Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Octobre 2020

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Conseil national des universités (CNU) – Décision refusant d’inscrire un candidat sur une liste de qualification – Absence d’obligation d’une procédure contradictoire – Absence d’une obligation de motivation de cette décision individuelle défavorable – Rejet.

Le Conseil d’État rappelle que sont inopérants les moyens dirigés contre une décision du CNU refusant d’inscrire un candidat sur une liste d’aptitude, ici aux fonctions de professeur des universités, en tant qu’elle n’a pas été pris au terme d’une procédure contradictoire et en tant que celle-ci, à la fois individuelle et défavorable, n’était pas motivée, les dispositions des articles L. 122-1 (procédure contradictoire) et L. 211-2 (motivation) du code des relations du public avec l’administration n’étant pas applicables aux décisions du CNU.

(7 octobre 2020, Mme X., n° 430073)

 

2 - Dispositions réglementaires d’un contrat de concession – Demande d’abrogation – Refus – Abrogation expresse ou implicite après introduction d’un recours – Recours sans objet sauf au cas de nouvelles dispositions réglementaires très semblables aux précédentes – Application dans l’hypothèse du remplacement de clauses contractuelles réglementaires remplacées par d’autres – Rejet.

Le Conseil d’État réitère sa jurisprudence selon laquelle lorsque, postérieurement à l'introduction d'une requête dirigée contre un refus d'abroger des dispositions à caractère réglementaire, l'autorité qui a pris le règlement litigieux procède à son abrogation expresse ou implicite, le litige né de ce refus d'abroger perd son objet. Toutefois, il en va différemment lorsque cette même autorité reprend, dans un nouveau règlement, les dispositions qu'elle abroge, sans les modifier ou en ne leur apportant que des modifications de pure forme.

Il étend dans cette affaire la règle qui vient d’être rappelée au cas où le recours est dirigé contre les clauses réglementaires d’un contrat de concession, ici la concession liant L’administration pénitentiaire à un opérateur téléphonique.

Le juge ayant constaté que les modifications apportées en l’espèce aux clauses litigieuses du contrat primitif ne sont pas de pure forme, il n’y a plus lieu de statuer sur la requête.

(7 octobre 2020, M. X., n° 438080)

(3) V. aussi, sur la portée du refus d’abroger, selon les cas : 12 octobre 2020, Association EnVie-Santé, n° 421852.

 

4 - « Droit souple » - Actes de droit souple (circulaires et autres) – « Décision » de l'Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires - Recours direct en excès de pouvoir possible notamment contre ceux de ces actes ayant un caractère impératif ou de lignes directrices. – Moyens invocables et pouvoirs du juge – Rejet.

L’union requérante demandait l’annulation pour excès de pouvoir de la décision de l'Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires, dont les attributions sont aujourd’hui exercées par l'Autorité de régulation des transports, relative aux éléments nécessaires à l'examen par cette dernière des demandes d'homologation tarifaire ainsi que de la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Son recours est rejeté.

Sans entrer dans le fond de l’affaire, il convient de signaler que, réitérant et amplifiant en la précisant une récente jurisprudence (Section 12 juin 2020, Groupement d’information et de soutien des immigrés (GISTI), n° 418142), Le Conseil d’État rappelle qu’est recevable un recours pour excès de pouvoir formé directement contre les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif, « lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en oeuvre. » (V. aussi, en termes identiques, le point 1 de la décision du 23 octobre 2020, Société européenne Schneider Electric et autres, n° 442224, ci-dessous au n° 97). Et le juge de rappeler qu’il en va notamment ainsi – mais pas exclusivement – de ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices. 

Est également précisée la double règle qui gouverne le contrôle du juge sur ces sortes d’actes : d’une part, sont contrôlées l’incompétence pour édicter une règle nouvelle, l’erreur sur le sens et la portée de l’interprétation du droit positif donnée par l’auteur de l’acte et  la mise en œuvre par ce dernier d’une règle contraire à une norme juridique supérieure, et d’autre part, dans l’exercice de ce contrôle le juge saisi a égard, pour rendre sa décision, à la nature et aux caractéristiques de l’acte qui lui est soumis  ainsi qu’à l’étendue du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité qui en est l’auteur.

(16 octobre 2020, Union des aéroports français et francophones associés, n° 429283)

 

5 - Document de portée générale émané d’une autorité publique – Cas de commentaires publiés au BOFiP-impôts donnant l’interprétation, par l’administration fiscale de dispositions du CGI – Document affectant (ou pouvant affecter) les droits ou la situation de personnes autres que les agents du service public – Prohibition de mesures nouvelles entachées d’incompétence, reposant sur une interprétation erronée ou contraires à une norme juridique supérieure – Annulation pour incompétence de l’auteur du document.

Rappel de ce que : « Un document de portée générale, émanant d'une autorité publique et susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de le mettre en oeuvre, ne peut légalement ni fixer une règle nouvelle entachée d'incompétence, ni comporter une interprétation du droit positif qui en méconnaît le sens et la portée ni être pris en vue de la mise en oeuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure. »

Application en l’espèce à des commentaires administratifs fixant les conditions auxquelles sont soumises les exonérations de TVA régissant les activités de location de véhicules, en raison de l’incompétence de leur auteur.

(21 octobre 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 440526)

(6) V. aussi, s’agissant également de commentaires administratifs de la législation fiscale, la décision qui, d’une part, déclare irrecevables des conclusions dirigées contre une pénalité et se fondant sur une interprétation figurant dans des commentaires administratifs retirés depuis lors, et d’autre part, recevables des conclusions dirigées contre l’interprétation de la loi fiscale donnée dans des commentaires administratifs lorsque cette interprétation a été appliquée à la contribuable requérante et qu’elle est demeurée inchangée depuis : 21 octobre 2020, Société Froid Assistance Routier, n° 441126.

(7) Voir également, s’agissant de commentaires administratifs de la loi fiscale, la décision qui juge, d’une part, que certains d’entre eux ne sont pas illégaux dès lors qu’ils n’ajoutent pas aux dispositions législatives qu’ils entendent interpréter, et d’autre part, que d’autres commentaires sont, eux, frappés d’illégalité pour incompétence de leur auteur en ce qu’il y méconnaît les dispositions législatives qu’il interprète : 21 octobre 2020, M. et Mme B., n° 442799.

 

8 - Nomination de la présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) – Autorité administrative indépendante ou autorité publique indépendante - Demande d’abrogation du décret présidentiel de nomination – Compétence liée de son auteur – Inopérance des moyens invoqués – Rejet.

Le requérant demandait au Conseil d’État l’annulation du refus implicite du président de la république d’abroger son décret du 31 janvier 2019 nommant la présidente de la CNIL.

Rejetant le recours, le juge relève que s’agissant d’un membre d'une autorité administrative indépendante ou d'une autorité publique indépendante, il ne peut être mis fin à son mandat que dans les formes et pour les motifs limitativement énumérés à l'article 6 de la loi du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes. Par suite, les moyens assortissant la demande adressée au chef de l’État, lequel se trouve ici en situation de compétence liée, et n’entrant pas dans les prévisions de ce texte, sont inopérants.

(19 octobre 2020, M. B., n° 438620)

 

9 - Attribution par un département du bénéfice du « projet jeune majeur » - Décision créatrice de droits – Abrogation impossible – Cas où le maintien de la décision est subordonné à une condition – Condition cessant d’être remplie – Abrogation régulière – Annulation.

Rappel de ce que si en principe l'administration ne peut abroger une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision, il en va différemment des décisions sous condition suspensive lorsque la condition exigée cesse d’être remplie. L’abrogation est alors possible sans condition de délai.

(19 octobre 2020, Département de l’Isère, n° 445056

 

10 - Circulaires abrogées par depuis le 1er mai 2009 l’effet du décret du 8 décembre 2008 – Publication de ces circulaires sur le site internet du ministère de l’intérieur comme « documents opposables » - Illégalité – Annulation.

Le décret du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires répute abrogées à compter du 1er mai 2009 les circulaires et instructions déjà signées qui ne sont pas reprises sur un site internet relevant du premier ministre.

L’association requérante demandait l’abrogation de la décision du ministre de l’intérieur de publier le 2 janvier 2019 sur le site internet du ministère, à la rubrique « documents opposables » des circulaires abrogées depuis près de dix ans…

La décision est abrogée sans qu’il y ait lieu de s’arrêter au fait que lesdites circulaires ont été par la suite retirées du site avant que le juge ne statue.

Voilà un mauvais remake d’ « A la recherche du temps perdu »…

(19 octobre 2020, Association « La CIMADE », n° 428700)

 

11 - Actes par lesquels l’administration fait connaître son interprétation retenue ce l’état du droit – Absence d’obligation de donner cette interprétation – Situation identique s’agissant d’actes du droit de l’union directement applicables dans le droit de chacun des États-membres – Rejet.

Réitération d’une jurisprudence bien établie : l’administration n’est jamais tenue de prendre des circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif visant à faire connaître l'interprétation qu'elle retient de l'état du droit. Cette solution s’applique également à ceux des actes de l’Union européenne qui sont directement applicable dans l’ordre interne de l’État.

(14 octobre 2020, Association pour une consommation éthique, n° 434802)

 

12 - Pôle emploi – Organes compétents pour décider des sanctions – Nature juridictionnelle – Absence – Droit à l’erreur lors de la première déclaration – Absence – Rejet.

Était demandée l’annulation pour divers motifs, tous rejetés, du décret n° 2018-1335 du 28 décembre 2018 relatif aux droits et obligations des demandeurs d'emploi et au transfert du suivi de la recherche d'emploi.

Tout d’abord, aucun des organes de Pôle Emploi susceptible d’infliger des sanctions, par suppression d’une aide accordée antérieurement ou par une pénalité financière, n’a la nature d’un tribunal au sens et pour l’application de l’art. 6 § 1 de la Convention EDH. Il ne peut être soutenu la contrariété des dispositions du code du travail régissant ces sanctions aux dispositions précitées de la CEDH et ce d’autant plus que toutes les décisions de ces organes sont susceptibles de faire l’objet d’un recours de plein contentieux devant le juge administratif.

Ensuite, il ne saurait non plus être soutenu qu’en prévoyant une sanction lorsque les demandeurs d’emploi ont commis certains manquements – clairement définis par le texte – serait violé le principe du « droit à l’erreur » fixé à l’art. L. 123-1 du code des relations du public avec l’administration dès lors que serait sanctionné même le « premier » manquement. En effet, les manquements dont s’agit sont : 1° l'absence à un rendez-vous avec les services et organismes relevant du service public de l'emploi ou mandatés par ces services et organismes, 2° le défaut de justification de l'accomplissement d'actes positifs et répétés en vue de retrouver un emploi, de créer, reprendre ou développer une entreprise, 3° de fausses déclarations pour être ou demeurer inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi, en cas d'absence de déclaration, ou de déclaration mensongère du demandeur d'emploi, faites en vue de percevoir indûment le revenu de remplacement. De tels manquements ne sont, à l’évidence, pas régularisables et n’entrent donc pas dans les prévisions de l’art. L. 123-1 du CRPA

Également, en prévoyant des sanctions, toutes proportionnées à la gravité et/ou au nombre des manquements, les dispositions attaquées ne contreviennent pas à l’art. 8 de la Déclaration de 1789.

Encore, la procédure applicable lorsqu’est envisagée la radiation de l’intéressé de la liste des demandeurs d'emploi ou la suppression du revenu de remplacement qui lui avait été accordé, n’est ni imprécise ni, s’agissant du choix par l’intéressé, de l’information par voie électronique, illégale ni, non plus, contraire au principe d’égalité comme au principe de loyauté (sic).

Le rejet de la requête s’imposait d’évidence au regard de l’argumentation soulevée.

(14 octobre 2020, Union syndicale Solidaires, n° 428524 ; M. X., n° 429333)

 

13 - Relations du public avec l’administration – Inapplicabilité des art. L. 112-3 et L. 112-6 du code des relations du public avec l’administration (CRPA) aux rapports entre l’administration et ses agents – Grief d’inconstitutionnalité – Distinction non injustifiée entre deux catégories (administrés et agents) – Absence d’atteinte à l’égalité devant la justice – Refus de transmission de la QPC.

Le requérant prétendait inconstitutionnelle la disposition de l’art. L. 112-2 CRPA qui déclare inapplicables aux relations de l’administration avec ses agents les art. L. 112-3 (selon lequel toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception) et L. 112-6 (selon lequel les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation) de ce code.

Pour rejeter la demande de transmission de la QPC formée par l’intéressé, le Conseil d’État rappelle à nouveau que les exigences qui sont celles gouvernant les relations de l’administration avec le public ne sont pas, dans certains cas, identiques à celles gouvernant les relations entre l’administration et ses agents. Ainsi, l’article critiqué opère une distinction qui n’est pas injustifiée entre deux catégories de relations.

(7 octobre 2020, M. X., n° 441747)

 

14 - Avis du collège de la Haute autorité de santé – Avis ne constituant pas lui-même des recommandations de bonnes pratiques – Avis s’insérant dans une procédure destinée à déboucher sur des recommandations de bonnes pratiques – Refus de l’abroger – Actes ne faisant pas grief – Impossibilité de former à son encontre un recours pour excès de pouvoir – Rejet.

La fondation requérante demandait l’annulation d’une délibération du collège de la Haute Autorité de santé portant adoption de la recommandation en santé publique intitulée « Place des tests ADN libre circulant dans le sang maternel dans le dépistage de la trisomie 21 fœtale », ainsi que cette recommandation et la décision par laquelle le président de la Haute Autorité de santé a rejeté sa demande d'abrogation de ce document.

Rejetant ce recours, le Conseil d’État observe tout d’abord que c’est par erreur que le collège susnommé a qualifié ce qui n’est de sa part qu’un avis, de « recommandation en santé publique » car il ne constitue pas une recommandation de bonnes pratiques destinée aux professionnels de santé, mais seulement un avis destiné au ministre de la santé, celui-ci étant compétent pour préciser les conditions de prescription et de réalisation des examens relevant du diagnostic prénatal et pour déterminer les recommandations de bonnes pratiques relatives aux modalités de prescription, de communication des résultats et de réalisation des examens biologiques concourant au diagnostic biologique prénatal.

L’avis attaqué ne constitue ainsi qu’un élément de la procédure d'élaboration des décisions incombant à cette autorité.

Si le bien-fondé des positions prises par la Haute Autorité peut être discuté à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre ces décisions, en revanche, ni cette recommandation, ni la délibération par laquelle le collège de la Haute Autorité de santé l'a adoptée, ni le refus de l'abroger ne constituent des actes faisant grief, susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. 

(14 octobre 2020, Fondation Jérôme Lejeune, n° 425725)

(15) V. aussi, le rejet - sur recours de la même requérante – de la demande d’annulation de trois arrêtés du ministre de la santé, par lesquels il a modifié les règles de bonnes pratiques en matière de dépistage et de diagnostic prénatals avec utilisation des marqueurs sériques maternels de trisomie 21, fixé le modèle de formulaire pour les examens portant sur l'ADN foetal libre circulant dans le sang maternel et précisé les conditions de transmission des données prévues à l'article R. 2131-2-3 du code de la santé publique : 14 octobre 2020, Fondation Jérôme Lejeune, n° 428136. 

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

16 - Organisme d’HLM – Utilisation du fichier des locataires de l’office par sa directrice – Manquement – Sanction infligée par la CNIL – Rejet

L’office d’HLM requérant demandait l’annulation de la double sanction (sanction pécuniaire + publicité de la sanction) que lui a infligée la CNIL. Celle-ci est motivée par l’envoi, par la présidente de cet office, d’une lettre adressée à l’ensemble des locataires de l’office, dont le contenu ne justifiait pas l’usage du fichier des locataires.

Le Conseil d’État rejette le recours en distinguant les deux parties du courrier litigieux : celle informant les locataires des conséquences qu'un projet de réforme de l'aide personnalisée au logement était susceptible d'avoir sur la situation financière de l'office et sur sa capacité à entretenir et à réhabiliter son patrimoine immobilier, constituait un motif légitime d’utilisation du fichier des locataires ; en revanche, celle où était évoquée « une attaque contre les locataires d'HLM [qui] doit être stoppée » et où figurait un appel à la mobilisation des locataires contre le projet de réforme ne constituait pas un usage légitime dudit fichier.

Sont donc confirmés la sanction pécuniaire et son montant, la publication de la sanction, sous forme nominative pendant deux ans, anonyme ensuite.

(5 octobre 2020, Office public de l'habitat de Rennes Métropole - Archipel Habitat, n° 424440)

 

17 - Conseil supérieur de l’audiovisuel – Infliction d’une sanction à une chaîne de télévision – Émission d’opinion faisant se confronter deux points de vue opposés sur l’immigration – Devoir de la chaîne organisatrice du débat – Obligation de faire respecter l’interdiction d’incitation à la haine – Absence – Sanction justifié – Rejet.

La requérante a fait l’objet de la part du CSA d’une mise en demeure d’avoir à respecter désormais l’interdiction d’incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de sexe, de mœurs, de religion ou de nationalité. Elle conteste la décision prise à son endroit.

Le Conseil d’État, en approuvant la décision critiquée, rejette le recours. Il fait valoir que même s’agissant d’un débat d’idées, dans un cadre polémique, entre deux protagonistes, sur un sujet d’intérêt général, il n’est pas possible, sans tomber sous le coup de la censure susrappelée, de laisser l’un d’eux affirmer, d’une part, qu'il faut cesser d'accueillir en France des étrangers de confession musulmane et, notamment, que le droit d'asile doit leur être refusé, et d’autre part, présenter la présence en France de personnes de religion musulmane comme la source d'un « énorme problème » car elle contribuerait à un « grand remplacement » et à « l'invasion de l'Europe ». Le juge considère que de tels propos justifiaient la mise en demeure litigieuse « du fait du caractère stigmatisant du vocabulaire employé à l'égard d'un groupe de personnes déterminé à raison de leur religion et alors au surplus que la journaliste de la chaîne n'avait pris aucune initiative pour que le débat demeure dans les limites d'un échange, même polémique, d'opinions ».

Bonne illustration de la fragilité et de la subjectivité des conditions de l’équilibre entre liberté d’opinion et transgression des tabous. Ce qui explique que cette décision, à la fois, peut être critiquée ou, au contraire, louée.

(8 octobre 2020, Société Paris Première, n° 428238)

 

18 - Accord entre la Plateforme des données de santé et la société Microsoft Ireland Operations Limited - Hébergement des données de santé relatives aux personnes atteintes du Covid-19 - Concession par Microsoft de licences de logiciels nécessaires au traitement de ces données – Risque d’atteinte au respect du droit à la vie privée – Risque de transfert des données vers les États-Unis – Législation américaine pouvant contrevenir sur certains points au Règlement général sur la protection des données (RGPD) – Rejet dans la limite des pouvoirs du juge du référé liberté.

Dans cette très longue ordonnance, riche et documentée, où sont abordées de difficiles questions transnationales portant sur les libertés et l’informatique, la vie privée, notamment dans le domaine de la santé, et les risques que comportent les flux internationaux de données entre États ne présentant pas des caractéristiques législatives homogènes en la matière, le juge examine une requête contestant les conditions et le régime juridique des relations contractuelles nouées entre la Plateforme des données de santé et la société de droit irlandais Microsoft Ireland Operations Limited, filiale de la société américaine Microsoft Corporation.

La Plateforme des données de santé est chargée de stocker et de mettre à disposition des données de santé ; pour assurer ses missions, elle a conclu avec Microsoft un contrat qui lui permet de bénéficier d’un ensemble de produits « Microsoft Azure », dont l'hébergement des données de santé notamment sur le Covid-19 et la concession de licences de logiciels nécessaires au traitement de ces données pour les finalités légalement autorisées.

Les requérants font valoir les risques que cette situation comporte au regard du droit au respect de la vie privée, compte tenu de possibles transferts de données vers les Etats-Unis, soit en application du contrat conclu avec la société Microsoft Ireland Operations Limited, soit en raison de demandes qui seraient adressées à cette société en dehors même des transferts contractuellement consentis par la Plateforme des données de santé.

Le juge des référés, fixant le cadre juridique de ce recours, admet qu’il résulte de dispositions du droit américain, la possibilité pour les autorités publiques de ce pays, en cas d’accès à des données personnelles ainsi transférées depuis l’Union européenne, de les consulter ou de les utiliser sans que les personnes concernées puissent disposer de droits opposables aux autorités américaines devant les tribunaux et sans qu'il apparaisse, en l'état de l'instruction, que des garanties appropriées puissent être prévues pour y remédier. Dans ces conditions, tout transfert de données personnelles vers les Etats-Unis, par une entreprise pouvant faire l'objet de demandes des autorités américaines, est susceptible de contrevenir par lui-même aux articles 44 et suivants du RGPD, sauf à pouvoir être justifié au regard de son article 49, qui comporte des dérogations pour un certain nombre de situations particulières. Or le droit de l’Union (en particulier la Charte des droits fondamentaux) tel qu’interprété par la jurisprudence de la CJUE (Gr. Chb., 16 juillet 2020, Data Protection Commissioner contre Facebook Ireland Ltd et Maximillian Schrems, aff. C-311/18) s’oppose à ce que des données à caractère personnel soient transférées vers un pays tiers si le contrat concernant ce transfert ou le rendant possible ne repose pas sur des clauses types de protection des données bénéficiant d'un niveau de protection substantiellement équivalent à celui garanti au sein de l'Union européenne par ce règlement, lu à la lumière de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Tel est le cas des États-Unis, selon la décision précitée. Les règles du droit interne français vont brevitatis causa dans le même sens.

Le juge examine ensuite successivement deux questions.

La première question est proprement relative au risque que peuvent comporter les transferts de données personnelles en application du contrat conclu par la Plateforme des données de santé avec Microsoft. Le juge estime ce risque écarté, d’une part, car un avenant conclu le 3 septembre 2020 prévoit que Microsoft ne traitera pas les données de la Plateforme en dehors de la zone géographique spécifiée par celle-ci sans son approbation et que dans l'hypothèse où un accès aux données serait nécessaire pour les besoins des opérations d'exploitation des services en ligne et de résolution d'incident menées par Microsoft depuis un lieu extérieur à cette zone, il serait soumis à l'autorisation préalable de la Plateforme, et d’autre part, parce que la Plateforme s'est engagée à l'égard de la Commission nationale de l'informatique et des libertés à refuser tout transfert.

Factuellement, le juge constate que les seules données dont le transfert en dehors de l'Union européenne présente une utilité sont des données de télémétrie, pour contrôler le bon fonctionnement des services offerts par Microsoft, ainsi que des données de facturation. Ainsi, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, que la Plateforme des données de santé puisse se trouver contrainte, pour des raisons techniques, de donner son accord à un transfert de données de santé.

Enfin, mettant un point final à ces difficultés, l’arrêté du 9 octobre 2020, qui est postérieur à l’introduction du présent référé, est venu interdire tout transfert de données à caractère personnel en dehors de l’Union européenne.

La seconde question concerne les autres transferts de données personnelles. La requête est également rejetée pour une pluralité de motifs. Tout d’abord est notée la circonstance que l’arrêt de la CJUE du 16 juillet 2020 ne se prononce pas sur le traitement des données personnelles, à l’intérieur de l’UE, par des sociétés de droit américain ou par leurs filiales et, aussi, qu’il permet les transferts nécessaires pour des motifs importants d'intérêt public reconnus par le droit de l'Union ou le droit de l'Etat membre auquel le responsable du traitement est soumis.

Ensuite, les requérants n’invoquent pas la violation directe par les contrats litigieux, du RGPD, d’autant que les données en cause sont rendues anonymes par la Caisse nationale de l’assurance maladie.

Également, ce recueil et ce traitement des données répondent à un intérêt public certain et urgent pour améliorer les connaissances scientifiques et médicales sur le SARS-CoV-2, d’autant que l’instrument technique que constitue la Plateforme est un outil sans équivalent à ce jour.

Enfin, il y a lieu de tenir compte de l’intervention de la CNIL, nécessaire chaque fois qu’est créé un projet de traitement des données sur la Plateforme ainsi que de l’engagement des pouvoirs publics et de Microsoft de rechercher un perfectionnement incessant des garanties.

Juge du provisoire et de l’évidence, le juge du référé liberté ne pouvait aller plus loin dans l’exercice de son office.

(13 octobre 2020, Association le Conseil national du logiciel libre (CNLL) et autres, n° 444937)

 

Biens et culture

 

19 - Cinéma – Création d’un ensemble multi-écrans de cinéma – Autorisation de la Commission nationale d’aménagement cinématographique (CNACi) – Étendue du contrôle du juge de cassation.

Les requérantes demandaient l’annulation de la décision par laquelle la CNACi a autorisé une société à créer un établissement de spectacles cinématographiques de neuf salles et 1 380 places à l'enseigne « Megarama » à Seynod.

Après avoir rejeté les arguments tenant à la forme de la procédure administrative suivie, le Conseil d’État passe à l’examen du fond de la décision de la CNACi à travers l’analyse qu’en a faite la cour administrative d’appel dont l’arrêt était frappé de pourvoi en cassation devant lui. A ce stade il énonce une règle notable : le juge de cassation n’exerce, sur le contrôle opéré par les juges du fond sur l’appréciation portée par la CNACi, qu’un contrôle limité à celui de l’éventuelle dénaturation.

(9 octobre 2020, Société Les Nemours, Société Victoria et Société JFR SAS, n° 421312)

 

Collectivités territoriales

 

20 - Fiscalité locale – Taxe professionnelle – Faute commise par l’administration fiscale dans l’établissement de cette taxe et de celle de la « compensation-relais » – Conditions de mise en jeu de la responsabilité de l’État - Cassation partielle sans renvoi.

La communauté urbaine de Dunkerque a invoqué devant le tribunal administratif de Lille, au soutien d’une demande d’indemnisation, en premier lieu, le préjudice qui lui aurait été causé par  la faute commise par l'administration fiscale lors de l'établissement de la taxe professionnelle des années 2006 à 2009 de la société ArcelorMittal Atlantique Lorraine et lors de l'établissement de la « compensation-relais » due au titre de 2010 et  en second lieu, celui que lui a causé l'abstention de l'administration à assortir les redressements de taxe professionnelle, au titre des années 2006 à 2009, des intérêts de retard prévus par l'article 1727 du CGI.

Après un jugement avant dire droit, le tribunal a condamné l'Etat à verser à la communauté urbaine de Dunkerque la somme de douze millions euros, assortie des intérêts au taux légal. La cour de Douai, sur appel du ministre, a réduit cette somme à 1,7 million d’euros environ car elle a estimé que les surévaluations des bases locatives d'autres sociétés, situées dans le ressort de la communauté urbaine de Dunkerque, résultant, selon l'administration fiscale, de l'application erronée d'une disposition législative ou réglementaire, quelle qu'elle soit, pouvaient être prises en compte pour la détermination du préjudice indemnisable de la communauté urbaine de Dunkerque

La communauté urbaine de Dunkerque se pourvoit.

Le juge de cassation rappelle d’abord le principe d’indemnisation en la matière : la faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement ou de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard d'une collectivité territoriale ou de toute autre personne publique si elle lui a directement causé un préjudice.

Il indique ensuite que ce préjudice peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et notamment du fait de ne pas avoir versé à cette collectivité ou à cette personne des impôts ou taxes qui auraient dû être mis en recouvrement à son profit.

Également, et cette précision était essentielle dans la présente affaire compte tenu du raisonnement adopté par la cour administrative d’appel, le juge, conformément au droit de commun de la responsabilité, énonce que le montant du préjudice indemnisable doit être calculé en tenant compte, le cas échéant, des impositions qui ont pu être perçues à tort par la même collectivité, à condition que cette perception ait un lien direct avec la faute qui se trouve à l'origine du préjudice dont la réparation est demandée.

C’est sur ce point que porte la cassation de l’arrêt d’appel. La cour ne pouvait admettre en déduction du montant de la réparation des sommes perçues en raison d’erreurs n’ayant aucun lien direct avec la faute dont il était demandé réparation et qui se trouve à l'origine du préjudice, laquelle résultait de l'inexacte imposition à la taxe professionnelle de la société ArcelorMittal Atlantique et Lorraine.

Enfin, ne peuvent être admis en déduction du préjudice indemnisable et donc du montant de la réparation, des dégrèvements accordés par l’administration fiscale car ceux-ci, en vertu de la loi (1 du I de l’art. 1641 et 1 de l’art. 1960 du CGI)), demeurent, comme cela est normal, à la charge de l’État.

Cette solution confirme, précise et renforce la jurisprudence récente sur le sujet (cf. notamment, 24 avril 2012, Commune de Valdoie, n° 337802 et, surtout, 16 novembre 2011, Commune de Cherbourg-Octeville, n° 344621).

(5 octobre 2020, Communauté urbaine de Dunkerque, n° 420040)

(21) V. aussi, largement comparable : 15 octobre 2020, Communauté urbaine de Dunkerque, n° 420092.

 

Contentieux administratif

 

22 - Covid 19 – Référé liberté pour obvier aux difficultés de l’alimentation en eau potable en Guadeloupe – Demande d’activer le plan ORSEC « eau » - Situation structurelle ne pouvant être corrigée à bref délai – Précisions sur l’office du juge du référé de l’art. L. 521-2 CJA – Rejet.

La requérante saisit le Conseil d’État par la voie d’un appel dirigé contre une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif qui a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit ordonné au préfet de Guadeloupe de mettre en application le dispositif ORSEC eau potable, tel que prévu par l'instruction interministérielle du 19 juin 2017, afin de remédier, dans le contexte de crise sanitaire majeure que traverse actuellement ce département, aux difficultés d'approvisionnement en eau que rencontrent ses habitants du fait de l'état des réseaux.

La demande est rejetée en tous ses chefs d’argumentation.

Tout d’abord, la question de l’accès à l’eau potable et de sa distribution en Guadeloupe résulte de problèmes structurels, elle ne saurait relever d’un plan ORSEC « eau », un tel plan ne pouvant être déclenché qu’en cas d’accident, sinistre ou catastrophe (cf. art. L. 742-2 code de la sécurité intérieure).

Ensuite, la requérante n’apporte en appel aucun élément pour étayer la critique de l’ordonnance attaquée en tant qu’elle constate que l'Etat avait, pour remédier à cette situation, pris des mesures d'urgence et n'avait pas fait preuve de carence.

Enfin et surtout la résolution de difficultés d’ordre structurel, qui suppose de longs délais, ne ressortit manifestement pas de l’office du juge du référé liberté, conduit à statuer en urgence en vue de solutions devant elles aussi être effectives, c’est-à-dire réalisables, à bref délai.

(ord. réf. 1er octobre 2020, Mme X., n° 444909)

 

23 - Licenciement d’un salarié protégé – Convocation à l’entretien préalable par lettre recommandée – Document présenté en vain – Absence d’avis de passage – Impossibilité d’apprécier le respect du délai séparant la présentation du pli recommandé contenant la convocation à l’entretien préalable de la date de cet entretien – Rejet.

Dans le cadre d’une procédure de licenciement était en cause le point de savoir si avait été respecté le délai qui, en vertu du code de travail, sépare la présentation du pli contenant la convocation à l’entretien préalable de la date de cet entretien. Si l’employeur affirmait que le pli recommandé avait bien était présenté à l’adresse de l’intéressé mais en vain, celui-ci n’étant pas à son domicile, aucun avis de passage n’avait été laissé. C’est donc sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé que la vaine présentation du pli non accompagnée de la remise d'un avis de passage ne pouvait être prise en compte pour apprécier si le délai minimum devant séparer la présentation du pli contenant la convocation à l'entretien préalable au licenciement et cet entretien prévu au troisième alinéa de l'article L. 1232-2 du code du travail avait été respecté

(9 octobre 2020, Société Wanzl, n° 427115)

 

24 - Licenciement pour motif économique - Notion et appréciation du motif économique – Entreprise du secteur tabac – Allégation de déclin d’activité justifiant le licenciement économique – Annulation avec renvoi à la cour administrative d’appel ayant jugé le contraire.

Est entaché de qualification inexacte des faits et annulé l’arrêt d’appel qui refuse d’apercevoir un licenciement pour motif économique dans le licenciement de salariés d’un établissement du secteur tabac alors que le groupe concerné réalise plus de 70 % du chiffre d'affaires net de son secteur tabac en Europe, que la production et la consommation de tabac ont diminué en volume de plus de 30 % en Europe entre 2002 et 2013 et qu'entre 2009 et 2013, le groupe a connu une perte de 1,5 point de part de marché. Si le chiffre d'affaires de l'activité tabac du groupe avait augmenté de 2 % en 2014 et 3 % en 2015, cette inversion de tendance récente n'était pas de nature à remettre en cause ces tendances structurelles, caractérisées par une forte et régulière rétractation du marché européen du tabac et par la réduction constante de la consommation de tabac sur ce marché et notamment sur le marché français, sur lesquels ce secteur d'activité réalise l'essentiel de son chiffre d'affaires. 

(9 octobre 2020, Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA), n° 428431)

(25) V. aussi, identiques en tout point, avec même requérante : 9 octobre 2020, Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA), n° 428433 ; 9 octobre 2020, Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA), n° 428434 ; 9 octobre 2020, Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA), n° 428435.

 

26 - Régime contentieux fiscal – Absence de décision expresse – Décision implicite – Délai de recours – Règle du délai raisonnable – Demande d’avis.

Le Conseil d’État était saisi, sur la base de l’art. L.113-1 du CJA, de la double question suivante qui lui était renvoyée par un tribunal administratif : « Doit-on considérer que l'absence de décision expresse en contentieux fiscal ne fait obstacle qu'au déclenchement du délai de droit commun de deux mois et qu'une décision implicite ne fera, inversement, pas obstacle au déclenchement du délai raisonnable d'un an, sous réserve que le demandeur ait eu connaissance de cette décision implicite ? Ou doit-on au contraire étendre la solution retenue pour le délai de droit commun de deux mois au délai raisonnable et exiger, pour le déclenchement de ce dernier délai, l'intervention d'une décision explicite » ?

Il y est répondu qu’il résulte des dispositions de l'article R. 199-1 du livre des procédures fiscales que seule la notification au contribuable d'une décision expresse de rejet de sa réclamation assortie de la mention des voies et délais de recours a pour effet de faire courir le délai de deux mois qui lui est imparti pour saisir le tribunal administratif du litige qui l'oppose à l'administration fiscale, l'absence d'une telle mention lui permettant de saisir le tribunal dans un délai ne pouvant, sauf circonstance exceptionnelle, excéder un an à compter de la date à laquelle il a eu connaissance de la décision. En revanche si, en cas de silence gardé par l'administration sur la réclamation, le contribuable peut soumettre le litige au tribunal administratif à l'issue d'un délai de six mois, aucun délai de recours contentieux ne peut courir à son encontre, tant qu'une décision expresse de rejet de sa réclamation ne lui a pas été régulièrement notifiée.

(Avis, 21 octobre 2020, Société Marken Trading, n° 443327)

 

27 - Étranger – Transfert ordonné vers l’Italie - Référé liberté (art. L. 521-2 CJA) – Demande d’exécution de l’ordonnance de référé présentée sur le fondement de l’art. L. 521-4 CJA – Conditions – Urgence – Absence quand le comportement de l’intéressé constitue la cause de l’urgence – Rejet.

Le juge rappelle ici une règle constante et commune à tous les référés urgents. Il n’y a pas d’urgence lorsque ce n’est que du fait du comportement du requérant que se trouve constituée une situation d’urgence.

C’était le cas dans la présente affaire où un ressortissant gambien, dûment informé de son transfert vers l’Italie ainsi que de la date et de l’heure de son vol vers ce pays, ne se rend pas à la convocation en préfecture la veille de ce vol, entendant ainsi faire échec à la mesure de transfert.

Sa demande d’exécution, fondée sur les dispositions de l’art. L. 521-4 du CJA, de l’ordonnance de référé rendue sur le fondement de l’art. L. 521-2, a été à bon droit rejetée par le premier juge.

(ord. réf. 2 octobre 2020, M. X., n° 444801)

 

28 - Covid-19 – Mesures de lutte contre l’épidémie dans les territoires sortis de l’état d’urgence – Invocation de diverses atteintes à des règles ou principes – Absence de caractérisation d’une urgence – Rejet.

Est rejetée la demande en référé suspension dirigée contre :

1°) des dispositions et l’annexe 1 du décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 du premier ministre prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans les territoires sortis de l'état d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé,

2°) l’art. 1er décret n° 2020-884 du 17 juillet 2020 portant modification du décret n° 2020-860 précité du 10 juillet 2020,

3°) les articles 1er et 3 de l'arrêté n° 2020-00666 du 27 août 2020 du préfet de police de Paris,

4°) le protocole national du 31 août 2020 pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l'épidémie de Covid-19.

En effet, l’affirmation par le demandeur de ce que ces diverses décisions seraient illégales, porteraient atteinte à ses droits et libertés ainsi qu'aux principes constitutionnels et aux engagements européens et internationaux de la France ne caractérise pas, par elle-même, l'existence d'un préjudice suffisamment grave et immédiat pour lui : elle n’est donc pas de nature à établir l’existence d’une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-1 du CJA.

(ord. réf. 20 octobre 2020, M. A., n° 444855)

(29) V. aussi, à propos du même décret du 10 juillet 2020, le rejet de la demande de suspension, devenue sans objet depuis l’abrogation de de décret par celui du 16 octobre 2020 : ord. réf. 20 octobre 2020, M. R. et huit autres, n° 445092.

(30) V. également, pour le rejet d’un référé liberté dirigé contre un arrêté préfectoral n’autorisant pas les établissements sportifs couverts à accueillir, sauf exceptions limitées, du public, cet arrêté ayant cessé de produire ses effets à la date où le juge statue : ord. réf. 20 octobre 2020, Société KC Arcueil c/ Préfet du Val-de-Marne, n° 445188 ; Société KC Bordeaux, n° 445189 ; Société KC Euralille, n° 445190 ; Société KC Rouen Centre et société KC Grand Quevilly, n° 445191 ; Syndicat professionnel Franceactive-FNEAPL et autres, n° 445303.

La solution est la même s’agissant de déclarer sans objet l’appel du ministre des solidarités et de la santé dirigé contre une ordonnance suspendant un arrêté préfectoral qui a, depuis lors, cessé de produire ses effets : ord. réf. 21 octobre 2020, Ministre des solidarités et de la santé, n° 445314 ; Ministre des solidarités et de la santé, n° 445317.

(31) V. encore, pour le rejet du référé liberté dirigé contre le décret n° 2020-1098 du 29 août 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020 en ce qu’il ne qualifierait pas certaines catégories de personnes comme vulnérables et en ce qu’il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation car il met fin dès le 31 août 2020 au chômage partiel des salariés du secteur privé qui partagent le domicile d'une personne vulnérable : ord. réf. 20 octobre 2020, M. A., n° 445215.

(32) V., voisin, le rejet d’une demande en référé de l’art. L. 521-4 tendant à la suspension de l’exécution de la circulaire du 14 septembre 2020 du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports relative à la gestion des personnels et aux modalités d'application au sein du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports des dispositions prises pour la fonction publique en raison de l'évolution de l'épidémie de Covid-19, spécialement s’agissant d’enseignants présentant une contre-indication médicale au port du masque et ne pouvant pas, du fait de cette circulaire, se voir prescrire un arrêt maladie pour ce motif. Le syndicat requérant n'établit aucunement, par la seule production des certificats médicaux délivrés à un enseignant, qu'une contre-indication médicale au port du masque ne serait pas de nature à permettre à un agent ne pouvant exercer en télétravail, dont la situation n'est, contrairement à ce qu'il soutient, en rien assimilable à celle des salariés dits " vulnérables " , de se voir délivrer un arrêt de travail au titre du 2° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 en vertu duquel « Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie (...) en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions (...) » : ord. réf. 20 octobre 2020, Syndicat Action et Démocratie - CFE-CGC - Syndicat national de l'enseignement, n° 445273.

 

33 - Référé suspension (art. L. 521-1 CJA) – Obligation pour le juge saisi de se prononcer sur la condition d’urgence – Absence en l’espèce – Cassation de l’ordonnance de rejet.

La requérante, titulaire d’une autorisation environnementale et d'un permis de construire en vue de l'implantation de trois éoliennes dont la structure du mât était en bois, a rencontré des difficultés techniques provoquées en particulier par le retrait de la société assurant la construction des mâts en bois, et elle a, en conséquence, décidé d'apporter une modification aux ouvrages autorisés en prévoyant l'installation de mâts hybrides en bois et acier.

Elle a donc porté cette modification à la connaissance du préfet qui a estimé qu'une telle modification, de caractère substantiel, nécessitait le dépôt d'une nouvelle autorisation environnementale.

La société, pour justifier l'urgence de sa demande en référé tendant à la suspension de l'exécution de cette décision, « faisait valoir qu'elle lui faisait perdre le bénéfice des conditions d'achat de l'électricité à produire qui lui était alors acquises, dès lors qu'elle faisait obstacle à ce qu'elle puisse respecter la date limite de mise en exploitation fixée au 30 avril 2019. Elle faisait également valoir que la décision préfectorale lui faisait subir un important manque à gagner, du fait des retards prévisibles du chantier et de la mise en service des éoliennes. Enfin, (elle) soutenait que le permis de construire des éoliennes risquait d'être caduc en raison du retard à commencer les travaux ».

Cependant, le juge des référés a rejeté sa requête au motif que la condition d'urgence n'était pas remplie, les retards et les préjudices économiques irréversibles susceptibles, selon la société requérante, de découler de la décision attaquée, n’étant que la conséquence de son propre comportement et de sa « stratégie technologique ».

Le Conseil d’État casse cette ordonnance en relevant, avec juste raison, que le juge des référés s’était borné à se prononcer sur l'origine de la modification refusée par le préfet, ce qui n’était pas la question, au lieu de « rechercher concrètement si les effets de l'acte litigieux étaient de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ».

Sans surprise l’ordonnance est cassée avec renvoi à la juridiction qui l’a rendue.

(19 octobre 2020, Société FE Sainte-Anne, n° 432575)

 

34 - Requête entachée d’une irrégularité régularisable – Obligation d’inviter son auteur à régulariser – Invitation selon une modalité attestant de sa réalité et de sa date – Communication par lettre simple d’un mémoire en défense soulevant une fin de non-recevoir – Irrégularité – Annulation.

Rappel de ce que le juge administratif a l’obligation d'inviter l'auteur d'une requête entachée d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte en cours d'instance à la régulariser et qu'il doit être procédé à cette invitation par lettre remise contre signature ou par tout autre dispositif permettant d'attester la date de réception.

Il suit de là que la communication au requérant par lettre simple d'un mémoire en défense soulevant une fin de non-recevoir ne saurait, en principe, dispenser le juge administratif de respecter l'obligation susrappelée, à moins qu'il ne soit établi par ailleurs que le mémoire en défense a bien été reçu par l'intéressé.

Ce n’était pas le cas en l’espèce où il ne pouvait être réputé avoir reçu ledit mémoire, d’autant que le demandeur n’avait pas répliqué au mémoire en défense qui lui avait été adressé par lettre simple, d’où l’annulation de l’arrêt prononcé à la suite de cette irrégularité procédurale.

(23 octobre 2020, M. B., n° 434882 ; V., du même jour avec même requérant : n° 434882)

 

35 - Appel – Effet dévolutif de l’appel – Obligation s’imposant à la juridiction d’appel en cas d’annulation du jugement – Absence d’examen d’un autre moyen soulevé en première instance – Cassation avec renvoi.

Rappel d’une règle constante du contentieux de l’appel en conséquence de l’effet dévolutif attaché à l’appel.

Lorsque la juridiction d'appel censure un motif retenu par les premiers juges, il lui appartient, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'ensemble des moyens présentés en première instance, alors même qu'ils ne seraient pas repris dans les écritures produites, le cas échéant, devant elle, à l’exception de ceux qui auraient été expressément abandonnés en appel et de ceux qui sont inopérants. 

Pour n’avoir point examiné, après annulation du jugement, les autres moyens présentés en première instance, la cour entache en l’espèce son arrêt d’irrégularité.

(7 octobre 2020, M. X., n° 432842)

 

36 - Application Télé recours - Fichier télétransmis comportant plusieurs pièces – Obligation d’identité entre intitulé de chaque pièce et son énumération dans l’inventaire joint – Condition de recevabilité de la requête – Nécessité de signets pour les fichiers regroupant des pièces ne constituant une série homogène - Irrecevabilité – Dénaturation des pièces du dossier – Cassation avec renvoi.

Dénature le dossier de l’instance et encourt la cassation l’ordonnance d’un magistrat de cour administrative d’appel qui, pour dire irrecevable l’appel, se fonde sur ce que les fichiers joints au mémoire ne regroupaient pas des pièces constituant une série homogène dispensant le requérant de répertorier individuellement, par un signet, tous les documents y figurant. En effet, le juge de cassation relève en premier lieu que la demande devant le tribunal administratif comportait quatorze fichiers contenant, chacun pour une année donnée, de nombreux documents visant à établir sa résidence en France de 2005 à 2018 ; il constate, en second lieu, que le référencement de ces fichiers ainsi que l'ordre de présentation, au sein de chacun d'eux, des pièces qu'ils regroupaient étaient conformes à l'énumération, figurant à l'inventaire, de toutes les pièces jointes à cette demande.

(7 octobre 2020, M. X., n° 436713)

 

37 - Pourvoi en cassation – Notion de partie en cassation – Cas d’un observateur -Personne défenderesse qui s’est abstenue d’interjeter appel – Communication de l’appel à cette personne - Impossibilité pour cette dernière de se pourvoir en cassation – Rejet du pourvoi pour irrecevabilité.

Le Conseil d’État rappelle ici les principes qui gouvernent la capacité pour se pourvoir en cassation. Il réitère les solutions classiques avec un grand souci de pédagogie.

Tout d’abord, ne peuvent agir en cassation que les personnes qui ont eu la qualité de parties dans l'instance ayant donné lieu à la décision attaquée ainsi qu'à celles qui y sont intervenues, que leur intervention ait été admise ou non, ou qui ont fait appel du jugement ayant refusé d'admettre leur intervention.

Les personnes qui n’avaient au cours de l’instance frappée de pourvoi que la qualité d’observateurs pour avoir seulement reçu communication de l’existence de cette procédure ne sauraient valablement se pourvoir.

Lorsqu'un tiers saisit un tribunal administratif d'une demande tendant à l'annulation d'une autorisation administrative individuelle, le tribunal doit, lorsqu'il instruit l'affaire, appeler dans l'instance la personne qui a délivré l'autorisation attaquée ainsi que le bénéficiaire de celle-ci. C’est cette communication qui confère à ces personnes la qualité de parties en défense ce qui les rend recevables à former appel du jugement annulant l'autorisation, alors même qu'elles n'auraient produit aucune défense en première instance.

Lorsque l'une d'elles fait seule régulièrement appel dans le délai, le juge d'appel peut communiquer pour observations cet appel aux autres parties au litige en première instance, au nombre desquelles figure la personne défenderesse en première instance qui s'est abstenue de faire appel. Toutefois, cette communication ne confère pas à celle-ci la qualité de partie à l'instance d'appel et ne la rend, par suite, pas recevable à se pourvoir en cassation contre la décision rendue à l'issue de cette instance.

L’accès à l’instance en cassation ne saurait naître par génération spontanée.

(7 octobre 2020, Société BL Conseils, n° 438889)

 

38 – Covid-19 - Arrêté préfectoral du 31 août 2020 – Arrêté du 2 octobre 2020 abrogeant le précédent – Appel de l’ordonnance de référé liberté – Recours sans objet contre l’arrêté du 31 août et irrecevable en appel en tant que dirigé contre celui du 2 octobre – Rejet.

Dans le cadre d’un appel dirigé contre une ordonnance du juge du référé liberté rejetant le recours de l’intéressé contre un arrêté préfectoral du 31 août 2020 portant diverses mesures pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, l’appelant forme également des conclusions en annulation de l’arrêté préfectoral du 2 octobre 2020 abrogeant et remplaçant le précédent.

L’appel est rejeté comme devenu sans objet en tant qu’il est dirigé contre un arrêté abrogé à la date à laquelle le juge d’appel statue et il est déclaré irrecevable contre le second arrêté. Ce dernier, pris après nouvelle instruction, est une décision entièrement nouvelle dont la contestation pour la première fois en appel est irrecevable car il en va ainsi de toute demande nouvelle en appel.

(ord. réf. 8 octobre 2020, M. X., n° 444896)

 

39 - Aide juridictionnelle. – Attribution de l’aide juridictionnelle totale par un TGI – Notification par lettre recommandée – Absence de preuve de deux envois successifs – Absence de vaine présentation – Tardiveté du recours retenue – Erreur de droit – Cassation.

Le demandeur avait obtenu du bureau d'aide juridictionnelle d’un TGI l'aide juridictionnelle totale. Le pli recommandé notifiant cette décision lui a été présenté à son adresse le 26 janvier 2019 puis a été retiré le 29 janvier 2019. Le ministre de l’intérieur soutient que deux plis de notification distincts auraient été en réalité adressés sans que cette affirmation soit établie par les pièces du dossier.

Commet ainsi une erreur de droit le juge de la juridiction d’appel qui estime tardive la requête et, par suite, la juge manifestement irrecevable, au motif que la décision du bureau d'aide juridictionnelle lui avait été notifiée le 26 janvier 2019, date que le juge retient – à tort - comme celle de la vaine présentation du pli contenant cette décision alors que la date de vaine présentation ne peut être regardée comme la date de notification que si le pli a été retourné à son expéditeur à l'expiration du délai de conservation par le service postal, sans avoir été retiré, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, d’où la cassation de l’ordonnance attaquée prononcée avec renvoi.

(23 octobre 2020, M. A., n° 435652)

 

40 - Règle du délai raisonnable – Déchéance d’une entreprise des droits attribués par un contrat d’agriculture durable - Application de la jurisprudence Czabaj au cas du rejet implicite d’un recours gracieux – Rejet du pourvoi.

La narration et la chronologie du déroulement de cette affaire sont essentielles à la compréhension des données du litige et du contenu de la solution.

Après un contrôle sur place, une société est invitée, par lettre du préfet du 2 juillet 2012, à rembourser les sommes perçues au titre d’un contrat d’agriculture durable qu’elle avait souscrit et dont il lui était reproché de n’en avoir pas respecté les clauses. La société a formé un recours gracieux que l’administration préfectorale a reçu le 13 juillet 2012, tandis que le 22 octobre 2012 l’Agence de services et de paiement a émis un ordre de reversement qu’elle a suspendu le 22 novembre 2012, après avoir reçu un courrier du 9 novembre 2012 de la société lui indiquant qu’elle avait formé un recours gracieux contre la décision de remboursement litigieuse.

Cependant, l’Agence a confirmé l’ordre de reversement en février 2014 et, en réponse au courrier par lequel la société lui indiquait n’avoir pas reçu de réponse à son recours gracieux, elle a, le 1er avril 2014, confirmé l’ordre de reversement initial.

La société a demandé au préfet, par lettre du 22 avril 2014, dont copie a été également communiquée à l’Agence de services et de paiement, de répondre à son recours gracieux contre sa lettre du 2 juillet 2012. En suite de quoi, la société a d’abord reçu un courrier de l’Agence, le 6 mai 2014, l’informant qu’elle transmettait sa demande au préfet et qu’à défaut de réponse de ce dernier dans un délai de deux mois, elle devrait être regardée comme implicitement rejetée, puis, par un second courrier, une décision de rejet explicite du préfet en date du 7 juillet 2014.

Le recours formé par la société contre les deux décisions du préfet, celle du 2 juillet 2012 et celle du 7 juillet 2014, a été rejeté en première instance. En revanche, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement contre lequel le ministre s’est pourvu en cassation.

Il reproche à la cour de n’avoir pas opposé d’office à l’appel de la requérante une irrecevabilité tirée de ce que la saisine du juge ayant eu lieu le 6 septembre 2014, celle-ci, par application du délai raisonnable d’un an, était tardive dès lors que, par son recours gracieux formé le 13 juillet 2012 la société a manifesté sans équivoque sa connaissance, au plus tard à cette date, de la décision du 2 juillet 2012.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi au terme d’une analyse très technique dont il faut approuver la conclusion.

Rappelant d’abord qu’un recours gracieux est bien « une demande adressée à l’administration » au sens et pour l’application de l’art. L. 110-1 du code des relations du public avec l’administration et que la réponse à celui-ci devait comporter mention des voies et délais de recours, le juge indique ensuite, d’une part, que, par nature, une décision implicite de rejet – qui est immatérielle - ne comporte pas de telles mentions et qu’en principe elles ne sont pas opposables à leur destinataire y compris lorsqu’il s’agit du rejet implicite d’un recours gracieux, et, d’autre part, que le principe de sécurité juridique s’opposant à l’existence de délais de recours indéfinis, il y a lieu d’appliquer la règle jurisprudentielle du délai raisonnable qui fixe en ce cas à un an, sauf hypothèses ou cas particuliers, le délai de recours contentieux.

Le juge décide alors que ces principes sont applicables également à la contestation d'une décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur une demande présentée devant elle – y compris dans le cas du rejet implicite d’un recours gracieux -, lorsqu'il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision.

Et le juge d’expliciter alors en forme de vade-mecum : « La preuve de la connaissance du rejet implicite d'un recours gracieux ne saurait résulter du seul écoulement du temps depuis la présentation du recours. Elle peut en revanche résulter de ce qu'il est établi, soit que l'intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d'un refus implicite de son recours gracieux, soit que la décision prise sur ce recours a par la suite été expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l'administration. S'il n'a pas été informé des voies et délais dans les conditions prévues par les textes (…), l'auteur du recours gracieux, dispose, pour saisir le juge, d'un délai raisonnable qui court, dans la première hypothèse, de la date de naissance de la décision implicite et, dans la seconde, de la date de l'événement établissant qu'il a eu connaissance de cette décision ».

En l’espèce seule devait être retenue la date du 7 juillet 2014, or il est constant que la saisine du juge a eu lieu le 6 septembre 2014 soit avant que n’expire, le 8 septembre 2014, le délai du recours contentieux.

La cour administrative d’appel, contrairement à ce que soutient l’auteur du pourvoi, n’avait pas à opposer d’office une irrecevabilité qui, à la date où le premier juge a été saisi, n’était pas expirée.

(12 octobre 2020, Ministre de l'agriculture et de l'alimentation, n° 429185)

 

41 - Pôle emploi – Nature non juridictionnelle des organes compétents pour décider des sanctions – Garanties de procédure suffisantes – Mise en œuvre de l’art. R. 611-7-1 CJA (fixation de la date limite pour l’invocation de moyens nouveaux) - Applicabilité de cette procédure aux tiers intervenants – Irrecevabilité.

L’art. R. 611-7-1 du CJA dispose dans son 1er alinéa : « Lorsque l'affaire est en état d'être jugée, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction peut, sans clore l'instruction, fixer par ordonnance la date à compter de laquelle les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux ». Cette disposition est applicable également à un tiers intervenant au procès. Ceci est normal, équilibré et juste : l’intervenant, qui s’est donc abstenu d’intenter le procès, ne saurait, dans le cadre d’un procès introduit par un autre que lui, disposer de plus de pouvoirs que ce dernier n’en a en se voyant autorisé à produire des moyens nouveaux quand la partie principale ne peut plus en produire elle-même.

(14 octobre 2020, Union syndicale Solidaires, n° 428524 ; M. X., n° 429333) V. n° 12

 

42 - Demande d’échange de permis de conduire – Refus – Non communication au requérant du premier mémoire du préfet de police défendeur – Irrégularité – Cassation du jugement avec renvoi.

Encourt la cassation le jugement rendu au terme d’une procédure au cours de laquelle le premier mémoire du préfet de police défendeur n’a pas été communiqué au demandeur alors qu’il influe sur la motivation du jugement attaqué.

(20 octobre 2020, M. A., n° 432605)

 

 43 - Compétence du tribunal administratif statuant en premier et dernier ressort (R. 811-1, 4° CJA) – Litige portant sur la taxe spéciale d’équipement – Perception au bénéfice d’établissements publics de l’État – Absence de caractère d’impôt local – Appel devant être porté devant la cour administrative d’appel – Renvoi à cette dernière.

(21 octobre 2020, Société Paris Nord Invest Hôtels, n° 437497) V. n° 61

 

Contrats

 

44 - Ensemble contractuel – Notion – Contrats de prestations de service marketing et contrats de prestations de services aéroportuaires – Contrats distincts – Erreur de qualification des faits – Cassation avec renvoi à la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF).

Le requérant, président de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de La Rochelle a été condamné à une amende par la CDBF pour avoir conclu des contrats et avenants irréguliers avec des sociétés de transport aérien et avec la filiale de l’une d’elles.

Il faisait valoir devant la Cour que les deux séries de contrats, d’une part, ceux portant sur la prestation de services aéroportuaires de desserte aérienne de l’aéroport géré par la CCI, et d’autre part, ceux relatifs à des prestations de service marketing, constituaient en réalité un ensemble contractuel qu’il y avait lieu d’examiner comme une unique opération contractuelle.

La Cour, pour rejeter cette argumentation, a relevé que ces contrats avaient été signés à des dates différentes, que leur durée n'était pas identique et que l'objet des contrats de marketing en cause était de faire la promotion de la région de La Rochelle sur le site internet d'une entreprise de transport à bas coûts sans la limiter à la promotion de la desserte effectuée par cette entreprise

Sur pourvoi de l’intéressé, le Conseil d’État est à la cassation de la décision querellée car il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que les entreprises de transport concernées avaient subordonné le maintien de leur desserte à la conclusion des contrats de prestations de service marketing en cause et que, dès lors, ces derniers étaient non dissociables des contrats de prestations aéroportuaires et formaient en conséquence avec eux un même ensemble contractuel. C’est le rappel que la qualification comme ensemble contractuel, si elle résulte d’une certaine logique objective, ne saurait pour autant ignorer la volonté des parties, élément essentiel de cet acte subjectif qu’est, fondamentalement, un contrat.

(7 octobre 2020, M. X., n° 433986)

 

45 - Résiliation – Contrat conclu entre un office public et une société de recouvrement de créances locatives – Restitution partielle avec renseignements incomplets – Compétence du juge administratif pour ordonner sous astreinte la restitution des dossiers et informations restants (art. L. 521-3 CJA) – A défaut d’urgence, injonction ne peut être faite à la société de reverser à l’office les sommes perçues des débiteurs locatifs – Rejet partiel. – Cassation sans renvoi.

Un office public de l’habitat, qui avait confié par contrat à une société privée de recouvrement le recouvrement de ses créances locatives, résilie le contrat la liant à cette société et lui réclame, après une remise partielle, la restitution des dossiers encore détenus par elle ainsi que des pièces et informations manquants.

Le Conseil d’État, après cassation de l’ordonnance de première instance pour des motifs de procédure, règle le litige au fond.

Tout d’abord, le juge relève que les dossiers déjà remis à l’office (260 sur 330) étaient incomplets ne comportant pas tous le montant des créances restant à recouvrer ni les actes de poursuite déjà effectués. Il constate également que leur restitution en exécution du contrat résilié, est, parce qu’indispensable à la continuation des procédures de recouvrement des créances de loyers, tout à la fois utile et urgente compte tenu du risque que ces créances ne puissent plus être recouvrées. Au reste, le juge note que la société ne conteste pas sérieusement qu'elle doit restituer ces dossiers.

Dès lors, l'office ne disposant d'aucun moyen lui permettant de contraindre par la voie administrative la société de les lui remettre, il est fondé à demander, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du CJA, qu'il soit enjoint à la société Sud Contentieux de lui remettre, sous astreinte de 300 euros par jour de retard après un délai de 15 jours, l'ensemble des dossiers et des documents de recouvrement encore en sa possession ainsi qu'un état des règlements des créances et un état des procédures de recouvrement en cours, actualisés au jour de la décision ou d'une date postérieure.

Ensuite, le juge estime que les dispositions de l’art. L. 521-3 CJA, si elles permettent au juge des référés d'ordonner la restitution de sommes dues au requérant, notamment celles déjà versées à ses débiteurs, dès lors qu'il ne dispose d'aucun moyen de contraindre par voie administrative la société à lui reverser ces sommes, elles ne lui permettent pas en revanche – en l’absence d’urgence - d’enjoindre à la société Sud Contentieux de verser ces sommes à l’office.

(7 octobre 2020, Société Sud Contentieux, n° 438529)

 

46 - Dispositions réglementaires d’un contrat de concession – Demande d’abrogation – Refus – Abrogation expresse ou implicite après introduction d’un recours – Recours sans objet sauf au cas de nouvelles dispositions réglementaires très semblables aux précédentes – Application dans l’hypothèse du remplacement de clauses contractuelles réglementaires par d’autres – Rejet.

(7 octobre 2020, M. X., n° 438080) V. n° 2

 

47 - Contrat de concession d’exploitation d’une salle communale omnisports – Contrat conclu avec une société mais exécuté par une société créée ad hoc dont l’attributaire initiale demeurait solidaire – Liquidation de la société chargée de l’exécution du contrat – Clause du contrat imposant dans deux cas une conciliation obligatoire avant contentieux – Émission de titres exécutoires  sans application de cette clause – Titres ne portant pas sur les cas soumis à conciliation préalable – Notion de différend sur l’interprétation ou sur l’exécution du contrat -  Possibilité limitée, pour le juge, de moduler les pénalités – Rejet - Cassation sans renvoi, le juge ayant décidé de statuer au fond.

Les 17 pourvois ayant été réunis, le Conseil d’État examine le litige né du chef de neuf titres exécutoires émis par la commune requérante entre 2015 et 2016 à titre de pénalités dans le cadre de l’exécution d’un contrat conclu le 19 octobre 2012, concédant l’exploitation à la société Vert Marine de la salle communale omnisports.

Ces titres exécutoires ont été annulés en première instance et cette annulation a été confirmée en appel. La commune se pourvoit.

Celle-ci se prévaut de ce qu’il n’a pas été répondu au moyen qu’elle avait soulevé dans chacune des 17 procédures, moyen opposant l’irrecevabilité à la demande de la société Vert Marine, du fait du non-respect, par sa saisine directe du juge, de la clause de conciliation préalable obligatoire figurant au contrat de concession.

La cour n’ayant pas répondu à ce moyen qui n’était pas inopérant, son arrêt est cassé et le juge de cassation décide de statuer au fond.

Plusieurs questions se posaient, de difficultés et de natures diverses.

Tout d’abord, le contrat conclu entre la commune et la société Vert Marine devait être exécuté par une société spécialement créée en vue de cette exécution, la société VM 06160, laquelle s'est substituée à la société Vert Marine dans l'ensemble de ses droits et obligations contractuels mais dont cette dernière demeurait solidaire. La société VM 06160 ayant été mise en liquidation, le Conseil d’État estime que c’est à bon droit que la commune s’est retournée vers la société Vert Marine pour avoir paiement des titres exécutoires qu’elle avait émis puisqu’elle demeurait complètement solidaire des engagements pris sans que puisse faire obstacle à cette conséquence la circonstance que le liquidateur de la société VM 06160 ait indiqué résilier le contrat en application de l'article L. 641-11-1 du code de commerce, dès lors que l’obligation d’acquitter les titres exécutoires résultaient d’engagements contractuels propres conclus entre la société Vert Marine et la commune concédante. Le jugement est annulé sur ce point pour avoir jugé le contraire.

Ensuite, se posait la question de l’obligation de conciliation avant tout recours contentieux. Il est certain qu’en saisissant directement le juge administratif la société Vert Marine n’a pas respecté la clause figurant à l’art. 46 du contrat de concession qui imposait une conciliation préalable par un expert désigné d’un commun accord. Toutefois, le juge relève que chacun des titres exécutoires transmis à la société Vert Marine comportait, s'agissant des délais et voies de recours, l’indication que les sommes mentionnées sur les titres pouvaient être contestées « en saisissant directement le tribunal judiciaire ou administratif compétent selon la nature de la créance ». Il en déduit qu’en ne faisant pas référence aux stipulations de l’art. 46 précité la commune doit être considérée comme ayant renoncé à opposer cet article et, par suite, elle n’est pas fondée à l’invoquer à l’encontre de la société Vert Marine. Sa prétention, de ce chef, est rejetée.

Inversement, il ne saurait être reproché à la commune d’avoir émis des titres exécutoires directement sans conciliation préalable car cette procédure de conciliation, selon les termes mêmes du contrat de concession, n’était prévue que pour les différends portant sur l’interprétation ou sur l’exécution du contrat. Tel n’est pas le cas de l’émission d’un titre exécutoire qui ne porte pas sur un différend dans l’interprétation ou l’exécution du contrat.

Enfin, se posait la question de la modulation des pénalités. Si le juge administratif s’est reconnu, tardivement, le pouvoir qu’il s’est longtemps refusé à exercer, de moduler, comme son collègue judiciaire, les pénalités contractuelles c’est de façon exceptionnelle, lorsque les pénalités résultant de l’application des dispositions contractuelles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire. Ce n’est pas le cas dans cette affaire, selon le juge, le montant total de ces pénalités représentant 6,8% des recettes prévisionnelles de la convention durant son exécution pendant dix ans.

Ce chef de demande est rejeté.

(12 octobre 2020, Commune d’Antibes, n°s 431903 à 431905 inclus, 431907 à 431910 inclus, 431912 à 431918 inclus, 431920 et 431921, 431923)

 

48 - Projet éducatif territorial – Convention conclue entre une commune et une caisse départementale d’allocations familiales en vue de l’organisation et de la réalisation d’activités périscolaires – Recours de tiers – Existence de clauses réglementaires car concernant l’organisation et le fonctionnement d’un service public -  Recours pour excès de pouvoir possible de la part de tiers – Cassation de l’arrêt pour erreur dans l’appréciation de l’étendue des pouvoirs de la cour saisie – Renvoi dans la mesure de la cassation prononcée.

Des parents d’élèves contestent des clauses d’un contrat éducatif territorial conclu entre une commune et une caisse départementale d’allocations familiales en vue de l’organisation d’activités périscolaires pour les enfants fréquentant les écoles de la commune.

Ces requérants étant tiers au contrat litigieux, ils ne peuvent contester que celles des clauses de celui-ci, s’ils en existent, revêtant un caractère réglementaire. Ce recours, qui s’ajoute au recours de plein contentieux dont disposent les tiers pour contester la validité du contrat, est un recours pour excès de pouvoir.

Pour déterminer le caractère réglementaire des clauses en cause le Conseil d’État retient qu’il en va ainsi des clauses qui ont, par elles-mêmes, pour objet l'organisation ou le fonctionnement d'un service public. Tel était le cas en l’espèce.

La cour administrative d’appel avait qualifié cette action de recours de plein contentieux et, par suite, s’était méprise sur l’étendue de ses pouvoirs, d’où la cassation, dans cette mesure, de son arrêt.

Cette décision confirme implicitement mais nécessairement et la nature pleinement contractuelle du projet éducatif territorial et sa nature de contrat administratif ; elle apporte un élément de précision important pour déterminer la nature réglementaire des clauses d’un contrat administratif.

(9 octobre 2020, Commune de Montpellier, n° 422483)

 

49 - Marché public de réalisation de diagnostics techniques réglementaires avant démolition, relocation, vente et travaux – Recours à la procédure concurrentielle avec négociation – Procédure normale lorsqu’en sont réunies les conditions de passation – Absence en l’espèce – Annulation de l’ordonnance de référé de première instance – Annulation de la procédure de passation du marché.

Pour passer un marché de réalisation de diagnostics techniques réglementaires avant démolition, relocation, vente et travaux portant sur de nombreux immeubles d’ancienneté, de localisation, d’état et autres très disparates, Lyon Métropole Habitat (LMH) a fait choix de recourir à la procédure concurrentielle avec négociation. Un candidat évincé a obtenu du juge des référés du tribunal administratif, sur le fondement de l'article L. 551-1 du CJA, l’annulation de la procédure de passation du lot n° 3 de ce marché.

LMH se pourvoit.

Le Conseil d’État relève tout d’abord que la procédure concurrentielle avec négociation a été introduite en droit de l’Union (directive du 26 février 2014 relative à la passation des marchés publics) pour ouvrir plus de souplesse, en certains cas, dans les conditions de passation des marchés, cette procédure constituant l’une des procédures de droit commun en matière de marchés publics. Il rappelle toutefois que parce que dans ces marchés sont très réduites les conditions de la mise en concurrence et de publicité, la réglementation soumet leur utilisation au respect d’exigences qui lui sont propres et qui sont limitativement énumérées.

Pour justifier l’utilisation de cette procédure, LMH invoquait la circonstance que le besoin ne pouvait pas être satisfait sans adapter des solutions immédiatement disponibles, ce qui est l’une des hypothèses retenues par le 1° du II de l’art. 25 du décret du 25 mars 2016 (codifié au n° R. 2124-3 du code de la commande publique). Etaient avancés pour cela le fait que cette opération concernait un parc immobilier nombreux, disparate, comportant des logements tant individuels que collectifs, disséminé sur un grand nombre de communes, dont les dates de construction étaient variables, et alors qu'en outre le règlement de la consultation autorisait les variantes. Sans contester ces éléments le juge estime « que les prestations de service demandées portaient sur les diagnostics exigés par différentes réglementations, devant être faits conformément aux normes applicables auxquelles renvoyait le cahier des clauses techniques particulières, et qu'il s'agissait donc de prestations connues et normalisées ». La circonstance, particulière à l’espèce, que la réalisation de tels diagnostics à une grande échelle et sur un vaste territoire supposait une adaptation des méthodes de l'entreprise, n’imposait nullement que ces prestations ne pouvaient être réalisées qu'au prix d'une adaptation par les candidats des solutions immédiatement disponibles. 

Dès lors, la société demanderesse en première instance, dont l’offre était régulière, était fondée à demander l’annulation de la procédure.

Cette décision, qu’il faut complètement approuver, prend peut-être une certaine liberté par rapport à l’intention du législateur européen lequel a précisé que cette procédure dite concurrentielle avec négociation était au même rang que les autres procédures formalisées. Cette attitude du Conseil d’État est cependant logique dans la mesure où il ne s’agit pas là d’une procédure tout à fait comme les autres en raison du degré d’atteinte qu’elle comporte aux principes de mise en concurrence et de publicité. Ceci impliquait donc que le juge, comme il l’a fait, interprète strictement la réalité des circonstances consacrant l’existence de situations dérogatoires.

(7 octobre 2020, Lyon Métropole Habitat (LMH), n° 440575)

 

50 - Concessions – Interdiction de soumissionner (art. L. 3123-1 c. commande publ.) à raison de la commission de certaines infractions pénales (art. R. 3123-16 à R. 3123-21 du code de la commande publique) – Obligation de prévoir la possibilité d’apporter la preuve qu’ont été prises des mesures correctrices – Absence dans le droit français – Incompatibilité avec le droit de l’Union – Mise à l’écart, à titre provisoire, de la prohibition française – Annulation.

La requérante avait demandé au premier ministre – en vain du fait de son silence - l'abrogation des articles 19 et 23 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession en ce qu’ils font interdiction de soumissionner pendant cinq ans aux opérateurs économiques frappés de certaines sanctions pénales sans possibilité pour eux de démontrer leur fiabilité du fait qu’ils ont pris des mesures correctrices. Elle saisit le Conseil d’État.

Comme l’ordonnance française sur les concessions a été prise en et pour l’application de la directive du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession, le Conseil d’État a saisi de questions préjudicielles la Cour de justice de l’Union européenne sur ce point. Celle-ci (arrêt du 19 juin 2020, Vert Marine SAS/Premier ministre, Ministre de l'Économie et des Finances, aff. C-472/19) a dit pour droit qu’est incompatible avec cette directive une réglementation nationale qui n'accorde pas à un opérateur économique condamné de manière définitive pour l'une des infractions visées à l'article 38, paragraphe 4, de cette directive et faisant l'objet, pour cette raison, d'une interdiction de plein droit de participer aux procédures de passation de contrats de concession, la possibilité d'apporter la preuve qu'il a pris des mesures correctrices susceptibles de démontrer le rétablissement de sa fiabilité. 

Dès lors il incombait au premier ministre d’accéder à la demande la requérante et son refus implicite est annulé.

Le Conseil d’État n’en reste pas là : une telle disposition incompatible ne pouvant demeurer dans l’ordre juridique français, il décide que durant le temps nécessaire à son abrogation et à son remplacement «  l'exclusion de la procédure de passation des contrats de concession prévue à l'article L. 3123-1 du code de la commande publique n'est pas applicable à la personne qui, après avoir été mise à même de présenter ses observations, établit dans un délai raisonnable et par tout moyen auprès de l'autorité concédante, qu'elle a pris les mesures nécessaires pour corriger les manquements correspondant aux infractions mentionnées au même article pour lesquelles elle a été définitivement condamnée et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du contrat de concession n'est pas susceptible de porter atteinte à l'égalité de traitement. »

Il faut complètement approuver et la solution en son principe et le palliatif provisoire pour concilier ce qui doit l’être.

(12 octobre 2020, Société Vert Marine, n° 419416)

(51) V. aussi, sur ce sujet avec même requérante : 12 octobre 2020, Société Vert Marine, n° 423152.

 

52 - Contrat de louage d’ouvrage – Notion – Absence en l’espèce – Mise à disposition, obligatoire pour l’État, de ses services – Absence d’application possible du régime de la garantie décennale – Rejet.

Le litige ayant donné lieu à cette décision portait sur des désordres survenus sur une digue après réception des travaux de modernisation du canal du Rhône à Sète confiés par l’État à Voies navigables de France (VNF) dans le cadre d’une convention de superposition de gestion, la maîtrise d’œuvre ayant été dévolue au service maritime et de navigation de Languedoc Roussillon, qui est un service extérieur de l’État, et la réalisation des travaux ayant été attribuée par VNF à un groupement solidaire d'entreprises. L’ouvrage ainsi réalisé a été transféré à la région Occitanie qui, par suite de la survenue de désordres, a actionné l’État, VNF et les membres du groupement solidaire d’entreprises en garantie décennale des constructeurs ; le tribunal administratif a condamné ces diverses personnes juridiques à indemniser la région demanderesse et à la prise en charge des frais d’expertise (s’élevant à eux seuls à presque 290 000,00 euros). Sur appels principal du ministre de la transition économique et incident de VNF, la cour administrative d’appel a, d’une part, déchargé l’État et VNF des condamnations prononcées contre eux, et, d’autre part, reporté l’ensemble de celles-ci sur les sociétés défenderesses.

Pour rejeter le pourvoi principal de ces dernières et le pourvoi incident de la région Occitanie contre cet arrêt, le Conseil d’État rappelle que si les conventions conclues à titre onéreux et en dehors de toute obligation entre l'Etat et une personne publique bénéficiaire pour confier aux services déconcentrés de l'Etat des travaux d'études, de direction et de surveillance de projets de cette personne publique sont des contrats de louage d'ouvrage dont l'inexécution ou la mauvaise exécution est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat dans les conditions de droit commun, il n’en va pas de même, en revanche, des conventions de mise à disposition des services de l'Etat qui sont conclues à titre gratuit et sont de droit lorsque leurs bénéficiaires le demandent. Or tel était le cas en l’espèce où, ne se trouvant pas en présence d’un contrat de louage d’ouvrage, ne pouvait être mise en jeu la garantie décennale des constructeurs alors que la personne qui, en application d'une convention passée avec le maître d'ouvrage, assure la maîtrise d'ouvrage des travaux pour le compte de ce dernier, et, au terme de sa mission, lui remet l'ouvrage, ne saurait être regardée comme une personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire.

C'est donc sans erreur de droit qu'après avoir relevé que l'Etat avait confié la maîtrise d'ouvrage des travaux de réalisation de la digue à Voies navigables de France, la cour a jugé que ce dernier établissement public ne pouvait pas être considéré comme « constructeur » au sens de l’art. 1792-1 du Code civil.

(23 octobre 2020, Sociétés Razel Bec, Vinci Construction Maritime et Fluvial, venue aux droits de la société EMCC, et Bouygues Travaux publics Régions France, n° 437717)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

53 - Nouvelle-Calédonie – Redevance « superficiaire » - Application du mécanisme dit « de stabilité fiscale » - Refus – Illégalité – Annulation avec renvoi.

La société requérante qui exploite d’importants gisements de nickel en Nouvelle-Calédonie, conteste son assujettissement à la redevance « superficiaire », assise sur la superficie totale des terrains exploités et demande en outre le remboursement des sommes déjà versées à ce titre.

Elle se pourvoit en cassation après rejet de sa requête en première instance et en appel.

Le Conseil d’État lui donne raison.

Le code fiscal de Nouvelle-Calédonie dispose notamment en son art. 7 que : « Les entreprises dont les activités relèvent de la métallurgie des minerais (…) qui présentent une importance particulière pour le développement économique de la Nouvelle-Calédonie pourront bénéficier pour l'ensemble de leurs activités, sur justification d'un engagement de programme d'investissements, d'un régime de stabilisation fiscale. Pour bénéficier de ce régime, les entreprises devront être agréées par délibération. Ce régime leur garantira que ni l'assiette ni le taux de l'impôt sur (leurs) activités (…) et des impôts, droits et taxes existants pour lesquels ces entreprises sont ou deviendraient des contribuables prépondérants, ne seront aggravés en ce qui les concernent. (…) »

Appliquant ici une critérisation négative classique, le juge constate que la redevance superficiaire « n'a ni le caractère d'une redevance domaniale, dès lors qu'elle ne constitue pas la contrepartie de l'autorisation d'occuper le domaine public de la Nouvelle-Calédonie à laquelle elle est versée, ni le caractère d'une redevance pour service rendu, dès lors qu'elle ne tend pas à couvrir les charges d'un service public ou les frais d'établissement et d'entretien d'un ouvrage public et ne trouve pas sa contrepartie dans les prestations fournies par ce service ou l'utilisation de cet ouvrage », elle constitue donc un impôt perçu par la collectivité sur le fondement de l’art. 22 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie. 

Cet impôt, à raison de cette nature, entre bien dans le champ d’application de la disposition précitée de l’art. 7 instituant un mécanisme de « stabilité fiscale ». Il en va ainsi sans que puisse y faire obstacle la circonstance que cette redevance a été instituée par le code minier, contrairement à ce qu’a jugé la cour administrative d’appel.

(5 octobre 2020, Société Le Nickel, n° 423928)

 

54 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Dégrèvement possible en raison des dépenses exposées pour la rénovation d’immeubles affectés à l’habitation – Faculté applicable aux organismes d’HLM - Obligation nécessaire et suffisante de respecter les critères énoncés par le CGI – Rejet.

L’article 278 sexies du CGI fixe (au 1° du 1 du IV) les critères que doivent satisfaire les dépenses de travaux de rénovation réalisées dans les immeubles d’habitation par leurs propriétaires, y compris les organismes d’HLM, pour pouvoir bénéficier du dégrèvement de taxe foncière sur les propriétés bâties institué à l’art. 1391 E du CGI.

C’est dans ces conditions qu’une société d’HLM a demandé le bénéfice de ces dispositions à raison des travaux qu’elle a accomplis en vue de réaliser des économies d’énergie. Sa demande ayant été rejetée, elle a saisi le tribunal administratif qui lui a donné raison, d’où le pourvoi du ministre.

Ce dernier reproche aux juges du fond de n’avoir pas tenu compte de la circonstance que les factures produites mentionnaient une taxe sur la valeur ajoutée au taux de 20% et n'attestaient pas, par elles-mêmes, d'une livraison des travaux à soi-même. On sait qu’en ce dernier cas la TVA ne s’applique pas.

Le Conseil d’État, s’appuyant sur les travaux parlementaires de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2013 qui a institué ce dégrèvement, rejette l’argumentation : le dégrèvement est de droit dès lors que sont remplis les critères énoncés au 1° du 1 du IV de l'article 278 sexies du CGI.

C’était le cas en l’espèce ; le pourvoi du ministre est rejeté.

(12 octobre 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 431314)

 

55 - Ordonnance de l’article 38 – Expiration du délai d’habilitation – Contestation impossible devant le juge administratif – Refus du gouvernement de présenter un projet de loi au Parlement – Acte de gouvernement – Rejet.

La requérante demandait la suspension de l'exécution de la décision implicite rejetant sa demande tendant : 1° à ce que soient prises sans délai les mesures d'application nécessaires à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 24 avril 2019 relative à l'indépendance des activités de conseil à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et au dispositif de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques et 2° à ce que soit différée l'entrée en vigueur de l'article 1er de cette ordonnance au-delà du 1er janvier 2021.

Il faut retenir de cette décision deux enseignements qui ne constituent que des rappels de la jurisprudence la plus constante.

En premier lieu, une fois passé le délai durant lequel le gouvernement est habilité à prendre par voie d’ordonnances de l’article 38 de la Constitution des mesures relevant normalement du domaine de la loi, ces ordonnances ne peuvent plus être modifiées ou abrogées que par le législateur ou sur le fondement d'une nouvelle habilitation qui serait donnée au gouvernement.

En second lieu, le refus du gouvernement de déposer un projet de loi devant le Parlement, qui concerne les relations entre deux pouvoirs publics constitutionnels, constitue traditionnellement (au moins depuis : Sect. 18 juillet 1930, Rouché, Lebon 771) un acte de gouvernement et n’est donc susceptible d’aucun recours juridictionnel.

(ord. réf. 22 octobre 2020, Fédération du négoce agricole, n° 445180)

 

56 - Travaux de restauration sur un immeuble classé à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques – Frais de restauration déduits du montant du revenu imposable à l’impôt sur les revenus – Redressement avec pénalités du fait que l’immeuble a été divisé postérieurement au 1er janvier 2009 – Cassation avec renvoi.

Les requérants, qui avaient réalisé d’importants travaux de restauration dans un immeuble classé à l’Inventaire, ont déduit leur montant, en qualité de déficit foncier, du revenu imposable à l’impôt sur le revenu. L’administration a remis en cause l'imputation de ce déficit foncier au motif que l'immeuble, qui avait fait l'objet d'une division en copropriété en 1924, avait de nouveau été divisé postérieurement au 1er janvier 2009 sans avoir fait l'objet de l'agrément prévu au V de l'article 156 bis du code général des impôts.

Leur action ayant été rejetée tant en première instance qu‘en appel, ils se pourvoient, avec succès, en cassation.

Le Conseil d’État relève tout d’abord qu’il résulte bien des dispositions de l’art. 156 et de celles du V de l’art. 156 bis du CGI, applicables au cours de l’année d’imposition litigieuse, que lorsque des immeubles classés ou inscrits à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques ont fait l'objet d'une division après le 1er janvier 2009, qu'il s'agisse d'une première division ou de divisions ultérieures, le bénéfice du régime fiscal dérogatoire prévu à l'article 156 du code général des impôts est subordonné à l'agrément de cette division par le ministre chargé du budget.

Toutefois, si cet agrément n’avait pas été sollicité en l’espèce, ni, donc, par suite, obtenu, les intéressés sont fondés à se prévaloir des dispositions de l’art. L. 80 A du livre des procédures fiscales permettant aux redevables d’impositions d’opposer à l’administration fiscale ses propres prises de position formelles interprétant un texte fiscal. Or il résulte des points 36, 37 et 42 de l'instruction du 6 octobre 2009 publiée au Bulletin officiel des impôts le 14 octobre 2009 et portant interprétation du V de l’art. 156 bis précité, que les propriétaires de lots d'immeubles historiques et assimilés ayant fait l'objet d'une mise en copropriété avant le 1er janvier 2009 et dont la copropriété n'avait pas disparu à cette date du fait notamment de la réunion de tous les lots entre les mains d'un même propriétaire, bénéficient du régime spécial prévu à l'article 156 du code général des impôts, alors même que de nouvelles divisions seraient intervenues après cette date. L’arrêt d’appel jugeant le contraire est cassé pour erreur de droit et l’affaire renvoyée à la même cour.

(7 octobre 2020, M. et Mme X., n° 425749)

 

57 - Droit de reprise de l’administration fiscale – Durée en matière d’impôt sur le revenu – Omission ou insuffisance déclarative révélée par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuse – Prorogation du délai de reprise - Conditions – Cassation avec renvoi.

Le juge rappelle qu’en principe, selon l’art. L. 169 du LPF, le droit de reprise de l’administration fiscale en matière d’impôt sur le revenu expire le 31 décembre de la troisième année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due. Toutefois, en application des dispositions de l’art. L. 188 C (ex-L. 170) du LPF, même en cas d’écoulement de ce délai de reprise, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuse peuvent être réparées par l'administration des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos l'instance et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due.

Il est fait cependant exception à cette exception lorsqu’il est établi que l'administration détenait des éléments suffisants lui permettant, par la mise en oeuvre des procédures d'investigation à sa disposition, d'établir ces insuffisances ou omissions d'imposition dans le délai normal de reprise précité. En ce cas, elle ne peut prétendre que les insuffisances ou omissions déclaratives lui ont été révélées par une instance devant les tribunaux au sens de l’art. 188 C précité.

En l’espèce, commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, pour dire applicable cette dernière disposition, se fonde sur ce que l’administration fiscale a eu connaissance en 2007 que le contribuable était titulaire d’un compte dans un établissement financier et qu’elle a été informée du solde de ce compte au 1er janvier de chaque année de 2003 à 2006. En effet, l’état du solde ne renseigne pas sur les mouvements, tant en entrée qu’en sortie, affectant le compte au cours de l’année et ne met pas l’administration fiscale en état d’exercer ses pouvoirs de contrôle et d’investigation.

(14 octobre 2020, M. X., n° 425337)

 

58 - Impôt sur les sociétés – Variation de l’actif net – Imposition – Absence (2 de l’art. 38 du CGI) – Cas de l’émission d’obligations à bons de souscription d’actions (ABSA) – Rejet.

La société requérante avait émis des actions à bons de souscription d'actions (ABSA) mais l’administration fiscale, après vérification de sa comptabilité, a estimé que leur prix avait été minoré de 9 363 321 euros : d’une part, elle en a réintégré le montant dans les résultats de la société Elior Group et, d’autre part, y voyant une libéralité consentie aux sociétés ayant acquis des ABSA, a rehaussé le montant du résultat soumis à l'impôt sur les sociétés. Sur recours de la société, le tribunal, confirmé par la cour administrative d’appel, a annulé ce rehaussement de l’assiette et donc de l’impôt.

Le ministre des finances se pourvoit.

Le Conseil d’État rappelle les caractéristiques principales des ABSA : ce sont des actions de la société émettrice qui comportent en outre la faculté d'acquérir des actions supplémentaires de cette même société, pendant une période donnée, dans une proportion et à un prix fixés à l'avance, l’action et le droit d’acquisition futur d’actions ne sont pas cessibles séparément. Ce sont donc des valeurs mobilières qui constitue un unique instrument financier.

Les sommes, normalement en numéraire, provenant de la souscription d’ABSA constituent pour la société émettrice un supplément d'apport au sens du 2 de l'article 38 CGI, selon lequel : « Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. » Il résulte des termes mêmes de cette disposition que le supplément d'apport résultant de l'émission d'ABSA n'entraîne, sauf exception qui ne se rencontrait pas en l’espèce, aucune variation de l'actif net. Son montant n’est donc pas susceptible de rentrer dans la base d'imposition à l'impôt sur les sociétés de l'émetteur.

C’est donc par une exacte qualification des faits et sans erreur de droit que la cour a jugé « que la circonstance que le montant perçu par la société émettrice d'actions à bons de souscription d'actions aurait été minoré était sans incidence sur le montant de son bénéfice imposable ». 

(21 octobre 2020, Société anonyme Elior Group, venant aux droits de la société par actions simplifiée (SAS) Financière Elior, de la SAS Eurelior, de la SAS Fidelior et de la SAS Sofilior, n° 429626)

(59) V. aussi, également en matière d’impôt sur les sociétés, la décision qui juge insuffisamment motivé l’arrêt d’appel estimant qu’une discordance forte entre la valeur d’apport par chacun des deux co-gérants d’un même nombre de parts d’une société à une autre (500 000 euros pour l’un et 1 937 4400 euros pour l’autre) suffit à démontrer l’existence dans le premier cas d’une intention libérale dont le montant aurait été à bon droit réintégré dans la valeur d’apport et imposé pour cette valeur. Il est reproché à la cour, qui n’a pas examiné les autres moyens présentés par la requérante, de ne pas avoir tenu compte du contexte dans lequel se sont déroulées les deux opérations successives mais distinctes de cession des parts : 21 octobre 2020, Société Nouvelle Cap Management (SNCM), n°434512.

 

60 - Taxe sur la valeur ajoutée – TVA acquittée du chef de l’acquisition de biens ou de services faisant partie de l’activité économique du redevable – Conditions de déductibilité – Interprétation par la CJUE d’une directive de l’Union européenne – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

La requérante, qui exploite un EHPAD, a été redressée pour avoir déduit la totalité de la TVA qu’elle a acquittée lors de l’acquisition des biens et des services constituant des frais généraux liés à son activité. Contestant cette décision, elle a obtenu de la cour administrative d’appel la réduction des rappels de TVA et des pénalités y afférentes.

Le ministre se pourvoit contre cet arrêt.

Le Conseil d’État, rappelle l’interprétation donnée par la CJUE (18 octobre 2018, Commissioners for Her Majesty's Revenue and Customs c/ Volkswagen Financial Services (UK) Ltd, aff. C-153/17) des dispositions d’une directive européenne (art. 1er, 168 et 173 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée) transposées en droit interne sous la forme des articles 205 et 206, 271 et 273 du CGI sur lesquels l’administration fiscale s’appuie pour motiver sa décision de redressement assorti de pénalités : lorsque les dépenses effectuées pour acquérir des biens ou des services font partie des frais généraux liés à l'ensemble de l'activité économique de l'assujetti, ce dernier bénéficie d'un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée dont l'étendue varie selon l'usage auquel les biens et les services en cause sont destinés. Lorsque les biens ou services sont utilisés concurremment pour la réalisation d'opérations taxées et pour la réalisation d'opérations exonérées, la déductibilité n'est que partielle, y compris dans l'hypothèse particulière où l'assujetti est tenu de répercuter l'intégralité du coût de ces dépenses dans le prix de ses seules opérations taxées.

Ainsi, l’arrêt de la cour administrative d’appel est cassé pour erreur de droit en ce qu’il a jugé que l'administration fiscale ne pouvait remettre en cause la déduction intégrale de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les frais et charges d'administration générale, de fonctionnement et d'entretien général des bâtiments de la société Résidence de la Forêt au motif qu'ils avaient été intégralement incorporés dans le prix des prestations relatives à l'hébergement et à la dépendance, lesquelles sont imposables à la taxe sur la valeur ajoutée à la différence des prestations de soins.

La solution peut surprendre par sa sévérité et son relatif illogisme aboutissant à ce qu’un redevable, dans le cas de figure de l’espèce, ne peut déduire la TVA déjà acquittée.

(7 octobre 2020, Société Résidence de la Forêt, n° 426661)

 

61 - Compétence du tribunal administratif statuant en premier et dernier ressort (R. 811-1, 4° CJA) – Litige portant sur la taxe spéciale d’équipement – Perception au bénéfice d’établissements publics de l’État – Absence de caractère d’impôt local – Appel devant être porté devant la cour administrative d’appel – Renvoi à cette dernière.

Si aux termes du 4° de l’art. R. 811-1 du CJA, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les litiges relatifs aux impôts locaux et à la contribution à l'audiovisuel public, à l'exception des litiges relatifs à la contribution économique territoriale, la taxe spéciale d'équipement ici en litige a été perçue au profit d'établissements publics de l'État. Elle ne constitue donc pas en l’espèce une imposition locale au sens de l'article précité.  Dès lors, la requête doit être regardée non comme un pourvoi en cassation devant être porté devant le Conseil d’État mais  comme un appel relevant de la cour administrative d'appel dans le ressort de laquelle se trouve le tribunal administratif qui a rendu le jugement attaqué.

(21 octobre 2020, Société Paris Nord Invest Hôtels, n° 437497)

 

62 - Impôts sur le revenu – Contribuables vivant en France et en Belgique – Détermination du centre de leurs intérêts économiques – Qualité de résidants habituels en France – Erreur de droit et insuffisance de motivation – Cassation et renvoi partiel à la cour.

Des contribuables font l’objet, du fait de leur résidence en France, d’impositions assises sur les dividendes qu’ils ont perçus ; ils contestent cette qualification, sans succès en première instance et en appel, d’où leur pourvoi en cassation.

Le Conseil d’État leur donne raison sur deux points essentiels.

Tout d’abord, est censuré pour erreur de droit l’arrêt qui, pour juger que les demandeurs avaient le centre de leurs intérêts économiques et, par suite, leur domicile fiscal en France, se fonde sur la seule circonstance qu'ils possédaient dans ce pays des sociétés et des biens immobiliers. Cette constatation était insuffisante car il incombait à la cour de rechercher si ce patrimoine était productif de revenus, alors que les intéressés faisaient valoir qu'ils percevaient la majorité de leurs revenus de leurs activités professionnelles en Belgique et que leurs revenus de source française n'étaient qu'exceptionnels en 2007 et inexistants en 2008. 

Ensuite, la cour n’a pas suffisamment motivé pourquoi elle estimait que les requérants possédaient un foyer d’habitation en France alors qu’il lui était affirmé que, par leur nature, les biens immobiliers possédés en France, ne pouvaient constituer des foyers d’habitation.

La cassation conduit au renvoi partiel de l’affaire à la cour.

(7 octobre 2020, M. et Mme X., n° 426124)

 

63 - Activité exercée en France par une société étrangère par l’intermédiaire d’un établissement stable - Bénéfices reconstitués – Bénéfices considérés comme distribués au maître de l’affaire – Interprétation erronée du c. de l’art. 111 du CGI –

Cassation avec renvoi.

Rappel d’une jurisprudence établie selon laquelle le c. de l’art. 111 du CGI ne peut être interprété comme posant une présomption de distribution au maître de l’affaire des bénéfices reconstitués à raison de l'activité qu'une société étrangère exerce en France par l'intermédiaire d'un établissement stable.

Il appartient à l’administration d’établir l’existence effective de cette distribution.

L’arrêt qui s’est borné à entériner cette position de l’administration, est cassé avec renvoi à la même cour pour qu’il soit prononcé à nouveau sur cette affaire.

(7 octobre 2020, M. X., n° 427222)

 

64 - Impôt sur le revenu – Déduction du montant de l’impôt des investissements productifs réalisés outre-mer – Remise en cause pour défaut de justification et prix de revient non cohérent – Rectification fondée sur plusieurs motifs distincts et autonomes – Non communication au contribuable de renseignements obtenus relatifs à un seul des motifs – Irrégularité d’ensemble de la procédure – Erreur de droit – Cassation sans renvoi.

Un contribuable conteste la décision de l’administration fiscale remettant en cause les déductions qu’il avait opérées du montant de l’impôt sur le revenu de sommes pour investissement productifs réalisés outre-mer consistant en l’acquisition et en la mise en location de centrales photovoltaïques. L’administration fondait cette décision de remise en cause des déductions sur deux motifs : les centrales photovoltaïques financées par la société n'avaient pas été raccordées au réseau électrique à la date du 31 décembre 2009, et leur prix de revient n'était ni justifié ni cohérent avec le montant total allégué des investissements.

Devant le juge administratif, le contribuable avait excipé de ce que l’administration n‘avait pas communiqué la facture émise par une société et sur le fondement de laquelle elle avait remis en cause le prix de revient de l'investissement et donc le montant de la réduction d'impôt en litige. Cet argument est retenu par la cour administrative d’appel.

Le juge de cassation, saisi sur pourvoi du ministre, casse cet arrêt car en présence de motifs distincts et autonomes fondant une décision – ici de l’administration fiscale, mais la solution est généralisable -,  la circonstance d’une irrégularité de procédure affectant l’un des motifs ne saurait entraîner l’annulation de l’ensemble de la procédure suivie dès lors qu’existe un autre motif pour lequel tous informations et documents ont été communiqués, fondant ainsi régulièrement la décision contestée.

(15 octobre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 427313)

 

65 - Divorce – Versement d’une prestation compensatoire – Conditions de sa déduction du revenu imposable à l’impôt sur le revenu – Une des conditions non. remplies – Opposition de la doctrine fiscale – Prise de position formelle – Cassation avec renvoi.

Le demandeur entendait opérer déduction de son revenu imposable des versements effectués, du fait de son divorce, au titre de la prestation compensatoire.

Le Conseil d’État donne raison à la juridiction d’appel d’avoir rejeté cette demande car elle ne remplissait que l’une des deux conditions imposées par la combinaison des art. 274, 275 et 275-1 du Code civil et 156 (II, 2°) du CGI : pour être déductibles, les sommes versées à titre de prestation compensatoire doivent, d’une part, s’étendre sur plus de douze mois, et, d’autre part, être versées selon les modalités fixées par le juge judiciaire. En l’espèce, la cour d’appel judiciaire avait jugé qu’il n’y avait pas lieu à paiement fractionné de la prestation complémentaire. Dès lors, s’agissant d’un versement en capital, la déduction était impossible ainsi que l’a jugé à bon droit la cour administrative d’appel.

Toutefois, la cour avait également rejeté le moyen soulevé par le requérant tiré de l’existence d’une prise de position formelle de l’administration lui permettant d’opérer la déduction qu’il sollicitait au motif que l’instruction fiscale invoquée laissait un pouvoir d'appréciation à l'administration.

Le Conseil d’État censure cette analyse en relevant que cette circonstance est indifférente à la reconnaissance (par le paragraphe 11 de l'instruction n° 5-B-21-06 publiée au Bulletin officiel des impôts du 17 juillet 2006) de l’existence d’une interprétation de la loi fiscale à portée générale et casse sur ce point, avec renvoi, l’arrêt critiqué.

(14 octobre 2020, M. C., n° 421028)

 

66 - Cession de la totalité des titres d’une société par actions pour cause de départ à la retraite de la directrice générale de la société épouse du président de la société – Plus-value de cession imposable - Bénéfice du régime fiscal de faveur applicable en cas de départ à la retraite des dirigeants de petites et moyennes entreprises – Abattement rejeté et rehaussement de l’imposition mise à la charge du chef de l’épouse – Rejet du recours du ministre.

Lors de son départ à la retraite assorti de la cession de la totalité des parts qu’elle détenait dans la société dont elle était directrice générale, Mme B. a bénéficié d’un abattement de la base imposable au titre du départ à la retraite des dirigeants de petites et moyennes entreprises (art. 150-0 A, 150-0 D, 150-0 D bis et 885 O bis du CGI). L’administration fiscale, à la suite d’un contrôle, a remis en cause le bénéfice de ce régime de faveur motif pris de ce que la contribuable n’avait pas réellement exercé les fonctions de directrice générale d’une société par actions du fait que les statuts de la société ne lui conféraient pas le pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers.

Si les premiers juges ont rejeté le recours dirigé contre cette décision, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement et accueilli le recours ; le ministre compétent se pourvoit.

Son recours en cassation est rejeté car il ne résulte ni du code de commerce (art. L. 227-6) qu’un directeur général doive être obligatoirement investi de la qualité de représentant de la société envers les tiers, ni des dispositions combinées des art. 150-0 D ter et 885 O bis, 1°, du CGI que le bénéfice de l’avantage fiscal litigieux soit soumis à d’autres conditions que celles qui y sont limitativement énoncées, au rang desquelles ne figure pas le pouvoir de représentation extérieure de la société.

(21 octobre 2020, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 437598)

 

67 - Protection des contribuables contre les changements de doctrine administrative (art. L. 80 LPF) – Opposabilité à l’administration de ses interprétations formelles, même irrégulières, de la loi fiscale – Bénéfice de l’application de l’art. L. 80 LPF obtenu par « un montage purement artificiel » - Montage constitutif d’un abus de droit – Impossibilité de se prévaloir de cette disposition – Rejet.

Selon l’article L. 80 du livre des procédures fiscales, fortement inspiré du principe de confiance légitime, le redevable de bonne foi qui se fonde sur une interprétation formelle de la loi fiscale par l’administration, même si cette interprétation est irrégulière, ne saurait faire l’objet – par suite d’un changement de la doctrine administrative - d’un rehaussement de son imposition dès lors que cette interprétation était toujours en vigueur au moment des opérations imposables et qu’elle a été publiée dans les instructions et circulaires de l’administration fiscale.

Un contribuable prétendait au bénéfice de l’application de ce mécanisme à l’occasion d’une opération de cession, de rétrocession et de reprise d’actions de diverses sociétés, en invoquant les dispositions des art. L. 150-0 D bis et L. 150-0 D ter du CGI telles qu’interprétées par une instruction publiée au Bulletin officiel de impôts. A cet effet, avait été organisé ce que le juge appelle, d’une expression venue du droit de l’Union européenne (cf. par ex. Communication de la Commission des Communautés, 10 décembre 2007, note 15), un « montage purement artificiel », c’est-à-dire au moyen de structures ou d’interpositions n’ayant « aucune véritable substance ni aucune activité effective », car seulement destinées à procurer à son auteur le bénéfice maximum de la faveur fiscale.

Parce qu’un tel comportement constitue un abus de droit, il tombe sous le coup des dispositions de l’art. 64 du LPF qui rend inopposables à l’administration fiscale les actes constitutifs d’un abus de droit.

C’est donc sans erreur de droit que les juges du fond ont rejeté le recours formé par le demandeur au pourvoi contre le rehaussement de l’imposition sur ses revenus, l’infliction de pénalités de retard et une pénalité de 80% pour abus de droit.

Ceci n’est au fond que l’application - transposée à la matière fiscale - des deux principes bien connus : Nemo auditur… et Fraus omnia corrumpit.

(Assemblée, 28 octobre 2020, M. A., n° 428048)

 

68 - Société de droit italien – Acquittement de l’impôt sur la plus-value réalisée lors de la cession d’actions détenues dans une société française – Demande de restitution de ce prélèvement car fondé sur une législation discriminatoire et contraire à la liberté d’établissement intra-communautaire – Portée et limite de l’interprétation par les administrations nationales de la législation interne au regard des exigences du droit de l’Union – Incompatibilité de l’art. 244 bis B du CGI avec le droit de l’Union - Impossibilité de substituer à la loi, à titre correctif, des dispositions réglementaires – Erreur de droit – Cassation sans renvoi pour règlement de l’affaire au fond.

Ce litige de droit fiscal dépasse par ses enjeux la seule sphère de ce droit et la solution qui lui est donnée est transposable mutatis mutandis dans les autres branches du droit interne.

Une société de droit italien cède des actions qu’elle détient dans une société française réalisant ainsi une plus-value taxable en France selon les art. 244 bis B et 200 A du CGI. Après s’être acquittée de l’impôt mis à sa charge de ce chef elle en a réclamé le remboursement ; l’administration n’a accordé qu’un dégrèvement partiel. Le contentieux s’est noué pour le surplus. Si le tribunal administratif a fait droit à la demande de la requérante, la cour administrative d’appel, saisie par le ministre de l’action et des comptes publics, a annulé le jugement.

La société contribuable se pourvoit.

La cour a jugé que les dispositions de l’art. 244 bis B du CGI, en tant qu’elles imposent aux sociétés n’ayant pas leur siège en France, une imposition des plus-values de cession d’un montant supérieur à celui acquitté par les sociétés ayant leur siège en France sont contraires aux principes de libre établissement et de libre circulation des capitaux reconnus par les articles 49 et 65 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Toutefois, la cour a également relevé que l’administration fiscale, pour faire droit seulement de façon partielle à la réclamation de la requérante, s’était fondée sur une instruction fiscale publiée au Bulletin officiel des impôts, qui permet à une société ayant son siège dans l'un des Etats membres de la Communauté européenne et qui a été soumise à l'imposition prévue à l'article 244 bis B précité au titre de ses plus-values à long terme, d'obtenir la restitution partielle de cette imposition à hauteur de la part du prélèvement qui excède l'impôt sur les sociétés dont elle aurait été redevable si elle avait été une société résidente en France. La cour en a déduit que l'administration fiscale avait ainsi fondé l'imposition en litige sur des dispositions législatives interprétées au regard des exigences du droit de l'Union.

Ce raisonnement est cassé avec une certaine raideur – et à juste titre - par le Conseil d’État.

Celui-ci considère d’abord qu’il revient aux administrations nationales de donner de la loi, dans tous les cas où elle se trouve dans le champ d'application d'une règle du droit de l'Union européenne, une interprétation qui, dans la mesure où son texte le permet, soit conforme au droit de l'Union.

Ensuite, il admet également que les ministres, dans l'hypothèse où des dispositions législatives se révéleraient incompatibles avec des règles du droit de l'Union, donnent instruction à leurs services de n'en point faire application.

Enfin et surtout, il dénie aux ministres de trouver dans une telle incompatibilité un fondement juridique les habilitant à édicter des dispositions de caractère réglementaire qui se substitueraient aux dispositions législatives incompatibles.

La cour a commis une erreur de droit en jugeant que l’incompatibilité, qu’elle a elle-même relevée, entre l’art. 244 bis B du CGI et le droit de l’Union pouvait être levée (ou être rendue acceptable ?) par le recours à une restitution de l’imposition due à concurrence de la différence entre le taux imposé aux sociétés ayant leur siège en France et celui auquel sont soumises celles ayant leur siège dans un autre État de l’Union, cette solution, d’une part, résultant d’une instruction impuissante à fonder, au regard du droit interne, une imposition, et d’autre part, ne résultant pas d’une interprétation de la législation nationale satisfaisante au regard des exigences du droit de l’Union.

Réglant l’affaire au fond, le juge de cassation confirme le jugement du tribunal administratif qui a ordonné la restitution de la partie du montant de l’impôt laissée à la charge de la société requérante.

(14 octobre 2020, Société AVM International Holding, n° 421524)

 

69 - Fiscalité locale – Taxe professionnelle – Faute commise par l’administration fiscale dans l’établissement de cette taxe et de celle de la « compensation-relais » – Conditions de mise en jeu de la responsabilité de l’État - Cassation partielle sans renvoi.

(5 octobre 2020, Communauté urbaine de Dunkerque, n° 420040)

(70) V. aussi, largement comparable : 15 octobre 2020, Communauté urbaine de Dunkerque, n° 420092. V. n° 21

 

71 - Impôt sur les sociétés – Société d’investissements immobiliers cotée - Minoration du prix de cession d’actifs – Rehaussement possible en cas de gestion anormale ou de bénéfices indirectement transférés - Exception en cas de minorations constituant des libéralités – Cassation avec renvoi.

Si, en principe, les minorations du prix de cession d'un élément de l'actif peuvent conduire, lorsqu'elles ne relèvent pas d'une gestion normale pour l'application des articles 38 et 209 du CGI ou constituent des bénéfices indirectement transférés au sens de l'article 57 du même code, à un rehaussement, à concurrence de l'insuffisance du prix stipulé, du bénéfice de la société cédante, imposable dans les conditions de droit commun prévues par ces dispositions, il n’en va pas de même lorsque ces minorations constituent des libéralités car en ce cas elles ne peuvent être soumises au régime particulier d’imposition des plus-values prévu pour les sociétés d’investissements immobiliers cotées ainsi que cela était le cas en l’espèce.

Pour avoir jugé dans cette affaire que des libéralités étaient imposables au titre de plus-values de cession, l’arrêt d’appel est cassé.

(15 octobre 2020, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 425150)

 

72 - Taxe d’habitation – Assiette – Locaux d’une association sportive – Cas de terrains de tennis couverts – Non assujettissement à la taxe – Prise de position formelle de l’administration – Erreur de droit et insuffisance de motivation – Cassation.

L’association requérante demandait la décharge ou, à défaut, la réduction de la taxe d’habitation à laquelle elle avait été assujettie à raison des installations sportives mises à sa disposition par la commune. Le tribunal puis la cour ont accordé des décharges de taxe pour une partie seulement de ces locaux.

L’association se pourvoit pour obtenir décharge du surplus.

L’art. 1407, I, 2° du CGI soumet à cette taxe « Les locaux meublés conformément à leur destination et occupés à titre privatif par les sociétés, associations et organismes privés et qui ne sont pas retenus pour l'établissement de la cotisation foncière des entreprises ». Sont donc assujettis à la taxe d’habitation les locaux où ont lieu des activités sportives qui remplissent la double condition d’être meublés, c’est-à-dire qu’ils comportent des équipements mobiliers nécessaires, et d’être occupés privativement, c’est-à-dire normalement non accessibles au public.

Toutefois la requérante se prévalait d’une prise de position formelle de l’administration, au sens de l’art. L. 80 A du livre des procédures fiscales (réponse ministérielle Haby, JO AN, 27 juin 1983, n°29477, p. 2873), aux termes de laquelle les salles de compétition, vestiaires et locaux d'hygiène des groupements sportifs ne sont pas imposables à la taxe d'habitation sur le fondement du 2° du I de l'article 1407 du CGI.

Or le tribunal administratif, tout en reconnaissant l’existence de cette prise de position formelle, n'a fait droit à la demande de décharge que pour les seules surfaces correspondant aux vestiaires et aux locaux d'hygiène, sans rechercher si l'association était fondée à se prévaloir de cette interprétation pour les surfaces correspondant aux courts de tennis couverts sur lesquels elle organise des compétitions, et qui sont ouvertes au public.

Le jugement est, partant, insuffisamment motivé et entaché d’erreur de droit, c’est pourquoi le Conseil d’État est à la cassation.

(15 octobre 2020, Association Ill Tennis Club de Strasbourg, n° 426383)

 

73 - Document de portée générale émané d’une autorité publique – Cas de commentaires publiés au BOFiP-impôts donnant l’interprétation, par l’administration fiscale de dispositions du code général des impôts – Document affectant (ou pouvant affecter) les droits ou la situation de personnes autres que les agents du service public – Prohibition de mesures nouvelles entachées d’incompétence, reposant sur une interprétation erronée ou contraires à une norme juridique supérieure – Annulation pour incompétence de l’auteur du document.

(21 octobre 2020, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 440526) V. n° 5

 

Droit public économique

 

74 - Produits pétroliers – Détermination du volume des stock stratégiques de produits pétroliers – Différence de taux imposés entre les départements d’outre-mer et la Nouvelle-Calédonie – Absence de justification – Annulation et obligation de réexaminer sous six mois la demande de la société requérante.

La requérante demandait l’annulation du refus implicite du premier ministre d’abroger l'article 1er du décret du 6 mai 1995 en tant qu'il fixe, pour la Nouvelle-Calédonie, le volume des stocks stratégiques de produits pétroliers que chaque opérateur est tenu de constituer en application de l'article 57 de la loi du 4 janvier 1993 portant dispositions diverses relatives aux départements d'outre-mer, aux territoires d'outre-mer et aux collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon. 

Alors que le volume des stocks stratégiques est fixé, par un arrêté du 25 mars 2016 régissant cette question, entre 7 % et 13 % pour la zone constituée par la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane, d'une part, et entre 8 % et 13 % pour La Réunion d’autre part, il est de 20% en Nouvelle-Calédonie, soit une différence pouvant aller jusqu’au triple.

Interrogée par la 10ème chambre de la section du contentieux, la ministre de la transition écologique a justifié cette différence par l'incertitude sur l'avenir institutionnel de ce territoire et du niveau de son taux de dépendance énergétique, qui correspond au rapport entre ses importations nettes d'énergie et sa consommation brute et qui intègre l'ensemble des sources d'énergie.

Constatant qu’il n’avait pas été répondu à la mesure d’instruction qu’il avait ordonnée, le juge n’ayant aperçu à la suite de celle-ci « aucun élément objectif ou rationnel de nature à justifier le taux de 20% retenu en Nouvelle-Calédonie », annule le refus implicite d’abroger le texte litigieux et donne six mois au premier ministre pour réexaminer la demande dont la société requérante l’avait, en vain, saisi.

(5 octobre 2020, Société Mobil International Petroleum Corporation, n° 427552)

 

75 - Conseil en investissements financiers – Non-respect de certaines règles s’imposant à cette profession – Sanction par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers – Étendue des pouvoirs du juge saisi d’un recours contre cette sanction – Rejet.

Rappel de ce qu’il appartient au juge administratif, saisi d'une requête dirigée contre une sanction pécuniaire prononcée par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers, de vérifier que son montant était, à la date à laquelle elle a été infligée, proportionné tant aux manquements commis qu'à la situation, notamment financière, de la personne sanctionnée.

(7 octobre 2020, Société Novactifs patrimoine et M. X., n° 429093)

(76) V. aussi, particulièrement illustratif de l’étendue du contrôle du juge sur les sanctions infligées à des conseillers en investissements (fortes réductions des sanctions financières et de la durée d’interdiction d’exercer) : 14 octobre 2020, SAS Axess Finances, devenue la SAS S.U.R.E Finances, et M. X., n° 428279.

 

77 - Subvention d’aide au secteur viti-vinicole – Aide accordée par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et versée par FranceAgriMer – Titre exécutoire en vue de la récupération de l’aide accordée – Demande d’aide devant être présentée avant tout commencement des travaux financés par la subvention – Rejet.

Une société viti-vinicole a sollicité et obtenu une subvention du FEAGA au titre de l’aide aux investissements viticoles dans le cadre du plan national d’aide au secteur viti-vinicole. Cette subvention lui a été versée par FranceAgriMer, établissement public habilité à cet effet.

S’apercevant que la demande de subvention avait été faite alors qu’avaient débuté les travaux en vue desquels l’aide avait été sollicitée, FranceAgriMer a émis un titre exécutoire pour valoir remboursement de la subvention litigieuse.

Sur recours de la société bénéficiaire de l’aide, ce titre a été annulé en première instance et cette annulation a été confirmée en appel, d’où le pourvoi en cassation de FranceAgriMer.

Le juge observe, d’une part, qu’il ne résulte de la règlementation européenne aucune obligation de non commencement des travaux antérieurement à la demande de subvention destinée à les financer et d’autre part, que celle-ci n’interdit point aux droits nationaux d’imposer une condition de non-commencement préalable desdits travaux.

Or cette condition figure dans une circulaire du directeur de FranceAgriMer prise sur en exécution des dispositions de l’art. 4 de l’arrêté l'arrêté interministériel du 17 avril 2009 lui-même pris sur ce fondement du décret du 16 février 2009 mettant en œuvre les règlements communautaires de 2008 relatifs aides au secteur viti-vinicole financées par le FEAGA. Cet article dispose : « La liste des investissements éligibles est fixée par la circulaire du directeur » de FranceAgriMer. L'article 6 du même arrêté définit plusieurs conditions et modalités de mise en oeuvre de la mesure d'aide et dispose à son dernier alinéa que « l'ensemble des dispositions du présent article sont précisées par la circulaire du directeur » de FranceAgriMer.

Le titre exécutoire émis par FranceAgrimer n’était donc pas illégal contrairement à ce qu’ont jugé les juges du fond.

Il n’en reste pas moins que l’on peut trouver sibylline une obligation qui aurait dû, nous semble-t-il, a minima être expressément rappelée au bénéficiaire dans l’acte versant la subvention.

(12 octobre 2020, FranceAgriMer, n° 428386)

 

78 - Contrat d’obligation d’achat par EDF de la production d’énergie photovoltaïque – Refus de souscription d’un tel contrat aux conditions tarifaires existantes à une certaine date – Demande de raccordement d’une centrale photovoltaïque au réseau public d’électricité – Invocation du principe de confiance légitime – Opérateur économique prudent et avisé – Maintien des contrats en cours – Régime différencié par nature de contrat et par date – Invocation du principe d’égalité – Rejet.

Dans le but de développer les énergies renouvelables, des dispositions économiques et financières très avantageuses ont été consenties aux personnes et entreprises s’équipant en vue de la production d’énergie photovoltaïque. EDF était tenue de racheter l’énergie ainsi produite (art. 10, loi du 10 février 2000) à un prix très élevé. Le mécanisme était fondé sur deux contrats successifs mais indépendants l’un de l’autre : un contrat d’achat d’électricité par EDF et un contrat de raccordement de l’installation photovoltaïque au réseau public.

La société requérante, venue aux droits de la société Avpro Solar, a demandé à Electricité Réseau Distribution France (ERDF) le raccordement au réseau public de distribution d'électricité de sa centrale photovoltaïque.

Par un courrier du 18 mars 2010, la société ERDF a adressé à la société Avpro Solar une proposition technique et financière de raccordement de son installation au réseau, que la société a accepté le 24 mars 2010. La convention de raccordement de la centrale photovoltaïque a été notifiée par la société ERDF le 29 octobre 2010. Toutefois, ERDF a indiqué le 24 février 2011 qu'elle ne pouvait donner suite à la demande de la société au motif que cette dernière ne lui avait pas retourné la convention de raccordement signée dans le délai de trois mois à compter de sa réception. Après sa saisine, le comité de règlement des différends et des sanctions de la commission de régulation de l'énergie (CoRDIS) a pris acte de l'accord entre ERDF et la société en vue de réintégrer le projet dans la « file d'attente » de raccordement au 21 septembre 2009 et fixé au 1er mars 2014 la date limite de mise en service de la centrale photovoltaïque de la société. Le contrat de raccordement au réseau a été signé le 31 mai 2013 par la société ENR Gardon et le 4 juin 2013 par ERDF. La société a achevé l'installation de sa centrale le 21 mars 2014 et l'a mise en service le 11 avril de la même année.

Cependant, par plusieurs décisions, EDF a refusé de faire droit à la demande de conclusion d'un contrat d'achat de l'électricité produite par la société ENR Gardon selon les conditions tarifaires fixées par l'arrêté du 12 janvier 2010, au motif que son installation était soumise à la suspension de l'obligation d'achat prévue par le décret du 9 décembre 2010 et l'a invitée à présenter une nouvelle demande.

La requérante a saisi la justice administrative - en vain en première instance et en appel – afin de voir annuler les décisions d’EDF lui refusant de souscrire un contrat d'obligation d'achat pour son installation de production photovoltaïque selon les conditions tarifaires fixées par l'arrêté du 12 janvier 2010 et de l'enjoindre de conclure un tel contrat pour une durée de vingt ans. Elle se pourvoit : son recours est rejeté.

La loi du 10 février 2000 (art. 10) et son décret d’application du 6 décembre 2010 (art. 2, 3° et 4-5) ont prévu, la première, que « l'obligation de conclure un contrat d'achat (…) peut être partiellement ou totalement suspendue par décret, pour une durée qui ne peut excéder dix ans, si cette obligation ne répond plus aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements », le second, que les dispositions de son art. 1er suspendant l'obligation d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil « ne s'appliquent pas aux installations de production d'électricité issue de l'énergie radiative du soleil dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau. »

A l’encontre de cette volte-face du législateur et du pouvoir réglementaire français en matière de relations entre EDF et les producteurs d’électricité photovoltaïque, la société requérante invoque le principe de confiance légitime lequel, principe général du droit propre au droit de l’Union européenne, est applicable ici. Cependant, le Conseil d’État rejette l’argument en se fondant sur l’exception d’« opérateur économique prudent et avisé ».

Selon cette théorie jurisprudentielle, il est fait exception à l’application du principe de la confiance légitime lorsqu’un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l'adoption d'une mesure de nature à affecter ses intérêts. Or constamment depuis l’origine de ce mécanisme la législation et la réglementation de la cession d’électricité photovoltaïque à EDF ont prévu la possibilité qu’il soit suspendu ; c’est ainsi que l’art. 10 de la loi du 10 février 2000, contrairement aux règles du droit commun civil et administratif régissant cette matière, a prévu que les contrats qu’elle régit ne sont conclus et n’engagent les parties qu’à compter de leur signature et que cette règle a un « caractère interprétatif ». Ces précautions résultent de la crainte, apparue dès l’origine, que le système ne soit victime de son trop grand succès et qu’il ne fasse peser sur le consommateur final une charge trop lourde du fait de la répercussion sur le tarif d’électricité domestique du coût d’achat très avantageux pour les vendeurs de cette forme d’électricité. N’ayant pas été prudent et avisé, l’opérateur économique requérant ne peut invoquer le principe de la confiance légitime.

Ensuite, était invoqué le bénéfice du maintien des contrats en cours (art. 10, loi du 10 février 2000, repris à l’art. L. 314-6 du code de l’énergie).

Ceci soulevait trois difficultés.

En premier lieu, était critiquée la rétroactivité du décret de suspension du 2 décembre 2010. L’argument est rejeté précisément du fait qu’ayant un caractère interprétatif la disposition législative ne donnant valeur contractuelle au document en cause qu’à compter de sa signature par les deux parties a nécessairement une portée rétroactive en vertu d’un principe général du droit.

En deuxième lieu, était également discuté le champ d’application de la suspension. Il résulte des art. 1 et 3 du décret du 9 décembre 2010 que sont exclus du champ d’application du pouvoir de suspension, d’une part, les installations pour lesquelles l'acceptation de la proposition technique et financière a été notifiée au gestionnaire de réseau avant le 2 décembre 2010 et, d’autre part, les cas où une convention de raccordement a été proposée par le gestionnaire de réseau sans formalisation préalable d'une proposition technique et financière et où cette convention a été signée par le producteur et notifiée au gestionnaire de réseau avant le 2 décembre 2010. De la combinaison de la règle de suspension et des cas où elle est écartée, il découle : 1°/ qu’en l'absence de conclusion d'un contrat d'achat d'électricité avant l'entrée en vigueur, le 10 décembre 2010, du décret du 9 décembre 2010, les producteurs ayant signé et notifié au gestionnaire de réseau une proposition technique et financière de raccordement au réseau public de distribution d'électricité avant le 2 décembre 2010 peuvent bénéficier des conditions d'achat résultant de l'arrêté du 12 janvier 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par voie photovoltaïque, sous réserve de la mise en service de leur installation dans un délai de dix-huit mois suivant cet envoi ; 2°/ que les producteurs ayant notifié leur acceptation de la proposition technique et financière de raccordement du gestionnaire de réseau à compter du 2 décembre 2010 ne peuvent pas bénéficier des conditions d'achat prévues par cet arrêté, quand bien même cette notification serait intervenue avant l'entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2010.

En troisième lieu, devait être résolu le cas où le gestionnaire de réseau a, en méconnaissance des dispositions de l'article 3 du décret du 9 décembre 2010, décidé de sortir un projet de la « file d'attente » de raccordement alors qu'il entrait dans le champ d'application des dispositions de cet article. Le Conseil d’État juge qu’en cette hypothèse la décision du gestionnaire étant irrégulière, elle « ne saurait ouvrir droit au bénéfice de l'obligation d'achat lorsque la condition d'achèvement de l'installation dans le délai de dix-huit mois n'a pas été satisfaite. Dès lors, la décision du CoRDIS du 19 décembre 2012 prenant acte de l'accord entre ERDF et la société Avpro Solar pour réintégrer son projet dans la « file d'attente » de raccordement au 21 septembre 2009 et fixant au 1er mars 2014 la date limite de mise en service de sa centrale photovoltaïque est sans incidence sur le délai d'achèvement de l'installation photovoltaïque ». Ce délai demeure fixé à dix-huit mois à compter de la notification par le producteur, au gestionnaire de réseau, de son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau. Il s’ensuit que la centrale photovoltaïque de la société ENR Gardon ayant été achevée à la fin du mois de mars 2014, après expiration du délai d'achèvement de dix-huit mois fixé au 24 septembre 2011, sa demande de conclure un contrat d'achat au tarif en vigueur avant la suspension de l'obligation d'achat ne pouvait qu'être rejetée.

(19 octobre 2020, Société ENR Gardon, n° 426385)

 

79 - Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – Commission des sanctions – Régime des sanctions infligées à une banque – Sanction complémentaire – Absence d’obligation de motiver – Objet des sanctions – Modalité de publication – Rejet pour l’essentiel.

La banque demanderesse veut faire ordonner par le juge l’organisation d’une médiation entre elle-même et la commission des sanctions de l’ACPR dans le cadre du différend les opposant à propos du blâme qui lui a été infligé, de la sanction pécuniaire qui l’assortit et de la décision de publier pendant cinq ans cette décision au registre officiel de l'Autorité sous une forme nominative puis sous forme anonyme.

Le Conseil d’État, qui statue ici en premier et dernier ressort, rejette tout d’abord l’argument tiré de ce que la sanction complémentaire en laquelle consiste la décision de rendre publique la sanction infligée n’est qu’une sanction complémentaire de cette dernière qui est la sanction principale. Par suite, la sanction complémentaire n’a pas à être motivée en sus de la motivation d’ensemble des décisions attaquées.

Ensuite, la circonstance que l’art. 60 de la directive européenne du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme impose la publication sur internet pour une durée de cinq ans des sanctions prononcées par les autorités nationales compétentes en la matière n’a pas pour effet de créer une sanction automatique contraire au principe d'individualisation des peines et donc contraire à l’art. 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne d’autant que le même art. 60 prévoit, au cas où cette publication serait jugée disproportionnée par l'autorité nationale, que celle-ci est tenue de retarder la publication ou d'anonymiser la version publiée, voire de renoncer à la publier.

Également, le juge rappelle les fonctions assurées par la publication des sanctions : d’une part, elle a une portée répressive car il s’agit d’une punition, et d’autre part, elle a une portée informative envers les personnes intéressées dans un souci de protection des clients de l’organisme sanctionné, elle satisfait ainsi aux exigences d'intérêt général relatives à la protection des clients des établissements concernés, au bon fonctionnement des marchés financiers et, au cas d'espèce, à l'efficacité de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Enfin, le juge reconnaît toutefois que ces modalités de publication sont, comme le soutient la requérante, susceptibles d'avoir une incidence sur la perception qu'aura le public de la décision de la commission des sanctions. C’est pourquoi, afin d’assurer un juste équilibre entre les exigences d'intérêt général et les intérêts de la banque. Le juge décide de faire droit à la demande de celle-ci sur ce point et d'ordonner que la publication de la sanction, d’une part, se fera sans mention des noms de clients ou de sociétés tierces à la procédure, ni du nom des pays concernés par les opérations en cause et, d’autre part, comportera le rétablissement des deux membres de phrase suivants : d’abord l’indication que des opérations « étaient effectuées à l'initiative et sous la surveillance des pouvoirs publics » (considérant 20 de la décision de sanction) et ensuite celle que des entrées en relation d'affaires avec certaines banques ont été effectuées « en lien avec les autorités publiques «  (considérant 30 de la même décision).

Sous ces conditions, le recours est rejeté pour l’essentiel.

(15 octobre 2020, Banque d’escompte, n° 432873)

 

Droit social et action sociale

 

80 - Licenciement d’un salarié protégé – Refus de l’inspecteur du travail – Compétence liée de ce dernier en raison de l’insuffisante motivation du licenciement – Inopérance des autres moyens invoqués – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

La société requérante avait demandé à l’inspecteur du travail de l’autoriser à licencier une de ses employées, salariée protégée. Cela lui fut refusé. Le tribunal administratif, saisi par la société, a annulé la décision de refus tandis que la cour administrative d’appel a annulé ce jugement.

La société se pourvoit.

La cour avait retenu que dès lors que la demande d’autorisation du licenciement était insuffisamment motivée, l’autorité administrative n’avait pas été en mesure d’identifier le motif de celle-ci et qu’ainsi l’inspecteur du travail se trouvait en situation de compétence liée, obligée qu’elle était de refuser l’autorisation sollicitée. Or l’on sait que les moyens qui seraient dirigés contre une décision prise en situation de compétence liée sont inopérants puisque la décision contestée devait de toute façon être prise telle qu’elle le fut. La cour a donc rejeté comme inopérants les autres moyens soulevés par la société à l’encontre de la décision de l’inspecteur, essentiellement des moyens de légalité externe.

Cassant ce raisonnement, le Conseil d’État relève que, pour constater l’insuffisante motivation de la demande d’autorisation de licenciement l’inspecteur du travail était nécessairement conduit à porter une appréciation sur les faits de l’espèce, il n’était donc point, contrairement à ce qu’a jugé la cour, en situation de compétence liée.

C’est par suite d’une erreur de droit que la cour a refusé de procéder à l’examen des autres moyens soulevés devant elle par la société demanderesse appelante.

L’arrêt est cassé avec renvoi pour que permettre que soit accompli cet examen.

(7 octobre 2020, Société Prevor, n° 423062)

 

81 - Droit au logement – Conditions de reconnaissance du caractère prioritaire et urgent la demande de logement social – Droit au logement dès que les conditions sont remplies - Disposition, par le candidat au logement, d’un logement – Perte du droit au logement sauf si le logement est inadapté – Cas en l’espèce – Annulation.

Par cette importante décision, qu’il faut saluer pour son humanité dans l’application du droit, le Conseil d’État statue sur un cas de figure particulier en matière de droit au logement opposable.

En principe, le candidat à un logement qui remplit les quatre conditions légales ou réglementaires (être de bonne foi ; remplir les conditions réglementaires d'accès au logement social ; justifier qu'il se trouve dans une des situations prévues au II de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation ; satisfaire à un des critères définis à l'article R. 441-14-1 de ce code) a droit automatiquement à ce que la commission de médiation le désigne comme prioritaire en vue de l’attribution d’urgence d’un logement.

Toutefois, si le demandeur dispose déjà d’un logement, la commission peut refuser de le déclarer prioritaire en vue d’un logement d’urgence mais elle a l’obligation de vérifier auparavant si le logement dans lequel se trouve le demandeur est adapté à ses besoins. Ce n’est qu’en cas de réponse positive à cette question qu’un refus peut être opposé.

Pour déterminer le caractère adapté ou non du logement aux besoins de l’intéressé le Conseil d’État énumère une batterie de critères sans que la liste soit exhaustive (montant de son loyer, localisation, éléments relatifs aux occupants du logement, comme une éventuelle situation de handicap, qui sont susceptibles de le rendre inadapté aux besoins du demandeur).

En l’espèce est annulé le jugement qui déclare adapté aux besoins de la requérante un logement que sa situation de handicap et celle de son fils rend de facto inadapté.

(8 octobre 2020, Mme X., n° 431100)

(82) V. aussi, sur des questions portant sur la même thématique avec des solutions diverses : 8 octobre 2020, M. X., n° 431618 ; 8 octobre 2020, M. X., n° 432061.

 

83 - Élections et financement de la vie politique - Comptes de campagne – Élections au Congrès et aux assemblées provinciales de Nouvelle-Calédonie – Dépassement du plafond des dépenses électorales – Dépenses devant être retenues - Rejet du compte de campagne par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) - Manquement d’une particulière gravité – Rejet.

Un recours a été formé, par un sénateur, tête d’une liste en vue d’élections au Congrès et à l’assemblée provinciale de la province nord de Nouvelle-Calédonie, contre la décision de la CNCCFP rejetant con compte de campagne, le privant du droit au remboursement forfaitaire des dépenses électorales par l'Etat et le frappant d’inéligibilité pendant douze mois.

Son recours est rejeté.

Les dépenses réintégrées dans le compte de campagne par la Commission l’ont été sans erreur de sa part. Il s’agit  notamment : 1° de la conclusion d’une convention entre les têtes de liste d’un même parti dans chacune des trois provinces du territoire pour répartir les dépenses électorales communes selon trois taux correspondant à la proportion des électeurs inscrits dans chaque circonscription, ce taux étant de 23,53% pour la province Nord ; 2° de la déduction de 11,57% des dépenses d'impression et d'affranchissement de documents électoraux hors programme et de 50% des frais de réception, pour les mettre à la charge du parti, au motif que 11,57% des foyers calédoniens sont des militants ou des sympathisants du parti et que ces derniers représentent la moitié des personnes qui participent aux réceptions données lors de la campagne, à l'occasion de réunions publiques.

Dès lors que des dépenses le sont en vue de l'élection elles doivent figurer au compte de campagne, sans qu'il y ait lieu de distinguer si les électeurs sont des militants ou des sympathisants du parti qui soutient le candidat. Il en va de même des frais liés à la tenue de réunions publiques qui se sont déroulées dans le ressort de la circonscription électorale du candidat, en prévision du scrutin et dans le but de soutenir la liste qu'il conduit.

Par ailleurs, compte tenu de l’expérience du candidat et de sa connaissance des règles, c’est à bon droit que la Commission a aperçu dans ce comportement un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales. L’inéligibilité prononcée est donc justifiée.

(19 octobre 2020, M. B., n° 437711)

(84) V. aussi, du même jour et sur le même sujet : 19 octobre 2020, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), n° 437712, à propos d’élections tenues dans la province sud et où l’inéligibilité prononcée est de dix-huit mois ; 19 octobre 2020, CNCCFP, n° 437714, solution identique à la précédente ; 19 octobre 2020, CNCCFP, n° 437715, solution identique à la précédente ; 19 octobre 2020, CNCCFP, n° 437716, solution identique à la précédente.

 

85 - Référé-liberté - Protocole d’accord issu du « comité Ségur national » - Questions relatives aux praticiens hospitaliers – Réunions du comité de suivi de ce protocole et du groupe de travail – Absence d’invitations de syndicats représentatifs – Urgence et atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale – Annulation et injonction.

Suite au constat des difficultés professionnelles des médecin hospitaliers relevées durant la première vague d’épidémie de Covid-19, un « Comité Ségur National » a été créé par l’accord du 13 juillet 2020, celui-ci comporte des réunions de son comité de suivi et d’un groupe de travail. Du fait que les syndicats requérants n’ont pas signé ce protocole, le ministre de la santé ne les a pas convoqués aux réunions tenues antérieurement à l’introduction de leur appel (soit les 18, 24 et 25 septembre) ni à celles prévues par la suite.

Arguant de leur qualité de syndicats représentatifs les organisations requérantes, qui ont saisi le juge des référés du tribunal administratif, sur le fondement des dispositions de l’art. L. 521-2 CJA, d’une demande tendant à ce que leur soient communiqués les comptes rendus des réunions tenues en leur absence et, pour le futur, à ce qu’ils soient invités à participer aux réunions. Ils interjettent appel devant le Conseil d’État de l’ordonnance rejetant leur demande

Celui-ci constate tout d’abord que ces organisations syndicales sont représentatives de la profession.

Il rejette ensuite l’argument du ministre fondé sur la circonstance que ces syndicats n’ont pas signé l’accord du 13 juillet 2020 car les réunions litigieuses ont un objet plus large que le seul suivi de cet accord et portent sur des points ne figurant pas dans l’accord. Dès lors, il résulte des dispositions des art. L. 6156-1 et 6156-2 du code de la santé publique, que ces syndicats représentatifs doivent têre appelés à participer aux négociations ouvertes par les autorités compétentes au niveau national. L’atteinte à la liberté syndicale, liberté fondamentale, est ainsi établie.

Ensuite, les prochaines réunions devant se tenir les 22 et 23 octobre 2020, l’urgence à statuer est certaine.

Il est fait injonction au ministre d’inviter les requérants aux prochaines réunions. En revanche, compte-tenu de l’urgence est rejetée la demande de communication des comptes rendus des réunions antérieures.

(ord. réf. 19 octobre 2020, Syndicat Jeunes Médecins et lntersyndicale Action Praticiens Hôpital, n° 445099)

 

Environnement

 

86 - Électricité produite par éoliennes – Autorisation préfectorale d’installation - Principes d’impartialité, d’objectivité et de transparence des décisions de l’administration active – Régime de l’évaluation des incidences d’un projet sur l’environnement – Obligation d’autorités distinctes pour évaluer ou pour décider ou d’une séparation fonctionnelle garantissant l’autonomie de l’entité chargée de l’évaluation – Absence – Cassation avec renvoi.

Le Conseil d’État rappelle une nouvelle fois l’exigence posée par l’art. 6 de la directive européenne du 13 décembre 2011, telle qu’interprétée par la CJUE (20 octobre 2011, Department of the Environment for Northern Ireland c/ Seaport (NI) Ltd et autres, affaire C-474/10). Selon ce texte et cette jurisprudence, afin d’assurer la transparence, l’objectivité et l’impartialité des décisions d’autorisation de projets susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement, il importe que, soit l’autorité d’évaluation et l’autorité de décision soient complètement distinctes, soit qu’appartenant à une même division administrative, elles relèvent, au sein de celle-ci, de deux entités autonomes l’une par rapport à l’autre.

C’est par erreur de droit que, dans la présente affaire, la cour administrative d’appel a estimé régulière une procédure d’autorisation d’implantation d’éoliennes à fin de production d’électricité qui ne respectait pas l’un des deux termes de cette alternative.

(16 octobre 2020, M. et Mme U., n° 432865)

(87) V. aussi, voisin, à propos du décret du 9 avril 2019 modifiant la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement ainsi que les rubriques 2521, 2564 et 2565 de cette nomenclature sans modifier les autres rubriques de la nomenclature, permettant ainsi à des installations entrant dans le champ d'application des annexes I et II de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 d'être exonérées d'évaluation environnementale sur le fondement d'éléments étrangers, en tout ou partie, aux critères de l'annexe III de la même directive : 16 octobre 2020, Association France nature environnement, n° 434752.

 

88 - Projet de construction d’un complexe sportif – Autorisation préfectorale accordée avec dispense d’évaluation environnementale (art. L. 214-3 c. env.) – Modification du projet pour une extension – Autorisation accordée – Absence d’étude d’impact – Rejet du référé suspension en raison d’une réserve figurant dans un tableau annexé à une disposition de ce code - Réserve supprimée par la suite – Erreur de droit – Cassation sans renvoi, la suspension étant accordée.

Après avoir autorisé un projet d’édification d’un complexe sportif de 4,4 hectares avec dispense d'évaluation environnementale, un préfet de région, sur demande de modification faite par la commune en vue de porter à 10,2 hectares l’emprise du projet, l’accorde.

Les requérants demandaient en première instance, outre l’annulation de cette autorisation, sa suspension. Cela leur est refusé au motif que ce projet entrait dans l’une des réserves figurant dans un tableau annexé à l’art. R. 122-2 c. env.

Le juge des référés du Conseil d’État casse cette ordonnance pour erreur de droit et rappelle que le moyen ainsi soulevé par l’association requérante n’est pas, contrairement à ce que prétendait la commune défenderesse « nouveau en cassation » car il est né de l’ordonnance attaquée et présente, de surcroît, le caractère d’un moyen d’ordre public.

(ord. réf. 20 octobre 2020, Association pour l'aménagement de la vallée de l'Esches, n° 433404)

 

État-civil et nationalité

 

89 - Opposition au décret autorisant un changement de nom – Motif légitime à changer un nom de famille à consonance étrangère – Demande d’autorisation à porter le nom du père en raison d’une possession d’état – Opposition de membres de la famille portant ce nom – Contestation de paternité devant le juge judiciaire – Opposition fondée et admise.

Les requérants faisaient opposition au décret autorisant un sieur X. à porter leur propre nom, le bénéficiaire invoquant la filiation établie par une possession d’état.

Ils demandaient, d’une part, l’annulation du décret et d’autre part sa suspension jusqu’à ce que l’action en contestation de filiation par possession d’état introduite devant le juge judiciaire soit irrévocablement jugée.

Le Conseil d’État estime, « dans les circonstances particulières de l’espèce », que les requérants justifient d’un préjudice suffisant pour s’opposer au changement de nom autorisé par le décret attaqué et donc pour en demander l’annulation sans qu’il soit besoin de surseoir à statuer jusqu’à ce que l’autorité judiciaire se soit prononcée.

(23 octobre 2020, M. X. et autres, n° 437865)

 

Fonction publique et agents publics

 

90 - Covid-19 - Polynésie française – Fonction publique territoriale et autres agents publics – « Loi de pays » imposant à ces personnels de récupérer les jours de confinement non travaillés – Rejet.

Le Conseil d’État rejette tous les arguments développés par la confédération requérante au soutien de sa demande d’annulation d’une « loi de pays » du 14 mai 2020 en ce qu’elle a prévu que l’ensemble des agents bénéficiaires de congés ou d’autorisations exceptionnelles d'absence pendant la durée du confinement durant l’épidémie de Covid-19, avec maintien de leur traitement, sont tenus de prendre, pendant la période de confinement, les congés acquis du 1er janvier 2020 jusqu'à la date de fin de confinement et que les heures non travaillées pendant l'autorisation exceptionnelle d'absence visée à l'alinéa précédent font l'objet d'un rattrapage dès le lendemain du terme de la fin du confinement à domicile.

Le Conseil d’État rappelle d’abord d’une part, que les « lois de pays » sont des actes administratifs, et d’autre part, qu’il ne peut se prononcer que sur leur conformité à la Constitution, aux lois organiques, aux engagements internationaux de la France et aux principes généraux du droit, non sur les irrégularités qui pourraient entacher la procédure de leur adoption ni non plus la régularité de la procédure d'adoption de la circulaire du 23 mars 2020 relative à la mise en oeuvre du plan de continuité de l'activité de l'administration.

Examinant les différents arguments de la demanderesse, il indique que la « loi » déférée ne porte pas atteinte au principe d’égalité du fait qu’elle comporte des dispositions différentes selon les catégories de personnels qu’elle régit dès lors que ces différences, qui ne sont pas disproportionnées, sont en rapport avec l’objet de cette « loi de pays ».

Semblablement, l’acte déféré ne porte nullement atteinte au droit pour les personnels concernés à percevoir leur traitement et il n’est pas non plus entaché d’une rétroactivité illégale puisque ses dispositions relatives à la prise immédiate de congés annuels ne cherchent qu’à placer les agents dans une situation régulière.

(2 octobre 2020, Confédération syndicale A Tia I Mua, n° 441297)

 

91 - Professeur contractuel du second degré de l’enseignement public – Classement indiciaire – Détermination de la catégorie puis de la rémunération – Éléments à prendre en considération – Contrôle par le juge de l’erreur manifeste d’appréciation – Cassation partielle avec renvoi.

La requérante, recrutée en qualité de professeur contractuel de 2ème catégorie, a contesté le niveau de qualification qui avait été retenu pour fixer sa rémunération. Elle a saisi le juge administratif qui lui a donné d’abord raison en première instance mais, en appel, a rejeté sa demande.

Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi en cassation, précise très clairement la marche à suivre en pareille circonstance. Tout d’abord, la détermination de la rémunération d’un professeur contractuel du second degré s’effectue en combinant son classement dans une des quatre catégories énumérées à l’art. 4 du décret du 12 mai 1981relatif au recrutement des professeurs contractuels avec les indices de rémunération minimum, moyen et maximum prévus par l'arrêté du 29 août 1989.

Le classement dans une catégorie résulte exclusivement de deux éléments combinés, les titres universitaires détenus et la qualification professionnelle antérieure.

L’indice de rémunération est, lui, fonction en particulier, de l'expérience de cet agent dans l'enseignement et des caractéristiques particulières du poste pour lequel il est recruté.

A cet égard, le Conseil d’État, et c’est ce qui fait l’importance de la décision, précise qu’en cas de contestation sur ce point, le juge saisi doit vérifier qu'en déterminant, d'une part, la classe de rattachement de l'agent et, d'autre part, sa rémunération, l'administration n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation. Or, en l’espèce, le classement de la requérante en 2ème catégorie était critiqué.

Pour avoir méconnu l’exigence de vérification susrappelée, l’arrêt est cassé et l’examen de l’affaire est renvoyé à, la cour qui l’a rendu.

(12 octobre 2020, Mme X., n° 428656)

 

92 - Professeur d’université – Recrutement sur un emploi de professeur – Annulation par le juge du refus de l’université de transmettre la liste des candidats retenus – Absence d’obligation de recommencer la procédure en cas d’abandon de celle-ci – Rejet.

La circonstance que le Conseil d’État a annulé la décision d’une université de transmettre au ministre des universités la liste des candidats à un emploi ce professeur des universités ouvert au recrutement, établie par le comité de sélection n’oblige pas l’université à reprendre cette procédure si elle décide de l’abandonner et une telle décision n’a pas à être obligatoirement expresse ni prise par la formation plénière du conseil d’administration.

(14 octobre 2020, M. A., n° 420929)

 

93 - Fonctionnaire départemental - Accident prétendu imputable au service – Refus de reconnaître, dans les circonstances de l’espèce, l’imputabilité au service – Commission d’une faute personnelle détachable du service – Cassation.

Un employé du département, chef de service au sein d’un établissement chargé d'accueillir les mineurs en difficulté ou en danger au titre de l'aide sociale à l'enfance, demande la reconnaissance de l’imputabilité au service d’un accident consécutif à une altercation qu’il a eue avec une personne prise en charge par cet établissement.

Compte tenu des circonstances de l’affaire, le président du conseil départemental a, d’une part, suspendu l’agent de ses fonctions dans l'intérêt du service pour faute grave et décidé d'engager une procédure disciplinaire contre lui, et, d’autre part, refusé de reconnaître l’imputabilité au service de sa maladie.

Le juge des référés, sur recours de l’agent, a suspendu l’exécution de la décision refusant d’accorder le bénéfice de l’imputabilité au service, enjoint au département de prendre diverses mesures dont la reprise du versement de l'intégralité du traitement de son agent avec effet rétroactif.

Le département se pourvoit.

Le Conseil d’État réaffirme en ces termes sa doctrine bien établie sur l’imputabilité : « Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service, le caractère d'un accident de service. »

Puis, il examine les faits sur lesquels le président du département s’est fondé pour décider qu’en raison de la faute personnelle commise par cet agent il n’y avait pas lieu de reconnaître l’imputabilité au service de son accident. Des pièces du dossier il résulte que la coordinatrice du service, qui accueille les mères et leurs enfants de moins de trois ans, a sollicité l'intervention du chef de service parce qu'elle ne parvenait pas à faire sortir d’une salle une jeune femme mineure, prise en charge depuis la naissance de son enfant. Une altercation a éclaté et l’intéressé a trainé la jeune femme, tombée à terre, par la jambe jusqu'à l'extérieur de la salle. Les médecins ont constaté, à la suite de cet incident, que la jeune femme souffrait d'une entorse cervicale et de plusieurs contusions. Un tel comportement révèle une faute personnelle, ce qui exclut l’existence d’un accident de service.

L’ordonnance du premier juge est annulée.

(ord. réf. 12 octobre 2020, Département de l’Essonne, n° 432115)

 

94 - Fonctionnaires d’État – Assistance d’un syndicat pour la formation et la défense d’un recours administratif contre certaines décisions individuelles défavorables – Modifications apportées par la loi du 6 août 2019 à l’art. 14 bis de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d'Etat et par le décret d’application du 29 novembre 2019 – Maintien du droit des agents de recourir à l’assistance d’un syndicat – Rejet.

Le syndicat requérant contestait les dispositions des articles 30 et 39 du décret n° 2019-1265 du 29 novembre 2019 relatif aux lignes directrices de gestion et à l'évolution des attributions des commissions administratives paritaires, pris pour l’application de l’art. 14 bis qu’a introduit dans la loi du 11 janvier 1984 celle du 6 août 2019, relative à la fonction publique.

Il était prétendu que désormais les syndicats ne pouvaient plus assister les agents dans l'exercice des recours administratifs contre les décisions individuelles défavorables les concernant en matière d'avancement ou de mutation et qu’ainsi étaient remises en cause les situations acquises du fait que certains syndicats ne sont plus susceptibles, en cours de mandat, de représenter les agents en raison des règles de représentativité syndicale.

Opérant une interprétation « généreuse » des textes comme il l’avait déjà fait dans sa décision du 5 juin 2020 rejetant la demande – formée par le même syndicat - de renvoi au Conseil constitutionnel d’une QPC pour ces motifs, le Conseil d’État rappelle que les dispositions litigieuses de l'article 14 bis de la loi du 11 janvier 1984 ne sauraient avoir pour effet de faire obstacle à ce que des agents se fassent assister dans la préparation de ces recours, s'ils le souhaitent, par le représentant d'un syndicat non représentatif. 

(7 octobre 2020, Syndicat des agrégés de l'enseignement supérieur (SAGES), n° 438230)

 

95 - Professeur des universités – Régime disciplinaire devant le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) – Enseignant s’étant rendu coupable de manquements graves à la déontologie – Aggravation de la sanction en appel – Rejet.

Le requérant, professeur des universités, conteste la décision du CNESER, statuant sur son appel des sanctions prises par la section disciplinaire de son université, le révoquant de l’université.

De cette longue décision où sont examinés les nombreux moyens de forme comme de fond, de droit comme de fait, soulevés par le requérant sera retenu un aspect procédural souvent mal connu.

En principe, en vertu des principes généraux du droit disciplinaire, une sanction infligée en première instance par une juridiction disciplinaire ne peut être aggravée par le juge d'appel quand cet appel est interjeté par la personne frappée par la sanction. Toutefois, lorsque, comme en l’espèce, se greffe sur l’appel principal de la personne sanctionnée un appel incident d’une autre personne, ici celui de l’université d’appartenance de l’individu sanctionné, cette règle ne joue pas et la sanction, comme ici, peut être aggravée en appel.

(9 octobre 2020, M. X., n° 425459)

 

96 - Fonctionnaires d’État – Licenciement pour insuffisance professionnelle – Procédure calquée sur celle applicable en matière disciplinaire – Communication du rapport de l’autorité qui a saisi l’instance discipline – Absence – Régularité – Rejet.

Il résulte des dispositions de l’art. 70 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État que le licenciement pour insuffisance professionnelle d’un fonctionnaire d’État ne peut être prononcé qu’après qu’ait été suivie la procédure applicable en matière disciplinaire, c’est-à-dire qu’il doit être informé des insuffisances qui lui sont reprochées, pouvoir demander la communication de son dossier et disposer d’un délai suffisant pour préparer sa défense. En revanche, il ne résulte d’aucun texte ou principe que doit lui être communiqué le rapport de l’autorité ayant saisi l’organe disciplinaire.

(9 octobre 2020, Mme X., n° 429563)

 

97 - Administrateur civil – Auteur de nombreux messages et autres très critiques sur les pouvoirs publics, l’administration, le chef de l’État – Poursuites disciplinaires pour méconnaissance du devoir de réserve, de l'obligation de discrétion professionnelle et de l'obligation de dignité attachés à ses fonctions - Révocation – État psychiatrique rendant excessive la sanction – Annulation.

Un administrateur civil est poursuivi disciplinairement pour, selon sa hiérarchie,  « avoir publié, d'une part, trois articles, au cours de l'année 2015, sur un site internet, dans lesquels il a fait état de sa qualité d'administrateur civil et émis de vives critiques à l'encontre de l'administration et du Gouvernement et, d'autre part, sous pseudonyme sur un blog hébergé par le site Médiapart et sous son nom propre sur son blog personnel, un même article daté respectivement du 3 décembre 2017 et du 8 janvier 2019, dans lequel il formule de vives critiques à l'encontre du Président de la République. Il est par ailleurs reproché à M. A. d'avoir, à la suite de sa prise de fonctions, en décembre 2017, de chargé de mission auprès du chef de service de la direction des ressources humaines des ministères chargés des affaires sociales, en qualité de référent pour le plan de continuité d'activité ministériel, publiquement dénigré l'action des ministères sociaux sur ce dossier et transmis, le 9 mars 2018, à un service extérieur à son ministère, des éléments confidentiels sur la situation administrative d'un agent. Il est en outre reproché à M. A. d'avoir, le 6 décembre 2018, adressé des courriels à un grand nombre d'agents de son ministère contenant de nombreuses critiques dirigées contre des responsables de la direction des ressources humaines des ministères sociaux, diffusé simultanément des vidéos sur son compte Facebook dans lesquelles il se présentait comme un gilet jaune et faisait état de sa qualité d'administrateur civil et de ses fonctions au sein des ministères sociaux, et d'avoir, le même jour, à l'heure du déjeuner, au restaurant administratif de son ministère, commis un acte d'atteinte à sa personne qu'il aurait ultérieurement qualifié de « signe de protestation », dans un courriel adressé à la direction des ressources humaines des ministères sociaux le 20 février 2019. Enfin, il est reproché à M. A. d'avoir, dans ce même courriel du 20 février 2019, retranscrit un échange avec son médecin traitant contenant des injures à l'encontre du chef de service de la direction des ressources humaines des ministères sociaux et, plus généralement, de la fonction publique et des fonctionnaires. »

Au terme de la procédure disciplinaire, est prononcée contre lui, par décret du chef de l’État, la sanction de la révocation pour méconnaissance du devoir de réserve, de l'obligation de discrétion professionnelle et de l'obligation de dignité attachés à ses fonctions.

Sur recours de l’intéressé, le Conseil d’État annule cette décision.

Tout d’abord, la prescription des faits étant, en matière de discipline des fonctionnaires, de trois ans, il en résulte qu’aucun des faits survenus avant le 22 avril 2016, date d’entrée en vigueur de la loi du 20 avril 2016 modifiant l’art. 13 de la loi du 13 juillet 1983, ne peut être retenu au soutien de la décision attaquée dès lors que la procédure disciplinaire a été engagée le 27 mai 2019.

Ensuite, pour les autres faits, ils sont constitutifs de fautes passibles d’une sanction. Cependant, le juge estime disproportionnée la mesure de révocation infligée à l’intéressé car il ressort des pièces du dossier, notamment d’une décision d'admission en soins psychiatriques du 8 décembre 2018 et du rapport d'expertise établi le 18 septembre 2019 par un médecin psychiatre à l'attention de la commission de réforme ministérielle saisie afin de déterminer l'imputabilité au service de l'accident survenu le 6 décembre 2018, que l'état de détresse psychologique du requérant avait justifié, après son passage à l'acte suicidaire, une hospitalisation sous contrainte en hôpital psychiatrique et la prescription continue d'arrêts de travail du 12 décembre 2018 au 3 septembre 2019. Selon le rapport précité, M. A. serait atteint de troubles psychopathologiques sévères et de gravité confirmée, entraînant une altération importante du fonctionnement social et professionnel et ne permettant pas une reprise immédiate des fonctions.

Eu égard à l’éventail de sanctions de nature et de portée différentes dont disposait l’administration, la mesure de révocation est jugée excessive au regard de l’état de santé de M. A. ; elle est annulée.

(15 octobre 2020, M. A., n° 438488)

 

Hiérarchie des normes

 

98 - Régime fiscal des dividendes distribués par des sociétés françaises – système du précompte – Interdiction de la double imposition à l’intérieur de l’Union européenne – Discrimination entre filiales d’une même société selon qu’elles sont situées dans l’État d’imposition ou dans un autre État de l’Union – Renvoi d’une question préjudicielle à la CJUE – Refus, en l’état du contexte dans lequel elle est posée, de renvoyer une QPC – Sursis à statuer sur un renvoi préjudiciel à la CEDH dans l’attente de la réponse de la CJUE au renvoi préjudiciel.

Selon l'article 158 bis du CGI les personnes qui reçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises disposent à ce titre d'un revenu constitué par les sommes qu'elles reçoivent de la société et par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le Trésor. L'article 216 du même code prévoit par ailleurs que « Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci (...) ». Aux termes du premier alinéa du 1 de l'article 223 sexies du CGI : « (...) lorsque les produits distribués par une société sont prélevés sur des sommes à raison desquelles elle n'a pas été soumise à l'impôt sur les sociétés au taux normal (...), cette société est tenue d'acquitter un précompte égal au montant du crédit prévu à l'article 158 bis et attaché à ces distributions. Ce précompte est dû quels que soient les bénéficiaires des distributions. » Enfin, aux termes du 2 de l'article 146 du même code : « Lorsque les distributions auxquelles procède une société mère donnent lieu à l'application du précompte prévu à l'article 223 sexies, ce précompte est diminué, le cas échéant, du montant des crédits d'impôts qui sont attachés aux produits des participations (...), encaissés au cours des exercices clos depuis cinq ans au plus ».

Sur ce point, la CJUE a, tout d’abord, jugée contraire au droit de l’Union une législation fiscale nationale ne permettant à une société mère distribuant des dividendes de n'imputer sur le précompte l'avoir fiscal attaché à la distribution de ces dividendes que s'ils proviennent d'une filiale établie dans cet État membre non si ces dividendes proviennent d'une filiale établie dans un autre État membre, dès lors que cette législation n'ouvre pas droit, dans cette dernière hypothèse, à l'octroi d'un avoir fiscal attaché à la distribution de ces dividendes par cette filiale (CJUE, 15 septembre 2011, Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique contre Accor SA, aff. C-310/09). Ensuite, la CJUE a estimé que si, pour éviter que les bénéfices distribués à une société mère résidente par une filiale non-résidente soient imposés, dans un premier temps, dans le chef de la filiale dans son État de résidence et, dans un second temps, dans celui de la société mère dans son État de résidence, d’une part, les États membres ont le choix entre deux systèmes, le système d'exonération et le système d'imputation (sans possibilité toutefois pour un État d’invoquer les effets ou les limitations qui auraient pu découler de la mise en oeuvre de l'autre système : CJCE 12 février 2009, Belgische Staat contre Cobelfret NV, aff. C-138/07) et si, d’autre part, ils conservent la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation et des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère (CJCE 25 septembre 2003, Océ Van der Grinten NV contre Commissioners of Inland Revenue, aff. C-58/01), en revanche, il est interdit aux États membres d'imposer la société mère au titre des bénéfices qui lui sont distribués par sa filiale, sans distinguer selon que l'imposition de la société mère a pour fait générateur la réception de ces bénéfices ou leur redistribution. 

On voit par là que le mécanisme français institué à l’art. 223 sexies précité du CGI est susceptible de relever de cette prohibition dans la mesure où le précompte n’a pas le caractère d’une retenue à la source (CJUE 17 mai 2017, X. c/ Ministerraad, aff. C-68/15 et Association française des entreprises privées (AFEP) et autres c/ Ministre des finances et des comptes publics, aff. C-365/16).

Constatant que cette question soulève ainsi une difficulté sérieuse le Conseil d’État la renvoie à la CJUE.

Dans le même recours avaient été soulevées et une demande de renvoi d’une QPC et une demande de renvoi préjudiciel à la CEDH fondée sur. L’art. 14 de la convention éponyme.

La demande en QPC est rejetée, en l’état, car « Tant que l'interprétation de la directive 90/435/CE du Conseil du 23 janvier 1990, notamment celle de son article 4 et du paragraphe 2 de son article 7, n'aura pas conduit le juge de l'excès de pouvoir à écarter l'application de l'article 223 sexies du code général des impôts aux redistributions par les sociétés mères de dividendes en provenance de filiales qui sont établies dans un autre Etat membre de l'Union européenne, aucune différence dans le traitement fiscal des opérations de distribution n'est susceptible d'en résulter au détriment de sociétés mères redistribuant des dividendes en provenance de filiales qui sont établies en France ou dans un Etat tiers à l'Union européenne ». C’est donc un refus sous condition qui est opposé.

Le juge surseoit à statuer sur la demande de renvoi préjudiciel à la CEDH. En effet, un tel renvoi serait fondé sur l’existence éventuelle d’une discrimination, ceci supposant que la CJUE se soit prononcée sur la question préjudicielle susindiquée.

(23 octobre 2020, Société européenne Schneider Electric et sociétés anonymes Axa, BNP Paribas, Engie et Orange, n° 442224 ; L'Air Liquide société anonyme pour l'étude et l'exploitation des procédés George Claude (société L'Air Liquide), n° 442248)

 

Libertés fondamentales

 

99 - Presse – Régime des aides – Publication d’information politique et générale – Absence de ce caractère – Rejet.

La commission paritaire des publications et agences de presse a refusé à la revue diffusée par l’association requérante la qualification juridique de « publication d'information politique et générale » au motif que, consacrée pour l’essentiel à l’information du consommateur par divers moyens (articles de fond, tests comparatifs, analyses de laboratoire…), elle « n'abordait que marginalement l'actualité politique et générale, laquelle suppose d'apporter, de façon permanente et continue, des analyses et commentaires susceptibles d'éclairer le jugement des citoyens sur des sujets ayant trait à la vie publique ».

Cette qualification est très importante pour les publications à faible revenu car elle leur permet d’obtenir une aide publique qui a pour objet de favoriser le pluralisme de la presse.

Confirmant les décisions des juridictions de première instance et d’appel, le Conseil d’État estime que celles-ci, en refusant la qualification revendiquée, n’ont commis ni erreur de droit ni erreur dans la qualification des faits de l’espèce.

(5 octobre 2020, Union Fédérale des Consommateurs - Que Choisir (UFC - Que Choisir), n° 424049)

 

100 - Liberté du commerce et de l’industrie – Libre concurrence - Création d’une Agence du numérique de la sécurité civile – Atteinte à ces libertés fondamentales – Réponse négative en présence d’un intérêt public justificatif – Rejet.

Les organismes demandeurs poursuivaient l’annulation du décret n° 2018-856 du 8 octobre 2018 portant création de l'Agence du numérique de la sécurité civile notamment motif pris de ce que celle-ci porterait une atteinte illégale au principe de la liberté du commerce et de l'industrie ainsi qu’à celui de la libre concurrence.

Le recours pour excès de pouvoir est rejeté.

Le juge rappelle que les personnes publiques sont chargées d'assurer les activités nécessaires à la réalisation des missions de service public dont elles sont investies et bénéficient à cette fin de prérogatives de puissance publique. Si elles entendent, indépendamment de ces missions, prendre en charge une activité économique, elles ne peuvent légalement le faire que dans le respect tant de la liberté du commerce et de l'industrie que du droit de la concurrence. Ceci implique donc la double exigence du constat d’un intérêt public justificatif et de modalités de fonctionnement ne faussant pas le libre jeu de la concurrence.

S’agissant de l’Agence en cause, l’art. L. 112-2 du code de la sécurité intérieure lui donne pour objet de concevoir et de mettre en oeuvre, au profit notamment des services d'incendie et de secours, des systèmes d'information destinés à leur permettre d'assurer dans les meilleures conditions les tâches de gestion opérationnelle et de gestion de crise qui leur sont assignées ainsi que d’en diminuer les coûts. Il en résulte que la création de cette agence, ainsi justifiée par un intérêt public, ne porte pas une atteinte illégale à la liberté du commerce et de l’industrie et que, par elle-même, elle ne la place pas dans une situation où elle bénéficierait de droits exclusifs ou bien où elle serait placée en position économique dominante ; cette création n’attente pas à la libre concurrence.

(14 octobre 2020, Association Qualisis, Société système et télécommunications, Société d'informatique et de systèmes et Société d'informatique Midi-Pyrénées industrie, n° 426119)

(101) V. aussi, du même jour, avec sensiblement les mêmes requérants, annulant le décret du 9 janvier 2019 relatif au système d'information et de commandement unifié des services d'incendie et de secours et de la sécurité civile " NexSIS 18-112 " en raison de l'absence de consultation de l'Autorité de la concurrence : 14 octobre 2020, Association Qualisis, la Société système et télécommunications et la Société d'informatique Midi-Pyrénées industrie, n° 428691.

 

102 - Réfugié – Annulation de l’octroi de la qualité de réfugié – Décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Intéressé s’étant rendu coupable de proxénétisme aggravé – Agissements non contraires aux buts et principes des Nations-Unies – Absence de violations graves des droits de l’homme - Annulation de la mesure abrogeant l’octroi de la qualité de réfugié – Rejet.

L’OFPRA avait décidé d’abroger le statut de réfugié accordé à un ressortissant étranger en raison de sa condamnation en France, postérieurement à l’octroi de cette qualité, pour faits de proxénétisme aggravé.

L’intéressé a saisi la Cour nationale du droit d’asile qui a annulé la décision de l’OFPRA motif pris, d’une part, de ce que les infractions commises par ce réfugié ne sont pas contraires aux buts et principes des Nations unies au sens du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève car faisaient défaut  la gravité et la dimension internationale requises pour retenir une telle qualification, lesquelles n'étaient pas caractérisées en l'espèce (1) et, d’autre part, les faits délictuels de proxénétisme commis par le réfugié peu délicat ne pouvaient être qualifiés de violations graves des droits de l'homme constitutives d'agissements contraires aux buts et principes des Nations unies (2).

Le Conseil d’État rejette le recours contre cette décision de la CNDA qui n’a pas commis d’erreur de droit (cas 1) ni inexactement qualifié les faits à elle soumis (cas 2).

Le retrait de la qualité de réfugié obéit à des conditions très précises et limitativement énumérées par la Convention de Genève et repris dans la législation nationale.

Summum ius summa injuria devrait-on écrire…

(14 octobre 2020, OFPRA, n° 428361)

 

103 - Nouvelle-Calédonie – Système pénitentiaire – Conditions de détention – Intervention du juge des référés, conditions, office et limite – Jurisprudences plus ou moins concordantes de la CEDH, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation – Mesures d’ordre structurel ou engageant une politique publique impossibles à ordonner par voie de référé – Régime et portée du pouvoir d’injonction et du pouvoir d’exécution des ordonnances du juge du référé liberté – Admission et rejet partiels avec légère réformation de l’ordonnance rendue par le juge du tribunal administratif.

Le juge administratif était une nouvelle fois saisi de recours sur les conditions de vie des détenus dans certains centres pénitentiaires, spécialement en Nouvelle-Calédonie. D’autres juridictions ont également été saisies de cette question et la présente décision ne manque pas de rappeler celles d’entre-elles qui ont un rapport direct avec l’objet des solutions ici retenues (CEDH, 30 janvier 2020, J.M.B. et 31 autres c/ France, n° 9671/15 ; C.C., 2 octobre 2020, Geoffrey F ; et Ossama H., QPC n° 2020-858/859 ; Cass. crim. 8 juillet 2020, V. c/ Chambre de l’instruction de la cour de Rennes, n° 20-81.739, renversant Cass. crim. 18 septembre 2019, Y. c/ Chambre de l’instruction de la cour de Montpellier, n°19-83.950).

C’est l’occasion d’une très longue décision (près de 60 000 caractères) où transparaît la volonté du juge de prendre à bras-le-corps l’irritante question des conditions de détention déplorables existant dans certaines prisons françaises, compliquées ici par les conditions climatiques et les « renvois de balle » entre l’État et le territoire de Nouvelle-Calédonie à raison du partage de compétences, l’État étant responsable du secteur pénitentiaire et le territoire de la condition sanitaire des détenus (cf. points 29 à 32 inclus de la décision).

La Section française de l’observatoire international des prisons (SFOIP) avait saisi le juge des référés du tribunal administratif d’une liste impressionnante de demandes, dix-sept, dont un nombre non négligeable ont reçu satisfaction.

Le juge des référés du Conseil d’État était saisi de deux pourvois, l’un de la requérante de première instance, l’autre du ministre défendeur.

Brevitatis causa car on ne saurait rendre compte de façon exhaustive de cette importante décision qui aura les honneurs de la publication au Lebon, il était demandé au juge d’appel, d’une part, d’ordonner que soient prises celles des mesures matérielles rejetées en première instance, d’autre part, de mettre en œuvre l’arrêt de la CEDH (préc.) portant condamnation de la France pour défaut d’existence d’un recours préventif des détenus, et enfin, d’ordonner même celles des mesures qui imposeraient des modifications d’ordre structurel ou engageraient des politiques publiques.

 

I.- Le Conseil d’État commence par donner une leçon de droit du contentieux administratif sur les fonctions et l’office du juge du référé-liberté et, en conséquence, sur la portée des pouvoirs qu’il détient à ce titre ; il précise en outre qu’il est un juge et non un législateur.

Sur le premier point, c’est d’abord la reprise d’un thème bien connu : le juge des référés est un juge du provisoire et de l’urgence et il n’est, de fait et de droit, que cela ; en particulier, il ne peut ordonner que des mesures pouvant être mises en œuvre à bref délai ainsi que, le cas échéant et le moment venu, des mesures complémentaires, additionnelles comme de révision de celles antérieurement ordonnées. Cependant, à cette argumentation récurrente, et sans doute à cause des prises de position juridictionnelles susrappelées, le juge ajoute ici d’importantes précisions concernant l’effectivité des mesures prescrites en référé. En effet, celles-ci sont revêtues de l’autorité de chose jugée et il incombe donc aux différentes autorités administratives de prendre les décisions qu'implique le respect des décisions juridictionnelles. S’il est certain que ce juge ne peut proprio motu prononcer des mesures tendant à l'exécution de celles qu'il a déjà ordonnées, il peut, soit d'office (art. L. 911-3 CJA), assortir d'une astreinte les injonctions qu'il prescrit, soit sur demande de l’intéressé, qui peut être fondée notamment sur les dispositions des articles L. 911-4 et L. 911-5 du CJA mais aussi sur celles de l'art. L. 521-4 du CJA, qui permettent d'assurer l'exécution des mesures ordonnées demeurées sans effet par de nouvelles injonctions et une astreinte. 

Sur le second point, le juge ne manque pas de relever que le soin de remédier aux manquements (CEDH) et à l’inconstitutionnalité (C.C.) relevés respectivement par la décision de la CEDH et par celle du Conseil constitutionnel n’appartient qu’au seul législateur, non au juge et a fortiori au juge des référés. Au reste, il est juste de relever, d’une part, qu’en vertu de la jurisprudence offensive précitée de la Cour de cassation, il s’opère un certain partage en ce domaine entre le juge judiciaire, en sa qualité de gardien de la liberté individuelle, et le juge administratif, et, d’autre part, qu’assorti d’astreinte et d’injonction dans les conditions susrappelées le référé-liberté permet déjà, en l’état du droit et de la jurisprudence, de satisfaire à nombre des exigences conventionnelles et/ou constitutionnelles.

 

II.- Examinant le fond des demandes, le juge rejette toutes celles ne pouvant être satisfaites qu’au prix de réformes structurelles ne pouvant déboucher sur des résultats tangibles à bref délai. Semblablement ne sont pas ordonnées les mesures demandées qui figurent désormais au plan d’action arrêté par l’administration pénitentiaire pour rénover le centre pénitentiaire (électricité, plomberie, peinture, installations de réfrigérateurs, lave-linge et sèche-linge, réfection du sol des cours, des réseaux d’assainissement et de distribution d’eau..).

En revanche, il accueille celles des demandes pouvant être rapidement mises en œuvre par exemple l’ installations d’abris contre le soleil et les intempéries dans les cours de promenade, « cours » dont il faut préciser qu’elles sont constituées de conteneurs ; la séparation, partout où elle n’existe pas, entre l’espace sanitaire et le reste de la cellule ; la prise de toutes les mesures utiles de nature à améliorer la luminosité des cellules afin de permettre aux personnes détenues de pouvoir procéder aux actes de la vie courante en particulier en procédant au remplacement des fenêtres défectueuses, etc.

Pareillement, il surseoit à statuer afin qu’il puisse disposer d'informations complémentaires concernant :

-       les contraintes physiques et d’organisation justifiant que les cours de promenade du quartier disciplinaire et d'isolement soient aménagées dans des conteneurs, de la durée moyenne d'occupation de ces cours et de la faisabilité de solutions alternatives, même provisoires, permettant de proposer aux détenus placés à l'isolement un accès à des cours de promenade dans des conditions pleinement respectueuses des exigences découlant de l'article 3 de la convention EDH,

-       les contraintes physiques et sécuritaires mises en avant par l'administration pour justifier l'absence de toilettes dans certaines cours de promenade, ainsi que de la durée moyenne passée par les détenus dans ces cours.

Dès lors, il y a lieu, dans ces conditions et dans la perspective d'une décision ultérieure prise à brève échéance susceptible de déterminer les mesures complémentaires qui s'imposent et qui peuvent être très rapidement mises en oeuvre, de surseoir à statuer sur les conclusions relatives à la fermeture des cours de promenade situées dans des conteneurs et à l'installation de toilettes dans l'ensemble des cours de promenade.

Il est donné dix jours à l’administration pénitentiaire pour fournir au juge tous éléments complémentaires à même de l’éclairer sur ces questions. 

Enfin, le juge règle prestement un aspect procédural particulier : l’organisation requérante avait demandé que le Conseil d'Etat enjoigne à l'administration d'informer la requérante sur le suivi des mesures ordonnées ; il lui est répondu, un rien pincé mais c’est justifié, qu’« il ne relève pas de l'office du juge des référés (…), lorsqu'il a prononcé des injonctions à l'égard de l'administration, de mettre également à sa charge une obligation d'information de la partie requérante. »

(ord. réf. 19 octobre 2020, Garde des sceaux, n° 439372 ; Section française de l’observatoire international des prisons (SFOIP), n° 439444)

 

104 - Décret du 14 octobre 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er avril 2021 - Référés liberté et suspension - Atteintes alléguées à diverses libertés fondamentales – QPC – Rejets.

Ces trois recours, dirigés pour l’essentiel contre les dispositions du décret du 14 octobre 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire, sont joints, le premier étant une demande en référé suspension, les deux autres en référé liberté. L’essentiel des critiques porte sur l’art. L. 3131-12 du code de la santé publique.

Le juge aborde successivement trois points.

En premier lieu, il rejette la demande de renvoi d’une QPC dirigée contre l’article L. 3131-12 précité, fondée sur ce qu’il serait entaché d’incompétence négative car il donne compétence au pouvoir règlementaire pour déclarer l'état d'urgence sanitaire et n'entoure pas cette déclaration, alors qu’elle emporte une atteinte grave à de nombreuses libertés, de garanties suffisantes, en particulier de précisions quant à sa nécessité ou ne prévoit pas un délai d'intervention du Parlement plus court, d’où sa contrariété à plusieurs articles de la Déclaration de 1789 (art. 2, 4, 11 et 17). Le juge estime que, d’une part, le législateur, en confiant au pouvoir exécutif le soin de déclencher le régime d’état d’urgence sanitaire, qui, en lui-même, n’emporte aucune atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, assorti de l’information immédiate du Parlement, lequel conserve tous ses pouvoirs, n’a pas fait montre d’une incompétence négative, et que d’autre part, il n’est nullement porté atteinte au principe de sécurité juridique, les mesures devant être adoptées et adaptées au fur et à mesure de l’évolution de la situation sanitaire.

En deuxième lieu, est rejetée la requête en référé suspension car le décret litigieux énumère bien les circonstances de fait et de droit ayant conduit à son édiction et répond à une véritable urgence sanitaire en raison de la recrudescence brutale et rapide de l’épidémie.

En troisième lieu, la demande en référé liberté ne prospère pas davantage car les mesures restrictives des libertés fondamentales prises ou susceptibles de l’être sur le fondement de ce décret sont justifiées par la situation sanitaire actuelle du pays et exactement proportionnées à sa gravité.

(ord. réf. 29 octobre 2020, M. H., n° 445367 ; M. I., n° 445559 ; M. Q. et autres, n° 445637)

 

105 - Droit asile – Cas d’un ressortissant de l’Union européenne – Octroi des conditions matérielles d’accueil aux demandeurs d’asile ressortissants de l’Union – Simple faculté pour l’État d’accueil – Ressortissant d’un pays membre de l’Union bénéficiant des droits attachés à la citoyenneté européenne – Régime des conditions matérielles d’accueil inapplicables – Rejet.

Le juge des référés avait à connaître d’une demande d’asile faite en France par un ressortissant d’un pays membre de l’Union européenne et du régime de droit qui lui est applicable. La question était délicate car les textes, internes comme de l’UE, envisagent l’asile comme étant normalement demandé par une personne non ressortissante d’un pays membre de l’Union.

Après avoir indiqué qu’il était loisible qu’un tel ressortissant sollicite l’asile auprès d’un autre pays membre, le juge des référés du Conseil d’État rejette ses deux chefs de demande, confirmant ainsi, l’ordonnance du premier juge.

Tout d’abord, la faculté pour les États de l’Union, selon l’art. 4 de la directive du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, d’accorder des conditions matérielles plus favorables aux ressortissants de l’Union demandeurs d’asile, n’est qu’une faculté que le droit français n’a pas retenue.

Ensuite, parce qu’un ressortissant de l’UE possède la citoyenneté de l’Union, dispose du droit de séjourner en France et d'y exercer une activité professionnelle, il ne saurait donc avoir droit au bénéfice de l’octroi des conditions matérielles d’accueil reconnues aux demandeurs d’asile extra-communautaires.

(ord. réf. 29 octobre 2020, M. A., n° 445555 ; Mme B., n° 445573)

 

106 - Décision médicale de limitation des traitements et des soins - Existence d’une obstination déraisonnable – Référé liberté – Pouvoirs du juge des référés en présence d’une décision médicale prise dans un cadre légal prédéfini – Rejet.

Le juge des référés était saisi de la situation dramatique d’une patiente hospitalisée depuis décembre 2017, atteinte d’un cancer colique au stade terminal, à l’égard de laquelle a été prise, à l’issue de la procédure collégiale, une décision de limitation des traitements en raison de son état de santé. Les enfants de la patiente ont saisi le juge du référé liberté d’une requête tendant à la suspension de la décision en cause en attendant que soit ordonnée une expertise médicale. Le juge a estimé ces demandes sans objet et les a rejetées. Saisi par voie d’appel, le Conseil d’État, statuant en formation collégiale, confirme l’ordonnance du premier juge. Il relève d’une part qu’ont été respectées toutes les conditions fixées par les textes pour la prise d’une telle décision, et, d’autre part, que, dans les circonstances de l’espèce, la poursuite d’un traitement alors que sont certaines l'impasse thérapeutique dans laquelle se trouve l’intéressée quant au traitement de l'affection cancéreuse ainsi que sa totale dépendance à la dialyse et au respirateur, traduirait – ainsi que l’ont constaté les médecins traitants - une obstination déraisonnable. Le recours est rejeté.

(ord. réf., formation collégiale, 26 octobre 2020, Mme F. et M. F., n° 445302)

 

Police

 

107 - Déplacements urbains – Trottinette électrique – Décret réglementant son usage – Absence d’illégalité – Rejet.

La requérante demandait l’annulation du décret n° 2019-1082 du 23 octobre 2019 relatif à la réglementation des engins de déplacement personnel. Sa requête est rejetée.

Le décret attaqué ne contrevient pas aux dispositions de l’art. 4 de la directive européenne du 20 décembre 2006 relative au permis de conduire qui subordonne à la détention d'un permis de conduire la conduite des cyclomoteurs, définis notamment comme des engins motorisés ayant une vitesse supérieure par construction de 25 km/h et une vitesse maximale par construction ne dépassant pas 45 km/h, et prévoit que l'âge minimum du conducteur des cyclomoteurs est de 16 ans. Or il résulte de l’art. 3 du décret litigieux que les engins en cause ne dépassent pas la vitesse de 25 km/h, ce qui justifie que ne soit pas exigée une autorisation administrative préalable en vue de leur utilisation.

Enfin, les mesures de sécurité imposées aux conducteurs desdits engins (obligation d'un casque, d'un gilet de haute visibilité ou d'un dispositif rétro-réfléchissant équivalent, feux de position allumés) comme les sanctions qu’ils encourent en cas d’infraction, ne peuvent que conduire à écarter le grief tiré de la violation des articles 2 et 3 de la Convention EDH (droit à la vie et protection contre les traitements inhumains ou dégradants)

(2 octobre 2020, Association philanthropique d'action contre l'anarchie urbaine vecteur d'incivilités (APACAUVI), n° 435815)

 

108 – Covid-19 – Fin du régime d’urgence sanitaire (loi du 9 juillet 2020) – Pouvoirs demeurant dévolus au préfet – Allégations de diverses illégalités du décret d’application de la loi – Rejet.

Les requérants demandaient la suspension du décret du 10 juillet 2020 pris pour l’application de la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence en invoquant diverses illégalités qu’il comporterait.

La demande est rejetée en tant qu’elle reproche audit décret, d'une part, d’imposer le port du masque et, d'autre part, de confier aux préfets des départements le pouvoir d'interdire les manifestations, de décider du placement en quarantaine ou de l'isolement de certaines personnes et d'interdire toute activité sans limite temporelle.

Le maintien du port du masque est justifié par la persistance de l’épidémie en dépit de la sortie de l’état d’urgence sanitaire ; cette mesure, proportionnée à son objectif, modulable selon les personnes, les lieux et l’évolution de l’épidémie, ne porte pas atteinte aux droits et libertés invoqués par les requérants.

Les pouvoirs dévolus au préfet en matière de réglementation des manifestations, encadrés par les textes et soumis au contrôle du juge ne sont pas excessifs, il en va de même des pouvoirs qui lui sont attribués pour la réglementation et la fermeture provisoire d'établissements recevant du public ou de lieux ouverts au public lorsque n'est pas garantie la mise en oeuvre des mesures de nature à prévenir les risques de propagation du virus ou dans certaines parties du territoire dans lesquelles est constatée une circulation active du virus. En effet, les activités que le préfet peut interdire, sous le contrôle du juge et pour ces seuls motifs, sont – contrairement aux affirmations des requérants - exclusivement celles qui s'exercent au sein d'établissements recevant du public ou dans des lieux publics. 

Enfin, les requérants se trompent en qualifiant d’illimitée la durée des pouvoirs accordés par le décret litigieux aux préfets puisque ceux-ci doivent cesser de produire effet le 31 octobre 2020.

(ord. réf. 2 octobre 2020, Mme X. et autres, n° 443999)

 

109 – Covid-19 – Extension de l’obligation du port du masque dans certaines communes d’un département – Mesure justifiée par l’accroissement du nombre de personnes contaminées, cohérente avec les données de la configuration urbaine et proportionnée – Rejet.

Pour rejeter l’appel d’une ordonnance rejetant le recours en référé liberté que le requérant avait intenté contre un arrêté préfectoral étendant l’obligation de port du masque à Évreux et dans trois communes circumvoisines, le juge des référés du Conseil d’État fait entièrement sienne l’analyse du premier juge qui, constatant que dans ces communes  le nombre de nouveaux cas étant passé de 64,4 à 110,7 pour 100000 habitants entre le 11 et le 18 septembre, a estimé que l’extension du port du masque était, en la circonstance, une mesure cohérente et proportionnée dès lors qu'en l'état actuel des connaissances, le virus peut se transmettre par gouttelettes respiratoires, par contacts et par voie aéroportée et que les personnes peuvent être contagieuses sans le savoir. C’est donc sans illégalité que l’arrêté litigieux a délimité le territoire concerné par l'obligation de port du masque à Evreux et à trois communes ayant avec Evreux soit un continuum urbain très fort, soit un lien utilitaire et commercial, compte tenu de l'implantation d'un centre commercial fréquenté par les habitants d'Evreux. Également, l’arrêté a tenu compte des caractéristiques des communes concernées en excluant les espaces publics de bois et forêts et prévu des dérogations pour les personnes dont l'état de santé n'est pas compatible avec le port du masque ainsi que pour des activités physiques soutenues telles que le vélo ou la course à pied.

C’est sans erreur de droit ni de fait que le juge des référés du tribunal administratif en a déduit que l'arrêté contesté ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et de venir et à la liberté personnelle des résidents des communes concernées. 

L’appelant ne contestant pas les données ci-dessus et n’apportant pas d’éléments nouveaux, son appel est, sans grande surprise, rejeté.

(ord. réf. 5 octobre 2020, M. X., n° 445003)

(110) V. aussi, comparable, à propos de mesures concernant le département des Pyrénées-Atlantiques : ord. réf. 12 octobre 2020, Mme F. et autres, n° 445101)

 

111 - Police sanitaire - Covid-19 – Décret du 16 octobre 2020 prescrivant des mesures générales pour lutter contre l’épidémie - Instauration d’un couvre-feu – Atteinte disproportionnée et de durée indéfinie à la liberté d’aller et de venir – Référé liberté – Rejet.

La requête en référé liberté était dirigée contre l’art. 51 du décret du 16 octobre 2020, portant mesures générales anti-Covid, pris pour l’application du décret du 14 octobre 2020 déclarant l'état d'urgence sanitaire sur l'ensemble du territoire de la République à compter du 17 octobre 2020 à 0 heure, en tant que, par les dispositions de cet article instaurant un couvre-feu de 21heures à 6heures, il serait porté une atteinte excessive à la liberté fondamentale de circulation.

La requête est rejetée car le demandeur n’apporte aucun élément tendant à établir en quoi, face à l’aggravation de la situation sanitaire, ces mesures porteraient une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de circulation, alors même que leur durée ne serait pas définie.

(ord. réf. 28 octobre 2020, M. B., n° 445435)

(112) V. aussi, le rejet d’un référé contestant le décret précité du 6 octobre 2020 en ce qu’il instaure un couvre-feu, une obligation de port d’un masque, interdit de soins de conservation des corps des personnes décédées (ou suspectées de l’être) de Covid-19 et alors que l’efficacité de telles mesures ne serait pas prouvée : ord. réf. 28 octobre 2020, M. B., n° 445449. Également, voisin : ord. réf. 23 octobre 2020, M. D. et Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), n° 445430, ou encore : ord. réf. 28 octobre 2020, M. A., n° 445519.

(113) V. également, le rejet d’un référé liberté (req. n° 445487) et d’un référé suspension (req. n° 445674) dirigés, chacun, contre l’art. 51 du décret précité du 16 octobre 2020, en tant que ces dispositions porteraient une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir et au droit à une vie personnelle normale, les mesures étant, selon le juge, justifiées par la situation sanitaire, exactement proportionnées à celle-ci et comportant les dérogations nécessaires que la raison et les nécessités de la vie sociale commandent : ord. réf. 28 octobre 2020, Le Cercle droit et liberté et autres, n° 445487 ; Le Cercle droit et liberté et autres, n° 445674.

(114) V. encore, le rejet, par les mêmes motifs que ceux énoncés dans les ordonnances précédentes, de la requête en référé liberté contestant, une nouvelle fois, les dispositions de l’art. 51 précité en tant que, notamment par l’instauration d’un couvre-feu et par l’interdiction de soins de conservation du corps des personnes décédées du Covid-19, il serait porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, à la liberté d'entreprendre, à la liberté de réunion et d'association, à la vie privée et familiale et à la dignité humaine : ord. réf. 28 octobre 2020, Parti chrétien démocrate, n° 445596.

(115) V. pareillement, une requête en référé liberté fondée sur ce que les mesures arrêtées par le décret précité du 16 octobre 2020, outre qu’elles sont attentatoires à des libertés fondamentales, seraient inefficaces, qui est rejetée car le requérant n’apporte pas d’éléments à l’appui de ses affirmations : ord. réf. 28 octobre 2020, M. B., n° 445633.

(116) Voir, pour le rejet d’une requête en référé liberté contestant l’atteinte portée, par l’art. 51, II, 4° du décret du 16 octobre 2020, à la liberté du commerce et de l'industrie, à la liberté d'entreprendre, au libre exercice d'une profession, au principe de libre concurrence et au principe d'égalité, introduite par des entrepreneurs d’activités foraines  en tant que, par cette disposition, sont interdites les fêtes foraines dans les zones dans lesquelles s'applique l'interdiction de déplacement des personnes hors de leur lieu de résidence entre 21 heures et 6 heures du matin. Le juge estime que la requérante, « compte tenu du caractère très général de ses écritures, (n’apporte) aucun élément de nature à établir que, au regard à la nette aggravation de la crise sanitaire en France ces dernières semaines, le décret contesté porterait une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l'industrie et à la libre concurrence invoquées. » : ord. réf. 28 octobre 2020, Intersyndicale des entrepreneurs et artisans des fêtes foraines, n° 445725.

(117) Voir, à propos du rejet des référés liberté introduits contre les dispositions de l’art. 51 précité qui imposent la fermeture totale des établissements de type P à vocation de salles de jeux dans les zones où le préfet de département a interdit les déplacements de personnes hors de leur lieu de résidence entre 21 heures et 6 heures du matin car le juge estime que les casinos et les clubs de jeux sont des espaces favorisant le brassage d'une population importante, en dépit, d’une part, de la baisse de fréquentation constatée depuis l'apparition de l'épidémie de Covid-19 en France et, d’autre part, d'un protocole sanitaire renforcé mis en place dans ces établissements car leur activité implique une présence prolongée des joueurs, des déplacements au sein des établissements et des opportunités de contacts entre joueurs et avec des surfaces. Les mesures contestées sont manifestement nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif de sauvegarde de la santé publique : ord. réf. 28 octobre 2020, Société Groupe Lucien Barrière et autres, n° 445455 ; Société CLMCE, n° 445460 ; Comité social et économique du Club Montmartre, n° 445471 ; Société Club Circus Paris, n° 445476 ; Société Clubs by Joa et Société Joagroupe Holding, n° 445477 ; Société du Casino de Palavas et autres, n° 445522.

(118) Voir le rejet d’une requête fondé sur ce que la mesure qu'il est demandé au juge des référés de prononcer n’est pas, au jour où il statue, de nature à avoir, par elle-même, un effet utile sur la situation dénoncée par les requérants : ord. réf. 29 octobre 2020, Mme AD., n° 445226 et n° 445227 (requête devenue sans objet).

 

119 - Animaux d’espèces non domestiques - Fichier national d'identification des animaux d'espèces non domestiques – Convention de gestion de ce fichier – Agrément du gestionnaire du fichier – Condition de désignation – Illégalité - Modulation des effets de l’annulation de la convention – Régularité de l’agrément – Annulation partielle.

L’association demanderesse contestait :

- d’une part, la légalité de la convention par laquelle le ministre de l’écologie a désigné pour une durée de cinq ans la Société d'actions et de promotion vétérinaires (SAPV) comme gestionnaire du fichier national d'identification des animaux d'espèces non domestiques et fixé les conditions dans lesquelles doit être assurée l'inscription des animaux identifiés dans ce fichier national, l'édition des documents liés à leur identification et le traitement des données ainsi recueillies ;

- d’autre part, la légalité de l’arrêté interministériel portant agrément du gestionnaire du fichier national d'identification des animaux d'espèces non domestiques et précisant les modalités d'établissement, de contrôle et d'exploitation des données traitées.

Le recours est partiellement admis.

La convention est annulée car elle ne porte que la signature du ministre de l’agriculture, celle du ministre de l’environnement n’y figure pas, contrairement aux dispositions des art. L. 413-6 et L. 413-23-3 du code de l’environnement. Cependant, usant de son pouvoir de modulation en raison des effets excessifs qu’aurait ici la rétroactivité de l’annulation, le juge décide que les effets de cette annulation sont repoussés à compter du 1er janvier 2021.

L’arrêté, lui, est jugé légal car il comporte les deux signatures requises et parce que la consultation préalable a eu lieu.

(14 octobre 2020, Association Agir Espèces, n° 426168 et n° 427360)

(120) V. aussi, s’agissant des règles relatives à la détention d’animaux non domestiques : 14 octobre 2020, Association Agir Espèces et autres, n° 426241 ; Association One Voice et autres, n° 426253, où est annulée l’annexe 2 de l'arrêté du 8 octobre 2018 en tant qu'elle ne prévoit aucune formalité préalable pour la détention des animaux non domestiques n'ayant pas atteint l'âge adulte.

 

121 - Police de l’eau potable – Protection de la santé – Droit à l’eau et à l’assainissement – Référé liberté – Causes structurelles de la défaillance dans la fourniture d’eau en Guadeloupe – Demande de déclenchement du plan ORSEC « eau potable » – Absence de carence de l’État – Rejet.

Les requérants interjettent appel de l’ordonnance du premier juge rejetant leur demande, formée par voie d’un référé liberté, tendant à ce qu’il soit ordonné au préfet de la Guadeloupe de mettre en œuvre le plan ORSEC « eau potable » pour obvier la carence existant en ce domaine dans ce département ultra-marin. Le juge des référés du Conseil d’État confirme l’ordonnance contestée par le double motif que le plan ORSEC ne pouvant être déclenché qu’en cas « d'accident, sinistre ou catastrophe » (cf. art. L. 742-2 du code de la sécurité intérieure), il ne saurait être mis en œuvre pour pallier la dégradation depuis plusieurs décennies des réseaux d’eau et d’assainissement en Guadeloupe, et que cette charge d’entretien incombant aux collectivités locales, aucune carence ne saurait être reprochée à l’État.

(ord. réf. 19 octobre 2020, M. et Mme D., n° 445271)

 

122 – Police des manifestations - Schéma national de maintien de l'ordre – Protection des journalistes au cours des manifestations – Soumission au régime des attroupements – Rejet.

Les deux demandes de référé suspension étaient dirigées contre l’exécution du Schéma national du maintien de l'ordre du 16 septembre 2020 portant fixation d'un nouveau cadre d'exercice du maintien de l'ordre en ce qu’il comportait des dispositions portant atteinte au droit des journalistes d'exercer librement leur profession et au droit à l'information du public, garantis tant par les dispositions de l'article 11 de la Déclaration de 1789 que par les stipulations des articles 10 et 11 de la Convention EDH, notamment par l’application qui y est faite du régime de l’attroupement aux journalistes.

Le Conseil d’État rejette les recours.

Il considère que le texte confère aux journalistes toute légitimité pour « couvrir » une manifestation en y étant présents et, le cas échéant, pour y porter des équipements de protection sans être visés par la prohibition de dissimulation de tout ou partie du visage. L’obligation d’être en mesure d’établir qu’ils ont bien la qualité de journalistes ne porte aucune atteinte grave à leur liberté d’exercer leur métier de journalistes.

L’exigence de devoir posséder une carte de presse, justifiée par la possibilité qui leur est offerte d'obtenir des forces de l'ordre, en temps réel, au moyen d'un canal de communication dédié tel qu'un groupe « Whatsap », des informations relatives au déroulement de cette manifestation, plus précises que celles mise à la disposition du public par la voie de canaux ouverts, tels qu'un compte « Twitter », ne porte pas, non plus, une atteinte grave et immédiate aux conditions d'exercice de la profession de journaliste.

L’application faite aux journalistes par ce texte de l’interdiction, comme à toute autre personne, de se maintenir dans un attroupement, c’est-à-dire de demeurer dans une manifestation après qu’a été donné - par l’autorité légitime à cet effet - l’ordre de dispersion, ne porte pas davantage une atteinte grave à l’exercice du métier de journaliste et à la liberté d’informer.

En l’absence de satisfaction de la condition d’urgence, les requêtes en suspension sont rejetées.

(ord. réf. 27 octobre 2020, Syndicat national des journalistes et Ligue des droits de l'homme, n° 444876 ; CGT et Syndicat des journalistes CGT, n° 445055)

(123) V. aussi, du même jour et en tout point identique : ord. réf. 27 octobre 2020, M. A., n° 445369.

 

Professions réglementées

 

124 - Vétérinaire – Procédure disciplinaire – Office de la présidente de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires – Annulation d’une ordonnance du président de la chambre régionale de discipline – Incompétence – Annulation avec renvoi.

Il résulte des dispositions de l’art. R. 242-97 du code rural et de la pêche maritime que si le président de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires est compétent pour rejeter une requête d'appel formée contre une ordonnance du président de la chambre régionale de discipline prise en application de ce texte, elles ne lui donnent pas compétence, en revanche, pour annuler une telle ordonnance car cette annulation ne peut être prononcée que par une décision de la chambre nationale de discipline.

Pour avoir décidé l’infirmation de l'ordonnance du 24 janvier 2019 contre laquelle le président du Conseil national de l'ordre des vétérinaires formait appel devant elle, la présidente de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires a méconnu son office et entaché son ordonnance d'incompétence et d'erreur de droit. 

(7 octobre 2020, M. X., n° 431764)

 

125 - Médecin – Décision disciplinaire – Cumul de trois actes différents au cours d‘une même séance – Tarification applicable – Exigence que ces actes portent sur des membres différents – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

La section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance de Provence-Alpes-Côte d'Azur et Corse de l'ordre des médecins avait sanctionné un praticien au motif qu’il avait facturé trois actes chirurgicaux accomplis sur un patient au cours d’une même séance sans que ceux-ci concernent des membres différents. Cette décision est confirmée en appel par le conseil national de l’ordre.

Le Conseil d’État, saisi par l’intéressé d’un pourvoi en cassation contre la décision disciplinaire confirmative du conseil national, donne raison au requérant.

Il résulte des dispositions du B de l'article III-3 du livre III de la classification commune des actes médicaux qu’en cas de lésions traumatiques multiples et récentes, l'association de trois actes chirurgicaux au cours d'une même séance autorise la tarification de ces trois actes, le plus élevé étant tarifé à taux plein, le deuxième à 75% de sa valeur et le troisième à la moitié de sa valeur, sans que le droit de tarifier ces trois actes ne soit subordonné à la condition, prévue au a) du B précité, que les lésions en litige portent sur des membres différents.

La section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins a commis une erreur de droit en jugeant que le requérant avait méconnu les dispositions susrappelées en cotant l'association de trois actes chirurgicaux accomplis au cours d'une même séance alors que ces actes ne portaient pas sur des membres différents,

(7 octobre 2020, M. X., n° 432185)

 

126 - Infirmière – Non-respect prétendu des conditions de moralité – Refus d’inscription au tableau de l’ordre des infirmiers – Erreur de droit – Annulation.

Infirmière diplômée d’État exerçant en qualité d’infirmière salariée dans un établissement de santé, la requérante a été radiée des cadres en vue de sa mise à la retraite pour invalidité par suite de l’épuisement de ses droits statutaires à congé de longue durée.

Elle a sollicité son inscription au tableau de l’ordre des infirmiers en qualité d’infirmière libérale. Cela lui a été refusé pour raison d’un état de santé compromettant l’exercice de sa profession auprès des patients dans des conditions normales de sécurité.

Durant vingt mois elle a exercé en qualité de salariée à mi-temps tout en complétant sa formation par l’obtention d’un diplôme d'université en addictologie et d’un diplôme de compétence en sophrologie pratique.

Sa nouvelle demande d’inscription au tableau de l’ordre a été refusée au motif qu’elle ne remplissait pas les conditions de moralité exigées au titre de l’art. L. 4311-16 du code de la santé publique.

Ses recours ordinaux ayant été rejetés, l’intéressée se pourvoit en cassation et le Conseil d’État lui donne raison en observant : « Si elle a exercé sa profession, entre septembre 2014 et mars 2016, en qualité de salariée, cette circonstance, eu égard notamment à la durée limitée de cet exercice et au fait que Mme X. ne travaillait qu'à mi-temps et était employée par une association oeuvrant dans un but d'intérêt général, ne saurait à elle seule, dans les circonstances de l'espèce, révéler une volonté délibérée de mettre en cause l'autorité des instances ordinales et les décisions antérieurement prises par celles-ci à son endroit ni caractériser, au sens des dispositions (de l’art. L. 4311-16 CSP), un défaut de moralité. »

La décision de refus d’inscription au tableau de l’ordre est annulée

(8 octobre 2020, Mme X., n° 430709)

(127) V. aussi, à propos du refus d’inscription d’une infirmière pour défaut de moralité par suite de faits d’agression sexuelle sur sa nièce, la solution de grande mansuétude retenue : 8 octobre 2020, Mme B., n° 432966.

 

128 - Notaires – Liberté d’installation dans certaines zones (loi du 6 août 2015) – Établissement d’une cartographie des zones sur proposition de l’Autorité de la concurrence – Avis de cette autorité sur la liberté d’installation des notaires – Détermination de 247 zones dites « d’installation libre » - Critiques de la méthodologie employée et des résultats obtenus – Rejet.

La loi du 6 août 2015 ayant fortement assoupli les conditions d’installations de nouvelles études notariales du moins dans certaines zones, elle a prévu une procédure de détection de ces zones pour en permettre la délimitation et fixer le quota d’installations nouvelles permises. Pour ce faire, l’Autorité de la concurrence a été chargée de proposer aux ministres concernés une carte desdites zones.

Les requérants critiquaient devant le juge à la fois les défaillances dans la méthodologie adoptée, certains des résultats obtenus et les préconisations finales en résultant. Ils demandaient aussi l’annulation de l’arrêté interministériel pris à la suite de cet avis.

Dans une longue décision, dont l’analyse ne peut être faite dans cette chronique, le Conseil d’État rejette tous les griefs dirigés contre l’avis de l’Autorité de la concurrence et in fine le recours dont il était saisi.

(14 octobre 2020, Conseil supérieur du notariat, n°426489 ; Chambre interdépartementale des notaires de Paris, n° 427726)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

129 - Nouvelle-Calédonie – Lois du pays – Lois pouvant faire l’objet d’une QPC – Dispositions antérieures à la création de ces lois – Nature réglementaire – Formation d’une QPC impossible.

Si, en vertu des dispositions du deuxième alinéa de l'art. 107 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie les dispositions d'une loi du pays peuvent faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité, ce n’est pas le cas de dispositions prises avant la date d’entrée en vigueur de cette loi organique car elles ne revêtent en ce cas qu’un caractère réglementaire.

(2 octobre, Société Polyanna, n° 439969)

 

130 - QPC portée devant le Conseil d’État - Récusation de tous les membres de la section du contentieux du Conseil d’État – Demande que la QPC soulevée devant ce dernier soit jugée par la Cour de cassation, à défaut le Tribunal des conflits, à défaut la CEDH – Recours dirigé contre des dispositions législatives inexistantes ou ne concernant pas une demande de récusation – Rejet.

Saisi par le requérant d’une QPC portant sur diverses dispositions législatives du code de justice administrative au motif qu’elles justifient sa demande de récusation de tous les membres de la section du contentieux du Conseil d’État, ce dernier rejette – est-ce vraiment une surprise ? – le recours au double motif qu’une telle récusation (qui constitue, au vrai, une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime), n’existe pas devant les juridictions non soumises à une juridiction supérieure et que les dispositions législatives du code de justice administrative visées par le requérant ne sont pas applicables au litige ou à la procédure que celui-ci concerne.

Pour pittoresque que soit une telle initiative contentieuse, il est légitime de s’interroger sur l’absence d’infliction, ici, d’une amende pour recours abusif d’autant que le présent recours est suivi de dix autres tendant aux mêmes fins par des moyens identiques ou très voisins.

(23 octobre 2020, M. E., n° 440880)

(131) V. aussi, dans le même sens, avec, en outre, la critique de la constitutionnalité des dispositions de l’art. L. 952-5 du code de l’éducation : 28 octobre 2020, M. C., n° 423723, n° 423939, n° 429961, n° 430066, n° 430317, n° 434318, n°435693, n° 437251, n° 439219 et n° 440022.

 

Responsabilité

 

132 - Responsabilité du fait de l’exercice de la fonction juridictionnelle par le juge administratif – Violation du droit de l’Union – Régime de la prescription applicable à l’action introduite – Rejet.

Le Conseil d’État rend une importante décision qui aurait pu recevoir la forme d’une décision de la section du contentieux et qui se présente de façon assez complexe.

Simplifiant beaucoup les données de droit et de fait de cette affaire, on retiendra ceci.

La société requérante a fait l’objet de la part du directeur de l'Office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers (ONILAIT) d’une demande de reversement à cet organisme des restitutions à l'exportation qu’elle avait perçues, somme qui  a été assortie de pénalités.

La société a demandé au juge l’annulation du titre exécutoire émis pour valoir récupération des sommes litigieuses. Elle soulevait pour sa défense deux objections très délicates : d’une part, la réclamation d’ONILAIT était prescrite car on ne pouvait plus lui opposer la prescription trentenaire alors en vigueur en France en raison de son incompatibilité avec le droit de l’Union et, d’autre part, sa situation en droit résultait de la faute commise par le Conseil d’État dans l’exercice de sa fonction juridictionnelle.

Sur la prescription

Il convient de rappeler que les faits litigieux remontent aux années 1994-1995.

Le Conseil d’État rejette le moyen en se fondant sur la jurisprudence européenne et sur les dispositions du Code civil.

La CJCE a dit pour droit (29 janvier 2009, Hauptzollamt Hamburg-Jonas/Josef Vosding Schlacht und Zerlegebetrieb GmbH & Co (278/07), Vion Trading GmbH (279/07), et Ze Fu Fleischhandel GmbH (280/07), aff. C-278/07 à C-280/07) que si le délai de prescription des actions en vue de protéger les intérêts financiers des Communautés était de quatre ans à compter de la réalisation des irrégularités en vertu du règlement communautaire du 18 décembre 1995 (art. 3 § 1), il était possible aux États membres d’appliquer une prescription plus longue résultant de dispositions nationales de droit commun antérieures à la date de l'adoption de ce règlement. Puis, la CJUE (5 mai 2011, Ze Fu Fleischhandel GmbH (201/10) et Vion Trading GmbH (202/10) contre Hauptzollamt Hamburg-Jonas, aff. C-201/10 et 202/10) a également dit pour droit que ce délai plus long devait être « suffisamment prévisible » et conforme au principe de proportionnalité faute de quoi doit s’appliquer le délai communautaire de quatre ans.

Par ailleurs, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, l’art. 2262 du Code civil fixait une règle de prescription trentenaire devenue quinquennale après cette date.

La décision du garde des sceaux du 5 mars 2012 rejetant la demande de la société Lactalis n’était donc pas entaché d’irrégularité, la créance dont paiement était réclamée n’étant pas prescrite.

Sur la responsabilité de l’État du fait de l’exercice de la fonction juridictionnelle

Le Conseil d’État rappelle qu’en principe cette responsabilité, s’agissant de la justice administrative, ne peut être engagée qu’en cas de préjudice résultant d’une faute lourde commise dans l’exercice de la fonction juridictionnelle non du fait du contenu d’une décision de justice. Il n’existe qu’une exception à cette impossibilité dans le cas où, par son contenu, la décision litigieuse est entachée d’une violation manifeste du droit de l’Union européenne.

C’est un apport important de la présente décision que de tenter de définir ce qu’il convient d’entendre par cette expression, explicitée notamment par la jurisprudence de la CJUE (30 septembre 2003, Köbler, aff.  C-224/01 ; 28 juillet 2016, Tomáová, aff. C-168/15 ;  29 juillet 2019, Hochtief Solutions Magyarországi Fióktelepe, aff. C-620/17).

D’une part, au plan méthodologique, il convient de tenir compte de tous les éléments caractérisant la situation qui est soumise au juge national, notamment du degré de clarté et de précision de la règle de droit de l'Union en question, de l'étendue de la marge d'appréciation que cette règle laisse aux autorités nationales, du caractère intentionnel ou involontaire du manquement commis ou du préjudice causé, du caractère excusable ou inexcusable de l'éventuelle erreur de droit, de la position prise, le cas échéant, par une institution de l'Union européenne et ayant pu contribuer à l'adoption ou au maintien de mesures ou de pratiques nationales contraires au droit de l'Union ainsi que de la méconnaissance, par la juridiction en cause, de son obligation de renvoi préjudiciel au titre du troisième alinéa de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

D’autre part, il est constant qu’une violation du droit de l'Union est suffisamment caractérisée lorsque la décision juridictionnelle concernée est intervenue en méconnaissance manifeste d'une jurisprudence bien établie de la CJUE.

Appliquant cette méthodologie au cas de l’espèce qui lui était soumise le Conseil d’État, confirmant l’arrêt d’appel dont il était saisi par le pourvoi, conclut – au terme d’une très longue, très complète et convaincante analyse, à l’absence de violation manifeste du droit de l’Union.

Le pourvoi est rejeté.

(9 octobre 2020, Société Lactalis Ingrédients, anciennement société Lactalis Industrie, venant aux droits de la société Besnier Bridel Alimentaire, n° 414423)

 

133 - Marchés publics - Responsabilité quasi-délictuelle – Entente – Compétence juridictionnelle – Établissement des faits par la Commission européenne – Extension de la responsabilité aux entreprises ne participant à l’entente mais ayant conclu des contrats avec des sociétés entrant dans l’entente – Rejet sauf sur un point – Confirmation, pour l’essentiel, de l’arrêt d’appel.

Cette affaire-fleuve qui a donné lieu à plusieurs décisions de justice se présentait ici sous la forme d’une demande de SNCF Mobilités succédant à la SNCF que diverses entreprises soient condamnées solidairement à réparer les préjudices qu’elles lui ont causés du fait de pratiques anti-concurrentielles.

Cette demande est rejetée en première instance, le jugement est annulé par la juridiction d’appel qui ordonne une expertise en vue d’évaluer le préjudice subi.

Plusieurs points importants sont abordés.

En premier lieu, contestée par certaines requérantes, la compétence de la juridiction administrative pour connaître de ce litige était certaine du fait de la référence à un cahier des charges comportant des clauses justifiant dans l'intérêt général que ces marchés relèvent d'un régime exorbitant du droit public, en particulier en autorisant la SNCF à résilier unilatéralement ces marchés pour un motif d'intérêt général. La solution est acceptable malgré la circonstance que l’entente anti-concurrentielle se place chronologiquement avant la conclusion des contrats qui seront l’instrument de l’infraction.

En deuxième lieu, la question était très discutée, le Conseil d’État juge – et il doit en être approuvé – que la SNCF pouvait mettre en cause, par son action quasi-délictuelle non seulement les entreprises contractantes avec elles et directement parties à l’entente mais aussi celles impliquées dans ces pratiques qui ont affecté la validité de la procédure de passation du contrat ; c’est à bon droit qu’elle en a demandé la condamnation solidaire.

En troisième lieu, devait être déterminé le régime de prescription applicable dans cette affaire. En effet, si jusqu’à la loi du 17 juin 2008, l’art. 2270-1 du Code civil établissait une prescription décennale des actions en responsabilité quasi-délictuelle à compter du dommage, cette loi (cf. art. 2224 c. civ.) a réduit cette durée à cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu les faits permettant de l’exercer. Par ailleurs, il résulte du II de l’art. 26 de cette loi que les nouvelles dispositions s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de l‘entrée en vigueur de la loi sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Pour cela il convenait de déterminer le point de départ du délai de prescription c’est-à-dire le moment où la SNCF a eu connaissance certaine et complète de l’existence et de l’étendue des pratiques dont elle a été victime. Le Conseil d’État estime que cette date est celle de la publication de la décision de la Commission sanctionnant l’entente en cause soit le 28 avril 2004. Le Conseil d’État considère, d’une part, que le délai de prescription alors en vigueur était le délai décennal et, d’autre part, que le délai quinquennal qui a commencé à courir le 19 juin 2008, lendemain du jour de publication de la loi, n’était lui-même pas expiré lorsque la SNCF a saisi le tribunal administratif soit le 18 juin 2013. Par suite, à cette date, l’action indemnitaire n’était pas prescrite contrairement à ce que soutiennent les demandeurs à la cassation.

En quatrième lieu, il convenait encore de faire justice d’un argument soulevé en défense selon lequel devait être rapportée par la SNCF la preuve de l’existence, de la nature et de la consistance des manœuvres anti-concurrentielles. Le Conseil d’État estime que dès lors que la Commission a retenu ces faits au soutien de sa décision de sanctionner l’entente anti-concurrentielle et que cette décision n’a pas été annulée par l’une des juridictions européennes, le caractère dolosif des manœuvres en cause doit être considérée comme établi.

S’il peut sembler un peu « leste » pour un juge de faire siennes les appréciations d’une autorité administrative, il faut convenir que s’agissant de la Commission européenne, notamment en raison des garanties que présente son mode de fonctionnement, cette réappropriation par le juge de ses conclusions n’a rien de choquant.

(12 octobre 2020, Sociétés Mersen et Mersen France Amiens, n° 432981 ; Société SGL Carbon SE, n° 433423 ; Sociétés Schunk Kohlenstofftechnik GmbH, Schunk GmbH, Schunk Carbon Technology, venant aux droits de la société Schunk Electrographite, Schunk Hoffmann Carbon Technology AG, venant aux droits de la société Hoffmann et Co. Elektrokohle AG, n° 433477 ; Société Morgan Carbon France, n° 433563 ; Société Morgan Advanced Materials PLC, n° 433564)

 

134 - Naufrage d’une embarcation – Décès d’une personne peu après le sauvetage - Organisation des secours défectueuse – Appréciation du lien de causalité - Affirmation du caractère exclusif reconnu au lien dans la survenance du décès – Erreur de qualification des faits – Annulation avec renvoi.

Une embarcation circulant entre l’une des îles de l’archipel des Comores, Anjouan, et Mayotte ayant fait naufrage suite à une panne de moteur, l’État a organisé le sauvetage des victimes. L’une d’elles étant décédée peu après son arrivée à Mayotte, ses enfants ont recherché devant la juridiction administrative la responsabilité de l’État pour faute dans l’organisation des secours, le tribunal administratif estimant à 50% des conséquences dommageables le rôle joué par les différentes fautes ayant concouru au décès de la mère des demandeurs, tandis que la cour administrative d’appel a jugé que le dommage était exclusivement imputable à l’action fautive de l’État.

Le Conseil d’État casse cette décision pour qualification inexacte des faits dans la mesure où la cour a estimé que la cause déterminante du décès résultait d’une négligence fautive dans le traitement de la déshydratation de l’intéressée alors que dans son arrêt elle a elle-même relevé que la santé de la défunte était fragile et qu’elle avait cependant pris le risque d’une traversée dangereuse sur une embarcation de fortune. Elle n’a pas tiré de ces dernières constatations toutes les conséquences en découlant en estimant exclusif le lien de causalité entre le décès et les négligences fautives de l’État.

(23 octobre 2020, Ministre de l’intérieur, n° 429383)

 

Service public

 

135 - Association de la loi du 1er juillet 1901 – Création à l’initiative de personnes publiques – Exercice d’une mission de service public – Association non placée sous le contrôle de personnes publiques ni financée pour l’essentiel par elles et n’agissant pas au nom et pour le compte de celles-ci – Compétence du juge judiciaire pour connaître du litige né, dans le cadre de l’exécution d’un marché de travaux, de l’action engagée par une entreprise sous-traitante contre l’un des membres du groupement d’entreprises – Rejet.

La requérante avait saisi le juge administratif afin d’être réglée des sommes qu’elle estimait lui être dues par une société membre d’un groupement d’entreprises, du chef de l’exécution de sa part du marché de travaux en vue de la construction d’un équipement musical lancé par une association de la loi de 1901, l’association Philharmonie de Paris.

Le Conseil d’État, apercevant une difficulté sérieuse dans la détermination de l’ordre de juridiction compétent pour connaître de ce litige, avait renvoyé au Tribunal des Conflits le soin de le régler (décision de renvoi du 28 février 2020).

Celui-ci a estimé que si l'association Philharmonie de Paris, créée à l'initiative de l'Etat et de la ville de Paris pour assurer la maîtrise d'ouvrage de la construction d'un équipement culturel et son exploitation, a exercé une mission de service public, elle était une association régie par la loi du 1er juillet 1901 dont aucune de ces personnes publiques ne contrôlait, seule ou conjointement avec l'autre, l'organisation et le fonctionnement ni ne lui procurait l'essentiel de ses ressources, et que par ailleurs, elle n'a pas agi au nom et pour le compte de ces dernières mais en son nom et pour son propre compte. La compétence pour connaître de ce litige revient donc aux juridictions de l’ordre judiciaire.

Le Conseil d’État en tire les conséquences dans cette décision.

Reconnaissons qu’il ne fallait pas grand-chose pour décider l’inverse…

(7 octobre 2020, Société Huet Location, n° 430527)

 

136 - « Grand Paris » - Gestion technique du réseau de transport public du Grand Paris – Gestion confiée à la RATP – Mise à la charge du Syndicat des transports d'Île-de-France (STIF) du coût de cette gestion – Cas des dépenses engagées avant réception des travaux – Intervention d’une décision réglementaire sur les termes d’une convention – Légalité – Rejet.

Le syndicat requérant demandait l’annulation du second alinéa de l'art. 3 du décret du 8 février 2019 relatif à la gestion technique des lignes, ouvrages et installations du réseau de transport public du Grand Paris et des réseaux mentionnés à l'article 20-2 de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux contre cette disposition.

Il contestait en particulier le fait que ce texte, qui a prévu que, pour l’accomplissement de ces missions, la RATP serait rémunérée par ce syndicat, impose au syndicat la rémunération, entre autres, des dépenses engagées par la RATP avant la réception des lignes.

Le Conseil d’État estime légal que soient pris en charge ceux des frais occasionnés à la RATP antérieurement à cette réception, tels qu’embauche et formation de personnel, achat de logiciels, travaux préalables, etc.

Pareillement, il juge régulier que, malgré l’existence d’une convention pluriannuelle entre la RATP et le Syndicat, destinée notamment à régler cette question, le pouvoir réglementaire soit intervenu pour préciser les conditions de rémunération de la RATP.

Ce faisant, le décret litigieux n’a opéré ni un transfert ni une extension de compétence qui eussent relevé de la compétence du législateur.

Le recours est rejeté.

(16 octobre 2020, Syndicat des transports d'Île-de-France (STIF) devenu Île-de-France Mobilités, n° 433414)

 

Sport

 

137 - Taxe d’habitation – Assiette – Locaux d’une association sportive – Cas de terrains de tennis couverts – Non assujettissement à la taxe – Prise de position formelle de l’administration – Erreur de droit et insuffisance de motivation – Cassation.

(15 octobre 2020, Association Ill Tennis Club de Strasbourg, n° 426383) V. n° 72

 

138 - Covid-19 - Football professionnel – Décisions de la Ligue de football professionnel – Maintien de la Ligue à vingt clubs – Décisions d’accession en Ligue 1 et de relégation en Ligue 2 – Rejets.

En raison de l’épidémie de Covid-19, le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a décidé de suspendre les compétitions organisées par la Ligue, avec effet immédiat. L’évolution prévisible de la situation a conduit celui-ci, le 30 avril 2020, à arrêter définitivement les championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 pour la saison 2019/2020. S’agissant de la Ligue 1, toutes les rencontres de la 28ème journée n'ayant pas pu avoir lieu, le conseil d’administration a établi le classement définitif des équipes sur la base d'un indice de performance défini comme le quotient issu du rapport entre le nombre de points marqués et le nombre de matchs disputés. S’agissant de la Ligue 2, il a arrêté son classement définitif sur la base de celui existant à l'issue de la 28ème journée.
Après avoir enregistré, en conséquence, les classements de la Ligue 1 et de la Ligue 2 tels que déterminés ci-dessus, il a décidé, d’une part, d'attribuer le titre de champion de France de Ligue 1 au Paris-Saint-Germain et celui de champion de France de Ligue 2 au FC Lorient, d’autre part, de ne pas organiser, contrairement aux règles normalement prévues, de matchs de « play-offs » entre les clubs ayant terminé 3ème, 4ème et 5ème de Ligue 2, non plus que le match de barrage devant normalement opposer le vainqueur de ces « play-offs » au 18ème de Ligue 1 et, par suite, de prononcer l'accession en Ligue 1 des clubs classés en première et deuxième positions de Ligue 2 (FC Lorient et RC Lens) et la relégation en Ligue 2 des clubs classés en dix-neuvième et vingtième positions de Ligue 1 (Amiens SC et Toulouse FC). Enfin, il a renvoyé à l'assemblée générale de la Ligue de football professionnel la question du format du championnat de Ligue 2 pour la saison 2020/2021. 

Le juge du référé-liberté du Conseil d'Etat a suspendu l'exécution de la décision du 30 avril 2020 du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel en ce qu'elle prononçait la relégation en Ligue 2 des deux clubs arrivés en dix-neuvième et vingtième positions du classement 2019-2020 de Ligue 1, également il a enjoint à la Ligue, en lien avec les instances compétentes de la Fédération française de football, de réexaminer la question du format de la Ligue 1 pour la saison 2020-2021 et d'en tirer les conséquences quant au principe des relégations. Les 19 et 23 juin 2020, le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel puis l'assemblée générale de la Ligue ont maintenu le choix d’une Ligue 1 à 20 clubs pour la saison 2020-2021, ce qu’a confirmé, le 26 juin, la nouvelle convention liant la Fédération française de football à la Ligue pour les quatre prochaines saisons.

Le même jour, sur le fondement de cette nouvelle convention, le conseil d'administration de la Ligue a :

1° abrogé sa décision du 30 avril 2020 en tant qu'elle portait sur les relégations en Ligue 2 pour la saison 2020/2021,

2° confirmé sa décision du 30 avril 2020 en ce qu'elle a prononcé l'accession en Ligue 1 pour la saison 2020 2021 des clubs classés premier et deuxième du classement de Ligue 2 (FC Lorient et RC Lens),

3° de reléguer en Ligue 2 pour la saison 2020-2021 les deux clubs classés 19ème et 20ème du classement de Ligue 1 (Amiens SC et Toulouse FC). 

Le juge considère que la SA L'Olympique Lyonnais Groupe et la SASU L'Olympique Lyonnais, sous les n°s 440810 et 44129,  doivent être regardées comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision en tant qu'elle concerne la Ligue 1.

Les conclusions de la SASP Amiens Sporting Club, sous les n°s 440825 et 441295, sont dirigées contre cette même décision, plus particulièrement contre les dispositions relatives aux relégations en Ligue 2.

La société Espérance Sportive Troyes Aube Champagne et la SASP Clermont Foot 63, sous le n°441161, ainsi que la société Athletic Club Ajaccien Football, sous le n° 441315, contestent cette décision en tant qu'elle supprime les matchs de « play-offs » devant opposer les clubs ayant terminé 3ème, 4ème et 5ème de Ligue 2 ainsi que le match de barrage devant opposer le vainqueur de ces « play-offs » au 18ème de Ligue 1.

On relèvera que le juge admet l’intervention aux côtés du club d’Amiens SC de la communauté d'agglomération Amiens Métropole car elle justifie, dans les circonstances de l'espèce, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des requêtes de ce club.

Tous les recours sont rejetés.

Les moyens de forme et de fond invoqués contre la décision du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel du 30 avril 2020 de mettre un terme définitif aux championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 n’ont pas convaincu le juge : cette décision appartenait bien à cet organe non à l’assemblée générale de la Ligue et elle n’avait pas à être précédée d’une proposition de la commission de révision des règlements. Pas davantage il ne saurait être excipé contre cette décision de ce que participent à ce conseil d’administration des dirigeants de clubs dont la situation est susceptible d'être affectée par les décisions prises car cette présence est inhérente à la nature même de cette instance, telle qu'organisée par les dispositions règlementaires précitées qui ne sont pas contestées par les organismes requérants. Enfin, en soi, la décision prise n’est entachée ni d’incompétence ni d’erreur de droit ni d’erreur de fait et, au surplus, ne sauraient être invoquées à son encontre ni la réglementation des fédérations sportives internationales ni la méconnaissance des principes fixés par l'UEFA en raison de l’absence d’effet juridique dans l’ordre interne français de cette réglementation et de ces principes.

Les moyens soulevés à l’encontre de la décision du conseil d'administration de la Ligue du 30 avril 2020 de procéder à un classement du championnat de Ligue 1 en se fondant sur un quotient sont rejetés tant en ce qui concerne le choix d'arrêter un classement se fondant sur les rencontres déjà disputées – celui-ci ne remettant pas en cause les résultats antérieurement acquis et ne comportant pas une erreur manifeste d’appréciation - que celui de fixer les modalités de classement du championnat de Ligue 1 même si d’autres solutions eussent été possibles.

Pour ce qui regarde la décision de reléguer en Ligue 2 les clubs classés en dix-neuvième et vingtième positions de la Ligue 1 qui avait été suspendue par l’ordonnance du juge des référés du Conseil d’État du 9 juin 2020 (voir cette Chronique, juin 2020, n° 163), le recours est devenu sans objet du fait que la décision de la Ligue qui, tirant les conséquences de la nouvelle convention liant la Fédération française de football à la Ligue pour les quatre prochaines saisons, l’a formellement abrogée et remplacée par celle du 26 juin 2020.

Le juge rejette semblablement les arguments dirigés contre la renonciation aux matches de « play-off » ainsi qu’au match de barrage entre les Ligue 1 et 2, ces renonciations  ne sont pas entachées d’incompétence, ne repose pas, au vu des éléments figurant au dossier, sur une erreur manifeste d’appréciation dès lors qu’il avait été décidé que l’année 2019-2020 ne serait pas une « saison blanche » ;  au reste, et surtout, aucune équipe ne peut prétendre, au terme de la 28e journée de championnat, être assurée d’accéder à la division supérieure.

Enfin, le juge aborde, pour les rejeter, les recours formés contre les décisions qui, d’une part, maintiennent un format de vingt clubs, et, d’autre part, prononcent les accessions en Ligue 1 ainsi que les relégations en Ligue 2.

Sur le premier point, il est relevé que, dans le climat d’incertitude caractérisant cette période, le maintien d’un tel format décidé après l’ordonnance précitée du juge administratif, en exécution de celle-ci et selon le calendrier qu’il avait fixé n’est ni contraire au principe d’égalité ni entachée d’erreur manifeste d’appréciation.

Sur le second point, c’est pour les mêmes motifs de droit et de fait que la décision est jugée n’être pas irrégulière.

(23 octobre 2020, SA L'Olympique Lyonnais Groupe et SASU L'Olympique Lyonnais, n° 440810 et n° 441291 ; SASP Amiens Sporting Club (Amiens SC), n° 440825, n° 441295, n° 441560 et n° 441586 ; Société Espérance Sportive Troyes Aube Champagne (ESTAC) et société anonyme sportive professionnelle (SASP) Clermont Foot 63, n° 441161 ; Société Athletic Club ajaccien (ACA), n° 441315)

 

139 – Covid-19 – Rugby – Refus d’organiser la discussion de la convention liant la requérante à la Fédération française de rugby – Décision de « World Rugby » - Extension de la période de mise à disposition des joueurs au profit de leur équipe nationale – Modification du calendrier de l'équipe de France – Rejet.

En raison de l'épidémie de Covid-19, « World Rugby », qui est de fait une fédération internationale, a décidé dans son règlement interne d'augmenter la durée durant laquelle les joueurs professionnels de chaque pays sont tenus d'être mis à disposition de leur équipe nationale par les clubs qui les emploient.

La Fédération nationale de rugby, en accord avec d’autres fédérations nationales homologues de certains pays, a décidé de faire jouer à l'automne 2020 six matches à l'équipe de France, contre trois normalement prévus, du fait de l'allongement de la période de mise à disposition prévu par « World Rugby ». Les discussions engagées avec la Ligue nationale de rugby, en vue de modifier l'annexe I de la convention qui la lie à la Fédération et qui fixe les conditions de mise à disposition des joueurs de l'équipe de France, n'ayant pas abouti, la Ligue a demandé l’annulation de trois décisions qu'elle estime avoir été prises par la Fédération et contenues ou révélées par différents courriers et actes : le refus de négocier l’évolution de cette annexe, la décision unilatérale d'allonger la période de mise à disposition prévue par « World Rugby » et l'organisation de six matches d'équipe de France.

La Ligue forme, parallèlement, en référé (art. L. 521-1 CJA), une demande de suspension de ces trois décisions.

Le juge des référés devait trancher préalablement à son examen du fond de la requête en référé, deux importantes questions.

En premier lieu, en dépit de sa dénomination et en raison du cadre juridique dans lequel elle s’insère, cette « convention » ne doit pas être regardée comme de nature purement contractuelle mais présente un caractère réglementaire. Le Conseil d’État est donc compétent pour connaître en premier et dernier ressort du litige né de décisions prises par l’une ou l’autre des parties alors que la modification envisagée requiert leur commun accord.

En second lieu, contrairement à ce que soutenait la Fédération, est constatée l’absence d’effet direct dans l’ordre public interne de l’État des décisions arrêtées par « World Rugby ». Les seules dispositions qui s’imposent avec force juridique sont la convention et son annexe 1 ; c’est donc elles qui régissent les questions qui sont à la base du différend opposant la Ligue à la Fédération. Or il est constant que tant que cette convention n’est pas modifiée d’un commun accord, ne s’applique pas la réglementation interne de « World Rugby » sauf à modifier les actes en cause.

Abordant le fond, le juge considère que contrairement à ce que soutient la Ligue, la Fédération n’a pas refusé de négocier la convention et son annexe : ce sont les deux parties qui ont été dans l’incapacité de s’entendre en vue de cet objectif.

Pas davantage ne saurait être reproché à la Fédération d’avoir pris la « décision » d’allonger la durée de la période de mise à disposition des joueurs car il faudrait pour cela une modification de la convention, laquelle n’a pas eu lieu comme indiqué ci-dessus.

Il en va pareillement de l’affirmation de la Ligue requérante que la Fédération aurait procédé à une modification unilatérale des dispositions de l'annexe 1 de la convention en décidant des dates auxquelles l'équipe de France disputerait des matchs à l'automne 2020 alors qu’en réalité la prise en compte des dates de matches déterminant les conditions de mise à disposition des sportifs ne peut résulter que de l'annexe pertinent de la « convention » et non du calendrier d'engagement de l'équipe de France dans des compétitions internationales, ce dernier étant  insusceptible, par lui-même, de produire les effets que la Ligue ou la Fédération croient pouvoir y attacher et ne constitue donc nullement la décision que la Ligue entend attaquer.

Aucune des décisions dont la suspension d’exécution est demandée n’existant ou n’ayant la portée qui lui est prêtée, cette demande est irrecevable ; elle est rejetée.

On observera d’abord le numéro d’équilibrisme juridique réalisé par l’auteur de l’ordonnance qui tout en apercevant dans la prétendue convention un acte réglementaire – donc, on suppose, unilatéral – y voit un acte conjoint entre ses co-auteurs. Mais si l’on comprend bien que la Fédération dispose du pouvoir réglementaire, on est plus réticent pour apercevoir dans la Ligue le co-auteur d’actes réglementaires…

On relèvera ensuite qu’en réalité le juge, en pratique, donne raison à la Ligue puisque, pour rejeter sa demande, il réduit à néant la position de la Fédération qui se retrouve dépourvue, faute d’accord, de toute possibilité de mener à bien les innovations introduites par « World Rugby ».

(ord. réf. 9 octobre 2020, Ligue nationale de rugby, n° 444798)

 

140 - Référé liberté (art. L. 521-2 CJA) – Non renouvellement d’une convention d’occupation domaniale – Club sportif invoquant l’urgence à pouvoir accéder aux lieux en cause et l’atteinte manifestement illégale à une liberté – Urgence non satisfaite – Rejet.

L’association requérante avait conclu des contrats d’occupation domaniale avec la commune d’Alfortville lui permettant d’utiliser jusqu’au 30 juin 2020 les installations sportives du Parc des sports Val de Seine. La gestion de ce complexe ayant été transférée à l'établissement public territorial Grand Paris Sud Est Avenir (GPSEA), celui-ci a informé l'association qu'aucune nouvelle convention d'occupation domaniale ne pourrait être signée tant qu'un contrat d'objectifs n'aurait pas été conclu entre l'association et la commune d'Alfortville. Ce contrat d’objectifs n’a pas été signé du fait de pièces non fournies par l’association et des interrogations de la commune sur la situation financière de cette dernière.

Le 14 août 2020, l’association était informée par le président du GPSEA qu’aucun rassemblement, match, ou entraînement ne pouvait désormais se tenir sur le site du Parc des Sports et le 4 septembre, le maire a invité le président de l’association à se présenter le 8 septembre pour récupérer le matériel de l’association se trouvant encore sur les lieux.

Cette dernière a saisi, en vain, le juge du référé liberté d’une demande de suspension des deux décisions, du 14 août et du 4 septembre 2020, ainsi que d’une demande d’injonction à la commune de lui permettre d’accéder aux installations sportives et à son siège social, situé au Parc des Sports.

En appel, le Conseil d’État confirme en tout point l’ordonnance attaquée.

Il estime que n’est pas convaincante l’argumentation de l’association appelante selon laquelle l'urgence qui s'attacherait aux mesures qu'elle sollicite tiendrait à ce que les décisions contestées ont un impact très important sur son équilibre financier et sur ses résultats sportifs, sont de nature à mettre en péril sa survie à terme et la pérennité de son rôle social, et provoquent le départ de nombreux licenciés et éducateurs, enfin qu’elles privent l'équipe de la possibilité de disputer des matchs « à domicile » et risquent d'entraîner sa relégation en division inférieure. Ces éléments ne paraissent pas de nature à caractériser une situation d'urgence à très bref délai soit dans les quarante-huit heures, la requérante ayant fait choix de former un référé liberté et non un référé suspension pour lequel le « bref délai » s’impose moins, encore eût-il fallu démontrer l’illégalité des décisions ou au moins de l’une d’entre elles.

(ord. réf. 29 octobre 2020, Union sportive d'Alfortville football (USAF), n° 445569)

 

Urbanisme

 

141 - Document local d’urbanisme – Annulation ou déclaration d’illégalité – Notion d’illégalité « reposant sur un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet » - Sens et portée de l’art. L. 600-12-1 du code de l’urbanisme – Divisibilité ou non des dispositions d’un document d’urbanisme - Avis de droit.

Le Conseil d’État était saisi, sur le fondement des dispositions de l’art. L. 113-1 CJA, d’une demande d’avis de droit sur le sens et la portée des art. L. 600-12 et L. 600-12-1 c. urb.

Selon ces textes, d’une part « l'annulation ou la déclaration d'illégalité d'un schéma de cohérence territoriale, d'un plan local d'urbanisme, d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou d'une carte communale a pour effet de remettre en vigueur le schéma de cohérence territoriale, le plan local d'urbanisme, le document d'urbanisme en tenant lieu ou la carte communale immédiatement antérieur » (art. L. 600-12), et, d’autre part, lorsque cette annulation ou déclaration d’illégalité repose sur un motif étranger aux règles d'urbanisme applicables au projet, l’annulation qu’elle entraîne est sans incidence sur les décisions relatives à l'utilisation du sol ou à l'occupation des sols régies par le code de l’urbanisme qui ont été délivrées antérieurement au prononcé de l’annulation ou de la déclaration d’illégalité.

Répondant aux questions posées, le Conseil d’État apporte les importantes précisions suivantes.

En premier lieu, il incombe au juge saisi d’un moyen tiré de l’illégalité du document local d'urbanisme à l'appui d'un recours contre une autorisation d'urbanisme, de vérifier d'abord si l'un au moins des motifs d'illégalité du document local d'urbanisme est en rapport direct avec les règles applicables à l'autorisation d'urbanisme en litige.

A cet égard le Conseil d’État fixe une ligne de partage assez claire : En principe, un vice de légalité externe est étranger à ces règles, sauf s'il a été de nature à exercer une influence directe sur des règles d'urbanisme applicables au projet ; un vice de légalité interne n’est pas, normalement, étranger à ces règles, sauf s'il concerne des règles qui ne sont pas applicables au projet,

En deuxième lieu, lorsque le document local d'urbanisme sous l'empire duquel a été délivrée l'autorisation contestée est annulé ou déclaré illégal pour un ou plusieurs motifs non étrangers aux règles applicables au projet en cause, la détermination du document d'urbanisme au regard duquel doit être appréciée la légalité de cette autorisation obéit aux règles suivantes :

- quand ce(s) motif(s) affecte(nt) la légalité de la totalité du document d'urbanisme, la légalité de l'autorisation contestée doit être appréciée au regard de l'ensemble du document immédiatement antérieur ainsi remis en vigueur ;

- quand ce(s) motif(s) affecte(nt) seulement une partie divisible du territoire que couvre le document local d'urbanisme, ce sont les dispositions du document immédiatement antérieur relatives à cette zone géographique qui sont remises en vigueur;
- quand ce(s) motif(s) n'affecte(nt) que certaines règles divisibles du document d'urbanisme, la légalité de l'autorisation contestée n'est appréciée au regard du document immédiatement antérieur que pour les seules règles équivalentes nécessaires pour assurer le caractère complet et cohérent du document. 

Concernant ces deux dernières hypothèses où est en jeu la notion de divisibilité, le juge précise que, notamment dans le cas d'un plan local d'urbanisme, une disposition du règlement ou une partie du document graphique qui lui est associé ne peut être regardée comme étant divisible que si le reste du plan forme avec les éléments du document d'urbanisme immédiatement antérieur le cas échéant remis en vigueur, un ensemble complet et cohérent. 

En troisième lieu, lorsqu'un motif d'illégalité non étranger aux règles d'urbanisme applicables au projet est susceptible de conduire à remettre en vigueur tout ou partie du document local d'urbanisme immédiatement antérieur, le moyen tiré de l'exception d'illégalité du document local d'urbanisme à l'appui d'un recours en annulation d'une autorisation d'urbanisme ne peut être utilement soulevé que si le requérant soutient également que cette autorisation méconnaît les dispositions pertinentes ainsi remises en vigueur.

(Section, 2 octobre 2020, Société civile immobilière (SCI) du Petit Bois, n° 436934)

 

142 - Permis de construire – Permis remplacé en cours d’instance par un autre – Point de départ du délai de recours contentieux contre le nouveau permis –Dans le silence de prescriptions particulières dans un document d’urbanisme, notion d’« emprise au sol » – Rejet.

Cette décision est intéressante principalement sur deux points.

En premier lieu, elle rappelle une règle de procédure applicable au recours pour excès de pouvoir en toute matière et pas seulement dans le droit de l’urbanisme, selon laquelle lorsque le juge de l'excès de pouvoir est saisi par un tiers d'une décision d'autorisation qui est, en cours d'instance, soit remplacée par une décision de portée identique, soit modifiée dans des conditions qui n'en altèrent pas l'économie générale, le délai ouvert au requérant pour contester le nouvel acte ne commence à courir qu'à compter de la notification qui lui est faite de cet acte.

En second lieu, le Conseil d’État résout une question technique, celle du silence du plan local d’urbanisme sur la notion d’« emprise au sol » auquel il fait pourtant référence. Il considère que « celle-ci s’entend, en principe, comme la projection en volume de la construction, tous débords inclus ». Au cas d’espèce, le bassin de rétention des eaux pluviales étant enterré il ne constituait donc pas une emprise au sol.

(16 octobre 2020, M. et Mme C., n° 424775)

 

143 - Vice affectant certaines autorisations d’urbanisme – Régularisation – Conditions – Effets – Régularisation affectant l’économie générale du projet – Possibilité conditionnée – Avis de droit.

Le Conseil d’État était saisi, sur le fondement des dispositions de l’art. L. 113-1 CJA, d’une demande d’avis de droit sur certaines incidences de la procédure de régularisation d’autorisations d’urbanisme entachées d’irrégularité (art. L. 600-5-1 c. urb.).

Il lui était demandé, d’une part, si la procédure de régularisation, régie par l’art. L. 600-5-1 c. urb, peut être mise en oeuvre lorsque la régularisation d'un ou des vices entraînant l'illégalité de l'autorisation d'urbanisme a pour conséquence de porter atteinte à la conception générale du projet, alors que cette hypothèse est exclue dans le cadre d’une régularisation effectuée par l’octroi d’un permis modificatif  et, d’autre part, en cas de réponse affirmative à la question précédente, s’il existe un autre critère relatif aux modifications pouvant être apportées au projet concerné dont le non-respect ferait obstacle à la délivrance d'un permis de régularisation dans le cadre de la procédure prévue par l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme.

S’appuyant sur les travaux préparatoires de la loi du 23 novembre 2018 (portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique), le Conseil d’État livre une interprétation très latitudinaire, bien dans l’air du temps, de la disposition en cause.

Il estime qu’un vice entachant le bien-fondé de l'autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.

Naturellement, le juge n'est pas tenu de surseoir à statuer soit si les conditions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme sont réunies et qu'il fait le choix d'y recourir, soit si le titulaire de l'autorisation lui a indiqué qu'il ne souhaitait pas bénéficier d'une mesure de régularisation.

(Section, 2 octobre 2020, M. X., n° 438318)

 

144 - Déclaration préalable à la création d’un lotissement comportant deux lots – Opposition du préfet – Invocation du document d’orientation et d’objectifs du schéma de cohérence territoriale (SCoT)– Cas des communes non dotées d’un plan d’urbanisme ou d’un document en tenant lieu – Légalité – Cassation avec renvoi.

Le pourvoi était dirigé contre un arrêt de cour d’appel qui avait annulé l’opposition du préfet à une déclaration préalable à la création d’un lotissement composé de deux lots car une telle opération, eu égard à la surface de plancher en cause, n’était pas au nombre de celles qui, énumérées aux articles L. 142-1 et R. 142-1 du code de l’urbanisme, doivent être compatibles avec le document d'orientation et d'objectifs du schéma de cohérence territoriale (SCoT).

Le Conseil d’État censure ce raisonnement en se fondant sur le second alinéa de l’art. L. 141-18 du même code selon lequel :

« Le document d'orientation et d'objectifs peut préciser les objectifs de qualité paysagère.

Il peut, par secteur, définir des normes de qualité urbaine, architecturale et paysagère applicables en l'absence de plan local d'urbanisme ou de document d'urbanisme en tenant lieu ». 

Peu assuré de la solidité juridique de cette affirmation, le juge tente, pour la renforcer, de s’appuyer sur les travaux parlementaires préalables à l'adoption de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dont est issue la disposition précitée.

Par suite de cet examen le juge considère que le préfet pouvait légalement - dans les communes relevant du périmètre du SCoT mais non dotées d'un plan local d'urbanisme ou d'un document en tenant lieu - s’opposer à une demande de lotissement car ces normes de qualité urbaine, architecturale et paysagère sont directement opposables aux tiers, bien que ne figurant pas dans l'énumération de l'article L. 142-1.

On peut être quelque peu dubitatif à l’égard de la construction juridique retenue.

(16 octobre 2020, Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 433792)

 

145 - Aménagement commercial – Permis de construire – Avis de la Commission nationale d'aménagement commercial – Nature d’acte préparatoire – Irrecevabilité d’un recours contentieux dirigé contre cet avis – Rejet.

Une nouvelle fois il est démontré que les mesures simplificatrices génèrent souvent un contentieux supplémentaire…

Le juge rappelle à nouveau que l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial concernant un permis de construire une exploitation commerciale, ayant désormais, depuis la loi du 18 juin 2014 (art. 39), le caractère d'un acte préparatoire à la décision prise par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, seule cette dernière décision est susceptible de recours contentieux et cela quel que soit le sens de l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial. Les recours contentieux dirigés contre les avis de cette dernière sont irrecevables, comme le sont également ceux formés contre les avis des commissions départementales d'aménagement commercial.

(7 octobre 2020, Société Chalondis, n° 420483)

(146) V. aussi, avec même requérante, mais sur d’autres aspects d’aménagement commercial : 7 octobre 2020, Société Chalondis, n° 420493.

 

147 - Participation pour non-réalisation d’aires de stationnement – Contestation de la mise en demeure de payer la participation – Rejet - Permis modificatif comportant prévision de ces aires – Demande de dégrèvement de la participation – Délai de prescription – Interprétation stricte de l’art. L. 1617-5 CGI - Fait générateur de la participation – Rejet.

A la suite de l’obtention d’un premier permis de construire la société requérante avait été mise en demeure de payer la participation pour non-réalisation d'aires de stationnement, mise en demeure contestée en vain en première instance comme en appel. Puis, suite au dépôt, en 2011, d’un premier permis de construire modificatif comportant un certain nombre de places de stationnement, toutefois en nombre insuffisant, la société devait s’acquitter d’un montant de participation pour non-réalisation d’une partie des aires de stationnement imposées par la réglementation, d’un montant inférieur à celui fixé lors de l’octroi du permis initial. Le conseil municipal ayant modifié par la suite le PLU et réduit le nombre de places de stationnement exigible, un second permis modificatif a été délivré, en 2013, comportant un nombre de places de stationnement désormais conforme au plan ; aucune participation n’était due à ce titre.

La société a demandé au maire de la commune de lui confirmer qu'elle n'était plus redevable de la participation pour non-réalisation d'aires de stationnement. Elle a attaqué, en vain en première instance et en appel, le refus du maire de délivrer cette confirmation.

Le Conseil d’État analyse tout d’abord la demande adressée au maire de la commune et refusée par lui comme constituant « non comme une demande contestant le bien-fondé de la participation financière qui lui avait été réclamée sur la base du permis de construire initial délivré le 11 juillet 2011, mais comme une demande de dégrèvement de cette participation fondée sur des éléments nouveaux. » Par suite, contrairement à ce qu’ont jugé les juges du fond, la demande de la société n’était pas atteinte par la prescription instituée au 2° de l'article L. 1617-5 du CGCT qui ne concerne que les recours des débiteurs d’une créance – d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public local - contestant le bien-fondé de cette dernière. C’est donc à tort qu’a été opposée à cette demande une irrecevabilité.

Le Conseil d’État relève ensuite que c’est à tort que la cour administrative d’appel a opposé à la requérante l’autorité relative de la chose jugée par son arrêt précédent (2017) rejetant la contestation du jugement du tribunal administratif statuant sur l’opposition à mise en demeure car cet arrêt reposait sur une erreur de droit en ce qu’il opposait à la société l’irrecevabilité de son recours pour cause de prescription, prescription qui, on l’a vu, ne jouait pas au cas de l’espèce.

Toutefois, l’arrêt n’est pas cassé au final car, d’une part, la société requérante ne pouvait pas fonder sa demande de dégrèvement des sommes mises à sa charge par le permis de construire délivré en 2011 sur des faits nouveaux apparus en 2013 et, d’autre part, le second permis modificatif ne se substituant pas au permis initial, la requérante ne pouvait solliciter le dégrèvement de la participation mise à sa charge par ce permis au motif que le permis de construire modificatif délivré le 29 octobre 2013 comportait le nombre de places de stationnement exigé par les nouvelles prescriptions du plan local d'urbanisme.

Ceci illustre à la fois le degré de complexité que peut parfois atteindre le contentieux de l’urbanisme et la part d’iniquité que peut recéler la combinaison de certaines de ses dispositions.

(7 octobre 2020, Société civile immobilière Berrier-Carnot, n° 426477)

 

148 - Demande d’un permis de construire plusieurs logements – Terrain d’assiette du permis non couvert par une carte communale, un plan local d'urbanisme ou un document d'urbanisme en tenant lieu – Obligation de recueillir l’avis préalable conforme du préfet – Annulation de la décision de refus du permis conformément à l’avis négatif du préfet – Préfet défendeur à l’instance – Préfet ayant qualité pour interjeter appel – Rejet.

Lorsque le terrain où est situé un projet d‘édification d’immeuble pour lequel un permis de construire est sollicité n’est couvert ni par une carte communale, ni par un plan local d'urbanisme ou un document d'urbanisme en tenant lieu, l’autorité communale ou intercommunale compétente doit recueillir l’avis conforme du préfet avant de prendre sa décision. En l’espèce, l’avis préfectoral ayant été négatif, le permis a été refusé.

Les requérants, qui avaient obtenu en première instance l’annulation du rejet de leur demande de permis, invoquaient en appel notamment l’absence de qualité du préfet pour interjeter appel du jugement les ayant déboutés.

Confirmant la solution retenue en appel, le juge de cassation estime qu’en première instance le préfet avait la qualité de défendeur à l’action introduite par les requérants dès lors que son pouvoir d’opposition à permis (ou à déclaration préalable) est destiné à lui permettre de protéger ou de défendre les intérêts publics que le législateur lui a confiés en sa qualité de représentant de l’État dans le département.  Partant, défendeur en première instance, il tenait automatiquement de là la qualité pour interjeter appel du jugement ou pour défendre en appel.

Les requérants sont déboutés.

(16 octobre 2020, M. et Mme C., n° 427620)

 

149 - Permis de construire – Mentions incomplètes ou erronées sur l’affichage du permis sur le terrain – Conséquences – Appréciation au regard de la finalité de l’affichage – Application souple – Rejet.

Le juge aborde à nouveau une question récurrente et agaçante, celle des effets attachés à l’incomplétude ou à l’erreur entachant certaines mentions figurant sur le panneau d’affichage du permis de construire installé sur le terrain d’assiette du permis.

Si, normalement, en droit strict, toute mention erronée doit conduire à l’absence de déclenchement du délai de recours contre le permis (par voie de conséquence des art. R. 424-15, R. 600-2 et A 424-16  c. urb.), la jurisprudence s’est montrée bien plus souple. Pour ce faire, elle a donné (reconstruit ?) une finalité aux informations dont il est exigé qu’elles figurent sur l’affichage du permis : ces informations ont notamment pour objet de mettre les tiers à même de consulter le dossier du permis. Il suit de là qu’une erreur ou omission sur l’affichage du permis ne peut faire obstacle au déclenchement du délai de recours contentieux que si elle est de nature à affecter la capacité des tiers à identifier, à la seule lecture du panneau d'affichage, le permis et l'administration à laquelle il convient de s'adresser pour consulter le dossier.

Le jugement, au cas de l’espèce, est annulé car pour dire que l’affichage n’était pas régulier, les juges du fond avaient retenu que n’y figurait pas l’adresse de la mairie où pouvait être consulté le dossier du permis, alors que mentionnant que le permis était délivré par la mairie d’Ajaccio, il permettait sans difficulté aux intéressés de déterminer où il convenait de s’adresser pour accéder à ce dossier.

Ou « Quand le bon sens triomphe »…

(16 octobre 2020, M. et Mme B., n° 429357)

 

150 - Permis de construire – Référé suspension contre la décision accordant le permis – Présomption d’urgence (art. L. 600-3 c. urb.) – Rejet pour défaut d’urgence – Erreur de droit – Cassation.

Commet une erreur de droit le juge qui, saisi d’un référé suspension contre une décision accordant un permis de construire, le rejette pour défaut d’urgence alors qu’il résulte de l’art. L. 600-3 du code de l’urbanisme qu’en ce cas la condition d’urgence est présumée satisfaite. Il n’en irait autrement que si des circonstances particulières à l’espèce conduisaient à écarter ladite présomption. Cette dernière n’est donc pas irréfragable.

(20 octobre 2020, M. K., n° 430724)

(151) V. aussi, sur cette affaire, du même jour : 20 octobre 2020, M. J. et autres, n° 430729 et n° 431183.

 

152 - Permis de construire – Recours gracieux d’un tiers contre ce permis – Silence constituant une décision implicite rejet – Notification postérieure d’une décision explicite de rejet – Effets sur le cours du délai – Annulation avec renvoi au tribunal administratif.

Rappel d’une solution constante en cas de silence gardé pendant plus de deux mois par l’autorité administrative sur le recours administratif d’un tiers dirigé contre une décision octroyant un permis de construire.

Tout d’abord ce silence vaut rejet implicite du recours administratif et ouvre immédiatement le délai de recours contentieux. Si une décision explicite de rejet intervient deux cas se présentent :  soit cette décision est notifiée à l'auteur du recours administratif avant une décision implicite de rejet, en ce cas le nouveau délai pour se pourvoir court à compter de cette notification, soit elle est notifiée  après la constitution d'une décision implicite de rejet mais avant l'expiration du délai de recours contentieux qui a commencé à courir à compter de cette décision tacite, cette décision explicite fait à nouveau courir le délai de recours. 

En l’espèce un recours administratif a été formé le 27 juillet contre un permis de construire du 20 juin, le silence du maire a fait naître une décision implicite de rejet le 27 septembre. La notification, le 3 octobre, donc avant l’expiration du délai de recours contentieux contre le rejet tacite du permis de construire, d’une décision explicite de rejet du recours administratif, a eu pour effet de proroger le délai du recours contentieux. C’est donc à tort que le tribunal administratif a opposé la prescription et rejeté le recours pour tardiveté.

(20 octobre 2020, M. A. et autres, n° 430747)

 

153 - Permis de construire – Qualité pour présenter une demande de permis (art. R. 423-1 et R. 431-4 à R. 431-33-1 c. urb.) – Présomption - Qualité du pétitionnaire d’un permis assis sur un terrain soumis au régime cde la copropriété – Distinction entre fraude au permis et permis demandé sans qualité ad hoc – Annulation.

Commet une erreur de droit le tribunal qui juge frauduleuse la demande du permis de construire sur un terrain en copropriété formée par le requérant qui atteste de sa qualité pour déposer sa demande de permis de construire alors qu'il ne pouvait ignorer que les travaux, objet de la demande, nécessitaient l'accord préalable de l'assemblée générale des copropriétaires, ni davantage ignorer qu'à la date du dépôt de sa demande de permis de construire, il s'était vu refuser l'assentiment de l'assemblée générale des copropriétaires lors des deux réunions qui s'étaient tenues à cet effet. Or le défaut d'autorisation des travaux par l'assemblée générale d’une copropriété n'est pas susceptible de caractériser une fraude visant à tromper l'administration sur la qualité invoquée à l'appui de la demande de permis car le refus d'autorisation opposé par l'assemblée générale des copropriétaires aux travaux envisagés est sans incidence sur la qualité du copropriétaire à déposer une demande d'autorisation d'urbanisme. Au reste, ce n’est qu’en cas de fraude relevée par elle que l’administration a l’obligation de refuser le permis de construire sollicité (V., par ex., 23 mars 2015, M. et Mme X. c/ commune d’Aspremont, n° 348261).

En effet, le pétitionnaire qui fournit l'attestation selon laquelle il remplit les conditions fixées par l'article R. 423-1 du code de l’urbanisme doit être regardé comme ayant qualité pour présenter sa demande. Il suit de là que lorsque la demande d'autorisation d'urbanisme concerne un terrain soumis au régime juridique de la copropriété, elle peut être régulièrement présentée par son propriétaire, son mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par lui à exécuter les travaux, alors même que la réalisation de ces travaux serait subordonnée à l'autorisation de l'assemblée générale de la copropriété, une contestation sur ce point ne pouvant être portée, le cas échéant, que devant le juge judiciaire. Partant, elle ne peut être utilement invoquée pour contester l'autorisation administrative délivrée.

(23 octobre 2020, Ville de Paris, n° 425457 et, M. A., n° 425486)

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