Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Novembre 2018

 Actes et décisions

 

1 - Retrait d’une décision portant habilitation « secret défense » – Mesure d’instruction ordonnée par le juge – Communication des motifs du retrait – Annulation de cette décision – Erreur de droit du juge d’appel estimant inapplicable en l’espèce le régime de l’erreur manifeste d’appréciation.

Le requérant contestait la décision qui lui a retiré l’habilitation « secret défense ». Le tribunal administratif, après avoir ordonné au ministre de la défense, avant de statuer sur la légalité de cette décision, de lui en communiquer les motifs, annule la décision, voyant dans ce retrait une erreur manifeste d’appréciation. La cour administrative d’appel annule ce jugement au motif « que le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation ne pouvait être utilement invoqué devant le juge administratif à l'encontre d'une décision retirant l'habilitation « secret défense », dès lors que le ministre avait refusé de déclassifier, après consultation de la commission consultative du secret de la défense nationale, les informations ayant servi de fondement à cette décision ». Le Conseil d’Etat censure pour erreur de droit ce raisonnement car, au contraire, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il statue sur une demande d'annulation d'une décision portant retrait d'une habilitation « secret défense », de contrôler, s'il est saisi d'un moyen en ce sens, la légalité des motifs sur lesquels l'administration s'est fondée. Pour ce faire, le juge saisi peut prendre, dans l'exercice de ses pouvoirs généraux de direction de l'instruction, toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, sans porter atteinte au secret de la défense nationale.

(7 novembre 2018, M. X., n° 414396)

 

2 - Revenu de solidarité active (RSA) – Versement indu d’une prime exceptionnelle de fin d’année – Répétition de l’indu – Absence de compétence liée de l’organisme débiteur du RSA – Office du juge obligeant à tenir compte de tous les éléments.

Une personne bénéficiaire du RSA, qui a perçu une aide exceptionnelle de fin d’année en 2012 et 2013, s’en voit réclamer la répétition pour cause d’indu. Le tribunal administratif, saisi par l’intéressée, rejette tous ses griefs au motif que le débiteur du RSA étant en situation de compétence liée, il était tenu de répéter l’indu. Le Conseil d’Etat dans une décision qui est plus d’équité que juridique, échafaude une « doctrine » qu’il expose ainsi : «  Lorsque le juge administratif est saisi d'un recours dirigé contre une décision qui, remettant en cause des paiements déjà effectués, ordonne la récupération d'un indu d'aide exceptionnelle de fin d'année, il entre dans son office d'apprécier, au regard de l'argumentation du requérant, le cas échéant, de celle développée par le défendeur et, enfin, des moyens d'ordre public, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction, la régularité comme le bien-fondé de la décision de récupération d'indu. Il lui appartient, s'il y a lieu, d'annuler ou de réformer la décision ainsi attaquée, pour le motif qui lui paraît, compte tenu des éléments qui lui sont soumis, le mieux à même, dans l'exercice de son office, de régler le litige. » Ce qui revient à donner de larges pouvoirs au juge, ainsi appelé à statuer en quelque sorte ex æquo et bono.

(28 novembre 2018, Mme X., n° 415811)

 

3 - Ministre – Absence de pouvoir réglementaire – Pouvoirs de police spéciale n’emportant pas dévolution d’un pouvoir réglementaire – Incompétence ratione materiae – Annulation de l’arrêté litigieux.

L’Union et le Syndicat requérants demandaient, par la voie d’un recours pour excès de pouvoir, l’annulation de l'arrêté du 6 décembre 2016 du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports portant définition de l'environnement montagnard pour la pratique des activités assimilées à de l'alpinisme. Cet arrêté ayant un caractère réglementaire, il convenait de rechercher si son auteur disposait bien, en la matière, d’un pouvoir réglementaire dont on sait que, à titre de principe et sauf disposition contraire expresse, les ministres n’en sont pas détenteurs. Constatant que les dispositions de l’art. L. 212-1 du code du sport ne confèrent pas de pouvoir réglementaire au ministre concerné et que l’octroi qu’elles lui font d’un pouvoir de police spéciale n’emporte pas non plus, par lui-même, dévolution d’un pouvoir réglementaire, le Conseil d’Etat annule l’arrêté litigieux car il est entaché d’incompétence matérielle.

(7 novembre 2018, Union nationale et syndicale des accompagnateurs en montagne et Syndicat national des professionnels de l'accompagnement et de l'éducation à l'environnement, n° 408062)

 

4 - Incapacité permanente résultant d’accidents du travavail ou de maladies professionnelles – Octroi d’une rente – Possibilité de conversion de la rente en partie en capital ou du capital en rente viagère – Délai d’option de cinq ans puis d’un an supprimé par la suite – Dispositions transitoires – Illégalité partielle du décret d’application.

Le Conseil d’Etat était en l’espèce saisi sur renvoi préjudiciel du tribunal des affaires de sécurité sociale d'Evry. Les textes applicables ont prévu pendant un certain temps qu’en cas d’incapacité permanente résultant d’accidents du travail ou de maladies professionnelles pouvait être allouée une rente ou versé un capital avec possibilité de conversion de la rente en partie en capital ou du capital en rente viagère à l’expiration d’un certain délai à compter de la décision d’attribution de la rente ou du capital. Ce délai, prévu par la loi, d’abord fixé à cinq ans, a été ramené à un an, puis supprimé par l’ordonnance du 15 avril 2004.  Par suite, si le décret d’application du 2 février 2006 pouvait légalement tirer les conséquences de la réduction puis de la suppression de ce délai, il ne pouvait pas, en revanche, sans illégalité, décider par ses dispositions transitoires que l'expiration du délai d'un an antérieurement imparti pour présenter une demande de conversion restait opposable aux personnes victimes d'un accident lorsque la consolidation était intervenue antérieurement à l'entrée en vigueur de ce décret.

(23 novembre 2018, M. X. et Caisse d’allocations familiales de l’Essonne, n° 418868)

 

5 - Syndicat enseignant – Demande de communication de la liste des personnels déchargés de tout ou partie de leur service au titre de l'enveloppe des décharges de service attribuée à une autre organisation syndicale – Refus de la ministre chargée de l’enseignement – Annulation par le tribunal puis par le Conseil d’Etat.

Un syndicat enseignant demande à la ministre compétente la communication de la liste des personnels déchargés de tout ou partie de leur service au titre de l'enveloppe des décharges de service attribuée à une autre organisation syndicale. La ministre refuse arguant de la protection de la vie privée car la liste dont communication est demandée est nominative. Rejetant cet argument, le Conseil d’Etat rappelle « que les organisations syndicales ne peuvent désigner comme bénéficiaires de crédits de temps syndical sous forme de décharges d'activité de service, que des agents qui, titulaires d'un mandat syndical, se sont déjà portés volontaires pour assumer publiquement des responsabilités dans l'intérêt des organisations auxquelles ils adhèrent. » Par suite, les exigences du respect de la vie privée ne sauraient être opposées à une telle demande de communication de documents, ceux-ci étant pleinement communicables.

(14 novembre 2018, Ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, n° 409936)

 

6 - Arrêté préfectoral fixant annuellement les minima et les maxima des loyers des bâtiments d'habitation relevant du statut du fermage – Baux en cours – Effets de l’arrêté annuel sur les baux en cours – Applicabilité immédiate – Arrêté contenant une disposition contraire – Illégalité – Annulation de l’arrêt d’appel.

Normalement, le loyer des baux ruraux en cours ne peut être révisé qu'à la date de leur renouvellement ou, s'il s'agit de baux à long terme, au début de chaque nouvelle période de neuf ans. Toutefois, la loi a prévu (art. L. 411-11, al. 2, du code rural, issu de la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche) que, par dérogation, la publication de l’arrêté préfectoral fixant annuellement des maxima et minima de loyer pour les bâtiments d'habitation ouvre à toute partie à un bail rural en cours relatif à un tel bâtiment la possibilité de demander que le loyer soit révisé pour être mis en conformité avec ces maxima et minima. 

En l’espèce, le préfet de Vendée avait, par l’article 2 de son arrêté du 25 juin 2012 fixant les maxima et minima, décidé qu'il n'était pas applicable aux baux en cours à la date de sa publication. C’est à tort que la cour d’appel s’est appuyée sur cette disposition – qui était illégale - pour rejeter le recours dont elle était saisie.

(9 novembre 2018, Syndicat départemental de la propriété privée rurale de Vendée, n° 408667)

 

7 - Loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises – Décret pris pour l’application d’une loi – Dispositions indivisibles – Entrée en vigueur des dispositions législatives fixée au sixième mois suivant sa publication – Décret d’application postérieur – Dispositions indivisibles – Entrée en vigueur possible seulement après la publication de ce décret.

Des diverses questions examinées dans cette cdécision nous ne retiendrons que la suivante.

La loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises dispose que ses articles 39 à 58, sauf l’art. 57, entrent en vigueur au plus tard six mois à compter de sa promulgation, soit le 18 décembre 2014.

Le décret du 12 février 2015 dispose que les art. 39 à 44 et 49 de la loi précitée entrent en vigueur le lendemain de la publication de ce décret au Journal officiel de la République française.

La société requérante soutient que l’art. 49 de ce décret, dont l’application n’était pas manifestement impossible en l’absence dudit décret du 12 février 2015, est entré en vigueur, comme indiqué plus haut, le 18 décembre 2014.

Cependant le Conseil d’Etat retient, d’une part, l’indivisibilité des modifications introduites par le législateur aux articles 39 à 44 et 49 de cette loi et, d’autre part, l’impossibilité d’appliquer certaines de ses dispositions avant l’entrée en vigueur du décret précité de 2015 pour décider que ce dernier a pu légalement prévoir l'entrée en vigueur simultanée de tous ces articles au lendemain de sa propre publication.

 (14 novembre 2018, Société Val de Sarthe, n° 408952)

 

8 - Demande de communication de documents administratifs – Demande de communication des certificats de sortie du territoire d’œuvres délivrés entre 2007 et 2016 – Communication des données statistiques relatives à ces certificats de sortie – Demande de communication de l'intégralité des procès-verbaux de la commission consultative des trésors nationaux depuis 1993 – Caractère abusif – Perturbation du bon fonctionnement de l’administration.

La Société pour la protection des paysages et l'esthétique de la France a demandé à la ministre de la culture, en vain, la communication des certificats de sortie du territoire de trésors nationaux, délivrés entre 2007 et 2016, des données statistiques relatives à ces certificats de sortie ainsi que de l'intégralité des procès-verbaux de la commission consultative des trésors nationaux depuis 1993. Le tribunal administratif, saisi du recours en annulation du refus de communication résultant du silence gardé par la ministre, l’a annulé et a enjoint d’effectuer cette communication dans les deux mois. La ministre se pourvoit et le Conseil d’Etat lui donne raison. Il considère que c’est par suite d’une erreur de droit que les premiers juges ont estimé que ces demandes ne revêtaient pas un caractère abusif dès lors qu’il n’en résultait pas une perturbation du bon fonctionnement de l’administration concernée. En effet, il juge, au contraire, établie l’existence en l’espèce, d’une telle perturbation.

La solution est sévère en ce qu’elle érige l’inadéquation des moyens de l’administration à satisfaire à des exigences minimales en un élément constitutif de la légalité des ses décisions de refus.

(14 novembre 2018, Ministre de la culture, n° 420055)

 

9 - Ministre de l’intérieur – Instruction – Compétence pour organiser les services placés sous son autorité – Existence – Absence d’incompétence.

Le requérant sollicitait, notamment, l’annulation, pour excès de pouvoir, de l'instruction n° 17-000407-I du 22 mai 2017 du ministre de l'intérieur relative aux modalités de gestion de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) pour les personnels administratifs du ministère de l'intérieur - " Nouvelle version applicable au 1er janvier 2017 ". Il arguait en particulier de ce qu’aucun texte réglementaire ne fixant le montant minimal de l’indemnité en cause, le ministre ne détenait aucune compétence pour prendre l’instruction litigieuse ; celle-ci paraissait donc entachée d’incompétence. Pour « sauver » cette instruction, le Conseil d’Etat recourt à la vieille théorie issue de l’arrêt Jamart (7 février 1936, p. 172) qui reconnaît au ministre un pouvoir d’organisation des services placés sous son autorité.

Cette solution nous semble contestable car, en l’espèce, il s’agit davantage de l’exercice d’un pouvoir réglementaire que de la simple « organisation du service ». Le raisonnement du requérant est en l’espèce plus convaincant que celui du juge.

 (9 novembre 2018, M. X., n° 412640 et n° 413533)

 

Biens

 

10 - Occupation irrégulière d’un bien privé – Expulsion ordonnée par le juge judiciaire – Concours de la force publique sollicité et refusé – Conclusion d’une transaction – Annulation pour illégalité – Préjudice résultant de l’absence de concours de la force publique – Détermination.

Une SCI sollicite et obtient du juge judiciaire l’expulsion d’occupants sans titre de locaux dont elle est devenue propriétaire. Ayant demandé en vain le concours de la force publique, elle obtient du tribunal administratif condamnation de l’Etat à réparer le préjudice résultant de cette inexécution et l’injonction à procurer dans le mois ledit concours. Le ministre de l’intérieur se pourvoit.

Entre-temps, une transaction pour règlement complet et définitif du litige est conclue entre le préfet et la SCI.

Le ministre de l’intérieur demande, et obtient, l’annulation de cette transaction car le préfet n'était pas compétent pour conclure une transaction emportant renonciation au pourvoi que le ministre de l'intérieur avait formé, le 24 juillet 2017, contre le jugement du tribunal administratif.

Sur le fond, pour apprécier l’ampleur du préjudice subi par la SCI et donc son droit à indemnité, le Conseil d’Etat retient, d’une part, que le refus du préfet d’accorder le concours de la force publique était fondé sur des préoccupations d’ordre public car l’expulsion concernait 200 personnes ne pouvant être sérieusement relogées, et d’autre part, que le juge judiciaire avait accordé un délai de grâce aux occupants illégaux jusqu’au 25 septembre 2016. C’est donc seulement à compter de cette dernière date que doit être déterminé le montant de l’indemnisation à laquelle peut prétendre la SCI.

(9 novembre 2018, Ministre de l’Intérieur, n° 412696)

 

11 - Appartenance au domaine public – Détermination sur renvoi de l’autorité judiciaire – Ordonnance du 7 janvier 1959 relative à la voirie routière – Affectation à l’usage direct du public – Caractère de voie publique.

Il résulte des dispositions de l’art. 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative à la voirie des collectivités locales que sont devenues voies communales à cette date notamment « les voies urbaines ». Il s’ensuit que font partie de la voirie urbaine et appartiennent au domaine public communal les voies, propriétés de la commune, situées dans une agglomération, qui étaient, antérieurement à l'intervention de l'ordonnance du 7 janvier 1959, affectées à l'usage du public. Il n’est pas nécessaire qu’interviennent des décisions expresses de classement.

En l’espèce, il résulte des pièces du dossier que le chemin litigieux et la section perpendiculaire à celui-ci étaient situés en agglomération à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance du 7 janvier 1959. Ils font donc partie de la voirie urbaine et appartiennent au domaine public communal pour autant qu'ils soient propriétés de la commune et qu'ils aient été affectés à l'usage du public à une date antérieure à celle de l'entrée en vigueur de l'ordonnance précitée. 

(28 novembre 2018, Commune de la Frette, n° 418827)

 

Collectivités territoriales

 

12 - Polynésie française – « Loi de pays » – Régime contentieux – Délai de recours – Forclusion – Rejet.

Il résulte des dispositions de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française que les recours contentieux contre les actes administratifs dits « lois de pays » doivent, à peine de forclusion, être formés dans le mois suivant leur publication à titre d’information au Journal officiel de la Polynésie française (art. 176, II, L.O.). Semblablement, de tels actes, sauf s’ils portent sur des impôts ou taxes, ne peuvent plus, après leur promulgation, faire l’objet d’un recours contentieux par voie d’action (art. 180 L.O.).

(7 novembre 2018, M. X. et autres, n°s 420284, 420289, 420402, 420407)

 

13 - Action en justice d’un contribuable en lieu et place de sa collectivité négligente – Conditions de mise en œuvre – Action pénale envisagée – Action dépourvue de toute chance de succès – Rejet du recours.

Des dispositions du code général des collectivités territoriales permettent aux contribuables d’exercer une action en justice – de plein contentieux non de légalité - au nom et pour le compte d’une collectivité, ou de tout autre entité, territoriale lorsque celle-ci, mise en demeure de le faire, néglige de pourvoir à la défense de ses intérêts. Pour cela, le contribuable doit être autorisé par le tribunal administratif, prenant ici une décision admininistrative, non un jugement, à ester en justice au nom de la personne publique défaillante ou négligente.

Plusieurs conditions sont cumulativement exigées pour que soit donnée cette autorisation ; le défaut de l’une d’elles, empêche l’octroi de l’autorisation.

En l’espèce, le demandeur entendait déposer une plainte contre X avec constitution de partie civile pour prise illégale d'intérêts, complicité, recel et complicité de recel de prise illégale d'intérêts. Constatant que cette action pénale, régie par l’art. 432-12 du code pénal, n’avait aucune chance de prospérer, les premiers juges ont refusé d’accorder l’autorisation sollicitée. Ils sont confirmés par le Conseil d’Etat.

 (9 novembre 2018, M. X., n° 421082)

 

14 - Transformation d’un syndicat mixte en une société publique locale (SPL) – Participation d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales à une société publique locale – Conditions posées par les articles L. 1521-1, L. 1524-5 et L. 1531-1 CGCT – Exception prévue au 2ème alinéa de l’art. L. 1521-1 CGCT.

Lors de la transformation d’un syndicat mixte en société publique locale, deux cas peuvent se présenter concernant l’appartenance d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales à la SPL. Par exception, lorsque l’objet social de cette dernière se situe dans le cadre d’une compétence que la commune n’exerce plus du fait de son transfert à une intercommunalité, la commune peut participer aux organes de la SPL. En revanche, en dehors de cette hypothèse la participation de la collectivité à la SPL est exclue. En effet, sa qualité de membre lui permettrait de participer à la prise de décisions par la SPL alors qu’elle n’exerce pas l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet social de la SPL.

(14 novembre 2018, Syndicat mixte pour l'aménagement et le développement des Combrailles (SMADC), n° 405628)

 

Contrats

 

15 - Responsabilité légale – Garantie décennale – Elément dissociable de l’ouvrage – Régime de la garantie – Système de chauffage d’une salle communale – Garantie inapplicable.

La garantie décennale des constructeurs est due en cas de dommages survenus soit sur l’ouvrage lui-même, soit sur des éléments qui en sont indissociables, soit sur des éléments dissociables si leur dysfonctionnement est tel qu’il rend l’ouvrage impropre à sa destination.

En l’espèce étaient en cause le mauvais fonctionnement d’un silo alimentant une chaudière à bois ainsi que le mauvais fonctionnement de cette dernière. Si le silo et la chaudière forme entre eux un tout, en revanche ils sont dissociables de l’ouvrage que constitue la salle. Comme les désordres qui en résultent ne rendent pas celle-ci impropre à sa destination, la garantie décennale ne saurait jouer en l’espèce. C’est donc à bon droit que la cour administrative d’appel en a jugé ainsi. Le pourvoi de la commune est rejeté.

(9 novembre 2018, Commune de Saint-Germain-le-Châtelet, n° 412916)

 

16 - Marché public de travaux – Construction d’un quai maritime à Wallis-et-Futuna – Régime spécifique de recours contentieux en matière contractuelle – Art. L. 551-24 CJA.

Il résulte des dispositions spécifiques de l’art. L. 551-24 CJA, applicables en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna, que, d’une part, le juge du référé précontractuel peut y être saisi en cas de manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence résultant de l'ensemble des dispositions applicables dans ce territoire, dont font partie les principes généraux de la commande publique et les dispositions de l'ordonnance du 23 juillet 2015, d’une demande d’annulation de la procédure de passation d’un marché public et que, d’autre part, le demandeur peut former un pourvoi en cassation contre l’ordonnance rejetant son recours. En revanche, dès la signature du marché litigieux ces actions ne sont plus possibles.

Il y a là une limitation excessive au droit d’action en justice.

(12 novembre 2018, Société Boyer, n° 423103)

 

17 - Marché à procédure adaptée – Marché de gardiennage et de sécurité – Référé précontractuel – Offre anormalement basse – Offre irrégulière – Annulation de la partie de l’ordonnance de référé s’appliquant au stade antérieur à la phase de sélection des offres.

Le juge du référé précontractuel ayant accueilli le recours d’une société candidate au lot n° 1 d'un marché public de prestations de surveillance, gardiennage et sécurité incendie engagée par la région Réunion, cette dernière saisit le Conseil d’Etat. Sa décision est intéressante en ce qu’elle porte sur des motifs d’irrégularité de l’offre finalement retenue par la région Réunion.

Tout d’abord, à titre de principe, le Conseil d’Etat rappelle qu’il est possible au juge du référé précontractuel de tenir compte des éléments fournis en réponse à des demandes de l'acheteur pour estimer que l'offre de la société attributaire du marché était irrégulière.

Puis, le juge annule deux motifs d’irrégularité retenus en première instance et confirme le troisième.

Il estime, s’agissant d’une « indemnité de panier » instaurée par une convention collective, que l’offre ne pouvait être déclarée irrégulière  au seul motif qu'elle ne prévoyait, au titre de cette indemnité forfaitaire, qu'une somme insuffisante par heure et par salarié affecté à l'exécution du marché, sans vérifier si ce montant moyen était suffisant au regard de la durée des vacations prévues par l'offre, dont une partie était inférieure à 6 heures de travail continues et n'ouvrait, dès lors, pas droit à l'indemnité de panier.

Il juge également, s’agissant de la prise en charge - prévue par le code du travail - des déplacements des salariés par des transports publics ou à vélo, que l’offre ne pouvait être dite irrégulière du seul fait que celle-ci ne fixait aucun montant pour le remboursement des frais de déplacement des salariés entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail accomplis au moyen de transports publics de personnes, en méconnaissance des dispositions précitées du code de travail, alors qu'il n'était pas établi que de tels remboursements seraient dus aux salariés de la société attributaire dans le cadre de l'offre qu'elle soumettait.

Enfin, en revanche, il estime justifiée l’ordonnance en ce qu’elle déclare irrégulière l’offre basée sur un taux insuffisant de prévoyance au regard de la réglementation issue des clauses générales de la convention collective nationale des entreprises de prévention et sécurité. Cependant, cette annulation pour irrégularité de l’offre ne concerne que la procédure postérieure à la phase de sélection des offres, la phase antérieure à cette sélection demeure juridiquement valable.

(23 novembre 2018, Région Réunion, n° 422143)

 

18 - Marché public de fourniture de kits de dépistage immunologique du cancer colorectal et à la gestion de la solution d'analyse des tests immunologiques quantitatifs de dépistage – Candidats évincés – Recours précontractuel – Recours en annulation du contrat – Conditions du recours – Erreur sur le coût du contrat – Absence de vice du consentement – Coût prévisionnel erroné dépassant l’enveloppe budgétaire allouée au marché – Annulation d’un marché avec effet différé – Contrariété à l’intérêt général de la santé publique – Moyens invocables au soutien d’une demande d’annulation d’un contrat – Recours du tiers à un contrat limité à la seule atteinte directe et certaine aux intérêts de ce tiers – Illicéité d’un contrat – Notion.

Cette décision a le mérite de revisiter plusieurs aspects importants – et disputés - du droit des contrats administratifs.

Des société de biologie médicale sollicitent, d’une part, l’annulation (ou, à défaut, la résiliation) d’un marché public conclu le 19 décembre 2014 par la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) avec la société Cerba, relatif à la fourniture de kits de dépistage immunologique du cancer colorectal et à la gestion de la solution d'analyse des tests immunologiques quantitatifs de dépistage, et, d'autre part, qu’injonction soit faite à la CNAMTS de communiquer les documents relatifs à la procédure de passation et au marché signé. Ces demandes, rejetées en première instance, sont accueillies en appel ; la cour différant les effets de l’annulation du marché au 1er août 2018.

La société attributaire du marché et le pouvoir adjudicateur saisissent le Conseil d’Etat. Celui-ci leur donne raison.

Après avoir rappelé en substance la ligne jurisprudentielle édifiée à partir des arrêts Département de Tarn-et-Garonne (Assemblée, 4 avril 2014, Rec. 70) et Syndicat mixte des transports en commun Hérault transport (Section, Rec. 10), le juge examine les différents griefs avancés devant la juridiction d’appel.

En premier lieu, il n’avait pas été précisé que les prix de l’attributaire du marché étaient exprimés hors taxes celui-ci estimant – à tort – que la TVA ne leur était pas applicable, de sorte que la Caisse a pu être trompée sur le montant réel du coût du marché, addition faite de la TVA à verser au Trésor ; cela d’autant plus que, de ce fait, le coût total du marché excédait l’enveloppe budgétaire allouée pour ce marché. La cour administrative d’appel y avait aperçu, pour ce double motif, un vice du consentement de la part de la Caisse. Le Conseil d’Etat, sans s’expliquer réellement, voit dans ce raisonnement une qualification inexacte des faits. On attend la démonstration de cette abrupte conclusion.

En deuxième lieu, usant de son pouvoir de modulation, la cour a reporté les effets de l’annulation qu’elle prononçait, au 1er août 2018. Le Conseil d’Etat casse cette solution motif pris de ce que le cancer colorectal est l’un des plus fréquents et des plus meurtriers et qu’il importe d’assurer la continuité de son dépistage dans l’intérêt général de la santé publique. Cette annulation porte une atteinte excessive à l’intérêt général.

Statuant, après ces annulations, comme juge d’appel et donc du fond, le Conseil d’Etat juge ceci.

Au plan procédural, il est rappelé que « la circonstance qu'un concurrent évincé ait d'abord formé un référé précontractuel afin d'obtenir l'annulation de la procédure de passation ne fait pas obstacle à ce qu'il saisisse ensuite le juge administratif d'un recours en contestation de la validité du contrat ; que la circonstance que son offre ait été rejetée comme irrégulière n'est pas non plus de nature à le priver de la possibilité de faire un tel recours ».

Ensuite, il est relevé que les concurrents évincés ne pouvant invoquer que des vices d’ordre public ou des manquements en rapport direct avec leur éviction, c’est à bon droit que le tribunal administratif a écarté tous ceux des moyens portant sur des éléments insusceptibles de les avoir lésés en contribuant à leur éviction.

Egalement, et contrairement à ce que soutenaient les sociétés évincées, la circonstance que l’offre retenue était, comme celles rejetées, irrégulière et inacceptable, si elle peut constituer un vice entachant le contrat finalement conclu, n’a pas pour effet de rendre le contrat illicite dès lors que n’existe pas un vice d’ordre public. Or, pour qu’un contrat soit jugé illicite il faut que « l'objet même du contrat, tel qu'il a été formulé par la personne publique contractante pour lancer la procédure de passation du contrat ou tel qu'il résulte des stipulations convenues entre les parties qui doivent être regardées comme le définissant, est, en lui-même, contraire à la loi, de sorte qu'en s'engageant pour un tel objet, le cocontractant de la personne publique la méconnaît nécessairement ». Tel n’est pas le cas en l’espèce car la circonstance de prix annoncés hors taxe et le dépassement de l’enveloppe budgétaire résultant directement de cela ne touchent point à l’objet du contrat. On ne peut s’empêcher de constater qu’avec une conception aussi rigidement étroite de l’illicéité contractuelle, il ne sera plus guère possible que des contrats puissent être contestés.

Cette très longue décision relève plus de la science administrative que du droit. Ce dernier y est constamment mis entre parenthèses dès lors que, d’un point de vue de sociologie administrative, il a été décidé qu’un tel marché ne devait pas être annulé.

(9 novembre 2018, Sociétés Cerba et Delapack Europe B.V., n° 420654, et Caisse nationale d'assurance maladie, n° 420663)

 

19 - Marché public de maîtrise d’œuvre – Décompte du marché sans réserve – Décompte définitif – Impossibilité de rechercher la responsabilité contractuelle de participants à l’opération de construction – Désordres apparus postérieurement à l’établissement du décompte – Action en responsabilité contractuelle impossible – Possibilité d’invoquer la garantie biennale et/ou la garantie décennale.

Le maître d’ouvrage qui n’a ni sursis à l’établissement du décompte définitif ni assorti celui-ci de réserves, ne peut plus, après notification du décompte, mettre en cause la responsabilité contractuelle de l’un des participants à l’opération du fait des désordres affectant l’ouvrage, y compris lorsqu’ils sont apparus postérieurement à l’établissement et à la notification du décompte.

Seules sont alors possibles la mise en jeu de la garantie décennale et celle de la garantie biennale.

(19 novembre 2018, Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture, n° 408203)

 

20 - Marché public de travaux – Rénovation de certaines parties d’un complexe aquatique - Procédure de dialogue compétitif – Contestation, par un candidat non retenu, de l’attribution du marché – Annulation du marché confirmée en cassation – Refus d’indemniser annulé en cassation.

Suite à l’attribution, par une communauté d’agglomération, du marché de travaux publics de rénovation d’un complexe aquatique à un concurrent, la société SNIDARO saisit le juge d’une demande d’annulation du marché conclu et d’une demande indemnitaire ; les premiers juges, confirmés par la cour d’appel, annulent le marché et rejettent la demande indemnitaire. La cour rejette en outre l’appel incident de la communauté d’agglomération dirigé contre l’annulation du marché. La société SNIDARO forme un pourvoi principal et la communauté d’agglomération un pourvoi incident.

Le pourvoi incident reproche à la cour d’avoir jugé que, dans les circonstances de l’espèce, il ne pouvait être recouru à la procédure de dialogue compétitif car faisait défaut la condition prévue au 1° de l’art. 36 du code des marchés alors applicable. Selon ce texte il est possible de recourir au dialogue compétitif lorsque « Le pouvoir adjudicateur n'est objectivement pas en mesure de définir seul et à l'avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins ». Or la cour relève que le marché litigieux portait sur la reprise de désordres ne présentant pas un caractère inhabituel pour des équipements de ce type, que les incertitudes portant sur la meilleure façon d'y remédier n'étaient pas telles que la communauté d’agglomération  pût être regardée comme n'étant pas en mesure de définir seule et à l'avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins, eu égard aux éléments d'information dont elle disposait ou pouvait disposer à la date à laquelle elle avait décidé de passer le marché. Par suite, la condition lui permettant de recourir à la procédure du dialogue compétitif n'était pas remplie. Le Conseil d’Etat approuve ce raisonnement.

Le pourvoi principal portait sur le refus opposé par les juges du fond à la demande d’indemnisation de la société SNIDARO. Le Conseil d’Etat annule sur ce point l’arrêt d’appel. Il lui reproche d’avoir jugé que, dans la mesure où cette société avait remis une offre finale dans le cadre de procédure de passation du marché, l'irrégularité ayant affecté cette procédure de passation ne pouvait pas être regardée comme la cause directe de son éviction. En effet, lorsqu'il est établi qu’une irrégularité a affecté la procédure de passation, il appartient au juge, saisi par un candidat à l'attribution du contrat litigieux, de vérifier si cette irrégularité est susceptible d'avoir eu une incidence sur le sort de ce candidat afin de déterminer s'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par celui-ci. En l’espèce, en s'abstenant de vérifier si le recours irrégulier par la communauté d’agglomération à la procédure de dialogue compétitif était susceptible d'avoir eu une incidence sur l'éviction du groupement dont faisait partie la société SNIDARO, la cour a commis une erreur de droit.

(19 novembre 2018, Société SNIDARO, n° 413305)

 

21 - Marché public relatif à l'intervention des huissiers de justice en vue du recouvrement amiable des créances, amendes, condamnations pécuniaires et produits locaux – Marché passé par le directeur régional des finances publiques d’Île-de-France – Recours d’un tiers contre un contrat – Invocation de l’inexécution d'obligations contractuelles qui, par leur gravité, compromettraient manifestement l'intérêt général – Inexistence en l’espèce à cause du faible nombre d’infractions.

Le groupement d’intérêt économique (GIE) requérant demande l’annulation de la décision administrative refusant de mettre fin à l’exécution d’un contrat de recouvrement amiable des créances, amendes, condamnations pécuniaires et produits locaux. Ce GIE est un tiers par rapport au contrat qui a été conclu avec un autre GIE (dénommé « Groupement des poursuites extérieures »). Il fonde son recours sur le fait que des débiteurs d’amendes ont établi des chèques libellés au profit de ce dernier GIE alors qu’il résulte des dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers et de l'arrêté du 4 août 2006 pris pour son application, que seuls les huissiers de justice ou sociétés titulaires de l'office, et non les groupements d'intérêts économiques auxquels ils appartiennent, peuvent procéder au recouvrement par chèque des amendes. En l’espèce, plusieurs chèques avaient été libellés au nom du GIE titulaire du marché. Voyant là un comportement constitutif « d’inexécutions d’obligations contractuelles qui, par leur gravité, compromettent manifestement l’intérêt général », motif qui est l’un des motifs donnant ouverture à un tiers pour contester un contrat administratif, le GIE requérant a donc demandé l’annulation dudit marché.

Pour rejeter ce recours, comme l’avait fait la cour administrative d’appel, le Conseil d’Etat relève le faible nombre d’infractions, la bonne foi des études d’huissiers concernées ainsi que le montant peu élevé des chèques litigieux.

(30 novembre 2018, Groupement d’intérêt économique « Groupement périphérique des huissiers de justice », n° 416628)

 

22 - Mission de maîtrise d’œuvre confiée à l’Etat – Faute dans l’accomplissement de la mission de surveillance des travaux – Faute simple suffisant à engager la responsabilité – Annulation de l’arrêt contraire sur ce point.

Commet une erreur de droit l’arrêt qui subordonne la condamnation de l’Etat pour défaillance dans sa mission contractuelle de surveillance de travaux à l’existence d’une faute caractérisée d’une gravité suffisante alors que l’existence d’une faute simple suffit en ce cas.

(19 novembre 2018, Société Travaux du Midi Var, n° 413017) V. aussi le n° 74

 

23 - Marché de conception-réalisation pour la construction d'une tribune du stade Francis Le Basser, à Laval – Apparition de désordres – Mise en jeu de la garantie décennale – Recherche de la responsabilité du constructeur par le maître d’ouvrage – Invocation de la méconnaissance de stipulations du cahier des clauses administratives particulières applicable au marché en cause – Absence de lien de causalité – Confirmation de l’arrêt d’appel – Rejet.

Rappelant, en la transposant au cas de l’espèce, une règle essentielle du droit de la responsabilité et du droit de la réparation, le Conseil d’Etat énonce qu'un constructeur dont la responsabilité est recherchée par un maître d'ouvrage n'est fondé à demander à être garanti par un autre constructeur que si et dans la mesure où les condamnations qu'il supporte correspondent à un dommage imputable à ce constructeur.

Or le juge relève qu'à l'appui des conclusions d'appel en garantie qu'elles avaient formées devant les juges du fond à l'encontre d’une société, la société Acore et Mme Bassaler Salva se bornaient à faire valoir que cette société avait méconnu les stipulations du cahier des clauses administratives particulières applicables au marché en s'abstenant de vérifier si une autre société placée sous son contrôle avait souscrit une assurance couvrant sa responsabilité décennale et qu'en raison de ce manquement elles avaient perdu une chance que l'assureur de la société, défaillante en son obligation d’assurance, supporte la charge définitive d'une partie de leur condamnation à indemniser la collectivité publique pour les dommages qu'elle avait subis. Il considère que c’est donc à bon droit que la cour d’appel a rejeté ces conclusions au motif que le manquement invoqué était sans lien direct avec la survenance des désordres pour lesquels la responsabilité de la société Acore et de Mme Bassaler Salva était recherchée.

(19 novembre 2018, Société Acore et Mme Bassaler Salva, n° 413536)

 

24 - Convention d’occupation du domaine public – Décision de non renouvellement à compter du terme de cette convention – Absence de caractère de mesure d’exécution du contrat – Exception de reprise des relations contractuelles – Impossibilité, le non renouvellement d’un contrat ne constituant pas une mesure d’exécution de celui-ci.

La ville de Paris fait savoir à une société exploitant la grande roue sur la place de la Concorde qu’au terme du contrat d’occupation du domaine public actuellement en cours celui-ci ne sera pas renouvelé. Après avoir échoué en cela en première instance, la société saisit le juge du référé suspension du Conseil d’Etat d’une demande d’injonction tendant à ce que la ville de Paris reprenne les relations contractuelles jusqu’au terme du contrat.

En principe, le juge du contrat, lorsqu’il est saisi d’une mesure d’exécution du contrat, ne peut accorder, le cas échéant, qu’une indemnité lorsqu’en sont réunies les conditions d’octroi. Par exception, une action en reprise des relations contractuelles est possible en cas d’irrégularité de la résiliation du contrat. En l’espèce, le contrat devait aller jusqu’à son teme et il n’y avait donc pas de résiliation mais seulement non renouvellement de la convention d’occupation domaniale. L’exception ne pouvait jouer à l’égard d’une mesure qui ne constituait en aucune façon une fin anticipée du contrat.

Par ailleurs, la société invoquait aussi, à l'appui de sa demande tendant ce que soit constatée la nullité de la décision de non-renouvellement et ordonnée la reprise des relations contractuelles, le fait que la durée fixée par la convention serait illégale ; ce moyen est, en ce cas, inopérant.

(21 novembre 2018, Société Fêtes et Loisirs, n° 419804)

 

25 - Contrat de mobilier urbain – Marché public conclu par une commune – Mise à disposition de l’entrepreneur de mobiliers urbains en contrepartie, pour la commune, de prestations d’impression et d’affichage et, pour le titulaire du marché, du droit d’exploiter commercialement lesdits mobiliers urbains – Voirie appartenant à une communauté urbaine – Absence d’incompétence du maire pour passer le marché litigieux.

La commune d’Eysine conclut avec une société un marché aux termes duquel, d’une part, la commune confie à cette société la mise à disposition, l'installation, l'entretien et la maintenance de mobiliers urbains sur le territoire de la commune ainsi que la réalisation de prestations d'impression et d'affichage pour la commune, d’autre part, l’entrepreneur se voit conférer le droit d'exploiter commercialement les mobiliers urbains. Une autre société conteste ce marché dont elle demande l’annulation : son action, rejetée en première instance, est accueillie en appel. Un pourvoi est formé contre l’arrêt d’appel. Pour annuler le marché la cour avait retenu l’incompétence du maire d’Eysine pour conclure un tel marché puisque les supports en cause se trouvaient sur le domaine public routier antérieurement communal dont la gestion avait été transférée à la communauté urbaine dont faisait partie ladite commune.

Pour annuler cette solution le Conseil d’Etat relève que si l’installation de ces mobiliers urbains impliquait une emprise au sol du domaine public routier transféré à la communauté urbaine, cependant le marché litigieux avait pour objet de permettre, notamment, la réalisation et la fourniture de prestations de service en matière d'information municipale par voie d'affichage et répondait ainsi aux seuls besoins de la commune en contrepartie du droit du cocontractant d’exploiter à titre exclusif, à des fins publicitaires, une partie des mobiliers urbains. Or un tel contrat n’est ni une convention domaniale ni une convention de gestion de voirie : il ne peut donc relever de la compétence de la communauté urbaine. La commune était bien compétente pour passer le contrat litigieux.

(30 novembre 2018, Société CDA Publimedia venant aux droits de la société Communication et Développement Atlantique (CDA), n° 414384 ; v. aussi, du même jour, Société Philippe Vediaud Publicité, n ° 414377)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

26 - Procédure fiscale contentieuse – Charte du contribuable vérifié – Faculté pour le contribuable de solliciter des éclaircissements complémentaires de la part de l’inspecteur divisionnaire ou principal puis de faire appel à l’interlocuteur départemental – Conditions de délai – Conditions remplies en l’espèce – Confirmation de l’arrêt d’appel et rejet du recours du ministre de l’économie et des finances.

En cas de contrôle fiscal portant sur la vérification de la compabilité, ici, d’une société, le contribuable a la faculté (art. 10, LPF) de recourir à l’interlocuteur départemental sous condition que sa demande de saisine de cet agent intervienne avant la mise en recouvrement des impositions litigieuses. En l’espèce, l’administration fiscale avait décidé des rappels de TVA et refusé la déduction du déficit reportable. Si elle avait mis en recouvrement les rappels de TVA au moment où la société contribuable a entendu saisir l’interlocuteur départemental, elle n’avait, en revanche, pas mis en recouvrement les impositions supplémentaires découlant du rejet du déficit reportable. La société était donc bien, comme l’a jugé la cour d’appel, dans le délai pour formuler sa demande. Le pourvoi du ministre ne peut qu’être rejeté.

(7 novembre 2018, Socité Orsana, n° 406365)

 

27 - Impôt sur les sociétés – Revenus distribués excédant le montant des distributions déclarées – Non réponse à la demande de désignation des bénéficiaires des distributions – Amende – Bénéficiaires des distributions connus de l’administration – Amende néanmoins justifiée – Arrêt partiellement annulé.

Lorsqu’il existe une distorsion entre le montant de revenus distribués et celui des distributions déclarés par une société, celle-ci doit, sur demande de l’administration, en désigner les bénéficiaires. Faute de réponse, elle se voit infliger une amende. Il en va de même lorsque les bénéficiaires sont en réalité déjà connus de l’administration contrairement à ce qu’avait jugé la cour administrative d’appel. La décision ne nous semble pas briller par son élégance même si elle peut s’autoriser des termes – au reste guère contraignants – des dispositions des art. 117 et 1759 combinés du CGI.

(26 novembre 2018, Sarl RC Immo, n° 411766)

 

28 - Taxe sur les surfaces commerciales – Détermination des surfaces concernées – Détermination du chiffre d’affaires à prendre en compte pour le calcul du taux de la taxe sur les surfaces commerciales.

Cette affaire concerne une société de vente de véhicules automobiles, elle se rattache à un contentieux récurrent et foisonnant, celui de la taxe sur les surfaces commerciales. Il porte sur les deux questions les plus fréquemment rencontrées en cette matière.

Tout d’abord, la question de la détermination des surfaces à prendre en considération. Ici, il est jugé qu'un bureau de 34 m² et une zone de circulation de 30 m² située devant les comptoirs font partie de la surface affectée à la circulation de la clientèle et doivent être incluses dans les « surfaces de vente » sur lesquelles est assise la taxe litigieuse.

Ensuite, se posait la question de la détermination du chiffre d’affaires pour le calcul du taux de la taxe sur les surfaces commerciales. Celui-ci est établi, selon le juge, en retenant l’ensemble des ventes au détail réalisées dans cette surface commerciale sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que l’acheteur est un particulier ou un professionnel, selon que les biens vendus sont ou non ceux présentés ou stockés dans l’établissement, ou encore selon que le véhicule acheté est destiné ou non à l’exportation.

 (12 novembre 2018, Société Brun Valence Motor, n° 414714)

 

29 - Appréciation de la valeur d’un élément d’actif immobilisé – Preuve du caractère exagéré de cette valeur – Charge de la preuve – Non respect, par le contribuable, du délai de réponse qui lui est imparti par l’art. R. 194-1 LPF – Renversement de la charge de la preuve.

Sera retenu de cette décision un point important relatif à la charge de la preuve du caractère exagéré de la valeur vénale d’immeubles selon qu’est ou non respecté le délai fixé à l’art. R. 194-1 du LPF.

En l’espèce, dans un  litige opposant une société immobilière à l’administration fiscale au sujet de la valeur comptable de trois immeubles, la cour administrative avait jugé qu'il appartient dans tous les cas à l'administration de démontrer le caractère exagéré de la valeur d'un élément d'actif immobilisé retenue par le contribuable, quelle que soit la procédure d'imposition et qu'était à cet égard sans incidence la circonstance que ce dernier se soit abstenu de répondre à la proposition de rectification. Annulant ce raisonnement, le Conseil d’Etat rappelle, qu’en principe, lorsque la valeur retenue par le contribuable ne correspond pas à la valeur vénale des actifs en cause, la preuve du caractère erroné de la valeur d'inscription au bilan d'une immobilisation incombe en principe à l'administration. Toutefois, il résulte des dispositions de l'art. R.194-1 LPF, que l’abstention, par le contribuable faisant l'objet d'une procédure contradictoire de rectification, de présenter des observations dans le délai de trente jours qui lui était imparti, a pour effet de renverser la charge de la preuve du caractère erroné de la valeur retenue par l'administration, laquelle incombe alors au contribuable.

(26 novembre 2018, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 413404)

 

30 - Impôt sur les bénéfices agricoles – Activités agricoles exercées à titre professionnel – Exonération de certaines plus-values de cession réalisées dans ce cadre (art. 151 septies CGI) – Prise en compte des droits des associés dans les bénéfices comptables tels qu’ils sont déterminés par les statuts de l’entreprise.

Il résulte du premier alinéa du I et des premier et quatrième alinéas du IV de l'article 151 septies du code général des impôts (CGI), éclairés par les travaux préparatoires des dispositions de la loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001 et de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 relatives à l'article 70 du CGI, que la fraction des recettes réalisées par une société mentionnée aux articles 8 et 8 ter du CGI ou par un groupement non soumis à l'impôt sur les sociétés, dont il est tenu compte pour ses associés, en application du quatrième alinéa du IV, est calculée en fonction de la proportion de leurs droits dans les bénéfices comptables de la société ou du groupement, tels qu'ils résultent du pacte social. Commet donc une erreur de droit la cour d’appel qui, pour juger que ces rémunérations avaient, à bon droit, été réintégrées par l’administration fiscale car elles ne constituent pas une charge venant en déduction mais doivent être comprises dans le bénéfice distribué aux associés.

 (14 novembre 2018, M. X., n° 407063 ; du même jour, v. aussi, M. X., n° 407065)

 

31 - Charte du contribuable – Absence d’opposabilité à l’administration fiscale – Caractère de simple recommandation – Impossibilité d’invoquer les principes de loyauté et de sécurité juridique sur la base de la Charte.

Au rebours de l’évolution contemporaine qui reconnaît fréquemment des effets de droit attachés au « droit souple », le Conseil d’Etat juge, dans cette décision, qu’un contribuable ne peut se prévaloir des dispositions de la Charte du contribuable établie et mise en ligne par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie le 2 septembre 2005.

Il considère, en effet, qu’aucune disposition du livre des procédures fiscales ne rend opposable à l'administration ce document car il ne contient que de simples recommandations. De plus, l'article L. 80 A du LPF (sur les changements de doctrine administrative) ne peut utilement être invoqué à l'appui de la contestation de la régularité de la procédure d'imposition. Même s’il résulte tant des propos liminaires de cette Charte que d’un communiqué de presse du 17 octobre 2005, que le ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat a indiqué que les contribuables pourraient se prévaloir de la Charte auprès de l'ensemble des agents de l'administration fiscale et que son contenu engageait l'administration, ces éléments ne sauraient avoir pour effet, en l'absence de toute disposition donnant compétence au ministre pour édicter de telles dispositions, de rendre la Charte légalement opposable à l'administration fiscale. Par suite, c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a écarté le moyen des demandeurs tiré de ce qu'aurait été méconnu le principe de loyauté et de sécurité juridique en raison du caractère non opposable de cette Charte.

(30 novembre 2018, M. et Mme X., n° 411418)

 

32 - Régime fiscal optionnel – Délai d’option non respecté – Régularisation toujours possible sauf disposition contraire expresse de la loi.

Dans une décsion très innovante le Conseil d’Etat pose, pour la première fois avec cette netteté semble-t-il, le principe que les dispositions qui instituent un régime fiscal optionnel et prévoient que le bénéfice de ce régime doit être demandé dans un délai déterminé n'ont, en principe, pas pour effet d'interdire au contribuable qui a omis d'opter dans ce délai de régulariser sa situation dans le délai de réclamation prévu à l'article R. 196-1 du LPF. Cependant, il en va autrement si la loi a prévu que l'absence d'option dans le délai qu'elle prévoit entraîne la déchéance de la faculté d'exercer l'option ou lorsque la mise en oeuvre de cette option implique nécessairement qu'elle soit exercée dans un délai déterminé.

(26 novembre 2018, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 417628 ; v. aussi, du même jour, le n° 417630)

 

33 - Procédure fiscale non contentieuse – Rectification en vue de rehaussements de la base imposable – Bénéfices non commerciaux – Portée de l’art. L. 76B du livre des procédures fiscales (LPF) – Etendue de l’obligation d’information et de l’obligation de communication prévues à l’art. 76B du LPF – Violation – Annulation partielle de l’arrêt d’appel.

L’article L. 76 B du LPF dispose : « L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ».

Le Conseil d’Etat se prononce sur la portée respective des deux phrases qui composent cet article.

S’agissant de l'obligation faite à l'administration fiscale, qui découle de la première phrase de cet article, d'informer le contribuable de l'origine et de la teneur des renseignements qu'elle a utilisés pour procéder à des rectifications, il estime qu’elle a pour objet de permettre à celui-ci, notamment, de discuter utilement leur provenance ou de demander que les documents qui, le cas échéant, contiennent ces renseignements, soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent, afin qu'il puisse vérifier l'authenticité de ces documents et en discuter la teneur ou la portée. Par suite, le non respect de ces dispositions par l'administration, dans la mesure où elles constituent une garantie pour l'intéressé, est normalement sanctionné par la nullité de la décision subséquente. Toutefois lorsque, comme au cas de l’espèce, il est établi qu'eu égard à la teneur du renseignement, nécessairement connu du contribuable, celui-ci n'a pas été privé, du seul fait de l'absence d'information sur l'origine du renseignement, de cette garantie, cette méconnaissance est sans conséquence sur le bien-fondé de l'imposition.

S’agissant de la faculté reconnue au contribuable de demander à l'administration, la communication des documents en sa possession qu'elle a obtenus auprès de tiers et qu'elle a utilisés pour établir les redressements, le Conseil d’Etat juge que ces documents doivent, à peine de nullité de la procédure, être communiqués au contribuable, même si le contribuable a pu avoir par ailleurs connaissance de ces renseignements. 

(21 novembre 2018, M. et Mme X., n° 410741)

 

34 - Plus-values de cession de titres – Détermination du montant imposable – Cas de l’acquisition de titres par acquisition de titres annulés consécutivement à une réduction du capital précédant une augmentation de capital – Coût d’acquisition s’ajoutant en ce cas au prix d’acquisition proprement dit – Réponse négative.

Dans une décision dont ne se perçoivent ni la pertinence économique ni le caractère judicieux, le Conseil d’Etat juge que pour déterminer la plus-value imposable en cas de cession de titres il convient de déduire du prix de cession diminué des frais liés à cette cession, le montant du prix d’acquisition augmenté des frais et taxes acquittés lors de l’acquisition. En revanche, lorsque cette acquisition a eu lieu au moment d’une réduction du capital par achat des titres annulés avant une augmentation subséquente du capital, il n’y a pas lieu d’ajouter au prix d’acquisition les frais particuliers liés à l’achat de titres annulés.

(28 novembre 2018, M. X., n° 417875)

 

35 - Redevances pour service rendus – Contrepartie directe d’une prestation servie ou d’un service rendu au bénéfice d’usagers déterminés – Opérations ne relevant pas de missions incombant par nature à l’Etat – Cas des redevances pour détection de passagers clandestins imposées aux transporteurs ferroviaires empruntant le tunnel sous la Manche.

Le Conseil d’Etat censure un arrêt d’appel qui avait jugé que n’avait pas le caractère d’une redevance pour service rendu la prestation de sûreté imposée par la SNCF aux transporteurs ferroviaires empruntant le tunnel sous la Manche. Cette prestation est destinée à financer le contrôle, la surveillance et le gardiennage des trains de marchandises stationnés sur le site du faisceau du tunnel de Calais-Fréthun, comprenant notamment la détection de la présence éventuelle de personnes non autorisées à bord des trains. La cour d’appel avait vu dans ces missions l’exercice d’une prérogative de puissance publique et en avait donc déduit qu’il ne pouvait s’agir d’une redevance. Le Conseil d’Etat ayant refusé à ces pouvoirs la qualification de prérogatives de puissance publique (cf. n° 103), ce pouvait donc être une redevance pour autant que fussent réunies les deux conditions jurisprudentielles permettant une telle qualification (Sect. 10 février 1995, Chambre syndicale du transport aérien, n° 148035). C’est sur ce point que l’arrêt est important en raison de la précision et de la clarté de la définition, qu’il rappelle, de la redevance.

En premier lieu, une redevance pour service rendu doit trouver sa contrepartie directe dans une prestation rendue au bénéfice propre d'usagers déterminés (Ass. 21 novembre 1958, Syndicat national des transporteurs aériens, Rec. 572). En second lieu, une telle redevance ne peut être instituée que pour financer des opérations qui ne relèvent pas de missions qui incombent par nature à l'Etat (Ass. 30 octobre 1996, Mmes Wajs et Monnier, Rec. 387).

(28 novembre 2018, SNCF Réseau, n° 413839) V. aussi le n° 103

 

Droit public économique

 

36 - Aide à la restructuration et à la reconversion du vignoble – Contrôle exercé sur place par un agent non autorisé à pénétrer dans l’exploitation non close – Question préjudicielle à la CJUE – Compatibilité ou non des dispositions du règlement d’application du 27 juin 2008 avec le principe d'inviolabilité du domicile tel que garanti par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme – Réponse négative – Annulation de l’arrêt d’appel contraire. 

La CJUE ayant dit pour droit, dans son arrêt du 7 août 2018, que les articles 76, 78 et 81 du règlement du 27 juin 2008 doivent être interprétés en ce sens qu'ils n'autorisent pas les agents qui procèdent à un contrôle sur place à pénétrer sur une exploitation agricole – même non close - sans avoir obtenu l'accord de l'exploitant. Or, en l’espèce, l’agent contrôleur de FranceAgriMer avait pénétré dans une propriété viticole sans avoir sollicité l’autorisation de le faire. Alors que la cour administrative avait jugé que cette pénétration irrégulière était sans incidence sur la légalité de la décision de rejet de sa demande d'aide à la restructuration du vignoble, le Conseil d’Etat juge – à juste titre – le contraire. Cette prohibition constitue en effet une garantie pour la personne contrôlée et son irrespect nullifie entièrement la procédure subséquente.

(14 novembre 2018, SCI Château du Grand Bois, n° 389254 ; v. aussi l’arrêt de renvoi à la CJUE du 30 janvier 2017, n° 389254)

 

37 - « Plan de campagne » de soutien au marché national français des fruits et légumes – Qualification d’aides d’Etat par la Commission européenne – Récupération de ces aides auprès des bénéficiaires finaux – Absence d’indications complètes, par l’organisation de producteurs, de ces bénéficiaires finaux – Récupération directe des sommes versées sur l’organisation de producteurs.

Une société civile agricole de producteurs de fraises reçoit des aides publiques destinées à soutenir le marché français des fruits et légumes.  Ces aides ayant été qualifiées « aides d’Etat » par les instances européennes, FranceAgriMer entreprend de les récupérer sur les producteurs réunis dans cette SCA. Celle-ci, interrogée à cet effet, ne donne que des réponses très partielles portant sur un petit nombre de producteurs, FranceAgriMer impute directement à la SCA les paiements à intervenir. Cette dernière est déboutée et en première instance et en appel ; elle se pourvoit en cassation. Le Conseil d’Etat rejette les deux arguments développés au soutien du pourvoi.

En premier lieu, il estime que si la décision de récupération d’aides d’Etat doit être motivée au sens de la loi du 11 juillet 1979 en revanche, les titres exécutoires accompagnant cette décision doivent être motivés non sur le fondement des dispositions de cette loi mais sur celles des articles 117 et 118 du décret spécifique du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.

En second lieu, c’est à bon droit que FranceAgriMer, faute que la SCA ait apporté les précisions nécessaires permettant d’identifier les bénéficiaires finaux des sommes à récupérer, en a réclamé le paiement directement à la SCA.

(14 novembre 20018, Société coopérative agricole (SCA) Vergt Socave, n° 411208)

 

38 - Appellations d’origine contrôlée – Appelation « Comté » – Enregistrement par la Commission européenne de l’appellation et de son cahier des charges – Instance pendante devant la juridiction nationale concernant le cahier des charges – Difficulté sérieuse d’interprétation – Renvoi préjudiciel à la CJUE.

Est renvoyée à la CJUE, car elle présente une difficulté sérieuse d’interprétation, la question suivante : « L'article 53 du règlement (UE) n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, l'article 6 du règlement délégué (UE) n° 664/2013 de la Commission du 18 décembre 2013, complétant le règlement (UE) n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne l'établissement des symboles de l'Union pour les appellations d'origine protégées, les indications géographiques de provenance, certaines règles procédurales et certaines règles transitoires supplémentaires, et l'article 10 du règlement d'exécution (UE) n° 668/2014 de la Commission du 13 juin 2014, portant modalités d'application du règlement (UE) n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil en lien avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doivent-ils être interprétés, en ce sens que, dans l'hypothèse particulière où la Commission européenne a fait droit à la demande des autorités nationales d'un Etat membre tendant à la modification du cahier des charges d'une dénomination et à l'enregistrement de l'appellation d'origine contrôlée, alors que cette demande fait encore l'objet d'un recours pendant devant les juridictions nationales de cet Etat, celles-ci peuvent décider qu'il n'y a plus lieu de statuer sur le litige pendant devant elle ou, si, compte tenu des effets attachés à une annulation éventuelle de l'acte attaqué sur la validité de l'enregistrement par la Commission européenne, elles doivent se prononcer sur la légalité de cet acte des autorités nationales ». 

(14 novembre 2018, Groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) Jeanningros, n° 415751)

 

Droit social et action sociale

 

39 - Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales – Composition du conseil d’administration – Demande d’abrogation du décret la fixant – Non cumul des fonctions d’administrateur de la Caisse et de celles d’administrateur des sections professionnelles – Représentativité des organisations syndicales – Détermination – Absence d’illégalité – Rejet du recours.

Des requérants demandent l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite née du silence gardé par le premier ministre sur leur demande d'abrogation du décret n° 2016-1391 du 17 octobre 2016 relatif à la composition du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales.

Par ce décret, son auteur, sur le fondement de l'article L. 641-4 du code de la sécurité sociale, a fixé la composition du conseil d’administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales en y incluant des représentants des organisations syndicales interprofessionnelles des professions libérales. Ces derniers siégeant en vertu de leur qualité propre et non en vertu d’un mandat, il était loisible au pouvoir réglementaire, contrairement à ce que soutenaient les requérants, de ne pas fixer la durée de ces fonctions, celles-ci cessant sur demande des organisations dont ils émanent.

Pareillement, et contrairement au reproche formulé sur ce point par les requérants, il était loisible à l’auteur du décret attaqué de prévoir que, à la différence des administrateurs de la Caisse nationale qui sont présidents de sections professionnelles, ceux représentant les organisations syndicales interprofessionnelles ne peuvent pas occuper simultanément des fonctions d'administrateur des sections professionnelles de cette même caisse.

Enfin, c’est sans pertinence que les requérants critiquent la clé de répartition des sièges alloués aux organisations syndicales, celle-ci ayant été établie sur des critères clairs, objectifs et pertinents.

(9 novembre 2018, Fédération des médecins de France et M. X., n° 411485)

 

40 - Représentativité d’un syndicat professionnel d’employeurs – Appréciation de cette représentativité – Critère de la transparence financière – Critère de l’implantation territoriale équilibrée au sein de la branche – Conditions satisfaires – Annulation de l’arrêt jugeant le contraire.

Une cour administrative d’appel, saisie d’une demande en ce sens de plusieurs unions ou syndicats professionnels d’employeurs, annule la décision du ministre du travail reconnaissant l’Organisation des transports routiers européens (OTRE) comme représentative dans le champ d'application de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport. D

La cour juge que, d’une part, cette entité ne satisfait pas au critère de transparence financière faute que ses comptes, dès lors qu’ils excèdent un certain seuil, aient été certifiés par un commissaire aux comptes, et d’autre part, elle n’est pas répartie sur le territoire de manière aussi équilibrée que d’autres organisations de ce type. L’Otre se pourvoit et le Conseil d’Etat lui donne raison en cassant l’arrêt d’appel sur les deux points de sa motivation.

La cour s’est méprise sur l’obligation qui aurait incombé à l’Otre d’obtenir une certification de ses comptes par un commissaire aux comptes en cas de dépassement du plafond de ressources de 230.000 euros, car cette obligation ne s’impose que l’année suivant celle au cours de laquelle se produit le dépassement.

La cour a commis une seconde erreur de droit dans son appréciation du critère de représentation territoriale ; alors qu’elle devait borner son examen à la seule question de savoir si la répartition des activités de l’Otre était en elle-même suffisamment équilibrée sur l’ensemble du territoire national, elle a comparé cette répartition avec celles des organisations syndicales requérantes en appel.

(14 novembre 2018, Organisation des transports routiers européens (OTRE), n° 406007)

 

41 - Protection complémentaire en matière de santé – Notion de « foyer » (R. 861-2 du code de la séc. soc.) – Demande par une personne appartenant au foyer – Appréciation des ressources au niveau de l’ensemble du foyer.

Les personnes dont les ressources n’excèdent pas un certain plafond ont droit à une couverture supplémentaire en matière de santé. L’appréciation du montant des ressources se fait par « foyer », notion définie à l’art. R. 861-2 du code de la sécurité sociale. En l’espèce, un majeur de moins de 25 ans sollicite cette protection complémentaire et se voit opposer un refus du fait de ses seules ressources. Le Conseil d’Etat censure cetre décision car il résulte de la notion de « foyer » que cette personne vivant avec ses parents le montant des ressources doit être apprécié au niveau de l’ensemble des membres composant le foyer et cela alors même que la demande de protection complémentaire est faite par une personne qui, selon le texte précité, n’est pas au nombre de celles à qui il appartient de faire une telle demande.

(30 novembre 2018, M. X., n° 417241)

 

42 - Transports routiers – Taux de majoration des heures supplémentaires – Règles dérogatoires fixées par décret – Impossibilité pour le pouvoir réglementaire de déroger à une règle légale à défaut d’autorisation législative.

Aucune disposition législative ne permet au pouvoir réglementaire de déroger à la règle légale déterminant le taux de majoration des heures supplémentaires mentionné au 1° du I de l’art. L. 3121-33 c. trav. Les dispositions du second alinéa de l’art. L. 2253-3 c. trav. énumérant limitativement les dérogations possibles ne prévoient point de dérogations en cette matière. Il suit de là que le décret n° 2016-1550 du 17 novembre 2016 en tant qu'il insère la deuxième phrase de l'article R. 3312-47 du code des transports est illégal.

(28 novembre 2018, Fédération nationale des transports routiers et Union des entreprises de transport et de logistique en France, n° 410659)

 

43 - Participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue – Cas des entreprises de travail temporaire – Détermination de l’année de référence – Situation juridique des salariés décomptés dans l’assiette de la participation – Violation directe de la règle de droit – Annulation partielle de la lettre administrative réglant ce point.

Une lettre du directeur de la législation fiscale - agissant sur délégation ministérielle -  informe le Fonds d'assurance-formation du travail temporaire, qui est un organisme paritaire collecteur agréé chargé du recouvrement de la participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue auprès des entreprises de travail temporaire, précise les modalités de calcul des effectifs des entreprises à partir desquels est calculé le taux de participation de ces entreprises. Sont retenus deux critères : l’expression « année civile » s’entend de l'année civile précédant l'année de versement des rémunérations et non de l'année de versement, les salariés devant être pris en compte sont ceux titulaires d'un contrat de travail au cours du dernier jour de chacun des mois de cette même année de versement. Par cette lettre valant décision, son auteur entendait expliciter des dispositions du code du travail (notamment les art. L. 6331-1 et L. 1251-54) relatives à cette question. Sur recours du Fonds d'assurance-formation du travail temporaire, le Conseil d’Etat annule cette lettre en tant qu’elle viole directement les dispositions législatives précitées lesquelles, d’une part, entendent par « année civile » celle au cours de laquelle ont lieu les versements et non celle précédant ces versements et d’autre part, décide que ne sont pris en compte que les salariés temporaires qui ont effectué au moins trois mois de mission d'intérim au cours de l'année de versement des rémunérations constituant l'assiette de la participation.

(28 novembre 2018, Fonds d'assurance-formation du travail temporaire, n° 420951)

 

44 - Emploi irrégulier de travailleurs étrangers – Contribution mise à la charge de l’employeur – Obligation pour l’employeur de vérifier la possession d’un document d’identité justificatif de nationalité – Impossibilité de découvrir le caractère frauduleux de la pièce présentée ou l’existence d’une usurpation d’identité – Sanction injustifiée.

Tout employeur a l’obligation, en vertu de dispositions du code du travail transposant une directive européenne, de s’assurer qu’un salarié détient bien des documents attestant de sa nationalité. L’emploi irrégulier de travailleurs étrangers est financièrement sanctionné. En l’espèce, l’employeur avait opéré la vérification qui lui incombait mais les documents présentés étaient des faux ou reposaient sur une usurpation d’identité. L’administration et les juges du fond avaient estimé commise l’infraction alors que l’employeur soutenait n’avoir point les moyens de contrôler l’authenticité des pièces produites ou des mentions qu’elles comportent. Le Conseil d’Etat juge que ce motif justifie la cassation de l’arrêt attaqué. Cette solution de bon sens doit être approuvée.

(26 novembre 2018, Société Boucherie de la paix, n° 403978 ; comparer avec 28 novembre 2018, EARL Soleil des neiges - Bouchet G, n° 416855)

Fonction publique et agents publics

 

45 - Fonctionnaire hospitalier – Congé maladie – Congé de longue maladie – Congé de longue durée – Commission de réforme – Mise à la retraite – Conservation par l’agent, pendant le cours de la procédure, selon les cas, du plein ou du demi-traitement.

Lorsqu'un fonctionnaire hospitalier ayant épuisé ses droits aux congés de maladie, de longue maladie et de longue durée se trouve définitivement inapte à l'exercice de tout emploi, il est admis à la retraite après avis de la commission de réforme.  L'employeur doit, préalablement à la mise à la retraite, obtenir un avis conforme de la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) et accomplir des formalités en vue de la liquidation de la pension. Ainsi, jusqu'à la décision de mise à la retraite, le fonctionnaire bénéficie d'un plein traitement ou d'un demi-traitement selon que sa maladie est ou non imputable au service.

En l’espèce, la procédure n’avait pas été respectée et l’intéressée, malgré l’expiration du délai de recours pour excès de pouvoir contre la décision réglant sa situation statutaire pour sa dernière période d’activité, pouvait cependant exciper de son illégalité au soutien du recours indemnitaire qu’elle avait formé pour obtenir réparation du préjudice qu’elle a subi du fait du caractère irrégulier de cette décision. En conséquence, il lui était dû – pendant 32 mois - un demi-traitement calculé d’abord sur son salaire, puis sur le montant de sa pension de retraite.

(9 novembre 2018, Mme X., n° 414376) V. aussi le n° 72

 

46 - Enseignement supérieur – Enseignant chercheur – Mise en disponibilité pour convenances personnelles – Demande de réintégration dans son emploi – Refus du président de l’université – Substitution de motif par la cour administrative – Légalité dans les circonstances de l’espèce – Rejet du pourvoi.

M. X., professeur des universités à l’Université de Nouvelle-Calédonie, obtient une mise en disponibilité pour convenances personnelles. Il sollicite sa réintégration anticipée dans l’emploi exercé avant son congé. Cela lui est refusé par le président de l’université qui invoque l’absence d’emploi vacant dans cette université. Le tribunal administratif fait droit à la requête en annulation de ce refus dont l’a saisi l’enseignant ; la cour administrative annule ce jugement et le Conseil d’Etat, saisi par l’intéressé, rejette son pourvoi.

Le Conseil d’Etat rappelle qu’à l’issue d’une mise en disponibilité, au terme initialement prévu ou de manière anticipée, les enseignants chercheurs n’ont pas un droit à être réintégrés dans l’établissement où ils étaient affectés au moment de la mise en disponibilité. Le président de l’université pouvait donc refuser sa réintégration dans l’intérêt du service, par exemple pour absence d’emploi vacant.

En l’espèce, c’est ce motif qu’avait retenu le président de l’université mais la cour administrative d’appel opère une substitution de motif en retenant que, compte tenu de la nature et de la notoriété des agissements de M. X. dans cette université, antérieurement à sa mise en disponibilité, sa réintégration dans cette université présentait, à la date à laquelle la demande de réintégration a été rejetée, un risque de troubles au bon fonctionnement de l'université ; l’intérêt du service justifiait ainsi le rejet de sa demande de réintégration. Le Conseil d’Etat approuve la cour.

(14 novembre 2018, M. X., n° 406371)

 

47 - Agent contractuel à durée indéterminée – Autorité de la concurrence – Licenciement – Période d’essai – Modification réglementaire de la durée de la période d’essai – Situation légale et réglementaire – Application immédiate et non rétroactive.

Mme X. est recrutée par la Haute autorité de la concurrence comme agent contractuel chargé des fonctions de rapporteur, pour une période d’essai de 26 semaines, débutant le 15 avril 2014 et renouvelée à compter du 14 octobre 2014 ; elle a été licenciée le 10 mars 2015 avec effet à la date d’expiration de sa période d’essai soit le 14 avril 2015. A cette époque aucune limite à la durée de la période d'essai n'était fixée par les textes applicables ; puis, le décret du 3 novembre 2014 a fixé à quatre mois la durée maximum de la période d’essai pour les agents recrutés sur contrat à durée indéterminée. La cour d’appel avait estimé ce décret applicable aux contrats en cours et jugé que la période d’essai s’était achevée le 15 décembre 2014, huit mois (deux fois quatre mois d’essai) après le 15 avril 2014. Ce raisonnement est censuré car si la condition juridique de l’intéressée était bien légale et réglementaire et si, de ce fait, les dispositions du décret du 3 novembre 2014 étaient d’application immédiate à son contrat, elles ne pouvaient affecter rétroactivement le contrat en cours.

Toutefois, l’arrêt d’appel n’est pas cassé, le Conseil d’Etat opérant une substitution de motifs en décidant que si la seconde période d’essai de Mme X. a débuté le 14 octobre 2014 pour une durée de six mois s’achevant le 14 avril 2015, l’entrée en vigueur, le 6 novembre 2014, du décret précité du 3 novembre 2014 fixant à quatre mois la durée de la période d’essai, a mis un terme à la période d’essai quatre mois après son entrée en vigueur intervenue le 6 mars 2015. La durée de la période d’essai était donc expirée quand a été prise, le 10 mars 2015, la décision de licenciement contestée. A cette date ne pouvait plus être prononcé un licenciement : celui-ci est donc bien illégal, comme jugé par la cour d’appel mais sur la base d’un autre motif substitué à celui retenu par la cour.

(19 novembre 2018, Autorité de la concurrence, n° 413492)

 

48 - Elections aux commissions administratives paritaires – Fonction publique territoriale – Attribution des sièges – Cas des listes n’étant pas arrivées en tête (décr. 17 avril 1989, art. 23) – Cas des listes n’ayant pas présenté de candidats dans tous les groupes hiérarchiques – Répartition des élus.

Lors d’une élection à la commission administrative paritaire des agents de catégorie A du département de la Moselle, les listes présentées par le syndicat CFDT Interco Moselle et par le syndicat CFE-CGC ont chacune obtenu deux sièges de représentants titulaires et la liste présentée par le syndicat FO un siège.

Il restait deux sièges à pourvoir pour le groupe hiérarchique supérieur (groupe 6), pour lequel seul le syndicat CFDT Interco Moselle, arrivé en première position en nombre de suffrages exprimés, avait présenté des candidats, et trois sièges pour le groupe hiérarchique de base (groupe 5), pour lequel les trois syndicats avaient présenté des candidats. A l'issue du scrutin, la liste CFDT Interco Moselle s'est vue attribuer les deux sièges à pourvoir du groupe 6 et aucun siège dans le groupe 5. Les listes CFE-CGC et FO se sont vues attribuer respectivement deux sièges et un siège dans le groupe 5. Le président du bureau de vote a rejeté la demande du syndicat CFDT Interco Moselle tendant au retrait de la décision de répartition des sièges obtenus et à ce qu'un siège lui soit attribué dans le groupe 5. Le tribunal administratif de Strasbourg puis la cour administrative d'appel de Nancy ont rejeté le recours dirigé contre cette décision d’attribution de sièges.

Le Conseil d’Etat approuve la cour d’avoir jugé que si la liste CFDT Interco Moselle, qui avait présenté des candidats dans les groupes hiérarchiques 5 et 6 et obtenu le plus grand nombre de suffrages, devait, en application des dispositions de l'article 23 du décret du 17 avril 1989, bénéficier de la priorité de choix des sièges à pourvoir dans les deux groupes hiérarchiques, l'attribution à ce syndicat d'un siège dans le groupe 5 aurait eu pour effet de priver soit le syndicat CFE-CGC, soit le syndicat FO, dont les listes étaient arrivées respectivement en deuxième et troisième positions, d'obtenir les sièges auxquels les résultats du scrutin leur donnaient droit, dans l'unique groupe hiérarchique dans lequel ils avaient présenté des candidats, il convenait, pour respecter ces mêmes dispositions, d'attribuer à la liste CFDT Interco Moselle les deux sièges du groupe 6 et aucun des sièges du groupe 5.

(26 novembre 2018, Syndicat CFDT Interco Moselle, n° 412584)

 

49 - Agent public – Accident de trajet – Définition et champ d’application.

Rappel et affinement d’une jurisprudence déjà bien établie en matière d’accident du trajet dans le droit applicable aux agents publics.

D’une part, constitue un accident de trajet, celui qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s'accomplit le travail de l’agent et sa résidence et pendant la durée normale pour l'effectuer, sauf si un fait personnel de cet agent ou toute autre circonstance particulière est de nature à détacher l'accident du service.

D’autre part, constitue également un accident de trajet, dans les mêmes conditions, tout accident se produisant sur le parcours habituel entre la résidence de l'agent et le lieu où il est hébergé provisoirement afin d'être à même d'exercer les fonctions qui lui sont attribuées.

(30 novembre 2018, Mme X., n° 416753)

 

50 - Pensions civiles et militaires de retraite – Pension de reversion à la veuve – Demande de révision – Pensions accordées antérieurement à la loi du 26 décembre 1964 – Absence de délai pour contester des irrégularités de calcul ou de prise en compte.

Les dispositions de l'article L. 55 du code des pensions civiles et militaires de retraite, lui-même introduit par la loi du 26 décembre 1964, qui ont pour objet de limiter dans le temps la faculté de demander la révision de la pension en cas d'erreur de droit, ne sont pas applicables aux pensions concédées antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 26 décembre 1964. Il en va de même lorsque le titulaire étant décédé sans avoir contesté les modalités de calcul de sa pension, l’action en révision est intentée par sa veuve, ici 22 ans après le décès de son époux.

Le ministre plaidait la sécurité juridique et donc la limitation dans le temps du droit d’agir en révision du montant de la pension : il n’a pas été entendu par le juge.

(19 novembre 2018, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 412837)

 

Hiérarchie des normes

 

51 - Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux – Portée – Obligation en découlant pour les autorisations délivrées au titre de la législation de l’eau – Exigence de simple compatibilité – Appréciation de la compatibilité de l’autorisation à l'échelle de l'ensemble du territoire couvert par le schéma – Illégalité de l’appréciation de la compatibilité de l’autorisation au regard d’une disposition ou d’un objectif particulier du schéma.

Pour annuler l’autorisation préfectorale de réaliser un centre de loisirs dans un domaine forestier, les premiers juges, confirmés par la juridiction d’appel, ont estimé que le projet litigieux n'était pas compatible avec le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux 2016-2021 du bassin Rhône-Méditerranée, car il n’était pas compatible avec une disposition de ce schéma relative à une compensation minimale à hauteur de 100 % de la surface des zones humides détruites par le projet. Or le Conseil d’Etat, transposant ici la solution déjà dégagée à propos de la hiérarchie à respecter entre plan local d’urbanisme (PLU) et schéma de cohérence territoriale (SCOT) (18 décembre 2017, Le Regroupement des organismes de sauvegarde de l'Oise et autre, n° 395216), décide qu’il n’existe, pour les autorisations délivrées au titre de la législation de l’eau, qu’une simple obligation de compatibilité avec le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux ; par suite, c’est avec les objectifs poursuivis par le schéma à l’égard de l’ensemble du territoire couvert par lui qu’il convient d’apprécier le degré de compatibilité desdites autorisations. D’où l’annulation qui est prononcée ici.

 (21 novembre 2018, Union régionale fédération Rhône-Alpes de protection de la nature et autres, n° 408175)

 

Libertés fondamentales

 

52 - Détenue – Mesures disciplinaires – Régime des fouilles corporelles – Appréciation de la faute disciplinaire – Caractère oproportionné de la sanction infligée – Contrôle plein et entier du juge.

Exerçant son pouvoir de contrôle plein et entier sur les mesures disciplinaires en milieu carcéral, le Conseil d’Etat rappelle deux lignes directrices.

La première concerne la notion de faute disciplinaire. Parce que « tout ordre du personnel pénitentiaire doit être exécuté par les détenus », il s’ensuit que tout refus d’obtempérer – en dehors du cas où cet ordre serait manifestement de nature à porter une atteinte à la dignité de la personne humaine – constitue une faute disciplinaire de nature à justifier légalement une sanction.

La seconde est un rappel du régime des fouilles corporelles. Si celles-ci, même répétées, trouvent le fondement de leur légitimité dans les nécessités de l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire, elles ne sauraient revêtir un caractère systématique et doivent chaque fois qu’il y est recouru avoir une justification spécifique à ce cas.

En l’espèce, une détenue est sanctionnée pour avoir fait courir, à de multiples reprises, dans les centres de détention où elle a été incarcérée, des risques pour la sécurité des personnels pénitentiaires et le maintien du bon ordre. De plus, elle n’a fait l’objet pour cela que de deux fouilles corporelles contestées par elle.

Par suite, les mesures prises à son encontre (mise en cellule disciplinaire pour seize jours) ne revêtaient aucun caractère disproportionné, ce qui entraîne le rejet de sa demande de réparation du préjudice moral qu’elle aurait subi.

(21 novembre 2018, Mme X., n° 410722)

 

53 - Liberté d’accès aux activités sportives (art. L. 100-1 du code du sport) – Institution, par le règlement intérieur d’une fédération sportive, d’un régime d’autrorisation préalable – Illégalité découlant de la violation directe d’une règle de droit.

Il résulte de l’art. 13.4 du règlement intérieur de la Fédération française de savate, boxe française et disciplines associées (FFSBFDA) qu’un sportif participant aux compétitions qu’elle organise doit solliciter une autorisation préalable avant de concourir pour un titre quelconque dans une autre forme de boxe pieds-poings dans le cadre d'une compétition organisée par une autre fédération ou un organisme sportif.

Le juge rappelle que si une fédération sportive nationale doit veiller à la santé des sportifs et à l'organisation des compétitions nationales, elle ne saurait, sans porter une atteinte excessive à la liberté d'accès aux activités sportives, soumettre à un régime d'autorisation préalable leur participation à une compétition ou à une manifestation sportive organisée par une autre fédération ou un organisme sportif. Doit donc être annulé pour erreur de droit l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui juge que les dispositions en cause ne portaient pas une atteinte disproportionnée au principe de libre accès aux activités sportives.

(28 novembre 2018, Mme X., n° 410974)

 

54 - Milieu carcéral – Mesures d’ordre intérieur – Acte décisoire – Distinction entre les deux catégories d’actes – Transfèrement d’un détenu d’un centre pénitentiaire à un autre – Eloignement du détenu par rapport à sa famille – Appréciation.

Le requérant, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période incompressible, a demandé en vain, en première instance et en appel, l’annulation de décisions de transfèrement prises par le garde des Sceaux à son encontre. Il saisit le juge de cassation qui rend une décision dont l’agencement d’ensemble est assez confus

Le Conseil rappelle qu’en principe « Les décisions d'affectation consécutives à une condamnation, les décisions de changement d'affectation d'une maison d'arrêt à un établissement pour peines ainsi que les décisions de changement d'affectation entre établissements de même nature constituent des mesures d'ordre intérieur insusceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus. » 

Sur cette base, il rejette le recours dirigé contre les décisions d'affectation et de transfèrement à la maison centrale d'Arles.

En revanche, s’agissant du recours dirigé contre la décision d'affectation et de transfèrement au quartier " maison centrale " du centre pénitentiaire de Réau, le Conseil d’Etat aperçoit une dénaturation par la cour administrative de la portée des écritures du requérant dans la mesure où elle lui reproche de n’avoir pas assorti de précisions suffisantes permettant d’en apprécier le bien-fondé, le moyen tiré d’une irrégularité de la procédure de transfert. L’arrêt est cassé en tant qu'il rejette les conclusions dirigées contre le jugement attaqué en ce qu'il rejette la demande d'annulation de la décision d'affectation et de transfert au centre pénitentiaire de Réau. Le Conseil d’Etat statue au fond.

Puis, se prononçant, d’abord, sur la décision d'affectation et de transfèrement au quartier " maison centrale " du centre pénitentiaire de Réau, ensuite sur la recevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision d'affectation et de transfèrement au quartier " maison centrale " du centre pénitentiaire de Réau, et enfin sur la légalité de cette décision, le Conseil d’Etat dit pour droit ceci. En premier lieu, il est jugé que doit être annulé le jugement de première instance «  en tant seulement qu'il se prononce sur la demande d'annulation de la décision d'affectation et de transfèrement au quartier " maison centrale " du centre pénitentiaire de Réau » car le juge s’est fondé sur les déclarations très générales de l’administration pénitentiaire relative à des suspicions de préparation d’une évasion de l’intéressé mais sans s’arrêter à son argumentation tirée de l’atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale en raison de l’éloignement de ce centre pénitentiaire et du régime restreint des visites. En deuxième lieu, est examinée la recevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision d'affectation et de transfèrement au quartier " maison centrale " du centre pénitentiaire de Réau. Celle-ci est admise au motif de l’accroissement significatif de l’éloignement de son domicile (plus de 700 kilomètres), des faibles ressources de son épouse (bénéficiaire du RSA) et de la présence à son foyer de trois enfants mineurs. En troisième lieu, enfin, le juge se prononce sur la légalité de la décision de nouvelle affectation pénitentiaire. Aucun moyen de légalité externe n’est retenu par lui non plus qu’aucun des moyens de légalité interne. D’où le rejet in fine de son recours sur le fond.

La décision, qui est justifiée, eût été plus convaincante au prix d’une meilleure rédaction en particulier sur le point de savoir ce qu’il en est exactement des projets - suspectés - d’évasion.

(21 novembre 2018, M. X., n° 412741)

 

55 - Liberté religieuse – Droit de propriété – Fermeture provisoire d’un lieu de culte par arrêté préfectoral – Conciliation entre ordre public et liberté – Examen du caractère proportionné de la mesure – Contrôle plein et entier sur la mesure de police – Confirmation du rejet du référé liberté.

Statuant sur un recours dirigé contre le rejet, par le premier juge, d’un référé liberté suite à la fermeture provisoire d’un lieu de culte, le Conseil d’Etat, réuni en formation collégiale de référé, rend une importante décision en ce que, très pédagogiquement, elle reprend l’ensemble jurisprudentiel formé depuis un siècle tant à propos du contrôle de la légalité des mesures de police (exacte appréciation du risque à l’ordre public et mise en œuvre de moyens strictement adéquats par rapport à ce risque) que s’agissant de la sauvegarde de la liberté de culte.

En l’espèce, le préfet du Nord avait ordonné la fermeture, pour six mois, d’un lieu de culte musulman en raison des doctrines, prêches, ouvrages, vidéos, sites internets qui y sont enseignés ou montrés, faisant l’apologie du terrorisme ou incitant à un passage à l’acte, défendant l’anti-sémitisme, glorifiant le Hezbollah, etc.

Le Conseil d’Etat, confirmant l’ordonnance de référé du juge lillois, constate que le préfet n’a commis aucune erreur dans l’appréciation des faits et de leur gravité, ni non plus dans son appréciation de leur degré de menace pour l’ordre public ni, non plus, enfin, dans le choix de la mesure la plus appropriée pour y mettre un terme. Cette dernière assure de façon équilibrée la balance entre la protection de la liberté religieuse et celle de l’ordre public.

(Ord. réf. coll. 22 novembre 2018, Association " Centre Zahra France ", n° 425100)

 

56 - Droit au respect de la vie – Droit du patient de consentir à un traitement médical – Droit du patient à ne pas subir un traitement traduisant une obstination déraisonnable – Décision de limitation des traitements actifs dispensés à un patient – Absence de limitation dans le temps – Non subordination à l'absence d'évolution favorable de l'état de santé de l’intéressé – Suspension de la décision médicale ordonnée.

Un centre hospitalier prend la décision de limiter, en cas de détresse vitale, les traitements actifs dispensés à un patient victime d’un grave accident de la route ; il en informe la famille. Des membres de celle-ci sollicitent du juge des référés la suspension de la décision. Leur requête ayant été rejetée en première instance, ils saisissent le Conseil d’Etat qui leur donne raison. Après avoir expliqué les conditions particulières dans lesquelles peut ou doit s’exercer l’office du juge des référés en pareille occurrence, celui-ci estime qu’en rejetant, pour défaut d’urgence, la demande dont il était saisi le juge des référés a entaché son ordonnance de dénaturation car la décision médicale de ne pas faire appel à l'équipe de réanimation en cas de détresse vitale du patient, est susceptible d’application à tout moment.

Parce que l’exécution de la décision attaquée n'est pas subordonnée à l'absence d'évolution favorable de l'état de santé du patient, parce qu’elle ne fixe aucune limite à son champ d'application dans le temps, elle fait par là même obstacle, en cas de survenance d'une détresse vitale de l'intéressé, à l'exercice à son encontre d'un recours en temps utile. Par suite, elle est susceptible d'entraîner des conséquences de nature à porter une atteinte grave à une liberté fondamentale qu'il appartient au juge du référé liberté de faire cesser immédiatement.

Le Conseil d’Etat ordonne la suspension de la décision querellée.

(28 novembre 2018, Mme X. et Mme Y., n° 424135)

 

57 - Demande d’asile – Décision de transfert vers l’Etat responsable – Individu en état de fuite – Rétention administrative jugée illégale par le juge des libertés et de la détention – Droits de la défense.

La circonstance que le placement en rétention administrative d'une étrangère, demandeuse d’asile, dans l'attente de son transfert, ait été déclaré irrégulier par le juge des libertés et de la détention est sans incidence sur les conséquences qui s'attachent au constat du refus, par l'étrangère concernée, d'être transférée vers l'Etat responsable de sa demande d'asile.  L’intéressée était bien, comme constaté par le premier juge, en fuite, au sens de l'article 29 du règlement européen du 26 juin 2013 nonobstant le fait que son placement en rétention administrative a été déclaré irrégulier par le juge des libertés et de la détention. Pareillement, est également sans incidence sur l'appréciation de l'existence d'une situation de fuite la circonstance que l'étranger qui a formé un recours devant le juge des libertés et de la détention, s'il défère à la mesure de transfert avant l'audience, ne puisse présenter personnellement ses observations à l'audience du juge des libertés et de la détention.

On pourra trouver sévère la seconde solution et craindre sa censure par la Cour EDH en cas de saisine.

(26 novembre 2018, Mme X., n° 425336)

 

58 - Reconduite à la frontière – Annulation de l’arrêté pour doute sur la minorité de l’intéressé – Arrêt violant l’autorité de chose jugée au pénal – Cassation.

Doit être cassé l’arrêt qui annule un arrêté de reconduite à la frontière au motif qu’il n’est pas certain que l’étranger concerné ait été majeur au moment des faits, cette constatation étant formellement contredite par un jugement définitif rendu par un tribunal correctionnel. En effet, il est de jurisprudence constante que l'autorité de la chose jugée appartenant aux décisions des juges répressifs devenues définitives qui s'impose aux juridictions administratives s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif, ce qui est le cas ici. 

(26 novembre 2018, M. X., n° 419452)

 

Police

 

59 - Agrément en qualité d’agent de police municipale – Retrait d’agrément – Autorité judiciaire compétente – Pouvoir appartenant à tout membre d’un parquet.

Un agent de police municipale se voit retirer son agrément en cette qualité par une décision d’un substitut de procureur de la république.  Il conteste la compétence de ce magistrat pour prendre cette décision. La cour administrative juge qu’une telle décision – les textes n’évoquant que le procureur de la république - ne pouvait être prise par le substitut que s’il avait reçu délégation du procureur à cet effet.

Le Conseil d’Etat censure ce raisonnement : les dispositions combinées de l’art. L. 122-4 du code de l’organisation judiciaire et de l’art. L. 511-2 du code de la sécurité intérieure permettent à tout magistrat du parquet placé sous l’autorité d’un procureur de prendre une telle décision de retrait d’agrément.

(9 novembre 2018, M. X., n° 417240)

 

60 - Police de la sécurité – Police de la salubrité – Fautes à avoir laissé installer des étalages permanents, source de nuisances et de troubles importants – Existence d’une faute – Faute simple – Préjudice moral causé à une association ayant pour objet la défense des intérêts des habitants d’un secteur de la ville de Paris – Recours du maire et du préfet de police rejetés.

La mairie et la préfecture de police de Paris se pourvoient contre un arrêt d’appel confirmatif du jugement de première instance les condamnant à indemniser le préjudice moral causé à une association de défense des intérêts des habitants d’un secteur de la capitale par l’état d’insalubrité et d’insécurité dans lequel sont laissées la rue Dejean et les rues alentours, situation qui caractérise un comportement fautif.

Le Conseil d’Etat rejette le pourvoi au motif que c’est à juste titre, et dans les limites de leur pouvoir souverain d’appréciation, que les juges du fond ont estimé qu’il était du aux habitants d’un quartier un « niveau raisonnable de sécurité et de salubrité ». Cette exigence n’instaure point, contrairement à ce que prétendent les saisissants, une obligation de résultat à la charge de la ville de Paris.

(9 novembre 2018, Association La Vie Dejean, n° 411626)

 

61 - Police des cimetières – Inhumation dans un caveau situé dans un cimetière ayant fait l’objet d’une décision de fermeture – Application des dispositions du décret du 23 prairial an XII – Illégalité du refus d’inhumer – Annulation de l’arrêt ayant jugé différemment.

Le maire d’une commune refuse verbalement, refus confirmé par une décision implicite de rejet du recours gracieux formé contre ce refus, l’inhumation d’une personne dans un caveau familial sis dans un cimetière ayant fait l’objet d’une décision de fermeture. Annulé en première instance, ce refus est validé en appel.

La cour administrative estime appplicable en ce cas le délai de cinq ans fixé au premier alinéa de l’art. L. 2223-6 CGCT selon lequel : « En cas de translation de cimetières, les cimetières existants sont fermés dès que les nouveaux emplacements sont disposés à recevoir les inhumations. Ils restent dans l'état où ils se trouvent, sans que l'on en puisse faire usage pendant cinq ans ». Ce jugeant elle commet une erreur de droit, ce premier alinéa devant se lire en même temps que le second alinéa, qui dispose : « Toutefois, les inhumations peuvent continuer à être faites dans les caveaux de famille édifiés dans les cimetières désaffectés, à concurrence du nombre de places disponibles au moment de la fermeture de ces cimetières, à condition que ceux-ci satisfassent aux prescriptions légales d'hygiène et de salubrité et que l'affectation du sol à un autre usage ne soit pas reconnue d'utilité publique ».

Il suit de là, d’évidence, qu’après la fermeture d’un cimetière des inhumations sont possibles dans ceux des caveaux où demeurent des places disponibles et où sont respectées les règles d’hygiène et de salubrité.

(9 novembre 2018, M. X. et autres, n° 416683)

 

62 - Police des manifestations – Match de football opposant l’Olympique lyonnais à l’Association sportive de Saint-Etienne – Interdiction faite aux membres de certains groupements sportifs de pénétrer en tant que tels dans un périmètre donné autour d’un stade – Arrêté préfectoral de police – Conciliation de l’ordre et de la liberté – Contrôle de proportionnalité – Appréciation des circonstances de fait – Légalité de l’interdiction.

L’arrêté par lequel le préfet du Rhône a interdit l'accès au périmètre du Groupama Stadium de Décines à l'occasion du match de football du 23 novembre 2018 opposant l'Olympique Lyonnais à l'Association sportive de Saint-Etienne est légal. D’une part, un antagonisme ancien entre les supporters des clubs de football de l'Olympique lyonnais et de l'Association sportive de Saint-Etienne, produit régulièrement des incidents violents et graves lors des matches se déroulant entre ces deux équipes, d’autre part, l'inimitié particulière qui règne entre les supporters des deux clubs ne permettait pas, par  des mesures moins contraignantes que celles édictées par l'arrêté litigieux, d’éviter la survenance des troubles graves à l'ordre public qu'il a pour objet de prévenir. Par suite, l’interdiction édictée par l’arrêté attaqué ne peut être regardée comme entachée d'une disproportion qui lui conférerait le caractère d'une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, à la liberté d'association et de réunion et à la liberté d'expression.

(Ord. réf. 22 novembre 2018, Association nationale des supporters (ANS), n° 425530)

 

Procédure contentieuse

 

63 - Dénaturation des pièces du dossier – Perception d’un indu d’aide personnalisée au logement (APL) – Non paiement de loyers – Attestation contraire du propriétaire – Annulation.

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis, un jugement rendu le 19 avril 2017, qui, pour refuser d’annuler la décision d’une CAF suspendant le droit de l’intéressé au versement de l’APL, se fonde sur ce que ce dernier n’a pas repris le paiement de son loyer résiduel alors qu’il a produit dans un mémoire enregistré au greffe de ce tribunal le 30 mars 2017, un courrier de la CAF en date du 20 mars 2017, indiquant que son bailleur avait fourni à la caisse le justificatif du paiement de ses loyers à compter de janvier 2016 et qu'en conséquence, la décision suspendant le versement de son aide personnalisée au logement à compter du 1er mars 2016 était retirée. 

(5 novembre 2018, M. X., n° 414095)

 

64 - Question préjudicielle – Office du juge de la question préjudicielle – Réponse strictement limitée par la question posée – Taux de TVA applicable seule question posée.

Rappel de ce que le juge administratif, saisi d’une question préjudicielle renvoyée par le juge judiciaire, ne doit répondre qu’à la question posée à peine de violer son office. Ainsi, invité à dire le taux de TVA applicable en l’espèce, le juge ne pouvait statuer sur l'existence d'un intérêt de la société demanderesse à contester devant le juge judiciaire le taux de la TVA qui lui avait été appliqué par ses bailleurs.

 (28 novembre 2018, Société d'exercice libéral à forme anonyme (SELAFA) MJA, ès qualités de liquidateur de la société Nouvelles Résidences de France, n° 413526)

 

65 - Recours en rectification d’erreur matérielle – Absence de recours au ministère d’un avocat devant le juge de cassation – Absence d’invitation à régulariser, cette obligation figurant dans la notification de l’arrêt d’appel – Demande d’aide juridictionnelle – Rejet – Rejet du recours en rectification d’erreur matérielle.

S’étant vue refuser par le président du conseil départemental l’agrément aux fins d’adoption, Mme X. saisit en vain le tribunal et la cour administratifs. En cassation, son pourvoi n’est pas admis. Elle forme un recours en rectification d’erreur matérielle contre le refus d’admission.  Pour rejeter ce dernier recours, le Conseil d’Etat relève que l’intéressée avait dument été informée, dans la notification de l’arrêt d’appel, de l’obligation de constituer avocat en cas de saisine du juge de cassation. Dès lors, elle ne pouvait pas être invitée à régulariser un pourvoi introduit sans avocat. Si elle a, ensuite, formé une demande d’aide juridictionnelle, cette demande a été rejetée par le bureau d’aide juridictionnelle, tout comme le recours dirigé contre la décision de ce bureau. C’est donc sans erreur matérielle que le pourvoi a fait l’objet, à la suite de ce déroulement de la procédure, d’un refus d’admission.

(7 novembre 2018, Mme X., n° 421905)

 

66 - Référé suspension – Conventions de réseau câblé entre une commune et un opérateur de télécommunications – Recours dirigé contre une délibération municipale « prenant acte » de l’expiration de contrats et des effets de celle-ci – Absence d’effets de droit – Impossibilité d’en demander la suspension.

Ne commet pas d’erreur de droit le juge des référés qui déclare irrecevable la demande de suspension de la délibération d’un conseil municipal qui lui était soumise, par laquelle ce dernier " prend acte ... de la propriété gratuite et automatique de l'ensemble des équipements du réseau au profit de la commune ". Cette délibération qui ne pouvait avoir, par elle-même, un quelconque effet translatif de propriété des équipements du réseau de télédiffusion par câble en cause et qui ne faisait qu'exprimer l'interprétation retenue par la commune de la portée des clauses des conventions selon laquelle les équipements en cause avaient la nature de biens de retour, était dépourvue d'effets et, par suite, insusceptible d'être suspendue par le juge des référés. 

(26 novembre 2018, Société NC Numericable, n° 415463 ; v. aussi, du même jour avec même requérante, le n° 415464)

 

67 - Référé mesures utiles (art. L. 521-3 CJA) – Pouvoirs du juge saisi – Impossibilité de faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative – Décision administrative refusant la mesure sollicitée – Régimes distincts selon qu’elle intervient avant ou après la saisine du juge du référé mesures utiles.

Dans le cadre d’un litige relatif à des infractions pénales au code de l’urbanisme, se posait une intéressante question de procédure à propos du référé mesures utiles. Ce référé, destiné à permettre d’opérer très rapidement des constatations, s’il permet au juge d’ordonner toutes mesures utiles trouve cependant sa limite dans l’interdiction de faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative. Cette prohibition est, d’une part, renforcée en ce qu’il n’est pas possible, au moyen de ce référé, de faire obstacle à la décision administrative qui, précisément, refuse la mesure qui va être demandée au juge, d’autre part, atténuée en cas de péril grave, généralement apprécié assez strictement par le juge (réitération de la solution inaugurée par (Section 5 février 2016, M. X. c/ Directeur de la maison d’arrêt de Besançon, n° 393540). En revanche, cette limitation du champ d’application du référé mesures utiles ne joue pas lorsque la décision refusant la mesure sollicitée du juge intervient après la saisine de ce dernier.

(28 novembre 2018, M. X., n° 420343)

 

68 - Minute des jugements et arrêts – Obligation de signature par le greffier d’audience – Absence de signature en l’espèce – Irrégularité de caractère substantiel – Annulation de la décision de justice.

Doit être annulé le jugement dont la minute ne comporte pas la signature du greffier d’audience, en violation des dispositions de l’art. R. 741-7 CJA car cette omission constitue une irrégularité substantielle.

(28 novembre 2018, M. X., n° 416877)

 

69 - Référé suspension – Rejet pour défaut d’urgence – Dénaturation des faits à constater un défaut d’urgence – Annulation de l’ordonnance de rejet.

Dénature les faits qui lui sont soumis, l’ordonnance de rejet d’une demande de suspension qui affirme qu’il n’y a pas urgence en l’espèce, alors qu’est refusée au requérant la délivrance d’une carte nationale d'identité ou d’un passeport, l’empêchant ainsi d’accéder à ses comptes bancaires et de trouver un logement et un emploi, ce qui le place dans une situation de détresse matérielle, le conduisant à dormir dans sa voiture et à se nourrir grâce aux " Restos du coeur ".

(26 novembre 2018, M. X., n° 421515)

 

70 - Clôture de l’instruction – Fixation de l’audience – Mémoire contenant un élément nouveau substantiel – Mémoire déposé quatre jours avant la date d’audience – Communication trop tardive – Irrégularité.

Dans cette affaire, l'instruction était close le 1er octobre 2017 à minuit, l'audience ayant lieu le jeudi 5 octobre suivant. Un nouveau mémoire en défense a été produit le jeudi 28 septembre 2017 par l’administration fiscale ; il a été mis, le même jour, à la disposition de l'avocat de la société Mistouki sur l'application informatique Télérecours. Ce dernier a consulté ce document le 2 octobre 2017, soit dans le délai de huit jours prévu par l'article R. 611-8-2 du CJA. Ce mémoire comportait un nouveau terme de comparaison, invoqué pour la première fois par l'administration fiscale, pour fixer la valeur locative servant de base à l'établissement de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties sur lequel le tribunal administratif s'est fondé pour rejeter la demande de la société requérante. Il en résulte que la communication tardive de ce mémoire a privé cette dernière de la faculté d'y répliquer utilement avant l'audience qui s'est tenue le 5 octobre 2018, entachant ainsi la procédure d'irrégularité.

(26 novembre 2018, SCI Mistouki, n° 416643)

 

71 - Référé suspension – Mesure de retrait d’animaux d’un centre équestre décidée par l’inspecteur de la santé publique vétérinaire – Mesure ayant la nature d’une décision de police judiciaire – Incompétence du juge administratif pour en connaître tant au fond qu’en référé.

Suite à l’inspection d’un centre équestre, un inspecteur de la santé publique vétérinaire ordonne le retrait de certains des animaux de ce centre au titre de la protection animale. Le juge des référés du tribunal administratif fait droit à la demande de suspension de cette décision présentée par le centre équestre. Le ministre de l’agriculture et de l’alimentation se pourvoit.

Le Conseil d’Etat relève d’office, sans donc examiner les moyens de la requête, que la décision en cause a le caractère d’une mesure de police judiciaire (cf. art. 99-1 du code de procédure pénale) dont il n’appartient pas au juge administratif de connaître tant à titre principal qu’en référé.

(9 novembre 2018, Ministre de l'agriculture et de l'alimentation, n° 421302)

 

72 – Distinction entre moyen nouveau et demande nouvelle en appel – Distinction des causes juridiques – Effets sur la demande en justice.

La demande indemnitaire formée par la demanderesse devait être regardée comme tendant à la réparation des préjudices qu'avait entraînés pour elle, entre le 15 juillet 2009 et le 28 février 2012, la méconnaissance fautive par le centre hospitalier qui l’employait des dispositions applicables aux agents qui, ayant épuisé leurs droits aux congés de maladie, sont définitivement inaptes à reprendre leur service. Par suite, en se prévalant pour la première fois en appel des dispositions de l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière, dont l'article 13 prévoit le maintien pendant la durée de la procédure devant la commission de réforme des droits à rémunération dont l'agent disposait à la date à laquelle cette commission a été saisie, l'intéressée a soulevé, comme il lui était loisible de le faire, un moyen nouveau se rattachant à la cause juridique sur laquelle elle avait fondé sa demande de première instance. En jugeant que ce moyen constituait une demande nouvelle présentée pour la première fois en appel et n'était, par suite, pas recevable, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

(9 novembre 2018, Mme X., n° 414376) V. aussi le n° 45

 

73 - Moyen relevé d’office – Incompétence du signataire d’un arrêté ministériel – Annulation – Effets manifestement excessifs de cette annulation – Modulation de ceux-ci dans le temps.

Après avoir constaté par un moyen relevé d’office et sans examiner ceux développés dans sa requête par la Confédération nationale des syndicats dentaires, l’illégalité, pour incompétence de son signataire, de l’arrêté du 19 avril 2017 fixant le niveau maximal de dépassement sur les soins dentaires prothétiques ou d'orthopédie dento-faciale applicable aux bénéficiaires de l'aide au paiement d'une assurance complémentaire de santé (L. 863-1 du code de la sécurité sociale), le Conseil d’Etat en prononce l’annulation.

Relevant cependant que l’application immédiate de sa décision aurait des effets manifestement excessifs en ce que, par la disparition immédiate de l'encadrement du niveau de dépassement sur les soins dentaires prothétiques ou d'orthopédie dento-faciale applicable aux bénéficiaires de l'aide au paiement d'une assurance complémentaire de santé, elle serait susceptible de restreindre l'accès à ces soins, le juge en diffère les effets jusqu’au 1er janvier 2019.

(9 novembre 2018, Confédération nationale des syndicats dentaires, n° 411816)

 

74 - Mission de maîtrise d’œuvre confiée à l’Etat – Défaillance dans l’exercice de la mission – Action en responsabilité – Condamnation de l’Etat – Eléments de procédure.

Trois points de procédure étaient soulevés à l’encontre de l’arrêt d’appel qui a mis à la charge de l’Etat, chargé d’une mission de maîtrise d’oeuvre par une commune pour l’extension d’un quai maritime d’avitaillement, la réparation du préjudice subi du fait de sa défaillance.

En premier lieu, il est rappelé que la circonstance qu'un mémoire n'a pas été visé dans une décision juridictionnelle ne peut être utilement invoquée pour contester cette décision que par la partie qui l'a produit.

En deuxième lieu, en l’espèce, à la suite du dépôt du rapport d’expertise qui lui a été communiqué l’Etat n’a pas formé de nouvelles observations alors pourtant que la commune avait presque triplé le montant de sa demande initiale suite au contenu de ce rapport. Il ne saurait donc contester le montant arrêté par la cour, identique à celui du chiffrage par l’expert, n’ayant pas contesté celui-ci.

En troisième lieu, la commune avait initialement sollicité la réparation du dommage assortie de l’intérêt au taux légal ; ayant porté sa demande indemnitaire au montant contenu dans le rapport d’expertise, elle n’avait pas réitéré la demande d’application du taux d’intérêt. Le Conseil d’Etat juge que la cour n’a pas statué ultra petita en appliquant au nouveau montant de réparations réclamé le taux de l’intérêt légal, dès lors que la commune avait précisé, dans le dernier état de ses conclusions, ne pas renoncer au bénéfice de ses précédentes écritures.

(19 novembre 2018, Société Travaux du Midi Var, n° 413017) V. aussi le n° 22

 

75 - Référé-suspension – Appréciation de la condition d’urgence – Éléments de fait retenus par le juge – Urgence existante.

Le Conseil d’Etat est saisi d’une demande d’annulation et de suspension d’une décision non datée de l’AGESSA (Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs) et d’une lettre adressée par la ministre des solidarités et de la santé, le ministre de l'action et des comptes publics et la ministre de la culture.

Par ces actes, il est décidé que les activités des directeurs de collection de livres ne sont pas au nombre de celles qui relèvent du régime de sécurité sociale des artistes auteurs. Arguant de l’importance des mesures devant être prises, de leur coût risquant de mettre en péril plusieurs maisons d’édition et du délai nécessaire à leur mise en œuvre alors que l’entrée en vigueur du nouveau régime est fixée au 15 janvier 2019, les requérants invoquent l’urgence à ordonner cette suspension. Le Conseil d’Etat accueille ce raisonnement. En outre, il existe selon lui un moyen sérieux tenant à l’incompétence de la ministre des solidarités et de la santé. La suspension est ordonnée.

(7 novembre 2018, Syndicat national de l'édition (SNE) et Société des gens de lettres (SGDL), n° 424479)

 

76 - Clôture de l’instruction devant les tribunaux et cours administratifs – Ordonnance de clôture – Avis d’audience – Régimes distincts – Respect du délai imparti, sur mise en demeure, pour produire un mémoire, clôture immédiate impossible – Annulation du jugement rendu en contravention à cette règle.

Dans le cadre d’un litige en annulation d’un permis de construire délivré par le maire de la commune de Cagnes-sur-Mer, le Conseil d’Etat rappelle les régimes de droit caractérisant les deux formes de clôture de l’instruction à effet immédiat existant devant les tribunaux et cours administratifs.

Cette clôture de l’instruction est prononcée avec effet immédiat lorsque l’affaire est en état d’être jugée et que les parties ont été informées de la date (ou de la période) à laquelle il est envisagé de l'appeler à l'audience ainsi que de la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close par une clôture à effet immédiat.

Cette clôture à effet immédiat peut aussi résulter de ce qu’une partie appelée à produire un mémoire n'a pas respecté, depuis plus d'un mois, le délai qui lui a été assigné à cette fin par une mise en demeure assortie de l'indication de la date ou de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et reproduisant les dispositions prévoyant la possibilité d'une clôture à effet immédiat. 

En l’espèce, la commune défenderesse avait fait l’objet d’une mise en demeure d’avoir à produire ses observations dans un délai de trente jours. Elle avait effectivement adressé un mémoire en ce sens avant l’expiration du délai imparti. Dès lors, il était impossible, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal administratif, de recourir à la procédure de la clôture immédiate.

 (9 novembre 2018, Association Comité de défense de quartier centre-ville Logis-Lautin, n° 411364)

 

77 - Demande de versement des montants impayés de l’allocation pour demandeur d’asile – Litige ne constituant pas une action indemnitaire au sens du 8° de l'article R. 811-1 CJA – Absence de pourvoi direct en cassation contre l’ordonnance de référé provision rendue par le juge du tribunal administratif – Requalification en appel devant être porté devant la CAA.

Le recours dirigé par un demandeur d’asile contre l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif relative à une demande tendant, par voie de référé provision, à l'obtention d'une provision correspondant au montant de l'allocation pour demandeur d'asile dont le versement lui aurait été irrégulièrement refusé, a le caractère non d'un pourvoi en cassation ressortissant à la compétence du Conseil d'Etat mais d'un appel ressortissant à celle de la cour administrative d'appel.

(19 novembre 2018, M. X., n° 424205 ; du même jour : M. et Mme X., n° 4240203, même solution)

 

78 - Association syndicale autorisée – Fixation des redevances syndicales – Contentieux – Distinction selon l’objet du contentieux : contestation de la fixation des redevances syndicales ou contestation des conditions d’accomplissement de sa mission par le syndicat – Points de départs distincts des délais de recours.

Le Conseil d’Etat affirme l’existence de deux recours contentieux possibles et distincts contre une association syndicale autorisée, de la part de ses membres lorsqu’est contesté le bien-fondé des redevances syndicales mises à leur charge. En cette hypothèse, les associés peuvent fonder leur action soit sur l’illégalité de la délibération syndicale répartissant les dépenses syndicales soit sur le fait que le syndicat se révèle défaillant dans l’accomplissement de ses missions statutaires.

Dans le premier cas, il résulte des dispositions du décret du 3 mai 2006, pris pour l’application de l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires, que le recours par voie d’exception contre la délibération prétendue illégale est enfermé, à peine de forclusion, dans le délai de deux mois suivant la réception du premier titre exécutoire faisant application au requérant de cette délibération ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuites (art. 54, décret du 3 mai 2006).

Dans le second cas, le recours n'est pas soumis au régime contentieux spécifique de l'exception d'illégalité rappelé ci-dessus.

Il s’agit donc de deux moyens distincts devant être traités différemment.

Cette solution n’a pas le mérite de la simplicité et l’on comprend que la cour administrative elle-même se soit méprise.

(14 novembre 2018, Groupement foncier agricole (GFA) Aglandau et Mme X., n° 405480)

 

79 - Exécution d’un jugement – Exercice par une commune de son droit de préemption – Rétrocession sollicitée et ordonnée – Fixation du prix – Obligation de tenir compte de la démolition de certains des bâtiments préemptés – Vérification par le juge – Absence d’irrégularité dans la décision de justice administrative – Compétence du juge judiciaire pour le surplus.

Une SCI demande à une commune la rétrocession d’un ensemble immobilier que cette dernière avait antérieurement acquis par voie de préemption en 2003, cette préemption ayant été annulée par le juge administratif le 22 mars 2012. Après injonction à la commune de proposer à la SCI un prix de cession tenant compte des démolitions opérées après la préemption, celle-ci a saisi, en vain, la cour d’appel puis le Conseil d’Etat. La commune a été par la suite condamnée sous astreinte à exécuter le jugement de 2012. En juin et juillet 2016 la commune fait une proposition à la SCI que celle-ci décline le 7 septembre 2016. La commune a alors saisi, le 14 novembre 2016, en application de l’art. L. 213-11-1 du code de l’urbanisme, le juge de l’expropriation en fixation du prix litigieux. La SCI ayant saisi à nouveau la cour, en juillet 2016, d’une demande de condamnation à astreinte majorée et la cour ayant rejeté son appel le 23 mars 2017, la SCI se pourvoit en cassation. Le Conseil d’Etat rejette le pourvoi car il découle des dispositions législatives en cause la seule obligation pour la cour de s’assurer, d’une part, que la commune avait bien fait une offre, et d’autre part, que cette offre tenait compte de la démolition partielle de bâtiments. Elle avait donc épuisé son office, les textes conférant, pour la suite de ce contentieux, compétence au juge de l’expropriation. Par suite, la cour ne pouvait plus enjoindre à la commune ou la condamner sous astreinte pour l’exécution d’une décision qui avait atteint, à cet instant, la plénitude de son office.

(9 novembre 2018, SCI J. T., n° 410697)

 

80 - Référé suspension – Caractérisation de l’urgence – Absence – Mise en balance des inconvénients de la suspension avec l’intérêt du service – Annulation de l’ordonnance accordant la suspension.

La directrice d’un centre hospitalier suspend un anesthésiste de ses fonctions pour gestes inappropriés sur une parturiente. Aucune procédure disciplinaire n’ayant été engagée pour l’heure à son encontre, l’anesthésiste invoque l’urgence pour solliciter la suspension de la mesure qui le frappe. Le juge des référés accueille cette demande en considérant le caratère indéterminé de la durée de la procédure administrative et donc de la durée de la suspension, l’atteinte à la réputation et la perte de certains avantages financiers.

Le Conseil d’Etat annule cette suspension en niant qu’il y ait urgence dans la mesure où l’intéressé n’est pas privé de son traitement. En outre, il observe que l’inconvénient résultant pour lui de cette situation doit être mis en balance avec le fait qu’il y a une certaine vraisemblance à l’existence des faits reprochés que la directrice du centre hospitalier a d’ailleurs dénoncé au procureur de la république et que doit être pris en considération l’intérêt du service.

(9 novembre 2018, M. X., n° 419006)

 

81 - Exécution des décisions de justice – Refus du concours de la force publique – Durée excessive du refus au regard des droits et intérêts en cause – Office du juge saisi à nouveau de la persistance de l’inexécution.

Dans le cadre d’un litige ancien opposant une société au haut-commissaire de la république en Nouvelle-Calédonie, au sujet de l’expulsion d’individus occupant indument des terrains et les bâtiments qu’ils supportent, le Conseil d’Etat rend une décision qui constitue un guide pratique tant pour les préfets que pour le juge administratif.

En l’espèce, les terrains ont été acquis en 2004 et depuis cette date est refusé le concours de la force publique, approuvé par les juges du fond, en raison des « risques de troubles graves à l'ordre public résultant de la proximité de ces terrains du territoire de la tribu de Saint-Louis, régulièrement à l'origine de flambées de violence, et de la forte hostilité manifestée par le grand chef du Mont-Dore, qui revendiquait en 2010 la propriété coutumière des terres en cause ».

Visiblement excédé par cette situation de non-droit, le Conseil d’Etat y va d’une véritable directive d’action qui circonscrit l’étendue de l’office du juge en pareil cas.

« (…) dans le cas où, à la suite d'un premier refus de concours de la force publique, une décision de justice demeure inexécutée pendant une durée manifestement excessive au regard des droits et intérêts en cause, il incombe au représentant de l'Etat, alors même que des considérations impérieuses justifieraient toujours un refus de concours de la force publique, de rechercher toute mesure de nature à permettre de mettre fin à l'occupation illicite des lieux ; que, s'il est alors saisi d'une demande d'annulation pour excès de pouvoir d'un nouveau refus de concours de la force publique, il appartient au juge administratif d'analyser les conclusions dont il est saisi comme dirigées non seulement contre ce refus, mais aussi, subsidiairement, contre le refus d'accomplir des diligences appropriées pour mettre en oeuvre l'obligation définie ci-dessus ; qu'il lui appartient, par suite, de se prononcer sur la légalité du nouveau refus de concours, mais aussi, dans l'hypothèse où il juge que ce refus est légalement justifié, sur les diligences accomplies par le représentant de l'Etat ; que, dans cette dernière hypothèse, s'il annule la décision en tant qu'elle refuse d'accomplir des diligences appropriées, il peut, saisi de conclusions en ce sens, enjoindre au représentant de l'Etat, le cas échéant sous astreinte, d'accomplir de telles diligences, dans un délai qu'il fixe ; ». Ce raisonnement dresse une vision particulièrement impériale de la fonction juridictionnelle. Mais, au-delà des mots, qu’y a-t-il vraiment ?

(15 novembre 2018, SARL Sunset Promotion, n° 417397)

 

82 - Requête – Obligation de comporter un exposé des faits ainsi que des moyens – Absence – Absence de régularisation – Rejet selon la procédure de l’art. L. 522-3 CJA.

Un document adressé au juge ne contenant ni exposition des faits ni arguments ne constitue pas une « requête » au sens de l’art. R. 411-1 CJA et doit donc être rejeté selon la procédure expéditive de l’art. L. 522-3 CJA.

(14 novembre 2018, M. X., n° 425316)

 

83 - Recours en interprétation d’une décision juridictionnelle – Rappel du régime applicable – Rejet en l’espèce.

Rappel de la règle procédurale constante selon laquelle le recours en interprétation d'une décision juridictionnelle n'est recevable que, d’une part, s'il émane d'une partie à l'instance ayant abouti au prononcé de la décision dont l'interprétation est sollicitée et, d’autre part, dans la seule mesure où il peut être valablement argué que cette décision est obscure ou ambiguë.

Ce n’était pas le cas en l’espèce où, sous couleur d’interprétation, était en réalité contestée devant le juge saisi une précédente ordonnance émise par lui.

(14 novembre 2018, M. Jakoby-Kaly, n° 425188)

 

84 - Intérêt pour agir – Création d’une société publique locale (SPL, eau et assainissement) – Recours formé par une société privée ayant parmi ses objets sociaux l’eau et l’assainissement – Existence d’un intérêt pour cette société à contester le principe et les conditions de création de la SPL.

Le conseil général du Puy-de-Dôme et le comité syndical du syndicat intercommunal Sioule et Morge ont décidé puis réalisé la transformation de la société d'économie mixte pour l'exploitation des réseaux d'eau potable et d'assainissement en société publique locale dénommée Société d'exploitation mutualisée pour l'eau, l'environnement, les réseaux, l'assainissement dans l'intérêt du public (SEMERAP).

La société Lyonnaise des Eaux France a demandé en vain en première instance l’annulation des délibérations en cause, le tribunal ayant jugé ses demandes irrecevables. En appel, la cour a annulé la délibération du conseil général. Celui-ci se pourvoit.

Il invoque le défaut d’intérêt pour agir de la demanderesse. Le Conseil d’Etat rejette cet argument car la création de la société publique locale permettra à ses actionnaires de lui confier, sans mise en concurrence préalable, des missions dans les domaines, notamment, des réseaux d'eau potable et de l'assainissement. Ainsi, la délibération litigieuse porte une atteinte suffisamment directe et certaine aux intérêts de la société Lyonnaise des Eaux France qui intervient dans ces domaines d'activité. L’action de cette dernière est donc, comme l’a jugé la cour administrative d’appel, recevable.

(21 novembre 2018, Société Lyonnaise des Eaux France n° 405702)

 

85 - Présidente de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Ediction d’une note relative à la communication des rapports avant l'audience à la formation de jugement – Contestation par un syndicat professionnel – Absence d’incompétence de son auteur – Absence de méconnaissance du principe de l’égalité des armes – Inexistence ici du principe du contradictoire – Rejet du recours.

Le syndicat requérant demande l’annulation de la note par laquelle la présidente de la CNDA a demandé aux rapporteurs près cette juridiction « de transmettre désormais les rapports sur les affaires inscrites à l'audience à l'ensemble des membres de la formation de jugement, à mesure de leur achèvement et, sauf difficultés particulières, au plus tard dans la matinée du jour qui précède l'audience ou le vendredi après-midi si l'audience a lieu le lundi ».

Il invoque tout d’abord au soutien de sa requête l’incompétence de l’auteur de la note. Argument qui est rejeté car le rapport du rapporteur « qui vise seulement à préparer la décision juridictionnelle en présentant aux membres de la formation de jugement le litige qui leur est soumis, sans d'ailleurs prendre parti sur le sens de la décision à intervenir, a le caractère d'un document préparatoire qui, jusqu'à sa lecture à l'audience, reste interne à la juridiction et n'a pas à faire l'objet d'une communication aux parties » la fixation de son régime relève du pouvoir d’organisation du service d’administration de la justice qui appartient au président d’une juridiction.

Ensuite, est invoquée l’atteinte aux principes de l’égalité des armes et à celui du contradictoire. Ces moyens sont rejetés : le principe d’égalité des armes ne saurait être invoqué devant la CNDA qui ne statue ni sur des contestations de caractère civil ni sur des accusations en matière pénale, d’où l’inopérance de ce moyen tiré de l’art. 6 de la convention EDH ; le principe du contradictoire ne régit ni l'exercice de la fonction de rapporteur ni le contenu du rapport élaboré par celui-ci car le principe du caractère contradictoire n’est applicable qu’à l'instruction.

(14 novembre 2018, Syndicat indépendant du personnel du Conseil d'Etat et de la Cour nationale du droit d'asile, n° 421097)

 

86 - Omission de réponse à moyen – Moyen non inopérant – Irrégularité – Annulation du jugement.

Au soutien de son recours en annulation du permis de construire sept bâtiments comportant 226 logements, l’association requérante invoquait notamment l'insuffisance de l'étude d'impact en ce qui concerne les rejets de la chaudière dans l'atmosphère, l'augmentation de la circulation automobile générée par le projet, les impacts de cette augmentation en termes de pollution et de stationnement et l'impact urbanistique du projet. Faute d’y avoir répondu et alors que ce moyen n’était pas inopérant, le jugement est annulé.

(21 novembre 2018, Association " Koenigshoffen Demain ", n° 416122)

 

87 - Référé liberté – Inexécution d’une ordonnance de référé enjoignant à un maire d’autoriser l’ouverture d’un lieu de culte – Demande de liquidation d’astreinte –Refus – Exécution par exercice du pouvoir de substitution d’office appartenant au préfet – Demande d’astreinte sans objet.

L’association requérante a sollicité et obtenu du juge des référés l’injonction faite à un maire d'accorder à titre provisoire l'autorisation d'ouverture d'un établissement recevant du public comportant notamment un lieu de culte. Cette ordonnance ayant été assortie d’une astreinte et le maire n’ayant pas exécuté la chose jugée, l’association a demandé la liquidation de l’astreinte, ce qui lui est refusé en première instance et confirmé par la présente décision. Pour justifier leur refus les juges indiquent qu’en l’espèce le préfet, appliquant les dispositions prévues à cet effet par le code général des collectivités territoriales (art. L. 2131-5 et L. 2215-1 à 2215-5), a, exerçant son pouvoir de substitution d’office, autorisé l'ouverture provisoire sans délai de l'établissement. Vu le bref délai dans lequel est intervenu cet arrêté préfectoral, il n’y a pas lieu de liquider l’astreinte qu’avait prononcée le premier juge.

(26 novembre 2018, Association culturelle et cultuelle Nice La Plaine " Institut niçois En Nour ", n° 412501)

 

88 - Intérêt pour agir – Octroi d’une subvention publique pour la construction d’un bowling – Société exploitant elle-même un bowling à 30 kilomètres – Rejet pour défaut d’intérêt – Erreur de qualification juridique des faits – Annulation de l’arrêt d’appel.

Contrairement à ce qui avait été jugé en appel par suite d’une qualification juridique erronée des faits, une société exploitant un bowling à une trentaine de kilomètres d’un aérodrome sur lequel doit être implanté un bowling au moyen d’une subvention publique, tire de cet état de fait un intérêt direct et personnel pour agir en annulation de la décision octroyant la subvention.

(28 novembre 2018, Société Central Park, n° 410116)

 

89 - Pluralité de motifs d’une décision de justice – Caractère erroné de l’un des motifs – Obligation pour le juge de cassation d’annuler cette décision – Exception en cas d’annulation d’un acte administratif pour excès de pouvoir – Obligation cependant de censurer le(s) motif(s) erroné(s).

De cette décision relative au contentieux soulevé par le retrait, par le maire de Perpignan, d’un permis de construire modificatif qu’il avait accordé, on retiendra les rappels de principes bien établis - mais souvent mal compris des justiciables - en cas de pluralité de motifs d’un jugement dont l’un au moins est erroné.

En principe, lorsqu’une décision juridictionnelle repose sur plusieurs motifs dont l'un est erroné, le juge de cassation n’a pas à rechercher si la juridiction aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur les autres motifs et il doit, sauf si le motif erroné est surabondant, accueillir le pourvoi. Toutefois, il en va différemment quand la décision juridictionnelle attaquée prononce l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif, dans la mesure où l'un quelconque des moyens retenus par le juge du fond peut suffire alors à justifier son dispositif d'annulation (30 mai 3007, ONILAIT, n° 279511 ; 17 avril 2008, ONILAIT, n° 279509 ; 7 août 2008, Commune de Libourne, n° 288966). En pareille hypothèse - et sous réserve du cas où la décision qui lui est déférée aurait été rendue dans des conditions irrégulières – il est de l’office du juge de cassation, si l'un des moyens reconnus comme fondés par cette décision en justifie légalement le dispositif, de rejeter le pourvoi, après avoir, en raison de l'autorité de chose jugée qui s'attache aux motifs constituant le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle déférée, censuré celui ou ceux de ces motifs qui étaient erronés (14 octobre 2009, SCI du Bois et autre, n° 310811). 

(30 novembre 2018, Commune de Perpignan, n° 411729)

 

Procédure administrative non contentieuse

 

90 - Charte de l’environnement (art. 7) – Principe de participation du public (art. L. 120-1 devenu ensuite L. 123-19-1 c. environnement) – Absence d’application de cet article aux Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) – Absence d’obligation découlant directement pour le pouvoir réglementaire de l’art. 7 de la Charte de l’environnement – Organisation spontanée par l’administration d’une procédure d’information et de participation du public – Légalité.

De cette décision seront retenus seulement les aspects tenant à la légalité externe du décret attaqué (n° 2016-1700 du 12 décembre 2016 portant extension et modification de la réglementation de la réserve naturelle nationale des Terres australes françaises). En premier lieu, l'art. R. 332-14 du code de l'environnement régit l'extension du périmètre d'une réserve naturelle nationale existante ou la modification de sa réglementation et dispose que ces décisions font l'objet des mêmes modalités d'enquête et de consultation que celles applicables aux décisions de classement. Cependant, cet article n’a été rendu applicable aux TAAF que dans sa version antérieure à la loi du 12 juillet 2010. Sa nouvelle version n’y est donc pas applicable. En outre, si ce même article prévoyait déjà, avant la loi de 2010, la nécessité d’une enquête publique pour tout projet de création d’une réserve, cette disposition-là n’avait pas, non plus, était rendue applicable aux TAAF.

Enfin, si l'article R. 332-14 du même code, qui, lui, a été rendu applicable dans les Terres australes et antarctiques françaises, prévoit que les mêmes modalités, notamment d'enquête, sont applicables pour l'extension du périmètre ou la modification de la réglementation d'une réserve naturelle nationale, il n'a pas eu pour effet de rendre applicables à ce territoire les dispositions relatives à l'enquête publique résultant de l'article R. 332-2 de ce code. Par suite, le Conseil d’Etat juge inopérant le moyen soulevé par l’Union requérante et tiré de ce que le projet de décret litigieux n'a pas été soumis à une enquête publique conformément à ces dispositions.

En deuxième lieu, si l’art. 7 de la Charte de l’environnement a réservé au législateur le soin de définir les conditions et les limites dans lesquelles doit s'exercer le droit de toute personne à accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et à participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence directe et significative sur l'environnement, une telle loi n’avait pas été prise pour les TAAF avant l’intervention du décret attaqué, en particulier s’agissant de l’application, dans ce territoire, de l’art. L. 120-1, devenu L. 123-19-1, du code de l’environnement. La requérante ne pouvait soutenir que la procédure organisée par ce décret n’était pas conforme à la Charte dès lors qu’aucune loi de mise en œuvre de son article 7, dont le décret aurait fait application, n’existait à la date de publication de ce décret.

En troisième, lieu, il était donc loisible au pouvoir réglementaire d’organiser, comme il l’a fait en l’espèce, une procédure d'information et de participation du public à l'élaboration du projet de décret litigieux qui se conformait à celle prévue à l'article L. 120-1 du code de l'environnement.

(21 novembre 2018, Union des armateurs à la pêche de France, n° 407936)

 

91 - Procédure consultative – Etendue et portée – Modifications du texte postérieurement à la consultation – Incidences sur l’obligation de consultation – Cas de la modification du projet de décret portant modification de dispositions statutaires applicables à certains corps militaires d'officiers – Absence de nouvelle consultation – Régularité.

A l’occasion d’un recours dirigé contre un décret portant modification de dispositions statutaires applicables à certains corps militaires d'officiers notamment en matière de revalorisation des carrières, une association argue d’illégalité ce texte car cette modification, à la différence de la procédure ayant précédé la prise initiale de ce décret, n’a pas fait l’objet d’une consultation du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM). 

L’arrêt rappelle les deux exigences jurisprudentielles en matière de consultation. D’une part, l'organisme dont une loi ou un décret prévoit la consultation pour avis sur un projet de texte doit être mis à même d'exprimer son avis sur l'ensemble des questions soulevées par ce texte. D’autre part, une fois cet avis recueilli, lorsque l'autorité compétente envisage d'apporter à son projet des modifications, elle ne doit procéder à une nouvelle consultation de cet organisme que si ces modifications posent des questions nouvelles.

Ce n’était pas le cas en l’espèce, d’où le rejet de la requête.

(30 novembre 2018, Association professionnelle nationale de militaires " APNM Commissariat ", n° 415752)

 

Professions et activités réglementées

 

92 - Infirmier libéral – Refus d’inscription au tableau de l’ordre – Nature du conseil national de l’ordre des infirmiers et règles de procédure qui lui sont applicables – Règle non bis in idem non applicable en l’absence de sanction – Condamnations pénales prises en compte par une instance ordinale. Rejet du recours.

Rejetant le recours formé par un infirmier contre les décisions des conseils interrégional puis national de l’ordre des infirmiers refusant de l’inscrire au tableau de l’ordre, le Conseil d’Etat rappelle un certain nombre de points importants.

La décision de ces instances refusant l’inscription au tableau n’a pas, en l’état des textes et des principes généraux ici applicables, à faire mention du respect de la condition de quorum. N’étant pas une juridiction, le conseil national de l’ordre des infirmiers n’est pas soumis à l’obligation d’indiquer sa composition lorsqu’il a adopté une décision et l’absence de mention en ce sens ne porte point atteinte au principe d’impartialité.

En l’espèce, le refus d’inscription opposé à l’intéressé repose sur une motivation suffisante en ce qu’il relève la commission par le demandeur d’infractions ayant conduit à des condamnations pénales, d’une part, pour agressions sexuelles sur des patientes en salle de réveil ou de convalescence, d’autre part, pour l'établissement et l'usage d'une attestation ou d'un certificat falsifié pour s'inscrire comme infirmier auprès d'une agence d'intérim.

Enfin, il est rappelé que « la règle non bis in idem est inopérante à l'appui de conclusions dirigées contre une décision n'ayant pas le caractère d'une sanction ».

(5 novembre 2018, M. X., n° 416332)

 

93 - Aménagement commercial – Permis de construire – Autorisation d’exploitation commerciale – Compétence en premier et dernier ressort des cours administratives d’appel – Permis irrégulier pour non consultation d’une commission départementale d’aménagement commercial – CAA incompétente.

En principe les cours administratives d’appel sont compétentes en premier et dernier ressort pour connaître du contentieux des autorisations d’exploitation commerciale. En l’espèce, avait été délivré un permis de construire « valant autorisation d’exploitation commerciale » sans qu’ait été consultée préalablement une commission départementale d’aménagement commercial. Le permis ne pouvait valoir autorisation d’exploitation celle-ci ayant été irrégulièrement délivrée. Par suite, le litige ne relevait pas de la compétence de premier et dernier ressort des cours administratives d’appel.

(14 novembre 2018, Commune de Vire et Société Lidl, n° 413246 et n° 413337)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

94 - Régime des interventions en QPC – Caractère accessoire d’une QPC – Obligation d’être intervenant dans le litige principal – Lutte contre le système prostitutionnel – Question présentant un caractère sérieux – Renvoi au C.C.

La QPC n’étant qu’un accessoire à un litige principal il en résulte que ne peut être intervenant dans un litige en QPC que celui qui est également intervenant dans le cadre du litige principal, en vertu du principe accessorium sequitur principale. A défaut, l’intervention en QPC est irrecevable.

En l’espèce était demandé le renvoi au Conseil constitutionnel de la question de savoir si les dispositions du code pénal visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel (art. 611-1, 225-12-1, 131-16, 9° bis et 225-50, 9°) ne sont pas contraires au droit au respect à la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, à la liberté d'entreprendre garanti par son article 4 et au principe de nécessité et de proportionnalité des peines garanti par son article 8. Le Conseil d’Etat y voit des questions sérieuses qu’il renvoie à l’examen du Conseil constitutionnel.

 (12 novembre 2018, Associations Médecins du Monde et autres, n° 423892)

 

Responsabilité

 

95 - Responsabilité hospitalière – Faute médicale à l’origine d’une perte de chance de ne pas subir le dommage – Préjudice indemnisable par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale.

Une personne traitée pour une insuffisance rénale chronique a été équipée d’un cathéter péritonéal afin de recevoir des hémodialyses dans l’attente d’une greffe. Découverte porteuse d’une tumeur sur un rein, elle subit une intervention chirurgicale qui provoque une hémorragie abdominale ; elle décède d’un arrêt cardiorespiratoire au cours d’une hémodialyse. L’époux et les deux enfants de la défunte intentent une action en réparation des préjudices subis. Ils obtiennent presque complètement gain de cause en appel, la charge de cette réparation étant partagée entre le centre hospitalier où a été soignée la défunte et l’ONIAM. L’ONIAM seul se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel et demande à être reçu en son appel incident.

La question principale qui se pose est de savoir si la cour d’appel a eu raison de condamner l’ONIAM, au titre de la solidarité nationale, à réparer les préjudices subis par les consorts X.  En effet, l’ONIAM objecte que la charge de la réparation incombait au moins à l’une des personnes responsables du dommage énumérées au I. de l’art. 1142-1 du code de la santé publique. Ainsi ferait défaut en l’espèce une condition essentielle à la mise en jeu de la solidarité nationale selon le II. du même article.

Le Conseil d’Etat, reprenant à son compte le raisonnement des juges de première instance et d’appel, rappelle que l’obligation de réparer mise à la charge de l’ONIAM ne peut être exclue que dans le cas où le dommage est entièrement la conséquence directe d'un fait engageant la responsabilité de l’une des personnes visées au I. précité. Or, en l’espèce, l’action des consorts X. était fondée sur la circonstance que des fautes étaient non pas à l’origine du dommage corporel lui-même mais à l’origine de la perte de chance d’éviter le dommage corporel survenu. Dès lors, le dommage et sa réparation étaient tout entiers commandés par cette seule question de la perte de chance. Les conditions combinées du I. et du II. de l’art. L. 1142-1 du code de la santé publique étaient donc bien réunies pour que l’ONIAM fût condamné à réparer le dommage allégué sur le fondement de la solidarité nationale.

On saluera la rédaction très pédagogique de cette décision.

(9 novembre 2018, ONIAM et consorts X., n° 409287)

 

96 - Accident de la circulation – Victime sortie sans autorisation d’un établissement psychiatrique – Défaut de surveillance – Charge de la réparation – Existence d’un lien de causalité entre la faute de l’établissement et l’accident survenu au malade.

Un malade, sorti sans autorisation de l’établissement psychiatrique dans lequel il avait été placé sur demande d’un tiers, est accidenté par un véhicule assuré par la société requérante. Cette dernière, après avoir indemnisé la victime et la CPAM, se retourne contre l’établissement d’hospitalisation et obtient gain de cause en première instance mais ce jugement est annulé en appel, d’où son pourvoi.

Pour dénier tout droit à remboursement à l’assureur la cour avait relevé que la faute de l’établissement psychiatrique n’avait pas de lien causal avec l’accident de circulation dont a été victime le malade.

Pour rejeter cette argumentation, annuler l’arrêt et donner gain de cause à la société ACM IARD, le Conseil d’Etat affirme sans plus outre développer que « la présence de M. C... sur la route départementale, sans laquelle l'accident ne se serait pas produit, … ». Affirmation étonnante dès lors que le juge ne relève pas que l’accident n’est survenu, exclusivement ou en partie, qu’à raison de l’état de la santé mentale de la victime. Ce n’est qu’en ce cas que sa sortie sans autorisation révélerait une faute ayant un lien causal direct avec le dommage corporel subi. Ici rien de tel et la théorie de la causalité adéquate se trouve ravalée à une simple clause de style…

Le lecteur n’est pas tenu de partager ce raisonnement des juges du Palais-Royal.

(9 novembre 2018, Société Assurances du Crédit mutuel (ACM) IARD, n° 412799)

 

97 - Gestionnaire d’une clinique condamnée à réparer le dommage résultant d’une transfusion – Action subrogatoire contre l’organisme public ayant fourni les produits défectueux – Arrêt rejetant cette action sur le fondement des dispositions du code de la santé publique – Action reposant en réalité sur l’art. 1251 du Code civil (devenu art. 1346) – Annulation.

Une cour administrative est saisie d’une action subrogatoire dirigée contre l’Etablissement français du sang (venu aux droits et obligations de l'établissement de transfusion sanguine), formée par la personne morale gestionnaire d’une clinique condamnée à réparer le préjudice résultant d’une transfusion sanguine, subi par une patiente hospitalisée dans cette clinique. La cour rejette cette demande en se fondant sur les dispositions de l’art. L. 1221-14 du code de la santé publique dans la mesure où l’appelante n’est pas au nombre des tiers payeurs énumérés à l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985.  Le Conseil d’Etat casse cet arrêt pour erreur de droit car il résulte directement des dispositions de l’art. 1251 du Code civil (aujourd’hui art. 1346) que la « subrogation a lieu de plein droit : (…) 3° Au profit de celui qui, étant tenu avec d'autres ou pour d'autres au paiement de la dette, avait intérêt de l'acquitter ».

 (9 novembre 2018, Mutualité Finistère et Morbihan, n° 413206)

 

98 - Responsabilité médicale – Transfusion sanguine – Demande de l’Etablissement français du sang (EFS) de décharge de toute condamnation – Rejet pour cause de prescription biennale (art. L. 114-1 code des assurances) – Approbation de l’arrêt d’appel.

Un patient se voit administrer par un centre hospitalier des produits sanguins fournis par cet établissement et par l'Association pour l'essor de la transfusion sanguine de Lille. Constatant la contamination de celui-ci par le virus de l’hépatite C, les premiers juges ont mis à la charge du centre hospitalier, en qualité de gestionnaire du poste de transfusion sanguine de l'établissement, la réparation des préjudices subis par ce patient. L’état de ce dernier s’étant aggravé et celui-ci étant décédé, ses ayants-droit, ainsi que l’établissement national des invalides de la marine (ENIM), ont saisi le tribunal administratif, les premiers d’une action dirigée contre l’ONIAM, le second d’une action contre l’EFS venu aux droits et obligations des établissements de transfusion sanguine. Le tribunal a rejeté l’action des ayants droit et admis celle de l’ENIM. La cour d’appel, saisie par les ayants droit et par l’EFS, a mis à la charge de l’ONIAM diverses indemnités dues aux ayants droit et réduit la somme due par l’EFS à l’ENIM.

L’EFS se pourvoit en tant qu’il n’a pas été entièrement déchargé.

Il résulte, d’une part, de l’art. L. 114-1 du code des assurances, que les actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans et d’autre part, de l’art. L. 1221-14 du code de la santé publique, que l’ONIAM et les tiers payeurs ne peuvent pas exercer d’action subrogatoire contre l’EFS qui a fourni les produits contaminés « si l'établissement de transfusion sanguine n'est pas assuré, si sa couverture d'assurance est épuisée ou encore dans le cas où le délai de validité de sa couverture est expiré ».

Il découle de ces dispositions que la cour d’appel n’a pas commis d’erreur de droit  en fondant son rejet de la demande de l’EFS d’être déchargé de toute condamnation sur le fait que la prescription biennale opposée à l'EFS par la société Axa assurances, assureur de l'Association pour l'essor de la transfusion sanguine de Lille, aux droits et obligations de laquelle est venu l'EFS, ne pouvait être assimilée ni à une absence d'assurance de cet établissement, ni à un dépassement de la garantie d'assurance, notamment par le dépassement des plafonds, ni à l'expiration du délai de validité de la couverture d'assurance, au sens des dispositions de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique.

(9 novembre 2018, Etablissement français du sang, n° 414479)

 

99 - Non réalisation d’un parc éolien – Absence d’assurances certaines – Décision de délimiter le périmètre d’implantation d’un parc éolien ne constituant pas une autorisation d’implantation – Loi littoral faisant obstacle à l’implantation d’éoliennes – Absence de fautes, pour l’essentiel – Absence de réunion des conditions de la responsabilité sans faute à prouver.

La société Electribent réclame réparation à la commune de Salses-le-Château et à l’Etat du préjudice résultant pour elle de la non réalisation d’un parc d’implantation d’éoliennes. Déboutée en première instance, elle n’obtient en appel que de faibles indemnisations mises à la charge, l’une, de la commune, l’autre, de l’Etat. Seules la société et la commune se pourvoient.

Le Conseil d’Etat annule la partie de la réparation mise à la charge de la commune car il estime que celle-ci, par la modification de son plan d'occupation des sols et la création d'une zone naturelle éolien, par la proposition faite au préfet des Pyrénées-Orientales de créer une zone de développement éolien ainsi que par la signature avec la société requérante d'une promesse de bail sur des parcelles lui appartenant en vue de créer un tel projet, ne pouvait pas être regardée comme ayant donné à la société Electribent des " assurances " de réalisation d'un parc éolien dont le non respect serait constitutif d'une faute de nature à engager sa responsabilité car, ce faisant, la commune s'est bornée à rendre possible et à faciliter la réalisation d'un parc éolien sur son territoire et n’a pris aucune décision d’implantation dudit parc. Il n’est pas certain que, sur ce point, le juge fasse une exacte et complète application du principe de loyauté dans les relations entre les particuliers et la puissance publique.

Au surplus, apprend-on, la compétence pour délivrer le permis de construire relevait ici du préfet qui ne pouvait d’ailleurs l’accorder à cause des prescriptions de la loi littoral.

Concernant la responsabilité de l’Etat, qui n’était pas critiquée par ce dernier faute de pourvoi, le montant alloué par la cour administrative d’appel ne pouvait plus être réduit. En revanche, le pourvoi de la société Electribent invitait à le majorer. Aucun des moyens développés par elle n’a convaincu le juge.

L’invocation d’une responsabilité non fautive ne pouvait prospérer en l’absence de précisions en ce sens dans les écritures de la société. Celle-ci, professionnel de l’énergie éolienne, connaissant la complexité et les risques des dossiers constitués en ce domaine, a commis une imprudence fautive en engageant des recherches et des frais, imprudence qui exonère en partie la faute de l’Etat. De plus, une partie d’entre eux est sans lien de causalité avec le préjudice subi.

(19 novembre 2018, Commune de Salses-le-Château, n° 412693 et Société Electribent, n° 412712, deux espèces jointes)

 

Santé publique      

 

100 - Prix d’un médicament – Demande d’augmentation de son prix – Refus du comité économique des produits de santé – Motivation tirée de l’absence de caractère de « médicaments indispensables » du médicament en cause – Motif ne pouvant être retenu en l’espèce – Illégalité du refus d’autoriser l’augmentation de prix.

Le comité économique des produits de santé refuse de faire droit à la demande d'augmentation du prix des spécialités Claradol, présentée par la société Teofarma, au motif que ces spécialités ne répondaient pas aux critères des " médicaments indispensables " défini par l'article 16 de l'accord conclu le 31 décembre 2015 avec le syndicat " Les entreprises du médicament " et destiné, en application de l'article L. 162-17-4 du code de la sécurité sociale, à préciser le cadre des conventions conclues avec les entreprises ou groupes d'entreprise exploitant des spécialités pharmaceutiques.

Le Conseil d’Etat, saisi par la société Teofarma, estime qu’il était loisible au comité économique des produits de santé d’apprécier les critères prévus par les articles L. 162-16-4 et R. 162-20 du code de la sécurité sociale au regard des conditions de leur mise en oeuvre prévues par cet accord cadre et relatives à la détermination de l'évolution du prix des médicaments, dès lors que la société exploitant la spécialité avait conclu avec lui une convention s'y référant. En revanche, ce comité ne pouvait légalement fonder son refus sur le seul motif tiré de ce que les spécialités considérées ne pouvaient être regardées comme des " médicaments indispensables ", alors que ni les dispositions pertinentes du code de la sécurité sociale ni les conditions de mise en oeuvre des critères légaux prévues par l'accord cadre du 31 décembre 2015 ne restreignent la possibilité d'augmenter le prix d'une spécialité à cette seule hypothèse. La décision de refus opposée par le comité économique des produits de santé est ainsi illégale en ce qu’elle repose sur une erreur de droit.

(28 novembre 2018, Société Teofarma, n° 413512)

 

Service public

 

101 - Principe de spécialité des établissements publics – Chambres de commerce et d’industrie – Certifications de signature électronique – Association transparente – Concurrence déloyale – Absence dès lors que la signature électronique, dans un contexte de dématérialisation, est un élément de la compétitivité des entreprises.

Une société, Support-RGS, a demandé, et obtenu, d’un tribunal administratif, confirmé par arrêt d’appel, l’annulation de décisions (explicites et implicites selon les cas) de refus prises par des chambres de commerce et d’industrie de cesser toute action de promotion et de commercialisation des certificats de signature électronique ChamberSign. Pour procéder à cette annulation les juges du fond ont estimé que, ce faisant, les chambres avaient violé le principe de spécialité qui régit l’activité des établissements publics. Ces dernières saisissent le Conseil d’Etat et obtiennent gain de cause, celui-ci apercevant dans la motivation de l’annulation prononcée une erreur de qualification juridique. Le juge rappelle que le principe de spécialité n’empêche que l’exercice d’activités étrangères à la mission de l’établissement, non celles qui sont le complément normal de cette mission et celles qui sont directement utiles à l’établissement.

Partant de prémisses qui sont discutables en ce qu’elles recèlent une possibilité infinie d’extension, le Conseil d’Etat déroule une argumententation complexe et peu convaincante. D’une part, la promotion de l'utilisation des certificats de signature électronique et l'exercice de l'activité de bureau d'enregistrement  correspondraient à la mission qui est celle des chambres de soutenir et d’accompagner les entreprises ; et d’autre part,  l'activité de commercialisation des certificats de signature électronique constituerait un complément normal des missions des chambres de commerce car elle s'inscrirait dans le prolongement de leur mission d'appui et d'accompagnement des entreprises et elle serait utile à l'exercice de celle-ci, y compris lorsque la commercialisation est effectuée au profit de collectivités territoriales ou de professions réglementées.

On peut douter que cette solution jurisprudentielle emporte la conviction du juge européen.

 (9 novembre 2018, CCI France et autres, n° 412562)

 

102 - Service de téléphone mis à disposition de détenus – Contestation du tarif jugé trop élevé – Egalité des usagers devant le service public – Différences objectives de situations justifiant un coût plus élevé des prestations – Absence de disproportion manifeste par rapport aux tarifs pratiqués envers les autres usagers du téléphone – Coût des communications liés aux missions de police de surveillance des communications téléphoniques des détenus incombant à l’Etat et ne pouvant pas constituer un élément du coût mis à la charge des détenus.

Un détenu se plaint du coût excessif des communications téléphoniques dans le centre de détention où il se trouve. Il demande l’annulation du refus d’abroger la tarification des services téléphoniques imposée aux détenus de l'établissement.

Le contrat liant l’établissement pénitentiaire à l’opérateur téléphonique est une concession de service public et ce contrat comporte des clauses réglementaires, notamment celles relatives au tarif des communications, qui sont directement contestables par les usagers du service que sont les détenus.

Le Conseil d’Etat relève que le prix du service tient compte de deux éléments : la fourniture du service téléphonique proprement dit aux détenus et le coût de la police de la surveillance de ces communications (enregistrement, contrôle, archivage…).

Sur le premier point, le Conseil d’Etat n’aperçoit qu’une différence tarifaire légitime avec les autres usagers, justifiée par des contraintes particulières pour l’opérateur téléphonique. Celle-ci ne comporte point des différences manifestement excessives.

Sur le second point, en revanche, le juge rappelle que la surveillance des communications est une fonction de police incombant exclusivement à l’Etat : son coût ne saurait constituer un élément du tarif imposé aux détenus. Le requérant n’est donc fondé à demander l'annulation du refus d'abroger les clauses réglementaires du contrat litigieux qu'en tant qu'elles prévoient que les dépenses relatives aux prestations fournies par le délégataire afin de procéder au contrôle des communications téléphoniques des détenus sont financées au moyen du tarif de ces communications.

(14 novembre 2018, M. X., n° 418788)

 

103 - SNCF Réseau – Etablissement public à caractère industriel et commercial (E.P.I.C.) par détermination légale – Compétence judiciaire pour connaître de ses litiges – Compétence du juge administratif, par exception, pour celle des activités de l’E.P.I.C. ressortissant, par leur nature, des prérogatives de puissance publique – Absence de telles préreogatives en l’espèce – Incompétence du juge administratif.

Rappel d’une jurisprudence du Tribunal des conflits entérinée par les juridictions administratives et judiciaires : les litiges concernant un E.P.I.C. par détermination légale, tels SNCF Réseau ici en cause, relèvent de la compétence du juge judiciaire sauf pour celles de leurs activités qui, telles la réglementation, la police ou le contrôle, ressortissent par leur nature des prérogatives de puissance publique.

En l’espèce, le juge de cassation – prenant le contrepied de la position retenue par la cour administrative d’appel - relève, d’une part, que les agents de la SNCF se bornent à contrôler et à surveiller les installations et les trains de marchandises, notamment pour prévenir la présence éventuelle de personnes non autorisées à bord des trains devant emprunter le tunnel sous la Manche, d’autre part, qu’en cas de présence de personnes non autorisées il est fait appel aux forces de police compétentes. Les agents de la SNCF étant sans pouvoir de contrainte envers les personnes qui refuseraient d'obtempérer, ne sont donc en cause que des opérations matérielles lesquelles ne relèvent pas de l'exercice de prérogatives de puissance publique.

(28 novembre 2018, SNCF Réseau, n° 413839) V. aussi le n° 35

 

Urbanisme

 

104 - Permis de construire – Affichage du permis régulier mais incomplet – Durée du délai de recours contentieux – Durée devant être raisonnable – Défaut ici – Rejet du recours en annulation.

Normalement le permis de construire délivré doit faire l’objet d’un affichage sur le terrain d’assiette du permis. Outre le caractère continu durant deux mois de cet affichage, les textes prévoient les mentions qu’il doit comporter dont le délai de recours contentieux ouvert à toute personne intéressée pour contester ledit permis.

En l’espèce, les requérants contestaient le caractère continu de l’affichage et le caractère erroné du délai de recours contentieux qui y était indiqué.

Sur le premier point, il est donné raison aux juges du fond d’avoir décidé que dès lors qu’un constat d’huissier attestait de l’existence de cet affichage à une certaine date et que les demandeurs n’apportaient aucun élément de fait à l’appui de leur allégation de non continuité de l’affichage, celui-ci devait être considéré comme ayant été continu durant deux mois.

Sur le second point, élargissant encore la portée de la jurisprudence Czabaj (Assemblée, 13 juillet 2016, Rec. 340), il est jugé que si, faute d’indication de tout délai de recours, le recours contentieux ne doit pas être intenté au-delà de la durée raisonnable d’une année,  en revanche, lorsqu’un délai erroné est mentionné dans l’affichage du permis, le recours contentieux doit être intenté dans ce délai à peine d’irrecevabilité alors même que le délai raisonnable d’un année serait pas, à cette date, expiré.

Cette solution se situe dans le droit fil de la jurisprudence qui est de mode ces temps-ci, elle peut être critiquée en ce qu’elle fait bon marché de la règle du délai de recours contentieux censée jouer en faveur des tiers et du respect de la légalité.

(9 novembre 2018, M. X. et autres, n° 409872)

 

105 - Demande d’abrogation ou de retrait de dispositions du code de l’urbanisme réglementant l'installation des résidences mobiles de loisirs et des caravanes – Refus implicite du premier ministre – Invocation de la qualité de gens du voyage – Atteintes prétendues à certains droits découlant de conventions internationales – Dispositions d’urbanisme inapplicables aux gens du voyage – Rejet.

Des gens du voyage demandent l’annulation du refus implicite opposé par le premier ministre à leur demande d’abroger, modifier ou retirer les articles R. 111-42 et R. 111-49 du code de l’urbanisme qui règlement ou prohibent, selon les cas, le stationnement des résidences mobiles de loisirs ainsi que celui des caravanes. Ils invoquent l’atteinte portée à leur mode de vie d’habitation nomade en violation des dispositions de l’art. 17 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel.

La demande est rejetée car les dispositions régissant l’habitat nomade figurent dans la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage et les articles querellés du code de l’urbanisme font expressément la réserve des hypothèses visées par cette loi. 

(9 novembre 2018, M. X. et Mme Y., n° 411010) 

 

106 - Construction édifiée sans respecter la déclaration préalable ou le permis de construire – Transformations postérieures – Étendue de la demande de permis subséquente – Exception tirée de la non contestation municipale de la déclaration d’achèvement et de conformité des travaux à l’autorisation accordée.

La présente décision concerne le cas où un pétititionnaire envisage de réaliser des travaux sur des constructions qui ont été édifiées sans respecter l’intégralité des prescriptions de la déclaration préalable ou du permis de construire.

En principe, il lui incombe de déposer une déclaration ou de présenter une demande de permis portant sur l'ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu'il avait été initialement approuvé. Il en va ainsi même dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l'édifice réalisée sans autorisation. En ce cas, l’administration statue au vu des pièces du dossier et des règles d’urbanisme applicables à la date de sa décision.

Toutefois, lorsque le bénéficiaire d'un permis ou d'une décision de non-opposition à déclaration préalable a adressé au maire une déclaration attestant l'achèvement et la conformité des travaux réalisés en vertu de cette autorisation, l'autorité compétente ne peut plus en contester la conformité au permis ou à la déclaration si elle ne l'a pas fait dans le délai, suivant les cas, de trois ou de cinq mois ni, dès lors, sauf le cas de fraude, exiger du propriétaire qui envisage de faire de nouveaux travaux sur la construction qu'il présente une demande de permis ou dépose une déclaration portant également sur des éléments de la construction existante, au motif que celle-ci aurait été édifiée sans respecter le permis de construire précédemment obtenu ou la déclaration préalable précédemment déposée.

Voilà une interprétation latitudinaire de la légalité bien dans l’air du temps…

(26 novembre 2018, M. X., n° 411991)

 07 - Notion de « projet à prendre en considération » pour l’application de l’art. L. 122-1 du code de l’environnement – Zone du plan d’urbanisme divisée en trois secteurs – Prise en considération de l’ensemble de la zone pour l’application de l’art. L. 122-1 – Erreur de droit – Secteurs à retenir séparément.

Un permis d’aménager en vue de la création d'un lotissement est délivré par le maire de La Turballe. Le terrain d’assiette se trouve dans une zone qui, à la faveur d’une modification du plan d’urbanisme, est divisée en trois secteurs, tous ouverts à l’urbanisation, dont le premier est destiné à recevoir le lotissement. Un référé suspension est formé contre l’arrêté municipal portant permis d’aménager au motif qu’il est illégal faute d’avoir été précédé de l’étude d’impact prévue à l’art. L. 122-1 c. env. Pour donner raison aux requérants, le juge a pris en compte l’ensemble de la zone ouverte à l’urbanisation et considéré que le projet global d’urbanisation était soumis aux dispositions combinées des articles L. 122-1 et L. 122-2 c. env., ce qui impliquait la réalisation d’une étude d’impact. Il a donc suspendu l’arrêté querellé. Le Conseil d’Etat annule cette ordonnance car chacun des trois secteurs de la zone doit être traité séparément des deux autres pour déterminer si son urbanisation doit être, ou non, soumise à une étude d’impact.

Il n’est pas certain que cette solution traduise correctement l’intention du législateur.

(28 novembre 2018, Commune de La Turballe, n° 419315 et Association « Collectif du Clos des Simons » et autres, n° 419323)

 

108 - Emprise au sol d’une construction – Détermination de l’assiette d’application du coefficient d’emprise autorisé – Prise en compte de la partie inconstructible d’une parcelle.

Commet une erreur de droit le jugement qui, pour déclarer irréguliers des permis de construire, retranche de la superficie de la parcelle concernée sa partie inconstructible pour n’appliquer le coefficient de 80% qu’à la partie constructible de celle-ci, et constate de ce fait que les surfaces de constructions autorisées par les permis excèdent le maximum prévu au plan d’urbanisme. En effet, selon le Conseil d’Etat, lorsqu’un règlement du plan local d'urbanisme décide que le coefficient d'emprise au sol doit être calculé par rapport à la superficie totale de l'unité foncière supportant le projet de construction, dès lors qu'elle est tout entière située dans la même zone du plan local d'urbanisme, il importe peu qu'une partie de cette unité soit inconstructible. Le coefficient doit être appliqué à la superficie de la parcelle entière.

(26 novembre 2018, Société Groupe Promomidi, n° 414612)

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