Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Juillet-Août 2018

 

Actes et décisions

 

1 - Motivation des actes – Avis défavorable du conseil d’administration d’une université – Motivation insuffisante car trop sommaire – Annulation – Obligation d’une nouvelle délibération.

Doit être considérée comme insuffisamment motivée la décision du conseil d’administration d’une université qui, pour émettre un avis défavorable à la candidature d’une personne classée première par le conseil académique, se borne à retenir que « le candidat classé en première position ne correspond pas au profil du poste publié ». On comprend que le candidat ainsi recalé ait éprouvé quelque difficulté à comprendre la raison de son échec...

(4 juillet 2018, M. X., n° 415574)

 

2 - Retrait d’une décision créatrice de droits avant l’expiration du délai de quatre mois – Annulation du retrait par le juge alors que l’acte aurait pu être légalement pris – Existence ou non d’un nouveau délai de retrait à partir de la notification du jugement d’annulation.

Saisi d’une demande d’avis de droit par le Tribunal administratif de Dijon, le Conseil d’État apporte plusieurs précisions importantes.

En principe, l'administration dispose d'un délai de quatre mois suivant la prise d'une décision créatrice de droits pour retirer cette décision.

Lorsqu'une décision créatrice de droits est retirée et que ce retrait est annulé par le juge, la décision initiale est rétablie à compter de la date de lecture de la décision juridictionnelle prononçant cette annulation.

Toutefois, répondant à une question particulière du tribunal sur ce point, le Conseil d’État indique qu’une telle annulation, d’une part, n'a pas pour effet d'ouvrir un nouveau délai de quatre mois pour retirer la décision initiale, alors même que celle-ci comporterait des irrégularités pouvant en justifier légalement le retrait et d’autre part, que le délai de recours contentieux court à nouveau à l'égard des tiers à compter de la date à laquelle la décision créatrice de droits ainsi rétablie fait à nouveau l'objet des formalités de publicité qui lui étaient applicables ou, si de telles formalités ne sont pas exigées, à compter de la date de notification du jugement d'annulation.

Enfin, lorsque l’auteur de la décision remise en vigueur par l’effet de l’annulation contentieuse est une autorité exécutive locale, celui-ci doit transmettre cette décision au représentant de l'État dans le département dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement d'annulation. Le préfet dispose alors de la possibilité de déférer au tribunal administratif la décision ainsi remise en vigueur du fait de cette annulation s'il l'estime contraire à la légalité, dans les conditions prévues à l'article L. 2131-6 du même code.

(26 juillet 2018, M. X., n° 419204)

 

3 - Silence valant rejet – Régime du 2° de l’art. L. 231-4 du code des relations du public avec l’administration – Silence gardé par la présidente de l’Autorité de la concurrence sur une demande d’agrément d’un repreneur présenté par une partie notifiante dans le cadre d’une opération de concentration – Décision implicite de rejet – Décision d’autorisation de concentration devenue définitive – Impossibilité d’invoquer son illégalité par voie d’exception – Nature d’acte individuel de la décision prise sur une demande d’agrément d’un repreneur individuel – Décision prise en application de l’autorisation de concentration qui est elle-même un acte individuel.

Dans une affaire relative à un refus de concentration opposé aux entreprises requérantes par l’Autorité de la concurrence, qui donne lieu à une très longue décision, se posaient diverses questions dont plusieurs sont relatives au régime des décisions administratives ou des actes administratifs unilatéraux. On en présente deux.

En premier lieu, le silence gardé pendant deux mois par  la présidente de l’Autorité de la concurrence sur une demande d’agrément d’un repreneur, dans le cadre d’une procédure de concentration, vaut rejet de celle-ci en vertu du 2° de l’art. L. 231-4 du code des relations du public avec l’administration selon lequel  le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet lorsque la demande ne s'inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire, ce qui est le cas en l’espèce.

En second lieu, la décision, même implicite, d’autorisation ou de refus d’autorisation d’une concentration a le caractère de décision individuelle tout comme la décision prise sur une demande d’agrément de repreneur. Il en résulte qu’à l’occasion de cette seconde décision il est impossible d’invoquer l’illégalité de la première par voie d’exception d’illégalité lorsqu’elle est devenue définitive.

(26 juillet 2018, Société Fnac Darty, n° 414654, et M. X. et sociétés Galeries Cardinet, Les 3 D et Terrada, n° 414689)

 

4 - Mise en garde du CSA adressée à une chaîne de télévision – Recours en annulation pour excès de pouvoir – Absence de caractère décisoire – Absence de caractère impératif – Production d’aucun effet de droit – Recours irrecevable.

Une chaîne de télévision demande l’annulation pour excès de pouvoir d’une mise en garde que lui a adressée le CSA à la suite de propos tenus dans une émission. Ayant relevé que cette mesure est simplement destinée à attirer l’attention des responsables sans produire aucun effet de droit, le juge en déduit qu’elle n’a donc pas le caractère d’une décision ; pas davantage ne peut-elle être susceptible de produire des effets notables ou d'influer de manière significative sur les comportements de la personne à laquelle il s'adresse. Aucun recours n’est, par suite, possible.

(26 juillet 2018, Groupe Canal Plus, n° 414333)

 

5 - Acte pris par une personne incompétente – Existence d’une autorité compétente – Détention d’une délégation de signature – Absence d’effet sur l’incompétence –Conséquence sur l’imposition contestée.

Était en cause le montant de la redevance pour création de locaux à usage de bureaux en Ile-de-France. Celui-ci a été fixé par une décision se présentant comme émanant du ministre de l'égalité des territoires et du logement et qui est signée par « la responsable du bureau coordination droit des sols et fiscalité ».

Or il résultait du code de l'urbanisme (article R. 520-6) que le directeur départemental de l'équipement était l’autorité compétente pour établir la redevance. Celle-ci a donc été prise en l’espèce par une autorité incompétente. La circonstance que la décision en question ait été signée par une personne ayant par ailleurs reçu délégation de signature du directeur départemental des territoires ne peut couvrir le vice d'incompétence qui l'entache. La décharge des cotisations d’impôt en litige est une conséquence inéluctable et automatique de cette incompétence.

(18 juillet 2018, Ministre du logement et de l’habitat durable, n° 400986)

 

6 - Décret n° 2018-487 du 15 juin 2018 relatif aux vitesses maximales autorisées des véhicules – Demande de suspension – Invocation de l’urgence à statuer – Décret rendu sur avis de la section des travaux publics du Conseil d’État – Moyen tiré du défaut de procès équitable – Rejet.

Cinquante-six députés ont saisi le Conseil d’État d’un référé tendant à la suspension de l’application du décret du 15 juin 2018 – pour une entrée en vigueur le 1er juillet 2018 - instaurant une limitation de la vitesse à 80km/h sur les routes bidirectionnelles à chaussée unique sans séparateur central, à l'exception des sections de ces routes comportant au moins deux voies affectées à un même sens de circulation pour lesquelles la vitesse maximale autorisée reste fixée à 90 km/h.

Parmi les arguments invoqués, figure celui, original, selon lequel l'égalité des armes entre les parties n’existerait pas devant le juge des référés saisi car le décret critiqué a été pris au vu d'un avis de la section des travaux publics du Conseil d'État, dont seul l'État – entendons, dans l’esprit des requérants, le seul pouvoir exécutif – a été le destinataire et qui n'a pas été communiqué aux requérants.

Le Conseil d’État, visiblement agacé, répond que « en tout état de cause », « les requérants n'ont formulé aucun moyen, assorti des précisions permettant d'en examiner le bien-fondé, relatif à la consultation préalable du Conseil d'État », d’où le rejet de la demande de référé dont il a, plus haut dans sa décision, relevé qu’elle ne satisfaisait pas à la condition d’urgence. Ce seul motif suffisait pour rejeter le recours en référé et le Conseil aurait pu en rester là, s’épargnant une passe d’armes toujours risquée avec un législateur s’estimant malmené.

 (25 juillet 2018, M. et Mmes X., parlementaires, n° 421816 et n° 422147 ; v. aussi, encore plus acide dans le rejet : M. X., n° 421704)

 

7 - Actes des autorités de régulation – Mesures prises par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (C.S.A.) – Droit souple – Conditions et étendue du contrôle du juge.

Ces arrêts joints font application de la célèbre jurisprudence Fairvesta international GMBH (Assemblée, 21 mars 2016, et, du même jour : Société NC Numéricable). Selon celle-ci, les actes de droit souple pris par les organismes de régulation peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir lorsqu’ils sont de nature soit à avoir des effets significatifs, soit à influer directement leurs destinataires dans leurs actes ou attitudes.

Le juge exerce en ce cas un contrôle d’intensité et d’effets variables selon le contenu et les effets des actes critiqués, l’argumentation développée devant lui par les requérants et l’étendue du pouvoir d’appréciation attribué par la loi à l’autorité dont l’acte est discuté au contentieux. Illustration ici.

(18 juillet 2018, Société SERC Fun Radio, n° 410896 ; Sociétés Lagardère Active Broadcast, Europe 2 Entreprises et RFM Entreprises, n° 410963 ; Syndicat des radios indépendantes (SIRTI), n° 412296 ; Société NRJ, n° 414742)

 

8 - Mise en demeure du CSA – Obligation de respecter l’obligation de diffusion d'œuvres musicales d'expression française ou interprétées dans une langue régionale en usage en France – Non-respect par la société requérante – Notion de musique de variétés – Musiques ne présentant pas ce caractère : musiques urbaines appartenant aux genres spécialisés R'n'B et Hip-Hop – Respect du principe de légalité des délits et des peines applicable notamment devant les organismes administratifs dotés d'un pouvoir de sanction.

La Société Swigg FM demande l’annulation de la mise en demeure, qui lui a été adressée par le CSA, de respecter ses obligations de diffusion d'œuvres musicales d'expression française ou interprétées dans une langue régionale en usage en France.

Le pouvoir de mettre en demeure appartient au CSA en vertu de la loi et des dispositions de la convention liant le CSA aux opérateurs.

Ici, la mise en demeure est fondée sur le non-respect par Swigg FM du quota de diffusion de la musique de variétés sur lequel elle s’était engagée, le CSA estimant que ne pouvaient être considérées comme une musique de variété les « musiques urbaines appartenant aux genres spécialisés R'n'B et Hip-Hop ».

Le Conseil d’État considère que l’expression « musique de variétés » n’est pas imprécise contrairement à ce que soutient la société requérante : elle désigne « l'ensemble de la chanson populaire et de divertissement accessible à un large public, par opposition, notamment, à l'art lyrique et au chant du répertoire savant ». Ainsi, en prenant la mise en demeure litigieuse le CSA n’a pas porté atteinte au principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines qui s'applique notamment devant les organismes administratifs dotés d'un pouvoir de sanction.

Par ailleurs, il ne saurait être reproché au CSA de n’avoir pas retranché, pour apprécier le non-respect de ses engagements contractuels par la demanderesse, les diffusions excédentaires du total des diffusions qui figure au dénominateur servant au calcul du quota, car c’est la règle même posée au 2° bis de l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée.

Enfin, est inopérant le moyen tiré de ce que la mise en demeure attaquée revêtirait un caractère disproportionné eu égard aux manquements reprochés à la société requérante car elle ne constitue pas une sanction ayant le caractère d'une punition.

(18 juillet 2018, Société Swigg FM, n° 414527 ; v., du même jour, comparables :

Société Ouï FM, n° 414760 ; Société Europe 2, n° 410964 ; Société SERC Fun Radio, n° 411140 ; Société Wit FM, n° 412866 ; Société Ado FM puis la société Swigg FM, venue aux droits de la société Ado FM, n° 412867 ; Société ECN Diffusion, n° 414759 ; également, du même jour, à propos d’une mise en garde et d’une communication, respectivement, du président du CSA et du CSA lui-même : Société NRJ, n° 410690)

 

9 - Validation législative – Conditions de validation des années d’études d’infirmière – Motif impérieux d’intérêt général.

Cette décision constitue un très bon exemple de « motif impérieux d’intérêt général » justifiant le vote d’une loi de validation rétroactive sans que puisse être opposé le droit à un procès équitable et à un recours effectif.

(18 juillet 2018, CHU de Strasbourg, n° 414912)

 

10 - Circulaires et instructions administratives – Actes non décisoires sauf caractère impératif – Absence ici – Recours en annulation irrecevable.

L’association requérante sollicitait l’annulation d’une instruction ministérielle du 29 mars 2017 relative à la politique de réduction des pratiques d'isolement et de contention au sein des établissements de santé autorisés en psychiatrie et désignés par le directeur général de l'agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement. Elle invoquait le fait que cette instruction ne prévoit ni une procédure contradictoire préalable à l'édiction des décisions de recourir à l'isolement ou à la contention d'une personne faisant l'objet de soins psychiatriques sans consentement, qui permettrait à la personne concernée ou à son avocat de présenter des observations, ni non plus un contrôle juridictionnel spécifique.

Après avoir rappelé qu’en principe les circulaires, instructions et autres – sauf si elles comportent des dispositions impératives - ne sauraient normalement pas faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir puisque, étant sans portée décisoire, elles n’affectent point l’ordonnancement juridique, le Conseil d’État vérifie ce qu’il en est en l’espèce. Constatant que l’instruction attaquée ne précise pas la procédure à suivre pour prendre des mesures d'isolement ou de contention et ne comporte aucune indication quant à la possibilité de les contester par un recours juridictionnel, il juge qu’elle ne peut qu'être regardée comme dénuée de caractère impératif sur ces points, il rejette le recours.

(12 juillet 2018, Association Cercle de réflexion et de proposition d'action sur la psychiatrie, n° 412639)

 

11 - Prime au maintien d’un troupeau de vaches allaitantes – Conditions d’octroi et de retrait – Régime spécifique au droit de l’UE – Refus de contrôle – Absence du bénéficiaire des primes – Refus opposé par un « représentant » de celle-ci – Notion européenne de représentant – Absence de vérification de cette qualité en l’espèce – Annulation de la décision de déchéance des droits à prime.

Bénéficiaire de primes pour maintien d’un troupeau de vaches allaitantes, la requérante a fait l’objet - alors qu’elle était absente - d’un contrôle inopiné qui aurait été refusé par son « représentant » sur place. Le Préfet l’a donc déchue de ses droits à prime. Après avoir vu sa demande rejetée en première instance et en appel, elle saisit le Conseil d’État en sa qualité de juge de cassation. Celui-ci va lui donner raison.

Les primes en question, de nature européenne, sont régies par le droit de l’Union. Celui-ci sanctionne notamment les refus de contrôle opposés par le bénéficiaire des primes ou son représentant. Cette dernière qualité est une notion propre à ce droit et doit donc être appréhendée comme telle. Le Conseil reproche aux juges du fond de n’avoir pas recherché - contrairement à ce qu’exige la jurisprudence de la CJUE (C- 536/09, 16 juin 2011, Marisa Omejc) -, d’une part, si la requérante pouvait être regardée comme ayant exprimé sa volonté de donner mandat au prétendu « représentant » préalablement au contrôle et d’autre part, si celui-ci pouvait être regardé comme résidant dans l'exploitation agricole de celle-ci dont il aurait eu une partie de la gestion. D’où la censure pour erreur de droit.

(5 juillet 2018, Mme X., n° 407084 et n° 407086 ; v. aussi 5 juillet 2018, M. X., n° 407085 où il est jugé que dénature les faits de l’espèce l’arrêt qui, pour juger que l’intéressé a empêché la réalisation du contrôle, a notamment relevé que les agents chargés du contrôle avaient rencontré le requérant à son domicile le jour de ce contrôle, alors qu’il ne résulte d’aucune pièce du dossier qu’une telle rencontre ait eu lieu)

 

12 - Commission européenne – Comité permanent des végétaux, animaux, denrées alimentaires et aliments pour animaux siégeant auprès de la Commission européenne – Demande de communication de la position de la France au sein de ce Comité sur le sulfoxaflor et le flupyradifurone, deux substances actives néonicotinoïdes – Acte relatif à la conduite des relations extérieures de la France – Refus implicite de communication – Refus justifié.

L’Association requérante demande au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt que lui soit communiquée la position française au sein du Comité permanent des végétaux, animaux, denrées alimentaires et aliments pour animaux – qui siège auprès de la Commission européenne - sur le sulfoxaflor et le flupyradifurone, lesquels sont deux substances actives néonicotinoïdes. Elle saisit en vain le tribunal administratif d’un recours dirigé contre le refus implicite de ce ministre de communiquer l’information sollicitée. Elle se pourvoit devant le Conseil d’État qui confirme ce jugement par le motif suivant. Le juge relève que si l’art. 7 de la Charte de l’environnement et l’art. L. 124-1 du code de l’environnement reconnaissent à toute personne un droit d’information en matière environnementale, le II de l’art. L. 124-5 du même code fait exception à ce droit lorsque la demande d’information « porte atteinte : 1°/ A la conduite de la politique extérieure de la France (…) ».

En l’espèce, il estime que « La position exprimée par le représentant du gouvernement français au sein d'un tel comité a trait aux négociations menées par la France au sein des institutions de l'Union européenne. Par suite, en considérant que la communication de la position de la France au sein du Comité permanent des végétaux, animaux, denrées alimentaires et aliments pour animaux sur le sulfoxaflor et le flupyradifurone relevait de la conduite de la politique extérieure de la France au sens des dispositions (…) du II de l'article L. 124-5 du code de l'environnement, et en en déduisant que l'administration pouvait légalement, après avoir apprécié, comme elle était tenue de la faire en vertu de l'article L. 124-4 du code de l'environnement, l'intérêt d'une communication, opposer ce motif pour la refuser, le tribunal administratif de Paris n'a entaché son jugement, (…) ni d'erreur de droit ni d'inexacte qualification juridique des faits. »

Une telle motivation fait remonter le temps avant les années 1970 où l’attitude du juge était souvent pleine de révérence cérémonieuse envers le pouvoir exécutif : apercevoir dans la position de l’État sur l’utilisation de deux produits chimiques dont aucun ne relève d’un quelconque secret, une information d’une nature telle qu’elle puisse être cachée aux citoyens semble une regrettable régression dont il n’est d’ailleurs pas sûr qu’elle reçoive l’approbation des juridictions internationales.

 (11 juillet 2018, Union nationale de l'apiculture française (UNAF), n° 412139)

 

13 - Ordonnance de l’article 38 de la Constitution – Ratification par la loi – Effets – Prétendue atteinte portée par l’ordonnance aux droits et libertés garantis par la Constitution ou aux engagements internationaux de la France – Impossibilité.

Rappel d’une solution constante. La ratification d’une ordonnance de l’art. 38 de la Constitution lui confère rétroactivement valeur législative à compter de sa signature. Il en résulte que le juge administratif, qui n’est pas le juge de la loi, est incompétent pour connaître de tout recours dirigé contre une ordonnance ratifiée.

Semblablement, ne saurait être admis ni un recours en QPC ni un recours en inconventionnalité contre une telle ordonnance. La requérante est renvoyée à se mieux pourvoir en contestant, sur ces bases, l’application des dispositions ratifiées.

(6 juillet 2018, Union départementale des syndicats Force ouvrière d'Indre-et-Loire, n° 416945)

 

14 - Répartition des compétences entre la loi et le règlement (art. 34 et 37 de la Constitution) – Compétence législative s’agissant des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques – Libre exercice d'une activité professionnelle – Principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de la sécurité sociale et de l'aide sociale – Nature législative du principe de l'encadrement du régime financier et de la tarification des personnes morales de droit privé gérant des établissements et services intervenant dans le champ de l'action sociale – Nature réglementaire de la mise en œuvre des règles posées par le législateur.

Les départements requérants demandaient l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 21 décembre 2016 relatif aux principes généraux de la tarification, au forfait global de soins, au forfait global dépendance et aux tarifs journaliers des établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes relevant du I et du II de l'article L. 313-12 du code de l'action sociale et des familles. 

Était notamment critiquée l’atteinte portée par ce texte à divers principes ou règles relevant de la loi : libre exercice d’une activité professionnelle, libre administration des collectivités territoriales, encadrement du régime financier et de la tarification des personnes morales de droit privé gérant des établissements et services intervenant dans le champ de l'action sociale, définition, avec une précision suffisante quant à leur objet et à leur portée, des catégories de dépenses qui revêtent pour une collectivité territoriale un caractère obligatoire, tels certains des frais exposés par les personnes accueillies dans des établissements et services relevant du champ de l'action sociale, qu'ils soient gérés par des personnes morales de droit privé ou de droit public, etc.

Pour rejeter l’ensemble des moyens des deux requêtes jointes, le Conseil d’État, tout en admettant que relèvent bien de la loi les principes et règles invoqués par les requérants, adopte une unique ligne argumentative. Tous les éléments que fixe le décret litigieux se situent dans le cadre des limites légales et n’ont été réglementés qu’en exécution de prescriptions ou d’indications  législatives qu’il s’agisse des modalités de calcul du forfait global relatif à la dépendance, lequel combine le niveau moyen de perte d'autonomie des personnes hébergées avec  la valeur du " point GIR " départemental, fixée chaque année par le président du conseil départemental, de la prise en compte uniforme du coût de la dépendance au sein de chaque département, de la fixation d'un unique " point GIR " départemental sans distinction selon le statut des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes et les charges qui en découlent ou encore des règles de modulation du forfait global relatif à la dépendance en fonction de l'activité réalisée. Le pouvoir réglementaire est donc resté dans les limites de son domaine matériel de compé tence ce qui entraîne le rejet du recours.

(9 juillet 2018, département du Val-d’Oise et autres, n° 407426 et n° 408292)

 

Autorités administratives et de régulation

 

15 - Haute autorité de santé (HAS) – Principe d’impartialité – Désignation de ses membres – Prise de position publique d’un membre – Abstention de siéger – Déclaration d’intérêts – Conflit d’intérêts.

La Fédération des médecins de France demande l’annulation du décret du 7 avril 2017 portant nomination du président et des membres du collège de la Haute Autorité de santé : elle invoque plusieurs griefs à l’encontre de la nomination de M. X., tous rejetés par le juge.

Le risque de partialité d’abord : mais le Conseil d’État rappelle qu’il résulte de la loi du 20 janvier 2017 (art. 9) que le principe d’impartialité n'est applicable qu'aux déclarations faites par les membres postérieurement à leur nomination et que, s’agissant de déclarations ou prises de positions publiques antérieures, celles-ci ne sont susceptibles d’être retenues que dans le cas où elles seraient incompatibles avec le bon fonctionnement de cette autorité.

La détention d’intérêts entrant dans le champ de compétence de la HAS, ensuite : la Fédération requérante soutient que M. X. participait avant sa nomination au conseil d'administration d'une fondation d'entreprise créée par un laboratoire pharmaceutique ce qui est de nature à créer un conflit d’intérêts. Il lui est répondu qu’il existe à cela trois voies de solution : la déclaration d’intérêts faite au moment de la nomination, la possibilité de se défaire de(s) (l’)intérêt(s) litigieux dans les trois mois de la nomination s'il(s) est(sont) de nature à compromettre l'indépendance du membre du collège concerné et, enfin,  la faculté de se déporter lors de certains votes ou prises de décisions

Le Conseil d’État conclut : « Il suit de là que la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait les principes d'indépendance et d'impartialité du fait des prises de position passées de M.X., des intérêts qu'il détient ou a détenus et des omissions réelles ou supposées des déclarations d'intérêts qu'il a souscrites. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que, pour les mêmes motifs, et alors que les omissions relevées par la requérante dans la déclaration d'intérêts faite par M. X. le 6 avril 2017 ne révèlent pas une volonté de sa part de dissimuler des situations de conflits d'intérêts, le décret attaqué serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il le nomme membre du collège de la Haute Autorité de santé. »

(18 juillet 2018, Fédération des médecins de France (FMF), n° 411345)

 

Biens

 

16 - Biens et effets des personnes détenues – Transfert entre deux centres pénitentiaires – Pertes d’objets et effets – Responsabilité de l’État en cas de faute – Défaut d’établissement d’un inventaire des biens, objets et effets – Faute – Obligation de réparer.

Lors d’un transfèrement entre deux établissements pénitentiaires et alors qu’il était en transit dans un troisième, un détenu se plaint de la perte d’objets et effets personnels. La cour administrative constate un défaut de surveillance et accorde seulement une indemnité de 17,60 euros car aucun inventaire des biens de l’intéressé n’avait été effectué lors de son transfert. Précisément, le Conseil d’État reproche à la cour – et doit être approuvé en cela – de n’avoir pas jugé que le défaut d’établissement d’un inventaire constituait en soi une faute de l’administration pénitentiaire d’autant plus regrettable qu’elle empêchait le détenu d’établir la réalité des pertes qu’il alléguait.

(11 juillet 2018, M. X., n° 413621)

 

17 - Occupation illicite du domaine public – Domaine public ferroviaire – Référé mesures utiles (art. L. 521-3 CJA) – Demande d’autorisation d’expulsion – Expulsion par la société demanderesse ou par la force publique – Compétence juridictionnelle – Contrat de droit privé – Dépendance du domaine public.

Un contrat est conclu entre une société privée commerciale et la société, également privée, d’aménagement et de valorisation de la gare Saint-Lazare (SOAVAL). Invoquant le caractère illégal de l’occupation, la SOAVAL a sollicité du juge administratif des référés qu’il ordonne l’expulsion de l’occupante irrégulière. Cela lui est refusé au motif, d’une part que le contrat liant les deux sociétés est un contrat de droit privé, d’autre part que la SOAVAL n’établit pas agir pour le compte d’une personne publique. En conséquence, la juridiction administrative n’est pas compétente pour connaître de la demande dont elle a été saisie. La SOAVAL saisit le Conseil d’Etat. Celui-ci rappelle : « Si le juge judiciaire est compétent pour connaître des litiges nés d'un contrat de droit privé passé entre une personne privée occupante du domaine public, qui n'est pas délégataire de service public ou qui n'agit pas pour le compte d'une personne publique, et une autre personne privée, même si ce contrat comporte occupation du domaine public, il n'appartient qu'au juge administratif de se prononcer sur les demandes par lesquelles le propriétaire ou le gestionnaire du domaine public  lui demande l'expulsion de l'occupant irrégulier de ce domaine, quelle que soit la nature du titre dont cet occupant était, le cas échéant, titulaire et qui, antérieurement à son extinction, en permettait l'occupation régulière. »

En l’espèce, il est évident que les parcelles en cause font partie du domaine public ferroviaire, d’où l’annulation du jugement de rejet. Par ailleurs, il résulte bien des pièces du dossier que la SOAVAL a la qualité de gestionnaire du domaine public, que la société privée est occupante irrégulière et que son occupation empêche l’installation d’une autre société bénéficiaire d’un contrat de sous-occupation. L’urgence est bien constituée et le Conseil d’Etat enjoint la libération des lieux sous quinzaine et, passé ce délai, sous astreinte. En revanche, il rejette la demande de concours de la force publique, celle-ci devant être adressée à l’administration, non au juge.

(26 juillet 2018, Société d'aménagement et de valorisation de la gare Saint-Lazare, n° 419375 et n° 418417 et 418938)

 

Collectivités territoriales

 

18 - Dettes d’une collectivité territoriale – Accord d’échelonnement entre une commune et un département – Inexécution partielle de l’accord – Demande de mandatement d’office (art. 1612-16 CGCT) – Silence du préfet – Réclamation financière à l’État pour faute lourde – Silence du préfet – Saisines successives des juridictions administratives : refus puis reconnaissance d’une faute lourde – Annulations partielles par le Conseil d’État.

Il s’agit d’une affaire assez complexe.

Le département des Bouches-du-Rhône et la ville de Marseille concluent un accord de partenariat en vue de l’échelonnement du paiement par la ville d’importantes dettes non encore acquittées par elle. La ville n’ayant que partiellement respecté cet échéancier, le département a demandé au Préfet de mandater d’office la somme litigieuse (environ trente millions d’euros), puis, devant le silence de ce dernier, a saisi le juge d’une action en responsabilité pour faute lourde de l’État. Le TA et la cour administrative ont rejeté cette action ; sur pourvoi, l’arrêt est cassé par le Conseil d’État. Sur renvoi, la cour administrative, inversant pour l’essentiel son précédent arrêt, décide notamment d’annuler le jugement du TA de Marseille, de condamner l'État, pour faute lourde, à verser au département la somme de 25 503 708 euros avec intérêts au taux légal.

Contre cet arrêt, le ministre de l’intérieur se pourvoit en cassation.

Admettant ce pourvoi, le Conseil d’État juge que c’est par erreur de droit que la cour, pour condamner l’État, a estimé que les échéances fixées par l'accord de partenariat du 13 janvier 2000 entre la ville et le département revêtaient le caractère d'une dépense obligatoire et que les créances de ce dernier correspondaient à des dettes échues, certaines, liquides et non sérieusement contestées ni dans leur principe, ni dans leur montant. Précisément, le Conseil d’État reproche à ce raisonnement de n’avoir pas tenu compte d’un différend persistant entre les deux collectivités sur l’économie générale de leur accord. Ainsi, la dette litigieuse ne pouvait pas être qualifiée de « certaine » et le refus du préfet de la mandater d’office ne pouvait, par suite, constituer une faute lourde qui eût été seule de nature à justifier la mise en jeu de la responsabilité de l’État. Enfin, rétablissant le jugement du tribunal administratif de Marseille, le Conseil d’État juge que l’accord de partenariat conclu entre les collectivités en litige n’avait pas pu remettre en cause ni le principe même des dettes litigieuses ni leur montant qui découlaient de la loi.

(5 juillet 2018, Ministre de l’intérieur, n° 406671)

 

19 - Adjoint au maire – Retrait de délégation de fonctions d’un adjoint – Vote du conseil municipal mettant fin aux fonctions d’un adjoint - Illégalité fautive – Demande de réparation des préjudices financier et moral – Rejet si une décision régulièrement prise aurait été identique à la décision irrégulière.

Un adjoint au maire s’étant vu retirer sa délégation, il sollicite l’annulation de cette décision et de la délibération du conseil municipal ainsi que sa réintégration et l’octroi d’une somme en réparation des préjudices subis. Débouté en première instance, il obtient partiellement gain de cause en appel, d’où le pourvoi en cassation de la commune.

Le Conseil d’État approuve la cour administrative d’appel d’avoir jugé irrégulier le vote du conseil municipal se prononçant sur le maintien en fonctions de l’adjoint car celui-ci s’est déroulé à bulletin secret. En effet, le principe est celui du caractère public des votes du conseil municipal sauf disposition expresse contraire. Si s’agissant de la nomination d’un adjoint un vote à bulletin secret est indispensable, il n’en va pas de même du vote sur le maintien de celui-ci dans ses fonctions : en ce cas le vote est public. Par ailleurs, dans tous les cas de vote public il peut cependant être procédé par bulletin secret à la demande d’un tiers au moins des conseillers municipaux. En l’espèce, ce ne fut pas le cas et le vote était donc irrégulier. Ici le Conseil d’État retient un subtil raisonnement. D’un côté, ce vote illégal - qui ne constitue pas une procédure administrative préalable mais la décision elle-même - est entaché, comme il a été jugé par la cour, d’une irrégularité substantielle entraînant par là-même l’illégalité de la délibération, d’un autre côté, et contrairement à ce qu’a jugé la cour, le Conseil d’État estime que si l'intervention d'une décision illégale peut constituer une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'administration, elle ne saurait donner lieu à réparation si, dans le cas d'une procédure régulière, la même décision aurait pu légalement être prise. Or il ne résulte pas de l'instruction qu'un vote public aurait donné un résultat différent de celui qui a eu lieu en l’espèce. C’est donc à tort que la cour a accueilli la demande indemnitaire du requérant. Le raisonnement purement hypothétique du juge, surtout dans ces conditions et dans une telle matière, surprend.

(5 juillet 2018, Commune de Mantes-la-Jolie, n° 412721)

 

20 - Collectivités territoriales – Calcul de la dotation de compensation – Minoration de son montant par soustraction du produit de la taxe sur les surfaces commerciales perçue au profit de l'Etat – Demande d’indemnisation – Loi de finances pour 2015 non rétroactive – Loi de finances rectificative pour 2016 validant rétroactivement la période non couverte par la loi de 2015 sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée – Méconnaissance de la convention EDH – Rejet.

La communauté d’agglomération de Nevers réclame réparation à l’Etat d’un préjudice de plus de trois millions d’euros que lui aurait causé la minoration de ses dotations de compensation à hauteur du montant du produit de la taxe sur les surfaces commerciales perçue au profit de l'Etat, pour les années 2012, 2013 et 2014. Accueillie en première instance son action est rejetée en appel. La communauté d’agglomération se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’Etat relève – par une interprétation très restrictive de ses termes - que la loi de finances pour 2015, en son article 114 a supprimé, sans rétroactivité, les mots « en 2011 » et que, contrairement à ce qu’a jugé la cour administrative d’appel, cette disposition n’a pas pu concerner les années en litige. L’arrêté préfectoral opérant la déduction litigieuse est donc illégal. Après cassation de l’arrêt il se prononce au fond.

Las, pour la requérante, la loi de finances rectificative pour 2016 a validé rétroactivement la période non couverte par la loi de 2015 sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée.  Certes, la requérante invoquait la violation par cette dernière loi de l’art. 6§1 de la convention EDH et de l’art. 1er du premier protocole additionnel à celle-ci (sur la garantie des biens) mais le Conseil d’Etat écarte ce moyen motif pris qu’il ne serait pas « assorti des précisions suffisantes pour permettre d'en apprécier le bien-fondé », ce qui n’est pas très élégant intellectuellement puisque chacun sait ce qu’impliquent ces dispositons tant au regard du droit à recours effectif s’agissant de lois rétroactives dépourvues d’intérêt général (quoi qu’en dise, sous forme de pétition de principe, la décision du même jour sur le même sujet : Communauté d'agglomération Mâconnais-Val de Saône, n° 408169) qu’au regard de la protection des biens, ce qu’est assurément une somme de trois millions quarante mille euros environ.

La communauté d’agglomération de Nevers avait raison mais elle a perdu cette somme, le préfet avait tort mais il a gagné. Laissons le mot de la fin à Pascal : « Plaisante justice… » même si ici ne sont en caue ni les Pyrénées ni non plus aucune rivière…

 (2 août 2018, Communauté d’agglomération de Nevers, n° 408050 ; v. aussi, du même jour et dans le même sens : Commune de Sens, n° 408173 ; Communauté d’agglomération Beaune Côte et Sud, n° 408184)

 

21 - Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) – Régime des maires et adjoints applicable aux présidents et aux membres de l’organe délibérant des EPCI – Délégation de la faculté d’ester en justice – Régime.

Dans le cadre d’une action en responsabilité pour dommages survenus à une piscine publique, était contesté le pouvoir d’ester en justice du président d‘une intercommunalité. Le juge rappelle à cette occasion qu’il résulte de l’alignement - opéré par le CGCT (art. L. 5211-2, 5211-9 et 5211-10 CGCT) - du régime applicable au président et aux membres de l’organe délibérant des établissements publics de coopération intercommunale sur celui applicable au maire et aux adjoints, que le président d’un EPCI peut recevoir de l’organe délibérant de celui-ci un pouvoir général d’ester en justice, par mimétisme du 16° de l’article L. 2122-22 dudit code.  Par suite, et contrairement à ce qu’avait jugé la juridiction d’appel, « la seule circonstance qu'une délégation reproduise les dispositions du code général des collectivités territoriales qui permettent de limiter sa portée aux cas fixés par l'organe délibérant ne saurait, en l'absence de toute mention explicite restreignant son champ d'application, la priver d'une portée générale ».

(18 juillet 2018, Métropole Aix-Marseille-Provence, n° 416407)

 

22 - Publication d’arrêtés municipaux – Inscription par ordre de date sur le registre de la mairie (art. R. 2112-7 CGCT) – Formalité ne valant pas publicité et ne faisant pas courir le délai de recours contentieux à l’égard des tiers – Absence de forclusion du recours formé devant le juge.

Rappel par le juge que si l'article R. 2122-7 CGCT dispose que « L'inscription par ordre de date des arrêtés, actes de publication et de notification a lieu sur le registre de la mairie (...) », une telle formalité ne tient pas lieu de la publication – visée à l’alinéa précédent –, permettant de faire courir le délai de recours contentieux à l'égard des tiers contre un acte administratif. C’est donc à tort qu’en l’espèce a été opposée au demandeur la forclusion de son recours.

(26 juillet 2018, M. X., n° 41415)

 

Contrats

 

23 - Marché public de transport scolaire – Avis d’appel public à la concurrence – Référé précontractuel – Délai de réception des candidatures et des offres – Obligation pour le juge de vérifier que le délai imparti n’est pas manifestement insuffisant au vu des éléments de l’espèce – Notion de « candidat » à un marché – Candidature unique présentée sous forme de deux candidatures – Offre inappropriée – Notion – Absence – Offre anormalement basse : pouvoirs et devoirs de l’adjudicateur.

Dans le cadre d’un marché public de transport scolaire, une société, évincée de celui-ci, obtient du juge du référé précontractuel l’annulation de la procédure de passation de certains des lots du marché et l’injonction adressée au pouvoir adjudicateur, pour le cas où il maintiendrait sa décision de passer un marché ayant le même objet, de reprendre la procédure de passation dès le stade de la publication de l'appel d'offres, en se conformant à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Deux pourvois sont formés, l’un par la communauté d’agglomération organisatrice de la procédure, l’autre par l’une des sociétés évincées de certains lots.

Le juge du référé précontractuel a estimé manifestement insuffisant le délai fixé pour la réception des candidatures et des offres et a prononcé l’annulation de la procédure car « le délai de consultation du marché en litige, bien que supérieur au délai minimal prévu par ce texte, qui était de trente jours dès lors que les candidatures pouvaient être transmises par voie électronique, était insuffisant pour permettre aux candidats de passer une commande de véhicules avec une date de livraison ferme en Guadeloupe après avoir obtenu le financement de ces véhicules, et que cette insuffisance était de nature à empêcher certains candidats d'obtenir la note maximale sur le critère de l'âge des véhicules dont ils disposaient ». Sur ce point l’ordonnance est annulée, le texte ne permettant au juge que de vérifier si le délai de consultation, bien que supérieur au délai minimal fixé par les textes applicables, n'était néanmoins pas manifestement inadapté à la présentation d'une offre compte tenu de la complexité du marché public et du temps nécessaire aux opérateurs économiques pour préparer leurs candidatures et leurs offres.

De plus, pour certains lots, ce juge a annulé leurs conditions d’attribution à une société celle-ci ayant a été faite en méconnaissance des obligations de mise en concurrence fixées par le règlement de la consultation. Sur ce point, le Conseil d’État approuve la solution pour la raison suivante. En apparence, deux sociétés étaient candidates sur les lots 2, 6 et 8, et elles avaient formulé des offres distinctes alors que l’une d’elles ne disposait pas de moyens propres nécessaires à la réalisation effective desdites offres, moyens qui devaient en réalité lui être attribués par l’autre société candidate. C’est à bon droit que le juge a considéré être en présence non de deux mais d’une seule candidature laquelle portait sur un nombre de lots excédant le maximum prévu par le règlement de la consultation. Pour ce motif l’annulation de l’ordonnance n’est donc que partielle.

Egalement, le juge de cassation vérifie, sur demande des requérants, le caractère inapproprié de certaines offres, tel que cela a été jugé en première instance et annule sur ce point l’ordonnance. En effet, il considère que la circonstance que les véhicules compris dans l’offre faisaient seulement l’objet d’un bon de commande auprès d’un fournisseur de véhicules, avec la mention « sous réserve », ou encore comportant des conditions suspensives, n’établit pas que la société candidate n'était manifestement pas en mesure de répondre aux exigences formulées dans le document de consultation en ce qui concerne les lots en cause. En revanche, il est d’accord avec le premier juge pour considérer qu’un bon de commande de véhicules ne comportant pas de date de livraison rend l’offre inappropriée.

Enfin, il est rappelé qu’il résulte des termes du I de l’art. 60 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics « que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé ; que si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre, sauf à porter atteinte à l'égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public ; » .

 (11 juillet 2018, Communauté d'agglomération du Nord Grand Terre (Guadeloupe), n°418021 et Société Compagnie Guadeloupéenne de Transports Scolaires (CGTS), n° 418022) 

 

24 - Marché de construction d’un hôpital – Décompte du marché - Invocation de la réalisation de travaux supplémentaires – Demande d’indemnisation – Absence d’acceptation desdits travaux ou de caractère indispensable à la bonne exécution des ouvrages compris dans les prévisions du marché – Rejet.

Solution classique : l’entrepreneur de travaux réalisés dans le cadre d’un marché public de travaux ne peut invoquer la théorie des travaux supplémentaires pour solliciter l’indemnisation de ceux qu’il prétend avoir réalisés que dans deux cas. Soit ces travaux ont été acceptés par l’administration soit, à défaut, ils étaient indispensables à la bonne exécution des ouvrages compris dans les prévisions du marché. Faute de satisfaire à l’un de ces deux termes de l’alternative, l’indemnisation est refusée.

(18 juillet 2018, Société Hochtief Solutions AG, n° 409219)

 

25 - Dommages de travaux publics – Proposition de convention à fins d’indemnisation faite par le titulaire d'une mission d'assistance à maîtrise foncière auprès du maitre d’ouvrage – Absence de mandat donné par le maitre de l’ouvrage à cet effet – Absence de contrat – Irrecevabilité de la mise en jeu de la responsabilité contractuelle.

Dans le cadre de travaux d'infrastructures réalisés sur l'avenue Saint-Exupéry à Cannes par la communauté d’agglomération, une société commerciale de vente d’automobiles se plaint des préjudices qui en ont résulté pour elle et en réclame réparation.

Un organisme, titulaire d'une mission d'assistance à maîtrise foncière auprès du maitre d’ouvrage, avait adressé à cette société une « convention d'indemnisation au titre de l'occupation temporaire » et une « convention d'indemnisation au titre des travaux ».

S’appuyant sur celles-ci, la société plaignante a mis en jeu la responsabilité contractuelle de la communauté d’agglomération. Constatant qu’en réalité cette dernière n’avait pas donné à l’assistant à maitrise foncière un mandat à l’effet de la représenter et donc de l’engager, le juge relève qu’aucun lien contractuel n'avait pu valablement naître entre la communauté d’agglomération et la société requérante ni, par voie de conséquence, aucune responsabilité contractuelle.

(26 juillet 2018, Communauté d'agglomération des Pays de Lérins, n° 416406)

 

26 - Marché sur appel d’offres ouvert relatif à un accord cadre à bons de commande – Office public de l’habitat (OPH) – Référé précontractuel – Critère du prix – Motif d’ordre public – Obligation d’aviser les parties de ce motif – Offre anormalement basse – Absence – Annulation de l’ordonnance – Rejet d’une offre – Motivation.

Une société évincée de la procédure de passation d’un marché sur appel d’offres ouvert relatif à un accord cadre à bons de commande, saisit le juge du référé précontratuel qui annule la procédure de passation des lots n°s 3 et 4 de ce marché. L’OPH Partenord Habitat se pourvoit en Conseil d’État, lequel lui donne raison.

Pour prononcer l’annulation qui lui était demandée le juge des référés de première instance avait retenu deux motifs : l’absence de prise en compte, pour l'évaluation du sous-critère « remplacement », de prestations pourtant prévues par le règlement de consultation à ce titre et le caractère anormalement bas de l’offre faite par la société attributaire du marché.  Le Conseil d’État censure cette décision, en premier lieu, car le motif tiré du critère du prix ne pouvait pas être soulevé d’office par le juge sans en avoir au préalable informé les parties. En second lieu, pour apprécier le caractère anormalement bas d’une offre il ne suffit pas de la comparer aux offres concurrentes mais il convient d’apprécier si, en elle-même, elle n’est pas manifestement sous-évaluée au point de compromettre la bonne exécution du marché.

Enfin, il résulte des pièces du dossier – notamment de trois courriers que lui a adressés l’OPH – que l’entreprise évincée ne peut pas sérieusement soutenir que le rejet de son offre est insuffisamment ou pas motivé.

(18 juillet 2018, Office public de l’habitat du Nord, Partenord Habitat, n° 417421)

 

 

Droit fiscal et droit financier public

 

27 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Demande de réduction pour prendre en compte des changements de caractéristiques physiques ou d'environnement à prendre en compte (art. 1517, I-1 CGI) – Occupations illégales du parking d’une entreprise, actes de vandalisme commis à l’intérieur de celle-ci, etc. – Rejet de la demande de réduction des cotisations à cet impôt – Illégalité – Annulation.

Une société, se prévalant d’occupations illicites et répétées de son parking ainsi que d’actes multiples de vandalisme et de saccage à l’intérieur de son immeuble, a, en vain, sollicité que soit réduit le montant de sa cotisation à la taxe foncière sur les propriétés bâties alors même qu’elle invoquait les dispositions du 1 du I de l’art. 1517 CGI, lesquelles prévoient qu’« Il est procédé, annuellement, à la constatation des constructions nouvelles et des changements de consistance ou d'affectation des propriétés bâties et non bâties. Il en va de même pour les changements de caractéristiques physiques ou d'environnement. » Le jugement du TA de Strasbourg qui a refusé de faire application de cette dernière disposition, est, dans les circonstances de l’espèce, annulé.

(4 juillet 2018, SCI ADM, n° 407320)

 

28 - Obligation de déclarer les comptes ouverts à l’étranger (art. 152-2 code monétaire et financier) – Amende pour non déclaration de compte ouvert à l’étranger (art. 1736, IV, CGI) – Inconstitutionnalité à compter du 1er janvier 2009 – Impossibilité de condamnation.

L’art. 152-2 du code monétaire et financier faisait obligation de déclarer tout compte, livret ou autre ouvert dans un pays étranger sous peine d’une amende, portée à 10000 euros par personne et par compte lorsque celui-ci est ouvert dans un État ou un territoire « qui n'a pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales permettant l'accès aux renseignements bancaires ». Les demandeurs ont été déboutés en première instance de leur requête en décharge des impositions et pénalités ; ils ont obtenu gain de cause en appel au motif que le choix discrétionnaire laissé à l'administration d'infliger à raison d'un même manquement des amendes de montants très inégaux selon qu'elle se fondait sur les dispositions de l’art. L. 152-5 du code monétaire ou financier (750 euros) ou sur celles du IV de l'article 1736 du CGI (10 000 euros), constituait une discrimination prohibée par les stipulations combinées des articles 14 et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Saisi d’un pourvoi du ministre de l’économie et des finances, le Conseil d’État casse l’arrêt d’appel mais donne raison aux requérants sur la base d’un tout autre motif. Le Conseil constitutionnel, par une décision n° 2017-692 QPC du 16 février 2018, rendu sur demande des requérants dans la présente affaire, a jugé inconstitutionnelles à compter du 1er janvier 2009 les dispositions de l’art. 152-5 du code monétaire et financier et déclaré sa décision applicable aux instances en cours. Aucune poursuite ne pouvait être diligentée contre les intéressés.

 (12 juillet 2018, Ministre de l’économie et des finances, n° 409358)

 

29 - Retenue à la source perçue sur les dividendes versés à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France – Sociétés déficitaires – Invocation de différences injustifiées de traitement entre contribuables (personne physiques ou personnes morales) selon qu’ils sont résidents ou non-résidents – Renvoi préjudiciel à la CJUE.

Dans cette importante affaire était discuté le caractère discriminatoire du traitement fiscal des dividendes par le droit français selon qu’ils sont versés à des résidents ou à des non-résidents. Parmi d’autres questions techniques, celle relative à la compatibilité voire à la conformité au droit de l’Union de cette distinction et de ses conséquences, occupe une place centrale dans la décision.

Ce qui conduit le Conseil d’État à poser quatre questions préjudicielles de caractère substantiel à la Cour de Luxembourg :

1°/ Le désavantage de trésorerie résultant de l'application d'une retenue à la source aux dividendes versés aux sociétés non-résidentes déficitaires, alors que les sociétés résidentes déficitaires ne sont imposées sur le montant des dividendes qu'elles perçoivent que lors de l'exercice au titre duquel elles redeviennent le cas échéant bénéficiaires, constitue-t-il par lui-même une différence de traitement caractérisant une restriction à la liberté de circulation des capitaux ?

2°/ L'éventuelle restriction à la liberté de circulation des capitaux mentionnée pourrait-elle être, au regard des exigences résultant des articles 63 et 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, regardée comme justifiée par la nécessité de garantir l'efficacité du recouvrement de l'impôt, dès lors que les sociétés non-résidentes ne sont pas soumises au contrôle de l'administration fiscale française, ou encore par la nécessité de préserver la répartition du pouvoir d'imposition entre les États membres ? 

3°/ La liberté de circulation des capitaux s'oppose-t-elle à la perception d'une retenue à la source sur les dividendes versés par une société résidente à une société déficitaire résidente d'un autre État membre lorsque cette dernière cesse son activité sans redevenir bénéficiaire, alors qu'une société résidente placée dans cette situation n'est pas effectivement imposée sur ces dividendes ?

4°/ Les articles 63 et 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doivent-ils  être interprétés en ce sens qu'en présence de règles d'imposition traitant différemment les dividendes selon qu'ils sont versés aux résidents ou aux non-résidents, il convient de comparer la charge fiscale effective supportée par chacun d'eux au titre de ces dividendes, si bien qu'une restriction apportée à la liberté de circulation des capitaux, résultant de ce que ces règles excluent pour les seuls non-résidents la déduction des frais qui sont directement liés à la perception, en elle-même, des dividendes, pourrait être regardée comme justifiée par l'écart de taux entre l'imposition de droit commun mise, au titre d'un exercice ultérieur, à la charge des résidents et la retenue à la source prélevée sur les dividendes versés aux non-résidents, lorsque cet écart compense, au regard du montant de l'impôt acquitté, la différence d'assiette de l'impôt ?

(26 juillet 2018, Société GBL Energy, n° 415120 ; Société Kermadec, n° 415123)

 

30 - Impôt sur les sociétés et contribution additionnelle à cet impôt – Société établie à l’étranger imposable en France – Crédit d’impôt en France sur la retenue à la source pratiquée à l’étranger – Limitation de son montant – Existence d’une convention fiscale internationale – Traitement différencié des contribuables selon la source des revenus – Cumul d’impositions dues par un contribuable  pour une même assiette – Double imposition – Absence de renvoi d’une QPC – Absence d’inconstitutionnalité.

La société requérante soulève une QPC à propos des dispositions du b du 1 de l’article 220 CGI telles qu’interprétées par le Conseil d’État (7 décembre 2015, Société BNP Paribas, n° 357189). Selon ce texte, la retenue à la source pratiquée sur les revenus de capitaux mobiliers est imputée sur le montant de l’impôt dû ; toutefois, pour les revenus de source étrangère l’imputation de la retenue à la source est limitée au montant du crédit correspondant à l'impôt retenu à la source à l'étranger ou à la décote en tenant lieu, tel qu'il est prévu par les conventions internationales. Le Conseil d’État a cru devoir interpréter ce texte comme signifiant « que dans l'hypothèse où une convention fiscale bilatérale conclue entre la France et un autre État prévoit que les sociétés soumises à l'impôt en France percevant des dividendes d'une société établie dans l'autre État qui sont soumis à une retenue à la source dans cet État, sont imposables en France sur ces dividendes pour leur montant brut mais ont droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt sur les sociétés ne pouvant excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus, ce montant maximal doit, en l'absence de toute stipulation contraire dans la convention fiscale, être déterminé en appliquant aux dividendes, l'ensemble des dispositions du code général des impôts relatives à l'impôt sur les sociétés, dont celles de l'article 39, qui sont applicables en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 et qui impliquent de déduire du montant brut des dividendes l'ensemble des charges justifiées directement liées à l'acquisition, à la conservation ou à la cession des titres ayant donné lieu à la perception des dividendes, et n'ayant pas pour contrepartie un accroissement de l'actif, sauf exclusion par des dispositions spécifiques. »

Il ne suit pas de là, selon le juge, une différence de traitement, nuisible à la liberté d’entreprendre, entre les deux catégories de dividendes soumis à la retenue à la source car les mêmes règles s'appliquent pour la détermination du plafond d'imputation du crédit d'impôt s'agissant des dividendes qui sont versés par des sociétés établies en France et qui y sont frappés d'une retenue à la source (cf. le a du 1 de l’art. 220 CGI). 

La circonstance, déjà jugée par le Conseil constitutionnel (décision n° 2017-QPC du 28 septembre 2017), que cette solution conduit parfois à une élimination imparfaite voire nulle de la double imposition frappant les dividendes de source étrangère ayant fait l'objet d'une retenue à la source à l'étranger n’entache pas d’inconstitutionnalité le mécanisme en cause.

Solution étrange car, au final, c’est bien pour inciter les entreprises à s’installer en France et à y percevoir les revenus tirés de leur activité que ce mécanisme fiscal a été conçu ; il est directement contraire à la liberté des échanges, des transactions et d’installation. L’on doute qu’au regard du droit commercial international cette solution passablement hérétique, parce que particulièrement injuste, puisse prospérer encore longtemps. La liberté d’entreprendre suppose la neutralité fiscale des choix des entrepreneurs à charge pour la France de convaincre les autres d’États d’adopter un taux d’imposition correct. En tout cas, la France ne saurait faire supporter fiscalement aux entreprises la conséquence de son impuissance diplomatique à obtenir ce résultat.

(18 juillet 2018, Société BNP Paribas, n° 414463)

 

31 - Taxe professionnelle – Cotisation supplémentaire – Rappel de crédit d’impôt excédant le plafond fixé par le règlement européen du 15 décembre 2006 – Régime des aides « a minimis » – Détermination du montant du rappel – Limitation au seul dépassement du seuil maximum.

Le CGI prévoit que les entreprises employant des salariés depuis au moins un an dans des zones reconnues en grande difficulté d’emploi ont droit à un crédit d’impôt de mille euros par salarié sous réserve que le montant total de ce crédit d’impôt n’excède pas 200 000 euros sur trois exercices fiscaux. À la suite d’un contrôle, l’Administration fiscale a remis en cause le crédit d'impôt dont la Société Numalliance a bénéficié au titre de l'année 2008, à hauteur de 57 200 euros, correspondant au montant du crédit d'impôt accordé à raison de l'établissement de Saint-Michel-sur-Meurthe (Vosges), au motif que le total des crédits de taxe professionnelle dont elle avait bénéficié sur la période des trois derniers exercices fiscaux, égal à 204 100 euros, excédait le plafond fixé par le règlement du 15 décembre 2006. La Société a contesté ce montant, en vain, tant en première instance qu’en appel. Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi en cassation, lui donne raison en estimant que la remise en cause devait porter seulement sur la différence entre le plafond européen (soit 200 000 euros) et le montant perçu par cette Société, soit 4 100 euros et non 57 200 euros. Il juge en effet, de façon imparable, que si « l'administration est tenue de corriger le montant du crédit d'impôt octroyé au titre de la dernière année pour assurer le respect de ce plafond. Il ne résulte en revanche d'aucune disposition que l'administration doive, à cette fin, soit procéder à la reprise de l'intégralité du crédit d'impôt octroyé au contribuable au titre de la troisième année, soit reprendre l'intégralité du crédit d'impôt octroyé à raison d'un établissement au titre de cette même année. » Il est regrettable que cette évidence n’ait pas été aperçue plutôt par les juges du fond.

(4 juillet 2018, Société Numalliance, n° 404083 ; v. aussi sur cette question du crédit d’impôt de taxe professionnelle : 26 juillet 2018, Société Valeo Systèmes Thermiques, n° 403009)

 

32 - Quotient familial – Majoration pour prise en charge d’une personne invalide – Conditions d’appréciation de la notion de « vie sous le même toit » – Majoration du quotient remise en cause par l’administration pour défaut de vie sous le même toit – Illégalité.

L’art. 196bis CGI prévoit une majoration du quotient familial au bénéfice du redevable de l’impôt sur le revenu qui a à sa charge une personne vivant sous son toit. Pour remettre en cause cet avantage fiscal l’administration avait estimé que tel n’était pas le cas en l’espèce, la tante de l’intéressé, qui est la personne à charge, occupant un appartement où elle pouvait vivre de manière autonome. La contestation de cette décision ayant été rejetée en première instance et en appel, le Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi, casse l’arrêt d’appel motif pris de ce que la notion de « vivre sous un même toit » est dépendante de l’agencement de l’immeuble et ne saurait être prise absolument. En l’espèce, la personne à charge vivait à un autre étage que le contribuable, dans l’immeuble dont celui-ci était propriétaire mais, d’une part, un ascenseur avait été installé pour lui permettre de se déplacer jusqu’à la cuisine située en sous-sol, et d’autre part, les pièces de son appartement communiquait avec celles de l’appartement de son neveu. Il était donc légitime de considérer que le contribuable et sa tante vivaient sous le même toit au sens de l’art. 196bis CGI. Il faut saluer une décision aussi réaliste que pleine de bon sens.

(5 juillet 2018, M. X., n° 401627)

 

33 – Entreprises – Dépenses de mécénat – Déductibilité pour l’application de la TVA – Réponse positive.

Un aspect de cette décision retient l’attention, il est relatif à la déductibilité des dépenses de mécénat réalisées par une caisse de crédit agricole, de l’assiette servant au calcul de la TVA. Alors que la cour d’appel avait jugé ces dépenses non déductibles en raison des termes de l’art. 1647 B sexies du CGI, le Conseil d’État, en l’absence de dispositions spécifiques pour la comptabilisation des dépenses de mécénat dans le règlement du 16 janvier 1991 ( relatif à l'établissement et à la publication des comptes des établissements de crédit), retient une position inverse y voyant une charge exceptionnelle lorsqu'elles ne peuvent pas être regardées, compte tenu des circonstances de fait, notamment de leur absence de caractère récurrent, comme relevant de l'activité habituelle et ordinaire de l'entreprise et en charges d'exploitation dans le cas contraire.

(26 juillet 2018, Caisse régionale du crédit agricole mutuel (CRCAM) de la Touraine et du Poitou, n° 396994 ; du même jour, voir : Caisse régionale du crédit agricole mutuel (CRCAM) Nord Midi-Pyrénées, n° 405376)

 

34 - Gestion de fait – Notion et régime – Attribution d’un logement de fonction par nécessité de service – Logement appartenant à une SCI dont le bénéficiaire à titre gratuit par nécessité de service est son gérant et l’un des associés – Absence de gestion de fait.

Le conseil municipal d’Épinal décide que l’emploi de directeur général des services de la commune figurera désormais sur la liste des emplois pour lesquels un logement de fonction peut être attribué par nécessité absolue de service. Un directeur général des services étant ensuite recruté, celui-ci se voit attribuer par contrat un logement que la commune loue à une SCI dont ce directeur est l’un des associés et son gérant. Constatant, en outre, que cet agent est lui-même propriétaire d’un logement situé en dehors d’Épinal et qu’il occupait jusque-là et, enfin, que cette concession a été faite à titre gratuit, la chambre régionale des comptes de Champagne-Ardennes puis la Cour des comptes déclarent comptables de fait des deniers communaux le directeur des services et son épouse, M. X., adjoint au maire en charge du personnel par délégation du maire, et la SCI. Seul M. X. se pourvoit et le Conseil d’État lui donne raison, rejetant tous les motifs retenus par les juges financiers au soutien de leurs jugement et arrêt.

Le Conseil d’État, après avoir rappelé ce qu’est la gestion de fait (le fait de recevoir ou de manier directement ou indirectement des fonds ou valeurs extraits irrégulièrement d'une caisse publique), indique que celle-ci peut consister en ce que l'objet de la dépense revêt un caractère fictif ou frauduleux.

En l’espèce, il considère d’abord que la circonstance qu’un agent dont l’emploi figure sur la liste demplois donnant droit à l’attribution d’un logement par nécessité de service soit propriétaire de son logement ne fait point obstacle à l’attribution d’un logement de fonction. Ensuite, il relève que le caractère gratuit de cette attribution étant lié aux fonctions de directeur général des services, cette gratuité avait donc un caractère précaire, devant cesser en même temps que lesdites fonctions. Enfin, le Conseil d’État n’aperçoit nulle irrégularité en l’espèce dans la double circonstance que le bénéficiaire à titre gratuit de la concession de logement est un des associés et le gérant de la SCI bailleresse, cela quand bien même les loyers versés par la commune revenaient aux associés dont, au premier chef, l’intéressé lui-même en qualité de gérant.

Décision surprenante par sa « générosité » et assez peu orthodoxe au regard du droit de la comptabilité publique.

(9 juillet 2018, M. X., n° 410817)

 

35 - Taxe d’habitation – Lieux de culte – Exonération seulement en cas d’exercice public du culte – Absence, en l’espèce, de moyens de détermination du caractère public de cet exercice – Refus d’exonération.

Une association cultuelle se voit refuser l’exonération de la taxe d’habitation pour le local qu’elle occupe. En effet, si des cours d'initiation aux enseignements spirituels, des exercices de piété, des cérémonies spirituelles, des conférences, des réunions et des activités diverses liées au culte de Sukyo Mahikari se déroulent dans les locaux dont l'association dispose à Marseille, celle-ci n’a pu fournir d’éléments établissant le caractère public de l’exercice du culte, caractère exigé par l’art. 4 de la loi du 2 janvier 1907 et par le 2° du 1 de l'article 1407 du CGI.

Occupés à titre privatif ces locaux ne sauraient être exonérés du paiement de la taxe d’habitation.

(26 juillet 2018, Association Sukyo Mahikari France, n° 403389)

 

36 - Taxe sur les surfaces commerciales (loi du 13 juillet 1972) – Taxe assise sur le chiffre d’affaires – Chiffre d’affaires à prendre en compte – Commerce de vente et de réparation de véhicules automobiles – Existence d’activités distinctes – Notion – Absence en l’espèce d’activités distinctes – Imposition sur l’ensemble du chiffre d’affaires.

Une société de vente et de réparation de véhicules automobiles, la société Autovista, après s’en être acquittée, a demandé la restitution partielle de la taxe sur les surfaces commerciales. Elle se fondait pour cela sur la circonstance que l’art. 1er du décret du 26 janvier 1995, applicable aux années d’imposition litigieuses, dispose « Lorsqu'un établissement réalise à la fois des ventes au détail de marchandises en l'état et une autre activité, le chiffre d'affaires à prendre en considération au titre de la taxe sur les surfaces commerciales est celui des ventes au détail en l'état, dès lors que les deux activités font l'objet de comptes distincts. » Or la société Autovista, prétendait relever de cette distinction pour ses activités dans la mesure où, d’une part, elle vendait des véhicules qu’elle présentait à l’intérieur de ses locaux et où elle réparait des véhicules, d’autre part, elle vendait des véhicules neufs livrés après avoir fait l'objet d'une commande sur catalogue ainsi que des véhicules stockés à l'extérieur de l'établissement. Ce raisonnement est rejeté par le Conseil d’État car l’activité principale de cette entreprise est bien la vente de véhicules que ceux-ci soient présentés en magasin, ou exposés en dehors de celui-ci ou, encore, livrés après commande sur catalogue. Il n’y a là qu’une seule activité et non deux activités distinctes.

C’est à bon droit que les premiers juges en ont jugé ainsi.

(11 juillet 2018, Société anonyme Autovista, n° 414879 ; voir aussi sur le même sujet : 1°/ 11 juillet 2018, Société par actions simplifiées (SAS) Garage du Lac, n° 414684 ; 2°/ 26 juillet 2018, Société « Les jardins de Quetigny », n° 412526 ; et encore, identique : 26 juillet 2018, Société en nom collectif (SNC) Vauclusienne de Distribution Automobile, n° 417105 ; v. également, mais avec des éléments de fait et de procédure un peu différents : 11 juillet 2018, Société anonyme José Cauvin, n° 415756 ; v. aussi : 26 juillet 2018, Sarl Zara France, n° 418409)

 

37 - Avantage fiscal lié à l’acquisition, entre 2009 et 2012, de deux logements neufs en vue de leur location (art.  199 septvicies CGI) – Portée de la condition d’acquisition – Permis sollicités la même année pour deux constructions – Possibilité de pratiquer deux réductions successives en fonction de la date d’achèvement des constructions.

La loi fiscale a institué une réduction d’impôt pour les personnes ayant acquis entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2012 un logement neuf pour l’offrir en location pendant neuf ans en qualité de résidence principale. Les époux X. déposent, en février et mars 2010, deux permis de construire, chacun pour une maison, et sollicitent le bénéfice de l’avantage fiscal en 2010, pour la première maison, achevée en 2010, et en 2011, pour l’autre maison, achevée en 2011. L’administration fiscale, confirmée par la cour administrative d’appel de Bordeaux, prenant en considération les dates des permis de construire, estime impossible l’attribution de la réduction d’impôt pour deux constructions au cours de la même année. Le Conseil d’État censure ce raisonnement puisque, d’évidence, le fait générateur du droit à déduction fiscale est non la date de dépôt du permis ou d’achèvement de la construction mais celle de l’engagement de location lequel ne peut être pris que l’année d’achèvement de la construction.

(18 juillet 2018, Époux X., n° 412142)

 

38 - TVA – Taxe sur les véhicules de sociétés - Rappels de ces deux taxes – Demande de décharge – Activité d’enseignement de la conduite – Distinction ou non d’avec l’apprentissage de la conduite dans un contexte de loisir – Droit à déduction de TVA applicable à tout enseignement quels qu’en soient la forme ou l’objet.

Une société organise des stages de pilotage de véhicules sur circuit et prétend bénéficier à ce titre d’un certain taux de déduction de TVA. L’administration fiscale, après un contrôle, décide le rappel des déductions antérieures, au motif que le d. du 6° du 2. du IV de l’art. 206 de l’annexe II au CGI réserve cette faculté aux véhicules « affectés de façon exclusive à l’enseignement de la conduite ». En l’espèce, le fisc n’a pas aperçu l’existence d’un tel enseignement mais une activité de loisir. En première instance comme en appel, la société demanderesse a été déboutée sur le fondement de cette argumentation. D’où son pourvoi par lequel le Conseil d’État lui donne raison. Pour lui, la disposition précitée tourne exclusivement autour de l’idée d’enseignement, peu important « que la prestation d'enseignement soit exercée dans un contexte de loisir et n'ait pas un caractère diplômant ». Cette solution très logique doit être approuvée car la déduction concerne des véhicules qui ne servent pas au transport des passagers. Tel est bien le cas en l’espèce où l’utilisateur cherche à apprendre une forme de conduite : il n’y a pas lieu de distinguer selon que cet apprentissage est « utilitaire », de loisir ou sportif. Salutaire rappel de l’adage « Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus » ; là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer.

(11 juillet 2018, Sarl PPK, n° 410924)

 

39 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Taux manifestement disproportionné – Termes de comparaison pour déterminer l’éventuelle existence d’une disproportion – Erreur de droit à tenir compte des dépenses d’investissement.

C’est encore une fois le taux, prétendu disproportionné, de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères qui est en cause et, encore une fois, c’est sur les termes de comparaison que se concentre la discussion.

La requérante estimait ce taux manifestement disproportionné mais son recours est rejeté en première instance ; sur pourvoi, le Conseil d’État accueille favorablement la requête.

Pour estimer non disproportionné le taux de cette taxe, le tribunal a procédé à une comparaison entre le produit estimé de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères et le montant prévisionnel des dépenses de fonctionnement et d'investissement relatives à la collecte et au traitement des déchets ménagers, diminuées des recettes non fiscales de la section de fonctionnement et des recettes d'investissement. Ce faisant, il a implicitement mais nécessairement considéré que la taxe en cause servait à financer l’existence et le fonctionnement du service des ordures ménagères, ce qui est erroné. Celle-ci sert exclusivement à « couvrir les dépenses exposées par la commune pour assurer l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères et non couvertes par des recettes non fiscales ». Il s’ensuit que doivent être prises en compte, pour apprécier le caractère éventuellement disproportionné du taux, les seules dépenses de fonctionnement réelles exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et les dotations aux amortissements des immobilisations qui lui sont affectées, tels que ces chiffres peuvent être prévus au moment où le conseil municipal arrête le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. D’où la cassation prononcée.

 (11 juillet 2018, SAS L’immobilière groupe Casino, n° 407157 ; voir aussi, du même jour et avec même requérante, la requête n° 412681 ; voir également, du même jour mais sur un autre aspect : Ministre de l’action et des comptes publics, n° 412263, où il est indiqué, d’une part,  « que l'instauration de la redevance spéciale  est obligatoire en l'absence de redevance d'enlèvement des ordures ménagères (et) que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères n'a pas pour objet de financer l'élimination des déchets non ménagers, alors même que la redevance spéciale n'aurait pas été instituée», et d’autre part, que dans le « cas où la délibération d'un conseil municipal ne peut plus servir de fondement légal à l'imposition mise en recouvrement (ici la taxe spéciale sur l’enlèvement des ordures ménagères), à demander, à tout moment de la procédure, au juge de l'impôt que soit substitué, dans la limite du taux appliqué à cette imposition, le taux retenu par le conseil municipal lors du vote du budget de l'année précédente » ; également : 26 juillet 2018, Immobilière groupe Casino et Société Mercialys, n° 413897, et encore, du même jour : Ministre de l'économie et des finances, n° 415274).

 

40 - Taxe professionnelle – Cotisation supplémentaire – Régime applicable en cas d’apports, scissions, cessions, fusions d’entreprise (art. 1518 B CGI) – Notion de « cession » - Absence ici.

L’art. 1518 B du CGI décide que la valeur locative des immobilisations corporelles acquises à la suite d'apports, de scissions, de fusions de sociétés ou de cessions d'établissements réalisées à compter du 1er janvier 1992, la valeur locative des immobilisations corporelles ne peut être inférieure aux quatre cinquièmes de son montant avant l'opération.  D’où le Conseil d’État déduit, par construction très prétorienne, qu’ « un établissement doit être regardé comme ayant fait l'objet d'une cession lorsque le même redevable a acquis l'ensemble des éléments mobiliers et immobiliers qui étaient nécessaires à l'exercice autonome de l'activité par le cédant, en vue d'y exercer, avec ces moyens, sa propre activité. »

En l’espèce, une société de produits surgelés acquiert en 2005 un immeuble à usage industriel et commercial dans lequel elle exploitait un entrepôt frigorifique, en levant l'option d'achat stipulée dans le contrat de crédit-bail immobilier qu'elle avait conclu le 22 décembre 1995 avec le propriétaire d’alors, la société Vignigel. L’administration a appliqué les dispositions de l’art. 1518 B précité en retenant la valeur-plancher qu’il comporte. Si la cour administrative lui a donné raison, le Conseil d’État censure les prémisses du raisonnement car aucun des actes passés entre les deux sociétés ne comportait « de description d'éventuels équipements ayant le caractère d'immeubles par destination nécessaires au fonctionnement de l'entrepôt frigorifique qui auraient été cédés en même temps que le bâtiment litigieux ». Ainsi, en jugeant qu’il s’agissait d’une cession d’établissement la juridiction d’appel « sans rechercher si l'entreprise cessionnaire avait acquis l'ensemble des éléments mobiliers et immobiliers de cet établissement qui étaient nécessaires à l'exercice autonome de l'activité par la cédante, (…) a commis une erreur de droit. »

(18 juillet 2018, Société Supergel 28, n° 402451)

 

41 - Vérification fiscale – Contestation de la compétence territoriale du vérificateur – Mutation en cette qualité publiée cinq ans après la décision de le muter – Régime de publication des décisions individuelles relatives à la carrière des agents publics.

La société requérante conteste des rappels de TVA assorties de majorations dont elle a été l’objet à la suite d’une vérification de comptabilité. De façon originale, elle le fait en mettant en cause les conditions de mutation du vérificateur dans le ressort territorial où elle se trouve implantée. Pour cela, elle établit qu’il a été nommé, par un arrêté du 21 juin 2010, à compter du 1er septembre 2010, que sa proposition de rectification est datée du 31 mai 2011 et que sa mutation n’avait pas été régulièrement publiée à cette date.

Le Conseil d’État juge qu’il résulte des dispositions statutaires applicables à la fonction publique – dont font partie les agents des impôts -  que seules les décisions par lesquelles les fonctionnaires qu'elles mentionnent sont nommés, bénéficient d'une promotion de grade et sont mis à la retraite doivent faire l'objet d'une publication, soit au Journal officiel de la République française, soit par tout autre moyen, à l'exclusion des décisions par lesquelles ces mêmes fonctionnaires font l'objet d'une mutation. Le moyen est rejeté.

Vainement encore la société requérante invoque-t-elle l’irrégularité de l’absence de publication de la mutation du vérificateur en se fondant sur des dispositions (circulaire du 30 janvier 1997 relative aux règles d'élaboration, de signature et de publication des textes au Journal officiel et à la mise en œuvre de procédures particulières incombant au Premier ministre,  et article 1er du décret du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires et abrogé par l'article 5 du décret du 23 octobre 2015 relatif aux dispositions réglementaires du code des relations entre le public et l'administration), qui ne régissent pas les décisions individuelles par lesquelles l'État affecte ses agents au sein de ses services territoriaux.

 (18 juillet 2018, Société Coslab, n° 412733)

 

42 - Demande de réduction ou décharge d’imposition – Instruction de la demande et découverte d’insuffisances ou d’omissions durant celle-ci – Droit pour l’administration de prendre en compte les éléments portés à sa connaissance par un contrôle postérieur à la date de la demande du contribuable – Succursale britannique d’une banque française – Absence de preuve que l'aide apportée à la succursale  se situe dans le cadre de relations commerciales favorisant le maintien ou le développement d'une activité exercée en France.

La banque BNP Paribas demanderesse sollicitait une réduction d’impôt en raison de pertes subies du fait de l’engagement pris par elle dans une convention du 23 juillet 1998 envers sa succursale britannique de lui garantir, comme prix de référence pour la réalisation d'un portefeuille obligatoire de pays émergents qu'elle détenait, le prix des cours de marché à la date de signature de la convention. Or cette obligation garantie lui a causé une perte.

Confirmant l’arrêt attaqué et dans les mêmes termes, le Conseil d’État juge que la banque n’a pas prouvé que l'aide ainsi apportée à sa succursale s'inscrivait bien dans le cadre de relations commerciales favorisant le maintien ou le développement d'une activité exercée en France, ainsi qu’il résulte des art. 38 et 209 CGI. Ainsi, elle ne peut prétendre, de ce chef, à la réduction d’impôt sollicitée.

(18 juillet 2018, Société BNP Paribas, n° 404226)

 

Droit social et action sociale

 

43 - Licenciement d’un délégué du personnel – Faute d’une gravité suffisante – Procédure à suivre – Autorisation de l’inspecteur du travail – Procédure irrégulière du fait d’un vote à main levée au lieu d’un vote par bulletin secret – Absence d’irrégularité en l’espèce.

Le licenciement d’un délégué du personnel, salarié protégé, n’est légal qu’à condition que soient respectées les formes et motifs légaux, notamment l’avis favorable de l’inspecteur du travail, l’émission d’un vote par les membres du comité d’entreprise et l’absence de relation entre les fonctions exercées et le licenciement.

Le licenciement en cause avait été annulé parce que, contrairement aux dispositions réglementaires applicables du code du travail, le vote des membres du comité d’entreprise n’avait pas été émis à bulletin secret mais à main levée. La juridiction d’appel a annulé le licenciement proncé à la suite d’une procédure irrégulière. Pour casser l’arrêt qui lui était déféré le Conseil d’État, poursuivant sur sa logique de cantonnement strict des vices de forme, lui reproche de n’avoir pas recherché « si le vice affectant la tenue de ce vote avait été, en l'espèce, compte tenu notamment du caractère unanimement défavorable de l'avis émis par le comité d'entreprise, susceptible de fausser sa consultation ».

(4 juillet 2018, Association des Cités du secours catholique, n° 410904 ; dans le même sens, voir : 4 juillet 2018, Société Véron International, n° 397059, où il est reproché à une cour administrative de ne pas avoir vérifié si, informée de son licenciement un matin, une déléguée du personnel n’avait pas eu cependant le temps suffisant pour se préparer à exposer sa situation l’après-midi du même jour, devant le comité d’entreprise… « quand les bornes sont franchies… »)

 

44 - Licenciement d’un délégué du personnel – Faute d’une gravité suffisante – Refus d’autorisation de l’inspecteur du travail – Autorisation du ministre sur recours hiérarchique – Comportement s’étant produit en dehors du temps de travail – Annulation de l’autorisation par la juridiction d’appel – Motif insuffisant – Cassation.

C’est à tort qu’une cour administrative, pour annuler une autorisation ministérielle de licenciement d’un salarié protégé, se borne à retenir que les faits reprochés à l’intéressé se sont produits en dehors de son temps de travail sans rechercher si, en dépit de cette circonstance, ils n’avaient pas néanmoins constitué de la part de ce salarié un manquement aux obligations découlant de son contrat de travail.

(4 juillet 2018, Mission locale de la Haute-Garonne, n° 408644)

 

45 - Personne âgée hébergée dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) – Détermination du département ayant la charge de l’aide – Transmission du dossier du bénéficiaire entre deux départements – Domicile de secours.

Cette décision est relative à une situation fréquente qui voit deux départements se renvoyer la balle au sujet de la prise en charge des personnes âgées placées en EHPAD.

L'article L. 122-1 du code de l'action sociale et des familles, dispose que les dépenses d'aide sociale sont, en principe, à la charge du département dans lequel les bénéficiaires ont leur domicile de secours. L’art. L. 122-4 de ce code règle la question du département auquel incombe la charge lorsque le département de prise en charge initiale estime que celle-ci relève d’un autre département.

Tentant d’apporter un peu de clarté en cette matière, le Conseil d’État estime qu’il convient d’interpréter comme suit le second alinéa de cet article.  

Lorsqu'un département, après avoir pris une décision d'admission d'un demandeur à l'aide sociale, transmet le dossier, plus de deux mois après cette admission, à un autre département dans lequel il estime que le demandeur a son domicile de secours, il conserve la charge des frais engagés jusqu'à la date de cette transmission, même si le demandeur a effectivement son domicile de secours dans cet autre département.

En revanche, si, en vertu du premier alinéa du même article, le département qui estime que le demandeur a son domicile de secours dans un autre département doit, dans le délai d'un mois après le dépôt de la demande, transmettre le dossier au département concerné, la méconnaissance de ce délai est par elle-même sans incidence sur la détermination du département auquel incombe les dépenses d'aide sociale susceptibles d'être exposées, y compris au titre de la période antérieure à cette transmission, ce département étant celui dans lequel l'intéressé a son domicile de secours.

Interprétation constructive qui a le mérite de fixer une « norme » raisonnable de solution à un contentieux récurrent.

(18 juillet 2018, Département de la Haute-Garonne, n° 412206)

 

46 - Convention relative à l’assurance chômage – Instauration d’une « certification sociale » – Entrée en vigueur subordonnée à un agrément ministériel – Agrément ministériel contesté pour illégalité d’une annexe à la convention – Annulation.

Par un arrêté du 4 mai 2017, le ministre du travail a agréé la convention du 14 avril 2017 relative à l'assurance chômage et ses textes associés ; cette décision emporte donc agrément des stipulations, divisibles des autres stipulations agréées par le même arrêté, de l'annexe VIII au règlement général annexé à la convention qui exigent la certification sociale de certains employeurs des ouvriers et techniciens de la prestation technique au service de la création et de l'événement, afin que ces derniers puissent bénéficier des règles fixées par cette annexe pour les ouvriers et techniciens intermittents du spectacle. Les requérantes soutiennent que cette convention, qui n’est prise que dans le cadre et pour l’application de la loi (art. L. 5422-20 et L. 5424-22 c. trav.), ne peut comporter de dispositions contraires ou incompatibles.

Or cette convention, en subordonnant le versement aux salariés des allocations chômage prévues à l'annexe VIII à la détention par l'employeur d'une « certification sociale », a posé une condition sans rapport direct avec les modalités particulières d'exercice des professions de la production cinématographique, de l'audiovisuel ou du spectacle et qui ne saurait, dès lors, être regardée comme une règle spécifique d'indemnisation des techniciens intermittents du spectacle.

Elle est donc entachée d’illégalité. Par suite, l’arrêté ministériel qui agrée cette convention est lui-même illégal car sa validité est nécessairement subordonnée à celle des dispositions qu’il agrée.

Illustration intéressante de l’hypothèse où la légalité d’un acte administratif dépend de celle d’un acte de droit privé.

 (18 juillet 2018, Fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle CGT (GCT Spectacle) et autres, n° 412217)

 

47 - Décret du 27 décembre 2016 relatif à la modernisation de la médecine du travail – Allégation d’illégalité ou de violation du droit de l’Union européenne (directives) - Dispositions concernant le suivi de l'état de santé de certains salariés, la visite d'information et de prévention lors d'un changement d'emploi, les fonctions exercées par le médecin du travail, les dispositions relatives aux travailleurs temporaires ainsi que la contestation des avis, propositions, conclusions écrites ou indications émises par le médecin du travail – Rejet de l’ensemble des demandes.

Après que le Conseil d’État a rejeté la demande de renvoi au Conseil constitutionnel d’une QPC relative à certaines dispositions de l’art. 102 de la loi du 8 août 2016 qui sert de base au décret attaqué, formée par l’un des syndicats requérants (19 juillet 2017, CGT-FO, n° 408377), celui-ci examine dans la présente décision les nombreux moyens de légalité externe et interne soulevés par les syndicats requérants et les rejette entièrement.

(4 juillet 2018, Confédération générale du travail - force ouvrière (CGT-FO), syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST) et Syndicat Prism'Emploi, n° 408377)

 

48 - Licenciement sans cause réelle et sérieuse – Détermination – Existence d’une transaction – Exonération d’impôt sur le revenu – Obligations du juge saisi.

Il résulte tant de la jurisprudence constitutionnelle que des textes que les sommes perçues par un salarié à l'occasion de la rupture du contrat de travail peuvent être exonérées ou non d'impôt sur le revenu selon les conditions de leur versement. La circonstance qu’elles l’ont été en vertu d'une transaction ne suffit pas à elle seule à les rendre nécessairement imposables. Il incombe au juge de l'impôt d'apprécier, conformément à la jurisprudence établie du juge du travail et au vu de l'instruction, si le licenciement à l'origine des indemnités transactionnelles est dépourvu de cause réelle et sérieuse et, dans l'affirmative, si les sommes versées correspondent en tout ou partie à une indemnisation au titre d'un tel licenciement. A défaut, ces sommes sont imposables.

 (5 juillet 2018, M. X., n° 401157, voir aussi n°s 65 et 66)

 

49 - Allocation d'aide au retour à l'emploi – Conditions d’octroi – Cas du salarié non privé involontairement d’emploi – Charge du versement de l’allocation – Employeurs successifs relevant, les uns, du secteur public, les autres du secteur privé – Articles L. 5422-1, 5422-2, 5422-3, 5424-1, et 5422-20 du code du travail.

La requérante a successivement travaillé pour un employeur privé, puis au sein d’un établissement public de santé, en qualité de praticien contractuel puis de praticien hospitalier à temps plein. Elle a démissionné de cet emploi le 3 février 2011. Elle a ensuite travaillé pour divers employeurs de droit privé, avant d'être licenciée le 15 avril 2012.

Sa demande de versement de l'allocation d'aide au retour à l'emploi a été rejetée le 24 mai 2012 par Pôle emploi, au motif qu'elle avait travaillé plus longtemps chez un ou plusieurs employeurs relevant du secteur public que chez des employeurs du secteur privé, et a été invitée à solliciter une indemnisation auprès de son ancien employeur public.

Son dernier employeur public, l’établissement de santé précité, par un courrier du 10 juillet 2012, lui a notifié une décision de refus fondée sur la circonstance qu'elle n'avait pas été involontairement privée de l'emploi qu'elle exerçait en son sein. Le recours de l’intéressée devant le tribunal administratif est rejeté. Le Conseil d’État est saisi d’un pourvoi sur renvoi de la cour administrative d’appel de Versailles.

 Selon le Conseil d’État, il résulte l’ensemble des dispositions applicables du code du travail que, « d'une part, lorsqu'un agent a, après avoir quitté volontairement un emploi, retrouvé un autre emploi dont il a été involontairement privé, il a droit à une indemnisation au titre de l'assurance chômage dès lors qu'il a travaillé au moins quatre-vingt-onze jours ou quatre cent cinquante-cinq heures dans ce dernier emploi et que, d'autre part, dans cette hypothèse, la détermination de la personne à laquelle incombe la charge de l'indemnisation dépend de la question de savoir quel est l'employeur qui, dans la période de référence prise en compte pour l'ouverture des droits, l'a occupé pendant la période la plus longue. » D’où il suit que n’ont à être pris en considération ni la nature, publique ou privée, de l’emploi exercé, contrairement à ce que soutenait Pôle emploi, ni le caractère volontaire ou involontaire de la cause de la cessation d’activité salariée, contrairement à ce que soutenait l’établissement public de santé, dernier employeur public. Le droit positif et le juge contribuent ainsi, dans l’intérêt du salarié, à gommer toujours plus les différences qui pourraient résulter de la nature juridique, publique ou privée, des employeurs successifs d’une même personne. Ce souci légitime est contrebattu par la durée excessive du temps mis à trouver la solution à partir du jour du licenciement : six ans et cinquante jours…

(12 juillet 2018, Mme X., n° 414896 ; v., très voisin : 18 juillet 2018, Mme X., n° 407407)

 

50 - Contrat entre un bailleur social et un locataire – Décision d’attribuer ou de refuser un logement – Actes distincts – Nature juridique du contrat sans effets sur la décision d’attribution ou de refus – Décision administrative relevant du seul juge administratif.

Le Conseil d’État rappelle que le contrat qui lie un bailleur social à un locataire est un contrat de droit privé mais que la décision de refus d'attribuer un logement ne porte pas sur l'exécution d'un tel contrat. Elle est prise dans le cadre de l'exécution d'un service public (cf. articles L. 441-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation et les dispositions réglementaires prises pour leur application). Ainsi, quel que soit le statut, public ou privé, du bailleur social, elle constitue une décision administrative, dont il incombe à la seule juridiction administrative d'apprécier la légalité.

(26 juillet 2018, Mme X., n° 417663)

 

51 - Organisation professionnelle représentative – Critères et conditions – Obligation de transparence financière – Absence – Illégalité de la décision administrative reconnaissant à une organisation professionnelle, en l’absence de transparence, la représentativité dans le champ d'application de la convention collective nationale de l'esthétique-cosmétique et de l'enseignement technique et professionnel lié aux métiers de l'esthétique et de la parfumerie.

L’Union requérante demande l’annulation de l’arrêt confirmatif qui juge que c’est à tort que le directeur général du travail l’a reconnue comme représentative dans le champ d'application de la convention collective nationale de l'esthétique-cosmétique et de l'enseignement technique et professionnel lié aux métiers de l'esthétique et de la parfumerie. Les juges du premier degré et d’appel, confirmés par le Conseil d’État, estiment que la requérante, en ne respectant pas l'obligation de publication de ses comptes posée à l’art . D. 2135-8 du code du travail, ne satisfait pas à la condition de transparence financière, d’où la régularité de la décision attaquée.

(18 juillet 2018, Union des professionnels de la beauté, n° 406516)

 

Environnement

 

52 - Expropriation – Déclaration d’utilité publique et urgents des travaux pour la réalisation du «  projet de création du tronçon - ligne 18 verte « aéroport d'Orly – Versailles Chantiers » (...) du réseau de transport public du Grand Paris » – Légalité externe de l’enquête publique, de l’étude d’impact, de l’évaluation socio-économique – Légalité interne – Droit de l’Union – Exigence d’autonomie de la formation qui, au sein du Conseil général  de l’environnement et du développement durable, est chargée de la consultation en matière environnementale – Condition remplie en l’espèce – Principe de prévention, notion et portée – Principe de précaution – Utilité publique du projet – Rejet.

Il ne saurait être question, dans le cadre de cette chronique, de commenter cette très longue et riche décision qui aborde plusieurs des principales questions de droit de l’environnement à propos d’une réalisation d’envergure :   le métro automatique de grande capacité en rocade qui doit relier, dans le cadre de l’opération du « Grand Paris », l’aéroport d’Orly à la gare de Versailles Chantiers. Le chapeau ci-dessus témoigne de l’importance de cet arrêt.

 (9 juillet 2018, Commune de Villiers-le-Bâcle et autres, n° 410917)

 

53 - Installations classées pour la protection de l’environnement – Pouvoirs du préfet – Règles particulières de procédure contentieuse – Contrôle juridictionnel de plein contentieux – Autorisation environnementale – Régime juridique – Autorisation unique, combinaison avec l’autorisation environnementale – Police spéciale de l’environnement – Autorisation unique ou environnementale valant permis de construire – Contrôle du juge.

Répondant à une demande d’avis de droit, en quatre points, que lui a adressée le tribunal administratif de Lille, le Conseil d’État prend une importante décision qui aurait mérité d’être rendue en section du contentieux. Cette longue décision concerne, ainsi que l’explicitele chapeau de présentation ci-dessus, plusieurs points de droit délicats en matière d’environnement du fait, notamment, de la succession dans le temps, d’abord du régime de l’autorisation unique, ensuite de celui de l’autorisation environnementale. Egalement se pose la question du « télescopage » dans le temps de ces deux régimes et ses effets concernant le régime de l’autorisation valant permis de construire. Enfin, la nature contentieuse différente des actes en cause (plein contentieux pour l’environnement, excès de pouvoir pour le permis de construire) aboutit à une construction échevelée avec des pouvoirs juridictionnels parfaitement différenciés, des dates d’appréciation du fait et/ou du droit qui sont différentes. Ce qu’illustre très bien le considérant suivant : « Il appartient au juge du plein contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement d'apprécier le respect des règles relatives à la forme et la procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation et celui des règles de fond régissant le projet en cause au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme qui s'apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation. »

Le principe d’intelligibilité et celui de lisibilité sortent éreintés après cet exposé pourtant magistral. Le lecteur est invité à se reporter au texte de la décision.

(26 juillet 2018, Association " Non au projet éolien de Walincourt-Selvigny et Haucourt-en-Cambrésis ", Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de France, M. X. et autres, n° 416831 ; v. aussi, du même jour, largement comparable : Association pour la protection du paysage du canton de Dompaire (APPCD), M. X. et autres, n° 411080 et Société Centrale éolienne du pays entre Madon et Moselle, n° 411201)

 

État-civil et nationalité

 

54 - Brésilienne épouse d’un français – Demande de naturalisation – Refus pour violence exercée sur un dépositaire de l’autorité publique – Motif insuffisant en l’espèce – Annulation du refus.

Compte tenu des termes de l’art. 21-4 du Code civil, qui évoquent « (une) indignité ou (un) défaut d'assimilation », la circonstance que l’épouse brésilienne d’un ressortissant français ait donné un coup de poing à un policier lors d’un contrôle routier et cela sans causer aucune incapacité, ne constitue pas un motif suffisant pour que soit opposé un refus à sa demande de naturalisation.

(4 juillet 2018, Mme X., n° 412840)

 

55 - Congolais époux d’une française – Demande de naturalisation – Refus fondé sur la diversité, la nature et la répétition des comportements délictueux – Légalité.

Le premier ministre ne commet pas d’illégalité, au regard des dispositions de l’art. 21-4 du Code civil, en refusant l’octroi de la nationalité française à un congolais époux d’une française qui s’est rendu à plusieurs reprises coupable d’outrages envers des dépositaires de l’autorité publique, de conduite sans permis, de refus de se soumettre à un contrôle d’alcoolémie, de rébellion et de dégradation de biens.

(4 juillet 2018, M. X., n° 415609 ; v. aussi, à propos d’un refus de naturalisation fondé sur « un mode de vie incompatible avec les valeurs essentielles de la société française », 4 juillet 2018, Mme X., n° 414832 ; dans le même sens de refus mutatis mutandis : 18 juillet 2018, M. X., n° 416638 ; ou encore, en cas de fraude sur l’existence d’un mariage antérieur à la demande de naturalisation : 18 juillet 2018, Mme X., n° 415967)

 

Fonction publique et agents publics

 

56 - Droit à ne pas être soumis à un harcèlement moral – Liberté fondamentale pour un agent public – Obligation de replacer dans son emploi antérieur un agent dont la mutation d’office a été définitivement annulée par le juge – Demande de réintégration à Saint-Martin/Saint-Barthélemy – Réclamation du paiement de son traitement depuis septembre 2017 - Rejet.

M. X., receveur-percepteur du Trésor public affecté en tant que chef de poste à la trésorerie de Saint-Martin et chargé des fonctions de trésorerie par intérim de Saint-Barthélemy, a fait l'objet d'une sanction disciplinaire de déplacement d'office par arrêté du 20 juin 2006 du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En conséquence de cette sanction, M. X. a été affecté par arrêté du 8 août 2006 à la trésorerie générale des Yvelines à compter du 1er novembre 2006 puis placé en congé de longue maladie à compter du 21 septembre 2006, ensuite en congé de longue durée jusqu'au 31 octobre 2009. Il a été réintégré à la trésorerie des Yvelines le 1er novembre 2009. La cour administrative de Versailles a, par un arrêt du 8 novembre 2012, devenu définitif, annulé pour excès de pouvoir les arrêtés du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 20 juin 2006 et du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique du 26 septembre 2008, ayant respectivement prononcé et maintenu la sanction de déplacement d'office à l'égard de M. X. au motif que ces arrêtés étaient intervenus au terme d'une procédure irrégulière.

M. X. a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Saint-Martin d'enjoindre au ministre de l'action et des comptes publics de lui verser sa rémunération depuis le mois de septembre 2017 et jusqu'à son affectation régulière après réintégration dans son emploi de chef de poste à Saint-Martin ou, après mutation avec son accord dans un emploi comptable équivalent, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard. Cette demande a été rejetée par le juge des référés au motif que la circonstance selon laquelle l'administration avait cessé de verser à M. X. sa rémunération depuis le mois de septembre 2017, dès lors qu'il appartenait à ce dernier de rejoindre le poste auquel il avait été affecté à la trésorerie générale des Yvelines par la décision du 21 octobre 2009, n'était pas constitutive d'une situation de harcèlement moral au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. 

L’arrêt est intéressant parce que le Conseil d’État y réaffirme deux règles très importantes.

Tout d’abord, estimant qu’il se trouvait, du fait des décisions de son administration, dans un cas de harcèlement moral, le Conseil d’État juge qu’il était loisible à l’intéressé d’user en l’espèce de la procédure du référé liberté (art. L. 521-2 CJA) puisque le droit de ne pas subir un harcèlement moral constitue, pour tout agent public, une liberté fondamentale.

Ensuite, est rappelée la règle classique selon laquelle : « L'annulation de la décision ayant illégalement muté un agent public oblige l'autorité compétente à replacer l'intéressé, dans l'emploi qu'il occupait précédemment et à reprendre rétroactivement les mesures nécessaires pour le placer dans une position régulière à la date de sa mutation. Il ne peut être dérogé à cette obligation que dans les hypothèses où la réintégration est impossible, soit que cet emploi ait été supprimé ou substantiellement modifié, soit que l'intéressé ait renoncé aux droits qu'il tient de l'annulation prononcée par le juge ou qu'il n'ait plus la qualité d'agent public. ».

Le recours est ici rejeté parce que les premiers juges et le juge d’appel ont considéré que le refus de rémunérer M. X. qui n’avait pas rejoint son poste d’affectation ne révélait aucun harcèlement moral, harcèlement dont il lui revenait d’établir certains au moins des éléments d’existence.

(2 juillet 2018, M. X., n° 421642)

 

57 - Enseignant – Agression sexuelle sur mineurs de quatorze ans commise en dehors du service – Absence d’antécédent ou de récidive – Mise à la retraite d’office – Étendue du contrôle de cassation sur les faits et sur la sanction – Contrôle de proportionnalité – Absence de sanction moins sévère proportionnée.

Un enseignant de lycée s’est rendu coupable d’une agression sexuelle sur mineurs de quatorze ans commise en dehors du service, dans le cadre d’un stage de plongée sous-marine. Reconnu coupable pénalement et condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis, il a fait l’objet d’une sanction disciplinaire sous la forme d’une mise à la retraite d’office par décision du ministre de l’éducation. Cette sanction a été annulée par le tribunal administratif, annulation confirmée par la cour administrative d’appel. Celle-ci, pour juger excessive la sanction de mise à la retraire d’office, a estimé que cette infraction unique avait été commise en dehors de son activité d'enseignant, lors d'un stage de plongée sous-marine auquel il participait en qualité d'instructeur, qu’elle avait été reconnue par l'intéressé, qui s'en était excusé auprès des victimes et qu’il avait entamé un suivi psychologique. De plus, l'expertise psychiatrique a conclu à l'absence de pulsion pédophile et de personnalité perverse ainsi que d'éléments caractérisant un facteur de dangerosité ou un risque de récidive. Enfin, l'intéressé a continué d'exercer normalement ses fonctions pendant une année, avant d'être suspendu puis sanctionné.  Le ministre forme un pourvoi contre cet arrêt.

Statuant comme juge de cassation, le Conseil d’État rappelle deux principes classiques et innove quant au troisième.

 Il juge d’abord qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher : 1°) si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction ; cette qualification juridique des faits est toujours susceptible d’un contrôle de cassation. 2°) si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes ; l'appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des fautes commises relève, pour sa part, de l'appréciation des juges du fond non de celle du juge de cassation.

Concernant l’innovation, elle consiste en une exception à ce second point : l'appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des fautes commises est susceptible d'être remise en cause par le juge de cassation dans l’unique cas où la solution retenue par les juges du fond, quant au choix, par l'administration, de la sanction, est hors de proportion avec les fautes commises.

Appliquant ce dernier élément au cas de l’espèce, le Conseil d’État estime que dans l’échelle des sanctions administratives applicables en l’espèce, il n’existe pas d’autre sanction adéquate, tant au regard de la faute commise, de l’exigence d’exemplarité et d’irréprochabilité incombant à tout enseignant que de l’atteinte portée à la réputation du service public de l’éducation et au lien de confiance devant unir enseignants et élèves.

En droit, l’extension du contrôle de cassation décrite ci-dessus parait peu judicieuse ; en fait, la sanction infligée semble discutable au regard des faits retenus par le juge pénal.

(18 juillet 2018, Ministre de l'éducation nationale, n° 401527)

 

58 - Formation simultanée d’un référé suspension et d’un référé liberté – Moyens mêlant les deux procédures – Absence de détermination du recours principal – Irrecevabilité.

Il suffit de laisser parler le Conseil d’Etat : « Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Montreuil que la demande présentée par Mme X., intitulée " requête en référé-suspension : article L. 521-1 du code de justice administrative et requête en référé liberté : article L. 521-2 du code de justice administrative ", mêlait, d'une part, une argumentation tirée de ce que la décision du 26 mars 2018 de la directrice de l'Etablissement public de santé de Ville-Evrard méconnaissait la présomption d'innocence et portait ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, justifiant la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 521-2, et, d'autre part, des moyens tirés de la violation des textes applicables aux praticiens hospitaliers et venant au soutien de conclusions tendant à ce que la décision soit suspendue sur le fondement de l'article L. 521-1, sans qu'il soit possible de déterminer si le juge des référés était saisi à titre principal sur le fondement de l'un ou de l'autre article ; que, dans ces conditions, la demande était irrecevable et ne pouvait, par suite, être accueillie ; (…) »

(2 août 2018, Mme X., n° 420481)

 

59 - Recrutement de professeur de l’enseignement supérieur – Muséum d’histoire naturelle – Régime particulier – Présence d’hommes et de femmes dans un jury de recrutement – Limites de cette exigence – Délibération par voie électronique non prévue en l’espèce – Absence d’irrégularité à défaut d’atteinte aux droits de l’intéressée comme au sens de la délibération – Présence possible de personnes non membres du conseil d’administration – Conditions.

La requérante, candidate à un emploi de professeur au Muséum d’histoire naturelle, soulève plusieurs points de droit au soutien de sa requête en annulation du rejet de sa candidature. Ils sont tous rejetés par le Conseil d’État qui statue ici en premier et dernier ressort s’agissant d’un emploi auquel il est pourvu par décret du président de la république. Sont présentés ici quelques-uns des griefs.

Tout d’abord, s’agissant de la composition par sexe du comité de sélection devant se prononcer sur son éventuel recrutement, le Conseil d’État rappelle que ne sont applicables ici ni les dispositions de l’art. 55 de la loi du 12 mars 2012 relative au recrutement dans la fonction publique qui prévoient une composition équilibrée entre hommes et femmes des jurys de concours car la règle ne joue pas pour l’enseignement supérieur, auquel appartient le corps enseignant du Muséum d’histoire naturelle, ni non plus les règles propres à l’enseignement supérieur fixant à au moins 40% le nombre de membres de chaque sexe puisque ledit Muséum  n’est régi que par un décret propre, du 2 novembre 1992, non pris en application du décret du 21 avril 2015 régissant les universités.

Il était reproché également à l’avis du comité de sélection d’avoir été émis au moyen d’un procédé électronique. Si le Conseil d’État convient que cette procédure n’est possible que si elle est prévue par le texte régissant le recrutement au sein d’un organisme et que tel n’est pas le cas du Muséum d’histoire naturelle, cette circonstance ne suffit pas à entacher d’illégalité la délibération litigieuse dès lors qu’il n’est pas allégué ni démontré que cela a privé la requérante d’une garantie ou a eu une incidence sur le sens de l’avis donné ou sur la délibération contestée dès lors que la requérante ne contestait que le seul principe du recours à ce procédé technique.

Enfin, la présence de personnes non membres lors de la délibération du jury n’a pas eu pour effet d’en vicier le déroulement : ces personnes ne sont intervenues à aucun moment, n’ont pris part à aucun vote et se sont bornées à répondre aux questions posées par les seuls membres du jury. On demeurera dubitatif sur ce dernier point car « l’innocence » des questions comme des réponses est loin d’être toujours établie et c’est le principe inverse qui devrait être posé quand bien même l’on tiendrait, par fétichisme contentieux, à cantonner au strict minimum les règles de forme prévues par les textes.

(4 juillet 2018, Mme X., n° 393194 et n° 389085)

 

60 - Professeur de l’enseignement supérieur – Suspension provisoire dans l’intérêt du service – Condition de vraisemblance et de gravité des faits allégués au soutien de la mesure de suspension – Suspension n’ayant ni le caractère d’une mesure disciplinaire ni celui d’une mesure prise en considération de la personne – Recours en excès de pouvoir – Moment de l’appréciation des faits litigieux.

Un professeur d’université fait l’objet – dans l’intérêt du service public – d’une suspension provisoire de ses fonctions à la suite d’accusations de harcèlements portés contre lui par une collègue.

Parmi les diverses questions soulevées deux doivent être notées ici.

En premier lieu, l’intéressé conteste la matérialité des faits et affirme que la preuve n’en est pas rapportée par l’auteur de la mesure de suspension. Le Conseil d’État rappelle qu’il n’est point besoin que les faits litigieux soient « prouvés », il suffit qu’ils aient eu un certain caractère de vraisemblance (résultant de leur précision, du nombre de témoignages ou éléments, etc.) au moment où a été prise la décision de suspension.

En second lieu, le requérant affirme que la preuve de l’inexactitude matérielle desdits faits tels qu’ils ont été retenus pour justifier la suspension a été portée à la connaissance de l'administration postérieurement à sa décision. Dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir la légalité de la décision contestée s’apprécie au jour où elle a été prise et compte tenu des seuls éléments connus de l’administration à cette date. Les faits postérieurs même fondés ne sauraient rendre illégale a posteriori une décision originairement régulière. En revanche, et le juge insiste sur ce point, si cela est exact « l'administration est (…) tenue d'abroger la décision en cause si de tels éléments font apparaître que la condition tenant à la vraisemblance des faits à l'origine de la mesure n'est plus satisfaite »

(18 juillet 2018, M. X., n° 418844)

 

61 - Indemnité de résidence des fonctionnaires – Détermination des zones – Cas des communes situées dans l’arrondissement de Genève, dont Ferney-Voltaire – Changement dans les circonstances de fait - Insuffisance pour entacher d’illégalité le refus d’abroger un article réglementaire et une circulaire régissant ce cas.

Il est accordé aux fonctionnaires, en fonction du lieu d’exercice de leur emploi, une indemnité de résidence. Trois taux ont été fixés en dernier lieu par un décret de 1985 et une circulaire de 2001 : 0%, 1% et 3%. Des agents en poste dans les communes de l’arrondissement de Genève ont demandé en vain l’abrogation de tout ou partie des textes précités en raison des circonstances de fait caractérisées par un coût de la vie notablement plus élevé dans cette zone que dans le reste du département de l’Ain. Dans cette importante décision, sur ce point précis, le Conseil d’État distingue deux hypothèses de changement dans les circonstances de fait postérieurement à l’édiction d’une décision de l’administration. En premier lieu, lorsque celle-ci dispose de ses pouvoirs normaux il suffit que le changement soit constaté et qu’il affecte la base légale de la décision pour que l’administration soit obligée, sur demande des intéressés, de l’abroger. En second lieu, dans les matières où l’administration  dispose de pouvoirs étendus pour adapter son action à l'évolution des circonstances de fait, un changement dans les circonstances de fait ne peut entraîner l'illégalité d'un acte réglementaire « que s'il revêt, pour des causes indépendantes de la volonté des intéressés, le caractère d'un bouleversement tel qu'il ne pouvait entrer dans les prévisions de l'auteur de la mesure et qu'il a eu pour effet de retirer à celle-ci son fondement juridique ». Cette solution est étonnante car la notion de « changement dans les circonstances de fait » est une notion autonome et objective dont on ne voit comment et pourquoi l’appréciation de l’existence dépendrait de l’étendue des pouvoirs de l’administration au moment où elle a pris la décision litigieuse. Il y a là un glissement de logique, un véritable paralogisme.

(5 juillet 2018, M. X. et autre, n° 407075)

 

62 - Professeur des universités – Demande de mutation non satisfaite – Référé suspension – Absence d’urgence – Rejet.

 Le requérant, professeur des universités en poste à l'université de Rouen a sollicité sa mutation à l'université de Montpellier. Il forme un référé suspension contre la délibération du conseil académique de l'université de Montpellier, la délibération du comité de sélection et la décision prononçant l'interruption de la procédure de recrutement sur le poste qu’il visait. Quelque désagrément que causent ces décisions, « elles n'entraînent ni pour sa situation personnelle, ni du point de vue de l'intérêt général, de conséquences de nature à caractériser une situation d'urgence » indispensable pour l’admission de la demande de référé suspension. Ce moyen faisant défaut, il n’est pas passé à l’examen de celui tiré de l’illégalité des décisions contestées.

(18 juillet 2018, M. X., n° 422243)

 

63 - Agent en congé maladie – Abandon de poste – Radiation des cadres – Procédure à respecter – Règles très strictes.

La constatation qu’un agent public a abandonné son poste, ce qui entraine sa radiation des cadres, est une mesure grave. Elle ne peut être prise que s’il existe une certitude sur la situation d’abandon et si l’agent a été correctement informé des risques courus. Dans le cas où il est en congé maladie il ne saurait être considéré comme ayant cessé ses fonctions. C’est pourquoi une lettre adressée à un agent dans cette circonstance ne saurait constituer une mise en demeure à la suite de laquelle l'autorité administrative serait susceptible de prononcer son licenciement pour abandon de poste. Cependant, si l'autorité compétente constate qu'un agent en congé de maladie s'est soustrait, sans justification, à une contre-visite qu'elle a demandée, elle peut lui adresser une lettre de mise en demeure, respectant les conditions fixées par la jurisprudence et précisant en outre explicitement que, en raison de son refus de se soumettre, sans justification, à la contre-visite à laquelle il est convoqué, l'agent court le risque d'une radiation alors même qu'à la date de notification de la lettre il bénéficie d'un congé de maladie. Si, dans le délai fixé par la mise en demeure, l'agent ne justifie pas son absence à la contre-visite à laquelle il était convoqué, n'informe l'administration d'aucune intention et ne se présente pas à elle, sans justifier, par des raisons d'ordre médical ou matériel, son refus de reprendre son poste, et si, par ailleurs, aucune circonstance particulière, liée notamment à la nature de la maladie pour laquelle il a obtenu un congé, ne peut expliquer son abstention, l'autorité compétente est en droit d'estimer que le lien avec le service a été rompu du fait de l'intéressé.

Comme on le voit, l’agent public bénéficie de règles particulièrement protectrices en matière de constatation d’abandon de poste, ce qui impose, en conséquence, à l’administration une certaine circonspection dans le « maniement » de cette notion.

(26 juillet 2018, Mme X., n° 412337)

 

Hiérarchie des normes

 

64 - Art. L. 1141-5 du code de la santé publique – Souscription d’emprunts par d’anciens cancéreux – Faculté, à certaines conditions, de ne pas déclarer cet état lors de la souscription de certains emprunts – Interdiction d’appliquer, en ce cas, une majoration de tarif ou une exclusion de garanties – Renvoi à une convention nationale de la détermination des conditions et délais – Arrêté ministériel contrevenant à cette convention – Illégalité – Annulation.

L'article L. 1141-5 du code de la santé publique prévoit qu’une convention nationale (cf. art. L. 1141-2 CSP) « détermine les modalités et les délais au-delà desquels les personnes ayant souffert d'une pathologie cancéreuse ne peuvent, de ce fait, se voir appliquer une majoration de tarifs ou une exclusion de garanties pour leurs contrats d'assurance ayant pour objet de garantir le remboursement d'un crédit relevant de ladite convention. La convention prévoit également les délais au-delà desquels aucune information médicale relative aux pathologies cancéreuses ne peut être recueillie par les organismes assureurs dans ce cadre. (...) Les candidats à l'assurance sont informés, dans des conditions prévues par décret, de l'interdiction prévue au présent article. "

La convention nationale mentionnée à l'article L. 1141-2 CSP fixe le champ des demandes d'assurance pour lesquelles les candidats ne sont pas tenus de déclarer leurs antécédents de pathologies cancéreuses. 

Elle a donc établi des règles en fonction de la nature de l’emprunt (immobilier, mobilier, prêt à la consommation...), du montant emprunté et de l’âge de l’emprunteur au moment de la souscription de l’emprunt ou de l’achèvement de celui-ci.

La Fédération requérante demandait l’annulation de l’arrêté ministériel du 10 mai 2017 fixant le document relatif à l'information des candidats à l'assurance emprunteur lorsqu'ils présentent, du fait de leur état de santé ou de leur handicap, un risque aggravé, en tant qu'il porte sur les conditions d'application du droit à l'oubli. Selon elle, en disposant seulement que les personnes ayant été atteintes d'un cancer ne sont pas tenues de le déclarer lors de la souscription d'un contrat d'assurance ayant pour objet le remboursement d'un prêt à la consommation affecté ou dédié, d'un prêt professionnel pour l'acquisition de locaux et de matériels ou d'un prêt immobilier, sans reprendre les conditions relatives au montant maximal du prêt, à l'âge de l'emprunteur ainsi que, s'agissant des prêts à la consommation affectés ou dédiés, à la durée de remboursement, cet arrêté viole la convention nationale visée à l’art. L. 1141-2 précité auquel renvoie l’art. L. 1141-5 du même code.

Le Conseil d’État entérine ce raisonnement : en ne reprenant pas les conditions stipulées dans ladite convention, l’arrêté attaqué est entaché d’illégalité et se trouve donc annulé.

(4 juillet 2018, Fédération française de l’assurance, n° 412380)

 

65 - Conseil constitutionnel – Réserve d’interprétation – Portée – Obligation en découlant pour l’administration et pour le juge.

Le Conseil d’État rappelle qu’aussi bien l’administration, fiscale en l’espèce, que le juge éventuellement saisis sont liés, pour l’application et pour l’interprétation d’une disposition législative, par les réserves d’interprétation contenues dans une décision du Conseil constitutionnel rendue dans l’exercice de son contrôle de la constitutionnalité des lois.

En l’espèce, examinant la constitutionnalité du 1 de l’article 80 duodecies CGI, le Conseil a jugé que ces dispositions, définissant celles des indemnités versées lors de la rupture du contrat de travail qui bénéficient «  en raison de leur nature, d'une exonération totale ou partielle d'impôt sur le revenu, ne sauraient, sans instituer une différence de traitement sans rapport avec l'objet de la loi, conduire à ce que le bénéfice de l'exonération varie selon que l'indemnité a été allouée en vertu d'un jugement, d'une sentence arbitrale ou d'une transaction. » Le juge administratif en déduit qu'en cas d'indemnité allouée en vertu d'une transaction, l'administration et, lorsqu'il est saisi, le juge de l'impôt doivent rechercher la qualification à donner aux sommes objet de la transaction. 

Par ailleurs, il résulte des dispositions du code du travail (art. L. 122-14-4, devenu L. 1235-3) que les sommes perçues par un salarié en exécution d’une transaction ne peuvent être regardées comme des indemnités pour licenciement sans cause réelle et donc non imposables que si la rupture des relations de travail est assimilable à un tel licenciement. La détermination de la nature des indemnités par le juge saisi se fait au cours de l'instruction. Il incombe donc à la juridiction saisie, au vu des pièces et documents produits, de déterminer elle-même la nature de ce licenciement.

(5 juillet 2018, M. X., n° 401157)

 

66 - Principe général du droit – Subordination à la loi – Application au principe de sécurité juridique.

Un requérant ne saurait se fonder sur un principe général du droit, ici celui de sécurité juridique, à l’encontre d’une disposition législative. Rappel d’une solution classique qui place un tel principe soit sous la loi soit au niveau de la loi même si ne sont pas taries les controverses sur cette place. Naturellement, il en irait différemment au cas d’un principe général du droit de nature constitutionnelle ou conventionnelle.  Et encore, en ce second cas faut-il que ce principe joue à l’égard des normes juridiques issues du droit national. Tel n’est pas le cas (même décision) du principe de confiance légitime, lequel « ne trouve à s'appliquer dans l'ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par le droit de l'Union européenne ».

(5 juillet 2018, M. X., n° 401157)

 

Libertés fondamentales

 

67 - Protection du domicile – Demande du propriétaire tendant à l’expulsion d’occupants illicites de son domicile – Refus du préfet – Saisine du juge du référé liberté – Prétention de posséder deux domiciles – Preuve non rapportée – Rejet en première instance confirmé en appel.

M. X., qui s’est vu opposer un refus de la part du préfet auquel il avait demandé d’ordonner l’expulsion de personnes occupant son domicile, a saisi le juge des référés qui a rejeté sa requête au motif qu’il n’avait point établi, d’une part, l’existence d’une atteinte grave et immédiate à son droit à la propriété, les documents fournis étant très insuffisants à cet égard, d’autre part, que l’appartement litigieux était son domicile alors qu’il en possède un autre.

Le Conseil d’État ne pouvait que confirmer l’ordonnance de rejet.

(9 juillet 2018, M. X., n° 421711)

 

68 - Liberté d’entreprendre – Vente ou revente d’échographies à des fins d’utilisation pour l’imagerie fœtale humaine – Atteinte justifiée.

(12 juillet 2018, Société Echografilm, n° 412025 ; v. aussi n° 82)

 

69 - Expropriation pour cause d’utilité publique – Arrêté de cessibilité – Obligation d’arpentage en cas de cessibilité d’une partie seulement des parcelles soumises à enquête – Absence d’arpentage – Atteinte à une garantie du droit de propriété – Annulation.

Le préfet de l’Hérault, dans le cadre d’une procédure d’expropriation, a déclaré cessibles en urgence au profit de la commune de Baillargues les immeubles bâtis ou non bâtis appartenant aux requérants. En réalité cet arrêté, dans le cas de deux parcelles, ne portait pas sur des parcelles entières mais sur une partie seulement de chacune d’elles. C’était là la difficulté principale dans cette affaire.

Le Conseil d’État juge :

- d’une part, qu’il résulte des dispositions combinées de l’art. R. 11-28 du code de l’expropriation et de l’article 7 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière, qu’en cas de cessibilité d’une partie de parcelle un document d’arpentage est nécessaire pour procéder à la délimitation et au numérotage distincts des deux parties de la parcelle, celle déclarée cessible et celle demeurant dans le patrimoine des particuliers ;

- d’autre part, cette exigence constitue une garantie du droit de propriété.

L’absence d’arpentage réalisé en l’espèce constitue une illégalité empêchant tout effet de l’arrêté de cessibilité.

 (9 juillet 2018, M. X. et autres c/ Commune de Baillargues, n° 406696)

 

70 - Étranger – Demande d’asile – Refus de délivrer une attestation de demande d’asile – Obligation de quitter le territoire français – Fixation du pays  de renvoi – Demande de suspension de ces mesures – Régime dérogatoire exclusif du régime ordinaire des référés administratifs – Exception en cas de changement dans les circonstances de fait ou de droit survenu depuis la décision contestée – Régime et effet.

Un ressortissant turc, engagé dans la cause kurde, sollicite une demande d’asile. Le préfet refuse de lui délivrer une attestation de demande d’asile, prend un arrêté portant obligation de quitter le territoire français et fixe la Turquie comme pays de renvoi. Celui-ci forme contre ces décisions un référé liberté devant le tribunal administratif qui ordonne la suspension de l’arrêté fixant la Turquie comme pays de renvoi. Le ministre de l’intérieur interjette appel de cette ordonnance.

Le Conseil d’État devait trancher une question délicate.  Le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile fixe une procédure spécifique en matière de recours, de délais, de pouvoirs du juge, etc. en ce qui concerne le contentieux des demandes d’asile, celui des OQTF et celui des décisions fixant l’État de renvoi. Cette procédure est exclusive du droit commun et notamment des référés régis par le Livre V du code de justice administrative. L’intéressé, ainsi que le soutient le ministre appelant, ne pouvait donc pas, comme il l’a fait en première instance et en appel, se prévaloir de l’article L. 521-2 relatif au référé liberté. Toutefois le Conseil d’État, par une de ces constructions prétoriennes, parfois échevelées dont il a le secret, mais pour la bonne cause, va rejeter l’appel du ministre. En effet, cette exclusion du droit commun procédural n’a pas lieu « dans le cas où les modalités selon lesquelles il est procédé à l'exécution d'une obligation de quitter le territoire français emportent des effets qui, en raison de changements dans les circonstances de droit ou de fait survenus depuis l'intervention de cette mesure et après que le juge, saisi sur le fondement du I bis de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (ait statué )ou que le délai prévu pour le saisir a expiré, excèdent ceux qui s'attachent normalement à sa mise à exécution. »

En l’espèce, ce n’est que devant le juge d’appel que le requérant a pu parvenir à démontrer pour la première fois l’authenticité de la condamnation dont il a fait l’objet en Turquie – notamment par la production de traductions assermentées -  et dont il se prévalait mais en vain jusque-là, le fondement politique de cette condamnation et les risques de subir des actes de torture en détention. Le Conseil d’État considère que ceci constitue « un changement dans les circonstances de fait qui ont conduit le préfet (…)  à fixer la Turquie comme le pays où le requérant serait reconduit ».

Par suite, c’est à bon droit qu’il a usé de la voie d’un référé de droit commun, le référé liberté, pour la sauvegarde de sa personne et que le tribunal administratif a accueilli sa demande. D’où le rejet de l’appel.

 (9 juillet 2018, ministre de l’intérieur, n° 421466)

 

71 - Étranger faisant l’objet d’un arrêté de transfert – Assignation à résidence –  Durée de 45 jours  s'étendant au-delà du délai de six mois à l'échéance duquel l'État membre requis est libéré de son obligation de prise en charge du demandeur d'asile – Effets de l’éventuelle illégalité affectant la décision d’assignation à résidence pour durée excessive.

Le Conseil d’Etat était saisi par la cour administrative de Versailles d’une demande d’avis de droit portant sur trois questions liées à la situation de l’étranger qui, ayant fait l’objet d’une décision de transfert vers un autre État est, dans l’attente de ce transfert, assigné à résidence par arrêté préfectoral.

Tout d’abord, il résulte des dispositions combinées du premier alinéa de l'article L. 742-5 et du I de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger faisant l'objet d'une décision de transfert dès la notification de cette décision, pour une durée de quarante-cinq jours, renouvelable une fois. L'assignation à résidence trouve dans ce cas son fondement légal dans la décision de transfert pour l'exécution de laquelle elle est prise. 

Ensuite, il résulte des dispositions  de l'article 29 et du paragraphe 3 de l'article 27 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ainsi que de l’art. L. 742-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile  que l'introduction d'un recours contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, délai qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'État requis et qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue sur cette demande.

Enfin, à l'expiration du délai d'exécution du transfert, la décision de transfert notifiée au demandeur d'asile ne peut plus être légalement exécutée. Il en va de même, par voie de conséquence, de la décision d'assignation à résidence dont elle est le fondement légal. D’où il suit qu’une assignation à résidence ordonnée sur le fondement d'une décision de transfert dont la durée, à la date où elle est édictée, excède le terme du délai dans lequel le transfert du demandeur d'asile doit intervenir en vertu de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, est illégale en tant que sa durée s'étend au-delà de l'échéance de ce délai et le juge, dès lors qu'il est saisi d'une argumentation en ce sens, est tenu de prononcer l'annulation dans cette mesure. Cependant, lorsque le délai d'exécution du transfert a, postérieurement à l'édiction de l'assignation à résidence, été interrompu, il appartient au juge de constater, le cas échéant, que cette interruption a eu pour effet de régulariser la décision d'assignation à résidence en tant qu'elle avait été prise pour une durée excessive ; dans une telle hypothèse, il ne prononce donc pas l'annulation partielle de l'assignation à résidence. 

 (Avis de droit, 26 juillet 2018, Mme X., n° 417441)

 

72 - Décret du 3 août 2017 – Répression des provocations, diffamations et injures non publiques présentant un caractère raciste ou discriminatoire – Principe de légalité des délits et des peines – Imprécision des incriminations – Notions d’ « identité de genre » et d’ « orientation sexuelle », caractère suffisamment précis – Répression de propos non publics – Atteinte excessive à la vie privée (non) – Limites nécessaires et proportionnées à la liberté d’expression.

Les requérants contestaient le décret du 3 août 2017 relatif aux provocations, diffamations et injures non publiques présentant un caractère raciste ou discriminatoire, en tant, d'une part, qu'il modifie l'article R. 625-7 du code pénal qui définit l'infraction de provocation non publique à la discrimination, à la haine et à la violence à l'égard d'une personne en l'élargissant au cas où elle est commise en raison de l'identité de genre de la victime et, d'autre part, qu'il crée, au sein du même code, deux articles, R. 625-8 et R. 625-8-1, rangeant dans la catégorie des contraventions de cinquième classe les infractions de diffamation et d'injure non publiques, en les élargissant également au cas où elles sont commises en raison de l'identité de genre de la victime. Ils invoquaient divers griefs dont aucun n’est retenu par le Conseil d’État.

Celui-ci relève qu’on ne saurait voir une méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines par le décret litigieux du fait de la prétendue imprécision des termes de « provocation à la haineé » alors que cette infraction n’est pas créée par ledit décret ; le moyen est donc inopérant. Il considère que les expressions « identité de genre » et « orientation sexuelle » sont clairs et précis contrairement à ce qu’allèguent les demandeurs. Pas davantage ce décret ne peut être considéré comme portant une atteinte excessive à la vie privée car les propos non publics ne peuvent donner lieu à répression « qu'à la condition d'avoir été tenus ou diffusés dans des conditions exclusives de tout caractère confidentiel ». Le juge n’a pas non plus aperçu la prétendue violation du principe d’égalité entre croyants et athées. Enfin, l’aggravation de la répression pour certaines de ces infractions n’apporte « que des limites nécessaires et proportionnées à la défense de l'ordre, au respect de la liberté et de la vie privée des personnes, ainsi qu'à celui de l'égalité entre les personnes ».

Le juge a voulu visiblement « sauver » un décret de la réprobation juridique même si c’est au prix d’une argumentation pas toujours convaincante.

 (11 juillet 2018, Mmes X. et autres, n° 414819)

 

73 - Système d’automatisation de la consultation centralisée de renseignement et de données (ACCReD) – Décret du 3 août 2017 créant ce fichier – Respect de la vie privée – Fichier autorisé par la loi – Collecte des renseignements proportionnée aux finalités du fichier – Périmètre d’application du système ACCReD – Conditions de collecte et de conservation des données.

L’association requérante demande l’annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2017-1224 du 3 août 2017 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Automatisation de la consultation centralisée de renseignements et de données » (ACCReD) dont la consultation a lieu préalablement au déclenchement d’enquêtes administratives. Le recours est rejeté.

Le juge situe d’abord le cadre général de ces fichiers dangereux pour les libertés et que motivent des puissants besoins de sécurité selon les affirmations des pouvoirs exécutif et législatif : ils doivent être autorisés par la loi, répondre à des finalités légitimes et le choix, la collecte et le traitement des données doivent être réalisés de manière adéquate et proportionné au regard de ces finalités.

En l’espèce, est créée une automatisation de la consultation centralisée de renseignements et de données (ACCReD) que critique l’association requérante.

En effet, l’étendue des secteurs, actes, comportements, situations et autres susceptibles d’en voir recueillir les données est immense et fait légitimement peur. Qu’on en juge. Peuvent donner lieu à consultation : 1°/ les éléments relatifs aux « emplois publics participant à l'exercice des missions de souveraineté de l'État, (…) les emplois publics ou privés relevant du domaine de la sécurité ou de la défense, (…) les emplois privés ou activités privées réglementées relevant des domaines des jeux, paris et courses, (…) l'accès à des zones protégées en raison de l'activité qui s'y exerce, (…) l'utilisation de matériels ou produits présentant un caractère dangereux… ». 2°/ lorsqu’il s’agit « de s'assurer que le comportement des personnes physiques ou morales concernées n'est pas devenu incompatible avec les fonctions ou missions exercées, l'accès aux lieux ou l'utilisation des matériels ou produits au titre desquels les décisions administratives (précédemment) mentionnées ont été prises ». 3°/ « Les décisions de recrutement et d'affectation concernant les emplois en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens au sein d'une entreprise de transport public de personnes ou d'une entreprise de transport de marchandises dangereuses soumise à l'obligation d'adopter un plan de sûreté (…), afin  de « vérifier que le comportement des personnes intéressées n'est pas incompatible avec l'exercice des fonctions ou des missions envisagées ». 4°/ Les éléments relatifs aux « grands événements exposés, par leur ampleur ou leurs circonstances particulières, à un risque exceptionnel de menace terroriste » (…), « les établissements et les installations qui accueillent ces grands événements ainsi que leur organisateur. » L’émotion de la requérante ne semble pas sans fondements surtout en comparaison avec les autres démocraties dont la plupart n’ont pas recours à un arsenal aussi dense d’enserrement des faits et gestes des individus.

Cependant, le Conseil d’État rejette tous les griefs formulés qu’il s’agisse :

- du périmètre des fichiers consultables au moyen du procédé ACCReD lequel n’excéderait pas « compte tenu des limites dans lesquelles s'effectue leur consultation et eu égard aux finalités qu'il poursuit, ce qui est nécessaire au bon fonctionnement du traitement autorisé par le décret attaqué »,

- de la collecte des données sensibles – laquelle ne porterait pas une atteinte disproportionnée, au regard de la finalité du traitement qu'il crée, à la liberté, au droit au respect de la vie privée et familiale ni à la liberté de pensée, de conscience et de religion -,

- de la conservation de ces données car « le décret attaqué n'a pas autorisé la conservation des données collectées pour une durée excédant ce qui est nécessaire aux finalités du traitement qu'il autorise »,

- des destinataires des données et informations collectées au moyen d’ACCReD car, là aussi, les précautions prises éviteraient « un accès aux données collectées (n’)excédant (pas) ce qui est nécessaire aux finalités poursuivies par le traitement dont il autorise la création ».

Si l’on savait que la sécurité à un prix, payé notamment par la liberté, ici il semble nettement exorbitant. La présente décision – on le regrettera - fait davantage ressortir le juge administratif comme « le protecteur des prérogatives de l’administration » (titre de la bien connue thèse d’Achille Mestre, LGDJ, 1974) que comme le promoteur des libertés des personnes.

 (11 juillet 2018, Ligue des droits de l’homme, n° 414827)

 

74 - Etrangers – Obligation de quitter le territoire français (OQTF) – Placement en rétention administrative ou assignation à résidence – Garanties procédurales en matière de recours contentieux – Délais – Absence de contrariété à une disposition conventionnelle.

L’association requérante demande l’annulation pour excès de pouvoir de l’art. 7 du décret n° 2016-1458 du 28 octobre 2016 portant notamment modification du code de justice administrative en ce qui concerne la procédure juridictionnelle relative aux expulsions, refoulements et autres, d’étrangers. Elle critique notamment les délais ouverts en matière de recours contre les OQTF.

Le Conseil d’Etat relève que l’étranger dispose toujours de la possibilité d’abord de contester la décision de placement en rétention administrative ou d’assignation à résidence devant le tribunal administratif et, ensuite, dès la saisine de ce tribunal par une requête susceptible d'être motivée même après l'expiration du délai de recours, de demander au président de ce tribunal le concours d'un interprète ainsi que la désignation d'office d’un avocat.  Il en déduit que nonobstant la circonstance que les délais de 48 heures et de 15 jours sont insusceptibles de prorogation, le décret attaqué « n'est contraire ni au droit au recours effectif prévu par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni à l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ni aux dispositions du paragraphe 1 de l'article 13 de la directive du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ». D’où la – très prévisible – décision de rejet du recours qui est prononcée.

 (16 août 2018, Association Avocats pour la défense des droits des étrangers, n° 406424)

 

Police

 

75 - Mesures de police strictes prises envers un individu suspecté de sympathies avec des mouvements terroristes – Interdiction de sortir du territoire d’une commune – Obligation de se présenter à la police tous les jours – Demande de suspension – Examen par le juge des éléments de fait.

Cette ordonnance, rejetant une demande de suspension d’un arrêté du ministre de l’intérieur appliquant à un individu suspect de sympathies terroristes les dispositions des articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, constitue un excellent exemple de la minutie et de la précision des analyses auxquelles se livre le juge du référé liberté dans un contexte politico-juridique délicat. Ceci montre qu’il est parfaitement possible de concilier célérité de la justice, principe du contradictoire et motivation particulièrement étendue des décisions.

(Ord. référé, 5 juillet 2018, M. X., n° 421502 ; on fera la même observation à propos d’une ordonnance rendue dans un cadre factuel et juridique très comparable : 16 juillet 2018, M. X., n° 421791)

 

76 - Permis de conduire – Conduite sous l’empire d’un état alcoolique – Mesure contestée du taux d’alcoolémie – Erreur du préfet – Annulation de la suspension du permis de conduire.

Commet une erreur de fait et, par suite, une erreur de droit, le préfet qui, pour suspendre un permis de conduire, se fonde sur l’existence d’un taux d’alcoolémie égal à 0,400mg/l alors qu’il résulte des deux mesures effectuées, l’existence, respectivement, de 0,43mg/l et de 0,40 mg/l, ce qui, après déduction de  la tolérance de 8 % applicable en pareil cas, constitue un taux inférieur au plancher légal.

(18 juillet 2018, M. X., n° 407914)

 

77 - Assassinat d’un militaire français – Invocation d’une faute du service du renseignement – Demande de dommages-intérêts – Admission partielle en première instance et refus en appel pour absence de faute lourde – Confirmation en cassation.

Plusieurs membres de la famille d’un militaire assassiné par un terroriste à Montauban, recherchent la responsabilité de l’État à raison de défaillances du service du renseignement. En première instance le tribunal a limité à 30% la part du préjudice mis à la charge de l’État. La juridiction d’appel, confirmée par le Conseil d’État, dénie toute faute lourde de ce service.

Cette décision confirme l’exigence d’une faute lourde pour que soit engagée la responsabilité de l’État à raison d’actes de terrorisme. Pour exonérer l’État de toute responsabilité car aucune faute lourde n’a été commise, sont mis en balance, d’une part, les efforts déployés dans le cadre des investigations relatives à l’assassin avant la commission de son acte et d’autre part, les difficultés objectives considérables d’une telle recherche.

(18 juillet 2018, M. X. et autres, n° 411156)

 

78 - Services spécialisés de renseignement – Mise en œuvre des techniques de renseignement soumises à autorisation et des fichiers intéressant la sûreté de l'État – Désignation des services autres que les services spécialisés de renseignement, autorisés à recourir aux techniques mentionnées au titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure, pris en application de l'article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure – Techniques de recueil de renseignement – Inconstitutionnalité et inconventionnalité alléguées – Demandes de renvois préjudiciels à la CJUE – Dérogation injustifiée aux dispositions du code de justice administrative régissant le principe du contradictoire – Procédure devant la formation spécialisée siégeant au sein de la section du contentieux du Conseil d’État.

On retiendra de cette décision-fleuve qui ne sera pas rapportée dans le cadre de cette chronique, que les requérants mettaient en cause les décrets n° 2015-1185 du 28 septembre 2015 portant désignation des services spécialisés de renseignement, n° 2015-1211 du 1er octobre 2015 relatif au contentieux de la mise en œuvre des techniques de renseignement soumises à autorisation et des fichiers intéressant la sûreté de l'État, n° 2015-1639 du 11 décembre 2015 relatif à la désignation des services autres que les services spécialisés de renseignement, autorisés à recourir aux techniques mentionnées au titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure, pris en application de l'article L. 811-4 et n° 2016-67 du 29 janvier 2016 relatif aux techniques de recueil de renseignement.

Ils invoquaient à l’appui de leur action en illégalité, un grand nombre de règles ou principes constitutionnels ou conventionnels, plusieurs étant rejetés par le Conseil d’État, toujours aussi respectueux du pouvoir exécutif dans l’exercice de ses pouvoirs de haute police et dans une matière aussi sensible que la lutte contre le terrorisme dont l’un des vecteurs majeurs. Toutefois, trois questions préjudicielles d’importance sont posées à la CJUE.

(26 juillet 2018, La Quadrature du Net, French Data Network, Association Igwan.net et Fédération des fournisseurs d'accès à internet associatifs, n°s 394922, 394925, 397844 et 397851 ; v. aussi, du même jour : French Data Network, la Quadrature du Net, Fédération des fournisseurs d'accès à Internet associatifs, Privacy International et le Center for Democracy and Technology, n° 393099)

 

Procédure contentieuse

 

79 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort – Litige relatif à des professeurs certifiés – Nomination par arrêté du ministre de l’éducation nationale – Incompétence du Conseil d’État saisi directement – Renvoi au tribunal administratif de Paris.

La demande d’annulation des résultats du concours en vue du recrutement de professeurs certifiés de l’enseignement secondaire, dans l’option « créole », ne relève pas de la compétence directe du Conseil d’État car les membres de ce corps sont nommés par arrêté du ministre de l’éducation nationale.

(4 juillet 2018, M. X. et autres, n° 396689)

 

80 - Juridiction administrative – Chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires – Mentions portées sur un arrêt – Date du prononcé de la décision – Modification postérieure par la présidente de la juridiction – Illégalité – Cassation.

L’intéressé avait fait l’objet d’une sanction disciplinaire prononcée par la chambre régionale de discipline de l’ordre des vétérinaires, décision partiellement réformée en appel par une décision de la chambre nationale de discipline du 19 avril 2017. Par une ordonnance du 6 décembre 2017, la présidente de cette chambre a modifié cette décision du 19 avril 2017 dans les termes suivants : « La date à laquelle les débats ont eu lieu, soit le 14 mars 2017, remplace la date du 13 décembre 2016 et la date à laquelle la décision a été prononcée au terme du délibéré, soit le 19 avril 2017, remplace celle du 24 janvier 2017 ». M. X. sollicite l’annulation de la décision de la chambre nationale et de « l’ordonnance » rendue par la présidente de celle-ci.

Le Conseil d’État lui donne raison, d’une part parce qu’est illégale toute décision de la chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires qui comporte une date de prononcé inexacte, ou dont les mentions ne permettent pas de déterminer la date de son prononcé, d’autre part, parce que la présidente de cette juridiction ne tenait d’aucun texte ou principe le pouvoir de modifier, postérieurement au prononcé d'une décision de la chambre nationale de discipline, la date de son prononcé qui doit y figurer. Il est des évidences qu’il faut parfois rappeler.

(4 juillet 2018, M. X., n° 410506 et n° 417943)

 

81 - Contenu des requêtes – Exposé des faits et moyens – Absence – Rejet selon la procédure de l’art. L. 522-3 CJA.

Dans le cadre d’un litige en contestation d’un ordre de quitter le territoire français (OQTF) et de la fixation du pays de destination, l’intéressé, après avoir obtenu une satisfaction partielle en référé en première instance, saisit le Conseil d’Etat du surplus rejeté. Celui-ci rejette la requête comme manifestement irrecevable car celle-ci ne contient pas l’exposé au moins sommaire des faits et des moyens qu’exige l’art. R. 522-1 CJA ; il use pour cela de la procédure expéditive organisée par l’art. L. 522-3 du même code, c’est-à-dire sans contradictoire (oral ou écrit) et sans audience publique.

(11 juillet 2018, M. X., n° 422057)

 

82 - Recours en annulation d’une décision administrative – Délai du recours – Expiration – Irrecevabilité – Décret modificatif – Exception d’illégalité – Conditions – Intérêt pour agir – Liberté d’entreprendre – Vente ou revente d’échographies à des fins d’utilisation pour l’imagerie fœtale humaine – Atteinte justifiée.

La société Echografilm, qui a pour objet social  la « création de DVD à la suite de séances échographiques non médicales et la création et administration de contenus numériques », sollicite l’annulation des décrets n° 2017-91 du 26 janvier 2017 relatif à la restriction de la vente, revente ou de l'utilisation des échographes destinés à l'imagerie fœtale humaine et  n° 2017-702 du 2 mai 2017 relatif à la réalisation des échographies obstétricales et fœtales et à la vente, revente et utilisation des échographes destinés à l'imagerie fœtale humaine.

Le juge rejette, pour tardiveté, le recours contre le décret du 26 janvier 2017 car il a été enregistré au Conseil d’État plus de deux mois après sa publication au Journal officiel, cette forclusion étant opposable alors même que ce décret a été modifié par le décret du 2 mai 2017. S’agissant de ce dernier décret, deux questions de procédure sont abordées.

Tout d’abord, la société Echografilm se voit reconnaitre un intérêt pour agir uniquement contre l’article 4 de de ce décret. En effet, eu égard à son objet social, elle dispose d’un intérêt suffisant pour le contester puisqu’il modifie les dispositions du décret du 26 janvier 2017 encadrant la vente ou la revente d'échographes. En revanche, elle n’a intérêt à attaquer aucune des autres dispositions de ce décret modificatif qui définissent les compétences requises des médecins et sages-femmes pour réaliser les échographies obstétricales et fœtales comme les examens d'imagerie par ultrasons à des fins médicales effectués dans le cadre de la grossesse car les manipulateurs d'échographes qu'elle emploie ou envisage d'employer ne sont ni médecins ni sages-femmes. Comme les dispositions de l’art. 4 précité sont divisibles des autres articles de ce décret, le recours peut être examiné. Au contraire, si ces derniers articles avaient formé un ensemble indivisible le recours aurait été rejeté entièrement car les demandes d’annulation partielle d’un acte indivisible sont irrecevables.

Ensuite, l’illégalité du décret du 2 mai 2017 n’est invoquée que par la voie de l’exception tirée de l’illégalité du décret qu’il modifie, celui du 26 janvier 2017 or si l'illégalité d'un acte réglementaire peut être invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure à toute époque, même après l'expiration du délai de recours contentieux contre cet acte réglementaire, une telle exception ne peut être utilement soulevée que si la décision administrative attaquée a pour base légale le premier acte ou a été prise pour son application. Tel n’est pas le cas en l’espèce où l’article 4 n’a ni pour base légale le décret du 26 janvier 2017 ni été pris pour son application.

Enfin, les juges répondent, alors qu’ils n’y étaient pas tenus, à l’argument de la requérante portant sur la violation de la liberté d’entreprendre dont elle se dit victime. S’ils reconnaissent l’existence d’une atteinte à cette liberté, ils relèvent cependant qu’« il ressort des pièces du dossier qu'il ne peut être exclu que l'utilisation, par une personne ne disposant pas d'une qualification adéquate, d'un appareil d'échographie, qui est un dispositif médical de classe IIa correspondant à un risque potentiel modéré, ait des effets sur la santé de l'enfant à naître, notamment en cas de mésusage de l'appareil ou d'augmentation de la durée d'exposition et de la puissance du signal pour améliorer la qualité des images obtenues, et puisse donner lieu à une interprétation erronée des images, voire à une prise en charge inadaptée de l'enfant à la suite d'informations révélées par ces images. Ainsi, en l'état des connaissances, l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre par les dispositions attaquées, s'agissant d'une utilisation des appareils d'échographie dépourvue de justification médicale, ne peut être regardée comme injustifiée ni disproportionnée au regard de l'objectif de protection de la santé publique qu'elles poursuivent ».

(12 juillet 2018, Société Echografilm, n° 412025)

 

83 - Expertise – Demande d’extension du champ de l’expertise – Pouvoirs et obligations du juge saisi – Conséquences procédurales – Garantie décennale, prescription ou non.

Un expert désigné par le juge demande à celui-ci d’étendre sa mission d’expertise relative aux causes et aux conséquences de désordres affectant l'étanchéité du bassin et la solidité des margelles du complexe aquatique de plein air (…), qui lui avait été confiée par une ordonnance du 30 juin 2014 du juge des référés à la demande de la communauté de communes Cœur d'Astarac en Gascogne. Le juge a étendu la mission d'une part, à l'analyse des nouveaux désordres consistant en des décollements d'enduits sur le bassin et à la détermination de leur origine et de leur liaison avec les désordres initiaux et, d'autre part, à l'analyse des nouveaux matériaux mis en œuvre et de leur compatibilité avec le traitement de l'eau du bassin.

La société requérante avait interjeté appel de cette ordonnance pour divers motifs dont, d’une part, celui tiré de l’exception de prescription décennale qui, on le sait, empêche la mise en jeu de la garantie décennale au titre de laquelle pouvait être recherchée la responsabilité de cette société, et, d’autre part, celui tiré du défaut de caractère utile de l’extension de la mission d’expertise. Sa demande est rejetée et elle se pourvoit.

Le Conseil d’État reproche en premier lieu à la cour administrative d’avoir jugé qu'il ne lui appartenait pas de statuer sur le moyen tiré de la prescription, au titre de la garantie décennale, des demandes de la communauté de communes Cœur d'Astarac en Gascogne portant sur les nouveaux désordres constatés le 22 août 2017. En effet, il est de l’office du juge saisi d’une demande d’extension d’expertise lorsqu’elle est formée à l’appui de prétentions qui se heurteraient à la prescription d’y statuer. L’arrêt est annulé de ce chef.

En second lieu, il se prononce sur l’utilité de la demande d’extension de la mission expertale. En réalité, la requérante n’avait demandé dans sa requête d’appel, dans le délai légal, l’annulation de l’ordonnance qu’en tant qu’elle portait sur l'analyse des matériaux mis en œuvre et à leur compatibilité avec le traitement de l'eau du bassin. Ce n’est que plus tard, hors du délai d’appel, qu’elle a demandé l’annulation de la totalité de l’ordonnance en tant qu’elle étend l’expertise à l'analyse de nouveaux désordres, consistant en des décollements d'enduits sur le bassin et à la détermination de leur origine et de leur liaison avec les désordres initiaux. Cette seconde demande est entachée de forclusion, seule est donc examinée la critique de l’extension d’expertise à l'analyse des matériaux mis en œuvre et à leur compatibilité avec le traitement de l'eau du bassin.

À cet égard, le juge relève que les nouveaux désordres ayant justifié l'extension de la mission de l'expert par l'ordonnance attaquée sont susceptibles d'avoir la même origine que les désordres mentionnés par la première ordonnance de référé, rendue avant l’expiration du délai décennal ; par suite la société requérante ne saurait exciper de la prescription qui affecterait les nouveaux désordres s’ils ont une origine commune aux précédents, ce que l’extension de l’expertise doit, précisément, établir. Il réfute ensuite l’argumentation de la société requérante – selon laquelle la circonstance que l'expert désigné en 2011 avait déjà conclu que les désordres affectant le complexe aquatique provenaient de l'agressivité de l'eau du réseau fortement déminéralisée et d'un contrôle défectueux de la qualité de l'eau rendrait inutile l’extension d’expertise sollicitée – car cette analyse complémentaire est justifiée par la constatation de  l'aggravation des désordres constatée depuis cette première expertise, notamment les pertes anormales d'eau du bassin.

Le pourvoi est ainsi entièrement rejeté.

(11 juillet 2018, Société Diffazur Piscines, n° 416635)

 

84 - Moyen inopérant – Moyen dirigé contre un motif surabondant d’une décision de justice – Inopérance.

Rappel d’une règle constante de contentieux administratif selon laquelle le moyen, même fondé, dirigé contre un motif surabondant d’une décision de justice est inopérant. En effet, ce motif n’étant pas nécessaire à la solution du litige et celle-ci demeurant inchangée en l’absence de ce motif, le moyen ne peut prospérer.

(4 juillet 20018, Mme X., n° 401566)

 

85 - Sursis à l’exécution des jugements – Obligation pour la juridiction d’appel de se rechercher si le moyen invoqué était de nature à infirmer l'annulation de la décision administrative attaquée – Absence ici – Annulation.

Lorsqu’un appelant sollicite de la juridiction d’appel qu’elle sursisse à l’exécution du jugement frappé d’appel, l’art. R. 811-15 CJA impose à celle-ci de vérifier si les moyens invoqués par l'appelant apparaissent, en l'état de l'instruction, sérieux et sont de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement. En l’espèce, pour faire droit à la demande de sursis introduite par le syndicat requérant, la  cour administrative d’appel s’est bornée à juger que le moyen tiré de ce que les premiers juges n'avaient pas répondu à la question de droit qui leur était soumise et de ce qu'ils avaient fait une inexacte application des dispositions de l'article 115 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 paraissait, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier le sursis à exécution du jugement attaqué. En revanche, elle n'a pas recherché, ce qui est pourtant la seconde condition posée par l’art. R. 811-15 CJA, si ce moyen était de nature à infirmer l'annulation de la décision administrative attaquée, d’où l’annulation de son arrêt et le renvoi devant elle de l’affaire.

(12 juillet 2018, Syndicat FSU La Territoriale 37, n° 406235 ; v. aussi, du même jour, à propos de l’admission d’un sursis à l’exécution d’un arrêt d’appel :  Société Cerba et Société Daklapack Europe B.V., n° 420656 et Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), n° 420665)

 

86 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort – Acte réglementaire d’un ministre – Arrêté ministériel déterminant les organisations syndicales intéressées appelées à proposer des représentants au Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles – Mise en cause uniquement pour produire des observations – Absence d’irrecevabilité.

Cette décision rendue en matière de représentativité des organisations syndicales appelées à siéger au Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles, outre d’autres points de droit, comporte deux intéressantes précisions en forme de rappel.

Tout d’abord, l’arrêté ministériel déterminant, en application du code du travail (art. R. 6123-1-8, 8°), les organisations syndicales intéressées appelées à proposer des représentants au Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles, a un caractère réglementaire. Il s’ensuit, conformément aux dispositions de l’article R. 311-1 CJA, que le Conseil d’État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort des litiges relatifs à cet arrêté.

Ensuite, l’Union syndicale requérante ne peut pas soutenir que les écritures que l’Union syndicale autonome a présentées devant le tribunal administratif de Paris et la cour administrative d'appel de Paris sont irrecevables. En effet, cette dernière n'a été mise en cause que pour produire des observations car elle n'aurait pas eu qualité pour former tierce opposition à la présente décision si celle-ci avait prononcé l'annulation de l'arrêté attaqué et si elle n'avait pas été présente à l'instance.

(9 juillet 2018, Union syndicale Solidaires, n° 407077)

 

87 - Demande de non-lieu par le ministre des finances – Ministre défendeur à un pourvoi en cassation – Absence de renonciation au paiement des impositions en litige – Litige conservant son objet – Rejet de la demande de non-lieu.

Dans le cadre d’un contentieux fiscal où le contribuable se pourvoit en cassation, le ministre des finances déclare renoncer à se prévaloir du bénéfice de la chose jugée par l’arrêt d’appel et demande en conséquence au Conseil d’État de prononcer le non-lieu à statuer. Or celui-ci déclare en même temps n’avoir pas accordé de dégrèvements au titre des impositions en litige. Celui-ci demeure donc entier et le ministre ne peut, par son intempestive demande, tenter d’empêcher le contribuable d’accéder au juge de cassation. La manœuvre, outre sa déloyauté, était d’une subtilité réduite.

(26 juillet 2018, Société Valeo Systèmes Thermiques, n° 403009)

 

88 - Avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation – Monopole – Droit d’exercer un recours effectif – Représentation des parties devant le Tribunal des conflits – Limitation du nombre des avocats – Absence d’illégalité ou d’inconventionnalité.

Les requérants contestent en vain, par divers motifs, en particulier en invoquant le droit d’exercer un recours, l’obligation faite aux justiciables de recourir à l’office d’un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation pour ester devant ces juridictions et devant le Tribunal des conflits. Le Conseil d’État rejette tous les arguments.

L’obligation de recourir à ces avocats, qui sont spécialisés et offres de bonnes garanties de compétence, assorti, le cas échéant, du bénéfice de l’aide juridictionnelle, ne porte pas atteinte au droit constitutionnel des justiciables d'exercer un recours effectif devant une juridiction.

Le monopole qu’ils exercent également devant le Tribunal des conflits est justifié par les fonctions de ce Tribunal et il est conforme à la directive européenne du 16 février 1998 visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un Etat membre autre que celui où la qualification a été acquise.

Le décret attaqué ne saurait être contesté quant à la limitation du nombre de ces avocats puisque ce n’est pas lui qui fixe cette règle.

La procédure des conflits d’attribution, qui vise à déterminer la juridiction compétente, ne porte point atteinte au droit d’exercer un recours effectif.

Il n’est pas possible de demander au juge administratif, juge de la légalité des décisions administratives, de « constater l’illégalité » de dispositions législatives ou réglementaires.

La demande de renvoi préjudiciel à la CJUE est rejetée tout comme l’entier recours.

(11 juillet 2018, M. X. et autres, n° 389902)

 

89 - Demande d’indemnisation – Rejet au motif que la requérante n’a pas produit certaines pièces – Absence d’usage par le juge de son pouvoir d’instruction – Annulation.

Dans le cadre d’un recours en indemnisation le juge ne peut pas – sans avoir usé de son pouvoir d’instruction - rejeter la demande dont il est saisi au motif que n’est pas établie la réalité du préjudice de perte de revenus invoqué. Manquant au moins partiellement à son office il a commis une erreur de droit.

(26 juillet 2018, Mme X., n° 410899)

 

90 - Amende pour recours abusif – Absence d’obligation de motivation – Contrôle du juge de cassation sur la qualification juridique des faits conférant au recours un caractère abusif – Cassation sans renvoi en l’absence de tout point restant encore à juger.

Cette décision, relative à un refus de délivrer un permis de construire modificatif, comporte deux points intéressant de procédure.

Le premier concerne le traitement procédural de l’amende pour recours abusif (art. R. 741-12 CJA). Le juge qui l’inflige n’est pas tenu de motiver spécialement sa décision. Le montant de l’amende (actuellement limité à 10 000 euros) relève du pouvoir souverain d’appréciation du juge qui décide de l’infliger. En revanche, la qualification juridique des faits conduisant à apercevoir un abus relève du contrôle exercé par le juge de cassation. Ici le recours n’est pas jugé abusif et l’arrêt d’appel annulé pour avoir estimé le contraire.

Le second point concerne le sort des arrêts de cassation. Soit l’arrêt est suivi d’un renvoi à la juridiction dont le jugement ou l’arrêt est cassé, soit le Conseil d’Etat statue au fond dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice (art. L. 821-2 CJA), soit, enfin, et c’est le cas ici, la cassation ne laisse plus rien à juger et aucun renvoi n’est opéré.

(11 juillet 2018, M. et Mme X., n° 409163)

 

91 - Condamnation à astreinte – Inexécution de la condamnation – Ordonnance d’astreinte modifiée postérieurement pour rectification d’une erreur matérielle – Point de départ de l’astreinte – Liquidation.

Le Conseil d’État a enjoint, par décision du 20 décembre 2017 (même n° de requête) à divers occupants irréguliers d’une propriété communale de quitter les lieux sous astreinte de 300 euros par jour. Cette décision a fait l’objet, le 28 décembre 2017, d’une ordonnance de rectification d’erreur matérielle. Liquidant l’astreinte devant la persistance de l’occupation irrégulière, le juge en fixe le point de départ à sa décision d’origine et non à celle rectifiant l’erreur matérielle.

(11 juillet 2018, M. X., n° 402383)

 

92 - Exécution du contrat – Impossibilité de principe pour le juge administratif d’adresser des injonctions en vue de l’exécution d’un contrat – Exception lorsque l’administration ne dispose pas des moyens nécessaires à cet égard – Cas où les relations contractuelles ont cessé – Juge compétent pour prononcer l’injonction.

Dans ce dossier complexe, la commune d’Isola et le Syndicat mixte pour l’exploitation de cette station avaient résilié pour motif d’intérêt général la convention d’aménagement qu’ils avaient conclu avec la Société d'aménagement et de promotion de la station d'Isola (SAPSI) aux droits de laquelle est venue la société d'aménagement d'Isola 2000 (SAI 2000). Ils ont réclamé, en exécution de l’art. 20 de la convention résiliée, la restitution des parcelles qui lui avaient été cédées par la commune. Le tribunal administratif de Nice a subordonné cette restitution au versement simultané d’une certaine somme. Cette partie du dispositif du jugement est devenue définitive, l’annulation partielle de l’arrêt de la cour de Marseille n’ayant pas affecté celle-ci. Les deux juridictions ont assorti leurs jugement et arrêt d’une astreinte provisoire. La commune et le syndicat demandent au Conseil d’Etat d’augmenter le taux de l’astreinte et de liquider l’astreinte provisoire.

Le Conseil d’État rappelle qu’ « il n'appartient pas au juge administratif d'intervenir dans l'exécution d'un contrat administratif en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l'administration lorsque celle-ci dispose à l'égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l'exécution du contrat, il en va autrement quand l'administration ne peut user de moyens de contrainte à l'encontre de son cocontractant qu'en vertu d'une décision juridictionnelle, notamment après l'expiration des relations contractuelles ; qu'en pareille hypothèse, le juge du contrat est en droit de prononcer, à l'encontre du cocontractant de l'administration, une condamnation, éventuellement sous astreinte à une obligation de faire ; ». La demande dont avaient été saisis le tribunal et la cour tendait précisément à les voir ordonner une obligation de faire. Il fait ensuite observer que les dispositions du CJA relatives aux astreintes et aux injonctions ne sont « pas applicables lorsque le juge du contrat, saisi par l'administration en vue de prononcer une obligation de faire à l'encontre de l'ancien cocontractant de l'administration, fait application du principe général selon lequel les juges ont la faculté de prononcer une injonction assortie d'une astreinte en vue de l'exécution de leurs décisions ».

Par ailleurs, le juge compétent pour connaître d’une demande d’exécution d’un jugement est la juridiction qui l’a rendu ou, en cas d’appel, la juridiction d’appel et cela même dans le cas où elle aurait rejeté l'appel formé devant elle. Ces principes ne sont pas modifiés lorsque ce jugement ou arrêt fait l’objet d’un pourvoi en cassation ; il n’en va autrement que dans le cas où le Conseil d’État, juge de cassation, règle l’affaire au fond, y compris lorsque ce jugement ou arrêt n’a fait l’objet que d’une annulation partielle. Ces deux solutions jurisprudentielles sont simplificatrices et donc bienvenues. C’est donc à tort qu’en l’espèce, après cassation partielle de l’arrêt qu’elle avait rendu, la cour a statué sur les conclusions à fin d’exécution. Le Conseil d’État est bien compétent, dans le cadre particulier de la présente affaire, pour liquider l’astreinte prononcée en première instance. Il relève que les demanderesses devaient régler à l’aménageur le montant de la plus-value apportée à ces parcelles par les aménagements effectués mais que, contrairement à ce que soutient la société défenderesse, la détermination du montant de la plus-value apportée à certains terrains par l'aménageur n'est pas une condition préalable pour que cette restitution intervienne.

Enfin, observant « la difficulté de déterminer la portée exacte de la chose jugée sur ce point par les différentes décisions juridictionnelles (…), l'inexécution de l'injonction ne peut être regardée, dans les circonstances particulières de l'espèce, comme intervenue du seul fait de la SAI 2000 ; que, dans ces conditions, il n'y a pas lieu de procéder à la liquidation de l'astreinte prononcée à l'encontre de la SAI 2000 par le tribunal administratif de Nice. »

Il enjoint à la SAI de signer, dans les trois mois, l’acte de transfert de propriété des parcelles sous réserve du paiement simultané de la somme prévue actualisée ; il assortit cette dernière injonction d’une astreinte de 1000 euros par jour de retard à compter de l’expiration du dernier jour du troisième mois suivant la notification de la décision du Conseil d’État. 

 (11 juillet 2018, Commune d'Isola et Syndicat mixte pour l'aménagement et l'exploitation de la station d'Isola 2000, n° 407865)

 

93 - Note en délibéré produite postérieurement à la clôture de l’instruction – Obligation de la viser après en avoir pris connaissance – Absence – Irrégularité du jugement.

En l’espèce, le requérant a adressé au tribunal administratif une note en délibéré à l'issue de l'audience publique. Si ce mémoire a été enregistré au greffe du tribunal, en revanche le jugement attaqué, ne comporte pas dans ses visas mention de ce mémoire. Il est donc irrégulier et annulé.

 (11 juillet 2018, M. X., n° 406899)

 

94 - Référé suspension (art. L. 521-1 CJA) – Condition d’urgence – Délibération d’un conseil municipal portant désaffectation et déclassement d’une parcelle communale et autorisant sa cession au profit d’une SCI – Condition non remplie en l’espèce – Annulation de l’ordonnance suspendant la délibération.

Une association demande l’annulation d’une délibération communale désaffectant et déclassant une parcelle communale et autorisant sa cession à une société privée, elle l’assortit d’une demande en référé suspension. Le juge du référé fait droit à cette demande motif pris de ce que l'entrée en vigueur de la délibération était conditionnée par son caractère définitif et que cette circonstance avait « pour effet de priver les justiciables de la voie de droit du référé suspension » ; pour des motifs tirés du principe de sécurité juridique, il fixe à une certaine date son entrée en vigueur et en déduit que la condition d'urgence (art.  L. 521-1 CJA) était satisfaite en l’espèce. Le Conseil d’État, annule cette décision pour cette évidente erreur de droit, « qu'eu égard aux modalités de mise en œuvre de la délibération retenues par le conseil municipal, aucune atteinte immédiate aux intérêts de l'association requérante, qui n'a pas été privée de son droit à un recours juridictionnel, n'était caractérisée ». Ainsi fait défaut la condition d’urgence, indispensable à la formation d’un référé suspension.

 (11 juillet 2018, Commune de Maisons-Laffitte, n° 415342)

 

95 - Référé suspension – Invocation de la qualité d’interne en pharmacie hospitalière – Absence d’intérêt à agir contre des arrêtés ministériels rendus en matière de radiation de médicaments pour le traitement de la maladie d’Alzheimer.

La qualité d’interne en pharmacie hospitalière au centre hospitalier de Valenciennes dont se prévaut le demandeur, dont le caractère est très large, ne lui donne ni un intérêt direct ni un intérêt certain pour saisir le juge administratif d’un référé tendant la suspension de deux arrêtés ministériels radiant des spécialités pharceutiques indiquées jusque-là pour le traitement de certaines formes de la maladie d’Alzheimer.

(7 août 2018, M. X., n° 422552)

 

96 - Référé suspension – Condition d’urgence – Mesures entrant en vigueur le 1er janvier 2019 – Absence d’urgence – Rejet.

La demande de référé suspension, introduite le 7 août 2018, contre des mesures dont l’entrée en vigueur est prévue le 1er janvier 2019, ne satisfait pas, par là-même, à la condition d’urgence : elle ne peut qu’être rejetée.

(9 août 2018, Chambre de commerce et d'industrie territoriale de l'Oise, n° 422988)

 

97 - Référé liberté tendant à voir ordonner par le juge l’accomplissement d’une intervention chirurgicale – Référé rendu en formation collégiale avec audience non publique – Personne tétraplégique souffrant d’un important escarre – Intervention chirurgicale plusieurs fois reportée - Rejet.

Un patient tétraplégique, atteint d’une escarre ischiatique dont la cicatrisation ne se fait pas, a vu reporter plusieurs fois l’intervention chirurgicale destinée à obvier cette situation. Il demande au juge du référé liberté d’ordonner au CHU de pratiquer l’intervention prévue et d’assurer ensuite sa prise en charge post-opératoire dans ses services ou dans un centre extérieur adapté à ses soins.

Tout d’abord, au plan procédural, d’une part, il s’agit d’un référé rendu en formation collégiale, d’autre part, l’audience s’est tenue hors la présence du public pour des raisons de secret et de dignité (art. L. 731-1 CJA).

Ensuite, comme il l’avait déjà décidé dans des affaires de coma végétatif très médiatisées, le juge rappelle que si tout patient a le droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés à son état de santé sous réserve de son consentement libre et éclairé, en revanche, il ne résulte d’aucun texte ou principe que le patient disposerait du droit de choisir son traitement et, par conséquent, d’en imposer la mise en œuvre au corps médical.

En l’espèce il est jugé, d’une part, que le requérant se trouve dans un état d’hygiène de vie déplorable au regard de son état et des soins qu’il nécessite, et d’autre part, que les médecins ont établi un protocole qu’il n’entre aucunement dans les pouvoirs du juge d’orienter, de contrôler et, a fortiori, de diriger, voire de « sanctionner ». Enfin, il apparait aux yeux de la formation de jugement que le CHU a pris toutes les mesures pour permettre, lorsqu’elle sera possible, l’intervention programmée ainsi que pour organiser, en son sein, le suivi durant le temps nécessaire à la cicatrisation de la plaie.

La demande de référé est donc rejetée.

(27 juillet 2018, M. X., n° 422241)

 

98 - Recours pour excès de pouvoir – Effet juridique de la chose jugée en excès de pouvoir – Effet relatif de la chose jugée par les jugements de rejet – Effet absolu de la chose jugée par les jugements d’annulation.

Rappel d’une solution bien connue : la chose jugée par les jugements de rejet rendus sur un recours excès de pouvoir, à la différence des jugements d’annulation, n’ont que l’autorité relative de la chose jugée. Ceci est normal, le rejet n’est rendu qu’en l’état des moyens dont le juge était saisi ainsi que des moyens d’ordre public ; d’autres moyens, si leur présentation avait été possible en l’espèce, eussent pu entraîner une solution différente. D’où la cassation du jugement qui fait directement application de la chose jugée par une décision de rejet alors que la seconde affaire n’avait pas le même objet que celle rendue sur excès de pouvoir et que celle-ci n’avait qu’une autorité relative.

(2 août 2018, M. X., n°411314)

 

99 - Aide juridictionnelle – Conditions d’octroi portant atteinte au droit au recours juridictionnel – Violation de l’art. 16 de la Déclaration de 1789 – Demandeurs de l’aide placés dans des situations différentes.

La requérante soulevait une QPC à l’encontre de l’art. 7 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique dont les dispositions, selon elle, méconnaissent le droit au recours juridictionnel, protégé par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et le principe d'égalité devant la loi.

Le Conseil d’État n’a pas de peine, dans sa décision de rejet, à relever qu’au contraire ce dispositif est destiné à faciliter la formation de recours ainsi que l’accès au juge.

Ensuite, il constate qu’en limitant cette prise en charge des frais de justice aux recours qui ne sont ni manifestement irrecevables ni dénués de fondement, ainsi que, en cassation, à ceux pour lesquels au moins un moyen sérieux est susceptible d'être relevé, les dispositions contestées répondent à l'objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et ne portent point atteinte aux dispositions de l’art. 16 précité de la Déclaration de 1789. Enfin, la personne qui remplit les conditions fixées par les dispositions contestées de l’art. 7 de la loi du 11 juillet 1991 n'est pas, au regard de ces dispositions, dans la même situation qu'une personne dont l'action est manifestement irrecevable ou dénuée de fondement ou dont, s'agissant d'un recours en cassation, le pourvoi ne comporte aucun moyen sérieux ; que, par suite, ces dispositions ne méconnaissent pas le principe constitutionnel d'égalité devant la loi.

(18 juillet 2018, Mme X., n° 419538)

 

100 - Demande au titre du référé mesures utiles (art. R. 532-1 CJA) – Conditions d’une telle demande – Rappel du droit jurisprudentiel.

Rappel utile, synthétique et complet des conditions d’octroi d’une mesure d’instruction ou d’expertise. Laissons la parole au Conseil d’État. «  L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher ; qu'à ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise lorsque, en particulier, elle est formulée à l'appui de prétentions qui ne relèvent manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative, qui sont irrecevables ou qui se heurtent à la prescription ; que, de même, il ne peut faire droit à une demande d'expertise permettant d'évaluer un préjudice, en vue d'engager la responsabilité d'une personne publique, en l'absence manifeste de lien de causalité entre le préjudice à évaluer et la faute alléguée de cette personne. »

(26 juillet 2018, Sociétés Axa France IARD et Simon Bonis, n° 415139)

 

Professions réglementées

 

101 - Médecin – Procédure disciplinaire – Plainte – Chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins – Instruction de la plainte – Sanction.

De cette décision mettant en cause le non-respect de la déontologie par un praticien, il faut surtout retenir ceci. Lorsqu’elle est saisie d’une plainte dirigée contre un médecin, la Chambre disciplinaire nationale des médecins n’est pas limitée par les seuls faits mentionnés dans la plainte, ni pour procéder aux investigations, lesquelles peuvent porter sur d’autres faits relevés par elle au cours de l’instruction de la plainte, ni pour infliger une sanction, laquelle peut tenir compte, à la fois, des faits dénoncés dans la plainte ainsi que de tous autres constatés par elle.

(18 juillet 2018, M. X., n° 418910)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

102 - QPC – Disposition législative inapplicable en l’absence de mesures réglementaires d’application – Absence de renvoi d’une QPC – Partie d’un article législatif susceptible de porter atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques – Renvoi d’une QPC.

Divers requérants demandent au Conseil d'État de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l’article L. 380-2 du code de la sécurité sociale relatives à la cotisation subsidiaire de maladie à laquelle peuvent être soumis les bénéficiaires de la CMU, dans leur rédaction issue de l'article 32 de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015. 

Le Conseil d’État opère une distinction entre les deuxième et troisième phrases du quatrième alinéa de l’article L. 380-2 (qui sont issues de l’art. 132 de la loi du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007), et les autres dispositions de cet article.

Pour les premières, le renvoi d’une QPC est refusé car elles appelaient des mesures réglementaires qui ne sont pas intervenues ; de ce fait, les dispositions législatives étant inapplicables, elles ne sauraient être arguées d’atteinte à un droit ou à une liberté que la Constitution garantit.

Pour le surplus, le renvoi est ordonné en tant que le texte litigieux porterait atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques.

(4 juillet 2018, M. X. et autres, n° 417919)

 

103 - Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) – Refus de donner suite à des plaintes en vue que soit engagée une procédure de sanction – Compteurs d’électricité de type « Linky » – Atteinte à la protection des données personnelles – Action engagée par des communes – Défaut d’intérêt pour agir au nom de leurs habitants ou en qualité de personnes publiques.

Cette décision s’inscrit dans le cadre de la polémique soulevée par le compteur d’électricité « Linky », soupçonné d’être trop curieux et guère économe.  Les communes requérantes sollicitaient l’annulation pour excès de pouvoir de la décision par laquelle la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a clôturé leur plainte relative aux risques d'atteinte à la vie privée que présenteraient les compteurs « Linky » et demandaient au juge d'enjoindre à la CNIL d'instruire leur plainte et de procéder à la vérification concrète de la régularité des conditions de déploiement et de fonctionnement des compteurs « Linky ».

Le Conseil d’État, constatant que les communes demanderesses se sont bornées à se réclamer de la préoccupation de leurs administrés et de la volonté de les informer des suites données à ces plaintes, considèrent qu’elles n’ont pas d’intérêt suffisamment direct pour saisir la CNIL ni, par suite, de qualité leur donnant intérêt à contester le refus de la CNIL d’engager des poursuites. En outre, en tant qu’elles agissent pour leur propre compte, ces communes, personnes de droit public, n’ont pas d’intérêt propre à faire valoir en matière de protections des données personnelles. D’où le rejet de ces recours.

 (11 juillet 2018, Commune de Troyon et autres, n° 413782, n° 414020 et n° 414120)

 

104 - QPC dirigée contre des commentaires administratifs de la loi fiscale – Irrecevabilité.

Rappel, à nouveau, que le mécanisme de la QPC ne concerne que les lois et l’interprétation qu’en donne une jurisprudence constante, non les autres actes juridiques, tels, comme ici, des commentaires administratifs de la loi fiscale.

(26 juillet 2018, M. et Mme X., n° 421612)

 

105 - Amende instituée à l’art. 1740 A CGI – Délivrance irrégulière de documents permettant au contribuable d’obtenir un avantage fiscal – Taux uniforme de l’amende – Amende due même au cas d’absence de caractère intentionnel des faits reprochés – Caractère sérieux de la question – Renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel.

L’art. 1740 A CGI décide que «  La délivrance irrégulière de documents, tels que certificats, reçus, états, factures ou attestations, permettant à un contribuable d'obtenir une déduction du revenu ou du bénéfice imposables, un crédit d'impôt ou une réduction d'impôt, entraîne l'application d'une amende égale à 25 % des sommes indûment mentionnées sur ces documents ou, à défaut d'une telle mention, d'une amende égale au montant de la déduction, du crédit ou de la réduction d'impôt indûment obtenu. (…). La société Dom Com Invest soutient que cette disposition législative viole les droits et libertés que garantit la Constitution en ce qu’elle méconnaît les principes de nécessité, proportionnalité et individualisation des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Le Conseil d’État, constatant que ce texte institue une amende au taux uniforme de 25% insusceptible d’être modulé et que la sanction est infligée sans même que l’administration ait à établir le caractère intentionnel des faits ainsi sanctionnés, aperçoit dans la contestation de sa constitutionnalité, une question présentant un caractère sérieux, justifiant son renvoi au Conseil constitutionnel.

 (11 juillet 2018, Sarl Dom Com Invest, n° 419874)

 

106 - QPC – Articles L. 512-1 et L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile - Article L. 776-1 du code de justice administrative – Loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 – Application aux étrangers détenus – Question présentant un caractère sérieux – Renvoi au Conseil constitutionnel.

Le requérant, à l’occasion d’un appel contre une ordonnance du magistrat délégué du tribunal administratif de Rouen rejetant sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 11 octobre 2016 de la préfète de la Seine-Maritime ordonnant sa reconduite à la frontière et fixant le pays de destination, soulève au moyen d’une QPC la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 512-1 et L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 776-1 du code de justice administrative, dans leur rédaction issue de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, en tant que ces dispositions sont applicables aux étrangers détenus.

Le juge relève que « En l'absence, à la date de l'arrêté attaqué, de dispositions particulières relatives aux conditions dans lesquelles les étrangers détenus peuvent exercer un recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière pris en application de l'article L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lequel se borne à renvoyer, de manière générale, à l'article L. 512-1 du même code, relatif au régime de contestation des obligations de quitter le territoire français, il résulte de ces dispositions que le régime de recours applicable est celui fixé par le II de cet article L. 512-1, c'est-à-dire celui des obligations de quitter le territoire français sans délai (à défaut) de départ volontaire, dans la mesure où un arrêté de reconduite à la frontière doit être exécuté sans délai. Ces dispositions prévoient que le juge doit être saisi d'un recours contre l'arrêté dans les quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative et que le tribunal administratif a trois mois pour statuer à compter de sa saisine. »

Or cette solution est applicable au litige.

Le requérant fait valoir que par sa décision n° 2018-709 QPC du 1er juin 2018, le Conseil constitutionnel a censuré les mots : «  et dans les délais » figurant au IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction résultant de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, qui prévoient qu'un étranger détenu qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de quarante-huit heures pour saisir le tribunal administratif, lequel dispose d'un délai de soixante-douze heures pour se prononcer, aux motifs que : «  en enserrant dans un délai maximal de cinq jours le temps global imparti à l'étranger détenu afin de former son recours et au juge afin de statuer sur celui-ci, les dispositions contestées, qui s'appliquent quelle que soit la durée de la détention, n'opèrent pas une conciliation équilibrée entre le droit au recours juridictionnel effectif et l'objectif poursuivi par le législateur d'éviter le placement de l'étranger en rétention administrative à l'issue de sa détention ».

Si les dispositions dont le requérant soutient qu'elles sont contraires à la Constitution laissent au tribunal administratif un délai de trois mois pour statuer sur la demande dont il est saisi, elles ont pour effet d'appliquer à l'étranger détenu un délai de quarante-huit heures pour le saisir, identique à celui prévu par les dispositions du IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ayant fait l'objet de la décision de non-conformité à la Constitution rendue par le Conseil constitutionnel.

Ceci justifie le renvoi au Conseil constitutionnel de la QPC d’autant que : 1°/ Si le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2006-539 DC du 20 juillet 2006, a déclaré conforme à la Constitution la version de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers issue de l'article 57 de la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et l'intégration, le texte de cette dernière est très différent de celui qui fait l’objet de la présente QPC. En effet, les dispositions du II de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers ont été de nouveau réécrites et, sur le fond, substantiellement modifiées par l'article 48 de la loi du 16 juin 2011. C’est pourquoi les dispositions de ce II ne peuvent être regardées comme ayant été déclarées conformes, justifiant ainsi le renvoi d’une QPC.  2°/ Les dispositions de l'article L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celles de l'article L. 776-1 du code de justice administrative n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution par les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ce qui justifie également le renvoi d’une QPC.

(18 juillet 2018, M. X., n° 409630)

 

107 - Régime spécial de taxation des huiles végétales et alimentaires – Application d’une méthode forfaitaire d’imposition ou d’un calcul réel – Différence de traitement contraire au principe d’égalité – Renvoi au pouvoir réglementaire révélant une incompétence négative du législateur – Moyen ne pouvant être invoqué au soutien d’une QPC – Rejet.

Ne sera retenu de cette décision de droit fiscal qu’un aspect de procédure propre aux QPC, à savoir que la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans la détermination de l'assiette ou du taux d'une imposition ne peut être invoquée au soutien d’une QPC car, à la supposer existante, elle n'affecte, par elle-même, aucun droit ou liberté que la Constitution garantit. 

(12 juillet 2018, SAS Altho, n° 419933)

 

Responsabilité

 

108 - Intervention chirurgicale – Échec – Faute – Réparation intégrale des dommages certains – Exclusion des préjudices futurs – Évaluation des chances de succès d’une intervention correctement effectuée – Préjudice professionnel – Conditions de la réparation.

Par suite d’une erreur sur les vertèbres concernées par le traitement d’une hernie discale, un patient réclame réparation des préjudices en résultant. Il obtient gain de cause en première instance mais, sur appel du Centre hospitalier où a été pratiquée l’intervention défectueuse, la cour administrative d’appel a sensiblement réduit les sommes allouées, d’où le pourvoi.

Le Conseil d’État rappelle ainsi les principes fondamentaux de la réparation en ce cas : « lorsqu'une intervention destinée à remédier à un handicap échoue parce qu'elle a été conduite dans des conditions fautives, le patient peut prétendre à une indemnisation réparant, outre les troubles liés à l'intervention inutile et ses éventuelles conséquences dommageables, les préjudices résultant de la persistance de son handicap, dans la limite de la perte de chance de guérison qu'il a subie, laquelle doit être évaluée en fonction de la probabilité du succès d'une intervention correctement réalisée ; que la circonstance qu'une intervention réparatrice demeure possible ne fait pas obstacle à l'indemnisation, dès lors que l'intéressé n'est pas tenu de subir une telle intervention, mais justifie seulement qu'elle soit limitée aux préjudices déjà subis à la date du jugement, à l'exclusion des préjudices futurs, qui ne peuvent pas être regardés comme certains à cette date et pourront seulement, le cas échéant, faire l'objet de demandes ultérieures ; » La cour a évalué – sans être contredite -  à 95% la perte de chance du demandeur de guérir de son hernie discale.

Sont ensuite réparés selon les principes habituels les préjudices professionnels, le déficit fonctionnel permanent, au taux de 100%, les troubles subis du fait de l'intervention chirurgicale et des séquelles qu'elles avaient provoquées, en raison de leur lien direct avec la faute commise, notamment au titre du déficit fonctionnel temporaire subi à la suite de l'intervention et du déficit fonctionnel permanent résultant d'une perte de mobilité du rachis cervical qu'il avait entraînée, enfin les honoraires versés au médecin qui avait assisté l'intéressé au cours des opérations d'expertise.

 (18 juillet 2018, M. X., n° 409390)

 

109 - Dommages de travaux publics – Occupation temporaire d’une propriété privée – Préjudice commercial – Propositions d’une « convention d’indemnisation au titre de l’occupation temporaire » et d’une « convention d’indemnisation au titre des travaux » faite par une personne sans qualité – Absence de contrat et de responsabilité contractuelle.

Une société de ventes d’automobiles sollicite réparation de préjudices commerciaux qu’elle estime avoir subis du fait de travaux d’infrastructures réalisés dans la ville de Cannes. Se plaçant sur un terrain contractuel, elle se prévaut de deux propositions de conventions qui lui ont été faites (une « convention d’indemnisation au titre de l’occupation temporaire » une « convention d’indemnisation au titre des travaux ») par  une société titulaire d'une mission d'assistance à maîtrise foncière (SEGC) auprès du Syndicat intercommunal des transports publics de Cannes, Le Cannet, Mandelieu-la-Napoule (SITP), aux droits duquel vient désormais la communauté d'agglomération des Pays de Lérins. Or la SEGC n’a pas reçu mandat à l’effet de représenter le SITP, par suite aucun lien contractuel n’existe entre ce dernier les société demanderesse. Il suit de là qu’en l’absence de contrat ne saurait prospérer une action en responsabilité contractuelle. D’où le rejet de la demande de réparation.

(26 juillet 2018, Communauté d'agglomération des Pays de Lérins, n° 416406)

 

Santé publique

 

110 - Logiciels d’aide à la prescription médicale – Logiciels d’aide à la dispensation – Obligation de certification – Compatibilité, ou non, avec la directive 93/42/CEE du 14 juin 1993 – Question préjudicielle à la CJUE – Méconnaissance des objectifs de la directive par l’obligation de certification.

Les requérants ont sollicité du Conseil d’État l'annulation, pour excès de pouvoir, du 3° de l'article 1er du décret n° 2014-1359 du 14 novembre 2014 relatif à l'obligation de certification des logiciels d'aide à la prescription médicale et des logiciels d'aide à la dispensation prévue à l'article L. 161-38 du code de la sécurité sociale, ainsi que de son article 2 en tant qu'il mentionne l'article R. 161-76-1 du code de la sécurité sociale. Le juge a (8 juin 2016, Syndicat national de l'industrie des technologies médicales et Société Philips France, n° 387156) sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question préjudicielle suivante : de savoir si la directive 93/42/CEE du 14 juin 1993 doit être interprétée en ce sens qu'un logiciel dont l'objet est de proposer, aux prescripteurs exerçant en ville, en établissement de santé ou en établissement médico-social, une aide à la détermination de la prescription médicamenteuse, pour améliorer la sécurité de la prescription, faciliter le travail du prescripteur, favoriser la conformité de l'ordonnance aux exigences réglementaires nationales et diminuer le coût du traitement à qualité égale, constitue un dispositif médical, au sens de cette directive, lorsque ce logiciel présente au moins une fonctionnalité qui permet l'exploitation de données propres à un patient en vue d'aider son médecin à établir sa prescription, notamment en détectant les contre-indications, les interactions médicamenteuses et les posologies excessives, alors même qu'il n'agit pas par lui-même dans ou sur le corps humain.

Dans son arrêt du 7 décembre 2017,  la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que  l'article 1er, paragraphe 1, et l'article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux, telle que modifiée par la directive 2007/47/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 septembre 2007, doivent être interprétés en ce sens qu'un  logiciel présentant au moins une fonctionnalité « constitue (…) un dispositif médical, au sens de ces dispositions, et ce même si un tel logiciel n'agit pas directement dans ou sur le corps humain ». En outre, la Cour a, dans les motifs de son arrêt, estimé qu'il en va de même des modules d'un logiciel médical qui, sans remplir cette condition, constituent des accessoires de modules qui répondent à la définition de la notion de dispositif médical au sens de l'article 1er, paragraphe 2, de la directive.

Appliquant directement cette jurisprudence, le Conseil d’État constate donc qu'en prévoyant une certification obligatoire des logiciels d'aide à la prescription médicale selon une procédure établie par la Haute Autorité de santé, et cela quelles que soient leurs fonctionnalités, par des dispositions qui ne sont justifiées au regard ni de l'article 8 de la directive, prévoyant une clause de sauvegarde, ni de son article 14 ter, relatif aux mesures particulières de veille sanitaire, le II de l'article L. 161-38 du code de la sécurité sociale méconnaît les objectifs de l'article 4 de la directive du 14 juin 1993. Dès lors, les dispositions du décret attaqué sont, dans cette mesure, comme le soutiennent les requérants, dépourvues de base légale.

(12 juillet 2018, Syndicat national de l'industrie des technologies médicales et Société Philips France, n° 387156)

 

111 - Médicament (Lévothyrox) – Agence de sécurité des médicaments souhaitant une modification de sa formule – Dmande de mesures pérennes et immédiates aux fins d’assurer ou de rétablir l’approvisionnement des patients en Lévothyrox ancienne formule – Référé liberté – Nécessité que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires.

Suite à la modification de la formule chimique d’un médicament le Lévothyrox, remplacé par un autre, des patients se sont plaints des effets néfastes de ce dernier et sollicitent le rétablissement ou le maintien de l’apppovisionnement en Lévothyrox formule antérieure. Ils saisissent à cet effet le juge des référés du Conseil d’État qui statue ici en formation collégiale. Celui-ci admet à titre de principe « qu'une carence caractérisée d'une autorité administrative dans l'usage des pouvoirs que lui confère la loi pour mettre en œuvre le droit de toute personne de recevoir, sous réserve de son consentement libre et éclairé, les traitements et les soins les plus appropriés à son état de santé, tels qu'appréciés par le médecin, peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle risque d'entraîner une altération grave de l'état de santé de la personne intéressée ». Il assortit ce principe d’une importante réserve tenant, s’agissant de la condition d’urgence, à ce qu’il soit, en l’état, possible de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires.

Le juge relève que n’existe aucune urgence en l’espèce car l’approvisionnement, en particulier, par des importations significatives en volume, est assuré et cela pour une durée satisfaisante en ce qu’elle exclut l’existence d’une urgence. À cet égard, il estime en particulier devoir rejeter les autres demandes formulées par les requérants au titre de l’urgence  car elles supposent des mesures d'ordre structurel reposant sur des choix de politique publique qui sont insusceptibles d'être mises en œuvre, et dès lors de porter effet, à très bref délai, et ne sont dès lors pas, dans les circonstances de l'espèce, au nombre des mesures d'urgence que la situation permet de prendre utilement dans le cadre des pouvoirs que le juge des référés tient de l'article L. 521-2 du CJA.

Il constate également l’inexistence d’une carence caractérisée de la part de la ministre compétente dans l'usage des pouvoirs qu'elle tient de la loi.

(26 juillet 2018, Mme X. et autres, n° 422237 ; v. aussi, sur la condition que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires : 9 août 2018, Mme X., n° 422893)

 

112 - Maladies professionnelles – Présomption d’imputabilité (art. L. 461-1 et L. 461-2 code de la sécurité sociale) – Possibilité d’exiger que des lésions soient associées – Composantes exigées du diagnostic d'une pathologie d'origine professionnelle.

L’association requérante demande l’annulation pour excès de pouvoir du  2° de l'article 1er du décret n° 2017-812 du 5 mai 2017 révisant et complétant les tableaux des maladies professionnelles annexés au livre IV du code de la sécurité sociale. Ce texte insère un tableau n° 52 bis intitulé « Carcinome hépatocellulaire provoqué par l'exposition au chlorure de vinyle monomère » et l’association reproche au pouvoir réglementaire d’exiger, pour que le carcinome soit confirmé,  son association « à au moins deux des lésions suivantes du foie non tumoral : fibrose porte et pénicillée péri porte ou nodule(s) fibro-hyalin(s) capsulaire(s) ; congestion sinusoïdale ; hyperplasie ou dysplasie endothéliale ; nodule(s) d'hyperplasie hépatocytaire ; foyer(s) de dysplasie hépatocytaire ». D’une part, si l’autorité compétente doit désigner avec une précision  suffisante les maladies présumées d’origine professionnelles,  dans le respect du principe de présomption d'imputabilité, cela ne lui interdit pas de décider que, pour caractériser la pathologie en cause, soit constatée l’existence de certaines lésions associées, d’autre part,  il ne ressort pas des pièces du dossier que le pouvoir réglementaire aurait inexactement apprécié les éléments du diagnostic d'un carcinome hépatocellulaire provoqué par l'exposition au chlorure de vinyle monomère en exigeant qu'il soit histologiquement confirmé et associé à deux au moins des lésions du foie non tumoral qui viennent d’être mentionnées. 

(18 juillet 2018, FNATH, Association des accidentés de la vie, n° 412153)

 

Service public

 

113 - Principe de neutralité – Service public de l’enseignement – Programmes scolaires des classes de collège – Contrôle de la seule erreur manifeste d’appréciation – Enseignement de l’existence d’un « génocide des Arméniens » imputé à l’empire ottoman – Liberté de la recherche et de la critique historiques – Absence d’atteinte à la liberté d’expression, de conscience et d’opinion des élèves.

L’association demandait l’annulation d’un refus ministériel de retirer des programmes de l’enseignement d’histoire des quatre classes de collège l’enseignement des faits que ces derniers placent sous l’expression de « génocide des Arméniens », reprenant ainsi une qualification légale (loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide des arméniens). Dans une formulation plus embarrassée que convaincante, gêné par l’existence d’une loi elle-même critiquable comme le sont toutes les lois « mémorielles » (voir sur ce point les vives réticences du Conseil constitutionnel : décis. n° 2012-647 DC, 28 février 2012), le Conseil d’État estime cependant ne pas devoir censurer cet élément des programmes scolaires. Invoquant dans un grand désordre l’absence d’erreur manifeste d’appréciation, l’absence d’atteinte aux libertés d’expression, de conscience et d’opinion, l’état de la recherche historique - laquelle est en réalité rien moins qu’incertaine et dubitative sur ce sujet précis -, la liberté de soumettre à débat toute connaissance (en dirait-on autant du théorème de Thalès ou du nombre d’Avogadro ?), etc., le juge administratif a perdu  ici une belle occasion de remettre les pendules à l’heure en s’abstenant, ce qu’il sait pourtant très bien faire, de donner une interprétation neutralisante de textes qui concernent tout de même des enfants de dix ans et demi à quinze ans…

(4 juillet 2018, Association pour la neutralité de l'enseignement de l'histoire turque dans les programmes scolaires, n° 392400)

 

Sport

 

114 - Dopage – Sanction d’interdiction de participer  aux manifestations sportives organisées ou autorisées par diverses fédérations nationales – Recours de l’intéressé tendant à l’annulation d’une sanction fondée sur un texte déclaré inconstitutionnel – Effets : 1° sur le sportif sanctionné, 2° sur le recours parallèle introduit par l’Agence mondiale antidopage pour insuffisance de sévérité de la sanction – Effet de l’annulation sur la décision à laquelle s’est substituée la décision annulée – Recours encore possible de l’Agence mondiale antidopage.

Cette décision, relative à une classique et, hélas, banale affaire de dopage d’un sportif est pleine de rebondissements. Convaincu de dopage, l’intéressé a fait l'objet d'une sanction d'interdiction de participer pendant deux ans aux manifestations sportives organisées ou autorisées par la Fédération française de rugby à XIII, sous réserve de la déduction de la période de suspension provisoire prononcée par l'organe disciplinaire de première instance de lutte contre le dopage de cette fédération.

Ensuite, la commission disciplinaire d'appel de lutte contre le dopage de la Fédération française de rugby à XIII a assorti cette sanction d'un sursis de vingt-et-un mois.

Puis, se fondant sur les dispositions du 3° de l'article L. 232-22 du code du sport, le collège de l'Agence française de lutte contre le dopage a décidé de se saisir des faits relevés à l'encontre de M. X. et lui a infligé la sanction d'interdiction de participer pendant deux ans aux manifestations sportives organisées ou autorisées par la Fédération française de rugby à XIII ainsi que par diverses autres fédérations.

Le Conseil d’État est saisi de deux recours : l’un du sportif sanctionné qui demande l’annulation de la sanction, l’autre de l'Agence mondiale antidopage qui demande au Conseil d'État d’annuler cette sanction pour insuffisance de sévérité afin que l’interdiction de deux ans soit portée à une durée de quatre ans ou, subsidiairement, qu’il enjoigne à l'Agence française de lutte contre le dopage de se prononcer à nouveau sur la situation de M. X.

Le texte sur lequel se fonde la sanction de deux ans (3° de l'article L. 232-22 du code du sport) ayant été jugé inconstitutionnel (C.C. n° 2017-688 QPC du 2 février 2018), le Conseil d’État accueille la demande d’annulation présentée par le rugbyman sanctionné et déclare, par voie de conséquence, sans objet le recours de l'Agence mondiale antidopage.

Toutefois, le juge relève que l'annulation qu’il vient de prononcer de la sanction de l'Agence française de lutte contre le dopage fait revivre la décision de la commission disciplinaire d'appel de lutte contre le dopage de la Fédération française de rugby à XIII qui avait prononcé à l'encontre de M. X. la sanction de l'interdiction de participer pendant deux ans, dont vingt-et-un mois avec sursis, aux manifestations sportives organisées ou autorisées par cette fédération.

Or à la date à laquelle l'Agence française de lutte contre le dopage s'était autosaisie de la procédure disciplinaire contre M. X., le délai de recours dont disposait l'Agence mondiale antidopage pour contester la sanction prononcée par la commission disciplinaire d'appel de la fédération n'était pas expiré. 

Par suite, le délai de recours contentieux contre la décision de sanction prise par la commission disciplinaire d'appel de la fédération court à nouveau au bénéfice de l'Agence mondiale antidopage à compter de la notification de cette décision du 26 juillet 2018. Le Conseil d’Etat, bon prince, d’ajouter « qu'il appartient le cas échéant à l'Agence mondiale antidopage, si elle s'y croit fondée, d'introduire un recours contre cette décision ». Cela s’appelle un Deus ex machina.

(26 juillet 2018, M. X., n° 414261 et Agence mondiale antidopage, n° 416225 ; v. aussi, à propos du dopage d’un boxeur, mais soulevant des questions de fait et de droit différentes de celles rapportées dans la décision ci-dessus : 14 août 2018, M. X ., n° 422878)

 

Urbanisme

 

115 - Participation spécifique pour réalisation d'équipements publics exceptionnels – Art. L. 332-8 du code de l’urbanisme – Annulation des décisions fixant le montant de cette participation – Jugement devenu définitif – Substitution de base légale annoncée et non réalisée – Régime procédural – Notion de « participation réputée sans cause » (art. L. 332-30 c. urb.) – Défaut d’absence de cause de la participation financière réclamée – Possibilité de régulariser – Octroi d’un permis de construire, seul fondement de l’exigibilité de la participation financière – Rejet du recours.

Le syndicat intercommunal pour la création et l'aménagement de la zone d'activités de Talange-Hauconcourt (Moselle) a mis à la charge de la société JM6, lors de l’obtention par celle-ci de deux permis de construire dans cette zone d’activités, une participation spécifique pour la réalisation d'équipements exceptionnels pouvant être exigée des bénéficiaires d'autorisations de construire sur cette zone en application des dispositions de l'article L. 332-8 du code de l'urbanisme.

Le tribunal administratif de Strasbourg, par un jugement devenu définitif, a accordé à la société décharge de cette participation. Malgré cela, le président de la communauté de communes « Rives de Moselle » a estimé que la société JM6 restait redevable de cette participation et, précisant cette fois son mode d’évaluation, lui en a réclamé le paiement par arrêté. Le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cet arrêté en jugeant que cette participation devait être réputée « sans cause ».

Ce jugement est annulé par la cour de Nancy et l’arrêt de cette dernière est déféré au Conseil d’État. Le pourvoi en cassation est rejeté.

Deux séries de moyens étaient invoquées, l’un de procédure, les autres de fond.

Quant à la procédure, il était reproché à la cour d’avoir informé la Société qu’elle procédait à une substitution de base légale or celle-ci n’aurait pas disposé d’un délai suffisant pour répondre à cette information et n’aurait pas non plus été en mesure de connaître les conditions de substitution de base légale.

Toutefois, comme, en définitive, cette substitution n’a pas eu lieu, le Conseil d’État estime que l’argumentation de la demanderesse est sans objet.

Quant au fond, plusieurs griefs étaient formulés, tous sont rejetés.

Le tribunal administratif de Strasbourg n’a pu décider que la participation financière exigée de la société JM6 devait être réputée sans cause car il a jugé cela au motif que les arrêtés litigieux ne comportaient pas l'indication de leur mode d'évaluation, en méconnaissance de l'article R. 421-9 du code de l'urbanisme. Or l’art. L. 332-30 qui énumère limitativement les cas de participations réputées sans cause ne comporte pas le motif retenu par le tribunal administratif. Dès lors, n’étant plus sans cause, la décision ordonnant la participation financière pouvait être régularisée et, sous respect de cette condition - ce qui a eu lieu en l’espèce - pouvait être exigée de la société JM6 conformément à ce qu’a jugé la cour de Nancy.

Enfin, on retiendra que le Conseil d’État fonde l’exigibilité de telles participations sur le seul fait de l’obtention d’un permis de construire dans les zones concernées ; l’absence, dans le délai prescrit, de démarrage de travaux ou l’inachèvement de ceux-ci ne sauraient exonérer de son paiement.

(4 juillet 2018, Société JM6, n° 396985)

 

116 - Permis de construire – Bâtiments à usage d’habitation – Absence de caractère d’établissement recevant du public – Autorisation préalable en vue du respect des règles d’accessibilité aux personnes handicapées – Non nécessaire ici.

Les requérants demandaient l’annulation du permis de construire un ensemble immobilier comportant notamment une centaine de logements délivré par la métropole de Nice. Ils invoquaient divers motifs dont celui tiré du non-respect des art. L. 117 et suivants du code de la construction et de l’habitation qui définissent les règles d’accessibilité aux personnes handicapées dans les établissements recevant du public et subordonnent la délivrance du permis de construire à une autorisation préalable.

Le Conseil d’État rejette cet argument au motif que ce régime d’autorisation préalable ne s’applique qu’aux travaux qui conduisent à la création, l'aménagement ou la modification d'un établissement recevant du public.

Le tribunal administratif de Nice n’a donc commis aucune erreur de droit en jugeant ces dispositions inapplicables au cas de l’espèce où les travaux ne conduisaient pas à la création d'un établissement recevant du public. Il convient aussi de rappeler que les dispositions restreignant un droit sont d’interprétation stricte.

La solution doit donc être approuvée.

(9 juillet 2018, M. et Mme X. et autres, n° 411206)

 

117 - Permis de construire – Parc éolien – Hauteur excédant cinquante mètres – Nécessité de l’accord des ministres chargés de la Défense et de l’aviation civile – Absence d’accord – Compétence liée du préfet pour refuser de délivrer les permis de construire sollicités.

Une société ayant sollicité dix-sept permis de construire quatorze éoliennes et trois postes de livraison et ceux-ci lui ayant été refusé par le préfet, elle a saisi le juge administratif qui, tant en première instance qu’en appel, a annulé les refus de permis et enjoint au préfet de procéder au réexamen de ces demandes de permis.

Le ministre de la cohésion des territoires se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif.

Le Conseil d’État lui donne raison car les constructions envisagées excédant cinquante mètres de hauteur, les permis sollicités ne pouvaient être délivrés qu’avec l’accord du ministre de la Défense et de celui chargé de l’aviation civile. En l’espèce, le tribunal administratif , et par suite, la cour qui a confirmé son jugement, se sont doublement mépris, d’abord sur le sens de la position du ministre de la Défense qui – bien que n’ayant pas formé d’opposition – n’avait pas pour autant  formellement donné son accord, contrairement à ce qu’ils ont jugé, ensuite, sur le silence du ministre chargé de l’aviation civile : son silence n’empêchait point le préfet de tenir compte des contraintes radioélectriques liées à la navigation aérienne.

(9 juillet 2018, ministre de la cohésion des territoires, n° 414419)

 

118 - Permis de construire – Maison individuelle – Zone littorale – Constructions devant être en continuité avec les agglomérations ou villages existants – Cas de la construction en continuité avec d’autres elles-mêmes sans continuité avec ces agglomérations ou villages – Illégalité.

Le permis accordant l’autorisation de construire une maison individuelle en zone littorale est contesté par le préfet ; son recours est rejeté. Le ministre saisit le Conseil d’État par voie d’appel et obtient gain de cause.

En zone littorale les constructions ne sont admises que si elles sont en continuité physique avec des agglomérations ou des villages déjà existants. En l’espèce, le permis avait été délivré en considération de ce que la construction à édifier était en continuité avec un camping, spécialement avec les constructions que celui-ci comporte. Toutefois, cela ne suffit pas, encore faut-il établir que les constructions situées dans ce camping étaient bien elles-mêmes en continuité avec des agglomérations ou villages existants. Faute d’avoir effectué cette recherche le jugement est entaché d’erreur de droit.

Ainsi, la condition de continuité s’apprécie normalement par rapport aux agglomérations ou villages existants.

Lorsque la construction projetée est en continuité avec des bâtiments existants, encore faut-il que le juge s’assure que ces derniers sont à leur tour en continuité avec des agglomérations ou villages existants.

(11 juillet 2018, ministre de la cohésion des territoires, n° 410084)

 

119 - Permis de construire irrégulier – Permis modificatif de régularisation – Conditions d’octroi – Suppression de la règle d’urbanisme antérieure plus sévère – Obligation d’accorder le permis modificatif régularisant la situation du pétitionnaire.

Rappel des conditions de recours à la technique du permis modificatif de régularisation :

«  Lorsqu'un permis de construire a été délivré en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l'utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance des permis de construire, l'illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d'un permis modificatif dès lors que celui-ci assure les respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédé de l'exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises ; qu'il peut, de même, être régularisé par un permis modificatif si la règle relative à l'utilisation du sol qui était méconnue par le permis initial a été entre temps modifiée ».

(26 juillet 2018, M. X., n° 411461)

 

120 - Permis de construire – Objet – Motifs possibles de refus – Limitation aux seuls éléments certains existant à la date de sa demande et de sa délivrance – Illégalité du refus fondé sur des circonstances ou comportements hypothétiques.

Rappel salutaire d’un principe constant et très logique gouvernant le permis de construire. Après avoir indiqué qu’« Un permis de construire n'a d'autre objet que d'autoriser la construction d'immeubles conformes aux plans et indications fournis par le pétitionnaire. », le juge réaffirme, ce qui est souvent perdu de vue par certains requérants, que « La circonstance que ces plans et indications pourraient ne pas être respectés ou que ces immeubles risqueraient d'être ultérieurement transformés ou affectés à un usage non conforme aux documents et aux règles générales d'urbanisme n'est pas, par elle-même, sauf le cas d'éléments établissant l'existence d'une fraude à la date de la délivrance du permis, de nature à affecter la légalité de celui-ci. »

(18 juillet 2018, M. et Mme X. et autres, n° 410465)

 

121 - Lotissement – Article L. 442-10 code de l’urbanisme – QPC – Admission.

Dans le cadre d’un recours en annulation d’un arrêté municipal modifiant le cahier des charges d’un lotissement, les requérants ont soulevé une QPC fondée sur ce que l’art. L. 442-10 c. urb. contient des dispositions  qui s'appliquent à des cahiers des charges dont les clauses sont susceptibles d'être regardées comme engageant les co-lotis entre eux. En effet, cet article dispose : « Lorsque la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie d'un lotissement ou les deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie le demandent ou l'acceptent, l'autorité compétente peut prononcer la modification de tout ou partie des documents du lotissement, notamment le règlement, le cahier des charges s'il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s'il n'a pas été approuvé. Cette modification doit être compatible avec la réglementation d'urbanisme applicable. / Le premier alinéa ne concerne pas l'affectation des parties communes des lotissements. / Jusqu'à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de l'achèvement du lotissement, la modification mentionnée au premier alinéa ne peut être prononcée qu'en l'absence d'opposition du lotisseur si celui-ci possède au moins un lot constructible ».

Le Conseil d’État admet ce raisonnement que sous-tend l’atteinte à la liberté contractuelle qui est un droit et une liberté que garantit la Constitution.

(18 juillet 2018, M. et Mme X., n° 421151)

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