Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Septembre 2018

 

Actes et décisions

 

1 - Circulaire – Circulaire réglementaire – Acte pris par une autorité ne disposant pas du pouvoir réglementaire – Incompétence – Annulation.

La Fédération requérante se pourvoit contre un arrêt de la cour de Douai annulant un jugement du tribunal administratif de Lille qui avait annulé, à sa demande, l’arrêté préfectoral délimitant les zones vulnérables à la pollution par les nitrates d'origine agricole dans le bassin Artois-Picardie.

Le préfet avait agi en exécution d’une circulaire du ministre de l’écologie prescrivant le recours à une certaine méthode pour identifier les valeurs des concentrations en nitrates pertinentes.

Le Conseil d’État relève que cette circulaire impartit aux services concernés « l'usage d'une méthode qui n'est prévue par aucun texte afin de déterminer les zones vulnérables à la pollution », et qu’elle revêt ainsi un caractère réglementaire. Le ministre ne tenant d’aucun texte un tel pouvoir réglementaire, la circulaire est entachée d’incompétence et l’arrêt qui a jugé qu’elle n’était pas irrégulière doit être cassé.

(26 septembre 2018, Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) de la Somme, n° 406169)

 

2 - Annonce de l’engagement d’un ministre à saisir le premier ministre – Report envisagé d’élections professionnelles – Absence d’effet juridique direct – Absence de décision susceptible d’être déférée au juge.

La ministre de la justice a annoncé aux conseils régionaux des commissaires aux comptes, le 12 juillet 2018, que « l'expression majoritaire en faveur d'un report des élections m'amène à accueillir favorablement cette demande de vos instances représentatives qui m'apparaît légitime et conforme à l'intérêt général ». La Fédération requérante demande en référé la suspension de ce qu’elle considère être une « décision ». Cela lui est refusé au motif que la compétence pour fixer la date des élections n’appartient qu’au conseil national des commissaires aux comptes et que, par cette annonce, la ministre s’est bornée à indiquer qu’elle proposerait au premier ministre de déroger par décret aux dispositions du code de commerce en vue de proroger le mandat actuellement en cours de ces conseillers régionaux. Cette annonce ne constitue pas une décision et n’a pas d’effet juridique, le référé introduit ne peut qu’être rejeté.

(27 septembre 2018, Fédération des experts-comptables et commissaires aux comptes de France, n° 424009)

 

3 - Principe d’impartialité de l’administration active – Commission consultative – Commission compétente pour débattre d’intérêts généraux – Participation à ses délibérations de membres n’y ayant pas d’intérêt personnel – Régularité.

L’article L. 112-1-3 du code rural et de la pêche maritime décide que : «  Les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation, sont susceptibles d'avoir des conséquences négatives importantes sur l'économie agricole font l'objet d'une étude préalable comprenant au minimum une description du projet, une analyse de l'état initial de l'économie agricole du territoire concerné, l'étude des effets du projet sur celle-ci, les mesures envisagées pour éviter et réduire les effets négatifs notables du projet ainsi que des mesures de compensation collective visant à consolider l'économie agricole du territoire.

L'étude préalable et les mesures de compensation sont prises en charge par le maître d'ouvrage.

Un décret détermine les modalités d'application du présent article, en précisant, notamment, les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui doivent faire l'objet d'une étude préalable ». Les unions requérantes demandent l’annulation du décret primo-ministériel du 31 août 2016 pris pour l’application du texte précité et invoquent notamment la violation par celui-ci du principe d’impartialité en ce qui concerne la composition de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers qui fonctionne en cette matière comme commission consultative. Elles reprochent la présence au sein de celle-ci, lorsqu’elle est réunie en application de l’art. L. 112-1-3 précité, de membres des chambres d'agriculture et, au contraire, l’absence de représentants des maîtres d'ouvrage.

Il leur est répondu que la présence de membres des chambres d’agriculture n’affecte pas le principe d’impartialité, cette commission ne se prononçant, en ce cas, que sur les intérêts généraux de la profession – sauf à démontrer la présence, éventuelle, de membre(s) ayant un intérêt personnel à la délibération. En revanche, aucune disposition de droit positif non plus qu’aucun principe régissant la matière n’impose la présence dans cette commission de représentants des maîtres d'ouvrage.

 (28 septembre 2018, Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction (UNICEM) et Union nationale des producteurs de granulats (UNPG), n° 404818)

 

4 - Consultation du comité technique ministériel de l’enseignement supérieur – Examen d’un décret – Assistance d’un expert – Participation de l’expert à la discussion générale sur le projet de décret – Sortie de l’expert lors de la discussion des amendements ainsi qu’au moment du vote final – Allégation de la méconnaissance du droit à l’assistance d’un expert – Irrégularité subséquente de la procédure de consultation – Décret prétendu illégal – Demande d’annulation – Rejet.

Ayant usé du droit des membres d’un comité technique de recourir aux services d’un expert, la Fédération requérante reproche cependant à la présidente de ce comité, siégeant pour avis sur un projet de décret, de n’avoir donné la parole à cet expert que pour qu’il exprime son opinion sur le projet et durant la discussion générale qui a suivi mais de l’avoir invité à quitter la séance à partir de la discussion et du vote des amendements y compris jusqu’au vote final. Par suite, le décret serait entaché d’illégalité et son annulation est demandée.

Pour rejeter le recours le Conseil d’État juge qu’en effet il eût été normal que l’expert fût également présent lors de la discussion des 28 amendements mais que sa présence et sa participation à la première partie de la séance de comité ont pu suffisamment éclairer les membres du comité sur les risques et inconvénients que comportait, aux yeux de l’expert, le projet de décret. Au surplus, l’expert eût été contraint de sortir 28 fois, lors du vote sur chacun des amendements présentés. Par suite, le décret, qui n’a pas été rendu à l’issue d’une procédure irrégulière, n’est pas, de ce fait, entaché d’irrégularité, ce qui conduit au rejet du recours.

(26 septembre 2018, Fédération des syndicats généraux de l'éducation nationale et de la recherche publique (SGEN-CFDT), n° 404777 et n° 404780)

 

Autorités de régulation

 

5 - Liberté du commerce et de l’industrie – Marché de l’énergie électrique – Rôle de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) – Détermination de la méthodologie à suivre pour la fixation des prestations annexes réalisées à titre exclusif par les gestionnaires des réseaux de transport et de distribution d'électricité (art. L. 341-3 du code de l'énergie) – Effets.

La société requérante contestait une décision de la CRE relative à la méthodologie devant être utilisée pour établir les tarifs des prestations annexes réalisées à titre exclusif par les gestionnaires des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité. D’une part elle estimait cette commission incompétente pour ce faire, d’autre part, elle contestait, au fond, sa décision comme contrevenant à la liberté du commerce et de l’industrie. Ces deux arguments sont rejetés.

Tout d’abord, il découle directement des dispositions de l’art. L. 341-3 du code de l’énergie que la CRE tient de la loi la compétence en cause qu’elle a effectivement exercée.

Ensuite, contrairement à ce que soutient la société requérante, lorsque la CRE fixe la méthodologie devant être utilisée pour établir les tarifs des prestations annexes réalisées à titre exclusif par les gestionnaires des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité, elle ne confère point à ces gestionnaires un quelconque droit exclusif. Par cette prérogative, conformément à sa mission légale, elle se borne à encadrer la tarification de celles des prestations qui, d’une part, sont annexes aux missions de service public confiées aux entreprises ayant la qualité de gestionnaires de réseau, et, d'autre part, ne sont pas susceptibles d'être proposées par des entreprises n'ayant pas cette qualité. Il suit de là qu’en mettant en œuvre cette compétence la CRE ne fait nullement obstacle à l'exercice d'une activité économique par une entreprise, et ne peut par suite, ce faisant, porter atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie.

(28 septembre 2018, Société Elever, n° 411454)

 

Biens

 

6 - Contravention de grande voirie – Affréteur – Redevable de la contravention – Absence de caractère de sanction – Non soumission au principe de la personnalité des peines – Non-respect du délai de dix jours pour la saisine du tribunal et la transmission du procès-verbal – Effets.

Une société de transport maritime de passagers fait l’objet d’un procès-verbal de contravention de grande voirie. Elle est condamnée aux frais de remise en état du domaine public portuaire par le tribunal administratif de Marseille. Son appel est rejeté et le Conseil d’État saisi.

À cette occasion sont rappelés un certain nombre de règles ou principes bien établis. L’action domaniale que constitue la poursuite d’une contravention de grande voirie n’est pas une action en responsabilité pour dommages. Elle n’est pas davantage une sanction ou une peine infligée au contrevenant en dépit de l’emploi malheureux du mot « contravention », par suite elle ne ressortit pas du principe de personnalité des peines.

Normalement, la personne poursuivie pour contravention de grande voirie est soit celle qui a commis ou pour le compte de laquelle a été commise l'action qui est à l'origine de l'infraction, soit celle sous la garde de laquelle se trouvait la chose qui a été la cause du dommage. Ici se posait la question de savoir si la requérante pouvait être poursuivie en sa qualité d’affréteur du navire. La réponse est positive eu égard à la définition du contrat d’affrètement que donne la loi du 18 juin 1966 (art. 1 et 7).

Enfin, était soulevée une question récurrente et irritante : quelle est la sanction de l’inobservation par le préfet du délai de dix jours imparti par la loi pour la communication au contrevenant du procès-verbal de contravention ? Infléchissant légèrement sa position, le juge répond que cette inobservation ne peut être sanctionnée que s’il est démontré qu’une atteinte a été porté de ce fait directement aux droits de la défense. Tel ne fut pas le cas en l’espèce.

(19 septembre 2018, Société Entreprise Nationale de transport maritime des voyageurs (ENTMV), n° 415044)

 

Contrats

 

7 - Accord-cadre sur l'acquisition de documents sur tous supports et sur des prestations de services associées, au bénéfice de la médiathèque départementale – Offre d’un candidat non retenue – Référé précontractuel sur le mode de comptabilisation des frais de déplacements – Critère de nature à favoriser certains candidats – Critère ne permettant pas de valoriser l’offre la moins coûteuse en termes de déplacements – Annulation.

Le département de la Haute-Garonne a lancé une consultation en vue de la passation d'un accord-cadre portant sur l'acquisition de documents sur tous supports et sur des prestations de services associées, au bénéfice de la médiathèque départementale. La société La Préface ayant vu rejeter son offre pour le lot n° 1 relatif à des « romans adultes en langue française, imprimés (y compris gros caractères) ou enregistrés sauf science-fiction, fantastique, fantasy, romans policier », a saisi le juge du référé précontractuel en annulation de la procédure de passation litigieuse. Cela lui est accordé ; le département saisit le juge d’appel.

Pour confirmer l’ordonnance de référé, le Conseil d’État relève en premier lieu, que le cahier des clauses particulières relatives à l'exécution de l'accord-cadre impose au titulaire du marché de permettre, au moins une fois par mois, aux bibliothécaires de la médiathèque de venir consulter ses fonds d'ouvrages dans ses locaux et qu’il est prévu, parmi les critères de sélection des offres, un critère relatif aux frais de déplacement engendrés, pour la médiathèque, par l'exécution de ce marché, les modalités de calcul des frais engagés étant basées exclusivement sur la distance entre l'implantation géographique des librairies candidates et la médiathèque départementale. C’est donc à bon droit que le premier juge a pu considérer que ce critère de sélection des offres était de nature à favoriser les candidats les plus proches et à restreindre la possibilité pour les candidats plus éloignés d'être retenus par le pouvoir adjudicateur.

En second lieu, le premier juge est également approuvé d’avoir estimé que s'il était loisible au département de la Haute-Garonne de prévoir une consultation mensuelle des fonds, par les agents de la médiathèque, dans les locaux du titulaire du marché et, par suite, de retenir un critère de sélection des offres prenant en compte le coût de ces déplacements, le critère fixé en l'espèce, ne permettait pas de valoriser effectivement l'offre représentant le moindre coût de déplacement. 

L’ordonnance attaquée est en tous points confirmée.

(12 septembre 2018, Département de la Haute-Garonne, n° 420585)

 

8 - Marché – Appel d’offres – Candidat non retenu – Principe général du droit s’imposant à tout pouvoir adjudicateur – Principe d’impartialité – Non-respect de l’impartialité pouvant constituer un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence - Nécessité d’établir l’impartialité – Absence en l’espèce – Détention éventuelle d’informations confidentielles par l’un des candidats n’affectant pas ipso facto l’impartialité du pouvoir adjudicateur – Annulation de l’ordonnance en référé précontractuel – Rejet au fond.

La société Otus, précédente titulaire de ce lot, s’est portée candidate à l’attribution du lot n° 1 d'un marché, lancé par le Syndicat intercommunal des ordures ménagères (SIOM) de la vallée de Chevreuse, ayant pour objet la collecte des déchets ménagers et assimilés ; n’ayant pas été retenue elle a saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Versailles et obtenu l’annulation de la procédure. Le SIOM de la vallée de Chevreuse et la société Sepur, nouvelle attributaire du lot, se pourvoient contre cette ordonnance.

Pour l’essentiel, l’ordonnance se fonde sur l’atteinte portée en l’espèce au principe d’impartialité par le pouvoir adjudicateur. Le Conseil d’État commence par rappeler que ce principe est un des principes généraux du droit et que sa méconnaissance par un pouvoir adjudicateur est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

En l’espèce, le juge de première instance s’était fondé sur deux motifs.

En premier lieu, il avait émis un doute sur l’impartialité du SIOM car, pour l'accompagner dans la rédaction et la passation du marché litigieux, celui-ci avait confié une mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage à une société et le chef de projet affecté par cette société au projet du SIOM avait rejoint, préalablement à la remise des offres, la société Sepur, désignée attributaire du lot n° 1 du marché. Le Conseil d’État estime que le juge des référés ne pouvait se fonder sur cette seule circonstance pour conclure à l'existence d'un doute sur l'impartialité de la procédure suivie par le SIOM, d’autant que ce juge a lui-même relevé qu’en sa qualité de chef de projet de la mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage, il n'avait pas participé à la rédaction du dossier de consultation des entreprises, sa mission s’étant cantonnée à la collecte des informations préalables à l'élaboration de ce dossier, et qu'il avait quitté cette société à la mi-juin 2017, n’ayant rejoint la société attributaire du lot n° 1 qu'en décembre 2017. Par suite, le juge des référés, qui n'a relevé aucun élément de nature à établir que la société mandataire du SIOM avait manqué d'impartialité dans l'établissement des documents de la consultation pendant la période où cette personne était son salarié, a inexactement qualifié les faits dont il était saisi.

En second lieu, le juge des référés a retenu que les informations confidentielles que cette dernière aurait éventuellement pu obtenir à l'occasion de sa mission d'assistant à maîtrise d'ouvrage pouvaient, le cas échéant, conférer à son nouvel employeur un avantage de nature à rompre l'égalité entre les concurrents et que, pour ce motif, l'acheteur public aurait dû prendre les mesures propres à la rétablir. Le Conseil d’État rejette cette motivation car cette circonstance était en elle-même insusceptible d'affecter l'impartialité de l'acheteur public. Ainsi, le juge des référés a commis une erreur de droit en retenant un manquement à l'obligation d'impartialité de l'acheteur public du seul fait qu'il existait un risque que la société attributaire du marché, ait pu obtenir des informations confidentielles à l'occasion de la participation de l'un de ses salariés à la mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage lorsque celui-ci travaillait antérieurement pour la société mandataire du syndicat.

Réglant l’affaire au fond, le juge du Palais-Royal, se fondant sur les dispositions de l’art. 1er(I), sur le 3° de l’art. 48 et sur l’art. 45 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ainsi que sur l’art. 5 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, rejette la demande de la société Otus aussi bien en tant qu’elle soutient que le SIOM aurait commis un manquement à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en n'imposant pas, dans le marché distinct d'assistance à la maîtrise d'ouvrage, des exigences spécifiques, telles qu'une clause de non concurrence ou la signature d'engagements de confidentialité, qu’en tant qu’elle reproche au pouvoir adjudicateur de n’avoir pas exclu un candidat alors que celui-ci n’a pas eu accès à des informations ignorées des autres candidats ou soumissionnaires susceptibles de créer une distorsion de concurrence.

L’instruction du dossier conduit à ce rejet pour deux motifs. Tout d’abord, le SIOM a invité les candidats à fournir une lettre de candidature comportant une déclaration sur l'honneur qu'ils ne rentraient dans aucun des cas d'interdiction de soumissionner prévus aux articles 45 et 48 de l'ordonnance de 2015. Par suite, et en l'absence de tout indice, dont il aurait alors eu connaissance, de l'existence d'une situation de nature à créer une distorsion de concurrence entre les candidats, il ne peut être reproché au SIOM de ne pas avoir pris de mesures supplémentaires pour prévenir la survenance d'une telle situation. Ensuite, le chef du projet n'a travaillé pour la société mandataire qu'au début de la mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage, entre début avril et mi-juin 2017, date de son départ de la société ; il a donc quitté la société avant qu'ait commencé l'élaboration du dossier de consultation des entreprises et n'a rejoint la société attributaire du lot n° 1 qu'en décembre 2017. Enfin, le SIOM, sans être contredit sur ce point, soutient que dans le cadre de la phase préliminaire de collecte de données générales sur le marché en cours à laquelle le chef de projet devait procéder pour son ancien employeur, la société Otus, alors titulaire du marché, a refusé de transmettre les « données détaillées » au motif qu'elles relevaient du secret industriel et commercial. Ainsi, pour le Conseil d’État, il ne résulte pas de l'instruction que les informations détenues par le chef de projet étaient de nature à avantager la société Sepur par rapport aux autres candidats à l'attribution du marché litigieux. En l’absence de manquement au principe d'impartialité, l’ordonnance doit être annulée.

On ne peut s’empêcher d’un malaise devant cette solution en dépit de toutes les précautions argumentatives et factuelles prises par le Conseil d’État et notamment à raison même de celles-ci qui trahissent un embarras certain plus qu’elles ne parviennent à convaincre : nul ne peut dire ici que la société bénéficiaire des services du chef de projet n’en a pas profité pour peaufiner son dossier, le présenter sous un certain jour et en faisant valoir tels atouts plutôt que tels autres, etc.

(12 septembre 2018, Syndicat intercommunal des ordures ménagères de la Vallée de Chevreuse, n° 420454 et Société Sepur, n° 420512)

 

9 - Délégation de service public – Concession de plage naturelle – Procédure déclarée infructueuse à raison d’une candidature unique – Nouvelle consultation – Attribution du lot – Recours indemnitaire du candidat unique non retenu pour cause de caractère infructueux de la consultation – Règle d’indemnisation.

La société Le Pagus, déjà titulaire de ce lot, a été seule candidate au lot n° 5 lors du renouvellement d'une délégation de service public sous forme de concession pour l'aménagement et l'exploitation des lots de plages, situés sur les plages naturelles de Fréjus-Plage ; du fait de cette unique candidature et du caractère incomplet de son offre, la procédure a été déclarée infructueuse. Suite à une seconde consultation, le lot n° 5 a été attribué à un autre candidat que la Société Le Pagus. Celle-ci, qui a sollicité en vain du tribunal administratif et de la cour l’indemnisation du préjudice subi du fait de son éviction, qu'elle estime irrégulière, des deux procédures de passation du lot n° 5, se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État rappelle les principes qui gouvernent la réparation du préjudice causé, du fait de son éviction irrégulière, à un candidat à l'attribution d'un contrat public. Il convient de distinguer trois situations. Tout d’abord, doit être vérifiée la circonstance que le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l’absence de toute chance, il n’a pas droit à indemnisation, alors que s’il avait des chances d’être retenu, il a droit au remboursement des frais engagés pour présenter son offre. Ensuite, dans cette seconde hypothèse, il faut déterminer si le candidat avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat et si tel est le cas il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, lequel comprend nécessairement les frais de présentation de l'offre. Enfin, lorsque la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général, aucune indemnisation du manque à gagner n’est due.

Appliquant ces principes au cas de l’espèce, le Conseil d’État relève, s’agissant de la légalité de la première consultation, que les premiers juges ont eu raison d’annuler la décision municipale de déclarer « infructueuse » la consultation relative au lot n° 5 car, d’une part, la circonstance que la société Le Pagus était le seul candidat à l'attribution de ce lot n'était pas, en tant que telle, de nature à fonder le rejet de son offre pour infructuosité et, d’autre part, l'offre de la société était conforme au règlement de la consultation. Ensuite, s’agissant du rejet par la cour de la demande d’indemnisation du fait de cette éviction irrégulière, il relève que celui-ci est fondé sur le fait que la société demanderesse ne pouvait être regardée comme ayant eu des chances sérieuses de se voir attribuer le lot litigieux à l'issue de la première procédure de consultation car, d’une part, la collectivité délégante pouvait renoncer à poursuivre la procédure d'attribution de la délégation de service public pour un motif d'intérêt général, d’autre part, cette société n’a pas été empêchée de présenter sa candidature lors de la seconde consultation. La cour pouvait parfaitement juger que l'insuffisance de la concurrence lors de la première consultation constituait un motif d'intérêt général susceptible de justifier la renonciation à conclure un contrat de délégation de service public. En effet, l’engagement d’une procédure de passation d'un contrat de concession ne saurait contraindre l’autorité administrative à la poursuivre jusqu’à son terme. Elle peut décider, sous le contrôle du juge, de renoncer à le conclure pour un motif d'intérêt général. En l’espèce, le motif tiré de l'insuffisance de la concurrence constituait bien un motif d'intérêt général susceptible de justifier la renonciation à conclure le contrat.

S’agissant de l’éviction de la société requérante à l’issue de la seconde consultation, le Conseil d’État donne raison à la cour d’avoir jugé que la commune de Fréjus n'était pas tenue de déterminer les taux et les critères de l'assiette de la redevance due par chaque attributaire préalablement au lancement de la procédure d'attribution d'un sous-traité d'exploitation de plage. Aucune disposition ne fait obstacle à ce que la collectivité délégante négocie librement avec les candidats à l'attribution d'un tel sous-traité l'ensemble des éléments composant leur offre, y compris le montant de la redevance afférente à l'occupation du domaine public. La collectivité délégante peut fixer postérieurement à la négociation qu'elle engage avec les candidats à l'attribution d'un sous-traité d'exploitation, le montant de la redevance domaniale devant être versée par l'attributaire, en contrepartie des avantages de toute nature procurés par l'effet de l'attribution de ce sous-traité. Par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la commune de Fréjus avait pu prévoir, parmi les critères de sélection des offres, de prendre en compte le montant de la redevance proposée par les candidats à l'attribution du sous-traité, dès lors qu'il est constant que cette commune, en qualité d'autorité gestionnaire de son domaine, ne s'est pas dessaisie de sa compétence relative à la fixation du montant de la redevance.

(17 septembre 2018, Société « Le Pagus », n° 407099)

 

10 - Bail emphytéotique – Taxe foncière sur les propriétés bâties – Demande de décharge ou de réduction – Absence de caractère emphytéotique du bail – Effets.

Le code général des impôts comporte des règles particulières pour déterminer le redevable de la taxe foncière sur les propriétés bâties – qui est normalement le propriétaire du bien d’assiette – lorsque l’immeuble se trouve dans certaines situations juridiques (usufruit, bail emphytéotique, bail à construction, etc.). En ce cas, l’imposition est due par l’usufruitier ou le bailleur.

Pour rejeter l’action en décharge ou en réduction de taxe foncière dont l’avait saisi la Société de propreté et d'environnement de Normandie (SPEN), la cour administrative d’appel avait jugé que la convention conclue entre la SPEN demanderesse et une SCI par laquelle cette dernière mettait à disposition de la SPEN une parcelle en vue de l'exploitation d'un centre d'enfouissement technique (CET) de déchets ménagers, présentait les caractéristiques essentielles du bail emphytéotique. Le Conseil d’État censure cette erreur de qualification juridique car il résulte des dispositions du code rural et de la pêche maritime qui définissent le bail emphytéotique que celui-ci ne peut comporter de clause limitant l'usage auquel le bénéficiaire peut affecter les lieux loués. Or il ressort de la convention précitée que celle-ci réservait exclusivement la parcelle louée à l’enfouissement de déchets, qu’elle ne concernait qu’un centre d'enfouissement technique (CET) de déchets ménagers, qu’elle prévoyait une redevance annuelle dont le montant était fixé par tonne de déchet enfouie au cours de la période considérée et que sa résiliation pouvait intervenir de plein droit en cas d’annulation des autorisations préfectorales nécessaires au fonctionnement du CET ou de fermeture définitive du CET ordonnée par décret. Toutes ces dispositions excluent la qualification de ce contrat comme bail emphytéotique. Le recours est admis et l’arrêt cassé.

(19 septembre 2018, Société de propreté et d'environnement de Normandie (SPEN), n° 413498 ; du même jour, même requérante et dans le même sens, voir : Société de propreté et d'environnement de Normandie (SPEN), n° 413499)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

11 - Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) – Évaluation de certains biens entrant dans l’assiette de l’ISF – Créances détenues par des non-résidents fiscaux en France sur des sociétés à prépondérance immobilière – Absence de déduction de ces créances pour la détermination de la valeur des parts détenues par ces derniers dans la société (art. 885 T ter CGI) – Commentaires administratifs inconventionnels – QPC – Inconventionnalité admise – QPC rejetée.

Le § 335 des commentaires administratifs de l’article 885 T ter CGI interprètent ce texte comme interdisant à une personne n'ayant pas en France son domicile fiscal de déduire, pour le calcul de la valeur de ses parts dans une société à prépondérance immobilière, non seulement les créances qu'elle est susceptible de détenir sur cette société, mais aussi les créances détenues sur la société par les autres associés n'ayant pas en France leur domicile fiscal ; en revanche, ce même texte considère que les dispositions de cet article 885 T ter ne font pas obstacle à ce qu'une personne ayant en France son domicile fiscal déduise, pour le calcul de la valeur de ses parts dans la société, l'ensemble des créances détenues sur la société par les autres associés, y compris par les associés non-résidents. 

La requérante estime cette interprétation erronée et affirme que cet article fait seulement obstacle à ce qu'un associé non-résident puisse déduire, pour le calcul de la valeur de ses parts dans la société, les créances qu'il détient sur cette société, et qu'elles n'interdisent pas, en revanche, que cet associé déduise les créances détenues sur la société par les autres associés, y compris ceux qui ne sont pas résidents fiscaux français. Elle considère que la loi, si était retenue l’interprétation qu’en donne l’administration fiscale, constituerait une restriction non justifiée à la liberté de circulation des capitaux garantie par l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Le Conseil d’État, après examen de cet art. 63 et analyse des travaux parlementaires préparatoires à l’adoption de l’art. 885 T ter CGI, juge : « Il en résulte que ces dispositions ne sauraient recevoir que l'interprétation proposée par la requérante. ».

La QPC ne peut donc qu’être rejetée, la disposition litigieuse étant déjà inconventionnelle

(19 septembre 2018, Mme X., n° 421693)

 

12 - Contentieux fiscal – Règles particulières de procédure – Taxe foncière sur les propriétés bâties – Cotisation foncière des entreprises – Tribunal administratif statuant en premier et dernier ressort – Appel possible parfois – Condition de l’appel – Concurrence avec le pourvoi en cassation.

En principe, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les litiges relatifs aux impôts locaux et à la contribution à l'audiovisuel public, à l'exception des litiges relatifs à la contribution économique territoriale (art. R. 811-1 CJA).Toutefois et par dérogation, en cas de connexité avec un litige susceptible d'appel, les décisions statuant sur les recours en matière de taxe foncière lorsqu'elles statuent également sur des conclusions relatives à la cotisation foncière des entreprises, à la demande du même contribuable, et que les deux impositions reposent, en tout ou partie, sur la valeur des mêmes biens appréciée la même année peuvent elles-mêmes faire l'objet d'un appel.

Par suite, lorsque le premier juge a statué par un seul jugement, d'une part, sur des conclusions relatives à la taxe foncière, d'autre part, sur des conclusions relatives à la cotisation foncière des entreprises à la demande du même contribuable, mais que ces impositions reposent, en tout ou partie, sur la valeur des mêmes biens appréciée pour deux années différentes, la voie de l’appel n’est pas ouverte et si un appel a été cependant formé, il y a lieu de regarder les conclusions relatives aux cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties restant en litige présentées devant la cour comme des conclusions de cassation avec les limites strictes inhérentes aux moyens susceptibles d’être présentés en cassation. Simplification ? Qui a parlé de simplification ?

(28 septembre 2018, Société Mefro Wheels France, n° 410898)

 

13 - Taxe sur les déchets ménagers – Impôt local – Notion – Intérêt pour agir en matière fiscale – Recouvrement forcé de l’impôt – Contestation fiscale dans le cadre d’une délégation de service public – Calcul de la taxe.

Une société délégataire du service public d’incinération des déchets ménagers de la commune d’Halluin conteste l’application qui lui a été faite de la délibération communale instaurant une taxe sur les déchets réceptionnés.

Le Conseil d’État tranche préalablement à l’examen du fond trois questions de procédure.

Selon le 4° de l'article R. 811-1 du CJA, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort « sur les litiges relatifs aux impôts locaux… ». Ce qui implique que seul est possible ensuite un pourvoi en cassation. De l’impôt local, le Conseil d’État donne cette définition : « tout impôt dont le produit, pour l'année d'imposition en cause, est majoritairement affecté aux collectivités territoriales, à leurs groupements ou aux établissements publics qui en dépendent ». Tel est bien le cas de la taxe communale en cause : le Conseil d’État est donc compétent ici en qualité de juge de cassation.

Ensuite, la commune contestait doublement l’intérêt à agir de la société Valnor. En premier lieu, elle faisait valoir que la somme dont cette société sollicite la décharge a été recouvrée par voie d'avis à tiers détenteur. Bien évidemment, il tombe sous le sens que la circonstance que la créance fiscale en cause ait fait l'objet d'un recouvrement forcé n'est pas de nature à priver d'intérêt à agir le redevable qui en conteste le bien-fondé. En second lieu, la commune faisait valoir que, par un avenant à la convention de délégation de service public conclue entre cette société et la communauté urbaine de Lille Métropole, l'autorité délégante a accepté de rembourser à la société le montant de la taxe due par la société Valnor sur les déchets réceptionnés en 2012. Une telle objection ne saurait prospérer car, comme le rappelle le Conseil d’État : « la circonstance que l'autorité délégante, en vertu des stipulations du contrat de délégation de service public, rembourse au délégataire le montant de la taxe due par ce dernier, n'est, en tout état de cause, pas (…) de nature à priver ce délégataire d'intérêt à contester devant le juge de l'impôt la taxe dont il est légalement redevable. »

Enfin, au fond, il résulte des dispositions de l’art. L. 2333-92 CGCT que la taxe est due par l'exploitant de l'installation au 1er janvier de l'année d'imposition ; par ailleurs, le paiement de cette taxe doit intervenir au plus tard le 10 avril de l’année suivant celle d’imposition. La commune d’Halluin ayant institué cette taxe le 21 avril 2011, celle-ci est entrée en vigueur le 1er janvier 2012 et la société Valnor ne pouvait être imposée, pour la première fois, qu’en 2013 au titre du tonnage traité en 2012, non en 2011 comme le prétendait la commune.

(28 septembre 2018, Commune d’Halluin, n° 409311 et Société Valnor, n° 409312)

 

14 - Polynésie française – Office des postes et télécommunications de la Polynésie française – Fonds provenant de comptes chèques postaux – Demande d’autorisation de placement de ces fonds dans une banque – Refus opposé par l'administrateur général des finances publiques de la Polynésie française – Nature de « fonds libres » de ces dépôts – Obligation de placement exclusivement en valeurs d'État ou en valeurs garanties par l'État sur autorisation du conseil des ministres.

L'Office des postes et télécommunications de la Polynésie française a demandé à l'administrateur général des finances publiques de ce territoire de ne pas s’opposer, d'une part, à un mouvement de fonds d'un montant de 2,8 milliards de francs CFP aux fins de placement à la banque SOCREDO et, d'autre part, aux virements de fonds concernant les comptes chèques postaux tenus par l'office. Ces deux demandes ayant été rejetées, l’Office a saisi le tribunal administratif de la Polynésie française d’un recours pour excès de pouvoir qui a été rejeté. En appel, la cour administrative de Paris a annulé ce jugement et rejeté les demandes incidentes du ministre de l’action et des comptes publics. Ce dernier se pourvoit. Accueillant au fond ce pourvoi, le Conseil d’État, combinant les dispositions des articles 13 et 91 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, telles qu'éclairées par leurs travaux préparatoires et celles de la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, juge que la Polynésie française est compétente pour déterminer les règles relatives à la trésorerie de ses établissements publics, dans les conditions et limites prévues par le 23° de l’article 91 précité.

Selon ce texte, les fonds libres d'un établissement public peuvent être placés en valeurs d'État ou en valeurs garanties par l'État sur autorisation du conseil des ministres, à défaut, ils ne peuvent être déposés qu’auprès du Trésor. Pour juger que les fonds provenant des comptes courants postaux sont des « fonds libres » au sens de cette législation, le Conseil d’État énonce  que les dépôts effectués par les détenteurs de comptes chèques postaux auprès de l'Office des postes et télécommunications de la Polynésie française ne demeurent pas la propriété des personnes privées titulaires de ces comptes pendant le temps de cette détention par ledit office, mais sont à la disposition de celui-ci pour son propre compte, ce dernier n'étant tenu qu'à une obligation de restitution en application de l'article L. 312-2 du code monétaire et financier.

Il est assez curieux qu’un juge voit dans un contrat de dépôt un contrat translatif de propriété… Quant à écrire qu’il n’y a pas de droit de propriété des titulaires de comptes courants mais seulement, à la charge de l’office des postes, une obligation de restitution des sommes y figurant est une contre-vérité que dément l’ensemble du droit applicable (sommes susceptibles d’être héritées en cas de décès du titulaire du compte, copropriété des sommes sur compte joint, comptes entrant dans la détermination de la fortune de l’intéressé pour l’application de l’ISF, du moins jusqu’à la réforme fiscale pour 2019, obligation de déclarer les comptes ouverts à l’étranger, etc.).

(28 septembre 2018, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 412399)

 

15 - Impôt sur le revenu – Déficit – Cas de l’usufruitier – Application des articles 6 et 8 du CGI.

Il résulte des dispositions combinées des art. 6 et 8 du CGI qu'en cas de démembrement de la propriété des parts d'une société de personnes détenant un immeuble, qui n'a pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, l'usufruitier de ces parts est soumis à l'impôt sur le revenu à raison de la quote-part des revenus fonciers correspondant aux droits dans les résultats de cette société que lui confère sa qualité. Lorsque le résultat de cette société de personnes est déficitaire, l'usufruitier peut déduire de ses revenus la part du déficit correspondant à ses droits. 

(28 septembre 2018, M. X., n° 408029)

 

16 - Établissement de l’impôt – TVA et impôt sur les sociétés – Documents obtenus de tiers par l’administration en vue d’établir l’impôt dû (art. L. 76 B et L. 256 LPF) – Délai de demande de communication expiré – Impossibilité d’obtenir cette communication.

À la suite d’une vérification de comptabilité l’administration notifie à la société contribuable une proposition de rectification en matière de taxe sur la valeur ajoutée et d'impôt sur les sociétés. Ces suppléments d’impôts sont notifiés le 8 avril 2013 à la société qui les reçoit le 23 avril suivant tandis que cette dernière a adressé à l’administration ce même 8 avril, sur le fondement de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, une demande de communication des documents obtenus par l'administration dans l'exercice de son droit de communication auprès de tiers. Estimant cette demande tardive, le titre de perception ayant été émis régulièrement par le comptable public avant que l’administration ne reçoive de la contribuable la demande de communication, la cour administrative d’appel juge que celle-ci ne peut être satisfaite. Le Conseil d’État confirme cette solution et précise, enfonçant un peu plus le clou, qu’il en va ainsi « alors même que le contribuable n'a été informé de la mise en recouvrement que postérieurement à celle-ci ».

On ne peut qu’être surpris d’une solution contraire aussi bien au bon sens qu’à l’équité.

D’abord, il semble pour le moins inconvenant que l’administration fiscale, dans le cadre d’une procédure qui est contradictoire depuis l’ouverture de la vérification de comptabilité s’abstienne, dans l’une des phases de celle-ci, de communiquer spontanément les sources documentaires de sa décision. En effet, la situation n’est ici en rien comparable à une classique demande de communication (de documents, de motifs, etc.) où une telle demande surgit ex nihilo. En matière fiscale, l’utilisation des pièces ou informations appréhendées s’insère au cœur du mécanisme de dialogue entre l’administration et le contribuable : exiger une demande spontanée et unilatérale au cours de celle-ci, relève d’un anachronisme et d’un privilège ancien, très ancien qu’on croyait passé de mode.

Ensuite, l’existence d’une décision ne se confond point avec son opposabilité : ici, à la date du 8 avril 2013, la société requérante était tenue dans l’ignorance de l’existence d’une décision, celle-ci ne pouvait donc lui être opposable et, à cette date, son droit à demander communication était entier ; il le restera d’ailleurs jusqu’au 19 ou au 23 avril (le Conseil d’État citant ces deux dates comme étant celles de la réception…). La solution la plus simple et la plus correcte serait d’indiquer au contribuable au cours de la procédure ou à la fin de celle-ci à quelle date extrême il devra exercer les facultés qui lui appartiennent. L’existence en ce domaine de dispositions propres à l’administration fiscale, fussent-elles de nature législative, n’ôte rien à leur iniquité d’autant qu’elles ne doivent leur existence qu’à la formidable pression en ce sens du lobby de Bercy.

(28 septembre 2018, Sarl Marteling d’Eternes, n° 407352)

 

17 - Impôts sur les sociétés – Société civile immobilière – Assujettissement des associés en nom collectif ou en commandite simple ou des associés d’une SCI à l’impôt sur le revenu à défaut d’option pour le régime fiscal des sociétés de capitaux – Entrée de biens dans le patrimoine de l’entreprise – Régime de l’art. L. 123-18 du code de commerce – Absence d’application ici – Rejet.

Les associés d’une société civile immobilière, comme ceux d’une société en nom collectif ou d’une société en commandite simple, sont assujettis, pour les gains réalisés, à l’impôt sur le revenu sauf si la société (SNC, SCI ou commandite) opte pour la soumission à l’impôt sur les sociétés. Le passage d’un régime à l’autre a lieu sans effet rétroactif : la première période ressortit entièrement au régime de l’impôt sur le revenu et la seconde à celui de l’impôt sur les sociétés. Une réévaluation d’actifs à une date antérieure à l’option pour l’impôt sur les sociétés est taxable selon le régime de l’impôt sur le revenu.

(19 septembre 2018, SCI JMD, n° 409864)

 

18 - Impôt sur les sociétés – Déficits reportables – Activité de recherche au moyen de subventions d’État – Cession à titre onéreux à une société mère de droits incorporels non brevetables – Transfert indirect de bénéfices à l’étranger (art. 57 CGI) – Absence – Admission du recours au fond.

La société Philips France, qui exerce une activité de recherche portant sur des composants électroniques et des semi-conducteurs, perçoit de l'État des subventions au titre du fonds de compétitivité des entreprises et du crédit d'impôt recherche. Elle a conclu avec sa société-mère (de droit néerlandais), un contrat dit de « General Services Agreement » par lequel elle s'engage à lui céder la propriété des droits incorporels non brevetables issus de cette activité de recherche, à un prix égal au coût de revient des opérations correspondantes, majoré de 10 %. Pour l’exécution de ce contrat la société Philips France déduit, pour la détermination du coût de revient des actifs incorporels cédés à sa mère, avant application de la majoration de 10 % permettant d'aboutir au prix facturé à celle-ci, le montant des subventions reçues de l'État et du crédit d'impôt recherche dont elle bénéficiait.

L’administration fiscale, considérant que cette déduction était constitutive d’un transfert indirect de bénéfices à l'étranger (art. 57 CGI), a rehaussé les résultats de l'entreprise au titre de plusieurs exercices clos à concurrence de la réintégration du montant de ces subventions et crédits d'impôt dans le coût de revient retenu pour la détermination du prix de cession. La cour administrative de Versailles ayant fait droit à la demande de rétablissement des déficits reportables, le ministre de l'action et des comptes publics se pourvoit en cassation dans cette limite.

Le Conseil d’État rappelle que lorsque l’administration fiscale constate que les prix facturés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée sont inférieurs à ceux pratiqués par des entreprises similaires exploitées normalement, elle établit par le fait même de cette constatation, en vertu de la présomption de transfert qui en résulte, l'existence d'un avantage qu'elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l'entreprise française, sauf si cette dernière justifie que cet avantage a eu pour elle des contreparties aux moins équivalentes. En revanche, l’administration fiscale ne peut pas invoquer cette présomption de transfert lorsqu’elle n’a pas effectué de comparaison entre le prix de cession litigieux et le prix observé dans des cas similaires : en pareil cas, il lui incombe de démontrer que l’entreprise a consenti une libéralité en facturant des prestations à un prix insuffisant, et pour cela il lui faut établir l'existence d'un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu. 

Précisément, en l’espèce, l’administration ne proposait aucune méthode alternative de comparaison, par suite, elle n'apportait pas la preuve que les sommes réintégrées dans les résultats de la société contribuable constituaient des bénéfices indûment transférés à l'étranger. D’où la confirmation de l’arrêt d’appel et, conséquemment, le rejet du pourvoi.

(19 septembre 2018, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 405779)

 

19 - Impôt sur les sociétés – Apport d’actifs – Scission de sociétés – Transmission universelle des droits et dettes – Absence de transmission des impositions dont le fait générateur est intervenu antérieurement à la réalisation de l'opération d'apport – Redressement de TVA – Acquittement spontané d’impôt – Rejet.

La société France Printemps a apporté sa branche d'activité « distribution » à la société Printemps Participations, devenue société Printemps, cette dernière a fait apport de toutes ses autres branches d'activité à la société Le Printemps Immobilier, qui l'a absorbée.

L’administration, suite à une vérification de comptabilité de la société France Printemps, portant sur l'activité de sa branche « distribution », a notifié à la société Le Printemps Immobilier, venue aux droits de cette société, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, qui ont été mis en recouvrement à son nom. La société Le Printemps Immobilier a acquitté ces rappels, puis, invoquant qu’elle n’en était pas redevable, en a vainement demandé la restitution à l'administration fiscale. Le tribunal administratif de Montreuil lui a accordé la restitution sollicitée mais la cour de Versailles a annulé ce jugement : la société Le Printemps immobilier se pourvoit.

Le Conseil d’État commence par rappeler la jurisprudence classique selon laquelle la recevabilité du recours de plein contentieux par lequel la personne qui a été conduite à payer indûment l'impôt dû par un tiers peut en demander la restitution est subordonnée à la condition que cette personne ne soit ni débitrice, ni susceptible de voir sa responsabilité solidaire mise en œuvre pour le paiement de l'impôt, sans qu'ait d'incidence la circonstance qu'elle puisse être, le cas échéant, le redevable légal de l'impôt. Ceci le conduit à casser l’arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles pour erreur de droit car après avoir relevé que la société Le Printemps Immobilier n'était pas débitrice des impositions qu'elle avait acquittées à la suite de la réception de l'avis de mise en recouvrement, elle l’avait déclaré irrecevable à introduire un recours de plein contentieux en restitution au seul motif qu'elle était le redevable légal des impositions en cause.

Pour le reste, il est jugé que la société Printemps était seule débitrice des impositions que la société Le Printemps Immobilier a acquittées, puisqu'elles se rapportent à l'activité de la branche « distribution » de la société France Printemps, pour une période antérieure à la date à laquelle cette société a fait apport de cette branche d'activité à la société Printemps Participations, renommée société Printemps. Cependant, réalisme oblige, le juge de façon expédiente constate « que la société Le Printemps Immobilier, qui avait absorbé, à la fin de l'année 2009, toutes les branches restantes de la société France Printemps, a été destinataire des propositions de rectification, en tant que redevable légal des impositions supplémentaires envisagées et était ainsi parfaitement informée du fait que le redressement concernait la branche d'activité de la société France Printemps qui avait été transférée à la société Printemps Participations au début de l'année 2009. Dans ces circonstances, la société Le Printemps Immobilier doit donc être regardée, comme le soutient le ministre, comme ayant acquitté de manière spontanée les impositions objet du litige, par un versement effectué à la suite de la réception de l'avis de mise en recouvrement que l'administration fiscale était tenue de lui adresser, dès lors qu'elle était le redevable légal des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en cause, et sur la portée duquel elle était à même de ne pas se méprendre. ». Ceci le conduit à annuler le jugement du tribunal de Montreuil qui avait jugé le contraire.

(19 septembre 2018, Société Le Printemps Immobilier, n° 414447)

 

20 - Plus-value et moins-value de cession d’immobilisations corporelles et incorporelles – Assiette de la TVA alors applicable – Déduction à opérer sur le prix de cession – Demande d’avis (art. L. 113-1 CJA) : prise en compte du coût d'acquisition initial de l'immobilisation ou de sa valeur nette comptable – Valeur nette comptable devant être retenue.

Interrogé par le tribunal administratif de Montreuil sur le fondement de la procédure de demande d’avis régie par l’art. L. 113-1 CJA, le Conseil d’État répond que « les notions de « plus-values et moins-values de cession d'immobilisations corporelles et incorporelles lorsqu'elles se rapportent à une activité normale et courante » figurant respectivement au 1 du I et au b du 4 du même I de l’article 1586 sexies du CGI, correspondent à la différence entre le prix de cession de l'immobilisation cédée et sa valeur nette comptable, nonobstant la circonstance que les éventuelles dotations aux amortissements comptabilisées au titre de l'élément d'actif cédé ne seraient pas déductibles du chiffre d'affaires pour la détermination de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises en application au b du 4 du I de ce même article. »

(26 septembre 2018, Société Stade rennais football club, n° 421182)

 

21 - Titre de recette – Signature par une personne ayant reçu délégation à cet effet – Mentions devant être portées sur le bordereau du titre – Incidence des dispositions combinées de l’art. L. 1617-5 CGCT et de l’art. 4 de la loi du 12 avril 2000, à la lumière de la jurisprudence du 17 mars 2016 (C.E. Mme X., n° 389069) – Demande d’avis.

Le Conseil d’État répond à une question posée par la cour administrative d’appel de Versailles qu’il résulte des dispositions combinées de l’art. L. 1617-5 CGCT et de l’art. 4 de la loi du 12 avril 2000, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures, d'une part, que le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif doivent mentionner les nom, prénoms et qualité de l'auteur de cette décision, au sens des dispositions de l’art. L. 212-1 du code des relations entre le public et l’administration, de même, par voie de conséquence, que l'ampliation adressée au redevable, et d'autre part, qu'il appartient à l'autorité administrative de justifier en cas de contestation que le bordereau de titre de recettes comporte la signature de cet auteur. Lorsque le bordereau est signé non par l'ordonnateur lui-même mais par une personne ayant reçu de lui une délégation de compétence ou de signature, ce sont, dès lors, les noms, prénoms et qualité de cette personne qui doivent être mentionnés sur le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif, de même que sur l'ampliation adressée au redevable.

(26 septembre 2018, Département de la Seine-Saint-Denis, n° 421481)

 

22 - Impôt sur le revenu – Cession à titre onéreux de droits sociaux – Détermination du gain net imposable (art. 150-0 A CGI) – Diminution du prix de cession pour compenser une dette antérieure à la cession ou une surestimation de valeurs d’actif.

Le Conseil d’État rappelle les conditions de déductibilité de certaines sommes du montant du prix de cession de droits sociaux pour la détermination du gain net imposable. Celles-ci résultent des dispositions de l’art. L. 150-0 A CGI selon lesquelles, pour venir en diminution du prix de cession de droits sociaux, le reversement effectué par le cédant au cessionnaire de tout ou partie du prix de cession doit intervenir en exécution d'une clause figurant dans le contrat de cession, dont l'objet tend exclusivement à compenser soit une dette ayant son origine antérieurement à la cession soit une surestimation de valeurs d'actif figurant à la date de la cession au bilan de la société dont les actions sont cédées. En l’espèce, la cour administrative d’appel est censurée pour avoir ignoré l’application de la seconde branche de l’alternative précitée.

(26 septembre 2018, M. X., n° 407339)

 

Droit social et action sociale

 

23 - Licenciement – Salarié protégé – Protection exceptionnelle – Contrôle étendu du juge sur la motivation du licenciement.

Pour dire justifié et correctement motivé le licenciement pour motif économique d’un salarié protégé une cour d’appel retient que la demande d’autorisation de licenciement, d'une part, faisait état de la réorganisation de l'entreprise et, d'autre part, comportait, parmi ses annexes, un document relatif à la présentation d'un projet de réorganisation par l'employeur au comité d'entreprise, dans lequel une phrase mentionnait l'intention de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise.

Le Conseil d’État juge que la cour a commis une erreur de droit en considérant que cette motivation satisfaisait aux dispositions de l’art. R. 2421-10 du code du travail. En effet, selon lui, ce texte doit être entendu comme faisant obligation à l’entreprise qui sollicite le licenciement d’un salarié protégé de faire état avec précision, dans sa demande, ou le cas échéant dans un document joint à cet effet auquel renvoie sa demande, de la cause justifiant, selon elle, ce licenciement ; que si le licenciement a pour cause la réorganisation de l'entreprise, il appartient à l'employeur de préciser si cette réorganisation est justifiée par des difficultés économiques, par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou encore par des mutations technologiques. Faute que cette exigence ait été satisfaite en l’espèce, l’arrêt doit être annulé.

(26 septembre 2018, M. X., n° 401511 ; du même jour, relatif à la même entreprise et à une salariée protégée, v. égalmt n° 401509, et encore, pour un salarié protégé, v. le n° 401510)

 

Élections

 

24 - Français de l’étranger – Élections des conseillers et des délégués consulaires – Scrutin de liste à la représentation proportionnelle – Vacances par suite de démissions successives – Décret convoquant les électeurs pour compléter la liste – Contestation de la légalité d’un tel décret et demande de suspension de son application – Doute sérieux sur cette légalité – Suspension ordonnée jusqu’à ce que le Conseil d’État se soit prononcé sur le fond – Mais absence d’urgence à désigner un délégué consulaire – Admission partielle du référé suspension.

Le régime de droit et les faits de cette affaire sont compliqués mais leur exposé est nécessaire à la bonne compréhension de la décision.

S’agissant du régime applicable.

Il résulte des dispositions combinées des articles 3, 27, 28, 29, 30, 40 et 43 de la loi du 22 juillet 2003 relative à la représentation des Français établis hors de France que dans chaque ambassade pourvue d'une circonscription consulaire et dans chaque poste consulaire, un conseil consulaire est chargé de formuler des avis sur les questions consulaires ou d'intérêt général, notamment culturel, éducatif, économique et social, concernant les Français établis dans la circonscription. Dans les circonscriptions où l'élection a lieu à la représentation proportionnelle, le candidat venant sur une liste immédiatement après le dernier élu est appelé à remplacer, jusqu'au prochain renouvellement général, le conseiller consulaire élu sur cette liste dont le siège devient vacant pour quelque cause que ce soit, autre que l'annulation des opérations électorales.

Par ailleurs, des délégués consulaires, destinés à compléter le corps électoral des sénateurs représentant les Français établis hors de France, sont élus en même temps que les conseillers consulaires. Ainsi, dans chaque circonscription où sont à élire des délégués consulaires, chaque liste comprend un nombre de candidats égal au nombre de sièges de conseiller consulaire et de sièges de délégué consulaire à pourvoir, augmenté de cinq. Une fois les sièges de conseiller consulaire attribués, les sièges de délégué consulaire sont répartis entre les différentes listes de candidats. Pour chacune d'elles, ils sont attribués dans l'ordre de présentation, en commençant par le premier des candidats non proclamé élu conseiller consulaire.

Enfin, le délégué consulaire venant sur une liste immédiatement après le dernier conseiller consulaire élu est appelé à remplacer, jusqu'au prochain renouvellement général, le conseiller consulaire élu sur cette liste dont le siège devient vacant pour quelque cause que ce soit, autre que l'annulation des opérations électorales. Le candidat venant sur une liste immédiatement après le dernier délégué consulaire élu est appelé à remplacer, jusqu'au prochain renouvellement général, le délégué consulaire élu sur cette liste dont le siège devient vacant pour quelque cause que ce soit, autre que l'annulation des opérations électorales. Lorsque les dispositions du deuxième alinéa du présent article ne peuvent plus être appliquées, il est procédé à des élections partielles dans un délai de quatre mois.

S’agissant des faits.

En l’espèce, les Français établis aux Pays-Bas ont été appelés à élire en 2014, dans le cadre d'un scrutin de liste à la représentation proportionnelle, cinq conseillers consulaires et un délégué consulaire, chaque liste devant comporter onze membres comme indiqué plus haut. La liste « Ensemble, mieux vivre aux Pays-Bas » a obtenu deux sièges de conseiller consulaire et le siège de délégué consulaire. À la suite de démissions de conseillers en 2016 et en 2018, un des deux sièges de conseiller consulaire attribués à cette liste est devenu vacant et a été attribué au cinquième de la liste. Les personnes placées sur cette liste du sixième au dixième rang ont alors successivement présenté leur démission du mandat de conseiller consulaire. Le siège de conseiller consulaire vacant a finalement été attribué à la personne venant en onzième et dernière position sur la liste. De ce fait, le mandat du délégué consulaire étant devenu vacant par la nomination en tant que conseiller consulaire du candidat placé en cinquième position, un décret du 30 juillet 2018 a convoqué les électeurs pour l'élection d'un délégué consulaire dans la circonscription électorale des Pays-Bas. La tête de liste de la liste " Ensemble, mieux vivre aux Pays-Bas " en 2014, demande au juge des référés du Conseil d'État de suspendre l'exécution de ce décret et d'enjoindre au ministre de l'Europe et des affaires étrangères d'appeler Mme X., placée en sixième position sur la liste, à remplacer le cinquième de la liste en qualité de délégué consulaire.

Discussion en droit.

Le requérant reproche au ministre défendeur de s’être fondé, pour prendre le décret dont la suspension est demandée, sur les dispositions de l’art. 42 de la loi précitée (selon lequel les sièges de délégué consulaire « sont attribués dans l'ordre de présentation, en commençant par le premier des candidats non proclamé élu conseiller consulaire »), pour en déduire que, dès lors que le dernier conseiller consulaire élu était le onzième et dernier de la liste, il ne restait désormais plus aucun candidat non proclamé élu susceptible d'occuper le siège de délégué consulaire devenu vacant et qu'il convenait donc d'organiser l'élection d'un délégué consulaire. Selon lui, il y a là une erreur de droit car ce sont les dispositions de l’art. 43 de la loi de 2003 qu’il convient d’appliquer. Or selon ce texte, le candidat venant sur une liste immédiatement après le dernier délégué consulaire élu est appelé à remplacer, jusqu'au prochain renouvellement général, le délégué consulaire élu sur cette liste dont le siège devient vacant pour quelque cause que ce soit, autre que l'annulation des opérations électorales. Il soutient qu’en conséquence doit être prise en compte la liste initiale des candidats aux élections : Mme X.., arrivée en sixième position sur la liste, devait être appelée à exercer le mandat de délégué consulaire devenu vacant. C’est pourquoi il estime que les électeurs ne pourraient être légalement convoqués pour élire un délégué consulaire que si l'intégralité des personnes figurant sur la liste à compter de la sixième position refusait d'exercer ce mandat.

Le moyen paraît au juge sérieux en l’état de l’instruction. C’est pourquoi il ordonne « une mesure conservatoire à effet provisoire dans l'attente du jugement au fond de la requête à fin d'annulation de la décision contestée » car il estime inutile de poursuivre des opérations électorales fondées sur un décret qui serait annulé par la suite par le juge, d’où l’urgence justifiant la suspension. En revanche, il considère qu’aucune urgence ne s’attache à la nomination d'un délégué consulaire car le rôle de celui-ci se borne à compléter le corps électoral des sénateurs représentant les Français établis hors de France et que de telles élections n’auront pas lieu prochainement.

(7 septembre 2018, M. X., n° 423575)

 

Environnement

 

25 - Implantation d’éoliennes – Avis de l’autorité environnementale – Régularisation en cas de vice – Modalités possibles de régularisation – Degré de précision du jugement pour ordonner à l’administration, le cas échéant, la reprise de l’instruction du dossier – Demande d’avis.

Répondant à une demande d’avis dont l’a saisi le tribunal administratif d’Orléans, le Conseil d’État apporte les précisions importantes suivantes qui manifestent son pragmatisme et son comportement – sans grands états d’âme - de « législateur parallèle » :

1°/ « Les dispositions du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement permettent au juge, même pour la première fois en appel, lorsqu'il constate un vice qui entache la légalité de l'autorisation environnementale attaquée mais qui peut être régularisé par une décision modificative, de rendre un jugement avant dire droit par lequel il fixe un délai pour cette régularisation et sursoit à statuer sur le recours dont il est saisi. Le juge peut préciser, par son jugement avant dire droit, les modalités de cette régularisation, qui implique l'intervention d'une décision corrigeant le vice dont est entachée la décision attaquée. Un vice de procédure, dont l'existence et la consistance sont appréciées au regard des règles applicables à la date de la décision attaquée, doit en principe être réparé selon les modalités prévues à cette même date. Si ces modalités ne sont pas légalement applicables, notamment du fait de l'illégalité des dispositions qui les définissent, il appartient au juge de rechercher si la régularisation peut être effectuée selon d'autres modalités, qu'il lui revient de définir en prenant en compte les finalités poursuivies par les règles qui les ont instituées et en se référant, le cas échéant, aux dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue. »

2°/ « Par sa décision n° 400559 du 6 décembre 2017, le Conseil d'État, statuant au contentieux a annulé le décret du 28 avril 2016 portant réforme de l'autorité environnementale en tant qu'il maintient, au IV de l'article R. 122-6 du code de l'environnement, la désignation du préfet de région en qualité d'autorité compétente de l'État en matière d'environnement, en méconnaissance des objectifs énoncés au paragraphe 1 de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement. Le vice de procédure qui résulte de ce que l'avis prévu par le III de l'article L. 122-1 du code de l'environnement a été rendu par le préfet de région en qualité d'autorité environnementale dans un cas où il était par ailleurs compétent pour autoriser le projet, ainsi que le prévoyait, à la date de la décision attaquée, l'article R. 122-6 du même code, peut être réparé par la consultation, sur le projet en cause, à titre de régularisation, d'une autorité présentant les garanties d'impartialité requises. À cette fin, si de nouvelles dispositions réglementaires ont remplacé les dispositions annulées de l'article R. 122-6 du code de l'environnement, le juge peut s'y référer. A défaut, pour fixer des modalités de régularisation permettant de garantir que l'avis sera rendu par une autorité impartiale, le juge peut notamment prévoir que l'avis sera rendu dans les conditions définies aux articles R. 122-6 à R. 122-8 et R. 122-24 du code de l'environnement par la mission régionale de l'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable créée par le décret du 28 avril 2016. Cette mission est en effet une entité administrative de l'État séparée de l'autorité compétente pour autoriser un projet, dont il a été jugé par la décision mentionnée ci-dessus du Conseil d'État qu'elle dispose d'une autonomie réelle la mettant en mesure de donner un avis objectif sur les projets qui lui sont soumis dans le cadre de sa mission d'autorité environnementale. »

3°/ « Lorsqu'un vice de procédure entache un avis qui a été soumis au public, notamment dans le cadre d'une enquête publique, préalablement à l'adoption de la décision attaquée, la régularisation implique non seulement que la procédure de consultation soit reprise, mais aussi que le nouvel avis soit porté à la connaissance du public. Il revient au juge, lorsqu'il sursoit à statuer en vue de la régularisation, de rappeler ces règles et de fournir toute précision utile sur les modalités selon lesquelles le public devra être informé et, le cas échéant, mis à même de présenter des observations et des propositions, une fois le nouvel avis émis et en fonction de son contenu.

Dans l'hypothèse d'une régularisation de l'avis de l'autorité environnementale mise en œuvre dans les conditions définies (…) ci-dessus, le juge pourra préciser que, dans le cas où l'avis de l'autorité environnementale recueilli à titre de régularisation, qui devra être rendu en tenant compte d'éventuels changements significatifs des circonstances de fait, diffère substantiellement de celui qui avait été porté à la connaissance du public à l'occasion de l'enquête publique dont le projet a fait l'objet, une enquête publique complémentaire devra être organisée à titre de régularisation, selon les modalités prévues par les articles L. 123-14 et R. 123-23 du code de l'environnement, dans le cadre de laquelle seront soumis au public, outre l'avis recueilli à titre de régularisation, tout autre élément de nature à régulariser d'éventuels vices révélés par le nouvel avis, notamment une insuffisance de l'étude d'impact. Le juge pourra également préciser que, dans le cas où aucune modification substantielle n'aurait été apportée à l'avis, l'information du public sur le nouvel avis de l'autorité environnementale recueilli à titre de régularisation pourra prendre la forme d'une simple publication sur internet, dans les conditions prévues à l'article R. 122-7 du code de l'environnement. 

Dans l'hypothèse où le juge, saisi d'un moyen en ce sens, constate qu'il a été procédé à une simple publication sur internet du nouvel avis de l'autorité environnementale alors qu'il apportait des modifications substantielles à l'avis initial, il lui revient, avant de statuer sur la décision attaquée, de rechercher si ce nouveau vice peut être régularisé et de prévoir le cas échéant, à cette fin, qu'une enquête publique complémentaire devra être organisée. »

4°/ « Les dispositions précitées du 1° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement qui prévoient l'annulation de l'une des trois phases de l'instruction de la demande définies à l'article L. 181-9 du même code, à savoir la phase d'examen, la phase d'enquête publique et la phase de décision, n'ont pas pour objet de dispenser le juge, s'il n'estime pas pouvoir surseoir à statuer en vue d'une régularisation, de prononcer l'annulation, selon le cas, de l'autorisation dans son ensemble ou d'une partie divisible de celle-ci, mais elles l'invitent à indiquer expressément dans sa décision quelle phase doit être regardée comme viciée, afin de simplifier la reprise de la procédure administrative en permettant à l'administration de s'appuyer sur les éléments non viciés pour prendre une nouvelle décision. En revanche, il n'entre pas dans son office de préciser les modalités selon lesquelles l'instruction doit être reprise, notamment dans le cas de dispositions réglementaires entachées d'illégalité ou en l'absence de dispositions applicables. »

(27 septembre 2018, Association Danger de tempête sur le patrimoine rural et autres, n° 420119)

 

État-civil et nationalité

 

26 - Demande de naturalisation – Refus pour cause d’indignité – Commission de plusieurs infractions au code de la route – Ancienneté de ces infractions – Absence de commission depuis – Erreur de droit dans l’application de l’art. 21-4 du Code civil – Annulation.

Pour refuser à l’intéresser l’octroi de la nationalité française par naturalisation, le premier ministre lui oppose la commission de plusieurs infractions au code de la route, ce qui le rendrait indigne d’acquérir cette nationalité.

Relevant que ces infractions ont été commises entre neuf et six ans avant le refus de naturalisation et qu’aucune infraction n’avait, depuis, été commise, le Conseil d’État juge que le premier ministre a, en refusant la naturalisation du requérant, fait une inexacte application des dispositions de l’article L. 21-4 du code civil.

(24 septembre 2018, M. X., n° 412047, à comparer avec la décision n° 412872 du même jour)

 

27 - Demande de naturalisation par mariage – Déclaration d’acquisition de la nationalité française par mariage – Opposition du premier ministre pour indignité – Motifs justifiant en l’espèce le refus de naturalisation.

Ayant épousé une française, le demandeur, ressortissant équatorien, souscrit, dans le délai légal, une déclaration d’acquisition de la nationalité française par mariage. Le premier ministre s’est opposé à cette naturalisation au motif que son bénéficiaire, gérant d’une entreprise, a fait travailler sur un chantier plusieurs personnes dépourvues de titre les autorisant à travailler en France et a été, pour ces faits qualifiés d'emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail salarié, d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France et d'exécution d'un travail dissimulé, condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et à des peines d'amende. Il a estimé que tant la nature des faits en cause que leur caractère encore récent à la date du décret attaqué, rendaient l’intéressé indigne d'acquérir la nationalité française. Pour le Conseil d’État, le premier ministre n'a pas fait en l’espèce une inexacte application des dispositions de l'article 21-4 du code civil.

(24 septembre 2018, M. X., n° 412872, à comparer avec la décision n° 412047 du même jour)

 

28 - Décret de naturalisation rapporté – Absence de séjour régulier en France – Nature frauduleuse des titres de séjour présentés au soutien de la demande de naturalisation – Absence d’indivisibilité entre l’arrêté préfectoral retirant les titres de séjour entachés de fraude et le décret rapportant la décision de naturalisation – Absence d’opération complexe.

Ayant obtenu un décret de naturalisation sur le fondement de la durée de son séjour régulier en France, une ressortissante camerounaise voit ce décret rapporté par le premier ministre car le préfet de police a retiré tous les titres de séjour qu’elle a produits au soutien de sa demande de naturalisation parce qu’ils sont entachés de fraude. Parmi les arguments, tous rejetés, soulevés, l’un retient l’attention. Mme X. entend, sur le fondement de la théorie de l’opération complexe, contester la légalité de l’arrêté du préfet de police à l’occasion d’un recours en annulation dirigé contre le décret rapportant le décret de naturalisation car elle estime qu’ils forment un ensemble indivisible. En effet, dans une opération complexe il est possible d’attaquer pour illégalité un acte de la chaîne formant le complexe en invoquant l’illégalité d’un acte antérieur entrant dans la même opération et cela alors même que le délai de recours contre celui-ci est expiré ; il suffit que le délai de recours contentieux continue à courir contre l’un des actes subséquents de ladite opération. Ici un tel argument ne pouvait prospérer d’une part car le décret n’a pas été pris pour assurer l’exécution de l’arrêté préfectoral ou en exécution de celui-ci et pas davantage les deux actes peuvent être considérés comme concourant à une opération unique aux éléments indivisibles. Comme l’arrêté a été notifié à l’intéressée plus de deux mois avant qu’elle n’en saisisse le juge la forclusion est encourue et le recours rejeté.

(24 septembre 2018, Mme X., n° 415136 ; v. égalmt, même requérante et du même jour, le n° 415136)

 

Fonction publique et agents publics

 

29 - Demande d’intégration directe d’un fonctionnaire dans la magistrature – Avis défavorable du Parquet – Rejet de la demande par la commission d’avancement – Demandes d’injonction à l’admettre en stage probatoire, de suspension du décret nommant les stagiaires à l’ENM et de communication de pièces – Rejet.

Le requérant, inspecteur des finances publiques à la direction générale des finances publiques, sollicite son intégration dans la magistrature sur le fondement de textes l’y autorisant. Cela lui est refusé et il saisit le juge des référés de plusieurs demandes : injonction de l’admettre à suivre le stage probatoire en vue de l’intégration, suspension de l’exécution du décret nommant les stagiaires à l’ENM, décret où il ne figure, naturellement, pas, communication du rapport de la commission d’avancement sur sa candidature. Le Conseil d’État rejette la double argumentation du recours.

D’une part, la procédure devant la commission d’avancement n’étant soumise ni à une obligation de caractère contradictoire ni à une obligation de motivation, le demandeur ne saurait donc la contester pour défaut de contradictoire ou insuffisance de motivation.

D’autre part, il résulte de l’instruction que la commission a estimé que le parcours professionnel antérieur de ce fonctionnaire le préparait davantage pour la magistrature administrative que pour la magistrature judiciaire ; le juge des référés du Conseil d’État estime que, contrairement à ce que prétend le requérant, un tel motif  - en l’état du caractère sommaire de l’instruction en référé - ne révèle pas que le rejet de sa candidature serait entaché de discrimination ou porterait atteinte à une liberté fondamentale du requérant, ni même, et en tout état de cause, qu'il serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

Au passage, usant d’une technique rarissime, le juge se montre très sévère pour le comportement du Parquet de Paris dans ce dossier même s’il estime cela sans incidence sur la légalité du refus opposé ; en effet, il relève que « l'avis (…) émis par le parquet général de la cour d'appel de Paris sur la candidature de l'intéressé utilise des termes désobligeants, qui ne sont pas admissibles… ».

(4 septembre 2018, M. X., n° 423269)

 

30 - Formation des agents publics contractuels – Demande de prise en charge des coûts de formation – Silence de l’administration sur cette prise en charge – Texte applicable : décret ou circulaire – Prévalence de la circulaire.

Un agent contractuel du ministère de la défense au sein de l'établissement du service d'infrastructure de la défense à Lyon, a demandé à bénéficier de son droit individuel à la formation pour suivre une formation de « Charpente traditionnelle - Techniques d'assemblage et maniement des outils de taille ». Il avise ensuite l’autorité compétente qu'en l'absence de réponse à sa demande il considérerait ce silence comme une acceptation conformément aux dispositions des décrets des 15 octobre et 26 décembre 2007 sur la formation tout au long de la vie des agents de l'État. Enfin, il indique prendre l'initiative, le cas échéant, de financer lui-même sa formation et qu’il en demanderait le remboursement.

A l’issue de cette formation, le remboursement qu’il sollicitait lui a été refusé. Le tribunal et la cour ont rejeté son recours contre ce refus motif pris de ce que l’intéressé n'avait pas informé son administration, au cours de l'entretien professionnel annuel prévu par un arrêté du 7 décembre 2010, qu'il souhaitait bénéficier de son droit individuel à la formation avant d'adresser sa demande d'utilisation de ce droit à l'établissement du service d'infrastructure de la défense de Lyon. La cour en a donc déduit que l'intéressé n'avait pas respecté les conditions de présentation des demandes d'utilisation du droit individuel à la formation prévues par les textes et que, par suite, aucune décision d'acceptation n'avait pu naître du silence de l'administration.

Rejetant le pourvoi, le Conseil d’État relève que la cour a commis une erreur de droit en se fondant – pour rejeter le recours - sur les dispositions des décrets des 15 octobre et 26 décembre 2007 et de l'arrêté ministériel du 7 décembre 2010, car ces textes ne subordonnent pas le dépôt d'une demande d'utilisation du droit individuel à la formation à l'expression d'une demande préalable au cours de l'entretien professionnel annuel. En revanche, une telle obligation résulte bien de la circulaire du ministre de la défense du 1er août 2008. Ce motif, dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, est ainsi substitué au motif erroné en droit retenu par l'arrêt attaqué, dont il justifie le dispositif.

(17 septembre 2018, M. X., n° 408129)

 

31 - Agent public en mission – Comportement gravement défaillant – Suspension immédiate des fonctions dans l’attente d’une sanction disciplinaire – Invocation de l’état de santé – Demande de suspension en référé rejetée.

Un inspecteur de l’administration de première classe séjourne, dans le cadre d’une mission auprès d’un député, dans une chambre d’une résidence préfectorale. Constatant que cette chambre avait subi des dégradations et avait été restituée dans un état inacceptable, qu’en outre l’intéressé avait introduit des visiteurs dans l'enceinte de la résidence préfectorale durant son séjour et qu’enfin, il avait été à plusieurs reprises en état d'ébriété manifeste, le chef de l’inspection générale, après avoir entendu l’intéressé, l’a suspendu immédiatement de ses fonctions dans l’attente d’une procédure disciplinaire.

Le requérant sollicite du juge des référés du Conseil d’État la suspension de la décision le suspendant de ses fonctions. Il invoque plusieurs arguments dont aucun n’est retenu par ce juge. En particulier, sur la gravité des faits et l’absence de disproportion entre ceux-ci et la mesure prise, le juge note : « La matérialité des faits, dont la seule description indique l'ampleur et la gravité intrinsèques, est attestée par des témoignages concordants et précis de plusieurs fonctionnaires, y compris deux agents de police du poste de garde de la préfecture. L'atteinte à la vie privée qu'allègue M.X., résultant de la circonstance que les faits n'ont pu être établis que lors des opérations de nettoyage des lieux, est sans incidence sur la matérialité des faits qui en l'état est suffisamment établie. 

Le comportement de l'intéressé, en mission et dans l'enceinte de la résidence préfectorale, et les faits qui lui sont imputés étaient de nature, par leurs conséquences sur les services et le crédit de ceux qui l'assument, à être regardé comme un manquement à ses obligations professionnelles constitutif d'une faute grave. La suspension décidée, en dépit des conséquences qu'elle pourrait avoir sur l'état de santé de l'intéressé, qui ne sont à ce stade qu'éventuelles, n'est donc en l'état pas disproportionnée. »

On ne saurait mieux dire et il faut s’étonner que la sagesse n’ait pas conduit, en l’espèce, à s’abstenir de saisir le juge.

(6 septembre 2018, M. X., n° 423775)

 

32 - Enseignant vacataire de l’enseignement supérieur – Demande de transformation de ses contrats à durée déterminée successifs en un contrat à durée indéterminée – Refus de l’université – Rejet de la demande d’annulation.

Il résulte des dispositions de l’art. L. 952-1 du code de l’éducation qu’une personne employée par une université publique comme chargée d’enseignement pendant vingt-cinq ans, ne peut l’être que sur la base de CDD sans qu’elle puisse se prévaloir de leurs renouvellements successifs pour prétendre à les voir transformer en un CDI. De plus, cette disposition législative n’est pas incompatible avec les objectifs de la directive du Conseil européen du 28 juin 1999 concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée. Le recours ne peut qu’être rejeté.

(12 septembre 2018, Mme X., n° 400453)

 

33 - Fonctionnaire – Retraite – Calcul du taux d’invalidité – Minimum de pension lié à un minimum de 60% du taux d’invalidité – Absence – Rejet de la demande de revalorisation de la pension.

Dura lex sed lex, telle est la morale de cette affaire. Une personne sollicite une revalorisation de sa pension de retraite afin que lui soit alloué le montant minimum de celle-ci. Pour cela, dans les circonstances de l’espèce, il était nécessaire que le taux d’invalidité reconnu fût de 60 % au moins, or il n’était que de 59,44%. Le recours est rejeté.

(17 septembre 2018, Mme X., n° 416308)

 

34 - Concours – Accès à l’École des chartes – Épreuves orales – Programme d’histoire – Questions posées par le jury – Demande d’annulation – Souveraineté du jury mais contrôle du respect du programme – Absence d’irrégularité – Rejet.

La requérante demande l’annulation de la délibération du jury du concours d'entrée à l'École nationale des chartes fixant la liste des candidats admis à la section B pour la session 2013, sur laquelle elle ne figure pas, de même que la décision du 24 septembre 2013 rejetant son recours gracieux, la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique adressé le 8 novembre 2013 ainsi que la décision expresse de rejet de ce même recours intervenue le 28 février 2014. Le tribunal administratif puis la cour administrative de Paris ont rejeté cette requête, d’où le pourvoi en Conseil d’État.

Celui-ci rappelle un principe constant selon lequel « s'il n'appartient pas au juge administratif de contrôler l'appréciation portée par le jury d'un concours sur la prestation d'un candidat, il lui appartient, en revanche, de vérifier qu'il n'existe, dans le choix du sujet d'une épreuve, aucune violation du règlement du concours de nature à créer une rupture d'égalité entre les candidats ; qu'à ce titre, il lui incombe notamment de contrôler que ce choix n'est pas entaché d'erreur matérielle, que le sujet peut être traité par les candidats à partir des connaissances que requiert le programme du concours et que, pour les interrogations orales, les questions posées par le jury sont de nature à lui permettre d'apprécier les connaissances du candidat dans la discipline en cause ». Appliquant ces règles au cas de l’espèce, le Conseil d’État constate – comme l’avait fait la juridiction d’appel - que tant le sujet de la « petite question » d’histoire contemporaine que les questions posées ensuite par le jury entraient bien dans le programme fixé. Par ailleurs aucun autre aspect du déroulement des épreuves n’est estimé avoir porté atteinte à l’égalité des candidats ou à la régularité des épreuves. D’où le rejet du pourvoi.

(26 septembre 2018, Mme X., n° 405473)

 

Libertés fondamentales

 

35 - Étranger – Demandeur d’asile – Absence de ressources et de logement – Refus italien de demande d’asile – Demande enregistrée en procédure Dublin – Obligations pour la France non respectées – Annulation du rejet de la demande.

L’étranger, célibataire âgé de 25 ans, qui a sollicité en France un second enregistrement de sa demande d’asile après un transfert refusé par l’Italie, y a droit à ce que lui soient assurées les conditions matérielles d’accueil. Aucun élément fourni par le ministre de l’intérieur ou par l’Office français de l’immigration et de l’intégration ne permettant de tenir pour inexactes les affirmations de l’intéressé quant au refus italien de traiter son cas, il incombe aux autorités françaises, contrairement à ce qu’a jugé le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers, sinon de lui trouver un logement eu égard à la saturation actuelle du dispositif d'hébergement des demandeurs d'asile, du moins de lui verser l’allocation pour demandeur d’asile (art. L. 744-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) comprenant, dans ce cas particulier, le montant additionnel versé en cas d’absence d’hébergement. Le refus opposé par les autorités françaises est entaché d’illégalité manifeste et l’ordonnance de référé rejetant le recours contre celui-ci est annulée.

(27 septembre 2018, M. X., n° 424180 ; v. aussi, du même jour et avec même requérant, les n°s 424181 et 424179)

 

36 - Demande d’asile – Personnes de nationalité russe – Demande déjà effectuée en Pologne – Décision de transfert vers la Pologne – Absence de toute coopération des intéressés – Refus préfectoral de délivrer une attestation de dépôt de demande d’asile en France justifié.

Des personnes de nationalité russe ont sollicité en France le dépôt d’une demande d’asile alors qu’une telle démarche avait déjà été effectuée par elles auprès de la Pologne et celles-ci s’étant refusé à toute coopération avec les autorités françaises en vue de leur transfert vers ce pays, le Conseil d’État juge que c’est à bon droit que le juge des référés administratifs du tribunal de Nice a estimé que le préfet des Alpes-Maritimes n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit d'asile par son refus d'enregistrer leur demande d'asile et de leur délivrer une attestation de demandeur d'asile dès lors que leur comportement était de nature à caractériser une situation de fuite au sens des dispositions de l'article 29 du règlement communautaire du 26 juin 2013.

(4 septembre 2018, M. et Mme X., n° 423739)

 

37 - Demande d’asile auprès de la préfecture du Gard – Personne de nationalité guinéenne – Demande d’asile faite précédemment en Italie – Procédure de transfert – Fuite – Obtention d’une demande d’asile auprès de la préfecture de l’Hérault – Nouvelle tentative d’obtention de l’asile auprès de la préfecture du Gard – Suspicion de fraude – Condamnations pénales pour faux – Caractère non illégal du refus préfectoral de renouveler l’attestation de demande d’asile selon la procédure « normale » – Rejet du référé.

Il résulte de ce véritable feuilleton digne d’Eugène Sue, qu’un guinéen, déjà demandeur d’asile en Italie, fait une semblable demande en France (Gard) qui est rejetée en raison de l’existence d’une première demande et qui conduit à son transfert vers l’Italie. Notre homme ne se présente pas le jour dit et réapparaît dans l’Hérault, où il obtient le précieux sésame mais ne s’en satisfait point voulant l’obtenir de la préfecture de l’Hérault où cela lui est refusé notamment pour suspicion de fraude. Il saisit le juge des référés de Montpellier puis celui du Conseil d’État mais en vain, ceci pour la morale de l’histoire.

Vraisemblablement le scénario imaginé par l’intéressé n’a pas été du goût des juges et on peut les comprendre. Soupçonné – mais un soupçon n’est pas une preuve – d’apporter son aide en tant que faussaire à d’autres étrangers, il se voit dénier tout droit à critiquer la motivation préfectorale en des termes cependant prudents puisque le juge du Palais-Royal écrit : « que la convocation (…) présentée le 14 juin 2018 à la préfecture de l'Hérault, présente toutes les apparences d'avoir été falsifiée (…) ; que l'appréciation qui a conduit les services de l'État à refuser de renouveler, dès le mois de juillet, l'attestation obtenue (…), en raison de son caractère frauduleux, n'était donc pas manifestement erronée ».

En outre, il est relevé que le demandeur a été condamné par le tribunal correctionnel de Montpellier à six mois d'emprisonnement et cinq ans d'interdiction du territoire pour avoir fourni de faux documents administratifs à d'autres demandeurs d'asile en attente de transfert vers l'État responsable du traitement de leur demande d'asile, ce qui est assez suffisant pour rendre très hautement plausible la fraude.

On observera au passage la fragilité et la faible fiabilité des procédures instituées tant par l’Union européenne que par ses pays membres pour se prémunir contre des fraudes qui semblent en réalité très nombreuses et alimentent, avec quelque apparence de raison, un certain courant « anti-migrants ».

(7 septembre 2018, M. X., n° 423527)

 

38 - Mineur étranger isolé - devenu majeur - en difficulté d’insertion sociale – Référé suspension – Obligations du département – Limites.

Un ressortissant ivoirien d’abord pris en charge en qualité de mineur étranger isolé par le conseil départemental de l'Isère, a sollicité la poursuite de sa prise en charge en qualité de jeune majeur de moins de vingt-et-un ans éprouvant des difficultés d'insertion sociale. Le département de l'Isère ayant mis fin à la prise en charge de l'intéressé, celui-ci interjette appel de l'ordonnance de référé du tribunal administratif de Grenoble, rejetant sa demande d’injonction au département de le reprendre en charge (fourniture d’un logement et couverture de ses besoins alimentaires et sanitaires).

Or il résulte de l'instruction que le département de l'Isère a décidé de reprendre en charge l'hébergement du demandeur jusqu'à ce qu'il se soit prononcé sur la demande de celui-ci tendant à sa prise en charge en qualité de jeune majeur. S’il fait valoir qu'il éprouve également le besoin d'une assistance plus soutenue d'éducateurs et d'un accompagnement dans ses démarches, il n'apporte, ce faisant, en appel, aucun élément de nature à infirmer l'appréciation portée par le juge des référés du tribunal administratif, selon laquelle, dans ces conditions, la situation de l'intéressé ne caractérise pas, en l'état, l'urgence particulière prévue par l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

(12 septembre 2018, M. X., n° 423855 ; v. aussi, du même jour, M. X., n° 423856)

 

39 - Référé suspension – Condition d’urgence non remplie – Refus d’examiner l’éventuelle satisfaction de la seconde condition – Vente de coupes de bois par l’Office national des forêts (ONF).

Les sociétés requérantes demandent la suspension de l’exécution d’une résolution du conseil d’administration de l’ONF par laquelle est modifié un formulaire d’engagement écrit à souscrire par les acquéreurs de lots de bois d’œuvre de chêne mis en vente par l’ONF par adjudication et par appel d’offres.

Le Conseil d’État constate qu’il n’y a pas urgence à statuer sur cette requête quand bien même est invoquée en l’espèce une atteinte aux droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne, cette argumentation, à soi seule, ne constituant nullement une situation d’urgence. Il s’ensuit qu’est inutile l’examen de l’autre moyen, tiré de ce que la résolution contestée serait de nature à préjudicier de manière grave et immédiate aux intérêts que la fédération requérante entend défendre ou à la situation des sociétés également requérantes.

(27 septembre 2018, Syndicat de la filière bois, Société Transest Bois, Société RJP Bois, Société Presco, Société Mangin Frères, Société Lopez Bois, Société Bois Bûche Normandie, Société Établissements Daude Girard Bois et Société Les Bois de l'Union européenne, n° 423722)

 

40 - Référé liberté – Articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure – Atteinte grave et immédiate à une liberté fondamentale – Absence ici – Rejet.

Le Conseil d’État est saisi d’un recours en référé liberté dirigé contre un arrêté du ministre de l’intérieur plaçant l’intéressé sous le régime de la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance.

Le juge affirme que, par les atteintes qu’ils emportent pour la liberté d’aller et de venir, les art. L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure affectent ipso facto gravement et immédiatement une liberté fondamentale. Il n’en irait autrement que si l’autorité de police faisait valoir des circonstances particulières au fondement de cette mesure.

S’agissant de déterminer le caractère d’illégalité manifeste de celle-ci, le juge relève plusieurs éléments (organisation d'une filière d'acheminement de combattants vers Afghanistan, tentative pour se rendre lui-même dans un camp d’entraînement au Pakistan, comportement en prison caractérisé par une activité soutenue de prosélytisme, méconnaissance, à sa sortie de prison, de ses obligations au titre du contrôle judiciaire, etc.) de nature à écarter tout caractère manifestement illégal de la décision critiquée, d’où le rejet de la demande de référé liberté.

(14 septembre 2018, M. X., n° 423703)

 

Procédure contentieuse

 

41 - Maître de conférences – Sanction disciplinaire pour cumul d’activités non autorisé – Relaxe par le CNESER statuant disciplinairement – Dénaturation du dossier – Cassation.

Un maitre de conférences a fait l'objet d'une procédure disciplinaire de la part du président de l’université pour avoir travaillé, en plus de ses obligations d'enseignant-chercheur, auprès de plusieurs employeurs privés sans que ce cumul d'activités n'ait été autorisé. Sur appel, le CNESER a relaxé l’intéressé au motif que l'université ne pouvait ignorer les activités litigieuses de l'intéressé. L’université demande l’annulation de cette décision et l’obtient car, juge le Conseil d’État, « le dossier qui (…) était soumis (au CNESER) ne permettait pas d'établir que l'université (…) ait eu connaissance de l'intégralité des activités non autorisées de l'intéressé ». Le CNESER a donc entaché son appréciation de dénaturation et sa décision est cassée.

(12 septembre 2018, Mme X., n° 416649)

 

42 - Droit de l’urbanisme – Plan local d’urbanisme – Non-respect de l’obligation d’évaluation environnementale – Recours du préfet pour ce motif – Rejet par la cour administrative d’appel – Dénaturation des écritures – Annulation.

Pour rejeter le recours d’un préfet dirigé contre une délibération communale approuvant le plan local d'urbanisme de cette commune, la cour administrative d’appel avait retenu que le préfet se prévalait d’articles législatifs dans leur rédaction actuelle et non dans leur rédaction antérieure, seule applicable à l’époque de la délibération querellée. Or le Conseil d’État relève que ce n’est pas exact : le préfet avait bien fait état de ces dispositions dans leur rédaction applicable à la date de la délibération communale litigieuse ; la cour a donc dénaturé ses écritures et son arrêt est annulé.

(26 septembre 2018, Ministre de la cohésion des territoires, n° 410062)

 

43 - Association syndicale autorisée – Assemblée des propriétaires – Prise de décisions à caractère individuel – Participation de l’intéressé à la délibération – Notification de la délibération – Absence – Délai de recours ne courant pas – Absence de forclusion du recours.

La requérante a sollicité de l’association syndicale autorisée dont relève sa propriété que cette dernière soit distraite du périmètre de l’association. La délibération aux termes de laquelle a été prise la décision individuelle de rejet de cette demande n’a pas été notifiée à l’intéressée alors qu’elle devait l’être. La cour administrative d’appel, s’appuyant sur la circonstance que cette dernière participait à l’assemblée générale de l’association syndicale, a considéré qu’elle en avait eu connaissance à ce moment-là, moment qui constitue le point de départ du délai de recours contentieux. Or le recours de Mme X. a été formé plus de deux mois après cette date ; la cour l’a jugé tardif et irrecevable. Le Conseil d’État annule son arrêt car il estime que cette délibération devant faire l’objet, en raison de son caractère individuel, d’une notification expresse à l’intéressée et celle-ci n’ayant pas eu lieu, le délai de recours n’a jamais commencé à courir. La forclusion ne pouvait être opposée à la requérante.

(26 septembre 2018, Mme X., n° 406764)

 

44 - Référé suspension – QPC soulevée en référé – Refus d’examen et de renvoi de la QPC en raison du défaut d’urgence – Régularité.

Lorsque le juge du référé suspension est, par mémoire distinct, saisi de conclusions à fin de QPC, il peut rejeter celles-ci, comme toute autre conclusion, pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence. En ce cas il n’est pas tenu d’examiner la QPC. En l’espèce, le juge a constaté qu’il n’y avait pas urgence car pour remédier aux reproches formulés par la requérante, il convenait de prendre un décret or celui-ci peut l’être avant la date d’entrée en vigueur du schéma directeur régional, soit le 1er janvier 2019.

(27 septembre 2018, Chambre de commerce et d'industrie territoriale (CCIT) de l'Oise, n° 418803)

 

45 - Ensemble commercial – Autorisation de création accordée sous deux conditions – Condition de financement devenue incertaine – Moyen demeuré sans réponse – Omission de réponse à moyen entraînant l’annulation de l’arrêt.

Pour que le projet d'ensemble commercial présenté par la SCCV Grand Nord ne compromette pas la réalisation des objectifs fixés par le législateur, avait été prévue la réalisation de plusieurs aménagements de la voirie routière avant son ouverture et l'assurance que leur financement par la communauté urbaine de Dunkerque résulterait de la réalisation projetée, à proximité de cet ensemble commercial, d'un complexe sportif et événementiel dénommé « Arena ».

La société Cora faisait valoir, tout d’abord, que la mise en cause du projet « Arena » par une délibération de la communauté urbaine était susceptible de remettre en cause le parti d’aménagement décrit ci-dessus. La cour et le Conseil d’État rejettent cette argumentation car la délibération mettant en cause le projet « Arena » était sans incidence sur la légalité de la décision autorisant cette opération.

Ensuite, la société Cora avait soulevé un moyen tiré de ce que, compte tenu du changement de majorité intervenu au conseil municipal de Dunkerque à la suite d’élections municipales et de ce que le programme de la liste élue était hostile au projet « Arena », le caractère suffisamment certain du financement des aménagements routiers et, par suite, de leur réalisation à l'ouverture de l'ensemble commercial, n'était plus établi à la date prévue. La cour, en omettant de répondre à ce moyen, qui n'était pas inopérant, a entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation. Il encourt donc annulation sur ce point.

(12 septembre 2018, Société Cora et autres, n° 390646)

 

46 - Police – Police du maire en matière d’ordre public, de sécurité et de salubrité – Arrêté « anti-mendicité » – Abrogation et remplacement par un autre arrêté – Recours en appel contre le premier arrêté devenu sans objet – Recours en appel contre l’abrogation du premier arrêté et contre le second arrêté irrecevables.

Le demandeur sollicite la suspension de l'arrêté du 3 juillet 2018 par lequel le maire de la commune de Besançon a interdit la consommation d'alcool, la mendicité, accompagnée ou non d'animaux, les regroupements, ainsi que la station assise ou allongée lorsqu'elle constitue une entrave à la circulation publique. Cette demande a été rejetée par le juge des référés du tribunal administratif de Besançon.

Par un arrêté du 31 août 2018, le maire a abrogé l'arrêté du 3 juillet 2018 et interdit les activités constitutives de troubles à la tranquillité publique et à l'ordre public sur des secteurs délimités de la ville de Besançon.

Le juge d’appel des référés est saisi, d’une part, d’une demande de suspension de l’arrêté du 3 juillet 2018, d’autre part, d’une demande de suspension de l’arrêté du 31 août 2018 en tant qu’il abroge le précédent arrêté du 3 juillet et qu’il porte interdiction de certaines activités.

L’appel contre le rejet de la demande de suspension de l’arrêté du 3 juillet 2018 est devenu sans objet du fait que la saisine du juge d’appel a eu lieu postérieurement à son abrogation le 31 août.

Les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 31 août 2018 en tant qu’il a abrogé l'arrêté du 3 juillet 2018 et en tant qu’il interdit certaines activités sont irrecevables car présentées pour la première en appel or les conclusions nouvelles en appel sont normalement irrecevables.

(6 septembre 2018, M. X., n° 423725)

 

47 - Caractère public des jugements – Indication des noms des juges ayant rendu un jugement – Absence – Annulation ipso facto.

Dans une décision rendue en matière de lutte contre le terrorisme, après avoir relevé que selon l’art. 10 du Titre préliminaire du CJA, « Les jugements sont publics, ils mentionnent le nom des juges qui les ont rendus », le Conseil d’État, constatant l’absence du nom du juge du référé ayant statué en l’espèce, prononce l’annulation de l’ordonnance attaquée.

(14 septembre 2018, M. X., n° 423703)

 

48 - Amende pour recours abusif infligée par un juge des référés – Existence de deux référés successifs mais à objets distincts – Absence de recours abusif – Annulation de l’ordonnance en tant qu’elle inflige une amende.

C’est à tort que, se croyant saisi pour la seconde fois d’une requête en référé ayant le même objet que la précédente déjà rejetée, un juge des référés inflige une amende pour recours abusif. En effet, même si les moyens soulevés étaient très voisins dans les deux instances, chacune d’elles avait un objet distinct. L’ordonnance est annulée en tant qu’elle inflige l’amende.

(24 septembre 2018, M. X., n° 419757)

 

49 - Permis de construire – Demande d’annulation – Personnes appelées à présenter des observations orales à l’audience (art. R. 732-1 CJA) – Personnes non parties mais mises en cause – Application de la théorie de la connaissance acquise.

Un recours dirigé contre un permis de construire, accueilli en première instance, rejeté en appel, donne l’occasion au Conseil d’État de préciser ou de rappeler deux points de procédure contentieuse.

En premier lieu, en l’espèce, la cour administrative a invité à l’audience un représentant de la commune à s’exprimer devant elle sur ce litige. La commune n’était pas appelante mais elle avait été mise en cause par la cour. Le requérant conteste cette décision. Le juge rappelle que rien ne fait obstacle à ce « que le président de la formation de jugement autorise une autre personne intéressée au litige à prendre la parole au cours de l'audience ». De plus, la commune n’ayant pas la qualité de partie, son représentant n’avait pas à faire précéder son intervention de conclusions écrites.

En second lieu, le juge fait application de la théorie de la connaissance acquise, qui n’est pas abandonnée comme on le croit ou l’enseigne parfois, pour confirmer l’exception de forclusion opposée à la demanderesse par la cour. Le Conseil d’État, observant que cette personne, née le 2 janvier 1993, vivait toujours sous le toit de ses parents, elle pouvait sérieusement prétendre ignorer les recours formés par ses parents les 20 mars 2008 et 15 mai 2012 à l’encontre du permis de construire dont elle-même demande l’annulation. La cour est approuvée pour avoir jugé que la requérante connaissait ces recours au moins depuis la date de sa majorité, antérieure de plus de deux mois à la date d’introduction de son recours

(24 septembre 2018, Mme X., n° 408825)

 

Professions réglementées

 

50 - Médecin – Chirurgie esthétique – Médiatisation excessive – Violation de plusieurs obligations s’imposant aux médecins – Sanction d’interdiction temporaire d’exercer justifiée – Absence de caractère disproportionné de la sanction.

Un médecin spécialiste de chirurgie esthétique est interdit d’exercer pendant deux ans par la chambre disciplinaire régionale d’Île-de-France pour divers motifs, tous validés par le juge qui rejette également le sursis à l’exécution de ce jugement et la contestation du caractère disproportionné de la sanction infligée.

Pour dire l’intéressé fautif, le Conseil d’État relève : la violation du secret professionnel des médecins, alors même que les patientes filmées ou interrogées auraient été consentantes pour cela (confirmation, sur ce dernier point, de 28 mai 1999, X., n° 189057, p. 159 et de 29 décembre 2000, X., n° 211240, p. 676) ; le caractère commercial de plusieurs apparitions télévisées ou dans la presse écrite ; le recours à Facebook, Twitter, Youtube, aux chaînes de télé NRJ 12, à des journaux « people », sites internet, etc., ceci en violation de la prohibition du recours des médecins à la publicité ; les déclarations, images ou attitudes de nature à déconsidérer la profession exercée.

On comprend aisément qu’au vu de ce qui précède, le juge n’a pas de difficulté à trouver justifiée la sanction d’interdiction d’exercer pendant deux ans infligée à ce praticien.

(26 septembre 2018, M. X., n° 407856)

 

51 - Expert-comptable – Sanction disciplinaire – Radiation définitive du tableau de l’ordre – Irrégularité procédurale – Annulation.

Un expert-comptable, radié du tableau de l’ordre et donc frappé d’une interdiction définitive d’exercer, saisit le Conseil d’État pour irrégularité dans le déroulement de la procédure suivie en appel devant les instances disciplinaires de l’ordre des experts-comptables.

Relevant que le texte applicable (art. 184 du décret du 30 mars 2012) impose à la juridiction disciplinaire «  à peine de nullité, (que la convocation à l’audience comporte) l'indication des obligations législatives ou réglementaires auxquelles il est reproché à la personne poursuivie d'avoir contrevenu et des faits à l'origine des poursuites » et constatant que la convocation adressée au requérant ne comportait pas l’indication des textes auxquels le praticien aurait contrevenu, annule la décision et renvoie l’affaire devant la même juridiction.

(26 septembre 2018, M. X., n° 410914)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

52 - Impôt sur le revenu – Rentes viagères – Exonération d'impôt sur le revenu pour les seules rentes viagères servies en représentation de dommages-intérêts pour la réparation d'un préjudice corporel, lorsqu’elles résultent d'une condamnation judiciaire (Art. 81, 9° bis CGI) – Absence d’exonération pour les rentes versées en exécution d’une transaction – Atteinte aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques – Renvoi au Conseil constitutionnel.

Le code général des impôts prévoit que sont exonérées de l’impôt sur le revenu seulement les rentes viagères servies en représentation de dommages-intérêts pour la réparation d'un préjudice corporel, lorsqu’elles résultent d'une condamnation judiciaire (Art. 81, 9° bis CGI). En revanche, cette exonération ne joue pas pour celles des rentes viagères versées, par exemple, en exécution d’une transaction conclue entre la victime d’un dommage et son auteur ou l’assureur de celui-ci.

Le requérant voit dans cette différence de traitement une inconstitutionnalité découlant de l’atteinte qu’elle porte aux deux principes d’égalité, devant la loi et devant les charges publiques. Le Conseil d’État juge réunies les conditions du renvoi de cette question au Conseil constitutionnel.

(19 septembre 2018, M. X., n° 422059)

 

53 - Charges financières afférentes à l’acquisition de certains titres de participation (3èmealinéa du a quinquies du I de l’art. 219 CGI) – Dispense de réintégration – Conditions – Exclusion pour certaines sociétés – QPC – Atteinte aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques – Renvoi au Conseil constitutionnel de la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du IX de l'article 209 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011. 

Il résulte du IX de l’art. 209 CGI tel que ce texte est interprété aux §§ n° 70 et 160 des commentaires administratifs publiés le 29 mars 2013 au Bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-IS-BASE-35-30-10, que la possibilité de ne pas être soumis à la réintégration qu'elles prévoient des charges financières afférentes à l'acquisition de titres de participation est subordonnée à la démonstration que les décisions relatives à ces titres sont prises par une société établie en France qui est soit la société détentrice des titres, soit une société la contrôlant, soit une société contrôlée par cette dernière et que le contrôle ou l'influence exercé sur la société dont les titres sont détenus l'est effectivement par les sociétés mentionnées ci-dessus. Or cette possibilité n’est pas ouverte lorsqu'il est démontré qu'il en va de même pour une société établie en France autre que celles qui viennent d’être mentionnées.

La société requérante affirme que ces dispositions portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Constatant que cette argumentation soulève une question présentant un caractère sérieux, le juge renvoi au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

(19 septembre 2018, Société Zimmer Biomet France Holdings SAS, n° 421688)

 

54 - Référé-liberté – Étudiante lourdement handicapée – Étudiante en master 2 – Régime de durée et de déroulement des épreuves écrites – Conséquences pour l’université – Existence d’une liberté fondamentale en jeu : non pour le déroulement des épreuves d’un master, oui s’agissant de l’état de santé et de ce qu’il implique pour l’université – Exigences satisfaites – Rejet.

Dans cette affaire douloureuse et délicate, une étudiante en master 2, lourdement handicapée (graves problèmes respiratoires, élocution difficile, fatigue rapide), sollicite l’aménagement des conditions matérielles de déroulement des épreuves écrites. En particulier, elle demande à ne pas subir d’épreuves d’une durée supérieures à trois heures alors que, compte tenu du tiers-temps applicable aux personnes handicapées, cette durée est de 4h20 minutes, et à ce que l’université l’autorise à stocker un concentrateur à oxygène dans les locaux de la salle d'examen ou à proximité de celle-ci. Ces demandes ayant été rejetées par le juge des référés du premier degré, elle saisit le Conseil d’État par voie d’appel.

Celui-ci considère que même en cas de rupture d’égalité, les conditions de déroulement des épreuves d'un master ne portent pas, en elles-mêmes, atteinte à l'exercice d'une liberté fondamentale ; en revanche, la combinaison de son état de santé et des moyens dont dispose l’université peut faire regarder sa démarche comme relevant du référé-liberté, une liberté fondamentale étant en cause. 

Examinant les efforts faits par l’université (aménagement des horaires, instauration de plages horaires de repos, stockage de bouteilles d’oxygène), le juge ne relève pas « une carence caractérisée de l'université dans ses obligations à l'égard d'un étudiant handicapé ».

(20 septembre 2018, Mme X., n° 423727)

 

55 - Article L. 521-4 CJA : abrogation ou modification de mesures antérieures ordonnées en référé – Action fondée sur cette disposition – Absence de décision antérieurement rendue par le juge des référés – Irrecevabilité.

Un requérant qui n’a pas, d’abord, saisi le juge des référés à un titre quelconque, ne peut user de la procédure de l’art. L. 521-4 CJA laquelle ne tend qu’à obtenir du juge des référés, à tout moment, la modification ou la cessation des mesures qu’il avait ordonnées.

(20 septembre 2018, M. X., n° 423970)

 

56 - Urbanisme commercial – Création d’un ensemble commercial – Refus de la commission nationale d’aménagement commercial – Annulation de ce refus – Conséquences à tirer concernant une nouvelle saisine de la commission nationale - Pourvoi.

La société Les Peupliers est autorisée par la commission départementale d’aménagement commercial à créer un ensemble commercial. Sur recours d’autres sociétés dont la société Casino, portés devant la commission nationale d’aménagement commercial, cette dernière, se substituant à la commission départementale, a rejeté la demande de la société Les Peupliers. Celle-ci saisit la cour administrative d’appel d’une demande d’annulation et, conséquemment, d’une injonction à la commission nationale de réexaminer sa demande d’autorisation. Cette double demande est acceptée par la cour d’où le pourvoi de la société Casino.

Sur le premier aspect voir plus bas n° 62.

Concernant l’injonction de réexamen, les choses sont complexes. Par l'article 1er de son arrêt frappé de pourvoi la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé irrévocablement la décision de la commission nationale d'aménagement commercial. Ceci a eu pour effet de saisir à nouveau cette commission des recours administratifs introduits, devant elle, contre la décision de la commission départementale d'aménagement commercial. Or la commission nationale a examiné à nouveau les recours des sociétés Distribution Casino France, Passag et Pydaust dirigés contre cette décision et les a rejetés. Cependant, des termes mêmes de cette décision de rejet il ressort que la nouvelle décision de la commission nationale, qui n’est prise que pour l'exécution de l'arrêt de la cour administrative d'appel, n’a rejeté, pour irrecevabilité, le recours administratif de la société Distribution Casino France qu’en se fondant sur l'autorité de la chose jugée par la cour administrative d'appel.

Comme la présente décision du Conseil d’État annule l'article 2 de l'arrêt de la cour il appartient désormais à la commission nationale d'examiner à nouveau la recevabilité du recours de la société Distribution Casino France et, dans l'hypothèse où elle le jugerait recevable, de retirer sa décision précédente et de se prononcer à nouveau sur la demande de la société Les Peupliers, dans un délai de quatre mois à compter de la décision du Conseil d’État.

(26 septembre 2018, Société Distribution Casino France, n° 402275)

 

Santé publique

 

57 - Procréation médicalement assistée – Caractère thérapeutique ou médical – Possibilité pour les couples composés d’un homme et d’une femme – Prohibition pour couples composés de personnes de même sexe – Solution en rapport direct avec l’objet de la loi – Absence d’atteinte au principe d’égalité – Refus de renvoi d’une QPC.

Un couple monosexué soulève une QPC à l’encontre de l’art. L. 2141-2 du code de la santé publique en ce que, réservant le recours à l’assistance médicale à la procréation aux seuls couples composés d’un homme et d’une femme, il porterait atteinte au principe d’égalité. Sa demande n’est pas admise.

Le Conseil d’État rappelle, rejetant l’idée qu’il s’agisse en l’espèce d’une quelconque liberté, que la PMA ne concerne que « des couples composés d'un homme et d'une femme, vivants, en âge de procréer et souffrant d'une infertilité médicalement diagnostiquée » car « le législateur a entendu que l'assistance médicale à la procréation ait pour objet de remédier à l'infertilité pathologique d'un couple sans laquelle celui-ci serait en capacité de procréer ». À l’évidence, tel n’est pas le cas du couple en question dont l’infertilité n’est pas subie mais voulue culturellement, ce qui ne saurait relever d’un traitement de santé publique.

(28 septembre 2018, Mmes X. et Y., n° 421899)

 

Sport

 

58 - Sportif de haut niveau – Course de jet-ski « Karujet » – Contrôle antidopage positif – Sanction prononcée par l’Agence française de lutte contre le dopage – Incompétence – Condition d’urgence remplie eu égard aux effets immédiats de la décision – Suspension ordonnée.

Le requérant a participé à une course de jet-ski " Karujet ", à l’issue de laquelle il a fait l'objet d'un contrôle par l'Agence française de lutte contre le dopage, qui a révélé la présence dans ses urines de substances interdites en compétition. L’Agence a en conséquence, notamment, prononcé à son encontre une interdiction de participer pendant deux ans aux manifestations sportives organisées ou autorisées par divers organismes dont la Fédération française motonautique. M. X. a demandé au Conseil d’État l’annulation de cette décision et, à son juge des référés, la suspension de celle-ci. Le juge des référés accède à cette dernière demande car elle satisfait aux deux conditions : existence d’un doute sérieux sur la légalité de la décision et urgence.

Pour dire qu’existe en l’espèce un doute sérieux, le juge relève que l’intéressé était licencié de la Fédération française motonautique, que la compétition de jet-ski « Karujet » en cause a été organisée sous son égide, tous les participants étant obligatoirement licenciés auprès d’elle, et qu’enfin cette fédération, pourtant mentionnée dans l'ordre de mission confié à la personne chargée du contrôle comme « autorité de gestion des résultats », n'a jamais été rendue destinataire desdits résultats, et n'a donc pas pu engager de procédure disciplinaire à l'encontre de son licencié. C’est donc en violation des dispositions des art. L. 232-21 et L. 232-22 du code du sport que l'Agence française de lutte contre le dopage a pris la décision de sanctionner le requérant. Cette incompétence est de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.  

Pour apprécier la condition d’urgence, le juge accepte l’argumentation du demandeur selon laquelle la décision litigieuse, en empêchant M. X., vainqueur en 2017 et en 2018 de plusieurs championnats de France et d'Europe, de participer aux très prochaines manches de ces compétitions, risque de lui faire perdre l'aide financière de ses sponsors, aide nécessaire à l'exercice à haut niveau du sport mécanique qu'il pratique : la condition d'urgence est remplie. 

(12 septembre 2018, M. X., n° 423636)

 

59 - Dopage d’une athlète – Sanction par l’Agence de lutte contre le dopage – Interdiction de participer pendant quatre ans aux manifestations organisées par diverses fédérations sportives – Contestation de la procédure suivie et de l’importance de la sanction – Rejet.

Athlète sanctionnée pour dopage, Mme X. conteste tant la procédure suivie que le quantum de la sanction infligée : aucun de ses arguments n’est retenu par le juge.

La non fiabilité du contrôle pratiqué n’est qu’une allégation non étayée et l’irrégularité de la procédure disciplinaire suivie est controuvée par les faits et délais de l’espèce.

Quant au bien-fondé de la sanction, il n’y a pas lieu à critique dans la mesure où l’intention frauduleuse est avérée et où l’intéressée avait déjà été sanctionnée, pour le même motif, par la fédération russe d’athlétisme.

(24 septembre 2018, Mme X., n° 416210)

 

60 - Dopage d’un joueur de rugby – Sanction par l’Agence antidopage – Publication de cette sanction dans divers medias (site internet de l’Agence, bulletin officiel du ministère des sports, supports de communication des fédérations concernées) – Déclaration d’inconstitutionnalité du 3° de l’art. L. 232-22 du code du sport – Conséquences – Application au cas de l’espèce – Obligation d’insérer dans tous les supports de communication visés l’annulation de la décision de l’Agence par le Conseil d’État.

Un joueur de rugby à XIII est sanctionné d’une interdiction de participer pendant un an aux compétitions organisées par diverses fédérations sportives pour avoir consommé des substances prohibées retrouvées dans ses urines. En outre, est ordonnée la publication de cette sanction dans plusieurs supports de communication (site internet de l’Agence de lutte contre le dopage, insertion dans le bulletin officiel du ministère des sports, publication dans tous les supports de communication des fédérations sportives concernées). Le rugbyman saisit le Conseil d’État en annulation de la sanction et de la décision ordonnant sa publication.

Le Conseil d’État, comme il l’a déjà jugé à plusieurs reprises (v. par ex. le n° 114 de la Sélection de jurisprudence de juillet-août 2018), relève que le Conseil constitutionnel (décision n° 2017-688 QPC du 2 février 2018) a déclaré inconstitutionnel le 3° de l’art. L. 232-22 du code du sport sur le fondement duquel a été organisée la procédure de sanction du requérant. L’Agence s’est donc irrégulièrement saisie de ce dossier et sa sanction est frappée de nullité.

De plus, pour la pleine efficacité et la complète exécution de sa décision le Conseil d’État ordonne que soit insérée, dans les mêmes conditions, sur le site internet de l'Agence et dans les autres publications visées par la décision annulée, une mention indiquant que la décision de l'Agence a été annulée par la présente décision du Conseil d'État.

(24 septembre 2018, M. X., n° 416526)

 

Urbanisme

 

61 - Permis de construire ou déclaration de travaux – Absence – Caractère infractif – Régimes distincts de prescription au bout de dix ans – Inégalité – Transmission de la sanction pour défaut de permis initial à l’acquéreur de bonne foi – Invocation d’une atteinte inconstitutionnelle au droit de propriété – Rejet.

Le code de l’urbanisme contient une disposition (art. L. 421-9, ancien art. L. 111-12) selon laquelle : « Lorsqu'une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus de permis de construire ou de déclaration de travaux ne peut être fondé sur l'irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l'urbanisme. Les dispositions du premier alinéa ne sont pas applicables : (...)

e) Lorsque la construction a été réalisée sans permis de construire ;

 (...) ".

Il en résulte que si peuvent bénéficier de cette prescription administrative les travaux réalisés sans déclaration préalable de travaux, depuis plus de dix ans, lors de la construction primitive ou à l'occasion des modifications apportées à celle-ci, ce n’est pas le cas de ceux réalisés, même depuis plus de dix ans, sans permis de construire.

Le requérant voit dans ces dispositions telles qu’interprétées par le Conseil d’État, une atteinte disproportionnée à l'exercice du droit constitutionnel de propriété (art. 2 DDHC de 1789), car elles ont pour effet de priver une personne ayant acquis un immeuble, lorsque ce dernier a fait l'objet, depuis plus de dix ans, de travaux effectués sans le permis de construire alors requis, de la possibilité de lui apporter des modifications. Ainsi, le propriétaire placé dans une telle situation se voit privé de jouir pleinement de son bien du fait d'agissements dont il n'est pas responsable et dont il ne pouvait raisonnablement avoir connaissance.

Le Conseil d’État rejette le recours en rappelant que le « droit de propriété implique le droit de jouir et de disposer librement de ses biens dans la mesure où il n'en est pas fait un usage prohibé par les lois ou les règlements qui l'encadrent ». C’est l’intérêt général de la maîtrise des sols et du développement urbain qui commande l’obligation d’obtention d’un permis de construire ou d’effectuer une déclaration des travaux. Si le législateur a fait choix de déroger à cet intérêt général pour protéger le droit de propriété lorsque plus de dix ans se sont écoulés depuis le défaut de déclaration préalable, il n’en résulte pas qu’en refusant cette solution dans le cas de construction ou travaux sans permis, il ait porté au droit de propriété une atteinte disproportionnée eu égard à la gravité d’un tel manquement.

Si l’on peut admettre ce raisonnement, il n’en reste pas moins qu’en l’espèce il ne répond pas à la question posée : qu’en est-il de l’acquéreur innocent d’un bien « vicié » ? La responsabilité de l’État ou de la commune pour avoir laissé transmettre ce bien sans information adéquate ? Celle du notaire, celle du vendeur pour autant qu’il soit solvable ?

(12 septembre 2018, M. X., n° 419093, v. aussi, du même jour, M. X., n° 419092)

 

62 - Urbanisme commercial – Création d’un ensemble commercial – Refus de la commission nationale d’aménagement commercial – Annulation de ce refus – Pourvoi.

La société Les Peupliers est autorisée par la commission départementale d’aménagement commercial à créer un ensemble commercial, sur recours d’autres sociétés, portés devant la commission nationale d’aménagement commercial, cette dernière, se substituant à la commission départementale, a rejeté la demande de la société Les Peupliers. Celle-ci saisit la cour administrative d’appel d’une demande d’annulation et, conséquemment, d’une injonction à la commission nationale de réexaminer sa demande d’autorisation. Cette double demande est acceptée par la cour d’où le pourvoi de la société Casino.

Le Conseil d’État estime que la commission ne pouvait refuser l’autorisation sollicitée que si sa réalisation avait pour effet de compromettre la réalisation des objectifs poursuivis par la loi de 1973 d’orientation du commerce et de l’artisanat. En jugeant que les nuisances et l’imperméabilisation du sol ne compromettaient pas ces objectifs compte tenu des mesures palliatives prises, la cour n’a commis ni erreur de droit ni pris une motivation insuffisante.

(26 septembre 2018, Société Distribution Casino France, n° 402275 ; pour un autre aspect, procédural, de cette affaire voir n° 56)

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