Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Février 2019

 

Actes et décisions (v. aussi le n° 29)

 

1 - Commission d’accès aux documents administratifs – Avis défavorable à la communication d'un document – Demande d’annulation de cet avis pour excès de pouvoir – Requête manifestement irrecevable.

Est manifestement irrecevable car dirigée contre un acte insusceptible de recours, la requête en excès de pouvoir contre un avis de la CADA défavorable à la communication d’un document administratif.

(1er février 2019, M. X., n° 415034)

 

2 - Circulaire ministérielle commentant une loi – Demande d'annulation – Circulaire ne comportant point de dispositions à caractère impératif – Circulaire commentant des dispositions législatives déclarées constitutionnelles sous réserve – Dispositions caduques.

Une association demande l'annulation d'une circulaire du ministre de l'intérieur commentant la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, à propos des quatre nouvelles mesures de police administrative que cette loi comporte.

D'une part, est constatée l'absence d'impérativité des dispositions de la circulaire attaquée, ce qui conduit au rejet du recours sur ce point pour irrecevabilité, d'autre part est relevé le fait que, par deux décisions du Conseil constitutionnel rendues sur QPC, des dispositions de la loi ont été déclarées constitutionnelles sous réserve, d'où résulte la caducité de la partie de la circulaire qui les commente, le rejet du recours étant ici fondé sur ce qu'il est devenu sans objet sur ces points.

(13 février 2019, Ligue des droits de l'homme, n° 415697)

 

3 - Comptes des partis ou groupements politiques déposés à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) – Demande de communication – Absence de texte particulier applicable – Application du droit  commun des documents administratifs – Comptes ayant la nature de documents préparatoires puis de documents administratifs à compter de leur publication sommaire au Journal officiel – Droit à communication de ces comptes sous réserve de protéger certains secrets.

Un organe de presse et une journaliste voient opposer un refus à la demande faite auprès de la CNCCFP de leur communiquer la convention de prêt conclue entre un parti politique et une banque en raison de la clause de confidentialité dont cette convention était assortie. Saisie par les intéressés, la Commission d'accès aux documents administratifs a donné un avis favorable à cette communication mais la CNCCFP a implicitement rejeté la nouvelle demande dont elle avait été saisie après cet avis. Le tribunal administratif de Paris, sur recours du journal et de la journaliste, a enjoint à la CNCCFP de communiquer la convention de prêt dans le délai d'un mois à compter du jugement à intervenir, en occultant " les données bancaires " du parti politique. C'est contre ce jugement que le parti concerné se pourvoit.

Pour l'essentiel, le Conseil d'Etat donne raison aux juges du fond.

D'une part, il constate que les comptes des partis et groupements politiques ne deviennent des documents administratifs qu'à partir de leur publication au J.O., jusque-là ils ne constituent que des documents préparatoires, donc non communicables, d'autre part, en l'absence de texte spécifique, s'appliquent à ces documents les règles du droit commun de la communication des documents administratifs.

Simplement, alors que le tribunal avait ordonné la communication sous condition de l'occultation des données bancaires du parti en cause, le Conseil d'Etat y ajoute l'occultation des mentions relatives à la durée et au taux d'intérêt de ce prêt car ces informations reflètent la stratégie commerciale du prêteur et relèvent du secret des affaires.

Décision audacieuse mais clarificatrice et simplificatrice.

(13 février 2019, Association Rassemblement National, n° 420467)

 

Collectivités territoriales

 

4 - Section de commune - Bien sectionaux – Décision de vendre de tels biens (art. L. 2411-16 CGCT) – Procédure – Exclusion de cette procédure de ceux des membres de la section communale non inscrits sur les listes électorales – Caractère sérieux de la QPC – Renvoi au C.C.

Le CGCT prévoit une procédure spécifique pour la prise de décision de vendre des parcelles appartenant à une section de commune, en particulier la consultation de ceux des habitants de cette section inscrits sur les listes électorales de la commune. Sont donc exclus ceux non inscrits sur ces listes. Contredisant le raisonnement de la cour administrative d’appel, le Conseil d’Etat juge que cet empêchement, en tant qu’il concerne des personnes aussi intéressées que les électeurs inscrits au devenir desdits biens et jouissant du même droit patrimonial, soulève une question de caractère sérieux. Elle est renvoyée au Conseil constitutionnel.

(8 février 2019, M. X. et autres, n° 410714)

 

Contrats

 

5 - Contrat administratif – Marché public de travaux – Pénalités contractuelles de retard – Calcul – Demandes de réduction du montant des pénalités en raison de leur caractère excessif – Absence d’un tel caractère – Rejet.

La double question juridique en jeu était ici, d’une part, de déterminer le mode de calcul des pénalités contractuelles de retard lorsque le cocontractant estime que ce retard ne lui est pas imputable ou ne l'est seulement qu'en partie, d’autre part, de solliciter du juge qu’il use de son pouvoir de modération des pénalités contractuelles.

Sur le premier point est énoncée une règle logique : « les pénalités applicables doivent être calculées seulement d'après le nombre de jours de retard imputables au cocontractant lui-même. ».

Sur le second point, adoptant la solution de la cour d’appel, le Conseil d’État estime les pénalités en cause non seulement sans caractère excessif mais encore plutôt bienveillantes eu égard aux stipulations contractuelles applicables. La demande de modération est rejetée.

(1er février 2019, Société Brisset, n° 414068)

 

6 - Convention de mandat entre une société et une commune – Maîtrise d’ouvrage de travaux publics de démolition – Dommages causés par ces travaux à des immeubles voisins – Action en réparation – Réception sans réserve des travaux – Impossibilité subséquente pour la commune de rechercher la responsabilité du maître d’ouvrage – Commune obligée de garantir le maître d’ouvrage des condamnations prononcées contre lui – Existence d’un dol non vérifiée – Annulation de l’arrêt d’appel.

Lors de la réalisation de travaux publics de démolition par une société, titulaire d’une convention de mandat à cet effet, pour le compte de la commune de Béziers, des désordres sont survenus aux immeubles voisins et une action en réparation est intentée avec succès. Au centre de cette décision se trouve la détermination de la personne tenue à la réparation car, d’une part, ce ne pouvait être que la commune non la société mandataire puisque la réception des travaux de démolition avait eu lieu sans réserve, et d’autre part, cependant, la commune invoquait l’existence d’un dol du fait de sa mandataire.

L’arrêt de la cour d’appel administrative est cassé car, sans respecter les dispositions de l’art. 1116 alors en vigueur du code civil (" Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté "), elle ne s’est pas expliquée sur les motifs du rejet de l’argumentation de la commune. En particulier, il lui est reproché, d’une part, d’avoir jugé que les agissements fautifs invoqués par la commune n'étaient pas assimilables à une fraude ou un dol sans autrement motiver sur ce point, et d’autre part, de n’avoir pas recherché si la société mandataire, comme le prétendait la commune, avait eu l'intention de dissimuler les désordres dont elle avait eu connaissance avant la signature du procès-verbal de réception des travaux de démolition. 

(1er février 20119, Commune de Béziers, n° 417966)

 

7 - Marché public à bons de commande portant sur la maintenance d'installations de chauffage, de climatisation et d'eau chaude sanitaire – Liquidation judiciaire de l'entreprise titulaire du marché – Cession à une autre entreprise – Factures non honorées – Résiliation tacite du marché – Refus implicite de reprendre les relations contractuelles – Régime indemnitaire – Chevauchement entre l'expiration de la durée du contrat et la décision de justice – Effets procéduraux.

Cette décision est très importante et porte sur des questions récurrentes pas toujours aisées à traiter en pratique et à résoudre en droit : la résiliation tacite du contrat, le régime de la reprise des relations contractuelles, l'expiration du contrat pendant le cours du procès, l'indemnisation des préjudices, etc.

Un marché à bons de commande est conclu entre une société et un département, la société ayant été mise en liquidation judiciaire, elle est cédée à la société CAPCLIM, héroïne de la décision examinée. Très vite, cette dernière va constater - c'est un marché à bons de commande - que le département ne fait pas appel à elle, que sa facturation n'est pas honorée et que, visiblement, le contrat a été résilié de fait. Ayant demandé en vain la reprise des relations contractuelles, elle saisit le juge qui annule la résiliation implicite du contrat, ordonne la reprise des relations contractuelles sous deux mois et rejette la demande indemnitaire de CAPCLIM. Cette dernière saisit la cour d'appel qui, réformant sur ce point le jugement, accorde une indemnisation à la société et rejette l'appel incident du département contestant l'obligation de reprise des relations contractuelles.

Le Conseil d'Etat, saisi par le département, va faire oeuvre doctrinale sur les divers points en litige.

En premier lieu, il se proonce sur la notion de résiliation tacite d'un contrat qu'il présente comme une anomalie la résiliation étant normalement le résultat d'une décision expresse.  En bref, il y a résiliation tacite lorsque la personne publique contractante manifeste sans équivoque, par son comportement, sa volonté de mettre fin aux relations contractuelles. Appliquant cette analyse au cas de l'espèce, il est jugé que les premiers juges n'ont pas commis d'erreur de droit en estimant que le contrat avait été tacitement résilié.

En deuxième lieu, la partie de la décision relative d'abord à la contestation de la mesure de résiliation tacite puis à la reprise des relations contractuelles est, elle aussi, très intéressante.  D'abord, il est rappelé que le le juge saisi d'une demande d'annulation d'une résiliation tacite se trouve ipso facto saisi d'une demande de reprise des relations contractuelles. Ensuite, ce n'est qu'en cas d'irrégularité de la résiliation que la reprise peut être accordée. Egalement, en recherchant l'irrégularité éventuelle de la résiliation, le juge, relève le Conseil d'Etat, peut se trouver dans deux situations : soit le vice affectant la mesure de résiliation est tel qu'il ne peut y avoir au profit du contractant demandeur qu'un droit à indemnité, soit les vices concernent le bien-fondé ou la régularité de la mesure de résiliation et la demande de reprise des relations contractuelles peut être accueillie sous réserve de la vérification d'un certain nombre de points entrant dans l'appréciation de la balance des intérêts en présence (par ex. : manquements éventuels du requérant à ses obligations contractuelles, motifs de la résiliation, assurance que la  reprise ne serait pas de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse, etc.). Dans ce second cas, s'il est saisi d'une demande en ce sens, le juge peut accorder l'indemnisation du préjudice qui a été causé au demandeur pendant le temps et du fait de la non-exécution du contrat.

En troisième lieu, la décision étudie l'effet du temps sur ces règles et principes, ce qu'illustrent bien les faits et la procédure dans la présente affaire.  Le terme du marché litigieux était le 27 septembre 2015, soit une date postérieure à la saisine de la cour administrative d'appel mais antérieure à la date où elle a rendu son arrêt. De son côté, le jugement du tribunal administratif ordonnant la reprise des relations contractuelles a été rendu le 29 avril 2014 et il est constant qu'il n'avait pas été exécuté à la date de l'arrêt. La cour devait donc constater, d'abord, que ce jugement ne pouvait plus recevoir exécution, ensuite, que le recours incident du département était devenu sans objet puisqu'il contestait une décision de reprises de relations contractuelles qui ne pouvaient plus avoir lieu. Elle s'est méprise en rejetant les conclusions en ce sens comme non fondées.

(27 février 2019, Département de Seine-Saint-Denis, n° 414114)

 

8 - Marché public de travaux – Action en responsabilité intentée par des tiers – Responsabilité prétendue du constructeur – Absence de réserves du maître d’ouvrage à la réception des travaux – Obligation de garantie de la responsabilité du constructeur par le maître d’ouvrage – Principe et exceptions.

Un contentieux naît des conditions défectueuses de réalisation d’une usine d’incinération d’ordures ménagères. En particulier divers tiers demandent réparation au constructeur des préjudices en résultant.

Le Conseil d’Etat rappelle dans cette décision le régime applicable en ce cas depuis une décision de Section du 15 juillet 2004, Syndicat intercommunal d'alimentation en eau des communes de la Seyne et de la région Est de Toulon (n° 235053, p. 345).

En premier lieu, le constructeur dont les travaux sont à l’origine du dommage causé par l’ouvrage public doit être garanti de toute responsabilité envers les tiers par le maître d’ouvrage dès lors que ces travaux ont été réceptionnés sans réserve et que n’est plus possible contre lui le recours en garantie de parfait achèvement ou celui en garantie décennale.

En second lieu, il en va autrement dans deux cas : l’existence d’une clause contractuelle contraire ou bien de manœuvres frauduleuses ou dolosives ayant déterminé le maître d’ouvrage à réceptionner les travaux sans réserve.

(6 février 2019, Société Fives Solios venant aux droits de la société Solios Environnement, n° 414064)

 

9 - Marché public de travaux – Groupement d'entreprises attributaire d'un lot de ce marché – Dommages causés par une société tierce aux sociétés membres du groupement – Société agissant en justice pour le compte des membres du groupement – Action en responsabilité quasi-délictuelle – Absence de qualité donnant intérêt pour agir – Autres actions non fondées sur un mandat de représentation – Rejet sur ces points.

Des sociétés se sont constituées en un groupement d'entreprises qui, en tant que tel, est attributaire de l'un des lots du marché public de construction du nouveau siège de la région Nord-Pas-de-Calais. Un accident (explosion d'une bouteille de gaz) survenu sur le chantier des travaux de construction donne lieu à un contentieux en responsabilité quasi-délictuelle. En effet, ces sociétés, victimes de dommages qui sont causés par une société tierce, en demandent réparation au juge par le canal de l'une d'entre elles, la société Sogea Nord, agissant à la fois comme mandataire du groupement et en son nom propre.  Après avoir ordonné une mesure d'expertise, le tribunal, dont le jugement sera confirmé en appel, rejette les deux demandes. Un pourvoi est formé et il est rejeté.

Lorsque, comme en l'espèce, des  entreprises se sont engagées conjointement et solidairement par un même marché envers un cocontractant à participer à l'exécution d'un même ouvrage, sans qu'aucune répartition des tâches soit faite entre elles par le marché, elles doivent être regardées comme s'étant donné mandat mutuel de se représenter pour tous les actes administratifs et techniques relatifs à l'exécution de ce marché dans le cadre des relations contractuelles entre le maître de l'ouvrage et les entreprises signataires du marché. Il en va ainsi car dans ce cas il n'existe que des actions contractuelles.

En revanche, un tel mandat mutuel n'existe pas s'agissant d'une action qui est, d'une part de nature quasi-délictuelle, d'autre part dirigée contre un tiers tant par rapport aux sociétés membres du groupement solidaire que par rapport au maître de l'ouvrage et cela alors même que ce tiers participait à la même opération de travaux publics que les membres du groupement d'entreprises.

Pas davantage les conclusions à fins indemnitaires présentées par les sociétés en question ne peuvent valoir mandat confié à l'une d'elles.

Enfin, aucune des stipulations des statuts de la société relatifs à son rôle de mandataire ne l'autorisait à engager pour le compte des autres melmbres une action en responsabilité quasi-délictuelle.

La société demanderesse pour le compte du groupement ne disposait donc pas, ainsi que l'a jugé la cour d'appel, d'un intérêt lui conférant qualité pour agir.

(27 février 2019, Sociétés Sogea Nord, Rabot Dutilleul Construction et Sogea Caroni, n° 416678)

 

10 - Marché public de services – Liberté d’accès à la commande publique – Exigences du droit de l’UE – Documents de la consultation comportant des dispositions imposant l'usage du français – Atteinte aux principes du droit de l’union – Déféré préfectoral – Déféré accueilli pour ce motif par la cour d’appel – Dénaturation des pièces du dossier – Cassation.

De cette affaire, qui relève du droit des marchés publics et aborde plusieurs questions, on ne retiendra que l’aspect le plus original.

Le préfet de la région d'Île-de-France avait demandé la suspension d’un marché public de services car les documents de la consultation comportaient des dispositions imposant l'usage du français, ce qui, selon lui, portait atteinte aux principes du droit de l'Union européenne de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et d'interdiction de discrimination en raison de la nationalité.

Faisant droit à cette demande, la cour administrative d'appel de Paris a suspendu l'exécution du marché contesté pour contrariété de l'article 8.5 du règlement de la consultation, selon lequel " la langue de travail pour les opérations préalables à l'attribution du marché et pour son exécution est le français exclusivement ", avec les libertés fondamentales garanties par le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, estimant que cet élément était de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux sur la validité du contrat.

Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’Etat annule l’arrêt sur ce point pour dénaturation des pièces du dossier.

Il ressort en effet du règlement de la consultation, d’une part, que l’art. 8.5 relevé par la cour régit seulement les relations entre les parties au contrat et n'impose pas le principe de l'usage de la langue française par les personnels de l'usine d'épuration objet du marché, et d’autre part, que d’autres dispositions (art. 4.3 et 4.4) du cahier des clauses administratives particulières du marché prévoient la possibilité pour le titulaire du marché de " recourir aux services d'un sous-traitant étranger " ou encore que l'exploitant doit remettre une attestation sur l'honneur indiquant son intention " de faire appel pour l'exécution des prestations, objet du contrat, à des salariés de nationalité étrangère ". Il suit de là que contrairement à ce prétendait le préfet et avait jugé la cour, le recours à des sous-traitants et à des salariés de nationalité étrangère pour l'exécution des prestations objet du contrat était bien prévu par les pièces de celui-ci, celles-ci n'imposant point l'usage ou la maîtrise de la langue française par les travailleurs étrangers susceptibles d'intervenir.

Par suite, l’affirmation de la contrariété de l'article 8.5 du règlement de la consultation avec les libertés fondamentales garanties par le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne était erronée et ne permettait pas d’avoir, de ce chef, un doute sérieux sur la validité du contrat. L'arrêt est annulé car il repose sur une dénaturation des pièces du dossier.

(8 février 2019, Société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux, n° 420296 et Syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne (SIAAP), n° 420603)

 

11 - Résiliation d'un contrat administratif – Injonction du juge à l'administration de résilier un tel contrat ou prononcé de la résiliation par le juge – Indemnisation du préjudice éventuellement subi – Solution différente selon que l'indemnisation est prononcée par le juge ou par l'administration.

Par delà son fond qui concerne la sous-concession d'un lot de plage, la présente affaire comporte d'importants éléments jurisprudentiels au sujet des conditions de résiliation des contrats administratifs et à certains de leurs effets financiers. L'affaire en cause s'y prêtait très bien en raison de son déroulement factuel et procédural.

Après appel à candidatures pour l'octroi de l'exploitation d'un lot de plage, la commune attribue ce lot à la société Opilo, requérante, tandis qu'une société concurrente évincée obtient du tribunal administratif l'annulation de la décision du maire rejetant son offre et l'injonction faite à ce dernier de saisir le juge du contrat en vue qu'il prononce la résolution (sic, mais il faut lire "résiliation") du contrat de sous-concession passé avec la société Opilo. La cour administrative d'appel confirme l'annulation prononcée en première instance mais pour un autre motif, la durée excessive du contrat. Elle enjoint cette fois à la commune de résilier elle-même le contrat avec effet différé dans le temps.

Le Conseil d'Etat annule cet arrêt car le moyen d'annulation retenu par la cour est inopérant envers la décision de rejet de l'offre. Sur renvoi, la cour annule le jugement et rejette toutes les demandes de la société évincée.

Cependant, la commune, pour exécuter l'injonction de la cour, par délibération de son conseil municipal, résilie le contrat de sous-concession d'un lot de plage et rejette la demande indemnitaire de la société Opilo, attributaire primitive de ce lot.  Cette dernière saisit le tribunal administratif de deux requêtes, l'une en annulation de la délibération communale, l'autre en réparation de son préjudice économique ; elle est déboutée en première instance et en appel, elle se pourvoit en cassation.

Le Conseil d'Etat statue sur ces deux chefs.

En premier lieu, s'agissant de la résiliation du contrat par la commune, est d'abord rappelée la ligne jurisprudentielle constante - encore que discutable et, nous semble-t-il obsolète - selon laquelle le juge du contrat ne peut annuler une mesure d'exécution du contrat mais seulement, selon les circonstances l'entourant, accorder une indemnité. Puis, le juge rappelle que le cocontractant peut aussi demander au juge du contrat outre la constatation de l'irrégularité de la résiliation, qu'il ordonne la reprise des relations contractuelles ; au reste, la demande d'annulation d'une résiliation est, par elle-même, une demande de reprise des relations contractuelles qui peut être décidée sur demande de la partie requérante ou, spontanément, par le juge qui est, ici, un juge de la pleine juridiction. Or, en l'espèce, la cour a considéré - bien étrangement - que la demande d'annulation de la résiliation ne pouvait pas être considérée comme une demande de reprise des relations contractuelles ; elle a donc commis une erreur de droit par méconnaissance de son office.

En second lieu, s'agissant des conclusions à fins indemnitaires, l'arrêt se veut très pédagogique, illustrant au passage, ce faisant - et involontairement -, la complexité des solutions.

Tout d'abord, le préjudice résultant de l'injonction de résilier le contrat ou de sa résiliation directe par le juge est indemnisable si sont remplies les conditions ordinaires du droit à réparation en matière contractuelle.

Ensuite, en cas d'annulation (en appel ou en cassation) de la décision de justice enjoignant à une collectivité de résilier le contrat ou décidant elle-même de le résilier, le préjudice né de cette dernière n'est pas réparable (jurisprudence constante au moins depuis : Section, 4 mai 1984, Maternité régionale Antoine Pinard, p. 1165 ; pour une confirmation récente : Section, 2 juin 2017, Communauté de communes Auray, Quiberon, Terre atlantique, p. 182). Toutefois, en pareil cas, la personne publique peut avoir deux attitudes. Soit elle tire comme conséquence de l'annulation contentieuse la décision de reprendre les relations contractuelles aux conditions habituelles régissant cette reprise (v., par ex., Section 21 mars 2011, Commune de Béziers, p. 117), soit elle décide de ne pas autriser la reprise de ces relations et le cocontractant victime de la résiliation peut alors obtenir une indemnisation selon les règles accoutumées.

Un cas intermédiaire se présente lorsque la personne publique décide de reprendre les relations contractuelles alors qu'elle a indemnisé son cocontractant : il lui suffira d'opérer une compensation en l'imputant sur ce qui sera dû au titre du futur des relations contractuelles.

(27 février 2019, Société Opilo, n° 410537)

 

 

Droit fiscal et droit financier public (v. aussi le n° 59)

 

 

12 - Examen de la situation personnelle d’un contribuable au regard d’un impôt – Obligation d’une procédure contradictoire – Cas d’une entreprise en indivision – Obligation d’aviser chacun des co-indivisaires – Absence en l’espèce – Annulation.

Rappel des exigences du contradictoire en matière de contrôle fiscal des indivisions. Si dans le cas d’une société de fait l’avis de contrôle adressé à l’un des associées vaut pour tous les autres, tel n’est pas le cas d’une indivision où chacun des co-indivisaires conserve une personnalité juridique distincte. L’omission d’aviser l’un d’entre eux nullifie la décision subséquente.

(6 février 2019, M. X., n° 421892)

 

13 - Imposition des plus-values réalisées dans le cadre d'un apport de valeurs mobilières – Valeurs mobilières ayant fait l’objet d’une donation – Imposition entre les mains du donataire – QPC fondée sur la rupture de l’égalité devant les charges publiques – Renvoi au Conseil constitutionnel.

Il résulte des dispositions des articles 150-0 A et 150-0 B ter du CGI qu’en cas de donation de valeurs mobilières il incombe au donataire, à certaines conditions, de mentionner, dans la proportion des titres donnés, le montant de la plus-value en report, ces conditions étant appréciées à la date de la transmission, en tenant compte des droits détenus par le donataire à l'issue de celle-ci.  La plus-value en report est imposée au nom du donataire et dans les conditions prévues à l'article 150-0 A.

Le requérant soulève une QPC à l’encontre de ces dispositions au motif qu’elles portent atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques dans la mesure où elles mettent à la charge du donataire des valeurs mobilières une imposition supplémentaire qui est sans lien avec la situation de ce dernier mais est liée à l'enrichissement du donateur, enrichissement qui est antérieur au transfert de propriété de ces valeurs mobilières.

Le Conseil d’Etat aperçoit dans cette situation une question nouvelle et sérieuse qu’il renvoie au Conseil constitutionnel.

(6 février 2019, M. X., n° 425447)

 

14 - Revenus des capitaux mobiliers – Revenus distribués – Notion – Contribuables redressés à raison de bénéfices réalisés par deux sociétés luxembourgeoises et distribués en France par un établissement stable – Redressement ne suffisant pas par lui-même à établir l’existence d’une distribution de revenus – Absence d'incidence du fait que le contribuable soit le maître de l’affaire.

L'Administration fiscale avait considéré en l’espèce que des bénéfices imputés à des établissements stables de deux sociétés étrangères en France constituent directement des revenus des requérants dès lors qu’ils sont chacun maître de l'affaire que constituent ces sociétés ; elle en avait déduit que leur montant devait être imposé dans leur patrimoine comme revenus de capitaux mobiliers (cf. 1° du 1 de l'art. 109 et art. 110 CGI). Cette position avait été entérinée par les juges de première instance et d’appel. Sur pourvoi, le Conseil d’Etat condamne cette solution.

Il estime que le redressement, lorsqu’il procède de l'imputation à un établissement stable situé en France, par l'intermédiaire duquel elle est regardée comme y exerçant son activité, de bénéfices réalisés par une société étrangère, est impuissant par lui-même à établir l'existence d'une distribution de revenus par cette société, sans que cette conséquence soit affectée par le fait que le contribuable en cause soit le maître de l'affaire.

(8 février 2019, M. et Mme X., n° 410301)

 

15 - Abus de droit (art. L. 64 LPF) – Notion – Interposition de personne – Régime de la preuve.

Un couple, propriétaire, avec ses enfants, d’une villa, la vend à une SCI dont ils possèdent toutes les parts, ce qui leur permet de déduire de leur revenu global le montant des frais et charges afférents aux travaux qu’ils y ont effectués. L’administration fiscale y voit un abus de droit, confirmée en cela par les juges du fond. Le redressement par réintégration de certaines dépenses déduites du revenu fiscal dont les requérants font l’objet est donc justifié.

Le Conseil d’Etat, saisi du pourvoi dirigé contre l’arrêt de la cour administrative d’appel, est ainsi conduit à statuer sur le champ d’application de la notion et du régime de l’abus de droit.

L’art. L. 64 LPF permet à l'administration d’écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

Le recours à l’exception tirée de l’abus de droit repose donc sur la preuve qui doit être apportée par l'administration que le contribuable n'a été mu, en réalisant l'opération litigieuse, que par le seul souci de diminuer ou anéantir l’impôt qu’il devait normalement supporter à raison des revenus tirés de ses activités ou de ses biens ou autres. Le caractère exorbitant de l’opposition d’un abus de droit suppose la démonstration rigoureuse de l‘existence d’un montage artificiel et de la recherche du bénéfice d'une application littérale des dispositions législatives à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs. Il est reproché à la cour de n’avoir pas effectué cette double vérification. Son arrêt est cassé pour l’erreur de droit résultant de l’insuffisance de motivation.

Statuant au fond, sur le fondement des dispositions de l’art. L. 821-2 CJA, le Conseil d’Etat constate que les contribuables ont, ici, transféré à la SCI dont ils détenaient avec leurs enfants la totalité des parts, la propriété de leur maison et conclu avec cette société un bail locatif. De ce fait, ils pouvaient imputer sur leur revenu global des charges liées aux travaux engagés dans cette maison. Le Conseil d’Etat en conclut que même si la SCI avait été créée plusieurs années auparavant et exploitait par ailleurs un important patrimoine immobilier, l'administration doit être considérée comme apportant la preuve que l'interposition de la société dans la gestion de la maison répondait à un motif exclusivement fiscal en violation des dispositions du II de l'article 15 du CGI. Or il ressort des travaux préparatoires de la loi n° 64-1279 du 23 décembre 1964 dont ces dispositions sont issues, que l'objectif poursuivi par le législateur était, notamment, de faire obstacle à la déduction du revenu imposable de déficits fonciers susceptibles, dans cette hypothèse, de résulter de la surévaluation des charges et de la sous-évaluation des revenus. En l’espèce, les contribuables, par une application littérale de la loi fiscale, ont disposé du bien comme s'ils en étaient les propriétaires occupants et se sont ainsi placés dans une situation offrant les possibilités de sous-estimation des résultats fonciers que le but clairement poursuivi par le législateur était précisément de combattre. Ceci caractérise l’existence d’un abus de droit.

(8 février 2019, M. et Mme X., n° 407641)

 

16 - TVA – Rappels de TVA pour déductions non admises – Activité complémentaire nécessaire ou accessoire – Inversion de l’analyse par la cour administrative d’appel – Cassation dans cette mesure et renvoi à la cour.

Une société, qui exerce une activité de conseil en investissement immobilier, perçoit, en plus des commissions que lui versent les promoteurs immobiliers à raison des opérations réalisées avec ses clients, des commissions bancaires exonérées de TVA au titre d'une activité d'entremise entre certains de ses clients et des établissements de crédit pour l'obtention de prêts. Elle pratique la déduction de TVA pour l'intégralité de ses dépenses et applique un prorata de déduction destiné à tenir compte des commissions bancaires perçues au titre de son activité d'entremise en prêts.

L’administration fiscale, remettant en cause ces déductions, adresse à la société des rappels de taxe sur la valeur ajoutée. La cour administrative d’appel, confirmant le jugement du tribunal administratif, juge que l’activité d’intermédiaire bancaire de la société requérante constitue le prolongement nécessaire de son activité de conseil en investissement immobilier car cette activité d’intermédiaire bancaire n’aurait pas pu être exercée en l'absence de l'activité taxable de conseil en investissement immobilier.

Le Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi contre cet arrêt d’appel, rappelle les exigences du droit de l’UE telles qu’elles résultent de directives de 1977 (art. 17 de la directive 77/388/CE) et de 2006 (art. 168 et 173 de la directive 2006/112/CE). Un contribuable est autorisé, en vertu de la directive de 2006, à déduire de la TVA dont il est redevable notamment la TVA « 2a.) …due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti ». Par ailleurs « 5)… En ce qui concerne les biens et les services qui sont utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction (...) et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction, la déduction n'est admise que pour la partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations… ». Le Conseil d’Etat déduit logiquement de ces dispositions et d’autres du même texte (art. 174, directive 2006) qu'il est fait abstraction, pour le calcul du prorata de déduction de taxe sur la valeur ajoutée, du montant du chiffre d'affaires afférent au produit des opérations financières accessoires.

Concernant la notion d’activité accessoire, la jurisprudence de la CJUE décide que ne peut être accessoire ni l’activité qui constitue le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable de l'entreprise ni celle qui implique une utilisation significative de biens et de services pour lesquels la taxe sur la valeur ajoutée est due.

C’est pourquoi il est jugé ici qu’au lieu de procéder comme elle l’a fait, la cour aurait dû rechercher d'abord si l’activité de conseil en investissement immobilier, soumise donc à la TVA, nécessitait l'exercice de l’activité d'intermédiaire bancaire. Faute d’avoir ainsi procédé, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit.

(8 février 2019, Société Fiscali Conseil, n° 409202 ; v. aussi, du même jour, posant des questions un peu différentes : Société d'exploitation du casino de Salins-les-Bains, n° 410807)

 

17 - TVA – Détermination de l'assiette – Opérations distinctes ou opération unique comportant plusieurs éléments – Bail commercial – Droit d'entrée versé au bailleur – Simple supplément de loyer – Assujettissement à la TVA comme le loyer lui-même.

La société requérante conclut un bail commercial avec une autre société portant sur un local commercial, ce bail est assorti d'un "droit d'entrée". L'ensemble loyer et droit d'entrée ayant servi d'assiette à la TVA, la nouvelle locataire a déduit le montant de cette taxe ; décision que l'administration a remise en cause, mettant à la charge de la société locataire un rappel de taxe. En vain, la locataire a contesté ce rappel de taxe en première instance et en appel, d'où son pourvoi.

Le Conseil d'Etat décide que le droit d'entrée dû lors de la conclusion d'un bail commercial doit, en principe, être regardé comme un supplément de loyer qui constitue, avec le loyer lui-même, la contrepartie d'une opération unique de location, et qui est soumis à la taxe sur la valeur ajoutée au même titre que celui-ci, et non comme une indemnité destinée à dédommager le bailleur d'un préjudice résultant de la dépréciation de son patrimoine. La seule circonstance que le bail commercial se traduise, pour le preneur, par la création d'un élément d'actif nouveau, compte tenu du droit au renouvellement du bail que celui-ci acquiert, ne suffit pas pour caractériser une telle dépréciation. En jugeant que le droit d'entrée n'était pas un supplément de loyer la cour d'appel a commis une erreur de droit tout comme le tribunal administratif.

(15 février 2019, Société Land River, n° 410796)

 

18 - TVA – Remboursement de crédit de TVA – Réclamation puis désistement – Assimilation à un dégrèvement – Maintien du droit aux intérêts du crédit de TVA pendant la période considérée.

Cette décision, relative à une réclamation de crédit de TVA, est intéressante à un double titre.

D'abord, elle assimile à un dégrèvement (au sens et pour l'application de l'art. L. 208 LPF) le désistement du contribuable qui demandait le versement d'un crédit de TVA, lequel a ensuite été imputé sur une autre taxe due.

Ensuite, elle admet que ce contribuable a droit aux intérêts du montant du crédit de TVA depuis le jour de sa réclamation adressée à l'administration jusqu'au jour où cette dernière a effectué l'imputation.

(15 février 2019, Société Financière Lord Byron, n°413770)

 

19 - Plus-value réalisée lors de la cession concomitante d'actions par des actionnaires – Partage de la plus-value avec un autre associé – Associé exerçant la fonction de dirigeant ou de salarié – Mise en commun et partage de la plus-value destinés à récompenser cet associé – Nature juridique de "traitement ou salaire" au regard du régime d'imposition.

Lorsque les associés d'une société décident qu'à l'occasion de la cession à titre onéreux de leurs actions ils partageront la plus-value qui sera réalisée avec celui qui a exercé les fonctions de dirigeant ou de salarié de cette société, les sommes qu'il perçoit lors du partage et qui sont destinées à récompenser  l'exercice par l'intéressé desdites fonctions, ne constituent pas un gain retiré de la cession de ses propres actions, mais bien une rémunération qui doit être déclarée et imposée dans la catégorie des revenus, traitements et salaires.

 (15 février 2019, M. et Mme X., n° 408867)

 

20 - Avis de mise en recouvrement (AMR) – Notification – Régime constituant une garantie pour le contribuable – Obligation d’envoyer l’AMR à l’adresse qu’il a indiquée – Exception lorsqu’un mauvais adressage n’empêche pas la réception et la connaissance de l’AMR par son destinataire – Cassation.

Parce que les règles régissant la notification des AMR constituent une garantie pour le contribuable, il est impératif qu’un AMR – dans le cas d’une société – soit envoyé à l’adresse indiquée comme étant son siège quand bien même il s’agirait d’une société sise au Luxembourg et disposant d’un établissement stable en France.

Toutefois, l’administration peut établir et le juge rechercher si le pli contenant l’AMR est néanmoins parvenu au contribuable malgré son envoi à une autre adresse que celle signalée. Cette solution avait déjà été retenue dans le cas d'une proposition de rectification (5 avril 2013, Ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, n° 356720).

(8 février 2019, Société européenne d'expertises techniques (SEET), n° 409294)

 

21 - Créance fiscale – Créance mise au passif d'un débiteur en liquidation judiciaire – Recouvrement par l'administration – Réouverture des poursuites individuelles – Saisine obligatoire préalable par le comptable public du président du tribunal de commerce – Absence – Créance non exigible – Obligation de remboursement des sommes versées.

L'entreprise du débiteur d'une créance fiscale est placée en liquidation judiciaire et son dirigeant est frappé d'une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale et toute personne morale pour une durée de dix ans. Postérieurement à la clôture de la liquidation pour insuffisance d'actif, le mandataire judiciaire chargé de la liquidation de l'entreprise du contribuable a versé au Trésor public la somme apurant sa dette fiscale. Le débiteur, estimant cette procédure irrégulière, a demandé à l'administration la restitution de cette somme - ce qui aura lieu - et de ses intérêts, en vain pour ces derniers. Il saisit le Conseil d'Etat après que la cour de Douai a refusé ce remboursement.

Il résulte des dispositions du code de commerce (art. L. 622-32, III et IV) que le comptable public, dès lors qu'il entendait recouvrer cette créance fiscale, devait saisir le président du tribunal de commerce afin que celui-ci constate qu'étaient réunies les conditions permettant la réouverture d'un droit de poursuite individuelle. Or en l'espèce, le comptable ne l'a pas fait : ceci n'a pas pour effet de supprimer la créance, laquelle subsiste, mais l'empêche d'être exigible.

Par conséquent, elle ne pouvait pas être perçue sauf décision spontanée du contribuable de s'en acquitter.  Ce n'était pas le cas ici puisque, précisément, il réclamait le remboursement de ce que le mandataire avait été contraint de verser à la demande expresse du Trésor.

La cour avait cru pouvoir considérer, par une construction juridique échevelée, que le paiement effectué par le mandataire judiciaire valait renonciation tacite du contribuable à se prévaloir de l'absence d'exigibilité de la créance. Ce raisonnement ne pouvait être admis alors qu'à la date à laquelle ce paiement a eu lieu la procédure de liquidation de l'entreprise du contribuable avait été clôturée et qu'ainsi le mandat du liquidateur judiciaire avait cessé. Le Conseil d'Etat censure l'erreur de droit commise et ordonne la restitution de la somme versée.

(13 février 2019, M. X., n° 401752)

 

22 - Compensation entre une créance du contribuable sur l’administration fiscale et une dette de celui-ci envers elle – Effet sur une mise en demeure – Pouvoirs et devoirs du juge saisi – Rejet du pourvoi.

L’administration fiscale a la faculté d’opérer d’office (alors que l’inverse n’est pas possible pour le contribuable…) la compensation entre une créance du contribuable et une dette qu’il a envers elle. Lorsqu’elle effectue une telle compensation alors qu’elle a émis un acte de poursuite comportant mise en demeure à l’encontre du contribuable, la compensation frappe de caducité ledit acte dans la proportion de ce qui a été compensé.

Ceci impose au juge saisi de la contestation de l’obligation de payer mentionnée sur l’acte de poursuite de décider soit, si la compensation est intervenue avant l'enregistrement de la requête, que cette dernière irrecevable, soit, si la compensation est intervenue en cours d’instance que la requête devenue sans objet. Il lui appartient en conséquence de déclarer caduque la mise en demeure.

En revanche, s’il est possible au contribuable de contester les effets de la compensation en faisant notamment valoir, le cas échéant, que les sommes objet de l'acte de poursuite n'étaient pas exigibles, il n’appartient pas à la juridiction saisie de rechercher si l'exercice de la compensation par l'administration était régulier ou faisait l'objet d'une contestation par le contribuable. Par suite, elle n'est pas tenue de surseoir à statuer jusqu'à ce que le juge compétent se soit prononcé sur cette éventuelle contestation.

(8 février 2019, Société Beauté Nutrition et Succès, n° 410213)

 

23 - Amende du I de l'art. 1739 CGI – Non respect de la législation sur l'épargne réglementée – Nature de sanction administrative non de sanction fiscale – Application du délai de recours de droit commun en matière de plein contentieux – Inapplicabilité des délais prévus aux art. L. 199 et R. 199-1 LPF.

L'art. 1739 CGI prévoit dans son I une amende pour non respect de la législation sur l'ouverture et la tenue de comptes d'épargne réglementés. Une caisse d'épargne s'étant vue infliger cette amende, un contentieux s'en est suivi débouchant sur un arrêt d'appel de rejet, fondé sur le non respect par la demanderesse des délais de saisine du juge, dans la mesure où la cour administrative estimait que la demande dont elle était saisie concernait une pénalité soumise comme telle au régime contentieux des taxes sur le chiffre d'affaires (cf. le II de l'art. 1754 CGI). En réalité, selon le Conseil d'Etat, cette amende est une sanction administrative dont le régime procédural, en cas de contentieux, est celui des recours de pleine juridiction.

Pour surprenant que cela puisse paraître, il existe d'autres "pénalités" fiscales qui suivent le régime des sanctions administratives non celui des pénalités proprement fiscales.

(27 février 2019, Société anonyme Caisse d'Epargne et de Prévoyance d'Ile-de-France (CEPIDF), n° 408264)

24 - Taxe sur les véhicules des sociétés – Exonération de taxe pour les véhicules destinés à la vente – Exonération strictement limitée – Taxation de tout autre véhicule.

La taxe sur les véhicules des sociétés, qui est une taxe assimilée à la taxe sur le chiffre d’affaires, doit être acquittée pour tout véhicule autre que ceux destinés à la vente. De cette notion le juge a une conception restrictive : l’exonération ne peut concerner que des véhicules exclusivement destinés à être vendus.

Ainsi, ne peuvent bénéficier de l’exonération de cette taxe, ni les véhicules temporairement mis à la disposition de journalistes et de personnalités, lors d’opérations de marketing ou de promotion commerciale, ces personnes ne pouvant  être des clients potentiels, ni les véhicules mis à disposition des personnels commerciaux, exerçant des fonctions relatives à la réalisation d'un programme d'audit de garantie des réseaux, ou à la réalisation d'objectifs en volume et en qualité et d'animation d'un réseau de partenaires, ou de conseil dans les ventes ou de développement des réseaux du groupe ou des fonctions d'attaché de presse, de telles fonctions n’étant pas directement liées à la vente de véhicules ni, non plus, les véhicules donnés en location par une société à ses cadres à un tarif très avantageux, cette location  ne concernant pas une clientèle extérieure.

(8 février 2019, Société Volkswagen Group France, n° 409619)

 

25 - Taxe professionnelle – Sociétés d'assurances constituées en groupement d'intérêt économique (GIE) – Gestion de conventions de réassurance couvrant des risques majeurs – Détermination de l'assiette de la taxe professionnelle – Prise en compte des primes d'assurances - Erreur de qualification juridique des faits – Cassation.

Des sociétés d'assurance et de réassurance ont créé deux GIE (ASSURPOL et ASSURATOME) destinés à gérer les conventions de coréassurances qu'elles ont conclues entre elles concernant les risques d'atteinte à l'environnement et les risques atomiques. L'administration fiscale, prenant en compte le chiffre d'affaire de chacun de ces GIE, a constaté que celui-ci excédait le seuil prévu à cet effet et les a assujettis à la taxe professionnelle. Ayant contesté en vain en première instance comme en appel cette décision, les deux GIE se pourvoient en cassation pour obtenir décharge de l'imposition litigieuse et le Conseil d'Etat accueille leur recours.

En effet, il résulte des conventions conclues entre elles par les sociétés d'assurance une distinction nette entre, d'une part, ces sociétés, qui sont directement chargées de l'assurance et de la réassurance des risques environnementaux et nucléaire, auxquelles les primes d'assurance sont versées, et d'autre part, les GIE, seulement chargés de gérer administrativement lesdites conventions et ne recevant à cet effet que des cotisations de leurs membres. Ainsi, les primes d'assurance ne font point partie du chiffre d'affaires des GIE et en jugeant le contraire la cour d'appel a inexactement qualifié en droit les faits. La décharge sollicitée est admise.

(13 février 2019, GIE ASSURPOL et GIE ASSURATOME, n° 402157)

 

26 - Corridas – Absence de caractère de "spectacles de variétés" – Différences entre le public des corridas et le public des autres spectacles tauromachiques.

Dans le cadre d'un litige portant sur le taux de TVA applicable à des billets d'entrée à une corrida, le juge d'appel, confirmé par le juge de cassation, est amené à se prononcer négativement sur la nature juridique de la corrida et juge que "eu égard à sa singularité, tenant notamment à ce qu'elle se déroule autour du thème central de l'affrontement entre l'homme et le taureau, selon un rituel comportant la mise à mort de ce dernier, la corrida ne pouvait être regardée comme un spectacle de variétés, au sens (des)  dispositions (de l'art. 279 CGI)."

(15 février 2019, Société Plateau de Valras, n° 408228)

 

Droit public économique

 

27 - Politique agricole commune – Droit de l'Union – Exportation de produits agricoles – Restitution à l'exportation – Aides communautaires – Remboursement des indus perçus – Règle de prescription – Fixation jurisprudentielle du point de départ du délai de prescription – Application exacte par l'arrêt d'appel – Rejet du pourvoi.

FranceAgriMer, établissement public, émet des titres de recettes à l'encontre d'une société d'exportation de viande bovine à destination de la Russie. Celle-ci a bénéficié des restitutions à l'exportation régies par le droit de l'UE et un contrôle douanier a estimé non valides certaines des preuves fournies par cette société pour établir que les denrées exportées de 2003 à 2005 étaient réellement parvenues à destination, d'où l'émission, le 30 août 2011, des titres de recettes litigieux tendant au remboursement des aides indues dont certaines avaient été versées sous forme d'avances. La société a contesté avec succès la légalité de ces titres tant en première instance qu'en appel. FranceAgriMer se pourvoit contre l'arrêt de la cour administrative d'appel.

La question centrale était celle de savoir si, pour une partie d'entre eux, ces titres ne concernaient pas des créances prescrites. La réponse à celle-ci dépendait du point de départ du délai de prescription de quatre ans. Dans un arrêt (C-59/14) du 6 octobre 2015 (Firma Ernst Kollmer Fleischimport und -export c/ Hauptzollamt Hamburg-Jonas) la CJUE, interprétant les articles 1.2 et 3.1 du règlement du 18 décembre 1995, a dit pour droit, d'une part, que dans le cas où la violation d'une disposition du droit de l'Union n'a été détectée qu'après la réalisation d'un préjudice, le délai de prescription commence à courir à partir du moment où tant l'acte ou l'omission d'un opérateur économique constituant une violation du droit de l'Union que le préjudice porté au budget de l'Union ou aux budgets gérés par celle-ci sont survenus, et donc à compter de la plus tardive de ces deux dates, et d'autre part, que, dans de telles circonstances, le préjudice est réalisé dès que la décision d'octroyer définitivement la restitution à l'exportation à l'exportateur concerné a été prise, soit, en cas d'avance, au moment où les garanties correspondantes sont libérées.

En principe, le règlement du 15 avril 1999 donne un délai de douze mois à l'opérateur à compter de l'acceptation de la déclaration d'exportation pour déposer le dossier justifiant de la réalisation régulière de l'opération donnant lieu à restitution, et permettant à l'administration de statuer sur l'octroi définitif de celle-ci. Cependant dans le cas où, comme en l'espèce, l'opérateur a obtenu avant cette limite le paiement de la restitution ou, en cas d'avance, la libération des garanties, la violation, le cas échéant, du droit de l'Union doit être regardée comme réalisée à la date à laquelle l'opérateur a transmis les documents justificatifs sur lesquels l'administration s'est fondée pour octroyer définitivement la restitution à l'exportation, quand bien même le caractère probant de ces documents et la régularité de l'opération concernée seraient, postérieurement à cette décision, remis en cause. C'est donc sans erreur de droit que la cour a jugé que la violation du droit de l'Union devait être regardée comme constituée au moment de la transmission par la société requérante des pièces justificatives et que le préjudice au budget de l'Union était constitué le 20 novembre 2005, date de la libération des dernières garanties. Cette dernière date étant la plus tardive des deux elle constituait donc bien le point de départ de la prescription. Il en résulte qu'étaient prescrits à leur date d'émission les titres de recettes litigieux émis par FranceAgriMer dont le pourvoi se trouve rejeté.

(15 février 2019, FranceAgriMer, n° 409211)

 

28 - Droit de l'Union – Allégements de charges sociales en faveur des pêcheurs – Incompatibilité avec le marché commun – Obligation de récupération immédiate de ces aides auprès de leurs bénéficiaires – Principes de confiance légitime et de sécurité juridique ne pouvant pas être invoqués en l'espèce – Récupérations, distinctes ou non, des aides patronales et des aides salariales – Renvoi préjudiciel.

Suite au naufrage de l'Erika et de la pollution qui s'en est suivie, l'Etat français a allégé les charges sociales des pêcheurs pendant six mois. Qualifiés d'aides d'Etat par la Commission, ces allègements ont été condamnés par la justice européenne qui a également constaté que la France avait manqué aux obligations qui lui incombaient en ne récupérant pas auprès des bénéficiaires les aides déclarées illégales et incompatibles avec le marché commun. C'est l'émission de titres en vue de permettre cette récupération qui est à l'origine du litige. On laissera de côté, car bien établi,  le rejet de l'argument selon lequel cette récupération, longtemps après les allègements autorisés portent atteinte à la confiance légitime et à la sécurité juridique qui sont des principes généraux du droit de l'Union ; il est en effet de jurisprudence européenne constante que ces principes ne sont pas opposables par le bénéficiaire d'une aide d'Etat versée en violation de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne pour faire échec à la restitution de l'aide.

En revanche, plus délicate est la question de savoir, les allègements litigieux ayant consisté en diminution de cotisations patronales et de cotisations salariales, si la décision de la Commission implique seulement la récupération des allégements de cotisations patronales, les allégements de cotisations salariales devant être récupérés auprès des salariés, qui en ont été les seuls bénéficiaires. Comme dans sa décision la Cour n'a évoqué, sans autre précision, que des "cotisations sociales" et qu'elle renvoie, en règle générale, à chaque droit national pour déterminer qui, en tant que bénéficiaire de l'aide d'Etat illégale, doit supporter la charge de son remboursement, la question à résoudre devient préjudicielle.

Elle est formulée ainsi : "La réponse au moyen tiré de ce que la décision de la Commission n'impose pas la récupération des allégements de cotisations salariales auprès des entreprises dépend de la question de savoir, en premier lieu, si cette décision de la Commission doit être interprétée comme ne déclarant incompatibles avec le marché commun que les allégements de cotisations patronales, alors que les allégements de cotisations salariales ne bénéficient pas directement aux entreprises et ne seraient, en conséquence, pas susceptibles d'entrer dans le champ d'application de l'article 107 du traité, ou comme déclarant également incompatibles les allégements de cotisations salariales. Dans l'hypothèse où la décision de la Commission doit être interprétée comme déclarant également incompatibles les allégements de cotisations salariales, la réponse au moyen dépend de la question de savoir si l'entreprise doit être regardée comme ayant bénéficié de l'intégralité de ces allégements ou seulement d'une partie d'entre eux, et, dans cette dernière hypothèse, comment cette partie doit être évaluée et si l'Etat membre serait tenu d'ordonner le remboursement par les salariés concernés de la part d'aide dont ils auraient bénéficié."

(15 février 2019, Ministre de l'agriculture et de l'alimentation, n° 411507)

 

Droit social et action sociale (v. aussi le n° 56)

 

 

29 - Demande d'autorisation de rupture du contrat de travail d'un salarié protégé – Refus de l’inspectrice du travail – Recours hiérarchique rejeté – Cour d’appel annulant pour illégalité le refus de l’inspectrice et ne prononçant pas l’annulation du rejet du recours hiérarchique – Erreur de droit – Annulation.

Des sociétés demandent l’autorisation de licencier un salarié protégé, ce qui leur est refusé par l’inspection du travail, refus confirmé par le rejet de leur recours hiérarchique au ministre. Elles demandent l’annulation des deux décisions, en vain devant le tribunal administratif, en obtenant partiellement gain de cause en appel. En effet, la cour annule, à raison de son illégalité, le refus opposé par l’inspectrice du travail mais ne prononce pas l’annulation du rejet sur recours hiérarchique pourtant identique au refus annulé.

Le Conseil d’État rappelle, dans une formulation de principe, que " Lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail ayant statué sur une demande d'autorisation de rupture du contrat de travail d'un salarié protégé, le ministre chargé du travail doit, si cette décision est illégale, l'annuler. Par suite, lorsque le ministre rejette le recours hiérarchique dont il est saisi, il appartient au juge administratif, statuant sur un recours dirigé contre ces deux décisions, d'annuler, le cas échéant, celle du ministre par voie de conséquence de l'annulation de celle de l'inspecteur du travail."

Au reste, et quand bien même l’annulation de la décision du ministre n’aurait pas été expressément sollicitée il entre dans l’office du juge de prononcer une annulation de cette décision par voie de conséquence.

(1er février 2019, Société Total marketing services et Société Total raffinage France, n° 407122)

 

30 - Licenciement d'un salarié protégé – Délai de saisine de l'administration du travail par l'employeur – Moyen de légalité interne et non de légalité externe.

Cette décision comporte deux enseignements, l'un de droit du travail, l'autre de procédure contentieuse. Du chef de ce premier point, le Conseil d'Etat juge que c'est sans erreur de droit qu'une cour administrative d'appel a pu estimer que le délai de 21 jours séparant la décision de mise à pied d'un salarié par l'employeur et la saisine par ce dernier de l'inspection du travail a eu une durée excessive entachant la légalité interne de l'autorisation administrative de licenciement. Est à cet égard sans influence le fait que cette irrégularité n'aurait pas privé le salarié d'une garantie ou n'aurait pas eu une influence sur le sens de la décision administrative attaquée.

 (27 février 2019, Société Vacation Rental, n° 413556)

V. aussi le n° 71

 

31 - Bénéficiaire du RSA – Notion de foyer – Concubin condamné pour violences conjugales – Interdiction de rencontrer sa victime – Cessation du droit au RSA pour reprise de la vie commune – Éléments insuffisants retenus par le jugement – Cassation.

Une personne, Mme X., déclare s’être séparée de son concubin et obtient l’attribution du RSA. Par la suite, l’ex-concubin, M. Y., reconnu coupable de faits de violence sur la personne de Mme X. ainsi que d'appels téléphoniques malveillants réitérés, a été placé sous le régime de la mise à l'épreuve pendant deux ans, avec l'obligation de s'abstenir d'entrer en relation avec la victime de l'infraction.

Estimant que l’intéressée avait repris une vie de couple avec M. Y., la caisse d’allocations familiales a cessé le versement du RSA. Pour confirmer cette décision, que contestait la requérante, le tribunal administratif a considéré que les circonstances que M. Y. était présent au domicile de Mme X., en l'absence de celle-ci, lors de deux visites de contrôle, qu'il avait déclaré l'adresse de ce domicile à sa banque et à deux administrations et qu'il avait effectué des achats réguliers dans différents commerces locaux permettaient de présumer l'existence d'une vie commune. Ce raisonnement est cassé par le Conseil d’Etat motif pris de ce que " eu égard à la situation particulière de Mme X., les éléments ainsi relevés ne pouvaient suffire à caractériser la poursuite d'une vie de couple stable et continue au cours de la période à prendre en considération pour apprécier son droit au revenu de solidarité active. "

On peut ne pas être convaincu par cette motivation de la décision de cassation.

(7 février 2019, Mme X., n° 416612)

 

32 - Revenu de solidarité active (RSA) – Ressortissants de l'UE, de l'EEE ou de Suisse – Droit au RSA subordonné aux respects des conditions ouvrant droit au séjour – Droit ouvert au-delà de trois mois d'exercice en France d'une activité professionnelle – Droit devenant permanent après cinq années de résidence légale et ininterrompue – Droit variable au séjour en cas de chômage.

Un ressortissant espagnol venu en France en septembre 2008 pour y effectuer un stage, a bénéficié d'un contrat d'avenir de juin 2009 à juin 2011 puis il a conclu plusieurs contrats à durée déterminée de moins d'un an, au terme desquels il s'est, en janvier 2012, inscrit à Pôle emploi en qualité de demandeur d'emploi. Alors que l'intéressé était allocataire du revenu de solidarité active depuis décembre 2012, le président du conseil départemental a refusé, par une première décision (septembre 2015) confirmée ensuite par le rejet du recours administratif formé par l'intéressé (novembre 2015), de lui accorder le bénéfice du RSA au motif qu'il ne satisfaisait pas à la condition de droit au séjour prévue pour les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne. Son recours ayant échoué devant le tribunal administratif, l'intéressé saisit le juge de cassation.

Le Conseil va censurer le jugement qui lui est déféré.

 Le Conseil d'Etat relève que pour pouvoir bénéficier du RSA, les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne (UE), des Etats parties à l'accord sur l'Espace économique européen (EEE) ou de la Suisse doivent remplir les conditions exigées pour bénéficier d'un droit au séjour.

Le droit au séjour est ouvert au-delà de trois mois au ressortissant qui exerce une activité professionnelle en France et, au-delà de cinq ans de résidence légale et ininterrompue, ce droit est acquis à titre permanent.

En cas de chômage involontaire et dûment constaté, survenu à la fin d'un contrat de travail à durée déterminée inférieure à un an, le ressortissant disposant d'un droit au séjour supérieur à trois mois bénéficie encore de ce droit, pendant six mois à compter de sa mise au chômage. Tandis que le droit au séjour est maintenu sans limitation de durée au ressortissant qui se trouve dans une telle situation après avoir été employé pendant plus d'un an et s'est fait enregistrer en qualité de demandeur d'emploi auprès du service de l'emploi compétent.

Il résulte de ce qui précède que la seule circonstance que le contrat ayant précédé l'inscription en qualité de demandeur d'emploi ait été d'une durée de moins d'un an n'est pas de nature à limiter le droit au séjour de l'intéressé à une période de six mois. Le jugement est annulé pour erreur de droit en ce qu'il s'est fondé sur ce motif.

 (18 février 2019, M. X., n° 417021)

 

33 - Salarié protégé – Mise à la retraite d'office – Autorisation de l'inspection du travail – Etendue du contrôle du juge sur cette autorisation – Contrôle insuffisant en l'espèce – Erreur de droit – Cassation dans cette mesure.

Un représentant du personnel conteste sa mise à la retraite d'office après avis favorable de l'inspection du travail. La cour administrative d'appel, annulant le jugement de première instance, juge légale l'autorisation donnée. Sur pourvoi de l'intéressé le Conseil d'Etat casse l'arrêt en reprochant à celui-ci une erreur de droit.

S'agissant d'un salarié protégé, bénéficiant donc d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt du mandat qu'il exerce au nom des salariés, le Conseil d'Etat exige un contrôle particulièrement étendu de la part du juge qui ne doit pas se limiter au seul examen du respect de l'accord d'entreprise.

D'une part, le juge doit s'assurer que l'inspection du travail a bien examiné la régularité de la procédure de mise à la retraite de ce salarié au regard tant des garanties de procédure prévues par le code du travail en cas de licenciement d'un salarié protégé, lesquelles s'appliquent aussi à la mise à la retraite d'un salarié protégé, que, le cas échéant, les stipulations d'accords collectifs de travail applicables à la mise à la retraite des salariés.

D'autre part, il incombe au juge de vérifier que la mesure envisagée n'est pas en rapport avec les fonctions représentatives exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé, ensuite que les conditions légales de mise à la retraite sont remplies et, enfin, qu'aucun motif d'intérêt général ne s'oppose à ce que l'autorisation soit accordée.

(13 février 2019, AGEFOS-PME, n° 403890)

 

34 - Contentieux sociaux – Règles spécifiques de procédure – Obligations renforcées du défendeur – Nécessité pour lui de communiquer au juge l'entier dossier constitué au sujet de la demande dont le requérant l'avait saisi – Conséquences pour le juge – Impossibilité pour lui de rejeter la requête "sans disposer des éléments pertinents de ce dossier".

Le Conseil d'Etat saisit l'occasion d'un contentieux noué à propos du refus d'attribuer l'allocation spécifique de solidarité à une personne, pour créer une véritable "directive procédurale" en matière de contentieux sociaux. En l'espèce, se contredisaient les affirmations de Pôle Emploi et de la requérante au sujet du nombre d'années et de mois d'activité salariée que cette dernière avait eus durant les dix années précédant la fin du contrat de travail à partir de laquelle avaient été ouverts ses droits aux allocations d'assurance. Pour rejeter sa demande les premiers juges avaient estimé insuffisants les justificatifs qu'elle avait produits. En se limitant à cette "argumentation" le tribunal ne satisfaisait point aux exigences procédurales découlant des caractéristiques des contentieux sociaux et des personnes qu'ils concernent. Ici, d'ailleurs, Pôle Emploi n'établissait pas avec certitude comment ses calculs lui permettaient d'annoncer une durée des services moindre que celle avancée par la requérante.

Se situant pleinement dans la logique du législateur qui a voulu un traitement particulier et bienveillant des contentieux sociaux, le Conseil d'Etat rappelle le véritable vade-mecum que doit suivre le tribunal administratif envers un organisme social, tel Pôle Emploi. 

D'une part, lorsque lui est notifiée une requête relative, par exemple, à l'attribution de l'allocation de solidarité spécifique ou à la récupération d'un indu de cette allocation, Pôle emploi (comme tout autre organisme social), doit, spontanément ou, à défaut, à l'invitation du tribunal, lui communiquer l'ensemble du dossier constitué pour l'instruction de la demande ou pour le calcul de l'indu.

D'autre part, le tribunal ne peut régulièrement rejeter les conclusions dont il est saisi sans disposer des éléments pertinents de ce dossier.

Appliqués au cas de l'espèce, ces règles ne pouvaient que conduire à l'annulation du jugement querellé.

(18 février 2019, Mme X., n° 414022 ; dans le même sens, du même jour, à propos du RSA : M. X., n° 414806)

 

35 - Salarié protégé déclaré médicalement inapte à la reprise de son emploi – Proposition de poste(s) par l'employeur – Licenciement envisagé par suite du refus de ce(s) poste(s) – Avis obligatoire des délégués du personnel sur le(s) poste(s) proposé(s) – Intervention de l'avis postérieurement à l'offre faite à l'intéressé au lieu de l'inverse – Absence d'irrégularité.

Renversant une jurisprudence antérieure (qui avait jugé "substantiel" l'ordre à suivre en pareil cas de figure et donc le caractère obligatoirement préalable de la consultation des délégués du personnel : 22 mai 2002, Société civile Carbone, n° 221600, 6è considérant), et dans le droit fil d'une malheureuse "ringardisation" de l'invocation de vices de forme, le Conseil d'Etat décide que l'ordre suivi en l'espèce n'entraîne pas la nullité de la procédure. En principe, lorsque l'employeur propose des postes de reclassement à un salarié protégé il doit en informer les délégués du personnel pour avis sur lesdits postes au regard des qualifications et, ici, de l'état de santé du salarié protégé ; ensuite, ces postes sont proposés à l'intéressé. En l'absence d'acceptation peut être mise en oeuvre la procédure de licenciement précédée, s'agissant d'un salarié protégé, d'une autorisation de l'inspection du travail. Cet ordre n'avait pas été suivi en l'espèce, où les postes ont été d'abord proposés aux salariés puis soumis pour avis aux délégués et, enfin, proposés à nouveau au salarié. Une cour d'appel en a déduit avec grande sévérité l'irrégularité de l'autorisation de licenciement et donc la nullité du licenciement lui-même conformément à la jurisprudence alors en vigueur.

Le Conseil d'Etat, au prix du renversement susrappelé, censure donc l'arrêt.

(27 février 2019, Société Eurovia Grands Travaux, venant aux droits de la société Eurovia GPI, n° 417249)

 

Environnement

 

36 - Arrêté ministériel autorisant le prélèvement de l'oie cendrée, de l'oie rieuse et de l'oie des moissons au cours du mois de février 2019 – Référé suspension – Urgence établie – Dérogation prévue par une directive de l’Union – Invocation du "plan de gestion international sur l'oie cendrée", adopté en décembre 2018 par les États signataires de l'accord sur la conservation des oiseaux d'eau migrateurs d'Afrique et d'Eurasie (" AEWA ") – Existence d’un doute sérieux – Suspension ordonnée.

Plusieurs associations contestent un arrêté ministériel du 30 janvier 2019 autorisant le prélèvement de l'oie cendrée, de l'oie rieuse et de l'oie des moissons au cours du mois de février 2019, qu’elles jugent illégal, et en demandent la suspension.

Le juge relève que la simple confrontation des dates, de l’arrêté et de sa possible mise en œuvre, suffit à établir l’urgence à statuer.

Il aperçoit aussi un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. Celle-ci se fonde sur une dérogation prévue par une directive de l’UE « s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante ». Précisément, le juge reproche à l’auteur de l’arrêté de ne pas démontrer avoir recherché si d’autres solutions que le tir de ces oiseaux n’étaient pas possibles en l’espèce.

Les conditions étant réunies, la suspension de la décision est ordonnée.

(6 février 2019, Ligue pour la protection des oiseaux, n° 427504 ; Association France nature environnement, n° 427520 ; Association Humanité et biodiversité, n° 427544 ; Association One Voice, n° 427549)

 

37 - Carrières – Autorisation d'ouverture et d'exploitation – Mise en concurrence des candidats – Conditions et portée – Principe de précaution – Application – Rejet.

A l'occasion de la contestation de décrets accordant une concession de sables et de graviers siliceux marins, est rendue une longue décision dont seront retenus deux points seulement.

En premier lieu, était contestée la procédure d'attribution de la concession de mines. Il résulte des textes qu'après le dépôt des dossiers de candidature du demandeur et des opérateurs concurrents, le silence gardé pendant trois ans par le ministre compétent vaut décision implicite de rejet de la demande de concession. Les requérants soutenaient qu'à l'issue de ce délai l'administration ne peut attribuer une concession qu'après une nouvelle procédure de mise en concurrence. Il lui est répondu que l'administration, qui demeure saisie de la demande même après l'expiration du délai triennal, peut légalement retirer sa décision implicite et attribuer la concession sans nouvelle mise en concurrence si, du moins, l'économie générale du projet n'a pas été, entre-temps, modifiée.

En second lieu, et cet aspect est le plus important de cette décision, saisi d'un argument invoquant le principe de précaution, le juge fait très bien le départ entre ce qui relève de la précaution et ce qui relève de la précaution. La prévention suppose le risque connu dans ses conditions de survenance et dans ses effets, tandis que la précaution suppose une double inconnue : celle de la survenance du risque et celle de la consistance du risque si celui-ci survenait. Ainsi, s'agissant de l'érosion côtière, le risque revêt les caractéristiques exigées pour que lui soit applicable le principe de précaution, le juge estimant en outre suffisantes les mesures prises à ce titre. S'agissant, en revanche, des risques de destruction des organismes benthiques, d'augmentation de la turbidité et de destruction des frayères et nourriceries, ils ne sont pas, "en l'état des connaissances scientifiques à la date des décrets attaqués, affectés d'une incertitude de nature à justifier l'application du principe de précaution".

Il faut saluer une décision clarificatrice car, trop souvent, "précaution" est pris et utilisé comme synonyme de "prévention" alors qu'il s'agit de réalités conceptuelles et juridiques dissemblables produisant, ainsi que cela se constate à la lecture de cette décision, des effets de droit très sensiblement différents.

 (25 février 2019, Association " le Peuple des Dunes des Pays de la Loire " et communauté de communes de l'île de Noirmoutier, n° 410170)

 

38 - Arrêté préfectoral fixant le nombre maximal de grives et de merles noirs pouvant être capturés pour servir d'appelants – Capture au moyen de gluaux – Décision ayant une incidence directe et significative sur l'environnement (art. L. 123-19-1, I du code de l'environnement) – Irrégularité de la procédure d'adoption de la décision – Annulation.

Le code de l'environnement (art. L. 123-19-1, I) prévoit que les décisions administratives ayant une incidence directe et significative sur l'environnement doivent être précédées d'une procédure de participation du public.

Le ministre chargé de la chasse avait réglementé dans plusieurs départements méditerranéens l'emploi des gluaux pour la capture de grives et de merles noirs destinés à servir d'appelants pendant la campagne de chasse 2017-2018 sans mettre en oeuvre l'exigence de participation du public et l'association requérante, estimant irrégulière cette omission, demandait l'annulation des arrêtés ainsi pris.

Le Conseil d'Etat devait déterminer si l'autorisation ministérielle entrait, ou non, dans la catégorie des " décisions ayant une incidence directe et significative sur l'environnement". Sa réponse est positive mais guère explicite, le juge se bornant à relever qu'il en est ainsi eu égard à l'objet des arrêtés, "qui est de fixer pour la campagne de chasse 2017-2018 dans les départements qu'ils visent un nombre maximal d'oiseaux susceptibles d'être capturés par l'emploi de gluaux selon un mode de chasse traditionnel".  Le lecteur reste sur sa faim et il serait bien qu'interviennent des décisioins plus explicites sur la définition d'une notion juridique aux effets importants.

 (25 février 2019, Ligue française pour la protection des oiseaux (LPO), n°s 414849, 415593, 416344 et 416345 ; v. également : 25 février 2019, Association One Voice, n° 419186 et M. X., n° 422607, où est refusée le caractère d'une mesure " ayant une incidence directe et significative sur l'environnement" à la décision autorisant, pour chasser et/ou détruire des animaux nuisibles ou pour reprendre du gibier vivant dans un but de repeuplement, l'utilisation sur les armes à feu de dispositifs silencieux destinés à atténuer le bruit au départ du coup).

 

39 - Mesures de protection d'espèces animales non domestiques – Interdiction du commerce de l'ivoire d'éléphants et de la corne de rhinocéros sur le territoire national – Interdiction prononcée par arrêtés des ministres de l'environnement et de l'agriculture – Décisions prises par des autorités compétentes – Décisions justifiée et proportionnées – Rejet du recours.

La Fédération requérante demande l'annulation du refus implicite de la ministre de l'environnement, résultant de son silence, d'abroger ou de modifier son arrêté relatif à l'interdiction du commerce de l'ivoire d'éléphants et de la corne de rhinocéros sur le territoire national ainsi qu'un arrêté modificatif de ce dernier. Elle développe divers arguments au soutien de sa demande. Ils sont tous rejetés par la présente décision.

La compétence des deux ministres en cause pour prohiber certains actes comme pour y apporter des dérogations, n'est pas douteuse, contrairement à ce qu'affirme la requérante, car elle découle des dispositions de l'art. L. 411-1 du code de l'environnement.

Est également rejetée l'affirmation que serait contraire tant à la liberté du commerce et de l'industrie qu'au droit de propriété, l'inclusion dans le champ de l'interdiction, par les arrêtés attaqués, de certains matériaux alors que ceux-ci  on été  acquis dans des conditions conformes aux exigences résultant de la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction, signée à Washington le 3 mars 1973 et du règlement (CE) n° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996 relatif à la protection des espèces de faune et de flore sauvages par le contrôle de leur commerce. Selon le Conseil d'Etat cette mesure trouve sa base légale dans l'article précité (et d'autres) du code de l'environnement. Ce qui pose la question de savoir si la loi fait ici écran entre les textes internationaux et les arrêtés ou si une exception d'inconventionnalité expressément soulevée - faute que ce moyen soit d'ordre public - eût été jugée recevable et fondée.

Cette mesure entend lutter, dans l'intérêt général, contre le trafic international de l'ivoire qui a contribué à décimer les populations d'éléphants d'Afrique et d'Asie et comme, par ailleurs, la datation des spécimens d'ivoire brute est difficile, il ne saurait être reproché aux arrêtés attaqués et à leurs auteurs d'avoir, par leurs prescriptions, porté une atteinte excessive aux autres intérêts en présence ici.

Comme les requérants critiquaient la prise de mesures différentes selon que l'emploi de l'ivoire est le fait de l'industrie de la coutellerie ou de celle des instruments de musique (pour les touches et tirettes de jeux d'ivoire des instruments de musique à clavier, pour les archets des instruments à cordes frottées, etc.), le juge objecte que les emplois de l'ivoire et les situations sont différents et qu'il n'est pas interdit de traiter différemment des situations différentes.

 Enfin, pour faire reste de raison aux demandeurs, le juge rappelle que la période transitoire de neuf mois ménagée par les arrêtés querellés à compter de leur entrée en vigueur prend suffisamment en compte les intérêts de la coutellerie.

(27 février, 2019, Fédération française de la coutellerie, n° 408118 et n° 412269)

 

État-civil et nationalité

 

40 - Décret du premier ministre s'opposant à l'octroi de la nationalité française – Défense d'idées contraires aux valeurs essentielles de la société française – Refus de communiquer au Conseil d'Etat les pièces fondant la décision – Renvoi du juge aux seules pièces de la procédure – Impossibilité de tenir pour établi le motif fondant le décret attaqué – Annulation.

Décision intéressante en ce qu'elle rappelle avec force les exigences du contradictoire dans le procès. Le requérant demandait l'annulation de la décision du premier ministre s'opposant, bien qu'il fut époux d'une française, à ce qu'il acquière la nationalité française.

Devant le Conseil d'Etat le premier ministre invoquait la circonstance que le demandeur était adepte d'une idéologie contraire aux valeurs essentielles de la société française en s'appuyant sur des pièces réunies par le sous-préfet de Reims et sur deux notes du service départemental du renseignement territorial de Reims qu'il se refusait à communiquer au juge, renvoyant celui-ci aux seules productions contenues dans le dossier. Le juge, au nom du respect du contradictoire, se refuse à tenir pour établis des éléments qu'il est impossible au juge de connaître et au défendeur de discuter. Il ne trouve par ailleurs dans le dossier que des indications générales, peu circonstanciées et non corroborées. Le décret est annulé.

 (13 février 2019, M. X., n° 419662)

 

Fonction publique et agents publics

 

41 - Capitaine de gendarmerie – Auteur d’un rapport jugé défectueux – Sanction disciplinaire – Contrôle du juge de l’excès de pouvoir – Sanction injustifiée – Annulation.

La circonstance qu’un capitaine de gendarmerie ait fait montre d’insuffisance professionnelle dans la conception et la rédaction d’un rapport ne justifie pas une sanction disciplinaire de ce seul fait.

(1er février 2019, Mme X., n° 422658)

 

42 - Interprète afghan de l’armée française en Afghanistan – Recruté sur contrat de droit local – Droit à la protection fonctionnelle – Protection pouvant prendre la forme, dans les circonstances de l’espèce, de la délivrance d’un visa ou d’un titre de séjour à l’intéressé ainsi qu’à sa famille.

Examinant la demande d’un afghan ayant servi d’interprète à l’armée française et craignant, de ce chef, pour sa vie et celle des siens, que lui soit accordée la protection de la France lui permettant ainsi de fuir son pays, le Conseil d’État apporte deux précisions intéressantes.

D’une part, il indique que le principe général du droit selon lequel la protection fonctionnelle est due à tout fonctionnaire ou agent public est applicable également aux agents non-titulaires de l’État recrutés à l’étranger selon un contrat soumis au droit local. Le requérant s’en voit donc reconnaitre le bénéfice.

D’autre part, en principe, la protection fonctionnelle vise à protéger l’agent des condamnations civiles prononcées contre lui, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable, ainsi que des des poursuites pénales, sauf s'il a commis une faute personnelle, et contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il est l'objet. Toutefois, dans les circonstances particulières de l’espèce, il est jugé que la protection fonctionnelle peut consister en la délivrance d’un visa ou d’un titre de séjour permettant à l’intéressé et à sa famille de venir et de séjourner en France sans qu’y fasse obstacle, contrairement à ce qui avait été jugé en référé en première instance, le principe de l’indépendance des législations. Au reste, l’on sait que ce principe n’a pas la force qu’on lui prête souvent.

(1er février 2019, M. X., 421694)

 

43 - Fonction publique territoriale – Publication d’une création ou d’une vacance d’emploi – Principe d’égal accès aux emplois publics – Impossibilité de restreindre l’accès à une seule voie de recrutement – Illégalité d’un recrutement effectué après publicité sur cette unique voie d’accès – Annulation de la nomination subséquente.

Une collectivité territoriale organise un recrutement sur un emploi vacant en précisant qu’il ne pourra être pourvu que par voie de mutation, supprimant ainsi la possibilité que puissent y être candidates des personnes inscrites sur la liste d’aptitude. Une telle limitation est contraire au principe d’égal accès aux emplois publics ; elle est donc irrégulière. Par suite, la publicité de cette vacance a été elle-même irrégulière en empêchant certaines personnes de se porter candidates.

C’est pourquoi, la nomination de l’agent effectuée à la suite de cette publicité est, à son tour, entachée d’irrégularité. C’est donc sans erreur de droit que les juges, de première instance et d’appel en ont prononcé puis confirmé l’annulation.

(6 février 2019, Communauté d'agglomération du Nord Grande-Terre, n° 414066)

 

44 - Fonction publique territoriale – Accident de service – Notion à retenir au titre de l’attribution d’une allocation temporaire d’invalidité (ATI) – Absence d’imputabilité à une altercation – Existence d’antécédents – Placement en arrêt maladie sans effet sur la qualification d’accident de service.

Un litige en contestation du refus d’accorder à une fonctionnaire municipale une allocation temporaire d'invalidité (ATI) fournit l’occasion au juge de rappeler la définition spécifique de l’accident de service pour l’application de la réglementation relative à cette allocation.

Le Conseil en donne la définition suivante « un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci ».

En l’espèce, l’agent entretenait des relations conflictuelles avec le maire de la commune. En particulier est survenue une altercation à la suite de laquelle elle a été placée en congé de maladie pour accident de service, avec effet à compter de cette altercation.

L’expertise médicale a montré que l'intéressée souffrait d'un syndrome dépressif en lien avec ses conditions de travail avant que ne survienne l’altercation avec le maire.

Le Conseil d’Etat en déduit donc que c’est sans erreur de qualification juridique des faits que le tribunal administratif a jugé que l'invalidité permanente de la requérante, due à son état dépressif, ne résultait pas d'un accident de service et qu’était à cet égard sans incidence sur la qualification de cet évènement au regard des dispositions relatives à l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité la circonstance qu’elle ait été placée en congé maladie dès le jour de l’altercation.

(6 février 2019, Mme X., n° 415975)

 

45 - Fonctionnaire stagiaire de la police nationale – Licenciement à l'issue du stage pour inaptitude physique définitive à l'exercice de ses fonctions – Annulation par le tribunal administratif – Réintégration en qualité de stagiaire – Refus de titularisation à l'issue du stage – Demande de suspension de l'arrêté refusée – Annulation.

La présente affaire se présente, telle une pièce de Labiche ou de Feydeau, rocambolesque et pleine de rebondissements.

M. X., nommé fonctionnaire de police stagiaire (2009), est licencié au terme de son stage (décembre 2010) pour inaptitude physique définitive à l'exercice de ses fonctions.

Cette décision ayant été annulée par le tribunal administratif (janvier 2013) pour erreur d'appréciation, l'intéressé est réintégré dans ses fonctions comme stagiaire par un arrêté du préfet de police (février 2013) qu'annule le même tribunal (avril 2014) au motif que l'exécution de la chose jugée impliquait sa titularisation dans le corps des adjoints administratifs de police.

Un arrêté de titularisation (mai 2014) est pris en exécution dudit jugement.

Cependant, la cour administrative d'appel, saisie entre-temps, a annulé le jugement précédent (juin 2015) car son exécution impliquait la réintégration de l'agent en qualité de stagiaire pas de titulaire.

A la suite de cet arrêt, le préfet de police (mai 2017) a retiré son arrêté de titularisation et a réintégré M. X. en qualité de stagiaire. A l'issue du stage (février 2018), le ministre de l'intérieur a refusé sa titularisation. L'intéressé a saisi, en vain, le juge d'un référé suspension. Il se pourvoit en cassation contre l'ordonnance de rejet du 23 avril 2018.

Le Conseil d'Etat rejette le pourvoi pour non-lieu à statuer, non-lieu qui donne raison au requérant.

En effet, par un jugement du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 16 mai 2017 par lequel le préfet de police avait, d'une part, retiré son arrêté du 12 mai 2014 titularisant M. X. et, d'autre part, réintégré l'intéressé en qualité de stagiaire. Or, il suit de là que cette dernière annulation implique nécessairement que M. X. soit réintégré en qualité de titulaire, sans que puisse y faire obstacle l'arrêté par lequel le ministre de l'intérieur a refusé de le titulariser à l'issue du stage et a mis fin, pour ce motif, à ses fonctions. Ce dernier arrêté se trouvant ainsi privé d'effet, le pourvoi par lequel l'intéressé demande l'annulation de l'ordonnance qui refuse d'en suspendre l'exécution a perdu son objet. Il n'y a, par suite, plus lieu de statuer sur ce pourvoi. 

Dix ans pour en arriver là c'est beaucoup, c'est trop...

(20 février 2019, M. X., n° 421622)

 

46 - Pensions civiles et militaires de retraite – Pension de réversion – Restitution des versements indus – Régime de la prescription – Omission de déclarer un changement de situation personnelle – Effet interruptif de la prescription – Erreur de droit du jugement qui applique la prescription.

Cette décision contient le rappel d'une distinction souvent lourde de conséquences. En principe, le droit à pension de réversion est régi par les dispositions en vigueur à la date du décès de l'ayant cause. En revanche, l'action en restitution des sommes payées indûment au titre d'une pension est soumise aux dispositions en vigueur à la date à laquelle l'autorité compétente décide de l'exercer.

En l'espèce, était réclamée à la veuve d'un agent public territorial le remboursement de la pension de réversion à partir du moment où elle a été en état de concubinage, lequel, au surplus, n'avait pas été déclaré.

Sur recours de l'intéressée, le tribunal administratif a estimé que la revendication de l'indu était éteinte par le fait de la prescription et a, en conséquence, annulé les décisions de répétition d'indu litigieuses.

Sur pourvoi de la Caisse des dépôts et consignations, le Conseil d'Etat annule ce jugement au motif que la prescription - en vertu de l'art. L. 93 du code des pensions civiles et militaires de retraite - ne pouvait pas jouer en l'espèce car l'intéressée n'avait pas déclaré son état concubinaire, cela alors même que ce comportement n'aurait pas de caractère frauduleux ou ne serait pas de mauvaise foi.

 (22 février 2019, Caisse des dépôts et consignations, n° 410900)

 

47 - Fonction publique territoriale – Discipline – Annulation de l’avis d’un conseil de discipline – Infliction d’une sanction moins sévère puis d’une sanction plus sévère – Seconde décision valant retrait implicite de la précédente – Légalité – Rejet.

Un agent d’entretien titulaire est révoqué sur décision du maire de la commune mais le conseil de discipline de recours a proposé une mesure d’exclusion temporaire ; celle-ci est entérinée par le maire. Cependant, l’avis est annulé par le tribunal administratif. Postérieurement, le maire, qui avait rapporté cette sanction, comme il y était tenu à la suite de l’annulation de cet avis, prend à nouveau une mesure de révocation que conteste l’intéressée.

Le recours de cette dernière est rejeté par les juridictions du premier degré et d’appel.

Le pourvoi en cassation contre leurs décisions est rejeté car la seconde décision de révocation rapporte implicitement la sanction d’exclusion temporaire annulée par suite de l’annulation de l’avis qui l’avait précédée, rendu par le conseil de discipline de recours.

Cette révocation ne peut prendre effet qu’à compter de sa notification à l’agent.

(8 février 2019, Commune de Ris-Orangis, n° 409669)

 

Hiérarchie des normes

 

48 - Conseil constitutionnel – Réserve d’interprétation contenue dans une décision du Conseil constitutionnel ou dans une réponse à une QPC – Nature d’ « événement », ou non, au sens et pour l’application de l’art. R. 196-1 du livre des procédures fiscales (LPF) – Absence en principe sauf précision dans le corps de la décision du Conseil constitutionnel.

L’art. R. 196-1 du livre des procédures fiscales régit la situation née de certaines décisions de justice constatant la non-conformité à une règle supérieure d’une disposition de droit fiscal appliquée à un contribuable. Elles constituent un « événement » rouvrant le délai de réclamation contre l’imposition contestée.

L’art. L. 190 LPF énumère, semble-t-il limitativement, les décisions ou avis de justice susceptibles de constituer cet « événement », au rang desquels ne figurent pas les décisions du Constitutionnel statuant sur un recours en inconstitutionnalité ou sur une QPC. Pourtant, réitérant sa jurisprudence antérieure et récente (cf. notre précédente chronique), le Conseil d’Etat juge que ces dernières décisions peuvent bien, sous condition, constituer un tel « événement ».

En effet, de telles décisions sont impuissantes par elles-mêmes, en l’absence de toute autre précision contenue dans la décision du Conseil constitutionnel, à avoir une incidence directe sur le principe même de l'imposition, son régime ou son mode de calcul et donc à valoir « événement ». Il faut pour qu’il en aille ainsi et que soit rouvert le délai de réclamation que le C.C. ait prévu, le cas échéant, dans quelles conditions, les effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration sont remis en cause, au regard des règles, notamment de recevabilité, applicables à la date de sa décision. Ce n’est donc que dans le cas où le C.C. précise, dans une décision déclarant une disposition législative contraire à la Constitution, que cette déclaration d'inconstitutionnalité est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de publication de sa décision, et qu’elle peut donc être invoquée dans toutes les procédures contentieuses en cours, quelle que soit la période d'imposition sur laquelle porte le litige. Naturellement, elle peut l'être aussi à l'appui de toute réclamation encore susceptible d'être formée eu égard aux délais fixés par les articles R. 196-1 et R. 196-2 du livre des procédures fiscales.

Reste cependant qu’il s’agit ici d’une jurisprudence trop restrictive et bienveillante envers le fisc alors qu’il suffisait de constater que les décisions du C.C. ont, comme toutes les décisions de justice, effet rétroactif sauf usage explicite par celui-ci de son pouvoir de modulation : son silence sur ce dernier point devrait valoir ipso facto déclaration de rétroactivité.

(6 février 2019, M. X., n° 425509 et SAS Bourgogne Primeurs, n° 425511)

 

49 - Disposition législative (art. 434-35 c. pén.) prétendue contraire à une convention internationale – Demande d'annulation de l'acte réglementaire pris sur la base de la disposition législative – Mesure réglementaire prise ni en exécution ni sur la base d'une loi – Rejet.

Rappel d'une solution bien certaine : l'allégation, par voie d'exception, de l'illégalité d'une décision réglementaire prise sur le fondement d'une loi inconventionnelle n'est possible que dans les seuls cas où ce règlement a été pris pour l'exécution de ladite loi ou sur la base de celle-ci. Hors de ces hypothèses, l'exception d'illégalité pour motif d'inconventionnalité de la loi ne peut être utilement soutenue.

(20 février 2019, Section française de l'observatoire international des prisons, n° 417471)

Police (v. aussi le n° 2 et le n° 37)

 

50 - Maintien de l’ordre – Manifestations et attroupements – Usage de lanceurs de balles de défense de 40 mm dits « LBD de 40mm » – Encadrement strict de cet usage par les textes – Rappels de ces règles lors de chaque manifestation – Blessures parfois graves engendrées – Absence d’atteinte à la liberté de manifester – Absence de caractère de traitement inhumain ou dégradant – Rejet.

Plusieurs syndicats et associations demandent la suspension immédiate de l’usage par les forces de l’ordre, au cours de manifestations, d’une arme à feu dite « LBD » en raison des risques qu’elle fait courir aux personnes visées ainsi que l’atteste l’importance de certaines blessures causées. Ils sollicitent également la mise en place d’un dispositif spécifique tel que préconisé par le Défenseur des droits qui formule d’ailleurs ses observations dans la présente affaire. Surtout, étaient invoquées au soutien de la requête, l’atteinte à la liberté de manifester et le caractère inhumain et dégradant du recours à la technique du LBD.

Comme le juge des référés du tribunal administratif, la formation collégiale du Conseil d’État rejette cette requête.

Tout d’abord, est relevée la double circonstance de l’existence d’un encadrement très strict de l’usage de cette arme et du rappel de ses conditions d’utilisation, lors de chaque importante manifestation, au moyen de télégrammes adressés aux personnes et aux unités concernées.

Ensuite, il est indiqué que le recours à cette arme n’a lieu que lorsque les forces de l’ordre sont directement menacées elles-mêmes par le comportement des manifestants ou qu’elles n’ont pas d’autres possibilités pour continuer à tenir le terrain.

Egalement, doit être pris en considération le caractère répétitif, désordonné et imprévisible de tels rassemblements sur la voie publique et répartis sur l’ensemble du territoire national.

Enfin, s’il n’est pas douteux ni que des blessures très graves parfois ont été engendrées par l’usage de cette arme ni que leur usage ait toujours eu lieu dans des conditions optimales, cela ne porte pas directement atteinte à la liberté fondamentale de manifester mais à ses débordements dangereux pour la sécurité et pour l’ordre publics. Par ailleurs, il ne saurait être soutenu que cette arme a pour objet direct de constituer un traitement inhumain ou dégradant compte tenu des règles à respecter pour permettre aux forces de l’ordre de s’en servir.

Cette décision est une très bonne illustration de l’équilibre, toujours instable, discutable et subjectif, qu’une démocratie doit instaurer entre l’ordre et la liberté. Certes, il y a une théorie et une philosophie pour cela mais le passage aux travaux pratiques est une autre histoire. Cette décision l’illustre parfaitement.

(Ord. référé, formation collégiale, 1er février 2019, Union départementale de Paris de la Confédération générale du travail (UDP-CGT) et autres, n° 427386 ; également, du même jour, en la même formation et avec solution identique : Confédération générale du travail, Syndicat de la magistrature et Syndicat des avocats de France, n° 427390 ; Union départementale de Paris du syndicat de la Confédération générale du travail, n° 427386 ; M. X., n° 427418)

 

51 - Permis de conduire – Perte de points – Constatation de la perte de validité du permis – Contestation de cette perte de validité en raison du caractère suspensif de la saisine du juge pénal – Commission d’infractions routières avant que le juge pénal ait statué – Retrait du permis justifié malgré l’absence, à cette date, d’enregistrement de ces infractions au relevé intégral d'information.

Le ministre de l’intérieur ayant constaté l’invalidité de son permis de conduire en raison d’un solde de points nul et lui ayant enjoint de restituer son titre, un automobiliste introduit une action pénale pour contester la réalité de deux infractions. Le tribunal administratif lui donne raison dans la mesure où, à la date de la demande de restitution du permis, la juridiction pénale n’avait pas encore statué et n’avait donc pas établi la réalité du nombre d’infractions reprochées.

Saisi d’un recours à fins indemnitaires consécutif à son jugement d’annulation, le tribunal rejette cette demande car deux nouvelles infractions ont été commises par l’automobiliste après la saisine de la juridiction répressive. Il a donc considéré qu’après ces dernières infractions le solde de points était donc bien devenu nul alors même que ces infractions n’avaient pas été encore enregistrées au relevé intégral d'information.

Le Conseil d’État donne raison aux premiers juges.

En revanche il ne les suit pas s’agissant de l’infliction d’une amende pour recours abusif.

(4 février 2019, M. X., n° 417885)

 

52 - Permis de conduire – Echange d'un permis de conduire étranger contre un permis français – Conditions – Cas d'un étranger reconnu postérieurement à la demande d'échange comme français depuis sa naissance – Absence d'effet sur le régime juridique de l'échange.

Un individu de nationalité algérienne demande à échanger son permis de conduire algérien en permis de conduire français. Il devait, en vertu des dispositions en vigueur, dès lors qu'il n'était pas ressortissant d'un Etat membre de l'Union ou de l'EEE, apporter la preuve de l'établissement de sa résidence normale sur le territoire de l'Etat qui lui avait délivré le permis, c'est-à-dire l'Algérie. Par ailleurs, il s'est vu reconnaître en 2014, par jugement d'un tribunal de grande instance, comme étant français dès sa naissance. Le préfet de police de Paris lui ayant refusé l'échange de permis pour n'avoir pas rapporté la preuve de sa résidence normale sur le territoire algérien, il saisit le tribunal administratif, lequel, constatant sa nationalité française depuis sa naissance, subordonne l'échange de permis au respect des règles posées pour les ressortissants français, ce qui lui imposait de justifier de sa résidence normale en Algérie à la date d'obtention du titre de conduite. 

Saisi d'un recours, le Conseil d'Etat tranche habilement la question en posant comme principe que, lorsque le demandeur d'échange de permis n'a, à la date d'obtention de son permis étranger, d'autre nationalité que celle de l'Etat de délivrance de ce permis, il est dispensé de faire la preuve de sa résidence normale dans cet Etat. La circonstance que l'intéressé se soit par la suite vu reconnaître la nationalité française est, même lorsqu'il est réputé français dès sa naissance, sans incidence sur l'application de cette règle de preuve. 

(20 février 2019, M. X., n° 419143 ; voir, dans le cas d'une personne à laquelle a été reconnue la qualité de réfugié, le régime particulier d'établissement de l'authenticité du permis à échanger : 20 février 2019, M. X., n° 413625 ; v. également en matière d'échange, sur une allégation de vol du permis : 25 février 2019, Mme X., n° 415940).

 

53 - Permis de conduire – Suspension pour non soumission au contrôle médical ordonné lors d'une précédente suspension – Annulation de la mesure par le tribunal administratif – Restitution du permis subordonnée à la soumission à ce contrôle – Absence d'incidence de la durée de suspension du permis sur l'organisation d'une vérification médicale de l'aptitude à la conduite en ce cas – Erreur de droit pour avoir estimé qu'en cas de substitution d'une suspension judiciaire du permis de moins de six mois à la suspension administrative, la restitution du permis de conduire du requérant ne pouvait légalement être subordonnée à la réalisation d'une visite médicale.

Un automobiliste fait l'objet d'une suspension administrative de son permis de conduire de six mois pour ne s'être pas soumis au contrôle médical qui lui avait été prescrit d'effectuer lors d'une précédente suspension de ce permis pour une durée de six mois. Cette décision est annulée par le tribunal administratif sur demande de l'intéressé. Le ministre de l'Intérieur se pourvoit en Conseil d'Etat.

Selon le premier juge, dès lors que le requérant a fait l'objet d'une mesure de suspension judiciaire du permis d'une durée inférieure à celle de la suspension administrative de six mois, elle s'est substituée à cette dernière et, par suite, la restitution du permis ne pouvait plus être subordonnée à la réalisation d'une visite médicale laquelle n'assortissait que la seule mesure administrative de suspension.

Le Conseil d'Etat relève, d'une part, que la restitution du permis peut être subordonnée à une visite médicale dès lors que la suspension du permis, qu'elle ait été prononcée par l'administration ou par le juge judiciaire, a une durée supérieure à un mois, d'autre part, que si cette visite est obligatoire pour une suspension d'une durée égale ou supérieure à six mois, elle est toujours possible en cas de suspension pour une durée moindre.

C'est pourquoi le raisonnement des premiers juges est annulé pour erreur de droit ce qui entraîne l'annulation du jugement.

 (20 février 2019, M. X., n° 419702)

 

Procédure contentieuse

 

54 - Date de l’audience et date de son prononcé – Absence sur la minute de l’arrêt comme sur son expédition – Indications contradictoires sur sa date de lecture – Nullité – Annulation.

Dans le cadre d’un litige relatif à la délivrance d’un titre de séjour, le Conseil d’État relève que le juge d’appel a entaché son arrêt d’irrégularité entrainant son annulation dans la mesure où, en contravention aux dispositions de l’art. R. 741-2 CJA, sa minute et son expédition comportent des indications contradictoires quant à la date de sa lecture.

(1er février 2019, Mme X., n° 410272)

 

55 - Défendeur – Absence de production en dépit d’une mise en demeure – Défendeur réputé avoir acquiescé aux faits tels que rapportés par le demandeur – Faits tenus pour établis en l’absence de contradiction par des pièces du dossier.

Rappel d’un principe procédural constant et parfaitement justifié : « Le défendeur à l'instance qui, en dépit d'une mise en demeure, n'a pas produit est réputé avoir acquiescé aux faits exposés par le requérant dans ses écritures. Il appartient alors seulement au juge de vérifier que la situation de fait invoquée par le demandeur n'est pas contredite par les pièces du dossier. »

(1er février 2019, M. X., n° 417172)

 

56 - Aide personnalisée au logement (APL) – Recours contre les décisions des responsables d’organismes payeurs – Qualité pour représenter l’État devant le tribunal administratif – Qualité pour se pourvoir en cassation et y représenter l’État.

Dans le cadre d’un litige en répétition d’indu d’APL portant sur une somme modeste (2000,00 euros environ), le Conseil d’État rappelle avec minutie les règles strictes présidant à la détermination des agents ayant qualité pour représenter l’Etat en défense dans les litiges portant sur les contentieux des organismes payeurs. Seul le préfet (ou celui de région) possède cette qualité lorsque le litige, quelle que soit sa nature, est né de l'activité des administrations civiles de l'Etat dans le département ou la région. En cassation, seul le ministre chargé du logement a qualité pour introduire les pourvois contre ces jugements et pour y défendre.

Naturellement, parce que ce contentieux est de pleine juridiction il est toujours loisible au juge, au titre de son office, d’inviter l’organisme payeur à présenter des observations ou de recueillir celles-ci lorsqu’elles sont spontanées.

(4 février 2019, M. X., n° 415561)

 

57 - Décret du 2 novembre 2016 portant modifications du code de justice administrative – Extension du pouvoir de juger par voie d'ordonnance – Droit à recours juridictionnel effectif – Principe d'égalité devant la justice – Caractère contradictoire de la procédure contentieuse – Rôle du greffier en chef – Fixation de la date de cristallisation des moyens – Exigence d'un mémoire récapitulatif – Possibilité de demande de confirmation des conclusions – Augmentation du taux de la sanction des requêtes abusives – Rejet.

Etaient contestées devant le Conseil d'Etat diverses dispositions du décret du 2 novembre 2016 qui a apporté un certain nombre d'innovations au déroulement de la procédure devant les juridictions administratives. De nombreux griefs sont articulés à leur encontre ; ils sont tous rejetés par les juges du Palais-Royal.

Ni l'accroissement du nombre des magistrats et des cas où il peut être statué par ordonnance, ni l'atteinte qui serait portée - du fait des décisions rendues sans audience - au droit à recours juridictionnel effectif, ni l'affaiblissement du principe d'égalité devant la justice que produirait la procédure expéditive de rejet des requêtes ne comportant que des moyens infondés ou insusceptibles de prospérer, ni le rôle d'appui au chef de juridiction dévolu au greffier en chef, ni la fixation éventuelle d'une date de cristallisation des moyens ou la demande de confirmer le maintien, en tout ou en partie, de conclusions qui peuvent ne pas avoir gardé leur intérêt primitif ou l'exigence de produire un mémoire récapitulatif, ni les nouvelles précisions sur les requêtes collectives réelles, ni le fait de porter le plafond des amendes pour requête abusive de 3000 euros à 10000 euros n'ont été jugés critiquables. Le principe de bonne administration de la justice, celui de la loyauté procédurale et la nécessité de juger dans un délai raisonnable justifient, pour l'essentiel, selon le Conseil d'Etat, les solutions retenues par le pouvoir réglementaire.

(13 février 2019, Syndicat de la juridiction administrative, Conseil national des barreaux et Société LCJ éditions et productions, n° 406606)

 

58 - Clôture de l’instruction – Demande de produire, après cette clôture, dans un délai déterminé, un mémoire récapitulatif – Désistement d’office sans production de mémoire à l’expiration du délai imparti – Régularité – Rejet.

Dans le cadre d’un litige en matière fiscale le Conseil d’Etat rend une décision dont la logique se perçoit mal.

En l’espèce, par une ordonnance du 27 octobre 2017, un président de chambre d’une cour administrative d'appel avait fixé la clôture de l'instruction au 13 novembre suivant. Puis, par un courrier du 21 novembre 2017, le président de la 1ère chambre de la cour administrative d'appel a demandé à M. et Mme X., en application de l'article R. 611-8-1 CJA, de produire un mémoire récapitulatif dans un délai d'un mois, en leur précisant que cette obligation leur incombait à peine de désistement de leur requête d'appel.

Faute pour les requérants d'avoir produit le mémoire demandé, ce magistrat leur a donné acte de leur désistement par une ordonnance du 27 décembre 2017.

Les intéressés soutiennent que l'instruction était close à la date à laquelle il leur a été demandé de produire un mémoire récapitulatif et qu’ainsi il n’y avait plus lieu à produire après cette date, d’où leur silence.

Le Conseil d’Etat croit devoir juger que les époux X. ne sont pas fondés à soutenir que l'ordonnance attaquée du 27 décembre 2017 serait entachée d'irrégularité ni d'une erreur de droit ou de qualification juridique.

On comprend mal cet imbroglio né de ce qu’il fallait en réalité voir dans l'invitation à produire un mémoire récapitulatif une révocation de l’ordonnance de clôture et une réouverture du délai à moins de la regarder comme constituant une exception au effets normalement attachés à une ordonnance de clôture ?

Il se comprend aisément que les demandeurs aient pu être déroutés par ce comportement procédural plein d’insécurité juridique.

(8 février 2019, M. et Mme X., n° 407647)

 

59 - Tribunal administratif – Jugement avant-dire droit – Autorité de la chose jugée – Effet sur un second jugement rendu alors que le précédent n'était pas devenu définitif – Contradiction entre les deux jugements – Annulation.

Dans le cadre d'un litige fiscal en appréciation de la valeur locative d'un restaurant d'entreprise, un tribunal administratif avait, par un jugement avant dire droit, estimé que l'administration ne pouvait retenir comme terme de comparaison permettant d'apprécier cette valeur locative, le local-type n° 52 d'un procès-verbal de 1976 au motif que le local-type n° 5 ayant servi à son évaluation avait été détruit.

Ce motif constituait à l'évidence le soutien nécessaire du dispositif de ce jugement par lequel a été ordonné un supplément d'instruction destiné à permettre à l'administration de proposer une nouvelle évaluation du restaurant litigieux.

Or dans un jugement postérieur, rendu à la suite du supplément d'instruction, le tribunal décide que le local-type n° 52 pouvait être regardé comme un terme de comparaison pertinent, au motif que le local-type n° 5 ayant servi à son évaluation n'avait pas été détruit. Ce jugeant, le tribunal administratif, en statuant au fond en sens inverse de son précédent jugement, a méconnu l'autorité de chose jugée qui s'attachait tant au dispositif de son premier jugement qu'aux motifs qui en étaient le soutien nécessaire.

La société requérante est ainsi fondée à demander l'annulation du second jugement sans que puisse lui être opposée la circonstance qu'à la date de ce dernier le jugement d'avant-dire droit n'était pas devenu définitif.

(15 février 2019, Société Prologia, n° 409060)

 

60 - Juge des référés – Juge statuant sur une première demande puis sur une seconde demande en référé – Demandes formées par le même requérant contre la même décision produisant les mêmes effets – Absence d’atteinte au principe d’impartialité – Rejet.

Rappel de ce que la circonstance qu'un juge des référés a statué sur une première demande de suspension de l'exécution d'une décision en référé ne fait pas à elle seule obstacle à ce que ce même juge statue en cette même qualité sur une deuxième demande en référé du même requérant tendant à la suspension d'une décision prise par la même autorité administrative et produisant des effets similaires à la première.

Dès lors, le requérant ne saurait soutenir que, de ce seul fait, l'ordonnance attaquée aurait été rendue en méconnaissance du principe d'impartialité car prise par le magistrat qui avait déjà rejeté, par une ordonnance du 19 novembre 2015, sa demande de suspension de l'exécution de la décision de révocation prise à son encontre par le président de la communauté de communes Beaucaire Terre d'Argence le 19 novembre 2015. 

(8 février 2019, M. X., n° 418017)

 

61 - Fixation par ordonnance, en première instance, de la date de cristallisation des moyens – Conséquences en appel – Absence d'effets.

Le tribunal administratif a la faculté de fixer par ordonnance la date à partir de laquelle ne sera plus possible la présentation de moyens nouveaux (art. R. 611-7-1 CJA). Par application de la procédure prévue à l'art. L. 113-1 CJA, une cour d'appel pose au Conseil d'Etat la question de savoir si, dans l'hypothèse, en cas d'appel, où les parties se voient interdire ipso facto l'invocation de moyens nouveaux, il convient de distinguer selon que la juridiction d'appel statue par voie d'effet dévolutif ou d'évocation et encore, si le président de la formation de jugement en appel peut retirer l'ordonnance rendue en première instance. Pour être techniques ces questions n'en étaient pas moins délicates tant en raison du principe d'immutabilité du litige en appel qui a pour effet de maintenir le litige dans son "habillage" antérieur qu'en raison des pouvoirs autonomes qui sont ceux du juge d'appel.

Le Conseil d'Etat choisit - et il doit être approuvé en cela - la solution de la simplicité. Les pouvoirs reconnus au juge de première instance par l'art. R. 611-7-1 CJA expirent dès la clôture de l'instance. L'ordonnance de cristallisation perd son objet au terme de celle-ci, elle n'a donc plus aucun effet, en cas d'appel, sur la recevabilité des moyens.

(13 février 2019, Société Active Immobilier et EURL Donimmo, n° 425568)

 

62 - Régime d'invocation des vices de forme et de procédure entachant une décision administrative réglementaire – Demande d'abrogation d'une décision pour vice(s) de forme ou de procédure – Nécessité d'invoquer ces vices dans le délai du recours contentieux dirigé directement contre cette décision – Impossibilité d'invocation dans le cadre d'un recours dirigé contre le refus d'abroger la décision – Rejet.

Application mécanique au cas de l'espèce de la très contestable décision d'Assemblée (n° 414583) Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT (CFDT Finances). Un syndicat attaque le refus qui a été opposé à sa demande d'abrogation d'une note de service qu'il juge illégale. Le Conseil d'Etat lui rappelle que depuis le printemps 2018 il n'est plus possible, dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d'abroger un acte réglementaire, d'invoquer les vices de forme et de procédure dont il serait entaché. Une telle demande ne peut prendre la forme que d'un recours pour excès de pouvoir qui doit être, à la fois, dirigé contre cet acte réglementaire lui-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux.

Cette solution présente une nocivité supérieure au gain de temps ou de simplicité qu'elle recherche par sa brutalité même. Elle aggrave le risque contentieux. Alors que le recours possible contre un refus d'abroger un acte illégal ménageait une réaction à double détente (recours direct contre l'acte ou recours contre le refus de l'abroger) en permettant de jouer du "wait and see", le nouveau mécanisme, une fois intégré, va pousser les personnes morales telles que syndicats, associations et autres groupements à saisir systématiquement le juge de demandes d'annulation "pour le cas où". Va-t-on alors, pour pourchasser ce mal nouveau, jouer d'une restriction drastique dans l'appréciation de l'intérêt pour agir ?

Ceci donne davantage l'impression d'une fuite en avant que d'une gestion sereine et rationnelle du flux contentieux.

(20 février 2019, Syndicat CFDT de Voies navigables de France, n° 417477)

 

63 - Délai spécial de recours contentieux – Recours préalable adressé à l’administration fiscale – Silence d’une durée de six mois – Possibilité pour le contribuable de saisir le juge d’un recours au terme des six mois – Seule une décision explicite fait cependant courir le délai – Erreur de droit commise par la cour d’appel – Cassation et renvoi dans cette mesure.

Un litige concernant un refus de restitution du crédit impôt recherche soulève une classique question de procédure dont la solution a peut-être été modifiée par l’évolution réglementaire récente qui a supprimé la distinction entre les régimes juridiques des décisions implicites selon qu’elles intervenaient en excès de pouvoir ou en plein contentieux, dans ce second cas seule une décision explicite faisait courir le délai. Le particularisme du droit fiscal, pour l’instant du moins, laisse survivre cette dernière exception.

Normalement, les réclamations que les contribuables adressent à l’administration fiscale reçoivent une réponse dans les six mois (art. R. 198-10 LPF), toutefois le point de départ du délai de saisine du juge n’est constitué que par la réception d’une décision expresse de rejet de la réclamation, qui doit être motivée et comporter la mention des voies et délais de recours.

Il suit de là que le contribuable muni d’une décision implicite de rejet acquise au bout de six mois de silence peut saisir le juge administratif d’un recours contentieux mais qu’en revanche, seule est opposable au contribuable une décision expresse de rejet comportant les indications ci-dessus. À la réception de cette dernière le contribuable dispose de deux mois pour saisir le juge.

En l’espèce la cour d’appel a commis une erreur de droit en rejetant le recours dont elle était saisie comme irrecevable en raison de son caractère prématuré faute de décision expresse existante au moment de la saisine. En réalité, le contribuable dispose de deux points de départ du délai de recours contentieux : soit dès l’expiration de six mois de silence et tant que n’intervient pas une décision expresse, soit dans les deux mois d’une décision expresse satisfaisant aux conditions de forme précitées.

(8 février 2019, Sarl Nick Danese Applied Research, n° 406555)

 

64 - Avis de paiement du forfait post-stationnement – Demande préalable à la formation du recours contentieux en réparation du préjudice subi – Refus – Décision individuelle – Compétence de la commission du contentieux du stationnement payant – Même solution pour juger le préjudice moral et le remboursement des frais d'instance – Renvoi à ladite commission.

L'article L. 2333-87-2 CGCT prévoit, d'une part, que les recours contentieux visant à contester l'avis de paiement du montant du forfait de post-stationnement dû font l'objet d'un recours administratif préalable obligatoire auprès de la commune, d'autre part, que la décision rendue à l'issue du recours administratif préalable contre l'avis de paiement du forfait de post-stationnement peut faire l'objet d'un recours devant la commission du contentieux du stationnement payant. Enfin, il précise que cette commission statue sur les recours formés contre les décisions individuelles relatives aux forfaits de post-stationnement.

En conséquence, il est jugé ici que la décision par laquelle l'administration refuse de faire droit à une demande préalablement formée devant elle tendant à la réparation du préjudice subi à raison de l'édiction de l'avis de paiement du forfait de post-stationnement et, le cas échéant, du titre exécutoire émis, doit être regardée comme une décision individuelle relative au forfait de post-stationnement,  relevant par suite de la compétence de la commission du contentieux du stationnement payant. Cette dernière est également compétente pour connaître de conclusions tendant à la réparation du préjudice moral qu'aurait subi l'intéressée ainsi qu'au remboursement des frais exposés dans le cadre de l'instance.

(20 février 2019, Mme X., n° 422499)

 

65 - Autorisation d'exploiter une centrale de production d'électricité – Recours formé par une association de protection de l'environnement et du patrimoine – Décisions des juges de première instance et d'appel refusant à l'association le droit d'agir en justice contre cette autorisation pour défaut de qualité donnant intérêt pour agir – Erreur de droit – Cassation.

Une association de défense de l'environnement et du patrimoine qui se propose de lutter, dans toutes les communes du Pays de Morlaix, contre " les nuisances de toutes natures et notamment celles générées par les installations classées (...) pour la protection de l'environnement " demande l'annulation de l'arrêté ministériel autorisant une société à exploiter une centrale de production d'électricité de type cycle combiné à gaz, d'une capacité de 446 MW, à Landivisiau (Finistère).

Son recours est rejeté pour absence d'intérêt pour agir, les juridictions du fond estimant qu'une telle décision se borne à désigner le titulaire de l'autorisation et n'entre pas dans l'objet social de l'association requérante.

Le Conseil d'Etat récuse cette façon de voir car, selon lui, il résulte des dispositions combinées des art. L. 311-1, L. 311-5 et L. 311-11 du code de l'énergie que l'autorisation contestée ne se limite pas à donner une autorisation à un titulaire qu'elle désigne, elle fixe également le mode de production et la capacité autorisée de cette installation ainsi que son lieu d'implantation. Compte tenu de l'objet social de l'association et de son territoire de compétence, elle était donc fondée à se dire atteinte dans ses intérêts ce qui lui donnait qualité pour agir contrairement à ce qui a été jugé en première instance et en appel.

(25 février 2019, Association Force 5, n° 412493)

 

 66 - Production d'une note en délibéré postérieurement à la clôture de l'instruction et à l'audience – Communication de cette note à l'organisme défendeur (OFPRA) – Décision rendue deux jours après sans nouvelle audience – Jugement irrégulier – Cassation et renvoi à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

Alors qu'avait été clôturée l'instruction et à l'issue de l'audience, la CNDA reçoit du demandeur une note pendant le délibéré ; elle la communique à l'OFPRA puis statue deux jours plus tard. Sa décision est cassée.

En effet, la communication d'une note en délibéré, même non obligatoire pour la juridiction et même si cette note est parvenue pendant le délibéré, a pour effet de rouvrir l'instruction pour permettre le débat contradictoire, par suite, il convenait de fixer, de convoquer et de tenir une nouvelle audience avant que ne puisse être rendue une décision.

(20 février 2019, M. X., n° 396338)

 

67 - Contradiction de motifs – Arrêt d'une cour administrative d'appel reconnaissant l'existence d'une faute et refusant la réparation du dommage en résultant – Cassation.

Entache son arrêt de contradiction de motifs la cour d'appel qui juge, au point 2 de son arrêt, qu'un centre hospitalier avait commis une faute en s'abstenant de vérifier le consentement du patient après que celui-ci a, la veille de l'intervention, exprimé sa volonté de se rétracter, tout en écartant, au point 13 de cet arrêt, le préjudice moral, présenté comme " préjudice permanent exceptionnel ", que l'intéressé soutenait avoir subi de ce fait, au motif que " les circonstances de sa rétractation ne sont pas clairement établies ".

La cassation s'ensuit inéluctablement.

(15 février 2019, M. X., n° 415988)

 

68 - Pourvoi en cassation – Procédure préalable d'admission des pourvois – Renvoi par une autre juridiction administrative – Application de la règle du filtre – Rejet.

L'intéressée avait saisi le juge administratif d'une demande de réparation dirigée contre Pôle Emploi du fait des préjudices financier et moral et de la perte de chance qu'elle estimait avoir subis du fait des manquements de Pôle Emploi dans son suivi et son accompagnement. Sa demande, rejetée en première instance, est portée en appel mais la présidente de la cour administrative d'appel l'a transmise au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 CJA (renvoi pour cause de compétence directe du Conseil).

A cette occasion, il est décidé - et c'est ce qui a motivé la réunion en Section du contentieux pour rendre cette décision - que la procédure d'admission préalable des pourvois en cassation comme leur rejet pour irrecevabilité ou absence de moyen sérieux (art. L. 822-1 CJA), est applicable même à ceux des pourvois qui ne sont pas formés directement par le justiciable lui-même mais sont transmis par une autre juridiction administrative saisie à tort, devant laquelle des actes de procédure ont été accomplis.

(Section, 15 février 2019, Mme X., n° 416590)

 

69 - Pourvoi en cassation – Demande d'exécution d'une décision rendue sur ce pourvoi – Irrecevabilité dès lors que le Conseil d'Etat a fait droit aux conclusions du pourvoi et renvoyé aux juges du fond le soin d'examiner à nouveau l'affaire.

Est irrecevable le recours tendant à voir ordonner par le juge l'exécution d'une décision qu'il a rendue en sa qualité de juge de cassation, qui a donné satisfaction au demandeur au pourvoi et qui s'est traduite par un renvoi de l'affaire aux juges du fond.

(27 février 2019, M. X., n° 422164)

 

70 - Décision individuelle – Délai de recours contentieux contre une décision individuelle ne comportant pas la mention des voies et délais de recours – Connaissance de l'acte par l'intéressé – Recours contentieux devant être introduit au plus tard dans l'année de la connaissance de l'acte par l'intéressé – Théorie de la connaissance acquise.

Un agent de France Télécom avait demandé à cet organisme à être promu dans le corps des contrôleurs divisionnaires de celui-ci. Cela lui a été refusé d'abord par une lettre d'octobre 2012 puis par un courriel de décembre 2013 dont copie lui a été adressée le 6 janvier 2014. En principe, cette décision, démunie d'indication des voies et délais de recours, n'était pas opposable à l'intéressé. Cependant, celui-ci, qui n'invoque à l'origine de ce retard aucune justification particulière, n'a saisi le juge administratif d'un recours que le 11 avril 2015 soit plus d'un an après en avoir eu connaissance. Tardif, son recours doit être rejeté. En effet, il n'a soulevé le moyen tiré de l'illégalité de la décision lui refusant sa promotion que dans une requête enregistrée au greffe du tribunal administratif le 11 avril 2016 et dirigée contre le titre de pension délivré le 21 mars 2016 en tant qu'il liquide sa pension de retraite à un taux inférieur à celui qu'il estimait devoir être retenu en l'espèce.

Ceci constitue une extension au cas des décisions non réglementaires de la jurisprudence Czabaj (Assemblée, 13 juillet 2016, n° 387763) et une étonnante sinon résurrection du moins réactivation de la théorie de la connaissance acquise donnée comme moribonde depuis plusieurs années pour cause de nocivité.

Désormais les choses se présentent ainsi :

1°/ En principe une décision non réglementaire doit être contestée au contentieux par voie d'action dans les deux mois de sa notification ou de toute autre publicité adéquate, ou dans les deux mois de l'écoulement du délai de constitution d'une décision implicite valant rejet.

2°/

a - Lorsque cette décision est explicite et ne comporte point l'indication des voies et délais de recours mais dont il est établi que l'administré a eu connaissance, elle doit être contestée dans le délai d'un an à partir de cette connaissance sauf circonstance particulière qui justifierait qu'un délai de recours plus long soit admis.

b - Lorsque cette décision est implicite - ne comportant donc pas l'indication des voies et délais de recours -, qu'elle vaut, au terme d'un certain délai, rejet de la demande ou décision de rejet et lorsqu'il est établi que l'administré en a eu connaissance, elle ne peut plus être contestée à l'expiration d'un délai annal aux conditions ci-dessus exposées.

3°/ Lorsqu'au soutien d'une action en illégalité d'une décision non réglementaire B l'administré soulève l'illégalité d'une précédente décision non réglementaire A, sur la base ou pour l'application de laquelle a été prise la décision B, deux cas se présentent.

a - Lorsque la décision A, régulièrement notifiée, comportait l'indication des voies et délais de recours, l'invocation de son illégalité pour obtenir par voie de conséquence (et non par voie d'exception) l'annulation de la décision B doit être faite dans des conclusions parvenues au greffe de la juridiction au plus tard à l'expiration du dernier jour du deuxième mois suivant la réception par l'administré de la décision A.

En ce cas, on aura compris que le délai de recours contentieux n'est pas de deux mois à compter de la réception de la décision B mais bien de deux mois à compter de la décision A, de sorte que si plus de deux mois séparent les notifications des deux décisions il ne sera plus possible d'obtenir l'annulation de la décision B en conséquence de l'illégalité constatée de la décision A.

b - Lorsque la décision B n'a pas été régulièrement notifiée ou que sa notification ne peut être établie ou qu'elle ne comporte pas l'indication des voies et délais de recours mais a été connue de son destinataire, celui-ci dispose d'un an à compter de cette connaissance, sauf l'exception du 2°/ a ci-dessus, pour invoquer l'illégalité de la décision A au soutien de la demande d'annulation par voie de conséquence de la décision B, laquelle peut donc être contestée au contentieux pendant ce délai d'un an.

(27 février 2019, M. X., n° 418950)

 

71 - Licenciement d'un salarié protégé – Délai de saisine de l'administration du travail  par l'employeur – Moyen de légalité interne  et non de légalité externe.

Cette décision comporte deux enseignements, l'un de droit du travail, l'autre de procédure contentieuse. Du chef de ce second point il convient de relever que le Conseil d'Etat juge que le délai de 21 jours séparant la décision de mise à pied d'un salarié par l'employeur et la saisine par ce dernier de l'inspection du travail a eu une durée excessive et que cette circonstance entache la légalité interne de l'autorisation administrative de licenciement.

(25 février 2019, Société Vacation Rental, n° 413556)

V. aussi le n° 30

 

72 - Référé "mesures utiles" (art. l. 521-3 CJA) – Dommages de travaux publics – Injonction de mesures concervatoires impossible faute d'urgence – Rejet.

Des sociétés ont obtenu d'un département, suite à une expertise, la réalisation de caniveaux et d'ouvrages d'évacuation d'eaux pluviales à Mayotte. L'une d'elles, estimant insuffisant l'entretien de ces éléments, de nouvelles inondations s'étant produites depuis, saisit le juge du référé "mesures utiles" afin qu'il ordonne à la puissance publique la réalisation de travaux conservatoires à l'approche de la saison des pluies pour éviter le renouvellement des dégâts qu'elle a subis.

Le Conseil d'Etat rejette cette demande car le référé "mesures utiles" suppose l'existence d'une urgence en raison d'un danger immédiat, lequel n'est pas établi par la requête. La société aurait peut-être dû choisir un autre référé moins subsidiaire que celui employé ici.

(28 février 2019, Société Sodifram, n° 424005)

73 - Décision d'une juridiction répressive – Autorité de chose jugée au pénal – Conditions et limites de l'autorité du juge répressif français – Application aux juridictions pénales internationales – Jugements de relaxe ou d'acquittement pour faits douteux – Absence de présomption d'innocence en ce cas – Affaire jugée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) – Rejet.

Un ressortissant rwandais d'ethnie hutu, officier supérieur des forces armées rwandaises, poursuivi devant le tribunal pénal international pour le Rwanda, a fait l'objet d'un acquittement en appel au motif que les faits pour lesquels il était poursuivi n'étaient pas établis. Il sollicite l'asile en France mais le directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le lui refuse. Il saisit la CNDA qui, à son tour, lui refuse cette qualité.

Pour contester cette décision devant le Conseil d'Etat, le requérant se prévaut de l'autorité de la chose jugée par le tribunal pénal international pour le Rwanda qui l'a acquitté. Dès lors, il ne saurait être question, selon lui, que la CNDA ne tienne pas compte de cette décision et qu'elle ait procédé elle-même à des investigations desquelles elle a conclu à la culpabilité vraisemblable du requérant.

Etait donc en jeu la question de l'autorité de chose jugée attachée aux décisions définitives des juridictions pénales internationales à l'égard du juge administratif.

Le Conseil d'Etat rappelle ce qu'il en est de cette autorité à l'égard du juge administratif s'agissant des juridictions pénales françaises et fait application de cette solution aux décisions des juridictions pénales internationales. Le principe constant est que l'autorité de chose jugée par une juridiction pénale française ne s'impose au juge administratif qu'en ce qui concerne les constatations de fait qu'elle a retenues, qui sont le support nécessaire du dispositif d'un jugement qu'elle a rendu et qui est devenu définitif, tandis que la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe ou d'acquittement tiré de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité.

Appliquant cela au cas de l'espèce, le juge constate que le tribunal pénal international a acquitté le demandeur faute de preuve(s). Par suite, il était loisible à la CNDA, qui n'était aucunement tenue par cette constatation de la justice internationale, de se forger une conviction à partir des pièces du dossier ou de toute mesure d'instruction.

Celle-ci est approuvée d'avoir - conformément au a) du F de l'art. 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 - confirmé l'exclusion, par l'OFPRA, de l'octroi du statut de réfugié au bénéfice du requérant.

Il est en particulier relevé que M. X. " officier supérieur au sein des forces armées rwandaises depuis 1993, a soutenu le régime du Président Habyarimana ainsi que le gouvernement intérimaire et combattu le Front patriotique rwandais. Au cours de l'année 1994, notamment entre les 6 avril et 4 juillet 1994, alors qu'avaient lieu des massacres génocidaires de masse décidés par le gouvernement intérimaire auquel il avait prêté allégeance, il a commandé à Kigali le bataillon blindé de reconnaissance, dit bataillon RECCE, l'une des trois unités d'élite de l'armée rwandaise, qui a directement pris part à la planification, à l'organisation et à la réalisation des massacres. S'il fait valoir qu'il se serait en réalité opposé au génocide et aurait protégé des personnes menacées, de telles assertions ne sont pas corroborées par les pièces versées au dossier des juges du fond. Dans ces conditions, en estimant qu'il existait des raisons sérieuses de penser qu'il avait contribué à la préparation ou à la réalisation du crime de génocide ou en avait facilité la commission ou avait assisté à son exécution sans chercher à aucun moment, eu égard à sa situation, à le prévenir ou à s'en dissocier (...) la Cour nationale du droit d'asile, qui n'a pas méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve, n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce ".

(28 février 2019, M. X., n° 414821)

 

Professions réglementées

 

75 - Médecins – Nouvelles modalités d’élection au Conseil national de l’ordre des médecins fixées par une ordonnance du 16 février 2017 – Présentation de la réforme – Propos tenue au cours de celle-ci – Absence de décision ou de révélation de l’existence d’une décision ou d’une indication de caractère impératif – Irrecevabilité de conclusions en annulation.

Lors d’une assemblée générale des présidents, secrétaires généraux et trésoriers des conseils départementaux et régionaux de l'ordre national des médecins, tenue au mois d’octobre 2017, des responsables du conseil national de l’ordre ont présenté aux participants la réforme du régime des élections aux instances ordinales opérée par une ordonnance du 16 février 2017.

Certains d’entre eux ont vu dans les propos ainsi tenus la révélation orale de l’existence de décisions dont ils demandent en conséquence l’annulation au Conseil d’Etat.

Pour rejeter cette demande comme étant irrecevable, ce dernier juge d’abord que les propos litigieux ne constituent que de simples informations et ne sont en eux-mêmes ni des décisions ni des révélations de décisions déjà existantes, ensuite, ils ne comportent à destination de leurs interlocuteurs, ni prescription ni instruction de caractère impératif. Ainsi le recours est-il manifestement irrecevable et se trouve rejeté selon la procédure expéditive de l’art. R. 351-4 du CJA.

(4 février 2019, Conseil départemental de la ville de Paris de l'ordre des médecins, n° 419895)

 

76 - Médecins – Suspension pour insuffisance professionnelle – Personnes ou entités pouvant saisir le conseil départemental de l'ordre des médecins d'une action en suspension pour insuffisance – Liste limitative.

Clarifiant une question récurrente, le Conseil d'Etat décide que seuls peuvent saisir le conseil régional de l'ordre des médecins d'une demande de suspension pour insuffisance professionnelle d'un médecin ayant sa résidence professionnelle dans cette région : le directeur général de l'agence régionale de santé, ou, si le médecin exerce également son activité dans une autre région, le directeur général de l'agence régionale de santé de cette région, le conseil départemental de l'ordre au tableau duquel ce médecin est inscrit, le Conseil national de l'ordre des médecins.

(13 février 2019, M. X., n° 414252)

 

77 - Ordres professionnels infirmiers – Ordres professionnels des masseurs-kinésithérapeutes – Organisation des élections aux conseils ordinaux et aux chambres disciplinaires de l'ordre des infirmiers et de l'ordre des masseurs kinésithérapeutes – Répartition du pouvoir réglementaire en matière électorale entre le premier ministre et les conseils nationaux de ces ordres professionnels – Fixation par décret des règles applicables – Exclusion du pouvoir des conseils nationaux en cette matière. 

Les articles L. 4312-14 et L. 4321-18-5 du code de la santé publique (CSP) disposent que les règlements électoraux du Conseil national de l'ordre des infirmiers et du Conseil national de l'ordre des masseurs kinésithérapeutes fixent les modalités des élections aux conseils et aux chambres disciplinaires de ces professions. Par un décret du 29 septembre 2017 le premier ministre a rendu applicables aux élections aux conseils ordinaux et aux chambres disciplinaires de l'ordre des infirmiers et de l'ordre des masseurs kinésithérapeutes les dispositions communes du chapitre V du titre II du livre Ier de la 4ème partie du code de la santé publique relatives aux professions médicales.

Estimant irrégulière cette intervention du premier ministre dans une matière que la loi réserverait expressément aux conseils nationaux de ces ordres, leurs responsables saisissent le juge administratif d’un recours en annulation de ce décret pour avoir été pris par une autorité incompétente puisqu’intervenu dans un domaine que la loi (CSP) réserve aux instances nationales de ces ordres.

Leur recours est rejeté au motif qu’en réalité la loi n’a confié à ces instances ordinales que le soin de préciser les conditions d'application des règles générales relatives à l'organisation de ces scrutins telles qu’elles sont fixées par décret en Conseil d'Etat.

Par suite, les dispositions législatives du CSP invoquées par les deux ordres requérants ne sauraient être interprétées comme leur ayant confié un monopole en cette matière.  Il existe bien deux pouvoirs réglementaires régissant ces élections mais la détermination des règles générales applicables à l’ensemble des professions de santé ne relève que du premier ministre. Il s'établit ainsi une hiérarchie entre ces deux pouvoirs réglementaires.

(4 février 2019, Conseil national de l’ordre des infirmiers et conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes, n° 415591 et n° 416105)

 

78 - Chirurgien-dentiste – Procédure disciplinaire – Interdiction temporaire d'exercice de la profession – Condamnation de première instance confirmée en appel – Modification hors délai du premier jugement par la juridiction d'appel – Violation de la chose jugée – Cassation.

La chambre disciplinaire de première instance de Provence-Alpes-Côte d'Azur et Corse de l'ordre des chirurgiens-dentistes a infligé à M. X., le 6 mai 2013, la sanction d'interdiction d'exercer la profession de chirurgien-dentiste pendant trois mois, du 1er novembre 2013 au 31 janvier 2014. Cette décision est devenue définitive.

Suite à une plainte du conseil départemental du Var de l'ordre des chirurgiens-dentistes contre M. X., la chambre disciplinaire de première instance a infligé à ce dernier la sanction d'interdiction d'exercer la profession de chirurgien-dentiste pendant une durée de six mois, dont trois mois avec sursis et a fixé une nouvelle période d'exécution pour la sanction d'interdiction d'exercice de trois mois à laquelle il avait été précédemment condamné par une décision du 6 mai 2013 de la même chambre disciplinaire. 

M. X. ayant interjeté appel, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes a rejeté cet appel et décidé que la sanction serait exécutée du 1er septembre 2017 au 28 février 2018.

M. X. demande, dans son pourvoi au Conseil d'Etat, l'annulation de cette dernière décision.

La cassation est prononcée au motif qu'en confirmant la décision des premiers juges du 5 février 2016 en tant qu'elle modifiait la période d'exécution de la sanction d'interdiction d'exercer la profession pendant trois mois fixée par la décision du 6 mai 2013 de la chambre disciplinaire de première instance de Provence-Alpes-Côte d'Azur et Corse pourtant devenue définitive et en fixant elle-même une nouvelle période d'exécution de cette précédente sanction, la chambre disciplinaire nationale a méconnu la chose définitivement jugée par la décision du 6 mai 2013. 

(13 février 2019, M. X., n° 413004)

 

79 - Architectes – Réorganisation de la profession – Création d'un Conseil de l'ordre des architectes de La Réunion et de Mayotte – Compétence du pouvoir réglementaire – Spécifités mahoraises  justifiant la solution retenue.

Le conseil régional de l'ordre des architectes de La Réunion et de Mayotte demande au Conseil d'Etat l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2017-495 du 6 avril 2017 portant diverses dispositions relatives à l'organisation de la profession d'architecte. En particulier, il conteste la création d'un conseil de l'ordre commun aux îles de La Réunion et de Mayotte. Le Conseil d'Etat rejette les trois arguments avancés au soutien de la requête.

Tout d'abord, le pouvoir réglementaire était bien matériellement compétent pour prendre le décret attaqué en ce qu'il institue un conseil commun à deux territoires. Ensuite, quant au fond, il n'y a ni erreur manifeste d'appréciation ni atteinte au principe d'égalité à unir en un seul les deux conseils régionaux compte tenu des caractéristiques particulières à Mayotte concernant les architectes, où seul un très petit nombre d'architectes exerce, rendant très difficile l'organisation d'une représentation propre de cette île. Enfin, il n'y a pas d'illégalité à avoir décidé un mode particulier de représentation des architectes mahorais car, à défaut, la disproportion du nombre d'architectes entre les deux entités (300 à La Réunion, moins de 20 à Mayotte) pourrait conduire à ce que ces derniers ne soient pas représentés.

Le recours est rejeté.

(25 février 2019, Conseil régional de l'ordre des architectes de La Réunion et de Mayotte, n° 420153 ; v. aussi, même requérant et du même jour, le n° 412231)

 

 

Question prioritaire de constitutionnalité (v. aussi le n° 4)

 

 

80 - Question prioritaire de constitutionnalité – Question posée à l’égard d’une disposition législative dans le cadre d’un recours contre un arrêté ministériel – Absence de loi mise en cause – QPC irrecevable – Rejet.

Une fédération de syndicats ne peut, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, soulever une QPC à l’encontre d’une disposition législative alors que son recours devant le juge administratif est dirigé seulement contre un arrêté du ministre du travail qui se borne à fixer la liste des organisations syndicales reconnues représentatives en se fondant notamment sur leur audience, mesurée en fonction des résultats obtenus aux élections professionnelles.

En revanche, soulevée à l’encontre d’opérations électorales organisées en application desdites dispositions législatives, une telle question eût été recevable.

(1er février 2019, Fédération des syndicats des arts, des spectacles, de l'audiovisuel, de la presse, de la communication et du multimédia Force Ouvrière (FASAP-FO), n° 423644)

 

81 - Méconnaissance par le législateur de sa propre compétence – Absence en principe d’ouverture à QPC – Méconnaissance affectant un droit ou une liberté garanti par la Constitution – Possibilité en ce cas d’une QPC – Absence en l’espèce.

Dans le cadre d’un litige à caractère fiscal relatif au précompte mobilier, la demanderesse soulève une QPC à l’encontre des effets résultant des dispositions combinées des articles 223 sexies et 1679 ter CGI en ce qu’elles méconnaissent le droit à un recours effectif, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen car le législateur, en violation de l’article 34 de la Constitution, n’a pas déterminé les modalités de recouvrement du précompte mobilier.

Le Conseil d’Etat pose le double principe suivant :

1) la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit ;

2)  la méconnaissance, par le législateur, de l'étendue de sa compétence dans la détermination des modalités de recouvrement d'une imposition affecte par elle-même le droit à un recours effectif

En l’espèce, la QPC doit être rejetée car la loi, alors applicable, définissait sans ambiguïté et avec suffisamment de précision les modalités de recouvrement du précompte mobilier.

Il n’y a donc pas lieu à renvoyer la QPC.

 (6 février 2019, Société Rio Tinto France venant aux droits de la Société Pechiney, n° 426251)

 

82 - Neutralité religieuse des personnes publiques – Exceptions énumérées à l'art. 28 de la loi du 9 décembre 1905 – Interprétation donnée de ces exceptions par le Conseil d'Etat – Refus de renvoyer une QPC non nouvelle ni sérieuse.

L'art. 28 de la loi du 9 décembre 1905 portant séparation des Eglises et de l'Etat, en même temps qu'elle édicte, pour l'avenir, une interdiction d'apposer un insigne ou emblème religieux sur un édifice public, énonce un certain nombre d'exceptions (édifices servant au culte, terrains de sépulture dans les cimetières, monuments funéraires, musées ou expositions). Le requérant demandait au juge de renvoyer une QPC fondée sur l'inconstitutionnalité de cet article 28 en raison de l'interprétation qu'en donne le Conseil d'Etat.

La question, qui n'est ni nouvelle ni sérieuse, n'est pas renvoyée.

(22 février 2019, M. X., n° 423702)

 

83 - Interdiction du droit de grève aux personnels pénitentiaires – Cessation concertée du service par un fonctionnaire des services pénitentiaires – Procédure de sanction en ce cas – Absence de garanties disciplinaires – Allégation d'atteinte au principe du respect des droits de la défense – Question sérieuse – Renvoi d'une QPC au Conseil constitutionnel.

Non seulement la loi interdit aux personnels de l'administration pénitentiaire de se mettre en grève mais elle prévoit qu'en pareil cas, lorsque ce comportement est susceptible de porter atteinte à l'ordre public, ils pourront être sanctionnés "en dehors des garanties disciplinaires". Toute la question est donc de savoir si le fait de se mettre en grève est, dans cette administration (comme d'ailleurs aussi dans la police ou dans l'armée), une faute disciplinaire ou un acte d'insubordination. Seul le fait d'être dans le second cas pourrait, à la rigueur, nous semble-t-il, justifier la mise à l'écart du respect des garanties statutaires accordées aux agents des personnes publiques. C'est pourquoi, le Conseil d'Etat, saisi par un agent sanctionné dans ces conditions, a jugé sérieuse la question de l'atteinte portée au respect des droits de la défense et en a renvoyé l'examen de constitutionnalité au C.C.

(20 février 2019, M. X., n° 425521)

 

84 - Droit fiscal – Retenue à la source sur rémunérations des prestations de toute nature fournies à ou utilisées par des sociétés étrangères – Application même en cas de déficit - Egalité devant les charges publiques – Question sérieuse renvoyée au C.C. – Intervention d'une décision de la CJUE.

L'art. 182 B CGI dispose : "I. Donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : / (...) c. Les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France (...)".

La société requérante allègue que ce texte méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques dans la mesure où il prévoit, au seul détriment des sociétés étrangères, le prélèvement d'une retenue à la source sur le montant brut de rémunérations qui lui sont servies quand bien même cette société serait déficitaire.

Le Conseil d'Etat juge nouvelle et sérieuse la question soulevée et en renvoie l'examen au Conseil constitutionnel.

(25 février 2019, Société Cosfibel Premium, n° 412497)

Par une décision du 27 février 2019 (Sociétés Sofina, Rebelco et Sidro, n° 398662), le Conseil d'Etat, saisi de plusieurs questions sur ce sujet par le tribunal administratif de Montreuil, a jugé qu'il résultait de l'arrêt de la CJUE du 22 novembre 2018 (C-575/17, Sofina SA e.a. contre ministre de l'Action et des Comptes publics), que le mécanisme de retenue à la source imposé aux dividendes perçus sur les sociétés non-résidentes déficitaires au regard du droit national dont elles relèvent est contraire au droit de l'Union.

85 - Décret d'extradition d'un ressortissant argentin pour imposition de tortures, privation illégale de liberté aggravée et crimes contre l'humanité – Invocation de la prescription de l'action publique – Articles 7 et 696-4 du code de procédure pénale – Allégation de l'existence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) selon lequel la loi doit instituer une prescription des infractions qui ne sont pas imprescriptibles – Question nouvelle et sérieuse – QPC renvoyée.

Un ressortissant argentin qui s'est illustré au temps de la dictature argentine pour des faits gravissimes (voir l'incipit ci-dessus) fait l'objet d'un décret d'extradition du premier ministre dont il demande l'annulation pour excès de pouvoir au Conseil d'Etat.

On relèvera l'admission de l'intervention de la république d'Argentine dans ce dossier au motif qu'elle a intérêt au maintien du décret attaqué qui a été pris sur sa demande.

Un "beau" débat juridique est ainsi ouvert : en principe le délai de prescription de l'action publique est de dix ans en matière de crime à partir du moment de sa commission. En revanche, s'agissant d'infractions continues, il résulte d'une jurisprudence de la Cour de cassation que la prescription de telles infractions ne court qu'à partir du jour où elles ont pris fin dans leurs actes constitutifs et dans leurs effets. En l'espèce, le corps d'une des victimes du tortionnaire n'ayant pas été retrouvé il pourrait être soutenu, selon la Cour de cassation, que l'infraction d'enlèvement et de séquestration se poursuit toujours et que la prescription n'a donc pas commencé à courir...

Le requérant soutient que l'art. 7 du code de procédure pénale tel qu'interprété par la jurisprudence judiciaire aboutit à rendre l'action publique imprescriptible pour des infractions dont la nature n'est pas d'être imprescriptible et que cela contrevient à un PFRLR dont il demande la reconnaissance.

La question, nouvelle, est jugée sérieuse et renvoyée au Conseil constitutionnel.

Un renvoi au C.C., par le juge administratif, d'une jurisprudence bien établie de la Chambre criminelle de la Cour de cassation a un goût particulièrement âcre pour les membres de la Cour... A quand un duel sous les fenêtres du garde des Sceaux pour venger l'offense dans le sang ? A moins que l'on ne préfère manier l'humour comme Molière, à propos de ce renvoi, car " Il est de sel attique assaisonné partout et vous le trouverez, je crois, d'assez bon goût " (Femmes savantes, Acte III, scène 1, vers 750-751).

(28 février 2019, M. X., n° 424993)

 

Responsabilité (v. aussi le n° 9)

 

 

86 - Indemnisation par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale – Notion de probabilité faible de survenance d’un dommage (art. L. 1142-1 c. santé publ.) – Probabilité de 3% jugée comme n’étant pas faible – Erreur de qualification juridique – Annulation en tant qu’est refusée la mise en œuvre de la solidarité nationale.

Un patient subit de graves séquelles du fait des conditions dans lesquelles s’est déroulé le remplacement de son défibrillateur en milieu hospitalier. Après avoir rejeté la demande d’indemnisation fondée sur l’existence de fautes au cours de cette intervention, la cour administrative d’appel s’est interrogée sur l’indemnisation du préjudice par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale. Pour cela, les dommages résultant des séquelles devaient avoir une probabilité faible de survenir. Chez un patient en fibrillation auriculaire non anti-coagulé, comme c'était le cas de l'intéressé, cette probabilité est de l'ordre de 3 %. Or la cour a rejeté les conclusions tendant à l'indemnisation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale car la survenance du dommage subi par l'intéressé ne présentait pas une probabilité faible au sens de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique (CSP), puisqu’elle était de l'ordre de 3 %.

Le Conseil d’Etat ne pouvait que relever l’erreur de qualification juridique commise par la cour : 3% ce n’est pas beaucoup, c’est vraiment faible…

(4 février 2019, M. X., n° 413247)

 

87 - Contamination par le virus de l’hépatite C – Action subrogatoire d’un tiers payeur – Action d’une caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) contre l’Établissement français du sang (EFS) – Conditions de recevabilité de l’action subrogatoire –  Responsabilité de plein droit du fournisseur du produit sanguin – Présence d’un établissement fabricant et d’un établissement distributeur du produit défectueux – Responsabilité solidaire – Action subrogatoire pouvant être formée contre l’un ou l’autre établissement.

Un patient hospitalisé en 1981 fait alors l’objet d’une transfusion sanguine, puis découvre en 2000 avoir été contaminé par le virus de l’hépatite C. S’ensuit une action en réparation dirigée contre l’Établissement français du sang d’abord de la part de la victime, action rejetée par le juge de première instance, puis, par voie subrogatoire, d’une caisse primaire d’assurance maladie dirigée contre le même établissement. Cette action subrogatoire est admise en première instance et confirmée en appel. L’EFS se pourvoit en cassation. Ce pourvoi est rejeté au moyen du raisonnement suivant.

Tout d’abord, il résulte des dispositions pertinentes du code de la santé publique que l'exercice du recours subrogatoire n’est pas subordonné à l'existence d'une faute du fournisseur des produits sanguins. La responsabilité de ce dernier se trouve engagée du seul fait que les produits transfusés étaient porteurs d'un agent infectieux.
Ensuite, il ressort en l’espèce des expertises ordonnées dans les différentes instances en responsabilité que le sang congelé reçu par la victime a été conditionné par le centre de transfusion sanguine de Reims et administré par le centre hospitalier de Châlons-en-Champagne.

Les premiers juges ont estimé que ce dernier était le fournisseur des produits sanguins transfusés et retenu sa responsabilité. Pour ce faire ils ont préalablement vérifié qu’étaient satisfaites les conditions légales : le centre était assuré, sa couverture d'assurance n'était pas épuisée, le délai de validité de cette couverture n'était pas expiré et l'EFS n'était pas privé du bénéfice d'une couverture d'assurance.

Ensuite, lorsque, comme en l’espèce, l'établissement ayant fabriqué le produit sanguin n'est pas le même que celui qui l'a distribué à l'établissement de santé qui a pratiqué la transfusion, ces deux établissements de transfusion sanguine doivent être regardés comme les fournisseurs du produit sanguin et sont, en conséquence, solidairement responsables des préjudices résultant de la contamination de ce produit.

Enfin, il résulte de ce qui précède que le tiers payeur peut exercer un recours subrogatoire contre l’un ou l’autre des organismes en cause dès lors que l'un au moins d’entre eux remplit la condition de couverture assurantielle prévue par le dernier alinéa de l'article L. 1221-14. En l’espèce, c’est donc à bon droit que la CPAM a dirigé son recours subrogatoire contre l’EFS et que ce recours a été admis.

Le pourvoi de ce dernier est rejeté.

(4 février 2019, Établissement français du sang, n° 412729)

 

88 - Demande d'expertise médicale rejetée en référé, en première instance et en appel – Impossibilité d'ordonner une expertise portant sur des faits dont il est établi qu'ils sont prescrits – Erreur de droit à avoir exigé des requérantes d'établir que leur demande indemnitaire ne serait pas prescrite – Obligation pour le juge d'établir l'existence éventuelle de cette prescription – Cassation.

Lors de sa naissance, en juillet 1989, une personne victime à ce moment là d'un staphylocoque doré, a présenté par la suite diverses et graves pathologies. En fin d'année 2017, celle-ci, avec d'autres membres de sa famille, a présenté au juge du référé "mesures utiles" une demande tendant à ce que soit ordonnée une expertise pour rechercher si et dans quelle mesure ces pathologies étaient imputables à l'infection périnatale à staphylocoques qu'elle a contractée à l'occasion de sa naissance et de la prise en charge qui a suivi. Cette demande a été rejetée en première instance et en appel.

Les requérantes se pourvoient.

En appel, le rejet de la demande d'expertise avait été fondé sur la circonstance que les demanderesses ne faisaient état d'aucun élément de nature à laisser penser que la consolidation de l'état de santé de Lydiane X. serait intervenue à une date telle qu'une demande indemnitaire de leur part ne serait pas prescrite. Le juge de cassation reproche à cette décision d'avoir inversé les choses : il fallait que la prescription fût établie pour pouvoir rejeter la demande d'expertise, cela d'autant plus que l'existence d'une consolidation et la date de celle-ci étaient au nombre des points sur lesquels portait la demande d'expertise.

(20 février 2019, Lydiane X. et autres, n° 420314)

 

89 - Audience – Absence de l'avocat d'une partie – Partie présente – Obligation de lui donner la parole – Absence en l'espèce – Annulation.

L'absence à l'audience de l'avocat d'une partie alors que cette dernière est présente oblige la juridiction à l'inviter à prendre la parole. Faute de l'avoir fait, l'arrêt d'appel doit être annulé.

(27 février 2019, Mme X., n° 404966)

 

Travaux publics

 

90 - Propriétés privées – Péril imminent – Démolition ordonnée et effectuée par la commune – Nature juridique des opérations de démolition – Travaux publics – Action en responsabilité – Action pour dommages de travaux publics.

Un maire prend un arrêté de péril portant sur des immeubles privés défectueux et fait exécuter d’office les travaux de démolition de ces immeubles.

Estimant illégale cette décision de déclaration de péril, une des propriétaires concernés intente une action en réparation des préjudices ayant résulté de ces travaux consécutifs à une décision illégale. La cour administrative avait jugé que le fondement de la demande en réparation étant l’illégalité de l’arrêté de péril, il ne s’agissait donc pas d’une action mettant en cause des travaux publics. C’était oublier le caractère attractif de la notion de travaux publics.

Pour le Conseuil d'Etat il s’agissait bien d’un litige en matière de travaux publics, régi par des dispositions alors dérogatoires (elles ont disparu depuis l’entrée en vigueur du décret du 2 novembre 2016).

(4 février 2019, Mme X. c/ Commune de La Ville-ès-Nonais, n° 417047)

 

Urbanisme

 

91 - Demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale – Silence gardé par le maire sur cette demande – Silence valant rejet et non permis tacite – Erreur de droit – Annulation de l’ordonnance de rejet et renvoi devant la cour administrative d’appel.

La société requérante avait déposé une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale sur laquelle le maire, destinataire de cette demande, était demeuré silencieux. Elle saisit la justice administrative en vue d’obtenir l’annulation du refus implicite né de ce silence. Par ordonnance, le magistrat de la cour de Bordeaux à ce préposé a jugé sans objet et rejeté cette requête au motif que le silence gardé par le maire avait fait naître une autorisation tacite et non un rejet implicite.

Saisi par la société, le Conseil d’État rétablit les choses : en l’espèce, le silence vaut bien rejet et non acceptation ; le recours contre l’ordonnance entachée d’erreur de droit est accueilli.

Ceci illustre la nocivité du système actuel car le principe que le silence vaut acceptation est assorti de tant d’exceptions, dérogations et réserves qu’il est un casse-tête producteur d’insécurité juridique. La règle antérieure, d’apparence moins généreuse, était beaucoup plus claire et compréhensible. Sa résurrection serait bienvenue.

(1er février 2019, Société Le Parc du Béarn, n° 411061)

 

92 - Certificat d’urbanisme – Portée juridique – Mention d’un taux erroné de taxe – Absence de droit à ne pas acquitter le taux applicable – Absence de préjudice indemnisable.

Rappel de ce que si le certificat d'urbanisme a pour effet de garantir l’examen de la demande de permis de construire dans un certain délai, il n’a évidemment pas pour effet de justifier la délivrance d'un permis de construire irrégulier même dans le cas où l’autorité qui l’a délivré aurait omis de faire mention d’une disposition légalement applicable ou si le certificat aurait comporté une mention inexacte à cet égard.

Ici, la mention sur le certificat d'urbanisme d’un taux de 0,3 % comme étant celui d’une taxe, au lieu du taux de 3%, n'est pas de nature à créer, au profit du bénéficiaire d'un permis de construire, des droits acquis à ne pas acquitter les sommes dues à ce titre.

(8 février 2019, Mme X. et M. Y., n° 422007)

 

93 - Article L. 600-13 c. urb. – Obligation de communiquer, dans un certain délai, les pièces nécessaires au jugement de l'affaire à peine de caducité de la requête introductive d’instance – Contestation pour violation des droits ou libertés que la Constitution garantit – Question présentant un caractère sérieux justifiant son renvoi au C.C.

L'article L. 600-13 du code de l'urbanisme dispose que la requête introductive d'instance est caduque lorsque, sans motif légitime, le demandeur ne produit pas les pièces nécessaires au jugement de l'affaire dans un délai de trois mois à compter du dépôt de la requête ou dans le délai qui lui a été imparti par le juge. Cependant, la déclaration de caducité peut être rapportée si le demandeur fait connaître au greffe, dans un délai de quinze jours, le motif légitime qu'il n'a pas été en mesure d'invoquer en temps utile. 

Le demandeur aperçoit dans ce texte une atteinte au droit à un recours effectif et soulève en conséquence une QPC que le Conseil d’Etat accueille comme présentant un caractère nouveau et sérieux.

(8 février 2019, M. X., n° 424146)

 

94 - Permis de construire – Affichage – Mentions portées sur l'affichage – Question de droit (art. L. 113-1 CJA) – Règles de procédure administrative contentieuse ou règles (de forme ou de procédure) relevance de la compétence de la Nouvelle-Calédonie ou de ses provinces.

La cour administrative d'appel de Paris statuant en appel d'un jugement du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie rejetant une demande d'annulation du permis construire délivré par le maire de Nouméa, saisit le Conseil d'Etat de deux questions qui intéressent en réalité l'ensemble du territoire français.

La première question porte sur le point de savoir si les dispositions des articles R. 424-15 et A. 424-17 du code de l'urbanisme, prescrivant, en matière d'affichage sur le terrain d'un permis de construire, que doivent y être portées les mentions relatives aux voies et délais de recours et à l'obligation, prévue à peine d'irrecevabilité par l'article R. 600-1 du même code, de notifier tout recours administratif ou tout recours contentieux à l'auteur de la décision et au bénéficiaire du permis, constituent des règles relevant de la procédure administrative contentieuse, donc applicables de plein droit en Nouvelle-Calédonie, ou bien si elles constituent des règles de forme ou de procédure intervenant dans une matière ressortissant aux compétences respectives de la Nouvelle-Calédonie et de ses provinces. En effet, la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, répartissant les compétences entre l'Etat et la Nouvelle-Calédonie, dispose, dans son article 21, que l'Etat demeure compétent pour ce qui regarde la procédure administrative contentieuse dont les règles sont applicables de plein droit sur ce territoire.

La décision ici rapportée rappelle que l'obligation d'affichage sur le terrain de mentions relatives à la consistance du projet et de l'indication des voies et délais de recours contentieux a pour objet de permettre aux tiers de préserver leurs droits et constitue une condition au déclenchement du délai de recours contentieux. Elle revêt dès lors le caractère d'une règle de procédure administrative contentieuse.  Et il ajoute, par un raisonnement très subtil, que si le rappel, sur le panneau d'affichage, à titre d'information des tiers, de l'obligation de notification à peine d'irrecevabilité du recours contentieux résultant de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme n'est pas au nombre des éléments dont la présence est une condition au déclenchement du délai de recours, son omission fait obstacle à ce que soit opposée à l'auteur du recours l'irrecevabilité qu'il prévoit. Dès lors, eu égard à son objet et à ses effets, l'obligation de mentionner sur le panneau d'affichage l'obligation de notification résultant de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme revêt également le caractère d'une règle de procédure administrative contentieuse. La solution ne nous paraît guère contestable.

La seconde question portait sur le point de savoir si, dans la mesure où les règles d'affichage de ces mentions relèvent de la compétence de l'État, les mentions qui déterminent la durée de l'affichage et les conditions destinées à assurer sa visibilité effective en constituent des accessoires indissociables. Le Conseil d'Etat, en vertu du principe que l'accessoire suit le principal, juge que l'Etat, compétent pour édicter les règles ci-dessus rappelées, l'est aussi pour celles qui en constituent l'accessoire.

Simplicité et logique de la solution caractérisent cette décision.

(13 février 2019, M. X., n° 422283)

 

95 - Permis de construire – Pouvoirs de contrôle de l'autorité administrative compétente pour délivrer le permis – Régularisation ou modification du permis en cours d'instance – Date de l'entrée en vigueur de l'art. L. 600-5-2 c. urb. – Présence de plusieurs motifs d'illégalité du permis dans le jugement du tribunal administratif – Annulation partielle du permis en première instance – Pouvoirs et devoirs de la juridiction d'appel.

Cette décision de Section se caractérise par le nombre, la diversité et l'importance des aspects juridiques du permis de construire qu'elle examine et tranche. Elle constitue un véritable exposé d'ensemble en matière d'irrégularité et de régularisation du permis de construire, d'annulation partielle ou totale de cet acte ou encore d'application des articles L. 600-5 (régularisation d'un vice n'affectant que partiellement un permis) et L. 600-5-1 (régularisation d'un vice affectant l'ensemble du permis) du code de l'urbanisme.

Nous nous bornerons à décrire succinctement les trois points principaux de la décision.

En premier lieu, est apportée une importante précision quant à l'entrée en vigueur d'un texte. Faute de précision textuelle en ce sens, il est jugé que la version de l'article L. 600-5-2 du code de l'urbanisme, issue de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, qui conduit à donner compétence au juge d'appel pour statuer sur une décision modificative ou une mesure de régularisation si celle-ci est communiquée au cours de l'instance relative à l'autorisation délivrée initialement, est applicable aux instances en cours à la date de son entrée en vigueur, soit le 1er janvier 2019.

En deuxième lieu, c'est la partie la plus longue de la décision, sont abordées trois séries de questions procédurales intéressant respectivement le tribunal administratif, puis la juridiction d'appel, enfin le juge de cassation.

1. - Concernant le tribunal administratif. Lorqu'un tribunal administratif, après avoir écarté comme non fondés les autres moyens de la requête, a retenu l'existence d'un ou plusieurs vices entachant la légalité du permis de construire dont l'annulation lui était demandée et, après avoir estimé que ce ou ces vices étaient régularisables par un permis modificatif, a décidé de faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme en prononçant une annulation partielle du permis attaqué et en fixant, le cas échéant, le délai dans lequel le titulaire du permis en cause pourra en demander la régularisation, l'auteur du recours formé contre le permis est recevable à faire appel du jugement en tant qu'en écartant certains de ses moyens et en faisant usage de l'article L. 600-5, il a rejeté sa demande d'annulation totale du permis, le titulaire du permis et l'autorité publique qui l'a délivré étant pour leur part recevables à contester le jugement en tant qu'en retenant l'existence d'un ou plusieurs vices entachant la légalité du permis attaqué, il n'a pas complètement rejeté la demande du requérant.

2. - Concernant le juge d'appel. A cette rubrique est consacrée la plus grande partie de ces précisions d'ordre procédural.

Le Conseil d'Etat décide que lorsque le juge d'appel est saisi d'un appel contre le jugement du tribunal administratif et qu'un permis modificatif a été délivré aux fins de régulariser les vices du permis relevés par ce jugement, le bénéficiaire ou l'auteur de cette mesure de régularisation doit la lui communiquer sans délai. En effet, les parties de première instance comme les tiers, ne pouvent contester cette mesure que devant le juge d'appel et tant que l'instance d'appel est en cours. Il suit de là qu'en cas de formation d'un recours pour excès de pouvoir contre cette mesure de régularisation devant le tribunal administratif, ce dernier doit la transmettre à la cour saisie de l'appel dirigé contre le permis initial.

Il appartient au juge d'appel saisi d'un jugement prononçant l'annulation partielle d'un permis de construire alors qu'est intervenue, à la suite de ce jugement, une mesure de régularisation en application de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme, de se prononcer, dans un premier temps, sur la légalité du permis initial tel qu'attaqué devant le tribunal administratif. En ce cas trois situations peuvent se présenter.

1°/ Si la cour estime qu'aucun des moyens dirigés contre ce permis, soulevés en première instance ou directement devant elle, n'est fondé, elle doit annuler le jugement, rejeter la demande d'annulation dirigée contre le permis et, si elle est saisie de conclusions en ce sens, statuer également sur la légalité de la mesure de régularisation.

2°/ Si, au contraire, la cour estime fondés un ou plusieurs des moyens dirigés contre le permis initial mais que les vices affectant ce permis ne sont pas régularisables, elle doit annuler le jugement en tant qu'il ne prononce qu'une annulation partielle du permis et annuler ce permis dans son ensemble, alors même qu'une mesure de régularisation est intervenue postérieurement au jugement de première instance, cette dernière ne pouvant alors, eu égard aux vices affectant le permis initial, avoir pour effet de le régulariser. Elle doit également annuler cette mesure de régularisation par voie de conséquence.

3°/ Lorsque la cour estime que le permis initialement attaqué est affecté d'un ou plusieurs vices régularisables, elle statue d'abord sur la régularisation et ensuite sur la légalité de ce permis en prenant en compte les mesures prises le cas échéant en vue de régulariser ces vices, en se prononçant sur leur légalité si elle est contestée. Au terme de cet examen, si elle estime que le permis ainsi modifié est régularisé, la cour rejette les conclusions dirigées contre la mesure de régularisation. Si elle constate que le permis ainsi modifié est toujours affecté d'un vice, elle peut faire application de l'article L. 600-5 ou de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme pour permettre sa régularisation.

3.- Concernant le juge de cassation. Lorsque ce juge est saisi d'un pourvoi dirigé contre une décision juridictionnelle retenant plusieurs motifs d'illégalité d'un permis de construire, puis refusant de faire usage des articles L. 600-5 ou L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, dans le cas où il censure une partie de ces motifs, il ne peut rejeter le pourvoi qu'après avoir vérifié si les autres motifs retenus et qui demeurent justifient ce refus.

En troisième lieu, la décision apporte ou confirme un certain nombre de précisions relatives à l'office de l'autorité administrative saisie d'une demande de permis de construire. Celle-ci peut relever les inexactitudes entachant les éléments du dossier de demande relatifs au terrain d'assiette du projet, notamment sa surface ou l'emplacement de ses limites séparatives, et, de façon plus générale, relatifs à l'environnement du projet de construction, pour apprécier si ce dernier respecte les règles d'urbanisme qui s'imposent à lui. En revanche, le permis de construire n'ayant d'autre objet que d'autoriser la construction conforme aux plans et indications fournis par le pétitionnaire, l'autorité administrative n'a à vérifier ni l'exactitude des déclarations du demandeur relatives à la consistance du projet à moins qu'elles ne soient contredites par les autres éléments du dossier joint à la demande (cf. art. R. 431-4 et suivants c. urb.), ni l'intention du demandeur de les respecter, sauf en présence d'éléments établissant l'existence d'une fraude à la date à laquelle l'administration se prononce sur la demande d'autorisation.

(Section, 15 février 2019, Commune de Cogolin, n° 401384)

 

96 - Documents d'urbanisme – Illégalités – Effets sur les documents subséquents (certificat d'urbanisme, autorisation d'utilisation ou d'occupation des sols) – Documents illégaux par voie de conséquence sauf l'exception du fait de vices de forme devenus ininvocables.

Une commune délivre un certificat d'urbanisme attestant la constructibilité d'une parcelle sur laquelle les acquéreurs sollicitent ensuite un permis de construire, permis annulé en première instance, ce confirmé en appel, au motif que le plan d'urbanisme est entaché d'illégalité au regard des dispositions de la loi du 3 janvier 1986 (loi "Littoral") en tant qu'il classe ce terrain d'assiette, partiellement, en zone UEb, donc constructible. Sur recours des intéressés, la cour d'appel a condamné la commune à réparer le préjudice résultant de l'illégalité du permis de construire. Cette dernière se pourvoit.

Le Conseil d'Etat rejette ce pourvoi par un raisonnement parfaitement logique.

En vertu d'un principe général du droit applicable aux documents d'urbanisme, l'autorité administrative se voit interdire d'appliquer un règlement illégal sauf s'il s'agit de vices de forme ne pouvant plus être invoqués par voie d'exception (ar. L. 600-1 c. urb.). Elle doit donc écarter de tels documents et délivrer tant les certificats d'urbanisme que les autorisations d'utilisation ou d'occupation des sols sur la base des dispositions contenues dans un document antérieur à celui entaché d'illégalité. En l'espèce, l'illégalité était évidente puisque le plan d'urbanisme autorisait les constructions dans la bande des cent mètres instituée par la loi du 3 janvier 1986 et l'action en responsabilité fondée sur le préjudice causé directement par cette illégalité ne pouvait que prospérer.

(18 février 2019, Commune de L'Houmeau, n° 414233)

 

97 - Demande d'annulation d'un permis de construire – Etablissement de la qualité donnant intérêt pour agir – Qualité de voisin – Démonstration des effets du permis sur la situation de voisin – Exigences de démonstration positive s'imposant au requérant et de démonstration négative s'imposant au bénéficiaire du permis – Qualité de voisin directement concernée établie – Annulation du jugement d'irrecevabilité rendu pour défaut d'intérêt.

La décision vaut surtout par la précision et la longueur de l'analyse factuelle au terme de laquelle le Conseil d'Etat se convainc que la requérante possède bien un intérêt lui donnant qualité pour contester le permis de construire litigieux. Il convient de laisser la parole au Conseil d'Etat : " Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société Hanoe Residential Property Portfolio est propriétaire d'un immeuble bâti à proximité du terrain d'assiette objet du permis de construire attaqué. A supposer même que cette proximité ne soit pas suffisante pour permettre de la regarder comme un voisin immédiat, l'extrémité est de sa parcelle est située à quelques mètres de la parcelle assiette du projet, dont elle n'est séparée que par un espace végétalisé. Il ressort également des pièces du dossier soumis au juge du fond que le projet contesté comprend la construction d'un bâtiment d'une hauteur de 14,74 mètres, sur le côté ouest du terrain d'assiette, susceptible d'altérer la vue entièrement dégagée dont disposait la société requérante au sud-est de sa parcelle, en obstruant la perspective sur l'ancien Institut des sourdes-muettes, protégé au titre des monuments historiques. Le bâtiment à construire est de surcroît susceptible d'avoir pour effet de diminuer l'ensoleillement et la luminosité de son terrain. Eu égard à son ampleur, cet important projet de densification urbaine, prévoyant la création de 268 places de stationnement en sous-sol, risque en outre de détériorer les conditions de circulation dans le quartier et d'en aggraver les nuisances sonores, tant du fait de la circulation automobile que de l'occupation du bâtiment à construire, destiné à accueillir une résidence de jeunes actifs et une école maternelle. Le projet contesté est ainsi de nature à affecter les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de l'immeuble dont la société requérante est propriétaire.

Par suite, le tribunal administratif de Bordeaux a inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que la requérante ne justifiait pas d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation pour excès de pouvoir du permis de construire attaqué et en rejetant sa demande comme irrecevable pour ce motif."

(20 février 2019, Société Hanoe Residential Property Portfolio, n° 420745)

 

98 - Permis de construire – Distance de l'immeuble par rapport à la limite séparative – Calcul de cette distance – Erreur de droit – Annulation du jugement annulant le permis de construire.

Un permis de construire un immeuble dont les deux derniers étages sont en attique est accordé alors que le règlement du PLU dispose que lorsqu'une construction est implantée en retrait de la limite séparative, ce retrait doit être égal à la moitié au moins de la hauteur de la construction. Pour annuler le permis, le tribunal administratif s'est fondé sur ce que cette dernière règle n'était pas respectée en l'espèce. Il avait calculé la hauteur de l'immeuble en faisant abstraction du dernier étage en attique alors que l'avant-dernier étage se trouvait lui aussi en attique. Selon le Conseil d'Etat la hauteur devait être calculée en faisant abstraction des deux étages en attique. L'arrêt est cassé pour erreur de droit.

(25 février 2019, Commune d'Orvault, n° 418308)

 

99 - Permis de construire – Affichage sur le terrain – Mentions substantielles – Mentions relatives à la hauteur de la construction sauf si une indication quelconque permet son estimation.

Les mentions qui doivent être portées sur le panneau d'affichage du permis sur un terrain sont destinées à permettre sa connaissance complète par les tiers, c'est pourquoi seule la complétude des informations ou de leur estimation déclenche le point de départ du délai de recours contentieux dirigé éventuellement contre ce permis.

Parmi ces mentions figure la hauteur de la construction à édifier et sur ce point, la décision apporte ou rappelle trois précisions : 1) cette hauteur se calcule à partir du sol naturel du terrain d'assiette de la construction tel qu'il ressort de la demande de permis 2) la mention de cette hauteur a un caractère substantiel et son défaut ou le fait qu'elle comporte une erreur substantielle entache de nullité l'affichage avec les effets indiqués ci-dessus en cas de recours contentieux, 3) il n'en va autrement que si les tiers, au moyen d'autres éléments portés sur l'affichage, peuvent néanmoins estimer cette hauteur.

(25 février 2019, M. X. et Mme Y., n° 416610)

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