Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Juillet - Août 2020

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Documents administratifs - Domaine de la communication des documents administratifs - Avis d’un confrère sur la candidature d’une notaire salariée - Nature de document administratif communicable (loi du 17 juillet 1978) - Annulation de la décision refusant sa communication.

La lettre adressée par un confrère au conseil régional de l’ordre des notaires s’opposant à la candidature d’une notaire salariée, versée à la procédure d’avis sur le projet de nomination de cette dernière, a la nature d’un document administratif au sens de la loi de 1978. Cette lettre est donc communicable à l’intéressée contrairement à ce qu’avait estimé le conseil régional de l’ordre.

(10 juillet 2020, Conseil régional des notaires de la cour d’appel de Dijon, n° 429690)

  

2 - Décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive - Paiement à un taux indu de l’indemnité de résidence attribuée à une fonctionnaire - Décision ne pouvant plus être ni abrogée ni retirée - Illégalité de la décision ordonnant un paiement - Régularité d’une décision ordonnant la cessation de ce paiement - Cassation sans renvoi.

Une fonctionnaire conteste la réduction de 3% à 1% du taux de l’indemnité de résidence qui lui était jusque-là alloué. Elle obtient du juge du tribunal administratif le rétablissement du taux initial de 3% et du paiement des sommes non versées, celui-ci se fondant sur les dispositions de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, selon lesquelles : « Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive ».

Le Conseil d’État annule cette ordonnance en retenant le raisonnement du ministre de l'intérieur pour qui il est possible de cesser de verser à l'un de ses agents des sommes dues en application d'une décision attribuant illégalement un avantage financier, alors même que, ayant le caractère d'une décision créatrice de droits, elle ne pourrait plus être ni retirée ni abrogée. Cette décision de cessation de paiement au taux de 3% ne constituerait donc pas une abrogation de la décision accordant ce même taux… La chose n’a pas pour elle les vertus de l’évidence…Elle est cependant classiquement appliquée, par exemple en cas de répétition d’un indu (v. par ex., avis, 28 mai 2014, M. X., n° 376501 et 376573).

Au passage, sera relevée la circonstance que le Conseil d’État admet la recevabilité de ce moyen même s’il n'a pas été discuté devant le juge du fond dès lors qu’il n'est pas nouveau en cassation.

(ord. réf. 22 juillet 2020, Ministre de l'intérieur, n°s 434697, 434702, 434704, 434705, 434707, 434709, 434711, 434713, 434714, 434717, 434719, 434721, 434722, 434724, quatorze  espèces)

 

3 - Référé suspension - Acte préparatoire - Suspension impossible - Rejet.

(ord. réf. 21 juillet 2020, Société Bouygues Télécom, n° 441924) V. n° 57

 

4 - Conservateurs des hypothèques - Rémunération - Bulletin de paie - Absence de caractère de décision - Rejet.

(10 juillet 2020, M. X., n° 430769) V. n° 149

 

5 - Cession de biens d’une collectivité territoriale - Accord sur la chose et sur le prix - Caractère parfait de la cession en l’absence de toute autre condition -   Acte unilatéral approuvant cette cession ou ce transfert - Acte créateur de droits - Annulation avec renvoi.

(29 juillet 2020, Syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) de la région de Chevreuse, n° 427738) V. n° 19

 

6 - Forme des décisions administratives - Titre exécutoire - Obligation de signature et de détermination précise de son auteur (art. L. 212-1 CRPA) - Relations entre personnes morales de droit public - Exclusion de principe de cette obligation (art. L. 100-1 et L. 100-3 CRPA).

Dans un litige opposant l’assistance-publique - Hôpitaux de Paris à propos de la forme d’un titre exécutoire, le Conseil d’État était saisi d’une demande d’avis. 

Il s’agissait de savoir si un titre exécutoire émis par un établissement public administratif (ici l’ONIAM) envers un autre établissement public administratif (Assistance publique - Hôpitaux de Paris) était irrégulier faute de comporter la signature de son auteur, contrairement aux exigences posées à l’art. L. 212-1 du CRPA selon lequel « Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur, ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ».

La réponse est négative car ce code - comme son nom l’indique au reste - ne s’applique pas aux relations entre personnes morales de droit public (art. L. 100-1 et L. 100-3 CRPA) sauf exceptions.

(avis, 10 juillet 2020, Assistance publique - Hôpitaux de Paris, n° 439367)

 

7 - Circulaire et note de service - Circulaire instituant un système facultatif de suivi de compétence et pouvant déboucher sur un plan de formation - Circulaire devant être soumise à la consultation préalable d’un comité technique de réseau - Absence - Irrégularité - Annulation.

Encourt annulation la circulaire mettant en place, au sein de la direction générale des finances publiques (DGFIP), un suivi de compétences pour les cadres supérieurs pouvant déboucher sur un plan de formation voire sur la mobilité de l’agent car, traitant une question relative à la formation et au développement des compétences et des qualifications professionnelles au sens et pour l'application de l’art. 34 du décret du 15 février 2011, elle devait être soumise non, comme ce fut le cas en l’espèce, à une simple information du seul comité technique de service central de réseau de la DGFIP, mais à l’avis du comité technique de réseau, dont le périmètre couvre les services centraux, les services déconcentrés et les autres services à compétence nationale relevant de la DGFIP ou rattachés à elle et qui, partant, était compétent pour en connaître.

(15 juillet 2020, Syndicat national Solidaires Finances publiques, n° 423333)

 

8 - Covid-19 - Référé suspension - Communiqué de presse - Nouveau régime de prescription de l’hyroxychloroquine - Absence de caractère décisoire - Rejet.

Un communiqué de presse qui se borne à informer les praticiens et le public des nouvelles mesures réglementaires prises en matière de prescription de l’hydroxychloroquine et de leurs conséquences, sans en dénaturer la portée, et qui ne révèle par lui-même aucune décision, n’est pas susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. 

Les conclusions tendant à son annulation comme à sa suspension sont ainsi manifestement irrecevables.

(31 juillet 2020, M. X. et autres, n° 442187 ; M. et Mme Y. et autres, n° 442251) V. aussi au n° 68

 

9 - Enseignement supérieur - Inscription des étudiants - Utilisation d’algorithmes - Demande de communication des traitements algorithmiques et de leurs codes sources correspondants - Non-lieu partiel et rejet du pourvoi pour le surplus.

L’organisation requérante avait sollicité du tribunal administratif de La Réunion l’annulation du rejet implicite résultant du silence gardé par le président de l’université de La Réunion sur sa demande de communication des procédés algorithmiques utilisés localement dans le cadre du traitement des candidatures d'entrée en licence par l'intermédiaire de la plateforme Parcoursup ainsi que les codes sources correspondants. Elle se pourvoit contre l’ordonnance rejetant sa demande.

Ce rejet est confirmé par le juge de cassation.

On retiendra de cette décision l’aspect le plus important sans doute pour l’avenir et pour le droit des actes administratifs. Le juge y affirme que les dispositions du I de l'article L. 612-3 du code de l'éducation doivent être interprétées, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 3 avril 2020 (n° 2020-834 QPC, Union nationale des étudiants de France), comme n'imposant pas la publication ou la communication aux tiers des traitements algorithmiques eux-mêmes et des codes sources correspondants.

Compte tenu de l’évolution des techniques, du recours sans doute croissant aux algorithmes et de l’apparition d’autres difficultés contentieuses, il faut s’attendre sans doute à des réexamens de ces solutions jurisprudentielles.

(15 juillet 2020, Union nationale des étudiants de France (UNEF), n° 433296)

(10) V. aussi, identique, dans le cadre de l’université de Corse : 15 juillet 2020, Union nationale des étudiants de France (UNEF), n° 433297.

 

11 - Décision de classement des aérodromes - Classement de l’aérodrome Nantes-Atlantique en catégorie A - Absence de motivation du classement - Légalité - Rejet.

Les dispositions des art. R. 222-1, R. 222-3, R. 222-4 et R. 222-5 du code de l’aviation civile n'imposent pas la motivation des décrets du premier ministre, pris en application de celles-ci, portant classement d'un aérodrome.

(22 juillet 2020, Commune de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu, n° 429508)

 

12 - Contentieux de l’urbanisme - Règles de procédure spéciales - Décret du 17 juillet 2018 portant modifications de la partie réglementaire du code de l’urbanisme - Incompétences alléguées du pouvoir réglementaire - Absence - Rejet.

(3 juillet 2020, Conseil national des barreaux et autres, n° 424293 ; Syndicat des avocats de France, n° 427249, jonction) V. n° 36

 

13 - Validation ou modification rétroactive d’actes - Réserve du respect de l’autorité de chose jugée - Application du principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions - Motif impérieux d’intérêt général - Délimitation stricte du champ et des effets de la validation - Rejet.

Les collectivités publiques, demanderesses à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du préfet de l'Essonne du 4 avril 2018 approuvant le plan de prévention des risques technologiques autour du dépôt d'hydrocarbures de la compagnie industrielle maritime à Grigny et du dépôt de gaz liquéfié de la société Antargaz à Ris-Orangis, soulevaient une question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre du II de l'article 31 de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat. 

Il était fait reproche à cette disposition législative de porter atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution  en ce qu’elle valide, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, « les arrêtés portant prescription ou approbation des plans de prévention des risques technologiques mentionnés à l'article L. 515-15 du code de l'environnement en tant qu'ils sont ou seraient contestés par un moyen tiré de ce que le service de l'État qui a pris, en application du décret n° 2012-616 du 2 mai 2012 relatif à l'évaluation de certains plans et documents ayant une incidence sur l'environnement, la décision de ne pas soumettre le plan à une évaluation environnementale ne disposait pas d'une autonomie suffisante par rapport à l'autorité compétente de l'État pour approuver ce plan ».

C’est l’occasion pour le juge de rappeler les exigences découlant de l’art. 16 de la Déclaration de 1789 pour que soient jugées constitutionnelles les opérations de validation ou de modification rétroactive d’actes juridiques, de droit privé comme de droit public.

1°/ Elles doivent respecter les décisions de justice ayant force de chose jugée et le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions.

2°/ L'atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation doit être justifiée par un motif impérieux d'intérêt général. 

3°/ La portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie.

4°/ L'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d'intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle. 

Le Conseil d’État vérifie que ces conditions ont bien été respectées dans la présente affaire avant de rejeter le recours dont il était saisi.

(22 juillet 2020, Commune de Ris-Orangis, commune de Grigny et communauté d'agglomération Grand Paris Sud Seine Essonne Sénart, n° 439213)

  

Biens, culture et patrimoine

 

14 - Droit de propriété - Exercice par une commune du droit de préemption urbain - Action en annulation par les acquéreurs évincés - Analyse de l’existence réelle et certaine, à la date de l’exercice du droit de préemption, de l’un des motifs pouvant justifier celui-ci - Étendue du contrôle du juge - Seconde cassation et décision au fond.

Voilà une affaire exemplaire aux faits fort simples. Des particuliers, acquéreurs évincés d’une parcelle appartenant à EDF par suite de l’exercice par la commune de son droit de préemption urbain, ont saisi le juge administratif de première instance, d’appel et de cassation, puis, après cassation, ont saisi à nouveau la juridiction d’appel dont l’arrêt est cassé une seconde fois par la présente décision.

En bref, pour les juges du fond la décision de préemption serait régulière car intervenue pour un des motifs pour lesquels la loi prévoit son utilisation, à savoir ici la construction de logements sur la parcelle préemptée, en vue de répondre à l'objectif du programme local de l'habitat qui est de proposer une offre de logement suffisante et aux objectifs de livraison de logements fixés par ce programme pour la période allant de 2010 à 2015. Ces juges, sans pousser plus loin l’analyse, ont de ce fait rejeté le recours des demandeurs.

Devenu juge du fond par l’effet de la seconde cassation, le Conseil d’État n’a pas du tout la même opinion ainsi qu’il résulte de la description très complète qu’il fait des éléments de ce dossier. Les juges écrivent : « Si elle fait ainsi apparaître la nature du projet d'action ou d'opération d'aménagement poursuivi, il ne ressort pas du programme local de l'habitat pour la période considérée qu'il envisagerait, dans le secteur de la parcelle préemptée, la construction de logements pour en accroître l'offre dans l'agglomération. Il ressort en outre des pièces du dossier que le « schéma de faisabilité » établi en août 2011 en vue de la construction de deux lots de logements sur la parcelle et sur la parcelle voisine appartenant toujours à Electricité de France était particulièrement succinct et que de fortes contraintes s'opposent à la réalisation d'un tel projet sur cette parcelle, qui est enclavée sur trois côtés, située dans la zone de dangers d'une centrale hydroélectrique et à proximité d'une plateforme chimique et classée par le plan local d'urbanisme en zone UA indice "ru" ne permettant la construction d'habitations que sous réserve de mesures de confinement vis-à-vis de ces aléas technologiques. Dans ces conditions, la réalité, à la date de la décision de préemption, du projet d'action ou d'opération d'aménagement l'ayant justifiée ne peut être regardée comme établie pour cette parcelle qui, au surplus, a été revendue par la commune à l'établissement public foncier local de la région grenobloise dans un but de réserve foncière en vertu d'un acte authentique du 20 janvier 2012 pris, après une délibération en ce sens du conseil municipal intervenue dès le 25 octobre 2011. »

La cause est entendue et il serait superflu d’y ajouter quoi que ce soit.

(15 juillet 2020, M. et Mme X., n° 432235)

 

15 - Occupation du domaine public - Occupation sans titre - Régime d’expulsion propre aux gens du voyage (art. 9, loi du 5 juillet 2000) - Référé mesures utiles (art. L. 521-3 CJA) en vue d’obtenir cette expulsion - Combinaison des textes - Absence de caractère exclusif de la procédure propre à l’expulsion des gens du voyage - Annulation.

Le département demandeur se pourvoit contre un jugement qui a refusé d’accueillir son recours en demande d'expulsion d’occupants sans titre de son domaine public à raison de son irrecevabilité car ce recours était fondé sur les dispositions de l’art. L. 521-3 CJA (référé mesures utiles) alors que le département devait utiliser la procédure propre à l’expulsion des gens du voyage instituée à l’art. 9 de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage.

Le Conseil d’État casse pour erreur de droit l’ordonnance attaquée : la procédure spéciale, contrairement à ce qui a été jugé en première instance, n’est pas exclusive du droit ouvert à tout justiciable de saisir le juge du référé mesures utiles lorsque les conditions de sa mise en oeuvre sont, comme en l’espèce, réunies.

Le Conseil d’État ordonne donc l’expulsion sans délai de ces occupants et l’évacuation de leurs biens.

(ord. réf. 16 juillet 2020, Département de l’Essonne, n° 437113)

 

16 - Cours d’eaux non domaniaux ou parties non domaniales d’un cours d’eau - Charge de l’entretien incombant aux riverains - Police du libre cours des eaux non domaniales appartenant au préfet et, sous son autorité, aux maires - Survenance de dommages en cas de crue - Régime de responsabilité et de réparation - Annulation avec renvoi.

La société requérante recherchait la responsabilité de la puissance publique du chef de dommages subis par ses biens par suite d’une crue de la Seine et alléguait la commission de plusieurs fautes administratives.

La cour administrative, avait estimé que les pouvoirs du préfet en matière de cours d’eau totalement ou partiellement non domaniaux n’étaient que des pouvoirs de substitution en cas de carence des collectivités locales et qu’ainsi sa responsabilité à raison d’une carence dans l’exercice du pouvoir de tutelle supposait l'existence d'une faute lourde. D’où le rejet de l’appel de la société et la formation, par cette dernière, d’un pourvoi.

Le Conseil d’État juge dans cette décision qu’il résulte de diverses dispositions combinées du code de l’environnement qu’il n’incombe ni à l'État ni aux collectivités territoriales ou à leurs groupements d'assurer la protection des propriétés voisines des cours d'eau non domaniaux  ou de la partie non domaniale d’un cours d’eau (cas ici de la Seine) contre l'action naturelle des eaux.

C’est aux propriétaires riverains de ces cours d’eau ou portions de cours d’eau que revient la charge de cette protection en raison de l’obligation d’entretien régulier de ces eaux qui leur est imposée par l'article L. 215-16 du code de l’environnement.

Toutefois, d’une part, les communes et leurs groupements doivent pourvoir d'office à cette obligation d'entretien régulier, en cas de défaillance du propriétaire et à ses frais et, d’autre part, il appartient au préfet - en vertu des pouvoirs de police spéciale dont il dispose à cet effet pour assurer la conservation et la police des cours d’eau non domaniaux (cf. art. L. 215-7 c. env.) - de prendre toutes dispositions nécessaires au libre cours des eaux, le maire pouvant, sous l'autorité de celui-ci, prendre également les mesures nécessaires pour la police des cours d'eau (cf. art. L. 215-12 du même code).

Il suit de là qu’en cas de dommages causés aux propriétés voisines des cours d'eau non domaniaux du fait de l'action naturelle des eaux la responsabilité de l'État peut être engagée par une faute commise par le préfet dans l'exercice de la mission de police des cours d'eau non domaniaux et de garantie du libre cours des eaux.

En exigeant une faute lourde, sur le fondement d'obligations tutélaires, la cour a commis une erreur de droit d’où l’annulation de son arrêt et le renvoi de l’affaire à cette dernière.

(22 juillet 2020, SCI Les Vigneux, n° 425969)

 

17 - Langue française - Dénomination d’une marque - Utilisation dans les supports de communication d’une commune - Emploi de l’expression anglaise « Let’s » - Absence d’équivalent en français arrêté par la commission d’enrichissement de la langue française - Rejet.

La loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française dispose en son art. 14 que « L'emploi d'une marque de fabrique, de commerce ou de service constituée d'une expression ou d'un terme étrangers est interdit aux personnes morales de droit public dès lors qu'il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à l'enrichissement de la langue française (…) ».

L’association requérante avait demandé, en vain, au maire de la commune du Grau-du-Roi de cesser d’utiliser la marque « Let’s Grau » et d’en supprimer la mention sur tous les supports où elle figurait. Le tribunal administratif, saisi par l’association, fit droit à sa demande mais ce jugement fut annulé, sur appel de la commune, par la cour administrative d’appel. L’association se pourvoit contre l’arrêt d’appel.

Pour rejeter ce pourvoi, confirmant ainsi l’arrêt querellé, le Conseil d’État relève que l’interdiction édictée par cette disposition ne peut jouer que s'il existe une expression française de même sens approuvée par la commission d'enrichissement de la langue française et publiée au Journal officiel de la République française. Tel n’est pas le cas de l’expression « Let’s » : ainsi la marque « Let’s Grau » ne contrevient pas à l’obligation pour les personnes morales de droit public d’employer la langue française.

(22 juillet 2020, Association Francophonie Avenir, n° 435372)

 

18 - Appartenance d’un bien au domaine public - Passage sous le porche d’une habitation - Question préjudicielle sur renvoi de l’autorité judiciaire - Critères de la domanialité publique - Condition de propriété - Cassation.

Dans le cadre d’un litige portant sur la nature juridique du sol situé sous le porche supportant une habitation, le juge judiciaire a posé une question préjudicielle en ce sens. 

Le Conseil d’État relève plusieurs éléments de fait  en faveur de la domanialité publique de ce bien : le passage situé sous le porche est ouvert au public au moins depuis la Libération et permet d'assurer la continuité du cheminement des piétons depuis le trottoir bordant la Grand'rue, et notamment des élèves qui se rendent au collège Louis Pasteur ou des visiteurs du musée situé au sein du château Pécauld ; la commune a fait procéder à ses frais, en 1993, à des travaux de réfection du revêtement du sol de ce passage, lequel fait l'objet d'un entretien régulier par les services municipaux et est pourvu de dispositifs d'éclairage public dont le coût est supporté par la commune, ainsi que d'une signalisation réservant son accès aux seuls piétons. 

Il est jugé que la fraction en litige du passage sous porche, ainsi affectée à l'usage direct du public, présente les caractéristiques d'une dépendance du domaine public communal. Toutefois, il appartient à la commune d’établir qu’elle en est bien propriétaire.

(22 juillet 2020, Commune d’Arbois, n° 435660)

 

19 - Cession de biens d’une collectivité territoriale - Accord sur la chose et sur le prix - Caractère parfait de la cession en l’absence de toute autre condition -   Acte unilatéral approuvant cette cession ou ce transfert - Acte créateur de droits - Annulation avec renvoi.

Rappel de ce que l’accord d’un conseil municipal sur la cession d’un bien communal à une autre personne publique, opère ipso facto le transfert de propriété, l’accord existant sur la chose et sur son transfert (solution identique lorsque le bien fait partie du domaine privé communal : 15 mars 2017, Sarl Bowling du Hainaut et Sarl Bowling de Saint-Amand-les-Eaux, n° 393407). Il n’y a donc pas lieu d’exiger, en sus, un acte en la forme administrative ou un acte notarié.

L’acte unilatéral de cession, telle une délibération du conseil municipal, est donc un acte créateur de droits.

(29 juillet 2020, Syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) de la région de Chevreuse, n° 427738)

 

Collectivités territoriales

 

20 - Subventions accordées à des associations - Conditions de légalité - Existence d’un intérêt public local - Prises de position dans les débats publics sur la procréation médicalement assistée et sur la possibilité de recourir à la gestation pour autrui - Circonstance indifférente - Rejet.

Une collectivité locale - en l'absence de dispositions législatives spéciales l'autorisant expressément à accorder des concours financiers ou le lui interdisant - peut accorder une subvention à une association à la condition expresse qu’elle soit justifiée par un intérêt public local. 

Lorsqu’une association présentant un tel intérêt public local prend position dans des débats publics, y compris de nature politique, cela ne fait normalement pas obstacle à l’octroi de la subvention. Il n’en va autrement que dans le cas où, parallèlement, elle mène une action, qui peut être à caractère politique ou non, ne pouvant pas être regardée comme se rattachant à la poursuite de cet intérêt local. D’une part, la collectivité doit s’assurer ou faire prendre l’engagement que les sommes ainsi attribuées ne servent qu’au fonctionnement de l’association en tant que son action est tournée vers la satisfaction dudit intérêt local, et d’autre part, il est toujours loisible à la collectivité locale de retirer en tout ou en partie une subvention utilisée, totalement ou partiellement, dans un autre but.

En l’espèce la cour administrative d’appel est approuvée d’avoir jugé régulière une subvention à une association dénommée « Centre lesbien, gay, bi et transidentitaire » devenue ensuite l’association « Nos orientations sexuelles et identités de genre » (NOSIG),  dont l’activité consiste en des actions locales d'accueil, d'information, de prévention et de soutien en faveur des personnes gays, lesbiennes, bi ou trans et d’avoir jugé qu'une telle activité revêtait un intérêt public local alors même que l'association a pris position dans des débats publics en cours sur l'accès à la procréation médicalement assistée et sur la possibilité de recourir à la gestation pour autrui, dès lors  que la subvention de fonctionnement accordée par la ville a pour seul objet de permettre à l'association de mener ses actions d'information, de prévention et de soutien auprès de la population locale.

Le pourvoi contre cet arrêt est en conséquence rejeté au prix d’une motivation qui peine à convaincre et qui révèle la grande difficulté pratique pour les personnes publiques à exercer un contrôle véritable et adéquat de l'usage, par leurs bénéficiaires, des fonds alloués à titre de subventions.

(8 juillet 2020, Mme X., n° 425926)

 

21 - Délibération créant le blason d’une commune - Conditions de légalité des composantes du blason - Respect du principe de laïcité - Absence de violation en l’espèce - Rejet.

La commune de Moëslains ayant adopté, pour être utilisé dans les différents supports de communication, un blason qui, selon la description de la cour administrative d’appel, représente deux volutes opposées, surmontées de deux cônes eux-mêmes placés sous un léopard d'or, les deux volutes évoquant les crosses épiscopales de Saint-Nicolas et Saint-Aubin et se réfèrant ainsi aux deux édifices notables du patrimoine communal, l'église Saint-Nicolas et la chapelle Saint-Aubin, et le léopard rappelant le blason d’une famille qui a marqué l'histoire de la commune, un habitant a contesté devant le juge administratif la délibération en cause au motif qu’elle porterait atteinte au principe de laïcité. 

Le Conseil d’État rappelle ici qu'un blason communal, « qui a pour objet de présenter sous forme emblématique des éléments caractéristiques, notamment historiques, géographiques, patrimoniaux, économiques ou sociaux d'une commune, ne peut légalement comporter d'éléments à caractère cultuel que si ceux-ci sont directement en rapport avec ces caractéristiques de la commune, sans exprimer la reconnaissance d'un culte ou marquer une préférence religieuse. »

En l’espèce, rejetant le recours, il relève que, exerçant le pouvoir souverain qui est le sien en ce domaine, la cour a suffisamment marqué le lien entre les éléments constitutifs du blason litigieux et les caractéristiques de la commune.

(15 juillet 2020, M. X., n° 423702)

 

22 - Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) - Régime indemnitaire des sapeurs-pompiers - Autorité compétente - Logement des sapeurs-pompiers - Indemnité substitutive - Conditions d’octroi - Cassation avec renvoi.

Le litige portait sur le régime indemnitaire applicable aux sapeurs-pompiers n’étant pas logés en caserne par le département.

Trois questions devaient être résolues.

1°/  Il résulte de diverses dispositions du décret du 25 septembre 1990 portant dispositions communes à l'ensemble des sapeurs-pompiers professionnels  qu’un partage de compétences s’opère entre, d’une part, le conseil d’administration du SDIS, compétent pour fixer le régime indemnitaire des sapeurs-pompiers professionnels, et notamment pour instaurer, dans les limites fixées à l'article 6-6 du décret, une indemnité de logement au bénéfice des sapeurs-pompiers professionnels qui ne sont pas logés, et, d’autre part, le président de ce conseil d’administration, seul compétent pour fixer le taux individuel de ce régime indemnitaire applicable à chaque sapeur-pompier.

2°/ Lorsque le sapeur-pompier ne bénéficie pas d’un logement attribué par le service, il a droit à une indemnité compensatrice.

3°/ Cette indemnité lui est due aussi bien lorsque cette absence d’attribution de logement résulte d’une décision de service que lorsqu’elle résulte de ce que le sapeur-pompier a refusé cette attribution.

(29 juillet 2020, Mme X., n° 423420)

 

23 - Communes associées - Procédure de séparation - Séparation impossible dans l’année précédant les élections municipales - Arrêt jugeant le contraire - Cassation sans renvoi, le Conseil d’État statuant au fond.

Le préfet de l’Ariège ayant refusé la séparation de deux communes jusque-là associées au motif que cette séparation ne pouvait pas intervenir dans l’année précédant les élections municipales, les intéressés ont saisi le juge administratif qui leur a donné gain de cause tant en première instance qu’en appel.

Sur pourvoi ministériel, le Conseil d’État donne raison au préfet au prix d’une interprétation singulièrement large des dispositions de l’art. 7 de la loi du 11 décembre 1990. Alors que celles-ci n’évoquent expressis verbis que les seules modifications de circonscriptions précédant les élections cantonales ou régionales, point celles municipales, le Conseil d’État, se fondant sur les travaux parlementaires ayant conduit à l’adoption de la loi de 1990, considère qu’elles s’appliquent aux élections municipales et cela malgré le fait que les dispositions de l’art. L. 2112-12 du CGCT sont en sens contraire ; le juge lève ce dernier obstacle en appliquant le principe lex posterior derogat priori.

On a fait parfois plus convaincant comme raisonnement.

Le pourvoi est admis.

(29 juillet 2020, Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 427610)

 

24 - Communauté de communes - Extension de son périmètre de compétence - Eau et assainissement - Opposition de certaines communes membres - Régime spécial de la loi du 3 août 2018 - Conséquences.

Le Conseil d’État était saisi de la délicate question de la combinaison de dispositions législatives de circonstance avec le droit commun régissant les intercommunalités en matière d’élargissement (obligatoire ou facultatif) du périmètre des compétences dévolues à l’ensemble intercommunal. Il ressort ceci de l’interprétation, constructive mais logique, qu’il donne des textes.

Selon l’art. 1er de la loi n° 2018-702 du 3 août 2018, lorsque au moins 25 % des communes membres d'une communauté de communes représentant au moins 20 % de la population s'opposent, avant le 1er juillet 2019, au transfert obligatoire des compétences eau et assainissement à la communauté de communes au 1er janvier 2020, ce transfert obligatoire est reporté au 1er janvier 2026.

Ces dispositions spéciales doivent être combinées avec les dispositions générales, ou de droit commun, de l’art. L. 5211-17 du CGCT qui régissent les transferts facultatifs de compétences. Ces dernières dispositions, qui renvoient notamment aux conditions de majorité requise pour la création de l'établissement public de coopération intercommunale, ne peuvent donc recevoir application entre le 1er juillet 2019 et le 1er janvier 2020. 

Après cette date, elles ne peuvent recevoir application qu'à la condition que ne s'y opposent pas, dans les trois mois, au moins 25 % des communes représentant au moins 20 % de la population.

(29 juillet 2020, Commune de Salses-le-Château et commune de Duilhac-sous-Peyrepertuse, n° 437283)

 

Contentieux administratif

 

25 - Demande d’aide juridique - Effet sur le délai de recours - Cas d’un étranger faisant l’objet d’une OQTF par suite du refus d’un titre de séjour - Effet, en ce cas, de la demande d’aide juridique - Cas des cours administratives d’appel et des juridictions administratives spécialisées - Rejet du pourvoi contre l’ordonnance d’appel.

La demande d’aide juridique (régime issu de la loi du 10 juillet 1991 et du décret d’application du 19 décembre 1991) a pour effet de suspendre le délai du recours contentieux jusqu’ à la décision sur l’octroi ou le refus de cette aide.

Dans cette affaire le Conseil d’État, car la question n’était pas tranchée jusque-là avec netteté, indique que les dispositions des art. 38 et 39 du décret précité s’appliquent également aux cours administratives d’appel et aux juridictions administratives spécialisées statuant en premier degré et dont jugements sont susceptibles de recours devant une juridiction d'appel statuant elle-même à charge de recours devant le Conseil d'État.

Il indique aussi que le délai de recours contentieux contre le jugement rendu en première instance interrompu par la demande d’aide juridique, recommence à courir à compter du jour de la réception par l'intéressé de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, de la date à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné et, précise-t-il, « non de la date à laquelle le demandeur à l'aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d'admission ou de rejet de sa demande en application du premier alinéa de l'article 56 du décret (du 19 décembre 1991) ».

(1er juillet 2020, M. X., n° 426203)

 

26 - Recours pour excès de pouvoir contre un arrêté - Recours dirigé contre une disposition non réglementaire de cet arrêté - Recours ne relevant pas de la compétence directe en premier et dernier ressort du Conseil d’État - Renvoi au tribunal administratif.

La fédération requérante demandait directement au Conseil d’État l’annulation pour excès de pouvoir d’un arrêté ministériel précisant les conditions d'exercice de la pêche de loisir réalisant des captures de thon rouge (Thunnus thynnus) dans le cadre du plan pluriannuel de reconstitution des stocks de thon rouge dans l'Atlantique Est et la Méditerranée pour l'année 2019.

Par la disposition contestée le ministre chargé de la pêche maritime se borne à procéder à la répartition d'un quota de pêche. Une telle mesure ne revêt aucun caractère réglementaire, elle ne relève donc pas de la compétence en premier ressort du Conseil d'État en vertu du 1° de l'article R. 311-1 du CJA, cela, alors même que cet arrêté comporte des dispositions réglementaires mais non attaquées dans le cadre du présent recours.

Il faut supposer, naturellement, que les dispositions, celle non réglementaire et celles réglementaires, de cet arrêté ne sont pas indivisibles.

(8 juillet 2020, Fédération nationale de la plaisance et des pêches en mer (FNPP), n° 429469)

 

27 - Ordonnance de l’art. 38 du 6 février 2019 - Ordonnance en vue d’organiser la sortie sans accord du Royaume-Uni de l’Union européenne - Signature postérieure d’un accord sur cette sortie entre le Royaume-Uni et l’Union européenne - Recours contre l’ordonnance devenue caduque - Recours sans objet - Rejet.

Est rejeté car devenu sans objet, un recours dirigé contre une ordonnance de l’art. 38 (et son décret d’application) prise sur habilitation du parlement en vue d’organiser les relations futures de la France en cas de sortie sans accord du Royaume-Uni de l’Union européenne dès lors qu’est devenu définitif par la suite un accord sur les conditions de cette sortie. L’ordonnance étant devenue caduque, le recours dirigé contre elle a perdu son objet et cela alors même que subsisterait le litige relatif à la contestation de cet accord.

(1er juillet 2020, M. X. et autres, n° 428134 et n° 449442, jonction)

(28) V. aussi, contestant cette même ordonnance en tant qu’elle porte diverses adaptations et dérogations temporaires nécessaires à la réalisation en urgence des travaux requis par le rétablissement des contrôles à la frontière avec le Royaume-Uni en raison du retrait de cet État de l'Union européenne : 1er juillet 2020, Conseil national de l'Ordre des architectes, n° 429132. 

Sur cette décision v. également le n° suivant

 

29 - Ordonnance de l’art. 38 - Ordonnance du 6 février 2019 prise en vue d’organiser les conséquences d’une sortie sans accord du Royaume-Uni de l’Union européenne - Nature juridique d’une ordonnance non ratifiée même après expiration de la durée de l’habilitation - Nature de décision administrative dont le contentieux relève de la compétence du juge administratif - Rejet.

Par-delà son objet direct - le régime juridique de certains travaux urgents à entreprendre du fait de la sortie sans accord du Royaume-Uni de l’Union européenne - la présente décision vaut surtout par la solution, implicite mais certaine, qu’elle contient.

Le Conseil constitutionnel a jugé récemment (28 mai 2020, n° 2020-843 QPC) qu’une ordonnance de l’art. 38 non ratifiée pouvait, à l’expiration du délai d’habilitation et alors même qu’elle n’aurait pas été ratifiée, faire l’objet d’une QPC car elle contient des « dispositions législatives » (solution réitérée par : 3 juillet 2020, M. Sofiane A. et autre, QPC n° 2020-851/852).

Cette solution surprenante et qui n’a pour elle aucune vertu ni logique ni pratique, a été généralement critiquée. Était donc attendue la réaction du Conseil d’État. Ce dernier s’est prononcé à deux reprises déjà. Dans sa décision du 11 juin 2020 (X., n°s 437851, 438129, 438195, 438266), saisi de recours contre le régime juridique des commissions administratives paritaires de la fonction publique, il avait tenu à préciser, à propos de l’art. 1er de l’ordonnance du 13 avril 2017 portant diverses mesures relatives à la mobilité dans la fonction publique, que « ces dispositions, qui ne sont au demeurant pas applicables au présent litige, n'ont pas été ratifiées. Les requérants ne peuvent par suite exciper de leur inconstitutionnalité dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité. » La réponse était d’autant plus claire qu’elle ne s’imposait pas pour la résolution du litige qui était soumis au juge. La solution de la présente décision est, elle aussi, contraire à la solution inédite et étrange retenue par le C.C. le 28 mai 2020. Elle concerne une ordonnance non ratifiée, contestée devant le juge administratif après l’expiration de la durée d’habilitation. Elle confirme la compétence du juge administratif pour en connaitre et donc sa seule nature de décision administrative.

(1er juillet 2020, Conseil national de l'Ordre des architectes, n° 429132)

 

30 - Autorité de chose jugée par une juridiction répressive - Portée sur les décisions du juge administratif - Distinction entre constatations de fait et appréciation juridique - Caractère absolu de cette autorité - Application en cas de décision pénale survenue après la décision du juge administratif frappée de cassation.

Rappel du régime des relations entre juge répressif et juge administratif.

En premier lieu, l’autorité de la chose définitivement jugée par le juge répressif s'impose aux juridictions administratives en ce qui concerne la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire de son dispositif. 

En second lieu, le moyen tiré de la méconnaissance de cette autorité, laquelle présente un caractère absolu, est d'ordre public et peut être invoqué pour la première fois devant le Conseil d'État, juge de cassation. Il en va ainsi même si le jugement pénal est intervenu postérieurement à la décision de la juridiction administrative frappée de pourvoi devant le Conseil d'État. 

(10 juillet 2020, M. X., n° 431890) 

 

31 - Commentaires administratifs de l’administration fiscale - Fixation de son interprétation des dispositions du 1° du 4 de l’art. 261 CGI - Demande d’annulation partielle - Dispositions indivisibles - Irrecevabilité.

Rappel d’un grand classique du contentieux administratif : sont irrecevables les demandes d’annulation partielle d’actes dont les dispositions sont indivisibles.

(29 juillet 2020, Syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique, n° 440591)

 

32 - Délai de recours contentieux contre une décision administrative individuelle -Notification irrégulière ne déclenchant pas le délai de recours - Inapplication de la règle du délai raisonnable quand la décision est relative à la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique - Erreur de droit de l’arrêt contraire - Cassation avec renvoi.

La communauté requérante avait réclamé en vain à l’une de ses communes membres le reversement de la taxe locale d'équipement et de la taxe d'aménagement qu'elle avait prélevées auprès de titulaires de permis de construire au sein de sa zone d'aménagement économique. Elle a saisi les juges administratifs de première instance et d’appel qui ont, chacun, rejeté son recours motif pris de ce que la communauté avait réclamé le paiement de sa créance en saisissant le juge plus d’un an après le rejet de la réclamation qu'elle avait formée auprès de cette commune, donc au-delà de la durée normale du délai raisonnable.

Cette solution est cassée pour erreur de droit car cette règle est sans application aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique, lesquels ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. 

En ce cas, c’est donc au mécanisme de la prescription quadriennale que la loi du 31 décembre 1968 a confié la prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps. Cette sécurité juridique est, ici, assurée par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 ou, en ce qui concerne la réparation des dommages corporels, par celles de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique.

C’est donc à tort que les premiers juges ont opposé la forclusion en l’espèce.

(29 juillet 2020, Communauté de communes de la Plaine dijonnaise, n° 423631)

 

33 - Juridiction des référés - Juridiction du provisoire - Nature et régime juridiques des décisions rendues en référé - Décisions dépourvues de l’autorité de chose jugée - Décisions de nature juridictionnelle donc de caractère exécutoire - Conséquences - Rejet.

Dans un contentieux portant sur une provision allouée par le juge du référé provision, le Conseil d’État rappelle une règle constante et importante, parfois perdue de vue, et en tire, au cas d’espèce, une conséquence un peu inattendue.

Tout d’abord est rappelée la règle selon laquelle si les décisions de la juridiction du référé, parce elle n’est qu’une juridiction du provisoire, n’ont pas l’autorité de chose jugée, elles sont néanmoins des décisions juridictionnelles et revêtent de ce fait un caractère exécutoire.

Ensuite, le juge en tire cette conséquence que l’émission par la collectivité publique bénéficiaire d’une provision allouée en référé d’un titre de recettes ou exécutoire destiné à en assurer le recouvrement n’a aucune portée juridique propre et, par exemple, cesserait de produire tout effet, en cas d’annulation de l’ordonnance de référé allouant la provision.

(22 juillet 2020, Société immobilière Massimi, n° 426210)

 

34 - Aménagement commercial - Personne ayant saisi d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) la commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) - Notion de partie à l’instance - Qualité, ici, de défendeur de la personne contestant l’autorisation accordée par une commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) - Éligibilité au bénéfice de l’art. L. 761-1 du CJA.

Le litige portait sur le refus de délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de la réalisation d'un ensemble commercial.

Alors que la requérante avait obtenu un avis favorable de la CDAC à son projet, le permis lui a été refusé par le maire de la commune d’implantation et deux personnes morales ont saisi d’un RAPO la CNAC qui a rendu un avis défavorable.

Le recours de l'une d'elles ayant été rejeté par la cour administrative d’appel, la requérante s’est pourvue en cassation.

S’agissant de régler la question de l’attribution du bénéfice de l’art. L. 761-1 du CJA (frais irrépétibles), le Conseil d’État juge que la société qui a saisi la CNAC avait, tant devant la cour que devant le Conseil d’État, la qualité de partie en défense, d’où son droit au bénéfice de cette disposition.

(3 juillet 2020, Société Rodrigue, n° 420346)

 

35 - Étranger - Demande de titre de séjour - Nature de la convocation de l’étranger en préfecture - Absence de caractère décisoire - Régime du refus d’avancer la date de rendez-vous en cas d’urgence.

(avis de droit, 1er juillet 2020, M. et Mme X., n° 436288) V. n° 155

 

36 - Contentieux de l’urbanisme - Règles de procédure spéciales - Décret du 17 juillet 2018 portant modifications de la partie réglementaire du code de l’urbanisme - Incompétences alléguées du pouvoir réglementaire - Absence - Rejet.

Les organisations requérantes estimaient entachées d’incompétence diverses dispositions du décret du 17 juillet 2018 portant modification du code de justice administrative et du code de l'urbanisme dans leurs parties réglementaires motif pris de ce que ces dispositions relèveraient de la compétence du législateur.

Tous les griefs, concernant à titre principal cinq dispositions, sont rejetées par le Conseil d’État.

La première figure dans le code de justice administrative, il s’agit de l’art. R. 612-5-2.

Selon ce texte, la notification de l'ordonnance du juge des référés rejetant des conclusions à fin de suspension en raison de l'absence de moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse, doit mentionner - à peine d'irrégularité de la décision constatant le désistement - l'obligation pour l'intéressé de confirmer dans le délai d'un mois le maintien de sa requête au fond, ainsi que les conséquences d'une abstention de sa part. Prises dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, elles ne portent atteinte ni au droit constitutionnel et conventionnel à un recours juridictionnel effectif ni au caractère provisoire des décisions du juge du référé suspension. Elles ne sont donc ni illégales ni entachées d’incompétence.

Les quatre autres dispositions contestées figurent dans le code de l’urbanisme, ce sont les art. R. 600-3, R. 600-4, R. 600-5 et R. 600-6.

L’art. R. 600-3, en ce qu’il dispose qu’ « aucune action en vue de l'annulation d'un permis de construire ou d'aménager ou d'une décision de non-opposition à une déclaration préalable n'est recevable à l'expiration d'un délai de six mois à compter de l'achèvement de la construction ou de l'aménagement », se borne à poser une règle inspirée du souci de sécurité juridique sans porter atteinte au droit à recours effectif et n’est donc pas entaché d’incompétence.

L’art. R. 600-4, en ce qu’il dispose que les requêtes dirigées contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol sont irrecevables lorsqu’elles ne sont pas accompagnées des pièces justificatives nécessaires pour apprécier si les conditions de recevabilité fixées par les articles L. 600-1-1 et L. 600-1-2 du code de l'urbanisme sont remplies, et en ce qu’il précise que cette irrecevabilité ne peut être opposée sans que l'auteur de la requête soit invité à la régulariser en produisant les pièces requises, ne méconnaît pas non plus le droit à recours effectif et n’est pas entaché d’incompétence.

L’art. R. 600-5 institue une règle de cristallisation des moyens en limitant le délai ouvert aux parties pour invoquer des moyens nouveaux à deux mois suivant la communication du premier mémoire en défense (cf. art.  R. 611-3 CJA). Le juge a cependant le pouvoir de reporter ce délai et de fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens lorsque l'affaire le justifie. Recherchant la sécurité juridique et un délai raisonnable de jugement des affaires, cette disposition, qui ne porte pas atteinte au droit à recours effectif, n’est pas davantage entachée d’incompétence.

L’art. R. 600-6, qui décide que le juge de première instance, puis, à son tour, la cour administrative d’appel doivent statuer chacun respectivement dans un délai de dix mois sur les recours contre les permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements ou contre les permis d'aménager un lotissement, poursuit le souci d’une bonne administration de la justice, notamment en respectant un délai raisonnable de jugement, sans méconnaître ni le principe de la séparation des pouvoirs ni celui de l'indépendance de la juridiction administrative et sans porter atteinte au droit à recours juridictionnel effectif ou à l’égalité entre justiciables. Il n’est donc pas entaché d’incompétence.

La démonstration est ainsi faite de la difficulté à obtenir la censure de dispositions prises sur l’instigation ou avec l’accord plein et entier du Conseil d’État.

(3 juillet 2020, Conseil national des barreaux et autres, n° 424293 ; Syndicat des avocats de France, n° 427249, jonction)

 

37 - Office national des infections nosocomiales, des infections iatrogènes et des accidents médicaux (ONIAM) - Offre partielle d’indemnisation - Refus partiel d’indemnisation - Liaison du contentieux en cas de recours juridictionnel subséquent - Point de départ des délais de recours contentieux - Cassation partielle et renvoi dans cette mesure.

Le Conseil d’État tranche dans cette affaire trois importantes questions procédurales.

A la suite d’une thyroïdectomie, la requérante a éprouvé divers troubles dont elle a demandé réparation. L’ONIAM a, le 2 mars 2015, au titre de la solidarité nationale, fait part à la demanderesse d’une proposition d'indemnisation couvrant cinq postes de préjudices non patrimoniaux et a réservé l'indemnisation des autres postes dans l'attente de la production par l'intéressée de pièces justificatives complémentaires. 

Sans répondre à cette offre, celle-ci a saisi le tribunal administratif, le 29 août 2016, d'une demande tendant à la condamnation de l'ONIAM à réparer l'ensemble de ses préjudices. Le tribunal a, d‘une part, condamné l'ONIAM à lui verser une somme au titre de l'ensemble des préjudices nés de l'opération chirurgicale et, d’autre part, rejeté comme tardives les conclusions tendant à l'indemnisation des cinq chefs de préjudice ayant fait l'objet de l'offre de l'ONIAM du 2 mars 2015.

La cour administrative d’appel ayant, dans son principe, confirmé ce jugement, la demanderesse se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État tranche une première question, celle de l’effet contentieux des offres partielles et des refus partiels d’indemnisation de certains chefs de préjudices : ceux-ci lient le contentieux indemnitaire devant la juridiction administrative.

De là découle inéluctablement la réponse à la seconde question : Le délai de recours contentieux à fins indemnitaires ne court qu'à compter de la notification de l'ultime proposition de l'ONIAM ou de sa décision de rejet d'indemnisation pour les postes de préjudices restants.

Enfin, est apportée une réponse à une troisième question, assez disputée et délicate, qui est de savoir si la règle dite du délai raisonnable - applicable en cas de notification défectueuse d’une décision administrative - joue également pour les recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique.

La réponse est négative car - et cela alors même que ces recours doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration - de tels recours ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. 

Le Conseil d’État estime ces principes applicables aux recours indemnitaires engagés par les victimes d'un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins, ou à leurs ayants droit, auxquels l'ONIAM a adressé ou refusé une offre d'indemnisation, que ce soit à titre partiel ou à titre global et définitif.

En conséquence de ce qui précède est prononcée la cassation de l’arrêt litigieux mais seulement en tant qu'il rejette les conclusions de la requérante tendant à la réparation des souffrances endurées, du préjudice esthétique temporaire, du préjudice esthétique permanent, du préjudice sexuel et des frais d'acquisition d'un véhicule adapté.

(8 juillet 2020, Mme X., n° 426049)

 

38 - Référé suspension - Soumission à la réunion concomitante de deux conditions - Exigence d’une urgence et d’un moyen susceptible de créer un doute sérieux - Rejet.

Reprise d’une antienne traditionnelle : l’octroi du référé suspension est subordonné à la réunion concomitante de deux conditions, l’urgence et l’existence d’un moyen susceptible de créer un doute sérieux sur la légalité de la décision dont la suspension est demandée. Le défaut de l’une de ces deux conditions ne peut aucunement être suppléé par la présence, même « massive » et certaine, de l’autre condition.

D’où ce rappel, un tantinet agacé, que : « Toutefois, la condition d'urgence posée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative est distincte du point de savoir si les moyens invoqués sont propres à faire naître, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée. »

(3 juillet 2020, Syndicat unité magistrat SNM FO, n° 441256)

 

39 - Covid-19 - Référés des art. L. 521-1 et L. 521-2 CJA - Procédures organisées par les art. L. 522-1 et L. 522-3 du CJA - Intervention exceptionnelle des art. 1 et 9 de l’ordonnance modifiée du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif - Portée - Cassation sur ce point mais rejet du recours sur le fond.

Le litige portait sur le refus des autorités françaises d’autoriser une ressortissante centrafricaine et son enfant, venant d’Italie et demandeuse d’asile, d’accéder au territoire français.

Se posait en particulier une question de combinaison des textes relatifs aux deux référés, suspension et liberté, et à leur procédure avec celles des dispositions de l’ordonnance du 25 mars 2020 modifiée aménageant la procédure de référé.

Comme l’on sait, le juge des référés statuant sur une demande de suspension (L. 521-1 CJA) ou sur une demande en cessation d’atteinte à une liberté fondamentale (L. 521-2 CJA) dispose de deux voies procédurales. Soit celle de l’art. L. 522-1 CJA qui organise une procédure contradictoire et publique, soit celle de l’art. L. 522-3 CJA qui permet de rejeter sans audience publique et sans contradictoire les requêtes sans caractère d'urgence ou celles qui, manifestement, ne relèvent pas de la compétence de la juridiction administrative, ou sont irrecevables ou mal fondées.

Par ailleurs, il résulte des dispositions de l’art. R. 611-1 du CJA que la requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes.

L’ordonnance du 25 mars 2020 a précisé que : « Outre les cas prévus à l'article L. 522-3 du code de justice administrative, il peut être statué sans audience, par ordonnance motivée, sur les requêtes présentées en référé. Le juge des référés informe les parties de l'absence d'audience et fixe la date à partir de laquelle l'instruction sera close. 

Ainsi qu'il est dit à l'article L. 523-1, les décisions prises sans audience, en application du premier alinéa, par le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative peuvent faire l'objet d'un appel lorsqu'elles n'ont pas été rendues en application de l'article L. 522-3 du même code ».

Le Conseil d’État rappelle que si ces dispositions autorisent, par exception, le juge des référés à ne pas tenir d'audience publique, « elles ne sauraient être interprétées comme le dispensant également du respect du caractère contradictoire de la procédure, notamment du respect des dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative. »

(ord. réf. 8 juillet 2020, Mme X., n° 440756)

 

40 - Opposition ou non-opposition à une déclaration de travaux - Contestation de cette décision devant le tribunal administratif statuant selon le droit commun - Appel relevant de la cour administrative d’appel - Renvoi du pourvoi à la cour sous forme d’appel.

(9 juillet 2020, Syndicat des copropriétaires de la résidence de l'Agrianthe, n° 440384) V. n° 218

 

41 - Clôture de l’instruction - Mesure d’instruction postérieure ordonnant une communication de pièce - Réouverture de l’instruction nécessaire seulement à l’égard de la communication ordonnée - Obligation pour le juge de tenir compte de cet élément - Cassation avec renvoi.

Un permis de construire ayant été annulé au motif qu'il avait été signé par une adjointe au maire ne disposant pas, à la date où l'acte a été pris, d'une délégation de signature régulièrement publiée, sa bénéficiaire se pourvoit en cassation.

Pour prononcer la cassation demandée le Conseil d’État relève tout d’abord qu’après la clôture de l’instruction du dossier le tribunal a ordonné, près de quatre mois après celle-ci, une mesure d'instruction invitant la commune à rapporter la preuve de la publication de l'arrêté par lequel le maire de la commune avait délégué sa signature à l’adjointe au maire qui avait signé le permis de construire litigieux. Il indique ensuite que cette décision a eu pour effet de rouvrir l’instruction mais seulement sur l’objet de la communication demandée. De ce fait l’instruction a donc été close, à nouveau, soit trois jours francs avant la date de l'audience, si l'avis d'audience en a fait mention, soit, au plus tard, et conformément à une règle générale de la procédure administrative contentieuse, après que les parties ou leurs mandataires ont formulé leurs observations orales à l'audience du 19 février 2018 où l'affaire a été appelée.

Enfin, il juge que si les éléments relatifs à la publication de l'acte réglementaire portant délégation de signature, qui ont été adressés au tribunal par la commune le 26 février 2018 et par la SCI CV Le 118 Résidence le 1er mars 2018, ont ainsi été produits après la clôture de l'instruction, le tribunal administratif ne pouvait régulièrement s'abstenir de tenir compte de ces éléments, pour juger que le permis de construire litigieux avait été délivré par une autorité incompétente et cela alors même que la commune et la SCI étaient en mesure de les verser aux débats avant cette clôture. 

La requérante est donc fondée à demander, pour ce motif, l'annulation du jugement attaqué.

(8 juillet 2020, SCI CV Le 118 Résidence, n° 420570)

 

42 - Désistement - Effets - Effet sur l’application de l’art. L. 761-1 CJA - Effet total sauf précision expresse contraire - Cassation partielle de l’ordonnance.

Rappel de ce que : « Lorsqu'un requérant se désiste, il est réputé se désister également de sa demande tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sauf s'il a formellement maintenu cette demande lors de son désistement. »

(ord. réf. 9 juillet 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 429794)

 

43 - État n’étant ni partie ni représenté dans une instance - État appelé à produire des observations dans celle-ci - Circonstance ne conférant pas à l’État la qualité de partie à l’instance - Cassation sans renvoi.

Dès lors que l’’État n’est ni partie ni représenté à l’instance se déroulant devant une cour administrative d’appel, la seule circonstance qu’il y ait été invité à formuler ses observations sur le litige ne pouvait pas lui conférer la qualité de partie à l’instance.

(8 juillet 2020, Ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, n° 425023)

 

44 - Appel principal - Obligation de production d’une motivation de la requête d’appel - Prohibition de la seule reprise intégrale du mémoire de première instance - Régularisation possible jusqu’à l’expiration du délai d’appel - Solution différente pour le mémoire produit au soutien d’un appel incident lequel est sans limite de délai - Rejet.

Il est de principe qu’une requête d'appel est irrecevable si elle se borne à reproduire intégralement et exclusivement le texte du mémoire de première instance.

Cette solution, bien établie depuis une vingtaine d’années, est heureusement abandonnée par la présente décision, s’agissant des requêtes formées au soutien d’un appel incident, dont on sait que la recevabilité n'est pas subordonnée à une condition de délai et qui, dès lors, peuvent être régularisées à tout moment (abandon de : 17 novembre 1999, Ministre de l'équipement, des transports et du logement, n° 180678).

(10 juillet 2020, Commune d'Aubusson, n° 427884)

 

45 - Tribunal administratif - Absence, sur les jugements rendus, de mention de l’audition du rapporteur public ou de la dispense de ses conclusions - Irrégularité - Annulation avec renvoi.

L’absence, en violation des dispositions de l’art. R. 741-2 CJA, sur la minute d'un jugement de la mention indiquant soit que le rapporteur public a été entendu en ses conclusions soit que l’affaire en cause était dispensée de telles conclusions affecte irrémissiblement sa régularité et entraîne sa cassation.

(13 juillet 2020, Société Oger Nuanciers, n° 428287)

 

46 - Covid-19 - Référé liberté - Annulation, à Roubaix, de festivités prévues le 13 juillet 2020 à partir de 21 heures - Saisine du Conseil d’État le 13 juillet à 18h44 - Requête trop tardive pour être jugée en temps et avec effet utiles - Non-lieu à statuer.

Contestant les motifs et conditions de l’annulation, pour cause de Covid-19, de festivités devant se dérouler à Roubaix le 13 juillet 2020 à partir de 21 heures, le requérant a saisi le tribunal administratif qui a rejeté sa requête par une ordonnance du 13 juillet 2020 dont il a relevé appel devant le Conseil d’État, par une requête enregistrée à 18h44. Le juge ne peut que constater que « La manifestation dont M. X. demande l'interdiction s'étant déjà tenue au moment où, compte tenu des conditions de sa saisine (…), le juge des référés du Conseil d'État statue par la présente ordonnance, la requête d'appel (…) a perdu son objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer. »

(ord. réf. 14 juillet 2020, M. X., n° 441823)

 

47 - Compétence du tribunal administratif en premier et dernier ressort - Cas des litiges en matière d’aide et d’action sociale (art. R. 811-1 CJA) - Décision du conseil régional de la Réunion de rembourser les billets d’avions de ses agents se rendant de l’île à la métropole ou inversement - Exception inapplicable - Rejet.

La région de la Réunion a décidé, au titre de la continuité territoriale, de rembourser le prix des billets d’avion acquitté par ses agents pour se rendre en métropole ou en revenir.

Un tel mécanisme ne constitue pas une mesure prise en matière d’aide ou d’action sociale et les litiges qu’il peut susciter ne relèvent pas de l’exception procédurale instituée à l’art. R. 811-1 CJA qui fait du tribunal administratif, en cette matière, une juridiction statuant en premier et dernier ressort. 

De tels litiges relèvent des règles et du régime d’appel de droit commun.

(15 juillet 2020, Région de la Réunion, n° 436276)

 

48 - Covid-19 - Clubs de football rétrogradés en National 2 - Aide financière instituée par la Ligue de football professionnel - Refus d’accorder cette aide - Décision sans caractère réglementaire - Incompétence du Conseil d’État pour y statuer en premier et dernier ressort - Rejet.

(ord. réf. 3 août 2020, Société AS Béziers, n° 442310) V. n° 212

 

49 - Délai de recours contentieux - Expiration - Alerte cyclonique les trois jours précédant l’expiration du délai - Dépôt de la requête le lendemain de cette expiration - Absence de forclusion - Cassation avec renvoi.

Doit être cassé l’arrêt d’appel qui rejette pour forclusion un recours introduit le 10 mai alors que le délai de recours expirait le 9 mai sans retenir qu’une alerte cyclonique a provoqué l’interdiction de tout déplacement du 6 mai à 23 heures au 10 mai à 6 heures.

Le bon sens triomphe parfois.

(22 juillet 2020, Mme X., n° 427399)

 

50 - Association - Notion d’intérêt donnant qualité pour agir - Termes très généraux définissant son objet statutaire - Absence d’intérêt - Rejet.

Une association dont l’objet statutaire est « de mener des actions en vue de réhabiliter la démocratie représentative, de promouvoir l'éthique en politique et de lutter contre la corruption en privilégiant les actions d'information, d'éducation et de prévention à l'égard des citoyens », n’a pas, en raison de la généralité des termes définissant cet objet,  d’intérêt lui donnant qualité pour demander au juge des référés la suspension de la lettre de la garde des sceaux, du 1er juillet 2020,  saisissant le chef de l'inspection générale de la justice pour lui demander « dans le respect de l'indépendance des décisions juridictionnelles rendues » de bien vouloir, « conduire une inspection de fonctionnement » du parquet national financier portant sur le déroulement d'une enquête préliminaire engagée par ce parquet.

(ord. réf. 17 août 2020, Association Anticor, n° 442773)

 

51 - Recours pour excès de pouvoir - Non-lieu à statuer - Autorité de chose jugée - Absence - Rejet.

Dans le cadre d’un recours contre le rejet d’une demande d’asile, le juge rappelle qu’une « décision de non-lieu à statuer rendue sur un recours pour excès de pouvoir n’(est) ni revêtue de l'autorité de la chose jugée, ni créatrice de droits, ni susceptible de mesures d’exécution ». Il s’ensuit qu’un requérant ne saurait utilement se prévaloir de ce qu'elle aurait été rendue à la suite d'une instruction entachée d'irrégularité.

(ord. réf. 12 août 2020, M. X., n° 442595)

 

52 - Référé suspension - Arrêté préfectoral approuvant une concession d’utilisation de dépendances subaquatiques du domaine public maritime - Recours de tiers - Invocation exclusivement de vices propres à l’acte d’approbation du contrat - Absence - Annulation sans renvoi.

Une association a demandé au juge des référés et obtenu de lui la suspension de l'exécution de l'arrêté par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a approuvé la convention conclue en vue de la concession à l'association Les amis du musée subaquatique de Marseille de l'utilisation de dépendances du domaine public maritime pour une durée de 15 ans afin de créer « un musée subaquatique ». L’association bénéficiaire de la convention se pourvoit contre cette ordonnance.

Le Conseil d’État rappelle que les tiers à un contrat disposent, à la fois, d’un recours de pleine juridiction contre les clauses du contrat ou ses conditions d’exécution et du recours pour excès de pouvoir contre l’acte administratif d’approbation du contrat, chacun de ces recours devant satisfaire à des exigences propres.

Il relève que pour ordonner la suspension de l’arrêté litigieux le juge des référés a retenu deux moyens (méconnaissance de l’exigence de publicité et méconnaissance des règles de composition du dossier d’enquête) qui ne mettaient en cause que la régularité de la procédure conduisant à la conclusion de la convention domaniale et non des vices propres à l'acte d’approbation, seuls susceptibles d’être soulevés dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’acte d’approbation.

L’ordonnance de suspension est annulée et aucun des autres moyens soulevés n’étant propre à convaincre de l’illégalité de l’arrêté querellé, le pourvoi est rejeté sans qu’il soit besoin d’examiner la condition d’urgence.

(ord. réf. 16 juillet 2020, Association "Les amis du musée subaquatique de Marseille", n° 430518)

 

53 - Référé - Saisine directe du Conseil d’État en premier et dernier ressort - Matière ne relevant pas de cette compétence dérogatoire - Rejet du référé.

Rappel, une nouvelle fois, de ce que le juge des référés du Conseil d'État ne peut être régulièrement saisi, en premier et dernier ressort, d'une requête tendant à la mise en oeuvre de l'une des procédures régies par le livre V du code de justice administrative que pour autant que le litige principal auquel se rattache ou est susceptible de se rattacher la mesure d'urgence qu'il lui est demandé de prendre, ressortit lui-même à la compétence directe du Conseil d'État.

Tel n’est pas le cas en l’espèce où le requérant demandait la prise de toutes mesures de nature à mettre fin aux agissements du centre audiovisuel d'études juridiques des universités de Paris qui refuse d'entériner les examens de master 1 qu'il a passés au cours de l'année 2019-2020.

(ord. réf. 17 août 2020, M. X., n° 442807)

 

54 - Référé liberté - Requête n’exposant aucun fait, dépourvue de moyens et de conclusions - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

Est manifestement irrecevable, la requête en référé liberté (mais il en irait de même de toute autre espèce de requête) qui, n’exposant aucun fait, est dépourvue de moyen et ne contient pas de conclusions.

Pourquoi ne pas infliger en ce cas une amende pour recours abusif ?

(ord. réf. 16 juillet 2020, Mme X., n° 441821)

 

55 - Recours en interprétation - Tribunaux de commerce - Interprétation de l’article L. 723-7 du code de commerce (loi n° 2019-486 du 22 mai 2019) - Guide pratique pour l'organisation des élections des tribunaux de commerce pour l'année 2019 -- Renvoi préjudiciel par le juge judiciaire par voie d’exception d’illégalité - Interprétation erronée et donc illégale.

Le Conseil d’État interprète l’article L. 723-7 du code de commerce (loi n° 2019-486 du 22 mai 2019), prévoyant que les juges des tribunaux de commerce élus pour cinq mandats successifs dans un même tribunal de commerce ne sont plus éligibles dans ce tribunal comme n'interdisant à un juge consulaire d'être à nouveau élu dans le même tribunal de commerce que s'il y a exercé continûment cinq mandats. C’est donc illégalement que le « Guide pratique pour l'organisation des élections des tribunaux de commerce pour l'année 2019 » dit qu'un juge consulaire ne peut exercer, au sein d'un même tribunal de commerce, plus de cinq mandats même accomplis de façon discontinue.

(10 juillet 2020, Mme X., n° 436954)

 

56 - Référé liberté - Demande indemnitaire - Exclusion de l’office du juge de ce référé - Rejet.

Il n'entre pas dans l'office du juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de se prononcer sur des conclusions indemnitaires. De telles conclusions sont, par suite, irrecevables.

(ord. réf. 19 août 2020, M. X., n° 442750)

 

57 - Référé suspension - Acte préparatoire - Suspension impossible - Rejet.

La société requérante poursuivait l’annulation de l'arrêté ministériel du 30 décembre 2019 relatif aux modalités et aux conditions d'attribution d'autorisations d'utilisation de fréquences dans la bande 3.5 GHz en France métropolitaine pour établir et exploiter un réseau radioélectrique mobile ouvert au public et, corrélativement, en demandait la suspension.

Toutefois, le juge relève que l’arrêté attaqué présente le caractère d'une mesure préparatoire. Il n'est donc pas susceptible d'être déféré au juge de l'excès de pouvoir et ne peut être contesté qu'à l'appui de recours dirigés contre les actes désignant les opérateurs choisis à l'issue de cette procédure.

La procédure de référé suspension étant liée à une demande d’annulation, il s’ensuit que l’impossibilité de saisir le juge de cette dernière rend pareillement impossible la formation d’un tel référé, lequel est, en ce cas, irrecevable.

(ord. réf. 21 juillet 2020, Société Bouygues Télécom, n° 441924)

 

58 - Affichage du sens des décisions de justice - Affichage d’une décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) (art. R. 733-31 CESEDA) — Affichage comportant une erreur - Erreur sans incidence sur la régularité de la décision - Rejet.

L’erreur que comporte le texte d’une décision de la CNDA ayant fait l’objet de l’affichage prévu par l’art. R. 733-31 du CESEDA n’a pas pour effet d’affecter sa régularité dès lors que ce texte est conforme à la minute signée de la décision rendue par la Cour.

(22 juillet 2020, M. X. et Mme Y., n° 430601)

 

59 - Intérêt pour agir - Personne morale - Syndicat de magistrats - Décision de saisine de l’inspection générale de la justice en vue d’évaluer le fonctionnement d’un parquet spécialisé - Absence d’intérêt pour agir - Inspection sans effet sur les intérêts et le statut des personnes que ce syndicat représente - Rejet.

Par deux référés, un référé liberté et un référé suspension, un syndicat de magistrats demande la suspension d’exécution de la décision de la garde des sceaux ordonnant à l'inspection générale de la justice une inspection sur une enquête réalisée par le parquet national financier.

Observant tout d’abord que, selon une jurisprudence absolument constante, l’intérêt pour agir s’apprécie non au regard des moyens invoqués mais des conclusions présentées, le Conseil d’État juge ensuite qu’un syndicat de magistrats n’a d’intérêt pour agir en l’espèce, l’inspection critiquée dont s’agit n’étant pas de nature à affecter les conditions d'emploi et de travail des magistrats judiciaires dont ce syndicat défend les intérêts collectifs, et ne porte par elle-même aucune atteinte à leurs droits et prérogatives statutaires. 

Les deux demandes de référés jointes sont, sans surprise, rejetées.

(27 juillet 2020, Syndicat de la magistrature, n° 442127 et n° 442129, jonction)

 

60 - Compétence à l’intérieur de l’ordre administratif de juridiction - Renvoi pour incompétence de la juridiction saisie à une autre juridiction administrative - Doute sur la compétence de cette dernière - Délai maximum de trois mois pour saisir le président de la Section du contentieux du Conseil d’État - Non-respect de ce délai - Obligation pour la juridiction de juger elle-même l’affaire.

Selon l’art. R. 351-3, al. 1 du CJA, « Lorsqu'une cour administrative d'appel ou un tribunal administratif est saisi de conclusions qu'il estime relever de la compétence d'une juridiction administrative autre que le Conseil d'État, son président, ou le magistrat qu'il délègue, transmet sans délai le dossier à la juridiction qu'il estime compétente ». 

En vertu de l’art. R. 351-6 CJA, le président de la juridiction à laquelle une affaire a été transmise sur le fondement des dispositions précitées de l’art. R. 351-3, al. 1, s'il estime que cette juridiction n'est pas compétente, peut transmettre le dossier de celle-ci au président de la section du contentieux du Conseil d'État dans le délai de trois mois à compter de l'enregistrement de l'ordonnance. 

Lorsque, comme c’était le cas en l’espèce, le délai de trois mois est expiré sans qu’il ait été renvoyé à ce dernier, le jugement de cette affaire ne peut en principe plus être attribué à une autre juridiction (par application de l'art. R. 351-9 CJA).

(29 juillet 2020, M. X., n° 435998)

 

61 - Référé conservatoire (art. L. 521-3 CJA) - Caractère subsidiaire - Régime et conditions de mise en oeuvre - Existence certaine d’un péril grave - Absence - Annulation.

Statuant sur un litige opposant la région requérante et un particulier à propos de la protection contre des roches surplombant la propriété de ce dernier, le Conseil rappelle ce qu’est la fonction du référé conservatoire de l’art. L. 521-3 CJA.

Tout d’abord, ce référé a un caractère subsidiaire par rapport aux référés des art. L. 521-1 et L. 521-2 ; c’est pourquoi, toutes les fois où c’est possible doit être préférée l’utilisation de ces derniers plutôt que celle de l’art. L. 521-3.

Ensuite, les mesures, provisoires ou conservatoires, sollicitées par ce moyen doivent être commandées par l’urgence, laquelle doit être expressément constatée par le juge des référés.

Egalement, les mesures qu’il est demandé au juge d’ordonner doivent, à la fois, être utiles (cf.  par ex., 24 juillet 2020, M. X., n° 441879), ne se heurter à aucune constatation sérieuse et ne pas faire obstacle à l'exécution d'une décision administrative, y compris celle refusant la mesure demandée.

Enfin, ce n’est que dans le cas où serait constatée l’existence d’un péril grave qu’il pourrait être passé outre au respect de cette dernière condition.

Faute, ici, que le premier juge ait vérifié l’existence d’un péril grave justifiant la dérogation aux conditions légales de mise en oeuvre de ce référé, son ordonnance est annulée.

(ord. réf. 22 juillet 2020, Région Réunion, n° 437494)

(62) V. aussi, sur le caractère subsidiaire du référé conservatoire de l’art. L. 521-3 CJA : ord. réf. 29 juillet 2020, Société Ecolife, n° 423815 ; 29 juillet 2020, Société Alpha Europe Energy, n° 434592

 

63 - Prestation de compensation du handicap - Demande en urgence au président du conseil départemental de modifier, à titre provisoire, son montant - Refus - Juridiction compétente pour en connaître - Incompétence du juge administratif - Rejet.

Le juge administratif n’est pas compétent pour connaître d’un recours dirigé contre le refus du président du conseil départemental, statuant en urgence, de modifier à titre provisoire le montant de la prestation de compensation du handicap ainsi qu'à la réparation des préjudices pouvant en être résultés.

(29 juillet 2020, Mme X., n° 428603)

 

64 - Géomètre-expert - Atteinte aux règles déontologiques - Réalisation d’un bornage par un géomètre au profit de sa fille majeure - Conditions du bornage présentées comme discutables - Plainte d’un tiers devant les instances ordinales - Absence d’intérêt suffisant lui donnant qualité pour agir - Cassation avec renvoi.

 (10 juillet 2020, M. X., n° 428837) V. n° 184

 

65 - Achat ou location d’un véhicule moins polluant - Prime à la conversion de véhicule - Refus de l’Agence de services et de paiement (ASP) d’accorder cette prime - Compétence juridictionnelle pour connaître du contentieux né de ce refus - Nature de ce contentieux - Renvoi à un tribunal administratif.

Il a été institué, à certaines conditions, une prime en vue de permettre le remplacement d’un véhicule par un autre lorsque ce dernier est moins polluant. La requérante, dont la demande adressée à l’ASP a été rejetée, a saisi le juge administratif. S’est alors posée une question de détermination de la juridiction territorialement compétente. Le Conseil d’État, dont on doit supposer qu’il estime que ce contentieux appartient à celui de l’excès de pouvoir et non de la pleine juridiction, décide que de tels litiges relèvent du tribunal administratif dans le ressort duquel a son siège le service régional de l’ASP auteur de la décision attaquée sans qu’il y ait lieu de s’arrêter au fait qu’en réalité cette dernière figure sur un formulaire-type établi par l’ASP pour l’ensemble du territoire national.

(29 juillet 2020, Mme X., n° 435238)

(66) V. aussi, pour une solution identique concernant le refus de l’ASP de délivrer un chèque énergie : 29 juillet 2020, M. X., n° 435998

 

67 - Juridictions administratives - Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Demande de report d’audience - Pouvoir du juge - Absence d’obligation de motiver - Rejet.

Rappel d’une règle constante selon laquelle le juge administratif n’est jamais tenu d’accorder le report d’audience qu’il lui est demandé de décider, sauf dans l’hypothèse, assez exceptionnelle, où les exigences du contradictoire l’imposeraient. 

Il s’ensuit que le rejet d’une demande de report d’audience n’a pas à être motivé.

(29 juillet 2020, M. X., n° 435733)

 

68 - Référé suspension - Demande d’annulation de la décision au fond - Durée des effets d’une suspension - Hypothèse où le juge des référés statue au fond - Non-lieu à statuer - Rejet.

Rappel opportun de ce que lorsque le juge des référés prononce la suspension de l'exécution d'une décision administrative, cette suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision.  Il suit de là que lorsque, comme en l’espèce, l’ordonnance de référé se prononce sur les conclusions à fin d’annulation de l’acte dont la suspension est demandée, cette demande de suspension devient sans objet.

(ord. réf. 31 juillet 2020, M. X. et autres, n° 442187 ; M. et Mme Y. et autres, n° 442251) V. aussi au n° 8

 

Contrats

 

69 - Marchés de fourniture et d’installation de panneaux de signalisation routière verticale - Pratiques anticoncurrentielles ayant donné lieu à condamnation définitive - Action indemnitaire d’une collectivité locale s’estimant victime de manœuvres dolosives - Étendue et conditions du droit à réparation du chef des préjudices subis - Cassation partielle avec renvoi.

Le département de la Seine-Maritime a conclu avec la société requérante des marchés portant sur la fourniture et l'installation de panneaux de signalisation routière verticale. Par une décision du 22 décembre 2010, l'Autorité de la concurrence a condamné huit entreprises, dont la société Lacroix Signalisation, pour s'être entendues sur la répartition et le prix des marchés ayant un tel objet. La société a été condamnée à une sanction pécuniaire confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris contre lequel a été rejeté un pourvoi en cassation. 

Par trois jugements, le tribunal administratif de Rouen a annulé à la demande du département les marchés conclus avec la société Lacroix Signalisation et condamné cette société à restituer au département l'intégralité des sommes versées dans le cadre de ces marchés.

La cour administrative d'appel de Douai, sur appel de la société Lacroix Signalisation, n’a, réformant ces jugements, fait droit qu'aux conclusions subsidiaires du département de la Seine-Maritime tendant à obtenir une indemnité pour réparer le surcoût lié aux pratiques anticoncurrentielles de la société Lacroix Signalisation, et elle a donc condamné cette dernière à verser au département les sommes dues de ce chef, tout en rejetant le surplus des conclusions des parties. 

La requérante se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il a fait droit aux conclusions subsidiaires du département et l’a condamnée à l'indemniser de ses préjudices. 

Par un pourvoi incident, le département de la Seine-Maritime conclut à l'annulation de l'arrêt en tant qu'il a rejeté ses conclusions principales tendant à obtenir la restitution de l'intégralité des sommes versées à l'occasion des marchés conclus avec la société Lacroix Signalisation.

Le Conseil d’État adopte une importante position de principe articulée en trois points.

Tout d’abord, la personne publique victime, de la part de son cocontractant, de pratiques anticoncurrentielles constitutives d'un dol ayant vicié son consentement, dispose d’une faculté d’option. Elle peut saisir le juge administratif, soit alternativement soit cumulativement, d'une part, de conclusions tendant à l'annulation du marché litigieux et à ce que soient tirées les conséquences financières de sa disparition rétroactive, et, d'autre part, de conclusions tendant à la condamnation du cocontractant, au titre de sa responsabilité quasi-délictuelle, à réparer les préjudices subis en raison de son comportement fautif.

Ensuite, en cas d'annulation du contrat en raison d'une pratique anticoncurrentielle imputable au cocontractant, s’ensuivent deux conséquences.

La première concerne directement le cocontractant fautif : celui-ci doit restituer les sommes que lui a versées la personne publique mais il peut prétendre en contrepartie, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement des dépenses qu'il a engagées et qui ont été utiles à celle-ci, ces dépenses doivent être nettes de toute marge bénéficiaire. 

La seconde concerne directement la personne publique contractante : celle-ci n’a pas droit, sur le terrain quasi-délictuel, à la réparation du préjudice lié au surcoût qu'ont impliqué les pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime, dès lors que cette annulation entraîne par elle-même l'obligation pour le cocontractant de restituer à la personne publique toutes les dépenses qui ne lui ont pas été utiles, en revanche, elle peut demander la réparation des autres préjudices que lui aurait causés le comportement du cocontractant.

Faisant application de cette jurisprudence innovante au présent litige, le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel en tant qu’il a commis une erreur de droit en rejetant les conclusions principales du département tendant à la restitution des sommes versées, au motif que l’annulation des marchés entachés de dol impliquait seulement que soient réparés, sur le terrain quasi-délictuel, les préjudices subis par le département du fait des agissements dolosifs de la société. 

(10 juillet 2020, Société Lacroix Signalisation, n° 420045)

 

70 - Marché public de fourniture de points lumineux, supports et pièces détachées - Marché à bons de commande sans minimum contractuel - Marché ayant reçu un début d’exécution - Marché résilié - Action en reprise des relations contractuelles - Demandes indemnitaires - Arrêt annulant partiellement le jugement et rejetant les conclusions incidentes d’appel - Cassation partielle avec renvoi.

Une société conclut un marché avec une communauté d’agglomération pour la réalisation de trois lots d’un marché de fourniture de points lumineux, supports et pièces détachées. L’exécution de ce marché ayant débuté le 1er janvier 2015 la résiliation des trois lots est prononcée le 5 février suivant,   avec effet à partir du 1er avril, pour irrégularité affectant sa conclusion. 

La société requérante a demandé au tribunal administratif d’ordonner la reprise des relations contractuelles et de lui allouer l’indemnisation du préjudice subi. Ce dernier a d’abord constaté qu’il n’y avait plus lieu d’ordonner la reprise des relations contractuelles et alloué une certaine somme en réparation du préjudice causé par cette résiliation.

La cour administrative d’appel, saisie à la fois d’un appel principal de la communauté urbaine ayant succédé à la communauté d’agglomération et d’un appel incident de la demanderesse, a annulé le jugement en tant qu’il avait alloué une indemnité et rejeté le surplus des deux appels.

La société se pourvoit en cassation.

Dans cette importante décision le Conseil d’État commence par rappeler une règle bien connue selon laquelle : «  En vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, la personne publique cocontractante peut toujours, pour un motif d'intérêt général, résilier unilatéralement un tel contrat, sous réserve des droits à indemnité de son cocontractant. »

Il explicite ensuite, et c’est l’apport de la décision, les conséquences à tirer de cette affirmation de principe lorsque le contrat est résilié en raison de la grave irrégularité l’entachant :

1°/ Si la gravité de l’irrégularité est telle que le juge du contrat éventuellement saisi pourrait en prononcer l'annulation ou la résiliation, la personne publique peut, respectant l'exigence de loyauté des relations contractuelles, résilier unilatéralement le contrat sans qu'il soit besoin qu'elle saisisse au préalable le juge. 

2°/ En cette occurrence et pour ce motif le cocontractant peut prétendre dans tous les cas, sur un terrain quasi-contractuel, pour la période postérieure à la date d'effet de la résiliation, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé. 

3°/ Lorsque l’irrégularité cause de la résiliation résulte d'une faute de l'administration, le cocontractant peut, en outre, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l'administration. Saisi d'une demande d'indemnité sur ce second fondement, il appartient au juge d'apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s'il existe un lien de causalité direct entre la faute de l'administration et le préjudice. Semblablement, il devra aussi en cas de fautes commises également par le cocontractant, procéder à un partage des responsabilités.

En l’espèce, le juge de cassation relève la commission d’une erreur de droit par l’arrêt d’appel en ce qu’il a déduit la légalité de la résiliation de l’existence d’une irrégularité conformément à l’une  des stipulations contractuelles sans rechercher, d’une part, si cette irrégularité pouvait être invoquée par la personne publique au regard de l'exigence de loyauté des relations contractuelles et si, d’autre part, elle était d'une gravité telle que, s'il avait été saisi, le juge du contrat aurait pu prononcer l'annulation ou la résiliation du marché en litige, et, dans l'affirmative, sans définir le montant de l'indemnité due à la société requérante.

Enfin, répondant à un argument de la personne publique défenderesse, le juge estime que celle-ci ne peut invoquer la circonstance que le contrat en litige est un marché à bons de commande sans minimum contractuel pour refuser toute indemnisation à la requérante. En effet, il ne résulte d’aucune règle générale applicable aux contrats administratifs que le titulaire d'un tel marché n'aurait, par principe, aucun droit à indemnité dans ce cas particulier de résiliation du contrat.

(10 juillet 2020, Société Comptoir Négoce Equipements, n° 430864)

 

71 - Contrat - Responsabilité contractuelle - Stockage défectueux de farines animales - Stockage sur une dépendance du domaine public sans disposer d’un titre d’occupation de ce domaine - Port autonome du Havre - Intervention de l’établissement public FranceAgriMer - Cassation avec renvoi.

La société SMEG, demanderesse, sollicitait notamment la condamnation de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) à lui réparer le préjudice financier résultant de la mauvaise exécution de l'avenant au marché d'entreposage de farines animales sur un site.

Le tribunal administratif, confirmé en appel, a rejeté ses demandes.

Les juges du fond estimaient que le contrat conclu entre la société SMEG et l'État, qui avait pour objet l'entreposage et la manutention de farines animales dans un silo exploité par la société SMEG sur le domaine portuaire du port autonome du Havre, reposait sur une cause illicite faute pour la société SMEG de disposer d'un titre l'autorisant à occuper le domaine public portuaire. Par suite, le contenu du contrat a été lui-même jugé comme illicite ce qui en justifiait la mise à l’écart dans le cadre du litige.

Le Conseil d’État, cassant cette étrange argumentation, énonce avec grand bon sens que : « La circonstance que le titulaire d'un contrat n'ayant pas pour objet l'occupation du domaine public mais dont le lieu de réalisation se situe sur une dépendance du domaine public ne dispose pas d'un titre l'autorisant à occuper cette dépendance n'a pas pour effet de rendre illicite le contenu du contrat et d'entacher ce dernier d'une irrégularité de nature à justifier que soit écartée, dans le cadre d'un litige entre les parties, l'application des stipulations contractuelles qui les lient. »

Au reste, il aurait tout aussi bien pu être soutenu que compte-tenu des éléments de fait connus des deux parties, existait nécessairement une autorisation d’occupation du domaine public au moins implicite.

(10 juillet 2020, Société de manutention et d'entreposage de grains (société SMEG), n° 427216)

 

72 - Contrat administratif - Clause régissant le règlement des différends - Clause instituant une procédure préalable de règlement amiable - Contrat illégal - Application de la clause - Irrégularité de l’arrêt contraire - Absence d’annulation par substitution de motif.

Importante décision où il est jugé, très pertinemment, que le caractère irrégulier d’un contrat au point d’être susceptible de conduire le juge à en prononcer l'annulation ne rend pas inapplicables celles de ses clauses relatives au mode de règlement des différends entre les parties, notamment celles organisant une procédure de règlement amiable préalable à toute action contentieuse. 

De telles stipulations doivent être observées pour toutes les actions qui entrent dans le champ de leurs prévisions, sans qu'y échappent par principe les actions tendant à ce que le juge prononce l'annulation du contrat, quand bien même le juge serait effectivement conduit à y faire droit et prononcerait une telle annulation.

C’est donc par suite d’une erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé le contraire en l’espèce. Toutefois son arrêt n’est pas annulé au bénéfice d’une substitution de motif : la cour a souverainement relevé que les stipulations de la convention contestée, qui organisent une procédure de règlement amiable des différends entre les parties avant toute saisine du juge administratif et déterminent le tribunal administratif compétent en premier ressort, concernent les litiges nés de l'exécution de la convention. Il en résulte qu'elles ne sont en l'espèce, eu égard à leur portée ainsi interprétée, pas applicables dans le cas d'une action contestant la validité de la convention et tendant à son annulation. Ce motif, qui n'appelle l'appréciation d'aucune circonstance de fait supplémentaire, doit être substitué au motif erroné retenu par la cour dans l'arrêt attaqué, dont il justifie le dispositif. 

(10 juillet 2020, Société Exelcia, n° 433643)

 

73 - Contrat de délégation de la gestion d’un service public - Camping communal - Non-respect de l’art. L. 1411-2 CGCT - Absence de justification, dans la convention, du montant et du mode de calcul des droits d’entrée et des redevances - Illégalité ne justifiant pas la mise à l’écart d’un contrat - Cassation avec renvoi.

Le délégataire d’un service public de camping municipal, par suite de la résiliation unilatérale à ses torts et griefs de la convention le liant à la commune, demande au juge d’annuler cette convention à raison de son illégalité et de lui allouer une indemnisation sur le terrain extra-contractuel du chef de cette résiliation.

En première instance et en appel les juges ont estimé gravement irrégulière la convention litigieuse au motif que, en violation des dispositions de l’art. L. 1411-2 du CGCT, elle ne contenait aucune justification du montant et du mode de calcul des droits d’entrée et de redevance. Par suite, ils avaient fixé le montant de l’indemnisation allouée à la demanderesse sur un terrain extra-contractuel.

Appliquant de manière très large la jurisprudence Béziers I (Assemblée 28 décembre 2009, n° 304802), le Conseil d’État censure ce raisonnement car l’omission relevée par les premiers juges, « ne donne pas un caractère illicite au contrat ni n'affecte les conditions dans lesquelles les deux parties ont donné leur consentement et peut, au demeurant, être régularisée, n'est pas de nature à justifier, en l'absence de toute autre circonstance particulière, que dans le cadre d'un litige entre les parties, l'application de ce contrat soit écartée. » Par suite de cette erreur de qualification juridique, les juges ont commis une erreur de droit en ne se plaçant pas sur le terrain contractuel pour calculer l’indemnisation due à la société demanderesse.

(10 juillet 2020, Société « Les Moulins », n° 434353 et n° 434355, jonction)

 

74 - Contrat d’occupation domaniale - Contrat conclu par le Sénat avec la Ligue de Paris de tennis - Compétence du juge administratif nonobstant le silence de la loi - Contrat conclu antérieurement à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 19 avril 2017 - Contrat soumis à l’article 12 de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur - Cassation avec renvoi.

La requérante contestait les conditions de conclusion d’une convention d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public pour une durée de quinze ans en vue de l'exploitation des six courts de tennis situés dans le jardin du Luxembourg par la Ligue de Paris de tennis avec le Sénat.

Se posait préalablement une importante question de compétence matérielle du juge administratif pour connaître de ce litige. L’article 60 de la loi du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, qui a complété l'article 8 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, n'a explicitement mentionné, au titre des litiges en matière de contrats sur lesquels la juridiction administrative est compétente pour se prononcer, que les litiges relatifs aux marchés publics, les autres contrats de commande publique n’y sont pas mentionnés. 

S’appuyant sur les travaux parlementaires le Conseil d’État estime cependant « que l'intention du législateur a été de rendre compatibles les dispositions de l'ordonnance avec les exigences de publicité et de mise en concurrence découlant notamment du droit de l'Union européenne. Elles ne sauraient donc être interprétées comme excluant que le juge administratif puisse connaître de recours en contestation de la validité de contrats susceptibles d'être soumis à des obligations de publicité et de mise en concurrence. » Si la position du Conseil d’État est loin d’emporter la conviction en ce qui concerne les intentions prêtées au législateur, elle a pour elle, à tout le moins, la logique, le souci de cohérence et le bon sens : il convient donc de l’approuver.

Ensuite, concernant le fond, le juge de cassation approuve la cour d’avoir, tout d’abord, défini le contrat litigieux comme une convention d’occupation du domaine public et non comme une concession de service public, ensuite, d’avoir jugé inapplicable à ce contrat, conclu le 12 janvier 2016, les dispositions d’une ordonnance du 17 avril 2017 dont les dispositions ne sont entrées en vigueur que le 1er juillet 2017.

Toutefois, l’arrêt est cassé au motif que la cour a commis, en l’état de la jurisprudence de la CJUE sur cette disposition (14 juillet 2016, Promoimpresa Srl, aff. C-458/14 et C-67/15 et, surtout, vu l’espèce en cause : 30 janvier 2018, College van Burgemeester en Wethouders van de gemeente Amersfoort contre X BV et Visser Vastgoed Beleggingen BV contre Raad van de gemeente Appingedam, aff. C-360/15 et C-31/16), une erreur de droit en estimant inapplicable en l’espèce l’art. 12 de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.

(10 juillet 2020, Société Paris tennis, n° 434582)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

75 - Impôt sur les sociétés - Apport de titres - Contrepartie non équivalente - Obligation de déclaration de l’avantage fiscal en résultant - Cas de l’apport de titres fait par une société à une filiale avec contrepartie inéquivalente - Amende de 5% sur la valeur de l’écart positif - Rejet.

Lorsqu’une société fait apport à une filiale de titres constituant un élément de son actif immobilisé et inscrit comme tel à son bilan, et que cette cession - comme en l’espèce - est génératrice d'une plus-value à due concurrence de la différence entre : 1° la valeur réelle, à la date de l'apport, des titres remis à la société cédante en contrepartie de l'apport fait à sa filiale et 2° la valeur nette du bien apporté telle qu’elle figurait au bilan de clôture de l'exercice précédant l'apport, cette différence doit s’analyser comme une renonciation à la réalisation de la plus-value correspondante et, par suite, comme un avantage consenti par l'apporteur à la société bénéficiaire de l'apport. Les dispositions des art. 223, 223 B et 223 Q du CGI font alors obligation, nonobstant le choix du régime de « l’intégration fiscale », de constater, distinctement pour chaque société, conformément au droit commun, l’abandon de créance ou la subvention directe ou indirecte qu'elle a consenti ou dont elle a bénéficié.

L’omission de fournir cette information est sanctionnée par une amende égale à 5% de l'avantage résultant de l'écart entre la valeur réelle des titres apportés et celle des titres reçus en contrepartie (art. 1763, I, c du CGI).

En l’espèce, où cette déclaration avait été omise, c’est donc sans erreur de droit que les premiers juges ont rejeté la demande de l’intéressée tendant à la décharge du montant de l’amende de 5 107 210 euros.

(1er juillet 2020, Société Lafarge SA, n° 418378)

 

76 - Régime fiscal optionnel - Régime fiscal de déduction dit « de Robien » - Délai d’option - Non-respect du délai d’option - Régularisation postérieure possible sauf disposition législative expresse contraire - Cas de l’espèce - Annulation pour erreur de droit.

Utile rappel de ce que les dispositions qui instituent un régime fiscal optionnel et prévoient que le bénéfice de ce régime doit être demandé dans un délai déterminé n'ont, en principe, pas pour effet d'interdire au contribuable qui a omis d'opter dans ce délai de régulariser sa situation dans le délai de réclamation, y compris celui prévu à l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales. 

Il n’en irait autrement que dans le cas où la loi aurait prévu que 1'absence d'option dans le délai qu'elle prévoit entraîne la déchéance de la faculté d'exercer l'option ou lorsque la mise en œuvre de cette option implique nécessairement qu'elle soit exercée dans un délai déterminé.

L’arrêt de la cour est cassé pour erreur de droit pour s’être borné à juger que  le législateur a expressément subordonné le bénéfice du dispositif « de Robien » à la condition que le contribuable ait opté en sa faveur lors du dépôt de la déclaration des revenus de l'année d'achèvement de l'immeuble ou de son acquisition si elle est postérieure, alors, d’une part, que le texte ne prévoit pas, à défaut du respect de ce délai, la déchéance de la faculté d'exercer l'option, et d’autre part, qu’elle n’a pas recherché si les contribuables avaient pris puis respecté, au titre de leur option en faveur de la réduction d'impôt dite « Scellier », un engagement au moins équivalent à celui qui est imposé par les dispositions la régissant  ainsi qu'ils le soutenaient.

(3 juillet 2020, M. et Mme X., n° 423931)

 

77 - Entreprises reprises ou créées dans les zones de revitalisation rurale (art. 44 quindecies CGI) - Exonérations de certains impôts - Conditions d’octroi de l’exonération - Notion de « reprise d’ entreprises » - Interprétation illégale de ces conditions par une instruction fiscale - Incompétence de son auteur - Annulation.

La loi (art. 44 quindecies du CGI)) a prévu que les entreprises reprises ou créées, au cours d’une certaine période, dans certains périmètres fixés au sein de zones de revitalisation rurale bénéficieraient d’exonérations fiscales temporaires.

Les requérants demandaient l’annulation des paragraphes d’une instruction fiscale commentant ces dispositions en ce qu’ils exigent, pour l’obtention de ces exonérations, que les entreprises reprises le soient sous forme de structures juridiques nouvelles ou résultent du rachat de plus de cinquante pour cent des titres de la société reprise.

Cette exigence ne figurant pas à l’article précité du CGI, son auteur a ajouté à la loi, fixant ainsi une règle nouvelle entachée d’incompétence. Les commentaires litigieux sont annulés.

(16 juillet 2020, M. X. et autres, n° 440269)

 

78 - Taxe professionnelle/compensation relais - Faute de l’administration fiscale dans l’établissement ou le recouvrement de l’impôt - Préjudice de nature à engager la responsabilité de l’État - Conditions d’engagement de la responsabilité - Annulation avec renvoi.

En raison de la réforme de la fiscalité locale, la taxe professionnelle s’est vu substituer une compensation relais : pour l’année 2010 et en 2011 a été établie une dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) et créé un fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR). Dans ce cadre, la commune défenderesse réclamait la réparation du préjudice causé par des fautes commises par l'administration fiscale, d’une part dans l'établissement de la cotisation de taxe professionnelle due par une société au titre de l'année 2009 et d’autre part, à raison de la tardiveté de sa rectification.

Le juge de cassation énonce, avec une certaine solennité car assez nouveau en soi, le double principe que, d’une part, une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement ou de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'État à l'égard d'une collectivité territoriale ou de toute autre personne publique si elle lui a directement causé un préjudice et que, d’autre part, ce préjudice, qui peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et notamment du fait de ne pas avoir perçu des impôts ou taxes qui auraient dû être mis en recouvrement, peut se trouver atténué ou anéanti par le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, par celui du demandeur d'indemnité.

Le Conseil d’État annule pour erreur de droit dans l’interprétation de la portée des écritures de la demanderesse le rejet par une CAA des conclusions indemnitaires de la commune au motif que celles-ci n’avaient pas d'autre fondement que la prétendue illégalité des arrêtés de versement des sommes dues au titre de la compensation relais, de la DCRTP et du FNGIR. En réalité, la demande indemnitaire de la commune était fondée, non sur l'illégalité de ces arrêtés, mais sur les fautes commises lors de l'établissement de la taxe professionnelle et de sa rectification.

(1er juillet 2020, Commune d'Ombrée d'Anjou, venant aux droits de la communauté de communes de la région de Pouancé-Combrée, n° 419081)

 

79 - Impôts locaux - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) - Obligation d’être en rapport avec les dépenses effectivement exposées pour cet enlèvement - Prohibition d’un taux et d’un produit manifestement excessifs par rapport à ces dernière - Office du juge en vue de vérifier cette éventuelle disproportion - Cassation avec renvoi.

Rappel, tout d’abord, d’un principe constant : le produit de la TEOM et donc son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant des dépenses exposées par la commune ou l'établissement de coopération intercommunale compétent pour assurer l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères et non couvertes par des recettes non fiscales,

Affirmation très ferme ensuite, et c’est l’aspect le plus important de cette décision, que le juge saisi d’un recours fondé sur l’existence d’une telle disproportion doit se prononcer au vu des résultats de l'instruction, au besoin après avoir demandé à la collectivité ou à l'établissement public compétent de produire ses observations ainsi que les éléments tirés de sa comptabilité permettant de déterminer le montant de ces dépenses. C’est un office du juge entendu très largement qui doit ainsi être exercé.

(1er juillet 2020, Société L’Immobilière Casino, n° 424288 ; Société Mercialys, n° 424291, jonction)

 

80 - Impôts et taxes - Mesures gracieuses - Litiges d’assiette - Compétences distinctes pour se prononcer sur les litiges d’assiette et pour prendre les mesures gracieuses de dégrèvement - Cas de la taxe locale d’équipement (TLE) - Annulations sans renvoi.

Confirmant une tendance jurisprudentielle antérieure en ce sens, le Conseil d’État juge ici que si le responsable du service départemental de l'État chargé de l'urbanisme est compétent pour statuer sur les réclamations relatives à l'assiette de la taxe locale d'équipement, il ne l'est pas pour en prononcer le dégrèvement d'office (cf. art.  R.*211-1 du LPF).

En effet, ce texte n’ouvre le pouvoir gracieux de prononcer d'office le dégrèvement d'impositions recouvrées qui n'étaient pas dues qu'à l'administration fiscale ou à celle des douanes et droits indirects selon la nature des impositions en cause.

Naturellement, cette solution est applicable, en dehors de la TLE, à toutes autres impositions et taxes.

(22 juillet 2020, Commune de Louveciennes, n° 425979)

 

81 - Taxe à la valeur ajoutée - Régime dérogatoire de TVA sur les cessions de terrains à bâtir en vue de leur revente - Acquisition de terrains déjà bâtis - Exclusion du régime dérogatoire - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge que la cession d’un terrain qui comporte déjà des éléments bâtis doit bénéficier du régime dérogatoire de TVA sur les cessions de terrain à bâtir (art. 257, I du CGI) alors qu’il résulte de ce texte éclairé par les autres dispositions de la directive du 28 novembre 2006 dont il assure la transposition que les règles de calcul dérogatoires de la TVA qu'ils prévoient ne s'appliquent qu’aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et non à celles de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti.

(1er juillet 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 431641)

(82) V. aussi, dans le même sens : 1er juillet 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 435463.

 

83 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Taxe d’habitation - Cas des immeubles présentant un caractère exceptionnel (art. 1497 du CGI) - Évaluation dans les conditions prévues à l’art. 1498 du CGI - Erreur de droit à se fonder sur les dispositions du I de l’art. 1496 - Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit conduisant à la cassation de son jugement le tribunal administratif qui, après avoir constaté le caractère exceptionnel d’un immeuble, décide que les montants de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la taxe d’habitation y afférents doivent être fixés sur le fondement de l’art. 1496, I du CGI alors que l’art. 1497 du CGI en écarte l’application au profit de celles de l’art. 1498 du CGI.

(1er juillet 2020, M. X. et société Isis, n° 432741)

 

84 - Créance contractuelle - Recouvrement - Option - Utilisation préalable d’un titre exécutoire - Effet sur la saisine postérieure du juge - Action en responsabilité contractuelle - Annulation du titre exécutoire pour un motif de forme - Cassation avec renvoi.

Le juge apporte ici plusieurs confirmations ou innovations.

Tout d’abord est rappelé le principe selon lequel l’annulation en la forme d’un titre exécutoire, qui ne concerne donc pas le bien-fondé de la créance sur laquelle porte ce titre, n’a pas pour effet automatique la décharge de l’obligation de payer que ce titre comporte à l’endroit du débiteur.

Ensuite, s’agissant d’une créance de nature contractuelle, la personne publique contractante peut, pour sa récupération, soit émettre elle-même un titre exécutoire soit s’adresser au juge pour avoir paiement de celle-ci. Toutefois, si la collectivité publique a choisi d’émettre un titre exécutoire elle ne peut pas, ensuite, saisir le juge d’une action qui aurait les mêmes effets que le titre déjà émis, en application du principe posé par la jurisprudence Préfet de l’Eure (30 mai 1913) et confirmée encore un siècle plus tard (24 février 2016, Département de l’Eure, n° 395194). 

Enfin, en revanche, ce principe ne fait pas obstacle à ce qu’après l’émission d’un titre exécutoire en recouvrement d’une créance contractuelle la personne publique saisisse le juge en vue du recouvrement de créances extra-contractuelles qu’elle détient sur ses co-contractants.

(10 juillet 2020, Commune de la Remaudière, n° 429522) 

 

85 - Référé suspension - Ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme - Application à diverses professions juridiques dont les avocats y compris en cas d’exercice d’une activité de conseil fiscal - Contrariété au droit de l’Union - Absence - Rejet.

Étaient contestées les dispositions du b) du 3° de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en tant qu'elles ajoutent l'activité de conseil en matière fiscale à la liste des opérations à raison desquelles les avocats sont soumis aux obligations de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. En particulier elles étaient prétendues, d’une part, contraires à la directive (UE) 2015/849 du 20 mai 2015, et, d’autre part, comme plaçant la France en situation de manquement au regard de ses obligations de transposition de la directive (UE) 2018/843 du 30 mai 2018. En conséquence était demandée la suspension d’exécution de cette décision pour éviter toute exposition des intéressés à des sanctions et pour assurer le respect du droit de l'Union européenne.

La requête est rejetée, le juge des référés estimant que n’existe aucun doute sérieux quant à la légalité de de texte que ce soit par rapport à la directive précitée de 2018 ou du fait que l'activité de fourniture d'assistance ou de conseil en matière fiscale ne figure pas dans la liste prévue par le b) du 3) du 1. de l'article 2 de la directive du 20 mai 2015. 

Au surplus, les professions concernées (avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, avocats, notaires, huissiers de justice, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires et commissaires-priseurs judiciaires) peuvent bénéficier de la dispense d'obligation de transmission à la cellule de renseignements financiers (CRF) prévue par l'article 34 de cette même directive pour ce qui concerne les informations obtenues avant, pendant ou après une procédure judiciaire ou lors de l'évaluation de la situation juridique d'un client, ce y compris en matière fiscale, dont le II de l'article L. 561-3 du code monétaire et financier assure la transposition en droit interne.

(ord. réf. 8 juillet 2020, M. X., n° 441051)

(86) V. aussi, semblable en tous points à la décision précédente :  ord. réf. 8 juillet 2020, Association des avocats conseils d'entreprises, n° 441228)

 

87 - Cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises - Taxe additionnelle à ces cotisations - Sous-concession de brevets - Activité au sens des art. 1447 et 1447bis du CGI - Absence - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de qualification juridique des faits l’arrêt qui voit dans la sous-concession par la société Bio-Rad Innovations de brevets acquis par la requérante auprès de l’Institut Pasteur, moyennant paiement de redevances à ce dernier, une « activité » au sens des art. 1447 et 1447bis du CGI, alors que les stipulations des contrats de sous-concession n’étaient pas, par elles-mêmes, de nature à caractériser une participation de la société à l'exploitation de ses sous-concessionnaires.

En effet, ces contrats - la société étant rémunérée par des redevances versées par les sous-concessionnaires dont le montant était pour partie indexé sur le volume des produits vendus - prévoyaient que le sous-concessionnaire ne pouvait confier la production des biens nés de l'exploitation des brevets à des sociétés tierces sans l'accord exprès de la société Bio-Rad Innovations et que cette dernière disposait d'un droit d'accès à la comptabilité de ses sous-concessionnaires.

Aucun de ces éléments ne peut être regardé comme constituant une « activité » au sens fiscal du mot.

(16 juillet 2020, SAS Bio-Rad Innovations, n° 430152) 

 

88 - Convention fiscale franco-brésilienne - Lutte contre les doubles-impositions et contre l’évasion fiscale - Notion de séjour habituel - Durée - Elément non significatif - Annulation avec renvoi.

Le requérant a été assujetti, après un contrôle fiscal, au titre de l’année 2013, au cours de laquelle il était domicilié fiscalement en France, à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales à raison de profits sur instruments financiers à terme, de dividendes et de gains de cession de valeurs mobilières réalisés durant cette période.

Sa demande de décharge des impositions ainsi mises à sa charge ayant été rejetée en première instance et en appel, il se pourvoit, invoquant à nouveau les dispositions de la convention fiscale franco-brésilienne du 10 septembre 1971.

Pour déterminer la loi fiscale applicable à l’intéressé les juges du fond ont estimé que le requérant ne pouvant pas être regardé comme disposant d'un foyer d'habitation permanent dans aucun des deux États parties, ni comme séjournant de façon habituelle dans l’un de ces deux États, il convenait de se fonder sur sa nationalité française, en application des stipulations du c du 2 de l'article 4 de la convention franco-brésilienne, les pièces du dossier ne permettant pas de reconstituer la durée de sa présence au Brésil en 2013. 

Ce raisonnement est cassé car le Conseil d’État, retenant que le requérant avait produit devant le tribunal la copie de pages de son passeport comportant les tampons des autorités douanières brésiliennes et établissant qu'il avait effectué en 2013 au moins trois séjours dans cet État, d'une durée d'au moins vingt jours chacun, pour une durée totale d'environ 245 jours, considère que l'auteur de l'ordonnance attaquée a dénaturé les pièces du dossier. 

Cette dénaturation a provoqué une erreur de droit : la fréquence, la durée et la régularité des séjours au Brésil du requérant en 2013 caractérisaient un séjour habituel dans cet État, pour l'application des stipulations du b du 2 de l’article. 4 de la convention précitée, d’où l’annulation de l’ordonnance attaquée.

L’importance de cette décision vient de ce qu’elle rompt très nettement avec l’obligation, d’ailleurs prévue par les textes, que le contribuable établisse dans quel pays il séjourne au moins 183 jours par an pour pouvoir se prévaloir de l’application de la législation de cet État. il convient seulement d’apprécier « la fréquence, (…) la durée et (…) la régularité des séjours dans cet État qui font partie du rythme de vie normal de la personne et ont un caractère plus que transitoire, sans qu'il y ait lieu de rechercher si la durée totale des séjours qu'elle y a effectués excède la moitié de l’année. » 

(16 juillet 2020, M. X., n° 436570)

 

89 - Comptabilité publique - Titres de recettes - Émission par un centre hospitalier à l’encontre d’une association - Délai de contestation de deux mois - Expiration - Existence d’une nouvelle décision - Réouverture du délai - Cassation avec renvoi.

L’association requérante a contesté des titres de recettes émis à son encontre par un centre hospitalier devenu ensuite un groupe hospitalier.

L’art. L. 1617-5, 2° du CGCT fixe à deux mois le délai dans lequel le débiteur d’une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local doit saisir le juge administratif en cas de contestation de celle-ci. Constatant que l’association était forclose lorsqu’elle a introduit son action (par application de la règle du délai raisonnable puisque le titre litigieux ne comportait pas l’indication des délais de forclusion), la cour administrative d’appel l’a rejetée.

Le Conseil d’État annule ce raisonnement car il constate que, alerté par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, le centre hospitalier a, en 2009, accepté l’étalement du remboursement de la dette de l’association, demandé la suspension du recouvrement du titre litigieux et conclu une nouvelle convention avec l’association le 6 novembre 2009. Dans ces conditions, il juge que la mise en demeure du 27 décembre 2012 d’avoir à payer la somme mentionnée dans le titre de recette du 22 janvier 2009 constituait en réalité une nouvelle décision ayant eu pour effet de rouvrir le délai dont disposait l’association pour le contester devant le juge administratif.

Entaché d’erreur de droit l’arrêt est annulé et l’affaire renvoyée à la cour.

(22 juillet 2020, Association « Service d’aide aux toxicomanes, n° 423413)

 

90 - Conservateurs des hypothèques - Rémunération - Litige relatif aux rémunérations impayées - Délai de saisine du juge - Application de la prescription quadriennale et non de la règle du délai raisonnable - Rejet.

(10 juillet 2020, M. X., n° 430769) V. n° 149

 

91 - Impôts sur les sociétés - TVA - Contribution annuelle sur les ventes de produits alimentaires - Activité de bar-brasserie - Comptabilité non probante - Reconstitution du chiffre d’affaires - Comparaison avec des années antérieures ou postérieures à celle faisant l’objet du litige - Comparaison possible - Annulation avec renvoi.

Estimant non probante la comptabilité tenue par l’entreprise de bar-brasserie qu’elle vérifiait l’administration fiscale a reconstitué les recettes de la société selon une certaine méthodologie pour aboutir à la détermination d’un prix moyen par repas hors boisson. Celle-ci était critiquée par la société qui proposait de se référer aux données de l'activité d'exercices antérieurs ou postérieurs. Pour rejeter cet argument, la cour administrative d’appel a jugé que les résultats d'un exercice donné ne pouvaient être extrapolés à partir d'un exercice postérieur non vérifié.

Cette solution était évidemment intenable faisant fi, d’une part, de la présomption de véracité des énonciations des contribuables, d’autre part, de la logique comptable et pratique. 

Le Conseil d’État annule donc l’arrêt en relevant avec grand bon sens qu’ « il est loisible tant à l'administration fiscale dans le cadre des opérations de reconstitution de chiffre d'affaires qu'au contribuable pour critiquer la reconstitution ainsi opérée, de se référer aux données de l'activité d'exercices antérieurs ou postérieurs, pourvu que les conditions d'exploitation, établies par tout moyen, de ces exercices n'aient pas varié ou qu'elles puissent être ajustées pour tenir compte de leur évolution (…) ».

(22 juillet 2020, Société JB3C, n° 424052 ; M. et Mme X., n° 424062, jonction)

 

 92 - Forme des décisions administratives - Titre exécutoire - Obligation de signature et de détermination précise de son auteur (art. L. 212-1 CRPA) - Relations entre personnes morales de droit public - Exclusion de principe de cette obligation (art. L. 100-1 et L. 100-3 CRPA).

(avis, 10 juillet 2020, Assistance publique - Hôpitaux de Paris, n° 439367) V. n° 6

 

93 - Bénéfices industriels et commerciaux - Crédit impôt recherche - Dépenses susceptibles d’être prises en considération - Sommes versées à des tiers pour la réalisation de travaux ne constituant pas en eux-mêmes des opérations de recherche - Éligibilité - Cassation sans renvoi.

L’art. 244 quater B du CGI institue un crédit d’impôt au profit des entreprises industrielles, commerciales ou agricoles imposées d’après le bénéfice réel à raison des dépenses de recherche qu’elles engagent.

Dans la présente décision, il est jugé que peuvent être prises en compte pour la détermination du montant du crédit d’impôt recherche les dépenses effectuées par une entreprise auprès d’un sous-traitant en vue de l’accomplissement d’opérations qui, sans constituer elles-mêmes une activité de recherche, sont nécessaires à l’activité de recherche de cette entreprise.

(22 juillet 2020, Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences (FNAMS), n° 428127)

 

94 - Vérification de comptabilité - Traitement informatique du vérificateur sur la comptabilité - Nature des investigations et précisions sur celles-ci - Options ouvertes au contribuable - Liberté de choix - Annulation pour omission de réponse à moyens.

Rappel de ce que les dispositions de l’art. L. 47 A du livre des procédures fiscales imposent au « vérificateur qui envisage un traitement informatique sur une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés d’indiquer au contribuable, au plus tard au moment où il décide de procéder au traitement, par écrit et de manière suffisamment précise, la nature des investigations qu'il souhaite effectuer, c'est-à-dire les données sur lesquelles il entend faire porter ses recherches ainsi que l'objet de ces investigations, afin de permettre au contribuable de choisir en toute connaissance de cause entre les trois options offertes par ces dispositions ».

Cassation pour omission de réponse, d'une part, au moyen tiré de l’insuffisante information sur les investigations auxquelles il allait être procédé et d'autre part, au moyen d’insuffisance du temps alloué pour choisir entre les trois options offertes au contribuable par l’art. 47 A précité.

 (29 juillet 2020, Mme X., n° 427709 ; Société en nom collectif (SNC) Veuve X., n° 427713 ; M. et Mme X., n° 427715 ; M. et Mme X., n° 427719)

 

95 - Pôle emploi - Versements indus - Recouvrement par voie de contrainte - Octroi d’un délai supplémentaire de paiement - Effets d’une mise en demeure - Annulation sans renvoi.

Si Pôle emploi peut émettre, lorsqu’une mise en demeure est demeurée dans effet pendant un mois suivant sa notification, une contrainte en vue du recouvrement d’une créance d’indus, en revanche, cette contrainte ne peut être émise, lorsqu’un délai supplémentaire de paiement a été accordé, qu’après expiration dudit délai.

(29 juillet 2020, M. X., n° 429260)

 

Droit public économique

 

96 - Droit public de l’agriculture - Schéma directeur départemental des structures agricoles - Autorisation d’exploiter des terres agricoles - Détermination de l’ordre de priorité entre candidats à l’exploitation de mêmes terres - Cassation sans renvoi et rejet.

Rappel de ce que les dispositions des art. L. 312-1, L. 312-5 et L. 314-3 du code rural et de la pêche maritime imposent au préfet, saisi de demandes concurrentes d'autorisation d'exploiter portant sur les mêmes terres, de statuer sur ces demandes en observant l'ordre des priorités établi par le schéma directeur départemental des structures agricoles. 

S’il est conduit à délivrer plusieurs autorisations lorsque plusieurs candidats à la reprise relèvent du même rang de priorité, la législation sur le contrôle des structures des exploitations agricoles est sans influence sur la liberté du propriétaire des terres de choisir la personne avec laquelle il conclura un bail. 

Cependant, lorsque le schéma directeur prévoit des critères de départage des demandes relevant d'un même rang de priorité, il incombe au préfet de mettre en œuvre les critères de départage ainsi prévus.

(2 juillet 2020, EARL du Marais de Beaumont, n° 424444)

(97) V. aussi, voisin, dans un cas où est invoquée une exception d'illégalité du schéma directeur départemental des structures agricoles et où le schéma contient les critères de départage des demandes concurrentes : 2 juillet 2020, M. X., n° 427120.

 

98 - Projet de règle technique (art. 5 directive du 9 septembre 2015) - Mise en relation des conducteurs ou des entreprises de transports avec des passagers - Obligation de communication préalable à la Commission européenne - Service de la société de l’information - Modalités matérielles d’une obligation de contrôle - Exclusion du champ de la directive - Rejet.

Les requérantes contestaient, notamment, l’obligation faite par le décret du 26 novembre 2018, pris pour l’application de la loi du 29 décembre 2016, aux opérateurs de mise en relation avec des passagers, de demander aux conducteurs, préalablement à la première mise en relation avec des passagers par leur intermédiaire, de se présenter munis des originaux de leur permis de conduire et, le cas échéant, de leur carte professionnelle. Elles estimaient cette exigence contraire à l’art. 5 de la directive du 9 septembre 2015 en ce que celle-ci prévoit une procédure d'information préalable de la Commission européenne dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information par tout État membre qui souhaite adopter une nouvelle règle technique au sens de cette directive ou modifier une règle technique existant. Tel n’aurait pas été le cas au moment de l’adoption de la loi et du décret précités, respectivement de 2016 et de 2018. 

Par suite, le décret aurait été pris selon une procédure irrégulière lui faisant encourir l’annulation.

Pour rejeter cette argumentation le Conseil d’État relève que la mesure en question ne constitue pas un « service de la société de l’information » au sens et pour l’application de la directive de 2015 mais seulement une modalité matérielle d’exercice d’une obligation de contrôle.

Le recours est rejeté en premier lieu de ce chef.

Nous renvoyons au texte de la décision concernant les autres arguments, de moindre portée, également rejetés.

(8 juillet 2020, Fédération française du transport de personnes sur réservation (FFTPR) et les sociétés Uber BV et Heetch, n° 431063)

 

99 - Distribution et fourniture d’énergie électrique - Dispositions du code de l’énergie - Compatibilité avec le droit de l’Union européenne - Service économique d’intérêt général - Existence et conséquence - Rejet.

Le Conseil d’État approuve la cour administrative d’appel, dans un litige relatif à l’approbation par le conseil municipal de Lyon de l'avenant n° 4 au contrat de concession conclu le 18 février 1993 pour le service de distribution d'énergie électrique et la fourniture de celle-ci au tarif réglementé de vente, d’avoir jugé :

1° qu'en raison des missions qui leur sont confiées et des sujétions qui leur sont imposées par les dispositions des articles L. 111-52 et L. 121-5 du code de l'énergie, les sociétés Enedis et EDF doivent être regardées comme chargées de la gestion de services d'intérêt économique général au sens du paragraphe 2 de l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. 

2° que les droits exclusifs conférés à ces sociétés par les mêmes dispositions trouvent leur justification dans les sujétions qui leur sont imposées au titre de leurs missions respectives et que l'application des règles fondamentales du traité ainsi que de l'obligation de transparence, serait de nature à faire échec à l'accomplissement de ces missions conférées à Enedis et EDF. 

3° que le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, lequel implique notamment une obligation de transparence pour garantir, à tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture du marché et des services à la concurrence, ainsi que le contrôle de l'impartialité des procédures d'adjudication, ne trouve à s'appliquer, s'agissant des entreprises chargées d'un service d'intérêt économique général, que sous réserve qu'il ne fasse pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie.

On peut craindre que le juge européen se montre plus exigeant dans l'appréciation des conditions et motifs dérogatoires.

(10 juillet 2020, Mme X., n° 423901)

 

100 - Référé suspension - Droit de la concurrence - Autorisation donnée par l’Autorité de la concurrence relative à la prise du contrôle exclusif d’une société - Autorisation de cession - Autorisation subordonnée à la prise d’engagements - Rejet.

La requérante demandait la suspension de l’exécution de l’autorisation donnée à une prise de contrôle exclusif d’une société par une autre à Mayotte au double motif d’une atteinte excessive qui en résulterait au principe de libre concurrence en matière de commerce de distribution, une position dominante étant ainsi acquise par l’enseigne Carrefour et de l’absence de garantie du respect des engagements auquel est subordonnée l’autorisation de prise de contrôle.

Constatant l’exécution complète, le 30 juin 2020, de la prise de contrôle autorisée dont la suspension est demandée, le juge décide qu’il n’y a plus lieu, en conséquence, d’y statuer.

Concernant le risque de non respect des engagements structurels et comportementaux pris envers l’Autorité de la concurrence comme condition de l’autorisation qu’elle a donnée, le juge des référés rejette l’argument en se fondant, d’une part, sur la circonstance que la société contrôleuse  n'était pas, à la date de la décision contestée, présente sur le marché de la distribution à Mayotte de sorte que l'opération autorisée par l'Autorité de la concurrence aboutit, pour ce qui concerne le territoire mahorais, à la substitution d'un opérateur à un autre et non à une opération de concentration et, d’autre part, que la réalisation de l'opération contestée permet seulement à la société contrôleuse, qui n'était pas présente sur le marché de la distribution en amont à Mayotte, d'exercer une activité de grossiste-importateur similaire à celle qu'exerçait la société prise sous son contrôle.

(ord. réf. 9 juillet 2020, Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) Mayotte, n° 441201)

 

101 - Aide d’État - Aide déclarée illégale par la Commission européenne - Récupération des sommes indument versées - Obligation d’y joindre les intérêts - Rejet.

Il résulte de la décision de la Commission européenne du 28 janvier 2009, qui s'impose aux autorités comme aux juridictions nationales dès lors que les recours exercés contre elle ont été définitivement rejetés, d’une part, que le mécanisme des « plans de campagne », en cause dans la présente affaire, constituait une aide nouvelle soumise à l'obligation de notification (art. 88 § 3 du traité instituant la Communauté européenne, devenues les dispositions actuelles du paragraphe 3 de l'article 108 § 3 du TFUE) et, d’autre part, qu’en ce cas les autorités nationales sont tenues de procéder à leur récupération auprès des bénéficiaires et ont l'obligation de leur faire supporter les intérêts communautaires afférents.

Par ailleurs, selon une jurisprudence constante du Conseil d’État, le paiement de ces intérêts communautaires ne saurait engager la responsabilité de la puissance publique, dès lors qu'il a pour seul objet de garantir l'effet utile du régime des aides d'État en compensant l'avantage financier et concurrentiel procuré par l'aide illégale entre l'octroi de celle-ci et sa récupération, y compris en cas de retard des autorités nationales à la récupérer.

(10 juillet 2020, M. X., n° 429335)

(102) V. Aussi, très voisin en la forme et en substance : 10 juillet 2020, EARL Valette, n° 429336

 

103 - Covid-19 - Référé suspension - Protection des consommateurs - Conditions et délais de remboursement des voyages et séjours annulés pour cause d’épidémie de coronavirus - Délai de 18 mois justifié par la gravité de la situation financière des organismes de tourisme et de voyages concernés - Rejet.

Les requérantes demandaient la suspension :

1° de l’exécution de l'ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure,

2° de la publication du 31 mars 2020 de la direction de l'information légale et administrative intitulée « Coronavirus : quels droits en cas d'annulation de vos vacances », de la « Foire aux questions » du 7 avril 2020 de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes intitulée « Nouvelles règles de remboursement dans le secteur du tourisme »,

 3° de la lettre du 9 avril 2020 de la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie et des finances et du ministère de l'action et des comptes publics en ce qu’en fixant à dix-huit mois le délai maximum de remboursements par les opérateurs de voyages et de tourisme aux consommateurs ayant acquis et payé des billets et/ou des prestations, il serait porté une atteinte excessive aux droits des consommateurs.

Le Conseil d’État réfute cette analyse en faisant valoir le nombre d’entreprises concernées, le nombre de demandes de remboursement et, conséquemment, l’effet financier cumulé de celles-ci sur la trésorerie du secteur du voyage et du tourisme.

De plus, les demanderesses ne justifient pas de la gravité des conséquences pour les consommateurs de cet étalement dans le temps.

Enfin, l’éventuelle atteinte ainsi portée au droit de l’Union (art. 12 de la directive du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées), à la supposer existante, n’établirait pas qu’il y ait une urgence à statuer.

(ord. réf. 17 juillet 2020, Association Union fédérale des consommateurs - Que choisir (UFC - Que choisir) et autre, n° 441661)

 

104 - Droit de la concurrence - Aide d’État illégale - Vente de livres français à l’exportation - Indemnisation du préjudice subi - Conditions de détermination de ce préjudice et régime de prescription - Rejet.

Deux sociétés se partagent le marché du livre français à l’exportation, la SIDE (société internationale de diffusion et d'édition) et le CELF (coopérative d'exportation du livre français), cette dernière seule recevant des subventions de l’État.

Ces subventions ayant été qualifiées d’aides d’État puis déclarées irrégulières par la Commission européenne, la SIDE a recherché la responsabilité de l’État et l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'octroi de cette aide illégale.

La cour administrative d’appel, après un arrêt avant-dire droit, a condamné l'État à verser à la SIDE une indemnité de dix millions d’euros et rejeté le surplus des conclusions de la requête de cette société.

Le ministre de la culture se pourvoit en vain contre cet arrêt.

Le Conseil d’État rejette deux principales exceptions procédurales soulevées par le ministre, l’exception de chose qui aurait été jugée et la prescription de la créance de la SIDE, et, au bénéfice du pouvoir souverain des juges du fond, confirme le montant de l’indemnité allouée en appel, rejetant ainsi entièrement le pourvoi du ministre.

(22 juillet 2020, Ministre de la culture, n° 434446)

 

Droit social et action sociale

 

105 - Aide sociale - Assistant familial - Licenciement - Motifs - Intérêt général - Cassation partielle avec renvoi dans cette mesure.

Statuant sur le licenciement d’une assistante familiale par le département qui l’emploie, le Conseil d’État apporte trois précisions d’importance par la clarification qu’elles apportent.

Tout d’abord, lorsque le licenciement de l'assistant familial est motivé par le fait qu’il ne remplit plus les conditions de l'agrément, il ne peut être régi que par les seules dispositions, spécifiques, des art. L. 421-3 et L. 421-6 du code de l’action sociale et des familles (CASF). 

Ensuite, les autres licenciements relèvent des dispositions des art. L. 423-32 et L. 423-35 du CASF qui permettent à l’employeur de droit public de licencier un assistant familial s'il n'a pas d'enfant à lui confier pendant une durée d'au moins quatre mois consécutifs du fait soit de l'absence de tout enfant à confier à l'assistant familial, soit de ce que le département a été conduit, par une appréciation soumise au contrôle du juge, pour assurer la meilleure prise en charge des enfants, au regard notamment, de leur âge, de leur situation familiale et de leur santé, des conditions définies par l'agrément de l'assistant familial concerné et des disponibilités d'autres assistants familiaux, à ne pas confier d'enfant pendant cette période à l'assistant familial dont le licenciement est envisagé.

Enfin, ni ces dispositions ni aucun principe n’exige(nt) que, pour qu'un tel licenciement soit légalement motivé, l'employeur public soit contraint de ne plus confier d'enfant à l'assistant maternel concerné par des raisons d'intérêt général dont il devrait justifier.

(1er juillet 2020, Département de la Drôme, n° 423600 et n° 423603)

 

106 - Aide sociale - Revenu minimum d’insertion (RMI/RSA) - Convention conclue à cet effet entre le département et les organismes payeurs - Nature administrative de cette convention (sol. implicite) - Impossibilité pour elle de limiter l’utilisation du recours administratif préalable - Rejet.

Dans un litige en récupération d’indu de RSA, le Conseil d’État est conduit à analyser la convention conclue à cet effet entre le département et les organismes payeurs. C’est pour lui l’occasion de rappeler implicitement la nature administrative de cette convention.

Surtout, alors qu’en l’espèce cette convention contenait une clause excluant pour tout recours administratif préalable dirigé contre une décision relative au revenu de solidarité active (RSA,) sa soumission pour avis à la commission de recours amiable, une telle clause est jugée irrégulière et donc inopposable à la demanderesse. 

(1er juillet 2020, Mme X., n° 424289)

 

107 - Personnes handicapées - Personnes en réinsertion sociale - Femmes enceintes et mères isolées - Prise en charge financière incombant au département - Possibilité pour l’État d’intervenir en cas d’urgence et à titre supplétif pour faire face à la carence du département - Réparation du préjudice résultant du refus du département d’intervenir financièrement incombant à ce dernier - Conditions d’engagement de cette responsabilité pour faute - Rejet.

L’association pour le développement des actions en faveur des personnes handicapées et inadaptées (AIDAPHI) a demandé la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi - au titre des années 2009 à 2011 - du fait de l'illégalité du refus d’un département de prendre en charge financièrement l'accueil des femmes enceintes et des mères isolées accompagnées d'enfants de moins de trois ans au sein des quatre centres d'hébergement et de réinsertion sociale qu’elle gère.

Le département se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel confirmatif du jugement l’ayant condamné à indemniser l’association requérante.

Tout d’abord, répondant à une critique du département sur ce point, le juge de cassation confirme la compétence des juridictions administratives de droit commun pour connaitre de ce litige et non celle des juridictions de la tarification sanitaire et sociale puisque le litige indemnitaire opposant l'association au département n'a pas pour objet la révision des recettes arrêtées au titre des exercices litigieux par le préfet du et ne se rattache pas à la détermination des tarifs des établissements et services sociaux et médico-sociaux au sens de l'art. L. 351-1 du code de l'action sociale et des familles.

Ensuite, la prise en charge financière des personnes en cause incombant au département, celui-ci ne saurait, pour prétendre n’avoir pas commis de faute, exciper ni de ce qu’il n’a pas décidé de le faire, ni de ce qu’il n’a pas agréé l’association demanderesse, ni de ce que l’État est intervenu pour opérer cette prise en charge.

Enfin, parce que cette faute est la cause directe et certaine du préjudice subi par l’association, sa réparation incombe exclusivement au département.

C’est donc sans erreur de droit que les premiers juges ont condamné le département à ce faire, d’où le rejet du pourvoi.

(1er juillet 2020, Département du Loiret, n° 425528)

 

108 - Allocation d’aide au retour à l’emploi - « Allocation en faveur des travailleurs privés d’emploi » - Compétence juridictionnelle pour connaître de son contentieux - Compétence du tribunal administratif en premier et dernier ressort - Exclusion de la compétence de la cour administrative d’appel - Cassation sans renvoi.

Incompétence d’une cour administrative d’appel pour statuer sur des conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le maire d’une commune a rejeté une demande de versement d'allocation d'aide au retour à l'emploi car cette allocation constitue, au sens et pour l’application du 1° de l'article R. 811-1 du CJA, une « allocation en faveur des travailleurs privés d’emploi » dont le contentieux ressortit à la compétence de premier et dernier ressort du tribunal administratif.

(3 juillet 2020, Mme X., n° 425463)

(109) V. aussi, dans le même sens à propos de l'aide à la reprise et à la création d'entreprise : 3 juillet 2020, M. X., n° 429001.

 

110 - Licenciement des salariés protégés - Cas du licenciement des maires ou adjoints (dans les communes d’au moins dix mille habitants) en cours de mandat - Compétence exclusive de l’inspecteur du travail et/ou du ministre - Régime applicable - Rejet.

Le régime applicable au licenciement des salariés protégés exerçant des fonctions de représentation des salariés est bien connu, celui des salariés exerçant parallèlement les fonctions de maire ou d’adjoint (pour ces derniers dans les communes d’au moins dix mille habitants) est moins connu étant d’application très peu fréquente.

Procédant à une construction largement prétorienne, le Conseil d’État assimile complètement, quant au régime de leur licenciement, les maires ou adjoints salariés aux représentants du personnels et leur mandat politique à celui détenu par les délégués ou représentants du personnel. Il y a, à la base de ce raisonnement, une certaine audace car les élus politiques, à raison de la détention d’un mandat politique, n’ont pas mandat ni d’ailleurs vocation, à défendre les salariés dans l’entreprise. Par souci de simplification, le juge opère un alignement aussi complet que possible de cette dernière situation sur celle des élus du personnel. Cette solution expédiente est d’ailleurs, en pratique, assez bien venue.

Il suit de là que s’appliquent aux maires et adjoints (dans les communes d’au moins dix mille habitants) les trois principes essentiels dégagés par la jurisprudence pour le licenciement des salariés protégés : l’autorisation exclusive de l’inspecteur du travail (ou, sur recours hiérarchique, du ministre ), la constatation de l’absence de tout rapport entre les fonctions électives politiques et le licenciement, enfin, une gravité suffisante de la faute (ou des fautes) reprochée(s) justifiant à due proportion de la décision de licenciement.

Demeure cependant l'interrogation sur le point de savoir si la caractérisation de la faute doit s'opérer de la même façon dans les deux hypothèses ou si elle est susceptible d'appréciations distinctes.

(3 juillet 2020, M. X., n° 426381)

 

111 - Droit au logement opposable - Personne reconnue prioritaire - Absence de relogement - Office du juge - Comportement de l’intéressé à l’origine du non-relogement - Appréciation - Conditions d’exécution par l’État de son obligation de résultat de reloger - Cassation avec renvoi au tribunal administratif.

Statuant sur un litige au titre du droit au logement opposable, le juge y aborde un aspect inédit.

Tout d’abord, il rappelle que la personne reconnue prioritaire au logement ou relogement par une commission de médiation a droit à celui-ci et qu’il incombe au juge, en cas de non-logement ou relogement, d’ordonner à l’administration d’y procéder. Pour le juge, une fois reconnue par la commission de médiation, la priorité du demandeur au logement entraine pour l’État une obligation de résultat sauf s’il est établi que l’urgence a complètement disparu ou que la commission de médiation a elle-même pris une décision radiant l’intéressé de la liste des bénéficiaires ou encore si les faits à l’origine de cette dernière révèlent de la part de l'intéressé une renonciation au bénéfice de cette décision ou un comportement faisant obstacle à son exécution par le préfet. 

Toutefois, par exception, si est invoquée, pour justifier cette abstention de loger ou reloger, un comportement du bénéficiaire de nature à faire obstacle à l'exécution de cette décision, l’administration peut se trouver déliée de son obligation. 

Comme toute exception celle-ci est de droit étroit : c’est ainsi que la seule circonstance que, postérieurement à la décision de la commission de médiation, le bénéficiaire de cette décision soit radié du fichier des demandeurs de logement social, n'a pas, par elle-même, pour effet de délier l'État de l'obligation qui pèse sur lui d'en assurer l'exécution. 

(8 juillet 2020, M. X., n° 420472)

 

112 - Institutions représentatives du personnel - Ordonnance du 22 septembre 2017 et décret du 29 décembre 2017 - Fusion de trois instances d’information et de consultation - Allégation de violation de l’art. 151 du TFUE et de l’art. 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne - Rejet.

Le syndicat demandeur, estimant contraire à la fois au Traité sur le fonctionnement de l’UE (art. 151) et à la Charte des droits fondamentaux de l’UE, l’ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales, sur la base de laquelle a été pris le décret du 29 décembre 2017 relatif au comité social et économique, demandait au juge l’annulation de ce dernier texte.

Son recours est rejeté car la fusion en un seul organisme, le comité économique et social, de trois existants antérieurement (délégués du personnel, comité d'entreprise et comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail), ne contrevient à aucune des dispositions invoquées que ce soit en raison des seuils choisis, de la répartition des matières entre organismes, ou encore des conditions de suppléance et de formation des membres du comité économique et social.

(15 juillet 2020, Confédération générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO), n° 417706)

(113) V. aussi, concernant le comité économique et social dont il est jugé que les textes lui donnent le délai et les informations nécessaires à un exercice correct de ses missions et de ses compétences : 15 juillet 2020, Fédération nationale des mines et de l'énergie CGT (FNME CGT) et autres, n° 418543 ; Association des experts agréés et des intervenants auprès des CHSCT (ADEAIC) et autres, n° 418604, jonction.

(114) V. également, très voisin : 15 juillet 2020, Confédération générale du travail (CGT), n° 418620

 

115 - Aide sociale à l’enfance - Prise en charge d’un jeune majeur - Personne éprouvant certaines difficultés d’ordre social ou familial - Demande d’aide en vue d’achever l’année d’étude engagée - Pouvoir très large d’appréciation et de décision du président du conseil départemental - Contrôle du juge - Existence éventuelle d’un doute sérieux - Rejet.

L’aide sociale s’interrompt normalement lorsque son bénéficiaire parvient à l’âge de la majorité. Toutefois, il peut solliciter le maintien de cette aide ou le bénéfice de tout autre dispositif jusqu’à son vingt-et-unième anniversaire s’il invoque l’existence de difficultés d’insertion sociale faute de ressources suffisantes ou du fait de sa situation familiale.

Les textes reconnaissent au président du conseil départemental un très large pouvoir d’appréciation et de décision. Si le juge réaffirme cette marge de manoeuvre, il a tendance à exercer sur celle-ci un pouvoir de contrôle plus étendu notamment par l’utilisation de la technique du « doute sérieux » (au moins depuis la décision qui semble de principe : Section, 3 juin 2019, Département de l’Oise, n° 419903 ; V. cette Chronique, juin 2019 n° 34). Ce doute pouvant résulter de l’examen de la situation de l’intéressé, de son comportement et de l’étude de son dossier : en ce cas, et en dépit du pouvoir d’appréciation du président du conseil général, le juge des référés peut renvoyer l’intéressé devant ce dernier afin qu’il réexamine son cas.

En l’espèce, la requête, après application des critères susrappelés, est rejetée.

(ord. réf. 22 juillet 2020, Ville de Paris, n° 435974)

(116) V. aussi, à propos du refus de renouveler un « contrat de jeune majeur » : 29 juillet 2020, M. X., n° 430986 ; 29 juillet 2020, M. X., n° 436710.

 

117 - Revenu de solidarité active (RSA) - Ressources devant être prises en considération - Cas d’un couple séparé de fait sans communauté de vie matérielle et active - Partie des ressources du conjoint devant être retenues - Rejet.

Le versement du RSA est subordonné à l’état de l’ensemble des ressources du foyer. Toutefois, lorsque l’un des conjoints est séparé de l’autre du fait qu’a cessé entre les deux membres du couple une communauté de vie matérielle et affective, seuls doivent être retenus pour déterminer les ressources du foyer, outre les revenus du candidat au bénéfice du RSA, les sommes que le conjoint lui verse au titre d’une obligation alimentaire ou les prestations en nature qu’il lui fournit.

(29 juillet 2020, Mme X., n° 430917)

 

118 - Santé des travailleurs - Seuils des concentrations moyennes en poussières totales ou alvéolaires de l'atmosphère inhalées par les travailleurs dans les locaux à pollution spécifique - Travaux d’expertise en vue du relèvement de ces seuils achevés - Illégalité du refus de modifier les textes - Annulation avec injonction à six mois.

Le syndicat demandeur poursuivait l’annulation du refus de l’administration de modifier l’art. R. 4222-10 du code du travail - dont les dispositions sont demeurées inchangées depuis 1984 -   fixant le seuil des concentrations moyennes en poussières totales et alvéolaires de l'atmosphère inhalée par un travailleur, évaluées sur une période de huit heures.

Alors que le gouvernement a demandé à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) d’effectuer les expertises nécessaires à l’effet de réviser ces seuils, que celle-ci a remis ses conclusions le 19 novembre 2019 et que le ministre du travail, dans ses écritures sur la présente affaire, ne conteste pas que les seuils actuellement fixés par l'article R. 4222-10 du code du travail, tant pour les poussières totales que pour les poussières alvéolaires, ne sont plus adaptés pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs, l’administration est désormais en état d’effectuer cette révision : son refus de modifier l’article litigieux est donc annulé sous injonction que sa nouvelle version soit publiée au plus tard dans six mois.

(29 juillet 2020, Fédération générale des transports et de l'environnement - Confédération française démocratique du travail (FGTE-CFDT), n° 429517)

 

119 - Temps de travail - Régime résultant de la directive européenne du 4 novembre 2003 - Durée hebdomadaire maximum de 48 heures fixée par cette directive - Décompte de cette durée en moyenne et non sur sept jours consécutifs - Annulation et règlement de l’affaire au fond.

Réitération d’une règle qui a bien du mal à être comprise et/ou admise, spécialement chez les sapeurs-pompiers :

« Lorsque le régime du temps de travail d'agents, tels que les sapeurs-pompiers professionnels, est déterminé en fonction d'une période de référence en application des articles 16, 17 et 19 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, la durée hebdomadaire maximale de travail de 48 heures prévue par l'article 6 de cette directive ne s'apprécie pas pour chacune des périodes de sept jours comprises dans cette période de référence mais uniquement, en moyenne, sur l'ensemble de celle-ci. »

(29 juillet 2020, Syndicat SUD-Solidaires des sapeurs-pompiers professionnels et des personnels administratifs, techniques et sociaux du service départemental et métropolitain d'incendie et de secours du Rhône, n° 430871)

 

Élections

 

120 - Covid-19 - Élections municipales et communautaires du 15 mars 2020 - Délai de recours contentieux - Combinaison des dispositions du code électoral et de l’art. 11 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à une épidémie - Bénéfice de la prorogation légale du délai - Niveau de l’abstention - Atteinte à la sincérité du scrutin - Absence - Rejet.

La protestation du requérant, dirigée contre les résultats du premier tour des élections municipales s’étant déroulées le 15 mars 2020 à Saint Sulpice-sur-Risle, conduit le juge à trancher deux questions.

La première résulte du rejet de cette protestation par le tribunal administratif en raison de sa tardiveté. 

L’ordonnance frappée d’appel devant le Conseil d’État estimait que la protestation du demandeur, ayant été enregistrée le 22 mars au greffe de cette juridiction, était tardive au regard des dispositions de l’art. R. 119 du code électoral qui fixent à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l’élection la date limite de dépôt des recours en cette matière : l’élection s’étant déroulée le 15 mars, ce délai expirait donc le 20 mars à dix-huit heures. 

Ce raisonnement est erroné en l’espèce en raison de l’épidémie du coronavirus qui a motivé la rédaction de l’art. 11 de la loi du 22 mars 2020 d’urgence pour faire face à cette épidémie, lequel permet d’instituer des prorogations de délai. 

Ainsi, le 3° du II de l’art. 15 de l’ordonnance du 25 mars 2020 a-t-il prévu que le délai de cinq jours fixé à l’art. R. 119 précité du code électoral se calculerait non à compter du jour du scrutin mais du jour de l’entrée en fonctions des personnes élues le 15 mars 2020, date devant être fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020. Le décret du 14 mai 2020 (art. 4) ayant décidé que, dans les communes dans lesquelles le conseil municipal a été élu au complet lors du scrutin organisé le 15 mars 2020, les élus entrent en fonction le 18 mai 2020, il s’ensuit, par application du report de délai pour jour férié ou non ouvrable prévu à l’art. 642 du code de procédure civile, qu’en l’espèce le délai expirait le lundi 25 mai 2020 à dix-huit heures. 

Il y a une certaine audace à faire bénéficier d'une disposition instituant une prorogation de délai sans portée rétroactive un délai entièrement expiré avant l'entrée en vigueur de cette disposition.

La seconde question est l’objet même de la requête : les résultats de cette élection auraient été faussés par une abstention considérable liée aux circonstances de fait résultant de l’épidémie, il conviendrait donc de les annuler. Cet argument est rejeté par le juge selon qui ni le code électoral ni les dispositions de la loi précitée du 23 mars 2020 n’ont subordonné à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal à l'issue du premier tour de scrutin dans les communes de mille habitants et plus, lorsqu'une liste a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés. Le niveau de l'abstention (56,07% en l’espèce) n’est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin. 

Il ne pourrait en aller autrement que si ce niveau avait, dans les circonstances de l'espèce, altéré la sincérité du scrutin.

Ce n’était pas le cas : l’appel est rejeté.

(15 juillet 2020, M. X., n° 440055)

(121) V. également, sur le calcul du délai de protestation contre les élections municipales et communautaires de mars 2020 : 29 juillet 2020, M. X., n° 440623.

 

122 - Élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 - Circulaires ministérielles fixant les nuances politiques des candidats à ces élections - Absence d’illégalité - Rejet.

Les divers recours, dont certains ont fait l’objet de désistements, contestaient la légalité de deux circulaires du ministre de l’intérieur du 10 décembre 2019 et du 03 février 2020 relatives à l’attribution de nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires devant primitivement se tenir les 15 et 22 mars 2020, ainsi que l’agrégation de ces nuances leurs de la synthèse des résultats.

Tous les arguments, à la différence de ce qui s’était produit dans un précédent recours (31 janvier 2020, Mme Laroche et autres, n°s 437675, 437795, 437805, 437824, 437910, 437933 ; v. cette Chronique janvier 2020 n° 36), sont rejetés, le ministre ayant en partie tenu compte de la décision du Conseil d’État.

Celui-ci déclare sans objet le recours contre la première d’entre elles car elle a été abrogée et remplacée par celle du 03 février 2020 et n’a fait l’objet d’aucune application.

Les quatre griefs allégués contre cette dernière circulaire sont rejetés : 

1° Le ministre était compétent pour établir une grille des nuances politiques destinée à permettre l'agrégation des résultats des élections nécessaire à l'information des pouvoirs publics et des citoyens. 

2° Le décret du 9 décembre 2014 n’a pas imposé au ministre de retenir le seuil de 1000 habitants ou plus pour l'attribution de nuances politiques, celui-ci pouvait donc retenir celui de 3500 habitants ou plus ainsi que les communes chefs-lieux d'arrondissement quelle que soit leur population.

3°  C’est sans illégalité que le ministre, pour l'attribution de nuances politiques, n’a pas pris en compte les communes dont la population est inférieure au seuil retenu par la décision litigieuse, alors même que ce seuil a été utilisé pour l'attribution des nuances des candidats au scrutin de liste pour l'ensemble des élections municipales qui se sont déroulées entre 1982 et 2008 car cela aurait conduit à une surreprésentation de la nuance " Divers ", eu égard notamment au caractère principalement local des enjeux des scrutins. Ainsi, ce seuil n'est pas manifestement de nature à altérer le sens politique du scrutin en sous-estimant les principaux courants politiques, il n'a pas non plus pour effet de dénaturer les finalités de ce traitement et ne méconnaît pas le principe d'égalité entre les communes et les candidats, dès lors que ceux-ci sont placés dans une situation différente selon que la population des communes est au-dessous ou au-dessus de ce seuil. Il en va de même pour l'attribution d'une nuance politique dans l'ensemble des chefs-lieux, indépendamment de leur nombre d'habitants, compte tenu de la nature particulière de ces communes et de l'intérêt qui s'attache à ce que les résultats électoraux puissent y faire l'objet d'un suivi national.

4° Enfin, en rattachant la nuance politique « Rassemblement national » au bloc de clivages « extrême droite », la circulaire attaquée ne méconnaît pas les principes de liberté des partis politiques et de sincérité du scrutin, que l'attribution d'une nuance politique différente de l'étiquette politique n'affecte pas, et n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation ; elle ne méconnaît pas davantage, en tout état de cause, le principe d'égalité en retenant pour cette formation un bloc de clivage différent de celui de la formation politique « Debout la France », classé dans la catégorie « droite », dont le programme diffère du sien.

(8 juillet 2020, Mme X. et autre, n° 437673 ; Parti « Les Républicains », n° 437804 ; M. X. et autre, n° 437822 ; Parti « Le Rassemblement national », n° 437833 ; Parti socialiste, n° 437905 ; Parti « Debout la France », n° 437931 ; Parti « Le Rassemblement national », n° 439074, jonction)

 

Environnement

 

123 - Éoliennes - Autorisation d’implantation ainsi que d’un poste de livraison - Effet de la constatation par le juge du défaut de transposition d’une disposition d’une directive - Mise en œuvre de l’art. L. 181-18 du code de l’environnement - Office du juge saisi - Cassation avec renvoi.

Dans un litige consécutif à l’annulation par une cour administrative d’appel d’autorisations d’implantation d’éoliennes et d’un poste de livraison, le Conseil d’État rappelle que la faculté ouverte par le 2° du I de l'art. L. 181-18 du code de l'environnement - selon lesquelles « Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : (…)

2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations (…) » -, relève de l'exercice d'un pouvoir propre du juge, qui n'est pas subordonné à la présentation de conclusions en ce sens.

Deux cas sont susceptibles de se présenter : S’il n’est pas saisi de conclusions en sens, le juge du fond peut toujours mettre en œuvre cette faculté, sans y être tenu, son choix relevant d'une appréciation qui échappe au contrôle du juge de cassation. Si le juge du fond est saisi de conclusions en ce sens, il est alors tenu de mettre en œuvre les pouvoirs qu'il tient du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement si les vices qu'il retient apparaissent, au vu de l'instruction, régularisables.

(8 juillet 2020, Société Ferme éolienne de Marcilly-Ogny, n° 422027 ; ministre de la transition écologique et solidaire, n° 422300)

 

124 - Barrages et digues - Cas d’un barrage supportant une route départementale - Charge de l’entretien - Obligation conjointe - Rejet.

Étaient contestées diverses prescriptions mises par un préfet à la charge d’un département et d’une personne privée du chef de l’existence d’un barrage formant un lac, propriété privée, et d’une route départementale franchissant le sommet du barrage.

Est posé, pour la première fois semble-t-il, comme résultant des dispositions de l'art. R. 214-123 du code de l'environnement (selon lesquelles « Le propriétaire ou l'exploitant de tout barrage ou le gestionnaire des digues organisées en système d'endiguement surveille et entretient ce ou ces ouvrages et ses dépendances »), le principe que « le propriétaire et l'exploitant peuvent être considérés comme débiteurs conjoints d'une obligation de surveillance et d'entretien de tout barrage ou digue, chacun étant responsable des obligations attachées respectivement à la qualité de propriétaire ou à celle d'exploitant du barrage. »

Il suit de là le rejet du recours du département car le préfet peut légalement mettre des prescriptions de surveillance et d'entretien à la charge conjointe du propriétaire et de l'exploitant, chacun devant prendre les mesures nécessaires relevant de sa responsabilité et en informer le préfet.

(10 juillet 2020, Département d’Ille-et-Vilaine, n° 427165)

 

125 - Ressources halieutiques - Pêche au maigre - Taille minimale des poissons susceptibles d’être pêchés - Application du principe de précaution - Annulation partielle et fixation d’une obligation de réexamen du problème à échéance d’une année.

L’association requérante contestait la taille minimale, fixée par arrêté ministériel, qu’elle jugeait insuffisante, des poissons de l’espèce « maigre » susceptibles d’être pêchés dans le golfe de Gascogne en raison du risque de disparition de la ressource.

Le Conseil d’État juge que le ministre a l’obligation, notamment en application de diverses dispositions combinées des règlements (CE) n° 1380/2013 du 11 décembre 2013 et n° 2019/1241 du 20 juin 2019, ainsi que du code rural et de la pêche maritime (CRPM), de prévoir une taille minimum de pêche pour ces poissons même si elle doit être limitée aux seuls navires français circulant dans le golfe de Gascogne.

Cependant, s’il appartient en principe au ministre, dans la mise en œuvre de cette compétence, qui n'implique pas des prescriptions inconditionnelles résultant du droit de l'Union européenne, d’exercer son pouvoir d'appréciation, celui-ci doit néanmoins veiller au respect du principe de précaution garanti par l'article 5 de la Charte de l'environnement. Or, sur ce point, s’il n'est pas établi avec certitude, au regard des études scientifiques et des données disponibles, que l'état du stock de maigre dans le golfe de Gascogne imposerait l'adoption d'une taille minimale plus élevée, il résulte toutefois de nombreux avis scientifiques qu’est plausible un risque d'effondrement brutal de la ressource pour une longue durée.

Ce risque de dommage, par son caractère grave et irréversible pour l'environnement, est de nature à justifier l'application du principe de précaution, en dépit des incertitudes subsistant sur sa réalité et sa portée en l'état des connaissances scientifiques.

C’est pourquoi le Conseil d’État juge qu’en refusant de reconsidérer le niveau de la taille minimale des poissons pouvant être pêchés à la lumière de ces éléments alors qu'aucune autre mesure adaptée n'était prise, le ministre a méconnu les obligations découlant du principe de précaution.

Outre l’annulation ainsi prononcée le juge fait injonction au ministre de procéder dans un délai d'un an à compter de la notification de la présente décision à un réexamen de la demande de l'association requérante de fixer la taille minimale de capture du maigre compte tenu le cas échéant des résultats d'études complémentaires et d'éventuelles autres mesures de protection qui seraient décidées.

(8 juillet 2020, Association de défense des ressources marines (ADRM), n° 428271 et n° 428276, jonction)

(126) V. aussi, très largement comparable, à propos de la pêche du bar européen : 8 juillet 2020, Association de défense des ressources marines (ADRM), n° 429018.

 

127 - Pollution de l’air - Condamnation de l’État par une décision du juge administratif le 12 juillet 2017 - Constatation, en juillet 2020, de l’absence, de l’insuffisance, de l’imprécision ou de l’indétermination des mesures prises, de leurs effets notamment temporels - Condamnation sous astreinte de l’État.

Par une décision du 12 juillet 2017 le Conseil d’État  a, d'une part, annulé les décisions implicites du Président de la République, du Premier ministre et des ministres chargés de l'environnement et de la santé, refusant de prendre toutes mesures utiles et d'élaborer des plans conformes à l'article 23 de la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe, permettant de ramener, sur l'ensemble du territoire national, les concentrations en particules fines et en dioxyde d'azote en-deçà des valeurs limites fixées à l'annexe XI de cette directive, d'autre part, enjoint au Premier ministre et au ministre chargé de l'environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour chacune des zones énumérées au point 9 des motifs de cette décision, un plan relatif à la qualité de l'air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l'article R. 221-1 du code de l'environnement dans le délai le plus court possible et de le transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018.

Saisi par 69 associations, 8 personnes physiques et une commune, le Conseil d’État dresse, presque trois ans après jour pour jour, un constat de carence assez accablant malgré l’adoption par l’État de quatorze « feuilles de route ». 

Tantôt des mesures n’ont pas été prises, tantôt elles sont manifestement insuffisantes, tantôt est ignoré leur effet possible ou probable voire leur adéquation et souvent demeure une grande incertitude sur la réalité du respect de la date butoir de 2025 pour la réalisation plénière du retour en deçà des valeurs limites de concentration en NO2 et en particules fines PM10.

Les requérants sollicitaient le prononcé d’une astreinte pour inciter les pouvoirs publics centraux de l’État à se montrer plus respectueux qu’ils ne l’ont été jusqu’ici du souci d’exécuter la chose jugée, déjà assortie en 2017 d’une injonction.

D’ailleurs, le choix de la formation de l’assemblée plénière pour rendre la présente décision a sa part dans la démonstration de la volonté du juge de voir cesser l’impéritie du pouvoir exécutif dont on peut se demander si elle n’est pas susceptible d’une sanction pénale d’autant qu’en l’espèce l’infraction est commise en état de flagrance.

Constatant qu’il ressort des pièces du dossier que, pour chacune des zones administratives de surveillance relevées en 2017, sauf une, les valeurs limites de concentration en NO2 et PM10 fixées par l'article R. 221-1 du code de l'environnement demeurent dépassées et que les différents éléments produits au cours de la procédure juridictionnelle ne permettent pas d'établir que les effets cumulés des différentes mesures adoptées à la suite de la décision du 12 juillet 2017 permettront de ramener les niveaux de concentration en ces deux polluants en deçà de ces valeurs limites dans le délai le plus court possible, le Conseil d’État juge  que l'État ne peut être regardé comme ayant pris des mesures suffisantes propres à assurer l'exécution complète de cette décision.

Il décide donc, « eu égard au délai écoulé depuis l'intervention de la décision dont l'exécution est demandée, à l'importance qui s'attache au respect effectif des exigences découlant du droit de l'Union européenne, à la gravité des conséquences du défaut partiel d'exécution en termes de santé publique et à l'urgence particulière qui en découle » de prononcer contre l'État, sauf exécution complète de la présente décision  dans un délai de six mois, une astreinte de 10 millions d'euros par semestre jusqu'à la date à laquelle la décision du 12 juillet 2017 aura reçu exécution, étant rappelé que ce montant est susceptible d'être révisé à chaque échéance semestrielle à l'occasion de la liquidation de l'astreinte.

(Assemblée, 10 juillet 2020, Association Les amis de la Terre - France et autres, n° 428409)

 

128 - Interdiction de construction sur certains espaces littoraux (art. L. 121-23 c. environnement) - Dérogation en faveur des certains aménagements légers (art. L. 12124 c. environnement) — Conditions devant être strictement respectées - Dérogation ne constituant pas une atteinte au principe de non-régression (art. L. 110-1 c. env. ) - Rejet.

(10 juillet 2020, Association France Nature Environnement, n° 432944) V. n° 219

 

129 - Police des eaux - Autorisations données au titre de cette police - Législation antérieure au 1er janvier 2017 - Interdiction de destruction d’espèces protégées et de leurs habitats - Dérogation à cette interdiction - Nécessité d’incorporation de la dérogation à l’autorisation - Autorisation donnée avant le 1er janvier 2017 mais juge statuant après cette date - Régime - Divisibilité de l’autorisation et de la dérogation - Annulations partielles sans renvoi.

Avait été contestée en première instance et en appel l’autorisation préfectorale de réaliser des travaux de reprofilage d’un ruisseau au motif que le milieu naturel concerné par les travaux était habité par des espèces protégées au titre de l'arrêté du 19 novembre 2007 fixant les listes des amphibiens et reptiles protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection, à savoir deux espèces d'amphibiens, le crapaud calamite et la rainette méridionale, et une espèce de reptile, le lézard vert, et que les travaux autorisés par l'arrêté en litige, de par leur nature et leur importance, étaient susceptibles d'entraîner, notamment pendant la phase du chantier, la destruction ou la mutilation de ces spécimens, ainsi que la destruction, l'altération ou la dégradation de leurs sites de reproduction et aires de repos. 

Les juges de première instance et d’appel ont fait droit à cette demande.

Le Conseil d’État, statuant comme juge de cassation sur ce point, commence par relever que l’ordonnance du 26 janvier 2017, entrée en vigueur le 1er mars 2017, a institué une autorisation environnementale qui, le cas échéant, doit comporter les dérogations nécessaires à la réalisation de l’opération pour laquelle est sollicitée l’autorisation. En l’espèce, l’arrêté préfectoral, pris en octobre 2011, ne comportait pas cette dérogation. Pour le Conseil d’État, confirmant sur ce point la position des juges du fond, les autorisations délivrées au titre de la police de l'eau en application de l'article L. 214-3 du code de l'environnement, antérieurement au 1er mars 2017, doivent être considérées, à compter de cette date, comme des autorisations environnementales. 

Ensuite, il juge que dès lors que l'autorisation environnementale instituée par cette ordonnance tient désormais lieu des diverses autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments - dont la dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces animales non domestiques et de leurs habitats -, c'est sans erreur de droit que la cour a jugé que l'autorisation environnementale issue de l'autorisation délivrée par le préfet le 17 octobre 2011 au titre de la police de l'eau pouvait être utilement contestée devant elle au motif qu'elle n'incorporait pas, à la date à laquelle elle a statué, la dérogation dont il était soutenu qu'elle était requise pour le projet de travaux en cause. 

Enfin, et c’est là le motif de la cassation prononcée, le Conseil d’État se sépare du raisonnement de la cour. En effet, alors que cette dernière a annulé l'autorisation attaquée dans son ensemble au seul motif que cette décision ne comporte pas la dérogation requise en vertu des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement, le Conseil d’État juge que ce motif ne vicie l'autorisation environnementale en litige qu'en tant qu'elle n'incorpore pas cette dérogation, car il estime que la dérogation est divisible du reste de l’autorisation.

Statuant comme juge du fond du fait de la seconde cassation intervenue dans cette affaire, le Conseil d’État décide que l’application de l’arrêté préfectoral est suspendue jusqu’à la délivrance de la dérogation prévue à l’art. L. 411-2 précité.

(22 juillet 2020, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 429610)

 

130 - Jeux olympiques et paralympiques de 2024 - Projet de la Tour Triangle (art. 20, loi du 23 novembre 2018 ajoutant un article 12 à la loi du 26 mars 2018) - Rejet de la QPC - Projet non susceptible d’avoir une incidence sur l’environnement ou de constituer un projet d’aménagement - Moyens dirigés contre le projet immobilier de la Tour Triangle - rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2019-95 du 12 février 2019 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique en tant qu'il mentionne le « projet immobilier situé 4 à 30, rue Ernest-Renan - parcelles cadastrales BC 22 et BC 23 - sur le territoire de la ville de Paris dans le 15e arrondissement », dit projet de la Tour Triangle, projet qui a été autorisé par un arrêté du maire de Paris portant permis de construire en date du 28 avril 2017.

Les diverses requêtes sont rejetées à commencer par celles soulevant une QPC à l’encontre de l’art. 20 précité de la loi du 23 novembre 2018.

Les critiques portant sur la légalité externe du décret sont rejetées soit parce que ce texte n’est pas une mesure individuelle (défaut de motivation) soit parce qu’il ne constitue ni un projet susceptible d’avoir une incidence sur l’environnement, ni un projet d’aménagement ou d’équipement.

Pas davantage ne sont retenues les critiques concernant la légalité interne de l’acte : n’étant pas régi par le droit de l’UE, ne saurait lui être opposé le principe de confiance légitime ;  il ne remet pas en cause la sécurité juridique (cf. points 6 et 16) ; l’appel, impossible en l’espèce, ne contrevient pas à un principe ou à une règle - l’un et l’autre inexistants - dite du double degré de juridiction ; enfin, les nécessités du bon déroulement des jeux olympiques et paralympiques comme de la cohérence des mesures répondent suffisamment aux autres objections.

(29 juillet 2020, Association de sauvegarde du Patrimoine Monts 14, n° 429235 ;  Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, n° 429787  et n° 429811 ; Association SOS Paris et autres, n° 429813, jonction)

  

Fonction publique et agents publics

 

131 - Fonctionnaire - Fonctionnaire détaché dans une organisation internationale - Cotisation en vue de la pension de retraite - Régime - Règle de l’écrêtement - Effet d’une modification législative - Cassation partielle et renvoi pour partie au tribunal administratif et pour partie à la CAA.

Les fonctionnaires français, lorsqu’ils sont détachés auprès d'un organisme international, ont la possibilité de continuer à cotiser au régime prévu par le code des pensions civiles et militaires de retraite (art. L. 87 de ce code). Cependant, en ce cas, la pension servie au titre de ce régime ne pourra compléter la pension acquise au titre du régime propre à l'organisme international que dans la limite de la pension que le fonctionnaire aurait acquise en l'absence de détachement. C’est pourquoi, le cas échéant, la pension française est réduite à hauteur du montant de la pension servie par l'organisme international.

Mais la loi du 17 janvier 2002 (art. 20, VI), telle qu’éclairée par ses travaux préparatoires décide que, pour les agents en cours de détachement au 1er janvier 2002 qui n'ont pas demandé le remboursement des cotisations versées avant cette date au régime français, leur pension française ne fait l'objet d'aucun abattement au titre des droits acquis avant le 1er janvier 2002. 

Il s’ensuit que seule la fraction de la pension correspondant aux droits acquis après cette date, déterminée à proportion de la durée de services correspondante, est susceptible d'être réduite en application de l'article L. 87 précité.

(1er juillet 2020, M. X., n° 426263)

 

132 - Attribution de l'indemnité de résidence à un taux indu - Décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive - Décision ne pouvant plus être ni abrogée ni retirée - Illégalité de la décision ordonnant un paiement - Régularité d’une décision ordonnant la cessation de ce paiement - Cassation sans renvoi.

(22 juillet 2020, Ministre de l'intérieur, n°s 434697, 434702, 434704, 434705, 434707, 434709, 434711, 434713, 434714, 434717, 434719, 434721, 434722, 434724, quatorze espèces) V. n° 2

 

133 - Observatoire de Paris - Décision relative à une prime - Obligation de communication préalable du dossier (loi de 1905) - Caractère de mesure prise en considération de la personne sans effet ici - Rejet.

L’organisme requérant contestait l’annulation par la cour administrative d’appel de la décision de son président notifiant le montant de sa prime de recherche scientifique à l’un des agents de l’Observatoire au motif que celle-ci, prise en considération de sa personne et au vu de sa manière de servir, n’avait pas été précédée de la communication de son dossier à l’intéressé en violation de l’art. 65 de la célèbre loi de 1905.

Le Conseil d’État annule cet arrêt dans les termes suivants : « Il ne résulte d'aucun des textes cités ci-dessus (loi du 2 avril 1905, décret du 15 janvier 2002 fixant le régime de la prime de participation à la recherche scientifique dans certains établissements publics à caractère scientifique et technologique), ni d'aucun principe, que l'agent susceptible de bénéficier d'une prime qui tient compte de sa manière de servir, comme c'est le cas pour la prime de participation à la recherche scientifique, doive être mis à même de présenter ses observations préalablement à la décision de l'administration d'en fixer le taux ou d'en refuser l'attribution. L'agent n'ayant aucun droit à bénéficier de l'attribution ou d'un certain taux d'une telle prime, cette décision, alors même qu'elle est prise en considération de la personne de l'intéressé, n'est pas au nombre des mesures qui ne peuvent légalement intervenir sans que celui-ci ait été mis à même de prendre connaissance de son dossier. »

Cette solution peut surprendre en ce qu’elle brouille la catégorie juridique de nature jurisprudentielle des « mesures prises en considération de la personne », apparue avec : Sect. 24 juin 1949, Nègre, Rec. Leb. 404.

(1er juillet 2020, Observatoire de Paris, n° 427231)

 

134 - Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) - Régime indemnitaire des sapeurs-pompiers - Autorité compétente - Logement des sapeurs-pompiers - Indemnité substitutive - Conditions d’octroi - Cassation avec renvoi.

(29 juillet 2020, Mme X., n° 423420) V. n° 22

 

135 - Covid-19 - Enseignants du second degré - Recrutement - Concours interne de l’agrégation - Modifications du régime des épreuves du concours au titre de l’année 2020 - Absence de doute sérieux sur la légalité des mesures d’allègement des épreuves - Rejet.

Les requérants contestaient l’arrêté ministériel du 10 juin 2020 modifiant le régime des deux ou trois épreuves d'admission en les remplaçant par les résultats d'épreuves d’admissibilité, supprimant ainsi les oraux d'admission dans seize des sections de l'agrégation interne.

La demande de suspension d’exécution de cet arrêté est rejetée, le juge n’éprouvant aucun doute sérieux sur sa légalité, en l’état des informations disponibles et du peu de visibilité de l’évolution future concernant l’épidémie de Covid-19, cela alors même que, comme le suggèrent les requérants et comme cela a été un moment envisagé, étaient possibles la tenue des oraux aux moyen de visioconférences  ou encore le report des épreuves d’admission en septembre-octobre, la solution retenue n’étant pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

La solution semble par trop « laxiste » en faveur de l’administration au vu du sacrifice d’un certain nombre de caractéristiques essentielles du concours d’agrégation.

(ord. réf.  5 août 2020, Mme X. et autres, n° 442300 ; on lira aussi, identiques : ord. réf. 12 août 2020, Mme X. et autre, n° 442554 ; ord. réf. 12 août 2020, Mme X. et autres, n° 442658)

(136) V.  aussi, deux décisions très semblables s'agissant, d’une part, du concours interne du certificat d'aptitude au professorat du second degré (CAPES) (ord. réf. 12 août 2020, M. X. et autres, n° 442549) et d’autre part, du concours interne du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement technique (CAPET) (ord. réf. 12 août 2020, M. X. et autres, n° 442550). Ces deux dernières décisions appellent les mêmes réserves que les premières citées.

(137) V. encore, semblables et appelant d’identiques réserves s'agissant, d’une part, du concours interne du certificat d'aptitude au professorat de lycée professionnel (CAPLP) (ord. réf. 12 août 2020, M. X. et autre, n° 442555) et, d’autre part, du concours interne de recrutement des psychologues de l'éducation nationale (PSYEN) (ord. réf. 12 août 2020, Mme X. et autre, n° 442561).

(138) V. également, pareillement critiquables, à propos du concours interne du certificat d'aptitude au professorat d'éducation physique et sportive (CAPEPS) (ord. réf. 12 août 2020, M. X. et autres, n° 442558), du concours interne de recrutement des conseillers principaux d'éducation (ord. réf. 12 août 2020, Mme X. et autre, n° 442559) et du concours de recrutement des personnels de direction d'établissement d'enseignement ou de formation relevant du ministre de l'éducation nationale (PERDIR) (ord. réf. 12 août 2020, M. X. et autre, n° 442563).

 

139 - Fonctionnaires - Litiges en matière de pensions (art. R. 811-1, 7° CJA) - Compétence du tribunal administratif statuant en dernier ressort - Cas d’une demande d’octroi d’une rente viagère d’invalidité - Annulation partielle.

Un litige portant sur le refus d’octroyer à un fonctionnaire une rente viagère d’invalidité constitue un litige « en matière de pensions » au sens du 7° de l’art. R. 811-1 du CJA, lequel relève de la compétence du tribunal administratif statuant en dernier ressort.

(3 juillet 2020, M. X., n° 424647)

 

140 - Covid-19 - Concours d’entrée 2020 à l’Ecole polytechnique - Modifications apportées aux épreuves d’admissibilité et d’admission - Épreuves achevées à la date d’introduction de la demande de suspension - Rejet.

Irrecevabilité de conclusions à fin de suspension d’exécution d’épreuves de concours alors que le déroulement de celles-ci était achevé à la date d’introduction du référé suspension.

(ord. réf. 12 août 2020, Mme X., n° 442672)

 

141 - Ouvriers de l’État - Exposition à l’amiante - Droit à l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité - Droit à la liquidation anticipée de sa retraite - Cumul possible sous condition - Rejet du pourvoi contre le jugement et annulation de l’arrêt d’appel.

Dans cette décision, rejetant le pourvoi dont l’avait saisi la ministre des armées, le Conseil d’État déduit d’un ensemble de textes combinés entre eux (art. 1er du décret du 21 décembre 2001 relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'État relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'État ; art. 21 du décret du 5 octobre 2004 relatif au régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l’État et point XVI du I « travaux » de l'annexe du décret du 18 août 1967 fixant les conditions d'application du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'État) deux séries de conséquences importantes pour les ouvriers de l’État dont il convient de rappeler qu'ils constituent une catégorie juridique autonome.

En premier lieu, il leur est possible - sous réserve de réunir les conditions prévues par le décret du 5 octobre 2004 - d’obtenir le versement de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité dès lors qu’est atteint au moins l'âge de cinquante ans, et, au terme du versement de cette allocation, la liquidation anticipée de la pension de retraite, à partir de l'âge de cinquante-sept ans, en raison d’une exposition à l'accomplissement de travaux insalubres. 

En second lieu, il suit de là qu'une même période peut être prise en compte pour la détermination des droits à l'allocation spécifique et ensuite pour la détermination des droits à la liquidation anticipée de la pension, dès lors que sont satisfaites les conditions fixées respectivement par les décrets précités du 21 décembre 2001 et du 5 octobre 2004.

(10 juillet 2020, Ministre des armées, n° 427962)

 

142 - Emploi de professeur des universités-praticien hospitalier - Emploi ouvert à la mutation - Procédure suivie gravement irrégulière - Obligation, si l’emploi est toujours vacant, de recommencer l’ensemble de cette procédure - Annulations partielles et rejet pour le surplus.

La requérante était candidate par voie de mutation sur un emploi, ouvert par arrêté interministériel du 23 janvier 2019, de professeur des universités-praticien hospitalier en pédopsychiatrie, addictologie, option pédopsychiatrie, au centre hospitalier et universitaire de Paris (UFR Paris V), Pôle pédiatrie générale et pluridisciplinaire, service pédopsychiatrie, hôpital Necker Enfants malades. Elle a été informée par les services ministériels qu'en conséquence des avis défavorables émis par le conseil de gestion de l'unité de formation et de recherche (UFR) de médecine de l'université Paris V et par la commission médicale d'établissement (CME) de l'assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), sa demande de mutation ne pouvait aboutir. Elle forme un recours pour excès de pouvoir, partiellement rejeté en tant qu’il porte sur un document ne faisant pas grief.

S’agissant de la procédure suivie, le juge relève un grand nombre d’irrégularités en forme de florilège. 

Les avis émis en 2018, à l’occasion d’une précédente candidature, ont été portés à la connaissance des rapporteurs des dossiers des candidats dans le cadre de la mise en œuvre de la procédure résultant de la publication de l'arrêté du 23 janvier 2019. Ils étaient défavorables à la requérante et favorables à l’autre candidat.

Les rapporteurs au sein de la CME de l'AP-HP ont été destinataires d'un courriel d'un agent de la direction de l'organisation médicale et des relations avec les universités de l'AP-HP, chargé de suivre la procédure de recueil de l'avis de la CME, comportant l'indication suivante : « Je me permets d'attirer votre attention sur cette candidature, comme vous le savez, le Pr. Y. est le candidat attendu sur ce poste. Il fait actuellement l'objet d'une mise à disposition dans nos services en attendant une nomination officielle au 1/09/19 ». Au reste, M. Y. a commencé à exercer dans le service de pédopsychiatrie de l'hôpital Necker dès le 7 février 2019, alors que l'arrêté du 23 janvier 2019 ouvrant la procédure de recrutement a été publié au Journal officiel du 3 février 2019 et que, durant la procédure de recrutement, l'organigramme de l'hôpital et les ordonnances du pôle le présentaient comme chef de service.

Le juge ne peut que constater que : « Ces circonstances, comme ce qu'elles révèlent, n'ont pu demeurer sans influence sur les positions prises par les membres de la formation du conseil restreint de l'UFR de médecine de l'université Paris V et de la CME de l'AP-HP lorsqu'ils ont délibéré sur les candidatures présentées pour pourvoir le poste en cause et sur le déroulement de la procédure dans son ensemble. » Et de conclure avec un légitime agacement : « Alors que l'objet de la procédure organisée pour nommer dans les emplois offerts aux professeurs des universités-praticiens hospitaliers est de pourvoir ces emplois, conformément à l'intérêt du service, dans le respect du principe d'égalité entre les candidats, la procédure qui a été suivie en l'espèce a été irrémédiablement viciée et ne saurait, en conséquence, conduire à pourvoir l'emploi en cause ».

Cette annulation prononcée, elle   implique seulement, si l'emploi est toujours vacant, que la procédure soit reprise à son début. 

(3 juillet 2020, Mme X., n° 434812)

 

143 - Médecin contractuel des services déconcentrés du ministère des finances - Licenciement - Délai de consultation de son dossier - Temps disponible pour organiser sa défense - Caractère insuffisant - Dénaturation - Cassation avec renvoi.

Est entaché de dénaturation et encourt cassation de ce chef l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui juge régulière la procédure de licenciement d’une médecin, agent contractuel de l’État, alors que, par un courriel du 30 mars 2015, l'administration l’a invité à consulter son dossier le 9 avril 2015 entre 11h30 et 12h30, soit quelques heures avant l'entretien préalable à son licenciement fixé le même jour à 14h30 et que, par ailleurs, après avoir consulté son dossier, l’intéressée n'a disposé que de la seule journée du vendredi 10 avril 2015 pour préparer sa défense avant l'intervention de la décision prononçant son licenciement le lundi 13 avril 2015. 

(10 juillet 2020, Mme X., n° 428272)

 

144 - Règles de mutation et d’affectation des agents publics - Mouvement national de mutation géographique - Emplois occupés par des agents contractuels à temps indéterminé (CDI) - Absence d’obligation d’ouvrir ces derniers à la mobilité géographique - Rejet.

Le syndicat requérant demandait l’annulation de la note de service du 16 janvier 2020 du ministre de l'agriculture et de l'alimentation relative aux règles et à la procédure applicables aux demandes de mutation pour la campagne annuelle de mobilité des personnels enseignants et d'éducation de l'enseignement technique agricole public (personnels stagiaires, titulaires et contractuels à durée indéterminée) et sous statut " agriculture " de l'enseignement maritime, en vue de la rentrée scolaire de 2020, en ce que les dispositions pertinentes à cet effet ne font pas figurer sur les listes des postes accessibles à la mobilité la totalité des postes correspondant aux emplois permanents et à temps complet auxquels sont affectés des agents contractuels d'enseignement et d'éducation bénéficiant d'un contrat à durée indéterminée.

En somme, pour le syndicat l’administration avait l’obligation d’offrir à la mobilité tous les postes d’emplois permanents y compris ceux occupés par des agents en CDI.

Ce raisonnement est rejeté par le Conseil d’État qui estime, au contraire, au vu des dispositions combinées des lois du 13 juillet 1983 et du 11 janvier 1984 ainsi que du décret d’application de cette dernière du 17 janvier 1986, qu’« il appartient à l'administration, lorsqu'elle organise, comme en l'espèce, un mouvement collectif tendant à répondre aux voeux de certains agents de changement d'affectation géographique, de décider, en fonction de l'intérêt du service, si elle entend ou non ouvrir à la mobilité des emplois qui sont occupés par des agents contractuels recrutés en vertu d'un contrat à durée indéterminée ». C’est donc là une faculté non une obligation.

(29 juillet 2020, Syndicat national de l'enseignement technique agricole public - Fédération syndicale unitaire (SNETAP-FSU), n° 437891)

 

145 - Fonctionnaire territorial - Détachement sur un emploi fonctionnel - Mise en œuvre de l’obligation de réintégration - Distinction selon que l’emploi fonctionnel de détachement relève, ou non, de la collectivité d’origine de l’agent - Régime applicable - Cassation avec renvoi.

Lorsqu’un fonctionnaire territorial fait l’objet d’un détachement sur un emploi fonctionnel, il a droit à réintégration à l’expiration de son détachement. Il convient toutefois de distinguer.

1°/ Si le détachement a été fait sur un emploi fonctionnel relevant de la collectivité ou de l’établissement d'origine de l’agent, il appartient à celle-là ou à celui-ci de prendre en compte, sous réserve des nécessités du service, les emplois vacants à la date à laquelle cette collectivité ou cet établissement informe son organe délibérant, de la fin du détachement, ainsi que ceux qui deviennent vacants ultérieurement (la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, art. 53).

2°/ Si le détachement concernait un emploi fonctionnel ne relevant pas de sa collectivité ou de son établissement d'origine, il appartient à celle-là ou à celui-ci de prendre en compte, sous réserve des nécessités du service, les postes vacants à la date où cette collectivité ou cet établissement est informé de la fin du détachement, ainsi que ceux qui deviennent vacants ultérieurement.

Commet donc une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge que la commune n'était pas tenue de proposer au requérant le poste d'ingénieur en urbanisme, déclaré vacant en mai 2010, ni le poste d'ingénieur en risques professionnels, déclaré vacant en juin 2010, au motif qu'ils avaient été pourvus respectivement le 12 juillet 2010 et le 29 juillet 2010 et qu'ils n'étaient plus vacants le 31 août 2010, date de la fin de sa période de détachement, alors qu'il lui appartenait de rechercher si ces postes correspondaient à des emplois vacants à la date à laquelle le conseil municipal avait été informé de la fin du détachement de M. X. ou s'ils étaient devenus vacants ultérieurement.

(8 juillet 2020, M. X., n° 423759 et n° 424861)

 

146 - Circulaire et note de service - Circulaire instituant un système facultatif de suivi de compétence et pouvant déboucher sur un plan de formation - Circulaire devant être soumise à la consultation préalable d’un comité technique de réseau - Absence - Irrégularité - Annulation.

(15 juillet 2020, Syndicat national Solidaires Finances publiques, n° 423333) V. n° 7

 

147 - Fonctionnaire et agents publics - Mise en cause par un tiers à raison de l’exercice de ses fonctions - Obligation de lui assurer une protection fonctionnelle - Nature juridique de cette obligation - Conditions d’octroi - Rejet.

Était contestée la délibération d’un conseil municipal d’accorder à l’ancien maire de la commune la protection fonctionnelle, à l’occasion d’un litige l’opposant à un tiers, en prenant en charge les honoraires de son avocat.

Le Conseil d’État rappelle que l’octroi de cette protection fonctionnelle est une obligation pour la collectivité et qu’elle constitue un principe général du droit (vraisemblablement issu de : Section, 26 avril 1963, Centre hospitalier de Besançon, n° 42763, p. 243 ; v. aussi, dans la jurisprudence récente : 8 juin 2011, M. X., n° 312700 ; 29 juin 2020, M. X. c/ centre hospitalier Louis Constant Fleming de Saint-Martin, n° 423996), au reste confirmé par le législateur pour certaines catégories d’agents.

Négativement, cette protection est subordonnée à l’absence, d’une part, de faute personnelle de l’intéressé détachable de ses fonctions, à l’origine des attaques subies et, d’autre part, d’un motif d’intérêt général s’opposant à cette prise en charge. Positivement, cette protection couvre à la fois l’ensemble des frais de l’instance et les condamnations civiles éventuellement prononcées ainsi qu’en cas de poursuites pénales.

(8 juillet 2020, M. X., n° 427002)

(148) V. aussi, sur cette affaire, totalement identique : 8 juillet 2020, M. X., n° 427003.

 

149 - Conservateurs des hypothèques - Rémunération - Litige relatif aux rémunérations impayées - Délai de saisine du juge - Application de la prescription quadriennale et non de la règle du délai raisonnable - Rejet.

Un conservateur des hypothèques conteste le calcul opéré par le trésor public pour déterminer le montant de ses salaires demi-nets.

Ce contentieux met en jeu le mode détermination du délai de recours contentieux en ce cas.

Tout d’abord, le point de départ de ce délai ne saurait résulter de la date du bulletin de paie de cet agent public car ce bulletin ne revêt pas, en lui-même, le caractère d'une décision. Il en va ainsi alors même qu'il comporterait une simple erreur, qu'il s'agisse d'une erreur de liquidation ou de versement.

Ensuite, une demande tendant au versement de sommes impayées constitue la réclamation d'une créance de rémunération détenue par un agent public sur une personne publique, soumise comme telle à la règle de la prescription quadriennale fixée par la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968.

Enfin et par suite, ne saurait être opposée en ce cas la forclusion de l’action en justice à l’expiration d’une année (dite règle du délai raisonnable) à compter du jour où l’intéressé a pris connaissance de la décision.

(10 juillet 2020, M. X., n° 430769)

 

Hiérarchie des normes

 

150 - Polynésie française - Habilitation du gouvernement à prendre des ordonnances - Ordonnances de l’art. 38 et ordonnances de l’art. 74-1 de la Constitution - Distinction - Rejet.

La collectivité territoriale de Polynésie française demandait l’annulation des 4° et 5° de l'article 6 de l'ordonnance n° 2019-861 du 21 août 2019 visant à assurer la cohérence de diverses dispositions législatives avec la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Par ces dispositions, est rendue applicable en Polynésie française l’obligation que les organismes qui dispensent la formation conduisant à l'obtention ou au renouvellement des titres de la formation professionnelle maritime délivrés par l’État soient agréés par l'autorité administrative, ce qui a pour effet d’exclure les organismes de formation conduisant à l'obtention ou au renouvellement de titres de la formation professionnelle maritime qui seraient délivrés par la Polynésie française.

La collectivité requérante invoque divers moyens dont les principaux tiennent à la hiérarchie des normes, conduisant ainsi le Conseil d’État à rendre une riche décision qui aurait pu prendre la forme d’une décision de Section.

Il existe en Polynésie française deux sortes d’habilitations législatives susceptibles d’être conférées au gouvernement : d’une part, la classique habilitation fondée sur les dispositions de l’art. 38 de la Constitution, d’autre part, l’habilitation spécifique aux collectivités ultra-marines énumérées à l’art. 74 de la Constitution ainsi qu’à la Nouvelle-Calédonie, celle de l’art. 74-1. Cette dernière permet au gouvernement, dans les matières qui demeurent de la compétence de l'État, d'étendre, avec les adaptations nécessaires, les dispositions de nature législative en vigueur en métropole ou d'adapter les dispositions de nature législative en vigueur à l'organisation particulière de la collectivité concernée, sous réserve que la loi n'ait pas expressément exclu, pour les dispositions en cause, le recours à cette procédure.

De ces diverses dispositions constitutionnelles le Conseil d’État tire plusieurs conséquences.

1°/ Une loi d'habilitation prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, alors même qu'elle ne mentionnerait pas l'extension et l'adaptation des dispositions adoptées sur son fondement aux collectivités de l'article 74 de la Constitution et à la Nouvelle-Calédonie, autorise le Gouvernement non seulement à adopter les mesures entrant dans le champ de l'habilitation, mais aussi à les rendre applicables, au besoin en les adaptant, dans ces collectivités. Il n’en irait autrement que dans le cas où soit la loi d’habilitation en disposerait autrement soit il résulterait de l’économie générale de la loi d’habilitation que telle n'était pas manifestement l'intention de son auteur.

2°/ Une loi d'habilitation de l’art. 38 ne saurait par elle-même, sans disposition expresse en ce sens, autoriser le Gouvernement à étendre dans les collectivités de l'article 74 de la Constitution ou en Nouvelle-Calédonie des dispositions de nature législative déjà en vigueur en métropole.

3°/ Bien que les ordonnances de l’art. 38 et celles de l’art. 74-1 soient soumises à des régimes juridiques différents (notamment, pour celles relevant de ce dernier article : champ territorial d’application, matières en relevant, portée d’extension ou d’adaptation de la législation existante, conditions de ratification et de caducité),  une même ordonnance peut comporter des dispositions prises en vertu d'une loi d'habilitation adoptée sur le fondement de l'article 38 et des dispositions prises, après avis des assemblées délibérantes intéressées, en vertu de l'habilitation donnée au Gouvernement par l'article 74-1.

4°/ Il suit de là que les dispositions des 4° et 5° de l'article 6 de l'ordonnance du 21 août 2019 étendent, avec les adaptations nécessaires, des dispositions de nature législative en vigueur en métropole, sans que la loi du 5 septembre 2018 dont elles sont issues ait exclu le recours à cette procédure pour ces dispositions.

Elles trouvent ainsi leur base légale dans l'article 74-1 de la Constitution.  

Le recours de la Polynésie française est donc rejeté de ce chef.

(15 juillet 2020, Polynésie française, n° 436155)

 

Libertés fondamentales

 

151 - Étrangers - Étranger résidant habituellement en France durant sa minorité - Étranger devenu majeur - Obligation de solliciter un titre de séjour dans un certain délai - Illégalité de l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) avant l’expiration de ce délai - Rejet du pourvoi.

Lorsqu’un étranger résidait habituellement en France au temps de sa minorité, il doit, une fois devenu majeur, dans les deux mois, solliciter l’octroi d’un titre de séjour. C’est illégalement qu’un préfet prend un arrêté portant OQTF à l’encontre de cet étranger alors que n’est pas encore expiré le délai légal de deux mois pour demander un titre de séjour.

(1er juillet 2020, Ministre de l’intérieur, n° 425972)

 

152 - Étrangers - Procédure devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Changement d’adresse dument notifié - Envoi à l’ancienne adresse - Document de réception signé de l’intéressé - Convocation régulière à l’audience - Rejet.

N’est pas irrégulière la décision de la CNDA rendue à la suite, d’une part, d’une convocation envoyée à l’ancienne adresse de l’intéressé mais dont l’accusé de réception a été signé par lui, et d’autre part, d’une convocation régulière à l’audience.

(29 juillet 2020, M. X., n° 433511)

 

153 - Étrangers - Étranger auteur de multiples infractions - Objet de soins psychiatriques -Étranger ayant purgé sa peine - Personne ne représentant plus une menace grave pour la sûreté de l'État - Erreur de qualification - Annulation avec renvoi.

Pour juger, contrairement à l’OFPRA, qu’un étranger, auteur de plusieurs délits, ayant purgé sa peine, ne constitue plus une menace pour la sûreté de l’État, la CNDA  s’est fondée sur ce qu’il avait indemnisé les victimes de ses actes, et n'avait pas fait l'objet de poursuites ultérieures, qu’il avait bénéficié d'un suivi médical régulier dans le cadre de son obligation de soins et qu'il ne consommait plus de stupéfiants, et enfin qu'il bénéficiait d'un contrat de travail intérimaire à durée indéterminée depuis le 28 mars 2018 et menait une vie de famille.

Sur pourvoi de l’OFPRA, le Conseil d’État annule cette décision pour qualification juridique erronée des faits en raison de ce que l’intéressé avait été condamné pénalement, en 2011 et 2016, pour des faits d'outrage et de rébellion, d'usage illicite de stupéfiants, de menaces de mort réitérées, de menaces de mort et outrage à personne dépositaire de l'autorité publique, qu’il avait été contraint à une obligation de soins psychiatriques entre juillet 2016 et août 2018, qu’il avait fait l'objet d'une mesure administrative d'assignation à résidence assortie d'une obligation de se présenter au commissariat trois fois par jour du 8 août 2016 au 15 juillet 2017, et, enfin, qu’il avait aussi tenu à plusieurs reprises, notamment en janvier 2016, le 13 juin 2016 et le 27 juillet 2016, tant dans les locaux de la police d'Angoulême que lors des consultations psychiatriques dans le cadre de son obligation de soins, des propos faisant état de sa volonté de partir en Syrie et proféré des menaces de mort par voie d'égorgement et d'usage d’explosifs.

L’affaire est renvoyée à la CNDA.

(29 juillet 2020, Office français de protection des réfugiés et apatrides, n° 433645)

 

154 - Réfugiés - Effets sur la qualité de réfugié du changement de nationalité de ce dernier - Effets sur celui-ci du changement de nationalité de son conjoint - Acquisition de la nationalité française ou d’une autre nationalité - Régimes distincts - Annulation de la décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et renvoi devant elle.

Dans cette importante décision, le juge est amené à se prononcer sur les conséquences à tirer et sur le régime applicable à une personne ayant la qualité de réfugié soit lorsqu’elle change de nationalité (I) soit lorsque ce changement concerne son conjoint (II).

I. Dans le premier cas, l'acquisition d'une nouvelle nationalité par une personne ayant la qualité de réfugié constitue un motif légitime de cessation du statut dont il bénéficie. 

Si le pays de la protection duquel l'intéressé pourrait se réclamer à la suite de sa naturalisation n'est pas la France, l'OFPRA, s'il s'y croit fondé, peut mettre fin au statut de l'intéressé dans le respect des dispositions applicables à cette procédure.

Si le réfugié est devenu français, sa naturalisation met fin ipso facto à son statut de réfugié, sans qu'il soit besoin pour l'OFPRA de prendre une quelconque décision à cet égard.

II. Dans le second cas, l'acquisition d'une nouvelle nationalité par le conjoint d’un réfugié à qui cette qualité a été reconnue au titre de l'unité de la famille constitue un changement des circonstances imposant à l'OFPRA d'apprécier si l'intéressé, doit continuer à bénéficier de la protection qui lui avait été accordée. 

Si la nouvelle nationalité du conjoint est la nationalité française, la personne ayant obtenu la qualité de réfugié au titre de l'unité de la famille est susceptible de se voir délivrer de plein droit un titre de séjour en cette qualité (cf. art. L. 314-9, 3° du CESEDA). 

(1er juillet 2020, Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), n° 423272)

 

155 - Étrangers - Demande de titre de séjour - Nature de la décision convoquant l’étranger en préfecture - Absence de caractère décisoire - Régime du refus d’avancer la date de rendez-vous en cas d’urgence.

Répondant à plusieurs questions posées dans le cadre d’une procédure d’avis de droit (art. L. 113-1 du CJA), le Conseil d’État précise le cadre juridique des demandes de titres de séjour formulées par les étrangers.

Tout d’abord, il résulte des dispositions combinées des articles R. 311-12 et R. 311-12-1 du CESEDA que le silence gardé par l'administration sur les demandes de titre de séjour vaut décision implicite de rejet.

Ensuite, si aucune disposition législative ou réglementaire, notamment pas les articles R. 311-12 et R. 311-12-1 précités, ni aucun principe ne fixe de délai déterminé dans lequel l'autorité administrative serait tenue de recevoir un étranger ayant demandé à se présenter en préfecture pour y déposer sa demande de titre de séjour, il incombe néanmoins à celle-ci, après lui avoir fixé un rendez-vous, de le recevoir en préfecture et, si son dossier est complet, de procéder à l'enregistrement de sa demande dans un délai raisonnable.

Également, la convocation de l'étranger par l'autorité administrative à la préfecture afin qu'il y dépose sa demande de titre de séjour, qui n'a pas d'autre objet que de fixer la date à laquelle il sera, en principe, procédé à l'enregistrement de sa demande dans le cadre de la procédure devant conduire à une décision sur son droit au séjour, ne constitue pas une décision faisant grief, susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

Enfin, lorsque l’étranger souhaite que cette date soit avancée, il lui appartient d’en faire la demande et le refus éventuel fait grief, il est donc déférable au juge y compris au moyen du référé régi par l'article L. 521-3 du CESEDA bien que celui-ci ait un caractère subsidiaire. Le Conseil d’État précise à cet égard quel est l'office du juge de l'excès de pouvoir en cas d'annulation et quels sont ses pouvoirs d’injonction.

(avis, 1er juillet 2020, M. et Mme X., n° 436288)

 

156 - Réfugiés - Décision de transfert d’un réfugié - Délai de recours contentieux - Absence de caractère franc du délai - Application de l’art. 642 du code de procédure civile.

En réponse à une demande d’avis de droit le Conseil d’État indique que si, en principe, les délais de recours devant les juridictions administratives sont des délais francs, leur premier jour étant le lendemain du jour de leur déclenchement et leur dernier jour étant le lendemain du jour de leur échéance, il résulte des I et II de l'article L. 742-4 du CESEDA et du deuxième alinéa de l'article L. 742-5 du même code que les délais de contestation d'une décision de transfert d'un demandeur d'asile à destination de l'État responsable de sa demande, en particulier le délai de quinze jours, doivent être regardés comme des délais non-francs. 

Le Conseil d’État estime qu’en ce cas il convient de faire application des dispositions de l’art. 642 du code de procédure civile : Lorsque le délai expire un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, il y a lieu d'admettre la recevabilité d'une demande présentée le premier jour ouvrable suivant.

(avis, 1er juillet 2020, M. X., n° 438152)

 

157 - Loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique - Demande d’aide juridictionnelle - Libre choix de l’avocat - Désignation éventuelle de l’avocat par le bâtonnier - Refus de désignation - Exigences liées au droit à un recours effectif - Pouvoirs et devoirs du juge administratif - Annulation.

Dans un litige en récupération d’indus de RSA, le demandeur avait sollicité et obtenu l’aide juridictionnelle ce qui conduit le juge à préciser le régime juridique applicable en ce cas à la désignation d’avocat, en particulier lorsque le bâtonnier refuse de désigner un avocat pour défendre le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle.

Le Conseil d’État rappelle que la philosophie du mécanisme institué par la loi de 1991 consiste à permettre une défense effective aux personnes ne disposant à cet égard que de ressources insuffisantes. Pour autant, il ne s’agit pas d’une défense au rabais comme le prouve la présente affaire.

Tout d’abord, et c’est là un principe important, le bénéficiaire de l’aide dispose du droit de choisir son avocat.

Ensuite, si l’intéressé ne désire pas exercer de choix ou s’il n’a pas trouvé un avocat acceptant de plaider son dossier, il doit s’adresser au bâtonnier afin qu’il désigne l’un de ses confrères ou lui-même pour l’assister.

Enfin, en cas de refus du bâtonnier d’effectuer cette désignation, le juge administratif se reconnaît dans cette décision, pour la première fois semble-t-il, le pouvoir de surseoir à statuer en portant le cas échéant ce refus de désignation à la connaissance de l'intéressé et en lui impartissant un délai raisonnable à l'issue duquel il pourra statuer, sauf pour le requérant à avoir justifié de l'obtention du concours d'un avocat ou de sa contestation devant le juge judiciaire du refus de désignation du bâtonnier. 

Cette « contribution » à un processus procédural qui ne relève normalement que de la seule compétence du juge judiciaire se justifie pleinement « afin de garantir au requérant admis à l'aide juridictionnelle le bénéfice effectif du droit à l'assistance d'un avocat qu'il tire de la loi du 10 juillet 1991 ».

(22 juillet 2020, M. X., n° 425348)

 

158 - Covid-19 - Liberté du commerce et de l’industrie - Liberté d’entreprendre - Possibilité dérogatoire accordée à certains établissements de bouche d’installer des terrasses ou des places sur le domaine public - Dérogation subordonnée à la présentation d’un extrait Kbis ou d’un extrait d’immatriculation au Répertoire des métiers justifiant une vente pour consommer sur place -Exigence discriminatoire envers les associations - Absence dans les circonstances de l’espèce - Rejet.

En raison des mesures de distanciation s’imposant du fait de l’épidémie liée au coronavirus, les communes décident généralement d’apporter des dérogations aux règles habituelles d’occupation du domaine (public ou privé) pour y permettre l’installation de tables, terrasses et autres, ceci afin d’aider économiquement les entreprises concernées.

Le maire de Toulouse a subordonné l’octroi des autorisations dérogatoires à la la présentation, par les intéressés, d’un extrait Kbis ou d’un extrait d’immatriculation au Répertoire des métiers justifiant une vente pour consommer sur place. L’association requérante ne peut satisfaire à l’une ou l’autre de ces deux modalités en raison de sa nature associative. Elle demande donc l’annulation de cette réglementation motif pris de ce qu’elle serait discriminatoire envers toutes les associations. En effet, cette exigence revient à réserver la délivrance d'autorisations temporaires d'occupation du domaine public aux seules personnes inscrites au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, c'est-à-dire à des personnes physiques ou morales exerçant une activité commerciale ou artisanale, ce qui conduit à priver les associations ayant une activité de restauration du droit d'installer une terrasse devant leur établissement. 

Sa demande, déjà rejetée en première instance, est également rejetée par le juge d’appel au terme d’un raisonnement qui manque de convaincre. Selon lui le maire de Toulouse aurait seulement voulu, par là, obtenir un document attestant de l'existence juridique de l'entreprise sollicitant une autorisation d'occupation du domaine public et n’aurait pas été inspiré par la volonté de discriminer les associations régies par la loi du 1er juillet 1901. 

Ainsi, en l’absence d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de la requérante.

Reste qu’au total les associations, comme la requérante, se retrouvent Gros-Jean comme devant du fait de cette insatisfaisante décision ; sans terrasse la potion est amère.

(ord. réf. 20 juillet 2020, Association Itinéraire Bis, n° 441656)

 

159 - Covid-19 - Liberté d’expression et de communication - Liberté de manifester et de se réunir - Droit d'expression collective des idées et des opinions - Libertés fondamentales - Régime des rassemblements fixé aux I et II bis de l’art. 3 du décret du 31 mai 2020 - Interdiction sauf exception, constituant une mesure ni nécessaire ni adaptée ni proportionnée - Suspension ordonnée.

Les organisations requérantes demandaient la suspension de diverses dispositions réglementant la tenue de rassemblements et de manifestations, notamment le I, le II bis et le V de l'article 3 du décret du 31 mai 2020. Les premières requérantes fondaient leurs demandes sur l’art. L. 521-1 du CJA (référé suspension) et la dernière sur de l’art. L.521-2 du CJA (référé liberté).

Elles estimaient qu’il était ainsi porté une atteinte excessive à diverses libertés fondamentales (liberté d’expression et de communication, liberté de manifester et de se réunir, droit d'expression collective des idées et des opinions).

Après avoir rappelé les contraintes de fait et le cadre juridique résultant de l’épidémie de Covid-19, le Conseil d’État énonce que les libertés invoquées ont le caractère de libertés fondamentales et que leur réglementation dans la situation présente est suffisamment organisée par les dispositions du code de la sécurité intérieure (particulièrement les art. L. 211-1 et L. 211-4) sans qu’il soit besoin d’y ajouter les prescriptions particulières contenues dans les dispositions attaquées qui ne constituent pas une mesure nécessaire et adaptée, et, de ce fait, proportionnée à l'objectif de préservation de la santé publique qu'elles poursuivent en ce qu'elles s'appliquent aux rassemblements soumis par ailleurs à l'obligation d'une déclaration préalable en vertu de l'article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure. Ce moyen est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à leur légalité.

Comme par ailleurs il y a urgence à décider en raison du nombre des manifestations prévues et susceptibles d’être empêchées, se trouvent réunies les deux conditions nécessaires à la suspension demandée sans qu’il soit besoin de se prononcer, en outre, sur le fondement de l’art. L. 521-2 du CJA.

(ord. réf. 6 juillet 2020, Confédération générale du travail et autres, n° 441257 et n° 441263 ; Association SOS Racisme - Touche pas à mon pote, n° 441384)

 

160 - Covid-19 - Loi du 23 mars 2020 - Restrictions à la liberté de déplacement des individus - Pouvoir reconnu au premier ministre - Décision à caractère réglementaire - Incompétence du juge judiciaire - Absence d’atteinte au droit à recours effectif - QPC - Rejet.

Au soutien d’une demande de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre la disposition introduite par la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, permettant au premier ministre d’instituer des limitations aux déplacements des personnes hors de leur domicile, les requérants évoquaient, d’une part l’exclusion de la compétence du juge judiciaire, pourtant garant des libertés, pour en connaître  et l’atteinte portée à la règle du recours effectif en l’absence de possibilité de saisir le juge judiciaire.

Ces deux griefs sont rejetés par le double motif lié que, d’une part, les mesures d’interdiction éventuellement prises par le premier ministre sont des mesures réglementaires dont le contentieux de légalité relève du juge administratif, non du juge judiciaire, et que, d’autre part, la nature administrative de ces décisions permet l’exercice à leur encontre du recours pour excès de pouvoir qui est une voie d’accès effective au juge.

Toutefois, est éludée la question de la constitutionnalité sur ce point de la loi du 23 mars 2020 en ce que soit elle a nécessairement exclu la compétence du juge judiciaire à l’égard de décisions rendues en matière de libertés individuelles, soit elle a fait silence sur ce point. En cette seconde hypothèse, ne saurait d’ailleurs être déduite l’incompétence du juge judiciaire.

(22 juillet 2020, M. X. et association de défense des libertés constitutionnelles, n° 440149)

 

161 - Réfugiés - Réfugié auteur de plusieurs infractions - Condamnations pénales assorties de décisions d’interdiction du territoire français (ITF) - Libération conditionnelle décidée par le juge de l’application des peines - Effets sur une assignation à résidence - Rejet.

Le ministre de l’intérieur demande la cassation d’un arrêt de cour administrative d’appel annulant ses arrêtés d’assignation à résidence d’un ressortissant turc. Son pourvoi est rejeté.

Le Conseil d’État déduit de la combinaison, d’une part, des art. 131-30 du code pénal et 729-2 du code de procédure pénale, et d’autre part de l’art. L. 561-1, 5°, du CESEDA,  que si l'autorité administrative peut décider l'assignation à résidence d'un étranger faisant l'objet d'une interdiction du territoire à titre de peine complémentaire lorsqu'il justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français, ne pas pouvoir regagner son pays d'origine ni se rendre dans un autre pays, toutefois le prononcé, à l'encontre d'un ressortissant étranger condamné à une peine privative de liberté, d'une peine complémentaire d'interdiction du territoire ne fait pas obstacle à ce que le juge ou le tribunal de l'application des peines accorde à celui-ci le bénéfice d'une mesure de libération conditionnelle, l'interdiction du territoire français faisant alors l'objet d'une suspension puis, en cas d'absence de révocation de la décision de mise en liberté conditionnelle, d'un relèvement de plein droit. 

Par suite, même dans l'hypothèse où - comme en l’espèce -, un étranger a été condamné à plusieurs reprises à des peines assorties de mesures complémentaires d'interdiction du territoire, la suspension de l'interdiction du territoire français prononcée par le juge ou le tribunal de l'application des peines à la suite d'une mesure de libération conditionnelle fait obstacle à ce que soit prise une mesure d'assignation à résidence sur le fondement du 5° de l'article L. 561-1 du CESEDA.

En conséquence, la cour administrative d’appel, en estimant que le jugement du 2 juin 2015 du juge de l'application des peines suspendant l'exécution de l'interdiction du territoire prononcée le 21 septembre 2010 par la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel avait eu pour effet de priver de base légale les arrêtés du ministre de l'intérieur et du préfet du Bas-Rhin et en prononçant leur annulation, n'a pas commis d'erreur de droit.

(8 juillet 2020, Ministre de l’intérieur, n° 421570)

 

162 - Demandeur d’asile - Obligation d’assurer son logement et autres charges vitales de l’existence - Obligation incombant à l’État - Carence - Détermination du montant de la réparation - Cassation sans renvoi.

La requérante a demandé que l'État soit condamné à lui verser, en son nom et au nom de ses enfants mineurs, la somme de 4500 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de la carence des services de l'État à lui offrir un hébergement entre les 15 mai et 25 juin 2014 et entre les 8 et 10 juillet 2014. 

Sa requête ayant été rejetée, elle se pourvoit en Conseil d’État.

Tout d’abord, ce dernier juge avec raison que le tribunal a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que l’État n'avait pas méconnu les obligations qui lui incombaient à l'égard de la demanderesse et de ses enfants mineurs, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis qu’enceinte de huit mois, elle avait été contrainte de s'abriter avec son enfant, entre le 15 mai et le 25 juin 2014, dans le hall d'un établissement de santé puis dans une église et que, après son accouchement, les services sociaux du CHU de Nantes avaient, à de nombreuses reprises, attiré l'attention des services préfectoraux sur sa situation.

Ensuite, le Conseil d’État affirme, avec une grande netteté ici, qu’il résulte du code de l’action sociale et des familles (art. L. 348-1) le droit pour les demandeurs d’asile munis des documents nécessaires à cet effet, d’être accueillis, sur leur demande, dans les centres d'accueil prévus à cet effet. 

Il tire de là que « l'autorité compétente de l'État doit, aussi longtemps que l'étranger est admis à se maintenir sur le territoire en qualité de demandeur d'asile, lui assurer, selon ses besoins et ses ressources, des conditions d'accueil comprenant l'hébergement, la nourriture et l'habillement, fournies en nature ou sous forme d'allocations financières ». 

En cas de carence estimée fautive dans l’exécution de ses obligations l’État engage sa responsabilité à l'égard du demandeur d'asile. Il lui doit réparation au titre des troubles dans ses conditions d'existence, troubles qui doivent être appréciés et évalués  « en tenant compte, non seulement du montant de la prise en charge dont le demandeur d'asile a été privé du fait de cette carence, mais aussi, notamment, des conditions d'hébergement, de nourriture et d'habillement qui ont perduré du fait de la carence de l'État et du nombre de personnes dont le demandeur d'asile a la charge pendant la période de responsabilité de l'État. »

(8 juillet 2020, Mme X., n° 425310)

 

163 - Demandeur d’asile - Notion de « fuite » - Articles 29 du règlement européen du 26 juin 2013 et 7 du règlement de la Commission du 2 septembre 2003 - Application à l’espèce - Rejet.

La notion de fuite doit s'entendre comme visant le cas où un ressortissant étranger se serait soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement le concernant. 

Dans l'hypothèse où le transfert du demandeur d'asile s'effectue sous la forme d'un départ contrôlé, il appartient, dans tous les cas, à l'État responsable de ce transfert d'en assurer effectivement l'organisation matérielle et d'accompagner le demandeur d'asile jusqu'à l'embarquement vers son lieu de destination. Une telle obligation recouvre la prise en charge du titre de transport permettant de rejoindre, depuis le territoire français, l'État responsable de l'examen de la demande d'asile ainsi que, le cas échéant et si nécessaire, celle du pré-acheminement du lieu de résidence du demandeur au lieu d'embarquement. Enfin, dans l'hypothèse où le demandeur d'asile se soustrait intentionnellement à l'exécution de son transfert ainsi organisé, il doit être regardé comme en fuite au sens des dispositions de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013.

C’est donc par une exacte application des textes que le juge des référés du tribunal administratif a estimé que le requérant devait être regardé comme ayant pris la fuite, dès lors que, interpellé le 14 janvier 2020 et placé en rétention pour permettre l'exécution de l'arrêté de transfert, il a refusé d'embarquer le lendemain sur un vol prévu à destination de Vienne, alors que son départ avait été organisé et sans que ce refus d’embarquer puisse être justifié par le fait que l’appel formé par l'intéressé était alors pendant, un tel appel ne revêtant pas de caractère suspensif.

(ord. réf. 14 août 2020, M. X., n° 442738)

 

164 - Étrangers - Regroupement familial - Décision administrative de refus - Annulation juridictionnelle d’un précédent jugement annulant ce refus administratif - Conséquence pour le délai de retrait ouvert à l’autorité administrative - Rejet.

Importante décision dans laquelle le juge pose le principe qu’en « cas d'annulation, par une nouvelle décision juridictionnelle, du jugement ou de l'arrêt ayant prononcé l'annulation de la décision de rejet opposée à une demande d'autorisation de regroupement familial et l'injonction de délivrer l'autorisation sollicitée, et sous réserve que les motifs de cette décision juridictionnelle ne fassent pas par eux-mêmes obstacle à un nouveau rejet, l'autorité compétente peut, eu égard à la nature de l'autorisation ainsi délivrée, la retirer dans un délai raisonnable qui ne saurait excéder quatre mois à compter de la notification à l'administration de la décision juridictionnelle. Elle doit, avant de procéder à ce retrait, inviter le demandeur à présenter ses observations. »

Cette solution, déjà retenue en droit de l’urbanisme ou en droit de la fonction publique, est nouvelle en tant qu’elle s’applique au droit des étrangers.

(10 juillet 2020, Mme X., n° 430609)

 

165 - Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) - Impossibilité en cas d’attribution de plein droit d’un titre de séjour - Inapplication en cas de demande fondée sur un motif humanitaire ou de caractère exceptionnel (art. L. 313-14 CESEDA) - Moyen inopérant en ce cas - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge qu’un étranger demandeur d’un titre de séjour temporaire par motif d’humanité ou à caractère exceptionnel (art. L. 313-14 CESEDA) ne peut pas faire l’objet d’une OQTF. Ce n’est que dans le cas où le titre de séjour doit être délivré de plein droit qu’une OQTF est impossible. En revanche, dans l’hypothèse visée à l’article précité l’administration dispose d’un large pouvoir d’appréciation et le moyen tiré de cette disposition à l’encontre d’une OQTF est inopérant.

(29 juillet 2020, Mme X., n° 428231)

 

166 - Droit de manifester sur la voie publique - Participation à une manifestation interdite - Institution d’une amende - Décret se bornant à exécuter une loi - Légalité - Rejet.

Était demandée l’annulation du décret n° 2019-208 du 20 mars 2019 instituant une contravention pour participation à une manifestation interdite sur la voie publique en raison de ce que cette contravention porterait atteinte à une liberté fondamentale et serait infligée à des individus sans tenir compte de leur comportement individuel.

Le recours est rejeté au triple motif que la création de cette infraction pour participation à une manifestation sur la voie publique interdite résulte de la loi (art. L. 211-4 du code de la sécurité intérieure), que le décret attaqué, en choisissant de réprimer cette infraction au moyen d’une amende de la quatrième classe des contraventions, ne tend qu’à assurer un meilleur respect des interdictions décidées sur le fondement de l'article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure et, enfin, que l’infraction étant constituée du seul fait matériel de la participation à une manifestation interdite, il n’y avait pas lieu pour le décret litigieux de fixer l’amende en fonction du comportement individuel de chacun des participants concernés.

Ainsi, le décret ne faisant que sanctionner le non-respect de l'interdiction prévue par la loi, laquelle doit être justifiée par la nécessité de prendre une telle mesure pour préserver l'ordre public, ses dispositions ne portent pas, par elles-mêmes, atteinte à la liberté de manifester ni à la liberté d'expression garanties par l'article 11 de la Déclaration de 1789 et par les articles 10 et 11 de la CEDH. 

Le recours est rejeté.

(22 juillet 2020, Ligue des droits de l’homme, n° 429034)

 

167 - Immeubles menacés de péril - Atteintes alléguées au droit de propriété, à mener une vie familiale normale, au respect de la vie et au droit de n’être pas soumis à des traitements déradants - Carence prétendue d’une commune en matière d’habitat faisant l’objet d’un signalement ou d’un arrêté de péril - Demandes d’adoption de diverses mesures - Rejet.

La requérante reprochait au tribunal administratif d’avoir rejeté ses diverses demandes, formées en référé liberté, en matière d’habitat insalubre, dégradé ou menacé de péril, elle saisit le Conseil d’État.

Celui-ci rejette son appel entérinant en tous ses chefs l’ordonnance de première instance. 

En premier lieu, les demandes de la requérante tendant à ce qu'il soit enjoint à la ville de Marseille de se doter de moyens matériels et humains propres à lui permettre de résorber le stock de signalements de suspicion de péril non traités et d'immeubles en péril non suivis, de passer des marchés publics afin de se mettre en situation de pouvoir réaliser sans délai, sur l'ensemble de la ville, des travaux sur les immeubles faisant l'objet d'arrêtés de péril en lieu et place des propriétaires défaillants et d'assurer la formation juridique des agents du service de la sécurité des immeubles, ne sont pas, à l’évidence, de la nature de celles que peut ordonner le juge des référés statuant à bref délai.  Elles constituent en réalité un programme de politique publique que le juge ne saurait ordonner à une collectivité publique de définir.

En deuxième lieu,  est également rejeté, faute d’éléments précis et d’identification certaine des lieux concernés, l’argument de la requérante selon lequel subsisterait à ce jour un grand nombre de signalements d'immeubles suspectés de péril non traités, l'édiction des arrêtés de périls prendrait un temps anormalement long, l'interdiction d'occuper et d'utiliser les lieux ainsi que les périmètres de sécurité prescrits ne seraient pas respectés et seraient à l'origine d'occupations illégales et d'actes de vandalismes ou de cambriolages et la ville n'aurait jamais exécuté d'office des travaux en substitution des propriétaires défaillants, de sorte que le juge des référés aurait estimé à tort, compte tenu du grand nombre d'immeubles à traiter, des moyens nécessaires pour ce faire et de la durée inhérente à une telle action, que la ville de Marseille n'avait pas fait preuve, en la matière, d'une carence de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie, au droit de propriété, au droit au respect de la dignité humaine, au droit à une vie familiale normale et à l'intérêt supérieur de l’enfant.

Enfin, ne sont pas retenues non plus les demandes tendant à ce qu'il soit enjoint à la ville de Marseille de communiquer divers documents, car il n’est ni établi ni même soutenu que celle-ci aurait été saisie de demandes de communication de documents administratifs précisément identifiés auxquelles elle aurait refusé de faire droit.

(ord. réf. 22 juillet 2020, Association juridique du collectif du 5 novembre (AJC5N), n° 441902)

 

168 - Covid-19 - Droit d’accès au territoire français - Ressortissant français - Liberté fondamentale - Français en provenance de certains pays - Obligation d’examen biologique préalable de dépistage virologique - Non-lieu à statuer.

Un Français, en provenance des États-Unis, conteste la légalité de l'article 11 du décret modifié n° 2020-860 du 10 juillet 2020 faisant obligation aux personnes venant d’États figurant sur une liste, de présenter un test au Covid-19 négatif réalisé moins de soixante-douze heures avant l’embarquement. Il estime que cette mesure porte une atteinte illégale à sa liberté de circuler sur le territoire français.

Le juge des référés, qui était saisi sur le fondement de l’art. L. 521-2 CJA, constate que le droit d'entrer sur le territoire français constitue, pour un ressortissant français, une liberté fondamentale au sens de cette disposition (point 2 de l’ordonnance).

Toutefois, le consulat de France ayant délivré au requérant un « laissez-passer sanitaire », sa demande est devenue sans objet.

Il semble cependant pouvoir être déduit de l’affirmation contenue au point 2 de l’ordonnance que pour assurer la compatibilité entre la liberté fondamentale ainsi proclamée et les exigences sanitaires, l’État, s’il peut imposer un tel test, ne saurait rendre obligatoire sa réalisation préalablement à l’entrée sur le territoire français, ce que traduit en l’espèce le mécanisme palliatif du « laissez-passer sanitaire ».

(ord. réf. 18 août 2020, M. X., n° 442628)

(169) V. aussi, sur le même sujet, semblable en substance, l’ordonnance de rejet du même jour en raison du défaut d’urgence de la requête : ord. réf. 18 août 2020, M. X. et autres, n° 442581.

 

Police

 

170 - Autorisation du stationnement des véhicules sur des passages piétonniers - Pouvoirs et obligations du maire - Condition de légalité de l’atteinte au libre passage des piétons - Rejet.

Cette décision est l’occasion du retour d’un grand classique du droit de la police municipale, l’arrêt Association Les droits du piéton (Assemblée, 23 mars 1973, Rec. p. 245). 

L’association requérante conteste l’autorisation municipale permettant le stationnement des véhicules sur les lieux de circulation des piétons.

Le Conseil d’État réitère sa jurisprudence qui tente de concilier le principe du droit des piétons à circuler librement et la nécessité que les véhicules puissent s’arrêter quelque part. Il le fait dans une formulation des plus classiques : « Si le maire ne saurait légalement, dans l'exercice des pouvoirs de police (…) prendre des mesures contraires au code de la route, les dispositions de l'article R. 417-10 de ce code, (…) ne font pas obstacle à ce que, lorsque les besoins du stationnement et la configuration de la voie publique le rendent nécessaire, le maire autorise le stationnement de véhicules sur une partie des trottoirs, à condition qu'un passage suffisant soit réservé au cheminement des piétons, notamment de ceux qui sont à mobilité réduite, ainsi qu'à leur accès aux habitations et aux commerces riverains et qu'une signalisation adéquate précise les emplacements autorisés. »

Constatant que ces conditions, comme l’avaient estimé les juges de première instance et d’appel, sont satisfaites en l’espèce, le juge rejette le pourvoi.

(8 juillet 2020, Association Les droits du piéton en Vendée, n° 425556)

 

171 - Police des jeux et des casinos - Lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme - Étendue de la compétence du pouvoir réglementaire -Subdélégation régulière - Portée de l’obligation de vigilance des entreprises concernées - Contrôle des procédures internes - Exigence d’un rapport annuel - Irrégularité - Rejet pour l’essentiel.

Le syndicat requérant demandait au juge l’annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 25 février 2019 du ministre de l'intérieur relatif aux procédures internes et au contrôle interne mis en place par les opérateurs de jeux ou de paris visés au 9° de l'article L. 561-2 du code monétaire et financier pour lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Le recours est rejeté pour l’essentiel sauf sur un point.

Est tout d’abord rejetée l’exception d’illégalité tirée de ce que les dispositions du c) de l'article R. 561-38-9 du code monétaire et financier renvoyant, pour les personnes mentionnées au 9° de l'article L. 561-2, à un arrêté du ministre chargé de l'intérieur le soin de déterminer les modalités d'application des articles R. 561-38 à R. 561-38-8 du même code, notamment en ce qui concerne la nature et la portée des procédures internes devant être mises en place, il ne saurait être soutenu que l'article R. 561-38-9, sur le fondement duquel ont notamment été adoptés les articles 3 à 8 de l'arrêté attaqué, aurait procédé à une subdélégation illégale. En effet, les dispositions des articles R. 561-38 et R. 561-38-1 permettent d'encadrer avec une précision suffisante l'objet et l'étendue de la délégation ainsi attribuée par le pouvoir réglementaire.

Ensuite, sont rejetées trois autres critiques. 

En premier lieu, l’art. 7 de l’arrêté attaqué, en prévoyant que les personnes assujetties en vertu du 9° de l'article L. 561-2 du code monétaire et financier établissent « les procédures internes applicables pour répondre à leurs obligations de déclaration et d’information » et en se référant aux dispositions réglementaires prises pour l'application des articles L. 561-15 et suivants du même code, n'a pas excédé le champ de la délégation de compétence opérée par le c) de son article R. 561-38-9.

En deuxième lieu, le syndicat requérant ne saurait soutenir que l’art. 9 dudit arrêté méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 561-32 du code monétaire et financier ou excéderait le champ de la délégation de compétence opérée par le c) de l'article R. 561-38-9 du code monétaire et financier en ce qu’il prévoit que l'entreprise mère d'un groupe auquel appartiennent les personnes assujetties visées au 9° de l'article L. 561-2 du code monétaire et financier « met également en place, pour ce qui la concerne, un dispositif de contrôle interne adapté ». Cette disposition, d'une part, doit être regardée comme visant les entreprises mères mentionnées au deuxième alinéa de l'article L. 561-32 du même code, soit les entreprises mères des groupes auxquels appartiennent les personnes assujetties ayant leur siège social en France, d'autre part, se borne à expliciter les conditions dans lesquelles ces entreprises mères veillent au respect de l'organisation et des procédures internes qu'elles définissent.

En troisième lieu, il ne saurait être soutenu que les dispositions de l’arrêté querellé porteraient atteinte au principe de légalité des délits dans la mesure où, précisément, les articles 3, 5, 6, 7 et 12, qui précisent la nature et la portée des procédures internes devant être établies par les personnes assujetties et qui explicitent le contenu des activités de contrôle interne qu'elles doivent mettre en place, définissent un contenu minimal pour ces procédures et pour leur contrôle. Au reste, ces dispositions ne sauraient conduire à un constat de manquement et au prononcé d'une sanction que dans l'hypothèse où une obligation suffisamment claire a été préalablement définie dans ce cadre de sorte qu'il apparaisse, de façon raisonnablement prévisible par les personnes assujetties, que le comportement litigieux constitue un manquement à ces obligations. 

Enfin, est prononcée l’annulation de l’art. 13 de l’arrêté litigieux en tant que celui-ci impose aux personnes mentionnées au 9° de l’art. L. 561-2 du code monétaire et financier, ainsi que, le cas échéant, à la société mère du groupe auquel elles appartiennent, l'élaboration et la transmission d'un rapport annuel « sur l'organisation du dispositif de contrôle interne ainsi que sur les incidents survenus, les insuffisances constatées et les mesures correctrices qui y ont été apportées » alors que le décret en Conseil d'État prévu par le III de l'article L. 561-32 du même code a fait le choix, aux articles R. 561-38-6 et R. 561-38-7 de ce code, de n'imposer l'élaboration et la transmission d'un tel document qu'aux personnes assujetties au dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme mentionnées aux 1° à 2° sexies, 6° et 6° bis de l'article L. 561-2 du même code.

(10 juillet 2020, Syndicat des casinos modernes de France (SCMF), n° 430172)

 

172 - Police des jeux et paris - Monopole de La Française des jeux - Loi du 22 mai 2019 - Interdiction de la liberté constitutionnelle d’entreprendre pour 25 ans - Motifs légitimes d’octroi de ce monopole - Rejet d’une QPC.

La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises ayant, dans son art. 137,  décidé que l'exploitation des jeux de loterie commercialisés en réseau physique de distribution et en ligne ainsi que des jeux de pronostics sportifs commercialisés en réseau physique de distribution est confiée pour 25 années à la seule société La Française des jeux, la société requérante soulève à son encontre une question prioritaire de constitutionnalité fondée sur l’interdiction de la liberté d’entreprendre qui en résulte.

Rejetant le recours, le Conseil d’État juge que l’interdiction « limitée » (sic) de cette liberté est justifiée ici par la poursuite d’objectifs à valeur constitutionnelle « de préservation de l'ordre public et du droit à la protection de la santé ainsi que par les objectifs d'intérêt général fixés par l'article 3 de la loi du 22 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, désormais codifiés à l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure ».

Le juge estime qu’il n’a pas à s’arrêter, d’une part, à la circonstance que les objectifs poursuivis par le législateur pouvaient être atteints par d'autres moyens, et d’autre part, au fait que le législateur a ouvert à la concurrence les jeux de pronostics sportifs en ligne ou de ce qu'il a autorisé le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société La Française des jeux.

On sera réservé sur la légitimité de cette solution tant au regard de la durée du monopole que des objections prestement balayées par le juge.

(19 août 2020, Société The betting and gaming council, n° 436439, n° 436441 et n° 436449)

 

173 - Permis de conduire étranger - Demande d’échange avec un permis français - Cas où le demandeur a le statut de réfugié - Authenticité du permis présenté ou droit à conduire du demandeur - Régime de vérification - Champ d’application de la procédure contradictoire - Rejet.

Le juge était saisi par une personne de nationalité afghane ayant le statut de réfugié, d’une demande d’annulation du jugement ayant rejeté son recours contre la décision préfectorale lui refusant l’échange de son permis de conduire afghan avec un permis français.

Dans une importante décision le Conseil d’État donne aux administrations préfectorales et au juge administratif un vade-mecum complet de la conduite à tenir lorsqu’un doute pèse sur l’authenticité du permis étranger ou sur la réalité du droit à conduire du pétitionnaire et après qu’a été, le cas échéant, saisi le service spécialisé dans la détection de la fraude documentaire placé auprès du ministre de l'intérieur aux fins qu'il se prononce sur l'authenticité du titre de conduite étranger.

1°/ Si l'autorité compétente estime que cette authenticité est établie sans que subsiste, par ailleurs, de doute sur la validité des droits à conduire de son titulaire, l'échange ne peut être légalement refusé, dès lors que ses autres conditions sont satisfaites.

2°/ Si l’autorité compétente estime que le caractère falsifié du titre de conduite est établi, elle rejette la demande d'échange de permis de conduire, sans être tenue de mettre préalablement en mesure l'intéressé, alors même qu'il a le statut de réfugié, de lui soumettre des éléments de nature à établir l'authenticité de son titre ou la validité de ses droits à conduire. C’était le cas en l’espèce, d’où le rejet du recours.

3°/ Si l’autorité compétente conserve un doute sur l'authenticité du titre de conduite ou si elle conserve un doute sur la validité des droits à conduire du demandeur, il lui appartient, faute de pouvoir se fonder sur une consultation des autorités du pays à l'égard duquel le demandeur a obtenu le statut de réfugié, de mettre ce dernier en mesure de lui soumettre tous éléments de nature à faire regarder l'authenticité de son titre ou la validité de ses droits à conduire comme suffisamment établies et d'apprécier ces éléments en tenant compte de sa situation particulière. L'administration ne peut en ce cas légalement refuser l'échange sans avoir invité le demandeur à fournir de tels éléments. Si, à l'issue de cette procédure, le doute persiste, l'échange ne peut légalement avoir lieu.

Qui contestera que « juger l’administration c’est encore administrer » (selon le célèbre aphorisme de N. Henrion de Pansey) ?

(22 juillet 2020, M. X., n° 431299)

 

174 - Covid-19 - Discothèques, boites de nuit et autres - Interdiction de réouverture - Atteintes portées à diverses libertés fondamentales - Atteintes justifiées en l’état du risque sanitaire et des caractéristiques de ces établissements - Rejet.

Les requérants contestaient le maintien - malgré l’autorisation d’ouverture des restaurants et débits de boissons - de l’interdiction de réouverture des établissements en cause, d’abord prise sur le fondement des dispositions du décret du 21 juin 2020 puis sur celles du décret du 10 juillet 2020 qui reprend les dispositions antérieures.

Rejetant les requêtes dont il était saisi, le juge du référé liberté du Conseil d’État, après rappel des circonstances de fait relatives à l’épidémie de coronavirus et de leur encadrement juridique, indique, d’abord, que cette interdiction est conforme aux préconisations du Haut conseil de santé publique. Il relève ensuite que les règles imposées aux restaurants, bars et cafés (obligation de rester assis, masques, distance d’un mètre, nombre très limité de personnes) ne sont guère applicables aux établissements de nuit. Il rappelle encore leur caractère invariablement clos ainsi que la nature inévitablement physique de la danse, incompatible avec l’exigence d’une certaine fixité. Enfin, est rejetée la demande que les requérants puissent au moins bénéficier de ce qui a été accordé aux cafés et restaurants car le contrôle du respect des gestes barrières y est incomparablement plus difficile.

(ord. réf. 13 juillet 2020, Société Plaza Mad et autres, n° 441449 ; Syndicat national des discothèques et lieux de loisirs, n° 441552 et n° 441771, jonction)

(175) V. aussi, très semblable : ord. réf. 20 juillet 2020, Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH), n° 441801.

(176) V. également, à peu près identiques : ord. réf. 28 juillet 2020, Société Nénuphar, n° 442039 ; Société Chanel, n° 442073 ; Société Jadoulau, n° 442074 ; Société Angego, n° 442076 ; Société JetA, n° 442078 ; Société Discothèque 555, n° 442080 ; Société Del’événement, n° 442082 ; Société Le Bugatti, n° 442124 ; Société Night, n° 442131)

 

177 - Police de la circulation - Permis de conduire - Retrait de points. - Obligation d’information (art. L. 223-3 et R. 223-3 code de la route) - Existence d’une information non établie - Annulation.

Le contentieux du retrait de points sur le permis de conduire suscite un contentieux qui ne tarit pas.

Lorsqu’il n’est pas établi que l’information du conducteur auquel des points ont été retirés de son permis de conduire, prévue aux art. L. 223-3 et R. 223-3 du code de la route, ait été donnée, les points retirés à la suite de cette procédure irrégulière doivent être rétablis. Si le solde des points était nul du fait de ces retraits intempestifs, l’administration a l’obligation de rétablir les points induments retirés et de restituer le permis de conduire à son titulaire.

(19 août 2020, M. X., n° 420675)

(178) V. aussi, dans une hypothèse où l’un des retraits de points est jugé régulier, la preuve d’une information ayant été fournie, et l’autre est jugé illégal en raison du caractère incomplet de l’information (art. L. 223-3 et R. 223-3 c. route) : 19 août 2020, M. X., n° 437705.

(179) V. également, admettant comme établie l’existence de l’information requise par les textes précités, soit du fait de la production par l’administration des réclamations présentées par l'intéressé devant l'officier du ministère public, auxquelles étaient joints les avis d'amendes forfaitaires majorées qui lui avaient été adressés par l'administration et qui comportaient ces informations (19 août 2020, M. X., n° 434652) soit du fait que le contrevenant s’est acquitté du montant de l'amende forfaitaire relevée à son encontre (19 août 2020, M. X., n° 437703).

 

Professions réglementées

 

180 - Médecin spécialisé en ORL - Changement de département - Expertise ordonnée - Inscription au tableau de l’ordre refusée dans le département d’accueil- Obligation de suivre préalablement une formation ORL - Étendue du contrôle du juge - Portée des résultats de l’expertise - Rejet.

A l’occasion d’un changement de département, en 2017, un médecin spécialiste ORL, qui avait pris sa retraite en 2005, demande son inscription au tableau de l’ordre des médecins du nouveau département de résidence. Après avoir ordonné une expertise, le conseil départemental de l’ordre, confirmé ensuite par une décision du conseil national, subordonne cette inscription à l’accomplissement de trois semestres de formation pratique et théorique.

L’intéressé saisit le Conseil d’État.

Une double question se posait au juge en raison de ce que si l'expertise n'a pas conclu à l'insuffisance professionnelle du requérant, deux des experts étant favorables à ce qu'il poursuive une activité médicale en oto-rhino-laryngologie en cabinet, en cessant toutefois son activité chirurgicale « en tant qu'opérateur » et le troisième expert étant favorable à la poursuite de la totalité de son activité, les conseils (départemental et national) de l’ordre ont, eux, estimé nécessaire une suspension d’exercice jusqu’au terme de la formation qu’ils ont imposée au demandeur.

D’où la double question : Les instances ordinales pouvaient-elles aller très au-delà des préconisations expertales ? Le juge peut-il, pour répondre à cette question exercer un contrôle sur l’analyse même opérée par l’ordre ?

Le juge répond positivement à chacune de ces questions. Tout d’abord, il exerce désormais un contrôle plein et entier sur l'appréciation portée par les instances ordinales des professions médicales sur la compétence professionnelle du praticien qui sollicite son inscription au tableau de l'ordre. Cette fonction ordinale est essentielle puisqu’elle est la garantie que les patients peuvent s’adresser à ce praticien (cf. art. L. 4112-1 et suivants du code de la santé publique), celui-ci ne pouvant pas exercer sans inscription au tableau de l’ordre.

Ensuite, au cas d’espèce, faisant application de ce principe, il examine tous les éléments du dossier et, in fine, constate que c’est sans erreur de droit ni de fait que l’ordre a pu avoir des doutes sur l’aptitude professionnelle d'un praticien qui, lors de sa demande en 2017, était à la retraite depuis douze ans et n’avait suivi aucune formation professionnelle depuis 1998 soit près de vingt années.

(3 juillet 2020, M. X., n° 425335)

(181) V. aussi, comparable : 3 juillet 2020, M. X., n° 434506.

(182) V. également, où s’opposent un conseil départemental et le conseil national de l’ordre des médecins sur la compétence d’un praticien : 3 juillet 2020, Conseil départemental des Bouches-du-Rhône de l'ordre des médecins, n° 433466.

 

183 - Conseil de l’ordre - Réception d’une plainte contre un de ses membres - Association de ce conseil à cette plainte et transmission des deux plaintes à la juridiction disciplinaire - Irrégularité éventuelle de la délibération ordinale joignant sa propre plainte à celle dont il était saisi - Absence d’effet sur la recevabilité de la première plainte - Rejet.

La plainte formée par une instance ordinale contre l’un de ses membres, qu’elle soit spontanée ou jointe à une autre plainte dont cette dernière est saisie, constitue toujours une plainte autonome dont le traitement juridique est indépendant de celui appliqué à l’autre plainte. Il suit de là que lorsque, comme en l’espèce, un conseil de l’ordre est saisi d’une plainte à laquelle il se joint, l’éventuelle irrégularité de sa délibération quant à la décision de joindre sa plainte est sans effet sur la recevabilité de la plainte dont il a été saisi.

La solution semble évidente, encore fallait-il le dire…

(3 juillet 2020, M. X., n° 428469)

 

184 - Géomètre-expert - Atteinte aux règles déontologiques - Réalisation d’un bornage par un géomètre au profit de sa fille majeure - Conditions du bornage présentées comme discutables - Plainte d’un tiers devant les instances ordinales - Absence d’intérêt suffisant lui donnant qualité pour agir - Cassation avec renvoi.

Est jugée irrecevable pour absence d’intérêt donnant qualité à agir, la plainte d’un tiers devant la juridiction disciplinaire de l’ordre des géomètres-experts dirigée contre un géomètre ayant réalisé un bornage pour le compte de sa fille majeure dans des conditions présentées comme déontologiquement discutables.

(10 juillet 2020, M. X., n° 428837)

 

185 - Pharmacien d'officine - Concurrence déloyale - Articles de presse et émissions de radio relatifs à une officine - Obligation d’établir les préjudices subis - Sanction disciplinaire irrégulière - Cassation.

Un pharmacien d’officine est sanctionné par la juridiction disciplinaire de l’ordre des pharmaciens au motif que du fait d’articles de presse et d’émissions de radio consacrés à son officine il aurait fait une concurrence déloyale à ses confrères.

Sur pourvoi de l’intéressé le Conseil d’État annule la décision de sanction car le prononcé de celle-ci ne peut intervenir sans qu’ait été rapportée la preuve des préjudices subis par les « victimes » de cette concurrence prétendue déloyale.

(22 juillet 2020, M. X., n° 431963)

 

186 - Notaire - Candidature d'une notaire salariée - Avis d’un confrère sur cette candidature - Domaine de la communication d'un tel document - Nature de document administratif communicable (loi du 17 juillet 1978) - Annulation de la décision refusant sa communication.

(10 juillet 2020, Conseil régional des notaires de la cour d’appel de Dijon, n° 429690) V. n° 1

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

187 - Loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique - Rupture conventionnelle (art.  72, I al. 10 et 11) - Conditions d’assistance du salarié Atteintes au principe d’égalité et aux droits proclamés au sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 946 - Question présentant un caractère sérieux - Renvoi au Conseil constitutionnel.

Deux organisations syndicales dont les recours sont joints par le juge contestent la constitutionnalité de deux dispositions du I de l’art. 72 de la loi du 6 août 2019 dite de transformation de la fonction publique, en ce que, relatives aux conditions d’assistance des agents en cas de rupture conventionnelle, elles portent atteinte tant au principe d’égalité qu’aux droits reconnus par le sixième alinéa du Préambule de 1946 (droit du travailleur à la défense de ses intérêts par l’action syndicale et droit d’adhérer au syndicat de son choix). 

Cette question, estimée nouvelle et pouvant être regardée comme présentant un caractère sérieux, est renvoyée au Conseil constitutionnel.

(15 juillet 2020, Syndicat des agrégés de l'enseignement supérieur (SAGES), n° 439031 ; Syndicat national des collèges et des lycées (SNCL) ,  n° 439216)

 

188 - Ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires - Limitations des actions en justice susceptibles d’être dirigées contre les assemblées parlementaires (al. 4 de l’art. 8 de l’ordonnance de 1958) - Création d’une plate-forme de dépôt en ligne sur le site internet du Sénat des pétitions adressées au Sénat - QPC - Conditions non réunies - Rejet.

Le Conseil d’État refuse de transmettre au Conseil constitutionnel une QPC fondée sur l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution que porterait l’art. 8 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées en méconnaissant le droit à recours effectif.

Cette disposition a déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (décision n° 2011-129 QPC du 13 mai 2011, Syndicat des fonctionnaires du Sénat) et la création d’une plate-forme de dépôt en ligne sur le site internet du Sénat des pétitions adressées au Sénat ne constitue pas un changement dans les circonstances de fait qui justifierait un nouvel examen de cette question par le Conseil constitutionnel.

(16 juillet 2020, M. X., n° 440659)

 

189 - Réduction d’impôts pour acquisition, sous certaines conditions, d’un logement neuf ou en l’état futur d’achèvement - Détermination du coût d’acquisition du bien (X bis de l’art.  199 novovicies du CGI) - Inclusion des frais et commissions facturés par les intermédiaires - Distinction selon que ces frais et commissions excèdent ou non un certain seuil - Infliction possible d’une amende - Caractère sérieux de la question - Renvoi.

Le X bis de l’art. 199 novovicies du CGI institue une réduction d'impôt sur le revenu au profit des contribuables qui acquièrent, sous certaines conditions, un logement neuf ou en l'état futur d'achèvement qu'ils s'engagent à louer nu à usage d'habitation principale pendant une durée minimale. Selon ce texte cette réduction est calculée sur la base du prix de revient du bien immeuble, lequel comprend le montant des frais et commissions facturés par les professionnels de l'intermédiation commerciale qui sont intervenus lors de la vente, dans la limite d'un plafond fixé par décret. 

Dans le cas où le montant des frais et commissions correspondant au coût des prestations d'intermédiation commerciale est facturé à un montant supérieur à ce plafond, le vendeur est assujetti à une amende administrative.

Les organisations requérantes soulèvent chacune la même question prioritaire de constitutionnalité, leurs demandes sont jointes.

Le Conseil d’État considère que la question posée présente un caractère sérieux et ordonne son renvoi - tant en raison du moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment le principe constitutionnel d'égalité devant la loi en ce qu'elles ne soumettent pas à la règle du plafonnement du montant des frais et commissions le coût des prestations commerciales accomplies sans que le vendeur ait recours à un intermédiaire extérieur, qu’en raison de l’atteinte portée à la liberté d'entreprendre en ce qu'elles conduisent à entraver de manière disproportionnée la libre fixation des tarifs des professionnels -, et qu'elle soulève une question présentant un caractère sérieux.

(22 juillet 2020, Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM), n° 438805 ; Association française de l'immobilier locatif (AFIL), n° 438996)

 

190 - QPC - Fin de non-recevoir invoquée à l’encontre d’une QPC devant le Conseil d’État lorsque celui-ci n’est pas compétent - Compte-tenu du délai de trois mois pour statuer, obligation pour le juge saisi de se prononcer sur le renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel - Rejet de la fin de non-recevoir.

Dans cette affaire le ministre défendeur avait opposé une fin de non-recevoir à la demande de renvoi d’une QPC au Conseil constitutionnel en raison de ce que le Conseil d’État, qui avait été saisi en premier et dernier ressort, n’était pas saisi d’un litige portant sur l’une des matières où joue la compétence dérogatoire du Conseil d’État.

Rappelant une jurisprudence constante, celui-ci rejette la fin de non-recevoir car, devant statuer dans le délai de trois mois sur la demande de renvoi de la QPC, il doit statuer sans se prononcer sur sa compétence pourtant discutée.

(29 juillet 2020, Communauté de communes Chinon Vienne et Loire, n° 436586)

 

191 - Articles L. 711-1 et L. 711-2 CESEDA - Dispositions rappelant l’applicabilité de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés - Absence de nature de disposition législative - Dispositions se bornant à mettre en oeuvre les dispositions inconditionnelles et précises d’une directive de l’Union européenne - Refus de renvoyer une QPC.

Pour refuser de renvoyer au Conseil constitutionnel la QPC dont il était saisi, le Conseil d’État invoque, ici, deux arguments. En premier lieu, la QPC ne peut être dirigée que contre une disposition législative, tel n’est pas le cas des art. L. 711-1 et L. 711-2 CESEDA en tant qu’ils se bornent à rappeler l’applicabilité des dispositions de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ce « rappel » ne constituant pas, à proprement parler, une « disposition législative ». En second lieu, ces articles se bornent à mettre en oeuvre les dispositions inconditionnelles et précises de la directive européenne du 13 décembre 2011 sans mettre en cause une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, ils n'entrent donc pas dans le champ d'application des exceptions permettant leur renvoi au Conseil constitutionnel.

(29 juillet 2020, Mme X., n° 435812)

(192) V. aussi, identique : 29 juillet 2020, Mme X., n° 435813.

 

193 - Permis de construire - Sursis à statuer sur une demande d’urbanisme susceptible d’impacter un futur plan local d’urbanisme (art. L. 15311 c. urb.) — Absence d’atteinte au droit de propriété en raison des limitations imposées par la loi - Absence d’atteinte au droit à recours - Rejet de la demande de renvoi d’une QPC.

La requérante entendait faire juger l’inconstitutionnalité des dispositions de l’art. L. 153-11 du code de l’urbanisme en ce qu’il permettrait à l'autorité compétente de surseoir à statuer sur une demande d'autorisation d'urbanisme au motif que le projet serait de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du plan local d'urbanisme en cours d'élaboration, sans permettre au pétitionnaire de contester la légalité des dispositions du plan qui justifient cette décision. Par là ces dispositions porteraient atteinte tant au droit de propriété qu’au droit à recours.

Pour rejeter ces deux arguments d’inconstitutionnalité, le Conseil d’État relève :

1°/ que si la finalité du sursis à statuer est de permettre à l'autorité administrative de surseoir à statuer sur une demande d'autorisation d'urbanisme lorsque celle-ci est susceptible de compromettre ou de rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan local d’urbanisme, ce pouvoir n’est pas sans garde-fous. La décision de sursis doit procéder de l’intérêt général, être motivée, ne peut excéder deux ans. Surtout, s’imposent à la décision de sursis, d’une part, l’existence d'orientations ou de règles que le futur plan local d'urbanisme pourrait légalement prévoir et dont la réalisation ou le respect pourrait être compromis en l’absence du pouvoir de surseoir à statuer, et, d’autre part, ce sursis ne peut être opposé qu'après qu'a eu lieu le débat sur les orientations générales du plan d'aménagement et de développement durable. De ce fait, l’atteinte portée au droit de propriété, ainsi encadrée, n’est pas disproportionnée au point de rendre inconstitutionnelle la disposition litigieuse.

2°/ Dès lors que le pétitionnaire peut, lorsqu’un sursis lui est opposé, contester par voie d’exception d’illégalité la légalité du futur plan d’urbanisme (cf. sur ce point le n° 224) ; il ne saurait donc être prétendu que la disposition litigieuse porterait une atteinte substantielle au droit à recours effectif.

(5 août 2020, SCI du Domaine de la Tour, n° 436940)

 

194 - Police des jeux et paris - Monopole de La Française des jeux - Loi du 22 mai 2019 - Interdiction de la liberté constitutionnelle d’entreprendre pour 25 ans - Motifs légitimes d’octroi de ce monopole - Rejet d’une QPC.

(19 août 2020, Société The betting and gaming council, n° 436439, n° 436441 et n° 436449) V. n° 172

 

Responsabilité

 

195 - Intervention chirurgicale - Responsabilité pour faute - Défaut d’information sur les risques d’une intervention chirurgicale - Faute médicale ayant entrainé une perte de chance d’éviter la réalisation du risque - Calcul de l’indemnité de réparation - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Souffrant de la main droite (maladie de Dupuytren), le patient requérant s’est vu proposer une intervention chirurgicale sans que soient indiqués les risques d'algodystrophie qu’elle comportait. A la suite de cette intervention, il demeure atteint de grandes difficultés d’utilisation de sa main et en sollicite réparation.

La cour administrative d’appel, estimant que le défaut d'information sur les risques consécutifs à l'opération avait fait perdre au demandeur une chance de 25 % de se soustraire à celle-ci et que les fautes commises lors de cette intervention lui avaient fait perdre une chance de 25% d'éviter l'algodystrophie, a jugé que le taux de perte de chance d'éviter le dommage devait être fixé à 25 %.

Le Conseil d’État, au bénéfice du pouvoir souverain d’appréciation de la cour, retient les mêmes pourcentages mais, constatant une erreur de droit dans le calcul du taux de perte de chance, casse l’arrêt sur ce point.

En effet, pour déterminer ce taux, la cour devait additionner : 1° le taux de la perte de chance de l’intéressé de se soustraire à l'opération, c'est-à-dire la probabilité qu'il ait refusé l'opération s'il avait été informé du risque d'algodystrophie qu'elle comportait, soit 25% et 2° le taux de sa perte de chance résultant de la faute médicale commise lors de l'opération, ce taux étant multiplié par la probabilité qu'il ait accepté l'opération s'il avait été informé du risque d'algodystrophie qu'elle comportait. Le Conseil d’État en conclut donc qu’il devait résulter un taux global de 25 % + (25 % x 75 %) = 43,75 % et non de 25%.

(8 juillet 2020, M. X., n° 425229)

 

196 - Élections législatives - Propagande électorale - Dysfonctionnement de la commission de propagande électorale - Responsabilité de l’État susceptible d’être recherchée - Nature et étendue des chefs de préjudice - Annulation partielle du jugement du tribunal administratif.

Dans cette importante décision qui eût pu avoir l’honneur d’être rendue en Section, le Conseil d’État pose le principe de la responsabilité de l’État à raison de dysfonctionnements dans le comportement de la commission de propagande.

Le ministre défendeur demandait la cassation du jugement ayant retenu cette solution, son pourvoi est, logiquement rejeté.

En l’espèce, un candidat et le parti auquel il appartient avaient constaté que les circulaires et bulletins de vote de ce candidat prévus aux articles R. 29 et R. 34 du code électoral n'avaient pas tous été distribués : ils avaient demandé l’indemnisation du préjudice financier lié aux frais d'impression exposés en vain ainsi que la réparation du préjudice moral.

Alors que les premiers juges avaient estimé indemnisable le préjudice résultant de l’impression de bulletins et circulaires non distribués, le Conseil d’État considère qu’il eût fallu pour cela que le candidat et son parti invoquassent la perte de chance d'obtenir au moins 5% de suffrages exprimés et donc, en conséquence, le remboursement de ces dépenses. Or tel n’était pas le cas dans la présente affaire.

En revanche, le tribunal est approuvé pour avoir indemnisé le préjudice moral subi de ce fait.

Demeure donc cette affirmation de principe qui fait tout l’intérêt de cette décision : « Le candidat à une élection législative a la possibilité, s'il s'y croit fondé, de demander réparation à l'État du préjudice financier que les éventuelles fautes commises par la commission de propagande ont pu lui causer en le privant d'une chance sérieuse d'obtenir, en recueillant 5 % des suffrages exprimés, le remboursement des frais de propagande qu'il a exposés. »

(8 juillet 2020, Ministre de l’Intérieur, n° 438228)

 

197 - Office national des infections nosocomiales, des infections iatrogènes et des accidents médicaux (ONIAM) - Offre partielle d’indemnisation - Refus partiel d’indemnisation - Liaison du contentieux en cas de recours juridictionnel subséquent - Point de départ des délais de recours contentieux - Cassation partielle et renvoi dans cette mesure.

(8 juillet 2020, Mme X., n° 426049) V. n° 37

 

198 - Délai de recours contentieux contre une décision administrative individuelle -Notification irrégulière ne déclenchant pas le délai de recours - Inapplication de la règle du délai raisonnable quand la décision est relative à la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique - Erreur de droit de l’arrêt contraire - Cassation avec renvoi.

(29 juillet 2020, Communauté de communes de la Plaine dijonnaise, n° 423631) V. n° 32

 

Santé publique

 

199 - Covid-19 - Prescription du clonazépam injectable - Compétence du premier ministre concernant la prescription d’un médicament non conforme à son autorisation de mise sur le marché - Administration de cette substance à des personnes non hospitalisées - Rejet.

La requête était fondée sur le double motif d’illégalité relevée par elle à l’encontre de l'article 20 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. D’une part le premier ministre n’aurait pas disposé de la compétence nécessaire pour permettre la prescription du clonazépam injectable en vue de la prise en charge des patients atteints ou susceptibles d'être atteints par le virus SARS-CoV-2 dont l'état clinique le justifie dans la mesure où cette prescription n’est pas conforme à l’autorisation de mise sur le marché de ce médicament et, d’autre part, une telle substance ne pouvait être administré à des personnes non hospitalisées.

Compte tenu de l’état de catastrophe sanitaire né de l’épidémie de Covid-19 et de l’état de détresse respiratoire de certains patients, le juge du référé suspension du Conseil d’État rejette la requête.

(ord. réf. 9 juillet 2020, M. X. et Mme Y., n° 441521)

 

200 - Référé liberté - Décision d’arrêt des traitements d’un patient - Décision prise le 29 juin 2020 connue seulement de la famille le 29 juillet 2020 - Décision ni motivée ni inscrite dans le dossier du patient - Suspension ordonnée - Désignation d’une expertise en complément d’une médiation - Définition de la mission expertale - Annulation partielle de l’ordonnance du premier juge.

Un patient se trouvant dans un état de coma durable et d’une évolution prévisible vers un état végétatif persistant, l’équipe médicale décide le 29 juin 2020 la limitation puis l’arrêt des thérapeutiques actives. En réalité si des éléments de l’état de santé du patient ont été communiqués à la famille, cette décision du 29 juin ne lui a pas été formellement communiquée (il convient ici d’indiquer que les membres de cette famille ne sont pas ou peu francophones), elle n’est d’ailleurs pas inscrite au dossier du patient et donc pas motivée.

Le juge des référés considère, à juste titre, que la famille n’a réellement pris connaissance de la décision d’abandon des soins que le 29 juillet. 

Constatant l’illégalité des conditions d’adoption de la décision, notamment en sa forme, laquelle constitue ici une garantie de plusieurs libertés fondamentales, le juge en ordonne la suspension ainsi que, en sus de la médiation déjà en cours, la désignation d’experts aux fins qu’ils répondent aux diverses questions qu'il pose et effectuent les investigations qu’il indique.

L’ordonnance de première instance est annulée en tant qu'elle dit n'y avoir pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande tendant à la suspension de la décision contestée, en ce qu'elle concerne la limitation de traitement, statue sur les conclusions tendant à ce qu'une expertise soit ordonnée et omet de statuer sur les conclusions aux fins d'injonction.

(ord. réf.  6 août 2020, Mme X. et autres, n° 442268)

 

Service public

 

201 - Enseignement supérieur - Frais d’inscription - Principe constitutionnel de gratuité de l’enseignement - Application en l’espèce - Respect du principe d’égalité - Principe de non-discrimination - Distinction entre diplômes nationaux et autres diplômes - Modalités d’appréciation du caractère éventuellement excessif des droits d’inscription - Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation du décret du 19 avril 2019 fixant le régime d'exonération des droits d'inscription applicables aux étudiants étrangers inscrits dans les établissements publics d'enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l'enseignement supérieur et celle de l'arrêté interministériel du 19 avril 2019 relatif aux droits d'inscription dans les établissements publics d'enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l'enseignement supérieur qui a fixé les montants annuels des droits d'inscription devant être acquittés à compter de l'année universitaire 2019-2020 par les étudiants inscrits dans les établissements publics d'enseignement supérieur relevant exclusivement du ministre chargé de l'enseignement supérieur en vue de la préparation d'un diplôme national ou d'un titre d'ingénieur diplômé.

Les recours sont rejetés au terme d’une très longue analyse des différents griefs articulés à l’encontre de ces deux textes. Trois d’entre eux retiennent l’attention.

Tout d’abord n’est pas retenu le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de la loi et de l'incompétence du pouvoir réglementaire car le Conseil constitutionnel a jugé (11 octobre 2019, Union Nationale des Etudiants en Droit, Gestion, AES, Sciences Economiques, Politique et Sociales (U.N.E.D.E.S.E.P.), n° 2019-809 QPC) que le troisième alinéa de l'article 48 de la loi du 24 mai 1951, qui prévoit que sont fixés par arrêté du ministre intéressé et du ministre du budget " (...) Les taux et modalités de perception des droits d'inscription, de scolarité, d'examen, de concours et de diplôme dans les établissements de l'État ", ne méconnaît aucun droit ou liberté que la Constitution garantit. Dès lors les dispositions législatives en cause ne sont pas inconstitutionnelles ni non plus, par voie de conséquence, les décret et arrêté attaqués qui ont été pris sur leur fondement. Pas davantage les ministres qui en sont les auteurs n’étaient incompétents pour édicter une telle réglementation.

Ensuite, ne saurait être retenu le moyen tiré de la méconnaissance du treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, selon lequel « La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État ». Il résulte, d’une part, de l’ensemble des possibilités d’aides et/ou de dispense de paiement des droits d’inscription, d’autre part, de la proportion que ces droits ainsi diminués ou supprimés, représentent par rapport au coût annuel moyen de chaque étudiant pour la nation, que les montants des droits d'inscription susceptibles d'être effectivement à la charge des étudiants, ne font pas, par eux-mêmes, obstacle à un égal accès à l'instruction et, par suite, ne méconnaissent pas les exigences constitutionnelles énoncées dans l’alinéa sus-rappelé.

Enfin, le juge n’aperçoit en l’espèce nulle méconnaissance du principe d'égalité entre les usagers du service public du fait qu’aient été fixés des frais d'inscription différents selon qu’ils s’appliquent à des étudiants ayant, quelle que soit leur origine géographique, vocation à être durablement établis sur le territoire national ou à des étudiants venus en France spécialement pour s'y former. La différence de traitement est justifiée par la différence des situations et ne se traduit pas, au demeurant, par des montants de frais d'inscription manifestement disproportionnés au regard de l'objectif poursuivi de formation de la population appelée à contribuer à la vie économique, sociale, scientifique et culturelle de la Nation et à son développement. Pas davantage ne traduit une inégalité inconstitutionnelle la circonstance que les frais d’inscription « de faveur » sont aussi applicables, d'une part, en vertu du droit de l'Union, de l'accord sur l'Espace économique européen et de l'Accord du 21 juin 1999 entre la Communauté européenne, ses États-membres et la Suisse sur la libre circulation des personnes, aux ressortissants de ces États, aux membres de leur famille autorisés à y séjourner et aux personnes titulaires d'un titre de résident délivré par l'un de ces États, et d'autre part, aux ressortissants des États ayant conclu avec la France des accords internationaux, comportant des stipulations sur l'acquittement des droits d'inscription ou sur l'obligation de détenir un titre de séjour.

(1er juillet 2020, Union nationale des étudiants en droit, gestion, AES, sciences économiques, politiques et sociales (U.N.E.D.E.S.E.P.), n° 430121 ; M. X. et autre, n° 430266 ; Mme X. et autre, n° 431133 ; Ligue des droits de l'Homme, n° 431510 ; Union nationale des étudiants de France (UNEF), n° 431688)

 

202 - Covid-19 - Enseignements secondaire et supérieur - Organisation des épreuves du baccalauréat - Substitution du contrôle continu aux épreuves ter finales normalement prévues - Établissements d’enseignement français à l’étranger hors contrat - Absence de bénéfice du contrôle continu - Principe d’égalité - Inexistence d’un système de surveillance et de contrôle  sur les établissements non homologués - Situation différente de celles des établissements homologués - Absence d’atteinte à la légalité - Rejet.

Les demanderesses voulaient obtenir la suspension d’exécution de l'article 2 du décret n° 2020-641 du 27 mai 2020 relatif aux modalités de délivrance du baccalauréat général et technologique pour la session 2020 en tant qu'elles écartent les élèves des établissements des lycées français à l'étranger non homologués du bénéfice de l'obtention de l'examen du baccalauréat par le contrôle continu, ce qui violerait le principe d’égalité.

Le recours est rejeté parce que le principe d’égalité ne s’oppose pas, à certaines conditions, à ce que des personnes placées dans des situations différentes reçoivent un traitement juridique différent.

Les établissements français à l'étranger hors contrat, pour être homologués, doivent justifier d'un enseignement et d'une évaluation conformes à l'appréciation des connaissances, des compétences et de la culture déterminée par les programmes, aux objectifs pédagogiques et aux règles d'organisation applicables en France tels que définis par le ministre chargé de l'éducation. 

Or les candidats au baccalauréat pour la session 2020 issus des établissements français à l'étranger non homologués, ou n'ayant pas été en mesure de présenter, avant les mesures de confinement prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, une demande d'homologation, n’ont, par suite, été soumis à aucun contrôle visant à apprécier leur conformité aux exigences applicables aux autres établissements.

Ainsi, placés dans une situation différente de celle des candidats issus des établissements homologués, ils ne sauraient prétendre que le décret contesté instaurerait une rupture d'égalité et un traitement discriminatoire entre les élèves issus d'établissements homologués ou ayant déposé une demande d'homologation et les élèves issus d'établissements non homologués.

(ord. réf. 28 juillet 2020, Mme X. et autre, n° 441645)

 

203 - Hôpital public - Conventions autorisant des radiologues privés à accéder aux équipements, espaces et personnels de manutention, de l’établissement - Versement par l'établissement d'une quote-part du forfait technique perçu par lui pour chaque acte réalisé - Engagement des radiologues à assurer la continuité de l'offre de soins durant leurs vacations et à mettre à disposition du centre hospitalier leur personnel de secrétariat - Résiliation unilatérale des conventions en raison du caractère disproportionné de leurs stipulations  les rendant sans contrepartie réelle - Obligation de tenir compte de l’équilibre général de chaque convention - Cassation de l’arrêt d’appel avec renvoi.

Est cassé l’arrêt d’appel qui pour dire justifiée la résiliation de conventions conclues entre un centre hospitalier et des radiologues privés, se borne à constater que les frais de personnel de secrétariat, seuls pris en charge par les médecins radiologues, ne sont qu'une faible partie de ceux que le forfait technique rémunère, pour en déduire que le montant du reversement d'une partie du forfait technique perçu par le centre hospitalier prévu par les stipulations précitées était manifestement disproportionné. En effet, les conventions en cause prévoyaient l’autorisation pour les radiologues d’accéder aux équipements, espaces et personnels de manutention, de l’établissement, le versement par l'établissement d'une quote-part du forfait technique perçu par lui pour chaque acte réalisé, l’engagement des radiologues à assurer la continuité de l'offre de soins durant leurs vacations et la mise à disposition du centre hospitalier du personnel de secrétariat de ces médecins

La cour devait donc tenir compte de l'équilibre général de chaque contrat conclu entre le centre hospitalier et lesdits praticiens.

Il faut approuver une solution qui respecte pleinement la commune intention des parties en procédant à une analyse globale de l'économie générale du contrat en tant qu'ensemble de droits et d’obligations réciproques.

(10 juillet 2020, Mme A., n° 432336 ; M. B, n° 432341 ; M. C., n° 432342 ; M. D., n° 432343 ; Mme  E., n° 432344 ; Mme F., n° 43235)

 

204 - Distribution et fourniture d’énergie électrique - Dispositions du code de l’énergie - Compatibilité avec le droit de l’Union européenne - Service économique d’intérêt général - Existence et conséquence - Rejet.

(10 juillet 2020, Mme X., n° 423901) V. n° 99

 

Sport

 

205 - Résultats d’une rencontre sportive - Contestation par un club tiers par voie de référé suspension - Suspension ordonnée - Contestation par la fédération sportive nationale - Non-lieu à statuer en dépit de la suspension - Recours sans objet - Rejet.

En l’espèce, l’association Union Sportive des Clubs du Cortenais (USCC) avait formé un recours pour excès de pouvoir contre la décision par laquelle la commission fédérale des règlements et contentieux de la Fédération française de football a infligé à l'AS Furiani-Agliani la perte par pénalité de la rencontre du championnat de Régional 1 de la Ligue corse de football du 24 mars 2019 l'ayant opposée au FC Balagne et donnant la victoire au FC Balagne, cette décision ayant entrainé, par voie de conséquence, le reclassement de ce club à la première place du championnat et donc de priver le club requérant de la promotion en division supérieure.

Le juge rappelle tout d’abord le principe selon lequel les clubs tiers ne sont pas recevables à contester directement les résultats d'une rencontre sportive.

Ici, le juge des référés a suspendu la décision de la commission fédérale des règlements et contentieux de la Fédération française de football.

Cette dernière se pourvoi en cassation contre cette ordonnance de suspension. Le Conseil d’État, estime qu’il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi dirigées contre cette suspension car eu égard à la nature et à l'effet utile de la procédure de référé suspension, le litige, qui porte sur la détermination des clubs appelés à participer à un championnat, doit être regardé comme privé d'objet dès la date à laquelle ce championnat a commencé, alors même que la décision contestée a été suspendue par le juge des référés.

(1er juillet 2020, Fédération française de football, n° 433079)

(206) V. aussi, très semblable dans son principe : 1er juillet 2020, EUSRL Gazélec FC Ajaccio, n° 433747.

 

207 - Covid- 19 - Football - Matches de « play-offs » - Suppression par décision de la Ligue de football professionnel - Fédérations sportives, délégataires d’un service public administratif - Décisions de nature administrative - Choix entre « saison blanche » ou arrêt de la compétition selon des modalités à fixer - Absence de doute sérieux sur l’option pour ce second terme de l’alternative - Rejet.

Par sa requête fondée sur l’art. L. 521-1 CJA, le club demandeur sollicitait :

- d’une part, que soit ordonnée la suspension de l'exécution de la décision du 30 avril 2020 par laquelle le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a supprimé les matchs de " play-offs " devant opposer les clubs ayant terminé 3ème, 4ème et 5ème de Ligue 2 ainsi que le match de barrage devant opposer le vainqueur de ces play-offs au 18ème de Ligue 1, en tant qu'elle a pour effet le maintien en Ligue 2 du club arrivé en dix-huitième position ;

- d’autre part, qu’il soit enjoint à la Ligue de football professionnel de prendre ou de faire prendre par toute instance compétente toutes dispositions permettant l'accès en Ligue 1 du club classé en troisième position de la Ligue 2.

Sans surprise, eu égard à l’abondant contentieux déjà tranché par la juridiction des référés et aux solutions retenues antérieurement, le recours est rejeté.

Le juge constate l’existence d’un vide juridique lorsque des circonstances imprévues conduisent à interrompre les compétitions de façon définitive avant leur terme et juge qu’il appartenait au conseil d'administration de la Ligue, soit, s'il estimait que l'équité sportive ne devait pas conduire à procéder à un classement, de retenir le principe d'une " saison blanche ", soit, dans le cas contraire, de décider selon quelles modalités le classement serait arrêté et, le cas échéant, des relégations et accessions auraient lieu.

Le moyen tiré de ce que le choix retenu en ce qui concerne le classement, consistant à avoir arrêté un classement définitif sur la base de celui existant à l'issue de la 28ème journée, méconnaîtrait les principes éthiques du sport, au motif que certains clubs avaient rencontré davantage de clubs mieux ou moins bien classés que d'autres, n'est pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée. Il considère qu’il en va de même du moyen tiré de ce qu'à défaut de pouvoir organiser des « plays-offs » et un match de barrage, le conseil d'administration de la Ligue aurait dû faire application du règlement des compétitions dans sa rédaction antérieure à la saison 2017-2018 et permettre ainsi l'accès automatique en Ligue 1 du 3ème de Ligue 2, quitte à modifier le format de la Ligue 1.

L’absence de doute sérieux sur la légalité de la mesure dispense d’examiner l’éventuelle existence de la condition d’urgence.

(6 juillet 2020, Société Athletic Club Ajaccien (ACA) Football, n° 441314).

(208) V. aussi, largement comparables : 7 juillet 2020, Société US Orléans Loiret Football, n° 441443 ; Société anonyme sportive professionnelle (SASP) Le Mans Football Club, n° 441450.

(209) V. également, très semblables : ord. réf. 9 juillet 2020, Société anonyme sportive professionnelle (SASP) Amiens Sporting Club Football, n° 441559 et n° 441585.

(210) V. encore, largement identique : 16 juillet 2020, Association Le Puy foot 43 Auvergne, n° 441776

 

211 - Fédération française de football (FFF) - Compétences et pouvoirs de ses différents organes - Comité exécutif saisi d’un recours préalable obligatoire - Procédure d’évocation, procédure distincte de la précédente - Inapplicabilité à ce comité de l’art. 5 de l'annexe à la convention conclue entre la FFF et la Ligue de football professionnel (LFP) portant règlement de la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) - Rejet.

La société sportive requérante avait demandé au tribunal administratif de condamner la Fédération française de football à lui verser une somme avec intérêts en réparation du préjudice résultant pour elle de l'illégalité de la décision du 25 juillet 2012 par laquelle son comité exécutif a décidé, pour la saison sportive 2012-2013, de maintenir en championnat Ligue 2 l'équipe première, soit la SASP Le Mans FC. Elle se pourvoit contre l’arrêt d’appel confirmatif du jugement rejetant sa demande indemnitaire.

Le litige mettait en jeu le régime juridique applicable aux procédures se déroulant devant certains organes de la FFF.

Le Conseil d’État apporte un certain nombre de précisions et quelque clarté dans un ensemble normatif qui en manque singulièrement.

Tout d’abord, la direction nationale du contrôle de gestion n’ayant pas une personnalité morale distincte de celle de la Fédération, a, en conséquence, le caractère d'un organe de la Fédération, au nom de laquelle elle prend les décisions relevant des compétences qui lui sont attribuées. 

Ensuite, le code du sport institue un recours préalable obligatoire avant tout recours contentieux contre une décision prise par une fédération dans l'exercice de prérogatives de puissance publique ou en application de ses statuts en vue de résoudre le conflit né de cette décision. Il appartient donc, au sein de chaque fédération intéressée, à l’autorité compétente à cet effet, qui est partie à la conciliation, de se prononcer sur les mesures proposées par le ou les conciliateurs. 

Cette autorité prend ainsi une décision qui se substitue à la décision initiale, objet du litige, et qui, en cas d'acceptation des mesures proposées, ne consiste pas en une simple approbation du dispositif et des motifs de la proposition de conciliation mais constitue une décision propre de cette autorité.

Egalement, le comité exécutif de la FFF, lorsqu'il prend sa décision à la suite de ce recours préalable obligatoire à une conciliation, exerce ses pouvoirs sur le fondement des dispositions de l'article 18 des statuts de la Fédération et non dans le cadre de la procédure d'évocation prévue par les dispositions de l'article 199 des règlements généraux de la FFF, auquel renvoie l'article 13 de son règlement intérieur. La précision est très importante. En effet, si dans le cadre de ce pouvoir d'évocation, le comité ne peut réformer la décision prise qu'en cas de violation des statuts et règlements de la Fédération ou d'atteinte aux intérêts généraux dont la Fédération a la charge, le comité n'est pas tenu par ces conditions dans le cadre des décisions prises, comme en l'espèce, sur le fondement des dispositions de l'article 18 des statuts. 

Enfin, aux termes de l'article 5 de l'annexe à la convention conclue entre la FFF et la Ligue de football professionnel portant règlement de la direction nationale du contrôle de gestion, lorsque la décision d'une des commissions de contrôle de cette direction est contestée devant sa commission d'appel: « (…) tout document et/ou engagement nouveau que le club voudrait présenter devra être impérativement produit au plus tard lors de son audition devant la Commission d'appel et être, à cette date, dûment concrétisé ». Toutefois ces dispositions ne sont pas applicables au comité exécutif de la FFF qui, lorsqu'il statue dans le cadre de la procédure de conciliation, y compris lorsque celle-ci porte sur une décision de la commission d'appel de la DNCG, peut tenir compte d'éléments produits postérieurement à une telle décision. Il lui est également loisible, préalablement à sa décision, de procéder à toute consultation qu'il juge utile.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la cour administrative d'appel n'a - contrairement à ce qui est soutenu par la demanderesse - pas commis d'erreur de droit en l'espèce. Le pourvoi est rejeté.

(29 juillet 2020, Société anonyme sportive professionnelle (SASP) Football Club de Metz, n° 426357)

 

212 - Covid-19 - Clubs de football rétrogradés en National 2 - Aide financière instituée par  la Ligue de football professionnel - Refus d’accorder cette aide - Décision sans caractère réglementaire - Incompétence du Conseil d’État pour y statuer en premier et dernier ressort - Rejet.

La décision par laquelle la Ligue de football professionnel refuse d’accorder à un club l’aide qu’elle a instituée au profit des clubs rétrogradés en National 2 ne revêtant pas un caractère réglementaire, ne relève pas de la compétence directe du Conseil d’État en premier et dernier ressort.

(ord. réf. 3 août 2020, Société AS Béziers, n° 442310)

 

Travaux publics et expropriation

 

213 - Emprise irrégulière sur une parcelle privée - Édification d’un ouvrage public (voie communale) sur la parcelle - Demande de démolition et d’indemnisation - Régularisation prétendue possible par voie d’expropriation - Contestation de l’utilité publique de la procédure d’expropriation en cours - Erreur de droit - Annulation partielle et renvoi.

Les requérants avaient obtenu du tribunal administratif l’annulation du refus implicite né du silence du maire sur leur demande tendant à ce qu'il soit mis fin à l'emprise irrégulière sur une parcelle cadastrée dont ils sont propriétaires et sur laquelle a été implantée une voie communale, une injonction sous astreinte de libérer cette parcelle et la condamnation de la commune au paiement d’une indemnité de réparation. 

Sur appel de la commune, la cour administrative d’appel a, pour l’essentiel, pris l’exact contrepied de ce qu’avait jugé le tribunal en annulant l’annulation et l’injonction et en réduisant le montant de l’allocation de réparation.

Notamment, la cour s’est fondée sur ce que cette emprise était en voie de régularisation puisqu’était en cours une procédure devant déboucher sur l’expropriation de la parcelle litigieuse après fixation et versement de l’indemnité d’expropriation. 

Le Conseil d’État rejette ce raisonnement pour erreur de droit car, précisément, les requérants faisaient valoir devant la cour qu’il était douteux que le projet de la commune puisse revêtir un caractère d'utilité publique suffisant à justifier qu'il soit porté atteinte à leur droit de propriété.

(22 juillet 2020, M. et Mme X., n° 433938)

 

Urbanisme

 

214 - Permis de construire un ensemble commercial comportant des places de stationnement - Exigence d’une évaluation environnementale obligatoire seulement pour ces dernières - Absence d’indivisibilité de l’ensemble - Obligation devant être respectée en l’espèce - Annulation et renvoi à la cour d’appel dans cette mesure.

Un permis de construire est accordé pour l’édification d’un ensemble commercial comportant des places de parking. De l’art. R. 431-16 du code de l’urbanisme et du tableau annexé à l’art. R. 122-2 du code de l’environnement, il se déduit, d’une part, qu’une évaluation environnementale est obligatoire à l’appui d’une demande de permis de réalisation d’au moins cent places de parking dans une commune non dotée, lors de la demande, d’un PLU ou d’un POS ou autre et d’autre part, que celle-ci n’est pas exigée pour le permis d’un ensemble commercial comme en l’espèce. La cour administrative d’appel avait estimé cette évaluation non nécessaire pour le parking qui ne devait pas être envisagé en soi comme une opération isolée mais comme faisant partie d’un ensemble et qui n’était pas ouvert au public. 

Le Conseil d‘État, sans s’arrêter à ces considérations assez pertinentes, juge le contraire en exigeant qu’il soit procédé à l’évaluation litigieuse pour les seules places de stationnement dont la réalisation est estimée divisible du reste de l'opération.

(1er juillet 2020, Association Athéna, n° 423076)

 

215 - Permis de construire - Panneau d’affichage du permis sur le terrain d’assiette - Affichage incomplet - Degré d’incomplétude - Effet sur le cours du délai de recours contentieux - Rejet du pourvoi

Les art. R. 424-15 et A. 424-16 du code de l’urbanisme n’imposent l’indication sur le panneau d'affichage du permis de construire que des informations sur les caractéristiques de la construction projetée qu’afin que les tiers, à la seule lecture de ce panneau, puissent apprécier l'importance et la consistance du projet.

Si, normalement, le délai de recours contentieux ne commence à courir qu'à la date d'un affichage complet et régulier de ces diverses informations, une erreur affectant l'une d'entre elles ne conduit à faire obstacle au déclenchement du délai de recours que dans le cas où elle est de nature à empêcher les tiers d'apprécier l'importance et la consistance du projet car l'objet de l'affichage n'est pas de permettre par lui-même d'apprécier la légalité de l'autorisation de construire.

(2 juillet 2020, M. X., n° 427712)

 

216 - Aménagement commercial - Personne ayant saisi d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) la commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) - Notion de partie à l’instance - Qualité, ici, de défendeur de la personne contestant l’autorisation accordée par une commission départemental d’aménagement commercial (CDAC) - Éligibilité au bénéfice de l’art. L. 761-1 du CJA.

(3 juillet 2020, Société Rodrigue, n° 420346) V. n° 34

 

217 - Permis de construire - Permis modificatif - Décision distincte - Retrait rétroactif du premier permis - Décision n’entraînant pas le retrait du permis modificatif - Conclusions tardives - Rejet.

Après qu’un permis de construire a été accordé par un arrêté municipal du 16 octobre 2013, il a fait l’objet, par un second arrêté, du 24 février 2014, d’un permis modificatif pour le même projet. La société requérante ayant formé un recours contentieux contre le premier permis de construire, le maire a, le 5 juillet 2016, retiré ce premier permis. La société Chlolin, qui a également demandé au tribunal administratif l'annulation du second permis, du 24 février 2014, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 22 mars 2018 par lequel la cour administrative d'appel a rejeté son appel dirigé contre le jugement du 28 février 2017 par lequel le tribunal administratif a rejeté comme tardives ses conclusions tendant à l'annulation de ce second permis.

Le pourvoi est rejeté car si le retrait rétroactif d'un permis de construire entraîne, par voie de conséquence, l'illégalité des permis modificatifs ultérieurement délivrés pour la même construction, ces permis modificatifs constituent toutefois des actes distincts du permis de construire initial. 

Par suite, dès lors que le retrait, par le maire, du permis de construire du 16 octobre 2013 n'entraînait pas, par lui-même, le retrait du permis délivré le 24 février 2014, si ce dernier devait être regardé comme un permis modificatif du précédent, la cour était fondée à estimer qu'elle n'était pas tenue de juger que les conclusions tendant à l'annulation du permis du 24 février 2014 étaient devenues sans objet.

En second lieu, ne pouvait jouer en l’espèce l’exception selon laquelle lorsque le juge de l'excès de pouvoir est saisi par un tiers d'un recours contre une décision d'autorisation qui est remplacée, en cours d'instance, soit par une décision de portée identique, soit par une décision qui la modifie sans en altérer l'économie générale, le nouvel acte doit être notifié au tiers requérant, le délai pour le contester ne pouvant commencer à courir pour lui en l'absence d'une telle notification. En effet, la requérante avait formulé sa demande d'annulation du permis de construire du 16 octobre 2013 devant le tribunal administratif le 15 avril 2014, soit postérieurement à la date de délivrance du permis de construire modificatif du 24 février 2014. La requérante ne pouvait donc pas se prévaloir de la règle de procédure sus-rappelée ni d'aucune autre : le permis de construire du 24 février 2014, s'il devait être regardé comme se substituant au permis du 16 octobre 2013, n’avait pas, dans les circonstances de l’espèce, à lui être communiqué.

Entachées de tardiveté ses conclusions étaient donc irrecevables comme l’a jugé la cour.

(8 juillet 2020, Société Chlolin, n° 422574)

 

218 - Opposition ou non-opposition à une déclaration de travaux - Contestation de cette décision devant le tribunal administratif statuant selon le droit commun - Appel relevant de la cour administrative d’appel - Renvoi du pourvoi à la cour sous forme d’appel.

Les recours dirigés contre la décision administrative d’opposition ou de non-opposition à une déclaration de travaux n’entrent dans aucune des exceptions où le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sous réserve d’un pourvoi en cassation. Il suit de là qu’un tel pourvoi, erronément formé devant le Conseil d’État, est requalifié en appel et renvoyé à la cour administrative d’appel.

(9 juillet 2020, Syndicat des copropriétaires de la résidence de l'Agrianthe, n° 440384)

 

219 - Interdiction de construction sur certains espaces littoraux (art. L. 121-23 c. environnement) - Dérogation en faveur d'aménagements légers (art. L. 12124 c. environnement) — Conditions devant être strictement respectées - Dérogation ne constituant pas une atteinte au principe de non-régression (art. L. 110-1 c. env.) - Rejet.

La requérante critiquait les dispositions du décret n° 2019-482 du 21 mai 2019 relatif aux aménagements légers autorisés dans les espaces remarquables ou caractéristiques du littoral et des milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. Elle estimait cette autorisation illégale, d’une part, en ce qu’elle porterait atteinte au principe d’énumération limitative posé à l’art. L. 121-24 du code de l’environnement, et d’autre part, en ce qu’elle porterait atteinte au principe de non-régression que définit l’art. L. 110-1 c. env. dans le 9° de son II.

Ces critiques sont rejetées.

Tout d’abord, de ce que le code exige une liste limitative des aménagements légers possibles par dérogation il ne s’ensuit pas que cette liste est figée car fixée ne varietur mais seulement que les dérogations susceptibles d’être accordées ne sont possibles que si elles figurent expressis verbis sur cette liste.

Ensuite, d’une part, en prévoyant que ces aménagements dérogatoires ne doivent pas porter atteinte au caractère remarquable du site, qu'ils ne pourront être réalisés qu'après enquête publique et avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites et qu'ils doivent être conçus de manière à permettre un retour du site à l'état naturel et, d’autre part, en renvoyant à un décret en Conseil d'État la fixation de la liste limitative de ces aménagements et de leurs caractéristiques, le législateur a autorisé l’existence d’une réglementation spécifique permettant la réalisation d'aménagements légers dans les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. Il s’en déduit que le décret attaqué, pris dans ces conditions, ne porte pas atteinte au principe de non-régression de la protection de l'environnement.

(10 juillet 2020, Association France Nature Environnement, n° 432944)

 

220 - Aménagement commercial - Revitalisation des centres-villes - Objectif d’intérêt général en vue d’améliorer l’aménagement du territoire national - Critère ajouté en ce sens seulement - Cas des friches en centre-ville ou en périphérie - Absence de critère supplémentaire à caractère économique - Rejet.

Les requérants soutenaient que les dispositions ajoutées au I de l’art. L. 752-6 du code de commerce par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 méconnaissent les stipulations de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et celles du point 6) de l'article 14 de la directive 2006/123/CE et que, dès lors, les articles 1er à 3 du décret attaqué sont entachés d’illégalité.

Sur ce point, le Conseil d’État interroge la CJUE pour savoir si le paragraphe 6) de l'article 14 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 doit être interprété en ce sens qu'il permet la présence, au sein d'une instance collégiale compétente pour émettre un avis relatif à la délivrance d'une autorisation d'exploitation commerciale, de personnalités qualifiées représentant le tissu économique, dont le rôle se borne à présenter la situation du tissu économique dans la zone de chalandise pertinente et l'impact du projet sur ce tissu économique, sans prendre part au vote sur la demande d'autorisation. 

Sur les autres points de l’argumentation, le juge rappelle que la finalité des dispositions ainsi ajoutées en 2018 au I de l’art. 752-6 du code de commerce, telles au reste qu'interprétées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2019-830 QPC du 12 mars 2020, poursuivent un objectif d'intérêt général d'amélioration de l’aménagement des centres-villes dont un grand nombre sont aujourd’hui en déclin.

C’est donc uniquement dans cette optique qu’a été prévu un critère supplémentaire pour l'appréciation globale par les commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) des effets du projet sur l'aménagement du territoire.

En particulier, cet ajout ne subordonne pas la délivrance de l'autorisation à l'absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes. 

L'analyse d'impact prévue par le III de l’art. L. 752-6 précité cherche seulement à rendre plus aisée la mesure ou la prévision des effets du projet sur l'animation et le développement économique des centres-villes et de l’emploi.

En aucun cas cependant il ne saurait être soutenu que, par là, serait institué un critère d'évaluation supplémentaire d'ordre économique. 

Enfin, le même raisonnement doit être retenu à propos du IV du même article s’agissant de l'existence d'une friche en centre-ville ou en périphérie, : ce IV n’a pas pour effet d'interdire toute délivrance d'une autorisation au seul motif qu'une telle friche existerait.

De ces chefs, hormis l’aspect exposé plus haut, les diverses dispositions critiquées ne contreviennent ni aux stipulations de l'article 49 du TFUE ni à elles du point 5) de l'article 14 de la directive « Services » du 12 décembre 2006.

(15 juillet 2020, Société BEMH, n° 431703 ; Conseil national des centres commerciaux, n° 431724 et n° 433921, jonction)

 

221 - Urbanisme - Permis de construire après démolition d’une maison existante - Permis délivré à des co-indivisaires - Notification des recours gracieux et contentieux aux deux co-indivisaires sous pli unique à une adresse unique - Recevabilité de l’action contentieuse - Refus - Cassation avec renvoi.

Des personnes demandent l’annulation d’un permis de construire délivré à deux co-indivisaires sur un terrain où se trouve une maison à démolir. Ils notifient leurs recours gracieux et contentieux aux deux pétitionnaires sous un unique pli et à une unique adresse, celle mentionnée sur le permis de construire. Leur recours est jugé irrecevable faute d’une notification distincte à chacune des bénéficiaires du permis litigieux.

Ce jugement est cassé.

La solution doit être approuvée.

(15 juillet 2020, M. et Mme X. n° 433332)

 

222 - Permis de construire - Existence d'un plan de prévention des risques naturels (PPRN) prévisibles - Obligation pour le permis de respecter les prescriptions de ce plan - Vérification du caractère suffisant des prescriptions du PPRN au regard des caractéristiques des constructions à édifier et de la configuration des lieux - Possibilité d’ajouter des prescriptions supplémentaires au permis, le cas échéant, mais sans modification substantielle de celui-ci - Refus du permis en cas d’impossibilité pour le permis de satisfaire à ce plan même complété - Annulation avec renvoi.

Un préfet a contesté devant le juge administratif le permis de construire 758 logements, des commerces, une crèche et autres délivré par une commune sur un terrain classé en risque inondable moyen par le PPRN.

Le juge a annulé le permis pour le double motif d’insuffisance d’aires de stationnement et d’implantation sur une zone inondable couverte par un PPRN.

Annulant ce jugement, le Conseil d’État constate que le premier motif d’annulation est régularisable. 

Concernant le second motif, le Conseil d’État rappelle et innove.

Il rappelle que les prescriptions d’un PPRN n’ont pas à être reprises dans le permis de construire puisqu’elles s’imposent directement aux autorisations d’urbanisme. Surtout, il innove en exigeant de l’autorité administrative comme de la juridiction administrative saisie d’une demande d’annulation tirée de l’existence d’un PPRN, que : 1°/ qu'elle vérifie si les prescriptions du plan  - et donc le permis qui les intègre nécessairement - suffisent à permettre d’obvier à la menace que le plan a pour objet de combattre ou de circonscrire ou de limiter ; 2°/ qu'en cas de réponse négative à cette première exigence, il soit vérifié si des mesures complémentaires imposées dans le cadre du permis de construire seraient suffisantes face au risque sans que ces mesures ne constituent une ou des modifications substantielles du permis de construire ; 3°/ En cas de réponses négatives aux deux points précédents et seulement en ce cas, au vu d'une appréciation concrète de l'ensemble des caractéristiques de la situation qui lui est soumise et du projet pour lequel l'autorisation de construire est sollicitée, le permis peut être refusé.

En l’espèce, le tribunal administratif s’est borné à constater ce que contenaient les prévisions du PPRN pour en tirer l’illégalité du permis alors qu’il lui incombait d’établir si les mesures que comportait le plan pour prévenir le risque étaient suffisantes, susceptibles de compléments ou impuissantes, compte-tenu des constructions projetées et des éléments concrets de fait et de lieu, à obvier la menace.

La cassation est prononcée avec renvoi.

(22 juillet 2020, Société Altarea Cogedim IDF, n° 426139)

 

223 - Contentieux de l’urbanisme - Règles de procédure spéciales - Décret du 17 juillet 2018 portant modifications de la partie réglementaire du code de l’urbanisme - Incompétences alléguées du pouvoir réglementaire - Absence - Rejet.

(3 juillet 2020, Conseil national des barreaux et autres, n° 424293 ; Syndicat des avocats de France, n° 427249, jonction) V. n° 36

 

224 - Permis de construire - Sursis à statuer - Sursis opposé pour contrariété de la construction projetée avec le futur plan d’urbanisme- Examen par le juge de l’exception d’illégalité dudit plan - Rejet.

Le Conseil d’État approuve une cour administrative d’appel, appelée à se prononcer sur la régularité du sursis à statuer sur un permis de construire opposé par une commune en prévision de son futur plan d’urbanisme, d’avoir pour ce faire apprécié la légalité de ce futur plan.

La solution est audacieuse mais a ses vertus et sa cohérence avec la logique du droit de l’urbanisme.

(22 juillet 2020, Commune de la Queue-les-Yvelines, n° 427163)

 

225 - Permis de construire un ensemble immobilier - Caducité des requêtes en cas de non-production dans les délais des pièces nécessaires au jugement de l’affaire (art. L. 600-13 c. urb.) - Disposition déclarée contraire à la Constitution sur QPC - Erreur de droit à appliquer en l’espèce cet article - Cassation avec renvoi.

Le requérant avait demandé au juge d’annuler l'arrêté municipal accordant un permis de construire en vue de l'implantation d'un ensemble immobilier de 69 logements ainsi que la décision du maire rejetant son recours gracieux.

Le tribunal administratif a rejeté ce recours en se fondant sur les dispositions de l’art. L. 600-13 du code de l’urbanisme qui frappait de caducité toute requête introductive d'instance lorsque, sans motif légitime, le demandeur ne produisait pas les pièces nécessaires au jugement de l'affaire dans un délai de trois mois à compter du dépôt de la requête ou dans le délai qui lui a été imparti par le juge. Toutefois, la déclaration de caducité pouvait être rapportée si le demandeur faisait connaître au greffe, dans un délai de quinze jours, le motif légitime qu'il n'avait pas été en mesure d'invoquer en temps utile.

Cette disposition a été jugée inconstitutionnelle par décision du Conseil constitutionnel (19 avril 2019, M. Bouchaïd S., QPC n° 2019-777) et cette décision a été déclarée applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de sa publication. Tel était le cas de la présente affaire.

Par suite le requérant est fondé à s’en prévaloir à l’encontre du jugement querellé qui est fondé sur cette disposition.

La cassation est prononcée pour erreur de droit et l’affaire renvoyée à ce tribunal.

(29 juillet 2020, M. X., n° 424146 et n° 439749, fusion des requêtes par radiation de la seconde des registres)

 

226 - Document d’urbanisme - Plan d’urbanisme - Vice l’entachant - Possibilité pour le juge de surseoir à statuer pour en permettre la régularisation - Droit applicable à la régularisation - Détermination de la compétence pour régulariser - Rejet.

Lorsque le vice entachant un document d’urbanisme, ici le plan d’urbanisme, est régularisable, le juge peut surseoir à statuer sur la requête dont il est saisi pour permettre la régularisation du document d'urbanisme.

Le Conseil d’État apporte deux précisions importantes sur la distinction à opérer, s’agissant de la date à laquelle il convient de se placer, entre le droit applicable à la régularisation et l’autorité compétente pour approuver cette régularisation. 

Le droit applicable est celui en vigueur au moment où s’est déroulée la procédure ou a été prise la décision entachée du vice régularisable. La compétence pour approuver cette régularisation se détermine au regard des dispositions en vigueur au jour de la décision d’approbation.

(29 juillet 2020, SCI L’Harmas, n° 428158)

 

227 - Permis de construire - Annulation partielle par le juge (art. L. 600-5 c. urb.) — Illégalité viciant l’entier permis - Méconnaissance de son office - Annulation.

Méconnaît son office le tribunal administratif qui, se fondant sur les dispositions de l’art. L. 600-5 du code de l’urbanisme, ne prononce qu’une annulation partielle d’un permis de construire alors que l’illégalité qu’il retient affecte entièrement le permis.

(5 août 2020, M. X. et autres, n° 427553)

 

228 - Permis de construire - Sursis à statuer sur une demande d’urbanisme susceptible d’impacter un futur plan local d’urbanisme (art. L. 15311 c. urb.) — Absence d’atteinte au droit de propriété en raison des limitations imposées par la loi - Absence d’atteinte au droit à recours - Rejet de la demande de renvoi d’une QPC.

(5 août 2020, SCI du Domaine de la Tour, n° 436940) V. n° 193

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