'actions, de parts de société ou de droits, permettant d'en solliciter le report d'imposition à condition d'en avoir remployé au moins 80 %, dans les trois ans suivants, dans la souscription en numéraire au capital initial ou dans l'augmentation de capital en numéraire d'une société.

La requérante avait réalisé une plus-value de valeurs mobilières du fait de la cession de titres de société le 21 juillet 2011. Elle invoquait la rupture d'égalité entre redevables d'un même impôt sur le fondement d'une même disposition au soutien de la QPC dont elle demandait au Conseil d'État la transmission au Conseil constitutionnel.

Le Conseil d'État rejette la demande motifs pris, d'une part, de ce que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que des redevables placés dans des conditions différentes soient traités de façon différente, et d'autre part, de ce que la différence n'est pas telle qu'elle constitue une inégalité : alors que les bénéficiaires de plus-values réalisées à partir du 1er janvier 2012 disposent de trois années pour choisir l'option, l'intéressée dispose, elle, de deux années.

Ceci est la conséquence du principe, propre au droit français, selon lequel le fait générateur de l'impôt est apprécié au 1er janvier de l'année du vote de la loi de finances et non de l'année de son entrée en vigueur sauf disposition légale contraire expresse.

(21 septembre 2020, Mme X., n° 441177)

(89) V. identique : 21 septembre 2020, Mme X., n° 440422.

(90) V. aussi, comparable mutatis mutandis, à propos de l'invocation de la violation des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques du chef de l'exonération, au profit de celui-ci, des plus-values réalisées lors de la cessation d'activité d'un exploitant ou d'un associé partant à la retraite : 21 septembre 2020, M. X., n° 440612.

 

91 - Présomption d’imputabilité au service de maladies figurant sur un des tableaux de maladies professionnelles – Présomption applicable aux fonctionnaires seulement à partir de l’ordonnance du 19 janvier 2017 – Inapplicabilité antérieurement à cette date – Invocation d’un principe fondamental reconnu par les lois de la république (PFRLR) – Rejet – Invocation d’un droit constitutionnel à la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles – Rejet d’une QPC.

(30 septembre 2020, Mme X., n° 439868) V. n° 58

 

92 - Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA) - Pouvoir d'infliger des amendes - Amende pour non-respect de procédures de décollage par un aéronef - Amende mise à la charge de la compagnie ayant donné cet aéronef en location à un pilote - Principe selon lequel nul ne peut être puni que de son propre fait – Transmission de la QPC.

Le Conseil d'État juge nouvelle et sérieuse la QPC tirée de ce que les dispositions de l'article L. 6361-12 du code des transports seraient contraires aux art. 8 et 9 de la Déclaration de 1789 car elles permettent à l'ACNUSA d'infliger à une compagnie aérienne une amende pour des nuisances causés par un aéronef loué à un pilote alors que cette compagnie n'est pas l'auteur de l'infraction reprochée et sanctionnée.

La question est donc transmise au Conseil constitutionnel.

(25 septembre 2020, M. X., n° 440014)

 

93 - Covid-19 - Pouvoirs accordés au premier ministre en matière d'urgence sanitaire en Nouvelle-Calédonie - Compétence sanitaire appartenant, dans ce territoire, en vertu de la loi organique, aux autorités de celui-ci - Transmission de la QPC alors même qu'elle est dirigée contre une ordonnance non encore ratifiée.

Cette décision, malgré son caractère subreptice sur ce point, pourrait marquer un tournant - regrettable - de la jurisprudence administrative qui n'admettait pas jusque-là que puisse être soulevée une QPC dirigée contre une ordonnance de l'art. 38 non ratifiée (V. par ex. 3 juillet 2016, Syndicat national des entreprises de loisirs marchands (SNELM) et autres, n° 396170) puisque cette jurisprudence se trouve, ici, abandonnée du moins lorsque cette ordonnance a fait l'objet d'un décret d'application et que c'est dans le cadre d'un recours dirigé contre celui-ci (sic) que la question est soulevée. En l'espèce, il s'agissait de l'ordonnance du 22 avril 2020 adaptant l'état d'urgence à la Nouvelle-Calédonie en insérant au code de la santé publique l'article L. 3841-2. Un projet de loi de ratification de cette ordonnance a été déposé au Sénat le 13 mai 2020. Or le Conseil d'État décide : " Le délai d'habilitation ayant expiré et les dispositions de l'article L. 3841-2 étant intervenues dans des matières qui sont du domaine législatif, la circonstance que l'ordonnance du 22 avril 2020 n'ait pas encore été ratifiée ne fait pas obstacle à ce que, dans le cadre d'un recours dirigé contre un décret pris pour son application, la question de la conformité des dispositions en cause aux droits et libertés garantis par la Constitution soit transmise au Conseil constitutionnel."

Il faut redire, comme dans nos précédentes chroniques, l'illogisme et la nocivité d'une semblable solution.

Sur le contenu de la QPC, il est jugé qu'est nouvelle et sérieuse et donc doit être transmise au Conseil constitutionnel, la question de savoir si, d'une part, en décidant que le chapitre relatif à l'état d'urgence sanitaire et le dispositif de sortie de ce régime s'appliquent en Nouvelle-Calédonie, et d'autre part, en y déclarant l'état d'urgence sanitaire, le législateur a méconnu le caractère irréversible du partage des compétences entre l'État et la Nouvelle-Calédonie prévu par les articles 76 et 77 de la Constitution et organisé par loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle Calédonie. 

(28 septembre 2020, M. X. et autres, n° 441059)

 

94 - Droit fiscal - Évaluation d'office - Régime de contestation de cette évaluation - Principe de la responsabilité personnelle - Principe de l'individualisation des peines - Absence d'atteinte - Rejet de la demande de transmission d'une QPC.

(28 septembre 2020, Société Artelim, n° 438028) V.  n° 45

 

95 - Caractère accessoire de l'action en QPC - Intervention sur QPC impossible sauf si l'intervenant s'est joint à l'action principale - Rejet sur ce point.

Le Conseil d'État applique à l'action en QPC le régime de droit commun de l'intervention : celle-ci n'est possible sur un litige accessoire que si elle porte également sur le litige principal. L'intervention sur une QPC, laquelle n'est qu'un litige accessoire se greffant sur un litige principal, est donc irrecevable si elle ne porte pas en même temps sur le litige principal.

La solution est logique.

(25 septembre 2020, M. X., n° 441546)

 

96 - Taxe forfaitaire sur les objets précieux (art. 150 UA et 150 VI CGI) - Contribuables domiciliés en France - Régime fiscal différent selon que lesdits objets se trouvent en France ou dans un pays de l'Union ou dans un pays situé hors de l'Union – Transmission d'une QPC.

Le Conseil d'État estime nouvelle et sérieuse la question de la conformité à la Constitution des dispositions combinées des articles 150 UA et 150 VI du CGI en tant qu'elles prévoient que, cédant dans le cadre de la gestion de son patrimoine privé un objet précieux (bijoux, objets d'art, de collection ou d'antiquité) physiquement situé, au jour de la cession, sur le territoire d'un État tiers à l'Union européenne, un particulier domicilié en France est imposé de plein droit à l'impôt sur le revenu par application du régime des plus-values sur biens meubles, sans qu'il puisse demander à supporter, en lieu et place, la taxe forfaitaire sur les objets précieux, option qui est, en revanche, ouverte lorsque les biens sont situés en France ou dans un des États de l'UE.

(25 septembre 2020, M. X., n° 441908)

 

97 - Principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales - Transmission des actes au préfet - Transmission au préfet d’un schéma de cohérence territoriale (SCoT) - Régime (cf. art. L.122-11 c. urb.) - Absence d’atteinte au principe susrappelé – Refus de transmettre la QPC.

Dans le cadre d’un litige relatif à l’annulation par les juges du fond de la délibération municipale approuvant un plan local d’urbanisme en tant qu'il avait créé deux emplacements réservés destinés à accueillir des aires de stationnement, la commune défenderesse soulève en cassation une QPC.

Elle soutient que l’art. L. 122-11 du code de l’urbanisme porterait atteinte au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Selon ce texte, la délibération municipale approuvant le schéma de cohérence territoriale ne devient exécutoire que deux mois après sa transmission au préfet et, lorsque le préfet a demandé d'y apporter des modifications, elle ne devient exécutoire qu’à la date de publication et de transmission au préfet de la délibération apportant les modifications demandées. La commune requérante soutient que ces dispositions méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales garanti par l'article 72 de la Constitution. C’est l’objet de la QPC qu’elle demande au Conseil d’État de transmettre.

Pour refuser cette transmission, les juges du Palais-Royal développent un raisonnement qui n’est guère convaincant. Selon eux, l’article litigieux poursuivrait un objectif d'intérêt général, consistant à assurer la compatibilité du schéma de cohérence territoriale avec les principes et documents d'urbanisme qu'il mentionne, les plans locaux d'urbanisme devant ensuite être compatibles avec le schéma. Or le pouvoir reconnu au préfet, sous le contrôle éventuel du juge, ne porte pas à la libre administration des collectivités territoriales une atteinte qui excèderait la réalisation de l'objectif d'intérêt général poursuivi.

L’objet même de la réforme de 1982 a précisément été d’empêcher toute subordination de la mise en œuvre des actes locaux transmis au préfet à un quelconque délai laissé à ce fonctionnaire pour apprécier la légalité des actes transmis.

Cette jurisprudence prend l’exact contrepied de l’intention formelle du législateur.

(30 septembre 2020, Commune de Belz, n° 428319)

 

98 - Forfait post-stationnement (art. L. 2333-87, L. 2321-3, L. 2321-3-1 et L. 2321-7-1 du CGCT) – Mise à la charge des personnes morales du paiement du forfait – Cas d’une société de louage de véhicules – QPC soulevée pour atteinte à divers principes garantis par la Déclaration de 1789 – Refus de transmettre.

La requérante demandait la transmission d’une QPC au Conseil constitutionnel car les dispositions susénoncées  porteraient atteinte à plusieurs des droits garantis par la Déclaration du 26 août 1789 en ce qu'elles prévoient que le débiteur du forfait de post-stationnement et de sa majoration éventuelle est le titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule, c'est-à-dire son propriétaire lorsque ce dernier est une personne morale, sans permettre aux sociétés qui ont une activité de location de courte durée des véhicules dont elles sont propriétaires de s'exonérer du paiement de la somme réclamée en communiquant à l'administration les coordonnées du locataire du véhicule.

Pour rejeter cette requête le Conseil d’État réfute les divers arguments avancés au soutien de la demande de transmission.

Tout d’abord, ce forfait est une redevance d'occupation du domaine public qui doit être acquitté lorsque celle-ci n'a pas été payée dès le début du stationnement. Il n’a donc pas le caractère d'une indemnité qui viserait à réparer un dommage causé par une faute de celui qui doit l'acquitter. Par suite, il ne porte pas atteinte au principe constitutionnel selon lequel nul ne peut s'exonérer de sa responsabilité personnelle, garanti par l'article 4 de la Déclaration de 1789.

Ensuite, il n’est pas non plus porté atteinte à ce même principe de responsabilité par le fait que la personne morale propriétaire du véhicule est, en sa qualité de titulaire du certificat d'immatriculation, débitrice du forfait de post-stationnement y compris de sa majoration en l'absence de paiement de ce forfait dans les délais légaux. Au reste, il est loisible au propriétaire du véhicule de répercuter contractuellement sur le locataire les sommes dont il s'est acquitté.

Également, ne sauraient invoqués ni le principe d'égalité devant la loi ni celui de l'égalité devant les charges publiques (art. 6 et 13 de la Déclaration de 1789) car les propriétaires de véhicules qui exercent une activité de location se trouvent dans une situation différente de celle des autres propriétaires titulaires de certificat d'immatriculation.

Encore, il n’est pas davantage porté atteinte au droit à recours effectif des propriétaires de véhicules servant à leur location, d’une part car ils ont la possibilité de contester le forfait de post-stationnement et sa majoration en saisissant la commission du contentieux du stationnement payant, et d’autre part, car ils peuvent prévoir, le cas échéant, de recueillir tous éléments justificatifs auprès du locataire.

Enfin, le forfait litigieux ne constitue point une sanction et son institution ne porte, par suite, par elle-même, pas atteinte aux principes des droits de la défense et de personnalité des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration de 1789 tout comme le fait que la majoration n’est mise à la charge du redevable du forfait qu’après une abstention de payer durant trois mois, exclut que l’établissement de ce forfait puisse porter atteinte aux droits de la défense et au principe de personnalité des peines.

(30 septembre 21020, Société Sixt AF, n° 438253 ; Société Sixt asset et management, n° 441750).

 

99 - Droit de l’Union européenne - Lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme – Secteur des jeux d’argent et de hasard - Obligations de formation et d’information s’imposant à certains employeurs – Sanction de leur omission ayant le caractère d’une punition – Invocation du principe de légalité des délits et des peines – Rejet de la demande de transmission d’une QPC.

(30 septembre 2020, M. X., n° 440228) V. n° 37

 

100 - Pharmaciens d’officine – Organisations syndicales représentatives des pharmaciens d’officine – Droit d’opposition aux conventions et avenants les liant à l’assurance-maladie – Absence – Différence de traitement par rapport aux autres professions de santé – Atteinte au principe d’égalité devant la loi - Refus de transmettre une QPC.

(30 septembre 2020, Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, n° 441716) V. n° 104

 

Responsabilité

 

101 - Institution d'une commission d'indemnisation des spoliations par mesures antisémites (décret du 10 septembre 1999) - Demande d'abrogation pour défaut d'application à d'autres catégories de personnes ou groupes persécutés - Refus - Absence d'illégalité - Rejet.

Les requérantes demandaient l'annulation du refus du premier ministre d'abroger le décret du 10 septembre 1999 instituant une commission d'indemnisation des spoliations par mesures antisémites en tant qu'il exclut du champ d'application du dispositif qu'il prévoit les victimes de spoliations intervenues pendant l'Occupation autres que celles résultant des législations antisémites, notamment les tsiganes, forains et membres de la communauté des gens du voyage.

Pour rejeter ce recours, qui soulevait de délicates questions de principe, le Conseil d'État  invoque deux arguments.

En premier lieu, les personnes concernées ont toujours la possibilité d'engager, du chef de spoliations subies par leurs familles, des actions en responsabilité contre l'État.

En second lieu, il existe une différence entre les persécutions antisémites et les autres car « les personnes victimes de ces mesures dans le cadre de persécutions antisémites ont fait l'objet d'une politique d'extermination systématique ». Cette caractéristique unique justifie que le décret attaqué ait spécifiquement entendu viser les spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation.

(25 septembre 2020, Mme X. et Ligue Internationale Contre le Racisme et l'Antisémitisme (LICRA), n° 437524)

 

102 - Responsabilité hospitalière - Condamnation d'un CHU - Indemnisation fondée sur la responsabilité du CHU envers une patiente - Absence de vérification de l'existence de préjudices professionnels déductibles du préjudice général - Cassation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui condamne un CHU à rembourser à une caisse d'assurance maladie, subrogée dans les droits de la victime, la totalité des versements effectués par la caisse au titre de la pension d'invalidité de cette dernière sans rechercher si elle avait subi, directement en raison de la faute commise par le CHU, des préjudices au titre de la perte de revenus professionnels ou de l'incidence professionnelle de son incapacité, afin de déterminer, après déduction de la pension d'invalidité versée à l'intéressée, la limite dans laquelle la CPAM pouvait exercer son recours subrogatoire relatif au versement de cette pension d'invalidité.

(28 septembre 2020, CHU d'Amiens, n° 431541)

 

Santé publique

 

103 - Autorisation de mise en œuvre d'un protocole d'étude sur la conception d'embryons humains - Étude en vue de l'amélioration de l'efficacité de la conception d'embryons humains par fécondation in vitro - Spermatozoïdes incubés dans une molécule synthétique avant transfert dans l'utérus de la mère - Obligation de recueil préalable du consentement des deux membres du couple -  Obligations incombant à l'Agence de biomédecine - Non-respect - Action introduite par une fondation - Qualité, au regard de ses statuts, lui donnant intérêt à agir - Rejet.

Le litige portait sur les conditions dans lesquelles la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a autorisé un centre hospitalier à mettre en œuvre un protocole d'étude sur la conception d'embryons humains.

En bref, il était reproché à cette décision de n'avoir pas respecté les dispositions législative et réglementaires du code de la santé publique qui font obligation à l'Agence de biomédecine, lors de la mise en œuvre du protocole, de veiller au respect effectif de la condition de consentement préalable des deux membres du couple ou de s'en assurer directement par elle-même.

Tout d'abord, le Conseil d'État juge que la Fondation Jérôme Lejeune - qui avait en première instance et en appel contesté la régularité de l'autorisation ainsi accordée - avait qualité lui donnant intérêt à agir car ses statuts lui attribuent, entre autres, pour but « l'accueil et les soins des personnes, notamment celles atteintes de la trisomie 21 ou d'autres d'anomalies génétiques, dont la vie et la dignité doivent être respectées de la conception à la mort » En effet, dès lors qu'il ne résulte pas des pièces du dossier que l'usage de la tripeptide FEE cyclique pour réaliser le protocole n'était pas susceptible de porter atteinte aux embryons issus de cette recherche, l'autorisation litigieuse était de nature à léser les intérêts que les statuts de la fondation Jérôme Lejeune lui donnent vocation à défendre. 

Ensuite, le Conseil d'État approuve la cour d'avoir, sans dénaturation des faits et des pièces et sans erreur de droit, jugé que la refonte des formulaires de recueil des consentements, exigée comme condition de son avis favorable par le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine, n'avait pas été effectuée. Ainsi, l'autorisation attaquée est annulée car elle a été délivrée sans que l'agence ait pu s'assurer des conditions dans lesquelles le consentement serait obtenu, méconnaissant par-là les dispositions des articles L. 2151-5, R. 2141-17, R. 2141-18 et R. 2141-21 du code de la santé publique.

(25 septembre 2020, Agence de la biomédecine, n° 419303)

 

104 - Pharmaciens d’officine – Organisations syndicales représentatives des pharmaciens d’officine – Droit d’opposition aux conventions et avenants les liant à l’assurance-maladie – Absence – Différence de traitement par rapport aux autres professions de santé – Atteinte au principe d’égalité devant la loi - Refus de transmettre une QPC.

La requérante contestait la différence de traitement existant, s’agissant des rapports avec les caisses d’assurance maladie entre les pharmaciens d’officine et les autres professions de santé. Dans ces dernières, est reconnu aux organisations syndicales majoritaires un droit d'opposition à l'encontre des conventions et avenants régissant les rapports de leur profession avec les organismes d'assurance maladie. Ce n’est pas le cas pour les pharmaciens et la requérante demandait au Conseil d’État de transmettre une QPC fondée sur la violation en l’espèce du principe d’égalité devant la loi.

Le Conseil d’État se borne, pour rejeter la requête, à observer « que le législateur a entendu, eu égard aux différences de situation qui caractérisent les professions de santé réglementées, que les rapports avec les organismes d'assurance maladie de chacune des professions concernées fassent l'objet d'une convention distincte ». Dès lors, la fédération requérante ne saurait utilement contester que ses membres ne soient pas traités comme ceux des autres professions de santé.

Le raisonnement, aussi laconique que possible, peine grandement à convaincre d’autant que l’invocation – traditionnelle jusqu’à la nausée – d’un principe de liberté qui n’interdit pas les traitements différenciés joue une fois de plus le rôle, élégamment habillé, du célèbre « circulez, il n’y a rien à voir ».

(30 septembre 2020, Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, n° 441716)

 

Sport

 

105 - Jet ski - "Karujet" - Sanctions suite à un contrôle antidopage positif - Demande de suspension - Défaut d'urgence et défaut d'atteinte grave à la situation de l'intéressé - Rejet.

Un sportif, sanctionné pour dopage à la prednisone et à la prednisolone, glucocorticoïdes interdits en compétition, voit sa demande de suspension de diverses sanctions dont il a fait l'objet à cette occasion, rejetée. Il saisit le Conseil d’État.

D'une part, il est jugé que la circonstance que la perte de titres sportifs récents et emblématiques ainsi que la baisse de rang de classement afférente entraîneront une dégradation inéluctable de son image, la perte des sponsors et l'impossibilité, par suite, eu égard au coût du matériel et à son statut de sportif amateur, de participer dans de bonnes conditions aux plus grandes compétitions, n'établissent pas l'existence d'une situation d'urgence. Le juge relève, en effet, que si le règlement des compétitions organisées par « P1 AquaX », organisation qui proscrit l'usage dans ses compétitions des substances interdites par le code mondial antidopage, il ne résulte pas de l'instruction que « P1 AquaX » serait tenue d'exécuter la décision de sanction rendue par l'Agence française de lutte contre le dopage, décision qui ne lui a d'ailleurs pas été notifiée. Par suite, en l'état de l'instruction, aucun de ces éléments ne peut être retenu au titre des éléments d'appréciation de l'urgence.

D'autre part, la circonstance, au demeurant établie, que seront retirés au demandeur des titres obtenus entre le 1er novembre 2017 et le 1er mai 2019 lors de compétitions organisées par la Fédération française motonautique ou l'Union internationale motonautique et que l'atteinte ainsi portée à son image est de nature à entraîner le retrait de ses sponsors, mettant ainsi sans délai fin à son activité sportive car le financement de la participation du requérant à ces compétitions repose pour l'essentiel sur des sponsors publics et privés, ne permet cependant pas de caractériser une atteinte suffisamment grave et immédiate à sa situation, notamment au regard de l'intérêt général qui s'attache au respect des règles antidopage.

(ord. réf. 09 septembre 2020, M. X., n° 443033)

 

Urbanisme

 

106 - Participation des riverains pour réalisation de travaux de voirie et de réseau - Travaux nécessaires aux besoins de nouvelles constructions - Travaux n'entrant pas dans cette catégorie - Implantations d'arbres constituant des travaux de voirie - Cassation partielle.

Était contestée la mise à la charge des riverains de 100% du coût de la réalisation de travaux de voirie et de réseaux à l’occasion de la création d'une voie nouvelle.

La cour administrative d'appel a estimé que ne pouvaient être mis à la charge des riverains, d’une part, le coût des travaux ayant porté sur les réseaux publics d'électricité, des eaux potable et pluviales et de téléphonie ainsi que le coût des travaux liés à l'implantation d'un poteau incendie et, d’autre part, ceux relatifs à l'implantation sur cette voie d'arbres d'alignement.

Elle est approuvée par le Conseil d'État sur le premier point et désavouée sur le second.

(25 septembre 2020, Commune de Villelaure, n° 434398)

 

107 - Dispositions d'urbanismes particulières au littoral - Plan local d'urbanisme (PLU) - Contrôle de conformité et contrôle de compatibilité - Existence d'un schéma de cohérence territorial (SCoT) - Conséquences - Contrôle du juge administratif sur la régularité de la décision d'une association d'ester en justice - Obligation s'imposant à l'appelant réitérant en appel un moyen présenté en première instance - Cassation partielle.

D'une longue et riche décision relative à un plan d'urbanisme situé pour l'essentiel dans une zone littorale couverte par un SCoT, on retiendra, parmi d'autres, d'une part deux questions de procédure, d'autre part, d'importantes précisions relatives au degré de contrôle du juge sur un PLU situé en zone littorale.

Tout d'abord, s'agissant de la procédure, cette affaire conduit à rappeler deux choses parfois négligées ou mal connues.

En premier lieu, lorsqu'un recours est formé par une association, il appartient à la juridiction administrative saisie, qui en a toujours la faculté, de s'assurer que le représentant d'une personne morale justifie de sa qualité pour agir au nom de cette partie lorsque cette qualité est contestée sérieusement par l'autre partie ou, que, en l'état de l'instruction, l'absence de qualité du représentant de la personne morale semble ressortir des pièces du dossier. En revanche, il ne lui appartient pas de vérifier la régularité des conditions dans lesquelles l’organe compétent de l’association a accordé une telle habilitation. 

En second lieu, en vertu de la règle de bon sens qu'il incombe au requérant, tant en première instance qu'en appel, d'assortir ses moyens des précisions nécessaires à l'appréciation de leur bien-fondé, le juge d'appel n'est pas tenu d'examiner un moyen que l'appelant se borne à déclarer reprendre en appel, sans l'assortir des précisions nécessaires

Ensuite, et c'est là l'apport principal de la décision, si le contrôle exercé par l'autorité administrative sur une demande d'autorisation d'occupation ou d'utilisation du sol est un contrôle de conformité du projet au regard des dispositions d'urbanisme spécifiques au littoral, en revanche, lorsque ce contrôle porte sur un PLU au regard de ces mêmes dispositions particulières, il n'est qu'un contrôle de compatibilité.

Par ailleurs, si le territoire concerné est couvert par un SCoT, ce contrôle de compatibilité s'effectue également par rapport aux dispositions particulières au littoral sans que puissent être exclues de ce contrôle les dispositions du SCoT qui seraient insuffisamment précises sauf si elles sont elles-mêmes incompatibles avec lesdites dispositions particulières au littoral.

Il y a là, sans doute, trop de subtilité pour les collectivités comme pour les administrés. Une simplification radicale serait bienvenue.

(28 septembre 2020, Commune du Lavandou, n° 423087 ; Association de défense de l'environnement de Bormes et du Lavandou (ADEBL), n° 423156)

(108) V. aussi, à propos de ce même PLU sur des aspects tantôt identiques tantôt spécifiques : 28 septembre 2020, M. X., n° 423120 ; 28 septembre 2020, M. X. et autres, n° 423129 ; 28 septembre 2020, M. et Mme X., n° 423133 ; 28 septembre 2020, M. et Mme X., n° 423135 ; 28 septembre 2020, SCI du Vallon, n° 423137 ; 28 septembre 2020, Mme X., n° 423138

 

109 - Permis de construire - Invitation par le juge à régulariser - Motif constituant le soutien nécessaire au dispositif - Jugement clôturant l'instance - Annulation, en appel ou en cassation, du premier jugement, annulation du second par voie de conséquence - Annulation avec renvoi.

Le juge apporte deux indications importantes dans l'hypothèse où le juge a ordonné la régularisation d'un permis de construire attaqué puis constaté la bonne fin de cette régularisation.

Tout d'abord,  lorsqu'un premier jugement, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, décide qu'un vice entraînant l'illégalité de l'acte attaqué est susceptible d'être régularisé, les motifs de ce premier jugement qui écartent les autres moyens sont au nombre des motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif du jugement qui clôt finalement l'instance dans le cas où ce second jugement rejette les conclusions à fin d'annulation en retenant que le vice relevé dans le premier jugement a été régularisé, dans le délai imparti, par la délivrance d'une mesure de régularisation.

Ensuite, il en résulte que le juge d'appel ou de cassation, saisi de conclusions dirigées contre ces deux jugements, doit, s'il annule le premier jugement, annuler en conséquence, le cas échéant d'office, le second jugement. 

(25 septembre 2020, M. X., n° 432511; M. X. et Mme Y., n° 436284)

 

110 - Permis de construire - Délivrance d'un certificat d'urbanisme négatif - Cas dans lesquels est possible une telle délivrance - Motif tiré de l'incertitude du respect, par le pétitionnaire, de ses obligations - Illégalité - Annulation.

Un certificat d'urbanisme négatif, qui empêche donc l’octroi d'un permis de construire, peut être délivré lorsque le terrain ne peut permettre l'opération envisagée compte tenu de la localisation et de la destination du ou des bâtiments projetés et des modalités de desserte par les équipements publics existants ou prévus.

En revanche, la seule circonstance que le dossier de la demande ne permet pas de s'assurer du respect de la proportion de logements sociaux prévue par une orientation d'aménagement et de programmation, alors qu'aucune disposition n'impose de préciser ce point dans la demande de certificat, n'est pas de nature à justifier la délivrance d'un tel certificat. 

Le certificat négatif était donc irrégulier en l’espèce.

(28 septembre 2020, M. X., n° 426961)

 

111 - Travaux soumis à autorisation d'urbanisme - Travaux d'aménagement d'une aire de « grand passage » - Aires d'accueil temporaire - Travaux non soumis à déclaration préalable ou à permis d'aménager - Inopposabilité des dispositions d'un PLU - Rejet.

La Commune requérante contestait en cassation un arrêt de cour administrative d'appel annulant le jugement qui avait annulé un arrêté préfectoral retirant la mise en demeure adressé par le maire de la commune - agissant au nom de l'État - à une communauté d'agglomération, de cesser les travaux d'aménagement d'une aire de grand passage sur des parcelles, situées sur le territoire de cette commune mais dont une autre commune est propriétaire.

Le pourvoi est rejeté au prix d'une substitution de motif.

Le Conseil d'État juge que les aires de grand passage, si elles sont au nombre des emplacements, susceptibles d'être occupés temporairement à l'occasion de rassemblements traditionnels ou occasionnels, que les schémas départementaux d'accueil des gens du voyage prévoient, elles ne sont destinées qu'à l'accueil temporaire et non à l'installation de résidences mobiles au sens de l'article 1er de la loi du 5 juillet 2000. Par suite, leur aménagement n'entre pas dans le champ des travaux soumis à permis d'aménager ou à déclaration préalable par l'article L. 444-1 du code de l'urbanisme. 

La mise en demeure était donc illégale de ce chef.

En outre, le juge relève que ne fait pas obstacle à cette solution la circonstance que l'article NT1 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Ruffey-sur-Seille interdit certaines occupations ou utilisations du sol, telles que « les terrains de camping et de caravanage », « les terrains d'accueil d'habitations légères de loisir », « les affouillements et exhaussements du sol à l'exception de ceux nécessaires à la réalisation d'une occupation du sol autorisée », dès lors qu'une aire de grand passage ne leur est pas assimilable.

(28 septembre 2020, Commune de Ruffey-sur-Seille, n° 430521)

 

112 - Droit de préemption - Droit appartenant au département dans certains espaces protégés - Régime juridique portant atteinte au droit à recours juridictionnel effectif - Absence - Annulation d'une décision de préemption - Pouvoirs et devoirs du juge de l'exécution (art. L. 911-1 CJA) - Rejet.

Le requérant conteste la préemption dont ont fait l'objet des parcelles dont il était propriétaire sur l'île aux Moines dans le golfe du Morbihan. En particulier il a soulevé une QPC à l'encontre des dispositions du code de l'urbanisme régissant l'exercice du droit départemental de préemption. En outre, il demandait à bénéficier du droit de rétrocession. Les réponses à ces deux arguments sont très importantes et d'ailleurs fortement motivées sans doute car plane la menace d'un recours ultérieur devant la Cour EDH. Elles sont présentées ici.

Pour le reste, le recours est rejeté fondamentalement car c'est à bon droit que, se fondant, à la fois, sur l'intérêt public attaché aux parcelles en cause et à leurs caractéristiques naturelles d'espaces sensibles, le département en a décidé l'acquisition au moyen de l'exercice du droit de préemption.

Le juge estime en premier lieu que les dispositions critiquées ne portent pas atteinte au droit à recours effectif car le juge administratif de l'exécution (art. L. 911-1 et s. CJA), saisi de conclusions en ce sens par l'ancien propriétaire ou l'acquéreur évincé, peut ordonner, le cas échéant sous astreinte, les mesures qu'implique l'annulation, par le juge de l'excès de pouvoir, d'une décision de préemption au titre des espaces naturels sensibles (art. L. 113-4 et L. 215-1 et s. c. urb.). Notamment, il peut enjoindre au titulaire du droit de préemption de proposer l'acquisition du bien à l'ancien propriétaire et à l'acquéreur évincé, en leur évitant ainsi d'intenter une action en nullité de la vente. Semblablement, l'acquéreur évincé peut obtenir du juge, par l'exercice d'une action en responsabilité, la réparation sous forme indemnitaire du préjudice qu'il a subi du fait de l'illégalité de la préemption dont a fait l'objet le bien qu'il se proposait d'acquérir. Ainsi, les dispositions en cause ne méconnaissent pas le droit à un recours juridictionnel effectif.

Le Conseil d'État estime en second lieu, s'agissant du droit de rétrocession, que le juge administratif, après avoir vérifié, au regard de l'ensemble des intérêts en présence, que le rétablissement de la situation initiale ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général s'attachant à la préservation et à la mise en valeur de sites remarquables, peut prescrire au titulaire du droit de préemption qui a acquis le bien illégalement préempté, s'il ne l'a pas entre temps cédé à un tiers, de prendre toute mesure afin de mettre fin aux effets de la décision annulée et, en particulier, de proposer à l'ancien propriétaire puis, le cas échéant, à l'acquéreur évincé d'acquérir le bien, à un prix visant à rétablir, sans enrichissement injustifié de l'une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle.

(28 septembre 2020, M. X., n° 430951)

(113) V. aussi, sur divers aspects de l'exercice du droit de préemption : 28 septembre 2020, Commune de Montagny-lès-Beaune, n° 432063.

(114) V. également, très important, dans le cas de l'exercice du droit de préemption urbain afin de créer des logements sociaux sous l'empire de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové : 28 septembre 2020, Ville de Paris, n° 436978.

Précédent
Précédent

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Suivant
Suivant

Sélection de jurisprudence du Conseil d'État