Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Septembre 2019

Actes et décisions

 

1 - Dopage – Sanction – Régime des illégalités contenues dans une ordonnance non encore ratifiée – Respect du caractère contradictoire de la procédure disciplinaire – Rejet.

Suite à un contrôle anti-dopage un sportif, reconnu positif à des substances prohibées, fait l’objet de diverses interdictions dont il conteste soit la légalité interne soit la légalité de la procédure ayant abouti à leur infliction.

Tous ses arguments sont rejetés mais deux de ces rejets retiennent l’attention.

Tout d’abord, l’intéressé conteste la légalité de dispositions d’une ordonnance de l’art. 38 de la Constitution (ordonnance du 19 décembre 2018 relative aux mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour parfaire la transposition en droit interne des principes du code mondial antidopage, art. 29) qui, si elle a été déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 9 mars 2019, n’a, à la date de l’arrêt ici rapporté, pas encore fait l’objet d’une ratification. Elle a donc une nature réglementaire. Pour rejeter la critique d’illégalité le juge des référés croit pouvoir décider que « la seule circonstance qu'une ordonnance, prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, n'ait pas été ratifiée et soit temporairement soumise au régime contentieux des actes administratifs, ne fait pas obstacle à ce que ses dispositions dérogent à d'autres dispositions législatives ». Ce raisonnement n’est pas du tout convaincant car il n’existe pas une présomption irréfragable qu’une ordonnance déposée en vue d’une ratification soit effectivement ratifiée ni, non plus, que la discussion en vue de sa ratification soit, un jour, engagée ; cela est arrivé à plusieurs reprises. Enfin, un texte réglementaire ne peut déroger à une disposition législative ; en ce cas il est illégal et il faut donc en tirer les conclusions qui en découlent invinciblement. On avoue être très surpris par une telle rédaction et donc par une telle argumentation.

Ensuite, le requérant invoquait la méconnaissance par l’art. L. 232-23-4 du code du sport (qui n’est donc, en l’état, qu’une disposition contenue dans une ordonnance non ratifiée) du « principe général du respect des droits de la défense dès lors qu'il n'organise une procédure contradictoire qu'immédiatement après l'édiction de la mesure de suspension du sportif, et non avant l'intervention de celle-ci ». L’argument n’est pas sans pertinence. Il lui est répondu que « ce principe général n'impose pas, compte tenu de l'objet et de la portée d'une telle mesure, qui n'a qu'un caractère conservatoire et ne saurait être regardée comme une sanction, que la suspension du sportif ne puisse légalement intervenir qu'à l'issue d'une procédure contradictoire ».

On n’aperçoit pas en quoi le caractère conservatoire d’une mesure, qui fait évidemment grief, permettrait à l’administration de se dispenser légalement de respecter un principe aussi fondamental et universel que celui du contradictoire. Là encore l’argumentation peine à convaincre.

(6 septembre 2019, M. X., n° 433887)

 

2 - Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) – Refus implicite de donner son interprétation d'une expression législative – Légalité – Absence d'obligation pour une autorité administrative de délivrer son interprétation du droit – Rejet.

(30 septembre 2019, Syndicat des radios indépendantes (SIRTI), n° 421665) V. n° 5

 

3 - Modalités d'immatriculation des véhicules – Acte réglementaire illégal – Obligation d'abrogation – Contrariété d'un arrêté ministériel aux objectifs d'une directive de l'Union européenne – Annulation du refus d'abroger.

Rappel de ce qu'en vertu d'un principe général du droit repris à l'art. L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé ".

La société requérante, spécialisée dans le commerce de vente de détail en France de véhicules précédemment immatriculés dans un autre Etat de l'Union européenne, soutenait qu'un arrêté ministériel du 1er février 2009 relatif aux documents d'immatriculation des véhicules permettant à l'administration d'exiger la production " d'un certificat de conformité à un type CE ou une attestation d'identification à un type communautaire " dans tous les cas où elle estime que le certificat d'immatriculation établi par un autre Etat membre de l'Union européenne " ne permet pas d'immatriculer le véhicule ", était contraire aux objectifs d'une directive européenne.

Elle en avait demandé l'abrogation mais essuya un refus implicite de la part du ministre concerné.

Le Conseil d'Etat, saisi du litige, juge que les dispositions de cet arrêté méconnaissent les objectifs de la directive du 29 avril 1999, dans la mesure où elles laissent à l'administration la possibilité d'exiger la production d'autres documents que le certificat d'immatriculation, cela en dehors des hypothèses particulières prévues par le droit de l'UE. Le refus d'abrogation est annulé et une injonction est adressée d'abroger sous trois mois les dispositions litigieuses de l'arrêté querellé.

(30 septembre 2019, Société Fuel Motors, n° 423907)

 

4 - Acte réglementaire – Notion – Cas de l'agrément administratif des "opérateurs de compétences" – Absence de caractère réglementaire – Demande portée à tort directement devant le Conseil d'Etat.

La fédération requérante avait saisi le Conseil d'Etat en premier ressort d'une demande en annulation d'un arrêté portant agrément d'un opérateur de compétences.

Pour rejeter ce recours comme ne relevant pas de sa compétence directe mais de celle, ordinaire, du tribunal administratif, le Conseil d'Etat devait se prononcer sur la nature de l'acte agréant un opérateur de compétences. Si celui-ci avait une nature réglementaire il relevait de la compétence de premier ressort du Conseil, à défaut il devait être porté devant la juridiction de droit commun du premier degré, soit le tribunal administratif.

Il est jugé ici que  "si les opérateurs de compétences sont des personnes de droit privé investies d'une mission de service public, ils exercent leurs missions, de contribution au financement de la formation professionnelle continue, d'appui technique aux branches professionnelles, de service de proximité à certaines entreprises de ces branches et, durant une période transitoire, de collecte des contributions des employeurs au titre du financement de la formation professionnelle et de l'alternance, dans des conditions qui sont déterminées par (...) le code du travail (...). Dans ces conditions, la décision, dépourvue de caractère général et impersonnel, par laquelle l'autorité administrative agrée (...) un de ces organismes n'a pas, par elle-même, pour objet l'organisation d'un service public et ne revêt donc pas un caractère réglementaire".

Par suite, l'agrément ne constituant pas l'acte réglementaire d'un ministre, les litiges qu'il soulève relèvent en premier ressort du tribunal administratif.

Renvoi est donc fait ici à cette juridiction.

(30 septembre 2019, Fédération nationale des salariés de la construction, du bois et de l'ameublement CGT, n° 431317)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

5 - Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) – Refus implicite de donner son interprétation d'une expression législative – Légalité – Absence d'obligation pour une autorité administrative de délivrer son interprétation du droit – Rejet.

Le syndicat requérant avait demandé au CSA qu'il définisse un " outil " permettant aux services radiophoniques de connaître l'acception qu'il retient de la notion de " musique de variétés " au sens du 2° bis de l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986. Le CSA étant demeuré silencieux, une décision implicite de rejet de cette demande en a résulté d'où la saisine du Conseil d'Etat, saisine directe s'agissant d'un recours dirigé contre la décision d'une autorité administrative indépendante.

Pour rejeter cette requête, le Conseil d'Etat invoque deux arguments, l'un positif, l'autre négatif.

Tout d'abord, positivement, le juge relève que le CSA était dans l'obligation de refuser d'accéder à cette demande car pour donner l'interprétation sollicitée, il aurait été conduit à exercer un pouvoir réglementaire qui ne lui est conféré par aucune disposition de la loi le régissant.

Ensuite, négativement, il est rappelé une règle applicable à toutes les autorités administratives : celles-ci ne sont jamais tenues d'indiquer l'interprétation qu'elles retiennent de l'état du droit. Ce second argument est partiellement redondant avec le premier et d'une faible portée en pratique. En effet, ayant pris une décision, l'autorité publique est bien obligée, le cas échéant de s'expliquer sur son contenu, lequel dépend directement de l'interprétation faite de la règle de droit appliquée à l'espèce.

(30 septembre 2019, Syndicat des radios indépendantes (SIRTI), n° 421665)

 

Collectivités territoriales

 

6 - Révocation d’un maire – Procédure disciplinaire contradictoire – Référé suspension – Motifs retenus par la décision de révocation – Absence de moyens sérieux invoqués à l’encontre de ces motifs – Rejet.

Un maire révoqué de ses fonctions par décret du 21 août 2019, demande au juge la suspension, par voie de référé, de ce dernier. Le juge n’examine pas la condition d’urgence l’estimant sans doute satisfaite mais seulement l’existence de moyens sérieux propres à la naissance d’un doute sérieux quant à la légalité du décret attaqué.

La requête est, sans surprise, rejetée au regard de ce qui est reproché au plan pénal à l’intéressé (mise en examen pour prise illégale d'intérêts, complicité de faux en écriture publique, détournement de fonds publics) comme par un rapport de la chambre régionale des comptes.

On relèvera deux points de procédure et un point de droit.

En premier lieu, la défense à ce recours est assurée par le ministre de l’intérieur et non par l’auteur du décret.

Ensuite, la procédure, qualifiée de disciplinaire, est dite indépendante de la procédure pénale ; par suite, ne peuvent être articulés à son encontre des griefs tirés du non-respect de la présomption d’innocence ou du principe non bis in idem et, pas davantage, il n’était nécessaire, pour prendre cette mesure, d’attendre le résultat des instances pénales engagées.

Enfin, on peut se demander s’il est bien correct, juridiquement, de parler d’action « disciplinaire », terme évoquant plutôt l’univers de la subordination hiérarchique, alors qu’il s’agit d’un élu d’une collectivité décentralisée.

(3 septembre 2019, X., maire d’Hesdin, n° 434072)

 

7 - Taxe d'enlèvement des ordures ménagères – Taxe destinée uniquement à couvrir les dépenses communales d'enlèvement et de traitement des ordures ménagères non couvertes par des recettes non fiscales – Exclusion par principe des dépenses d'ordre de la section de fonctionnement – Erreur de droit – Taxe dont le produit excède de 6,2% le montant des charges – Absence de caractère disproportionné du montant de la taxe – Annulation sans renvoi du jugement contraire.

Commet une erreur de droit le jugement qui - en matière de taxe sur les ordures ménagères - exclut par principe du calcul des recettes non fiscales l'ensemble des recettes d'ordre de la section de fonctionnement, regardées comme des jeux d'écriture entre sections.

Par ailleurs, en l'espèce, le produit de cette taxe n'excédant que de 6,2% le montant des charges qu'elle doit couvrir, il s'ensuit que son taux n'est pas "manifestement disproportionné".

(20 septembre 2019, Société Sogefimur, n° 419661)

 

Contrats

 

8 - Mandat de maîtrise d'ouvrage publique – Défaut de paiement d'un sous-traitant – Référé provision – Droit du sous-traitant au paiement direct – Rejet.

Dans le cadre de la construction d'une station d'épuration est conclu un contrat de mandat de maîtrise d'ouvrage publique entre le syndicat intercommunal d'alimentation en eau et assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG), auquel a succédé la communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbes (CAGSC), et la société communale de Saint-Martin (SEMSAMAR). La société Eiffage Energie Guadeloupe a été acceptée en qualité de sous-traitante en vue de la réalisation de prestations d'électricité et ses conditions de paiement ont été agréées. Cependant, à partir du mois de juin 2013 aucune de ses factures n'a été honorée, elle a donc saisi le juge administratif des référés d'une demande de provision tant en capital qu'au titre des intérêts. Ce recours ayant été rejeté, le juge des référés de la cour administrative d'appel a été saisi et, après annulation de l'ordonnance rendue en première instance, a fait entièrement droit aux demandes financières de la société sous-traitante. La SEMSAMAR se pourvoit en cassation contre cette ordonnance en tant qu'elle l'a condamnée à verser, solidairement avec la communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbes (CAGSC), une telle provision au profit du sous-traitant.

Le Conseil d'Etat rejette logiquement le pourvoi.

Tout d'abord, il résulte des dispositions combinées du CJA relatives aux conditions du référé provision avec celles de l'art. 6 la loi de 1985 relative à la maîtrise d'ouvage publique et à ses rapports avec la maîtrise privée, que c'est en principe au maître d'ouvrage qu'incombe l'obligation de payer les prestations fournies par le sous-traitant agréé par celui-ci. C'est la règle dite "du paiement direct" ou privilège de pluviose. En cas de désaccord sur le montant des sommes dues, le sous-traitant peut saisir le juge administratif - lorsque le contrat a une nature administrative - d'une action en paiement direct laquelle a la nature d'une action contractuelle non d'une action en responsabilité quasi-délictuelle.

Ensuite, lorsque, comme au cas de l'espèce, le maître de l'ouvrage a conclu un contrat de mandat de maîtrise d'ouvrage publique (dans les termes de l'art. 3 de la loi précitée de 1985, aujourd'hui codifiée à l'art. L. 2422-5 du code de la commande publique), le juge peut mettre à la charge du mandataire le paiement direct réclamé par le sous-traitant au maître de l'ouvrage dès lors que ce paiement constitue l'une des missions mentionnées dans le contrat de mandat.

C'est donc à tort que la société demanderesse conteste l'ordonnance rendue en appel, laquelle est conforme à ce qui précède.

(18 septembre 2019, Société communale de Saint-Martin (SEMSAMAR), n° 425716 et n° 426120)

 

9 - Marché public de travaux – Prescriptions du règlement de la consultation – Possibilité d'y prévoir la communication d'informations non nécessaires mais utiles – Obligation de respecter lesdites prescriptions – Notion d'offre irrégulière pour incomplétude – Cas en l'espèce – Rejet.

Un marché public de travaux pour l'aménagement d'un carrefour routier, lancé par la collectivité territoriale de Corse, est attribué à un groupement d'entreprises, ce que conteste la société mandataire d'un autre groupement ; si cette dernière a vu sa demande rejetée en première instance, elle a, sur le principe, obtenu gain de cause en appel. Le pouvoir adjudicateur se pourvoit mais en vain.

Le litige venait, pour l'essentiel, de ce que le règlement de la consultation en vue de l'attribution du marché, d'une part, prévoyait, outre les pièces nécessaires à l'appréciation des offres et des candidatures, la communication d'un certain nombre d'informations que la collectivité organisatrice estimait utiles pour l'appréciation des offres au regard d'un critère ou d'un sous-critère et d'autre part, précisait qu'en l'absence de ces informations, l'offre serait notée zéro au regard du critère ou du sous-critère en cause. Toutefois, le règlement ne précisait pas expressément que la communication de ces éléments était prescrite à peine d'irrégularité de l'offre. Or le groupement d'entreprises retenu avait fait une offre ne comportant pas certaines des informations sollicitées ; la cour administrative d'appel avait jugé l'offre incomplète et donc irrégulière puisque la communication des éléments omis était prescrite par le règlement de la consultation. Le Conseil d'Etat juge que la cour, ce faisant, n'a pas dénaturé le règlement de la consultation ni commis une erreur de droit. La seule mention de ce que la note zéro serait appliquée au critère ou au sous-critère concerné par cette omission suffisait à établir le caractère de prescription de cette demande de communication. Le pourvoi de la collectivité est rejeté.

(20 septembre 2019, Collectivité territoriale de Corse, n° 421075)

10 - Marché public de construction – Candidature évincée – Demande d'indemnisation - Présentation de variantes sans offre de base – Rejet en raison du caractère irrégulier de l'offre du candidat évincé – Rejet.

Une société, classée seconde et donc non attributaire d'un marché public de construction d'un hall sportif, demande réparation du préjudice subi du fait du caractère irrégulier de son éviction : elle l'obtient en première instance. La cour administrative d'appel, sur recours de la commune, rejette cette demande au motif que la commune était tenue d'éliminer son offre et que, par suite, alors même que cette offre avait été notée et classée, la société était dépourvue de toute chance d'être attributaire du marché et ne pouvait, dès lors, prétendre à aucune indemnisation.

En effet, selon la cour, la société n'avait présenté que des variantes non une offre de base, pourtant prévue par les documents de la consultation. Son offre était donc irrégulière.
Le Conseil d'Etat confirme cette analyse en rappelant que si, aux termes de l'art. 50 de ce qui était alors le code des marchés publics, la présentation d'une variante n'est pas subordonnée à la présentation d'une offre de base dans le cadre d'un marché passé selon une procédure adaptée, il est toutefois loisible au pouvoir adjudicateur de prévoir une telle obligation. En jugeant qu'en l'espèce cette obligation résultait bien des termes mêmes du règlement de la consultation, la cour n'a pas dénaturé celui-ci.

(20 septembre 2019, Société BGC, n° 421317)

 

11 - Concession du service public de la distribution d'eau potable – Référé précontractuel (art. L. 551-1 CJA) – Valeur estimée du contrat obligeant à procéder à une hiérarchisation des critères d'attribution des offres – Obligation d'indiquer cette hiérarchie – Absence d'indication – Annulation de la procédure de passation – Erreur de droit – Cassation de l'ordonnance de référé.

La société des eaux de Corse a demandé au juge du référé précontractuel et obtenu de celui-ci l'annulation de la procédure relative à la passation du contrat de concession de service public de distribution de l'eau potable lancée par la communauté de communes de l'Ile-Rousse-Balagne. Pour procéder à cette annulation, le juge des référés a estimé  que le contrat en cause  avait une valeur estimée hors taxe égale ou supérieure au seuil européen et qu'en conséquence, il résultait de l'art. 9 du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession, l'obligation pour l'autorité concédante, prévue au II de l'article 27 de ce décret, de fixer les critères d'attribution du contrat par ordre décroissant d'importance, dès lors qu'il s'agissait d'un contrat relatif à la mise à disposition, à l'exploitation ou à l'alimentation de réseaux fixes destinés à fournir un service au public dans le domaine de la production, du transport ou de la distribution d'eau potable. Faute d'avoir ainsi procédé la communauté de communes défenderesse a entaché d'illégalité la procédure de passation du contrat litigieux.

Le juge de cassation censure ce raisonnement car il considère qu'en réalité l'art. 10 du décret précité de 2016, en renvoyant au 3° du I de l'art. 11 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, a entendu se fonder exclusivement sur le critère matériel de l'objet du contrat, excluant par là même l'application des règles de passation particulières applicables aux contrats dont la valeur estimée hors taxe est égale ou supérieure au seuil européen, et cela quelle que soit leur valeur estimée et qu'ils soient conclus par un pouvoir adjudicateur ou par une entité adjudicatrice.

Ayant procédé à l'annulation de l'ordonnance, le Conseil d'Etat rejette les autres griefs d'irrégularité articulés par la société demanderesse.

En particulier, a bien été respectée en l'espèce l'obligation, lorsque le candidat est une personne morale de droit public, que l'exécution du contrat en cause entre dans le champ de sa compétence et, s'agissant d'un établissement public, ne méconnaît pas le principe de spécialité auquel il est tenu. Pareillement, comme indiqué ci-dessus, l'absence de hiérarchisation des critères n'est pas, ici, illégale. Enfin, dès lors qu'une personne publique était candidate à l'attribution du contrat de concession, il appartenait à l'autorité concédante, dans la mesure où l'équilibre économique de l'offre de cette personne publique différait substantiellement de celui des offres des autres candidats, de s'assurer, en demandant la production des documents nécessaires, que l'ensemble des coûts directs et indirects a été pris en compte pour la détermination de cette offre, afin que ne soient pas faussées les conditions de la concurrence. Or il ne résulte pas de l'analyse à laquelle doit se livrer le juge du référé précontractuel, saisi d'un moyen en ce sens, que le contrat a été attribué en l'espèce à une personne publique qui a présenté une offre qui, faute de prendre en compte l'ensemble des coûts exposés, aurait faussé les conditions de la concurrence. 

(18 septembre 2019, Communauté de communes de l'Ile-Rousse-Balagne, n° 430368 et Office d'équipement hydraulique de la Corse, n° 430474)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

12 - Cession de parts de société – Gains nets de cession – Régime de l’abattement applicable – Suppression quasi-totale de l’abattement par la loi du 28 décembre 2011 – QPC – Caractère sérieux – Renvoi au C. C.

(11 septembre 2019, M. X. et Mme Y., n° 431686) V. n° 45

 

13 - Montage financier prétendu artificiel – Opération destinée à éluder l'impôt – Abus de droit – Primes d'émission considérées comme étant, de fait, des primes de remboursement de prêts à intérêts perçus d'avance – Ministre ne rapportant pas la preuve qui lui incombe – Rejet.

Ces trois décisions, non jointes, qui portent sur une requalification par l'administration fiscale de montages financiers qu'elle estime destinés seulement à éluder l'impôt, présentent la particularité de rejeter la demande du ministre des finances au motif qu'elle ne satisfaisait pas à l'obligation, qui lui incombait en ces espèces, de rapporter la preuve de ses allégations. Le rejet a lieu en des termes sévères ;

"7. S'il demande l'annulation de l'arrêt qu'il attaque, le ministre de l'action et des comptes publics n'en critique cependant aucun des motifs. 

8. Il n'indique pas en quoi l'appréciation des faits de l'espèce à laquelle la cour s'est souverainement livrée serait entachée de dénaturation. 

9. Il ne précise pas non plus dans quelle mesure la cour aurait inexactement qualifié ces faits en jugeant qu'ils n'étaient pas constitutifs d'abus de droit au sens des dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. 

10. Enfin, le ministre ne soutient pas que l'arrêt de la cour serait entaché d'une erreur de droit, notamment dans la recherche des éléments des opérations en litige qui n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales des sociétés et qu'il entend écarter au titre de l'abus de droit. 

11. Dans ces conditions, le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé, par les moyens qu'il soulève, à demander l'annulation de l'arrêt attaqué. "

(20 septembre 2019, Ministre de l'action et des comptes publics c/ Société anonyme BNP Paribas, n° 420798 ; Ministre de l'action et des comptes publics c/ Société anonyme Natixis, n° 420820 ; Ministre de l'action et des comptes publics c/ Société anonyme Crédit agricole, n° 420824, trois espèces)

 

14 - Taxe d'habitation pour inoccupation des locaux – Bien en indivision – Obligation de payer incombant à chaque indivisaire – Absence de solidarité – Annulation des jugements en sens contraire.

Le Conseil d'Etat applique ici pleinement, et à juste titre, les dispositions du code civil relatives à la solidarité à propos de la taxe d'habitation portant sur un bien en indivision.

Rappelant que la solidarité, d'une part, n'est pas attachée ipso facto à la qualité d'indivisaire, d'autre part ne se présume pas, le juge en déduit que chaque co-indivisaire ne doit, au titre de la taxe d'habitation pesant sur une indivision, que sa part propre dans l'indivision. Son obligation de payer ne saurait aller au-delà de ses droits dans l'indivision.

(30 septembre 2019, M. X., n° 419384 ; Mme Y., n° 419490)

 

15 - Scission partielle d’une société de droit américain – Attribution d’actions de la nouvelle société – Demande de décharge de l’imposition sur les revenus de capitaux mobiliers ainsi que des prélèvements sociaux – Défaut d’agrément préalable donné à la société apporteuse – QPC – Contrariété des dispositions du CGI au droit de l’Union – Renvoi de la QPC au C.C.

L’intéressé a sollicité le dégrèvement de la cotisation d'impôt sur le revenu et des contributions sociales acquittées au titre de l'attribution d’actions de la société de droit américain Manitowoc Foodservice Inc. dont il a bénéficié. Ceci lui ayant été refusé, le requérant soulève une QPC à l’encontre des dispositions du troisième alinéa du 1 de l'article 121 du CGI, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-1275 du 28 décembre 2001 de finances pour 2002.

Dans le cadre de la scission partielle de la société de droit américain Manitowoc Company Inc., le demandeur, qui détenait 17 500 actions de cette société, a reçu 17 500 actions de la nouvelle société Manitowoc Food Service Inc., issue de l'opération. Cette attribution de titres a fait l'objet d'une imposition dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers au titre de l'année 2016, en raison du défaut d'agrément préalable accordé à la société Manitowoc Company Inc., apporteuse.

En effet, selon les dispositions de l’art. 121 précité, « Les dispositions prévues au 2 de l'article 115 sont applicables en cas d'apport partiel d'actif par une société étrangère et placé sous un régime fiscal comparable au régime de l'article 210 A ". Or l'article 115 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, dispose : " 1. En cas de fusion ou de scission de sociétés, l'attribution de titres, sommes ou valeurs aux membres de la société apporteuse en contrepartie de l'annulation des titres de cette société n'est pas considérée comme une distribution de revenus mobiliers. / (...) / 2. Les dispositions du 1 s'appliquent également sur agrément délivré à la société apporteuse dans les conditions prévues à l'article 1649 nonies, en cas d'attribution de titres représentatifs d'un apport partiel d'actif aux membres de la société apporteuse, lorsque cette attribution, proportionnelle aux droits des associés dans le capital, a lieu dans un délai d'un an à compter de la réalisation de l'apport. "

Il en résulte, au cas d’espèce, que faute d’avoir sollicité et obtenu l’agrément prévu à l'article 1649 nonies CGI, le demandeur ne pouvait pas bénéficier du régime favorable institué, à certaines conditions, par l’art. 115 du CGI.

Cependant, soulevant, d’office semble-t-il, la question de la conformité du droit fiscal français au droit de l’Union sur ce point, le Conseil d’Etat le  juge contraire aux dispositions combinées des articles 2, 8 et 15 de la directive du 19 octobre 2009 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents, telle, au surplus, qu’interprétée par la CJUE (8 mars 2017, Euro Park Service (C-14/16)). En particulier, le droit de l’Union s’oppose à la soumission d’avantages fiscaux à une procédure d’agrément préalable, laquelle repose nécessairement sur une présomption générale de fraude ou d'évasion fiscales. 

Comme les articles 115 et 121 du CGI n’ont pas été modifiés à la suite de l’entrée en vigueur de la directive de 2009, ils doivent être considérés comme en assurant la transposition dans des conditions irrégulières dans la mesure où ils créent une différence de traitement selon l'Etat dans lequel est établie la société apporteuse.

Ils ne peuvent donc être opposés au demandeur.

Mais si, en pratique, le requérant a bien obtenu gain de cause, cela n’empêche pas que sa QPC, qui remplit les conditions prévues à cet effet, soit transmise au Conseil constitutionnel car l’inconventionnalité des articles litigieux du CGI ne les rend pas ipso facto inconstitutionnels, le motif d’inconstitutionnalité reposant sur le fait qu’ils portent atteinte notamment aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789. 

(16 septembre 2019, M. X., n° 431734)

 

16 - Bénéfices industriels et commerciaux – Usufruit de titres d'une société non cotée – Méthode d'évaluation – Obligation de retenir les distributions prévisionnelles et non sur les résultats imposables prévisionnels de la société – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

L'administration, pour déterminer la valeur de titres détenus en usufruit dans une société non cotée, a retenu la méthode d'actualisation des flux de revenus attendus. Ce raisonnement a été entériné par l'arrêt d'appel contre lequel la société s'est pourvue. Il est cassé par le Conseil d'Etat, lequel rappelle que dans le cas d'une société non admise à la négociation sur un marché réglementé, autrement dit ne faisant l'objet d'aucune cotation, la valeur vénale des titres " doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. L'évaluation des titres d'une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d'autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires. En l'absence de telles transactions, celle-ci peut légalement se fonder sur la combinaison de plusieurs méthodes alternatives ". Dans le cas, comme en l'espèce, d'un usufruitier, celui-ci n'a droit qu'aux seuls dividences distribués.

Or l'administration, ici, " a déterminé la valeur attendue de l'usufruit provisoire des parts de la SCI LBA sur la base de la capitalisation, avec taux d'actualisation de 5%, des résultats nets d'activité de la société avec un abattement de 33,33% correspondant à une imposition théorique à l'impôt sur les sociétés " alors que l'évaluation du revenu futur attendu par un usufruitier de parts sociales ne peut avoir pour objet que de déterminer le montant des distributions prévisionnelles. Ces dernières sont notamment fonction, par exemple, des annuités de remboursement d'emprunts ou des montants mis en réserves pour le financement d'investissements futurs.

C'est donc en commettant une erreur de droit sur la méthode d'évaluation de l'usufruit que la cour a cru devoir juger celle-ci régulière.

(30 septembre 2019, Société Hôtel Restaurant Luccotel, n° 419855)

 

17 - Taxe sur la valeur ajoutée – Obligation de déclaration récapitulative annuelle – Déclaration absente ou tardive – Sanction applicable – Assiette de la sanction – Rejet.

Une société, qui a régulièrement versé les acomptes trimestriels de TVA, omet, trois années de suite, de déposer la déclaration annuelle récapitulative de TVA et se voit infliger, outre un rappel de taxe, une majoration de 40% calculée sur la totalité de la TVA due annuellement.

Elle conteste ce mode de calcul estimant que l'assiette de la majoration ne peut porter que sur le montant annuel de TVA déduction faite des versements trimestriels effectués. Ce raisonnement est accueilli tant en première instance que, sur appel du ministre, en appel. Ce dernier se pourvoit, en vain.

Sans surprise, le Conseil d'Etat donne pleinement raison aux juges du fond : la majoration ne peut être appliquée qu'aux seuls montants de TVA non encore versés. Il est consternant que le ministre défendeur ait cru devoir aller au pourvoi pour s'entendre dire où est le bon sens.

(20 septembre 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 428750)

18 - Crédit d’impôt pour investissement au profit des PME relevant d’un régime réel d’imposition – Investissements devant être réalisés et exploités en Corse pour les besoins d'une activité industrielle, commerciale, artisanale, libérale ou agricole – Obligation d’une libération complète du capital – QPC renvoyée au C.C.

(16 septembre 2019, Société Prato Corbara, n° 432018) V. n° 47

 

19 - Pénalités fiscales – Société mise en redressement ou en liquidation judiciaire – Responsabilité solidaire de sa gérante – Demande de remise des pénalités encourues – Condition d'octroi – Antériorité de l'avis de mise en recouvrement par rapport à la mise en redressement ou en liquidation – Absence – Rejet.

L'ouverture d'une procédure de redressement ou liquidation juciaire d'une entreprise n'est susceptible de déboucher sur la remise de pénalités fiscales et, en conséquence, de faire échec à la responsabilité solidaire de sa gérante, que si elle se produit postérieurement à la notification de l'avis de mise en recouvrement desdites pénalités. Ce n'était pas le cas en l'espèce, la procédure judiciaire ayant débuté avant la réception de cet avis. La requérante ne saurait contester la mise en oeuvre de sa responsabilité solidaire en sa qualité de dirigeante gestionnaire au moment où ont été versées les sommes fiscalement litigieuses.

(30 septembre 2019, Mme X., gérante de la sarl Alp'Piscines France, n° 415333)

 

20 - Taxe d'enlèvement des ordures ménagères – Taxe destinée uniquement à couvrir les dépenses communales d'enlèvement et de traitement des ordures ménagères non couvertes par des recettes non fiscales – Exclusion par principe des dépenses d'ordre de la section de fonctionnement – Erreur de droit – Taxe dont le produit excède de 6,2% le montant des charges – Absence de caractère disproportionné du montant de la taxe – Annulation sans renvoi du jugement contraire.

(20 septembre 2019, Société Sogefimur, n° 419661) V. n° 7

 

Droit social et action sociale

 

21 - Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) – Régime dérogatoire (art. 1233-58, II, du code du travail) – QPC – Absence d’inconstitutionnalités – Rejet.

(4 septembre 2019, MM. X. et autres, n° 431463) V. aussi n° 44

 

22 - Conventions collectives – Détermination de leur champ d'application – Chevauchement entre champs d'application de deux conventions collectives – Arrêtés étendant la portée de dispositions de conventions collectives – Illégalités – Annulation partielle.

L'importance de cette décision portant sur la légalité des conditions d'extension de dispositions de conventions collectives de travail, vient de deux aspects de celle-ci.

En premier lieu, était en cause l'étendue des pouvoirs du ministre du travail en matière d'extension du champ d'application des conventions collectives tels qu'ils résultent des dispositions des art. L. 2261-15 et D. 2261-13 du code du travail. Le juge déduit de ces derniers deux séries de conséquences. 1°/ Le ministre peut, de sa propre initiative, abroger un arrêté d'extension en vue de mettre fin à l'extension d'une convention ou d'un accord ou de certaines de ses stipulations lorsqu'il apparaît que les textes en cause ne répondent plus à la situation de la branche ou des branches dans le champ d'application en cause. Nous pensons que plus que d'une faculté il devrait y avoir là une obligation d'abrogation en vertu du principe de prohibition des actes administratifs obsolescents ou périmés. 2°/ Le ministre, lorsqu'il apparaît que le champ d'application professionnel défini par une convention ou un accord collectif dont l'extension est envisagée recoupe celui d'une autre convention ou accord collectif étendu par arrêté, doit, préalablement à l'extension projetée, soit exclure du champ de cette extension les activités économiques déjà couvertes par la convention ou l'accord collectif précédemment étendu, soit abroger l'arrêté d'extension de cette convention ou de cet accord collectif en tant qu'il s'applique à ces activités.

En l'espèce, le Conseil d'Etat, après avoir apprécié les champs d'application respectifs de deux conventions collectives et constaté le chevauchement partiel de la seconde sur le champ d'application de la première, juge cette dernière illégale dans la mesure dudit chevauchement et procède, dans cette mesure, à son annulation partielle. Le ministre ne pouvait rendre obligatoires celles des dispositions d'une convention collective que régissait déjà une convention collective antérieure et toujours en vigueur.

En second lieu, se posait la délicate question, au regard de l'art. L. 2261-25 du code du travail, des conditions d'extension d'un accord collectif de travail comportant des clauses incomplètes au regard des textes législatifs et réglementaires. Le Conseil d'Etat pose une autorisation et édicte une interdiction à l'égard des pouvoirs ministériels d'extension. D'une part, le ministre chargé du travail peut, après avoir recueilli l'avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, en subordonner l'extension à l'application de ces textes. D'autre part, il ne saurait, sans méconnaître les pouvoirs qu'il tient de ce même article L. 2261-25, se fonder sur ces dispositions pour n'étendre certaines clauses d'un accord collectif de travail que sous réserve qu'elles soient complétées par un accord collectif ultérieur, "dont, il n'est pas alors en mesure d'apprécier, comme il lui appartient pourtant de le faire avant de signer l'arrêté d'extension, la conformité avec les textes législatifs et réglementaires en vigueur." Là aussi sont prononcées les annulations d'extensions de clauses se trouvant en ce cas.

(18 septembre 2019, Fédération nationale du bois, n° 410738 ; Fédération générale Force Ouvrière Construction, n° 410801 ; CFE-CGC BTP, n° 410936)

 

23 - Rentes d'accident du travail du secteur privé – Application d'un coefficient uniforme quel que soit le sexe – Atteinte au principe d'égalité – Légalité de l'arrêté du 17 décembre 1954 fixant le tarif à utiliser pour déterminer la valeur de rachat et de conversion de certaines rentes d'accident du travail – Question préjudicielle de l'autorité judiciaire.

Statuant sur renvoi préjudiciel du TGI de Marseille, le Conseil d'Etat devait se prononcer sur le point de savoir si l'arrêté litigieux devait être considéré comme illégal en tant  que, pour la détermination de la valeur de rachat ou de conversion de certaines rentes d'accidents du travail, il prévoit un coefficient uniforme pour les assurés sociaux, qu'ils soient de sexe masculin ou de sexe féminin alors qu'il existe une différence appréciable d'espérance de vie entre les hommes et les femmes. Le Conseil d'Etat rejette cette argumentation en retenant, d'une part, que " le principe d'égalité n'oblige pas à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes " et d'autre part, que cette différence, au regard du droit de l'UE (directive 79/7/CEE du 19 décembre 1978, art. 4 § 1 et CJUE, 3 septembre 2014, C-318/13, interprétant cette disposition), ne saurait constituer un "facteur actuariel" "pour le calcul d'une prestation sociale légale versée en raison d'un accident du travail".

Il est donc répondu au TGI que l'exception d'illégalité soulevée par le demandeur devant cette juridiction n'est pas fondée.

(30 septembre 2019, M. X., n° 429423)

 

Environnement

 

24 - Implantation d'éoliennes – Règles de consultation environnementale – Directive européenne (art. 6) du 13 décembre 2011 exigeant en matière environnementale, un avis donné objectivement – Absence de transposition, sur ce point, de la directive dans l'ordre interne par suite d'une annulation contentieuse – Obligation de contrôle in concreto par le juge du respect de cette exigence – Absence d'autonomie réelle de l'organisme consulté en l'espèce – Confirmation de l'arrêt ayant jugée irrégulière la procédure suivie.

Des associations avaient demandé l'annulation d'un arrêté préfectoral délivrant à une société l'autorisation d'exploiter des installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent sur le territoire de plusieurs communes. Leur recours, rejeté en première instance est favorablement accueilli en appel. Sur pourvoi du ministre de l'écologie dirigé contre cet arrêt en ce qu'il a jugé non respectée l'exigence d'objectivité impartie par la disposition d'une directive européenne, le Conseil d'Etat, confirmant cet arrêt, le rejette.

Le § 1 de l'art. 6 de la directive européenne de 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, dispose : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les autorités susceptibles d'être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d'environnement, aient la possibilité de donner leur avis sur les informations fournies par le maître d'ouvrage et sur la demande d'autorisation. À cet effet, les États membres désignent les autorités à consulter, d'une manière générale ou au cas par cas. (...) ". Selon la CJUE (20 octobre 2011, Department of the Environment for Northern Ireland contre Seaport (NI) Ltd et autres, C-474/10), si cette disposition ne fait pas obstacle à ce que l'autorité publique compétente pour autoriser un projet soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elle impose cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu'une entité administrative dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné.

C'est pour ce motif que le Conseil d'Etat avait annulé l'art. R. 122-6 du code de l'environnement (6 décembre 2017, Association France Nature Environnement, n° 400559) censé transposer l'art. 6 de la directive. Dès lors que du fait de cette annulation, il n'y a pas eu, sur ce point, transposition de la directive en droit interne, le Conseil d'Etat exige que le juge saisi examine in concreto si, en l'espèce, la procédure suivie et la nature de l'organisme saisi pour avis par l'autorité administrative, sont bien en état de satisfaire aux exigences des prescriptions européennes. Appliquant cette ligne jurisprudentielle, la cour avait jugé que l'avis ayant été rendu par les services de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement, placée sous l'autorité du préfet, l'arrêté subséquent pris par celui-ci ne satisfaisait pas aux conditions d'objectivité exigées et l'avait annulé.

Le Conseil d'Etat, confirmant cette solution, rejette le pourvoi ministériel dont il était saisi.

(20 septembre 2019, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 428274 ; v. aussi, en partie comparable mais avec une solution différente : 25 septembre, 2019, Association France Nature Environnement, n° 427145 ; v. aussi, portant sur la question de la nomenclature des intallations classées pour la protection de l'environnement : 25 septembre 2019, Association France Nature Environnement, n° 425563)

 

Etat-civil et nationalité

 

25 - Actes de l'état-civil établis par l'Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA) (art. L. 721-3 CESEDA) – Force probante – Caractère authentique – Inopposabilité des actes dressés dans le pays d'origine des demandeurs d'asile – Impossibilité de contestation par les autorités consulaires sauf fraude – Annulation de l'ordonnance de référé pour erreur de droit.

L'autorité consulaire française avait refusé à des Guinéens la délivrance de visas d'entrée en France au motif qu'ils avaient présenté au soutien de leur démarche des actes d'état-civil guinéens irréguliers ; c'est pour ce motif que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours des intéressés contre cette décision consulaire, en se fondant sur les actes d'état civil guinéens qu'elle a estimés irréguliers. Le juge des référés a, à son tour, rejeté la demande de suspension de la décision de la commission. Le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi en cassation, annule cette ordonnance.

Il relève qu'en vertu de l'article L. 721-3 du CESEDA l'OFPRA est habilité à délivrer, notamment aux réfugiés, des actes de l'état-civil. Les actes ainsi établis sont des actes authentiques disposant de la force que la loi attache à cette catégorie d'actes juridiques. En l'espèce de tels actes avaient été établis au profit des intéressés. Il en résultait dès lors l'impossibilité pour les autorités consulaires françaises d'opposer à la demande de visa les actes guinéens litigieux. C'est donc par erreur de droit qu'ont été rendues les décision et ordonnance rejetant ladite demande. Naturellement, réserve est faite du cas où ces actes de l'état-civil auraient été obtenus par fraude.

L'annulation de l'ordonnance est assortie d'une injonction à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France de réexaminer, dans le mois, la demande des requérants.

(20 septembre 2019, M. X. et Mme Y., n° 418842)

 

Fonction publique et agents publics

 

26 - Professeurs des universités – Procédure de recrutement – Pouvoirs respectifs des comités de sélection et des chefs d'établissements – Impossibilité (loi du 22 juillet 2013) de déclarer infructueuse une procédure de recrutement pour désaccord du chef d'établissement avec les choix du comité de sélection – Annulation de l'interruption de la procédure de recrutement et injonction de transmettre au ministre la liste arrêtée par le comité de sélection.

Le Directeur de l'INSA de Lyon, après que le comité de sélection compétent a arrêté la liste des candidats retenus en vue de pourvoir un emploi de professeur des universités en informatique et que le conseil d'administration de cet établissement a émis un avis favorable sur cette liste, a déclaré le concours de recrutement infructueux et a décidé d'y mettre fin parce qu'il était en désaccord avec ce choix.

Saisi par le candidat classé premier par le comité de sélection, le Conseil d'Etat lui donne raison sur ses deux chefs de demandes. Tout d'abord, le Directeur de l'INSA a commis une erreur de droit car le pouvoir dont il s'est prévalu en l'espèce n'existait plus du fait de la nouvelle rédaction de l'article L. 952-6-1 du code de l'éducation, résultant de la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche et de l'ordonnance du 17 juillet 2014 modifiant la partie législative du code de l'éducation. Sa décision était donc illégale. Ensuite, injonction lui est faite de transmettre au ministre, dans le délai d'un mois, la liste de candidats classés par ordre de préférence telle qu'établie par le comité de sélection et approuvée par le conseil d'administration de l'INSA.

(18 septembre 2019, M. X. c/ Directeur de l'INSA de Lyon, n° 422962)

 

27 - Pension de réversion – Remariage non déclaré à l'administration compétente – Déclaration faite à l'administration fiscale ne valant pas information régulière de l'organisme chargé du service de la pension – Jugement en sens contraire – Dénaturation des faits – Cassation avec renvoi.

Est entaché de dénaturation des faits le jugement qui estime satisfaite l'obligation du titulaire d'une pension de réversion de déclarer son changement de situation matrimoniale dès lors que celle-ci a été communiquée à une mutuelle privée et à l'administration fiscale. Cette dernière n'étant pas tenue d'informer l'administration compétente et ne l'ayant pas, de fait, informée, c'est à tort que les premiers juges ont opposé à l'action en répétition de l'indu formé par le service des retraites, la prescription prévue à l'art. 93 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

(20 septembre 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 419659)

 

28 - Pension de réversion – Prescription applicable – Non déclaration d'un changement de situation matrimoniale – Portée et effets des dispositions du code des pensions (L. 93) et de celles des art. 2224, 2232 et 2277 du code civil dans leur rédaction successive issue de la loi du 17 juin 2008.

Il est jugé ici que l'omission de déclarer un changement de situation matrimoniale fait obstacle à l'application tant de la prescription de l'article L. 93 du code des pensions civiles et militaires de retraite que de celle instituée, antérieurement à la loi du 17 juin 2008, par l'art. 2277 du code civil. Par ailleurs, la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, ne porte que sur le délai pour exercer l'action, non sur la détermination de la créance elle-même. En conséquence, dès lors que l'action est introduite dans le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, la seule limite à l'exercice de ce droit résulte de l'article 2232 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, aux termes duquel le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. Toutefois, il découle du II de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008 que la réduction de la durée d'une prescription qu'il institue s'applique à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. De là il résulte que lorsque l'exercice d'une action n'était enserré, avant l'intervention de la loi du 17 juin 2008, que par la prescription trentenaire, cette prescription continue à s'appliquer.

(20 septembre 2019, Mme X., n° 420406 ; v. aussi, mutatis mutandis, du même jour : Mme X., n° 420489 ; v. aussi, du même jour : Mme X., n° 420909). V. aussi le n° précédent

 

29 - Pension de retraite – Calcul – Prise en compte ou non d'un congé de longue maladie ou de longue durée – Possibilité d'abrogation ou de retrait de la décision de maintien en activité – A défaut, impossibilité de ne pas en tenir compte pour le calcul de la pension de retraite – Cassation avec renvoi.

Un fonctionnaire de police sollicite son maintien en activité au motif qu'à la date normale de cessation d'activité il ne toucherait pas une pension de retraite à taux plein. D'abord maintenu en activité de juin 2013 à décembre 2015, il est ensuite, rétroactivement, placé en congé de longue durée de mars 2013 à décembre 2015. Lors de la liquidation de sa pension, l'intéressé a demandé une révision du taux appliqué, ce qui lui a été refusé car la période de maintien en activité ne pouvait pas être prise en compte pour le calcul de ses droits à pension, dans la mesure où il ne remplissait pas la condition d'aptitude physique exigée par la loi permettant une prolongation d'activité afin d'obtenir un meilleur taux de pension. Saisi par le fonctionnaire, le tribunal administratif a rejeté son recours en se fondant sur ce que le ministre chargé des pensions pouvait refuser de prendre en compte, pour la constitution et la liquidation du droit à pension, la période de maintien en activité dans la mesure où celui-ci ne remplissait pas la condition légale d'aptitude physique puisqu'il avait été placé en congé de longue durée durant toute cette période.

Le Conseil d'Etat annule ce raisonnement. Si l'administration pouvait retirer ou abroger la décision de maintien en activité en se fondant sur l'absence d'aptitude physique et en tirer les conséquences sur le taux de la pension, en revanche, elle ne pouvait pas, à défaut d'un tel retrait ou d'une telle abrogation, refuser de tenir compte de cette période pour déterminer le taux applicable à la pension.

Cette solution doit être approuvée, justifiée qu'elle est, d'une part, autant par le régime ordinaire des actes créateurs de droits que par le principe de loyauté qui doit présider aux relations entre employeurs et employés aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public, d'autre part par le fait que le congé de longue durée constitue une position d'activité.

(20 septembre 2019, M. X., n° 423639)

 

30 - Pension de retraite – Calcul – Prise en compte des avantages liés au classement d'un emploi en catégorie active – Cas d'un emploi occupé en détachement – Conditions de prise en compte – Erreur de droit.

Sur renvoi d'une cour administrative d'appel, le Conseil d'Etat s'est interrogé sur l'interprétation, en matière de droits à la retraite, des dispositions de l'art. 55 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. Selon ce texte : " Les avantages spéciaux attachés à l'accomplissement des services actifs ou de la catégorie active sont maintenus en faveur des fonctionnaires détachés dans un emploi classé en catégorie active pour exercer des fonctions de même nature que celles assumées dans le cadre d'origine (...) ". 

Le tribunal administratif avait estimé que, pour pouvoir bénéficier de cette disposition, le fonctionnaire détaché sur un emploi classé en catégorie active devait avoir occupé, avant son détachement, un emploi bénéficiant, dans son corps d'origine, du même classement. Le Conseil d'Etat annule cette solution car, selon lui, les premiers juges auraient dû rechercher si la requérante exerçait, dans le cadre de son détachement, des fonctions de même nature que celles qu'elle aurait eu vocation à assumer dans son cadre d'origine.

(30 septembre 2019, Mme X., n° 414329)

 

Libertés fondamentales

 

31 - Référé liberté – Demandeurs d'asile – Absence de logement et de ressources – Appréciation de l'urgence – Évaluation du caractère grave et manifestement illégale de l'atteinte portée à une liberté fondamentale – Conditions remplies – Annulation de la décision de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) supprimant les conditions matérielles d'accueil précédemment accordées.

(3 septembre 2019, M. X. et Mme Y., n° 433896 ; comparer, du même jour, pour une solution contraire en l'absence d'éléments de faits suffisants, avec : M. X., n° 434104) V. n° 33

 

Police

 

32 - Redevance de stationnement des véhicules sur voirie (art. L. 2333-87 CGCT) – Décret d'application n° 2015-557 du 20 mai 2015 – Demande d'abrogation – Rejet implicite – Droits de la défense – Perception de la redevance par des prestataires privés – Violation des art. 6 et 13 de la Convention EDH – Rejet.

Le requérant, qui a demandé en vain au premier ministre l'abrogation du décret n° 2015-557 du 20 mai 2015 relatif à la redevance de stationnement des véhicules sur voirie prévue à l'article L. 2333-87 du code général des collectivités territoriales, saisit le juge de ce refus implicite. Il invoque divers motifs d'annulation, tous, naturellement, rejetés.

En premier lieu,  ne saurait être invoqué le non respect du principe du droit à la défense car le redevable qui reçoit l'avis de paiement du forfait de post-stationnement, d'une part, peut former un recours administratif sans avoir à verser au préalable la somme demandée, avant, le cas échéant, de porter cette contestation devant la commission du contentieux du stationnement payant, et d'autre part, peut, en outre, s'il justifie de difficultés financières, adresser au comptable public chargé du recouvrement une demande de remise totale ou partielle de la majoration qui lui est réclamée. Certes, le législateur a qualifié ce forfait de  " redevance d'occupation du domaine public " mais faute que le demandeur ait posé à ce sujet une question prioritaire de constitutionnalité, il ne saurait invoquer à l'encontre de la loi le caractère inconstitutionnel de dispositions qui ne mettent pas les redevables à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur leur demande, des observations orales, préalablement à l'émission du forfait de post-stationnement et de sa majoration.

En deuxième lieu, le législateur ayant prévu la possibilité pour la personne publique de recourir à un organisme tiers pour les opérations de collecte de la redevance de stationnement et le règlement du forfait de post-stationnement, le requérant ne saurait, alors qu'il n'a pas posé de QPC sur ce point, utilement soutenir qu'en prévoyant la possibilité d'un recours, dans les conditions et selon les modalités prévues par l'article L. 1611-7-1 du code général des collectivités territoriales, à un organisme tiers pour la collecte de la redevance de stationnement, l'article R. 2333-120-11 du même code, issu du décret litigieux, aurait méconnu le principe constitutionnel qui interdirait de déléguer à une personne privée l'exercice d'une mission de souveraineté.

Enfin, concernant le grief tiré de la violation des art. 6 et 13 de la Convention EDH, le Conseil d'Etat répond ceci. 1°/ La limitation des moyens susceptibles d'être invoqués au soutien d'un recours devant la commission de contrôle du stationnement payant (impossibilité d'invoquer, d'une part,  des moyens tirés de l'illégalité pour vice de forme ou de procédure de la délibération instituant la redevance de stationnement, et d'autre part, des moyens fondés sur l'illégalité de l'acte par lequel, le cas échéant, la collecte de la redevance de stationnement a été déléguée par la collectivité à un tiers) répond à un impératif de sécurité juridique et n'apporte pas une atteinte injustifiée au droit à un recours effectif. En outre, cette limitation ne joue pas lorsque l'intéressé conteste par voie d'un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) le forfait de post-stationnement devant l'autorité administrative qui l'a émis. 2°/ L'institution de ce RAPO répond à un souci de bonne administration de la justice sans porter atteinte aux articles susvisés de la CEDH. 3°/ L'obligation faite au redevable qui saisit la commission de verser au préalable le forfait imposé combinée avec l'absence d'effet suspensif du recours, dictée par un souci de bonne administration de la justice, ne contrevient pas aux articles en cause dans la mesure où il s'agit d'un contentieux massif où les risques de recours dilatoires sont très nombreux.

(30 septembre 2019, M. X., n° 421427)

 

Procédure contentieuse

 

33 - Référé liberté – Demandeurs d'asile – Absence de logement et de ressources – Appréciation de l'urgence – Évaluation du caractère grave et manifestement illégal de l'atteinte portée à une liberté fondamentale – Conditions remplies – Annulation de la décision de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) supprimant les conditions matérielles d'accueil précédemment accordées.

Dans un litige où des candidats à l'asile sollicitaient du juge qu'il enjoigne à l'OFII de leur rétablir le bénéfice des conditions matérielles d'accueil et de procéder au versement de l'allocation pour demandeur d'asile, le juge, accueillant leur demande rappelle deux points importants.

Tout d'abord, alors que, classiquement, le juge se refuse à apercevoir une urgence à statuer lorsque cette dernière est née du retard mis par le demandeur à saisir le juge, ici, constatant la présence de deux enfants, de trois et cinq ans, particulièrement vulnérables, se refuse à sanctionner le délai mis à le saisir.

Ensuite, le juge confirme le caractère largement subjectif de l'appréciation de la condition de " caractère grave et manifestement illégal de l'atteinte portée à une liberté fondamentale " ; celle-ci est liée, à la fois, aux moyens dont dispose l'autorité administrative et à la situation du demandeur.

(3 septembre 2019, M. X. et Mme Y., n° 433896 ; comparer, du même jour, pour une solution contraire en l'absence d'éléments de faits suffisants, avec : M. X., n° 434104)

 

34 - Référé liberté – Demande de renvoi pour cause de suspicion légitime – Demande d'annulation de dispositions législatives – Critique des conditions de fonctionnement d'un centre hospitalier – Portée de l'art. L. 521-4 CJA – Recours abusif - Rejet.

Affaire peu banale, sur fond de litige relatif à des soins palliatifs, que celle qui a donné lieu à la présente décision...

Le demandeur sollicitait tout d'abord " la récusation, notamment, de tous les membres du Conseil d'Etat diplômés de l'Ecole nationale d'administration ainsi que de tous ceux qui ne seraient pas " assermentés sur la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et sur l'impartialité ", ce que le juge analyse comme une requête en suspicion légitime, requête dont on sait qu'elle ne peut être formée à l'encontre des membres du Conseil d'Etat. Elle est rejetée pour irrecevabilité.

Ensuite, était demandée l'annulation de dispositions législatives et de dispositions réglementaires, demande irrecevable devant tout juge administratif concernant les premières et devant tout juge des référés relativement aux secondes.

Egalement, en tant que ses conclusions étaient dirigées contre les conditions de fonctionnement d'un centre hospitalier, elles ne pouvaient pas relever en premier ressort de la compétence directe du Conseil d'Etat.

Enfin, en sollicitant, sur le fondement des dispositions de l'art. L. 521-4 CJA, l'annulation d'une précédente ordonnance de référé, le requérant se trompe puisque cet article n'est utilisable que pour demander la modification de mesures précédemment ordonnées par un juge des référés ou à ce qu'il soit mis fin à de telles mesures.

Dans ces conditions, l'auteur du recours ne pouvait guère échapper à l'infliction d'une amende en raison du caractère abusif de son recours.

(12 septembre 2019, M. X., n° 434234)

 

35 - Référé suspension – Droit au séjour en France des citoyens britanniques après le Brexit – Application de la condition de réciprocité – Urgence non établie – Rejet.

Le Conseil d'Etat est à nouveau amené à se pencher sur les conséquences du Brexit sans accord (cf. cette Chronique, mai 2019, n° 45). Les requérants contestaient la légalité du décret du 2 avril 2019 pris pour l'application de l'ordonnance n° 2019-76 du 6 février 2019 portant diverses mesures relatives à l'entrée, au séjour, aux droits sociaux et à l'activité professionnelle applicables en cas d'absence d'accord sur le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. Ils soutenaient que, du fait de l'imminence de l'entrée en vigueur du décret, de ce qu'aucun autre recours juridictionnel effectif ne leur serait ouvert avant cette entrée en vigueur et de ce que le bénéfice du maintien des droits réglementés par l'ordonnance et le décret pourrait être remis en cause par l'effet de la condition de réciprocité, il y avait urgence à ordonner la suspension de l'exécution de ce décret.

Pour rejeter leur recours, le juge des référés du Conseil d'Etat  relève, d'une part, que les ressortissants britanniques résidant régulièrement en France à la date du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne conserveront leur droit au séjour, objet du décret n° 2019-264 du 2 avril 2019, pendant une durée d'un an à compter de l'entrée en vigueur du décret, soit jusqu'au 1er novembre 2020, d'autre part, que les éléments fournis par les requérants quant aux conséquences pour les ressortissants britanniques résidant en France d'une sortie du Royaume-Uni, sans accord, de l'Union européenne, dit " no deal ", restent, au jour de la présente ordonnance, encore aléatoires. 

(16 septembre 2019, M. X. et autres, n° 434094)

 

36 - Référé suspension – Condition d'urgence – Invocation du secret des affaires entre concurrents – Argument impropre à dispenser de rapporter la preuve de l'urgence – Rejet.

Les requérants demandaient la suspension de l'application du décret n° 2019-643 du 26 juin 2019 relatif à la publicité commerciale pour certaines catégories de produits biocides en raison des graves effets qu'il aurait sur leur chiffre d'affaires. Cependant ils invoquent le respect du secret des affaires entre concurrents pour justifier ne pas apporter d'éléments de démonstration " quant au volume de ces ventes, aux coûts et bénéfices qui en résultent, à leur part dans leurs chiffres d'affaire, et dans leurs résultats, aux mécanismes de marché qui expliqueraient en quoi une corrélation aussi étroite entre les pratiques commerciales prohibées et le volume des ventes serait établie et pourrait avoir un effet aussi direct et important ". Dans ces conditions, le juge des référés considère que le tort causé par le décret attaqué aux intérêts des requérants, invoqué au soutien de leur requête, ne peut être regardé comme établi, d'où le rejet du référé.

(20 septembre 2019, Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises (CIHEF) et autres, n° 434465)

37 - Redevance de stationnement des véhicules sur voirie (art. L. 2333-87 CGCT) – Décret d'application n° 2015-557 du 20 mai 2015 – Demande d'abrogation – Rejet implicite – Droits de la défense – Perception de la redevance par des prestataires privés – Violation des art. 6 et 13 de la Convention EDH – Rejet.

(30 septembre 2019, M. X., n° 421427) V. n° 32

 

38 - Règle de la décision préalable – Réclamation pécuniaire – Exigence de demande préalable (art. R. 421-1 CJA) – Application en matière de référé-provision – Rejet.

A l'occasion du référé provision formé par un détenu contre l'Etat à raison du préjudice financier qu'il aurait subi du fait de la méconnaissance par l'administration pénitentiaire des dispositions du code de procédure pénale en matière de rémunération du travail des personnes détenues, le Conseil d'Etat rappelle les exigences découlant des deux règles : celle de la décision préalable et celle de la demande préalable.

Le recours est rejeté car, même dans le cadre d'un référé provision, il devait être dirigé contre une décision de l'administration et, en l'absence d'une telle décision, il appartenait au demandeur de la faire exister en saisissant l'administration d'une demande préalable.

C'est donc à tort qu'en l'espèce, le juge des référés du tribunal administratif avait accordé une provision alors que n'existait aucune décision de l'administration.

(23 septembre 2019, M. X., n° 427923 ; du même jour avec même solution : M. X., n° 427925)

 

39 - Plan de sauvegarde de l'emploi – Consultation du comité central d'entreprises – Désignation d'un expert-comptable chargé d'assister le comité – Litige en vue d'enjoindre à l'entreprise de communiquer certaines pièces au cabinet d'expertise comptable – Compétence juridictionnelle – Compétence du juge administratif – Erreur de droit – Cassation sans renvoi de l'ordonnance de référé.

Rappel de ce que la juridiction administrative est seule compétente pour statuer sur un litige relatif à la communication par l'employeur de pièces demandées par l'expert-comptable désigné dans le cadre de la procédure de consultation du comité d'entreprise en cas de licenciements collectifs pour motif économique prévue à l'article L. 1233-30 du code du travail. 

(25 septembre 2019, Cabinet d'expertise comptable APEX, n° 428510)

 

40 - Contentieux de l'aide sociale – "Chèque énergie" – Compétence territoriale pour connaître du contentieux lié à ce "chèque" – Lieu de situation de l'immeuble au titre duquel est octroyé ledit chèque.

Tranchant une double déclaration d'incompétence territoriale au sein de la juridiction administrative, le Conseil d'Etat décide que les litiges relatifs aux "chèques énergie", prestation sociale destinée aux ménages dont le revenu fiscal de référence est inférieur à un plafond fixé par décret pour leur permettre d'acquitter tout ou partie du montant des dépenses d'énergie relatives à leur logement, constitue une prestation afférente au logement. Il s'ensuit que le contentieux des décisioins d'octroi ou, comme ici, de refus d'octroi de cette aide relève de la compétence en premier ressort du tribunal administratif dans le ressort duquel est situé le logement en cause.

(30 septembre 2019, Mme X., n° 427175)

 

Professions réglementées

 

41 - Conseiller en investissements financiers – Sanction pécuniaire – Produit n’ayant pas reçu d’autorisation préalable pour sa commercialisation en France – Urgence liée au montant de la sanction par rapport aux revenus de l’intéressé – Doute sérieux quant à la légalité du montant de la sanction – Suspension partielle – Rejet du surplus.

Il est reproché à un conseiller en investissements financiers d’avoir proposé à ses clients - sans avoir exercé son devoir de vérification à cet égard - un placement dans un fonds d’investissements qui, pour n’avoir point sollicité l’autorisation préalable nécessaire à sa commercialisation en France, y était donc interdit.

Le juge des référés est saisi d’une demande de suspension de la sanction pécuniaire infligée par l’Autorité des marchés financiers (AMF) car son montant démontre l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation.

Pour estimer remplie la condition d’urgence, le juge relève que la sanction pécuniaire infligée s’élève à 20 000 euros soit plus de la moitié des revenus tirés par l’intéressé de l’exercice de son activité de conseil qui est sa principale source de revenus. Il déduit de là l’existence d’une urgence à statuer.

Concernant l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée en raison de son caractère disproportionné, le juge opère un raisonnement curieux.

 Il décide qu’est de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la sanction pécuniaire contestée le fait qu’elle excède 10 000 euros, alors que les particuliers conseillés par le requérant avaient été clairement informés des caractéristiques du produit financier auquel ils souscrivaient et avaient expressément consenti aux risques en capital et en liquidité qu'il comportait.

Il suspend donc la décision contestée à hauteur du montant de 10 000 euros et juge, en conséquence, que « Compte tenu de la suspension partielle ainsi prononcée, le moyen tiré de ce que la sanction pécuniaire serait, en raison de son montant, excessive par rapport aux fautes reprochées, n'est pas de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ». C’est une façon étrange de procéder : le requérant affirmait que la sanction de 20 000 euros était d’un montant disproportionné, le juge est d’accord, mais lui répond qu’il n’y a pas de doute sérieux quant à sa légalité puisque désormais ce montant n’est plus que de 10 000 euros. Feydeau ou Labiche n’aurait pas fait mieux.

(5 septembre 2019, M. X., n° 433626)

 

42 - Médecin titulaire d'un diplôme délivré hors Union européenne – Refus d'autorisation d'exercer – Annulation – Réexamen et réitération du refus – Inexistence prétendue d'une violation de la chose jugée – Erreur de droit – Cassation sans renvoi et injonction d'accorder l'autorisation sollicitée.

Une ressortissante de nationalité française, titulaire d'un diplôme de docteur en médecine délivré par l'Université d'Istanbul, a sollicité l'autorisation d'exercer la médecine en France dans la spécialité "médecine générale", ce qui lui a été refusé par le ministre de la santé. Ce refus a été annulé par une cour administrative d'appel qui a enjoint au ministre de procéder au réexamen de la demande de Mme B... dans un délai de trois mois à compter de la notification de son arrêt. Pour prononcer cette annulation la cour s'était fondée sur ce que le refus ministériel reposait sur une erreur manifeste d'appréciation dans la mesure où la requérante avait obtenu son diplôme de docteur en médecine en Turquie en 1993, elle avait, au titre de la session 2008, réussi les épreuves de vérification des connaissances et de maîtrise de la langue française prévues par les dispositions de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique et, conformément à ce que prévoient ces mêmes dispositions, elle justifiait de l'accomplissement pendant plus de trois années, avant la réussite à ces épreuves, de fonctions dans des services ou organismes agréés pour la formation des internes, comprenant des gardes et des consultations en pédiatrie et en gynécologie.

Saisi à nouveau, le ministre, après réexamen du dossier, a refusé une seconde fois l'autorisation sollicitée.

Le tribunal administratif puis la cour ont rejeté le recours de l'intéressée contre ce nouveau refus car, d'une part, bien qu'il ait mentionné que les trois années de fonctions hospitalières requises avaient été accomplies par la demanderesse, le ministre avait relevé ses insuffisances d'expérience et de formation en médecine générale, le fait que son parcours professionnel s'est longtemps limité à la médecine d'urgence et les trois domaines insuffisamment abordés, à savoir la gynécologie, la pédiatrie ainsi que le dépistage et la prise en charge des maladies chroniques, et d'autre part, car le ministre avait estimé qu'il ressortait des pièces du dossier, notamment des attestations déjà produites par l'intéressée au soutien de sa première demande d'autorisation, qu'elle n'était pas en mesure de justifier d'une réelle expérience dans le dépistage et la prise en charge des maladies chroniques.

Sur pourvoi en cassation le Conseil d'Etat annule cet arrêt car " l'autorité de chose jugée s'attachant au dispositif de cet arrêt d'annulation devenu définitif ainsi qu'aux motifs qui en sont le support nécessaire faisait obstacle à ce que, en l'absence de modification de la situation de droit ou de fait, l'autorisation sollicitée soit à nouveau refusée par l'autorité administrative pour le même motif ". En effet, selon le Conseil, la cour n'a relevé aucun changement de circonstance en même temps que les motifs ministériels de refus étaient en substance " les mêmes que ceux qui avaient été jugés être entachés d'erreur manifeste d'appréciation par (le précédent) arrêt devenu définitif ".

Il est fait injonction au ministre de délivrer à la requérante, dans le délai d'un mois, l'autorisation demandée

(18 septembre 2019, Mme X., n° 416528)

 

43 - Géomètres-experts – Discipline – Étendue de la compétence de la juridiction disciplinaire ordinale – Manquement survenu dans le cadre d'une expertise judiciaire – Compétence de la juridiction disciplinaire de l'ordre – Cassation avec renvoi.

Le Conseil supérieur de l'ordre des géomètres-experts commet une erreur de droit lorsqu'il juge que la juridiction ordinale est incompétente pour connaître des manquements commis par un géomètre-expert dans l'exécution d'une mission que lui a confiée le juge civil, si ce n'est dans le cas où seraient en cause des manquements détachables de la procédure judiciaire.

En réalité sa compétence s'étend à tout manquement quel que soit le cadre, juridictionnel ou non, dans lequel il se produit.

(25 septembre 2019, M. X., n° 414748

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

44 - Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) – Régime dérogatoire (art. 1233-58, II, du code du travail) – QPC – Absence d’inconstitutionnalités – Rejet.

(4 septembre 2019, MM. X. et autres, n° 431463) V. aussi n° 21

 

45 - Cession de parts de société – Gains nets de cession – Régime de l’abattement applicable – Suppression quasi-totale de l’abattement par la loi du 28 décembre 2011 – QPC – Caractère sérieux – Renvoi au C. C.

L’art. 150-0 D bis CGI avait prévu, dans son I-1, que « Les gains nets (...) retirés des cessions à titre onéreux (...) de parts de société (...) sont réduits d'un abattement d'un tiers pour chaque année de détention au-delà de la cinquième, lorsque les conditions prévues au II sont remplies. » Il avait vocation à s’appliquer à toute cession onéreuse desdites parts. La loi de finances pour 2012, du 28 décembre 2011, n’a plus réservé cette possibilité d’abattement par tiers qu’en faveur des seuls dirigeants de petites et moyennes entreprises faisant valoir leurs droits à la retraite dans les deux années suivant ou précédant la cession.

Estimant cette innovation législative inconstitutionnelle en ce qu’elle porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment à la garantie des droits résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, les demandeurs saisissent le Conseil d’Etat d’une requête en QPC. Celle-ci est accueillie favorablement en tant que ces nouvelles dispositions législatives, dans la mesure où elles suppriment l'abattement sur les gains nets retirés des cessions à titre onéreux de parts de société prévu par les dispositions du même article dans leur rédaction antérieure, soulève une question présentant un caractère sérieux.

(11 septembre 2019, M. X. et Mme Y., n° 431686)

 

46 - Scission partielle d’une société de droit américain – Attribution d’actions de la nouvelle société – Demande de décharge de l’imposition sur les revenus de capitaux mobiliers et des prélèvements sociaux – Défaut d’agrément préalable donné à la société apporteuse – QPC – Contrariété des dispositions du CGI au droit de l’Union – Renvoi de la QPC au C.C.

(16 septembre 2019, M. X., n° 431734) V. n° 15

 

47 - Crédit d’impôt pour investissement au profit des PME relevant d’un régime réel d’imposition – Investissements devant être réalisés et exploités en Corse pour les besoins d'une activité industrielle, commerciale, artisanale, libérale ou agricole – Obligation d’une libération complète du capital – QPC renvoyée au C.C.

Le Conseil d’Etat juge que présente un caractère sérieux la question de savoir si  le 1° du I de l'article 244 quater E du CGI - qui fixe le régime du crédit d’impôt applicable à certaines conditions aux investissements réalisés en Corse par des PME -  porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, en ce qu’il subordonne l’octroi de cet avantage à la condition que " le capital des sociétés (ait été) entièrement libéré ".

(16 septembre 2019, Société Prato Corbara, n° 432018)

 

Responsabilité

 

48 - Recours à la force publique – Abstention de la puissance publique – Blocage d'un port – Préjudice – Responsabilité pour faute ou, en cas de préjudice de caractère grave et spécial, responsabilité sans faute – Inexécution d'une décision de justice ayant force exécutoire – Responsabilité pour faute ou, le cas échéant, sans faute – Rejet.

A la suite du blocage, pendant plusieurs jours, du port de Marseille, une compagnie de navigation maritime a réclamé réparation du préjudice causé par l'inexécution de la décision de justice (tribunal de commerce) ordonnant l'expulsion de toute personne ou chose empêchant l'accès audit port. Après refus du préfet de l'indemniser, elle a saisi le tribunal administratif lequel a jugé que, passé un délai de vingt-quatre heures, l'abstention des autorités administratives d'ordonner le recours à la force publique engageait sans faute à prouver la responsabilité de l'Etat en raison du caractère grave et spécial du préjudice en résultant pour la requérante. Il a ordonné une expertise pour chiffrer le montant des dommages de toutes natures subis par la compagnie.

Le ministre de l'intérieur se pourvoit contre ce jugement mixte puisque, à la fois, se prononçant sur le principal du litige et étant d'avant-dire droit en tant qu'il ordonne une expertise.

Le Conseil d'Etat, approuvant la position des premiers juges, rappelle, dans une formulation de principe, que " Le dommage résultant de l'abstention des autorités administratives de recourir à la force publique pour permettre l'utilisation normale du domaine public portuaire ne saurait être regardé, s'il excède une certaine durée, comme une charge incombant normalement aux usagers du port. Ces derniers sont fondés à demander réparation à l'Etat d'un tel préjudice, s'il présente un caractère grave et spécial, alors même que l'abstention des autorités administratives ne présenterait pas de caractère fautif ". Est donc retenue ici comme fondement du droit à réparation la classique rupture d'égalité devant les charges publiques.

Par ailleurs, dans la mesure où a été refusée en l'espèce l'exécution d'un jugement ayant force exécutoire, le Conseil d'Etat rappelle - réitérant à presque cent ans de distance sa jurisprudence Couitéas (30 novembre 1923, p. 789) - qu'en ce cas la rersponsabilité de la puissance publique est engagée soit pour faute, soit, sans faute à prouver si, pour justifier son inertie, l'Etat invoque des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public.

Le jugement querellé est ainsi en tous points confirmé.

(30 septembre 2019, Ministre de l'intérieur, n° 416615)

 

49 - Plan d'urbanisme (PLU) – Illégalité – Remise en vigueur de dispositions antérieures – Impossibilité subséquente de réaliser un lotissement – Action en responsabilité – Erreur de droit – Cassation de l'arrêt d'appel et renvoi.

(30 septembre 2019, Société du Mouliès, n° 421889) V. n° 52

 

Sports

 

50 - Dopage – Sanction – Régime des illégalités contenues dans une ordonnance non encore ratifiée – Respect du caractère contradictoire de la procédure disciplinaire – Rejet.

(6 septembre 2019, M. X., n° 433887) V. n° 1

 

Urbanisme

 

51 - Plan local d'urbanisme – Permis de construire – Travaux de construction n’étant pas conformes aux prescriptions de l'un et de l'autre – Refus du maire de dresser un procès-verbal de constat d'infraction (art. L. 480-1 et art. L. 610-1 du code de l'urbanisme) – Référé suspension dirigé contre ce refus – Absence de présomption d'urgence attachée à un tel refus – Rejet.

Des particuliers demandent en vain au maire d'une commune de dresser procès-verbal, sur le fondement des art. L. 480-1 et L. 610-1 du code de l'urbanisme, aux fins de constater que des travaux en cours ne sont conformes ni au plan local d'urbanisme ni au permis de construire et d'adresser ce procès-verbal au procureur de la république. Ils saisissent le juge du référé suspension afin qu'il ordonne la suspension de ce refus et, par suite du rejet de ce recours, ils portent leur action devant le juge de cassation.

L'une des deux conditions à l'obtention d'un référé est l'existence d'une urgence à statuer.

L'intérêt de cette décision réside en ce que, le Conseil d'Etat y juge, d'une part, que le maire est tenu de dresser un procès-verbal en application de l'article L. 480-1 c. urb., et d'autre part, que la méconnaissance, par un commencement de travaux, des prescriptions d'un PLU ainsi que du permis de construire correspondant ne constitue pas un cas de présomption d'urgence qui aurait pour effet de dispenser l'auteur de la demande de suspension de rapporter la preuve de l'existence d'une telle urgence. Cette solution tranche avec celle retenue en cas d'édification d'une construction sans permis ou autre autorisation nécessaire, où la présomption d'urgence est normalement admise.

En l'espèce, faut que les autres moyens du pourvoi aient établi la réalité de l'urgence, celui-ci est rejeté.

(23 septembre 2019, M. X., n° 424270)

 

52 - Plan d'urbanisme (PLU) – Illégalité – Remise en vigueur de dispositions antérieures – Impossibilité subséquente de réaliser un lotissement – Action en responsabilité – Erreur de droit – Cassation de l'arrêt d'appel et renvoi.

Une société avait demandé à une commune réparation du préjudice que lui avait causé l'impossibilité où elle s'est trouvée de réaliser le lotissement dont le permis lui avait été accordé. Son action en responsabilité, rejetée en première instance et en appel, est accueillie par le Conseil d'Etat.

Un premier plan d'urbanisme classe en 1998 une zone comme non constructible, puis un second plan modifie, en 2006, ce classement. Sur la base de ce dernier la société requérante obtient un permis de lotir mais un jugement rendu en 2009 et devenu définitif annule ce second PLU. Ceci a pour effet de remettre en vigueur l'inconstructibilité de la zone qu'avait édictée le plan de 1998 : le lotissement ne peut plus être réalisé.

Pour rejeter la demande de réparation de la société requérante, la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce qu'il n'existait pas de lien de causalité direct entre l'illégalité du PLU de 2006 et l'impossibilité de réaliser le lotissement car les dispositions de ce qui était alors l'art. L. 442-14 du code de l'urbanisme faisaient obstacle à ce que les disposition du plan d'occupation des sols du 18 décembre 1998 puissent être opposées aux demandes de permis de construire présentées dans le délai de cinq ans suivant l'achèvement du lotissement. Ce jugeant, la cour commet une erreur de droit car cette règle n'est pas opposable à un refus reposant, comme en l'espèce, sur des dispositions d'urbanisme qui avaient été seulement remises en vigueur par l'effet d'une annulation contentieuse intervenue postérieurement à l'autorisation du lotissement.

La société ayant obtenu le permis de lotir le 20 octobre 2008, en était le titulaire intangible jusqu'au 20 octobre 2013, ce droit était opposable au plan d'urbanisme alors en vigueur, toutefois, l'annulation en 2009 de ce PLU, en remettant en vigueur le plan précédent, faisait échec à la règle d'intangibilité quinquennale du bénéfice d'un permis de lotir.

Il en résulte que contrairement à ce qu'avait jugé la cour, il existe bien un lien de causalité direct entre l'illégalité du PLU et le préjudice dont se prévaut la requérante.

L'arrêt se trouve cassé en ce qu'il dénie tout droit à réparation à la société demanderesse.

(30 septembre 2019, Société du Mouliès, n° 421889)

 

53 - Autorisation d'implantation d'éoliennes – Permis de construire – Atteintes au droit de l'urbanisme : qualité pour présenter la demande de permis, exigence d'une autorisation du gestionnaire du domaine public pour l'enfouissement de câbles, omissions ou insuffisances entachant le dossier de demande – Absence – Rejet.

A l'occasion d'un recours dirigé contre l'autorisation préfectorale d'implanter des éoliennes, le Conseil d'Etat apporte sur trois points un certain nombre de précisions ou de rappels relatifs au permis de construire.

En premier lieu, il existe une présomption selon laquelle le pétitionnaire d'un permis de construire a normalement qualité pour présenter la demande de permis. Toutefois, en cas de certitude sur l'existence d'une fraude en la matière, l'autorité administrative doit, pour ce motif, refuser la demande de permis. Ce n'était pas le cas en l'espèce.

En deuxième lieu, si le dossier de tout projet de construction portant sur une dépendance du domaine public doit comporter " une pièce exprimant l'accord du gestionnaire du domaine pour engager la procédure d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public ", tel n'est pas le cas de l'enfouissement de câbles souterrains dans le sous-sol de ce domaine, ceux-ci n'ayant pas la nature de constructions.

Enfin, la circonstance que le dossier de demande de permis de construire - ici des éoliennes - ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l'urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, " ne serait susceptible d'entacher d'illégalité le permis de construire que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier auraient été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable ". Tel n'était pas le cas en l'espèce.

Les autres arguments développés sont également rejetés.

(25 septembre 2019, Association Autant en emporte le vent et autres, n° 417870)

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