Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Janvier 2019

Actes et décisions

 

1 - Notaires – Suppression, par arrêté ministériel, des attributions notariales dans les postes diplomatiques et consulaires – Circulaire du Président du Conseil supérieur du notariat – Absence d’objet ou de caractère impératif – Rejet.

Un arrêté du ministre des affaires étrangères supprime à compter du 1er janvier 2019 les compétences notariales des consuls dans les pays étrangers. Un requérant conteste la légalité de la circulaire par laquelle le Président du conseil supérieur du notariat tire les conséquences de cette décision. Son recours est rejeté car, relève le juge, la circulaire attaquée comporte des préconisations adressées aux notaires définissant, eu égard à la situation de droit nouvelle créée par l'arrêté ministériel, les conduites qu'il est conseillé de tenir en fonction des conditions, parfois très différentes, dans lesquelles la fonction notariale ou assimilée est assurée dans les pays étrangers. Elle n’a aucun objet ou caractère impératif et, partant, ne pouvait pas être déférée au juge.

(18 janvier 2019, M. X., n° 426479)

 

2 – Décision ministérielle d’introduction d’ours en milieu naturel – Absence de caractère réglementaire – Saisine directe du Conseil d’État impossible – Renvoi au tribunal administratif de Paris.

Le syndicat requérant demandait l’annulation de la décision par laquelle le ministre de la transition écologique a autorisé l'introduction dans le milieu naturel de spécimens d'ours brun (Ursus Arctos) et avait assorti sa demande d’un référé tendant à la suspension de cette mesure. Il saisit directement le Conseil d’État. Ce dernier, considérant que la décision querellée n’est pas de nature réglementaire et ne relève donc pas de sa compétence directe (art. R. 311-1 CJA), se déclare incompétent, par voie de conséquence, pour connaître de la demande de référé. L’affaire est renvoyée au tribunal administratif de Paris.

(24 janvier 2019, Syndicat ovin de l'Ariège, n° 425882)

 

3 - Étrangers séjournant plus de trois mois en France – Obligation d’obtenir une carte de séjour – Caractère irrégulier du séjour à défaut de carte – Décision de remise aux autorités étrangères – Motivation particulière – Caractère irrégulier de la notification de la décision – Absence d’effets sur sa régularité.

Dans cette affaire, rapportée plus loin pour un autre aspect, d’ailleurs principal (cf. n° 37), il est fait le rappel de deux éléments du régime juridique ou contentieux des décisions.

En premier lieu, le droit commun du principe du contradictoire en matière de décision administrative, tel que fixé à l’art. 24 de la loi du 12 avril 2000, n’est pas applicable lorsqu’une loi a instauré, dans une matière donnée, une procédure particulière de contradiction. Ici, s’agissant d’un ressortissant étranger, jouent les dispositions spéciales de l’art. L. 531-1 du CESEDA.

En second lieu, l’éventuelle irrégularité entachant la notification d’une décision administrative n’a pas d’effet sur la légalité de cette décision elle-même. Par suite, un tel moyen est inopérant et le juge n’a pas à y répondre explicitement, sans que le requérant puisse lui reprocher une insuffisance de motivation.

(30 janvier 2019, M. X. et société Terra Fecundis, n° 415818)

 

4 - Polynésie française – Distinction « loi de pays »/règlement – Principes fondamentaux de la sécurité sociale – Arrêté du gouvernement – Matière législative – Incompétence du gouvernement.

Des sociétés d’assurances contestent devant le tribunal administratif de Polynésie française l'arrêté n° 1894 du 20 octobre 2017 par lequel le conseil des ministres de la Polynésie française a fixé les règles applicables aux montants des prestations de soins engagés à la suite d'un séjour dans un établissement hospitalier ou un établissement privé de santé dans le cadre de l'exercice des recours contre tiers par la caisse de prévoyance sociale. Les premiers juges interrogent le Conseil d’État sur le point de savoir si, le recours contre les tiers étant, en métropole, matière législative, il relève, en Polynésie française, de la « loi de pays » ou du pouvoir réglementaire.

Il est répondu tout d’abord qu’il résulte de la combinaison des textes applicables que les questions relatives à la sécurité sociale relèvent de la compétence de la Polynésie française. En outre, c’est l’assemblée de la Polynésie française qui est compétente pour définir les principes fondamentaux de la sécurité sociale. C’est donc par des « lois de pays » qu’ils doivent être fixés y compris s’agissant de déterminer l'organisation du recours des organismes sociaux contre les tiers responsables car il s’agit là de l’un des principes fondamentaux de la sécurité sociale. Le pouvoir réglementaire, c’est-à-dire le conseil des ministres, est compétent pour en déterminer les modalités de mise en œuvre.

Par suite, la détermination des sommes que la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française est susceptible de récupérer par la voie d'un recours subrogatoire auprès des tiers responsables de préjudices causés à ses assurés ainsi que l'institution du principe d'une référence au montant forfaitaire appliqué pour les tarifs individuels des prestations de soins dispensées aux personnes ne relevant pas de la caisse de prévoyance sociale relèvent de la compétence de la " loi du pays ". 

Faute qu’un tel principe figure dans une " loi du pays " ou dans un autre texte de nature législative, l'arrêté attaqué est illégal et doit être annulé car, en ne se bornant pas à déterminer seulement le montant de l'évaluation forfaitaire prévue par ce principe mais en en fixant lui-même le principe, il a méconnu la répartition des compétences entre l'assemblée de la Polynésie française et le conseil des ministres.

(Avis, 25 janvier 2019, Compagnies d'assurance Generali, Gan Outre-Mer, Allianz, QBE Insurances, Axa et Poema Insurances, n° 425243)

 

5 - Éducation nationale – Circulaire du 15 mars 2017 relative à l'amélioration du dispositif de remplacement des personnels enseignants – Acte à caractère impératif – Dispositions allant au-delà du texte appliqué – Illégalité – Annulation dans cette mesure.

Une circulaire du ministre de l’éducation nationale précise les conditions de remplacement des personnels enseignants absents pour divers motifs.

Le Conseil d’État, constatant que ce texte a un caractère impératif, juge recevable le recours formé contre celui-ci par le syndicat requérant.

Sur deux points l’annexe à la circulaire ajoute ou retranche aux textes, législatif ou réglementaire, dont elle fait application ce qui l’entache d’illégalité.

Tout d’abord, s’agissant des autorisations d'absence sollicitées par un agent en qualité de candidat à une fonction publique élective, celles-ci doivent être délivrées, en application des dispositions législatives du code du travail,  à la convenance de l'intéressé, dans les seules limites du crédit global d'heures d'absence autorisées, des délais de prévenance du chef de service et de la durée minimale de chaque absence. Or la circulaire attaquée avait ajouté une autre condition, restrictive et donc illégale, à savoir la soumission de l’autorisation « aux nécessités du service ».

Ensuite, s’agissant des autorisations d’absence prévues  pour les représentants syndicaux, titulaires et suppléants, appelés à siéger dans diverses instances de concertation, alors que le décret du 28 mai 1982 décide qu’elles sont accordées  " sur simple présentation de leur convocation ou du document les informant de la réunion de ces organismes ", l’annexe à la circulaire attaquée prévoit un maximum " de deux à trois jours par an " pour les autorisations susceptibles d'être accordées à ce titre. En ajoutant ainsi au décret une condition qu’il n’institue pas, la circulaire est une seconde fois entachée d’irrégularité.

Les dispositions illégales de cette circulaire étant divisibles du reste du texte, elles sont seules annulées.

(30 janvier 2019, Syndicat national des enseignements de second degré, n° 410518)

V. aussi cet arrêt au n° 47

 

Contrats

 

6 - Marché public global de performance – Réseau de communications électroniques à très haut débit – Recours précontractuel en annulation d’attribution de marché – Annulation accordée pour dossier incomplet - Reprise de la procédure au stade de l’analyse des offres refusée – Erreur de droit du premier juge – Annulation de l’annulation prononcée.

La collectivité de Saint-Barthélemy a attribué à une société un marché public global de performance en vue d'assurer la conception, la réalisation et l'exploitation du réseau de communications électroniques à très haut débit de son territoire. Cette décision est contestée par une société concurrente évincée de la procédure qui invoque plusieurs irrégularités. En première instance, par la voie d’un référé précontractuel, elle obtient l’annulation de cette décision mais pas – alors qu’elle la sollicitait – la reprise de la procédure au stade de l’analyse des offres. La société attributaire du marché se pourvoit et le Conseil d’État lui donne raison ; nous ne retiendrons que l’aspect le plus important de cette décision.

Pour annuler la décision d’attribuer le marché à cette société, le juge du référé précontractuel s’était fondé sur la circonstance que son dossier ne comportait point les jugements ouvrant une procédure de redressement judiciaire, puis arrêtant le plan de redressement, enfin, modifiant le contenu de ce plan. Le dossier étant incomplet et la société se trouvant dans un cas d’interdiction de soumissionner, elle ne pouvait pas se voir attribuer le marché.

Or le juge du Palais-Royal déduit de la combinaison du I de l’art. 48, du IV de l’art. 51 et du II de l’art. 55 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics que, sauf lorsque l'acheteur décide de limiter le nombre des candidats admis à négocier, les preuves de ce qu'un candidat ne se trouve pas dans un des cas d'interdiction de soumissionner énumérés à l'article 45 de l'ordonnance du 23 juillet 2015, qui ne peuvent être exigées au stade du dépôt des dossiers de candidature, doivent seulement être apportées par le candidat auquel le pouvoir adjudicateur envisage d'attribuer le marché public. Par suite, le premier juge a commis une erreur de droit sur ce point.

(25 janvier 2019, Société Dauphin Télécom, n° 421844)

 

7 - Délégation de service public – Résiliation dans l’intérêt général – Référé suspension – Recours en reprise des relations contractuelles – Vices affectant la résiliation – Appréciation du motif d’intérêt général invoqué – Obligation d’analyse concomitante des vices allégués et de l’intérêt général invoqué – Absence.

La ville de Cannes résilie une délégation de service public d’exploitation de parcs de stationnement en invoquant l’intérêt général s’attachant à une reprise en régie par la ville de l’activité déléguée avec la volonté de s'engager dans une nouvelle politique et une gestion plus dynamique du stationnement sur son territoire. La société délégataire a saisi le juge d’une demande d’annulation de la décision de résiliation assortie d’un référé suspension et d’une action en reprise des relations contractuelles (cf. Section, 21 mars 2011, Cne de Béziers, n° 304806). Ces demandes sont rejetées en première instance par le motif que si la société requérante soutenait que la décision litigieuse était entachée de plusieurs vices, la reprise provisoire des relations contractuelles serait, en tout état de cause, de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général tenant à la volonté de la commune de Cannes de réorienter la politique du stationnement sur son territoire.

Le Conseil d’État annule cette ordonnance car l’invocation de plusieurs vices entachant la résiliation obligeait le juge à confronter l’examen de ces vices avec celui du caractère d’intérêt général de la résiliation (cf. 16 nov. 2016, Cne d’Erstein, n° 401321). Procédant à cette recherche, le Conseil d’État conclut qu'aucun des vices invoqués par la société Uniparc Cannes n'est de nature à faire naître un doute sérieux sur la validité de la mesure de résiliation litigieuse et rejette la demande de reprise des relations contractuelles.

(25 janvier 2019, Société Uniparc Cannes, n° 424846)

 

8 - Marché de prestation de services d'assurance de responsabilité civile hospitalière et des risques annexes – Attribution contestée – Recours précontractuel puis, après signature du contrat, recours contractuel – Pouvoir du juge saisi sur le fondement de l’art. L. 551-18 CJA et combinaison avec ceux prévus à l’art. L. 551-20 CJA – Possibilité, le cas échéant, de prononcer d’office une sanction sur le fondement de l’art.  L. 551-20 même en cas de rejet du recours formé sur le fondement de l’art. L. 551-18 – Signature du marché intervenue pendant le délai de suspension de la signature malgré la connaissance de l’existence d’un référé précontractuel – Sanction.

Une société dont la candidature à un marché public n’a pas été retenue par le centre hospitalier intercommunal de Fréjus Saint-Raphaël, forme un référé précontractuel puis, apprenant la signature du marché, un référé contractuel. En première instance, son action fait l’objet d’un non-lieu à statuer sur le référé précontractuel et est rejetée en tant qu’elle porte sur le référé contractuel. Après cassation de cette première ordonnance, la juridiction de renvoi ordonne la résiliation, à compter du 1er mars 2019, du marché litigieux conclu le 23 décembre 2017. Le Conseil d’État est saisi par l’une des sociétés attributaires du marché. Il s’agit donc d’un second pourvoi en cassation dans la même affaire. Il n’est pas contesté que le centre hospitalier intercommunal de Fréjus Saint-Raphaël avait parfaitement connaissance du référé précontractuel qui avait été introduit tout comme il ne pouvait ignorer qu’était donc ouvert le délai durant lequel était suspendue toute signature du marché (délai de standstill). En ne respectant pas cette obligation il a eu un comportement fautif justifiant une sanction, ce qui soulevait deux questions importantes.

En premier lieu, l’action fondée sur l’art. L. 551-18 CJA avait été rejetée par un jugement devenu définitif, or les sanctions ne sont prévues qu’à l’art. L. 551-20 CJA ce qui soulevait une difficulté. De façon expédiente et par une solution qu’il faut complètement approuver, il est jugé que cela n’empêche point le prononcé, même d’office (v. aussi : 30 novembre 2011, Société DPM protection et Centre hospitalier Andrée Rosemon, n° 350788 et n° 350792), des sanctions prévues à l’art. L. 551-20 CJA.

En second lieu, se posait la question, théorique et pratique, de savoir quels éléments le juge doit retenir pour déterminer la sanction à prononcer. La décision énumère assez précisément ces éléments : la gravité du manquement commis, son caractère plus ou moins délibéré, la plus ou moins grande capacité du pouvoir adjudicateur à connaître et à mettre en œuvre ses obligations ainsi que la nature et les caractéristiques du contrat. 

Une amende de 20 000 euros est infligée ici au centre hospitalier. Ce n’est pas négligeable mais est-ce dissuasif ?

(25 janvier 2019, Société Bureau européen d'assurance hospitalière (BEAH), n° 423159)

 

9 - Marché de construction – Lot « électricité/chauffage » – Référence au CCAG Travaux – Décompte définitif tacite – Avenant antérieur au décompte tacite – Absence de dérogation expresse au CCAG – Référé provision – Cassation prononcée.

La société demanderesse s’est vue attribuer le lot « électricité/chauffage » d'un marché de construction de la maison de la nature et de l'environnement à Miquelon. La collectivité a prononcé la réception de ce lot avec réserves et la société Self a sollicité un règlement complémentaire d'un certain montant qui a été rejeté par la collectivité.

Elle a présenté une demande de paiement finale à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon et au maître d'œuvre 12 et 19 juin 2017. La collectivité ne lui ayant pas notifié le décompte général dans les délais prévus au CCAG, la société lui a notifié le 3 août 2017 un projet de décompte général. Celui-ci, au terme d’un silence de dix jours de la part de la collectivité s’est transformé, le 14 août 2017, en un décompte tacite dont la société Self s’est prévalu, en vain, devant les juges du fond. Sa demande de référé provision ayant été rejetée en première instance et en appel, elle se pourvoit.

 Le Conseil d’État commence par rappeler la caractéristique juridique principale du décompte général et définitif d’un marché. « L'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché public de travaux est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte général et définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties. » 

Cependant, pour rejeter la demande de provision de la société Self les juges des référés de première instance et d’appel ont relevé que les parties avaient conclu, le 18 juillet précédent, un avenant au marché ayant pour objet de prolonger le délai d'exécution des travaux sans contrepartie financière pour le titulaire du marché et que le marché avait été conclu à prix forfaitaire.

Pour dire ce raisonnement erroné en droit, le Conseil d’État décide que le juge d’appel des référés ne pouvait pas n’avoir pas tenu compte du fait qu'un décompte général et définitif existait tout en ne relevant pas qu'en signant un avenant les parties auraient entendu déroger aux stipulations contractuelles du CCAG sur ce point. Faute de renonciation expresse à se prévaloir de ce document, les parties ne peuvent pas être présumées y avoir dérogé au moyen d’un avenant qui ne comporte aucune référence à une telle renonciation.

La créance et ses intérêts moratoires n’étant pas sérieusement contestables, il est alloué à la société Self les sommes qu’elle réclamait.

(30 janvier 2019, Société Self Saint-Pierre et Miquelon, n° 423331)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

10 - Décharge, remise ou restitution d’impôt – Cas d’une disposition fiscale contraire à une règle de droit supérieure – Nécessité que la contrariété ait été jugée par les seules juridictions énumérées à l’art. L. 190 LPF – Décisions du Conseil constitutionnel non visées par ce texte – Rejet.

L’art. 190 LPF énumère les juridictions dont les décisions constatant la contrariété de dispositions fiscales à des règles de droit supérieures ouvrent droit à une action en décharge, remise ou restitution d’impôt. Il décide également que les contribuables qui entendent se fonder sur un tel motif doivent saisir le juge dans un certain délai à compter de l’événement qui motive leur réclamation.

Saisi par le tribunal administratif de Montreuil selon la procédure de l’art. 113-1 du CJA, le Conseil d’État répond, d’une part, que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont pas au nombre des décisions juridictionnelles ou avis visés à l’article précité du LPF, et d’autre part, que de telles décisions ne pouvant constituer « l’événement » évoqué par ce texte, elles ne sauraient ouvrir le délai de recours.

Décision critiquable car il était aisé au Conseil d’État de retenir une interprétation plus souple - c’est-à-dire, en l’espèce, de bon sens - des dispositions de l’art. L. 190 LPF. D’où ce paradoxe qui frise l’iniquité : le droit fiscal est mieux protégé de ses inconstitutionnalités que de ses illégalités ou autres. La pyramide des normes est ici renversante. On peut douter que cette solution trouve grâce aux yeux de la Cour de Strasbourg, à l’aune du droit au juge et du droit au procès.

(11 janv. 2019, SCI Maximoise de création, n° 424819 et SAS AEGI, n° 424821)

V. aussi sur cette question, le n° 15

 

11 - Exercice d’une activité professionnelle non salariée – Notion – Cas en l’espèce – Plan comptable général – Force juridique – Comité de la réglementation comptable – Distinction entre charges d’exploitation et charges exceptionnelles – Dépenses de dons et de mécénat – Classification.

Cette décision est relative à deux questions d’inégale importance.

La première est relative à la notion d’activité professionnelle non salariée au sens de l'article 1447 CGI s’agissant des revenus tirés de la concession d'une marque. Pour le juge l'exercice d'une activité professionnelle non salariée suppose que le contribuable soit exerce une activité régulière comportant la mise en œuvre de moyens matériels et humains soit est en droit de participer à l'exploitation du concessionnaire et est rémunéré, en tout ou partie, en fonction de cette dernière. En l’espèce, la société Casino détenait, durant la période d’imposition, respectivement 97,31 % et 100 % du capital des deux sociétés concessionnaires de ses marques. Cette détention de la totalité ou de la quasi-totalité du capital de ces sociétés lui conférait le droit de participer à leur exploitation. De plus, le montant des redevances perçues par la société requérante était proportionnel au chiffre d'affaires réalisé par ces deux sociétés. Par suite, c’est sans erreur de qualification juridique que la cour administrative d’appel a jugé que la concession du droit d'usage et d'exploitation des marques en cause devait être regardée comme une activité professionnelle au sens de l'article 1447 du CGI.

La seconde question concernait la catégorie d’appartenance, dans le plan comptable général, des dépenses de dons et de mécénat. De telles dépenses, doivent être comptabilisées en charges exceptionnelles lorsqu'elles ne peuvent pas être regardées, compte tenu des circonstances de fait, notamment de leur absence de caractère récurrent, comme relevant de l'activité habituelle et ordinaire de l'entreprise et en charges d'exploitation dans le cas contraire.

(11 janvier 2019, SA Casino Guichard-Perrachon, n° 405031)

 

12 - Impôt sur le revenu – Somme versée sur le fondement d’une transaction faisant suite à un licenciement – Rupture du contrat de travail assimilable ou non à un licenciement sans cause réelle et sérieuse – Obligation pour le juge saisi d’instruire cette question – Régime de preuve objective et non de preuve subjective à la charge du salarié – Erreur de droit – Cassation.

Le demandeur, salarié d’une banque, estimant que le poste qui lui a été confié ne correspond pas à sa qualification, introduit une demande en vue de la résiliation judiciaire de son contrat de travail assortie d’une indemnisation. Il fait alors l’objet d’un licenciement, puis une transaction est conclue avec son employeur aux termes de laquelle il renonce à l’action introduite et à toute autre action judiciaire au sujet de son licenciement et perçoit une certaine somme à titre d’indemnité. L’Administration fiscale a réintégré une partie de cette indemnité dans son revenu imposable. M. X., ayant contesté en vain cette décision en première instance et en appel, se pourvoit.

La question de droit est de savoir si le licenciement à l’origine de la transaction était un licenciement sans cause réelle ou sérieuse, donc non imposable, ou bien si ce n’était pas le cas, l’indemnisation étant alors imposable. Pour rejeter le recours du demandeur, les juges du fond estiment qu’il n’a pas rapporté la preuve du caractère sans cause réelle ou sérieuse de son licenciement.

Le Conseil d’État leur reproche, s’agissant ici d’une preuve objective et non d’une preuve subjective, d’avoir fait reposer sur le demandeur la charge de la preuve alors qu’il incombait au juge, au moyen de son pouvoir d’instruction, d’établir lui-même le caractère de ce licenciement.

 (30 janvier 2019, M. X., n° 414136)

 

13 - Acte sous seing privé – Opposabilité aux tiers – Cas de l’administration fiscale – Non – Possibilité de rapporter par tous moyens la preuve de l’existence et du contenu de l’acte (art. 1328, devenu 1377, Code civil).

On retiendra le point important de cette décision rendue en matière fiscale.

Était en cause l’opposabilité de la délibération d’une société par actions simplifiée dont l’Administration fiscale prétendait, confirmée par les premiers juges, que celle-ci n’était possible qu’à compter du jour de l’enregistrement de cette délibération. Elle s’appuyait sur les dispositions de l’art. 1377 (ex-art. 1328) du Code civil selon lesquelles : « L'acte sous signature privée n'acquiert date certaine à l'égard des tiers que du jour où il a été enregistré, du jour de la mort d'un signataire, ou du jour où sa substance est constatée dans un acte authentique. » Le Conseil d’État objecte à ce raisonnement que l’Administration fiscale, « dans l'exercice de ses missions, n'est pas un tiers au sens de ces dispositions. » Ainsi, il était possible aux contribuables de rapporter par tous moyens la preuve de l’existence, de la date et du contenu de la délibération litigieuse. Admission du pourvoi sur ce point et renvoi à la cour administrative.

(28 janvier 2019, M. et Mme X., n° 407305)

 

14 - Demande de restitution d’avoir fiscal – Société française ayant perçu des dividendes de sociétés établies dans un autre État de l’Union européenne – Société française actionnaire minoritaire – Application de la jurisprudence européenne dite du « précompte mobilier » – Obligation pour le bénéficiaire du crédit d’impôt,  de rapporter la preuve de la nature et du taux d’imposition supportés par les bénéfices réalisés à l’étranger du fait des dividendes distribués – Justification, dividende par dividende, de l’impossibilité matérielle, pour la société française, de rapporter cette preuve – Absence concomitante d’éléments en sens contraire apportés par l’Administration fiscale – Charge de la preuve.

Cette décision concerne une hypothèse assez rarement rencontrée en droit fiscal : le constat de l’extrême difficulté, voire de l’impossibilité, pour le contribuable, de rapporter la preuve qu’il lui est demandé de fournir. En l’espèce, une société française, actionnaire minoritaire de plusieurs sociétés établies dans un pays de l’UE, sollicitait le bénéfice de l’avoir fiscal, bénéfice auquel elle avait droit, mutatis mutandis, en vertu d’une décision de la CJUE (C-310/09 du 15 septembre 2011).

La Cour avait alors précisé deux choses.

D’une part, ce droit à l’avoir fiscal ne faisait pas obstacle à ce que le redevable se voit obligé d’apporter les éléments qu'il est le seul à détenir et relatifs, pour chaque dividende en litige, notamment au taux d'imposition effectivement appliqué et au montant de l'impôt effectivement acquitté à raison des bénéfices réalisés par les filiales installées dans les autres États membres, alors même que, à l'égard des filiales installées en France, ces mêmes éléments, parce qu’ils sont déjà connus de l'administration, ne sont pas exigés. Dès lors, le juge national et l’Administration fiscale en déduisaient qu’il n'est pas suffisant d'apporter la preuve que la société distributrice a été imposée, dans son État membre d'établissement, sur les bénéfices sous-jacents aux dividendes distribués, encore faut-il fournir les informations relatives à la nature et au taux de l'impôt ayant effectivement frappé ces bénéfices.

D’autre part, concernant cette exigence de preuve, la Cour a fait la réserve du cas où  il se révélerait qu’il est pratiquement impossible ou excessivement difficile d'apporter la preuve du paiement de l'impôt par les filiales établies dans les autres États membres, eu égard notamment aux dispositions de la législation de ces États se rapportant à la prévention de la double imposition et à l'enregistrement de l'impôt sur les sociétés devant être acquitté ainsi qu'à la conservation des documents administratifs. De plus, elle insistait sur l’absence de formalisme dans l’apport des éléments.

Tout d’abord, le Conseil d’État – respectant l’esprit de celle-ci -, considère que les principes dégagés par la CJUE dans le cadre d'un contentieux concernant le précompte mobilier relatif à des distributions de dividendes relevant du régime mères et filiales sont également applicables dans le cas où les distributions de dividendes proviennent de sociétés établies dans un autre État membre de l'Union européenne, dans lesquelles la société qui sollicite une restitution ne détient que des participations minoritaires et où le crédit d'impôt dont elle réclame le bénéfice a vocation à s'imputer, non sur le précompte mobilier mais sur l'impôt sur les sociétés. Dans l'un et l'autre cas, la société qui perçoit les dividendes a droit à un crédit d'impôt permettant d'assurer un même traitement fiscal des dividendes provenant de sociétés établies en France et de ceux provenant de sociétés établies dans un autre État membre de l'Union européenne.

Puis, appliquant fidèlement ces solutions jurisprudentielles au cas de l’espèce, le Conseil d’État constate : « Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société CIC a produit, sur un support cd-rom, de nombreux documents tels que des attestations établies par une cinquantaine de sociétés distributrices et des données provenant de la base d'informations financières Bloomberg ainsi qu'un rapport d'expertise, réalisé en février 2015 par le cabinet Deloitte, analysant les données disponibles sur les impositions subies par les sociétés distributrices et faisant notamment état, pour certaines d'entre elles, d'un taux effectif d'imposition établi sur la base de données consolidées. La société CIC soutenait, par ailleurs, que son statut d'actionnaire minoritaire dans des sociétés étrangères cotées rendait extrêmement difficile l'obtention d'informations sur le taux d'imposition effectivement appliqué. Au soutien de cette affirmation, elle a produit des attestations selon lesquelles le montant d'impôt effectivement acquitté ne devait pas être dévoilé pour des raisons de confidentialité ou n'était pas connu. En outre, le rapport du cabinet Deloitte confirme que les déclarations fiscales des sociétés distributrices ne sont pas portées à la connaissance des actionnaires minoritaires. ». En conséquence, il est jugé que la cour, méconnaissant  les règles de dévolution de la charge de la preuve, a commis une erreur de droit en estimant de façon globale, en dépit de la production de ces éléments, et alors que l'administration fiscale n'apportait pas d'élément en sens contraire, que la société ne pouvait être regardée, pour aucun des dividendes en litige, comme apportant les premiers éléments de vraisemblance quant au caractère pratiquement impossible ou excessivement difficile de la preuve du paiement de l'impôt par les sociétés distributrices établies dans les autres États membres.

(28 janvier 2019, Société CIC, n° 403332 ; v. aussi, du même jour, subordonnant le bénéfice de la solution précédente à la preuve de l’accomplissement de diligences qui se sont révélées vaines en définitive : Sociétés HSBC Bank Plc Paris Branch et HSBC Financial Products (France), n° 398727 ; v. aussi, du même jour, sur une question très proche : SA Natixis Banques populaires, n° 401490)

 

15 - Article 190 du livre des procédures fiscales (LPF) – Régime des actions fondées sur la non-conformité ou l’incompatibilité de la règle fiscale à une règle supérieure – Non-conformité ou incompatibilité révélée par une décision juridictionnelle – Distinction entre décisions révélant directement cette situation et décisions fondée sur une interprétation du droit différente de celle jusqu’alors formellement admise par l’Administration fiscale.

D’une affaire complexe on se bornera à évoquer un aspect particulier, celui relatif à l’art. 190 LPF. Cet article régit dans l’un de ses alinéas les actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition ou à l'exercice de droits à déduction, fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure et il précise : « Lorsque cette non-conformité a été révélée par une décision juridictionnelle, l'action en restitution des sommes versées ou en paiement des droits à déduction non exercés ou l'action en réparation du préjudice subi ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la troisième année précédant celle où la décision ou l'avis révélant la non-conformité est intervenu. »

En l’espèce, le juge de cassation avait à connaître de l’action introduite par un fonds de pension américain en restitution de retenues à la source effectuées par le fisc, annulées par les premiers juges et rétablies en appel.

Interprétant la disposition précitée, le Conseil d’État opère une distinction subtile et, nous semble-t-il, discutable eu égard à la finalité attachée au mécanisme en cause. En effet, il considère que seules sont visées par cette disposition les décisions juridictionnelles qui révèlent directement l'incompatibilité avec une règle de droit supérieure de la règle de droit dont il a été fait application pour fonder l'imposition en litige. En revanche, il n’en va pas ainsi d’une décision du Conseil d'État statuant au contentieux qui se borne à retenir une interprétation des dispositions du droit de l'Union ou du droit national dont il a été fait application pour fonder l'imposition contestée, différente de celle jusqu'alors formellement admise par l'administration dans ses instructions. Reste qu’au terme de cela l’incompatibilité est avérée directement.

Cependant, révèle directement la non-conformité de la loi fiscale à une norme supérieure une décision qui annule le refus d'abroger des instructions fiscales se bornant à appliquer une loi dont les dispositions instituent une restriction à la liberté de circulation des capitaux prohibée par l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne.

(30 janvier 2019, Fonds de pension de droit américain Southern California Edison Retirement Plan, n° 410158 ; du même jour avec même solution :  Fonds de pension de droit américain Ford Motor Company Defined Benefit Master Trust, n° 410137 ;   Fonds de pension de droit américain Lockheed Martin Corporation Master Retirement Trust, n° 410168)

V. aussi sur cette question, le n° 10

 

16 - Convention fiscale internationale – Place dans la hiérarchie des normes – Effet sur l’imposition – Effet direct – Non – Effet sur le résultat de l’application de la loi fiscale française.

Rappel d’une constante jurisprudentielle concernant l’application des conventions fiscales internationales. De telles conventions, si elles ont une autorité supérieure à celle des lois, dans les conditions prévues à l’art. 55 de la Constitution, ne peuvent pas servir directement de base légale à une décision juridictionnelle relative à l’imposition. L’imposition doit d’abord être calculée et vérifiée au regard de l’application de la seule législation française, puis, après examen des stipulations conventionnelles, il doit être décidé si ces dernières font obstacle ou non, en tout en partie, et à quelles conditions, à l’assujettissement de l’impôt ainsi déterminé.

(30 janvier 2019, M. X., n° 408469)

 

17 - Dégrèvements d’impôts ou taxes – Intérêts moratoires versés – Intérêts soumis au même régime fiscal que les dégrèvements auxquels ils se rapportent – Caractère imposable de ces intérêts.

La solution retenue ici n’allait pas de soi.

Le Conseil d’État, cassant un arrêt de cour d’appel sur ce point, estime que les intérêts moratoires attachés aux dégrèvements d’impôts, droits ou taxes accordés aux contribuables à raison du temps pendant lequel ils ont été privés des sommes indument réclamées, sont eux-mêmes assujettis à impôt. La solution pouvait se discuter et l’application très littérale des dispositions de l’art. L. 208 LPF qui est faite ici, au prétexte que les intérêts moratoires ne seraient que l’accessoire des sommes trop versées, ne nous semble guère équitable ni logique puisqu’elles sont uniquement le prix de la durée de la privation indument subie par le contribuable.

(28 janvier 2019, Société MACIF, n° 406722)

 

18 - Cession de titres non admis à la négociation sur un marché réglementé – Détermination de la valeur vénale de ces titres – Jeu normal de l’offre et de la demande – Date de la cession – Nécessité d’absence de caractère de prix de convenance.

La détermination de la valeur vénale des titres non admis à la négociation sur un marché réglementé est toujours délicate. Le Conseil d’État fixe une sorte de directive qui n’avance guère. Il estime que cette valeur doit être « appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qui aurait résulté du jeu normal de l'offre et de la demande à la date à laquelle la cession est intervenue ». Ceci suppose en réalité la question déjà résolue car, le plus souvent, l’on s’interroge sur ce qu’aurait donné le jeu de l’offre et de la demande.

Par ailleurs, le juge rappelle que cette valeur doit être établie, en priorité, par référence à la valeur qui ressort de transactions portant, à la même époque, sur des titres de la société, dès lors que cette valeur ne résulte pas d'un prix de convenance. C’est un peu le pendant de la règle des « mutations récentes » en matière de fixation du prix des biens à exproprier. En l’espèce, il est reproché à la cour administrative d’appel d’avoir retenu un prix antérieur de cession sans qu’elle se soit interrogée sur son caractère de prix de convenance en raison du fait que cette cession a eu lieu dans le cadre de l’existence d’un pacte d’actionnaires, d’où la cassation prononcée.

(30 janvier 2019, M. X., n° 408437 ; v. dans le même sens sur ce point, même affaire et du même jour : Société La Malosse, n° 408436)

 

Droit public économique

 

19 - Obligation d’économies d’énergie imposée aux fournisseurs d’énergie dont les ventes excèdent certains seuils – Régime des certificats d’économies d’énergie – Arrêté ministériel du 22 décembre 2017 – Bonification accordée aux seuls remplacements de certains équipements de chauffage – Liberté du commerce et de l’industrie – Égalité devant les charges publiques – Erreur manifeste d’appréciation.

La fédération requérante conteste la légalité d’un arrêté ministériel qui subordonne la bonification des certificats d'économies d'énergie au remplacement des seules chaudières au fioul, à l'exclusion de toute autre source d'énergie non renouvelable présentant pourtant des caractéristiques analogues au regard des objectifs poursuivis. Elle invoque en vain l’atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie, cette mesure étant conforme à l’objectif d’intérêt général poursuivi et le principe d’égalité devant les charges publiques, la mesure n’ayant pas de caractère fiscal. En revanche, il est jugé que le ministre a entaché son arrêté d'une erreur manifeste d'appréciation en n’invoquant aucun critère objectif et rationnel susceptible de justifier la limitation des bonifications d’énergie aux seules chaudières qu’il vise. L’arrêté est annulé dans cette mesure. 

(11 janv. 2019, Fédération française des combustibles, carburants et chauffages, n° 418745)

 

20 - Banques – Marchés financiers – Recherche en investissements ou analyse financière - Information privilégiée – Infractions à la réglementation – Recours du président de l’Autorité des marchés financiers (AMF) contre des sanctions infligées par la commission des sanctions de l’AMF – Cumul de qualifications à raison d’une même opération – Contrôle – Sanctions majorées par le juge.

Un analyste financier, salarié d’une banque, s’est vu reprocher des manquements à ses obligations professionnelles pour avoir :

- contrevenu aux règles d'interdiction des transactions des analystes sur un instrument financier et de déclaration de tout compte-titres ouvert à leur nom,

- manqué à l'obligation d'abstention d'utiliser une information privilégiée en utilisant 28 informations ayant ce caractère relatives à des recommandations d'investissement émises par le bureau d'analyse auxquelles il avait accès,

- diffusé une fausse information en émettant un avis sur un titre boursier après avoir pris une position sur celui-ci sans communiquer au public le conflit d'intérêts existant.

Le comité des sanctions de l’AMF lui inflige une sanction pécuniaire de 100 000 euros assortie d’une interdiction d'exercer l'activité d'analyste financier pendant une durée de dix ans. Estimant trop modérée cette sanction, le président de l’AMF saisit le Conseil d’État aux fins de son aggravation pour la porter à 750 000 euros ou, à titre subsidiaire, à 200 000 euros.

Le demandeur se fonde pour cela sur la circonstance que le comité des sanctions n’a pas retenu le grief tiré de la méconnaissance par l’intéressé de l'obligation de s'abstenir d'utiliser une information privilégiée.

Analysant avec beaucoup de minutie les faits et la définition que donne le règlement général de l’AMF de ce qu’est une information privilégiée, le Conseil d’État décide que l’infraction écartée par le comité des sanctions de l’AMF est bien constituée en l’espèce. Il décide, en conséquence, de porter la sanction financière à 200 000 euros.

(30 janvier 2019, Président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), n° 412789)

 

21 - Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières – Aménagement destiné à faciliter la prise en charge ou la dépose de passagers des services réguliers de transports routiers – Redevance acquittée par tout transporteur utilisant un aménagement relevant du service public – Fixation d’un plafond par le coût du service rendu et non en fonction de la valeur économique du service rendu à l'usager.

La société requérante conteste une disposition de la décision de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières – prise en octobre 2017 - relative aux règles tarifaires, à la procédure d'allocation des capacités et à la compatibilité propre des aménagements de transport routier. Elle lui reproche, outre des irrégularités formelles non examinées ici, d’avoir plafonné au coût du service rendu la redevance acquittée par tout transporteur utilisant un aménagement relevant du service public. En effet, l’art. L. 3114-6 du code des transports mis en œuvre ici dispose que : " L'exploitant définit et met en œuvre des règles d'accès des entreprises de transport public routier à l'aménagement, ainsi qu'aux services qu'il y assure ou qu'il y fait assurer, transparentes, objectives et non discriminatoires (...) ". La société requérante en déduit que c’est donc à tort que l’Autorité de régulation n’a pas fait le choix de permettre aux exploitants d'aménagements relevant du service public de transport routier de personnes de fixer la redevance en fonction de la valeur économique du service ainsi rendu à l'usager.

Relevant implicitement que l’Autorité de régulation dispose en cette matière d’un large pouvoir discrétionnaire, le juge n’exerce sur ses décisions qu’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. En décidant comme elle l’a fait en l’espèce, elle n’a pas commis une telle erreur. Le recours est rejeté.

(30 janvier 2019, Société aéroportuaire de gestion et d'exploitation de Beauvais (SAGEB), n° 419626)

 

Droit social et action sociale

 

22 - Décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail – Recours pour excès de pouvoir tendant à son annulation – Légalité externe et légalité interne du décret – Rejet de l’ensemble des moyens.

Riche et volumineuse décision au texte de laquelle on renvoie pour sa connaissance approfondie : Elle constitue un intéressant examen de nombre de questions concernant souvent, pas de manière exclusive d’ailleurs, le droit social.

(30 janvier 2019, M. X et autres., n° 401681)

 

23 - Licenciement – Salarié protégé – Autorisation de l’inspecteur du travail – Recours hiérarchique au ministre chargé du travail – Délai de recours gracieux ou hiérarchique de deux mois – Délai franc – Inapplicabilité en ce cas des dispositions de l’art. 16 de la loi du 12 avril 2000 – Délai d’acheminement du courrier prévu à l’art. R. 1 du code des postes et communications électroniques – Délai sans caractère impératif – Rejet.

(30 janvier 2019, M. X., n° 410603)

V. la recension de cette décision au n° 48

 

24 - Demande de résiliation judiciaire d’un contrat de travail – Licenciement postérieur à cette demande - Somme versée sur le fondement d’une transaction faisant suite au  licenciement  – Détermination du point de savoir si la rupture du contrat de travail était assimilable ou non à un licenciement sans cause réelle et sérieuse – Obligation pour le juge saisi d’instruire lui-même cette question – Régime de preuve objective et non de preuve subjective à la charge du salarié – Erreur de droit – Cassation.

(30 janvier 2019, M. X., n° 414136)

V. la recension de cette décision au n° 12

 

État-civil et nationalité

 

25 - Ressortissant étranger époux d’une française – Demande d’acquisition de la nationalité française par mariage – Opposition du premier ministre – Indignité du demandeur (art. 21-4 Code civil) – Rejet.

Un ressortissant guinéen marié à une française demande sa naturalisation par suite de son mariage, ce qui lui est refusé pour indignité. En effet, l’intéressé a pris la fuite en 2011 après avoir causé un accident de la circulation. Un mois plus tard, il a conduit un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique et commis des faits de rébellion au moment du contrôle de son taux d’alcoolémie. Il a été condamné, pour ces motifs, à quatre mois d'emprisonnement avec sursis. Trois ans plus tard, il est contrôlé alors qu'il conduisait un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique et pénalement condamné avec retrait du permis de conduire.  

Le Conseil d’État juge qu’en raison du caractère récent de ces faits, le premier ministre n’a pas fait une inexacte application des dispositions du Code civil en refusant, pour motif d’indignité, de lui accorder la nationalité française.

(30 janvier 2019, M. X., n° 417548 ; v., largement comparables en tous points, du même jour : M.X., n° 420198 ; M. X., n° 420673 ; M. X., n° 421072)

 

Fonction publique et agents publics

 

26 - Pension de réversion du fait du décès d’un agent public – Bénéficiaire vivant en état de concubinage notoire – Défaut de déclaration de l’état concubinaire – Répétition de l’indu – Date d’appréciation de la situation – Absence de prescription.

Une personne, bénéficiaire d’une pension de réversion du chef de son époux prédécédé en 1998, vit en état de concubinage notoire depuis 2003. Elle ne déclare sa situation conjugale qu’en juillet 2014. La Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) suspend le versement de cette pension et réclame le paiement de l’ensemble des versements indus. Le recours formé par l’intéressée, d’abord avec succès, devant le tribunal de Toulouse, puis le pourvoi devant le Conseil d’État formé par la CNRACL, soulevaient deux questions de droit importante.

En premier lieu, à quel moment convient-il de se placer pour apprécier les dispositions applicables en l’espèce ? Le Conseil d’État rappelle que « Si, en principe, le droit à pension de réversion est régi par les dispositions en vigueur à la date du décès de l'ayant cause, la restitution des sommes payées indûment au titre d'une pension est soumise, en l'absence de disposition contraire, aux dispositions en vigueur à la date à laquelle l'autorité compétente décide de procéder à la répétition des sommes indûment versées. »

En second lieu, l’illicéité de la situation durant depuis 2003, se posait la question de la prescription de l’action de la Caisse. Le tribunal administratif y avait répondu positivement au visa de l’art. 93 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Le Conseil d’État en juge différemment et avec une certaine sévérité. Il estime que quand bien même il ne se révèle en l’espèce « aucune intention frauduleuse ou mauvaise foi », la situation irrégulière n’a été créée que par le défaut de déclaration, par l’intéressée, de sa nouvelle situation conjugale. Dur, dur…

(28 janvier 2019, Mme X., n° 418832 ; v. aussi, du même jour, dans les mêmes termes : Mme X., 414756 ; v. également, du même jour, à propos de la conclusion, non révélée, d’un PACS, avec même solution : M. X., n° 414805)

 

27 - Magistrats de l’ordre judiciaire – Age limite pour participer au premier concours d’accès à l’École nationale de la magistrature – Condition d’âge – Recul de la limite d’âge – Appréciation.

Une personne se voit refuser la possibilité de participer au premier concours d’accès à l’École nationale de la magistrature à la fois pour raison d’âge et parce qu’elle ne peut bénéficier du recul d’âge limite auquel elle prétend.

Les textes prévoient qu’il faut avoir au plus trente-et-un ans au 1er janvier de l’année du concours d’accès à l’École pour pouvoir y participer. L’intéressée avait trente-et-un ans et douze jours à la date du 1er janvier 2017, année au cours de laquelle elle voulait subir les épreuves de ce concours, elle ne pouvait donc prétendre y participer. Par ailleurs, elle demandait à bénéficier des dispositions de l'article L. 215-3 du code de l'action sociale et des familles qui prévoit que l’âge limite pour se présenter à certains concours est reculé d'un an par enfant à charge ou par personne à charge ouvrant droit aux allocations prévues pour les handicapés.  En l’espèce, la requérante ne pouvait pas se prévaloir de cette faculté car au lendemain de son trente-et-unième anniversaire la personne dont elle avait la charge était décédée depuis plus d’un an. Si cette solution n’est pas nouvelle, en revanche est nouvelle la précision apportée par cet arrêt selon laquelle « il incombe à l'autorité compétente d'apprécier si (une) personne remplit les conditions pour bénéficier du recul de la limite d'âge qu'elles prévoient à la date à laquelle cette limite d'âge lui est devenue opposable ».

(30 janvier 2019, Mme X., n° 422830)

 

28 - Enseignement supérieur – Professeurs d’université – Demande de mutation pour rapprochement des conjoints – Refus de cette procédure directe – Renvoi devant le comité de sélection – Défaut de motivation – Illégalité.

La requérante était candidate à un emploi de professeur des universités. Elle a demandé à être dispensée de la procédure d’examen de candidature par le comité de sélection, sa mutation étant sollicitée au titre du rapprochement des conjoints. Le conseil d’administration de l’université a néanmoins soumis sa candidature, comme les autres, au comité de sélection. Celle-ci n’a pas été retenue et une autre candidate a été nommée.

Le juge, saisie par la candidate évincée, considère qu’était insuffisante la « motivation » du comité de sélection de l’université selon laquelle la « pleine adéquation » de cette candidature avec le profil du poste à pourvoir n’était pas « avérée », alors, surtout, qu’elle ne comportait pas « même sommairement, les raisons pour lesquelles il estimait que la candidature de l'intéressée ne correspondait pas au profil de poste ». Cette délibération est donc annulée.

Il n’en reste pas moins que la personne recrutée à la suite de cette procédure viciée restera définitivement sur son poste, le recours contre le décret présidentiel la nommant dans cette université étant déclaré tardif. Parfaite illustration d’une victoire à la Pyrrhus…

(30 janvier 2019, Mme X., n° 412159)

 

Hiérarchie des normes

 

29 - Impôts, droits et taxes – Disposition fiscale déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel sous réserve – Réserve portant sur le droit de tout contribuable à rapporter la preuve qu’un revenu réel est inférieur au revenu forfaitairement établi par la loi – Existence d’une disposition antérieure relative à une autre imposition forfaitairement établie par la loi – Transposition directe par le juge administratif de la jurisprudence constitutionnelle à cette autre imposition.

Par une décision n° 2016-614 QPC du 1er mars 2017, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions du second alinéa du 3 de l'article 123 bis du code général des impôts, dans sa version issue de la loi du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009, ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au principe d'égalité devant les charges publiques, faire obstacle à ce que le contribuable puisse être autorisé à apporter la preuve que le revenu réellement perçu par l'intermédiaire d’une entité juridique est inférieur au revenu défini forfaitairement en application de ces dispositions, et ne les a déclarées conformes à la Constitution que sous cette réserve.

Dans la présente affaire, les requérants contestaient les dispositions de ce même article, mais dans la version issue de la loi du 30 décembre 1998. Le Conseil d’État a estimé que cette version antérieure au texte examiné par le Conseil constitutionnel étant dans sa substance similaire à celle sur laquelle le Conseil constitutionnel s'est prononcé dans sa décision du 1er mars 2017, celle-ci doit donc être interprétée suivant la même réserve. Solution expédiente, logique et simplificatrice qui doit être approuvée.

(30 janvier 2019, M. et Mme X., n° 407421)

 

Libertés fondamentales

 

30 - Passeport et carte d’identité – Restitution – Urgence dans les circonstances de l’espèce – Atteinte à une liberté fondamentale – Annulation de l’ordonnance de rejet – Injonction de délivrer les titres réclamés.

De cette affaire rocambolesque, il faut retenir tout d’abord qu’il y a urgence, contrairement à ce qui avait été jugé en première instance, à ce qu’une personne se voit délivrer des papiers d’identité (carte d’identité et passeport) sans lesquels elle ne peut mener une vie normale. Il faut ensuite relever que constituent des atteintes à la liberté fondamentale d’un individu les circonstances qu’il ne peut ni disposer d'un titre de séjour en qualité d'étranger, ni effectuer les actes de la vie courante, qu’il a dû renoncer à exercer, de ce fait, son activité professionnelle antérieure et qu’il est donc dans l'incapacité de retrouver un travail. Tout comme il est empêché de se rendre à Madagascar, alors qu'il entend y rechercher les documents prouvant sa filiation française, dans la perspective de la procédure pendante devant la cour administrative d'appel de Marseille, puisqu'il risquerait de ne plus pouvoir revenir en France.

(11 janvier 2019, M. X., n° 426227)

 

31 - Mesure individuelle de contrôle et de surveillance (art. L. 228-2 code de la séc. int.) – Renouvellement au-delà d’une durée de six mois – Absence de justification par des éléments nouveaux – Illégalité – Annulation.

Lorsque la durée totale des différentes périodes d’application des mesures individuelles de contrôle et de surveillance dont une personne fait l’objet, en vertu des dispositions de l’art. L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, a été de six mois, il ne peut pas être procédé à une nouvelle prorogation de ces mesures si celle-ci n’est pas justifiée par des faits nouveaux ou complémentaires. Annulation de l’arrêté litigieux qui a pour effet de porter au-delà de six mois la durée des mesures contestées.

(14 janvier 2019, X., n° 426773)

 

32 - Demandeur d’asile – Conditions matérielles d’accueil devant être décentes – Prise en compte des efforts faits par un département – Saturation des moyens – Absence de vulnérabilité particulière du demandeur – Absence d’obligation de résultat – Rejet.

Cette affaire illustre l’extrême difficulté pour les collectivités à offrir aux demandeurs d’asile des conditions matérielles décentes d’existence pourtant prévues par les textes internes et internationaux. En l’espèce, un ressortissant ukrainien, entré en France avec sa fille mineure, conteste la situation qui lui est faite notamment en matière d’hébergement. Sans nier la réalité des faits, le juge rejette la requête en prenant en compte les efforts déjà faits par le département, la saturation de tous les moyens d’hébergement, l’absence de vulnérabilité particulière qui pourrait en résulter pour l’intéressé, le caractère prioritaire d’autres demandeurs par rapport à lui ; il considère que c’est sans erreur de droit ou de fait que le premier juge a estimé qu’il ressortait de ces divers éléments que ne peut être reprochée à la collectivité aucune carence manifeste dans son comportement.

(15 janvier 2015, M. X., n° 426829)

 

33 - Étranger titulaire d’un titre de séjour délivré à Mayotte – Validité limitée à ce département – Nécessité pour le titulaire d’un tel titre désirant se rendre dans un autre département français d’obtenir une autorisation spéciale – Impossibilité de solliciter, dans ce dernier département, aux conditions de droit commun, la délivrance d’une carte de séjour temporaire.

La cour administrative d’appel de Paris pose la question suivante au Conseil d’État : « Les dispositions de l'article L. 832-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile font-elles obstacle à ce que les ressortissants étrangers titulaires d'un titre de séjour délivré par le représentant de l'État à Mayotte et dont la validité est limitée à ce département puissent, lorsqu'ils ont gagné, régulièrement ou non, un autre département français et s'y maintiennent, y obtenir un titre de séjour dans les conditions de droit commun et notamment, s'agissant des parents d'un enfant de nationalité française, s'y voir délivrer de plein droit une carte de séjour temporaire dans les conditions prévues par les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du même code ? »

Le Conseil d’État répond tout d’abord qu’il résulte des dispositions de l'article L. 832-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que les titres de séjour délivrés à Mayotte n'autorisent le séjour que sur le territoire de Mayotte.

Ensuite, il relève que ce même texte précise que les étrangers qui souhaitent, à partir du document obtenu pour séjourner à Mayotte, se rendre dans un autre département français, doivent obtenir une autorisation spéciale appelée « visa » par cette disposition mais qui n’est pas, au sens propre du terme figurant dans les conventions internationales, un « visa ». Ceci exclut donc la possibilité pour ces personnes d’obtenir dans le département français où elles souhaitent séjourner, la délivrance d’une carte de séjour temporaire aux conditions de droit commun.

Egalement, cela implique donc que cette autorisation spéciale ne puisse être délivrée que sous conditions que l'étranger établisse les moyens d'existence lui permettant de faire face à ses frais de séjour et les garanties de son retour à Mayotte.

Enfin, il résulte implicitement de ce qui précède qu’en ce cas la validité territoriale du titre de séjour qui a été délivré à Mayotte est étendue pour une durée qui ne peut en principe excéder trois mois.

(Avis, 30 janvier 2019, Mme X., n° 424581)

 

34 - Détenu – Fouilles intégrales – Conditions de régularité – Contestation – Demande de réparation du préjudice subi – Rejet.

Un détenu se plaint d’avoir subi à plusieurs reprises des fouilles intégrales et sollicite la réparation des préjudices en résultant. Sa demande ayant été rejetée en première instance, il saisit le Conseil d’État en sa qualité de juge de cassation.

Le juge rappelle les conditions de régularité des fouilles intégrales, celles-ci n’ayant qu’un caractère subsidiaire, d’une part, elles doivent être nécessaires et proportionnées, d’autre part, elles doivent se dérouler dans des conditions ne portant pas atteinte à la dignité de la personne humaine.

En l’espèce, le Conseil d’État reproche aux premiers juges de s’être bornés à dire que dès lors que le recours aux fouilles intégrales n’est pas injustifié il ne saurait être entaché d’illégalité fautive alors qu’étant une mesure subsidiaire, devaient être vérifiés sa nécessité et sa proportionnalité au cas particulier qui était en cause ainsi que son accomplissement effectué dans des conditions respectueuses de la dignité des personnes, d’où l’annulation du jugement.

Statuant au fond, il est relevé que l’intéressé a fait l’objet d’une telle mesure au moment où il allait être procédé à son extraction pénitentiaire pour des raisons médicales. En cette circonstance, la mesure de fouille intégrale, bien que subsidiaire, n’était pas injustifiée ni disproportionnée et il ne résulte pas de l’instruction qu’il y aurait été procédé de façon à attenter à la dignité du détenu.

(30 janvier 2019, M. X., n° 416999)

 

35 - Ressortissant russe fiché « S » – Retrait par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) de sa qualité de réfugié – Annulation de ce retrait par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Absence de mesure d’instruction sur ce point de la part de la CNDA – Cassation.

Un ressortissant russe d’origine tchétchène, jusque-là bénéficiaire de la qualité de réfugié, se la voit retirer par décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), ce dernier ayant découvert son inscription sur le fichier des personnes recherchées dit fichier « S ».

Sur recours de l’intéressé la CNDA a annulé le retrait de sa qualité de réfugié au motif que ni ses séjours répétés en Russie ni la possession d’un passeport russe n’étaient de nature à caractériser un acte d’allégeance de sa part. De plus, n’était pas mentionné le motif de l’inscription de cette personne sur le fichier « S ». Ainsi n’apparaissait point de raison sérieuse permettant de considérer la présence du requérant sur le sol français comme pouvant constituer une menace pour la France.

L’OFPRA saisit le Conseil d’État. Celui-ci juge que si l'inscription d'une personne dans le fichier « S » ne suffit pas, par elle-même, à établir qu’elle constitue une menace grave pour la sûreté de l'État (art. L. 711-6, 1° du CESEDA), il appartient au juge de l'asile de se forger une conviction au vu de l'argumentation des parties sur ce point dans le cadre de la procédure contradictoire et il ne saurait dénier toute force probante à l'inscription au fichier « S » sans user de ses pouvoirs d'instruction pour recueillir toutes informations pertinentes, notamment auprès du ministre de l'intérieur, qu'il peut appeler dans l'instance afin qu'il apporte au débat contradictoire tous éléments et informations sur les circonstances et les motifs de l'inscription en cause. En l’espèce ce n’est point cette attitude qui a été adoptée par la Cour qui s’est méprise sur le fait qu’il s’agissait d’établir non une preuve subjective –laquelle eût incombé au réfugié - mais bien une preuve objective. En méconnaissant ainsi son office, la Cour a commis une erreur de droit ; l’affaire lui est renvoyée.

(30 janvier 2019, M. X., n° 416013)

 

36 - Accident vasculaire cérébral – Conscience minimale moins ou état végétatif – Décision médicale de ne plus traiter de nouvelles complications et de procéder à une extubation sans réintubation – Respiration autonome – État stable – Respect de la dignité de la personne – Annulation de l’ordonnance des premiers juges.

Les médecins en charge d’une patiente hémiplégique depuis plusieurs années, ayant subi récemment un accident vasculaire cérébral, ont estimé le 13 juillet 2018, au vu de son état, "de ne pas traiter de nouvelles complications" ou "défaillances d'organes" et "de procéder à une extubation sans réintubation".

Ils s’appuyaient pour cela sur une expertise indépendante.

Ces décisions sont contestées par la famille mais le juge des référés de première instance rejette sa demande de suspension des décisions susindiquées.

Le Conseil d’État, saisi par la famille, annule cette ordonnance de rejet au motif que postérieurement aux décisions médicales la patiente a été progressivement déconnectée du respirateur pendant la journée de sorte que depuis plusieurs semaines, elle respire pendant la journée sans le secours d'une ventilation artificielle et qu'ainsi que l'a confirmé le second expert, un "sevrage complet du respirateur est possible". Cette circonstance, associée à un état stable de l'intéressée, conduit le juge à regarder, à la date où il statue, la décision du 13 juillet 2018 comme reposant en partie sur des éléments qui ne sont plus susceptibles d'en justifier la mise en œuvre, compte tenu des évolutions de l'état de la patiente constatées notamment par le second expert et des soins qui, depuis lors, lui ont été apportés.  Par suite, la privation totale de respirateur pouvant intervenir à tout moment, il y a lieu, dès lors, d'annuler, sur ce point, l'ordonnance du juge des référés et il appartient à l'autorité médicale, si elle l'estime nécessaire, de mettre à nouveau en œuvre les dispositions pertinentes du code de la santé publique.  

(ord. réf., formation collégiale, 17 janvier 2019, Mme X. et autres, n° 424042)

 

37 - Étranger non ressortissant de l’Union européenne, de l’EEE ou de Suisse,  âgé de plus de 18 ans séjournant plus de trois mois en France pour motif professionnel – Obligation d’obtenir une carte de séjour – Étranger provenant d’un pays tiers, en séjour régulier dans un pays de l’UE et détaché en France – Obligation maintenue - Atteinte à la libre prestation de services (art. 56 TFUE) – Non – Instauration d’une autorisation préalable au détachement de travailleurs entre pays membres de l’UE – Non.

L’affaire est intéressante et soulève un délicat point de droit. Le séjour des étrangers extérieurs aux pays de l’Union est réglementé assez strictement lorsque ceux-ci, majeurs, exercent une activité professionnelle : ils doivent obtenir une carte de séjour. En revanche, cette exigence ne s’applique pas lorsque la personne est ressortissante de l’un des pays de l’Union ou de l’Espace économique européen (EEE) ou de Suisse.

En l’espèce, un ressortissant équatorien séjournait régulièrement en Espagne puis a fait l’objet d’un détachement pour occuper un poste en France. Relevait-il de la procédure applicable entre ressortissants des pays précités ou bien de la procédure commune aux étrangers (art. L. 311-1 et suivants du CESEDA) ? La réponse du Conseil d’État, qui pourrait sembler sévère, est logique et, somme toute, bienvenue : faute que ce ressortissant équatorien ait sollicité et obtenu une carte de séjour en France, il ne pouvait y demeurer plus de trois mois. Passée cette durée il se trouvait en situation irrégulière.

Vainement étaient soulevées deux objections qui n’avaient qu’une apparence de logique. D’une part, il était allégué qu’exiger une carte de séjour en ce cas revenait à instaurer un régime d’autorisation préalable au détachement de travailleurs entre pays membres de l’UE. D’évidence, on ne saurait confondre le régime du détachement de non ressortissants de l’Union avec celui fixé par les traités européens pour les seuls ressortissants de l’Union.

D’autre part, était invoquée l’atteinte à la libre prestation de services qui est un des fondements du droit de l’Union. Là aussi, la réponse est la même : cette libre prestation est reconnue au bénéfice de tous les ressortissants de l’UE non à celui des non ressortissants même lorsqu’ils séjournent depuis longtemps dans un pays de l’Union.

(30 janvier 2019, M. X. et société Terra Fecundis, n° 415818)

 

Police

 

38 - Animaux non domestiques – Végétaux non cultivés – Régime de détention – Arrêté du 8 octobre 2018 fixant les règles générales de détention d'animaux d'espèces non domestique pris pour l’application de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages – Coexistence d’un régime d’autorisation préalable et d’un régime de déclaration préalable – Cas des jeunes animaux – Condition d’urgence satisfaite – Existence d’un doute sérieux – Suspension, dans cette mesure, de l’arrêté attaqué.

En matière de production, de ramassage, de récolte, de capture, de détention, de cession à titre gratuit ou onéreux, à travers tout support, y compris numérique, d'utilisation, de transport, d'introduction quelle qu'en soit l'origine, d'importation sous tous régimes douaniers, d'exportation, de réexportation de tout ou partie d'animaux d'espèces non domestiques et de leurs produits ainsi que de tout ou partie de végétaux d'espèces non cultivées et de leurs produits, la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ajoute un régime de déclaration préalable à celui d’autorisation préalable déjà existant.

Les associations requérantes assortissent d’un référé suspension leur demande d’annulation de l’arrêté du 8 octobre 2018 fixant les règles générales de détention d'animaux d'espèces non domestiques pris pour l’application de la loi du 8 août 2016. Le Conseil d’État retient deux de leurs arguments, l’un relatif à l’urgence, l’autre à l’existence, en l’état, d’un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté litigieux.

Concernant l’urgence, si plusieurs des arguments invoqués sont rejetés par le juge, l’un d’entre eux est retenu. C’est celui tiré de ce que le tableau annexé à l’arrêté prévoit que les seuils qu'il fixe ne concernent que des animaux adultes, l'arrêté permettrait ainsi la détention sans aucune formalité de bébés animaux et de juvéniles appartenant à des espèces protégées et en particulier de jeunes félins dont la détention est à la mode. Si le juge accepte d’y voir une erreur de l’administration non son intention réelle, il n’en relève pas moins que « Cette formulation pourrait, dans un contexte où existent des réseaux de trafic d'animaux, être utilisée par ces réseaux pour proposer à la vente des bébés animaux en contournant les interdits formulés par d'autres textes et en portant atteinte à la conservation des espèces, au bien-être animal ou à la sécurité des personnes. » De là découle une situation d'urgence. 

Concernant l’existence d’un moyen de nature à créer un doute  sérieux, le juge retient le moyen tiré de ce que, en se référant exclusivement à des effectifs d'animaux adultes en ce qui concerne les animaux dont la détention nécessite une autorisation à partir d'un seul spécimen, sans prévoir de formalité obligatoire préalable à la détention de jeunes animaux appartenant à des espèces protégées ou à des espèces dangereuses, l'arrêté attaqué méconnaîtrait l'article L. 412-1 du code de l'environnement. La suspension est ordonnée.

(23 janvier 2019, Associations One Voice, Sea Shepherd France, Le Biome, Centre Athenas et Wildlife Angel, n° 426257)

 

Procédure contentieuse

 

39 - Référé suspension – Certificat d’économie d’énergie et obligation d’économie d’énergie – Fioul domestique – Modification des seuils – Absence d’urgence établie – Balance des intérêts en présence – Rejet.

Un décret a baissé le seuil applicable aux obligations d'économies d'énergie des acteurs de la filière "carburant" et leur impose de nouvelles charges. Les sociétés requérantes sollicitent la suspension de ce texte qui mettrait en péril la pérennité de leurs entreprises. Le Conseil d’État rejette cette demande par le double motif qu’elles ne démontrent pas avec précision en quoi elles seraient menacées de péril à court terme, ce qui caractériserait l’urgence, et que cette réglementation poursuit un objectif de préservation de l'environnement. Enfin, le Conseil d’État doit statuer prochainement sur le fond de cette requête.

(11 janvier 2019, Sociétés Fioul 83 et Boudret SAS, n° 426517)

 

40 - Référé suspension – Décision suspendant les certificats d’examen de trois types d’éthylomètres portables – Rejet pour absence de moyens sérieux – Obligation d’analyser tous les moyens soulevés – Absence de l’un d’entre eux – Annulation de l’ordonnance.

Le ministre de l’Économie a suspendu les certificats d’examen de trois types d’éthylomètres que la société requérante commercialise. Celle-ci a sollicité en vain des premiers juges la suspension de ces décisions dont elle demandait par ailleurs l’annulation pour excès de pouvoir.

Pour rejeter sa requête, le juge des référés s’est borné à indiquer qu’aucun des moyens soulevés ne lui paraissait, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées.

Le Conseil d’État admet cette façon de procéder sous la condition que tous les moyens aient été effectivement et complètement analysés. Ce n’était pas le cas, l’un d’entre eux, comme le prétendait la société requérante, n’ayant pas été visé.

Cette omission entraîne l’annulation de l’ordonnance.

(30 janvier 2019, Société Alcolock France, n° 412736)

 

41 - Référé suspension – Condition d’urgence – Existence d’une présomption d’urgence sauf exception limitée.

L’une des deux conditions nécessaires à l’obtention d’une suspension par voie de référé (art. L. 521-1 CJA) est la justification de l’existence d’une urgence à statuer.

En l’espèce, était contestée une décision de préemption prise par une collectivité publique. Le Conseil d’État rappelle, comme il en va d’ailleurs le plus souvent également en matière de référé suspension dirigé contre un permis de construire, que les contestations d’une décision de préemption, en raison des effets qui lui sont attachés, bénéficient d’une présomption d’urgence qui ne peut être écartée que dans le cas où le titulaire du droit de préemption justifierait de circonstances particulières, pour exercer son droit de préemption.

(30 janvier 2019, SCI du Mijoulan, n° 421740)

 

42 - Animaux non domestiques – Végétaux non cultivés – Régime de détention – Arrêté du 8 octobre 2018 fixant les règles générales de détention d'animaux d'espèces non domestique pris pour l’application de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages – Coexistence d’un régime d’autorisation préalable et d’un régime de déclaration préalable – Cas des jeunes animaux - Condition d’urgence satisfaite – Existence d’un doute sérieux – Suspension, dans cette mesure, de l’arrêté attaqué.

(23 janvier 2019, Associations One Voice, Sea Shepherd France, Le Biome, Centre Athenas et Wildlife Angel, n° 426257)

Voir au n° 38

 

43 - Détermination du point de savoir si la rupture d’un contrat de travail est assimilable ou non à un licenciement sans cause réelle et sérieuse – Obligation pour le juge saisi d’instruire lui-même cette question – Régime de preuve objective et non de preuve à la charge du salarié – Erreur de droit – Cassation.

(30 janvier 2019, M. X., n° 414136)

V. au n° 12

 

44 - Décision implicite de rejet d’une demande relevant du plein contentieux – Demande introduite avant le 1er janvier 2017 – Substitution, par le décret du 2 novembre 2016, à la durée jusque-là infinie du délai de recours sauf décision expresse, d’une limitation dans le temps – Conditions d’entrée en vigueur de la règle nouvelle.

Saisi du recours d’un agent public relatif à des bonifications d’ancienneté non obtenues, un tribunal administratif pose au Conseil d’État, selon la procédure de l’avis contentieux (art. 113-1 CJA), la question de savoir quel est le délai de recours applicable aux décisions implicites de rejet d'une demande indemnitaire préalable, postérieurement à la modification des articles R. 421-1 et R. 421-3 du code de justice administrative par le décret du 2 novembre 2016 portant modification de ce code.

On sait que la durée du délai de recours contre une décision implicite de rejet était traditionnellement, dans les litiges de plein contentieux, infinie, sauf si la décision de refus avait été régulièrement notifiée à l’intéressé sous forme expresse. En ce cas, le délai était de deux mois à compter de cette notification. Le décret du 2 novembre 2016, entré en vigueur le 1er janvier 2017, a abandonné ce régime pour aligner le délai de recours contentieux contre toutes les décisions implicites, qu’elles relèvent du plein contentieux ou non, sur une même durée de deux mois. Si cette innovation ne pose pas de problèmes pour les décisions implicites constituées après le 1er janvier 2017, lesquelles sont soumises au nouveau système, une difficulté surgit pour celles des décisions implicites nées avant le 1er janvier 2017.

Le juge rappelle le principe général du droit selon lequel, en matière de délai de procédure, il ne peut être rétroactivement porté atteinte aux droits acquis par les parties sous l'empire des textes en vigueur à la date à laquelle le délai a commencé à courir.

Ainsi, théoriquement, les décisions implicites constituées avant le 1er janvier 2017 devraient pouvoir continuer à relever du régime du délai perpétuel de recours.

Toutefois, le décret du 2 novembre 2016, ne créait pas de droit acquis à ce que tout refus tacite antérieur reste, en matière de plein contentieux, indéfiniment susceptible d'être contesté car nul n’a de droit au maintien des dispositions d’un acte réglementaire ou législatif. La situation antérieure conférait seulement aux intéressés le droit à ce que le délai de recours contre un tel refus ne courre qu'à compter du moment où, comme indiqué plus haut, ce refus était explicitement et régulièrement porté à leur connaissance.

Par suite, les recours contentieux dirigés contre des décisions implicites de rejet relevant du plein contentieux nées avant le 1er janvier 2017 devaient être introduits au plus tard dans les deux mois francs à compter du 1er janvier 2017, date d’entrée en vigueur de la règle nouvelle, soit, au plus tard, enregistrés dans la journée du jeudi 2 mars 2017.

Enfin, car les choses même simplifiées demeurent complexes, il convient de combiner ce qui précède avec la règle générale de droit positif (art. L. 112-6 CRPA) selon laquelle  les délais de recours contre une décision tacite de rejet ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception prévu par l'article L. 112-3 CRPA ne lui a pas été transmis ou que celui-ci ne porte pas les mentions prévues à l'article R. 112-5 de ce même code et, en particulier, dans le cas où la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet, la mention des voies et délais de recours. A défaut – situation qui semble fréquente - ce sera le retour à l’ancien système du moins tant qu’une décision expresse de rejet ne sera pas notifiée à l’intéressé, ouvrant alors le délai de deux mois.

(Avis, 30 janvier 2019, M. X., n° 420797)

 

45 - Bénéfice de l’aide juridictionnelle – Part contributive de l’État – Mise à la charge de la partie perdante d’une somme insuffisante – Admission et bien-fondé de l’appel.

Une avocate ayant représenté avec succès son client dans une instance en référé-provision estime insuffisante la somme de 250 euros que lui a allouée le juge des référés au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 selon lequel ce montant ne saurait être inférieur à celui de la part contributive de l'État, soit 307,20 euros. Par suite la requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés n’a mis à la charge de l'État au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 une somme de 250 euros, inférieure au montant de la part contributive de l'État. L'ordonnance est donc annulée dans la mesure où elle statue sur les frais non compris dans les dépens.

(15 janvier 2019, Maître X., n° 426189)

 

46 - Livre V du code de justice administrative – Mise en œuvre par le juge administratif seulement si la mesure ressortit à sa compétence – Contestation de jugements d’un TGI – Irrecevabilité - Incompétence du juge saisi.

Saisi de recours dirigés contre des jugements du TGI de Dijon et une décision de non-levée d’écrou, le Conseil d’État constate, pour la rejeter, que cette action ne relève pas de sa compétence directe en premier et dernier ressort. En réalité il aurait été plus judicieux d’évoquer l’incompétence de toute juridiction administrative pour connaître d’un contentieux purement judiciaire.

(21 janvier 2019, M. X., n° 426215)

 

47 - Éducation nationale – Circulaire du 15 mars 2017 relative à l'amélioration du dispositif de remplacement des personnels enseignants – Acte visant les personnels des premier et second degrés – Action introduite par un syndicat représentant les personnels du second degré – Irrecevabilité partielle de son recours pour défaut d’intérêt à agir.

Une circulaire du ministre de l’éducation nationale précise les conditions de remplacement des personnels enseignants des premier et second degrés absents pour divers motifs.

Or l’action est introduite par un syndicat représentant uniquement les personnels du second degré. Celui-ci n’a donc pas qualité et, partant, intérêt à agir contre ce document en tant qu’il concerne les personnels du second degré. Il est ainsi partiellement irrecevable.

La solution eût été différente si les dispositions en cause avaient été indivisibles : en ce cas l’irrecevabilité aurait été totale.

(30 janvier 2019, Syndicat national des enseignements de second degré, n° 410518)

 

48 - Licenciement – Salarié protégé – Autorisation de l’inspecteur du travail – Recours hiérarchique au ministre chargé du travail – Délai de recours gracieux ou hiérarchique de deux mois – Délai franc – Inapplicabilité en ce cas des dispositions de l’art. 16 de la loi du 12 avril 2000 – Délai d’acheminement du courrier prévu à l’art. R. 1 du code des postes et communications électroniques – Délai sans caractère impératif – Rejet.

Le salarié protégé dont le licenciement a été autorisé par l’inspecteur du travail dispose, en vertu de l’art. R. 2422-1 du code du travail, d’un délai de deux mois pour saisir le ministre chargé du travail d’un recours hiérarchique dirigé contre cette autorisation. Tranchant une difficulté récurrente née d’une combinaison malencontreuse des dispositions applicables, le Conseil d’État adopte la solution suivante.

Le délai de deux mois institué par ce texte se réfère « à la règle générale du contentieux administratif selon laquelle un recours gracieux ou hiérarchique contre une décision administrative doit être exercé avant l'expiration du délai de recours contentieux pour interrompre ce délai. » D’où le juge déduit que le délai prévu à l’article précité du code du travail a, comme le délai de recours contentieux qu’il interrompt, la nature d’un délai franc.

Par voie de conséquence, le respect de ce délai s’apprécie à la date de réception par le ministre du pli contenant le recours.

Cependant, l’art. 16 de la loi du 12 avril 2000 introduit une difficulté puisqu’il dispose notamment que :  " Toute personne tenue de respecter une date limite ou un délai pour présenter une demande (...) auprès d'une autorité administrative peut satisfaire à cette obligation au plus tard à la date prescrite au moyen d'un envoi de correspondance, le cachet apposé par les prestataires de services postaux (...) faisant foi (...) ". D’où une question : la date d’expiration du délai qui doit être prise en compte en l’espèce est-elle celle de l’émission ou envoi du recours gracieux/hiérarchique ou celle de sa réception par le ministre ? Le Conseil d’État, dans la logique de la nature du recours qu’il a retenue plus haut, décide que cet article ne saurait avoir d’incidence sur l'application des règles relatives à la recevabilité des recours contentieux. Par suite, il ne régit donc pas la computation du délai du recours gracieux/hiérarchique visé à l’art. R. 2422-1 du code précité.

C’est donc à bon droit que la cour a jugé entaché de tardiveté le recours formé par le requérant. 

Celui-ci invoquait un autre argument, original, mais en vain. Selon l’art. R. 1 du code des postes et communications électroniques, en vertu des exigences du service universel telles qu’elles sont conçues par le droit de l’Union européenne "les envois prioritaires relevant du service universel postal sont distribués le jour ouvrable suivant le jour de leur dépôt", délai non respecté en l’espèce. Le juge décide que ce délai n’a pas de caractère impératif, ce qui peut se discuter au regard des finalités du droit de l’Union en matière de service universel. De plus, il relève le défaut de diligence du requérant qui, alors que le délai expirait le 16 août, a posté son envoi le 14 août qui est veille d’un jour férié.

(30 janvier 2019, M. X., n° 410603)

 

49 - Observations du Défenseur des droits en justice – Intervention spontanée ou sur demande – Décision non détachable de la procédure juridictionnelle – Observations devant la cour d’appel de Paris – Contestation devant le juge administratif – Incompétence de la juridiction administrative.

La loi organique du 28 mars 2011 permet au Défenseur des droits de présenter des observations devant une juridiction civile, administrative ou pénale, soit d'office, soit à l'invitation de cette juridiction. Celui-ci étant intervenu devant la cour d’appel de Paris dans le cadre d’un litige entre la société requérante et une ancienne salariée, cette société a contesté, par la voie d'un recours pour excès de pouvoir, la décision du Défenseur des droits de présenter des observations. Cette action a été déclarée irrecevable successivement par le tribunal administratif et par la cour administrative d’appel, d’où la saisine du juge de cassation.

Le Conseil d’État juge que les observations du Défenseur des droits ne sont pas détachables de la procédure juridictionnelle dans le cadre de laquelle elles sont faites. En l’espèce, elles ne sont pas détachables de la procédure judiciaire : le juge administratif était incompétent pour en connaître. C’est donc par erreur de droit que les juges du fond ont déclaré l’action de la société Exane irrecevable puisque, normalement, les questions de compétence priment les questions de recevabilité, d’où la cassation prononcée. Elles eussent dû se déclarer incompétentes pour en connaître.

(30 janvier 2019, Société Exane, n° 411132)

 

Professions réglementées

 

50 - Avocats – Ordonnance n° 2016-1809 du 22 décembre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles de professions réglementées – Habilitation accordée au gouvernement de transposer des directives de l’Union au moyen d’ordonnances de l’art. 38 de la Constitution – Contestation en la forme et au fond des dispositions de l’ordonnance – Invocation d’une QPC rejetée – Rejet de l’ensemble des moyens.

Par sept recours, des organisations professionnelles d’avocats contestaient la constitutionnalité et la légalité de l’ordonnance portant transposition en droit interne de directives relatives aux professions réglementées, dont fait partie la profession d’avocat. Cela donne l’occasion d’une longue décision en raison du nombre des requérants et des griefs.

On se borne à y renvoyer.

On observera le refus – justifié - d’adresser une QPC (voir n° 55).

Aucun des arguments soulevés n’a trouvé grâce au Palais-Royal.

(30 janvier 2019, Ordre des avocats à la cour d'appel de Paris et autres, n° 408258)

 

51 - Médecin – Cotation des actes médicaux – Association de plusieurs actes médicaux – Sanction disciplinaire – Absence de vérification du caractère continu de ces actes par la juridiction disciplinaire – Annulation et renvoi à celle-ci.

La section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance de Languedoc-Roussillon de l'ordre des médecins sanctionne un médecin au motif d’avoir procédé sur un même patient aux trois actes d'endoscopie nasale, de tympanométrie et d'injection d'extrait allergénique pour désensibilisation, sans les facturer selon les règles applicables à une association d'actes mais chacun d’eux pour sa cotation propre. Alors que selon la réglementation en vigueur, la tarification d'actes compris dans une "association d'actes" ne peut concerner qu'au plus deux de ces actes et doit, sauf situation dite "d'incompatibilité" ne permettant pas la tarification de deux actes distincts, respecter la règle selon laquelle : "L'acte dont le tarif hors modificateurs est le plus élevé est tarifé à taux plein, le second est tarifé à 50 % de sa valeur ".

Elle prononce donc contre l’intéressée une interdiction de donner des soins aux assurés sociaux pendant une durée de trois mois, dont deux mois assortis du sursis. Saisie en appel, la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins a, pour l’essentiel, confirmé la décision des premiers juges. Le Conseil d’État, sur pourvoi, l’annule car il n’a pas été recherché par la juridiction ordinale si ces trois actes, réalisés par le même médecin sur le même malade, l'avaient été successivement et de manière continue. La solution peut sembler bien généreuse pour le praticien en cause.

(30 janvier 2019, Mme X., n° 412320)

 

52 - Médecin – Suspension temporaire d’exercice de la médecins – Décision du conseil national de l’ordre – Médecin n’étant pas, alors, en exercice – Légalité.

Un médecin est suspendu d’exercer la médecine par le conseil national de l’ordre des médecins, en raison d'insuffisances professionnelles rendant dangereux l'exercice de sa profession et il lui est fait obligation de suivre une formation pendant la durée de la suspension. Le Conseil d’État, saisi d’un recours de l’intéressé contre ces décisions apporte ou rappelle un certain nombre de précisions.

Tout d’abord, il s’agit là, de la part, de l’instance ordinale, de l’exercice d’un pouvoir administratif et non d’un pouvoir disciplinaire. L’acte de suspension, s’il doit être motivé, n’a pas à répondre aux arguments et critiques de son destinataire.

Ensuite, outre plusieurs autres critiques de forme contre cette mesure, le requérant soutenait qu’il ne pouvait pas en faire l’objet alors qu’il n’était plus inscrit au tableau de l’ordre. Le juge estime, et c’est là un point important de la décision, que les dispositions de l’art. R. 4124-3-5 du code de la santé publique permettent au conseil national de l’ordre de prendre une telle mesure même dans cette circonstance.

(30 janvier 2019, M. X., n° 417342)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

53 - Code minier, art. L. 132-16 – Redevance pour concession de mines d’hydrocarbure – Augmentation importante et brutale du montant de la redevance – Caractère sérieux de la question – Renvoi.

La loi de finances rectificative du 28 décembre 2017, rétroactive au 1er janvier 2017, fixe les nouveaux montants de redevance dus par les titulaires de concessions de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux. La Société requérante estime contraire à la Constitution une disposition législative qui accroit de 120% le montant d’une redevance d’une année sur l’autre. Le Conseil d’État juge sérieuse la QPC ainsi fondée sur la brutalité et l’ampleur des effets d’une règle nouvelle et la renvoie au Conseil constitutionnel.

(11 janvier 2019, Société Vermilion REP, n° 424920)

 

54 - Répartition des crédits entre les actions de différents programmes – Caractère purement prévisionnel – Mode d’information du parlement – Absence de caractère contraignant pour le gouvernement – Absence de nature législative au sens et pour l’application de l’art. 61-1 de la Constitution – Non transmission de la question ainsi soulevée.

Un mandataire judiciaire, à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir en annulation du décret du 31 août 2018  relatif au financement des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, soulève une QPC  portant sur les dispositions de l'action 16 "protection juridique des majeurs" du programme 304 du bleu budgétaire de la mission "solidarité, insertion et égalité des chances" annexé au projet de loi de finances pour 2018 ; celles-ci ne seraient pas conformes aux alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946 et aux principes d'égalité, d'égalité d'accès au service public, d'égalité devant les charges publiques, d'égalité devant la justice et d'accès au droit, garantis par les articles 1er, 6, 13 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Pour rejeter cette demande, le juge relève que les prévisions relatives à la répartition des crédits entre les actions des différents programmes, qui sont destinées à l'information du Parlement et ne revêtent pas de caractère contraignant pour le Gouvernement, ne peuvent, en tout état de cause, être regardées comme des dispositions législatives au sens et pour l'application de l'article 61-1 de la Constitution. Il n’y a donc pas lieu de renvoyer la question posée.

(28 janvier 2019, M. X., n° 425138)

 

55 - Lois habilitant le gouvernement à prendre des ordonnances de l’art. 38 de la Constitution – Impossibilité de former une QPC à leur encontre – Rejet.

Selon le Conseil d’État, les lois qui se bornent à délimiter le champ de l'habilitation donnée au Gouvernement sur le fondement de l'article 38 de la Constitution pour prendre par ordonnance des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ne sont pas, par leur nature même, susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.

En effet, en permettant au Gouvernement de prendre certaines mesures, elles n’en fixent ni les modalités ni le contenu et donc, par elle-même, une telle désignation ne saurait porter une atteinte directe aux droits et libertés constitutionnellement garantis.

Il en irait sans doute différemment dans le cas où la loi d’habilitation comporterait des indications précises portant atteinte à des droits et libertés garanties par la Constitution que l’ordonnance serait ainsi autorisée à violer.

(30 janvier 2019, Ordre des avocats à la cour d'appel de Paris et autres, n° 408258)

 

Responsabilité

 

56 - Indemnisation des victimes d’essais nucléaires français – Présomption légale de lien de causalité entre le temps et le lieu de l’activité et la pathologie développée (lois du 5 janvier 2010 et du 28 février 2017, décret du 15 septembre 2014) – Présomption ne pouvant être combattue que par la preuve de l’existence d’une cause étrangère à l’apparition de la pathologie – Absence de cause démontrée – Obligation de réparer.

Une personne employée de juillet 1986 à juillet 1987 à Mururoa, déclarée porteuse d’un cancer du rein en 2009, en a imputé la cause à son activité antérieure et a sollicité réparation du dommage en résultant sur le fondement des lois du 5 janvier 2010 et du 28 février 2017. Le ministre ayant refusé toute indemnisation pour défaut de lien de causalité, la justice est saisie. La cour de Bordeaux ayant, à la différence des premiers juges, annulé le refus du ministre et enjoint au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) de réexaminer la demande d'indemnisation de l'intéressé, le ministre des armées se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État rappelle vigoureusement que les lois précitées et leur décret d’application ont entendu instituer, sous le respect des conditions de temps, de lieu et de pathologie qu’elles édictent, une présomption de lien de causalité entre emploi à Mururoa et pathologie liée aux radiations ionisantes. Il en résulte que seule la preuve d’une cause étrangère à ces radiations comme étant exclusivement à l’origine de la pathologie invoquée, est susceptible d’exonérer la puissance publique de sa responsabilité. Il faut entendre par là qu’il ne suffit pas d’établir que l’exposition aux effets des tirs nucléaires n’a pas pu être cause de la pathologie, il faut encore prouver quelle est cette cause étrangère.

C’est pourquoi, en l’espèce, les juges considèrent que ne peuvent faire échec à la présomption légale ni le fait que la pathologie soit apparue plus de vingt ans après la cessation de la présence de la victime à Mururoa, ni la circonstance qu'aucun tir atmosphérique ou souterrain n'aurait été réalisé durant le séjour de la victime, ni sur le lieu de son affectation à Mururoa, éloigné de la zone souterraine de tirs, ni, non plus, sur le fait que l’intéressé n'a pas eu accès à la zone où ont été réalisés huit tirs souterrains confinés au cours de son séjour ; pas davantage ne constitue la preuve d’une cause étrangère, la circonstance que les résultats du dosimètre individuel et de l'examen anthropogammamétrique n'ont rien révélé d'anormal. Pour renverser la présomption de lien de causalité, il aurait fallu que l’Administration établisse que la pathologie de la victime résultait exclusivement d'une cause certaine et identifiée, étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires.

Rejet du pourvoi par confirmation de l’arrêt d’appel.

(28 janvier 2019, Ministre des armées, n° 419830 ; du même jour, pour une solution identique appliquée à la demande de la veuve de la personne atteinte de pathologie : MM. X. venant aux droits de Mme X., n° 417999 ; du même jour également :  Mme X., n°420356)

 

Santé publique

 

57 - Conseil départemental des Bouches-du-Rhône de l’ordre des médecins – Difficultés de fonctionnement – Dissolution de ce conseil par le directeur de l’Agence régionale de santé (ARS) – Nécessité d’assurer la continuité du service public – Nomination, en remplacement, par une délégation de cinq membres – Légalité.

Constatant les difficultés de fonctionnement d’un conseil départemental de l’ordre des médecins, le directeur de l’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur en prononce la dissolution par arrêté du 4 juillet 2018 et nomme une délégation de cinq membres pour assurer la continuité du service.

Cette mesure est contestée par les intéressés qui en obtiennent la suspension par le juge administratif.

Saisi d’un pourvoi du ministre de la santé, le Conseil d’État annule les ordonnances du premier juge et confirme le bien-fondé de la mesure de dissolution eu égard aux éléments portés à la connaissance de l’Administration et du juge. La solution, assez innovante, s’explique, pour l’essentiel, par les effets du principe de continuité des services publics, directement applicable ici en raison des missions de service public incombant à l’ordre des médecins (Ass. 2 avril 1943, Bouguen, n° 72210). C’est ce qui explique – le Conseil d’État le souligne très clairement – que les membres de cette délégation ne sont point chargés de la seule expédition des affaires courantes mais exercent dans leur plénitude l’ensemble des fonctions ordinairement dévolues aux conseils départementaux de l’ordre de médecins.

(28 juin 2019, M. X. et autres, n° 424119)

 

Service public

 

58 - Communauté d’universités et établissements (COMUE) – Décret du 26 août 2015 – Règles de constitution – Création distincte de celle d’un pôle de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) – Présence d’une institution de droit privé au sein de la COMUE – Principe de laïcité – Représentation des différentes de personnel, enseignants et autres – Composition et compétences du conseil d’administration de la COMUE.

Cette décision est relative à la création de  la communauté d'universités et établissements (COMUE) « Lille Nord de France », qui rassemblait, à la date de cette approbation, les universités Lille-I, Lille-II et Lille-III, l'université d'Artois, l'université du Littoral Côte d'Opale, l'université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis, l'École centrale de Lille, l'École nationale supérieure des mines de Douai, la Fédération universitaire et polytechnique de Lille, le Centre national de recherche scientifique et l'Institut national de recherche en informatique et en automatique.

Elle soulève plusieurs questions, de droit universitaire ou non, qu’il ne saurait être question de traiter intégralement ici ; la lecture directe en dévoilera la richesse.

On relèvera cependant un point juridique intéressant et peut-être le principal aux yeux du syndicat requérant, à savoir la contestation par celui-ci de la présence, parmi les composantes de la COMUE, de la Fédération universitaire et polytechnique de Lille qui est un établissement privé confessionnel. Le syndicat estimait que, par le fait même, les statuts de la COMUE étaient entachés d’illégalité. Cette critique est rejetée assez sèchement par le Conseil d’État aux motifs que cet établissement « délivre des cours d'enseignement supérieur », que son caractère confessionnel ne porte pas, par lui-même, « atteinte au principe de laïcité de l'enseignement public », que, enfin, cette présence ne constitue ni une prise illégale d’intérêts au sens de l’art. 432-12 du code pénal ni une aide d’État prohibée par la réglementation européenne.

Le recours est rejeté en tous et chacun de ses arguments.

(30 janvier 2019, Syndicat national de l'enseignement supérieur (SNESUP-FSU), n° 394175)

 

59 - Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières – Aménagement destiné à faciliter la prise en charge ou la dépose de passagers des services réguliers de transports routiers – Fixation d’une redevance devant être acquittée par tout transporteur utilisant un aménagement relevant du service public pour l’utilisation de celui-ci – Fixation d’un plafond de redevance par le coût du service rendu et non en fonction de la valeur économique du service rendu à l'usager.

(30 janvier 2019, Société aéroportuaire de gestion et d'exploitation de Beauvais (SAGEB), n° 419626)

V. cette décision au n° 21

 

Urbanisme

 

60 - Permis de construire – Permis modificatif – Transfert de permis – Taxe locale d’équipement – Solidarité entre bénéficiaires successifs des permis – Portée et limite – Annulation.

La taxe locale d’équipement (TLE) est due par le bénéficiaire du permis de construire et, en cas de transfert du permis, à la personne à laquelle il a été transféré.  Dans le cas où un titre de recette avait été émis avant le transfert de l'autorisation de construire, le redevable initial perd, dans la mesure où une fraction au moins de la taxe reste exigible à la date du transfert, sa qualité de débiteur légal pour acquérir celle de personne tenue solidairement au paiement de la taxe en vertu des dispositions du 4 de l'article 1929 CGI, le redevable de la taxe étant désormais, à cette hauteur, le bénéficiaire du transfert.

En l’espèce, la société IMEO avait transféré le 22 février 2012 un permis de construire et un permis modificatif qu’elle détenait, à la société SOLANGA. Le tribunal administratif a constaté que la taxe afférente au permis de construire initial n'était encore exigible en aucune de ses deux fractions à la date où il a été transféré à la SCCV SOLANGA et que le transfert du permis modificatif est intervenu avant même qu'ait été émis le titre de recette correspondant à ce permis modificatif. C’est donc par erreur de droit que ce tribunal, se fondant sur la solidarité au paiement entre titulaires successifs de l'autorisation de construire, a jugé que les sociétés IMEO et SOLANGA ne pouvaient utilement se prévaloir du transfert à la seconde des permis de construire initialement délivrés à la première pour demander la décharge des cotisations établies au nom de celle-ci.

Par ailleurs, il ne peut être valablement soutenu par l’Administration fiscale  que la requête des sociétés IMEO et SOLANGA est irrecevable dès lors, d'une part, que la seconde seule avait formé la réclamation administrative préalable exigée par l'article R. 190-1 LPF après avoir reçu des commandements de payer et, d'autre part, qu'elle n'avait pas qualité pour le faire en tant que simple débiteur solidaire d'une taxe dont la redevable désignée par les titres de recette en litige était la société IMEO. En effet, la société SOLANGA, débitrice solidaire de la TLE en vertu d’une disposition légale, qui justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour la contester, est recevable, dans la limite de cette solidarité, à discuter le bien-fondé de cet impôt.

Or l'administration les ayant, pour l'une, maintenue et, pour l'autre, établie au nom de la société IMEO, la société SOLANGA est fondée à en réclamer la décharge, dans la limite de la demande qu'elle avait présentée à l'administration dans sa réclamation préalable.

(11 janvier 2019, Société IMEO et SCCV SOLANGA, n° 407313)

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