Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Décembre 2018

Actes et décisions

1 - Décret du 10 mai 2017 relatif aux modalités de mise à disposition des consommateurs des données d'électricité et de gaz – Contestation de sa légalité externe et de sa légalité interne – Rejet de tous les griefs – Décret non entaché d’illégalité.

Des requérantes croient devoir contester le décret qui détermine les conditions de mise en œuvre du droit des consommateurs d’électricité et de gaz à connaître les données les concernant relativement à leur consommation.

Le Conseil d’État rejette les moyens de légalité externe dirigés contre ce décret : ses auteurs, premier ministre et ministre de l’environnement, l’ont signé, le 10 mai 2017, avant que le président de la république n’ait accepté la démission, présenté par le ministre, du gouvernement dont ils faisaient partie ; de plus, ce décret a bien été précédé des avis requis, du Conseil national d’évaluation des normes et de la CNIL, et n’avait pas à être précédé d'un rapport de présentation élaboré par la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, enfin, et contrairement à ce qui est allégué, il comporte bien les visas de textes requis.

Sont également rejetés les moyens de légalité interne : les articles L. 341-4 et L. 453-7 du code de l’énergie, visés par ce décret, en constituent bien le fondement légal, il respecte bien le droit à la vie privée et les dispositions de l’art. 38 de la loi « informatique et libertés », seul le consommateur dispose du droit d’autoriser, ou non, la communication de ses données de consommation à ses fournisseurs d’énergie ; enfin, faute de démonstration en ce sens, ce décret ne viole aucune des dispositions européennes invoquées.

(3 décembre 2018, Mme X. et autre, n° 412272)

 

2 - Refus de mentionner le nom d’un enfant sur un décret de naturalisation – Identification impossible du prénom, du nom et de la qualité d’un agent signataire d’une décision par délégation – Annulation.

Dès lors, d’une part, que la décision adressée au requérant ne porte pas mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de l'agent qui l'a signée par délégation du ministre de l'intérieur, de sorte que son auteur ne peut être identifié, et, d’autre part,  que l'administration ne produit aucun élément qui serait de nature à établir que l'original de la décision aurait porté les mentions requises par l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, la décision refusant de mentionner le nom d’un enfant sur un décret de naturalisation est illégale et doit être annulée.

(7 décembre 2018, M. X., n° 418051)

Voir aussi le n° 72

 

3 - Demandes d’asile – Obligation d’enregistrement dans un certain délai – Exigence constituant une obligation de résultat – Refus ou inertie pour prendre les mesures nécessaires – Recours pour excès de pouvoir possible contre ce refus ou cette carence.

L’art. L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile – qui résulte de la transposition des objectifs d’une directive européenne (2013/32/UE du 26 juin 2013) -fixe des délais de trois ou dix jours selon les cas pour qu’il soit procédé à l’enregistrement des demandes d’asile. Sur saisine de l’association requérante le Conseil d’État, afin d’assurer la pleine efficacité de ces dispositions, décide, d’une part que le respect de ces délais constitue une obligation de résultat, et d’autre part que le refus ou la carence des autorités responsables à prendre les mesures nécessaires à l’effet d’assurer le respect de ces délais peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

(28 décembre 2018, Association « La Cimade », n° 410347)

Voir aussi sur cette décision le n° 72

 

4 - Pouvoir réglementaire – Décret d’application d’une loi – Inertie du premier ministre – Obligation de prendre la mesure dans un délai raisonnable – Délai dépassé en l’espèce – Injonction de prendre ce décret dans un délai de quatre mois.

Saisi de recours en annulation pour excès de pouvoir du rejet implicite par le premier ministre de demandes de prendre le décret d’application prévu par l’art. L. 2122-6-1 du code du travail, le Conseil d’État rappelle le principe traditionnel du droit des décisions administratives selon lequel « L'exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit, mais aussi l'obligation, hors le cas où le respect des engagements européens et internationaux de la France y ferait obstacle, de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi. »

Constatant qu’à la date du 22 novembre 2017 le premier ministre refusait implicitement de prendre le décret d’application nécessaire à la mise en œuvre de la loi du 17 août 2015 et estimant dépassé le délai raisonnable d’exécution de la loi, le juge fait injonction de prendre ce décret dans les quatre mois de la présente décision.

(28 décembre 2018, Mutualité sociale agricole, n° 415927, et Syndicat UNSA des agents de direction des organismes de sécurité sociale, n° 415928)

 

5 - Documents administratifs – « Rapport amiante » et documents attestant que toutes les précautions nécessaires ont été prises avant la réalisation des travaux dans les parties communes (d’une copropriété) notamment en matière d'amiante, délivrés à une société anonyme d’HLM – Qualification comme « documents administratifs » par les premiers juges – Doute sérieux sur cette qualification juridique – Caractère irréversible de la communication ordonnée – Conséquences difficilement réparables – Sursis à l’exécution du jugement contesté.

Par un jugement une société anonyme d’HLM se voit ordonner de communiquer, en raison de leur caractère de documents administratifs, le « rapport amiante » ainsi que divers documents attestant que toutes les précautions nécessaires ont été prises avant la réalisation des travaux dans les parties communes d’une copropriété notamment en matière d'amiante. La défenderesse sollicite le sursis à l’exécution de ce jugement et argue, d’une part, de ce que cette communication ayant un caractère irréversible ses conséquences seraient évidemment difficilement réparables, et d’autre part, de ce qu’il est douteux que ces pièces aient la nature de « documents administratifs » au sens et pour l’application du droit à communication. Le sursis à l’exécution du jugement est accordé en raison de la réunion des deux conditions posées à l’octroi d’un tel sursis par l’art. R. 821-5 CJA.

(17 décembre 2018, SA HLM Antin Résidences, n° 424666)

 

6 - Service public – Notion – Habilitation donnée par un organisme religieux agréé aux sacrificateurs en vue de pratiquer l'abattage rituel, donc sans étourdissement préalable, en abattoir autorisé par les services vétérinaires – Habilitation donnée exclusivement sur critères religieux – Liste des sacrificateurs habilités devant obligatoirement être transmise aux préfets – Obligation pour les sacrificateurs, outre l'habilitation accordée, de détenir un certificat de compétence en protection des animaux et d'avoir reçu une formation en matière de sécurité sanitaire des aliments – Habilitation accordée aux organismes religieux agréés n'ayant pas la nature d'un service public – Absence de prérogatives de service public – Absence de mission de service public – Existence d'un contrôle du juge administratif sur la décision administrative agréant les organismes religieux pouvant accorder l'habilitation aux sacrificateurs mais incompétence de ce juge pour connaître des litiges nés de l'habilitation ou du retrait de l'habilitation d'un sacrificateur rituel, ceux-ci ne constituant pas des actes administratifs.

Le requérant conteste devant le juge administratif des référés le non renouvellement de l'habilitation l'autorisant à procéder à l'abattage rituel en France. Cette demande est rejetée par les premiers juges pour incompétence de la juridiction saisie. Le Conseil d'État confirme ce rejet. Si, pour des raisons d'hygiène et de sécurité, l'abattage des animaux sans étourdissement préalable est placé sous le contrôle de la police vétérinaire exercée par le ministre de l'agriculture et par les préfets sous le contrôle du juge administratif, cela ne fait pas de l'activité d'abattage rituel un service public et, pas davantage, la mission confiée par le ministre de l'agriculture aux organismes religieux agréés d'habiliter les sacrificateurs à procéder à l'abattage rituel d'animaux ne constitue une mission de service public. Semblablement, l'habilitation donnée aux sacrificateurs, par des organismes de nature religieuse et à des fins strictement religieuses, d'exercer leurs tâches, tout comme la décision de retirer ou de ne pas renouveler cette habilitation, n'a pas la nature d'un acte administratif. Il en va ainsi alors même, d'une part, que la liste des sacrificateurs et celle des lieux d'abattage autorisés doivent être obligatoirement communiquées aux préfets et, d'autre part, que les sacrificateurs doivent détenir un certificat de compétence en protection des animaux et avoir reçu une formation en matière de sécurité sanitaire des aliments.

(19 décembre 2018, M. X. c/ Association consistoriale israélite de Paris, n° 419773 ; du même jour : M. X., n° 419774 ; M. X., n° 419775) 

Voir aussi, sur cette même affaire, le n° 115

 

7 - Principe de non-rétroactivité des actes administratifs – Obligation de prévoir des mesures transitoires en cas de changement de réglementation – Absence en l’espèce s’agissant de déterminer le « niveau bon » de la qualité d’un épandage – Besoin, à cet effet, d’une préalable « étude de périmètre » – Durée de deux ans pour la réaliser – Absence de délai accordé – Atteinte à la sécurité juridique – Annulation de l’art. 5 de l’arrêté litigieux.

On retiendra des divers aspects de cette décision celui relatif au défaut de mesures transitoires prévues ce qui entraîne l’annulation de l’une des dispositions de l’arrêté litigieux.

Un arrêté de la ministre de l'environnement du 12 octobre 2016 modifie l'arrêté du 21 décembre 2007 relatif aux modalités d'établissement des redevances pour pollution de l'eau et pour modernisation des réseaux de collecte. Ce dernier arrêté définit les modalités de calcul de la « pollution évitée » et son annexe VI précise qu'en cas de suivi régulier des rejets, la « pollution évitée » à prendre en compte en cas d'épandage direct d'effluents sur des terres agricoles est déterminée par application à la quantité de pollution mesurée d'un coefficient d'élimination de la pollution défini dans un tableau de cette annexe. Celui-ci fixe les coefficients applicables à chaque élément polluant en fonction de données relatives aux caractéristiques générales de fonctionnement de l'épandage, classées en sept niveaux (de « mauvais » à « excellent 2e niveau »). L'article 5 de l'arrêté attaqué du 12 octobre 2016 complète l'une des cinq conditions requises par le même tableau pour bénéficier du « niveau bon » de la qualité d'épandage, en précisant que : «  La pluviométrie et les volumes d'effluents épandus ne dépassent jamais la réserve utile des sols après déduction de l'évapotranspiration, et les lames d'eau par passage prescrites dans l'étude de périmètre sont respectées ou à défaut d'étude ne dépassent pas 20 et 60 mm/mois respectivement sur les périodes d'excédents et de déficits hydriques ». Or cet article, on vient de le lire, conditionne le « niveau bon » de la qualité d'épandage au respect de valeurs limites de « lames d'eau par passage », c'est-à-dire de quantité épandue par passage, qui sont celles prescrites par une « étude de périmètre », permettant d'établir la possibilité d'épandre des quantités plus importantes de matières par passage sans risque supplémentaire de pollution, ou, à défaut d'une telle étude, par l'arrêté. Il n'est pas contesté que la réalisation d'une « étude de périmètre » nécessite un délai pouvant aller jusqu'à deux ans. L’application immédiate de cette disposition porterait une atteinte excessive aux intérêts en cause « dès lors qu'elle a pour effet, dans certaines situations, de faire passer des systèmes d'épandage existants du niveau « bon » au niveau « moyen », augmentant ainsi fortement l'assiette de la redevance en cause, sans laisser la possibilité au redevable d'établir, comme le prévoit pourtant l'arrêté modifié, qu'eu égard aux caractéristiques particulières de son épandage, il peut épandre des quantités par passage plus importantes que celles prévues par défaut sans risque supplémentaire de pollution. » Par suite, cette entrée en vigueur immédiate porte atteinte à la sécurité juridique ; cet article est annulé en tant qu'il ne diffère pas de deux ans l'entrée en vigueur des dispositions de son article 5 relatives aux limites de « lames d'eau par passage ». 

(5 décembre 2018, Société Tereos France, n° 410877)

 

8 - Motivation des actes administratifs – Acte refusant « un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir » – Cas de la contribution annuelle destinée à financer pour partie la prestation de fidélisation et de reconnaissance due aux sapeurs-pompiers volontaires – Décision de ne pas verser cette contribution – Absence de motivation – Erreur de droit du tribunal pour n'avoir pas jugé obligatoire la motivation en l'espèce.

Le requérant sollicitait des premiers juges l'annulation du refus du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de s'acquitter de la contribution annuelle destinée à financer pour partie la prestation de fidélisation et de reconnaissance dont bénéficie tout sapeur-pompier volontaire départemental. Estimant qu'une telle décision n'avait pas à être motivée, sa requête est rejetée. Le juge de cassation annule ce jugement.

D'une part, il résulte de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, devenu l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration que doivent être motivées : « (...) les décisions qui (...) refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir (...) ». 

D'autre part, lorsque le SDIS refuse de s'acquitter de la contribution annuelle destinée à financer pour partie la prestation de fidélisation et de reconnaissance à laquelle a droit tout sapeur-pompier volontaire départemental (art. 1er du décret du 13 septembre 2005), elle le prive de son droit à pouvoir prendre en compte tout ou fraction de cette année pour le calcul des vingt années de services requises par l'article 15-4 de la loi du 3 mai 1996 pour bénéficier de la rente viagère. Cette décision est, en conséquence, au nombre de celles qui, refusant un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir, doivent être motivées en vertu de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979.

Il suit de là que le tribunal administratif a commis une erreur de droit en jugeant que les décisions contestées n'avaient pas à être motivées.

(19 décembre 2018, M. X., n° 403753)

 

9 - Contestation de la compatibilité d’une convention relative aux programmes d’investissements d’avenir avec le droit de l’Union européenne – Procédure se déroulant devant la Commission européenne – Note produite par l’État français dans le cadre de cette procédure – Acte ne faisant pas grief – Acte insusceptible de recours contentieux.

Une note produite par les autorités françaises dans le cadre d’une procédure se déroulant devant la Commission européenne à la suite d’une plainte de la société requérante, ne saurait faire grief, n’étant pas décisoire, et ne peut donc être contestée devant le juge administratif.

(14 décembre 2018, Société MEI Partners, n° 415429)

Voir aussi sur cette décision les n°s 10 et 88

 

10 - Astreinte sollicitée devant la juridiction administrative – Astreinte en vue d'assurer l'exécution du rapport public thématique de la Cour des comptes relatif à l'établissement public Bpifrance – Rapport sans caractère juridictionnel – Demande d’astreinte rejetée.

Un rapport de la Cour des comptes relatif à l'établissement public Bpifrance considère comme des aides d’État devant être notifiées à la Commission européenne les trente-neuf actes portant garantie autonome à première demande de l'établissement public Bpifrance à la société Bpifrance Financement SA, au titre de ses émissions d'emprunts obligataires. La société requérante demande au Conseil d’État de condamner sous astreinte (de 21 960 000 euros par jour…) l’État à supprimer les garanties financières accordées par l'établissement public BPI France à la société Bpifrance Financement SA.

Relevant qu’un rapport de la Cour des comptes ne constitue point une décision de la justice administrative, il est jugé que l’art. L. 911-5 CJA est inapplicable en l’espèce et qu’ainsi la demande d’astreinte ne peut qu’être rejetée.

(14 décembre 2018, Société MEI Partners, n° 421061 mais voir aussi pour un renvoi partiel de ce dossier au TA de Paris, du même jour et avec même requérante, le recours n° 409521)

Voir aussi sur cette décision les n°s 9 et 88

 

11 - Circulaires « de transparence » du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) –Proposition envisagée par le CSM de nomination d’un magistrat à un poste déterminé – Proposition du CSM de nomination d’un magistrat à ce poste – Mesures préparatoires sans caractère décisoire – Régime juridique.

Le Conseil supérieur de la magistrature, au moyen de circulaires dites « de transparence », informe, en vue de recueillir leurs observations, l'ensemble des magistrats de ce qu'il envisage de proposer la nomination d'un magistrat dans un poste déterminé, puis de la proposition de nomination qu'il formule après avoir recueilli ces observations. De tels actes ne constituent que des actes préparatoires au décret de nomination du Président de la République. Ils ne sauraient faire grief et, partant, faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

Il suit de là que l’indication par le CSM, dans une circulaire « de transparence », qu'il envisage de proposer la nomination d'un magistrat dans un poste déterminé, n'a pas le caractère d'une décision créatrice de droits. Il lui est loisible de renoncer à son intention initiale et, partant, de lancer un nouvel appel à candidature.

(5 décembre 2018, Mme X., n° 416487)

Voir aussi sur cette décision le n° 55

 

12 - Circulaires – Caractère impératif – Publication – Effets – Légalité de la circulaire – Annulation et injonction.

Une société demande l’annulation d’une circulaire du ministre des finances relative à la fiscalité applicable aux tabacs manufacturés en ce qu’elle exclut la déduction des droits de douane pour la détermination de l’assiette du droit de consommation auquel sont soumis les tabacs manufacturés importés en France, ceci lui est refusé tout comme la demande d’abrogation ou de retrait de celle-ci.

Le recours dont le Conseil d’État est saisi le conduit à rappeler un certain nombre de points de droit caractérisant le régime de ces actes administratifs.

D’abord, s’agissant du régime de publication, est rappelé le principe : les documents administratifs émanant de la direction générale des douanes et droits indirects sont publiés au Bulletin officiel des douanes, lui-même publié suivant une périodicité au moins trimestrielle ; ce bulletin peut être consulté au centre de documentation économie et finances situé à Paris (12ème). Par suite, ce bulletin officiel, également accessible sur le site Internet « www.douane.gouv.fr/informations/bulletins-officiels-des-douane », doit être regardé comme le recueil des instructions, circulaires et autres documents comportant une interprétation du droit positif pris par l'administration des douanes, au sens et pour l'application des dispositions de l'article R. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration. La publication d'une circulaire au Bulletin officiel des douanes doit donc être regardée comme étant de nature à faire courir le délai du recours contentieux à l'égard de tous les tiers à compter de la date cette publication laquelle constitue le point de départ du délai de recours contentieux ; la société requérante était, par suite, hors délai lorsqu’elle a saisi le juge d’un recours contre celles des dispositions d’une circulaire se bornant, sur ce point, à réitérer les dispositions contenues dans une circulaire antérieure non attaquée par elle.

Ensuite, est rejetée la fin de non-recevoir du recours dirigé contre la circulaire, tirée par le ministre défendeur de ce qu’elle n’a pas de caractère impératif. Au contraire, le Conseil d’État relève que les énonciations contenues dans certains chapitres de la circulaire attaquée comportent des dispositions impératives à caractère général relatives au régime fiscal auquel sont soumis les tabacs manufacturés faisant l'objet d'une opération d'importation en vue de leur commercialisation sur le territoire national par les fournisseurs agréés. Par suite, il était possible à la requérante de saisir le juge de ces dispositions à caractère impératif.

Enfin, la circulaire est jugée illégale en tant qu’elle exclut de l’assiette de l’imposition les droits de douane acquittés par les importateurs en contradiction directe avec la volonté du législateur telle qu’elle ressort des débats parlementaires.

(26 décembre 2018, Sarl Massis import-export Europe, n° 424759)

 

13 - Arrêté interministériel fixant les zones de libre installation d’offices notariaux – Arrêté fixant le nombre d’offices pouvant être créées dans ces zones – Caractère réglementaire – Décision de création d’un nouvel office notarial ou d’ouverture d’un bureau annexe à un tel office – Absence de contribution à l’organisation du service public notarial – Absence de caractère réglementaire.

Les notaires requérants avaient saisi le Conseil d’État d’un recours dirigé contre la décision du garde des sceaux, ministre de la justice, rejetant leur demande tendant à l'ouverture d'un bureau annexe de l'office de notaire à Leucate et contre la décision implicite de rejet du recours gracieux qu'ils ont formé contre cette décision.

Pour rejeter ces recours comme irrégulièrement portés devant le Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort ce dernier relève que la décision ministérielle n’étant pas de nature réglementaire, c’est au tribunal administratif dans le ressort duquel est située l’étude notariale qu’il revient de connaitre en premier ressort de ce litige.

En effet, si l'arrêté par lequel les ministres de la justice et de l'économie fixent conjointement, sur proposition de l'Autorité de la concurrence, les zones dans lesquelles les notaires peuvent librement s'installer ainsi que le nombre d'offices à créer dans ces zones, est relatif à l'organisation du service public notarial et revêt, par suite, un caractère réglementaire, la décision par laquelle le garde des sceaux crée un nouvel office ou se prononce sur l'ouverture d'un bureau annexe à un office existant, qui concerne le fonctionnement du service public notarial mais n'a pas, par elle-même, pour objet d'assurer son organisation, est dépourvue de caractère réglementaire.

(28 décembre 2018, MM. X., notaires associés dans un office notarial, n° 409441)

Voir aussi sur cette décision les n°s 83 et 99

 

14 - Motivation des décisions – Régime particulier de motivation – Cas des décisions de transfert vers un autre État d’une personne demandeuse d’asile – Conditions de complétude de la motivation – Motivation satisfaisante en l’espèce.

Lorsque la motivation d’une décision est obligatoire cela impose que cette décision comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. La décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée.

Doit être considérée comme suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et qui comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

Il est à souhaiter que la CJUE se satisfasse de ce minimum de motivation.

(7 décembre 2018, Préfet de la Seine-Saint-Denis, n° 420900 ; v. aussi, du même jour : Ministre d'État, ministre de l'intérieur, n° 416823)

 

15 - Aide sociale – Actes réglementaires du département – Régime de leur publicité – Point de départ du délai de recours contentieux – Affichage à l’hôtel du département ou publication au recueil des actes administratifs du département – Publication sur le site internet du département – Validité – Déclenchement du délai de recours contentieux – Mineurs isolés – Compétence exclusive du département.

Cette décision – relative à la demande d’annulation de la décision d’un président de conseil départemental d’ordonner l’isolement, à fins d’incubation éventuelle du virus Ébola, de mineurs isolés dont il n’est pas établi qu’ils ne proviendraient pas de zones à risque - aborde deux questions distinctes, la première ayant justifié l’intervention de la section du contentieux en formation de jugement.

Tout d’abord se posait la question du délai de recours et de son point de départ dans la mesure où, d’une part, la décision attaquée était exécutoire « dès qu'il a été procédé à (sa) publication ou affichage ou à (sa) notification aux intéressés ainsi qu'à (sa) transmission au représentant de l'État dans le département » (art. L. 3131-1 CGCT) et où, d’autre part, « Les actes réglementaires pris par les autorités départementales sont publiés dans un recueil des actes administratifs dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État » (art. L. 3131-3 CGCT). Le Conseil d’État en déduit que si l’une quelconque des formalités énumérées à l’art. L. 3131-1 précité suffit à faire entrer en vigueur de telles décisions, elle ne suffit pas, en revanche, pour faire courir le délai de recours contentieux. Celui-ci peut cependant être déclenché par la publication de ces décisions au recueil des actes administratifs du département ou sur son site internet dans des conditions garantissant sa fiabilité et sa date de publication. Par suite, c’est à tort que la cour administrative d’appel a rejeté comme tardive la requête dont elle avait été saisie.

Ensuite, concernant le fond, le Conseil d’État donne raison à la Ligue requérante : le département ayant la compétence exclusive des mineurs relevant de l’aide sociale à l’enfance du département, ne saurait se décharger sur d’autres organismes de leur prise en charge préalablement à son intervention ; ceci ne l’empêche pas, en revanche, tout en exerçant pleinement sa compétence en la matière, de s’assurer le concours ou l’expertise d’autorités sanitaires par exemple.

(3 décembre 2018, Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, dite Ligue des droits de l'homme, n° 409667)

 

16 - Modification de la liste des variétés de cépage – Inclusion des cépages « Cabernet blanc B » et « Cabernet Cortis N » – Interdiction d’étiquetages mentionnant ces deux cépages prise par arrêté du ministre de l’agriculture – Règlement européen portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur – Nécessité d’un décret – Incompétence du signataire de l’arrêté litigieux – Erreur de choix de la base légale au sein des dispositions d’un règlement européen – Annulation.

L’arrêté ministériel attaqué, du 19 avril 2017, en tant qu’il interdit l'étiquetage des cépages « Cabernet Cortis N » et « Cabernet blanc B » et qui aurait dû se fonder sur les dispositions de l'article 120 du règlement européen du 17 décembre 2013, a eu pour effet d'étendre la liste limitative des interdictions d'étiquetage fixée par l'article 3 du décret du 4 mai 2012 : il a donc été pris par une autorité incompétente, un ministre au lieu du premier ministre.

De plus, si, en défense, il est fait valoir que le décret attaqué se fondait sur les dispositions de l'article 103, paragraphe 2, pour interdire l'étiquetage des cépages « Cabernet blanc B » et « Cabernet Cortis N », en réalité ces dispositions ne régissent pas les règles relatives à l'étiquetage et à la présentation dans le secteur vitivinicole, au contraire de l'article 120 du même règlement, mais réglementent seulement la protection des appellations d'origine, indications géographiques et mentions traditionnelles dans le secteur vitivinicole. Dès lors, l'arrêté attaqué ne pouvait être fondé sur les dispositions de l'article 103, paragraphe 2, du règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013, cette erreur de droit ajoute un second motif à l’illégalité de l’arrêté. 

(7 décembre 2018, Syndicat viticole Piwi France, n° 411909)

 

17 - Ordonnance de l’art. 38 – Étendue de la délégation du pouvoir législatif – Absence d’obligation pour le pouvoir exécutif de prendre toutes les mesures auxquelles il a été habilité.

Rappel du principe que « si les auteurs d'une ordonnance prise dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution ne peuvent excéder l'habilitation donnée par la loi sur le fondement de laquelle elle a été prise, ils ne sont pas tenus de prendre, dans le délai d'habilitation, l'ensemble des mesures que la loi les a autorisés à édicter. » Une habilitation est une autorisation non un ordre.

(5 décembre 2018, Association française des usagers de banques, n° 413226) 

Voir aussi sur ce même arrêt le n° 69

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

18 - Services de la société d’information – Règles techniques – Communication préalable à la Commission européenne des projets de règles nationales de caractère technique constituant un service de la société d’information – Cas du recueil et de la télétransmission des données résultant de l'utilisation par le patient d'un dispositif médical utile au traitement de certaines affections chroniques – Actes ne relevant pas  des « services de la société d’information » – Absence d’obligation de communication préalable.

L’essentiel du litige tranché par cette importante décision reposait sur la question de savoir si le projet de décret n° 2017-809 du 5 mai 2017 relatif aux dispositifs médicaux remboursables utilisés dans le cadre de certains traitements d'affections chroniques aurait dû, ou non, être soumis, préalablement à son édiction, à la Commission européenne. En effet, la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 institue dans ses art. 1 et 5 une procédure obligatoire d'information de la Commission européenne dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information. Cette obligation s'applique, s'agissant des services, aux règles relatives aux seuls services de la société de l'information, « c'est-à-dire [à] tout service presté (sic) normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d'un destinataire de services ». 

La société requérante reprochait aux auteurs du décret attaqué de n’avoir pas mis en œuvre cette procédure lors de la prise de celui-ci. L’art. L. 165-1-3 du code de la sécurité sociale et le décret litigieux prévoient le recueil et la télétransmission au médecin prescripteur, au prestataire et au service du contrôle médical, de données résultant de l'utilisation par le patient d'un dispositif médical utile au traitement de certaines affections chroniques, dans le but, notamment, de permettre au prestataire de conduire des actions ayant pour objet de favoriser une bonne utilisation du dispositif et de moduler son tarif de responsabilité ou son prix en fonction du niveau d'utilisation constatée. Ces dispositions s'appliquent à des dispositifs médicaux que des prestataires sont chargés de mettre à la disposition des patients, en veillant à leur adaptation et à leur bonne utilisation, conformément à la prescription médicale.

Le Conseil d’État en déduit que le recueil et la télétransmission des données d'utilisation faisant partie intégrante d'un service global rendu par le prestataire au patient, dont l'élément principal est la mise à disposition et la bonne utilisation du dispositif médical en cause, un tel service ne peut être qualifié de service de la société de l'information au sens et pour l’application de la directive invoquée. Les dispositions en cause n’avaient donc pas à faire l’objet d’une communication préalable à la Commission européenne.

(7 décembre 2018, Société Lafonta santé, n° 412262)

 

19 - Président de la société Radio France – Décision du CSA de mettre fin à ses fonctions – Légalité de la procédure suivie – Impartialité et indépendance du CSA – Contrôle de la mesure au fond – Rejet du recours.

Le président de radio France conteste, tant en la forme qu’au fond, la décision du CSA mettant fin à ses fonctions. L’importance de l’enjeu et la nature des questions posées ont conduit le Conseil d’État à rendre sa décision dans la plus solennelle de ses formations contentieuses, l’assemblée du contentieux.

Sur la procédure, le Conseil d’État rejette le grief d’impartialité et d’absence d’indépendance développé à l’encontre de la décision du CSA. Les propos publics tenus par le président de cet organisme sur ce dossier n’étaient que le rappel des prérogatives du CSA, tout comme le fait que la décision du CSA ait été rendue 24 heures après que la ministre de la culture a condamné le comportement de l’intéressé ne prouve point que le CSA se serait cru tenu d’agir dans un certain sens et qu’il aurait manqué à son devoir d’indépendance. Enfin, la circonstance que le CSA se soit exprimé deux fois le 31 janvier 2018, d’abord par un communiqué indiquant qu’il s’était prononcé pour le retrait de son mandat au président de radio France, ensuite par la publication du texte de sa décision, n’établit pas que la mesure de révocation aurait été adoptée avant que les motifs en soient délibérés.

Sur le fond, la condamnation du président de radio France par un tribunal correctionnel pour délit de favoritisme à raison  de quatre faits constitutifs du délit d'atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics justifiait que le CSA considère qu’alors même que ce jugement, frappé d’appel, n’était pas définitif, il rendait la poursuite du mandat du président incompatible avec le bon fonctionnement du service public de l’audiovisuel tant pour l’atteinte portée à l’image d’exemplarité attendue du titulaire de cette fonction que pour l’atteinte à la sérénité devant caractériser l’exercice de celle-ci. La perte de confiance de l’État envers le requérant au moment où celui-ci s’était engagé dans une recherche d’exigence renforcée en matière de déontologie des responsables publics a rendu encore plus évidente la nécessité d’une révocation sans que puisse y faire obstacle l’absence de reproches quant à la compétence et à l’expérience du demandeur. Ainsi, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le CSA a pris la mesure contestée par le recours.

(Assemblée, 14 décembre 2018, M. Gallet, n° 419443)

 

20 - Autorisation d’émettre délivrée par le CSA – Reconduction deux fois au maximum hors appel aux candidatures – Exception de non reconduction en cas de sanction, astreinte liquidée ou condamnation – Action en référé suspension – Existence d’une urgence et doute sérieux en l’état de l’instruction.

L’association CDARS, requérante, sollicitait l’annulation du refus opposé par le CSA à sa demande de reconduction hors appel aux candidatures, de son autorisation d’émettre. En principe, selon l’art. 28-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, les autorisations d’émettre (d’une durée de cinq ans normalement) sont reconduites deux fois, chacune pour une durée égale, hors appel à candidatures. En l’espèce, pour refuser la reconduction sollicitée le CSA s’est fondée sur les dispositions du 2° du I. de ce même article qui excepte de ce droit à reconduction les titulaires d’autorisation ayant fait l’objet d’une sanction, d’une astreinte liquidée ou d’une condamnation prononcée sur le fondement de la loi de 1986, ou d’une condamnation prononcée à leur encontre, sur le fondement des articles 23, 24 et 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ou des articles 227-23 ou 227-24 du code pénal pour autant que cela soit de nature à justifier que cette autorisation ne soit pas reconduite hors appel aux candidatures.

En l’espèce, le CSA, qui avait infligé à l'association CDARS, le 4 octobre 2017, une sanction pécuniaire de 25 000 euros en raison de manquements aux obligations lui incombant en sa qualité d'éditeur du service Radio Courtoisie en raison de propos, dont il était pour partie l'auteur, tenus par le président de l’association requérante, animateur d’une émission au cours de laquelle avaient été tenus les propos sanctionnés. Il a estimé que la circonstance que ce dernier n'exerce plus désormais aucune responsabilité dans le cadre de l'exploitation du service Radio Courtoisie, n’empêchait pas que la sanction prononcée justifie que l'autorisation ne soit pas reconduite hors appel aux candidatures.

Le Conseil d’État constate l’urgence à statuer, la validité de l’autorisation d’émettre expirant le 4 décembre 2018, et estime sérieux le doute sur la légalité du refus de reconduction. Le refus est donc suspendu jusqu’au jugement sur le fond.

 (17 décembre 2018, Association " Comité de défense des auditeurs de Radio Solidarité " (CDARS), n° 422282 ; sur la régularité de la procédure de sanction suivie devant le CSA dans cette affaire, voir : 17 décembre 2018, Association Comité de défense des auditeurs de Radio Solidarité (CDARS), n° 416311)

Cette décision soulève aussi un intéressant point de procédure examiné plus loin, au n° 86.

 

21 - CSA - Délivrance d'une autorisation d'émettre – Subordination à l'obligation conventionnelle de respecter un quota de diffusion de chansons d'expression française – Mode de calcul du respect des quotas – « Musique de variétés » – Notion – Invocation de la violation du respect du principe d'égalité entre bénéficiaires d'autorisations d'émettre quant aux quotas de chansons françaises diffusées – Moyen ne pouvant être invoqué en matière contractuelle.

Une chaîne de radio attaque une décision du CSA qui l'a mise en demeure de respecter ses obligations conventionnelles de diffusion de chansons d'expression française ainsi que la décision par laquelle le CSA a rejeté son recours gracieux.

Plusieurs questions de droit tenant à la légalité interne de la décision critiquée étaient soulevées ; quelques-unes sont présentées ci-après.

Il convient auparavant de rappeler que les obligations auxquelles sont soumises les chaînes émettant sur la fréquence électrique hertzienne terrestre découlent de deux actes juridiques : la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et la convention que chaque chaîne a conclue avec le CSA.

En premier lieu, la convention ici en cause dispose que son signataire doit respecter « la proportion substantielle d'œuvres musicales d'expression française ou interprétées dans une langue régionale en usage en France, qui doit atteindre un minimum de 40 % de chansons d'expression française, dont la moitié au moins provenant de nouveaux talents ou de nouvelles productions, diffusées aux heures d'écoute significative (...) pour la part de ses programmes composée de musique de variétés ». Le CSA a présenté ainsi la méthode qu'il entendait mettre en œuvre pour vérifier le respect, par les éditeurs de services de radio, des dispositions précédentes : « (...) le Conseil ne prend pas en compte les diffusions des dix titres francophones intervenant au-delà de 50 % du total des titres francophones diffusés. Ces diffusions sont par conséquent retirées du sous-total des diffusions des titres francophones, c'est-à-dire du numérateur ». Le Conseil d'État juge que, dès lors que les quotas que prévoit le 2° de l'art. 28 de la loi de 1986 sont calculés en proportion de l'ensemble de la programmation de chansons de variétés de chaque radio, le CSA n'a pas commis d'erreur de droit ou de fait en ne prévoyant pas la soustraction des diffusions excédentaires du total des diffusions qui figure au dénominateur servant au calcul du quota.

En deuxième lieu, s'agissant de la notion de « musique de variétés » dont la société requérante prétendait que, par son caractère flou et incertain, elle introduisait un facteur d'insécurité juridique, le Conseil d'État, reprenant une solution déjà plusieurs fois adoptée, rappelle que, pour l'application du 2° bis de l'art. 28 de la loi de 1986, « les termes de " musique de variétés " désignent l'ensemble de la chanson populaire et de divertissement accessible à un large public, par opposition, notamment, à l'art lyrique et au chant du répertoire savant ». Il se déduit de cette définition que, selon le juge, le CSA n'a pas commis une erreur d'appréciation en retenant, pour l'application de ces dispositions, que la programmation de Radio FG, essentiellement composée de « musique électronique (lounge, underground, dance) », était en totalité, pour sa partie chantée, composée de musique de variétés.

En troisième lieu, la société requérante faisait grief au CSA d'avoir conclu avec d'autres éditeurs de services radiophoniques des conventions comportant des règles de quota différentes de celles figurant dans la convention liant la requérante au CSA et plus favorables. Il est donc reproché au CSA, par sa décision querellée, d'avoir pris à l'encontre de la demanderesse une mesure discriminatoire. Cependant, constatant que la base juridique des obligations mises à la charge de la requérante est composée à la fois de dispositions législatives (loi de 1986) et de celles contenues dans la convention, la décision du CSA, prise pour l'exécution d'un contrat, ne saurait revêtir un caractère discriminatoire en raison du lien de droit subjectif unissant les parties à un contrat.

Cette dernière solution est discutable dans la mesure où, en un secteur aussi concurrentiel que celui de la radio et de la télévision, les conditions d'égalisation de la concurrence supposeraient, semble-t-il, s'agissant de quotas, des règles semblables ou très proches.

(20 décembre 2018, Société FG Concept, n° 418523)

 

Biens

 

22 - Bois et forêts – Bois et forêts propriétés d’une commune – Demande adressée par la commune à l’État et à l’Office national des forêts (ONF) de soumettre ces bois et forêts au régime forestier ou au régime de la garantie de gestion durable – Rejet implicite, puis explicite – Obligations incombant à ce titre pour l’État et pour l’ONF – Illégalité du refus opposé – Injonction de prendre dans les six mois de la présente décision les mesures requises.

Une commune, propriétaire de bois et forêts, sollicite de l’ONF qu'il adopte et propose à l'approbation du ministre chargé des forêts un projet de règlement type de gestion (cf. articles L. 124-1 et R. 124-2 du code forestier) correspondant à la catégorie de bois et forêts dont relèvent ses bois communaux. Cela lui est, implicitement puis explicitement, refusé. En réalité il existe trois régimes juridiques :

- celui applicable aux bois et forêts susceptibles d'aménagement, d'exploitation régulière ou de reconstitution qui appartiennent aux communes (dispositions combinées des art. L. 211-1, I.2° et L. 214-3 du code forestier) et qui est le « régime forestier » proprement dit ;

- celui applicable aux bois et forêts appartenant à des personnes publiques et ne relevant pas du régime forestier ci-dessus, s’ils présentent une garantie de gestion durable lorsqu'ils sont gérés conformément au règlement-type de gestion agréé (cf. art. D. 212-10, al. 2, code forestier) ;

- celui applicable aux bois et forêts ne présentant pas de garanties de gestion durable, en ce dernier cas les coupes d'arbres sont soumises à autorisation dans les conditions prévues à l'article L. 124-5 du code forestier.

Il résulte de là que seuls les bois et forêts pour lesquels il existe un des documents de gestion mentionnés aux articles L. 124-1 et L. 124-2 du code forestier peuvent prétendre au bénéfice des aides publiques destinées à la mise en valeur et à la protection des bois et forêts. Toutefois, aux termes de l'article D. 156-6 de ce code : « Les collectivités et personnes morales mentionnées au 2° du I de l'article L. 211-1 ne peuvent bénéficier d'aides publiques attribuées par l'État ou pour son compte que si le régime forestier est appliqué à leurs bois et forêts susceptibles d'aménagement, d'exploitation régulière ou de reconstitution (...) ».

Ainsi, le refus d’accéder à la demande de la commune de Saint-Jean de Marsacq, empêche, d’une part, les bois et forêts appartenant à celle-ci de relever du régime forestier, d’autre part, dès lors qu’ils présenteraient pourtant des garanties de gestion durable, de les soumettre à un règlement type de gestion élaboré par l'ONF et approuvé par le ministre chargé des forêts. C’est pourquoi, contrairement à ce que prétendait l’ONF dans sa défense, la commune requérante avait bien un intérêt pour agir contre le refus opposé à sa demande.

Au fond, les juges relèvent qu'il est constant que les bois et forêts de la commune requérante sont susceptibles d'aménagement, d'exploitation régulière ou de reconstitution mais n'ont pas fait l'objet d'une décision administrative prise sur le fondement de l'article L. 214-3 du code forestier. Il incombait donc à l'ONF de proposer à l'approbation du ministre chargé des forêts un projet de règlement type de gestion pour chaque catégorie de bois et forêts appartenant à des personnes publiques et auxquels le régime forestier n'a pas été rendu applicable.  Les refus d'élaborer et d'approuver un règlement type de gestion pour la ou les catégories dont relèvent les bois et forêts de la commune requérante, auxquels le régime forestier n'a pas été rendu applicable, opposés respectivement par l'ONF et par le ministre, ont méconnu ces dispositions législatives et réglementaires.

(Section, 21 décembre 2018, Commune de Saint-Jean de Marsacq, n° 414912)

 

Contrats

 

23 - Nature du contrat – Concession, non – Affermage, oui – Conséquences en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties.

La société d'exploitation des aéroports de Rennes et Dinard, assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties à raison des installations aéroportuaires qu’elle gère, a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la réduction de ses cotisations à cette taxe.

Cette société a été chargée par une convention de délégation de service public conclue avec la région Bretagne d’exploiter les aéroports de Rennes-Saint-Jacques et de Dinard-Pleurtuit. La délégataire supporte, en application de la convention, la charge de la taxe foncière sur les propriétés bâties à raison des installations aéroportuaires qu’elle gère. L’évaluation de celles-ci a été faite par l’administration fiscale selon la méthode comptable définie à l'article 1499 CGI, ce que conteste la délégataire qui soutient que l’évaluation aurait dû être faite selon la méthode comptable définie à l'article 1498 CGI. Devant le refus de l’administration, elle saisit le tribunal administratif qui lui donne raison pour l’essentiel. Le ministre des finances se pourvoit et le Conseil d’État rejette son recours.

Il résulte des dispositions de l’article 1500 CGI que, dès lors que le propriétaire ou l'exploitant de bâtiments et de terrains industriels passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties est soumis aux obligations déclaratives définies à l'article 53 A du code général des impôts et que ces immobilisations industrielles figurent à l'actif de son bilan, la valeur locative de ces immobilisations est établie selon les règles fixées à l'article 1499 du code.

Le tribunal administratif avait fait droit à l'argumentation de la société selon laquelle l'évaluation des installations aéroportuaires de Rennes-Saint-Jacques devait être effectuée selon la méthode d'appréciation directe (3° de l'art. 1498 CGI), en relevant, d’une part, que les installations foncières de l'aéroport de Rennes-Saint-Jacques n'étaient pas inscrites à l'actif de son bilan et, d’autre part, que la région Bretagne, propriétaire des bâtiments et terrains industriels en cause, n'était pas astreinte aux prescriptions de l'article 53 A du CGI. Il a également jugé que la convention en vertu de laquelle la société exploitait l'aéroport en cause, était un contrat d'affermage, dès lors que les ouvrages nécessaires à son exploitation étaient déjà établis à cette date et que les travaux prévus par le plan pluriannuel d'investissement du délégataire sur la durée du contrat présentaient un caractère accessoire. Il en avait donc déduit que la société n'était pas tenue d'inscrire à l'actif de son bilan les installations passibles de taxe foncière de l'aéroport de Rennes-Saint-Jacques et qu'elle était dès lors fondée à contester l'utilisation de la méthode comptable retenue par l’administration pour évaluer leur valeur locative.

Le Conseil d’État confirme complètement cette analyse en relevant, d’une part, que les installations de l'aéroport de Rennes-Saint-Jacques ont été construites par la chambre de commerce et d'industrie de Rennes dans le cadre d'un contrat de concession puis remises à la région avant d'être mises à la disposition de la société, qui n'a donc pas supporté les frais de premier établissement, et d'autre part, que si la société s'est vu confier, outre l'exploitation des installations aéroportuaires, «  le développement, l'aménagement, l'entretien et la promotion des terrains, ouvrages, bâtiments, installations et matériels...nécessaires au fonctionnement des aéroports... » ainsi que «  la réalisation de travaux notamment de mises aux normes et de grosses réhabilitations... », les investissements dont elle a la charge consistent uniquement en des travaux de renforcement, de mise en conformité et d'entretien des installations déjà existantes et non de création, d'extension ou de renouvellement des ouvrages. En l’absence de prise en charge par la société des frais de premier établissement des ouvrages et de tout investissement destiné à la création, à l’extension ou au renouvellement des ouvrages, le contrat en cause – conformément à la jurisprudence établie (29 avril 2004, Commune d’Élancourt, p. 122) - ne pouvait constituer qu’un contrat d’affermage et ne relevait donc pas des dispositions de l'article 393-1, devenu 621-8, du plan comptable général selon lesquelles « Les biens mis dans la concession par le concédant ou par le concessionnaire sont inscrits à l'actif du bilan de l'entité concessionnaire ». Dès lors la société n’avait pas à inscrire à son bilan les immobilisations servant d’assiette à la taxe litigieuse.

(3 décembre 2018, Ministre des finances et des comptes publics, n° 402037 ; dans le même sens, du même jour : Ministre de l’économie et des finances, n° 405460)

 

24 - Marché public de service – Réalisation des études technico-financières et d'évaluations foncières en vue de l'indemnisation des exploitants et propriétaires agricoles concernés par l'instauration de périmètres de protection des sources de la commune de Moulines – Candidat évincé – Rupture d’égalité entre les candidats au marché – Monopole des experts-fonciers – Sous-traitance prévue et annoncée.

Un recours dirigé par un candidat évincé d’un marché public de service donne l’occasion à la décision rejetant ce recours d’examiner plusieurs questions intéressantes. Seront laissés de côté les moyens contestant la régularité de l’arrêt attaqué.

Le marché ayant été attribué à la chambre d’agriculture du Calvados, les sociétés requérantes, aperçoivent une double rupture de l’égalité entre candidats d’abord dans la mise en place, en l’espèce,  d'un comité de validation, chargé du suivi de l'exécution du marché, formule qu’avait suggérée la chambre d’agriculture alors candidate, ensuite dans la circonstance que la cour administrative d’appel, pour apprécier si l’égalité entre candidats avait été rompue, a tenu compte d’études antérieures réalisées par la chambre d’agriculture de sa propre initiative. Le Conseil d’État estime que c’est sans erreur de droit que la cour a rejeté ces griefs, la création d’un comité de validation ayant été annoncée à tous les candidats et devant avoir lieu quel que fût l’attributaire du marché ; semblablement, les études de la chambre d’agriculture examinées par la cour correspondaient à ses missions de représentation des intérêts du monde agricole et étaient sans lien direct avec la procédure en cause.

Ensuite, il n’a pas été porté atteinte ici au monopole des experts fonciers dans la mesure où la cour a souverainement estimé que les prestations faisant l'objet du marché n'entraient qu'en partie dans le champ des missions dont le monopole est dévolu aux experts fonciers.

Enfin, le fait que la chambre d’agriculture attributaire du marché ait indiqué dans son offre qu'elle aurait recours à un sous-traitant pour exercer les missions d'expertise foncière n’avait pas pour effet de rendre son offre inacceptable, contrairement à ce que prétend le recours en annulation, au motif que la cour aurait commis une erreur de droit dans la mesure où il n'était pas établi que, pour le recours à son sous-traitant, la chambre d'agriculture respecterait les règles de passation du contrat applicables. Cet argument est en effet de nature hypothétique.

La solution dans son ensemble peut se discuter en raison d’un faisceau d’éléments de nature à introduire un certain doute sur la régularité de l’attribution de ce marché à la chambre d’agriculture du Calvados.

(12 décembre 2018, Sociétés Dynamiques foncières et Agent foncier, n° 417605)

 

25 - Délivrance d'une autorisation d'émettre par le Conseil supérieur de l’audiovisuel – Subordination à l'obligation conventionnelle de respecter un quota de diffusion de chansons d'expression française – Mode de calcul du respect des quotas – Invocation de la violation du respect du principe d'égalité entre bénéficiaires d'autorisations d'émettre quant aux quotas de chansons d’expression françaises diffusées – Moyen ne pouvant être invoqué en matière contractuelle.

(20 décembre 2018, Société FG Concept, n° 418523)

On renvoie sur ce point au n° 21

 

26 - Appel d’offres portant sur la réalisation et l'exploitation d'installations terrestres de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent – Candidature non retenue – Absence prétendue d’erreur manifeste d’appréciation dans la notation des sous-critères – Dénaturation des pièces du dossier – Inexactitude matérielle des faits retenus par la cour – Dénaturation dans l’appréciation du rôle joué par les sous-critères – Annulation partielle de l’arrêt d’appel.

Une société est informée que sa candidature à un appel d’offres en vue de l’installation et de l’exploitation d’éoliennes dans le cadre d’un projet « Fermes Deschamps », en Guadeloupe, n’était pas retenu. Elle a saisi le juge. Si elle a obtenu gain de cause en première instance, elle est déboutée pour l’essentiel en appel, d’où son pourvoi.

Le débat contentieux était concentré autour de la notation des offres dont le Conseil d’État constate qu’elle est tout à la fois entachée d’erreurs manifestes d’appréciation et de dénaturations, ce qui le conduit à annuler les articles 2 et 3 de l’arrêt de la cour.

En premier lieu, la cour avait jugé que c’était sans erreur manifeste d’appréciation qu’avait été attribuée la note de zéro à la société requérante au titre du sous-critère «  Absence de conflit d'usage dans l'utilisation des sols » dès lors qu’elle n’avait « pas produit de document permettant de s'assurer de la localisation du projet dans les documents d'urbanisme et par suite de vérifier la conformité du projet avec le plan de prévention des risques naturels applicable sur la commune d'Anse Bertrand ainsi qu'avec la loi Littoral » alors que son dossier comportait bien les éléments de nature à identifier les parcelles formant le terrain d'assiette du projet et à les situer sur le plan cadastral, ainsi que des photographies aériennes. La cour a ainsi dénaturé les pièces du dossier.

En deuxième lieu, la cour a inexactement apprécié la matérialité des faits en croyant que la requérante avait obtenu la note de 2 sur 5 au critère tiré de l'amélioration de la production électrique alors que cette note était de 0 sur 5.

Enfin, en troisième lieu, est aperçue encore une dénaturation des pièces du dossier dans le fait que la cour a jugé que la société requérante ayant obtenu la note finale de 13,03 elle était classée dernière derrière une société ayant obtenu 13,59 et donc que les erreurs manifestes d'appréciation relevées dans l'étude de l'offre de la société requérante au regard des sous-critères relatifs au respect de la faune et au niveau de maîtrise foncière ne lui avaient fait perdre, compte tenu de la valeur des autres offres, aucune chance sérieuse d'être retenue comme lauréat de l'appel d'offres. Ce jugeant, la cour a dénaturé le rôle joué par les deux sous-critères pour lesquels une erreur manifeste d'appréciation a été retenue ci-dessus car chacun d’eux étant noté sur un point tandis que l'offre de la société requérante n'était séparée de celle de la dernière société lauréate que par 0,56 point.

(14 décembre 2018, Société d'Éolienne Caribéenne, n° 406968)

 

27 - Arrêtés portant autorisations d’occupation temporaire du domaine public aéroportuaire – Requalification en décisions de concession et de prolongation de concession – Recours pour excès de pouvoir possible – Illégalité pour incompétence du Haut-commissaire de la république en Polynésie française – Annulation.

La commune requérante avait demandé l’annulation d’un arrêté du 30 décembre 2009 du Haut-commissaire de la république en Polynésie française autorisant l'occupation temporaire du domaine public de plusieurs aérodromes dont celui de Tahiti-Faa'a sur lequel l'État a confié à une société « la réalisation, l'entretien, le renouvellement, l'exploitation, la surveillance, le développement et la promotion d'ouvrages, terrains, bâtiments, installations, matériels, réseaux et services nécessaires au fonctionnement », notamment de l'aérodrome de Tahiti-Faa'a. La commune a saisi en vain les juges de première instance et d’appel puis obtenu la cassation de l’arrêt d’appel. Après renvoi, la cour administrative d’appel a de nouveau rejeté l’appel de cette commune qui se pourvoit donc pour la seconde fois dans la même affaire en cassation : le Conseil d’État devait juger lui-même l’affaire au fond.

Il relève qu’alors même qu'ils sont intervenus sous la forme d'autorisations temporaires d'occupation du domaine public, les deux arrêtés antérieurs à celui attaqué ont eu, en réalité, pour effet d'attribuer à une société une concession pour l'exploitation de l'aérodrome de Tahiti Faa'a et de prolonger cette concession.

C’est pourquoi le Conseil d’État considère que le recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'arrêté du 30 décembre 2009 doit être regardé comme tendant à l'annulation de la décision du Haut-commissaire de la république en Polynésie française de prolonger la concession accordée par l'État pour la construction, l'entretien et l'exploitation de l'aérodrome de Tahiti-Faa'a.  Par suite, cet arrêté est illégal car il résulte des dispositions de l’art. R. 223-2 du code de l’aviation civile qu'une telle concession ne pouvait légalement être accordée ou prolongée que par arrêté interministériel ou décret en Conseil d'État : le Haut-commissaire n'était pas compétent pour arrêter le principe, par l'arrêté attaqué, d'une prolongation de la concession accordée à une société en ce qui concerne l'aérodrome de Tahiti-Faa'a.

(28 décembre 2018, Commune de Faa'a, n° 412019)

Voir aussi sur cette décision le n° 90

 

Droit fiscal et droit financier public

 

28 - Taxe d’aménagement – Exonération de certaines constructions publiques – Commentaires administratifs relatifs à la taxe foncière sur les propriétés bâties – Inopposabilité à l’administration fiscale à propos de la taxe d’aménagement.

Le syndicat requérant estimait qu’il résultait de commentaires administratifs publiés au bulletin officiel des finances publiques qu’il ne devait pas être assujetti au paiement de la taxe d’aménagement car il entrait dans leurs prévisions d’exonération de celle-ci. Le Conseil d’État approuve le tribunal administratif d’avoir rejeté cette demande car les commentaires administratifs invoqués concernaient non pas la taxe d’aménagement mais la taxe foncière sur les propriétés bâties alors même, il est vrai, que les articles du code de l’urbanisme relatifs à la taxe d’aménagement (L. 331-7 et L. 331-8) renvoient indirectement à l’art. 1382 du CGI lequel régit la taxe sur le foncier bâti.

(3 décembre 2018, Syndicat interdépartemental d'assainissement de l'agglomération parisienne (SIAAP), n° 406683)

 

29 - Abus de droit – Fraude à la loi – Opération n’ayant pas d’autre but que fiscal – Émission concomitante d’obligations souscrites par un nouvel actionnaire après distribution à celui-ci d’un montant équivalent à cet achat sous forme de dividendes.

C’est à bon droit que la cour administrative d’appel a considéré que la double opération par laquelle la société requérante a, d’une part, distribué des dividendes à un nouvel actionnaire, et d’autre part, de façon quasi concomitante, fait souscrire à celui-ci des obligations remboursables en actions (ORA), constitue un abus de droit en ce qu’elle n’est motivée que par le seul souci d’une optimisation fiscale, réalisant ainsi une fraude à la loi en trahissant l’intention des auteurs de ladite loi.

(3 décembre 2018, Société Manpower France Holding, n° 406617)

 

30 - Cour des comptes – Mise en débet d’un comptable public – Défaut de contrôle, par le comptable, de la compétence de l’organe ayant voté des dépenses – Absence, normalement, de contrôle par le comptable public de la compétence de l’entité ayant ordonné la dépense – Cassation.

Doit être cassé l’arrêt de la Cour des comptes qui met en débet un comptable public pour n’avoir pas vérifié si la dépense en cause a bien été décidée par l’organe administratif compétent à cet effet. Ce comptable ne dispose pas, normalement, du pouvoir « de vérifier la compétence des auteurs des actes administratifs fournis au titre des pièces justificatives de la dépense ».

Le Conseil réitère en ces termes sa doctrine habituelle qui, manifestement, passe mal chez les magistrats de la rue Cambon : « (…) pour apprécier la validité des créances, les comptables doivent notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications. À ce titre, il leur revient d'apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée. Pour établir ce caractère suffisant, il leur appartient de vérifier, en premier lieu, si l'ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature comptable applicable leur ont été fournies et, en deuxième lieu, si ces pièces sont, d'une part, complètes et précises, d'autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable et de la nature et de l'objet de la dépense telle qu'elle a été ordonnancée. Si ce contrôle peut conduire les comptables à porter une appréciation juridique sur les actes administratifs à l'origine de la créance et s'il leur appartient alors d'en donner une interprétation conforme à la réglementation en vigueur, ils n'ont pas le pouvoir de se faire juges de leur légalité. Par suite, sous réserve des obligations qui viennent d'être rappelées, il n'appartient pas au comptable, en principe, de vérifier la compétence des auteurs des actes administratifs fournis au titre des pièces justificatives de la dépense. »

(28 décembre 2018, Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Gironde, n° 410113)

 

31 - Crédit d’impôt recherche – Élaboration de nouveaux échantillons de tissus – Frais entrant dans le champ des dispositions relatives au crédit d’impôt recherche – Refus – Erreur de droit – Annulation de l’arrêt d’appel.

Commet une erreur de droit l’arrêt qui juge que les dépenses afférentes aux ingénieurs et techniciens de production chargés de la réalisation de prototypes de tissus ou d'échantillons non vendus de tissus, au seul motif que la société requérante n'avait pas exposé de dépenses afférentes à des stylistes et techniciens des bureaux de style alors que les dispositions du h du II de l'article 244 quater B du CGI autorisent la prise en compte distincte de ces deux catégories de dépenses de personnel dans le cadre de l’éligibilité au crédit d’impôt recherche.

(5 décembre 2018, Société France Teinture, n° 414314)

 

32 - Délégation de paiement (art. 1336 et s. Code civil) en vue du remboursement d’une dette envers un département – Opposition à tiers détenteur pour le recouvrement de la créance du département – Validité sous réserve d’émission préalable d’un titre exécutoire – Absence en l’espèce – Défaut de base légale de la réclamation du département – Rejet.

Une société étant débitrice envers un département, celui-ci émet une double opposition à tiers détenteur à l’encontre de la société « Le château de la Malle » venue aux droits de la société débitrice. Cette dernière ayant refusé ces oppositions, le tribunal administratif a rejeté sa demande d’annulation des oppositions à tiers détenteur ; ce jugement est annulé par la cour administrative et, sur pourvoi du département créancier, le Conseil d’État confirme l’arrêt d’appel.

En matière de créances des collectivités territoriales, une opposition à tiers détenteur est possible à l’encontre de ceux qui détiennent des fonds pour le compte d’un débiteur envers une collectivité territoriale lorsqu’un titre exécutoire a été émis à son encontre un dans les conditions du 7° de l’article L. 1617-5 du CGCT. Cette procédure est également applicable, dans les mêmes conditions, en cas de délégation de paiement, le délégant ayant confié le soin au délégataire, de payer en son nom et pour son compte la dette qu’il a envers un créancier déterminé.

En l’espèce, la société « Le château de la Malle » repreneuse de la société débitrice envers le département s’était engagée à verser pour le compte de cette dernière au département des Bouches du Rhône le montant des pensions à reverser qui lui étaient encore dues, en précisant que ce versement serait permis par la vente à son profit d'un terrain sur lequel cette société devait construire un nouvel établissement pour exploiter le fonds de commerce qu'elle avait acquis. Cette vente n'est finalement pas intervenue, la société « Le château de la Malle » ayant préféré prendre en location le terrain.

Le département a prétendu avoir paiement de sa créance en exécution de l’engagement pris par ladite société. Cependant, comme l’a relevé la cour d’appel, aucun titre exécutoire n'avait été émis à l'encontre de cette société : celle-ci était donc bien fondée à demander l'annulation de l'opposition à tiers détenteur litigieuse.

(7 décembre 2018, Département des Bouches-du-Rhône, n° 407307)

 

33 - Régime du report d’imposition – Cession ou échange de titres mettant fin à ce report – Acquisition initiale de titres par un résident fiscal en France – Résidence fiscale en Belgique au moment de la cession – Réalisation d’une moins-value – Imputation de cette moins-value en déduction de la base imposable possible pour les résidents fiscaux français, impossible pour les résidents fiscaux hors de France – Incompatibilité avec la jurisprudence de la CJUE – Annulation de l’arrêt d’appel contraire.

Une personne, résidente fiscale française, a échangé en 1999 des actions d’une société pour celle d’une autre société et a été placée, sur sa demande, sous le régime fiscal du report d’imposition (II de l’art . 92B du CGI dans sa version alors en vigueur). Après qu’il a transféré en Belgique son domicile fiscal en 2005, il a cédé en 2007 une partie de ces actions et l’administration a estimé que nonobstant sa domiciliation fiscale en Belgique, la plus-value réalisée devait être taxée en France. Les premiers juges ont annulé cette décision, le jugement a été annulé en appel et le contribuable se pourvoit en cassation. Le Conseil d’État lui donne raison en se fondant sur une jurisprudence assez complexe de la CJUE.

D’une part, dans un arrêt du 22 mars 2018 Marc Jacob contre ministre des finances et des comptes publics et Ministre des finances et des comptes publics contre Marc Lassus, (C-327/16 et C-421/16) la CJUE a jugé compatibles avec le droit de l’Union  aussi bien la législation d'un État membre en vertu de laquelle la plus-value issue d'une opération d'échange de titres relevant de l’art. 8 de la directive du 23 juillet 1990 (90/434/CE) est constatée à l'occasion de cette opération, mais dont l’imposition est reportée jusqu'à l'année au cours de laquelle intervient l'événement mettant fin à ce report d'imposition, en l'occurrence la cession des titres reçus en échange, que la législation qui prévoit l'imposition de la plus-value afférente à une opération d'échange de titres, placée en report d'imposition, lors de la cession ultérieure des titres reçus en échange, alors même que cette cession ne relève pas de la compétence fiscale de cet État membre. D’autre part, cependant, la Cour a interprété l’art. 49 du TFUE comme ne permettant pas  à la législation d'un État membre qui, dans une situation où la cession ultérieure de titres reçus en échange ne relève pas de la compétence fiscale de cet État membre, prévoit l'imposition de la plus-value placée en report d'imposition à l'occasion de cette cession sans tenir compte d'une éventuelle moins-value réalisée lors de cette opération, alors qu'il est tenu compte d'une telle moins-value lorsque le contribuable détenteur de titres a sa résidence fiscale dans ledit État membre à la date de ladite cession. Or les dispositions d’un traité européen l’emportent sur celles d’une directive, le principe de la liberté d’établissement est supérieur au régime fiscal d’imposition des plus-values placées en report d’imposition lorsque se produit l’évènement mettant fin à ce report. De là résultent le caractère irrégulier de la position de l’administration fiscale au cas d’espèce et l’annulation de l’arrêt d’appel confirmatif de cette position.

C’est donc à bon droit que le requérant sollicite que soit déduite de la plus-value réalisée en 1999 la moins-value subie en 2007 et ne soit pas imposable à ce titre car la déduction ainsi effectuée a pour effet de rendre négative la base d’imposition.

(28 décembre 2018, M. X., n° 392589)                                       

 

34 - Secret des correspondances échangées entre un avocat et son client – Possibilité pour ce dernier seul de lever le secret – Contrôle fiscal – Utilisation de pièces couvertes par le secret – Refus de l’intéressé de lever le secret – Annulation du contrôle et de ses effets juridiques.

La correspondance échangée entre un avocat et son client est couverte par le secret institué par la loi. Toutefois, ce secret n’étant créé que dans le seul intérêt du client, celui-ci a toujours la possibilité de le lever en autorisant la communication ou la prise de connaissance de tout élément de cette correspondance. Il en résulte que si l’administration entend utiliser, dans le cadre d‘un contrôle fiscal, des pièces ou informations tirées de la correspondance entre le contribuable et son avocat, elle doit recueillir préalablement l’assentiment du contribuable. À défaut, comme c’était le cas en l’espèce, l’entière procédure est frappée de nullité et ceci entraîne la décharge des impositions résultant dudit contrôle.

(12 décembre 2018, M. et Mme X., n° 414088)

 

35 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Choix de la méthode d’évaluation – Article 1496 ou 1498/1499 du CGI – Effets, en cas de jugement, sur l’exigence de conclusions du rapporteur public.

En cas de recours contentieux portant sur la taxe foncière sur les propriétés bâties, il convient de distinguer selon que celle-ci est déterminée d’après la méthode de l’article 1496 du CGI ou d’après celle prévue aux articles 1498 ou 1499 du CGI. Dans le premier cas, la procédure est dispensée des conclusions du rapporteur public, dans le second cas ces conclusions sont obligatoires. En l’espèce, le jugement déféré est annulé pour avoir été rendu sans conclusions du rapporteur public alors que l’évaluation des locaux concernés avait été faite à partir de la méthode régie par les articles 1498 ou 1499 du CGI.

On comprend que le tribunal administratif ait été piégé par les subtilités vénéneuses des règles procédurales applicables ici.

(14 décembre 2018, Sarl De Rijke Normandie, n° 413152)

 

36 - Impôts sur le revenu – Réduction d’impôt en cas d’investissement outre-mer – Fait générateur – Cas de l’acquisition d’un hélicoptère basé en Guyane – Date à prendre en considération au titre de l’immobilisation – Date de l’acquisition et non de l’immatriculation de l’aéronef – Annulation des arrêts d’appel.

Des dispositions fiscales ont prévu des crédits ou des réductions d’impôts au profit des contribuables investissant dans les départements d’outre-mer. Les demandeurs entendaient se prévaloir de celles-ci du fait de l’acquisition d’un hélicoptère devant être basé en Guyane. La vente des aéronefs, selon le code des transports, « ne produit d'effet à l'égard des tiers que par son inscription au registre français d'immatriculation » (art. L. 6121-2), ce qui a conduit l’administration fiscale et les premiers juges à considérer, dans ces deux affaires, que ce n’est qu’à partir de cette date que peut débuter l’exploitation de l’aéronef et donc son inscription en immobilisation dans la comptabilité des contribuables. Le Conseil d’État, se fondant sur les dispositions de l’art. 1583 du Code civil qui définissent la vente, juge, très logiquement, que l’article précité du code des transports n’a « ni pour objet, ni pour effet de faire de cette inscription une condition de validité de la cession d'un aéronef qui est parfaite entre les parties dès que celles-ci ont convenu de la chose et du prix ». C’est donc bien, contrairement à ce qu’avait estimé les juridictions d’appel, la date de la cession qui rend les acquéreurs propriétaires du bien.

(12 décembre 2018, M. et Mme X., n° 413429, M. et Mme Y., n° 413430)

 

37 - Contrôle fiscal – Charte du contribuable vérifié – Droit du contribuable d’obtenir un entretien avec le supérieur hiérarchique du vérificateur puis avec l’interlocuteur départemental d’un rang hiérarchique plus élevé que celui du supérieur hiérarchique – Détermination de ce rang par la prise en considération des grades respectifs de ces deux fonctionnaires – Application en l’espèce – Rejet du recours.

La Charte du contribuable vérifié, dans ses versions successives, organise une procédure complètement formalisée de réclamations du contribuable contre les décisions du vérificateur de sa comptabilité. Elle lui ouvre le droit d’en appeler au supérieur hiérarchique du vérificateur, puis, éventuellement, à l’interlocuteur départemental des finances publiques. Ce dernier devant disposer d’un rang plus élevé que celui du supérieur hiérarchique. Appelé à vérifier cette exigence, le Conseil d’État refuse de comparer les grades respectifs des deux agents concernés et retient la position de chacun d’eux dans la hiérarchie de l’administration fiscale ainsi que les fonctions qu'il y exerce.

Ici, contrairement à ce qu’avait jugé la cour administrative d’appel avec bon sens et logique, le Conseil d’État estime que bien que l’interlocuteur départemental était inspecteur divisionnaire et chef de la division du contrôle fiscal et du contentieux de la direction départementale des finances publiques de la Dordogne, désigné comme interlocuteur départemental en cas d'absence ou d'empêchement de la titulaire, qui avait elle-même la qualité d’administratrice des finances publiques adjointe, celui-ci pouvait exercer ses fonctions après qu’est intervenue la décision du supérieur hiérarchique, lequel était  l'inspecteur principal, chef de la brigade de contrôle à laquelle appartenait le vérificateur. En effet, il est jugé que les fonctions que l’interlocuteur départemental exerçait au sein de la direction départementale des finances publiques de la Dordogne, indépendamment de son grade, le plaçaient à un rang hiérarchique plus élevé que le chef de brigade et l'habilitaient à exercer l'interlocution départementale.

La solution peine à convaincre et semble plus expédiente in casu que respectueuse des principes fondamentaux du droit de la fonction publique.

(26 décembre 2018, SCI Château de Fleurac en Périgord, n° 421809)

 

38 - Impôt sur les sociétés, cotisations supplémentaires – Contribution sociale sur cet impôt – Retenue à la source sur revenus distribués – Notion de bénéfice imposable – Acte anormal de gestion – Absence.

On retiendra d’abord que cette décision a été rendue en quatre chambres réunies (3ème, 8ème, 9ème et 10ème).

La société Croë, dont le siège est en France, a vendu la totalité de ses actions représentatives de son actif, lequel est principalement constitué du château de la Croë, situé à Antibes (Alpes-Maritimes). La valeur des actions cédées, fixée par la société, pour la détermination de la plus-value réalisée à cette occasion, a été contestée par le fisc.

Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi contre l’arrêt de la cour administrative d’appel qui avait, à la fois, rejeté et admis une partie des prétentions de l’administration et une partie de celles de la société, rappelle, d’une part, qu’en principe le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, et d’autre part, qu’il n’en va autrement que pour celles de ces opérations qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. L’acte anormal de gestion étant défini comme celui par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. 

Selon le Conseil d’État, il appartient au contribuable, lorsque l’administration soutient que la valeur de cession des parts est inférieure à leur valeur vénale, d’apporter tout élément de nature à remettre en cause l’évaluation administrative en établissant la « preuve » que l'appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l'intérêt de l'entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu'elle en ait tiré une contrepartie. Le raisonnement est étrange en raison de l’emploi du mot « preuve » : malgré la présomption de vérité, conséquence directe de la présomption d’innocence, attachée aux déclarations des contribuables, le simple rejet par l’administration des chiffres avancés par eux les contraint à faire la « preuve » alors que la présomption devrait conduire plutôt l’administration à fournir elle-même cette preuve. La solution est parfaitement inéquitable.

Le Conseil d’État reproche à la cour d’avoir jugé fondée l’estimation fiscale de la valeur des actions sans s’arrêter à l’objection, essentielle, tirée du caractère non liquide des titres cédés et cela en raison de ce que « la cession a porté sur la totalité des titres de la société Croë France dont l'unique actif est, avec le terrain qui lui est associé, le château de la Croë, qu'elle gère sans l'exploiter ». À l’évidence, cette vente en bloc ne pouvait se faire au même prix selon que ces actions étaient liquides ou non. L’arrêt est censuré pour erreur de droit. 

(21 décembre 2018, Société Croë Suisse, n° 402006)

 

39 - Procédure fiscale – Art. L. 281 et autres du livre des procédures fiscales (LPF) – Limitation des pièces justificatives, des moyens ou des faits aux seuls figurant dans sa réclamation à l’administration fiscale – Faits postérieurs à la décision administrative – Invocabilité jusqu’à la clôture de l’instruction.

Si les dispositions de l’art. R. 281-5 du LPF obligent le juge à se prononcer « (…) exclusivement au vu des justifications qui ont été présentées au chef de service. Les redevables qui l'ont saisi ne peuvent ni lui soumettre des pièces justificatives autres que celles qu'ils ont déjà produites à l'appui de leurs mémoires, ni invoquer des faits autres que ceux exposés dans ces mémoires », le contribuable demeure toutefois recevable à invoquer devant lui des éléments de fait nouveaux postérieurs à la décision de l'administration statuant sur sa réclamation et dont il ne pouvait, dès lors, faire état dans cette dernière. 

Doit être cassé l’arrêt rendu en sens contraire en ce qu’il a écarté un moyen au motif qu’il n’avait pas été soulevé dans les mémoires en réclamation.

(28 décembre 2018, Sarl Immo-Lorrain et M. X., n° 410912)

 

40 - TVA – Prestation de service – Travail à façon – Obligation de restituer au client qui les a apportés les matériaux mis en œuvre – Cas de la restitution sous une forme nouvelle – Nécessité d’une individualisation constante, au cours de la fabrication, des matériaux apportés par le client.

L’Union requérante contestait les commentaires administratifs interprétant les dispositions du 1° du IV de l'article 256 du CGI selon lesquelles « les opérations de façon (...) sont considérées comme des prestations de services ».

Tout d’abord, ces commentaires précisent que « Le façonnier ne doit pas devenir propriétaire des biens apportés par le donneur d'ouvrage (son client) », que « Les matériaux apportés par le client doivent être restitués à l'identique ou, sous certaines conditions, à l'équivalent », ce qui « suppose que le façonnier restitue à l'identique au donneur d'ouvrage, après leur mise en œuvre, les matières que ce dernier lui a apportées », cette condition de restitution à l'identique nécessitant « que les matières premières fournies par le donneur d'ordre restent individualisées chez le façonnier tout au long de l'opération ».

Cette critique n’est pas retenue car ces commentaires, ce disant, mettent œuvre les dispositions de l’art. 121 de la directive européenne du 28 novembre 2006.

Ensuite, ces commentaires ont pour objet de définir les conditions et le champ d’application de la TVA auxquelles sont soumises les opérations de fabrication d'articles en or effectuées pour le compte de tiers. Ils précisent qu'il est admis, par voie de tolérance administrative, qu'une telle opération puisse être regardée comme une prestation de travail à façon alors même que l'or est rendu au donneur d'ordre non « à l'identique » mais « à l'équivalent » si sont réunies trois conditions tenant à ce que, en premier lieu, les matières premières mises en œuvre soient fournies par le donneur d'ordre préalablement au façonnage, en deuxième lieu, les quantités de produits livrés par le façonnier au donneur d'ouvrage correspondent aussi exactement que possible aux quantités qu'il a mises en œuvre et, en troisième lieu, ce dernier tienne à la disposition du service des impôts sa comptabilité matière. Les commentaires précisent que cette tolérance ne trouve à s'appliquer que lorsque le client est un assujetti, et rappellent au paragraphe 260 que « La réalisation d'ouvrage pour le compte de particuliers est toujours regardée comme la vente d'un bien fabriqué lorsque le métal fourni n'est pas restitué à l'identique. La livraison est alors taxable sur le montant total des sommes ou valeurs reçues en contrepartie des bijoux fabriqués, y compris la valeur de l'or remis par le client ».

Là encore, les critiques de la requérante sont écartées par des raisonnements assez spécieux : la différence de traitement instituée entre les donneurs d'ouvrage selon qu'ils sont des clients assujettis ou des particuliers ne serait pas injustifiée, la taxation établie à la fois sur la valeur du service rendu et sur celle de l’or fourni par le client ne violerait pas l’art. 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH.

(26 décembre 2018, Union de la Bijouterie Horlogerie, n° 422330)

 

41 - Crédit de TVA – Demande de remboursement – Refus de l’administration fiscale – Transformation comptable de ce crédit en charge exceptionnelle – Rejet, le crédit de TVA ayant été annulé du fait de cette opération comptable – Annulation en cassation et renvoi à la cour administrative d’appel.

Une société s’est vue refuser par l’administration puis par les juges de première instance et d’appel, le remboursement, qu’elle avait sollicité le 21 décembre 2012, d’un crédit de TVA résultant de l'émission de deux notes d'avoir établies le même jour pour des opérations réalisées en 2008, faute pour elle d’avoir justifié l’émission de ces deux avoirs. Dès après le jugement de première instance, la société a, d’une part, annulé les deux avoirs émis en 2008, et d’autre part, émis deux nouvelles notes d'avoir de mêmes montants et relatifs aux mêmes opérations, enfin, elle a annulé comptablement le reliquat de crédit de taxe non remboursé par l'enregistrement d'une charge exceptionnelle au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2012, et demandé, sur le fondement de l'article 242-0 G de l'annexe II au CGI, compte tenu de sa cessation d'activité en juin 2010, le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée correspondant au montant figurant sur les deux nouveaux avoirs. La cour a jugé que si la déclaration déposée au titre de l’exercice clos en 2011 faisait état bien d'une créance de 563 516 euros au titre d’un crédit de TVA, la déclaration déposée au titre de l'exercice clos en 2012 ne mentionnait plus de créance de TVA, alors que le montant de 563 516 euros figurait désormais en charges exceptionnelles sous un compte 6718 intitulé « 2009 crédit TVA ». Elle en a, par suite, déduit que, ses propres écritures lui étant opposables, la société ne pouvait obtenir le remboursement qu'elle sollicitait dès lors que ce crédit avait été annulé comptablement. 

Le Conseil d’État rappelle, fort opportunément, « que le traitement comptable d'une créance de TVA, même erroné ou injustifié, comme les mentions relatives à une telle créance dans les déclarations faites au titre de l'impôt sur les sociétés, sont sans incidence sur le droit du contribuable de justifier de l'existence de cette créance auprès du Trésor public. Par suite, en jugeant que la société Linpac Packaging Provence ne pouvait demander en 2012 le remboursement du crédit de TVA en litige au motif, déterminant selon elle, de l'annulation comptable de la créance par l'enregistrement d'une charge exceptionnelle au titre de l'exercice clos en 2012, la cour a commis une erreur de droit ». L’arrêt de la cour est annulé et la requérante renvoyée devant cette dernière

(21 décembre 2018, Société Linpac Packaging Provence, n ° 412984)

 

Droit public économique

 

42 - Certificats d’économie d’énergie – Obligation d’économies d’énergie imposées aux fournisseurs d’énergie – Règles de seuil différentes par catégorie d’énergie – Absence d’atteinte à l’égalité – Différences en rapport avec l’objet de la réglementation – Ciblage des principaux fournisseurs dans chacune des catégories d’énergie.

La société Vitogaz demande l’annulation du refus implicite du premier ministre d’abroger certaines dispositions du code de l’énergie et de modifier les seuils à partir desquels s’impose l’obligation d’économies d’énergie applicable aux fournisseurs d’énergie.

Les fournisseurs d’énergie sont astreints à présenter chaque année des certificats d’économies d’énergie résultant d’économies qu’ils ont eux-mêmes réalisées ou qu’ils ont acquis auprès d’autres fournisseurs ayant dégagé de telles économies. À défaut, ils sont assujettis à une taxation au profit du Trésor.

Des seuils différents sont fixés par la réglementation par catégories d’énergie. La société Vitogaz, qui fournit du gaz de pétrole liquéfié conteste l’application de ces règles à toutes les formes d’énergie sans distinguer selon qu’elles ont un marché important ou étroit contribuant ainsi différemment à polluer. De plus, est contestée une différence de seuil : 100 millions de KWh de pouvoir calorifique suffisent à déclencher la taxation pour les fournisseurs de gaz de pétrole liquéfié alors qu’il en faut 400 millions pour les fournisseurs d'électricité, de gaz naturel, de chaleur et de froid.

Le Conseil d’État rejette cette argumentation – comme on pouvait s’y attendre – en retenant la clause de style selon laquelle les différentes sources d’énergie sont dans des situations différentes et que, dès lors, il n’y a pas d’illégalité à traiter différemment des situations différentes. Sauf que l’exercice atteint ici sa limite. Comment justifier qu‘une entreprise qui ne fournit que 5% du marché du gaz de pétrole liquéfié soit – à quantité identique de pouvoir calorifique final - quatre fois plus taxée qu’une autre, qui occuperait une part plus importante d’un produit lui-même nettement plus polluant ? Faute de chiffres extrêmement précis du degré de pollution par chacune des sources d’énergies, par chacun des fournisseurs de celle-ci, en valeur absolue et en pourcentage, cette jurisprudence n’est pas du tout satisfaisante. La taxation dissimule mal sa fonction, parfaitement dévoyée ici, de régulation et de répartition des bénéfices et des rentabilités au lieu de celle de protection de la santé.

(3 décembre 2018, Société Vitogaz, n° 410360)

 

43 - Appellation d’origine contrôlée – Vins – Appellation « Pic Saint-Loup » – Délimitation de l’aire parcellaire – Absence d’irrégularité – Définition et délimitation de l’aire de proximité immédiate – Cahier des charges – Annulation – Refus de moduler les effets de l’annulation prononcée, le droit de l’Union étant en cause.

Était demandée l’annulation de l’arrêté ministériel homologuant le cahier des charges relatif à l'appellation d'origine contrôlée « Pic Saint-Loup ». L’action est rejetée en tant qu’elle critiquait ce cahier des charges pour erreur d’appréciation quant à sa délimitation de l’aire parcellaire de l’appellation litigieuse et en tant qu’il réglementait les opérations de production. En revanche, le juge accueille partiellement la requête en annulation de l’arrêté d’homologation du cahier des charges dans sa partie relative à la définition et à la délimitation de l'aire de proximité immédiate. En effet , il résulte des dispositions du a) du 1 de l'article 93 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles que la détermination de l’aire de proximité immédiate, s’agissant non des opérations de production mais des opérations de vinification, doit être justifiée par des critères objectifs et rationnels, en rapport avec les facteurs naturels et humains de l'appellation d'origine, et ne doit introduire aucune différence de traitement entre producteurs qui ne corresponde à une différence de situation ou à un motif d'intérêt général en rapport avec les objectifs poursuivis. Or en l’espèce l’auteur de l’arrêté attaqué ne se fonde pas sur ce critère, entachant ainsi sa décision d’erreur d’appréciation. L’arrêté est donc annulé dans cette mesure.

De plus, le juge refuse de moduler les effets rétroactifs de l’annulation prononcée car celle-ci est fondée sur la violation directe du droit de l’Union et qu’en ce cas la faculté de modulation ne peut être utilisée qu'à titre exceptionnel et qu’en présence d'une nécessité impérieuse. Tel n’est pas le cas ici.

(12 décembre 2018, SCEA du Château Montel, n° 409449 et Association « Collectif des vignerons du Pic Saint-Loup » et autres, n° 409531 et n° 409532)

 

44 - Détermination des composantes de la rémunération des pharmaciens d’officine – Ordonnance n° 2017-1092 du 8 juin 2017 – Existence de grossistes-répartiteurs et de distributeurs - Principe d’égalité et absence de mesures différenciées – Exigences de service public – Charges en résultant – Absence d’effets sur le droit de la concurrence – Encadrement du médicament assoupli mais respect de l’intérêt général du financement de l’assurance-maladie.

Étaient contestées les dispositions d’une ordonnance régissant les ristournes, remises et autres avantages financiers divers susceptibles d’être accordés aux pharmacies d’officine. Le Conseil d’État rejette les trois ordres de griefs articulés à l’encontre de cette ordonnance.

La circonstance qu’elle traite de manière égale des grossistes-répartiteurs et des distributeurs qui sont dans des situations différentes ne porte pas atteinte au principe d’égalité, lequel n’exige nullement que soient traitées différemment des personnes ou des activités placées en situations dissemblables.

Si les grossistes-répartiteurs sont soumis, à la différence des distributeurs, à des obligations de service public et donc à des sujétions différentes, il n'est ni démontré, ni même allégué, que les possibilités accrues de concurrence entre ces opérateurs par le moyen de rétrocessions de marges aux officines soit de nature à déboucher nécessairement sur la constitution de positions dominantes et l'abus de telles positions ; par suite, on ne saurait voir dans les dispositions critiquées une atteinte à la liberté d'entreprendre ou à la liberté du commerce et de l'industrie qui résulterait des effets de la mesure sur les conditions de la concurrence.

L’assouplissement des conditions de l’encadrement et des conditions de préparation, de fabrication et de vente des médicaments, qui répond à des buts d'intérêt général tenant à la baisse du prix des médicaments et à l'équilibre de l'assurance-maladie, n’est pas de nature, dans les circonstances de l’espèce, à porter atteinte à cette exigence en mettant les grossistes-répartiteurs dans l'impossibilité de faire face aux obligations propres qui sont les leurs.

(17 décembre 2018, Société CERP Réunion SAS, n° 412576)

 

45 - Tarifs réglementés par l’État – Tarifs des courses de taxis pour 2018 – Tarifs de prise en charge de passagers supplémentaires, de bagages ou d’animaux – Modifications tarifaires décidées par arrêté du ministre des finances – Saisine préalable de l’Autorité de la concurrence – Absence – Irrégularité – Annulation de l’arrêté litigieux.

 Le ministre de l'économie et des finances a, par un arrêté du 14 décembre 2017, d'une part, déterminé les éléments constitutifs des tarifs des courses de taxis pour l'année 2018, et d'autre part, modifié l'arrêté du 2 novembre 2015 relatif aux tarifs des courses de taxi aux fins de limiter les suppléments susceptibles d'être appliqués par les taxis autres que les « taxis parisiens ». Dans ce cadre, il a supprimé le supplément pour prise en charge d'animaux et a restreint l'application des suppléments pour prise en charge de passagers supplémentaires et pour prise en charge de bagages.

L’arrêté attaqué a ainsi pour effet de modifier cependant des dispositions antérieures prises sur le fondement de l'article L. 410-2 du code de commerce pour réglementer les tarifs des courses des taxis « non parisiens », notamment afin de limiter les suppléments que ces taxis sont susceptibles d'appliquer. Or il résulte des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 462-2-1 du code de commerce que le ministre était tenu d'informer l'Autorité de la concurrence du projet de révision de ces tarifs réglementés au moins deux mois avant l'édiction de l'arrêté attaqué, afin de permettre à cette autorité de prendre l'initiative d'émettre un avis, après avoir mis à même certaines associations de défense des consommateurs et les organisations professionnelles de lui présenter leurs observations.

L'absence d'information préalable de l'Autorité de la concurrence entache d’irrégularité l'arrêté attaqué car elle a privé les intéressés de la garantie que constitue la faculté pour l'Autorité de la concurrence de se saisir du projet d'arrêté pour rendre un avis sur les prix et tarifs réglementés envisagés, au vu des observations présentées notamment par les organisations professionnelles concernées.

L’arrêté du 14 décembre 2017 est, conséquemment et logiquement, annulé. 

(31 décembre 2018, Union nationale des taxis, n° 418187, Fédération française des taxis de province, n° 418421,  M. X. et autres, n° 418467)

 

Droit social et action sociale

 

46 - Obligation alimentaire – Mise à la charge d’une personne d’une fraction des frais d’hébergement de son père en maison de retraite publique – Compétence juridictionnelle pour connaître du contentieux de l’annulation du titre exécutoire émis pour valoir paiement de ces frais – Compétence de la commission d’aide sociale de la Drôme jusqu’au 31 décembre 2018 – Transfert de cette compétence au juge judiciaire à compter du 1er janvier 2019 – Impossibilité certaine que la commission départementale ait statué avant le 31 décembre 2018 – Difficulté sérieuse de compétence – Renvoi au Tribunal des conflits.

Comme indiqué dans le « chapeau », le Conseil d’État renvoie au Tribunal des conflits le soin de trancher la question de savoir quels sont les recours visés par les dispositions du 4° de l'article L. 134-3 du code de l'action sociale et des familles, dans leur rédaction applicable à compter du 1er janvier 2019, et notamment si sont visés les recours contre les décisions d'admission à l'aide sociale qui fixent l'aide de la collectivité publique en déduisant la participation des personnes tenues à l'obligation alimentaire et les recours exercés par l'État ou le département contre les obligés alimentaires pour recouvrer des sommes exposées au titre de l'aide sociale. 

(7 décembre 2018, Mme X., n° 419964)

 

47 - Revenu de solidarité active (RSA) – Détermination des revenus des professions non salariées – Imposition selon les bénéfices industriels et commerciaux (BIC) ou selon les bénéfices non commerciaux (BNC).

Il est toujours délicat, lorsque le candidat au RSA n’est pas salarié, en raison de la profession qu’il exerce, mais assujetti selon les BNC ou les BIC, de déterminer son revenu. Le Conseil d’État donne aux présidents de conseils départementaux, lesquels sont en charge de verser le RSA, une ligne générale de calcul pour opérer cette détermination et c’est ce qui fait l’importance de cette décision, qui aurait pu avoir été rendue par la Section du contentieux en formation de jugement. «(…) pour arrêter les revenus professionnels non-salariés nécessaires au calcul du revenu de solidarité active, lorsqu'il s'agit de bénéfices industriels et commerciaux ou de bénéfices non commerciaux, le président du conseil départemental doit, en cas de déclaration ou d'imposition, se référer aux bénéfices déterminés en fonction des régimes d'imposition applicables au titre de la pénultième année, auxquels s'ajoutent les amortissements et les plus-values professionnels, et sans tenir compte des déficits catégoriels et des moins-values subis au cours de l'année de référence ainsi que des déficits constatés au cours des années antérieures. Il peut également tenir compte de tout autre élément relatif aux revenus professionnels de l'intéressé, dans le but notamment de mieux appréhender la grande variété des situations des travailleurs indépendants et de procéder à une meilleure approximation des revenus perçus par ceux-ci à la date à laquelle ils bénéficient du revenu de solidarité active ».

(28 décembre 2018, M. X., n° 412401)

 

48 - Caisses d’allocations familiales – Agents de droit privé chargés de contrôler les déclarations des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) – Absence d’assermentation – Conséquence sur les décisions de récupération d’indu.

 L'absence d'agrément et l'absence d'assermentation des agents de droit privé désignés par les caisses d'allocations familiales pour conduire des contrôles sur les déclarations des bénéficiaires du RSA sont de nature à affecter la validité des constatations des procès-verbaux qu'ils établissent à l'issue de ces contrôles et à faire ainsi obstacle à ce qu'elles constituent le fondement d'une décision déterminant pour l'avenir les droits de la personne contrôlée ou remettant en cause des paiements déjà effectués à son profit en ordonnant la récupération d'un indu. 

(26 décembre 2018, Mme X., n° 417632 ; v., du même jour : Mme X., n° 419880)

 

49 - Comité d'entreprise – Mandat expiré de ses membres – Entreprise en liquidation judiciaire – Autorisation du tribunal de commerce pour l’organisation d’élections en vue de la mise en place des institutions représentatives du personnel indispensables à l'engagement des mesures de licenciement pour motif économique – Accord préélectoral employeur/organisations syndicales – Élections destinées seulement à l'élection de délégués du personnel – Absence d'erreur de droit pour une cour administrative d'appel à avoir estimé qu'avait été régulièrement supprimé le comité d'entreprise.

Une entreprise, dans laquelle les mandats des membres du comité d'entreprise étaient venus à expiration, est mise en liquidation judiciaire, le tribunal de commerce n'autorisant la poursuite provisoire de son activité qu'en vue que soient organisées les élections nécessaires à la mise en place des institutions représentatives du personnel indispensables à l'engagement des mesures de licenciement pour motif économique. Un accord préélectoral est conclu ensuite entre l'employeur et l'ensemble des syndicats en vue non pas, ainsi que le prévoyait l'article L. 2324-3 du code du travail alors applicable, d’organiser l'élection simultanée de représentants du personnel au comité d'entreprise et l'élection de délégués du personnel mais, exclusivement, l'élection de délégués du personnel. C'est sans erreur de droit et dans le cadre de son appréciation souveraine que la cour administrative d'appel a déduit de ces éléments l'existence d'un accord entre employeur et syndicats pour la suppression du comité d'entreprise. Par suite, la requérante ne pouvait soutenir que l'absence de consultation dudit comité aurait entaché d'irrégularité son licenciement

(19 décembre 2018, Mme X., n° 405068 ; dans le même sens et pour la même entreprise, du même jour : Mme X., n° 405069 ; M. X., n° 405070 ; M. X., n° 405071 ; M. X., n° 405072 ; Mme X., n° 405073 ; Mme X., n° 405074 ; M. X., n° 405076)

 

50 - Allocation de rentrée scolaire – Évaluation forfaitaire des ressources du ménage – Impossibilité d’en contester le montant – Principe d’égalité devant la loi – Risque de traitement différent de situations semblables – Illégalité.

L'évaluation forfaitaire des ressources du ménage instituée à l'article R. 532-8 du code de la sécurité sociale et applicable aux demandes d'allocation de rentrée scolaire en vertu de l'article R. 543-6 du même code a pour objet, ainsi que le fait valoir le ministre des solidarités et de la santé, d'éviter que la prise en compte des ressources de l'année de référence conduise à ce que cette prestation soit à tort versée à des foyers qui ne satisferaient plus, lors de l'ouverture ou du renouvellement de ce droit, à la condition de ressources à laquelle le bénéfice de cette prestation est subordonné. Toutefois, une telle évaluation n'est appliquée qu'à certains des foyers susceptibles d'avoir connu une modification de leurs revenus depuis l'année de référence, alors même qu'elles leur attribuent fictivement des ressources forfaitairement évaluées, sans leur ouvrir aucune possibilité de faire valoir et d'établir qu'ils ont disposé de revenus professionnels inférieurs à ceux qui résultent de l'évaluation forfaitaire. Ces dispositions peuvent ainsi conduire à ce que des foyers disposant de ressources identiques et inférieures au plafond au moment où le droit est ouvert soient traités de façon différente, certains d'entre eux, soumis à l'évaluation forfaitaire de leurs revenus, se trouvant privés du bénéfice de l'allocation de rentrée scolaire. Par suite, les dispositions de l'article R. 532-8 du code de la sécurité sociale introduisent une différence de traitement sans rapport avec l'objet de la norme qui l'établit et portent ainsi atteinte au principe d'égalité devant la loi. 

(26 décembre 2018, Mme X., n° 420104)

 

51 - Qualité de « jeune majeur » – Prise en charge par le département – Large pouvoir d’appréciation du président du conseil départemental – Contrôle entier du juge – Octroi du sursis à l’exécution de la décision refusant la prise en charge.

Si le président d’un conseil départemental a l’obligation de préparer l'accompagnement vers l'autonomie de tout mineur pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance dans l'année précédant sa majorité, il dispose, sous le contrôle du juge, d'un large pouvoir d'appréciation pour accorder ou maintenir la prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance d'un jeune majeur de moins de vingt-et-un ans éprouvant des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants. 

En l’espèce, cette prise en charge avait été refusée à un jeune majeur, d’où son recours contre ce refus.

Pour accorder néanmoins la suspension sollicitée de la décision litigieuse, le Conseil d’État constate la réunion des deux conditions nécessaires à son octroi. D’une part, existe bien au cas de l’espèce une urgence dans la mesure où, âgé de 18 ans et deux mois, bien qu'il soit désormais hébergé par une famille d'accueil bénévole, il est toutefois isolé, sans attache familiale sur le territoire français et sans ressources et son hébergement revêt un caractère précaire. D’autre part, l’un au moins des moyens soulevés au soutien de la requête au fond est de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de cette décision, il s’agit du défaut de motivation de la décision de refus de prise en charge.

Pour généreux que puisse être son fondement, cette décision est assez énigmatique : existe-t-il une obligation de prise en charge départementale jusqu’à dix-huit ans et une simple faculté de prise en charge entre dix-huit et vingt-et-un ans ? Le caractère discrétionnaire de la décision de prise en charge des jeunes majeurs se concilie mal avec les exigences posées ici par le juge, lequel donne à entendre qu’en fait – non en droit bien sûr – le jeune majeur dispose en réalité d’un véritable droit opposable au département. Était-ce vraiment l’intention du législateur ?

(21 décembre 2018, M. X., n° 421327 ; v. aussi, identique en tous points : M.X., n° 421324 ; M. X., n° 421325 ; M. X., n° 420393)

 

Environnement

 

52 - Projet de contournement routier d’une commune touristique – Arrêté préfectoral portant autorisation unique au titre de l'article L. 214-3 du code de l'environnement concernant les travaux de contournement du bourg de Beynac-et-Cazenac – Demande d’annulation et de suspension – Application de l’art. L. 411-1 du code de l’environnement – Absence d’intérêt public majeur – Inefficacité partielle du contournement – Annulation du rejet du recours par l’ordonnance de référé et octroi de la suspension sollicitée.

Plusieurs associations ont demandé l’annulation et la suspension d’un arrêté préfectoral autorisant les travaux de contournement routier d’une agglomération en arguant des atteintes qui seraient portées aux habitats de plusieurs espèces animales protégées sans que, en contrepartie, puisse être reconnu un intérêt public majeur à ce contournement.

Le Conseil d’État accueille la critique en relevant l’existence de nombreuses espèces protégées qu’affecterait la mise en œuvre du projet litigieux. Par ailleurs, il rappelle la triple condition que doit satisfaire un tel projet, pour pouvoir être cependant réalisé : un intérêt public majeur attaché à celui-ci ; l’inexistence d'une autre solution satisfaisante ; la circonstance que cette dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. 

Contrairement au premier juge, il considère que ce contournement ne présenterait pas un intérêt public majeur tant en raison des efforts d’amélioration de la circulation déjà faits par la commune que du fait qu’une grande partie du trafic touristique ne cesserait pas puisqu’il tend précisément à la visite de cette commune. Il existe donc au moins un moyen qui est de nature, en l’état, à être considéré comme provoquant un doute sérieux.

De plus, comme ces travaux entraineraient la destruction de l'habitat d'espèces protégées et emporteraient des conséquences irréversibles pour les individus de ces espèces, l’urgence est établie. C’est pourquoi la suspension est ordonnée « alors même que les travaux ont déjà débuté et que des sommes importantes ont déjà été exposées pour leur réalisation ».

(28 décembre 2018, Association Sepanso Dordogne et Association de défense de la Vallée de la Dordogne, et Association « La Demeure Historique », n° 419918)

 

État-civil et nationalité

 

53 - Naturalisation – Personne naturalisée ayant alors un enfant vivant en France avec elle – Obligation de porter le nom de l’enfant sur le décret de naturalisation.

Une personne en instance de naturalisation accouche très peu de jours avant la signature du décret de naturalisation ; elle n’a pas eu le temps matériel de porter cette naissance à la connaissance de l’autorité compétente. Par la suite, cette dernière a refusé de mentionner le nom de l’enfant sur le décret de naturalisation. Le Conseil d’État estime illégal ce refus dans la mesure où l’intéressée affirme – sans être réellement démentie par le ministre de l’intérieur - avoir informé la sous-préfecture de Saint-Germain-en-Laye de ce qu’elle était enceinte en y déposant le certificat médical établi à cet effet par le centre hospitalier de Poissy-Saint-Germain-en-Laye.

Dans les circonstances de l’espèce il est enjoint au ministre de l’intérieur de proposer au premier ministre la modification du décret querellé avec mention du nom de l’enfant.

(7 décembre 2018, Mme X., n° 418377)

 

54 - Retrait d’un décret de naturalisation – Portée de ses effets – Atteinte au respect de la vie familiale de l’intéressé : non – Atteinte au respect de la vie privée : possible en cas d’effets disproportionnés – Absence ici – Rejet du recours contre le décret retirant le décret de naturalisation.

Il convient de prêter attention à la formulation, dans cette décision, du considérant où est abordée la question de l’atteinte disproportionnée que pourrait porter un retrait rétroactif de la nationalité française à la vie privée de l’ex-naturalisé. Le Conseil d’État juge en effet : « qu'un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale ; qu'en revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée ; qu'en l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée (du requérant) garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

Voilà une solution dans le droit fil de celles de la Cour de cassation : le principe de légalité est de plus en plus malmené y compris au profit d’intérêts strictement subjectifs.

(31 décembre 2018, M. X., n° 419636)

 

Fonction publique et agents publics

 

55 - Magistrats de l’ordre judiciaire – Circulaires « de transparence » du Conseil supérieur de la magistrature – Proposition envisagée par le CSM de nomination d’un magistrat à un poste déterminé – Proposition du CSM de nomination d’un magistrat à ce poste - Mesures préparatoires sans caractère décisoire – Régime juridique.

(5 décembre 2018, Mme X., n° 416487)

Voir sur cette décision le n° 11

 

56 - Magistrats de l’ordre judiciaire – Déclaration d’intérêts – Déclaration des activités syndicales – Obligation d’information du chef de cour en cas de doute sur une situation de possible conflit d’intérêts – Légalité – Rejet.

Le syndicat requérant demande l’annulation pour excès de pouvoir de la circulaire du 31 octobre 2017 de la garde des sceaux, ministre de la justice, relative au décret n° 2017-713 du 2 mai 2017 concernant la déclaration d'intérêts des magistrats de l'ordre judiciaire.

Il invoque deux griefs d’illégalité : la mention d’activités syndicales sur la déclaration et l’organisation d’une procédure d’information et de dialogue en cas de doute.

En premier lieu, le juge estime que si, en principe, la déclaration d'intérêts des magistrats ne doit comporter aucune mention des activités syndicales, il en va cependant différemment lorsque la révélation de ces activités résulte de mandats exercés publiquement. L'exercice par un magistrat de fonctions au sein des bureaux nationaux des organisations syndicales peut être mentionné dans la déclaration d'intérêts dès lors que la composition de ces organes est rendue publique. Par suite, le syndicat requérant ne saurait soutenir que la circulaire attaquée serait, en tant qu'elle prévoit une obligation de déclaration sur ce point, entachée d'incompétence et méconnaîtrait les dispositions de l’art. 7-2 de l’ordonnance organique du 22 décembre 1958 relative à la magistrature.

En second lieu, il est reproché à la circulaire litigieuse de décider, d'une part, qu’ « en cas de doute sur l'existence d'une situation susceptible de faire naître un conflit d'intérêts, l'autorité à laquelle la déclaration a été remise peut inviter le magistrat concerné à s'entretenir de sa situation avec son chef de cour » et, d'autre part, que cette autorité « peut également en informer le chef de cour, avec l'accord préalable du magistrat déclarant ». Ces dispositions, qui se bornent, en cas de doute sur l'existence d'une situation susceptible de faire naître un conflit d'intérêts, à ouvrir la faculté d'une information du chef de cour et d'un échange entre celui-ci et le magistrat intéressé ne méconnaissent, contrairement aux allégations du syndicat requérant, ni les dispositions précitées de l’ordonnance de 1958 ni l'obligation de confidentialité s'attachant à la procédure de déclaration d'intérêts. 

(28 décembre 2018, Syndicat de la magistrature, n° 417015)

 

57 - Architectes en chef des monuments historiques – Mission de maîtrise d'œuvre des travaux de restauration sur les immeubles classés – Agents publics dans le cadre de l'exercice de cette mission – Absence d'application de la loi du 3 janvier 1977 – Obligation de souscrire personnellement une assurance – Absence d'obligation pour l'État de souscrire une telle assurance pour le compte de ses agents.

Le requérant, architecte en chef des monuments historiques a assuré, en vertu des dispositions statutaires applicables à ce corps, en sus de ses fonctions, des missions de maîtrise d'œuvre de travaux de restauration sur des monuments historiques classés. S'agissant d'activités permises mais extérieures à ses obligations de fonction publique, il était tenu de souscrire à ses frais une assurance professionnelle.

Il a demandé l'annulation pour excès de pouvoir de la note de service du 8 janvier 2014 relative à l'obligation d'assurance des maîtres d'œuvre fonctionnaires de l'État rétribués par honoraires ainsi que la condamnation de l'État à lui verser une somme en réparation du préjudice financier qu'il estime avoir subi du chef des cotisations d'assurance professionnelle qu'il a acquittées entre 1998 et 2012 à raison des missions qui lui ont été confiées au cours de cette période. Ses deux demandes ont été rejetées en première instance et en appel ; il se pourvoit.

Le Conseil d'État pratique une distinction assez délicate entre, d'une part, la loi sur l'architecture et d'autre part, les dispositions applicables aux architectes en chef des monuments historiques.

L'art. 16 de la loi du 3 janvier 1977 relative à l'architecture dispose : « Lorsque l'architecte intervient en qualité d'agent public, (...) la personne qui l'emploie (...) est seule civilement responsable des actes professionnels accomplis pour son compte et souscrit l'assurance garantissant les conséquences de ceux-ci ».  

Par ailleurs, les textes statutaires particuliers applicables aux architectes en chef des monuments historiques (décrets du 20 novembre 1980 et du 28 septembre 2007) prévoient que ceux-ci sont des architectes, fonctionnaires de l'État, ayant notamment pour mission d'assurer la maîtrise d'œuvre des travaux de restauration sur les immeubles classés au titre des monuments historiques dont ils assurent la surveillance.

Cependant, et c'est là tout l'objet du litige, selon le Conseil d'État, les architectes en chef des monuments historiques, qui interviennent dans le cadre d'un contrat de maîtrise d'œuvre voient leur responsabilité susceptible d'être engagée en raison des actes qu'ils accomplissent à titre professionnel ou des actes de leurs préposés. En ce cas, en effet, ils n'interviennent pas, nonobstant leur qualité de fonctionnaires, en qualité d'agents publics au sens des dispositions de l'art. 16 de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture. Il suit de là que n'existe aucune obligation pour l'État de souscrire une assurance garantissant les architectes en chef des conséquences des actes professionnels en question. C'est donc à bon droit que l'État leur impose de souscrire à titre personnel une telle assurance. D'où le rejet du pourvoi tant pour ce qui est de l'obligation d'assurance que pour ce qui regarde le prétendu préjudice subi par le requérant.

Cette lecture des textes est somme toute logique et équitable.

(19 décembre 2018, M. X., n° 408504)

 

58 - Fonctionnaire territorial – Perte d’emploi – Prise en charge par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) – Placement de l’agent sous l’autorité de ce dernier – Missions confiées à cet agent par le CNFPT – Forme de ces missions – Caractère non exclusif du recours à la mise à disposition – Conséquences.

Lorsqu’un fonctionnaire perd son emploi il est pris en charge par le CNFPT et se trouve désormais placé sous son autorité, ce centre exerçant à son égard les prérogatives de l'autorité investie du pouvoir de nomination. Pendant cette prise en charge, le centre peut confier au fonctionnaire des missions qui sont alors exercées soit pour son propre compte, soit pour le compte de collectivités territoriales ou d'établissements publics.

Ces dernières missions, si elles peuvent être exercées dans le cadre d'une mise à disposition (art. 61 et 62 de la loi du 26 janvier 1984), peuvent l’être également selon d’autres modalités car ni les termes de cet article ni aucune autre disposition de la loi n'imposent d'avoir recours exclusivement à cette position statutaire.

Par suite, commet une erreur de droit une cour administrative d'appel qui juge que la mission confiée à un agent par le CNFPT, exercée au sein des services d'un département pour le compte de cette collectivité, ne peut prendre la forme que d'une mise à disposition et donc uniquement dans les conditions prévues par les art. 61 et suivants de la loi du 26 janvier 1984 et pour en déduire que l'ancien employeur public de l'agent, doit être déchargé des sommes réclamées par le CNFPT pour sa prise en charge pendant la période considérée.

(28 décembre 2018, CNFPT, n° 411695)

 

59 - Abandon de poste – Notion – Régime – Mise en demeure non suivie d’effets – Abandon constaté à bon droit – Annulation de l’arrêt ayant jugé le contraire.

Mme X., professeur de piano au conservatoire municipal de la commune de Lucé, a été placée en congé de longue durée puis, après une mise en demeure de reprendre son poste, en congé de maladie ordinaire. En réponse à la lettre du 5 février 2014 par laquelle la commune de Lucé l'a informée qu'une nouvelle prolongation de son arrêt de travail impliquerait la saisine du comité médical et lui a demandé de lui préciser si son état de santé était susceptible de relever, selon son médecin traitant, d'un congé de longue maladie ou de longue durée, Mme X. a adressé le 20 février 2014 un pli contenant une demande de congé de longue maladie accompagnée d'un certificat médical attestant que son état de santé justifiait l'attribution d'un tel congé. Toutefois, ce pli a été refusé en raison d'un affranchissement insuffisant et a été réexpédié par les services de La Poste à Mme X., qui l'a reçu le 22 mars 2014. Par lettre en date du 17 mars 2014, reçue le 20 mars 2014, le maire de Lucé a mis en demeure l’intéressée de reprendre ses fonctions le lundi 24 mars 2014 en précisant qu'à défaut d'une telle reprise, elle s'exposait à une radiation des cadres sans qu'il soit nécessaire d'engager une procédure disciplinaire à son encontre. Mme X. a été radiée des cadres pour abandon de poste, par un arrêté du 24 mars 2014. Le tribunal administratif d'Orléans a rejeté la demande d'annulation de cet arrêté mais la cour administrative d'appel de Nantes a annulé ce jugement ainsi que l'arrêté du 24 mars 2014. La commune de Lucé se pourvoit en cassation. 

Le Conseil d’État rappelle en ces termes la directive jurisprudentielle applicable à la radiation des cadres pour abandon de poste : « Une mesure de radiation de cadres pour abandon de poste ne peut être régulièrement prononcée que si l'agent concerné a, préalablement à cette décision, été mis en demeure de rejoindre son poste ou de reprendre son service dans un délai approprié qu'il appartient à l'administration de fixer. Une telle mise en demeure doit prendre la forme d'un document écrit, notifié à l'intéressé, l'informant du risque qu'il court d'une radiation de cadres sans procédure disciplinaire préalable. Lorsque l'agent ne s'est ni présenté ni n'a fait connaître à l'administration aucune intention avant l'expiration du délai fixé par la mise en demeure, et en l'absence de toute justification d'ordre matériel ou médical, présentée par l'agent, de nature à expliquer le retard qu'il aurait eu à manifester un lien avec le service, cette administration est en droit d'estimer que le lien avec le service a été rompu du fait de l'intéressé. »

Il résulte de la narration ci-dessus que la décision de radiation était justifiée en l’espèce ; l’arrêt d’appel est cassé.

(7 décembre 2018, Commune de Lucé, n° 412905)

 

60 - Fonctionnaire territorial – Enseignant de musique (écriture musicale) agent contractuel sur un emploi à temps non complet – Demande de transformation de son emploi à temps complet – Absence de droit à cette mutation – Recrutement d'un enseignant (écriture musicale) sur un emploi à temps non complet alors que le requérant avait sollicité un emploi à temps complet – Refus illégal – Annulation.

Un enseignant est recruté comme agent contractuel en enseignements artistiques (écriture musicale), sur un emploi à temps non complet. Il a sollicité la transformation de son poste en emploi à temps complet, cela lui est refusé et le refus est annulé par la cour administrative d'appel. Son arrêt est cassé par le Conseil d'État car, recruté sur un emploi à temps non complet, il n'a pas un droit à voir transformer cet emploi en emploi à temps complet. En outre, sa collectivité d'emploi ayant décidé de créer, dans la même discipline (écriture musicale), un nouvel emploi à temps non complet, l'intéressé a contesté cette décision estimant que la collectivité devait d'abord rechercher à compléter les services des agents à temps non complet avant de procéder à une embauche. Alors même que la collectivité objecte que le demandeur n'aurait pas été en mesure, compte tenu du lieu et des horaires des cours envisagés, d'assurer cet enseignement à hauteur des trois heures par semaine qui lui manquaient pour avoir un service à temps complet, le Conseil d'État donne raison au requérant car il était le seul dans sa discipline à avoir demandé à exercer à temps complet et il n'est pas établi par les pièces du dossier que le recrutement d'un agent contractuel se justifiait par la nécessité de répondre à des attentes différentes des élèves du conservatoire.

(19 décembre 2018, M. X., n° 401813)

 

61 - Magistrats du parquet – Régime disciplinaire – Pouvoir disciplinaire exercé par le garde des sceaux – Inconstitutionnalité alléguée – Demande de renvoi d’une QPC au Conseil constitutionnel – Refus.

La requérante, alors substitut du procureur de la république près le tribunal de grande instance de Bordeaux, a fait l’objet d’un blâme du garde des sceaux, sanction qu’elle conteste. Elle invoque à cet effet une QPC fondée sur l’inconstitutionnalité des art. 48 et 58-1 à 66 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, en ce que ces dispositions méconnaissent le principe de la séparation des pouvoirs, celui de l'indépendance de l'autorité judiciaire, le principe d'égalité devant la loi ainsi que le droit à un procès équitable et le principe du respect des droits de la défense.

Le Conseil d’État, tirant les conséquences de décisions rendues sur ce sujet par le Conseil constitutionnel (cf. décisions n° 78-103 DC du 17 janvier 1979, n° 93-336 DC du 27 janvier 1994, n° 2001-445 DC du 19 juin 2001, n° 2010-611 DC du 19 juillet 2010 et n° 2016-732 DC du 28 juillet 2016), estime n’être plus tenu que de se prononcer sur le moyen tiré de l’inconstitutionnalité du seul art. 48 de l’ordonnance précitée, lequel dispose : « Le pouvoir disciplinaire est exercé (...) à l'égard des magistrats du parquet (...) par le garde des sceaux, ministre de la justice ».

Sur ce point la QPC était, d’évidence, vouée au rejet : la Constitution ayant elle-même établi deux catégories de magistrats, ceux du siège et ceux du parquet, il est conforme à ce texte que les régimes disciplinaires respectifs des deux catégories diffèrent. De plus, la procédure disciplinaire des membres du parquet offre les garanties les plus complètes, enfin, ces derniers ont toujours la possibilité, le cas échéant, de saisir le juge administratif pour contester la légalité tant de la procédure suivie que de la sanction infligée.

(12 décembre 2018, Mme X., n° 415334)

 

62 - Agent public reconnu médicalement inapte à occuper un emploi – Obligation de reclasser l’intéressé – Principe général du droit – Liberté de celui-ci d’accepter ou non la proposition de reclassement – Régime applicable aux agents titulaires de la fonction publique comme aux agents contractuels de droit public – Affectation sur un poste compatible avec l’état de santé de l’agent – Absence, en cette hypothèse, de reclassement et donc d’application du régime juridique prévu pour ce cas.

Un agent d’un conseil régional, recruté comme photographe à plein temps et affecté à la direction de la culture, est déclaré, après deux arrêts pour congé maladie, médicalement apte à poursuivre son activité de photographe « (…) dans un environnement professionnel différent (changement de service obligatoire) ». Il est alors affecté comme photographe à la direction de la communication. La cour de Douai annule cette décision du président du conseil régional motif pris de ce qu’elle a été prise sans que l’agent ait été préalablement invité à présenter une demande de reclassement sur un autre emploi ; elle annule pareillement le refus du licenciement que l’agent avait sollicité. Le Conseil d’État annule cet arrêt pour erreur de droit car, en pareille hypothèse, où le nouvel emploi comporte la réalisation de tâches identiques ou semblables à celles précédemment exercées et n'entraîne ni perte de rémunération ni perte de responsabilités, il ne s’agit pas d’un reclassement. Le régime du reclassement était donc inapplicable ici.

(7 décembre 2018, Région Hauts-de-France, venant aux droits de la région Nord-Pas-de-Calais, n° 401812)

 

63 - Pensions de retraite des fonctionnaires – Majoration pour handicap résultant d’une incapacité permanente – Date à laquelle est calculée le montant de la pension d’un fonctionnaire – Date de concession de la pension.

Le Conseil d’État rejette le recours du ministre et donne raison aux premiers juges d’avoir décidé que le calcul de la pension de retraite d'un fonctionnaire est effectué en fonction des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle cette pension lui est concédée. Il suit de là que les conditions d'ouverture du droit à majoration de pension doivent s'apprécier à la date à laquelle cette pension est concédée à l'agent et non à la date d'ouverture de ses droits à pension.

(12 décembre 2018, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 416299)

 

64 - Représentation des personnels civils de la gendarmerie dans les commissions d’action sociale relevant du ministère de l’intérieur – Niveau de la détermination de la représentativité syndicale – Appréciation au niveau de ces commissions ou au niveau le plus proche – Nécessité de retenir la représentativité au sein des comités d’hygiène et de sécurité des conditions de travail – Absence en l’espèce – Annulation de la décision ministérielle refusant cette prise en compte.

Les personnels civils de la gendarmerie, bien qu’ils soient éligibles aux actions des commissions locales d'action sociale du ministère de l'intérieur, n'y sont pas représentés. Le ministre justifie cette situation par le fait qu’il n’est pas possible d'apprécier au niveau départemental la représentativité des organisations syndicales représentant les personnels civils de la gendarmerie nationale car les résultats obtenus par celles-ci n'ont pas été recueillis dans le cadre d'élections à des instances départementales mais à l'occasion du vote pour l'élection d'une instance nationale.

Le Conseil d’État annule ce refus en relevant que la représentation de ces personnels au sein des comités d'hygiène et de sécurité des conditions de travail (CHSCT), a été fixée sur la base des suffrages recueillis dans chaque région par les organisations syndicales lors d’élections pour la désignation des représentants du personnel au sein du comité technique de la gendarmerie nationale.

On saluera une décision expédiente pleine de bon sens et d’équité.

(12 décembre 2018, Syndicat UNSA - Intérieur-ATS, n° 415765)

 

Hiérarchie des normes

 

65 - Contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel – Directive européenne du 4 février 2014 – Institution par la loi française (art. L. 313-25-1 code monétaire et financier) du droit pour le prêteur d’imposer à l'emprunteur, en contrepartie d'un avantage individualisé, la domiciliation de l'ensemble de ses revenus salariaux ou assimilés sur un compte de paiement – Compatibilité avec la directive – Renvoi préjudiciel à la CJUE.

Le Conseil d’État renvoie à la CJUE la question, préjudicielle dans le cadre du litige dont il est saisi, de savoir :

1°/ si est, ou non, contraire au a) du paragraphe 2 de l'article 12 de la directive 2014/17/UE du 4 février 2014, la disposition du code monétaire et financier permettant à un prêteur d’imposer à l'emprunteur, en contrepartie d'un avantage individualisé, la domiciliation de l'ensemble de ses revenus salariaux ou assimilés sur un compte de paiement pendant une durée fixée par le contrat de prêt, quels que soient le montant, les échéances et la durée du prêt, d'autre part, à ce que la durée ainsi fixée puisse atteindre dix ans ou, si elle est inférieure, la durée du contrat ;

2°/ si l'article 45 de la directive 2007/64/CE du 13 novembre 2007, alors applicable et repris désormais à l'article 55 de la directive (UE) 2015/2366 du 25 novembre 2015, et les articles 9 à 14 de la directive 2014/92/UE du 23 juillet 2014, relatifs à la facilitation de la mobilité bancaire et aux frais de clôture d'un compte de paiement, s’opposent, ou non, à ce que la clôture d'un compte ouvert par l'emprunteur auprès du prêteur pour y domicilier ses revenus en contrepartie d'un avantage individualisé dans le cadre d'un contrat de crédit entraîne, si elle a lieu avant l'expiration de la période fixée dans ce contrat, la perte de cet avantage, y compris plus d'un an après l'ouverture du compte et, d'autre part, si ces mêmes dispositions s'opposent à ce que la durée de cette période puisse atteindre dix ans ou la durée totale du crédit.

On mesure l’importance pratique considérable de ces questions pour un grand nombre d’emprunteurs.

(5 décembre 2018, Association française des usagers de banques, n° 413226)

 

66 - Ordonnance de l’art. 38 de la Constitution – Ordonnance ratifiée – Valeur législative de l’ordonnance dès sa signature – Impossibilité de contestation devant le juge de l’excès de pouvoir.

Rappel de la règle bien connue selon laquelle les ordonnances de l’art. 38 acquièrent, du fait de leur ratification par le pouvoir législatif, valeur législative dès leur signature et ne peuvent plus faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Ceux introduits avant la ratification deviennent sans objet après ratification et cela rétroactivement, à compter de la signature de l’ordonnance.

(14 décembre 2018, Fédération bancaire française, n° 414885)

 

67 - Décret du 30 août 2016 relatif aux modalités de mise en œuvre de la limitation des gobelets, verres et assiettes jetables en matière plastique – Article L. 541-10-5 du code de l’environnement – Absence d’inconventionnalité – Absence d’atteinte au principe d’égalité – Absence d’atteinte aux objectifs de clarté et d’intelligibilité – Rejet.

Des fabricants de ces objets contestent la légalité du décret du 30 août 2016 qui met en œuvre les dispositions de l’art. L. 541-10-5 du code de l’environnement pris en vue de la limitation des gobelets, verres et assiettes jetables en matière plastique. Le recours est rejeté.

Tout d’abord, est examinée la conventionnalité, contestée par le recours, de l’art. L. 541-10-5 du code de l’environnement (issu de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique) par rapport aux dispositions du droit de l’Union européenne (art. 34 et 35 du TFUE) interdisant les restrictions quantitatives à l'importation et à l'exportation entre les États membres ainsi que toutes mesures d'effet équivalent. Ce grief est rejeté en ses trois branches. 1°/ La loi est justifiée par le souci de la protection de l’environnement et elle est indifféremment applicable aux produits nationaux et à ceux importés. 2°/ Ce texte vise à  limiter l'offre de produits plastiques jetables pour privilégier l'utilisation de produits réutilisables et à  réduire la proportion de plastiques conventionnels contenus dans les produits à usage unique qui demeurent encore commercialisés pour en limiter l'impact sur l'environnement. 3°/ Si les fabricants de gobelets, verres et assiettes en plastique prétendent qu’ils sont déjà soumis à une réglementation contraignante leur imposant notamment de prendre en compte le cycle de vie de leurs produits dès leur conception, cette circonstance ne répond pas à l'objectif prioritaire précité de réduction de la production de déchets. Or c’est ce dernier aspect que vise la disposition législative précitée.

Ensuite, les autres griefs sont examinés en considérant que le décret attaqué a été pris en exécution et pour l’exécution de la loi précitée, ils ne peuvent donc être retenus que dans la mesure où, à la fois, ils seraient illégaux et propres au seul décret attaqué. Or en l’espèce, les deux critiques principales portent sur l’atteinte qui serait portée au principe d’égalité et sur celle portée aux objectifs de clarté et d’intelligibilité de la norme : l’un et l’autre ne concernent point le décret attaqué qui, sur ce point, se borne à appliquer les dispositions contenues dans la loi.

(28 décembre 2018, Société DOPLA et autres, n° 404792)

 

Libertés fondamentales

 

68 - Exportation à l’étranger de gamètes d’un défunt– Interdiction en droit français – Conformité de l’interdiction à la Convention EDH – Conformité ne faisant pas obstacle au contournement de la loi française en cas d’ingérence disproportionnée de celle-ci dans les droits garantis par cette convention – Absence de projet parental précis – Refus justifié.

La double circonstance que la législation française, d’une part, n’admet le dépôt et la conservation des gamètes qu'en vue de la réalisation d'une assistance médicale à la procréation entrant dans les prévisions légales du code de la santé publique et interdit la conservation des gamètes après le décès du donneur, d’autre part, soit conforme sur ce point à la Convention EDH, n’empêche pas que, dans certaines circonstances particulières, l'application de ces dispositions législatives puisse constituer une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette convention. C’est donc au cas par cas qu’il convient d’examiner s’il y a lieu, ou non, de respecter la loi ou de s’en passer.

En l’espèce cependant, il n’existe aucun projet parental précis en vue duquel le dépôt des gamètes aurait été effectué. Dès lors, le refus opposé ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Raisonnement complexe et tortueux qui ne satisfera personne et qui repose sur l’idée qu’un défunt conserve des droits fondamentaux particulièrement actifs, ce qui ne va pas de soi, à moins de postuler la liberté fondamentale des parents à voir se perpétuer le souvenir de leur fils via l’implantation, à leur choix, de gamètes laissés en déshérence par sa mort…

(4 décembre 2018, Mme X., n° 425446)

 

69 - Domiciliation des revenus de l’emprunteur chez le prêteur – Absence de mise en cause d’une liberté publique ou des droits civiques – Absence de mise en cause du droit de propriété ou du droit des obligations – Absence d’incompétence négative des auteurs d’une ordonnance.

La requérante arguait d’incompétence négative une ordonnance de l’art. 38 instituant la faculté pour un établissement de crédit de proposer à un client, en contrepartie d'un avantage individualisé relatif à une offre de crédit, la domiciliation de ses revenus sur un compte de paiement. Elle reproche à celle-ci de n’avoir pas prévu les garanties nécessaires à la protection des droits des consommateurs et de la liberté contractuelle. Le Conseil d’État rejette le grief au motif que ne sont pas en cause, en ce cas, les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, ni les principes fondamentaux du régime de la propriété et des obligations civiles et commerciales au sens de l'article 34 de la Constitution.

(5 décembre 2018, Association française des usagers de banques, n° 413226) 

V. aussi cet arrêt au n° 17

70 - Organisation des visites des détenus en prévention – Régime des correspondances des détenus en prévention – Intervention et effets d’une décision du Conseil constitutionnel rendue sur QPC - Translations judiciaires des détenus en prévention – Nécessité de prévoir un recours effectif – Carence du législateur – Incompétence du pouvoir réglementaire pour régir les mesures d’extraction ou de translation de prévenus en l’absence de tout recours effectif possible – Injonction d’abroger les dispositions réglementaires litigieuses sauf intervention du législateur pour ouvrir une voie de recours à l'encontre des mesures de translation judiciaire.

L’association requérante demande l’annulation du rejet implicite de son recours, résultant du silence gardé par le premier ministre sur sa demande d’abrogation de plusieurs dispositions du code de procédure pénale.

En premier lieu, est contesté le refus d'abroger les dispositions relatives aux modalités d'organisation des visites des détenus en prévention. Le Conseil d’État rejette l’argumentation car le refus de faire droit à une demande de bénéficier d'un parloir familial ou d'une unité de vie familiale peut, contrairement à ce que prétend l’association requérante, faire l'objet d'un recours devant le président de la chambre de l'instruction, conformément aux exigences de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. 

En deuxième lieu, est également contesté le refus d'abroger les dispositions relatives à la correspondance des détenus en prévention, notamment celle selon laquelle « Les personnes condamnées et, sous réserve que l'autorité judiciaire ne s'y oppose pas, les personnes prévenues peuvent correspondre par écrit avec toute personne de leur choix » (art. 40 de la loi du 24 novembre 1960). Le Conseil d’État relève que par sa décision n° 2018-715 QPC du 22 juin 2018, le Conseil constitutionnel, d’une part, a déclaré contraires à la Constitution les mots « sous réserve que l'autorité judiciaire ne s'y oppose pas », au motif que ces dispositions méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789, d’autre part, que cette déclaration d'inconstitutionnalité prendra effet au 1er mars 2019 « afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée ». Toutefois, afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de sa décision, le Conseil constitutionnel a posé la règle, purement prétorienne et expédiente, que les décisions de refus prises après la date de cette publication peuvent être contestées devant le président de la chambre de l'instruction. Il en résulte que le Conseil n’a pas entendu, ce jugeant, remettre en cause les effets que la disposition déclarée contraire à la Constitution avait produits avant la date de son abrogation. Ainsi doit être écarté le moyen tiré de la violation de l’art. 13 de la Convention EDH du fait de l’« invention » d’une voie de recours par le juge constitutionnel.

Enfin, en troisième lieu, s’agissant du refus d'abroger les dispositions relatives aux translations judiciaires des détenus en prévention, il est jugé que si le pouvoir réglementaire était compétent pour définir les conditions dans lesquelles l'autorité judiciaire ordonne la translation judiciaire d'une personne détenue en prévention, en l’absence, à la date de la présente décision, de toute possibilité de recours contre les mesures de translations judiciaires, le pouvoir réglementaire ne pouvait légalement intervenir tant que le législateur n'avait pas préalablement organisé, dans son champ de compétence relatif à la procédure pénale, une voie de recours effectif permettant de contester de telles mesures, d’où il suit qu’ont été illégalement édictés le premier alinéa de l'article D. 57 du code de procédure pénale en tant qu'il renvoie au premier alinéa de l'article D. 297 du même code, ainsi que le premier alinéa de ce même article D. 297.

Il est fait injonction au premier ministre de procéder à cette abrogation dans les douze mois.

(12 décembre 2018, Section française de l'observatoire international des prisons, n° 417244)

 

71 - Extradition – Demande des autorités russes – Décret d’extradition contesté – Infractions sans caractère politique – Absence de but politique à la demande d’extradition – Griefs rejetés.

Cette décision est intéressante par ce qu’elle dévoile des hésitations du Conseil d’État, quelque peu coincé entre l’apparence de caractère démocratique de la mesure sollicitée et de ses conditions concrètes d’exécution en Russie et une certaine plausibilité des affirmations du requérant (absence des garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense, risques de traitements inhumains ou dégradants, défaut des soins nécessités par son état de santé).

L’intéressé, poursuivi en Russie pour certaines infractions, notamment de caractère économique (escroquerie, blanchiment de biens acquis par une personne par la commission d'une infraction et détournement de biens d'autrui par une personne abusant de son autorité, en groupe organisé et sur une vaste échelle), fait l’objet d’un décret d’extradition à la suite de la démarche en ce sens de la Russie et en demande l’annulation.

Pour rejeter tous les moyens articulés au soutien de la demande d’annulation, le Conseil d’État opère un examen à la fois minutieux de chacun d’eux mais qui ne laisse pas cependant de donner une impression de malaise. Ceci ressort en particulier des précautions prises par la France et rappelées par le juge dans sa décision (engagements souscrits par le vice-procureur général de la Fédération de Russie, pour ce cas précis, concernant les conditions de détention ; possibilité de visites inopinées de l’intéressé par des membres de l’ambassade de France en cas de détention, etc.).

L’État de droit est un état difficilement compatible avec l’État, « le plus froid de tous les monstres froids » selon la formule de F. Nietzsche (Ainsi parlait Zarathoustra, I, « De la nouvelle idole », § 67).

(28 décembre 2018, M. X., n° 418897)

 

72 - Demandes d’asile – Obligation de respecter les délais légaux de traitement des demandes – Obligation de résultat – Refus ou inertie pour prendre les mesures nécessaires – Recours pour excès de pouvoir possible contre ce refus ou cette carence – Mesure d’instruction ordonnée.

Ayant constaté, sur recours d’une association, le non-respect par les autorités françaises, sur l’ensemble du territoire national, des délais impartis par l’art. L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) pour l’enregistrement des demandes d’asile, le Conseil d’État admet la recevabilité d’un recours pour excès de pouvoir contre l’absence ou l’insuffisance de mesures prises pour respecter cette exigence qui constitue une obligation de résultat.

Toutefois, et conformément au principe selon lequel le juge administratif dirige souverainement l’instruction, le Conseil d’État, avant de se prononcer sur le fond, compte tenu de l‘intervention en cours d’instance, à une date récente, de l’information du ministre de l’intérieur du 4 décembre 2017 relative à l'évolution du parc d'hébergement des demandeurs d'asile et des réfugiés, d’une instruction du 12 janvier 2018 relative à la réduction des délais d'enregistrement des demandes d'asile aux guichets uniques et de la loi du 10 septembre 2018 destinée à améliorer l’accueil et la prise en charge des demandeurs d’asile, ordonne une mesure d’instruction auprès du ministre de l'intérieur et du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à l’effet de produire tous éléments susceptibles de lui permettre, d'une part, d'apprécier si les délais fixés à l'article L. 741-1 du CESEDA  sont désormais respectés, d'autre part, de connaître l'ensemble des mesures prises depuis la décision attaquée afin de garantir le respect de ces délais.

(28 décembre 2018, Association « La Cimade », n° 410347)

Voir aussi cette décision au n° 3

 

73 - Interprète de nationalité afghane au service de l’armée française – Auxiliaire des forces opérationnelles françaises en Afghanistan – Demande de protection fonctionnelle pour lui et sa famille et de mise en sécurité – Référé liberté – Rejet en raison du principe d’indépendance des législations – Annulation du rejet – Injonction au ministre des armées d’assurer la protection immédiate du requérant et de sa famille.

Le demandeur, de nationalité afghane, qui a été employé comme interprète au service de l’armée française lorsqu’elle était présente en Afghanistan, a sollicité de l’État français, après le départ de celle-ci, la protection fonctionnelle, le logement dans un quartier sécurisé de Kaboul, enfin, la délivrance de visas pour la France, en raison des menaces mortelles pesant sur lui et les siens, dans la mesure où il a été blessé par balles une première fois, puis une seconde fois lors d’un attentat dans son village.

Le juge des référés de première instance a rejeté les demandes de l’intéressé au motif qu'eu égard à l'indépendance des législations, la décision refusant de lui accorder la protection fonctionnelle était sans lien avec l'examen de la possibilité de lui octroyer un visa ou un titre de séjour en France et que l'exécution de cette décision ne pouvait, dès lors, être regardée comme portant, par elle-même, une atteinte grave et manifestement immédiate à la sauvegarde d'une liberté fondamentale. Le Conseil d’État annule cette ordonnance pour insuffisance de motivation car elle n’indique point en quoi les demandes de l’intéressé ne pouvaient pas être satisfaites.

Statuant au fond, le juge estime que la carence des autorités publiques françaises est de nature à exposer le requérant, de manière caractérisée, à un risque pour sa vie et à des traitements inhumains ou dégradants, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Ces circonstances de fait révèlent, en elles-mêmes, une situation d'urgence caractérisée. Il est fait injonction aux ministres concernés « de mettre en œuvre dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente décision toute mesure de nature à assurer la mise en sécurité immédiate du requérant et de sa famille, par tout moyen approprié, tel que le financement d'un logement dans un quartier sécurisé de Kaboul et (…) de réexaminer la situation de l'intéressé dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision ».

Il est heureux que le juge administratif suprême ait rappelé l’État à un devoir élémentaire d’humanité dans les circonstances de l’espèce.

(14 décembre 2018, M. X., n° 424847)

 

Police

 

74 - Échange d’un permis de conduire étranger contre un permis de conduire français – Cas du permis d’un réfugié non ressortissant de l’Union ou de l’Espace économique européen – Permis périmé avant une certaine date ou dont le renouvellement était impossible eu égard à la qualité de réfugié – Refus du préfet – Obligations pesant sur l’État – Annulation du refus.

Un réfugié se voit refuser l’échange, qu’il avait demandé, entre son permis de conduire et un permis de conduire français. Le refus est annulé tant en vertu des dispositions réglementaires que d’une convention internationale. Tout d’abord,  l'article 11 de l'arrêté du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d'échange des permis de conduire délivrés par les États n'appartenant ni à l'Union européenne (UE), ni à l'Espace économique européen (EEE) dispose que le préfet ne peut légalement refuser d'échanger le permis de conduire étranger présenté par un réfugié contre un permis français ni au motif que le permis a expiré, si son expiration est intervenue entre la date d'obtention du titre de séjour provisoire et la date de la demande d'échange ni au motif que la validité du permis a expiré avant l'obtention du titre de séjour provisoire, si, à la date de son expiration, son renouvellement était soumis à l'acquittement d'une taxe ou à un examen médical. Ensuite, le juge estime que même lorsqu’il ne se trouve pas dans l’un des cas prévus par ce texte, le réfugié bénéficie des dispositions de l'article 25 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ; les autorités françaises ne sauraient donc légalement refuser l'échange au motif que ce titre n'est plus en cours de validité, si l'intéressé s'est trouvé empêché d'en obtenir le renouvellement par le risque de persécutions auquel il est exposé dans son pays.

(17 décembre 2018, M. X., n° 411121)

 

75 - Police vétérinaire – Abattage rituel, donc sans étourdissement préalable, en abattoir autorisé par les services vétérinaires – Habilitation donnée par un organisme religieux agréé aux sacrificateurs en vue de pratiquer cet abattage – Habilitation donnée exclusivement sur critères religieux – Liste des sacrificateurs habilités devant obligatoirement être transmise aux préfets – Obligation pour les sacrificateurs, outre l'habilitation accordée, de détenir un certificat de compétence en protection des animaux et d'avoir reçu une formation en matière de sécurité sanitaire des aliments .

(19 décembre 2018, M. X. c/ Association consistoriale israélite de Paris, n° 419773 ; du même jour : M. X., n° 419774 ; M. X., n° 419775)

Renvoi au n° 6 ci-dessus et au n° 115  

 

 

Procédure contentieuse

 

76 - Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – Sanction contre une institution de prévoyance – Intérêt pour agir à l’encontre de cette sanction – Tiers – Absence d’intérêt.

Un tiers n’a pas d’intérêt à agir contre une sanction prononcée par l’ACPR envers une caisse de retraite du personnel des avocats près les cours d’appel quand bien même il serait cité anonymement dans la décision de sanction ou serait l’ancien vice-président de la caisse sanctionnée ou encore, ferait depuis cette sanction l’objet d’une action judiciaire intentée contre lui par le nouveau conseil d’administration de la caisse.

La solution peut sembler sévère.

(3 décembre 2018, Mme X. et autres, n° 409934)

 

77 - Référé suspension – Risque de déclarer en fuite des demandeurs n’ayant pas les moyens de se déplacer en préfecture pour y accomplir les formalités requises – Instructions données par arrêté ministériel aux préfets de faciliter le déplacement de ces personnes – Absence de publication de l’arrêté – Absence sans effet de droit dès lors que cet élément de fait est retenu par le juge du référé – Absence d’urgence – Rejet.

Une association demande la suspension d’un arrêté du ministre de l’intérieur portant régionalisation de la procédure de détermination de l'État responsable de l'examen de la demande d'asile dans la région Bourgogne-Franche-Comté. Elle estime qu’en raison de l’éloignement du centre de traitement de ces demandes des personnes n’ayant pas les moyens de s’y rendre risquent d’être déclarées en fuite. Elle invoque la circonstance que si cet arrêté demande aux préfets de prendre toutes dispositions pour faciliter les déplacements des intéressés, il n’a pas été publié et ne produit donc pas d’effets de droit. Le juge des référés rappelle qu’il est de son office de tenir compte des faits de l’espèce et que l’existence de cet arrêté ainsi que son envoi aux destinataires concernés constitue un fait entrant dans son appréciation de l’urgence à décider. Il en déduit l’absence d’urgence et rejette le référé introduit.

(3 décembre 2018, Association « La Cimade », n° 425083)

 

78 - Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction – Appréciation de la légalité d’une convention collective ou d’un accord collectif de travail - Question préjudicielle – Obligation de renvoyer au juge judiciaire sauf jurisprudence établie permettant l’examen de la question par le juge saisi au principal – Absence de jurisprudence établie – Obligation de renvoi – Annulation de l’arrêt jugeant le contraire.

Rappel d’une jurisprudence concordante du Conseil d’État et de la Cour de cassation, d’ailleurs inaugurée par cette dernière, selon laquelle lorsque se pose une question préjudicielle la juridiction administrative saisie du principal du litige doit renvoyer celle-ci au juge judicaire sauf s'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal ou si elle met en cause la conformité au droit de l'Union européenne. En l’espèce, où il s’agissait d’un litige relatif à la régularité d’un arrêté agréant certains accords de travail applicables dans les établissements et services du secteur social et médico-social privé à but non lucratif, il n’existait aucune jurisprudence manifestement établie. La cour a donc commis une erreur de droit en ne renvoyant pas les parties devant le juge judiciaire afin de lui faire trancher la question préjudicielle.

(28 décembre 2018, Ministre des solidarités et de la santé, n° 412849, et Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés à but non lucratif, n° 412895)

 

79 - Acte réglementaire des ministres – Contentieux de l’excès de pouvoir dirigé contre de tels actes relevant en premier et dernier ressort du Conseil d’État – « Grille des nuances politiques » établie par le ministre de l’intérieur présentant ce caractère –Attribution à un candidat à une élection d’une nuance politique figurant parmi celles de la « grille » – Absence de caractère réglementaire de cette décision – Incompétence du Conseil d’État – Renvoi au tribunal administratif de Paris.

Les requérants demandaient au Conseil d’État d’annuler le refus du ministre de l’intérieur de leur attribuer une autre nuance que celle, « extrême droite », qu’il leur avait attribuée. Si la décision par laquelle le ministre de l'intérieur établit une « grille des nuances politiques » pour l'enregistrement des résultats d'une élection présente un caractère réglementaire et sa contestation relève directement de la compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort, en revanche, la décision par laquelle l'autorité administrative qui a enregistré sa candidature attribue à un candidat une nuance politique parmi celles figurant dans cette grille ne présente pas ce caractère et relève donc de la compétence du tribunal administratif de Paris par application des dispositions de l’art. R. 312-1 CJA.

(7 décembre 2018, M. X. et Front des patriotes républicains, n° 418821)

 

80 - Référé suspension – Procédure – Clôture de l'instruction – Communication d'un mémoire postérieurement à cette clôture – Effet : réouverture de l'instruction – Obligation : fixation d'une nouvelle audience ou de la date (et de l'heure) à laquelle sera close l'instruction.

Rappel de la procédure à observer en cas de communication aux parties, par le juge des référés, d'un mémoire après clôture de l'instruction que ce mémoire ait été produit avant ou après cette clôture. En ce cas, le juge des référés doit être regardé comme ayant rouvert l'instruction. Il lui appartient, en pareil cas, sauf à fixer une nouvelle audience, d'informer les parties de la date et, le cas échéant, de l'heure à laquelle l'instruction sera close et il ne saurait, par suite, rendre son ordonnance avant ce terme sans entacher la procédure d'irrégularité.

(17 décembre 2018, Commune de Sainte-Eulalie, n° 421776)

 

81 - Référés de droit commun et procédure spéciale applicable aux étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire (OQTF, art. L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou CESEDA) – Garanties au moins équivalentes offertes par cette dernière par rapport aux procédures de droit commun – Caractère exclusif de la procédure instituée par l'art. L. 512-1 du CESEDA – Réserve du cas où l'exécution de l'OQTF produirait des effets excédant ceux normalement attachés à l'exécution de cette décision.

Rappel des garanties respectives attachées à chacune des deux procédures d'urgence, celles de droit commun et celle assortissant une OQTF. En principe les garanties sont au moins équivalentes, cependant le juge fait la réserve du cas où le recours à la procédure de l'art. L. 512-1 du CESEDA produirait des effets excédant ceux normalement attachés à cette dernière. En ce cas, il convient de faire retour aux procédures d'urgence de droit commun. Telle n'était pas la situation dans la présente affaire.

(18 décembre 2018, M. X., n° 425980)

 

82 - Acte faisant grief – Notion – Avertissement donné à une société vinicole par une direction régionale de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi – Acte faisant grief – Annulation de l’arrêt ayant jugé le contraire.

Doit être cassé l’arrêt qui rejette un recours au motif qu’il est dirigé contre un avertissement ne faisant pas grief alors que, par cet acte, d’une part, étaient constatés la mention d’une indication géographique plus petite que celle prévue par le cahier des charges d'une appellation d'origine contrôlée, la commission d’une infraction à l'article 5 du décret du 4 mai 2012 relatif à l'étiquetage et à la traçabilité des produits vitivinicoles et à certaines pratiques œnologiques, le fait que cette infraction était passible d'une contravention de 3ème classe, d’autre part, la société requérante était mise en demeure de se conformer, pour les fontaines à vin en AOP Côtes de Provence non millésimées qu'elle commercialisait, aux obligations d'étiquetage prévues par ce décret en lui fixant un délai pour y procéder.

(7 décembre 2018, Société Les coteaux du Golfe de Saint-Tropez, n° 408220 ; v. aussi, dans le même sens et du même jour : Société coopérative vinicole « Les vignerons de Grimaud », n° 408218)

 

83 - Arrêté interministériel fixant les zones de libre installation d’offices notariaux ainsi que le nombre d’offices pouvant être créés dans ces zones – Caractère réglementaire – Décision de création d’un nouvel office notarial ou d’ouverture d’un bureau annexe à un tel office – Absence de contribution à l’organisation du service public notarial – Absence de caractère réglementaire – Incompétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort pour connaitre du recours dirigé contre cette dernière décision.

(28 décembre 2018, MM. X., notaires associés dans un office notarial, n° 409441)

Voir aussi les n°s 13 et 99

 

84 - Décision purement confirmative – Absence de réouverture du délai de recours contentieux – Notion – Cas de l’acte réglementaire pris en exécution d’une loi nouvelle – Absence de caractère confirmatif – Réouverture du délai d’action contentieuse.

Dans le cadre d’un litige portant sur la légalité du décret n° 2017-389 du 23 mars 2017 relatif aux conditions d'entrée et de sortie du territoire national des tissus, de leurs dérivés, des cellules issues du corps humain et des préparations de thérapie cellulaire, était opposé à la société demanderesse le caractère purement confirmatif du décret attaqué. On sait que lorsqu’une décision administrative est « purement confirmative » d’une décision précédente contre laquelle le délai du recours contentieux était entièrement expiré lors de la prise de la décision confirmative, il n’est pas possible de voir rouvrir ce délai à la faveur de la décision plus récente. Il faut cependant pour cela que cette dernière soit réellement « confirmative ». Ce n’est pas le cas, par exemple, quand l’administration a procédé à un réexamen approfondi de la situation de fait avant de prendre la nouvelle décision ou quand – comme c’est le cas en l’espèce – la plus récente des deux décisions a été prise à la suite d’une modification ou d’un changement de la législation antérieure qu’elle appliquait. Il en va ainsi même lorsque la seconde décision est identique à la précédente.

(7 décembre 2018, Société TBF génie tissulaire, n° 410887)

 

85 - Clôture de l’instruction – Production postérieure à la clôture et à l’audience – Désistement – Réouverture de l’instruction non nécessaire en l’absence d’invocation d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire – Simple possibilité pour le juge de rouvrir l’instruction pour donner acte du désistement.

De cette décision rendue dans le contentieux du permis d’aménager un lotissement à usage d’habitation, de bureaux et de service, sera retenu l’aspect procédural relatif à la clôture de l’instruction.

En l’espèce, il était reproché aux premiers juges de n’avoir pas rouvert l’instruction après réception du désistement de l’une des parties, porté à la connaissance du tribunal après la clôture de l’instruction et après l’audience.

Le Conseil d’État rappelle une jurisprudence constante : si en vertu de son pouvoir de direction de l’instruction, le juge administratif a toujours la faculté de rouvrir l’instruction pour tenir compte d’une production postérieure à la clôture de celle-ci, il n’en a l’obligation que dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction,  qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire et que le juge doit en tenir compte à peine d'irrégularité de sa décision. Tel ne saurait jamais être le cas d’un désistement. C’est donc régulièrement qu’en l’espèce le juge du fond n’a pas rouvert l’instruction après réception du désistement de l’une des parties.

(7 décembre 2018, Société Fradin, n° 411924)

 

86 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort pour connaître des recours dirigés contre les décisions du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) prises au titre de sa mission de contrôle ou de régulation – Sanction infligée par le CSA – Demande de reconduction automatique, hors appel aux candidatures, de l’autorisation d’émettre, sauf sanction – Recours contre le refus par le CSA de la reconduction de l’autorisation d’émettre – Compétence en ce cas de la cour administrative d’appel de Paris – Lien de connexité entre les deux demandes formées, l’une devant le Conseil d’État, l’autre devant la cour de Paris – Compétence du seul Conseil d’État pour connaître à la fois de ces deux demandes.

L’existence d’un lien de connexité entre, d’une part, le recours dirigé contre les décisions prises par le CSA au titre de ses pouvoirs de contrôle ou de régulation, qui relèvent de la compétence directe du Conseil d’État en premier et dernier ressort, et d’autre part, le recours formé contre le refus du CSA de renouveler, hors appel aux candidatures, une autorisation d’émettre, lequel relève de la compétence directe de la cour administrative d’appel de Paris, entraîne le renvoi des deux catégories de demandes devant le seul Conseil d’État.

Cette décision soulève aussi une question d’appréciation au fond, en référé-suspension, des décisions de sanction prises par le CSA ou tirant les conséquences de ces sanctions.

 (17 décembre 2018, Association « Comité de défense des auditeurs de Radio Solidarité » (CDARS), n° 422282)

 Voir aussi sur ce point au n° 20

 

87 - Aide juridictionnelle – Contestations de décisions du bureau d'aide juridictionnelle près un TGI, de l'ordre des avocats du barreau de Lyon et d’une lettre de la bâtonnière de cet ordre – Mises en cause de litiges se déroulant devant la juridiction judiciaire – Incompétence du juge administratif – Rejet.

Il résulte des dispositions de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques que les décisions relatives à l'aide juridictionnelle prises à l'occasion d'un litige relevant de la compétence de la juridiction judiciaire ne ressortissent pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'il s'agisse des décisions du bureau d'aide juridictionnelle, de la désignation par l'ordre des avocats concerné des auxiliaires de justice ou du refus du bâtonnier de cet ordre de faire droit à une demande tendant à la réparation du préjudice qui aurait été subi à cette occasion. 

(17 décembre 2018, M. X., n° 414488)

 

88 - Commissariat général à l'investissement (CGI) – Contentieux – Mémoires en défense du premier ministre – Mémoires signés d’une personne qui n’a ni reçu délégation à cet effet, ni statutairement pouvoir de le faire au nom de l’organisme en cause – Irrecevabilité des mémoires, ainsi écartés des débats.

Dans le cadre d’un litige mettant en cause un acte relevant du Commissariat général à l'investissement, service directement rattaché au premier ministre, dont le commissaire général est au nombre des chefs de services qui peuvent signer les actes relatif aux affaires des services placés sous leur autorité en application du 1° de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, les mémoires en défense du premier ministre présentés devant le juge administratif étaient en l’espèce irrecevables et doivent être écartés du débat contentieux car leur auteur n’était titulaire ou délégataire de signature ni en vertu des dispositions du décret du 22 janvier 2010 relatif au commissaire général à l'investissement ni en vertu des décrets du 13 septembre 2014 et du 24 mai 2017 portant délégation de signature pour les actions en justice engagée au titre des compétences du CGI.

(14 décembre 2018, Société MEI Partners, n° 409521)

 Voir aussi cette décision aux n°s 9 et 10

 

89 - Recours excès de pouvoir – Office du juge et motif d’annulation – Portée de la chose jugée – Pluralité des moyens justifiant l’annulation – Hiérarchisation de ses prétentions par le requérant – Conséquences pour le premier juge – Conséquence en cas d’appel – Conclusions à fin d’injonction – Conditions de communication des conclusions du rapporteur public en ce cas.

Statuant sur le recours formé par la société Eden, exploitant une école de conduite de navires de plaisance contre l’arrêté préfectoral lui refusant le renouvellement de l’agrément en qualité  d'établissement de formation à la conduite des navires de plaisance à moteur avec, comme bateau de formation, un voilier de type Sun Odyssey 42DS, le Conseil d’État est appelé à apporter une série de précisions sur l'office du juge de l'excès de pouvoir et sur le traitement des demandes d’injonction assortissant éventuellement les recours en annulation. L’importance tant de ces précisions que des solutions qu’elles emportent expliquent que cette décision ait été rendue par la section du contentieux en formation de jugement.

En premier lieu, est rappelé le principe de l’économie des moyens : sauf disposition législative expresse contraire (comme, par exemple en matière d’urbanisme), le motif sur lequel se fonde le juge pour annuler une décision administrative qui lui est déférée, que ce motif soit l’un de ceux invoqués par le requérant ou un motif relevé d’office par le juge (tel un moyen d’ordre public) suffit à justifier cette annulation et le juge n’a pas à se prononcer sur les autres moyens qui lui sont soumis.

En deuxième lieu, est également rappelé l’effet injonctif que peut éventuellement avoir en ce cas la chose jugée. Selon le motif retenu comme support nécessaire de l’annulation prononcée, il est loisible au demandeur d’assortir son recours soit d’une injonction à ce que soit prise une décision dans un sens déterminé (L. 911-1 CJA) soit d’une injonction à ce qu’il soit à nouveau statué sur sa demande dans un délai déterminé (L. 911-2 CJA).

En troisième lieu, est abordée la question toujours délicate, de l’existence de plusieurs moyens, chacun de nature à justifier l’annulation de la décision attaquée et de l’attitude du juge en ce cas.

Le Conseil d’État distingue deux hypothèses.

1°/ Si, et c’est là le principe, le requérant n’a point hiérarchisé les moyens qu’il développe au soutien de sa prétention, il appartient au juge saisi de « fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ». Ceci apparait très logique en théorie mais peut s’avérer parfois difficile à mettre en œuvre. Toutefois, lorsque le requérant assortit ses conclusions à fin d'annulation d’une demande d'injonction tendant à ce que le juge ordonne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir - nonobstant le principe qui vient d’être énoncé - d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d'injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 911-2. Il se produit donc ici un renversement des priorités : la considération de l’injonction sollicitée l’emporte sur celle du règlement au mieux du litige. Ceci est normal : sans demande d’injonction, l’annulation prononcée épuise normalement le litige, au contraire celui-ci « rebondit » en quelque sorte lorsque l’annulation doit être suivie soit d’une nouvelle décision nécessairement très différente de celle annulée soit d’un réexamen, à bref délai, de la demande initiale pour déboucher, peut-être, sur décision différente là aussi.

2°/Si le requérant a fait le choix « de hiérarchiser, avant l'expiration du délai de recours, les prétentions qu'il soumet au juge de l'excès de pouvoir en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent, à titre principal, ses conclusions à fin d'annulation, il incombe au juge de l'excès de pouvoir de statuer en respectant cette hiérarchisation, c'est-à-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent à la cause juridique correspondant à la demande principale du requérant ».

En quatrième lieu, si le juge n’estime fondé aucun des moyens assortissant la demande principale du requérant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, il n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le seul moyen qu'il retient pour annuler la décision attaquée : statuant ainsi, son jugement doit en effet être considéré comme écartant nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale. Cette solution n’est admissible que parce que le Conseil d’État décide que le requérant est recevable à relever appel en tant que le jugement n'a pas fait droit à sa demande principale et qu’il appartient alors au juge d'appel, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à la demande principale. Sans cela la solution serait très critiquable, d’où la réticence à admettre son application aux jugements qui ne sont pas « appelables ».

Sur le fond du litige dont il était saisi, le Conseil d’État, tirant les conséquences de ces prémisses, confirme l’arrêt en ce qu’il a rejeté l’appel de la société Éden dirigé contre le jugement de première instance, saisi à titre principal d’une demande d’injonction tendant à ce qu’il soit ordonné au préfet de délivrer l’agrément qu’elle sollicitait. Puis il a estimé que malgré le silence des textes en la matière (code des transports et arrêté d’application), la formation pratique exigée en vue de la délivrance du permis de conduire les bateaux de plaisance à moteur ne saurait être effectuée que sur des bateaux de plaisance à moteur. Or celui utilisé par la société requérante pour organiser cette formation pratique est à voile non à moteur.

(Section, 21 décembre 2018, Société Éden, n° 409618)

 

90 - Renvoi d’une affaire après cassation – Obligations en découlant pour la juridiction de renvoi – Non-respect de ces obligations en l’espèce – Cassation sans renvoi.

Le Conseil d’État rappelle deux règles essentielles en cas de renvoi d’une affaire après cassation. En premier lieu, la juridiction de renvoi doit mettre les parties au litige à même de produire de nouveaux mémoires pour adapter leurs prétentions et argumentations en fonction des motifs et du dispositif de la décision du Conseil d'État. En second lieu, cette juridiction doit viser et analyser dans sa nouvelle décision l'ensemble des productions éventuellement présentées devant elle.

Dans cette affaire, la commune demanderesse avait produit un nouveau mémoire comportant un moyen nouveau que la cour de renvoi n’a ni visé ni analysé, omettant de répondre au nouveau moyen, qui n'était pas inopérant, soulevé devant elle. Entaché d’irrégularité, l’arrêt est cassé à nouveau mais sans renvoi s’agissant d’une seconde cassation.

(28 décembre 2018, Commune de Faa'a, n° 412019)

Voir aussi sur cette décision le n° 27

 

91 - Recours en rectification d’erreur matérielle – Attribution du bénéfice des dispositions de l’art. L. 761-1 CJA – Modifications en ce sens par le requérant de sa demande – Admission.

Cette décision offre un bon exemple d’admission d’un recours en rectification de l’erreur matérielle résultant de ce que si le demandeur avait sollicité dans un premier mémoire l’allocation du bénéfice des dispositions de l’art. L. 761-1 CJA au profit de son défenseur, il en avait, dans un mémoire complémentaire ultérieur, demandé l’application à son propre profit. Modification dont le Conseil d’État avait omis de tenir compte.

(31 décembre 2018, M. X., n° 421434)

 

92 - Immunité d’exécution bénéficiant aux États – Articles 1009-1 à 1009-3 inclus du code de procédure civile – Demande d’abrogation en tant que ces articles sont applicables aux États – Refus implicite du premier ministre – Absence d’illégalité, l’exécution forcée des décisions concernées étant impossible – Rejet.

La république d’Ukraine demandait l’annulation pour excès de pouvoir du refus implicite du premier ministre d’abroger les articles 1009-1, 1009-2 et 1009-3 du code de procédure civile, en tant que ces dispositions, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante de la Cour de cassation, permettent que le pourvoi d'un État étranger contre un arrêt ayant rendu exécutoire une sentence arbitrale rendue en matière internationale fasse l'objet de la procédure de radiation prévue par ces articles en dépit de l'immunité d'exécution dont bénéficie tout État étranger.

Pour rejeter ce recours le Conseil d’État relève que la faculté dont dispose le premier président de la Cour de cassation, sur demande du défendeur, de subordonner l'exercice du pourvoi en cassation à la justification de l'exécution de la décision juridictionnelle contestée ne constitue pas, par elle-même, une exécution forcée de cette décision juridictionnelle ni, non plus, n’en permet l’exécution forcée. Il suit de là qu’il ne saurait être soutenu que les dispositions précitées du code de procédure civile méconnaîtraient les règles coutumières du droit public international relatives à l'immunité d'exécution, dont s'inspirent notamment les stipulations des articles 18 et 24 de la convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens signée à New-York le 2 décembre 2004 et qui prémunissent les États d'une telle exécution forcée à leur encontre.

La règle d’immunité d’exécution dont bénéficient les États est qualifiée ici de « règle coutumière », les traités la reconnaissant ne faisant qu’appliquer cette coutume.

La solution est intéressante par la place qu’elle fait à la coutume internationale comme source directe du droit s’imposant au législateur et par le parti qu’elle adopte de qualifier ainsi un principe dont la nature juridique a été souvent ballottée entre des justifications diverses, notamment par la Cour de cassation (Sur ce point, voir J.-C. Ricci et F. Lombard, Droit administratif des obligations, Sirey Université, LMD, 2018, n° 739 et s.).

(28 décembre 2018, n ° 418889)

 

93 - Second pourvoi en cassation dans le même litige – Conseil d’État devant statuer définitivement sur celui-ci – Sursis à statuer en l’attente du résultat d’une mesure d’instruction ordonnée par le juge de cassation.

Lorsque le Conseil d'État est saisi dans une même affaire d’un second pourvoi en cassation il a l’obligation (art. L. 821-2 CJA) de statuer définitivement sur celle-ci en la réglant au fond. En l’espèce cependant, qui concernait un litige portant sur une question de responsabilité hospitalière, le juge ordonne un complément d’instruction ce qui le conduit à surseoir à statuer jusqu’à l’obtention des résultats de cette mesure. Parfaitement logique, cette solution est assez rarement rencontrée en pratique.

(31 décembre 2018, M. X., n° 410016)

 

Procédure non contentieuse 

 

94 - Fonction publique – Sanction disciplinaire – Exclusion temporaire des fonctions pour six mois avec suspension du traitement – Référé suspension – Existence d’une urgence et d’un moyen sérieux – Suspension ordonnée.

Le requérant, premier conseiller à l’ambassade de France à Bangui, a fait l’objet, par décret du chef de l’État, d’une sanction disciplinaire de suspension temporaire des fonctions pendant six mois avec perte du traitement pour avoir délivré personnellement 72 visas irréguliers. Il demande la suspension de cette double mesure.

Le Conseil d’État estime constituée la condition d’urgence, l’intéressé et sa compagne, en recherche d’emploi, n’ayant pas d’autre moyen de subsistance, et c’est en vain que le ministre défendeur rétorque qu’ils devaient se trouver un emploi, évitant ainsi la situation d’urgence.

Ensuite, il considère que l’un au moins des moyens invoqués au fond au soutien de la demande d’annulation de ces mesures est, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de celles-ci. Il s’agit du non-respect des droits de la défense dans la mesure où le requérant n'a eu accès ni aux dossiers individuels des personnes auxquelles il aurait accordé un visa à tort, ni même aux fiches d'analyse de ces dossiers établies par l'administration centrale, mais seulement au rapport d'enquête global établi sur la base de ces fiches d'analyse. En effet, le requérant faisait valoir dans ses observations en défense en amont du conseil de discipline que la communication de ce rapport ne pouvait suffire à la préparation de sa défense alors que le refus de l'administration rendait impossible, tant à lui-même qu'au conseil de discipline, l'identification et la vérification des irrégularités alléguées pour chacun des visas mis en cause. Enfin, il était possible à l’administration de communiquer ce dossier par fichier électronique.

Les deux conditions nécessaires étant satisfaites, la suspension est ordonnée.

(11 décembre 2018, M. Romain Vuillaume, n° 425230)

 

95 - Agence nationale de l’habitat (ANAH) – Régime des sanctions – Atteinte au principe d’impartialité – Atteinte à l’art. 6 § 1 de la convention EDH – Absence.

Le Conseil d’État était saisi dans le cadre d’une demande d’avis contentieux ainsi formulée : «  les dispositions du code de la construction et de l'habitation, en ce qu'elles permettent au directeur général de l'ANAH d'être à la fois l'autorité à l'origine de la procédure de sanction, de présider la commission des recours et de prononcer la sanction, méconnaissent(-elles) les exigences posées par l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, en particulier, le principe d'impartialité ? »

Lorsqu’un organisme habilité à cet effet reçoit des subventions allouées par l’ANAH, celle-ci exerce un contrôle sur la régularité des dépenses payées au moyen de ces subventions et, en cas de manquement, une sanction peut être infligée. Ce sont les conditions procédurales existantes qui ont étonné la Cour de Nancy et l’ont conduite à saisir le Conseil d’État selon la procédure de l’art. L. 113-1 CJA.

En effet, comme l’indique la question posée, la place du directeur de l’ANAH dans la procédure de sanction est centrale à un point tel que l’on peut s’interroger sur la part réelle de liberté de décision et de pouvoir de décision restant aux mains des autres organes.

Pourtant aucun de ces éléments n’a convaincu le Conseil d’État d’une possible atteinte à la Convention EDH ou, de façon plus générale, au principe d’impartialité, dans la manière dont sont agencés en l’espèce le pouvoir de poursuite, le pouvoir de sanction et la maîtrise des recours possibles.

L’argument principal est celui tiré de la nature d’établissement public administratif (non d’autorité administrative ou publique indépendante) qui est celle de l’ANAH et donc sa soumission au pouvoir de tutelle de l’État, ce qui exclut toute possibilité de confusion avec un organisme de nature juridictionnelle.

Il reste cependant difficile de justifier par-là la solution retenue.

(21 décembre 2018, ANAH, n° 424520)

 

96 - Mentions contradictoires portées sur la minute d’un arrêt – Identification impossible des magistrats ayant siégé à l’audience et au délibéré – Irrégularité – Cassation.

Est cassé l’arrêt dont la minute comporte les noms de trois magistrats ayant participé à l’audience et la signature du rapporteur public parmi les signataires de l’arrêt. Cette contradiction ne permet pas de déterminer l'identité exacte des magistrats ayant participé à l'audience et au délibéré. Par suite, l'arrêt ne fait pas lui-même – comme il le devrait - la preuve de sa régularité.

(26 décembre 2018, M. X., n° 416110)

 

Professions réglementées

 

97 - Médecin ophtalmologiste – Médecin atteint d'une pathologie dangereuse pour l'exercice de sa spécialité – Suspension temporaire du droit d'exercer – Contrôle par le juge administratif du bien-fondé de la suspension – Appréciation de la durée de la suspension – Rejet de la requête.

Un médecin ophtalmologiste demande l'annulation de la suspension pendant un an du droit d'exercer qui lui a été infligée par le Conseil national de l'ordre des médecins, assortie de l'obligation de subir une expertise avant toute reprise éventuelle d'activité.

Relevant que l'intéressé présente une pathologie qui nécessite des soins et un suivi spécialisés auxquels il se refuse et qui, faute d'être prise en charge, rend dangereux l'exercice de sa profession, le Conseil d'État juge fondée la mesure de suspension et régulière sa fixation à la durée d'une année.

(19 décembre 2018, M. X., n° 418096)

 

98 - Chirurgien-dentiste – Décision d'un conseil départemental prononçant la radiation du tableau de l'ordre suite à des condamnations pénales – Annulation de cette décision par le Conseil national de l'ordre – Absence de motivation relativement aux condamnations pénales – Annulation de la décision du Conseil national de l'ordre.

Un chirurgien-dentiste est radié du tableau de l'ordre sur décision d'un conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes suite à des condamnations pénales prononcées en 2016 et 2017. Il conteste cette décision d'abord, en vain, devant le conseil régional puis, avec succès, devant le Conseil national. Le conseil départemental demande au Conseil d'État d'annuler la décision du Conseil national et l'obtient.

Le Conseil d'État estime, sur le fondement de l'art. L. 4112-1 du code de la santé publique, que le Conseil national devait se prononcer à nouveau lui-même, au vu des circonstances de droit et de fait à la date de sa propre décision, sur le bien-fondé de la radiation du praticien au tableau de l'ordre tenu par le conseil départemental compétent. En l'espèce, le Conseil national s'est borné à censurer les motifs par lesquels le conseil départemental de l'ordre avait justifié sa décision de radiation en raison de ce qu'ils reposaient sur les seules condamnations pénales infligées au praticien radié. Or ce jugeant, le Conseil national a ainsi omis de se prononcer lui-même sur le dossier dont il était saisi, notamment en examinant si les faits à l'origine des condamnations pénales prononcées à l'encontre de l'intéressé étaient de nature à justifier une radiation du tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes, méconnaissant ainsi les dispositions de l'article L. 4112-1 du code de la santé publique. Il s'agit d'une cassation sans renvoi.

(19 décembre 2018, Conseil départemental de Loire-Atlantique de l'ordre des chirurgiens-dentistes, n° 409815 ; v., du même jour, comparable mais mutatis mutandis : M. X., n° 414503 ; v. aussi, très voisin de la décision n° 409815, s'agissant de l'inscription d'un infirmier au tableau de l'ordre, 20 décembre 2018, M. X., n° 413576, et encore : 20 décembre 2018, Conseil interdépartemental de l'ordre des infirmiers de l'Eure et de la Seine-Maritime, n° 413576)

 

99 - Notaires – Arrêté interministériel fixant les zones de libre installation d’offices notariaux – Arrêté fixant le nombre d’offices pouvant être créés dans ces zones – Caractère réglementaire – Décision de création d’un nouvel office notarial ou d’ouverture d’un bureau annexe à un tel office – Absence de contribution à l’organisation du service public notarial – Absence de caractère réglementaire.

(28 décembre 2018, MM. X., notaires associés dans un office notarial, n° 409441)

Voir aussi sur cette décision les n°s 83 et 99 

 

100 - Laboratoires de biologie médicale – Syndicats représentatifs de ces laboratoires – Détermination – Prise en compte des seules adhésions individuelles – Principes constitutionnel et législatif de la liberté syndicale – Liberté d’adhésion – Syndicat non reconnu comme représentatif – Légalité en l’état d’adhésions collectives ou de groupe.

Le syndicat requérant demande l’annulation de la décision ministérielle lui refusant la qualité de syndicat représentatif des directeurs de laboratoires privés d'analyses médicales. Le recours est rejeté car selon le juge l’appréciation de la représentativité d’un syndicat étant fondée sur le nombre de ses adhérents elle suppose de leur part une adhésion personnelle et libre à ce syndicat. Le ministre n’a pas commis d’illégalité en refusant ici – pour non-respect du critère lié aux effectifs - la représentativité au syndicat, les adhésions à celui-ci étant le plus souvent effectuées collectivement ou par laboratoire.

(28 décembre 2018, Syndicat de la biologie libérale européenne (SBLE), n° 415209)

 

101 - Administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires – Fixation de leurs tarifs règlementés – Éléments à retenir – Non-respect des dispositions pertinentes du code de commerce – Annulation de l’arrêté interministériel litigieux avec modulation des effets de celle-ci.

Le conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, requérant, conteste les conditions de fixation des tarifs de leurs prestations par un arrêté interministériel. En effet, selon lui, il résulterait des art. L. 444-1 à L. 444-3 et R. 444-6 et R. 444-7 du code de commerce que pour opérer cette fixation doivent être pris en compte simultanément trois éléments : les coûts pertinents supportés pour la réalisation de la prestation, une rémunération raisonnable et, le cas échéant, la mise en œuvre d'une péréquation. Or en l’espèce les ministres auteurs de l’arrêté attaqué, ont décidé une baisse des tarifs de 5 % pour tous les administrateurs judiciaires et de 2,5 % pour tous les mandataires judiciaires en se fondant non sur l'estimation des coûts afférents à chaque prestation et sur une rémunération raisonnable des diligences accomplies mais sur une appréciation globale, à l'échelle de l'ensemble de chaque profession, du niveau de rémunération des professionnels. En ne retenant pas les critères légaux les ministres auraient entaché d’illégalité l’arrêté attaqué.

Le Conseil d’État fait sien ce raisonnement mais, compte-tenu des effets excessifs attachés à une mise en œuvre rétroactive de sa décision, il décide la remise en vigueur dès le prononcé de la présente décision du tarif antérieur, fixé en 2016, jusqu’à l’édiction d’une nouvelle tarification.

(28 décembre 2018, Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, n° 420243)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

102 - Article 34 de la loi du 24 novembre 2009 – Rapprochement familial des détenus en instance de comparution en vue de leur jugement – Incompétence négative alléguée du législateur – Absence de droit au recours effectif – Renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel.

Pour considérer comme sérieuse la QPC soulevée devant lui le Conseil d’État juge que la question de l’autorité compétente pour connaître d’un recours dirigé contre la décision ou l’avis défavorable au rapprochement familial des détenus en voie de comparaître en jugement est mal réglée par la loi. En effet, si lorsque le refus d’accorder le rapprochement émane du directeur interrégional des services pénitentiaires ou du ministre de la justice, le juge administratif de l’excès de pouvoir est compétent pour en connaître car ce refus se rattache au fonctionnement du service public pénitentiaire, en revanche, il n’en va pas de même lorsque l’avis défavorable émane du magistrat saisi du dossier de la procédure. En ce cas, le juge administratif ne peut ni examiner les moyens de forme ou de procédure invoqués à l'encontre de la régularité de cet avis ni contrôler et remettre en cause l'appréciation à laquelle s'est livrée le magistrat de l’ordre judiciaire. Il s’ensuit qu’en ce cas, aucun recours ne peut être exercé faute de précision en ce sens dans l’art. 34 de la loi du 24 novembre 2009 dont la disposition litigieuse (« Les prévenus dont l'instruction est achevée et qui attendent leur comparution devant la juridiction de jugement peuvent bénéficier d'un rapprochement familial jusqu'à leur comparution devant la juridiction de jugement. ») doit être combinée avec celles de l’art. 57-8-7 du code de procédure pénale. D’où le renvoi ordonné de la QPC.

(5 décembre 2018, Section française de l'observatoire international des prisons, n° 424970)

 

103 - Malades mentaux – Constatation judiciaire incidente de la nécessité de soins psychiatriques (art. L. 3213-7 du code de la santé publique) – Classement sans suite d’une enquête pénale – Caractère non contradictoire – Transmission au préfet par le pouvoir judiciaire sans information automatique du patient – Violations invoquées du droit à la santé, de la liberté d’aller et de venir et du respect de la vie privée – QPC rejetée.

L’Association requérante critique les dispositions de l’art. L. 3213-7 du code de la santé publique sur deux points la conduisant à soulever une QPC, que le Conseil d’État va d’ailleurs rejeter en refusant de la transmettre.

En premier lieu, il est reproché à cet article de décider que lorsque les autorités judiciaires estiment que l'état mental d'une personne qui a bénéficié d'un classement sans suite nécessite des soins et compromet la sûreté des personnes ou porte atteinte de façon grave à l'ordre public, celles-ci sont obligées d’en aviser immédiatement la commission départementale des soins psychiatriques et le préfet ; ce dernier doit, selon ce même texte,  ordonner sans délai la production d'un certificat médical circonstancié portant sur l'état actuel du malade mental.

En second lieu, ces dispositions n'imposent l'information de la personne concernée par l'avis transmis par l'autorité judiciaire au préfet que lorsque son état le permet.

La requérante considère ces deux dispositions contraires à la protection de la santé garantie par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, ainsi qu’à l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 et aux articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, garantissant la liberté d'aller et venir et le respect de la vie privée.

Pour rejeter cette argumentation dont il nous semble qu’elle est loin d’être dépourvue de pertinence, le Conseil d’État énonce une ligne générale d’analyse selon laquelle il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la protection de la santé des personnes souffrant de troubles mentaux ainsi que la prévention des atteintes à l'ordre public, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle et, d'autre part, la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis au nombre desquels figurent la liberté d'aller et venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi que la liberté individuelle que l'article 66 de la Constitution place sous la protection de l'autorité judiciaire.

De là il déduit que les garanties de procédure et de fond dont l’article législatif critiqué entoure la prise de ces décisions se situent dans le droit fil des principes qu’il a énoncés ci-dessus et qu’en conséquence la question de constitutionnalité soulevée à son endroit n’est pas sérieuse.

On demeure gêné, au final, par un raisonnement qui semble tourner en définitive à la pétition de principe.

(28 décembre 2018, Association « Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie », n° 421329)

 

104 - Portée effective d'une interprétation jurisprudentielle constante – Possibilité de faire l'objet d'une QPC – Interprétation jurisprudentielle postérieure à une décision du Conseil constitutionnel relative à la loi ainsi interprétée – Circonstance nouvelle (possibilité de) – Non en l'espèce.

Une question prioritaire de constitutionnalité peut concerner aussi bien une loi proprement dite qu'une interprétation jurisprudentielle constante de la loi. En l'espèce, il est jugé à titre de principe que lorsqu'une interprétation jurisprudentielle constante concerne une loi déjà renvoyée au Conseil constitutionnel dans le cadre d'une QPC mais postérieure à ce renvoi et à la décision qui en a résulté, elle peut constituer, si les autres conditions sont réunies, une « circonstance nouvelle » justifiant à nouveau une saisine du Conseil constitutionnel au moyen d'une QPC.

Ici, le Conseil d'État, saisi de la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, d'une part, de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation en tant que ses dispositions, telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'État, définissent les agglomérations de plus de 50 000 habitants, au sein desquelles le prélèvement institué par l'article L. 302-7 est applicable, par référence à la notion d'unité urbaine retenue par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et, d'autre part, des articles L. 302-5, L. 302-7 et L. 302-9-1-1 du même code, en tant que leurs dispositions ne permettent pas à une commune se trouvant dans l'impossibilité juridique et matérielle d'atteindre les objectifs légaux de réalisation de logements sociaux d'être exonérée du prélèvement institué par l'article L. 302-7, répond que sa jurisprudence sur ce point, eu égard à sa portée, ne constitue pas une circonstance nouvelle de nature à justifier que la conformité à la Constitution de ces dispositions ainsi interprétées par lui soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel.

(20 décembre 2018, Commune de Chessy, n° 418637)

 

105 - Application de l’art. L. 761-1 CJA – QPC tendant à faire dire cette disposition inconstitutionnelle – Incompétence négative du législateur – Absence d’exigence d’une motivation – Rejet.

L'article L. 761-1 du code de justice administrative est ainsi conçu : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ».

Le requérant demandait au Conseil d’État de poser une QPC  motif pris de ce que cet article méconnaîtrait le principe constitutionnel de motivation des décisions juridictionnelles et le droit à un recours effectif, garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et serait entaché d'incompétence négative en n'imposant pas aux juridictions administratives de prévoir une motivation suffisante lorsqu'elles statuent sur les conclusions présentées au titre de ces dispositions.

Il est répondu, avec une sécheresse agacée, que dès lors qu’existe pour tout jugement ou arrêt rendu par une juridiction administrative une obligation de motivation (art. L. 9 CJA) celle-ci s’applique aussi en cas de recours à l’article critiqué ; au surplus, aucune exigence constitutionnelle n’a prévu une obligation renforcée de motivation en ce cas. Et pour cause, cet article L. 761-1 CJA n’existait pas en 1958…

Ni nouvelle ni sérieuse, la question ne sera pas posée.

(28 décembre 2018, M. X., n ° 422695)

 

Responsabilité

 

106 - Détenu – Demande de réparation du préjudice moral subi du fait de ses conditions de détention – Appréciation de ces conditions au regard, d’une part, de l’entière dépendance des détenus vis-à-vis de l’administration pénitentiaire, d’autre part, de leur vulnérabilité – Caractère continu et évolutif dans un sens toujours plus défavorable du préjudice lié à des conditions de détention indignes – Demande d’allocation d’une provision – Conditions d’octroi – Compétence du juge administratif (sol implicite).

Un détenu se plaignant de conditions de détention indignes, entre autres à cause du climat régnant en Guyane et de l’absence de mesures prises en conséquence, réclame la réparation du préjudice moral ainsi causé. Convaincu des conditions déplorables d’incarcération existant en l’espèce, le juge alloue une provision distincte pour chacune des trois périodes de temps, totalisant 19 mois, où l’intéressé a été détenu « dans des cellules collectives sous-dimensionnées pour le nombre d'occupants, dépourvues d'un apport de lumière naturelle suffisant, privées d'un système d'aération adapté au climat de la Guyane et dans des conditions d'intimité et d'hygiène notablement insuffisantes ». Cette responsabilité, qui incombe au service administratif pénitentiaire chargé de l’exécution des peines, relève de la compétence du juge administratif (sol. implicite). Enfin, s’agissant d’un préjudice continu, son fait générateur, pour l’application de la prescription quadriennale, est celui de chaque année de réalisation : la prescription court donc à compter du 1er janvier de l’année suivante.

(Section 3 décembre 2018, M. X., n° 412010)

 

107 - Établissement de la liste des enfants résidant dans la commune soumis à l'obligation scolaire – Compétence du maire en la matière exercé au nom de l'État – Refus de scolariser – Faute du maire engageant la responsabilité de l'État.

Des parents, auxquels la commune reproche d'occuper illégalement des terrains pour y établir leur résidence, se voient tout d'abord refuser l'inscription de leurs deux enfants, âgés de sept et neuf ans, dans une école de la commune à compter de la rentrée 2012. Puis ils ont été admis en janvier 2013 dans une classe aménagée en dehors d'un établissement scolaire avant que, sur réquisition du préfet, ils soient finalement scolarisés dans des conditions normales dans une école de la commune dans le courant du mois de février 2013.

Les parents ont demandé tant en leur nom personnel qu'en celui de leurs enfants, la réparation du préjudice moral causé par le comportement de la commune de septembre 2012 à février 2013.

Le Conseil d'État, sur renvoi du dossier par la cour de Versailles, saisi d'un appel par la commune de Ris-Orangis après que le juge des référés du tribunal administratif l'a condamnée à verser aux intéressés une provision de 2000 euros au titre de leur préjudice moral, juge tout d'abord qu'en dressant la liste des enfants résidant sur le territoire de sa commune qui sont soumis à l'obligation scolaire, le maire agit au nom de l'État. Ensuite, il considère que le refus opposé initialement par le maire ne doit pas s'analyser comme un refus d'admission dans l'une quelconque des écoles primaires de la commune mais bien comme un refus d'inscription sur la liste des enfants qui, résidant dans la commune de Ris-Orangis à la rentrée scolaire 2012, étaient soumis à l'obligation scolaire. Le premier juge a donc commis une erreur de droit en condamnant la commune au lieu de condamner l'État.

Estimant non contestable le préjudice moral subi par les parents et leurs enfants, le juge alloue distinctement 500 euros aux premiers et 500 euros aux seconds avec intérêt au taux légal à compter du 18 octobre 2013, date d'enregistrement du référé provision au greffe du tribunal administratif et capitalisation des intérêts à partir du 4 mai 2015.

(19 décembre 2018, Commune de Ris-Orangis, n° 408710)

 

108 - Responsabilité hospitalière – Faute commise lors d’une intervention – Syndrome de Lance et Adams – Détermination du caractère direct du lien entre la faute et le dommage – Refus d’apercevoir ce caractère – Qualification erronée des faits – Lien direct existant.

Mme X., victime d’un accident d’anesthésie lors d’une intervention chirurgicale, le 9 novembre 1988, a obtenu réparation de la plupart de ses préjudices. Estimant que son état s’est aggravé par la suite, elle sollicite réparation des préjudices résultant de l’aggravation. Se posait un épineux problème de causalité. La victime étant atteinte de mouvements incontrôlables dont la forme est comparable à celle des myoclonies caractéristiques du syndrome de Lance et Adams, une expertise est à nouveau ordonnée et elle conclut à l’absence de lien causal entre ces troubles et les lésions neurologiques consécutives à l'anoxie cérébrale provoquée par l'accident d'anesthésie mais revêtent désormais un caractère psychogène. La cour d’appel, s’appuyant sur ces constatations et déductions, en a conclu que ces troubles ne relevaient plus de l'étiologie post-anoxique caractérisant le syndrome de Lance et Adams dont elle était initialement atteinte mais revêtaient un caractère psychogène. Elle a donc jugé, d’une part, que ces troubles n'étaient pas en lien direct avec la faute commise par le centre hospitalier lors de l'intervention du 9 novembre 1988 et, d’autre part, que la requérante n'était ni fondée à se prévaloir d'une aggravation des conséquences de cette faute depuis la date de consolidation de son état, fixée au 20 octobre 1992, ni à soutenir que l'impossibilité de travailler dans laquelle elle se trouvait serait la conséquence directe et certaine de cette faute.

Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi, juge le contraire.

Il relève empiriquement que les troubles dont souffre actuellement la requérante, consistant dans des mouvements incontrôlables, ont la même forme que les myoclonies caractérisant le syndrome de Lance et Adams apparu à la suite de l'intervention du 9 novembre 1988 et qu’il ss'inscrivent dans la continuité de ces myoclonies, les mouvements incontrôlables n'ayant pas cessé depuis leur apparition. Il ajoute qu’à supposer même que les affirmations des experts soient exactes et que les troubles litigieux revêtent désormais un caractère psychogène, « une telle circonstance n'est pas à elle seule de nature à exclure qu'ils demeurent en lien direct avec les fautes à l'origine de l'accident ». Les experts ayant évoqué un trouble sous-jacent de la personnalité, le Conseil d’État estime que cette hypothèse n'est pas davantage, par elle-même, de nature à exclure le maintien d'un lien direct avec les fautes commises, le droit à réparation de la victime ne pouvant être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection dont elle est atteinte n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable. Ce second aspect est directement repris des solutions de la jurisprudence judiciaire.

En bref, le lien est direct par le double motif que la victime n'avait pas présenté de mouvements incontrôlables avant l'intervention du 9 novembre 1988 et qu'aucun élément ne permet d'affirmer qu'elle aurait présenté de tels troubles si elle n'avait pas été victime d'un accident d'anesthésie.

(11 décembre 2018, Mme X., n° 400877)

 

109 - Responsabilité de Pôle emploi – Défaillances dans sa prise en charge d’un demandeur d'emploi – Responsabilité pour faute – Responsabilité sans faute – Responsabilité du fait d’obligations internationales – Conditions de la responsabilité administrative – Rejet.

Le requérant a demandé à Pole emploi la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de ses défaillances à son égard dans l’exercice de sa mission d'accompagnement. Ayant été débouté par les juges du fond, il saisit le Conseil d’État.

Celui-ci relève d’office une erreur de procédure : Les actions à fins indemnitaires dirigées contre Pôle emploi au titre de l’exercice de ses missions de placement et d'accompagnement des demandeurs d'emploi relèvent de la compétence de premier et dernier ressort des tribunaux administratifs, dès lors la cour administrative d’appel était incompétente pour statuer sur le litige, l’appel du requérant s’analysant en réalité comme un pourvoi en cassation. L’arrêt d’appel est annulé.

S’agissant d’abord de la responsabilité de Pôle emploi fondée sur l’existence d’une faute à l’origine du dommage, le demandeur invoquait plusieurs moyens.

Celui fondé sur le non-respect d’engagements internationaux (art. 6, § 1, du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et art. 1er de la charte sociale européenne) est rejeté dans la mesure où ils sont dépourvus d'effet direct.

Celui fondé sur l’atteinte à des dispositions constitutionnelles est rejeté pour ce qui regarde la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 24 juin 1793, laquelle n’est pas en vigueur. En revanche, celui reposant sur le 5ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1958 tel que le mettent en œuvre plusieurs dispositions du code du travail, fait l’objet d’un examen approfondi. Il en résulte que les carences de Pôle emploi dans l'exercice de ses missions sont susceptibles de constituer des fautes de nature à engager sa responsabilité sous réserve, comme c’est toujours le cas dans le droit de la responsabilité civile de l’administration, du comportement de la victime elle-même. Ici, comme les premiers juges, le Conseil d’État estime que les préjudices invoqués par le demandeur du fait d'une perte de chance de retrouver un emploi, n'étaient pas la conséquence directe du manquement fautif de Pôle emploi.

S’agissant ensuite de la responsabilité non fautive de Pôle emploi, il est jugé que si, en principe, la responsabilité de cet organisme pourrait également relever de ce régime, ce ne peut être le cas en l’espèce car les conditions nécessaires à la mise en œuvre de ce régime de responsabilité ne sont pas réunies.

(28 décembre 2018, M. X., n° 411846)

 

110 - Préjudice résultant de la perte d’années de formation – Perte de chance de concrétiser un projet professionnel – Caractère incertain du préjudice – Absence de recherche de circonstances propres à établir la réalité de ce projet professionnel – Annulation partielle du jugement.

Reconnu travailleur handicapé depuis 2008, le requérant s’est vu refuser de poursuivre des études en vue de l’obtention d’un BTS « assistant de gestion des petites et moyennes entreprises ou petites et moyennes industries, de niveau III » et a été réorienté vers une formation débouchant sur un baccalauréat professionnel comptabilité niveau IV. Cette décision, contestée par l’intéressé, a été annulée par jugement du tribunal administratif. Toutefois, celui-ci, saisi à nouveau, n’a pas fait droit à la demande d’indemnisation de l’intéressé tendant à voir réparés le préjudice financier et le préjudice professionnel, tenant à une perte d'années de formation et une perte de chance de concrétiser son projet professionnel, qu’il affirme avoir subis.

D’où la saisine du Conseil d’État. Sur ce point le jugement est annulé.

Il lui est reproché d’avoir décidé que les préjudices invoqués n’étaient ni certains ni établis dès lors que la décision de la commission contestée par le demandeur et annulée par le juge du premier degré, se prononçant sur l'orientation d'une personne handicapée dépendait de l'initiative prise par son bénéficiaire de s'inscrire dans la formation désignée par cette décision puis de la suivre et n'avait ainsi pas de caractère contraignant pour son bénéficiaire. Le Conseil d’État reproche aux juges de n’avoir point cherché à « relever aucune circonstance propre à l'espèce permettant de douter que le requérant s'inscrive à la formation qu'il avait sollicitée et la suive dans l'hypothèse où il aurait bénéficié de l'orientation qu'il demandait et où la commission aurait désigné l'établissement devant la dispenser, auquel cette décision se serait imposée en vertu de l'article L. 241-6 du code de l'action sociale et des familles ». Dans cette mesure le jugement querellé est annulé.

(28 décembre 2018, M. X., n° 414685)

 

111 - Préjudice résultant de modifications apportées à la circulation générale par la réalisation de travaux publics sur les voies publiques – Préjudice commercial – Régime applicable – Principe de non indemnisation sauf exception.

Rejetant un recours en indemnisation du préjudice commercial qui aurait été causé par suite de la réalisation de travaux sur une voie publique, le Conseil d’État rappelle le principe bien établi selon lequel « Les modifications apportées à la circulation générale résultant de la réalisation de travaux publics sur les voies publiques ne sont pas de nature à ouvrir droit à indemnité. Il en va autrement dans le cas où ces modifications ont pour conséquence d'interdire ou de rendre excessivement difficile l'accès des riverains à la voie publique ». En l’espèce, cette condition alternative n’étant pas réalisée la réparation n’a pas lieu.

(21 décembre 2018, Société Auto Vitrage 57, n° 417338)

 

112 - Responsabilité hospitalière – Réparation du préjudice moral d'anxiété – Refus d'indemnisation d'un déficit fonctionnel temporaire lié à un traitement par radiothérapie – Existence d'une faute.

Rappel de ce "qu'un patient peut prétendre à la réparation des troubles ayant résulté d'un traitement prescrit dans des conditions fautives, dès lors que ce traitement n'a eu aucun effet bénéfique, sans que l'indemnisation de ce chef de préjudice puisse être refusée ou minorée en considération des troubles qu'aurait comportés un traitement adapté". C'est pourquoi, en l'espèce, il est jugé que le rejet "des conclusions de la demanderesse tendant à l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire lié à la mise en œuvre par les médecins du centre hospitalier de Blois d'un traitement par séances de radiothérapie inadapté à son état, au motif qu'une chimiothérapie suivie d'une mammectomie aurait entraîné une incapacité plus longue, sans se demander si le traitement par radiothérapie mis en œuvre avait eu un quelconque effet bénéfique, la cour a commis une erreur de droit".

(20 décembre 2018, Mme X., n° 417457)

 

113 - Responsabilité hospitalière – Admission dans un établissement malgré le refus de la patiente – Perte de chance – Non – Amputation d'un index sectionné au lieu de sa réimplantation – Défaut d'information – Réparation des préjudices moraux invoqués.

À la suite du sectionnement accidentel d'un index, une personne est conduite à un centre hospitalier et fait l'objet d'une amputation partielle de ce doigt. Elle sollicite, d'une part, l'indemnisation de la perte de chance résultant des conditions de sa prise en charge dans le centre hospitalier, notamment à raison de ce qu'une amputation partielle allait y être réalisée, d'autre part, la réparation du préjudice moral résultant, à la fois, de ce qu'elle a été conduite dans un centre hospitalier où elle ne voulait pas être traitée et de ce qu'elle n'avait pas été informée des conséquences d'une réimplantation de la partie sectionnée de l'index.

Sur le premier point, il n'est pas établi qu'elle aurait perdu une chance de ne pas être amputée pour n'avoir pas été transférée dans un autre hôpital car elle n'aurait pas pu être prise en charge dans des conditions plus efficaces dans un autre établissement.

Sur le second point, son traitement dans le centre hospitalier en cause alors qu'elle avait refusé d'y être soignée ne révèle pas une faute de la part de ce dernier car il ne résulte ni du dossier ni de l'instruction que ce centre était au courant de ce refus auquel il aurait passé outre. La demande d'indemnisation est rejetée. Cependant, s'agissant du défaut d'information avant l'amputation réalisée, les juges reprochent aux praticiens de n'avoir pas informé la patiente des résultats forcément décevants et négatifs qu'aurait une réimplantation et donc de la nécessité, seule logique en l'espèce, de pratiquer une amputation.

Une somme de deux mille euros est allouée de ce chef à l'ensemble des quatre demandeurs.

(20 décembre 2018, Mmes et M. Y. venant aux droits de Mme X. décédée, n° 415729)

 

Service public

 

114 - Contribution au service public de l'électricité (CSPE) – Condition de légalité de son institution – Conformité au droit européen en cas de finalité spécifique – Cas de la finalité environnementale en l’espèce – Taux de la CSPE légal seulement dans la proportion affectée à cette finalité – Remboursement partiel ordonné – Litige relatif à des intérêts – Litige sans objet en l’absence de différend avec le comptable public sur lesdits intérêts.

Sur renvoi préjudiciel du Conseil d’État (22 février 2017, Société 
Messer France
, n° 399115) la CJUE a dit pour droit que la CSPE n’était conforme au droit de l’Union qu’en tant qu’elle couvrait des charges spécifiques du service public de fourniture de l’électricité. En l’espèce, il est jugé que la société demanderesse n’a droit qu’au remboursement de la part de CSPE ne couvrant pas de telles charges soit 7,42% de celle-ci. En revanche, dès lors que n’existe aucun différend avec le comptable public sur les intérêts attachés à la somme remboursée le juge ne peut accueillir la demande d’allocation de tels intérêts celle-ci étant irrecevable.

(3 décembre 2018, Société Messer France, n° 399115)

 

115 - Service public – Notion – Service public assuré par une personne privée – Conditions d'existence – Présence ou non de prérogatives de puissance publique.

Dans le cadre d'un litige relatif à l'habilitation donnée à des sacrificateurs de procéder à l'abattage rituel d'animaux et à la détermination de la nature juridique des actes unilatéraux en cause, rappel de solutions jurisprudentielles bien établies désormais qui distinguent soigneusement les conditions de détermination de la nature d'un acte comme constituant une décision administrative et les conditions de détermination d'une activité comme constituant un service public. C'est ce second aspect qui est décrit ici.

En premier lieu, il y a ou il n'y a pas service public lorsque la loi en a décidé ainsi et cela que l'activité soit assurée ou non par une personne privée.

En deuxième lieu, et c'est là le principe, « une personne privée qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de l'administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l'exécution d'un service public ».

En troisième lieu, et c'est là un cas dérogatoire s'ajoutant au principe susénoncé, « même en l'absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une telle mission ».

(19 décembre 2018, M. X. c/ Association consistoriale israélite de Paris, n° 419773 ; du même jour : M. X., n° 419774 ; M. X., n° 419775)

Voir aussi sur cette décision les n°s 6 et 75

 

Sport

 

116 – « Prime de résultat » perçue par un joueur de football professionnel – Prime versée par la Fédération française de football pour participation à la phase finale de la coupe du monde 2006 en Allemagne – Réintégration dans les revenus – Déduction non retenue des commissions versées en 2006 par le joueur à son agent sportif – Demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu – Rejet.

Un joueur de football professionnel de l'Olympique de Marseille a fait l'objet d'une rectification de sa déclaration de revenus pour l'année 2006, l'administration y ayant réintégré, d'une part, la « prime de résultat » perçue au titre de sa participation à la phase finale de la coupe du monde 2006 qui avait lieu en Allemagne, et d'autre part, les commissions versées cette année-là par le joueur à son agent. Lui et son épouse ont contesté le supplément d'impôt en résultant, en vain, en première instance et en appel, d'où le pourvoi en Conseil d'État.

Sur le premier point, le juge relève qu'il résulte de l'art. L. 222-3 du code du sport que le joueur qui fait l'objet d'un prêt de main d'œuvre à titre lucratif, ce qui est possible à certaines conditions en matière sportive, conserve pendant la période de mise à disposition sa qualité de salarié de l'association ou de la société sportive ainsi que les droits attachés à cette qualité. Par suite, les sommes versées par la fédération au footballeur professionnel sélectionné en équipe de France par une fédération sportive délégataire doivent être regardés comme perçues dans le cadre de son contrat de travail et doivent, par suite, être imposées dans la catégorie des traitements et salaires. Vainement les époux demandeurs invoquent la convention fiscale franco-allemande puisque le point 4 de son art. 13 prévoit trois conditions, toutes remplies en l'espèce par le footballeur de l'OM, dont la réunion entraîne l'imposition exclusivement en France des sommes perçues.

Sur le second point, pour estimer que c'est à bon droit que l'administration fiscale a réintégré dans les revenus la somme représentative de la commission versée à l'agent du joueur, le Conseil d'État constate que cette somme était entièrement financée par le club de l'Olympique de Marseille, qui versait à cet effet des primes spéciales au joueur, que celui-ci reversait à son agent. De plus, les intéressés n'ont fourni aucune justification à l'appui de leurs allégations selon lesquelles cet agent aurait réellement fourni des prestations au joueur notamment dans le cadre de la négociation de son transfert du club turc de Galatasaray au club français de l'Olympique de Marseille en 2005, et que le « double mandatement » de l'agent, constaté par le Tribunal arbitral du sport dans une sentence du 30 novembre 2005, établissait que celui-ci avait non seulement agi pour le compte de l'Olympique de Marseille mais aussi pour celui du joueur.

(19 décembre 2018, M. et Mme X., n° 413033)

 

Urbanisme

 

117 - Permis de construire en vue de la création d’un centre commercial à l’intérieur d’une ZAC –Permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale – Date d’entrée en vigueur des dispositions d’urbanisme fixant ce principe – Voies de recours distinctes contre l’autorisation d’exploitation contenue dans le permis et contre le permis lui-même – Effet de l’expiration du délai de recours – Intérêt à contester un permis de construire – Absence ici – Rejet.

La société requérante conteste le permis de construire valant aménagement commercial délivré à une SCI.

Les dispositions de l’art. 39 de la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, selon lesquelles : « Lorsque le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d'autorisation dès lors que la demande de permis a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial (...) », sont entrées en vigueur le 15 février 2015. 

Il suit de là que les permis de construire délivrés après le 14 février 2015 à des projets soumis à autorisation d'exploitation commerciale ayant donné lieu à un avis de la commission départementale d'aménagement commercial peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir soit en tant qu’ils valent autorisation d’exploitation commerciale au sens et pour l’application des dispositions de l’art. L. 752-1 du code du commerce soit en tant qu’ils constituent des permis de construire soit à ce double titre.

En l’espèce, le projet litigieux a fait l'objet d'une décision de la Commission nationale d'aménagement commercial avant le 15 février 2015 et d'un permis de construire délivré, au vu de cette décision, après le 14 février 2015. Par suite, la requérante devait introduire, si elle le voulait, deux recours pour excès de pouvoir distincts, l’un contre la décision de la Commission en tant qu’elle constituait une autorisation d’exploitation commerciale, l’autre contre la décision du maire en tant que permis de construire. Or le délai de recours contre la décision de la Commission, en date du 3 juillet 2014, était expiré.

Ne restait donc plus à examiner que le recours contre le permis de construire. Celui-ci est rejeté car le centre commercial géré par la société FRP II est situé à plus de 6 kilomètres du site d'implantation du projet et il est desservi par une autre voie à grande circulation que celle utilisée par les futurs utilisateurs du centre commercial édifié par la SCI.

(7 décembre 2018, Société FRP II, n° 412438)

 

118 - Permis de construire – Qualité et titre pour le solliciter – Contrôle restreint du juge – Caducité du règlement d’un lotissement – Conditions et portée d’un projet de création d’une zone non aedificandi – Gabarits-enveloppes des constructions en bordure de voie ainsi qu’en vis-à-vis sur un même terrain – Aspect extérieur des constructions – Respect – ou non – des obligations en matière d’espaces libres et d’espaces verts – Rejet.

Cette décision, qu’on ne rapportera pas en détail ici, est intéressante par la diversité des questions qui y sont abordées – comme le montre le « chapeau » ci-dessus - dans le cadre d’un recours dirigé contre la légalité du permis de construire quatre bâtiments sur le terrain situé aux numéros 45 et 47 de l’avenue du maréchal Fayolle à Paris, dans le seizième arrondissement.

(7 décembre 2018, Syndicat des copropriétaires de l'immeuble du 43 avenue du maréchal Fayolle à Paris, n° 410374)

 

119 - Permis de construire des maisons – Situation prétendue du terrain d’assiette du permis en zone Uba du POS – Affirmation contredite par les plans du zonage du POS – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation de l’arrêt d’appel.

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, pour annuler le jugement qui lui est déféré et rejeter les demandes présentées tant devant le premier juge que devant elle, affirme que le projet litigieux est situé dans la zone UBa du plan d’occupation des sols et qu’il est donc régi par les dispositions du règlement de cette zone alors qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier soumis aux juges du fond, notamment pas des plans du zonage du POS, que le terrain ayant fait l'objet du permis de construire litigieux se situerait dans la nouvelle zone UBa créée par la modification du règlement du POS de la commune.

(7 décembre 2018, M. X. et autres c/Commune de Veneux-les-Sablons, n° 408547)

 

120 - Refus préfectoral de délivrer à une SCI une attestation de non-opposition tacite à déclaration préalable de travaux – Demande destinée à régulariser des travaux exécutés irrégulièrement – Retrait de la décision tacite de non opposition à ces travaux – Comportement non considéré comme frauduleux par l’arrêt d’appel – Erreur de droit – Arrêt annulé.

Une SCI sollicite la délivrance d’une attestation de non-opposition tacite à déclaration préalable relative à des travaux qu’elle avait déclarés. Le préfet a procédé au retrait de cette décision tacite. Sa décision est annulée par le tribunal administratif qui a assorti cette annulation d’une injonction d’avoir à délivrer l’attestation de non-opposition, jugement confirmé en appel.

Pour procéder à l’annulation de ce jugement sollicitée par le ministre, le Conseil d’État relève que c’est à tort que la cour a estimé n’y avoir pas fraude de la part de la SCI car il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que le dépôt d'une telle déclaration, de surcroît partiellement renseignée, révélait l'intention de la SCI d'induire en erreur les services instructeurs afin d'obtenir une décision tacite de non-opposition. Obtenue par fraude la décision était retirable à tout moment.

(7 décembre 2018, Ministre du logement et de l'habitat durable, n° 407847)

 

121 - Plan local d’urbanisme (PLU) – Compatibilité d’une déclaration d’utilité publique avec ce PLU – Réalisation de logements prévue au PLU comme possible sous réserve de modification ou de révision du plan – Caractère programmatique de cette partie du plan – Absence d’incompatibilité automatique.

Des diverses questions examinées dans cette décision ne sera retenue que la plus importante, relative aux conditions de compatibilité d’une déclaration d’utilité publique (DUP) avec une disposition régissant la zone du PLU concernée par cette DUP. En l’espèce, a été prononcée la DUP du projet d’aménagement d’un secteur couvert par le PLU en vue d’y réaliser un éco-quartier.

Les requérants soutiennent que cette réalisation devant être implantée dans une zone du PLU que le règlement de celui-ci déclare ouverte à l’urbanisation sous réserve d'une procédure de modification ou de révision du document d'urbanisme, elle viole directement cette prescription. Le Conseil d’État, censurant l’arrêt de la cour d’appel donnant raison aux demandeurs, juge – par une pétition de principe très latitudinaire – que c’est à tort que celui-ci a déduit l'incompatibilité de l'opération objet de la déclaration d'utilité publique avec le plan local d'urbanisme de la seule circonstance qu'elle prévoit à terme la réalisation de logements alors que le plan local d'urbanisme ne permet de telles constructions en zone 2 AU qu'après une modification ou une révision de celui-ci. En effet, il appartenait à la cour de relever que, à ce stade, l’opération projetée n’avait qu’un caractère programmatique et que, au surplus, le périmètre concerné était classé en zone 2 AU du plan, c’est-à-dire, selon les dispositions de l’art. R. 123-6 du code de l’urbanisme, comme « zone à urbaniser ». C’est là une solution très « compréhensive »…

(5 décembre 2018, Mme X. et autres, n° 412632)

 

122 - Urbanisme commercial – Nécessité d'une autorisation d'exploitation commerciale et d'un permis de construire – Intervention de la Commission nationale d'aménagement commercial – Pouvoirs et devoirs de cette Commission – Exigence du caractère certain de la réalisation des aménagements nécessaires – Absence en l'espèce – Absence d'erreur de droit dans l'arrêt d'appel – Confirmation de l'arrêt et rejet du pourvoi.

En matière de projet d'exploitation commerciale la Commission nationale d'aménagement commercial doit se prononcer sur la conformité dudit projet aux objectifs prévus par le code de commerce (art. L. 750-1 combiné avec l'art. L. 752-1). L'autorisation ne peut être refusée que si le projet compromet la réalisation de ces objectifs. Cependant, lorsque la satisfaction de ces objectifs impose la réalisation de certains aménagements, l'autorisation d'exploitation commerciale ne peut être accordée que si cette réalisation est d'ores et déjà suffisamment certaine au moment où l'autorité administrative se prononce.

En l'espèce, la cour avait relevé que des aménagements prévus n'avaient aucun caractère suffisamment certain à la date de la décision de la commission : la réalisation nécessaire d'un carrefour giratoire sur une route nationale n'avait fait l'objet que d'un accord de principe sans plan de financement ni calendrier de réalisation et, s'agissant d'un second aménagement, la société ne disposait, pour l'heure, que d'une permission de voirie. Le Conseil d'État juge que c'est à bon droit que la cour a annulé l'autorisation délivrée par la Commission nationale d'aménagement commercial de créer un ensemble commercial sur le territoire de la commune de Sarrola-Carcopino (Corse-du-Sud).

(19 décembre 2018, Société Corsica Commercial Center, n° 416958 ; v. aussi, en matière d'urbanisme commercial, mais soulevant des questions différentes : 19 décembre 2018, Société Egly Distribution et autres, n° 414457)

 

123 - Permis de construire – Intérêt pour agir contre la légalité d’un permis de construire – Principe posé à l’art. L. 600-1-2 du code de l’urbanisme – Dérogation légale au profit du conseil national et des conseils régionaux de l’ordre des architectes (art. 26 de la loi du 17 mai 2011).

La loi (art. L. 600-1-2 c. urb.), dans le souci de rationaliser et d’accélérer les procédures contentieuses en droit de l’urbanisme, a prévu une restriction très importante de l’intérêt pour agir contre un permis de construire. La cour de Nantes avait, dans ce cadre, jugé que le Conseil régional de Bretagne de l’ordre des architectes n’avait pas d’intérêt pour agir contre un permis de construire délivré par le maire de la commune de Saint-Renan. Le Conseil d’État casse cette solution motif pris de ce que l’art. 26 de la loi du 17 mai 2011, dite de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, contient une dérogation en cette matière au profit des conseils national et régionaux de l’ordre des architectes.

Il n’est pas sûr que cette dérogation ne soit pas une malfaçon rédactionnelle en dysharmonie théorique et pratique avec l’intention simplificatrice et accélératrice du droit de l’urbanisme pourtant clairement affichée par les pouvoirs publics.

(17 décembre 2018, Conseil régional de l'ordre des architectes de Bretagne, n° 418298)

 

124 - Disposition du règlement d’un plan d’occupation des sols (POS) ou d’un plan d’urbanisme (PLU) ayant même objet qu’une règle nationale d’urbanisme – Effets (1) –Annulation contentieuse d’un permis de construire ou d’un sursis à statuer sur une demande de permis de construire – Obligation pour l’administration d’instruire à nouveau la demande dont elle avait été saisie – Acquisition en ce cas d’un permis tacite subordonnée à la confirmation, par le pétitionnaire, de sa demande de permis (2).

Cette décision, qui traduit l’une des multiples péripéties des velléités de construire un temple sur le territoire de la commune de Castellane (Alpes de Haute-Provence), intéresse surtout sur deux points le droit de l’urbanisme.

(1) Le Conseil d’État y rappelle une solution logique et bien établie selon laquelle lorsque des dispositions du règlement d'un POS ou d’un PLU ont le même objet que celles d'un article du code de l'urbanisme posant des règles nationales d'urbanisme et comportent des exigences qui ne sont pas moindres, c'est par rapport aux dispositions du règlement du plan que doit être appréciée la légalité d'une décision délivrant ou refusant une autorisation d'urbanisme. 

(2) Les juges ajoutent également une précision d’importance sur les effets de l’annulation d’un refus de permis de construire ou d’un sursis à statuer sur l’instruction du permis. En effet, une distinction, pas toujours perçue par les pétitionnaires comme par les praticiens, est à faire en ce cas. L’annulation a pour effet automatique et immédiat d’obliger l’autorité compétente à reprendre l’instruction du permis sans que le pétitionnaire ait à formuler une quelconque demande à cet égard ; c’est la décision de justice qui, en anéantissant le refus, investit le maire d’une obligation de nouvelle instruction. En revanche, en pareille occurrence, il résulte des dispositions combinées des art. L. 600-2, R. 423-23 et R. 424-1 du code de l’urbanisme que le délai de formation d’un permis de construire tacite ne court pas, comme on pourrait être tenté de le croire, du jour de la notification de la décision de justice mais seulement à compter du jour de la confirmation de sa demande de permis par l'intéressé.

(28 décembre 2018, Association du Vajra Triomphant Mandarom Aumisme (VTMA), n° 402321)

 

125 - Protection des bois et forêts – Autorisation de défrichement – Autorisation devant être préalable à la délivrance du permis de construire – Mesures de compensation du défrichement – Insuffisance de ces mesures – Illégalité ne pouvant être invoquée à leur encontre lorsqu’une seconde décision relative aux mesures de compensation a été substituée à celle, initiale, entachée d’irrégularité.

Lorsque la délivrance d’un permis de construire suppose l’octroi d’un permis de défrichement, ce dernier doit être accordé préalablement. L’insuffisance des mesures de compensation des défrichements accordés entache d’illégalité le permis de défricher et, par voie de conséquence, le permis de construire lui-même. Il en va autrement cependant quand sont substituées aux mesures de compensation initiales et irrégulières de nouvelles mesures compensatrices : le recours, en cette hypothèse, ne peut plus être dirigé que contre ces dernières mesures.

(17 décembre 2018, Société Clairsienne, n° 400311, et Association Sainte-Thérèse Préservée et autres, n° 413655)

 

126 - Terrain d’assiette comportant une ancienne bergerie du XIXème siècle – Permis de construire en vue de la réhabilitation de ce bâtiment pour son occupation à des fins d’habitation – Refus du permis au visa des dispositions du plan d’occupation des sols (POS) – Caractère de construction agricole disparu – Annulation de l’arrêt en tant qu’il oppose ce caractère au requérant.

Le Conseil d’État rappelle que « Si l'usage d'une construction résulte en principe de la destination figurant à son permis de construire, lorsqu'une construction, en raison de son ancienneté, a été édifiée sans permis de construire et que son usage initial a depuis longtemps cessé en raison de son abandon, l'administration, saisie d'une demande d'autorisation de construire, ne peut légalement fonder sa décision sur l'usage initial de la construction ; il lui incombe d'examiner si, compte tenu de l'usage qu'impliquent les travaux pour lesquels une autorisation est demandée, celle-ci peut être légalement accordée sur le fondement des règles d'urbanisme applicables. »

(28 décembre 2018, M. X., n° 408743)

 

127 - Permis de construire une habitation – Affichage du permis – Charge de la preuve du caractère régulier de l’affichage – Absence de mention sur l’affichage des voies et délais de recours contre le permis – Délai raisonnable de recours limité à une année – Délai expiré à la date de saisine du juge.

Contestant un permis de construire une habitation, les demandeurs invoquent deux arguments à l’encontre de l’affichage : il n’aurait pas été effectué pendant une période continue de deux mois au moins et il ne comporte pas mention des voies et délais de recours.

Ces deux arguments, dont le premier avait emporté la conviction de la cour administrative d’appel, sont rejetés par le Conseil d’État.

Tout d’abord, celui-ci rappelle très opportunément que le bénéficiaire d’un permis de construire s’il doit prouver l’existence de l’affichage réglementaire du permis, n’a pas à en établir la durée : c’est à celui qui la conteste soit d’en apporter la preuve soit de fournir des éléments de nature à faire douter du respect de cette durée. Tel n’était pas le cas ici.

Ensuite, le permis affiché, cela était certain, ne comportait pas mention des voies et délais de contestation dudit permis. Le juge rappelle qu’en vertu d’une jurisprudence expédiente, et sauf circonstance particulière, en l’absence de publicité ou en cas de publicité irrégulière, le délai de recours doit être raisonnablement fixé à un an. Le recours en annulation du permis litigieux ayant été introduit plus d’une année après son affichage, il est entaché de forclusion et rejeté.

(17 décembre 2018, M. et Mme X., n° 411920)

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