Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Octobre 2018

 

Actes et décisions

 

1 - Accord interprofessionnel – Extension – Cotisation sur les bananes commercialisées en France continentale – Arrêté ministériel étendant un accord interprofessionnel fixant un prix au cours d’une campagne relative à une activité agricole – Conditions d’application dans le temps – Rétroactivité permise en cours de campagne.

L’Association requérante conteste un arrêté ministériel fixant la date à partir de laquelle s’applique l’extension d’un accord interprofessionnel lequel fixe le montant de la cotisation sur les bananes à un euro par tonne commercialisée en France. S’agissant d’une production agricole, il faut tenir compte du cycle particulier d’organisation et de production. C’est pourquoi le Conseil d’État appliquant une jurisprudence constante (au moins depuis Assemblée, 8 juin 1979, Confédération générale des planteurs de betterave, n° 4188) juge légale l’application d’un prix ou d’un taux en matière agricole depuis le début et jusqu’à la fin de la campagne alors même que ce prix ou ce taux n’a été établi qu’en cours de campagne. En revanche, fixé à l’expiration d’une campagne ce prix est inapplicable à celle-ci et ne peut être retenu qu’à partir de la campagne suivante.

(1er octobre 2018, Association interprofessionnelle de la banane, n° 413681)

 

2 - Opération complexe – Point de départ du délai de recours contre les actes successifs formant l’opération complexe.

Voir au n° 19

(12 octobre 2018, Ministre de l’Intérieur, n° 417016)

 

3 - Conseil national d’évaluation des normes – Compétence pour connaître des projets de textes relatifs aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics (art. 1212-2, I du CGCT) – Champ d’application de l’obligation de consultation.

Le Conseil national d’évaluation des normes doit être consulté sur tout projet de texte réglementaire créant ou modifiant des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics. Selon le juge, il faut entendre par là deux catégories de normes :

1°/ celles qui concernent à titre spécifique ou principal ces collectivités ou établissements ; 2°/ celles qui affectent significativement leurs compétences, leur organisation, leur fonctionnement ou leurs finances.

On saluera cet effort de clarification.

(26 octobre 2018, Association Regards citoyens, n° 403916)

 

4 - Pouvoir réglementaire – Détention de ce pouvoir par le Conseil national des barreaux – Etendue et conditions d’exercice – Création d’une certification pour l’exercice de la fonction de médiateur par un avocat – Excès de pouvoir – Annulation.

La fédération requérante demandait l’annulation de la décision par laquelle le Conseil national des barreaux a institué un « référencement » comme médiateur, dont la détention est indispensable à l’exercice de la médiation par un avocat. Le Conseil d’Etat, donnant raison à la requérante, examine l’étendue des pouvoirs dévolus à cette institution.

Transposant une solution retenue à plusieurs reprises pour les organes des ordres professionnels (cf. J.-C. Ricci, Le pouvoir réglementaire des ordres professionnels, Aix dactyl., Travaux et mémoires de la faculté de Droit d’Aix, 1970) et bien que les avocats ne constituent pas un ordre professionnel, il rappelle que ce Conseil « est investi par la loi d'un pouvoir réglementaire, qui s'exerce en vue d'unifier les règles et usages des barreaux et dans le cadre des lois et règlements qui régissent la profession. Ce pouvoir trouve cependant sa limite dans les droits et libertés qui appartiennent aux avocats et dans les règles essentielles de l'exercice de la profession. Le Conseil national des barreaux ne peut légalement fixer des prescriptions nouvelles qui mettraient en cause la liberté d'exercice de la profession d'avocat ou les règles essentielles qui la régissent et qui n'auraient aucun fondement dans les règles législatives ou dans celles fixées par les décrets en Conseil d'Etat prévus par l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971 (portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques), ou ne seraient pas une conséquence nécessaire d'une règle figurant au nombre des traditions de la profession ». C’est en réalité un pouvoir réglementaire assez restreint qui est reconnu en raison de la diversité et du nombre des limites que ce juge met à son exercice.

 (25 octobre 2018, Fédération française des centres de médiation et M. X., n° 411373)

 

5 - Acte préparatoire – Proposition de nomination d’un magistrat faite par le garde des sceaux – Acte préparatoire au décret de nomination de ce magistrat par le président de la république – Recours irrecevable contre une telle proposition.

La proposition de nomination d'un magistrat soumise par le garde des sceaux au Conseil supérieur de la magistrature constitue un acte préparatoire au décret de nomination du Président de la République. Elle n'a, dès lors, pas le caractère de décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Le recours dirigé contre cette proposition est irrecevable. V. aussi, sur cette affaire, le n° 63

(25 octobre 2018, Mme X. et Syndicat de la magistrature, n°s 405418, 408397, 409458 et 412649)

 

6 - Acte sans effet de droit – Nécessité d’un autre acte postérieur pour son efficacité juridique – Cas du Programme d'investissement d'avenir, arrêté par le premier ministre, dit action " initiative d'excellence, initiative science-innovation-territoires-économie " (IDEX/I-SITE) – Recours manifestement irrecevable en tant qu’il est porté devant le Conseil d’Etat statuant en premier et dernier ressort.

Est manifestement irrecevable le recours formé contre la décision par laquelle le premier ministre sélectionne une liste de projets, détermine les montants qui leur sont alloués et autorise l'Agence nationale de la recherche à conclure les conventions attributives d'aide en indiquant que celles-ci définiront les conditions, propres à chaque projet, auxquelles le versement des aides sera subordonné, car elle est sans caractère réglementaire notamment parce qu’elle n'a pas pour objet l'organisation du service public. Dès lors, le Conseil d’Etat n’est pas compétent pour y statuer en premier et dernier ressort.

(24 octobre 2018, M. X. et Association démocratie et transparence à l'université de Lyon (ADTUL), n° 411855)

 

7 - Autorisation d’exploitation d’une centrale nucléaire – Centrale de Fessenheim – Abrogation de l’autorisation – Abrogation ne pouvant être décidée que sur demande du bénéficiaire – Absence en l’espèce – Annulation de l’abrogation.

Il résulte des dispositions combinées des art. L. 311-1, L. 311-5, L. 311-5-5 et L. 311-6 du code de l’énergie que l'abrogation d'une autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité ne peut intervenir que sur demande de son titulaire. En l’espèce, il est constant qu’à la date du décret attaqué le directeur général de la société EDF n'avait présenté au Premier ministre aucune demande d'abrogation de l'autorisation d'exploiter la centrale de Fessenheim. D’où il suit que le décret attaqué par les collectivités territoriales requérantes est illégal sans que puisse faire obstacle à cette annulation la circonstance qu’il subordonne lui-même son entrée en vigueur à la présentation d'une telle demande

(25 octobre 2018, Commune de Fessenheim, Communauté de communes Pays Rhin-Brisach, Département du Bas-Rhin et Région Grand Est, n° 410109)

 

8 - Retrait d’une décision en cours d’instance et remplacement par une autre décision – Sort et portée du recours introduit antérieurement – Retrait ayant acquis un caractère définitif – Non lieu à statuer sur le recours dirigé contre la décision primitive – Obligation de statuer sur la seconde décision.

Par cette décision, le Conseil dEtat règle une délicate question de procédure contentieuse résultant de la situation née, à la fois, d’une part, du retrait, en cours d’instance, de la décision attaquée et de son remplacement par une autre et, d’autre part, de l’expiration du délai de recours contre la décision attaquée primitivement.

Les directives posées par le juge sont les suivantes et elles doivent être approuvées.

Tout d’abord, le recours formé contre une décision administrative retirée en cours d'instance et remplacée par une décision ayant la même portée, doit être regardé comme tendant également à l'annulation de la nouvelle décision. Le recours porte donc en ce cas à la fois contre les deux décisions.

Ensuite, dans le cas où le retrait de la décision primitivement attaquée a acquis un caractère définitif, les conclusions dirigées contre celle-ci deviennent sans objet et il n’y a plus lieu d’y statuer.

Enfin, le juge doit statuer sur les conclusions dirigées contre la nouvelle décision, prise au cours de l’instance.

(15 octobre 2018, M. X., n° 414375)

 

9 - Charte de transparence relative au statut du conjoint du chef de l’Etat – Absence d’effets de droit – Acte non décisoire – Communiqué de presse insusceptible de recours.

Le document dénommé « Charte de transparence relative au statut du conjoint du chef de l’Etat » - qui présente le rôle public susceptible d'être assuré par l'épouse du Président de la République entré en fonctions le 14 mai 2017 et les activités auxquelles elle est susceptible de participer en cette qualité - dont les requérants demandaient l’annulation de la publication ainsi que celle du communiqué l’accompagnant, ne comportent point de règles, n’ont aucun caractère décisoire, par suite ils ne sauraient faire l’objet d’un recours contentieux quelconque.

(12 octobre 2018, M. X. et M. Y., n° 413644)

 

10 - Vente de bois de chêne par l’Office national des forêts (ONF) – Vente par appel d’offres et par adjudication – Adoption d’un règlement fixant les obligations et les sanctions imposées aux acheteurs – Vice de forme irrémissible en l’absence de débat collégial.

Le conseil d’administration de l’ONF adopte par voie de résolution un règlement obligeant les acheteurs de bois de chêne à disposer d'un label, à souscrire un engagement garantissant que les lots acquis alimenteront la filière européenne de transformation et décidant que le non-respect des conditions d'obtention du label ou de l'engagement pourrait entraîner l'exclusion de l'acheteur, pour ce type de produit et pour une durée de cinq ans maximum, des ventes de l'ONF. Les sociétés et entreprises requérantes contestent cette décision dont elles demandent l'annulation pour excès de pouvoir. De nombreux moyens sont invoqués, de forme et de fond.

Le Conseil d’État retenant l’un des moyens de forme, il n’est pas procédé à l’analyse des moyens de fond.

Le conseil d’administration de l’Office n’ayant pu examiner le projet de modifications du règlement des ventes de bois de chênes par appel d’offres et par adjudication et n’ayant pas délibéré à son sujet, le président de ce conseil a invité par courrier les membres de celui-ci à exprimer individuellement et par écrit, leur vote sur le projet de résolution relatif à ces modifications. Cette façon de procéder est censurée car elle n’a pas mis les membres du conseil en mesure de débattre de ce projet, La résolution attaquée ayant été irrégulièrement adoptée, elle est annulée sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête.

(3 octobre 2018, Société Sonorbois et autres, n° 410946)

 

11 - Action en responsabilité contre l’État français du chef de sa non-assistance aux supplétifs de l’armée française en Algérie (harkis) et à leurs familles pour les soustraire aux tortures et à la mort lors de l’indépendance de l’Algérie – Reconnaissance de cette responsabilité par les juges du fond mais refus d’une indemnisation supplémentaire – Acte de gouvernement – Incompétence de la juridiction administrative – Annulation des jugement et arrêt et rejet au fond pour incompétence du juge saisi.

Un fils de harki dont le père a été exécuté par le FLN au moment de l’indépendance de l’Algérie sollicite la réparation du préjudice moral qu’il a subi du fait que cet assassinat n’a pas été empêché par les autorités françaises, en violation des déclarations gouvernementales dites « accords d’Évian » (19 mars 1962).

Les juges de première instance et d’appel ont reconnu la responsabilité de l’État mais ont refusé l’indemnisation demandée au motif « que les mesures prises par la France à l'égard de ces anciens supplétifs devaient être regardées, dans leur ensemble, comme ayant permis, autant qu'il est possible, l'indemnisation des préjudices d'ordre matériel ou moral subis à ce titre. ». Formulation directement inspirée de l’arrêt Mme Hoffman-Glemane (Assemblée, avis, 16 février 2009) à propos des persécutions antisémites perpétrées durant la seconde guerre mondiale.

Le Conseil d’État annule ces jugement et arrêt car il estime que les décisions rejetant la demande de réparation dont ils étaient saisis « ne sont pas détachables de la conduite des relations entre la France et l'Algérie et ne sauraient par suite engager la responsabilité de l'État sur le fondement de la faute. »

Faute d’avoir relevé d’office l’incompétence de la juridiction administrative, l’arrêt doit être cassé.

Cette solution, déplorable car en forme d’esquive désagréable, risque de ne pas convenir aux juges de la Cour EDH.

Par ailleurs, de façon sibylline, la décision ne se prononce que sur la responsabilité fondée sur une faute prouvée et ne dit rien de la responsabilité sans faute à prouver, laquelle est pourtant d’ordre public.

(3 octobre 2018, M. X., n° 404838 ; v. aussi, le n° 120, du même jour et sur le même sujet, le n° 410611)

 

12 - Etablissement d’hébergement de personnes âgées dépendantes (EHPAD) – Autorisation d’extension de la capacité d’accueil suite à la cession par le précédent titulaire de l’autorisation à lui accordée – Caducité partielle de l’autorisation prononcée par le juge du fait de la caducité du contrat de vente du fonds de commerce appartenant à ce dernier – Erreur de droit – Annulation de l’arrêt.

Le Conseil d’Etat censure l’arrêt d’une cour administrative qui juge que l’autorisation administrative devant être donnée pour l’exploitation d’un établissement à caractère social ou médico-social bénéficiaire de la cession d’une autorisation d’exploitation délivrée à un autre établissement, est subordonnée à l'existence d'un contrat entre le précédent titulaire de l'autorisation et le nouveau, de telle sorte que la caducité de ce contrat entrainerait nécessairement la caducité de l'accord donné à la cession de l'autorisation d'exploitation. La cour devait vérifier si, au vu de l'ensemble des éléments dont elle était saisie, le projet de cession ayant fait l'objet de l'autorisation en cause gardait son objet.

(22 octobre 2018, EHPAD « Ma Résidence », n° 412057)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

13 - Publicité autorisée aux titulaires de fréquences délivrées par le CSA – Constatation de la diffusion d’une publicité locale interdite aux titulaires de « services de radio thématiques à vocation nationale » – Cas en l’espèce – Mise en demeure – Légalité de cette mesure.

La société Vortex a été autorisée à exploiter le service de catégorie D " Skyrock " dans plusieurs zones de la région PACA, catégorie définie comme « services de radio thématiques à vocation nationale », ce qui exclut la possibilité de décrochages locaux et donc de diffusion de messages publicitaires locaux. Constatant que la société Vortex a diffusé de tels messages, le CSA lui a adressé une mise en demeure dont la société conteste la légalité devant le Conseil d’État en invoquant des moyens de forme et de fond.

Le juge rappelle que si les délibérations du CSA sont soumises à un quorum le respect de celui-ci n’a pas à être expressément mentionné dans le procès-verbal de séance.

Pareillement, si les décisions du CSA doivent être motivées cette exigence ne s’étend pas au rejet du recours gracieux formé contre une décision elle-même motivée.

Quant au fond, il est jugé que le CSA a bien respecté les conditions posées par la loi (publicité devant être assurée dans des zones couvrant un bassin de population de moins de six millions d'habitants, indication, par l'annonceur, d'une adresse ou d'une identification locale explicite, caractère local de la publicité incriminée) partant, le recours ne pouvait qu’être rejeté.

(3 octobre 2018, Société Vortex, n° 416036)

 

14 - Société exploitant un service de radio par voie hertzienne terrestre en modulation de fréquence – Fixation d’une valeur maximale d’excursion de fréquence – Dépassements constatés et sanctionnés par le CSA – Motivation de la sanction – Montant de la sanction – Sanction proportionnelle justifiée – Rejet.

La société Vortex fait l’objet d’une sanction pécuniaire par le CSA en raison de ses dépassements répétés de la valeur maximale d’excursion autorisée sur la fréquence qui lui est allouée. Le Conseil d’Etat rejette tous ses arguments à l’encontre de cette décision de sanction. Celle-ci est correctement motivée en ce qu’elle décrit les manquements sanctionnés et énonce le montant infligé eu égard à la gravité de ceux-ci. Elle est également bien fondée eu égard aux pouvoirs dont dispose ici le CSA.

(15 octobre 2018, Société Vortex, n° 408212)

 

15 - Emission de télévision constituant un prétendu canular – Séquence comportant des insultes, des attitudes et des propos sexistes et humiliants, attentatoires à la dignité de la personne humaine – Procédure de sanction régulière – Sanction justifiée au fond – Montant de la pénalité sans caractère excessif.

Au cours d’une émission de télévision, notoirement connue pour ses dérapages, est diffusée une séquence qui se veut un canular infligeant pendant dix minutes à une femme une conversation sur l’infidélité répétée dont elle est l’objet de la part de son partenaire, à raison de sa grosseur, le tout accompagné de pleurs diffusés en direct à l’antenne. Le CSA poursuit la chaîne dont l’animateur vedette a imaginé ce scénario et lui inflige une sanction pécuniaire, assez modeste, d’un million d’euros.

Sur recours de la chaîne, le Conseil d’Etat, comme il était hautement prévisible, ne retient aucun des moyens qu’elle a cru pouvoir développer au soutien de ses prétentions. La procédure suivie a été régulière en dépit de ce qui est affirmé de contraire par NRJ ; malgré son caractère de canular, qui ne se révèle en fait qu’en fin de séquence, la scène incriminée est d’une nature telle que la sanction est fondée sur une exacte qualification juridique des faits ; enfin, le montant de la sanction n’est en rien excessif.

(15 octobre 2018, SAS NRJ, n° 417271)

 

16 - Décret du 28 octobre 2016 autorisant la création d'un traitement de données à caractère personnel relatif aux passeports et aux cartes nationales d'identité – Arrêté du 9 février 2017 portant application du décret du 28 octobre 2016 – Requêtes en annulation – Rejet.

Diverses personnes physiques et personnes morales attaquent par voie de recours pour excès de pouvoir un décret du 28 octobre 2016 et son arrêté d’application du 9 février 2017 qui autorisent et mettent en œuvre la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif aux passeports et aux cartes nationales d'identité.  Sont invoqués des moyens de légalité externe et des moyens de légalité interne. Ils sont tous rejetés par le Conseil d’Etat.

Au plan de la légalité externe, il est jugé, d’une part, que le pouvoir réglementaire était compétent pour instituer le traitement critiqué alors même que celui-ci s’applique à la quasi-totalité de la population française, cet élément purement quantitatif n’ayant pas d’incidence en droit et, d’autre part, que la procédure suivie pour la prise du décret querellée a été en tous points régulière.

Au plan de la légalité interne, la critique tenant à l’exigence d’intelligibilité et d’accessibilité est rejetée. Quant aux griefs respectivement avancés de méconnaissance de la Convention EDH, de la loi « Informatique et Libertés » (6 janvier 1978, art. 1er et 6, 3°), ainsi que du droit de l’Union européenne, ils ne sont pas davantage retenus. La collecte, la conservation et le traitement des données en cause ne comportent pas d’ingérence excessive dans la vie privée par rapport aux finalités qui leur sont attachées. En particulier, les données biométriques comme la numérisation des empreintes digitales ne poursuivent qu’un but de sécurisation en luttant contre la fraude et il n’est pas possible à partir de ces données ou empreintes numérisées de remonter jusqu’à la personne qu’elles concernent ; le nombre et la qualité des personnes pouvant accéder aux données biométriques sont très limités. L’interconnexion prévue, d’ailleurs uniquement, avec les systèmes d’informations Schengen et Interpol, ne porte que sur des informations non nominatives relatives aux numéros des passeports perdus ou volés, au pays émetteur et au caractère vierge ou personnalisé du document. S’agissant de documents informatisés demeure entier le droit de rectification prévu par la loi précitée de 1978.

(18 octobre 2018, M. X. et Association Génération libre et autres, n°s 404996, 405036, 405710, 405895, 406299, 406347, 406421 et 408359)

 

Autorités administratives et de régulation

 

17 - Commission de régulation de l’électricité (CRE) – Délibération de la CRE proposant des tarifs réglementés de vente d'électricité – Compatibilité de la réglementation française avec celle de l’Union européenne – Incompatibilité partielle – Caractère permanent de la réglementation contestée  incompatible avec les objectifs de la directive 2009/72/CE – Absence de  réexamen périodique de la nécessité de l'intervention étatique sur les prix de vente au détail – Critère de la puissance électrique applicable à tous les consommateurs finals, domestiques et non domestiques, pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères –  Réglementation allant au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs d'intérêt économique général poursuivis – Incompatibilité avec les objectifs de la directive 2009/72/CE.

À la lecture de ce qui précède on mesure l’importance des questions en jeu dans ce dossier qui donne lieu à une longue décision du Conseil d’État, très pédagogique dans sa rédaction. On ne saurait entreprendre ici le commentaire de celle-ci à la lecture de laquelle nous renvoyons.

(3 octobre 2018, Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) et Union nationale des entreprises locales d'électricité et de gaz (UNELEG), n° 403502)

 

18 - Autorisation d’une desserte par bus entre l’aéroport de Beauvais et Paris – Opposition d’un syndicat mixte de transports – Rejet de l’opposition par l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) – Demande d’annulation contentieuse – Rejet du recours.

Une société de transports publics de voyageurs ayant demandé l’autorisation d’instituer des navettes entre l’aéroport de Beauvais et Paris, il y est fait opposition par un syndicat mixte et par la société qui gère cet aéroport. L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) rejette cette opposition et délivre l’autorisation sollicitée. Le syndicat et la société d’exploitation de l’aéroport demandent au Conseil d’Etat d’annuler cette autorisation.

Ce recours est rejeté car aucun des moyens avancés n’est susceptible de démontrer que l’autorisation litigieuse serait irrégulière.

(22 octobre 2018, Syndicat mixte de l'aéroport de Beauvais-Tillé et Société aéroportuaire de gestion et d'exploitation de Beauvais, n° 415638 ; v. aussi, du même jour avec mêmes requérants, le n° 415513)

 

Biens

 

19 - Expropriation – Opération complexe – Délai de recours – Erreur de droit – Recours dans l’intérêt de la loi.

Usant de la procédure particulière du recours dans l’intérêt de la loi, le ministre de l’intérieur demande l’annulation d’un arrêt d’appel qui, dans le cadre d’une procédure d’expropriation, déclare irrecevable un recours dirigé contre l'arrêté de cessibilité, au motif que le requérant ne pouvait pas se prévaloir par voie d’exception de l’illégalité de la première prorogation dont l'acte déclaratif d'utilité publique a fait l'objet alors que la légalité de la seconde prorogation n'a, pour sa part, pas été mise en cause. Par suite, l'illégalité de la première prorogation de la déclaration d'utilité publique était dépourvue d'incidence sur la légalité de l'arrêté de cessibilité attaqué devant la cour administrative en raison de l'intervention d'une seconde prorogation.

Donnant raison au ministre, le Conseil d’État rappelle tout d’abord que « l'arrêté de cessibilité, l'acte déclaratif d'utilité publique sur le fondement duquel il a été pris et la ou les prorogations dont cet acte a éventuellement fait l'objet constituent les éléments d'une même opération complexe ». Ensuite, tirant directement la conséquence de ce caractère d’opération complexe, le juge considère qu’ « un requérant peut utilement se prévaloir, par la voie de l'exception, de l'illégalité de la première prorogation dont l'acte déclaratif d'utilité publique a fait l'objet, y compris lorsque la légalité de la seconde prorogation n'a, pour sa part, pas été mise en cause ; qu'ainsi, en jugeant que l'illégalité de la première prorogation de la déclaration d'utilité publique était dépourvue d'incidence sur la légalité de l'arrêté de cessibilité attaqué devant elle en raison de l'intervention d'une seconde prorogation, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit ».

(12 octobre 2018, Ministre de l’Intérieur, n° 417016)

 

20 - Expropriation pour cause d’utilité publique – Projet ferroviaire CDG Express – Modifications substantielles apportées au projet initial déjà soumis à enquête publique – Nécessité d’une seconde enquête publique – Régime juridique de la seconde enquête.

Le projet de liaison ferroviaire directe, dit CDG Express, entre la ville de Paris et l’aéroport Charles-de-Gaulle a fait l’objet, le 19 décembre 2008, après enquête publique, d’un arrêté interpréfectoral le déclarant d’utilité publique et fixant un délai de cinq années pour procéder aux expropriations nécessaires à sa réalisation, délai prorogé de cinq années le 2 décembre 2013.  Par suite d’une importante évolution du montage financier (le coût passant de 780 à 1410 millions d’euros valeur 2014) et juridique de cette opération (octroi d’une concession de travaux), dont les éléments ont été jugés apporter des modifications substantielles, a été organisée une nouvelle enquête publique. Celle-ci avait pour objet, compte tenu des évolutions du dossier, de permettre au public de formuler ses observations et de se prononcer à nouveau sur l’utilité publique du projet.

La notion de « modifications substantielles » d’un projet est délicate (cf. 3 juillet 2002, Commune de Beauregard-de-Terrasson, n° 245236). En particulier, la distinction entre projet ayant subi des modifications substantielles et nouveau projet est loin d’être simple. La différence est cependant importante : dans le cas d’un nouveau projet la procédure d’expropriation doit être reprise en son entier depuis le début ; au contraire, les modifications substantielles conduisent seulement à une nouvelle enquête publique qui reprend l’enquête précédente en tous ceux de ses éléments non modifiés. Ici, l’existence de modifications substantielles rendant obligatoire l’organisation d’une nouvelle enquête publique, a été retenue bien que les modifications ne portaient que sur des aspects financiers et juridiques sans affecter la consistance matérielle et la finalité fonctionnelle du projet.

Par ailleurs, c’est la réglementation applicable au jour d’ouverture de la nouvelle enquête qui doit être prise en considération : ainsi l’enquête peut se trouver affectée en interne, par l’évolution du projet soumis à enquête, et en externe, par l’évolution du contexte juridique initial dont, notamment, les changements du droit positif applicable.

Enfin, le caractère substantiel des modifications apportées, s’il impose une nouvelle enquête publique, n’a pas pour effet de prolonger la durée pendant laquelle doivent être réalisées les expropriations.

Ayant posé ces principes, le juge en vérifie l’application et le respect par la procédure retenue pour cette nouvelle enquête en vue de déterminer l’utilité pubique du projet CDG Express. Il rejette tous les moyens, de légalité externe comme de légalité interne, développés par les requérants.

(22 octobre 2018, Commune de Mitry-Mory et autres, n° 411086, Association contre le projet de CDG Express, n° 411154, 2 espèces jointes)

 

21 - Appartenance d’un bien au domaine public – Application dans le temps des critères de la domanialité publique – Code général de la propriété des personnes publiques inapplicable avant son entrée en vigueur le 1er juillet 2016 – Application, avant cette date, des seuls critères jurisprudentiels.

Pour déterminer si une parcelle du domaine de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, aménagée en 1935, fait ou non partie de son domaine public, il faut retenir non les critères de cette domanialité énoncés par le CGPP entré en vigueur le 1er juillet 2006 (soit son affectation directe à l’usage du public soit l’existence d’aménagements indispensables à l'exécution des missions de service public hospitalier et sanitaire assurées par l'hôpital soit le caractère d’accessoire indissociable de cet hôpital) mais les critères dégagés par la jurisprudence à l’époque de cet aménagement (l’usage direct du public ou l’affectation à un service public jointe à un aménagement spécial pour les besoins de ce service public). Ce dernier critère étant satisfait en l’espèce, la parcelle litigieuse fait bien partie du domaine public hospitalier.

(17 octobre 2018, Assistance publique-Hôpitaux de Paris, n° 415854)

 

Collectivités territoriales et organisation territoriale

 

22 - Conseiller régional – Condamnation pénale – Démission d’office prononcée par le préfet – Compétence liée du préfet.

Suite à la condamnation pénale infligée à un conseiller régional par un tribunal correctionnel, le préfet a prononcé sa démission d’office de cette fonction élective. L’élu conteste la légalité de cette décision. Son recours est rejeté. Le Conseil d’État, appliquant strictement les dispositions combinées de l’art. L. 341 du code électoral et de l’art. 471 du code pénal, décide que dès lors qu'un conseiller régional se trouve, pour une cause survenue postérieurement à son élection, privé du droit électoral en vertu d'une condamnation devenue définitive ou d'une condamnation dont le juge pénal a décidé l'exécution provisoire, le préfet est tenu de le déclarer démissionnaire d'office.

En l’espèce, le tribunal correctionnel a décidé l'exécution par provision de la peine complémentaire de privation des droits électoraux et d'éligibilité à laquelle il a condamné le requérant. Ceci constitue une « cause survenue postérieurement » à l’élection.  Il s’ensuit qu’alors même que ce jugement frappé d'appel n'est pas devenu définitif, c'est à bon droit que le préfet l'a déclaré démissionnaire de son mandat de conseiller régional.

En outre, il n’y a pas lieu de surseoir à statuer jusqu'à la décision qui sera rendue par la cour d'appel sur la demande de suspension de l'exécution provisoire dont le requérant l’a saisie.

(3 octobre 2018, M. X., n° 419049)

 

23 - Préfet de région – Pouvoir d’évocation de certaines compétences des préfets de départements – Exigence de cohérence de l’action de l’Etat – Cas en l’espèce – Compétence du préfet de région.

Dans le cadre d’un litige en matière d’autorisation d’implantations d’éoliennes, le préfet de la région Picardie avait évoqué tout ou partie de certaines des compétences des préfets des départements de la région. Ses décisions sont arguées d’incompétence.

Le Conseil d’Etat relève qu’il résulte des dispositions du I de l'article 2 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements, que le bénéfice d’un pouvoir d’évocation au préfet de région a été reconnu afin de lui permettre d’assurer la cohérence de l’action de l’Etat sur le territoire. Il dispose à cet égard d’une large marge d’appréciation. En l’espèce l’exercice de ce pouvoir d’évocation en matière d’autorisation d’implantations d’éoliennes, était justifié par l’absence d’approbation, alors en cours, du schéma régional éolien.

 (22 octobre 2018, M. X. et autres, n° 406746)

 

Contrats

 

24 - Marché de services – Référé suspension de l’exécution de ce marché – Régularisation possible de sa défectuosité juridique – Suspension refusée – Annulation de l’ordonnance de référé – Examen du litige au fond.

Le Conseil d’État réitère une jurisprudence bien établie : il est possible de saisir le juge du référé suspension, aux conditions habituelles de formation d’un tel référé, d’une demande de suspension de l’exécution d’un contrat.

En l’espèce, une délibération du syndicat mixte de traitement des déchets du Nord et de l'Est (SYDNE) de La Réunion avait autorisé son président à signer le contrat litigieux au vu d'un rapport qui ne comportait pas le prix du marché et sans disposer du projet de contrat ni d'aucun document préparatoire ou annexe, et sans pouvoir, en conséquence, appréhender la totalité des modalités d'exécution et les risques financiers de ce contrat. Le juge des référés avait rejeté cette demande de suspension du contrat car il estimait que si ces vices étaient de nature à conduire à l’annulation du contrat, ils étaient cependant régularisables. Le Conseil d’État annule cette ordonnance car les vices affectant les conditions dans lesquelles le syndicat mixte avait donné son consentement à être lié par un contrat n’étaient pas  régularisables.

Examinant le fond de la requête, le Conseil d’État déclare recevables : 1°/ tant l’action introduite par les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales qui a conclu un contrat administratif, - lesquels sont recevables à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité de celui-ci, dès lors que ce recours est exercé dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées relatives à sa conclusion, et peuvent l'assortir d'une demande tendant à la suspension de son exécution, que 2°/ l’action de  tout tiers au contrat susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses y compris en l'assortissant d'une demande tendant à la suspension du contrat.

Ensuite, appréciant la réunion des conditions nécessaires à l’octroi d’une suspension et constatant l’absence d’urgence, le juge rejette ici la demande de suspension.

(10 octobre 2018, Communauté intercommunale Réunion Est (CIREST) et M. X., n° 419406)

 

25 - Marché à bons de commande – Résiliation pour fautes contractuelles – Résiliation irrégulière – Détermination du manque à gagner.

À la suite de la constatation du caractère irrégulier de la résiliation d’un marché à bons de commande passé entre un centre hospitalier et une société pour l'interprétation des clichés radiographiques réalisés au sein de l'hôpital sur prescription des praticiens de celui-ci, se pose la question du montant des indemnités dues à cette société.

Le Conseil d’État indique que le titulaire d'un marché à bons de commande résilié irrégulièrement peut prétendre à être indemnisé de la perte du bénéfice net dont il a été privé à condition d'établir la réalité de ce préjudice.  Dans le cas d'un marché à bons de commande dont les documents contractuels prévoient un minimum en valeur ou en quantité, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu'en ce qu'il porte sur ce minimum garanti. Le calcul du bénéfice s'opérant par soustraction au total des produits de l'ensemble des charges, le taux de marge doit être déterminé en prenant en compte non seulement les charges variables de la société mais également ses charges fixes. Il n’y a pas, en l’espèce, d’erreur de droit de la part de la cour administrative à s’être référée aux résultats nets des quatre exercices précédant la résiliation du marché en litige pour évaluer le taux de marge moyen de la société requérante.

(10 octobre 2018, Société du docteur Jacques Franc, n° 410501)

 

26 - Marché public de réalisation d'aménagements de voirie – Garantie à première demande – Décompte définitif – Combinaison entre le caractère autonome de la garantie et le caractère global du décompte.

Dans le cadre de l’exécution d’un marché public de réalisation d’aménagements de voirie un litige s’est élevé du fait qu’une société réclame à une communauté de communes le remboursement du montant de la garantie à première demande retenue pour les travaux de réparation ou de remplacement de grilles d'arbres.

Le Conseil d’État approuve tout d’abord la cour de Paris d’avoir jugé que si les relations entre le titulaire d’un marché public et le garant à première demande relèvent du droit privé et donc du juge judiciaire, la demande tendant à ce que la communauté de communes soit condamnée à indemniser le garant à hauteur du montant de la garantie à première demande qu’il a versée relevait de la compétence de la juridiction administrative.

En revanche, il censure l’arrêt de cette cour pour erreur de droit en ce qu’elle a estimé que la communauté de communes n'ayant pas mentionné le montant de 138 606 euros, correspondant aux réserves non levées, au débit de la société garante, dans le décompte général notifié à la société, le maître d'ouvrage devait être condamné à verser cette somme à ladite société. En effet, pour concilier la règle d’unicité et de globalité du décompte avec le caractère autonome de la garantie à première demande, le Conseil juge que : « il revient en principe aux parties, si ce mécanisme a été actionné, de faire figurer dans le décompte, au débit du titulaire, le montant correspondant aux réserves non levées et, au crédit de celui-ci, le montant versé par le garant pour son compte ; que, toutefois, si le montant versé par le garant n'a pas été inscrit dans le décompte général au crédit du titulaire et si, par suite, le montant correspondant aux réserves non levées n'a pas été porté à son débit, ces circonstances n'ont pas pour conséquence de faire obstacle à ce que soit mis à la charge du titulaire le coût des travaux nécessaires à la levée des réserves ; qu'en juger ainsi reviendrait, en effet, à mettre à la charge finale du maître d'ouvrage le coût de ces travaux. ». La cassation de l’arrêt d’appel était donc inévitable.

(12 octobre 2018, Communauté de communes du Pays de Montereau, venant aux droits de la communauté de communes des deux fleuves, n° 409515)

 

Culture

 

27 - Permis de construire un centre commercial – Découverte fortuite de vestiges antiques – Archéologie préventive (art. L. 521-1 du code du patrimoine, titre II du livre V) et archéologie de sauvegarde (art. L. 531-9 du code du patrimoine, titre III du livre V) – Existence de deux régimes distincts – Demande d’indemnisation du fait de la prise en charge des fouilles et du retard pris par le chantier – Méconnaissance du champ d’application de la loi par la cour administrative.

En cours de chantier de construction d’un centre commercial et d’une station service sont découverts des éléments antiques, ce qui déclenche la réalisation de fouilles. Puis, la société bénéficiaire des permis de construire sollicite la réparation des dommages résultant pour elle de la prise en charge financière des fouilles et du retard consécutif pris par le chantier. Pour lui donner raison, la cour administrative d’appel se fonde sur les dispositions du code du patrimoine relatives à l’archéologie de sauvegarde alors qu’il résulte des arrêtés préfectoraux pris à cet égard que l’Etat a entendu se placer d’emblée sous le régime de l’archéologie préventive. Dès lors, la cour a méconnu le champ d’application de la loi et son arrêt est cassé, ce moyen étant, en outre, d’ordre public.

(18 octobre 2018, Ministre de la culture et de la communication, n° 407304)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

28 - Déficits reportables – Provisions au titre d’un programme de fidélisation (Chèques cadeaux) – Conditions de détermination du montant des provisions.

Une société offre à ses clients, dans le cadre d’un programme de fidélisation, un chèque cadeau de 15 euros par achat d’au moins 300 euros, non remboursable en espèces, à valoir sur les achats ultérieurs qu’ils effectueront.

L’administration fiscale conteste le montant des provisions comptabilisées au titre de ce programme de fidélisation et réduit par voie de conséquence les déficits reportables de la société Omnium de Participations.

Ayant saisi en vain les juridictions des premier et second degrés, la Société se pourvoit en cassation.

Donnant raison aux juges du fond et rejetant le recours, le Conseil d’État juge que doit être retenue au titre des provisions non la charge probable relative à l'utilisation des chèques-cadeaux au cours des exercices suivants mais le coût de revient de l'avantage accordé pour des articles dont le prix pourrait être en tout ou partie acquitté par ces chèques. Il rappelle par ailleurs que cette déduction n’est possible que si sont réunies les conditions suivantes : 1° ces pertes ou charges doivent être nettement précisées quant à leur nature, 2°  elles doivent être susceptibles d'évaluation avec une approximation suffisante, 3° elles doivent apparaitre comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice, 4° elles doivent se rattacher par un lien direct aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise, et enfin, 5° elles ne peuvent être déduites au titre d'un exercice que si se trouvent comptabilisés, au titre du même exercice, les produits correspondant à ces charges et, en ce qui concerne les provisions pour pertes, elles ne peuvent être déduites que si la perspective de cette perte se trouve établie par la comparaison, pour une opération ou un ensemble d'opérations suffisamment homogènes, entre les coûts à supporter et les recettes escomptées. 

(1er octobre 2018, Société Omnium de participations, n° 412574).

 

29 - Impôt sur le revenu – Revenus distribués – Preuve de la distribution – Preuve non rapportée en l’espèce par l’administration fiscale.

À la suite d’un contrôle fiscal, des cotisations supplémentaires à l’imposition sur les revenus sont établies. Ces cotisations et les pénalités dont elles sont assorties sont contestées en vain en première instance et partiellement admises en appel, le pourvoi porte donc sur la seule partie laissée à la charge des demandeurs.

Le Conseil d’État interprète les dispositions du 1 de l’art. 109 CGI comme signifiant que les « revenus (en cause) sont présumés distribués à la date de clôture de l'exercice au terme duquel leur existence a été constatée, sauf si le contribuable ou l'administration apportent des éléments de nature à établir que la distribution a été, en fait, soit postérieure, soit antérieure à cette date. » Il relève à cette occasion que, contrairement à ce qu’avait jugé la cour « la seule circonstance que le contribuable soit le maître de l’affaire n’est pas de nature à apporter une telle preuve ». Le pourvoi est admis en tant qu’il porte sur le rejet partiel de la demande opéré par la cour.

(1er octobre 2018, M. et Mme X., n° 408491)

 

30 - Taxe foncière sur les propriétés bâties et taxe foncière sur les propriétés non bâties – Régimes respectifs d’application – Immeuble entièrement démoli en son intérieur, impropre à son usage pendant la durée des travaux – Conservation des façades, toit et ouvertures – Assujettissement à la taxe foncière sur les propriétés non bâties.

Un immeuble complètement détruit intérieurement en vue d’une reconstruction ne peut pas être assujetti pendant la durée où il est ainsi impropre à son usage normal, à la taxe foncière sur les propriétés bâties quand bien même seraient conservés le toit, les façades et les ouvertures. En revanche, cet immeuble est soumis à la taxe foncière sur les propriétés non bâties.

(17 octobre 2018, SA Allianz IARD, n° 412571)

 

31 - Impôt sur le revenu – Présomption de revenus plus importants que ceux déclarés (art. 16 CGI) – Montant figurant sur un compte bancaire – Virement de compte à compte ou remise de chèque - Régime de contrôle applicable – Inscription en compte courant du prix de la cession d’un immeuble – Revenu dissimulé – Absence – Cession non soumise à impôt.

Lorsqu’il apparait que le montant d’un compte bancaire ou d’un compte courant est notablement supérieur à celui des revenus déclarés le fisc peut, après avoir interrogé le contribuable, taxer, le cas échéant, les sommes d’origine inconnue ou non déclarées. En l’espèce, il avait été procédé ainsi mais, sur recours de l’intéressé, les juges du fond avaient pratiqué des réductions partielles d’assiette et donc de cotisations comme de pénalités. Le Conseil d’État, saisi d’un recours en cassation, apporte des précisions intéressantes sur deux points principaux.

En premier lieu, et c’est là le principe, « Une somme inscrite au crédit d'un compte bancaire ou d'un compte courant d'un contribuable en exécution d'un virement opéré depuis un autre compte bancaire ou compte courant retenu par l'administration pour sa comparaison ne peut constituer un indice de revenu dissimulé. Par suite, si l'administration n'est pas tenue de procéder à un examen critique préalable des crédits figurant sur les comptes bancaires ou les comptes courants d'un contribuable, ni, quand elle l'a fait, de se référer, comme terme de comparaison, aux seuls crédits dont l'origine n'est pas justifiée après le premier examen, elle doit neutraliser, afin de déterminer le montant total des crédits à prendre en compte pour procéder à cette comparaison, les virements de compte à compte de l'intéressé. » Il en va autrement lorsque les sommes figurant sur un compte proviennent de remises de chèques, l’administration n’étant pas tenue de les extourner des crédits pris en compte.

En second lieu, et c’est là l’une des exceptions, « (…) le montant mentionné au crédit d'un compte bancaire ou d'un compte courant d'un contribuable qui correspond au prix de la cession d'un immeuble ayant fait l'objet d'une déclaration à l'administration fiscale ne peut constituer l'indice d'un revenu dissimulé. Par suite, quand, en application de l'article L. 16 du livre des procédures fiscales, l'administration compare les crédits figurant sur les comptes bancaires ou les comptes courants d'un contribuable au montant brut de ses revenus déclarés pour établir si des indices de revenus dissimulés l'autorisent à demander à l'intéressé des justifications, il lui incombe de ne prendre en compte ni ce montant ni la plus-value éventuellement réalisée par le contribuable dans aucun des deux termes de la comparaison. »

(1er octobre 2018, M. X., n° 408543)

 

32 - Personnes handicapées - Prestation de compensation du handicap – Dédommagements perçus par un aidant familial – Commentaires administratifs – Soumission à l’impôt sur le revenu pour les aidants familiaux salariés de la personne handicapée – Soumission aux bénéfices non commerciaux pour les aidants familiaux non salariés de la personne handicapée – Légalité.

Dans une décision à la solution sévère, il est jugé que les sommes perçues lors de l’emploi de « tiers » par la personne handicapée bénéficiaire de la prestation de compensation du handicap sont imposables même pour les aidants familiaux (au sens donné à cette expression par les dispositions de l’art. R. 245-7 du code de l’action sociale et des familles). Ces revenus sont imposables au titre des bénéfices non commerciaux.

Il en résulte qu’en cas d'appartenance de l'aidant familial au foyer fiscal du bénéficiaire de la prestation de compensation du handicap et du fait des règles d'établissement de l'impôt sur le revenu en vertu desquelles le revenu global soumis au barème progressif est constitué de la somme des revenus imposables dont a disposé chacun des membres du foyer fiscal, les sommes versées en franchise d'impôt au bénéficiaire de la prestation sont prises en compte dans le revenu global du foyer fiscal. Cette circonstance est sans incidence sur la portée de l'exonération prévue par le 9° ter de l’art. 81 du CGI car, selon le juge, celle-ci ne concerne que les seuls revenus propres du bénéficiaire de la prestation et non les revenus des autres membres de son foyer fiscal.

On ne saurait se satisfaire d’une solution peu défendable : par définition même, une personne handicapée ne peut « consommer » elle-même la prestation de compensation de son handicap, il lui faut recourir à l’aide d’un tiers. Dire que ladite somme n’est pas imposable entre les mains du bénéficiaire mais qu’elle l’est entre celles de l’aidant, dont la présence et l’action sont rigoureusement indispensables à l’efficacité de cette compensation est un non-sens qui ne sert que les intérêts fiscaux au prix d’une injustice patente.

(24 octobre 2018, Association « Tous pour l’inclusion » et Mme X., n° 419929)

 

33 - Agence d’architecture – Comptabilité - Provisions au titre de la garantie décennale des constructeurs – Provisions pour services après travaux – Irrégularité – Annulation de l’arrêt.

S’il est possible à un cabinet d’architecture de constituer une provision pour couvrir le risque lié à la garantie décennale des constructeurs, en revanche, les charges de personnel et de structure faisant l'objet des provisions en litige ne pouvaient être regardées comme probables à la date de constitution de ces provisions, dès lors que, correspondant à l'exécution de contrats de travail déjà signés et à des frais fixes d'agence, leur engagement était indépendant de la survenance de litiges liés à la garantie décennale au cours des exercices suivants. C’est donc à tort que la cour d’appel administrative en a admis la déductibilité au titre des provisions.

(12 octobre 2018, Ministre de l’Economie et des Finances, n° 404091)

 

34 - Vente au détail – Régime fiscal – Différence avec la prestation de service – Commerce sous forme de dépôt-vente – Assujettissement justifié à la taxe sur les surfaces commerciales.

Les commerces de vente au détail sont assujettis à une taxe sur les surfaces commerciales. Pour dire une activité de dépôt-vente non redevable de cette taxe, un tribunal administratif juge que celle-ci consistant à exposer dans un magasin de commerce de détail des marchandises dont elle n'acquiert pas la propriété, mais qui lui sont remises par des particuliers qui lui ont donné mandat de les vendre pour leur compte et de leur restituer le produit de cette vente minoré d'une commission rémunérant son activité d'intermédiaire, elle doit être regardée comme une prestation de service. Par suite, ne constituant pas une activité de ventes au détail, les surfaces qui y sont consacrées ne devaient pas être prises en considération pour l'assujettissement à la taxe sur les surfaces commerciales. Le Conseil d’Etat censure ce raisonnement car il considère, au contraire, que cette activité « permet que soit réalisée, au sein du magasin, la vente en l'état de marchandises à des consommateurs finaux, c'est-à- dire une vente au détail au sens des dispositions de la loi du 13 juillet 1972 » (instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés). 

(24 octobre 2018, EURL Floride, n° 419362)

 

35 - Impôt sur la fortune immobilière – Plus-values – Plafonnement de l’impôt – Absence d’abattement pour durée de détention et de coefficient d’érosion monétaire – Renvoi d’une QPC au Conseil constitutionnel.

V. aussi le n° 118

(12 octobre 2018, M. X., n° 422618)

 

36 - Apport en société – Plus-value professionnelle – Exonération d’impôt sur le revenu (art.  151 septies A du CGI) – Soumission à la CSG et aux autres contributions sociales même en cas de placement de cette plus-value en report d’imposition.

Il résulte de la combinaison, d’une part, des articles 151 octies et 151 septies A du CGI, et de l’art. L. 136-6 du code de la sécurité sociale, d’autre part, des articles 1600-0 G et L. 14-10-4 du code de l’action sociale et des familles, que les plus-values exonérées d'impôt sur le revenu sur le fondement de l'article 151 septies A du CGI sont expressément soumises à la contribution sociale généralisée. Il en va de même lorsque ces plus-values avaient été placées en report en application des dispositions de l'article 151 octies du même code, dès lors que ces dernières dispositions n'ont pas pour effet de différer le paiement d'une imposition qui aurait été établie au titre de l'année de réalisation de la plus-value, mais seulement de permettre, par dérogation à la règle suivant laquelle le fait générateur de l'imposition d'une plus-value est constitué au cours de l'année de sa réalisation, de la rattacher à l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report d'imposition. 

(12 octobre 2018, M. et Mme X., n° 401292)

 

37 - Impôt sur le revenu – Versement d’une pension alimentaire – Charge principale des enfants (art. 194 CGI) – Exclusion du versement de la pension pour la définition de la « charge principale » (art. 193 ter) – QPC pour violation du principe d’égalité – Renvoi au Conseil constitutionnel.

L’art. 193 ter CGI décide que : « (…) les enfants ou les personnes à charge s'entendent de ceux dont le contribuable assume la charge d'entretien à titre exclusif ou principal, nonobstant le versement ou la perception d'une pension alimentaire pour l'entretien desdits enfants ». L’art. 194 CGI, 3ème alinéa, dispose : « I. (...) En cas de résidence alternée au domicile de chacun des parents et sauf disposition contraire dans la convention homologuée par le juge, la décision judiciaire ou, le cas échéant, l'accord entre les parents, les enfants mineurs sont réputés être à la charge égale de l'un et de l'autre parent. Cette présomption peut être écartée s'il est justifié que l'un d'entre eux assume la charge principale des enfants (...) ». Il résulte de la combinaison de ces deux articles que le versement ou la perception d'une pension alimentaire ne doit pas, en vertu de l'article 193 ter, être pris en compte pour apprécier la charge d'entretien qui est assumée par chaque parent. Il en va notamment ainsi, en cas de résidence alternée, lorsque l'un d'eux entend combattre la présomption prévue par le I de l'article 194 au motif qu'il assume la charge principale d'un enfant. 

Le demandeur estime que ces textes tels que les interprète une jurisprudence bien établie du Conseil d’État, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi fiscale et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789, en faisant obstacle à ce qu'un contribuable, qui entend établir qu'il assume la charge principale de ses enfants, fasse état de la pension alimentaire qu'il verse à l'autre parent pour combattre la présomption posée, en cas de résidence alternée, par l'article 194 du code général des impôts, alors même, en outre, que cette pension alimentaire n'est pas, dans cette hypothèse, déductible des revenus de celui qui la verse. Convaincu qu’il y a là une question sérieuse, le juge renvoie la QPC au Conseil constitutionnel.

 (1er octobre 2018, M.X., n° 421941)

 

38 - Impôt sur les sociétés – Provision pour dépréciation des stocks – Distinction entre éléments du stock et productions en cours – Règles différentes de détermination de la valeur – Réalisation, même très retardée, de démolitions et de construction d’immeubles – Production et non stock.

Assujettie à l’impôt sur les sociétés, la société requérante, ayant pour objet social la promotion immobilière, a vu remise en cause la déduction qu’elle avait opérée pour dépréciation de ses stocks. Sa demande d’annulation du refus de lui accorder la décharge litigieuse est rejetée en première instance et en appel. Le Conseil d’État confirme ces rejets. Pour ce faire il fait une distinction entre éléments du stock et productions en cours. En l’espèce, la société se prévalait de ce que d’importants retards dans les autorisations administratives et autres s’étaient répercutés sur les délais de réalisation de la démolition puis de la construction d’immeubles. C’est pourquoi, constatant une importante perte de valeur des biens, dont le terrain d’assiette, elle avait constitué une provision pour dépréciation des stocks. Le juge considère qu’il découle bien des  dispositions des articles 39 et 38 ter, nonies et decies du CGI que les éléments du stock proprement dit peuvent, le cas échéant, être évalués d'après le cours du jour et que leur éventuelle dépréciation peut être constatée par une provision égale à la différence entre le prix de revient et le cours du jour. En revanche, les productions en cours doivent être évaluées à leur seul prix de revient et ne peuvent éventuellement donner lieu qu'à une provision pour perte, conformément au 5° du 1 de l'article 39 CGI. Or l’objet social de la société, son dépôt de permis de démolir et de construire, la poursuite de sa volonté de réaliser ce qui avait été initialement prévu caractérise non un stock mais un acte de production, d’où l’application au cas de l’espèce des seules règles de l’art. 39 CGI sus-rappelées et le rejet de la provision pour dépréciation de stock.

(1er octobre 2018, Société Hermitage, n° 408594)

 

39 - Allocation personnalisée à l’autonomie à domicile – Réclamation du paiement de l’indu de cette allocation à l’héritier de l’allocataire – Régimes distincts de prescription de l’action en recouvrement de l’indu selon qu’elle est intentée par le président du département (art. L. 232-25 du code de l’action sociale et des familles) ou par un comptable public (art. L. 1617-5, 3° CGCT) – Prescription de l’action du département en l’espèce.

Suite au décès de sa mère, bénéficiaire d’une allocation personnalisée à l’autonomie à domicile versée par le département, son fils, en sa qualité d’héritier ayant accepté la succession de celle-ci, est destinataire d’un titre exécutoire émis par le département en vue de la récupération d'un indu de cette allocation. Ses recours devant la commission départementale puis devant la Commission centrale de l’aide sociale ayant été rejetés, il se pourvoit en cassation devant le Conseil d’État où il obtient gain de cause en raison d’une erreur de droit commise par la Commission centrale.

En effet, la combinaison des dispositions de l’article L. 232-25 du code de l’action sociale et des familles, qui ouvre un délai de deux ans au département pour recouvrer les indus versés par lui, avec celles de l’art. L. 1617-5, 3° CGCT, qui ouvre un délai de quatre ans au comptable public pour recouvrer les créances du département, produit un résultat malencontreux et ubuesque. Il faut comprendre qu’un titre exécutoire émis par un président de département en vue de la récupération d'un indu d'allocation personnalisée d'autonomie a deux effets rigoureusement distincts. D'une part, il interrompt le délai de prescription de deux ans de l'action en remboursement à compter de sa notification régulière à l'intéressé. D'autre part, il ouvre le délai de quatre ans de la prescription de l'action en recouvrement des sommes qu’il énonce, à compter de la date de sa prise en charge par le comptable public. En revanche, et là réside l’erreur de la Commission nationale en l’espèce, l'ouverture du délai de quatre ans de l'action des comptables publics pour le recouvrement de la créance n'a pas pour effet de proroger le délai de l'action intentée par le président du conseil départemental pour la mise en recouvrement des sommes indûment versées. On peut comprendre qu’en cet état de la complexité des règles de droit, assez loufoque ici, une juridiction ait pu s’y tromper…

(5 octobre 2018, M. X., n° 409136)

 

40 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Taxe destinée à couvrir les charges communales pour enlever les ordures ménagères non couvertes par des recettes fiscales – Appréciation de son montant éventuellement disproportionné – Calcul de la disproportion par le juge.

Une nouvelle fois, un contentieux est soulevé à propos des conditions dans lesquelles le juge du fond doit apprécier l’existence, ou non, d’une disproportion manifeste dans la fixation par la commune du montant de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères. Comme le rappelle le Conseil d’État dans un considérant récurrent : « il appartient au juge de l'impôt, pour apprécier la légalité d'une délibération fixant le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, que la collectivité ait ou non institué la redevance spéciale prévue par l'article L. 2333-78 du code général des collectivités territoriales et quel qu'en soit le produit, de rechercher si le produit de la taxe, tel qu'estimé à la date de l'adoption de la délibération, n'est pas manifestement disproportionné par rapport au coût de collecte et de traitement des seuls déchets ménagers, tel qu'il pouvait être estimé à cette même date, non couvert par les recettes non fiscales affectées à ces opérations, c'est-à-dire n'incluant pas le produit de la redevance spéciale lorsque celle-ci a été instituée ».

(12 octobre 2018, Société CMCIC Lease, n° 413568 ; v. aussi du même jour et même requérante, n° 413568 ; du même jour,  SNC Hyper 19, n° 417016, SA L’immobilière Leroy Merlin France, n° 413573, n° 415993, n° 415992 – 3 espèces -, Société anonyme Locindus, n° 413571, Société Cicobail, n°413572, SCI 126, n° 417799 et n° 417800,  SA Mercialis, n° 415994, SAS L’immobilière groupe Casino, n° 415996,  SAS Cora, n° 413570 ; v. également, 17 octobre 2018,  SAS Cora, n° 420578, SA Sogefimur, n° 420593, SA Leroy Merlin France, n° 420580, SAS Monoprix, n° 420582, SA Sogefimur, n° 420581, SAS Carrefour Hypermarchés, n° 415893,  SAS Cora, n° 420589 ; 24 octobre 2018, SA Mercialis, n° 413896 ; SAS L’immobilière Groupe Casino, n° 413895)

 

41 - Société commerciale – Bail locatif – Loyer inférieur au prix du marché – Absence de contrepartie – Acte anormal de gestion.

Constitue un acte anormal de gestion le fait pour une société de consentir à une autre société un loyer inférieur de 50% à la valeur du marché sans établir l’existence d’une contrepartie ou invoquer la prise en charge de difficultés jusqu’à ce que la société preneuse soit revenue in bonis.

(12 octobre 2018, Sarl Sibuet Acquisition, n° 405256)

 

42 - Interprétation administrative des textes fiscaux – Doctrine administrative – Conditions d’application de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscale (LPF) – Impôt sur le revenu tiré d’activités à l’étranger – Portée de la doctrine administrative.

Selon l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales : « Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. » Il résulte de la doctrine administrative relative au champ d'application de l'exonération totale d'impôt sur le revenu accordée au titre de l'exercice de certaines activités à l'étranger sur le fondement de l'article 81 A CGI que  : " Si, dans le cadre d'un contrôle, l'intéressé produit une attestation de son employeur précisant qu'il exerce bien une activité de prospection, il sera admis de ne pas remettre en cause le bénéfice de l'exonération, sauf si l'exercice du droit de communication ou une vérification de comptabilité de l'entreprise permettait d'établir que le contribuable n'a en fait pas exercé l'activité précitée ". 

Dans le cadre d’un litige en décharge de cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu les requérants demandent au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt qui a rejeté leur requête alors qu’ils avaient produit, outre le contrat de travail de M. X. et les ordres de missions qui lui avaient été confiés, une attestation établie par l'employeur de M. X. « faisant état de séjours effectués à l'étranger » par l'intéressé « en tant qu'ingénieur commercial export » et « dans le cadre de l'exercice de ses fonctions ». La cour avait retenu que l'attestation litigieuse ne précisait pas les actions concrètes menées par l'intéressé dans les pays où il avait séjourné, par suite, elle estimait que les requérants ne pouvaient pas se prévaloir de la doctrine administrative précitée, dont ils ne remplissaient pas les conditions.

Le Conseil d’Etat annule cet arrêt pour erreur de droit au moyen d’un raisonnement en deux temps.

Tout d’abord, il relève que la doctrine administrative précitée admet que la production, par le contribuable, d'une attestation provenant de son employeur et indiquant qu'il exerce une activité de prospection commerciale à l'étranger suffit à établir l'exercice par ce dernier d'une telle activité, et ne permet donc pas, sous réserve du respect des autres conditions fixées à l’art. L. 80A CGI, de remettre en cause le bénéfice de l'exonération qu'il prévoit, sauf à ce que l'administration fiscale rapporte la preuve, par l'exercice d'un droit de communication ou d'une vérification de comptabilité de l'entreprise concernée, de ce que le contribuable n'a en fait pas exercé cette activité. 

Ensuite, il observe que cette doctrine administrative conduit en l’espèce à limiter les cas où l'exonération prévue à l'article 81 A du code général des impôts peut être contestée par l'administration fiscale, et donc à influer sur les conditions dans lesquelles la preuve du bien et du mal fondé de l'impôt peut être apportée devant le juge. Par suite, une telle doctrine doit être regardée comme ne concernant pas seulement la procédure d'imposition, mais comme fixant des règles relatives à l'assiette de l'impôt, opposables à l'administration sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

 (26 octobre 2018, M. et Mme X., n° 412525)

 

 

43 - Vérification fiscale – Visite domiciliaire concomitante – Taxation d’office – Emport de documents utiles à la défense du contribuable – Délai supplémentaire devant être laissé à celui-ci pour lui permettre de répondre utilement aux questions de l’administration fiscale.

Lorsqu’un contribuable fait l’objet d’une vérification de sa situation fiscale, il est possible à l’administration, à ce autorisée par le juge judiciaire (art. 16 du LPF), d’effectuer en même temps une visite domiciliaire. Si sont emportés, au cours de cette visite, des documents utiles à la défense du contribuable avant l’expiration du délai de réponse fixé dans le cadre de la vérification fiscale, ce dernier est prorogé d’une durée au moins égale au temps restant à courir, décompté à partir de l’emport de ces documents.

(18 octobre 2018, M. X., n° 407943)

 

44 - Vente de biens immobiliers – Travaux de rénovation - Plus-value – Calcul – Achats de matériaux par le vendeur – Production de factures – Rejet – Invocation de l’art. 150 VB CGI.

L’intéressé a acquis un bien immobilier qu’il a divisé en trois lots sur lesquels ont été effectués des travaux de rénovation, gardant l’un d’entre eux et vendant les deux autres. L’administration conteste le calcul de la plus-value que celui-ci a fait en tenant compte de factures d’achats de matériaux destinés au chantier de rénovation. Elle lui notifie des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contributions sociales et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Les juges du fond, partiellement d’abord, totalement en appel, annulent ces rehaussements. Le ministre chargé des finances se pourvoit et obtient gain de cause. Pour ce faire, le Conseil d’Etat invoque les dispositions de l'article 150 VB du code général des impôts, dans sa version applicable au litige : " I. - Le prix d'acquisition est le prix effectivement acquitté par le cédant, tel qu'il a été stipulé dans l'acte. (...) / II. - Le prix d'acquisition est, sur justificatifs, majoré : (...) 4° Des dépenses de construction, de reconstruction, d'agrandissement ou d'amélioration, supportées par le vendeur et réalisées par une entreprise depuis l'achèvement de l'immeuble ou son acquisition si elle est postérieure, lorsqu'elles n'ont pas été déjà prises en compte pour la détermination de l'impôt sur le revenu et qu'elles ne présentent pas le caractère de dépenses locatives (...) ". Il interprète celles-ci comme signifiant que « le cédant d'un immeuble peut majorer, pour la détermination du montant de sa plus-value immobilière, le prix d'acquisition de ce dernier du montant des dépenses qu'il a exposées pour y faire réaliser, par une entreprise, une ou plusieurs des prestations de travaux qu'elles mentionnent. Il résulte cependant de la lettre même de ces dispositions qu'elles font obstacle à ce que le cédant puisse majorer ce prix d'acquisition des dépenses qu'il a supportées pour acquérir lui-même les matériaux nécessaires à la réalisation de ces travaux, dès lors que ces dépenses ne sont pas des dépenses exposées par une entreprise dans le cadre des prestations prévues par ces dispositions. Est sans incidence à cet égard la circonstance que le cédant confie à une entreprise la réalisation de travaux en vue desquels il a procédé à cette acquisition. »

La solution est étrange car elle ajoute au texte de la loi une distinction que celle-ci ne contient absolument pas, selon que les achats de matériaux ont été réalisés par l’entreprise qui accomplit les travaux de rénovation, ou qu’ils sont effectués par le propriétaire en vue de permettre la réalisation des travaux par cette entreprise. Dans le premier cas ils s’ajoutent au prix de revient dans le second non.

Cette solution frise d’autant plus l’incohérence qu’à prendre le texte invoqué au pied de la lettre, il pourrait même être soutenu que ne peuvent être retenues que les « dépenses de construction, de reconstruction, d’agrandissement », etc. et point du tout celles d’achats de matériaux, qu’elles soient le fait d’une entreprise ou d’un propriétaire.

Il y a là manifestement une interprétation guère raisonnable et guère acceptable.

(12 octobre 2018, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 421677 ; du même jour avec même solution : Ministre de l'action et des comptes publics, n° °419294 ; v. aussi, voisin en matière de taxation des hauts revenus : 24 octobre 2018, M. et Mme X., n° 423256)

 

Droit public économique

 

45 - Aide d’Etat prohibée par le droit de l’Union européenne – Constatation de ce caractère par la Cour de Luxembourg – Action en responsabilité du chef du préjudice résultant de cette aide – Point de départ du dommage – Aucune réparation pour la période antérieure à l’arrêt de la CJUE – Rejet.

La CJUE, saisie par la société Ryanair, ayant affirmé le caractère d’aides d’Etat prohibées résultant du régime français de différenciation des redevances par passager et des redevances d'atterrissage selon la destination du vol, cette société a réclamé réparation à l’Etat du préjudice que lui a causé ce régime de redevances, soit près de 110 millions d’euros. Déboutée en première instance et en appel, elle se pourvoit – en vain – devant le Conseil d’Etat.

Celui-ci déduit de l’art. 93 du traité CE et de ses modalités d’application par le règlement du Conseil du 22 mars 1999 qu’il s'ensuit que la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée pour méconnaissance fautive de la réglementation relative aux aides d'Etat à raison de la mise en oeuvre d'une aide existante pour la période antérieure à l'intervention de la décision de la Commission constatant son incompatibilité avec le marché commun. Cette affirmation abrupte et sans nuances peut surprendre car elle heurte frontalement la logique de droit de la concurrence sur laquelle repose la théorie des aides d’Etat en établissant une non rétroactivité des condamnations. Cette solution est étrange : que dirait-on, en droit interne, si à propos d’une illégalité fautive de l’administration, ayant causé un dommage, il était jugé que celui-ci ne saurait être réparé pour la période antérieure à la décision de justice constatant la faute et l’illégalité ? Que l’on sache, ce n’est pas la décision de justice qui crée le dommage mais le comportement ou l’acte annulé par cette décision.

(25 octobre 2018, Société Ryanair, n° 408789)

 

Droit social et action sociale

 

46 - Action de formation professionnelle – Établissement ou utilisation intentionnelle de documents en vue d’échapper à l'une des obligations de l’employeur ou de l’organisme de formation en matière de formation professionnelle ou d’obtenir indûment le versement d'une aide, le paiement ou la prise en charge de tout ou partie du prix des prestations de formation professionnelle – Obligation solidaire de reverser au trésor public les sommes indûment perçues ou éludées – Absence de caractère de sanction de ce reversement – Constitutionnalité du régime – Non renvoi d’une QPC.

Les entreprises sont tenues à une obligation de formation professionnelle de leurs salariés. L’utilisation par le redevable de cette obligation de documents inexacts soit pour y échapper soit, au contraire, pour en obtenir indûment paiement, l’oblige à reverser au trésor les sommes éludées, négativement pour non réalisation des actions de formation professionnelle, positivement pour perception irrégulière des fonds.

Contestant ce régime pour son inconstitutionnalité, la société requérante soulève plusieurs arguments dont aucun n’est retenu.

Il n’y a là aucune punition, contrairement à ce que soutient la société requérante, mais soit un décaissement pour obligation non satisfaite soit un remboursement d’indu. Cette exigence de remboursement ou de débours est donc une sanction en rapport direct avec l’objet de l’obligation en cause : la réalisation d’actions de formation professionnelle.

Il n’y a pas, non plus, d’atteinte au principe de proportionnalité, les sommes à verser au trésor devant être en proportion de ce qui a été éludé, ce que le juge doit contrôler.

Si ces comportements peuvent faire l’objet de deux sanctions, c’est sous la réserve que le total des sommes à verser ne doit pas excéder le plafond de celle de la plus lourde de ces deux sanctions. Il n’y a donc pas, non plus, d’atteinte au principe de nécessité des délits et des peines.

Enfin, si la loi institue une solidarité des dirigeants avec l’entreprise quant aux sommes à reverser au trésor, c’est sous l’importante réserve que « conformément aux règles de droit commun en matière de solidarité, le dirigeant qui s'est acquitté du paiement de la pénalité dispose d'une action récursoire contre le débiteur principal et, le cas échéant, contre les codébiteurs solidaires. Ainsi, cette solidarité ne revêt pas le caractère d'une punition au sens des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Il s'ensuit que le requérant ne peut utilement invoquer la méconnaissance du principe, résultant de ces articles, selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait ».

(3 octobre 2018, Société Softposition, n° 422290)

 

47 - Protection des personnes majeures – Intervention de mandataires judiciaires – Coût normalement à la charge des bénéficiaires – Prise en charge possible par les collectivités publiques en cas d’insuffisance des ressources de l’intéressé – Intervention exceptionnelle du préfet – Caractère obligatoire de cette intervention – Réponse négative – Contrôle restreint du juge sur le refus préfectoral.

Les frais et dépenses occasionnés par les mesures de protection judiciaire dont bénéficient les majeurs protégés, notamment du chef de l’intervention des mandataires judiciaires désignés ad hoc, sont normalement à leur charge en fonction de leurs ressouces. Toutefois, le code de l’action sociale et des familles a prévu deux mécanismes compensateurs. D’une part, lorsque ces ressources sont insuffisantes pour couvrir intégralement la dépense, une partie de ce coût est prise en charge par la collectivité publique selon les modalités que fixent les articles R. 471-5-1 et R. 471-5-2 du code précité. D’autre part, il résulte des dispositions de l’art. R. 471-5-3 de ce code, dans leur rédaction applicable au litige, que : " Le préfet peut accorder, à titre exceptionnel, temporaire, une exonération d'une partie ou de l'ensemble de la participation de la personne protégée, en raison de difficultés particulières liées à l'existence de dettes contractées par la personne protégée avant l'ouverture d'une mesure de protection juridique des majeurs ou à la nécessité de faire face à des dépenses impératives.

Le montant de la participation faisant l'objet de l'exonération est pris en charge dans les conditions prévues à la seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 471-5 ".

Le Conseil d’Etat en déduit que si le majeur protégé a droit à la couverture partielle des frais de sa prise en charge de la part des collectivités publiques (cf. les articles R. 471-5-1 et R. 471-5-2 précités), en revanche il n’a aucun droit à l’ « aide préfectorale » alors même que les sommes utilisées pour ces deux types d’aide proviennent de la même origine. Cette décision du préfet ne fait l’objet que d’un contrôle restreint de la part du juge administratif.

(25 octobre 2018, Mme X., n° 403417)

 

48 - Plan de sauvegarde de l’emploi – Document unilatéral fixant le plan – Homologation administrative de ce document – Obligation de tenir compte des moyens financiers dont dispose l’ensemble du groupe – Omission par l’administration – Annulation de l’homologation du plan de sauvegarde.

A la suite de l’homologation par l’administration du travail de la décision unilatérale de l’employeur fixant le plan de sauvegarde de l'emploi des sociétés Tel and Com, L'enfant d'aujourd'hui et Squadra, réunies dans l'unité économique et sociale (UES) Tel and Com, divers salariés ont saisi la justice administrative et obtenu du tribunal administratif l’annulation de la décision administrative d’homologation, jugement confirmé en appel. Les sociétés concernées ont saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi : d’une part, ce dernier a annulé l’arrêt confirmatif attaqué, et d’autre part, il a renvoyé les parties devant la cour afin de permettre un débat contradictoire en vue du règlement de l'affaire au fond. Un nouveau pourvoi est dirigé contre le second arrêt de la cour.

Les sociétés requérantes soutiennent que c’est à tort que le tribunal, pour rendre son jugement, s’est fondé sur ce que les mesures de reclassement prévues par le plan ne sont pas suffisantes au regard des moyens de l'UES Tel and Com et du groupe auquel elle appartient et, d'autre part, sur ce que l'administration ne pouvait légalement omettre, dans son appréciation des moyens du groupe auquel appartient l'UES Tel and Com, les moyens financiers dont disposait la société Sarto Finances. Elles estiment, au contraire, qu'il résulte des dispositions de l'art. L. 2331-4 du code du travail que les sociétés dont l'objet unique est la prise de participation dans d'autres entreprises, sans immixtion dans leur gestion, n'ont pas le caractère de « sociétés dominantes », au sens de l'art. L. 2331-1 du code du travail, et ne font, par suite, pas partie du groupe à prendre en considération au titre de l'art. L. 1233-57-3 du même code fixant les conditions d’appréciation du plan de sauvegarde.

Le Conseil d’Etat rejette cette argumentation en retenant, très logiquement, que la notion de « groupes de sociétés » telle qu’utilisée dans l’art. L. 1233-57-3 précité « n’est pas nécessairement identique » à celle que retient l’art. L. 2331-1 et il en déduit que n’est pas opérante ici l’invocation de l’art. L. 2331-4 sur lequel repose l’argumentation des sociétés demanderesses. Mettant en œuvre l’art. L. 233-1 du code de commerce qui définit la notion de filiales, il en conclut que les sociétés en cause étant détenues à 100% par la Société Sarto Finances, l’administration devait tenir compte des moyens dont disposait cette dernière pour apprécier le plan de sauvegarde soumis à son homologation. Faute de l’avoir fait sa décision d’homologation est irrégulière ainsi que l’a jugé le tribunal administratif. Le recours est rejeté.

(24 octobre 2018, Sociétés Tel and Com, L'Enfant d'Aujourd'hui et Squadra, n° 397900 ; v. aussi, du même jour avec mêmes requérants, le n° 406905)

 

49 - Recherche d’emploi – Contrôle – Découverte d’une fraude ou d’un manquement – Communication sans délai au préfet – Pouvoir de sanction du préfet devant être exercé dans un délai raisonnable - Absence en l’espèce – Annulation.

Selon les textes (art. R. 5426-6 à R.5426-10 du code du travail), lorsque des agents chargés du contrôle de la recherche d'emploi constatent un manquement de la part du bénéficiaire, ils doivent le signaler sans délai au préfet en le saisissant d’un dossier complet dès que possible, celui-ci disposant de trente jours à compter de ce signalement pour prendre sa décision. Lorsque ce dernier envisage de supprimer ou réduire le revenu de remplacement, il informe l'intéressé qu'il a la possibilité, dans un délai de dix jours, de présenter ses observations écrites ou, si la sanction envisagée est une suppression du revenu de remplacement, d'être entendu par une commission prévue à cet effet. Cette commission émet son avis dans un délai de trente jours à compter de la réception du dossier complet ; le préfet se prononce dans un délai de quinze jours suivant la réception de cet avis.

Le Conseil d’État déduit de ces dispositions que : « Eu égard aux garanties qui découlent, pour le bénéficiaire du revenu de remplacement, des délais ainsi prévus, la décision du préfet ne peut légalement intervenir, dans le délai qui lui est imparti, que si le temps écoulé entre le constat du manquement et le signalement au préfet, apprécié en tenant compte de l'ensemble des faits de l'espèce, n'est pas excessif. » Relevant qu’en l’espèce, les manquements, constatés les 1er et 8 juin 2011, n’ont donné lieu à transmission au préfet que le 11 juin 2012, alors qu’aucun élément ne justifiait un tel délai, ce dernier est jugé excessif : la sanction prise à son terme est entachée d’illégalité. De plus, constituant une sanction administrative, elle ne pouvait revêtir, contrairement à ce qui fut dans l’espèce, un caractère rétroactif.

(5 octobre 2018, M. X., n° 408665)

 

50 - Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) – Absence de suppression d’emploi – Homologation du PSE – Conditions – Absence de pondération des critères d’ordre et de définition de leur périmètre d’application – Absence d’illégalité en l’espèce.

Cette décision est surtout intéressante par les rappels et les précisions qu’elle comporte en matière de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).

Lorsqu’un projet de réorganisation et de compression d'effectifs d'une entreprise n'aboutit par lui-même à aucune suppression d'emploi, hormis les départs volontaires, il doit tout de même faire l’objet d’un PSE, dès lors qu'il prévoit le licenciement de ceux des salariés qui refuseraient la modification de leur contrat de travail : Un tel plan est soumis à une obligation d’homologation par l’administration compétente.

Le PSE comporte deux sortes de dispositions (art. L. 1233-5, L. 1233-24-2 et L. 1233-57-3 du code du travail), les unes résultent d'un accord collectif majoritaire, les autres prennent la forme d'une décision unilatérale de l'employeur.  L'autorité administrative ne peut homologuer cette décision unilatérale qu'après avoir vérifié la présence d’un certain nombre de précisions soit dans l'accord collectif déjà validé par elle ou en cours d'examen devant elle, soit dans le document unilatéral soumis à son homologation. À défaut, l’homologation est refusée.

Cependant, en l’espèce, il n’y avait pas lieu de vérifier la présence et le respect de critères d'ordre prévus par la législation puisque l'employeur n’envisageait que de proposer à des salariés une modification de leur contrat de travail et de ne procéder à leur licenciement qu’en cas de refus.

Par suite, l'administration ne pouvait pas refuser d’homologuer le document unilatéral relatif à ce plan dès lors qu’elle avait vérifié la légalité des règles auxquelles ce document avait décidé de soumettre les propositions de modification de contrat de travail envisagées par le plan.

(10 octobre 2018, Fédération Force Ouvrière des employés et cadres et Fédération des syndicats du personnel de la banque et de l'assurance CGT, n° 395280)

 

51 - Principes fondamentaux de la sécurité sociale (art. 34 de la Constitution) – Aides personnelles au logement – Diminution de cinq euros par mois de leur montant – Augmentation concomitante d’autres prestations en direction des mêmes publics – Absence de mise en cause du principe d’égalité ou de celui de la liberté contractuelle.

A l’occasion du contentieux développé sur la décision de réduire de cinq euros par mois le montant de diverses aides personnelles au logement, le Conseil d’Etat donne d’intéressantes précisions sur la notion de « Principes fondamentaux de la sécurité sociale » que l’article 34 de la Constitution range parmi les matières législatives, tout en laissant une importante marge d’intervention au pouvoir réglementaire. 

Le juge note «  en réservant à la loi la détermination des principes fondamentaux de la sécurité sociale, l'article 34 de la Constitution a entendu englober dans ces termes l'ensemble des systèmes de protection sociale quelles que soient leurs modalités de gestion administrative ou financière et, notamment, sans distinguer suivant que la protection est aménagée au moyen de mécanismes d'assurance ou d'assistance ; que doivent être rangées au nombre de ces principes la détermination des catégories de personnes appelées à bénéficier d'une prestation sociale ainsi que la définition de la nature des conditions exigées pour son attribution ; qu'il appartient au pouvoir réglementaire, sous réserve de ne pas dénaturer ces conditions, d'en préciser les éléments en fixant notamment le montant des prestations ». 

(15 octobre 2018, Fondation Abbé Pierre et autres, n° 414969)

 

52 - Revenu de solidarité active (RSA) – Récupération de l’indu de RSA – Recours administratif préalable obligatoire (art. L. 262-47 code de l’action sociale et des familles) – Convention entre le département et les organismes concernés par la gestion du RSA - Commission de recours amiable de la caisse d’allocations familiales – Allégation de défaut de consultation de cette commission – Consultation constituant une garantie pour l’administré.

Dans le cadre d’un litige en récupération par un département d’un indu de RSA, la décision de récupérer est d’abord contestée par voie d’un recours administratif préalable, lequel est ici rejeté par le président du département. Le requérant invoquait le défaut de consultation de la commission de recours amiable de la caisse d'allocations familiales sur son recours administratif mais le tribunal administratif a jugé que cette absence de consultation n'avait pas porté atteinte à une garantie essentielle, dès lors que l'article L. 262-47 du code de l'action sociale et des familles permettait au département et à la caisse d'allocations familiales de décider, par convention, que la commission n'avait pas à être saisie pour avis et que tel était le cas dans le département en cause dans ce dossier.

Le Conseil d’Eat censure ce raisonnement pour deux motifs essentiels.

En premier lieu, se fondant sur le caractère fondamental du principe du contradictoire dans tout procès, il reproche aux juges du fond de n’avoir pas, d’office, vérifié si la consultation de la commission de recours amiable de la caisse d'allocations familiales était obligatoire ou non en vertu des clauses réglementaires de la convention liant le département à cette caisse. Il devait donc s’assurer de la communication de la convention aux parties en litige car celle-ci n’avait, manifestement, pas fait l’objet d’une publicité suffisante. En second lieu, appliquant les principes de la jurisprudence Danthony (Assemblée, 23 décembre 2011, n° 335033), il juge que si, en principe, le vice de forme affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie, il y a bien eu ici atteinte à une telle garantie eu égard à la nature et à la composition de la commission de recours amiable.

(22 octobre 2018, M. X., n° 412768)

 

53 - Formation professionnelle – Financement des actions de formation – Décision ordonnant de rembourser au Trésor public la totalité des sommes non rattachables à des actions de formation ou sans rapport avec elles – Motifs d’une décision du Conseil constitutionnel relative à la disposition législative fondant la demande de remboursement – Application.

Une société spécialisée dans la formation professionnelle se voit réclamer par le trésor public, invoquant notamment les dispositions de l’art. L. 6362-5 du code du travail, le remboursement de l’ensemble des sommes perçues au titre d’une année pour réaliser ses actions de formation. Or, statuant sur la constitutionnalité de cet article, le Conseil constitutionnel a jugé que le contrôle des organismes prestataires d'activités de formation professionnelle continue dont les modalités sont précisées par cet article " est destiné à vérifier que les sommes versées par les personnes publiques en faveur de la formation professionnelle ou par les employeurs au titre de leur obligation de contribuer au financement de la formation professionnelle continue sont affectées à cette seule fin ". Il suit de là que l'administration ne peut pas légalement imposer à un organisme de formation le versement au Trésor public de sommes correspondant à des dépenses qui n'auraient pas été financées par des personnes publiques ou des employeurs à ce titre. C’est donc à tort que le trésor public a imposé ce remboursement et par suite d’une erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé que la société requérante était tenue de verser au Trésor public l'ensemble des sommes dont elle ne justifiait pas le rattachement et le bien-fondé qui correspondaient à des dépenses engagées par les entreprises en matière de formation professionnelle continue.

 (22 octobre 2018, Société Essentiel Formation Entreprises, n° 408753)

 

Élections

 

54 - Elections du président, des vice-présidents et des membres du bureau d’un syndicat mixte – Absence de règles fixant les modalités de convocation des membres d’un tel syndicat – Obligation pour le syndicat de fixer lui-même ces règles dans ces statuts – Application de ces règles au cas de l’espèce – Irrégularité de la convocation – Annulation des élections litigieuses.

La préfète du Territoire de Belfort a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'élection du président, des vice-présidents et des membres du bureau du syndicat mixte d'aménagement et de gestion de l'Aéroparc à laquelle il a été procédé le 2 mars 2018 par le comité syndical de ce syndicat mixte. Son action ayant été rejetée en première instance, elle se pourvoit.

Constatant l’absence, dans le code général des collectivités territoriales, de dispositions régissant cette élection, le Conseil les estime régies par les statuts du syndicat lui-même. Ceux-ci donnent compétence au président du syndicat ou à l’initiative de la majorité des membres de celui-ci pour convoquer le comité syndical, il s’ensuit, dès lors que le président était issu d’une commune ayant cessé d’appartenir à ce syndicat, que cette convocation ne pouvait avoir lieu que dans le respect de la seconde branche de l’alternative, soit la convocation à l’initiative de la majorité des membres du syndicat. Faute que cette procédure ait été respectée, les élections auxquelles il a été procédé à la suite d’une convocation par une personne incompétente sont annulées.

(18 octobre 2018, Préfète du Territoire de Belfort, n° 421197)

                                             

Environnement

 

55 - Autorité de sûreté nucléaire – Autorisation de redémarrage de réacteurs nucléaires – « Règle fondamentale de sûreté » - Principe de précaution – Principe d’action préventive et de correction – Principe de justification – Contrôle entier du juge.

L’Association requérante attaque par trois recours distincts mais joints par le juge, les autorisations de redémarrage de trois réacteurs nucléaires données par l’Autorité de sûreté nucléaire sous réserve, pour EDF, de respecter certaines prescriptions édictées dans la décision autorisant le redémarrage.  Elle invoque au soutien de son action des arguments de légalité externe et des arguments de légalité interne.

Seuls ces derniers nous retiendront.

En premier lieu, la requérante reproche à la décision d’autorisation de ne pas respecter une « règle fondamentale de sûreté » (la règle n° V.2.c) édictée par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) elle-même. En effet, une autorité administrative est dans l’obligation de respecter les règles dont elle est l’auteur (c’est le principe Tu patere legem…) ; encore faut-il qu’il s’agisse d’une norme productrice d’effets de droit. Tel n’est pas le cas en l’espèce, la « règle » en cause n’ayant pas de caractère impératif.

En second lieu, la requérante invoque trois des principes régissant l’action environnementale.

Concernant le principe constitutionnel de précaution (cf. art. 5, Charte environnement), le Conseil d’État rappelle une fois de plus, avec fermeté, ce qu’est ce principe tant l’expression et la technique de la « précaution » sont aujourd’hui confondues avec la prévention. « Le principe de précaution est applicable lorsqu'il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l'hypothèse de risques de dommages graves et irréversibles pour l'environnement ou d'atteintes à l'environnement susceptibles de nuire de manière grave à la santé, en dépit des incertitudes subsistant sur leur réalité et leur portée en l'état des connaissances scientifiques ». Et il précise la conséquence négative de cette définition : « Il ne saurait, en revanche, être utilement invoqué lorsque la réalité et la portée de tels risques ne présentent pas, en l'état des connaissances scientifiques, un caractère hypothétique mais sont, au contraire, connues et évaluées. » Or, en l’espèce, la cause et les risques liés à l’augmentation excessive de la présence de carbone dans les aciers d’un réacteur nucléaire sont parfaitement connus, les mesures concernant cet aspect ne sauraient relever du principe de précaution.

Concernant le principe constitutionnel d’action préventive et de correction, issu notamment de l’art. 3 de la Charte de l’environnement, le juge relève que l’ASN, en l’espèce, s’est donnée les moyens de son respect. D’une part, elle a mené et fait mener des recherches approfondies concernant l’excédent de carbone dans les aciers et ses risques, d’autre part, en imposant à EDF les mesures qui, en l’état des connaissances scientifiques, permettent de ne pas dépasser les seuils de marge de sécurité ; enfin, elle exerce un contrôle permanent sur les effets de ces mesures et sur l’évolution des connaissances scientifiques sur ce sujet. Le principe invoqué doit être considéré comme ayant été respecté.

Concernant, le principe législatif de justification (art. L. 1333-2 code de la santé publique), le juge estime que, eu égard tant au respect du principe d’action préventive et de correction évoqué plus haut qu’à l’intérêt général qui s’attache à la reprise de l’activité de production d’électricité d’origine nucléaire, le moyen tiré de son non-respect doit être écarté.

(3 octobre 2018, Association Observatoire du nucléaire, n° 406243, 406245 et 406247)

 

56 - Chasse – Association communale de chasse agréée  (ACCA) – Mission d’intérêt général poursuivie par les ACCA – Régulation du patrimoine cynégétique – Droit de retrait des terrains inclus dans le territoire d’une ACCA – Possibilité lorsque les terrains d’un seul tenant appartiennent à une personne physique – Impossibilité lorsque ces terrains appartiennent à une association, personne morale – Légalité des restrictions apportées au droit de retrait allant dans le sens de l’intérêt général poursuivi par une ACCA – Illégalité en cas de disproportion manifeste dans l’exercice du droit de retrait selon qu’il l’est par une personne physique ou par une personne morale.

L’association requérante saisit le juge d’un recours dirigé contre le silence du premier ministre, valant rejet, sur ses demandes d’abrogation de diverses dispositions du code de l’environnement. En bref, les ACCA sont chargées d’une mission d’intérêt général de régulation du patrimoine cynégétique. L’accomplissement de cette mission suppose la disposition d’un vaste territoire susceptible de permettre une application rationnelle et ordonnée de ces principes de gestion. C’est pourquoi lorsque des propriétaires dont les terrains d’un seul tenant sont inclus dans un tel territoire veulent en sortir en exerçant un droit de retrait, ils doivent respecter les conditions posées par les textes. Si, lorsque ces conditions sont remplies par une personne physique, cette dernière peut obtenir sa sortie du territoire de l’ACCA, il n’en va pas de même quand ces conditions sont remplies par une association. En effet, cette situation est fréquente car il est difficile à une personne physique de détenir le seuil de superficie minimal nécessaire pour demander à exercer le droit de retrait. C’est pourquoi il est courant que plusieurs propriétaires s’organisent en une association afin qu’en regroupant leurs parcelles ils atteignent le seuil minimal. Bien que les textes ne le disent pas expressément, la jurisprudence estimait régulière cette prohibition faite aux personnes morales en particulier depuis une décision de principe rendue en 1978 (Section, 7 juillet 1978, Ministre de la qualité de la vie, n° 99333). C’est cette jurisprudence qu’abandonne la présente décision en jugeant que le motif d’intérêt général que poursuivent les ACCA «  ne saurait (…) conduire à instaurer la différence de traitement, manifestement disproportionnée, consistant à réserver par principe aux seules personnes physiques propriétaires d'un terrain de chasse supérieur au seuil minimal le droit de demander le retrait de leur fonds du territoire d'une ACCA déjà constituée et à en exclure les propriétaires qui atteignent ce seuil minimal en se regroupant en vue d'exercer ensemble leurs droits de chasse. Par suite, les dispositions de l'article R. 422-53 du code de l'environnement méconnaissent, dans cette mesure, le principe d'égalité. »

(Section, 5 octobre 2018, Association Saint-Hubert, n° 407415)

 

57 - Ouvrages existant sur un cours d’eau classé – Règlement d’eau d’un barrage – Application concomitante de la législation sur les ouvrages hydrauliques et de la législation sur l’eau en ce qu’elle est relative à la circulation des poissons migrateurs.

Une société dont les ouvrages sont installés sur un cours d’eau demande l’annulation de certaines prescriptions contenues dans l’arrêté préfectoral la concernant. En particulier, elle conteste l’obligation qui lui est faite d’installer une passe à poissons.

Le Conseil d’Etat rejette ce recours car le préfet devait, ici, prendre un arrêté tenant compte, à la fois, de la législation sur les ouvrages hydrauliques et de celle relative à l’eau, l’une n’excluant pas l’autre et se combinant. Or, l’obligation d’installer une passe à poissons résulte de la protection des poissons migrateurs, qui est imposée par la législation environnementale sur l’eau.

(22 octobre 2018, Sarl Saint-Léon, n° 402482 ; v. aussi, plus bas, sur un aspect procédural de cette décision, au n° 89 ; v. aussi, du même jour, sur l’exigence de passes à poissons migrateurs :  SARL MDC Hydro, n° 408663 ; Sarl Saint-Léon, n° 402480)

 

58 - Produits phytopharmaceutiques – Néonicotinoïdes – Interdiction – Référé suspension – Absence d’urgence – Rejet.

L’Union requérante demande par voie de référé la suspension du décret n° 2018-675 du 30 juillet 2018 relatif à la définition des substances actives de la famille des néonicotinoïdes présentes dans les produits phytopharmaceutiques. Ce décret a été pris pour l’application de la loi du 8 août 2016.

Cette loi a interdit, à compter du 1er septembre 2018, l'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes et de semences traitées avec ces produits. Elle a aussi prévu des dérogations jusqu’au 1er juillet 2020.

Le décret attaqué a défini cinq familles de néonicotinoïdes : Acétamipride ; Clothianidine ; Imidaclopride ; Thiaclopride ; Thiamétoxame.

Le juge relève que sur les onze demandes de dérogation, sept ont été rejetées, les quatre autres sont en cours d’instruction.  Il constate ensuite que la Commission européenne a interdit (règlements d’exécution du 29 mai 2018) à compter du 19 décembre 2018, l’utilisation de trois des cinq familles de néonicotinoïdes : la clothianidine, l'imidaclopride et le thiaméthoxame, sauf pour les cycles culturaux s’effectuant entièrement sous serre. Une quatrième famille, le thiaclopride, bénéficie d’une autorisation expirant le 30 avril 2019 ; son sort sera donc réexaminé à brève échéance. Seul l'acétamipride a fait l'objet d'une nouvelle approbation par la Commission européenne le 24 janvier 2018 pour une durée de quinze ans, susceptible toutefois d'être réduite, au vu de nouvelles connaissances scientifiques et techniques, dans les conditions fixées par l'article 21 du règlement du 21 octobre 2009.

Pour dire n’y avoir urgence en l’espèce, le juge des référés relève tout d’abord que l’invocation de l’atteinte qui serait portée par le décret attaqué aux droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne, à la supposer établie, n'est pas constitutive d'une situation d'urgence justifiant, par elle-même et indépendamment de toute autre considération, la suspension de la décision contestée. Il objecte ensuite qu’il y a deux années environ que cette interdiction a été décidée et ordonnée par la loi. Egalement, à supposer – comme l’allègue la requérante - que certaines des solutions alternatives à l’emploi de néonicotinoïdes sont susceptibles de présenter des inconvénients pour les filières agricoles concernées, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles puissent être regardées comme portant une atteinte grave et immédiate à l'intérêt de celles-ci de nature à constituer l’urgence.

Enfin, s’il est exact que dans six cas - lutte contre les mouches sur maïs, contre les insectes xylophages sur cerisier, contre les mouches sur framboisier, contre les pucerons sur navet, contre les coléoptères sur arbres et arbustes, contre les hannetons en forêt - aucune alternative suffisamment efficace et opérationnelle n'a été identifiée,  ceci ne saurait conduire à la suspension de l'ensemble des effets du décret dans la mesure où, à la date de la présente ordonnance, et pour les six cultures en cause, il n’apparaît pas que les futures récoltes soient compromises en l'absence d'un recours immédiat à des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes.

Est-ce à dire a contrario qu’un recours ne demandant que la suspension de certaines seulement des dispositions du décret attaquée eussent pu être retenues par le juge ?

Notant que des demandes de dérogation sont actuellement en cours d'instruction, le juge rappelle qu'il est loisible aux représentants des filières pour lesquelles une dérogation a déjà été ou serait refusée, de contester ce refus et d'assortir leur demande de conclusions aux fins de suspension.

Dès lors, l’une des conditions d’obtention du référé suspension, l’urgence, faisant défaut il n’y a pas lieu d’examiner l’autre condition.

(Ord. réf. 29 octobre 2018, Union des industries de la protection des plantes, n° 424627)

 

 

État-civil et nationalité

 

59 - Nom patronymique – Demande de rectification d’une erreur commise par une personne privée – Saisine de la CNIL – Refus d’intervenir – Saisine du Conseil d’État – Rejet.

Une personne abonnée à une revue distribuée par une société a demandé à plusieurs reprises, en vain, la rectification de la graphie de son nom afin que soit mise en caractères minuscules et non majuscules la particule « de » qui le précède. Devant ce refus, l’intéressé saisit la CNIL qui rejette sa demande en observant, d’abord, qu’elle n’est pas chargée de contrôler l’application de la loi du 6 fructidor an II sur les noms et prénoms, ensuite, que la graphie en cause ne porte point une atteinte telle à des données personnelles qu’elle risquerait d’entrainer un risque de confusion. Le Conseil d’État approuve.

(3 octobre 2018, M. X., n° 405939)

 

60 - Refus d’acquisition de la nationalité pour indignité – Circonstances invoquées insuffisantes pour justifier ce refus – Annulation du refus.

Applique inexactement l’art. 21-4 Code civil le premier ministre qui, par un décret du 21 avril 2017, pour refuser l’octroi de la nationalité française à une personne à raison de son indignité, relève qu’elle a été condamnée, pour avoir détenu et fait un usage illicite de produits stupéfiants, à une amende douanière et à une amende de 300 euros en 2010, et qu'elle a conduit un véhicule le 15 avril 2013 en ayant fait usage d'un produit stupéfiant, faits pour lesquels elle a été condamné à une amende et à une suspension de permis de conduire pendant deux mois. Les faits sont à la fois insuffisants et anciens. Pour justifier le refus, lequel est donc annulé.

(12 octobre 2018, M. X., n° 411744)

 

Fonction publique et agents publics

 

61 - Harcèlement moral – Protection fonctionnelle accordée puis refusée pour l’avenir suite à un jugement rejetant l’accusation de harcèlement – Caractère non définitif du jugement faisant obstacle au refus de poursuivre la protection.

Un agent du Conseil économique, social et environnemental (CESE) s’estimant victime de harcèlement moral obtient la protection fonctionnelle de la part de ce Conseil pour l’introduction de deux actions, civile – devant le tribunal administratif - et pénale – devant le TGI. Dans un premier temps les frais d’avocats sont pris en charge par le CESE. Puis, le tribunal administratif ayant rejeté ses conclusions indemnitaires, le CESE décide de ne plus prendre en charge désormais les frais de procès devant l’un et l’autre ordres de juridiction. Le tribunal administratif, saisi par le requérant, annule ce refus mais ce jugement est annulé en appel, d’où la saisine du juge de cassation.

Le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel et donne gain de cause au requérant. Il juge d’abord régulier le fait que l’administration, disposant de faits nouveaux, après avoir accordé la protection, soit, si elle est encore dans les délais pour le faire, retire rétroactivement la décision de protection, soit l’abroge pour l’avenir. En revanche, il estime que la simple circonstance de « l'intervention d'une décision juridictionnelle non définitive constatant l'absence de harcèlement ne suffit pas, en elle-même, à retenir que les faits de harcèlement allégués à l'appui de la demande de protection ne sont pas établis ». 

 (1er octobre 2018, M. X., n° 412897)

 

62 - Harcèlement moral – Pouvoir souverain du juge du fond – Établissement des faits et régime de preuve – Conditions de travail alléguées comme défectueuses – Procédure d’appel – Rejet du recours.

Un praticien hospitalier réclame, en vain en première instance et en appel, réparation de préjudices qu’il estime avoir subis du fait de conditions de travail défectueuses et d’un harcèlement moral. Il saisit le Conseil d’État.

Celui-ci commence par rappeler un point important de la procédure d’appel. Il incombe à l’appelant d'assortir ses moyens des précisions nécessaires pour permettre au juge d’en apprécier le bien-fondé. Lorsque l'appelant se borne à déclarer reprendre en appel un ou plusieurs moyens soulevés en première instance, sans l'assortir des précisions nécessaires, le juge d’appel n’est pas de tenu de procéder à son/leur examen. 

Ensuite, il rappelle les conditions jurisprudentielles d’analyse du moyen tiré d’un harcèlement moral. D’une part, est mis en balance l’ensemble des faits avancés par le requérant au soutien de son accusation avec l’argumentation développée à cet égard par l’administration, d’autre part, est également mis en balance le comportement du requérant dans son service avec les faits dont celui-ci affirme avoir été victime. Dans ces deux éléments d’analyse, le juge dispose de la plénitude de ses pouvoirs d’ordonner toute mesure utile de nature à éclairer les termes du débat.

En l’espèce, le Conseil d’État juge que c’est à bon droit que la cour administrative d’appel a souverainement estimé n’avoir trouvé, au dossier comme à l’audience, aucun élément confirmant une situation de harcèlement. Ceci conduit au rejet de la requête.

(3 octobre 2018, M. X., n° 414156)        

 

63 - Discrimination – Exercice des fonctions de présidente d’un syndicat national d’agents publics (Syndicat de la magistrature) – Rejet de sa candidature à plusieurs emplois – Acceptation d’autres personnes candidates – Allégation d’une discrimination pour appartenance syndicale – Autre motif invoqué par le garde des sceaux – Admission – Rejet du recours en annulation.

Ancienne présidente du Syndicat de la magistrature, la requérante se plaint du refus opposé à satisfaire ses actes de candidature et affirme que la cause réside dans ses fonctions syndicales. Le Conseil d’Etat rejette cette argumentation – après hésitation semble-t-il (cf. la teneur du début du considérant n° 8) - en se fondant sur la réponse du garde des sceaux à cette affirmation, selon laquelle l’un des motifs du rejet de ladite candidature tenait à « la mise en examen pour injures publiques et le renvoi devant le tribunal correctionnel dont l'intéressée, alors présidente du Syndicat de la Magistrature, a fait l'objet, en raison du dispositif d'affichage (dit Mur des C…) mis en place au siège de ce syndicat visant à dénigrer certaines personnalités, notamment des membres du Parlement ainsi que des justiciables s'étant portés partie civile dans des affaires judiciaires, compte tenu du retentissement public exceptionnel pris par ces faits  qui étaient de nature à jeter publiquement le doute sur son respect des exigences de réserve » N’étaient donc pas en cause les mérites respectifs et comparés de la candidature non retenue et de celles retenues mais bien la mise en examen, le fort retentissement public d’un événement mettant en cause le respect, par la magistrate requérante, des obligations déontologiques et de l’impartialité auxquelles sont astreints tous les magistrats.

(25 octobre 2018, Mme X. et Syndicat de la magistrature, n°s 405418, 408397, 409458 et 412649. V. aussi n° 5)

 

64 - Sanction disciplinaire – Texte nouveau instituant un délai plus court de prescription des faits reprochables – Entrée en vigueur immédiate mais sans rétroactivité.

L’institution par une loi nouvelle ne comportant aucune précision quant à sa date d’entrée en vigueur d’un délai de prescription d'une action disciplinaire dont l'exercice n'était précédemment enfermé dans aucun délai, est applicable aux faits antérieurs à la date de son entrée en vigueur mais ne peut, sauf à revêtir un caractère rétroactif, courir qu'à compter de cette date.

(10 octobre 2018, M. X., n° 420148)

 

65 - Société La Poste – Agents fonctionnaires ou anciens fonctionnaires – Mise à la retraite pour invalidité non imputable au service – Composition de la commission de réforme – Irrégularité – Annulation.

Il résulte des dispositions de l’article 31 du code des pensions civiles et militaires de retraite ainsi que de celles de l’article 32 du décret du 31 mai 2011, applicables à La Poste, que les commissions de réforme qui y sont instituées – lorsqu’elles statuent sur la demande d'un fonctionnaire ou ancien fonctionnaire relative à une pension de retraite pour invalidité - doivent comporter outre, notamment,  les membres du comité médical, un spécialiste compétent pour l'affection principale dont il est atteint et au titre de laquelle est formulée cette demande. Faute en l’espèce d’avoir relevé l’absence d’un tel spécialiste lors de l’examen du dossier du requérant et donc l’illégalité entachant le fonctionnement de la commission ayant statué sur son cas, le tribunal administratif a entaché son jugement d’irrégularité.

(10 octobre 2018, M. X., n° 405257)

 

66 - Agent public irrégulièrement évincé – Détermination du préjudice subi – Conditions et régime de réparation du préjudice.

Rappel d’un principe constant et de ses conséquences.

1°/ L’agent public irrégulièrement évincé de son emploi a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre.

2°/ En conséquence, positivement, cette indemnisation doit réparer les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Ce sera normalement le cas de la perte du traitement et de celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier.

Négativement, ne sont pas indemnisables les primes et indemnités qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Il s’ensuit que le non exercice de fonctions du fait même de l’éviction ne saurait donner lieu à indemnisation du chef de ces primes et indemnités.

3°/ Doit être déduit du montant du préjudice ainsi calculé, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.

(10 octobre 2018, Mme Pouget, n° 410119 ; on lira aussi, du même jour, sur des questions en partie voisines, Mme X., n° 393132)

 

67 - Magistrat de l’ordre judiciaire – Avertissement - Mesure prise en considération de la personne – Obligation de respecter les droits de la défense – Droit de prendre copie des pièces du dossier – Refus injustifié – Annulation de la décision.

Un vice-président de TGI fait l’objet d’un avertissement de la part du premier président de la cour d’appel dont il relève. Si l’avertissement n’est pas au nombre des sanctions disciplinaires énumérées à l’art. 45 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, il constitue cependant une « mesure prise en considération de la personne », catégorie purement jurisprudentielle (CE Sect. 24 juin 1949, Nègre, Rec. 404), dans la mesure où il est porté au dossier de l’intéressé et ne peut en être effacé qu’au bout trois ans sous condition de bonne conduite. Il s’ensuit qu’un avertissement doit respecter les droits de la défense au rang desquels figure le droit, sauf abus, de prendre copie des pièces du dossier. En l’absence d’abus de la part de l’intéressé en l’espèce, le refus du premier président de l’autoriser à prendre copie était irrégulier et cette irrégularité entache la décision d’avertissement qui doit donc être annulée.

(3 octobre 2018, M. Y. Squercioni, n° 411900)

 

68 - Élections des représentants du personnel au sein des instances de représentation du personnel de la fonction publique hospitalière – Recours au vote électronique – Compétence du pouvoir réglementaire – Organisation du scrutin – Régularité – Rejet du recours.

Le syndicat requérant demande l’annulation du décret instituant le vote électronique pour les élections des représentants du personnel au sein des instances de représentation du personnel de la fonction publique hospitalière et en organisant les modalités de déroulement. Le recours est rejeté.

Le Conseil d’État juge que l’absence d’indications relatives au vote électronique dans les textes applicables ne prive pas le pouvoir réglementaire du pouvoir de l’organiser étant saufs, d’une part, le respect des principes généraux du droit électoral lesquels sont applicables à toute élection quelle qu’en soit la modalité technique, et d’autre part, le respect des règles particulières concernant l'élection des représentants du personnel aux commissions paritaires départementales.

Au passage, le Conseil d’État rappelle que si la CNIL a été amenée à faire des réserves s’agissant du recours au vote électronique pour l'élection des membres du conseil d'administration d'une caisse de retraite, cette délibération ne s’impose pas au pouvoir réglementaire.

(3 octobre 2018, Fédération CGT Santé - Action sociale, n° 417312)

 

69 - Magistrature judiciaire – Intégration directe – Obligation d’accomplir un stage probatoire – Conditions de son organisation – Impossibilité d’en fixer la période de déroulement – Avis défavorable de la commission compétente – Absence d’irrégularité.

Ayant intégré directement la magistrature judiciaire, le requérant devait effectuer un stage probatoire à l’issue duquel son intégration pouvait avoir lieu. En l’espèce, la direction des stages de l’École de la magistrature, puis une direction ministérielle ont demandé à l’intéressé durant quelle période il souhaitait accomplir son stage ; celui-ci a sollicité son report sans cependant fixer de date, mettant ainsi l’École dans l’incapacité de l’organiser. La commission d’avancement, après six ans d’attente de la fixation de cette date, a émis un avis défavorable sur son intégration dans la magistrature. Le requérant critique la légalité de cet avis. Le Conseil d’État l’estime, au contraire, régulier dans les circonstances de l’espèce. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la requête, l’avis défavorable ne constitue pas l’abrogation de la précédente décision l’admettant à suivre cette formation probatoire puisque cette dernière avait épuisé tous ses effets lors de l’émission de l’avis défavorable. Ainsi, l’avis défavorable de la commission d’intégration n’avait pas à respecter les formes et conditions régissant l’abrogation des actes administratifs créateurs de droits (prévues aux art. L. 241-1 et L. 241-2 du code des relations entre le public et l’administration).

(3 octobre 2018, M. X., n° 409230)

 

70 - Journaliste, agent mis à disposition d’un département par un centre de gestion de la fonction publique territoriale – Agent contractuel d’un centre de gestion – Conclusion, en fin de mise à disposition, d’un contrat d’embauche entre le département et le journaliste – Clause du contrat prévoyant une période d’essai – Licenciement à l’expiration de la période d’essai – Annulation par la cour administrative – Erreur de droit – Annulation de l’arrêt d’appel.

D’abord mis à disposition d’un département par le centre de gestion de la fonction publique dont il est un agent contractuel, un journaliste territorial est embauché par ce département à l’issue de la mise à disposition. Le contrat comporte une période d’essai de trois mois. À l’issue de cette période, l’intéressé est licencié pour insuffisance professionnelle. Il obtient une indemnisation de la part de la cour administrative : c’est cet arrêt que le département défère au juge de cassation.

Le Conseil d’État lui donne raison car la cour a commis des erreurs de droit. Elle a, en effet, considéré la décision de licenciement comme fautive en raison de l’illégalité de la clause instituant une période d’essai. Pour cela elle s’est fondée sur le fait qu’ayant été employé par le département dans le cadre de sa mise à disposition, le journaliste ne pouvait se voir imposer une période d’essai préalablement à l’entrée en vigueur de son contrat d’embauche. Elle commet ainsi deux erreurs de droit.

En premier lieu, durant la période de mise à disposition le département n’était pas l’employeur du requérant ; son contrat pouvait donc comporter une période d’essai.

En second lieu, l'illégalité de la clause prévoyant la période d'essai n'aurait de toute façon pas eu, par elle-même, pour effet de rendre illégale la décision de licenciement de l'agent pour insuffisance professionnelle à l'issue de la période d'essai. Il appartenait au juge de vérifier si les motifs de la décision étaient de nature à justifier le licenciement indépendamment de toute période d'essai.

(10 octobre 2018, Département des Deux-Sèvres, n° 412072)

 

71 - Fonctionnaire – Agent de La Poste – Sanction disciplinaire pour faute – Etendue du contrôle du juge de cassation.

Utiles rappels des principes gouvernant l’étendue du contrôle du juge de cassation sur les sanctions disciplinaires infligées aux agents publics.

D’abord, l’affirmation du principe contentieux : « Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes ; ».

Ensuite, vient la description du mécanisme et de l’agencement du contrôle de cassation en cette matière : « la constatation et la caractérisation des faits reprochés à l'agent relèvent, dès lors qu'elles sont exemptes de dénaturation, du pouvoir souverain des juges du fond ; que le caractère fautif de ces faits est susceptible de faire l'objet d'un contrôle de qualification juridique de la part du juge de cassation ; que l'appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des fautes commises relève, pour sa part, de l'appréciation des juges du fond et n'est susceptible d'être remise en cause par le juge de cassation que dans le cas où la solution qu'ils ont retenue quant au choix, par l'administration, de la sanction est hors de proportion avec les fautes commises ». Ce dernier cas se présentant en l’espèce, l’arrêt d’appel est cassé pour disproportion manifeste de la sanction par rapport aux fautes reprochées.

(25 octobre 2018, M. X., n° 413590)

 

Hiérarchie des normes

 

72 - Convention fiscale internationale – Rapport avec la loi fiscale nationale – Interprétation erronée de la convention – Soumission erronée à l’impôt dans un État étranger – Annulation.

Une société, spécialisée dans l’activité de négoce et de location de matériel de forage, assujettie en France à l’impôt sur les sociétés, a demandé en vain, à l’administration fiscale puis aux juges du fond, la déduction de l’assiette des bénéfices soumis à cet impôt, du montant de l’impôt qu’elle a déjà payé dans trois États africains.

Sa demande est rejetée car les conventions fiscales conclues entre la France et chacun de ces États ont exclu la possibilité de déduire du résultat imposable en France les impôts acquittés en Algérie, au Cameroun et au Congo. La société saisit le juge de cassation.

Le Conseil d’État affirme tout d’abord qu’une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Il convient d’abord de vérifier si au regard de la loi fiscale nationale l'imposition contestée a été valablement établie avant de déterminer si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.

Cette première analyse, la seule effectuée en l’espèce par les juges du fond, ne suffit cependant pas.

Encore faut-il, pour la détermination de l'assiette de l'impôt dû par cette entreprise, que le juge saisi, après avoir constaté que les impositions qu'une entreprise a supportées dans un autre État du fait des opérations qu'elle y a réalisées seraient normalement déductibles de son bénéfice imposable en France en vertu de la loi fiscale nationale, fasse application des stipulations claires d'une convention excluant la possibilité de déduire l'impôt acquitté dans cet autre État, de ce bénéfice imposable. 

Or le Conseil d’État relève que l'interdiction de déduire l'impôt étranger pour le calcul du revenu imposable en France ne concerne, dans les trois conventions fiscales internationales en cause, que les impôts qui ont été prélevés dans les États concernés et qu’en l’espèce le contribuable a été à tort, au regard de ces conventions, soumis à l'impôt dans ces États. Par suite, la déductibilité doit lui être accordée.

(12 octobre 2018, Société Smith International France, n° 4079039 ; v. aussi, du même jour avec même requérante, le n° 407903)

 

73 - Traités et conventions – Réserves émises par l’État français – Réserve à la convention EDH – Régime juridique – Contrôle du juge impossible sur la réserve – Acte de gouvernement – Chose jugée au pénal – Portée en droit administratif – Absence en l’espèce.

Le Conseil d’État rend ici, dans la plus solennelle de ses formations de jugement, l’assemblée du contentieux, une importante décision relative à la hiérarchie des normes. L’autre aspect de la solution, relatif à l’autorité de chose jugée au pénal est, lui, très classique.

En l’espèce, une société exploitant un salon de coiffure est sanctionnée pour avoir employé des salariés clandestins puisque démunis de titre de séjour et d'autorisation de travail. Le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a émis des titres de perception à l’encontre de cette société en vue du paiement de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Le Conseil d’État juge tout d’abord que si aucun élément intentionnel de la part de l’employeur n’est nécessaire à la caractérisation du manquement pour que celui-ci soit sanctionné,  l’employeur ne saurait être sanctionné que si, tout à la fois, d'une part, et sauf à ce que le salarié ait justifié avoir la nationalité française, il s'est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de l'article L. 5221-8 du code du travail et que, d'autre part, il n'était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité. Or en l’espèce, ainsi que l’a jugé la cour, la société requérante ne pouvait utilement invoquer ni l'absence d'élément intentionnel du manquement qui lui était reproché, ni, dès lors qu'elle ne soutenait pas sérieusement avoir respecté les obligations découlant de l'article L. 5221-8, sa prétendue bonne foi. Elle pouvait donc, contrairement à ce qu’elle soutenait devant les juges du fond, être sanctionnée administrativement à raison de son manquement.

La société invoquait ensuite un deuxième argument tiré de la réserve formulée par la France lors de la ratification  du protocole n° 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, visant spécialement l'article 4, paragraphe 1, selon lequel : « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État ». La règle « non bis in idem », telle qu'elle résulte de ces stipulations, ne trouve à s'appliquer, selon la réserve accompagnant l'instrument de ratification de ce protocole par la France et publiée au Journal officiel de la République française du 27 janvier 1989, à la suite du protocole lui-même, que pour « les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale ». Par suite, cette réserve a pour effet de ne pas interdire le prononcé de sanctions administratives parallèlement aux décisions définitives du juge répressif. En particulier, la société requérante soutenait que cette réserve, par sa formulation trop générale, méconnaissait les stipulations de l'article 57 de la convention, relatif aux réserves que les États peuvent formuler au moment de sa signature ou du dépôt de son instrument de ratification.

Elargissant et précisant sa jurisprudence antérieure, le Conseil d’État indique, interprétant la disposition de l’article 55 de la Constitution relative à la primauté des traités et accords internationaux sur la loi, que « Lorsqu'un traité ou un accord a fait l'objet de réserves, visant, pour l'État qui exprime son consentement à être lié par cet engagement, à exclure ou à modifier l'effet juridique de certaines de ses clauses dans leur application à son endroit, il incombe au juge administratif, après s'être assuré qu'elles ont fait l'objet des mêmes mesures de publicité que ce traité ou cet accord, de faire application du texte international en tenant compte de ces réserves. De telles réserves définissant la portée de l'engagement que l'État a entendu souscrire et n'étant pas détachables de la conduite des relations internationales, il n'appartient pas au juge administratif d'en apprécier la validité. » 

Le Conseil d’État répond, en conséquence du raisonnement qui précède, qu'il n'appartient pas au juge national de se prononcer sur la validité d’une réserve à un traité international, celle-ci n’étant pas dissociable, en l’espèce, de la décision de la France de ratifier ce protocole. Dès lors le moyen tiré de la contrariété des articles L. 8253-1 du code du travail et L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à l'article 4 du protocole n° 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales devait, comme l’a fait la cour administrative d’appel, être écarté.

Enfin, la société requérante invoquant le fait qu’elle avait été relaxée des poursuites pénales, entendait opposer à la sanction administrative le principe que le criminel tient le civil en état, ou autorité de la chose jugée au pénal. Répondant à ce moyen, le juge rappelle – très classiquement - que cette autorité ne s'impose à l'administration comme au juge administratif qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d'un jugement devenu définitif, tandis que la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, à l'autorité administrative d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction administrative. Il n'en va autrement que lorsque la légalité de la décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale, l'autorité de la chose jugée s'étendant alors exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal. En l’espèce, ce n’était pas le cas : la sanction pour emploi irrégulier d’étrangers n’est pas subordonnée à sa qualification comme infraction pénale.

On demeurera cependant perplexe sur l’attitude constante du juge administratif consistant à distinguer parmi les constatations de fait opérées par le juge pénal entre celles donnant lieu à jugement définitif et ceux donnant lieu à jugement de relaxe parce que les faits ne sont pas établis ou sont douteux. L’affirmation par le juge répressif des faits, qui a un caractère strictement objectif, est rigoureusement indépendante des conséquences qu’il en tire. Sa constatation des faits a la même force dans tous les cas et l’on voit mal comment et en vertu de quelle autorité le juge administratif peut s’autoriser à effectuer une telle discrimination.

(Assemblée, 12 octobre 2018, Sarl Super Coiffeur, n° 408567)

 

Libertés fondamentales

 

74 -Demande d’asile – Refus – Condamnation définitive de la France par un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme et de sauvegarde des libertés fondamentales – Nouvelle demande refusée par l’OFPRA et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Conséquences à tirer d’un arrêt de condamnation de la Cour européenne – Obligation d’accorder au moins la protection subsidiaire – Annulation de l’arrêt de la CNDA.

La Cour EDH a condamné la France pour avoir refusé d’accorder la protection asilaire à un ressortissant congolais. Celui-ci sollicite à nouveau le bénéfice de l’asile : il lui est refusé par l’OFPRA puis par la CNDA. Il saisit le Conseil d’État qui lui donne partiellement raison.

Celui-ci rappelle les exigences qu’impose la complète exécution des arrêts de condamnation d’un État rendus par la Cour EDH. L’État concerné doit prendre « toutes les mesures qu'appellent, d'une part, la réparation des conséquences que la violation de la convention a entrainées pour le requérant et, d'autre part, la disparition de la source de cette violation ».

Parce que les arrêts de la Cour ont une nature essentiellement déclaratoire tout en étant revêtus de l’autorité de chose jugée, il appartient à l'État condamné de déterminer les moyens de s'acquitter de l'obligation qui lui incombe ainsi, celle-ci consistant non seulement à verser les sommes allouées par la Cour au titre de la satisfaction équitable mais encore à prendre les mesures individuelles et, le cas échéant, générales, nécessaires pour mettre un terme à la violation constatée.

Il suit de là que l’OFPRA et la CNDA ne pouvaient pas rejeter en son entier la demande de l’intéressé, empêchant ainsi la correcte exécution de la chose jugée par la Cour EDH. C’est pourquoi le Conseil d’État impartit d’accorder au requérant au moins la protection subsidiaire prévue par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et par le droit interne français.

(3 octobre 2018, M. X., n° 406222)

 

75 - Détermination de l’Etat responsable d’une demande d’asile (art. L. 742-1 code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) – Transfert vers l’Etat responsble de cet examen – Assignation à résidence ou placement en rétention – Procédure applicable aux jugements des recours dirgés contre une décision de transfert – Délai applicable – Délai de 48 heures prévu à l’art. L. 512-1 du même code.

Etait notamment posée au Conseil d’Etat la question de savoir, au regard des dispositions de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, quels sont les délais de recours applicables en matière de transfert d’étrangers et, le cas échéant, ceux dans lesquels la juridiction doit se prononcer. 

Les juges du Palais-Royal répondent qu’en « adoptant les dispositions du II de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le législateur a organisé une procédure spéciale conduisant le juge administratif à statuer rapidement sur la légalité des mesures d'éloignement que sont les décisions de transfert lorsque les étrangers concernés sont placés en rétention ou assignés à résidence, sans entendre distinguer selon que la mesure d'assignation à résidence a été prise sur le fondement de l'article L. 561-2, normalement applicable, ou se présente comme ayant été prise en application de l'article L. 561-1. 

Ainsi, quand bien même la mesure d'assignation à résidence assortissant une décision de transfert se présenterait comme prise sur le fondement de l'article L. 561-1, la contestation d'une telle mesure, notifiée avec une décision de transfert, doit être faite avant l'expiration du délai de recours de quarante-huit heures et doit être jugée selon la procédure et dans le délai prévus au III de l'article L. 512-1. »

(24 octobre 2018, M. X., n° 419229)

 

76 - Demande d’asile – Visa précédemment délivré au Portugal – Décision du préfet du Rhône d’un transfert de France vers le Portugal (procédure « Dublin III ») – Contestation par l’intéressé pour raison de santé.

Dans cette affaire, un ressortisant congolais contestait la décision préfectorale de le transférer vers le Portugal, Etat par lequel il était entré, sous couvert d’un visa de court séjour, sur le territoire de l’Union européenne. Il invoquait la gravité de son état de santé, particulièrement un diabète de caractère déséquilibré nécessitant la prise, quatre fois par jour, d’insuline maintenue constamment au froid.

Le Conseil d’Etat relève, comme le juge des référés de première instance, que le préfet du Rhône, après avoir recueilli l’accord de transfert des autorités portugaises, les avait informées via la plateforme Dublinet, de l’état de santé du requérant, les mettant ainsi en état, dès son arrivée, de poursuivre le traitement adéquat. Semblablement, connaissant son état et ses besoins de traitement, il apparaît évident – aux yeux du juge - que le préfet a pris les mêmes précautions pour la poursuite du traitement pendant le temps de son rapatriement de la France vers le Portugal.

(15 octobre 2018, M. X., n° 424743)

 

77 - Demande d’extradition par le Kosovo – Délai de prescription de dix ans acquis – Existence d’une situation de force majeure – Situation de nature à interrompre la prescription (art. 9-3 code de procédure pénale) – Absence, en conséquence, de méconnaissance de l’art. 3 de la convention franco-yougoslave d’extradition du 23 septembre 1970.

Un ressortisant kosovar fait l’objet d’une demande d’extradition auprès des autorités françaises qui y répondent favorablement. L’intéressé conteste la légalité du décret d’extradition motif pris de ce que plus de dix ans se sont écoulés entre les faits reprochés et la demande d’extradition ; l’art. 3 la convention franco-yougoslave d’extradition du 23 septembre 1970, stipule en effet que l'extradition ne peut être accordée dans le cas où, d'après la législation de l'un ou de l'autre Etat, la prescription de l'action publique ou de la peine est acquise au moment de la réception de la demande. Or l’art. 7 du code de procédure pénale, dans sa rédaction alors en vigueur, fixe à dix ans, en France, le délai de cette prescription.

Toutefois, le Conseil d’Etat retient l’argumentation du Kosovo selon laquelle au cours de la période où « les faits justifiant la demande d'extradition ont été commis, et plusieurs mois encore après la fin du conflit armé, les services de police et les juridictions répressives se sont trouvés dans l'impossibilité de fonctionner et de poursuivre les crimes et délits de droit commun ; qu'il ressort en particulier (des) rapports (établis les 18 juillet, 16 septembre et 23 décembre 1999 par le secrétaire général de l'Organisation des Nations unies sur la Mission d'administration intérimaire des Nations unies au Kosovo (MINUK)) que le conflit a entraîné le départ de la très grande majorité des policiers et des magistrats, qui étaient d'origine serbe, et qu'il a été nécessaire de procéder à de nouvelles nominations, lesquelles ne sont intervenues, progressivement, qu'à partir de la fin du mois de mars 2000 ; que cette situation exceptionnelle, présentant un caractère insurmontable et assimilable à la force majeure, s'est poursuivie au moins jusqu'à la fin du mois d'octobre 1999 et doit être regardée comme ayant conduit, conformément à ce que prévoient les dispositions précitées de l'article 9-3 du code de procédure pénale, à suspendre le cours de la prescription ; que, par suite, à la date du premier acte interruptif de prescription, le 19 octobre 2009, les faits reprochés (…)  ne pouvaient être tenus pour prescrits ; que le moyen tiré de ce que les stipulations du e de l'article 3 de la convention d'extradition du 23 septembre 1970 auraient été méconnues du fait de l'acquisition de la prescription en droit français doit, en conséquence, être écarté. »

 (25 octobre 2018, M. X., n° 419865)

 

78 - Principe d’égalité devant la loi – Existence des valeurs éminentes d’intégration et de solidarité – Lutte contre les discriminations – Engagement des chaînes de radio de respecter ces exigences – Liberté de communication des pensées et des opinions – Critique possible des principes et des valeurs républicains – Mise en demeure du CSA entachée d’illégalité au regard des libertés en cause – Annulation.

Le CSA adresse une mise en demeure à la société requérante à raison de propos très critiques tenus à son antenne par un chroniqueur à l’encontre de la jurisprudence de la Cour suprême des Etats-Unis ainsi que de celles du Conseil constitutionnel et du Conseil en France en matière de non discrimination. Le CSA lui reproche la violation de son engagement de respecter et de promouvoir un certain nombre de principes et de valeurs touchant en particulier la dignité des personnes.

Le Conseil d’Etat estime cependant que ces derniers doivent être conciliés avec la liberté de communiquer à autrui ses pensées et ses opinions et qu’ils ne sauraient conduire à imposer à un « éditeur d(’un) service (de communication audiovisuelle) de prohiber sur son antenne toute critique des principes et des valeurs républicains ». La mise en demeure est, logiquement, annulée.

(15 octobre 2018, Société RTL France Radio, n° 417228)

 

79 - Liberté d’expression et de communication – Liberté de la presse – Circulaire interdisant l’assistance de journalistes à une perquisition et son enregistrement – Illégalité invoquée – Absence d’irrégularité.

L’association requérante demande l’annulation pour excès de pouvoir de la dépêche du garde des sceaux du 27 avril 2017 concernant l'incidence de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2017 relatif au secret de l'enquête et de l'instruction sur les autorisations de reportages journalistiques délivrées par les autorités judiciaires. Elle conteste notamment la circulaire, qui lui fait suite, du 27 juin 2017, adressée aux magistrats du parquet, dans laquelle ce ministre estime qu'aucune personne autre que celles concourant à la procédure, au sens de l'article 11 du code de procédure pénale (CPP) et, en particulier, aucun journaliste, ne peut assister à l'accomplissement d'une perquisition et a fortiori ne peut capter des images de son déroulement, nonobstant l'accord de la personne concernée et l'autorisation délivrée par une autorité publique.

Le grief d’inconstitutionnalité est rejeté car cette circulaire est fondée notamment sur le premier alinéa de l’art. 111 du CPP, lequel a été déclaré conforme à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel (n° 2017-693 QPC du 2 mars 2018). Pas davantage n’est retenu le grief d’inconventionnalité, l’article 10 de la Convention EDH permettant les atteintes justifiées et proportionnées à la liberté d’informer, ce qui est le cas en l’espèce, où sont en jeu le secret de l’instruction, le souci d’une bonne administration de la justice, la protection de la présomption d’innocence et le respect du secret de la vie privée.

(19 octobre 2018, Association de la presse judiciaire, n° 411915)

 

80 - Titre de séjour (art. L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou CESEDA) – Titre sollicité par un membre de la famille d’un ressortissant de l’Union européenne – Personnes liées par un pacs – Situation non assimilable à celle des gens mariés – Absence d’équivalence du pacs enregistré avec un mariage – Cassation de l’arrêt reposant sur l’affirmation d’une équivalence.

Rappelant que la loi créant le pacs comme institution distincte du mariage « ne peut être interprétée comme assimilant de manière générale les partenaires liés par un pacte civil de solidarité aux personnes mariées ». Il en résulte que le législateur a fait le choix de réserver le bénéfice du régime des dispositions de l'article L. 121-1 du CESEDA, qui transposent le droit de séjourner librement sur le territoire des États membres prévu par la directive du 29 avril 2004, aux seuls conjoints, les personnes liées par un pacs bénéficiant d’autres dispositions.

Par suite, commet une erreur de droit la cour administrative d’appel jugeant que le pacte civil de solidarité doit être regardé comme constituant un partenariat enregistré équivalent au mariage conformément à la législation de l'Etat membre d'accueil, au sens du b) du paragraphe 2 de l'article 2 de la directive du 29 avril 2004.

(22 octobre 2018, Ministre de l’intérieur, n° 407687)

 

81 - Garde d’un enfant mineur confiée à sa tante par le juge aux affaires familiales– Régime de l’inscription de l’enfant dans un lycée – Opposition entre la tante, disposant du droit de garde, et le père, titulaire d’un droit de visite – Inscription de l’enfant (sur demande de la tante et sur décision du juge judiciaire) puis radiation (sur demande du père) – Réinscription ordonnée en référé administratif – Avancement de la date d’effet de cette inscription par le Conseil d’Etat.

Dans le cadre d’une pénible querelle de famille consécutive au décès de la mère d’une fille, alors âgée de dix ans, sont en opposition la tante, titulaire d’un droit de garde de l’enfant, et le père de celle-ci, titulaire d’un droit de visite. La tante inscrit sa nièce dans un nouveau lycée, alors que le père veut voir sa fille continuer ses études dans l’établissement qu’elle fréquente depuis quatre années.

Le juge aux affaires familiales a autorisé la tante à procéder à l'inscription de sa nièce dans ce nouveau lycée pour l'année scolaire 2018/2019 à compter de la rentrée scolaire de janvier 2019 à l'issue des congés de Noël 2018. « Afin d'assurer le plein respect d'une vie privée et familiale normale » de l’enfant, le Conseil d’Etat décide d’avancer la date de son inscription telle que l’avait fixée le juge judiciaire et ordonne à titre provisoire à l'administration de l'éducation nationale de l'inscrire immédiatement dans ce lycée dès la notification de son ordonnance. Cette solution audacieuse peut être critiquée, elle n’est cependant pas sans mérite.

(Ord. réf. 31 octobre 2018, M. X., n° 424853)

 

Police

 

82 - Police des armes et munitions – Règlementation de la circulation des armes et du matériel de guerre – Classement de certaines armes en catégorie A – Demande d’annulation partielle – Mesure justifiée et sans caractère rétroactif – Rejet.

Un décret modifie le classement de certaines armes ce qui a pour effet d’en modifier également les régimes de détention comme d’autorisation. En effet, il résulte des dispositions de l'article L. 311-2 du code de la sécurité intérieure l’existence de quatre catégories de matériels de guerre, armes, munitions et éléments d'armes : ceux interdits à l'acquisition et à la détention (A), les armes soumises à autorisation pour l'acquisition et la détention (B), les armes soumises à déclaration pour l'acquisition et la détention (C) et les armes et matériels dont l'acquisition et la détention sont libres (D). Chaque catégorie ainsi que le régime auquel elle est soumise sont déterminés par décret en Conseil d'État.

L'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure détermine les armes relevant des catégories prévues à l'article L. 311-2.

Le a) du 2° du II de cet article classe en catégorie B les armes « à répétition semi-automatique, dont le projectile a un diamètre inférieur à 20 mm, d'une capacité supérieure à trois coups ou équipées d'un système d'alimentation amovible et n'excédant pas 31 coups sans qu'intervienne un réapprovisionnement ».

Le 3° de la rubrique 1 du I de cet article classe en catégorie A les « armes à feu d'épaule, quel que soit le type ou le système de fonctionnement, cumulant les deux caractéristiques suivantes :

 - permettant le tir de plus de 31 munitions sans qu'intervienne un réapprovisionnement ;

- accompagnées d'un système d'alimentation de plus de 30 cartouches ».

Enfin, le 1° du II de l'article 2 du chapitre premier du décret du 9 mai 2017 relatif au contrôle de la circulation des armes et des matériels de guerre, a complété ce dernier alinéa par les mots « ou alimentées par bande quelle qu'en soit la capacité ». C’est précisément contre cet ajout qu’est dirigée l’action de l'association UNPACT et d’autres requérants.

Pour le recours dont il est saisi le Conseil d’État relève en premier lieu que les dispositions du décret attaqué classent ces armes en catégorie A  parce qu’elles « présentent une capacité de tir importante qui résulte de leur système d'alimentation par bande, en l'absence de la limitation du nombre de projectiles qui s'impose en cas d'alimentation par chargeurs rigides ; qu'en outre, il ressort des indications données par le ministre de l'intérieur et non démenties par les requérants que les armes en cause, qui résultent d'une transformation subie par des armes automatiques pour les priver de leur capacité de tir en rafales, ne sont pas insusceptibles de faire l'objet d'une transformation en sens inverse ; qu'ainsi, l'auteur du décret attaqué, qui tient des dispositions citées ci-dessus le pouvoir de limiter, pour des motifs tenant à l'ordre et à la sécurité publics, la diffusion des types d'armes qui présentent un danger avéré, n'a pas fait une inexacte appréciation du danger présenté par ces armes. » Ceci démontre également la différence de situation existant entre les détenteurs d'armes alimentées par bandes et les détenteurs d'autres armes, lesquelles continuent à relever du régime d'autorisation, et justifie la différence de traitement ainsi créée entre eux. 

Il relève en suite que, contrairement à ce qui est soutenu par les requérants, les mesures nouvelles ne sont point entachées de rétroactivité, les autorisations déjà délivrées conservant tous leurs effets jusqu’à leur date d’échéance.

(3 octobre 2018, Association « Union nationale des propriétaires d'armes de chasse et de tir » (UNPACT) et autres, n° 412327)

 

83 - Police de la circulation à l’intérieur de la Citadelle de Besançon – Interdiction faite aux visiteurs d’y marcher pieds nus – Absence d’illégalité de la décision pour une partie de la Citadelle – Caractère excessif de l’interdiction dans le parc de la Citadelle.

Le maire de Besançon interdit, dans le règlement intérieur de la Citadelle de Besançon, d’y circuler pieds nus. Une personne conteste cette interdiction pour son caractère uniforme et absolu. Le Conseil d’État estime qu’une même réglementation peut en principe s’appliquer à un ensemble donné et qu’elle ne saurait être illégale pour ce motif. Cependant, il appartient au juge de vérifier le bien-fondé de celle-ci dans chacune des parties distinctes de cet ensemble. En l’espèce, est jugée régulière l’interdiction de circulation  à pieds nus dans les bâtiments et musées ainsi que dans le jardin zoologique auquel l’accès n’est possible qu’en traversant ces édifices car «  en exigeant une tenue vestimentaire correcte au regard des usages, (l’interdiction de circuler pieds nus ne) porte (pas une)  atteinte excessive à la liberté d'aller et venir, à la liberté personnelle et aux droits protégés par les articles 8, 9 et 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. ». En revanche, cette interdiction est excessive en tant qu’elle concerne le parc de la Citadelle qui abrite de larges pelouses, agrémentées d'espaces de pique-nique, destinées notamment à la promenade et aux loisirs des visiteurs. »

(3 octobre 2018, M. X., n° 414535)

 

Procédure contentieuse

 

84 - Décès d’une partie en cours d’instance – Affaire en état d’être jugée – Poursuite de l’instance – Combinaison avec le caractère contradictoire – Annulation.

De cette affaire relative au contentieux né du licenciement d’un salarié protégé, on retiendra surtout un aspect procédural. Lorsque décède l’une des parties, si l’affaire n’est pas en état d’être jugée, l’instance est suspendue jusqu’à sa reprise par les successeurs ou les héritiers (art. R. 634-1 CJA). En revanche, si l’affaire est en état le décès n’interrompt pas l’instance qui se poursuit jusqu’à son terme. Tel était le cas dans la présente affaire comme le juge la cour. Cependant, le Conseil d’État constate que la production par l’adversaire du défunt de conclusions contenant des éléments appelant une discussion contradictoire interdisait la poursuite de l’instance en l’absence d’une partie pour y participer ; en conséquence, l’instance devait être suspendue malgré les termes de l’art. R. 634-1 précité.

(10 octobre 2018, Société Trane, n° 400807)

 

85 - Référé liberté – Arrêté préfectoral ordonnant la fermeture d’un commerce pour trois mois – Suspicion de participation à un trafic international de cigarettes – Existence d’une urgence à statuer – Incompétence du préfet à prendre cet arrêté sans proposition préalable – Suspension ordonnée.

Est irrégulier l’arrêté préfectoral ordonnant spontanément la fermeture d’un établissement pour cause de participation à un trafic international de cigarettes alors qu’une telle décision est subordonnée à une proposition en ce sens du directeur interrégional des douanes et droits indirects (art. 1825 CGI). Outre cette illégalité que le juge estime porter une atteinte grave à l’exercice de la liberté du commerce et de l’industrie par les requérants, il estime également qu’il y a urgence car l’exploitation de cet établissement est leur seule source de revenus. L’ordonnance de référé de première instance est annulée et la suspension ordonnée.

(1er octobre 2018, M. et Mme X. et Sarl Mer, n° 424386)

 

86 - Recours en cassation – Conditions d’ouverture – Qualité de partie en appel – Absence – Arrêt d’appel préjudiciant aux droits d’une personne – Intérêt à former tierce-opposition à l’arrêt d’appel.

Rappel de deux règles générales de procédure : la voie du recours en cassation est réservée aux personnes qui ont eu la qualité de partie dans l'instance ayant donné lieu à la décision attaquée ; une personne qui n'a été ni appelée ni représentée à l'instance peut former tierce-opposition devant la juridiction qui a rendu la décision si celle-ci préjudicie à ses droits.

(3 octobre 2018, M. X., n° 416748)

 

87 - Décision implicite de rejet – Délai du recours contentieux expiré – Nouvelle demande – Décision purement confirmative – Recours contentieux irrecevable.

Rappel d’une règle constante de procédure contentieuse : Lorsque le délai de recours contentieux contre une décision administrative est expiré, il est impossible, en formant une nouvelle demande, de faire revivre à nouveau ce délai de recours dès lors que la seconde décision est purement confirmative de la première, c’est-à-dire que ne s'est produit entre temps aucun changement dans les circonstances de droit ou de fait de nature à emporter des conséquences sur l'appréciation des droits ou prétentions en litige. Il importe peu à cet égard que la décision de rejet soit implicite ou explicite. Le recours formé contre une décision purement confirmative est toujours irrecevable.

(3 octobre 2018, Mme X., n° 412498)

 

88 - Eoliennes – Périmètre de visibilité de monuments historiques – Refus d’autorisation de construire les éoliennes – Annulation par jugement du tribunal administratif devenu définitif – Délivrance d’un permis de construire en 2011 – Annulation par arrêt d’une cour – Invocation d’éléments nouveaux non connus des premiers juges – Violation de l’autorité de chose jugée en 2010 – Cassation.

L’autorité de chose jugée - qui s’attache au dispositif comme aux motifs qui en sont le soutien nécessaire – d’un jugement devenu définitif annulant le refus d’accorder un permis de construire, sauf modification de la situation de droit ou de fait alors existante, ne permet ni à l’autorité administrative de refuser à nouveau le permis sollicité ni au juge d’annuler le permis accordé pour un motif identique à celui censuré par le tribunal administratif. L’arrêt d’appel qui s’affranchit ainsi de l’autorité de la chose jugée est entachée d’une erreur de droit conduisant à sa cassation.

(12 octobre 2018, Société Néoen aux droits de la société Juwi EnR, n° 412104)

 

89 - Production d’un mémoire en défense – Non respect du délai imparti pour produire – Mise en demeure – Défendeur n’ayant produit aucun mémoire – Acquiescement d’office aux faits – Clôture de l’instruction plus tardive – Production d’un mémoire dans l’intervalle – Absence d’acquiescement d’office.

Dans le cadre d’un litige portant sur des prescriptions préfectorales ordonnées à une société dont les ouvrages sont installés sur un cours d’eau, une question de procédure s’est posée.

Il résulte de dispositions du CJA (art. R. 611-10, R. 611-17, R. 611-26, R. 612-3 et R. 612-6) que le président de la formation de jugement peut mettre en demeure une partie qui n’a pas produit de mémoire à l’expiration du délai imparti à cet effet peut faire l’objet d’une mise en demeure. Lorsque cette partie est la défenderesse, à l’expiration de ce délai « elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires (du demandeur) ». En l’espèce, le ministre défendeur avait été mis en demeure de produire dans les quinze jours suivant la mise en demeure du 10 décembre 2015. Il n’a cependant déposé son mémoire que le 24 février 2016 : la cour ne lui en tient pas rigueur car, approuvée en cela par le Conseil d’Etat, cette date est antérieure à celle de la clôture de l’instruction, fixée au 22 mars 2016.

(22 octobre 2018, Sarl Saint-Léon, n° 402482 ; v. aussi, plus haut, sur la combinaison des deux législations applicables en l’espèce, au n° 57)

 

90 - Compétence juridictionnelle – Mesures d’assistance éducative – Placement dans une association de trois enfants mineurs dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance – Refus du département de prendre en charge une partie des frais d’hébergement dans l’association – Agrément pour accueil de handicapés – Réception d’enfants autistes et psychotiques – Recours de l’association relevant du juge administratif de droit commun ne statuant pas en premier et dernier ressort.

Une association agréée pour l’accueil temporaire d’enfants handicapés, reçoit sur décision du juge des enfants trois enfants autistes et psychotiques, pour lesquels elle ne dispose pas d’un agrément. Par suite, l’administration n’a pas fixé de tarif pour ce type d’accueil par cette association. Un litige est né de ce que le département a refusé de prendre en charge une partie des frais d’hébergement de ces trois mineurs. Le tribunal administratif n’ayant que partiellement fait droit à ses demandes financières, l’association se pourvoit devant le Conseil d’Etat, le département produisant des conclusions incidentes inverses tendant à l’annulation du jugement en tant qu’il a fait droit en partie à la requête de l’association.

Le juge relève en premier lieu, que le recours concerne un litige opposant l'association au département sur la prise en charge des frais d'hébergement des mineurs ne se rattachent pas à la détermination des tarifs des établissements et services sanitaires, sociaux et médico-sociaux au sens de l'article L. 351-1 du code de l'action sociale et des familles. Dès lors, il ne saurait relever, en première instance, que de la compétence du tribunal administratif et non de celle du tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale comme le soutient le département.

Ensuite, ce litige n’étant pas au nombre de ceux pour lesquels le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort (art. R.772-5 CJA), il ne relève pas directement du Conseil d’Etat mais de la voie de l’appel porté devant la cour administrative compétente

(12 octobre 2018, Association Ohaleï Yaacov - Le silence des justes, n° 420940)

 

91 - Recours administratif préalable – Notion – En l’espèce, recours de nature à prolonger le délai du recours contentieux – Annulation de l’arrêt rejetant le recours pour tardiveté.

Pour dire tardif un recours contentieux et le déclarer irrecevable, la cour administrative d’appel avait estimé que le courrier de protestation adressé par la société requérante à la commune ne tendait pas à l’annulation du titre exécutoire litigieux et qu’ainsi, le délai de recours contentieux n’ayant pas été prorogé par ce courrier, le recours contentieux était donc tardif. Le Conseil d’Etat, avec un grand bon sens, juge le contraire en relevant que dans ce courrier le gérant de la société « exprimait son " mécontentement " au regard du " montant astronomique " du titre exécutoire du 26 novembre 2014, contestait la superficie concernée par les installations de chauffage et les parasols en joignant, à l'appui de ses affirmations, " courriers, photos et droits de voirie ", que, par ce courrier, le requérant entendait démontrer que c'est à tort que la somme litigieuse avait été mise à la charge de sa société et en obtenir la décharge, au moins partielle » ; il constituait donc bien un recours préalable de nature à proroger le délai du recours contentieux.

(17 octobre 2018, Société Bahut, n° 416015)

 

92 - Cour régionale des pensions – Cassation d’un arrêt – Renvoi impossible à cette cour – Absence de possibilité pour elle de statuer dans une formation différente – Renvoi de l’affaire à une autre cour régionale.

Dans un litige en matière de pension militaire d’invalidité, après cassation d’un arrêt de la cour régionale des pensions de Nîmes, le Conseil d’État constate qu’« il y a lieu, compte tenu de l'impossibilité pour la cour régionale des pensions de Nîmes de juger sur renvoi de la présente affaire dans une composition différente, d'en attribuer le jugement à la cour régionale des pensions de Paris. »

(12 octobre 2018, M. X., n° 414209)

 

93 - Recours dans l’intérêt de la loi – Recours du ministre de l’Intérieur – Expropriation.

(12 octobre 2018, Ministre de l’Intérieur, n° 417016 ; v. le n° 19)

 

94 - Exécution des décisions de justice – Injonction de prendre un décret dans un certain délai – Absence – Astreinte condamnant le premier ministre.

Le Conseil d’Etat avait annulé la décision implicite par laquelle le premier ministre avait refusé de prendre le décret d'application prévu au deuxième alinéa de l'article L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles et il avait enjoint au premier ministre de prendre ce décret sous astreinte de cent euros par jour à l'encontre de l'Etat s'il ne justifiait pas, dans les neuf mois suivant sa notification, avoir exécuté cette décision. Par une décision du 31 mars 2017, le Conseil d'Etat a procédé à la liquidation provisoire de l'astreinte précédemment prononcée, au titre de la période comprise entre le 2 décembre 2016 et le 24 mars 2017.

Constatant qu’à la date du 15 octobre 2018, le premier ministre n'avait pas communiqué à la section du rapport et des études du Conseil d'Etat copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter la décision du 24 février 2016, le premier ministre est considéré comme n'ayant pas, à cette date, exécuté cette décision.

Sans s’arrêter au fait que le premier ministre invoque l'adoption par l'Assemblée nationale en première lecture, le 17 mai 2018, d'une proposition de loi visant notamment à modifier le deuxième alinéa de l'article L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles, le Conseil d’Etat procède à la liquidation de l'astreinte, au bénéfice des requérants, pour la période du 25 mars 2017 au 15 octobre 2018, au taux de cent euros par jour, soit 57000 euros au total.

(24 octobre 2018, M. X. et Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs, n° 383070)

 

Durée excessive des procédures – Existence d’une faute – Réparation partielle – Responsabilité du fait des décisions de justice.

On lira cette décision qui constitue un cas d’école par le nombre et la diversité des demandes de réparation de préjudices qui seraient nés de la lenteur excessive à rendre la justice ainsi que de l’exercice de lafonction juridictionnelle.

(24 octobre 2018, M. X., n° 404817)

 

95 - Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation – Refus de tous les avocats d’assurer la défense d’un dossier -– Pouvoirs et devoirs du président de l’ordre des avocats – Recours possible au Conseil d’État – Recours impossible car non fondé sur une demande de désignation d’avocat.

La présente affaire dont l’issue certaine ne pouvait être que l’échec, comporte un certain nombre de points intéressants.

L’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation est un auxiliaire du service public de la justice. À ce titre il incombe au président de cet ordre d’apprécier s’il y a lieu – en fonction des chances de succès de celle-ci - de désigner un avocat pour présenter une requête devant le Conseil d’État lorsque le justiciable s’est heurté, à cet effet, au refus de tous les avocats pressentis par lui. En cas de refus du président d’effectuer cette désignation, sa décision peut être déférée au Conseil d’État sans ministère d’avocat. Il résulte de cet ensemble de garanties et alors même que l’assistance d’un avocat appartenant à cet ordre est obligatoire pour saisir le Conseil d’État, qu’un tel refus ne méconnait pas le droit constitutionnel à recours effectif ou le droit conventionnel issu des stipulations de la convention de La Haye, du 25 octobre 2018, tendant à faciliter l’accès international à la justice.

Par ailleurs, le refus de désigner un avocat ne constitue pas l’exercice par le président de l’ordre d’une prérogative de puissance publique se rattachant à la mission de service public assurée par l’ordre des avocats auprès du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, il n’est, par suite, pas soumis à l’obligation de motivation (art. L. 211-5 et L. 211-6 code des relations du public avec l’administration).

Enfin, dans les circonstances de l’espèce, la requête dont s’agit, formée devant le tribunal administratif de Melun, ne constitue point une demande de désignation d’avocat en vue de former une requête directement devant le Conseil d’État. Rejet

(5 octobre 2018, M. X., n° 416669)

 

96 - Voies d’exercice des recours contentieux – Règles de forme régissant l’introduction et le jugement des recours – Distinction dans le temps – Effets.

Concernant l’application dans le temps des règles gouvernant les recours contentieux, il convient de pratiquer une distinction importante par ses effets.

Le droit de former un recours contre une décision est définitivement fixé au jour où cette décision est rendue et il en va de même – car ce sont des éléments constitutifs de ce droit - des voies selon lesquelles ce droit peut être exercé ainsi que des délais qui sont impartis à cet effet aux intéressés.

En revanche, les formes dans lesquelles le recours doit être introduit et jugé ne sont pas des éléments constitutifs de ce droit. Doivent donc, pour ces dernières, être respectées les règles applicables le jour où le juge statue.

En l’espèce, il résulte des dispositions de l’art. R. 431-3, 4° CJA, issues du décret du 2 novembre 2016, que ne peut être opposée aux requêtes relatives à des prestations, allocations ou droits attribués en faveur des travailleurs privés d'emploi, même enregistrées avant cette date, une irrecevabilité tirée de la méconnaissance de l'obligation de ministère d'avocat qui leur était antérieurement applicable. C’est donc à tort qu’en l’espèce le tribunal administratif avait jugé le contraire.

(5 octobre 2018, M. X., n° 415657)

 

97 - Exécution des décisions de justice (art. L. 911-1 et suiv. CJA) – Pouvoirs du juge de l’exécution (art. L. 911-4 CJA) – Office de ce juge.

Après avoir obtenu du juge la communication des documents administratifs qu’elle demandait, une société pharmaceutique se heurte au refus implicite du ministre d’exécuter cette décision. Elle saisit donc le juge de l’exécution qui ordonne à nouveau cette communication de documents et assortit son jugement d’une astreinte majorée. Le ministre se pourvoit, en vain.

A cette occasion le Conseil d’Etat effectue un rappel très pédagogique des pouvoirs et office du juge administratif de l’exécution.

En premier lieu, lorsque le jugement ou l'arrêt dont l'exécution lui est demandée n’a pas défini les mesures qu'implique nécessairement cette décision, il appartient au juge de l’exécution d'y procéder lui-même en tenant compte des circonstances de droit et de fait existant à la date de sa décision.

En deuxième lieu, lorsque la décision faisant l'objet de la demande d'exécution prescrit déjà de telles mesures mais que celles-ci sont entachées d'obscurité ou d'ambigüité, le juge de l’exécution peut en préciser la portée.

En troisième lieu, le juge de l’exécution peut, le cas échéant, édicter de nouvelles mesures toujours en se plaçant à la date de sa décision, sans toutefois pouvoir remettre en cause celles qui ont précédemment été prescrites ni méconnaître l'autorité qui s'attache aux motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle dont l'exécution lui est demandée. 

En quatrième lieu, enfin, le juge de l’exécution apprécie l'opportunité de compléter les mesures déjà prescrites ou qu'il prescrit lui-même par la fixation d'un délai d'exécution et le prononcé d'une astreinte suivi, le cas échéant, de la liquidation de celle-ci, en tenant compte tant des circonstances de droit et de fait existant à la date de sa décision que des diligences déjà accomplies par les parties tenues de procéder à l'exécution de la chose jugée ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l'être.

 (17 octobre 2017, Ministre des solidarités et de la santé, n° 417419)

 

98 - Qualité pour agir – Commune agissant sur injonction du juge – Absence de qualité quel que soit le contenu de l’injonction – Obligation d’user des voies de recours ordinaires contre le jugement à fin d’injonction – Rejet du pourvoi de la commune.

Des péripéties contentieuses accompagnent le refus puis l’octroi, à titre provisoire, d’un permis de construire treize logements. Par deux jugements du même jour, un tribunal administratif a, d’une part, annulé le refus du maire de la commune de délivrer un permis de construire, d’autre part, rejeté la requête de plusieurs riverains tendant à l’annulation du permis de construire provisoire délivré sur injonction du juge.

La commune a interjeté appel, celui-ci étant rejeté par la cour administrative pour défaut de qualité pour agir. Elle se pourvoit.

Avec une certaine solennité de ton, le Conseil d’Etat rappelle que :

«  (…) l'autorité administrative qui a pris une décision sur injonction du juge administratif, qu'il lui ait été ordonné de prendre une mesure dans un sens déterminé ou de statuer à nouveau sur la demande d'un administré, n'a qualité ni pour demander l'annulation ou la suspension de sa propre décision, ni pour exercer une voie de recours contre une décision juridictionnelle rejetant la demande de tiers tendant aux mêmes fins ; qu'il appartient seulement à cette autorité, si elle s'y croit fondée, d'exercer les voies de recours ouvertes contre la décision juridictionnelle qui a prononcé l'injonction » 

C’est donc à bon droit qu’en l’espèce la cour administrative a décidé que le jugement du tribunal administratif rejetant la demande de tiers tendant à l'annulation du permis de construire provisoire délivré par le maire des Sables-d'Olonne ne faisait pas grief à la commune. Le pourvoi est rejeté.

 (15 octobre 2018, Commune des Sables-d’Olonne, n° 416670)

 

99 - Recours en cassation – Délai pour se pourvoir – Notification au moyen de l'application informatique prévue à l’art. R. 414-1 CJA – Régime – Délai de recours expiré à la date d’enregistrement du pourvoi – Irrecevabilité.

L’article R. 414-1 CJA permet que la décision de justice puisse être notifiée par le moyen d’une application informatique aux parties qui sont inscrites dans cette application. Dans ce cas, la notification est réputée avoir été reçue à la date de première consultation de la décision, certifiée par l'accusé de réception délivré par l'application informatique. A défaut de consultation dans un délai de huit jours à compter de la date de mise à disposition de la décision dans l'application, la notification est réputée intervenue à l'issue de ce délai.

En l’espèce, la cour administrative de Nantes a adressé notification sous forme dématérialisée le 8 décembre 2017 d’un arrêt rendu le même jour. Le ministre n'ayant pas consulté l'application dans le délai de huit jours qui a suivi, et en l’absence de tout dysfonctionnement de l’application informatique, il est réputé avoir reçu cette notification au terme de ce délai, soit le 16 décembre 2017. Son pourvoi, enregistré le 20 février 2018, alors que le délai de deux mois francs pour se pourvoir était expiré, était irrecevable pour cause de forclusion.

 (3 octobre 2018, Ministre des Armées, n° 418369)

 

100 - Point de départ du délai de recours contentieux – Envoi d’une lettre recommandée avec récépissé postal de réception – Retour à l’expéditeur au terme du délai postal de garde – Date de présentation vaine du pli valant point de départ du délai de recours – Annulation du jugement estimant non établie la preuve d’une notification régulière à une date certaine.

En cas de retour à l'administration, au terme du délai de mise en instance, du pli recommandé contenant une décision (ici la perte de validité d’un permis de conduire), la notification est réputée avoir été régulièrement accomplie à la date à laquelle ce pli a été présenté à l'adresse de l'intéressé, s'il résulte soit de mentions précises, claires et concordantes portées sur l'enveloppe, soit, à défaut, d'une attestation du service postal ou d'autres éléments de preuve, que le préposé a, conformément à la réglementation en vigueur, déposé un avis d'instance informant le destinataire que le pli était à sa disposition au bureau de poste. Par suite, doit être regardé comme portant des mentions précises, claires et concordantes suffisant à constituer la preuve d'une notification régulière le pli recommandé retourné à l'administration auquel est rattaché un volet « avis de réception » sur lequel a été apposée par voie de duplication la date de vaine présentation du courrier et qui porte, sur l'enveloppe ou l'avis de réception, l'indication du motif pour lequel il n'a pu être remis. C’est donc à tort et par suite d’une erreur de droit, qu’en l’espèce les premiers juges ont cru pouvoir décider que ces mentions ne suffisaient pas établir que l'intéressé avait été régulièrement avisé de la possibilité de retirer, dans le délai prévu par la réglementation postale, le pli recommandé au bureau de poste dont il relevait.

 (10 octobre 2018, M. X., n° 419338)

 

101 - Annulation d’une décision de justice par le Conseil d’État – Renvoi devant celle-ci pour y être statué à nouveau – Obligation d’une composition différente de la formation de jugement – Absence ici – Annulation.

Lorsqu’après annulation d’une décision de justice par le Conseil d’État il est renvoyé à la juridiction qui avait primitivement jugé, cette dernière doit rejuger l’affaire dans une formation entièrement différente de celle dont la décision a été cassée (art. L. 821-2 CJA). En l’espèce, la formation de renvoi comprenait deux des trois juges qui avaient précédemment participé au délibéré. Le jugement est à nouveau annulé.

(5 octobre 2018, M. X., n° 408665)

 

102 - Note en délibéré produite après clôture de l’instruction – Cour nationale du droit d’asile – Obligation d’en respecter le régime procédural applicable devant toute juridiction administrative – Absence ici, annulation.

La Cour nationale du droit d'asile est tenue de faire application, comme toute juridiction administrative, des règles générales relatives aux productions postérieures à la clôture de l'instruction. Dans tous les cas, elle a donc l’obligation, d’une part, de prendre connaissance des notes en délibéré et, d’autre part, de les viser.

Lorsqu’elle est saisie d’une note en délibéré par le moyen de la télécopie, cette production n’est valablement effectuée que si elle est enregistrée avant la date de lecture de la décision et si son auteur l'authentifie ultérieurement, mais avant cette même date, par la fourniture d'un exemplaire dûment signé de cette note ou en apposant, au secrétariat de la juridiction, sa signature au bas de ce document.

(5 octobre 2018, M. X., n° 411718)

 

103 - Ordonnance présidentielle rejetant une requête – Clôture de l’instruction – Prise d’effet de l’ordonnance de rejet antérieurement à la date de la clôture.

Est irrégulière une ordonnance présidentielle rejetant directement une requête alors qu’a été fixée une date de clôture de l’instruction postérieure à cette ordonnance.

(10 octobre 2018, M. X., n° 419435)

 

104 - Introduction des recours – Requête présentée par voie électronique – Conditions de forme – Invitation éventuelle à régulariser – Absence de suite – Irrecevabilité.

L’introduction massive du recours aux procédés électroniques dans la présentation des requêtes, dite application « Télérecours », n’est pas sans susciter difficultés et inquiétudes chez les praticiens comme dans l’opinion.

Par cette décision rendue en Section, le Conseil d’État a voulu, à la fois, faire œuvre pédagogique en direction des requérants et de leurs conseils ainsi que de la Cour EDH, faire montre d’une certaine souplesse afin de « déminer » ce terrain et, enfin, écrire un plaidoyer pro domo à l’occasion d’une réforme qu’il a largement contribué à initier et dont il a fixé les modalités de mise en œuvre.

Tout d’abord, la défense et illustration de Télérecours.

Les dispositions des articles R. 412-2, R. 414-1, R. 414-3 CJA  relatifs à la transmission par voie électronique de la requête et des pièces qui y sont jointes « définissent un instrument et les conditions de son utilisation qui concourent à la qualité du service public de la justice rendu par les juridictions administratives et à la bonne administration de la justice. Elles ont pour finalité de permettre un accès uniformisé et rationalisé à chacun des éléments du dossier de la procédure, selon des modalités communes aux parties, aux auxiliaires de justice et aux juridictions. »

Ensuite, la marche à suivre.

« Ces dispositions organisent la transmission par voie électronique des pièces jointes à la requête à partir de leur inventaire détaillé. Cet inventaire doit s'entendre comme une présentation exhaustive des pièces par un intitulé comprenant, pour chacune d'elles, un numéro dans un ordre continu et croissant ainsi qu'un libellé suffisamment explicite. » (Elles) imposent également, eu égard à la finalité mentionnée ci-dessus, « de désigner chaque pièce dans l'application Télérecours au moins par le numéro d'ordre qui lui est attribué par l'inventaire détaillé, que ce soit dans l'intitulé du signet la répertoriant dans le cas de son intégration dans un fichier unique global comprenant plusieurs pièces ou dans l'intitulé du fichier qui lui est consacré dans le cas où celui-ci ne comprend qu'une seule pièce. Dès lors, la présentation des pièces jointes est conforme à leur inventaire détaillé lorsque l'intitulé de chaque signet au sein d'un fichier unique global ou de chaque fichier comprenant une seule pièce comporte au moins le même numéro d'ordre que celui affecté à la pièce par l'inventaire détaillé. »

Enfin, la sanction.

« En cas de méconnaissance de ces prescriptions, la requête est irrecevable si le requérant n'a pas donné suite à l'invitation à régulariser que la juridiction doit, en ce cas, lui adresser par un document indiquant précisément les modalités de régularisation de la requête. »

Appliquant ce vade-mecum au cas de l’espèce, où était en cause une autorisation préfectorale d’exploiter près de 63 hectares de terres agricoles, le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour administrative que lui déféraient les requérants. Le tribunal administratif, confirmé par la cour administrative, avait, après les avoir invités à régulariser la présentation des pièces jointes à la requête, motif pris de ce qu'en cas de transmission des pièces regroupées en un seul fichier informatique, ce fichier devait comporter des signets identifiant les pièces telles qu'elles étaient nommées dans l'inventaire, déclaré leur requête irrecevable. Or le Conseil d’État juge, au contraire, que dès lors que chacun des signets figurant au sein du fichier unique global était intitulé d'après le numéro d'ordre affecté par l'inventaire détaillé à la pièce qu'il répertoriait, le président de la 3ème chambre de la cour a commis une erreur de droit en jugeant, pour rejeter l'appel des requérants, que leur avocat était tenu de régulariser la demande en produisant les pièces assorties des signets les désignant conformément à leur inventaire.

(Section, 5 octobre 2018, M. X., Mme Y. épouse X. et autre, n° 418233)

 

105 - Décision préalable – Condition de recevabilité du recours – Impossibilité de produire la décision malgré les diligences accomplies – Obligation pour le juge d’user de ses pouvoirs inquisitoriaux pour obtenir la décision.

Les recours non accompagnés de la décision attaquée sont normalement irrecevables sauf impossibilité d’effectuer cette production. Cependant, dès lors que le requérant apporte suffisamment d’éléments sérieux établissant qu’il a fait toutes diligences pour obtenir cette décision mais en vain, il appartient au juge d’user de ses pouvoirs inquisitoriaux pour ordonner à l’administration toutes mesures de nature à lui permettre de se forger une conviction sur les éléments du litige.

En l’espèce, l’association requérante établissait avoir accompli toutes les diligences qu'elle pouvait effectuer afin de se procurer la décision fixant le régime des fouilles des détenus à l'issue des parloirs du centre pénitentiaire de Maubeuge et que, en gardant le silence sur les demandes dont elle était saisie ou en interceptant les courriers adressés aux détenus de l'établissement pénitentiaire, l'administration ne l'avait pas mise à même de satisfaire à l'exigence de production de la décision qu'elle attaquait. Ainsi, la cour de Douai a méconnu son office et, par suite, commis une erreur de droit «  en confirmant l'irrecevabilité des conclusions dont elle était saisie, sans avoir préalablement fait usage de ses pouvoirs inquisitoriaux en demandant à l'administration pénitentiaire de produire la note de service définissant le régime des fouilles des détenus à la sortie des parloirs au centre pénitentiaire de Maubeuge ou, à défaut de l'existence d'une telle note, tous éléments de nature à révéler le régime de fouilles contesté, notamment le registre de consignation des fouilles mises en œuvre sur les détenus. »

(3 octobre 2018, Section française de l’Observatoire international des prisons, n° 413989)

 

106 - Audience devant la juridiction administrative – Établissement du rôle et fixation d’une date d’audience – Absence d’avis d’audience adressé aux parties et/ou à leurs mandataires – Irrégularité – Annulation du jugement subséquemment rendu.

L’inscription d’une affaire au rôle d’une audience d’un tribunal administratif ne vaut point convocation à celle-ci. À défaut d’envoi de cette convocation aux parties ou à l’une d’entre elles ou à leurs mandataires, l’audience est irrégulière et le jugement rendu ensuite doit être annulé.

(5 octobre 2018, Mme X., n° 418295)

 

107 - Transmission par voie électronique de pièces jointes aux mémoires – Modalités de présentation et d’organisation – Irrégularité – Erreur de droit à considérer cette irrégularité non couverte par une transmission postérieure de l’avocate.

Visiblement, la transmission électronique des pièces jointes n’est un exercice facile ni pour les justiciables ni pour les juges. Il semble que ces derniers s’attachent au respect scrupuleux des dispositions des art. R. 412-2, R. 412-3 et R. 414-1 du CJA tandis que le Conseil d’Etat, pourtant inspirateur de ces textes, prend davantage en compte l’effet pratique de la transmission même lorsque celle-ci n’a pas toute la rigueur canoniquement requise.

Normalement, la transmission par voie électronique des pièces jointes à une requête comporte leur inventaire détaillé qui doit s'entendre comme une présentation exhaustive des pièces par un intitulé comprenant, pour chacune d'elles, un numéro dans un ordre continu et croissant ainsi qu'un libellé suffisamment explicite. 

L'intitulé du fichier, qui ne comprend qu'une seule pièce, doit désigner chaque pièce dans l'application Télérecours au moins par le numéro d'ordre qui lui est attribué par l'inventaire détaillé.

La présentation des pièces jointes n’est conforme à leur inventaire détaillé que si l'intitulé de chaque fichier comprenant une seule pièce comporte au moins le même numéro d'ordre que celui affecté à la pièce par l'inventaire détaillé.

En cas de non-respect de ces prescriptions, la requête est irrecevable si le requérant n'a pas donné suite à l'invitation à régulariser que la juridiction doit, en ce cas, lui adresser par un document indiquant précisément les modalités de régularisation de la requête. 

En l’espèce, l’avocate de l’intéressé avait transmis au tribunal une demande accompagnée d'un inventaire détaillé mentionnant vingt-six pièces ainsi que deux fichiers globaux dans lesquels ces pièces étaient réparties sans être répertoriées par des signets. Une invitation à régulariser dans les quinze jours lui a été adressée ; il lui était précisé qu'en cas de transmission d'autant de fichiers qu'il y a de pièces, chacun des fichiers doit être intitulé conformément à la dénomination de la pièce à l'inventaire, qui doit inclure un libellé. L’avocate a alors communiqué au tribunal les vingt-six pièces de la demande en autant de fichiers, accompagnés d'un inventaire détaillé qui numérotait ces pièces par ordre croissant continu et les désignait par des libellés. Le tribunal puis la cour ont considéré que cette production n'était pas de nature à régulariser la demande initiale.

Le Conseil d’Etat censure l’arrêt d’appel en considérant que les libellés donnés aux pièces étaient suffisamment explicites et que dès lors que chacun des vingt-six fichiers contenant une pièce, transmis avant qu'il ne soit statué sur la demande, était intitulé d'après le numéro d'ordre affecté par l'inventaire détaillé à la pièce qu'il répertoriait, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en refusant d’y voir une régularisation satisfaisant à la demande qui avait été adressée à l’avocate.

Il faudrait s’interroger sur la pertinence intellectuelle, l’utilité économique et l’effet d’accélération des procédures que constituent des instruments techniques aussi sujets à controverses concernant les conditions simplement pratiques de leur utilisation.

(19 octobre 2018, M. X., n° 416629)

 

108 - Tenue des audiences – Tribunaux administratifs d’outre-mer – Impossibilité de la venue d’un magistrat affecté simultanément dans deux tribunaux (Martinique et Saint-Pierrre-et-Miquelon) – Recours à la technique d’une vidéo-audience – Conditions de régulartité – Absence en l’espèce – Annulation.

Des textes ont prévu la possibilité, outre-mer, que des magistrats affectés dans deux tribunaux administratifs et ne pouvant être présents à une audience, organisent une vidéo-audience sous condition de respecter un certain nombre de formes à peine d’irrégularité de l’audience. En l’espèce, où était en cause un litige portant sur une procédure d’attribution d’un marché public de travaux, avait été prévue une visioconférence entre les salles d'audience des tribunaux administratifs de la Martinique et de Saint-Pierre-et-Miquelon. Celle-ci n’ayant pu fonctionner pour des raisons techniques, la greffière du tribunal de Saint-Pierre-et-Miquelon eut recours à son téléphone portable mis sur haut-parleur. La société requérante, estimant ce procédé irrégulier, demande au Conseil d’Etat l’annulation de l’audience, et donc de l’ordonnance, de référé.

Le Conseil d’Etat rejette tout d’abord l’objection tirée de ce que la requérante ne s’est pas opposée à la tenue de l’audience litigieuse dans les conditions techniques susrappelées ; l’attitude de celle-ci ne faisait pas obstacle à ce qu'elle se prévale devant le juge de cassation de l'irrégularité du procédé de communication mis en œuvre.

Ensuite, il estime irrégulier l’usage d’un téléphone mis sur haut parleur pour la tenue d’une auudience. D’une part, les textes exigent une transmission à la fois sonore et visuelle, d’autre part, sont imposées des normes techniques particulières que ne peut respecter le recours au téléphone portable.

Toutefois, le Conseil d’Etat réserve le cas « exceptionnel » où le juge pourrait s’affranchir du respect de cette exigence de transmission à la fois sonore et visuelle dans la seule hypothèse où compte tenu du délai dont il dispose pour statuer ou pour venir siéger sur place, il ne pourrait pas statuer utilement sur la requête à défaut de ce traitement dérogatoire de l’audience.

 (24 octobre 2018, Société Hélène et fils, n° 419417)

 

109 - Moyen inopérant – Définition – Moyen de légalité interne.

Cette décision, portant sur un refus d’autorisation provisoire de séjour, est intéressante par l’essai de définition du moyen de légalité interne inopérant qu’elle contient. Le juge y écrit en effet : « (…) sont inopérants, devant le juge de l'excès de pouvoir, les moyens de légalité interne qui, sans rapport avec la teneur de la décision, ne contestent pas utilement la légalité des motifs et du dispositif de la décision administrative attaquée ».

 (12 octobre 2018, Mme X., n° 419803)

 

110 - Astreinte – Fonctions de l’astreinte – Liquidation – Possibilité, au moment de la liquidation, de réduire la part du montant de l’astreinte versée au requérant (art. L. 911-7 et L. 911-8 CJA) – Impossibilité de réduire cette part du montant de l’astreinte définitive lorsqu’elle est mise à la charge de l’Etat.

Rappel opportun des fonctions de l’astreinte, assurer l’exécution intégrale de la chose jugée, et de ce que le juge peut, au moment de sa liquidation, réduire la part du montant de l’astreinte versée au demandeur sauf lorsque le débiteur de l’astreinte est l’Etat.

(15 octobre 2018, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 416582)

 

111 - Transaction – Entre une personne publique et un particulier – Possibilité – Régime applicable – Limites tirées de l’obligation d’appliquer la loi – Existence en l’espèce – Moyen d’ordre public y compris en cassation.

Les dispositions combinées des art. 2044 et 2052 du code civil, d’une part, font de la transaction un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître, d’autre part, décident que la transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet. L’art. L. 423-1 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) soumet la validité des transactions à la triple condition qu'elles portent sur un objet licite, qu’elles contiennent des concessions réciproques et équilibrées et qu’elles ne dérogent pas aux lois intéressant l’ordre public.

En l’espèce, un détenu sollicite la réparation du préjudice né du calcul de sa rémunération pour le travail fourni alors qu’il était détenu dans un centre pénitentiaire. L’administration lui ayant proposé une transaction, il l’accepta et renonça à tout recours mais en l’absence de tout paiement il saisit le juge administratif des référés qui lui accorde à titre de provision la somme fixée dans le protocole transactionnel. Le ministre de la justice se pourvoit en cassation au motif que le premier juge a rejeté la fin de non-recevoir qu ‘il avait opposée à l’action contentieuse du requérant en se fondant sur ce qu’un protocole transactionnel comportant un engagement à renoncer à toute action en justice ne saurait, en aucun cas, faire obstacle à l'exercice d'un recours juridictionnel. C’était là, assurément, une erreur de droit ainsi qu’il résulte évidemment des articles 2044 et 2052 du code civil. Toutefois, l’ordonnance de référé n’est pas cassée, le Conseil d’Etat relevant d’office un moyen d’ordre public substitué au motif juridiquement erroné de l’ordonnance attaqué. Ce moyen est tiré des dispositions du code de procédure pénale combinées avec celles du CRPA précitées. En effet, en vertu de l’article 717-3 du code de procédure pénale la rémunération du travail des personnes détenues ne peut être inférieure à un taux horaire fixé par décret et indexé sur le salaire minimum de croissance. Par suite, ces dispositions réglant entièrement les conditions de la rémunération du travail des personnes détenues et excluant pour leur application toute recherche de concessions réciproques et équilibrées entre les parties, le protocole transactionnel litigieux qui règle un litige n'ayant pas pour objet de réparer un préjudice mais exclusivement d'assurer le versement des salaires légalement dus à l’intéressé  ne saurait faire obstacle à la saisine du juge des référés, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative. Le pourvoi du garde des sceaux est rejeté.

(26 octobre 2018, Garde des Sceaux, n° 421292)

 

Professions réglementées

 

112 - Notaires – Cotisations à la Caisse de retraite et d’assistance des clercs de notaires – Nature d’impôt – Question prioritaire de constitutionnalité – Absence d’atteinte à l’égalité entre notaires employeurs et non employeurs – Absence d’atteinte à l’égalité entre notaires et autres professions libérales – Rejet de la QPC.

Les requérants demandent l’abrogation du 3° de l'article 4 du décret n° 91-613 du 28 juin 1991 fixant les taux des cotisations de divers régimes spéciaux de sécurité sociale. Par ailleurs, la loi du 12 juillet 1937 institue une caisse de retraite et de prévoyance pour les clercs et employés des études notariales, des chambres de notaires, des caisses de garantie et de retraite, ainsi que des organismes professionnels assimilés, dont l'objet est la constitution au profit de l'affilié d'une pension en cas de vieillesse ou d'invalidité prématurée et, en cas de décès, d'une pension au profit du conjoint et des enfants mineurs, la gestion des risques maladie, longue maladie, maternité et décès, le versement d'indemnités en cas de chômage et, éventuellement, la création d'œuvres sanitaires et sociales. L’affiliation à cette caisse est obligatoire pour tous les clercs et employés, dès leur entrée en fonctions. Parmi les recettes de cette caisse, figure, selon la loi, une cotisation obligatoire pour tous les notaires en exercice égale à un pourcentage, fixé par décret, de l'ensemble des émoluments et honoraires définis par les textes législatifs ou réglementaires en vigueur et prélevés sur le montant desdits émoluments et honoraires.

Le Conseil d’État juge que cette cotisation, qui ne donne lieu à aucune contrepartie aux notaires cotisants, a la nature d’un impôt. Les principes gouvernant l’impôt leur sont donc applicables.

Les requérants allèguent une atteinte au principe d’égalité au détriment des notaires non employeurs, au motif que la cotisation instaurée par cette disposition conduit au financement par l'ensemble des notaires d'avantages sociaux au bénéfice des salariés des seuls notaires employeurs, et au détriment des notaires nouvellement installés, au motif qu'elle ne tient pas compte des charges d'exploitation. Cette argumentation est rejetée car le principe d’égalité n’impose pas que des personnes placées dans des situations différentes soient traitées différemment ; de plus le critère retenu est pertinent dans son assiette et adéquat dans sa perception à l’objectif poursuivi ; enfin, son taux n’est pas excessif. Aucune rupture caractérisée entre notaires ne peut être retenue.

Une autre atteinte était également invoquée par les requérants : la différence entre le traitement des notaires et celui des avocats alors que ces deux professions sont en concurrence sur le marché de la prestation juridique. Cet argument est rejeté car les notaires sont dans une situation différente tant au regard du champ de leurs attributions qu'à celui des modalités de leur exercice professionnel.

(3 octobre 2018, M. X., Conseil supérieur du notariat et Caisse de retraite et de prévoyance des clercs et employés de notaires, n° 421962)

 

113 - Notaires – Composition des chambres de discipline des conseils régionaux des notaires – Atteinte au principe d’impartialité et à l’exigence d’indépendance – Question prioritaire de constitutionnalité – Rejet.

Le requérant demandait l’annulation du refus implicite du premier ministre de prononcer l’abrogation du décret du 19 décembre 1945 pris pour l’application du statut du notariat. Il avait soulevé à cette occasion une QPC au motif que les membres des chambres de discipline des conseils régionaux des notaires, compétentes pour se prononcer sur les sanctions disciplinaires infligées aux notaires, exerçant eux-mêmes cette profession il était ainsi porté atteinte aux exigences d'indépendance et d'impartialité de cet organe.

Cette seule circonstance ne suffit pas à établir qu’existerait ipso facto l’atteinte invoquée par le requérant : sa question est rejetée.

(3 octobre 2018, M. X., n° 421963)

 

114 - Chirurgien-dentiste – Publicité prohibée – Sanction disciplinaire – Obligations des instances disciplinaires dans la fixation de la durée de la sanction – Non-respect – Annulation.

La chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes a infligé une sanction à l’encontre d’un praticien et fixé « à compter du jour où le docteur Marc X. serait inscrit à nouveau au tableau » le point de départ de la sanction prononcée.

Le requérant conteste cette nouvelle fixation de la date d’effet de la sanction. Or l’appel étant suspensif dans le contentieux ordinal, la chambre nationale était tenue de modifier la date d'effet de la sanction telle qu’elle avait été fixée par la chambre disciplinaire de première instance. La circonstance que l’intéressé avait pris l'initiative d'interrompre l'exercice de sa profession pendant une période de quatre mois était sans influence sur la décision de la chambre nationale.

En revanche, c’est à juste titre que le requérant fait valoir que la chambre disciplinaire nationale a méconnu son office en fixant le début de la période d'exécution de la sanction à un événement, la réinscription au tableau de l’ordre, revêtant un caractère hypothétique. 

(10 octobre 21018, M. X., n° 401221)

 

115 - Médecins – Régime et procédure des sanctions disciplinaires – Composition de la section des assurances sociales du Conseil national de l’ordre des médecins – Présence d’étrangers – Exercice de la souveraineté nationale.

Suite à une plainte déposée contre un médecin par le médecin-conseil, chef de service de l'échelon local du contrôle médical de Seine-Saint-Denis, le conseil de l’ordre statuant disciplinairement lui inflige une sanction contre laquelle l’intéressé se pourvoit en développant plusieurs moyens, tous rejetés. Deux d’entre eux ont conduit le juge à des affirmations intéressantes.

En premier lieu, il résulte du principe de souveraineté nationale que l'exercice de fonctions juridictionnelles, qui est inséparable de l'exercice de la souveraineté nationale, ne saurait, en principe, être confié à des personnes de nationalité étrangère. Bien que les dispositions contestées de l'article L. 145-7 du code de la sécurité sociale ne prévoient pas expressément la nationalité française des membres de la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins, cette circonstance n'a ni pour objet ni pour effet de permettre à la composition de cette juridiction de déroger à cette règle.

En second lieu, il est jugé que ceux des citoyens qui exercent une fonction juridictionnelle occupent, dans cet exercice, un emploi public, au sens des dispositions de l’art. 6 de la Déclaration de 1789.

(22 octobre 2018, M. X., n° 421679)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

116 - Taxe d’habitation – Exonération – De droit pour les établissements publics d’assistance – Impossible pour les établissements privés non lucratifs assurant les mêmes missions – Allégation d’inconstitutionnalité pour atteintes au principe d’égalité – Question sérieuse – Renvoi de la QPC.

Les établissements publics d’assistance sont exonérés de taxe d’habitation par le 1° du II de l'article 1408 du code général des impôts et cette exonération n’est pas ouverte aux établissements privés non lucratifs assurant les mêmes missions. L’affirmation qu’il est ainsi porté atteinte au principe d’égalité, devant l’impôt comme devant les charges publiques, soulève une question sérieuse de constitutionnalité. D’où le renvoi au Conseil constitutionnel.

(1er octobre 2018, Fondation Ildys, n° 422050)

 

117 - Noms de domaine sur internet – Technique permettant de convertir un numéro de téléphone en un nom de domaine sur internet – Demande en ce sens - Silence du premier ministre – Incompétence négative du législateur – Absence d’inconstitutionnalité ici – Refus de renvoyer une QPC.

Le requérant a demandé l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le premier ministre sur sa demande d’attribution des noms de domaine relevant de la racine « e164.arpa ». Cela lui a été refusé par les juridictions du fond. Le Conseil d’État, à son tour, rejette le recours.

Au travers d’une QPC, le demandeur prétend que les dispositions des articles L. 45 et L. 45-1 du code des postes et des communications électroniques sont entachées d'une incompétence négative qui affecte le droit de propriété, la liberté de communication des pensées et des opinions, la liberté d'entreprendre et le principe d'égalité des citoyens devant la loi.

Les juges du Palais-Royal estiment que, par les deux dispositions contestées, le législateur a entendu expressément exclure de leur champ d'application les noms de domaine autres que ceux correspondant aux codes pays du territoire national ou d'une partie de celui-ci. Or aucune disposition constitutionnelle n'impose au législateur d'encadrer les modalités de gestion et d'attribution de l'ensemble des noms de domaine. Le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence et porté atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit au seul motif qu'il aurait ainsi circonscrit le champ d'application des dispositions contestées ne présente aucun caractère sérieux. Rejet de la QPC.

Il est intéressant de noter, car cela a pu parfois être discuté, que le Conseil d’État admet bien qu’une incompétence négative puisse être relevée à l’appui d’une QPC.

(3 octobre 2018, M. X., n° 416040)

 

118 - Impôt sur la fortune immobilière – Taxation des plus-values – Plafonnement de l’impôt – Absence d’abattement pour durée de détention et de coefficient d’érosion monétaire – Renvoi d’une QPC au Conseil constitutionnel.

Le 1er alinéa du II de l’art. 979 du CGI relatif à l’impôt sur la fortune immobilière prévoit que « Les plus-values ainsi que tous les revenus sont déterminés sans considération des exonérations, seuils, réductions et abattements prévus au présent code, à l'exception de ceux représentatifs de frais professionnels.  Lorsque l'impôt sur le revenu a frappé des revenus de personnes dont les biens n'entrent pas dans l'assiette de l'impôt sur la fortune immobilière, il est réduit suivant le pourcentage du revenu de ces personnes par rapport au revenu total ». Ainsi, les plus-values sont-elles retenues sans prendre en considération la durée de détention des biens immobiliers et sans application d'un coefficient d'érosion monétaire. Le requérant en déduit une atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques. Le Conseil d’Etat, convaincu, renvoit au juge constitutionnel l’examen de cette question sérieuse de constitutionnalité.

(12 octobre 2018, M. B., n° 422618)

 

Responsabilité

 

119 - Caractère organisé et prémédité d’une manifestation – Qualification, ou non, comme attroupement ou rassemblement – Réparation des dommages causés à cette occasion –Régime de réparation.

Suite à des manifestations d’agriculteurs, la commune de Saint-Lô a sollicité de l’État la réparation des frais consécutifs de nettoyage de sa voirie en application de la règle que l’État est « civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens » (art. L. 211-10, code de la séc. int.). Les juridictions de premier degré et d’appel ont estimé que dès lors que les dégradations commises sur la voie publique à l'occasion de ces manifestations présentaient un caractère organisé et prémédité elles ne pouvaient pas être considérées comme constituant un attroupement ou un rassemblement, au sens et pour l’application du texte précité. L’action contre l’État  sur ce fondement devait donc, selon elles, être rejetée.

Ce raisonnement est censuré par le Conseil d’État, lequel relève que  les dégradations en cause, « bien que préméditées, avaient été commises à l'occasion de manifestations sur la voie publique, organisées à l'appel de plusieurs organisations syndicales pour protester contre les difficultés économiques du monde agricole et contre diverses mesures gouvernementales et auxquelles avaient participé plusieurs centaines d'agriculteurs, et non par un groupe qui se serait constitué et organisé à seule fin de commettre des délits ». C’est donc par une inexacte qualification juridique des faits que la cour s’est déterminée : l’action de la commune de Saint-Lô doit donc être accueillie.

(3 octobre 2018, Commune de Saint-Lô, n° 416352)

 

120 - 1°) Action en responsabilité contre l’État français du chef de sa non-assistance aux supplétifs de l’armée française en Algérie (harkis) et à leurs familles – Acte de gouvernement – Incompétence de la juridiction administrative.

2°) Action en responsabilité pour faute de l’État français du chef des conditions de rapatriement et des conditions de vie indignes faites en France aux supplétifs de l’armée française – Reconnaissance du préjudice en appel mais refus d’indemnisation compte tenu des mesures générales prises à leur endroit – Obligation d’évaluer le préjudice subi par le demandeur – Annulation et indemnisation.

Cette affaire est en partie semblable à elle figurant au n° 11 à une différence importante près. Dans cette dernière, le requérant ne sollicitait que la réparation des préjudices subis par son père et par sa famille du fait du comportement de l’État français en Algérie au moment de l’indépendance de ce pays. Il s’est heurté au caractère d’acte de gouvernement à la base de ce comportement, ce qui excluait la compétence du juge administratif pour connaitre de cette action en responsabilité.

Ici, le requérant a sollicité une réparation pour deux chefs distincts de préjudices. En premier lieu, grosso modo pour le même motif que précédemment : l’inertie de l’État français, essentiellement de son armée, en Algérie. Son recours est rejeté dans les mêmes termes que ci-dessus. En second lieu, était invoqué un autre préjudice, celui résultant des conditions de rapatriement et des conditions de vie faites aux harkis en France. Celles-ci ont été jugées « indignes », et donc préjudiciables, par la cour administrative d’appel mais elle en a refusé cependant la réparation au motif qu’un ensemble de mesures d'ordre financier ont été  mises en place par l'État au bénéfice des anciens supplétifs de l'armée française et de leurs familles ainsi que la reconnaissance solennelle du préjudice qu'ils ont collectivement subi, notamment par la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, pour en déduire que ces mesures devaient être regardées comme ayant permis, autant qu'il est possible, l'indemnisation des préjudices dont se prévalait le requérant. Sur ce point l’arrêt est censuré car, relève le Conseil d’État, ce jugeant, la cour n'a pas recherché la valeur des préjudices dont le requérant demandait réparation.

On notera que le Conseil d’État relève que l’État, qui aurait pu le faire, n’a pas opposé l’exception de prescription quadriennale à la demande dont il était saisi ; cette exception n’étant pas d’ordre public, il y a donc lieu de faire droit à celle-ci en allouant une somme de quinze mille euros.

(3 octobre 2018, M. X. et Comité harkis et vérité, n° 410611, du même jour avec même solution : M. X. et Comité harkis et vérité, n° 403465 ; v. aussi, au n° 11, du même jour et sur le même sujet, la décision M. X., n° 404838)

 

121 - Aide d’Etat prohibée par le droit de l’Union européenne – Constatation de ce caractère par la Cour de Luxembourg – Action en responsabilité du chef du préjudice résultant de cette aide – Point de départ du dommage – Aucune réparation pour la période antérieure à l’arrêt de la CJUE – Rejet.

Voir la recension de cette décision au n° 45

(25 octobre 2018, Société Ryanair, n° 408789)

 

122 - Réparation des dommages corporels par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale – Nécessité d’une anormalité des dommages au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état – Détermination de l’anormalité – Appréciation du caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage.

La loi de 2002 a prévu la prise en charge par l’ONIAM, au titre de la solidarité nationale, de la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état. Pour déterminer l’existence ou non de l’anormalité des dommages, deux situations se présentent. Tout d’abord, en vertu d’une présomption bienveillante pour la victime, lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement, le dommage doit toujours être considéré comme anormal. Ensuite, lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.  Par suite, ces conséquences ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

L’apport principal de la décision réside en ce que le juge précise « que, pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d'un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès. » C’est pourquoi l’arrêt d’appel est cassé : celui-ci, pour dénier le droit à réparation, a retenu que le risque d’hémorragie auquel le patient était exposé était de 20% ce qui ne constituait pas une probabilité faible. La cour a commis une erreur de droit en se fondant sur la probabilité générale de subir une hémorragie lors d'une telle intervention, alors qu’elle aurait dû se fonder sur le risque de survenue d'une hémorragie entraînant une invalidité grave ou un décès.

(15 octobre 2018, M. X., n° 409585)

 

123 - Erreur de diagnostic médical – Expertise ordonnée – Reconnaissance de son erreur par l’auteur du diagnostic – Non communication aux parties de cette reconnaissance – Non respect du contradictoire – Annulation.

Un premier diagnostic affirme en 1998 que l’intéressé a un début de maladie de Parkinson, puis, huit ans plus tard, il est constaté qu’il ne s’agissait pas de la maladie de Parkinson mais de la maladie de Lewis et Sumner, maladie dégénérative au traitement lourd. Une expertise est ordonnée aux fins d’établir les responsabilités et les conditions de réparation du dommage en résultant. L’auteur du premier diagnostic a reconnu son erreur par un courrier qui n’a pas été communiqué aux parties au cours de l’expertise. La cour a estimé cette omission « regrettable » mais comme n’entachant pas d’irrégularité les opérations expertales. Le Conseil d’Etat relève l’erreur de droit ainsi commise sur la portée et les exigences du caractère contradictoire de la procédure, cette lettre n’ayant pas été soumise au contradictoire des parties ni portée à la connaissance de l’expert dont elle pouvait influencer ses réponses aux questions posées par la cour.

(15 octobre 2018, M. et Mme X., n° 413937)

 

Santé publique (V. aussi le n° 122)

 

124 - Référé suspension – Demande de suspension d’une décision de la Haute autorité de santé (HAS) ainsi que d’une recommandation de bonnes pratiques et des fiches associées – Borréliose de Lyme – Rejet.

Dans le souci de lutter contre l’usage excessif d’antibiotiques et de prévenir le risque subséquent d’inefficacité, la Haute autorité de santé a décidé de recommander aux médecins en cas de « symptomatologie/syndrome persistant polymorphe après une possible piqûre de tique », de prescrire un seul antibiotique pendant une durée de vingt-huit jours. L’association requérante demande la suspension de cette mesure car elle risque, notamment, de priver de traitement approprié un nombre très élevé de malades souffrant de la forme chronique de la borréliose de Lyme, actuellement traitée au moyen d'une thérapie de longue durée combinant plusieurs antibiotiques. Le juge des référés du Conseil d’Etat considère comme non probantes les attestations versées à la procédure et juge que « la recommandation litigieuse permet d'encadrer la prescription de traitements expérimentaux, autres que ceux qu'elle préconise, par la mise en place de protocoles de recherche ; que cet encadrement doit permettre, d'une part, d'assurer la sécurité du malade en prenant mieux en compte les risques d'antibiorésistance inhérents aux poly-antibiothérapies de longue durée, et, d'autre part, de favoriser l'identification des traitements les plus efficaces de la borréliose de Lyme grâce au suivi de ces expérimentations ». Ainsi, l’urgence n’est pas établie et le référé est rejeté.

(23 octobre 2018, Association Le droit de guérir, n° 424662)

 

Service public

 

125 - Fermeture d’une trésorerie – Rattachement à celle d’une autre commune – Légalité interne de la décision – Absence d’illégalité.

La commune requérante demande l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté ministériel qui supprime la trésorerie existant jusque-là sur son territoire pour en répartir les activités entre les trésoreries de deux communes voisines de douze et vingt kilomètres.

Après avoir rejeté les moyens de légalité externe, le juge examine la légalité interne de la décision attaquée. Pour la dire régulière il retient les arguments les plus variés : faible distance relative entre l’implantation ancienne et les nouvelles, bonne desserte par les réseaux publics de transport, importance du recours au numérique, opportunité immobilière, rareté des démarches effectuées par le public dans une trésorerie, absence d’incidences économiques significatives pour la commune demanderesse, etc. En bref, ce décidant, l’autorité ministérielle n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.

(1er octobre 2018, Commune de Saint-Méen-le-Grand, n° 404677)

 

Sport

 

126 - Rugby – Dopage – Sanction – Contestation – Absence de nature de décision administrative – Rejet en tous points de la requête.

Dans une énième affaire de dopage sanctionné, l’intéressé conteste divers points de la mesure de sanction.

Face à la monotonie des arguments de critique, un seul point nous retiendra ici.

Le Conseil d’Etat juge que le procès-verbal qui est établi à l'occasion d'un contrôle antidopage en vertu du code du sport, pour attester des conditions dans lesquelles il a été procédé aux prélèvements et opérations de dépistage, ne présente pas le caractère d'une décision prise par une administration, au sens de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration.

Il s’ensuit que l’intéressé ne peut contester la régularité de ce procès-verbal au motif qu’il ne comporterait pas les mentions requises par ledit article.

(12 octobre 20018, M. X., n° 416377 ; comparable, du même jour, à propos de kick-boxing, muay thaï et disciplines associées : M. X., n°416181 ; v. aussi, sur une question voisine de contrôle antidopage déjà traitée dans des chroniques précédentes : 22 octobre 2018, M. X., n° 418937, M. X., n° 417922)

 

127 - Compétitions sportives – Karting – Règles techniques et de sécurité des circuits karting édictées par la Fédération française du sport automobile – Griefs d’illégalité – Rejet pour l’essentiel – Annulation partielle.

Des divers griefs développés par la société requérante au soutien de sa demande d’annulation des Règles techniques et de sécurité des circuits karting édictées le 27 novembre 2017 par la Fédération française du sport automobile, un seul est retenu par le juge.

L’une des règles édictées par celle-ci exigeait la production d'un certificat médical d'absence de contre-indication pour les participants à une manifestation sportive de karting. Or il résulte des textes réglementaires applicables (art. L. 231-2-3 et D. 231-1-5 du code du sport) que ce certificat n’est imposé qu’aux participants à une compétition. Par suite, l’extension de cette obligation aux manifestations est irrégulière.

(25 octobre 2018, Société Racing Kart Caudecoste, n° 417574)

 

128 - Matches du championnat de France de football – Images d’archives de matches du championnat – Commercialisation de ces images – Détention de droits exclusifs par la Fédération française de football et par la Ligue de football professionnel – Invocation à cet effet de l’art. L. 333-1 du code du sport – Saisine du Conseil d’Etat par un tribunal de commerce d’une question préjudicielle.

Un litige oppose devant le tribunal de commerce de Paris la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel à la Société Gaumont Pathé archives au sujet de la commercialisation d'images d'archives de matches de football. Selon l’art. L. 333-1 du code du sport : « Les fédérations sportives (…) sont propriétaires du droit d'exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu'(elles) organisent ». La Fédération et la Ligue de footbal en tirent argument pour dénier à Gaumont Pathé archives le droit d’exploitation commerciale d'images d'archives prises à l'occasion de matches du championnat de France de football.

Les dispositions de l’art. L. 333-1 du code du sport résultant d’une ordonnance non ratifiée ont une nature administrative, d’où l’interrogation du juge administratif par le tribunal de commerce de Paris par le moyen d’une question préjudicielle.

Les organisations requérantes demandent au Conseil d’Etat de dire que cette disposition n’est pas irrégulière en ce qu’elle leur confère un monopole sur les archives des matches de football comptant pour le championnat de France. Au contraire, Gaumont Pathé affirme cette disposition illégale. Relevant le silence du texte litigieux sur sa date d’entrée en vigueur, le Conseil d’Etat en déduit que celui-ci ne peut produire d’effets qu’à compter de sa publication, de sorte qu’il ne peut pas concerner les situations de droit et de fait constituées avant son entrée en vigueur. Par suite, n’étant pas rétroactif, il n’est pas, dans cette mesure, illégal, contrairement à ce que prétend la société Gaumont Pathé archives. Avec ce jugement de Salomon, la Fédération et la Ligue se voient privées des archives passées mais gardent celles de l’avenir tandis que Gaumont Pathé sauve son passé archivistique mais perd les archives futures. Reste à savoir si – et dans quelle mesure – cet article L. 333-1 est bien régulier en tant qu’il crée un monopole d’images…

(26 octobre 2018, Fédération française de football et Ligue de football professionnel, n° 411819)

 

Urbanisme

 

129 - Monument historique – Place Vendôme à Paris - Régime de protection – Nature non réglementaire d’un cahier de prescriptions architecturales – Date d’appréciation du projet soumis à autorisation – Pouvoir souverain des juges du fond.

Une bijouterie située sur la place Vendôme se voit refuser l’autorisation de procéder, dans le cadre d’un projet de rénovation, à la dépose des allèges (partie maçonnée basse servant d’appui à des fenêtres). Les juges de première instance et d’appel estiment ce refus fondé car la suppression des allèges irait à l’encontre de la présentation de cet immeuble, ancien hôtel de Villemaré, et à l’ordonnancement d’ensemble de la place Vendôme, tel que conçu par Jules Hardouin-Mansart en 1690, dont les allèges sont une des caractéristiques. La société pétitionnaire saisit le Conseil d’État.

Celui-ci rejette tout d’abord la critique contentieuse du cahier des prescriptions architecturales applicables à la place Vendôme, établi par l’administration des monuments historiques car, ainsi que l’a, à bon droit, jugé la cour administrative d’appel, tout en constituant des préconisations dont il appartient à l'administration de tenir compte, celles-ci sont dépourvues de caractère réglementaire.

Ensuite, au fond, est entérinée l’appréciation souveraine des faits par les juges du fond, laquelle est exempte de dénaturation. Sur ce point, le juge apporte une précision d’importance. Lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation de travaux à effectuer sur un immeuble classé parmi les monuments historiques, il revient à l'autorité administrative d'apprécier le projet qui lui est soumis, non au regard de l'état de l'immeuble à la date de son classement, mais au regard de l'intérêt public, au point de vue de l'histoire ou de l'art, qui justifie cette mesure de conservation. C’est pourquoi le Conseil d’État décide que « la cour n'a pas commis d'erreur de droit en retenant que la légalité du projet n'avait pas à être appréciée au regard de la configuration de la place Vendôme telle qu'elle existait à la date de son classement, soit 1862. Elle n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que le classement avait pour objet de préserver l'ordonnancement de la place telle qu'elle avait été conçue par Jules Hardouin-Mansart, à l'homogénéité et à l'unité duquel les transformations effectuées au cours du XIXème siècle avaient porté atteinte (et qu’) elle a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation en estimant que cet ordonnancement pouvait s'apprécier au regard des gravures réalisées par Jean-François Blondel en 1752 qui donnaient, en l'état des connaissances, la description la plus précise, complète et certaine de la place Vendôme à la date de son achèvement malgré les transformations intervenues au début du XVIIIème siècle. »

(5 octobre 2018, Société Edilys, n° 410590)

 

130 - Plafond légal de densité – Dépassement – Participation pour dépassement – Fait générateur – Octroi du permis de construire – Délivrance d’un permis de construire modificatif – Effet sur la participation pour dépassement – Caractère substantiel ou non de la modification apportée au projet initial.

Une société est soumise au versement pour dépassement du plafond légal de densité relatif à un ensemble immobilier pour lequel elle a obtenu un permis de construire ; elle transfère ce permis à une autre société qui obtient, ensuite, un permis modificatif. La société acquérante sollicite en vain d’un tribunal administratif la décharge de ce versement ainsi que des intérêts de retard et majoration dont il est assorti.

Le Conseil d’Etat, sur pourvoi, rappelle que le fait générateur de la participation pour dépassement du plafond légal de densité est la délivrance du permis de construire et que cette participation doit, en conséquence, être déterminée selon les règles applicables à la date à laquelle ce permis a été accordé.

Lorsqu’un permis modificatif est accordé il ne constitue pas en principe le fait générateur d’une nouvelle participation qui se substituerait à la précédente, déterminée lors de la délivrance du permis initial. Il en va toutefois différemment lorsque le permis modificatif comporte une modification substantielle du permis initial : en ce cas le permis modificatif se substitue purement et simplement au permis initial.

En l’espèce, les premiers juges ayant estimé qu’il ne s’agissait pas d’un nouveau permis et ayant constaté la réduction de la surface hors œuvre nette par rapport à celle résultant du permis initial, devaient, pour calculer le montant du versement suite à la diminutiuon de surface, se placer à la date du permis modificatif, fait générateur de la réduction du versement, pour déterminer les règles applicables au dépassement.

(22 octobre 2018, Sarl Volume(s), n° 405038)

 

131 - Réalisation d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) – Déclaration d’utilité publique, par arrêté préfectoral, des travaux nécessaires à cette réalisation – Elargissement prévu d’une rue comportant des immeubles de qualité historique en cours de classement – Annulation de l’arrêté déclaratif d’utilité publique en tant qu’il porte sur une centaine de mètres de la rue à élargir – Absence d’atteinte à l’utilité publique de l’opération – Rejet des pourvois.

Une opération de création de ZAC est déclarée d’utilité publique par un arrêté préfectoral dont la légalité est contestée par divers requérants. La cour administrative d’appel leur donne partiellement raison en annulant partiellement l’arrêté déclaratif d’utilité publique en tant qu’il porte sur une centaine de mètres d’une rue comportant des immeubles en instance d’inscription comme monuments historiques. La société d’économie mixte réalisatrice du projet, plusieurs autres sociétés et le ministre de l’intérieur se pourvoient contre cet arrêt.

Le Conseil d’Etat confirme en tous points l’arrêt déféré à sa censure.

Tout d’abord, c’est à bon droit qu’il a estimé divisibles les dispositions de l’arrêté préfectoral et qu’il n’a annulé ce dernier qu’en tant qu’il porte sur une centaine de mètres de l’une des rues situées dans l’emprise de la ZAC.

Ensuite, le juge rappelle la solution contentieuse bien établie selon laquelle l'illégalité frappant la délibération créant une zone d'aménagement concerté ne saurait être utilement invoquée, par la voie de l'exception, à l'encontre de la contestation de la déclaration d'utilité publique des travaux nécessaires à l'aménagement de cette zone. Il y ajoute cette importante précision qu’il appartient au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il se prononce sur le caractère d'utilité publique d'une opération nécessitant l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers de tenir compte, le cas échéant, au titre des inconvénients que comporte l'opération contestée devant lui, des motifs de fond qui auraient été susceptibles d'entacher d'illégalité l'acte de création de la zone d'aménagement concerté pour la réalisation de laquelle la déclaration d'utilité publique a été prise et qui seraient de nature à remettre en cause cette utilité publique.

Enfin, il est précisé que la vérification du caractère d'utilité publique d'une opération nécessitant l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers, repose sur trois contrôles successifs : 1) que l’opération envisagée répond à une finalité d'intérêt général, 2) que l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation, 3) que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs au regard de l'intérêt qu'elle présente. 

(18 octobre 2018, Société d'économie mixte pour le développement orléanais (SEMDO), n° 410111, Sociétés Orlimmo, Eleis et Ohm, n° 410368 et Ministre de l’intérieur, n° 410399)

 

132 - Permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale pour la création d’un hyper marché – Contestation introduite par un professionnel – Irrecevabilité du moyen tiré de l’irrégularité de la décision délivrant le permis – Rejet.

Trois sociétés commerciales contestent la régularité d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale. Rejetant les moyens invoqués, le juge indique que c’est à bon droit que la cour administrative d’appel a jugé que, dès lors que la juridiction avait été saisie par un professionnel - d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis de construire, les moyens relatifs à la régularité de ce permis en tant qu'il vaut autorisation de construire sont irrecevables.

(24 octobre 2018, Sociétés Ercavito, Ludovic et Damylu, n° 414267 ; du même jour, sur le même dossier, v. aussi : M. X. et Mme Y., n° 417689)

 

133 - Permis de construire tacite – Transmission du dossier au préfet – Dossier incomplet – Point de départ du délai du déféré préfectoral.

Une personne dépose en mairie une demande de permis de construire. La commune transmet le dossier de ce permis au préfet (service du contrôle de légalité). Puis, constatant l’incomplétude du dossier, elle invite le pétitionnaire à fournir des pièces complémentaires et lui indique que le délai au terme duquel il pourra se prévaloir d’un permis tacite ne commencera à courir qu’à compter de la réception d’un dossier complet. Elle adresse ensuite au préfet un arrêté du maire refusant expressément de délivrer le permis sollicité mais en lui précisant que ce refus ne paraît pas valoir retrait du permis tacite car il n’en a pas été fait une notification régulière. Le préfet forme un recours gracieux afin d’obtenir le retrait rétroactif du permis, ce recours étant rejeté, il saisit le juge qui, en première instance, annule le permis et, en appel, confirme cette annulation. Le bénéficiaire saisit le Conseil d’Etat.

Celui-ci rappelle tout d’abord qu’un permis tacite est exécutoire dès qu’il est acquis, qu’il ait été ou non transmis au préfet. Ensuite, il décide qu’en cas de transmission au préfet d’un dossier de permis de construire incomplet et d’invitation à le compléter, le délai dans lequel doit être exercé le déféré préfectoral ne commence à courir qu’à compter de la réception par le préfet d’un dossier complet. En l’espèce, le recours contentieux du préfet n’était donc pas entaché de tardiveté.

(22 octobre 2018, M. X., n° 400779)

 

134 - Permis de construire des logements – Plan de prévetion des risques - Terrain d’assiette classé en « mouvements de terrains » - Obligations réglementaires de l’autorité délivrant le permis – Pouvoirs et devoirs du juge.

Dans le cadre d’un recours en annulation du permis de construire délivré pour l’édification d’un ensemble immobilier de 164 logements, la société requérante invoque plusieurs moyens. L’un d’eux est intéressant en ce qu’il concerne la portée des exigences réglementaires imposées à l’autorité de délivrance du permis lorsque le terrain d’assiette de celui-ci se trouve classé, par le plan de prévention des risques, dans une zone dite « mouvements de terrain ».

Le Conseil d’Etat précise, semble-t-il pour la première fois au moins avec cette netteté, la double limite de l’obligation instituée en ce cas par l’art. R. 431-16 du code de l’urbanisme. D’une part, celui-ci fait obligation au pétitionnaire de joindre au dossier de demande de permis une étude préalable permettant de déterminer les conditions de réalisation, d'utilisation ou d'exploitation de la construction projetée, une attestation établie par l'architecte du projet ou par un expert certifiant la réalisation de cette étude et constatant que le projet prend en compte ces conditions au stade de la conception. D’autre part, celui-ci ne comporte pour le juge saisi que l’exigence qu’il s’assure que le pétitionnaire a produit un document établi par l'architecte du projet ou par un expert attestant qu'une étude a été menée conformément aux exigences de la règlementation et que ses résultats ont été pris en compte au stade de la conception du projet. En revanche, le juge n’a pas à porter une appréciation sur le contenu de l’étude ou sur son caractère suffisant au regard des exigences du plan de prévention des risques qui en impose la réalisation. C’est pour s’être cru investi de cette dernière mission que le tribunal administratif a annulé, par erreur de droit, le permis de construire. Son jugement est annulé et le Conseil d’Etat statue au fond.

 (25 octobre 2018, SCI Finanz, n° 412542)

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