Sélection de jurisprudence du Conseil d'Etat

Juin 2018

 

Actes et décisions

 

1 - Loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français – Absence de mesures d’application – Entrée en vigueur immédiate – Incidence sur les instances en cours – Obligation d’application.

Estimant que son époux, alors appelé du contingent en Polynésie française, sur l’atoll de Hao, avait été victime d’essais nucléaires, Mme X., son épouse, a sollicité, sur le fondement des dispositions de la loi du 5 janvier 2010, la réparation du dommage subi du chef de son décès survenu en 2002. Cette demande, rejetée par le ministre de la défense en 2011 au motif que le risque de causalité entre les essais et le cancer du foie de son époux était négligeable. Le tribunal administratif de Nantes a annulé en 2015 ce refus et a enjoint au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de présenter à Mme X., dans un délai de trois mois, une proposition d'indemnisation des préjudices subis par son époux. Ce jugement a été annulé par un arrêt de la Cour de Nantes le 12 avril 2017. Or entre-temps, le système législatif de réparation des accidents liés à des essais nucléaires a été profondément modifié, dans un sens plus favorable aux victimes, par une loi du 28 février 2017 (cf. I de l’art. 113). La Cour a refusé d’appliquer ces dispositions nouvelles au cas de l’espèce, arguant en particulier de l’absence de mesures d’application de ladite loi à la date de son arrêt.

Pour casser cet arrêt, le Conseil d’Etat commence par rappeler une première solution classique : une loi prévoyant des mesures d’application entre en vigueur immédiatement dans toutes celles de ses dispositions qui se suffisent à elles-mêmes. D’où son affirmation : « l'entrée en vigueur des dispositions précitées du I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 n'est pas manifestement impossible en l'absence de mesures d'application ; qu'elle est dès lors intervenue le lendemain de la publication de cette loi au Journal officiel de la République française, soit le 2 mars 2017 ».

Ensuite, les juges du Palais-Royal rappellent un second principe classique : le caractère immédiat de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle entraîne son application à toutes les procédures en cours ce qui imposait, au cas de l’espèce, l’examen de la demande de l’intéressée à la lumière des nouvelles dispositions législatives.

Faute d’avoir respecté ces deux exigences, l’arrêt de la cour est cassé et le juge suprême règle l’affaire au fond en annulant le refus ministériel de 2011 et en enjoignant au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de procéder au réexamen de la demande de Mme X. (20 juin 2018, Mme X., n° 415830)

 

2 - Distinction de l’urgence (pouvant dispenser du respect du contradictoire) et de l’urgence absolue (pouvant dispenser de la motivation de l’acte) – Reconnaissance d’une urgence – Refus d’apercevoir une urgence absolue.

 A la suite d'une fouille de la cellule de M. X., il a été constaté que les scellés apposés sur l'unité centrale de son ordinateur avaient été brisés et qu'une corde y avait été dissimulée. Le directeur du centre pénitentiaire de Caen a ordonné un contrôle de ce matériel informatique et décidé de retenir ces équipements en vue d'une éventuelle procédure pénale ; une saisie judiciaire de ce matériel informatique a été ensuite réalisée. L'intéressé ayant demandé en vain aux juges du premier degré et d’appel l’annulation de ces mesures, le Conseil d’Etat est saisi.

Il juge tout d’abord que les conditions particulières dans lesquelles est intervenue la décision de contrôle puis de saisie du matériel informatique caractérisaient une urgence dispensant le chef d'établissement pénitentiaire du respect de la procédure contradictoire. Il juge ensuite, à l’inverse, que la situation ne présentait pas un caractère d'urgence absolue du fait de la découverte de la corde rendant désormais difficile une tentative d’évasion. Par suite, il n’existait pas de justification de l'absence de motivation écrite de la décision ordonnant la retenue de l'ordinateur du requérant. (6 juin 2018, M. X., n° 410985)

 

3 - Avis de mise en recouvrement d’imposition pesant sur un codébiteur solidaire – Communication demandée de documents administratifs – Etendue et moment d’accomplissement de cette obligation – Production ultérieure par l’administration ou sur demande du juge – Effets y compris sur les moyens susceptibles d’être soulevés par le débiteur solidaire – Abstention de production par l’administration et effets sur l’imposition.

Le Conseil d’Etat devait, dans cet avis de droit, répondre à plusieurs questions posées par le TA de Cergy-Pontoise concernant la situation d’une imposition mise à titre principal à la charge d’un contribuable donné et également d’un autre en sa qualité, pour ce dernier, de codébiteur solidaire (art. L. 17324 quater CGI). Le Conseil d’Etat précise, tentant de concilier respect des droits de la défense, régime de la solidarité et réalisme du droit fiscal :

- Que la mise en recouvrement d’une imposition au titre d’une solidarité de paiement doit revêtir la forme d’un avis de mise en recouvrement individuel qui doit comporter toutes les indications prescrites par l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales ;

- Qu’il résulte d’une décision du Conseil constitutionnel (2015-479 QPC du 31 juillet 2015) que le second alinéa de l’art. L. 8222-12 du code du travail, ici en cause, n’ont été déclarées conformes à la Constitution qu’à condition d’être interprétées comme n’interdisant pas au donneur d'ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que les pénalités et majorations y afférentes, au paiement solidaire desquels il est tenu ;

- Que cette communication, qui vise à garantir à l'intéressé la possibilité d'un recours juridictionnel effectif, dans le respect de la réserve d'interprétation à laquelle le Conseil constitutionnel a subordonné la conformité à la Constitution du deuxième alinéa de l'article L. 8222-2 du code du travail, a un objet distinct de celui du droit d'accès aux documents administratifs prévu par le livre III du code des relations entre le public et l'administration. L'administration est par suite tenue de faire droit à la demande du débiteur solidaire, sans pouvoir subordonner la communication des documents sollicités au respect des règles et conditions prévues par ce code, notamment sans pouvoir exiger le paiement de frais. 

- Qu’enfin, l'administration ne peut pas refuser la communication des documents utiles à la défense du débiteur solidaire lorsqu'ils sont en sa possession, sauf à priver ce dernier d'une garantie au respect de laquelle le Conseil constitutionnel a subordonné la conformité à la Constitution de la disposition législative instituant la solidarité de paiement.

En conséquence, le refus de communication est de nature à faire obstacle à la mise en oeuvre des dispositions de l'article 1724 quater du code général des impôts. En revanche, lorsque l'administration fiscale produit en cours d'instance, soit spontanément, soit à la suite d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge de l'impôt, saisi par le débiteur solidaire d'une demande en ce sens, y compris pour la première fois en cause d'appel, les éléments du dossier fiscal nécessaires à sa défense, la circonstance que le service ait initialement refusé de communiquer ces éléments au débiteur solidaire est sans influence sur la possibilité de mettre en oeuvre la solidarité. Dans cette hypothèse, le débiteur solidaire, une fois en possession de ces éléments, peut soulever à l'appui de sa demande en décharge de l'obligation de payer, dans la limite des conclusions de sa demande, tant devant le tribunal administratif que devant la cour administrative d'appel, jusqu'à la clôture de l'instruction, tous moyens relatifs à la régularité et au bien fondé des impositions au paiement desquelles il est solidairement tenu. (Avis, 6 juin 2018, SAS BT ZIMAT, n° 418863)

 

4 - Refus d’abrogation d’un acte réglementaire – Moyens invocables à l’appui d’un recours dirigé contre ce refus – Moyens ne pouvant être soulevés qu’à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir formé dans le délai du recours contentieux.

Dans le cadre d’un litige relatif à la prise en charge par la commune de résidence des frais de scolarisation d’enfants dans une autre commune, le Conseil d’Etat rappelle une règle jurisprudentielle récente censée destinée à « épurer » le contentieux et à désencombrer les juridictions et que l’on peut trouver discutable.

Dans le cadre d'un recours contre le refus d'abroger un acte réglementaire, ne peuvent être soulevés que des moyens tirés de l’incompétence de son auteur, de l’illégalité des règles qu'il fixe et de l'existence d'un détournement de pouvoir. En revanche, il n’est pas possible d’articuler à son encontre des critiques tirées de ses conditions d'édiction ainsi que d’éventuels vices de forme et de procédure, ceux-ci ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux. (6 juin 2018, M. X., n° 410463)

 

5 - Décret n° 2017-918 du 9 mai 2017 relatif aux obligations d'amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire – Entrée en vigueur le 1er janvier 2020 – Impossibilité alléguée de respecter cette date – Constatation par le juge de cette impossibilité – Annulation de l’entier décret.

Le décret attaqué, relatif aux obligations d'amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire, fixait au 1er janvier 2020 la date de son entrée en vigueur et donc l’obligation d’avoir effectué au plus tard à cette date des travaux d'amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire ou dans lesquels s'exerce une activité de service public. L’objectif était de parvenir à une diminution d’au moins 25% de la consommation énergétique totale du bâtiment par rapport à la dernière consommation énergétique connue. Les associations requérantes arguaient de l’impossibilité de remplir cette condition de délai compte tenu que la satisfaction de cet objectif exige au préalable, la réalisation, par un professionnel qualifié, d'une étude énergétique destinée à évaluer les actions à entreprendre, portant sur l'ensemble des postes de consommation des bâtiments, ainsi que l'élaboration d'un plan d'actions destiné à atteindre ces objectifs. De plus, l'élaboration de ces documents, qui présente une certaine complexité, suppose l'intervention préalable d’un arrêté interministériel - pour fixer les seuils de consommation d'énergie devant être respectés d'ici au 1er janvier 2020, le contenu et les modalités de réalisation des études énergétiques ainsi que les modalités et les formats électroniques de transmission de ces documents -, ainsi que la désignation, par le ministre chargé de la construction, de l'organisme auquel ces documents devaient être transmis avant le 1er juillet 2017. Or ces deux arrêtés n'étaient pas intervenus à la date du décret attaqué. Les associations requérantes soutiennent, sans être démenties, d’une part, que l'élaboration des documents en cause sur l'ensemble du parc immobilier concerné nécessite un délai incompressible d'un an, compte tenu notamment du risque de saturation du marché des prestataires capables de les réaliser, en particulier pour les opérateurs de grande taille, et d’autre part, que le respect de l'objectif de réduction de la consommation énergétique totale du bâtiment à concurrence d'au moins 25 % par rapport à la dernière consommation énergétique connue impliquerait, pour une grande part des professionnels concernés, la réalisation de travaux de rénovation importants, qui devront nécessairement, dans certains cas, s'échelonner sur plusieurs mois ou plusieurs années.

C’est pourquoi le Conseil d’Etat, adoptant ces arguments, juge que le décret attaqué méconnaît le principe de sécurité juridique et qu’il y a lieu de l'annuler dans sa totalité. (18 juin 2018, Associations Le Conseil du commerce de France, PERIFEM et l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie, n° 411583)

 

6 - Parc national – Création du Parc national de forêt feuillue de plaine – Création par arrêté du premier ministre – Acte de nature réglementaire en raison de ses effets.

Parmi les questions soulevées par ce dossier figurait celle de la détermination de la juridiction compétente pour connaître de leur contentieux. On sait que les recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres relèvent de la compétence de premier (et dernier) ressort du Conseil d’Etat. L’arrêté contesté émanait du premier ministre en tant qu’il portait prise en considération du projet de création du Parc national de forêt feuillue de plaine. Pour dire cet acte de nature réglementaire le juge retient « ses effets », ce qui est aussi peu explicite que possible. Ceci souligne les incertitudes conceptuelles et contentieuses pesant sur la détermination d’un acte comme ayant, ou non, une nature réglementaire. L’examen des litiges portant création de très nombreux parcs, zones et autres montre des critères quelque peu girovagues, erratiques plutôt que précis. Si l’on ajoute à cela le peu de souci du juge d’expliciter ses solutions on a un sentiment de malaise devant cette imprécision qui touche à une des notions centrales du droit administratif. (14 juin 2018, Communes de Busseaut, Chambain, Essarois, La Chaume, Lucey, Montmoyen, Nod-sur-Seine, Rochefort-sur-Brévon et Terrefondré, n° 402690)

 

7 - Installation d’éoliennes terrestres – Soumission à une autorisation environnementale - Dispense de permis de construire – Soumission aux règles d’urbanisme – Respect du principe de non régression (oui).

Etait attaqué ici par la voie du recours pour excès de pouvoir le décret du 26 janvier 2017 relatif à l'autorisation environnementale, en tant qu'il prévoit que, pour les éoliennes, l'autorisation environnementale dispense de permis de construire, portant ainsi, selon les requérantes, atteinte au principe de non régression.

Le 9° de l’art. L. 110-1 du code de l’environnement institue un principe de non régression selon lequel la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante non d’une régression (sur ce principe voir, par ex. : 8 décembre 2017, Fédération Allier Nature, n° 404391, Rec. 690). Parce que le décret attaqué prévoyait que, par dérogation aux dispositions du code de l’urbanisme, les installations d’éoliennes terrestres soumises à autorisation environnementale sont dispensées du permis de construire, les associations requérantes voyaient dans cette disposition une atteinte illégale au principe de non régression. Pour rejeter cette argumentation le Conseil d’Etat rappelle que, dispensées de permis, ces installations ne sont nullement dispensées du respect de l’ensemble des règles d’urbanisme qui leur sont applicables (art. L. 421-8 et L. 421-6 c. urb. et 12° du I de l’art. D. 181-15-2 c. environnement), d’où il suit qu’il n’y a pas  violation du principe susrappelé. (14 juin 2018, Association Fédération environnement durable et l'association Vent de colère ! Fédération nationale, n° 409227)

 

8 - Energie nucléaire – Centrale de Fessenheim – Décision autorisant la centrale à déroger à certaines valeurs limites – Acte non réglementaire – Obligation de motivation – Absence – Divisibilité avec les autres dispositions – Annulation partielle.

Dans cette affaire était sollicitée par les différents requérants l’annulation d’une décision de l'Autorité de sûreté nucléaire fixant les prescriptions relatives aux modalités de prélèvement et de consommation d'eau, de rejet d'effluents et de surveillance de l'environnement de la centrale nucléaire de Fessenheim. Des nombreuses questions de droit qui sont abordées dans cette longue décision on retiendra seulement celle concernant la motivation de la décision. Dans la mesure où la décision attaquée accorde à l’exploitant de cette centrale une dérogation à certaines des valeurs limites de rejets d'effluents fixées par les textes, le Conseil d’Etat estime que cette dérogation devait être motivée non par référence mais en soi or ce n’a pas été le cas d’où l’annulation de plusieurs paragraphes de la décision querellée, l’Autorité de sûreté nucléaire disposant jusqu’au 1er octobre 2018 pour se mettre en conformité. (14 juin 2018, Association trinationale de protection nucléaire et autres, n° 408881)

 

9 - Redirection automatique d’internautes tentant d’accéder à un contenu bloqué, vers des pages d’information du ministère de l’intérieur – Décision révélée par un communiqué de presse – Acte matériellement inexistant – Recours irrecevable.

Les requérantes se plaignaient de ce que le ministère de l’intérieur aurait créé un traitement de données à caractère personnel qui lui permettrait de collecter et d’exploiter les données de connexion des internautes redirigés vers la page d'information du ministère de l'intérieur, l’existence de ce traitement ayant été révélée par un communiqué de presse de ce ministère. Ces requérantes demandaient l’annulation de la décision de créer ce traitement. Réfutant cette argumentation, le Conseil d’Etat indique que ce communiqué se borne à faire état de l'existence d'un traitement de données, dont la mise en oeuvre a été confiée à une société privée et a fait l'objet d'une déclaration à la Commission nationale de l'informatique et des libertés. En réalité, il s’agirait par là, simplement, d’enregistrer à des fins statistiques le taux de fréquentation des pages du site du ministère. Ainsi, le recours est manifestement irrecevable puisqu’il est dirigé contre une décision qui n’existe pas matériellement. (18 juin 2018, Association La Quadrature du Net, Fédération des fournisseurs d'accès à internet associatifs et association French Data Network, n° 406083)

 

Biens

 

10 - Concessions – Remontées mécaniques – Régime des biens de retour – Gratuité du retour – Biens propriété d’un particulier avant la concession – Transfert automatique dans le patrimoine des personnes publiques – Equilibre économique du contrat – Commune intention des parties – Détermination de la valeur économique des biens de retour en ce cas – Libéralité publique prohibée.

Riche décision qui, dans la lignée d’un important arrêt d’Assemblée (21 décembre 2012, commune de Douai, n° 342788, p. 417) dont il réitère le considérant de principe, tranche, de façon contestable, la question du régime des biens de retour dans une configuration juridique particulière qui n’existait pas dans la décision de 2012 précitée. En l’espèce, le concessionnaire était propriétaire de biens antérieurement à la passation de la concession de service public. Le Conseil d’Etat estime qu’en ce cas, comme dans ceux visés par la jurisprudence Commune de Douai, le propriétaire de ces biens les a, en acceptant de conclure la convention de concession, affectés au fonctionnement du service public et, s’ils sont nécessaires à celui-ci, cette mise à disposition emporte ipso facto le transfert des biens dans le patrimoine de la personne publique. Ces biens sont donc traités comme des biens de retour pur et simple. Il s’ensuit, par voie de conséquence, le retour gratuit de ces biens à la personne publique à l'expiration de la convention sans que sur ce point les dispositions de la convention puissent y faire obstacle. Naturellement, les contractants peuvent prendre en compte cet apport dans la définition de l'équilibre économique du contrat pour stipuler une indemnisation du propriétaire privé à condition qu’il n'en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique. Dans le silence de la convention sur ce point, il appartient au juge de rechercher ce qu’a été la commune intention des parties au moment de la conclusion de celle-ci. On ne pourra qu’être étonné d’une telle solution dans la mesure où aucun acte n’emporte acceptation du propriétaire de voir son bien lui échapper, ce qui signifie qu’il en est dépossédé contre son gré. La procédure d’expropriation pourrait seule être utilisée en ce cas. Certes, une convention que l’on pourrait dire « de régularisation » est possible, avec indemnité à la clé, mais en aucun cas le concessionnaire ne pourra recouvrer son bien. On voit mal, d’une part, par quelle logique le fait de gérer un service public emporterait – en dehors de toute stipulation contractuelle en ce sens - obligation de céder le bien privé qui lui sert, en tout ou en partie, d’assiette, d’autre part, qui a pu penser, un seul instant, que cette solution trouverait grâce devant la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés ? (Section 29 juin 2018, min. de l’Intérieur, n° 402251)

 

11 - Contravention de grande voirie – Domaine public maritime – Personne susceptible d’être poursuivie – Application de la théorie de la garde – Erreur de qualification juridique des faits.

Cette décision rappelle qui est susceptible d’être qualifié de contrevenant dans le cadre d’une contravention de grande voirie résultant d’une occupation indue du domaine public maritime. Suite à l’évolution jurisprudentielle de ces dernières décennies, il est jugé que « La personne qui peut être poursuivie pour contravention de grande voirie est soit celle qui a commis ou pour le compte de laquelle a été commise l'action qui est à l'origine de l'infraction, soit celle sous la garde de laquelle se trouvait l'objet qui a été la cause de la contravention ». La cour administrative d’appel avait retenu la qualité de gardienne qui était celle de la SCI requérante pour la dire contrevenante et donc tenue à la réparation et à l’amende. Examinant les faits, le Conseil d’Etat estime que l’arrêt d’appel doit être cassé en ce qu’il repose à la fois sur une dénaturation des pièces du dossier et sur une erreur de qualification juridique des faits. La SCI n’était pas gardienne des ouvrages litigieux n’ayant pas sur eux un pouvoir de direction et de contrôle seul propre à caractériser, en droit, la garde. (20 juin 2018, SCI Cap Azur, n°410596)

 

12 - Cession d’un bien du domaine public – Obligation de désaffectation préalable – Obligation d’une décision expresse de déclassement – Délibérations désaffectant un élément du domaine public – Absence de création de droits aux profits d’éventuels acquéreurs – Retrait de ces délibérations – Compétence liée pour opérer le retrait (non).

Une commune prend des délibérations décidant la cession d’un abattoir et d’un atelier de découpe municipaux constituant des dépendances de son domaine public, puis par une délibération ultérieure elle retire ses précédentes délibérations autorisant la cession. Cette délibération est attaquée au motif, d’une part, de l’impossibilité de retirer les délibérations antérieures, d’autre part, de l’existence d’une irrégularité et d’une erreur de fait dans la délibération de retrait. Le recours est rejeté en première instance et en appel, d’où le pourvoi.

En premier lieu, le Conseil d’Etat rappelle que la cession d’une dépendance du domaine public n’est possible qu’à la double condition qu’elle ait fait l'objet d'une désaffectation et d'une décision expresse de déclassement. Or en l’espèce, les délibérations retirées se bornaient à autoriser la cession sans procéder elles-mêmes à cette désaffectation et à ce déclassement ; par suite n’en résultait aucun droit pour la société requérante. C’est sans erreur de droit que la cour en a jugé ainsi.

En second lieu, la cour avait estimé que la commune avait compétence liée pour retirer les délibérations et qu’ainsi était inopérante l’invocation des irrégularités qui auraient affecté la décision de retrait. Cette solution est censurée pour erreur de droit : la commune aurait pu mener à son terme la procédure commencée et n’avait donc nullement l’obligation de prendre une décision de retrait. L’arrêt est censuré sur ce point. (25 juin 2018, Société Groupe Bigard, n° 402078)

 

13 - Domaines nationaux – Utilisation de leur image – Distinction entre utilisation culturelle et utilisation à des fins commerciales – Décret  du 29 mars 2017 relatif au patrimoine mondial, aux monuments historiques et aux sites patrimoniaux remarquables – Absence d’autorisation préalable pour l’utilisation de l’image de ces biens et régime juridique de l’utilisation commerciale de cette image – Principe d’extinction de l'exclusivité des droits patrimoniaux attachés à une oeuvre intellectuelle au-delà d'un certain temps.

Les requérantes demandent l’annulation d’un décret du 29 mars 2017 instituant un régime d’autorisation préalable et une redevance pour l'utilisation commerciale de l’image des domaines nationaux. Le Conseil d’Etat rejette tous les arguments développés au soutien du recours.

Il n’y a pas atteinte à la liberté d’expression culturelle et au droit de diffusion de la culture garantis par les articles 10 et 11 de la convention EDH ainsi qu’au droit d'accès non discriminatoire à la culture protégé par le 13ème alinéa du préambule de la Constitution de 1946 et l'article 14 de la même convention. En effet, l’utilisation commerciale de l’image de ces biens n’est pas soumise à autorisation lorsque sont poursuivies en même temps des fins culturelles.

La circonstance que le gestionnaire d'un domaine national a le pouvoir d'autoriser ou de refuser certaines utilisations de l'image de ce domaine n’affecte pas les dispositions du code de la propriété intellectuelle et de la directive 2006/116/CE du 12 décembre 2006 relative à la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins, et elle n'a ni pour objet ni pour effet de rétablir les droits patrimoniaux, éventuellement éteints, afférents aux immeubles qui constituent ce domaine.

Egalement, l’autorisation d’image n’est pas discrétionnaire car elle ne peut être refusée par le gestionnaire du domaine national que si l'exploitation commerciale envisagée porte atteinte à l'image de ce bien présentant un lien exceptionnel avec l'histoire de la Nation. Dans le cas contraire, l'autorisation est accordée, gratuitement ou à titre onéreux.

Les conditions financières de l’autorisation d’image, autorisation qui ne concerne que l’usage à fins commerciales non celui à fins culturelles, sont établies sous le contrôle du juge. Il n’est ainsi porté atteinte ni à la liberté d'entreprendre, ni à la liberté du commerce et de l'industrie, ni au droit de propriété. (21 juin 2018, Associations Wikimédia France et La Quadrature du Net, n° 411005)

 

14 - Domaine public maritime – Obligation d’enlever des installations empiétant sur le domaine public maritime – Passerelle en surplomb de ce domaine – Absence d’« occupation » – Caractères superfétatoire de la demande d’autorisation et intempestif du refus opposé par le préfet.

Dans le cadre d’une procédure en déplacement ou démolition d’ouvrages censés se trouver sur le domaine public diligentée par un préfet et donnant lieu à contentieux, on relèvera que le Conseil d’Etat juge qu’une passerelle déployée à 7 mètres au-dessus du domaine public n’« occupe » pas ce domaine. Le préfet n’a donc pas à accorder (ni, non plus, à refuser) une autorisation d’occupation et le pétitionnaire n’a donc pas davantage à la solliciter. (6 juin 2018, M. X., n° 410650 ; v. aussi, même affaire : 6 juin 2018, M. X., n° 410651)

 

15 - Œuvre d’art – « Pleurant n° 17 » du tombeau de Philippe III le Hardi - Refus de délivrer un certificat d’exportation – Obligation de restitution à l’Etat – Appartenance au domaine public – Décrets du 2 novembre 1789 et des 22 novembre-1er décembre 1790 – Absence d’obligation de saisir le juge judiciaire.

A l’occasion de la mise en vente d’une statuette en albâtre dite « pleurant n° 17 » faisant partie de l’ensemble statuaire ornant le tombeau de Philippe III le Hardi, une société spécialisée dans le commerce des oeuvres d’art se voit, d’une part, refuser par l’Etat le certificat autorisant son exportation et d’autre part, intimer l’ordre de la retirer d’une vente aux enchères déjà programmée. L’Etat invoque comme motif l’appartenance de l’objet au domaine public. Les recours de cette société ayant été rejetés par le tribunal et la cour administratifs de Paris, celle-ci se pourvoit en cassation.

Pour dire que la statuette est une dépendance du domaine public de l’Etat, les juges s’appuient d’abord sur le décret du 2 novembre 1789, rendu par l’Assemblée constituante, selon lequel " tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation [...]". Ils traitent donc cet acte gravement spoliateur et irrégulier comme s’il n’en était rien et on le comprend car, à défaut de cet escamotage de la réalité juridique, tout le reste de leur raisonnement s’effondrerait. Ensuite, il est rappelé que si l’aliénation des biens du domaine public a été rendue possible sous la révolution c’est sous l’importante condition (souvent oubliée d’ailleurs) posée à l’art. 8 du décret législatif des 22 novembre – 1er décembre 1790 qu’elle ait eu lieu « en vertu d'un décret formel du corps législatif, sanctionné par le Roi, en observant les formalités prescrites pour la validité de ces sortes d'aliénations ». Il est constant que la pièce en question n’a pas fait l’objet d’une telle procédure et qu’elle n’a donc pu être acquise par usucapion au bout de quarante années selon le droit alors en vigueur. Elle n’a par conséquent pas pu perdre sa qualité de dépendance du domaine public que lui avait attribuée le contestable décret du 2 novembre 1789. Depuis, la trace des changements successifs de détenteurs de cette statuette se suit sans discontinuité. Le « pleurant n° 17 » n’a donc jamais cessé d’appartenir au domaine public national dont il a irrégulièrement été soustrait.

Ainsi, les propriétaires successifs n’ont pas pu, même de bonne foi, acquérir par prescription un bien inaliénable.

Le ministre de la culture était, par suite, tenu de refuser le certificat d’exportation sollicité pour ce « pleurant » et peu importe que la procédure à cet effet n’ait pas été correctement suivie puisqu’en présence d’une compétence liée les différents vices de forme invoqués (incompétence, recueil des observations préalables du pétitionnaire, détournement de pouvoir) sont inopérants puisqu’il fallait en toute hypothèse que la mesure qui a été prise le fût.

Tout en reconnaissant aux détenteurs successifs de l’objet et en l’absence de toute revendication par l’Etat pendant une durée très longue, « un intérêt patrimonial à en jouir, suffisamment reconnu et important pour constituer un bien au sens des stipulations (de l’art. 1er du 1er protocole additionnel à la Convention EDH), (la cour administrative d’appel) n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la reconnaissance de son appartenance au domaine public justifiait qu'il soit rendu à son propriétaire, l'Etat, sans que soit méconnue l'exigence de respect d'un juste équilibre entre les intérêts privés de ses détenteurs et l'intérêt public majeur qui s'attache à la protection de cette oeuvre d'art. »

Enfin, dès lors qu'aucune disposition n'impose à l'Etat d'engager une action en revendication de propriété devant le juge judiciaire afin d'obtenir la restitution d'un bien appartenant au domaine public et que la mise en demeure adressée aux requérantes de restituer à l'Etat la statuette litigieuse n'est que la conséquence nécessaire du motif du refus de délivrer le certificat d'exportation que le ministre de la culture était tenu de leur opposer, la cour n'a ni entaché son arrêt d'erreur de droit ni méconnu l'office du juge administratif auquel il appartient de se prononcer sur l'existence, l'étendue et les limites du domaine public, en connaissant du litige qui lui était soumis sans renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire.

La messe est dite…mais à quel prix pour les libertés fondamentales et au moyen d’un mensonge historique. (21 juin 2018, Société Pierre Bergé et associés et autres, n° 408822)

 

Collectivités territoriales

 

16 - Décret du 10 mai 2017 relatif à l’établissement public Paris La Défense – Allégation d’inconstitutionnalité – Composition du conseil d’administration  de l’établissement public – Défaut de consultation préalable des collectivités intéressées – Majorité des droits de vote accordée à l’un des membres – Atteintes au principe de libre administration des collectivités territoriales et d’égalité entre collectivités territoriales – Interdiction d’une tutelle au profit d’une collectivité territoriale sur une autre – Collectivité n’ayant qu’une voix consultative et non délibérative, à la différence des autres.

Le Conseil d’Etat accepte de renvoyer deux QPC au Conseil constitutionnel sur les trois qui lui étaient présentées.

En premier lieu, il aperçoit une question sérieuse dans celle qui dénonce une inconstitutionnalité  à la fois, dans le fait que le décret litigieux rend obligatoire pour les collectivités qu’il désigne leur participation à cet établissement public alors qu’elles n’on pas été consultées à cet effet, en violation de l’art. 72 de la Constitution et dans la circonstance qu’il attribue à un département membre du conseil d’administration la majorité des droits de vote en violation de l’interdiction de toute tutelle de la part d’une collectivité sur une autre.

En second lieu, est contestée, à juste titre selon les juges du Palais-Royal qui y voient une question sérieuse, la disposition qui ne confère à une commune, lorsque sa présence est nécessaire aux délibérations du conseil d’administration de cet établissement public, qu’une voix consultative et non délibérative comme c’est la règle pour les autres communes. (29 juin 2018, Comité d'entreprise de l'établissement public d'aménagement de La Défense Seine Arche (EPADESA), n° 412374)

 

17 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Disproportion manifeste du taux de la taxe par rapport aux dépenses nécessaires à l’exploitation du service – Contrôle du juge.

La Société requérante estimait disproportionné par rapport aux besoins du service le taux fixé par la commune pour l’enlèvement des ordures ménagères et contestait devant le juge de l’impôt la légalité de la délibération communale ayant établi ce taux. Le Conseil d’Etat rappelle qu’il incombe au juge saisi,  que la collectivité ait ou non institué la redevance spéciale prévue par l'article L. 2333-78 CGCT, de vérifier si le produit de cette taxe, tel qu'il a été estimé à la date de la délibération litigieuse, n'était pas manifestement disproportionné par rapport au coût de collecte et de traitement des seuls déchets ménagers, tel qu'il pouvait être estimé à cette même date, non couvert par les recettes non fiscales affectées à ces opérations, c'est-à-dire n'incluant pas le produit de la redevance spéciale lorsque celle-ci a été instituée. En l’absence de cette double condition de disproportion et de caractère « manifeste » de celle-ci, la contestation ne peut qu’être rejetée. (25 juin 2018, Société anonyme Auchan France, n° 414056)

 

Contrats (v. aussi n° 10)

 

18 - Marché public de travaux – Groupement solidaire – Maîtrise d’œuvre – Mission de conduite d’opération confiée à l’Etat – Mission d’ordonnancement, pilotage et coordination – Décompte général et définitif du marché – Condamnation solidaire – Appel provoqué – Appel incident – Mise hors de cause de l’Etat.

Il s’agissait d’une affaire complexe au carrefour du droit des marchés publics et de la procédure contentieuse. Désireux de faire construire un nouvel hôpital, le centre hospitalier de Rodez (Aveyron) a confié :

- une mission de maîtrise d'oeuvre à un groupement composé de la société Valode et Pistre, sociétés d'architectes, et de la société Ingerop, bureau d'études,

- une mission de conduite d'opération à l'Etat (direction départementale de l'agriculture et de la forêt de l'Aveyron),

- une mission d'ordonnancement, pilotage et coordination à la société Oger International.

Aux termes d’un marché conclu en 2003, les travaux du lot n° 1 " Terrassements complémentaires, fondations, canalisations enterrées, gros oeuvre et charpente métallique " ont été attribués à un groupement solidaire, le groupement Eiffage.

Le tribunal administratif de Toulouse, saisi par le groupement Eiffage d'un litige portant sur le règlement de ce marché de travaux, a : 1°/ condamné le centre hospitalier de Rodez à payer à ce groupement une certaine somme au titre du solde du décompte général du marché ; 2°/ condamné la société Valode et Pistre, la société Ingerop, la société Oger International et l'Etat à garantir le centre hospitalier de Rodez de cette condamnation à des hauteurs diverses selon les débiteurs.  La cour administrative d'appel de Bordeaux, sur appel principal du centre hospitalier de Rodez, a : 1°/ réduit le solde du marché litigieux ; 2°/ prononcé la condamnation solidaire du centre hospitalier de Rodez, de la société Valode et Pistre, de la société Ingerop et de la société Oger International au versement de cette somme ; 3°/ rejeté les conclusions d'appel provoqué des sociétés Valode et Pistre, Ingerop et Oger International ; 4°/ mis hors de cause l'Etat.

Ces dernières se pourvoient en cassation

Statuant sur les recours des sociétés précitées et interprétant le sens des requêtes dont elles l’ont saisi, le Conseil d’Etat se prononce sur trois points principaux.

En premier lieu, il examine l'arrêt attaqué en tant qu'il prononce la condamnation solidaire du centre hospitalier de Rodez, de la société Valode et Pistre, de la société Ingerop et de la société Oger International. A cet égard, il relève que les conclusions d’appel présentées par le groupement Eiffage tendant à la condamnation solidaire du centre hospitalier de Rodez, de la société Valode et Pistre, de la société Ingerop et de la société Oger International doivent être regardées à la fois comme un appel incident à l'encontre du centre hospitalier de Rodez, appelant principal, et comme un appel provoqué à l'encontre des sociétés maîtres d'œuvre dès lors que celles-ci étaient appelantes incidentes. Or les conclusions présentées par le groupement Eiffage contre le centre hospitalier par la voie d'un appel incident ne soulèvent pas un litige distinct de l'appel principal du centre hospitalier, elles sont donc recevables.  Par ailleurs, l'admission par la cour de Bordeaux  de l'appel principal du centre hospitalier de Rodez ayant, en diminuant le solde du marché, aggravé la situation du groupement Eiffage, celui-ci était recevable à demander, pour la première fois devant la cour, par la voie de l'appel provoqué, la condamnation solidaire du maître d'ouvrage et des maîtres d'oeuvre ; leurs conclusions tendant à faire juger irrecevables celles du groupement Eiffage ont donc été rejetées sans erreur de droit par la cour.

En deuxième lieu, le Conseil d’Etat se prononce sur le grief fait à l’arrêt d’appel d’avoir rejeté comme irrecevables les conclusions d'appel provoqué présentées par la société Valode et Pistre, la sociétés Ingerop et la société Oger International. Pour ce faire il constate que le tribunal administratif de Toulouse n’avait condamné que le centre hospitalier de Rodez à payer au groupement Eiffage la somme au titre du solde du décompte général du marché et n’avait condamné la société Valode et Pistre, la société Ingerop, la société Oger International et l'Etat qu’à garantir le centre hospitalier d'une partie des condamnations mises à sa charge. Or la cour de Bordeaux a prononcé, elle, la condamnation solidaire des trois sociétés maîtres d'oeuvre et du centre hospitalier de Rodez à verser au groupement Eiffage la somme litigieuse. Dès lors, la cour ne pouvait pas, sans dénaturer les faits, juger que la situation de ces sociétés n'était pas aggravée par l'intervention de son arrêt et rejeter de ce chef comme irrecevables leurs conclusions d'appel provoqué tendant à être garanties des condamnations prononcées à leur encontre. Sur ce point l’arrêt doit être annulé.

Enfin, l’arrêt d’appel était contesté pour avoir mis l’Etat hors de cause en statuant ultra petita. Le Conseil d’Etat rejette le pourvoi sur ce point en relevant qu'il ressort des pièces du dossier d'appel que, devant la cour, l'Etat avait bien, par la voie d'un appel incident, demandé l'annulation du jugement en tant qu'il l'avait condamné à garantir le centre hospitalier. La cour n’a donc pas statué ultra petita. (27 juin 2018, Société Valode et Pistre, n° 409608, Société Oger international, n° 409657, et Société Ingerop, n° 409683).

 

19 - Marché public de travaux – Garantie décennale des constructeurs – Etendue de la responsabilité – Ampleur intégrale des désordres inconnue à la date d’expiration de la garantie – Absence d’effets sur la responsabilité encourue.

Rappel utile d’une solution constante. Si en matière de travaux publics la garantie décennale ne couvre que les désordres apparus avant l’expiration de la dixième année à compter de la réception des ouvrages ou travaux, en revanche, ceux des désordres apparus avant cette date bénéficient de cette garantie alors même que, au moment de l’expiration du délai décennal, ils ne s’étaient pas encore révélés dans toute leur ampleur. (15 juin 2018, Société Atelier Arcos Architecture, n° 417595)

 

20 - Délégation de service public – Clause de retour des biens sans indemnité – Clause ne pouvant concerner que l’hypothèse d’un contrat expirant à son échéance normale – Cas d’un retour anticipé des biens par suite d’une résiliation – Indemnisation obligatoire.

Dans le cadre d’une délégation de service public portant sur du mobilier multimédia, le contrat dispose « Le mobilier multimédia installé sera maintenu par le délégataire pendant toute la durée de la convention de délégation. A son issue, il sera intégré au patrimoine de la collectivité sans contrepartie financière, dans le cadre des biens de retour ». La personne publique contractante, le centre hospitalier de Valenciennes, décide la résiliation anticipée du contrat ; par application des principes régissant les biens de retour dans une concession, ceux-ci, sauf stipulation expresse contraire, entrent gratuitement dans le patrimoine de la collectivité publique dès leur création, acquisition ou réalisation. Il en va différemment, d’une part, si l’accord des parties diffère de cette solution, d’autre part, si, au terme du contrat les biens en cause n’ont pas été complètement amortis. En l’espèce, bien que s’agissant d’une fin anticipée du contrat, la cour de Douai a appliqué les principes ci-dessus. Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’Etat rappelle ce qu’exigent la justice, l’équité et le bon sens : dès lors que ces biens, du fait de l’anticipation d’échéance du contrat, n’ont pas été amortis complètement, le délégataire a droit à leur indemnisation sans que puisse être opposée la stipulation précitée du contrat concernant le caractère gratuit du recours puisque cette dernière n’envisage qu’un contrat s’achevant à l’échéance normale, ce qui n’est pas le cas ici. (20 juin 2018, La Communication hospitalière (LCH), n° 408507)

 

21 - Délégation d’un service public de transport public de voyageurs – Absence, à l’époque, d’obligation d’informer les candidats sur les modalités de sélection des offres – Indication des seuls critères par le délégant sans précision sur les critères de pondération – Annulation pour modification postérieure de ces critères – Inexistence.

La communauté d’agglomération de la Riviera française conclut un contrat pour la délégation d’un service public de transport public de voyageurs avec une société. La requérante, évincée de ce contrat, saisit, en vain, le tribunal administratif de Nice, avec succès la cour administrative d’appel. La communauté d’agglomération se pourvoit.

S’agissant d’une délégation de service public, l’obligation de mise en concurrence  ne comportait pas, à l’époque, pour la personne publique, d’obligation d'informer les candidats des modalités de mise en oeuvre des critères de sélection des offres ; la jurisprudence avait cependant précisé que ce n'est que dans l'hypothèse où, alors même qu'elle n'y était pas tenue, l’autorité publique délégante rendait publiques ces modalités qu'elle était tenue d'informer en temps utile les candidats de leur modification éventuelle.

En l’espèce, le règlement de consultation comportait une disposition informant les candidats de l’existence de trois critères et de ce qu’ils seraient pondérés. Cependant, aucune indication n’était – volontairement (ainsi que cela fut indiqué en réponse à une demande écrite de l’un des candidats) – donnée sur le contenu de cette pondération. Par suite, c’est par une dénaturation des pièces du dossier que la cour a cru pouvoir déceler une modification desdits critères de pondération dont la communauté d’agglomération n’aurait pas informé les candidats pour prononcer la résiliation du contrat. (20 juin 2018, Communauté d’agglomération de la Riviera française, n° 410730)

 

22 - Référé provision - Décompte général et définitif tacite – Calcul du délai de 30 jours – Obligation d’envoi à la fois au maître d’ouvrage et au maître d’œuvre – Absence – Conséquences.

Une société de travaux publics avait adressé tardivement le projet de décompte général et définitif d’un marché et cela au seul maître d’ouvrage non au maître d’œuvre. Elle a sollicité, en vain, du juge du référé provision l’allocation d’une provision sur le montant de ce projet de décompte. La cour d’appel, ayant à vérifier le caractère « non sérieusement contestable » de la créance dont se prévalait cette société, constate que cette condition n’est pas remplie, d’une part parce que le projet a été adressé plus de trente jours après la réception des travaux, contrairement à ce qu’exige l’art. 13.3.2 du CCAG Travaux, d’autre part, parce qu’il n’avait été adressé qu’au maître de l’ouvrage point au maître d’œuvre.

Le Conseil d’Etat juge que le non respect du délai de trente jours ne prête pas à conséquences juridiques et que c’est à tort que ce motif a été retenu par la juridiction d’appel. En revanche, c’est à bon droit qu’elle s’est fondée, pour rejeter la demande dont elle était saisie, sur la circonstance que le projet de décompte n’avait pas été adressé aux deux responsables intéressés mais à un seul d’entre eux, ceci rendant impossible la naissance d’un décompte général et définitif tacite. En effet, il résulte de l’art. 13.4.2 du CCAG Travaux qu’un décompte tacite naît à compter du trentième jour, cette date étant appréciée au regard de la plus tardive des dates de réception du projet de décompte final respectivement par le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre. (25 juin 2018, Société Merceron TP, société Ajire, ès qualités d'administrateur judiciaire de la société, et société Humeau, ès qualités de mandataire judiciaire de la société, n° 417738)

 

23 - Contrat - Référé mesures utiles (art. R. 521-3 CJA) – Impossibilité de principe pour le juge d’ordonner des mesures d’exécution d’un contrat – Absence en l’espèce d’une autre voie de droit qu’un recours juridictionnel – Pouvoir du juge des référés de condamner à une obligation de faire sous réserve du pouvoir de modification unilatérale du contrat appartenant à la puissance publique – Exigences liées à la continuité ou au fonctionnement du service public.

Dans une intéressante décision qui constitue une importante contribution à la définition de l’office du juge des référés, le Conseil d’Etat montre avec quelle souplesse peuvent être exercés les pouvoirs juridictionnels nonobstant les limites dans lesquelles ils sont parfois enserrés, lorsque sont en cause des éléments fondamentaux de droit public ou que le droit n’offre pas d’autre issue que de passer outre à certains interdits ou limites. Cela est d’autant plus remarquable que le référé « mesures utiles » en cause ici est sans doute l’un de ceux qui se prêtent le moins bien à une conception aussi large de l’office du juge.

L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) a conclu un marché informatique avec la société GFI Progiciels pour la mise en place d’un progiciel prenant en charge toutes les fonctions comptables, budgétaires et de gestion des achats de l'ADEME.  Notamment, le marché prévoyait que GFI Progiciels fournirait un certain nombre de licences d'utilisation de la solution progicielle, variant selon les profils d'utilisateurs. Suite à une modification de la répartition des catégories de licence au cours de la phase d’élaboration du progiciel, cette dernière s'est révélée inadaptée pour satisfaire les besoins des utilisateurs du progiciel au sein de l'agence. Par suite, a été ouvert aux utilisateurs de l'ADEME un nombre d'accès différent de cette répartition, par augmentation sensible du nombre de licences " utilisateurs complets ". L’ADEME a considéré que la société GFI Progiciels était responsable de l'écart constaté entre les prévisions de licences et la réalité des besoins des utilisateurs et elle a refusé de prendre en charge le surcoût résultant de cette augmentation.  La société GFI Progiciels a informé l’ADEME que, faute, dans un certain délai, d’une régularisation ou d’un avenant actant cet écart, elle avait l’intention de " supprimer un certain nombre d'accès (...) au plus tard le 31 janvier 2018 ". Un courrier de l’ADEME à cette société en date du 12 janvier 2018 étant resté sans réponse et vue l’imminence de la date butoir, l'ADEME a saisi le juge du référé mesures utiles, en lui demandant d’enjoindre, sous astreinte, à la société GFI Progiciels de maintenir jusqu'au terme normal ou anticipé du marché et, à tout le moins, jusqu'à ce que le juge du fond statue, le droit d'usage de l'ensemble des licences nécessaires pour répondre aux besoins des profils d'utilisateurs contractuels. Cette demande ayant été rejetée le 7 février 2018 par le juge des référés du TA de Nantes, l’ADEME se pourvoit.

Le Conseil d’Etat juge que la circonstance d’une interruption de fourniture du service à brève échéance, pour un nombre indéterminé d’utilisateurs de ces licences au sein de l’ADEME et alors que n’existe aucune solution de remplacement, même provisoire, constitue l’urgence à intervenir.

Ensuite, il déduit audacieusement de l’absence de toute autre voie de droit ouverte à l’ADEME pour faire obstacle à la décision de la société GFI que la mesure sollicitée du juge des référés est une mesure « utile » au sens et pour l’application de l’art. R. 521-3 CJA et qu’elle ne fait point obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative, conformément aux exigences de ce même texte.

Enfin, le juge relève très opportunément que même en l’absence de toute stipulation du contrat en ce sens, « les obligations du cocontractant doivent être appréciées en tenant compte, le cas échéant, de l'exercice par l'autorité administrative du pouvoir de modification unilatérale dont elle dispose en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs ». Ainsi, à supposer même, comme le soutient la société défenderesse, que la mesure sollicitée contrevienne tant aux termes même du marché qu’aux droits de propriété intellectuelle, il est constant que « les mesures que le juge des référés, saisi sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, peut ordonner au cocontractant de l'administration pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement ne sont pas seulement celles qui découlent des obligations prévues dans le contrat initialement signé par les parties, mais également celles qui résultent de l'exercice, par l'administration, de son pouvoir de modification unilatérale du contrat ». Par suite, il n’existe aucune contestation sérieuse à ce que la mesure sollicitée soit ordonnée. Cette décision, qui constitue un exemple particulièrement net du pouvoir normatif de la jurisprudence, n’est pas sans rappeler mutatis mutandis une précédente décision du Conseil d’Etat (5 juillet 2013, Société Véolia Transport Valenciennes Transvilles, n° 367760, Rec. 770).  (25 juin 2018, ADEME, n° 418493)

 

24 - Marché public – Accord-cadre à bons de commandes – Appel d’offres ouvert – Rejet d’une offre – Référé précontractuel – Obligation de suspendre la signature du contrat – Point de départ de l’obligation de suspension – Notification du recours au pouvoir adjudicateur soit par le représentant de l’Etat ou l’auteur du recours soit par le greffe du tribunal saisi – Détermination de l’heure de notification.

Cette décision porte sur plusieurs points de droit intéressants dont la notion d’offre anormalement basse (voir B. Valette, Sous-traitance et offre anormalement basse en cours d’exécution, achatpublic.info, 28 juin 2018). On retiendra aussi qu’elle contient une solution pratique importante sur une situation originale.

Le Conseil d’Etat y juge, en effet, que commet une erreur de droit le juge des référés qui, pour apprécier le respect de l'obligation de suspension prévue à l'article L. 551-4 CJA, se fonde sur l'heure de la prise de connaissance effective par le pouvoir adjudicateur du recours de l’un des candidats et non sur l'heure de la réception par ce pouvoir adjudicateur de la notification qui lui en a été faite par le greffe du tribunal administratif par l'intermédiaire de l'application Télérecours. Il ne pouvait donc pas écarter comme irrecevable le recours en référé contractuel au motif que le pouvoir adjudicateur n'avait pas, en raison de cette référence erronée à l'heure de la prise de connaissance effective du recours en référé précontractuel, signé le marché en méconnaissance des dispositions de l'article L. 551-4 du code de justice administrative. Ici la théorie, au demeurant très contestée, de la connaissance acquise ne prévaut pas sur les dispositions du code. (20 juin 2018, Société Cercis, n° 417686)

 

25 - Contrat administratif – Critères – Contrat conclu entre personnes privées – Contrat n’étant pas, au moment de sa conclusion, l’accessoire d’un contrat administratif – Contrat de droit privé.

La société Electricité Réseau Distribution France (ERDF) aux droits de laquelle vient la société Enedis a demandé la condamnation solidaire de diverses sociétés sur le fondement de la responsabilité décennale, à raison des désordres survenus sur les câbles électriques de raccordement au réseau de distribution électrique de la centrale éolienne de Tuchan. Le tribunal lui a donné une satisfaction partielle mais la cour de Marseille a rejeté l’entière demande car portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

La question était donc de déterminer la nature juridique, de droit administratif ou de droit privé, du contrat conclu en 1998 entre deux sociétés de droit privé (la société « Ferme éolienne du Mont de Tauch » et la société RRTP) en vue de la réalisation de câbles électriques destinés à relier des éoliennes au poste source de Tautavel. Ce contrat de droit privé a été conclu antérieurement à deux conventions, de 2001 et de 2002, entre EDF et une société privée. Si ces conventions constituaient des contrats administratifs elles ne portaient pas sur les travaux qui étaient l’objet du contrat conclu en 1998. De plus, ce dernier contrat ne prévoyait pas que les câbles réalisés seraient rétrocédés à EDF. Ces deux séries de contrats ayant des objets distincts, le premier d’entre eux ne peut être considéré comme l’accessoire du second et cela alors même que les travaux réalisés en exécution de ce premier contrat auraient été conduits dans la perspective d'un raccordement futur au réseau de distribution. Cette solution, qui empêche une extension à l’infini du contrat administratif, doit être approuvée. (7 juin 2018, Société Enedis, n° 409226)

 

26 - Notion et critères du contrat administratif – Marché public (non) – Clause exorbitante (non) – Participation du cocontractant à l’exécution d’un service public (non) – Caractère de contrat de droit privé.

Un syndicat intercommunal pour le recyclage et l'énergie par les déchets et ordures ménagères (SIREDOM), après mise en concurrence, conclut un contrat avec une société privée (Capital Energy) ayant pour objet la cession par le syndicat des droits à délivrance de certificats d'économies d'énergie, qui constituent des biens meubles, produits par l'opération de production de chaleur de récupération en échange d'un prix payé par la société Capital Energy. La société Geo France Finance, dont la candidature n’a pas été retenue, demande au juge des référés contractuels l’annulation de ce contrat. Cette demande est rejetée en première instance car le contrat en cause n’est pas au nombre de ceux visés à l’art. L. 551-1 CJA relatif au référé contractuel. Celui-ci dispose que ne peut faire l’objet d’un tel référé qu’un « contrat administratif ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique ».

Approuvant cette solution, le Conseil d’Etat relève que ce contrat n’est pas un marché public car il ne comporte pas l’exécution de travaux, la livraison de fournitures, la prestation de services de la part du cocontractant et il n’a pas, non plus, pour objet de satisfaire un besoin du SIREDOM au moyen d'une prestation en échange d'un prix. Au reste, la circonstance que les recettes ainsi acquises par le SIREDOM puissent être affectées au financement des travaux d'adaptation du centre intégré de traitement des déchets conclu avec la société Eiffage est sans incidence sur l'objet du contrat en litige, qui est distinct du marché de conception-réalisation portant sur les travaux d'adaptation du centre. Pas davantage ce contrat peut être dit administratif par détermination légale ou peut constituer une concession. Comme par ailleurs il ne fait pas participer le cocontractant privé à l’exécution d’un service public ni, non plus, ne comporte de clauses qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, impliquent, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs, il s’ensuit que le contrat litigieux est un contrat de droit privé et que la demande la société Geo ne pouvait qu’être rejetée. (7 juin 2018, Société Geo France Finance, n° 416664)

 

27 - Mesure d’exécution du contrat – Pouvoir du juge – Possibilité seulement d’accorder le cas échéant une indemnisation – Par exception peut être exercé un recours en reprise des relations contractuelles – Absence en l’espèce de résiliation du contrat.

 Une convention conclue entre une commune et la société Orange autorise cette dernière à occuper un ouvrage public et le terrain adjacent en vue de l’installation d'équipements techniques de radiotéléphonie mobile. La communauté d’agglomération venant aux droits de la commune informe la société Orange qu’à l’expiration de son terme initial le contrat actuel ne sera pas reconduit ; elle invite cette dernière à lui dire si elle souhaite la conclusion d’un nouveau contrat. Orange conteste cette décision et saisit le juge d’une action en reprise des relations contractuelles qui est rejetée en première instance et en appel, d’où la saisine du Conseil d’Etat. Celui-ci rappelle qu’en principe, s’agissant de la contestation de mesures d’exécution du contrat, il n’a pas d’autres pouvoirs que d’accorder une indemnisation dans le cas où la mesure contestée serait irrégulière. Toutefois existe l’exception de la demande de reprise des relations contractuelles. Cette demande est rejetée ici car il ne s’agissait nullement d’une résiliation unilatérale du contrat lequel aurait ainsi été empêcher de courir jusqu’à son terme initial, mais d’une décision de ne pas le renouveler au moment de son arrivée à échéance. La jurisprudence ville de Béziers (Section, 21 mars 2011, n° 304806, p. 117) était inapplicable en l’espèce : c’est à bon droit que les juges du fond ont rejeté la demande de la Société Orange. (6 juin 2018, Société Orange, n° 411053)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

28 - TVA des entreprises – Taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises – Inconstitutionnalité alléguée – QPC – Facultés contributives – Obligations s’imposant au législateur – Exigence de retenir des critères objectifs et rationnels en fonction des buts poursuivis – Respect du principe d’égalité devant les charges publiques – Oui en l’espèce – Rejet du renvoi de la QPC.

La société requérante estimait inconstitutionnelles les dispositions du b du 4 du I de l'article 1586 sexies CGI car celles-ci excluent un certain nombre d’impôts ou taxes (taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées, contributions indirectes, taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) de la valeur ajoutée servant de base au calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Elle considérait qu’elles portaient atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration de 1789, car elles reposeraient sur un critère de distinction entre les impôts déductibles et les impôts non déductibles de la valeur ajoutée qui ne serait ni objectif ni rationnel.

Pour rejeter le recours, le Conseil d’Etat rappelle d’abord que l’art. 13 précité exige que l’impôt soit déterminé en fonction des facultés contributives des individus. Il indique ensuite qu’en vertu de l’art. 34 de la Constitution il appartient au législateur seul de déterminer les règles selon lesquelles doivent être appréciées ces facultés contributives. En troisième lieu, il relève que cette appréciation doit être faite compte tenu des caractéristiques de chaque impôt. D’où cette exigence constitutionnelle que, pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit se fonder sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il assigne à chaque imposition. Enfin, et en tout état de cause, cette faculté d’appréciation, si large soit-elle, ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Faisant application de cette ligne directrice jurisprudentielle au cas de l’espèce en recourant à l’analyse des travaux préparatoires, il estime que la disposition incriminée satisfait à l’exigence de critère objectif et rationnel. (29 juin 2018, SAS Compagnie exploitation et répartition pharmaceutique (CERP) de Rouen, n° 416346 ; v. aussi, du 27 juin 2018, SA Confraternelle d'exploitation et de répartition pharmaceutique Rhin Rhône Méditerranée, n° 419030)

 

29 - Dispositif fiscal favorisant la prise de mesures pour améliorer l’intéressement des salariés aux résultats de l’entreprise (loi du 3 décembre 2008) – Crédit d’impôt accordé pour une période de trois ans – Espérance légitime concernant cette durée – Espérance trompée – Refus de la cour d’en tenir compte – Annulation de l’arrêt d’appel.

Pour favoriser la création ou le développement, selon les cas, de l’intéressement des salariés la loi de 2008 a prévu l’institution d’un crédit d’impôt dont tout laissait croire, texte de la loi et travaux préparatoires, qu’il aurait la même durée que celle des accords pris sur le fondement de cette loi, soit trois années. Las, le législateur a exclu du bénéfice de ce crédit d’impôt, à compter de 2011, les entreprises de plus de 250 salariés, c’est-à-dire celles qui sont les plus susceptibles d’appliquer l’intéressement... Le Conseil d’Etat reproche – à juste titre - à la cour, dont l’arrêt se trouve ainsi annulé, d’avoir jugé que cette volte-face n’avait pas privé la société requérante d’une espérance légitime de bénéficier du crédit d’impôt jusqu’au terme de la période triennale couverte pas l’accord qu’elle avait signé. (6 juin 2018, Société Dekra, n° 414482)

 

30 - Société viticole propriétaire d’un domaine et de la marque – Marque constituant un élément autonome de l’actif incorporel de l’entreprise viticole – Caractère incessible de la marque – Caractère non amortissable de la valeur de la marque – Rejet du recours.

La société requérante a acquis en 2005 le domaine de l’illustre Château de Camensac, cru du Haut-Médoc, faisant partie du prestigieux classement de 1855, ainsi que la marque du même nom. Elle entre en conflit avec l’administration fiscale celle-ci refusant l’amortissement du coût d’acquisition et de la valeur de ladite marque. Le Conseil d’Etat donne raison au fisc au motif que la marque « confère à son propriétaire un droit d'usage exclusif sans limitation prévisible de durée. Il en résulte qu'une telle marque constitue un élément autonome de l'actif incorporel de l'entreprise, alors même qu'elle n'est pas cessible par elle-même, et qu'elle ne peut donner lieu à une dotation annuelle à un compte d'amortissement, dès lors qu'il n'est pas possible de déterminer, lors de son acquisition par l'entreprise, la durée pendant laquelle elle sera exploitée. » C’est un peu vite dit au regard de ce que sont les réalités du monde viticole. (6 juin 2018, Société fermière du Château de Camensac, n° 409501)

 

31 - Revenus des capitaux mobiliers – Plus-values de cession des droits sociaux – Société holding animatrice d’un groupe – Exercice d’une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière – Décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu.

A l’occasion de la cession d’actions d’une société les requérants ont estimé ne pas devoir acquitter l’impôt sur le revenu par application de dispositions du CGI (art. 150-0 D ter et 150-0 D bis). L’administration fiscale n’a pas admis leur position ; ils ont alors saisi, en vain, les juridictions compétentes. Saisi d’un pourvoi en cassation contre ces arrêts (Paris et Nantes), le Conseil d’Etat, se fondant, outre ces dispositions de droit positif, sur les travaux préparatoires de la loi de finances rectificatives du 30 décembre 2005, donne raison aux demandeurs. Il estime que la société holding en cause exerçait bien l’une des activités prévues au 2° du II de l’art. 150-0 D bis du CGI. Pour aboutir à cette conclusion les juges du Palais-Royal font une analyse précise et minutieuse de l’ensemble des éléments démontrant que la holding dont les actions avaient été cédées exerçait réellement et continûment la fonction d’animatrice du groupe dont elle détenait 95% des parts. (13 juin 2018, M. et Mme X. et autres, n° 395495)

 

32 - Convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 – Contribution des patentes – Impôt de caractère général - Exonération – Activité ferroviaire – Impôt sur les entreprises de réseau – Impôt ni analogue ni semblable à la contribution des patentes – Absence d’exonération sur le fondement de la convention fiscale.

Une société allemande ayant été assujettie à l’impôt forfaitaire sur les entreprises de réseau à raison du matériel roulant ferroviaire qu'elle avait utilisé sur le réseau ferré national pour les opérations de transport de voyageurs, a contesté avec succès devoir payer cet impôt. Le ministre compétent se pourvoit contre le jugement qui a prononcé la décharge de l’imposition litigieuse. Pour justifier de cette décharge étaient invoquées les dispositions de la convention fiscale franco-allemande de 1959 laquelle, entre autres, portait exonération de la contribution des patentes pour les sociétés allemandes ne disposant pas d'établissement stable en France. Cet impôt a été remplacé par d’autres jusqu’à aujourd’hui. Mais le Conseil d’Etat considère que si l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau en a pris la suite, elle n’est en rien comparable ou assimilable à l’ancienne contribution des patentes, d’où il suit que l’exonération de cette dernière dont bénéficiaient les entreprises allemandes en France sur le fondement de la convention de 1959 ne s’applique pas à l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau. (13 juin 2018, ministre de l'action et des comptes public, n° 415769)

 

33 - Travail à l’étranger – Régime d’imposition des revenus – Notion de foyer en France – Domicile fiscal.

L’intéressé, qui travaille sur des plateformes pétrolières en Angola, se prévaut des dispositions de l’art. 81 CGI pour se voir exonérer du paiement de l’impôt sur le revenu. Si, en première instance, il a obtenu gain de cause, sur appel de l’administration fiscale, la cour de Nantes a jugé le contraire en se fondant sur les éléments suivants : Sans avoir une habitation personnelle en France, M. X. avait cependant conservé une adresse postale et une domiciliation fiscale et administrative, au domicile de son ex-épouse à laquelle le domicile conjugal avait été attribué par le jugement prononçant leur divorce ; il  avait également bénéficié de soins médicaux en France et y possédait plusieurs comptes bancaires, une voiture et un terrain, sur lequel il avait fait édifier une habitation achevée postérieurement aux années en litige. L’arrêt est cassé car, relève le Conseil d’Etat, regarder M. X. comme ayant eu son foyer en France au cours des années concernées par le contrôle fiscal, supposerait « qu'il puisse être établi au vu de l'ensemble de sa situation que l'intéressé y habite normalement et y ait le centre de sa vie personnelle », ce qui n’est pas le cas ; la cour a commis une erreur dans la qualification des faits de l'espèce. (27 juin 2018, M. X., n° 408609)

 

34 - Report d’imposition en cas d’échange de titres – Fait générateur de l’imposition – Imposition non au titre de l’année de réalisation mais de celle où a lieu l’événement qui met fin au report d’imposition – Droit national applicable en cas de changement de résidence entre le moment de l’échange et celui de la cession des titres – Réponse de la CJUE sur renvoi préjudiciel.

A la suite d’un renvoi préjudiciel à la CJUE par une décision d’Assemblée du Conseil d’Etat du 31 mai 2016 (n° 393881) statuant sur un pourvoi dirigé contre un arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles, la Cour a répondu (par sa décision n° C-327/16 et C-421/16 du 22 mars 2018) de la façon suivante aux deux questions posées par le Conseil d’Etat à propos de l’interprétation de l’art. 8 de la directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990.

En premier lieu,  l'article 8 de cette directive, relative au régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une législation d'un État membre en vertu de laquelle la plus-value issue d'une opération d'échange de titres relevant de cette directive est constatée à l'occasion de cette opération, mais son imposition est reportée jusqu'à l'année au cours de laquelle intervient l'événement mettant fin à ce report d'imposition, en l'occurrence la cession des titres reçus en échange. 

En second lieu, cette même disposition doit être interprétée en ce sens qu'elle ne s'oppose pas à une législation d'un État membre qui prévoit l'imposition de la plus-value afférente à une opération d'échange de titres, placée en report d'imposition, lors de la cession ultérieure des titres reçus en échange, alors même que cette cession ne relève pas de la compétence fiscale de cet État membre.

Le conseil d’Etat juge que c’est donc sans erreur de droit que la Cour de Versailles a jugé que les dispositions du II de l'article 92 B et du I ter de l'article 160 du code général des impôts instituent un mécanisme de report d'imposition dont le seul effet est de permettre, par dérogation à la règle suivant laquelle le fait générateur de l'imposition d'une plus-value est constitué au cours de l'année de sa réalisation, de constater et de liquider la plus-value d'échange l'année de sa réalisation et de l'imposer l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin à ce report d'imposition. (27 juin 2018, M. X., n° 393881 ; v. aussi, 25 juin 2018,  M. X., n° 360352)

 

35 - Permis de construire – Surface construite supérieure à la surface autorisée – Suppléments de taxes diverses – Amende fiscale – Contestation prématurée – Envoi postérieur de l’avis d’imposition – Effet régularisateur.

Bénéficiaires d’un permis de construire, les intéressés ont construit une superficie excédant celle autorisée par ledit permis. Le procès-verbal constatant l’infraction indique que celle-ci, outre une amende fiscale, est susceptible d’entraîner un supplément de taxe locale d'équipement, de taxe départementale des espaces naturels sensibles et de taxe départementale pour le financement des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement. Il était également précisé que ces sommes ne devront être acquittées qu’à réception de l’avis définitif d’imposition adressé par le comptable public. M. et Mme X. ont contesté ces impositions devant l’autorité compétente qui a rejeté leur recours pour des motifs de fond.  Ils ont contesté ce rejet devant la même autorité. En réalité, ces contestations de taxes étaient prématurées puisqu’adressées en novembre 2011 et mars 2012 alors que l’avis d’imposition n’a été notifié que le 9 octobre 2012. Le tribunal administratif a cru devoir juger irrecevable la requête contentieuse dont l’ont saisi les époux X. au motif que leurs demandes à l’administration fiscale ne constituaient pas des réclamations valablement adressées au service en application des dispositions de l'article R. 190-1 du livre des procédures fiscales. Faisant litière de ce raisonnement, le Conseil d’Etat estime que l’envoi de l'avis d'imposition, le 9 octobre 2012, « doit être regardé comme ayant couvert cette irrégularité avant l'intervention, le 5 janvier 2017, du jugement attaqué ». (27 juin 2018, M. et Mme X., n° 408649)

 

36 - Investissements réalisés en Corse – Bénéfice du crédit d’impôt (art. 244 quater E CGI) – Sociétés éligibles – Obligation d’avoir entièrement libéré le capital – Commentaires administratifs fixant la date à laquelle doit être respectée cette condition – Illégalité (non).

L'article 244 quater E du CGI subordonne le bénéfice du crédit d'impôt qu'il institue pour les investissements réalisés en Corse, à la condition que le capital des sociétés éligibles soit entièrement libéré. Or les articles 36, 38 et 209 CGI font de la clôture de l’exercice comptable le fait générateur de l’impôt sur les sociétés. Il s’ensuit que contrairement à ce que soutient la société requérante, les commentaires administratifs, en décidant que cette condition s'apprécie à la clôture de l'exercice ou au terme de la période d'imposition au titre duquel l'impôt sur les sociétés est liquidé n’ont pas méconnu le sens et la portée des dispositions de l’art. 244 quater E CGI. (27 juin 2018, Société Prato Corbara, n° 418256)

 

37 - Taxes foncières – Taxe d’habitation – Montant déterminé par année entière – Faits existants au 1er janvier de l’année d’imposition – Changement de caractéristiques physiques ou d'environnement entraînant une modification de plus d'un dixième de la valeur locative – Date à laquelle il faut se placer en ce cas.

L’administration peut rehausser les bases d’imposition aux taxes foncières (sur la propriété bâtie et sur la propriété non bâtie) et à la taxe d’habitation lorsque par suite de changements dans les caractéristiques physiques ou d'environnement se produit une modification de plus d'un dixième de la valeur locative du bien assujetti à l’impôt. Le Conseil d’Etat annule le jugement qui lui est déféré pour n’avoir pas appliqué le principe que ce seuil de 10% s'apprécie par référence à la valeur locative du bien à la date du fait générateur de l'imposition de l'année précédente, indépendamment de toute autre cause de modification apparue depuis cette date. Il en résulte donc que les changements de consistance ou d'affectation postérieurs à cette date sont sans incidence sur l'appréciation à porter au regard du seuil précité. En revanche, il incombe à l'administration, pour déterminer le pourcentage de la variation de la valeur locative due aux changements de caractéristiques physiques ou d'environnement, de corriger la valeur locative résultant du rôle général de l'année précédente des changements de consistance ou d'affectation qui n'auraient pas été pris en compte pour l'établissement de l'imposition correspondante, que cette omission ait été mise en évidence par l'administration ou établie par le contribuable. (27 juin 20108, Société l’Européenne d’embouteillage, n° 410436 ; v. aussi, du même jour avec la même requérante, le n° 412294)

 

38 - Taxe professionnelle – Cotisation foncière des entreprises – Immobilisations industrielles – Notion – Détermination des surfaces utilisées respectivement par diverses activités – Méthode insuffisante en l’espèce – Annulation.

L’administration fiscale, estimant que l'établissement loué à la société requérante, qui y exerce une activité de conception, fabrication et pose de charpentes et de menuiseries métalliques, et qu'elle avait déclaré comme un local commercial, revêtait le caractère d'un établissement industriel au sens des articles 1499 et 1500 du CGI, l’a assujettie à des suppléments de taxe professionnelle et de cotisation foncière des entreprises. Déboutée par les juridictions de première instance et d’appel, la société Loison se pourvoit en cassation.

La société Loison soutenait que l'activité de fabrication de charpente et de menuiserie métalliques qu'elle exerce occupait une surface moins importante de son établissement que celle dédiée à ses activités de conception et de pose. La cour administrative d'appel, confirmant ainsi le bien-fondé des impositions supplémentaires, avait estimé que l'activité de fabrication de charpente et de menuiserie métalliques ne pouvait être regardée comme le simple accessoire des activités de conception et de pose eu égard à l'importance des moyens techniques mis en oeuvre pour cette activité de fabrication, elle en a donc déduit que l'établissement en cause revêtait un caractère industriel.

Pour casser cette décision comme entachée d’une erreur de droit, le Conseil d’Etat reproche à la cour de s’être bornée « à statuer au regard de l'importance des moyens techniques mis en oeuvre par la contribuable pour les besoins de sa seule activité de fabrication, sans rechercher si les installations techniques, matériels et outillages mis en oeuvre jouaient un rôle prépondérant au regard de l'ensemble des activités exercées au sein de l'établissement, portant non seulement sur la fabrication mais aussi sur la conception et la pose ». (25 juin 2018, SAS Loison, n° 413466)

 

39 - Taxe sur les surfaces commerciales – Exonération en cas d’occupation continue de locaux ayant débuté antérieurement au 1er janvier 1960 et se poursuivant actuellement – Commerce composé de deux parcelles dont seule l’une d’entre elles a commencé à être occupée avant le 1er janvier 1960 – Régime applicable.

La loi du 13 juillet 1972 crée une taxe sur les surfaces commerciales, assise sur la surface de vente des magasins de commerce de détail, dès lors qu'elle dépasse quatre cents mètres carrés, dans les établissements ouverts à partir du 1er janvier 1960 quelle que soit la forme juridique de l'entreprise qui les exploite. La société Zara possède à Lyon un commerce composé de deux parcelles contiguës dont l’une fait l’objet d’une occupation continue qui a débuté antérieurement au 1er janvier 1960 tandis que l’autre est d’exploitation plus récente. Saisie par la société d’un recours contre la fixation de cette taxe pour l’ensemble de la superficie de son commerce, la cour administrative d’appel a estimé qu’elle devait en être exonérée pour la partie dont l’occupation a débuté antérieurement au 1er janvier 1960 et se poursuit encore aujourd’hui.

Accueillant le pourvoi du ministre, le Conseil d’Etat juge que la condition d’antériorité au 1er janvier 1960 devait être satisfaite sur l’ensemble de la surface commerciale. On aurait pu imaginer une solution de confirmation de l’arrêt d’appel. (25 juin 2018, ministre de l’action et des comptes publics c/ Sarl Zara France, n° 415698)

 

40 - Impôt sur le revenu – Majoration pour fraude – Pénalités – Régime de la collecte des informations – Cas d’une action pénale concomitante – Notion d’instance pénale – Légalité de l’ensemble de la procédure fiscale.

Dans une décision particulièrement sévère non à raison des éléments qu’elle comporte chacun pris séparément mais de leur cumul, le Conseil d’Etat se prononce sur un dossier de fraude à l’impôt sur le revenu établie lors de saisies pratiquées chez des tiers et dans le cadre d’une affaire pénale. Il juge successivement :

- Que si l'administration fiscale ne peut se prévaloir, pour établir une imposition, de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge, la seule circonstance qu'avant de mettre en oeuvre à l'égard d'un contribuable ses pouvoirs de contrôle de sa situation fiscale, l'administration aurait disposé d'informations relatives à ce contribuable issues de documents initialement obtenus de manière frauduleuse par un tiers est, par elle-même, sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition. Et d’un…

- Que la circonstance que les renseignements recueillis par l'administration fiscale, avant le début d'une instance devant les tribunaux, ne pouvaient suffire à fonder les redressements correspondant aux insuffisances d'imposition qui pouvaient être présumées n'établit pas, par elle-même, que ces insuffisances doivent être nécessairement regardées comme ayant été révélées par cette instance. Voire…

- Que, pour l'application de l'article L. 170 du livre des procédures fiscales, seul l'engagement de poursuites, qui inclut la phase de l'instruction conduite par le juge d'instruction, doit être regardé comme ouvrant l'instance. L'ouverture d'une enquête préliminaire, en revanche, n'a pas un tel effet. Lorsque des insuffisances ou omissions d'impositions sont révélées à l'administration fiscale postérieurement à l'ouverture d'une instance, au sens de ces dispositions, le délai spécial de reprise qu'elles prévoient est applicable, alors même que les insuffisances ou omissions d'impositions sont mises en évidence par des pièces de la procédure établies au stade d'une enquête préliminaire. Ce qui révèle une bien étrange conception de l’instance pénale alors que, d’une part, cette enquête n’est pas soumise au principe du contradictoire, et d’autre part que l’ouverture d’une instruction succédant à une telle enquête ne relève que du pouvoir discrétionnaire du procureur, agent du pouvoir exécutif selon la jurisprudence de la CEDH. Enfin, il est difficile d’isoler l’enquête de l’instruction quand les nullités entachant la première retentissent ipso facto sur la seconde (art. 59, al. 3 et art. 171 code de procédure pénale). Il y a des limites qu’il serait bon de ne pas franchir. (27 juin 2018, M. X., n° 411301)

 

41 - Plus-value en cas d’échange de titres – Opération d’offre publique, de fusion, de scission, d’absorption d’un fonds commun de placement réalisée par une SICAV – Report d’imposition – Conditions du report – Commentaires administratifs de ce régime – Illégalité – Annulation.

Un paragraphe des commentaires administratifs attaqués décide que, sous le régime antérieur au 1er janvier 2018, les contribuables disposant d'une plus-value placée en report d'imposition en application des dispositions antérieures au 1er janvier 2000 n'étaient pas susceptibles de bénéficier du maintien de ce report lorsque les titres grevés de cette plus-value faisaient l'objet d'une opération d'apport entrant dans le champ d'application de l'article 150-0 B ter CGI.

En interprétant ainsi la loi fiscale ce paragraphe des commentaires administratifs méconnait les dispositions combinées des articles 92 B et 160 CGI et du V de l'article 94 de la loi de finances pour 2010. Par suite il y a lieu de prononcer l'annulation du paragraphe attaqué desdits commentaires administratifs en tant qu'il prévoit qu'un apport, entrant dans le champ de l'article 150-0 B ter CGI, de titres grevés d'une plus value constatée avant 2000 et placée en report sur le fondement du II de l'article 92 B du même code ou des I ter et II ter de l'article 160 de ce code, entraîne l'expiration de ce report d'imposition. (25 juin 2018, M. X., n° 404689)

 

42 - Gains de jeux – Bénéfices non commerciaux – Jeux de hasard – Notion – Cas du poker (oui et non) – Caractère imposable – Qualification de jeu de hasard au titre de la police des jeux inopposable au droit fiscal – Instruction fiscale ne contenant pas d’interprétation formelle de la loi fiscale.

M. X., outre sa qualité, désormais défunte, d’ingénieur, est un joueur de poker qui réalise des gains importants du fait cette activité. L’administration y a vu des bénéfices non commerciaux taxables sur le fondement de l’art. 92 CGI ainsi qu’une activité occulte car non déclarée en sus de son métier et de ses revenus d’ingénieur.

Toutefois, les gains des jeux et paris n’ont en principe ni à être déclarés ni, a fortiori, à être taxés. L’action de M. X. en décharge des cotisations supplémentaires d’impôts ainsi que des pénalités afférentes a été rejetée par le tribunal administratif et, très partiellement, admise par la cour en appel. M. X. se pourvoit à titre principal, le ministre de l’action et des comptes publics à titre incident. Le Conseil d’Etat rejette le premier et reçoit le second de ces pourvois par un raisonnement très particulier. En réalité, il a été choqué que, du fait de la réglementation, d’importants gains échappent à l’impôt et il va tout faire pour les rendre imposables. Pour cela il va édifier une théorie pour le moins aventurée qu’il expose, assez abruptement, ainsi : « Si la pratique, même habituelle, de jeux de hasard ne constitue pas une occupation lucrative ou une source de profits, au sens des dispositions … de l'article 92 CGI, en raison de l'aléa qui pèse sur les perspectives de gains du joueur, il en va différemment de la pratique habituelle d'un jeu d'argent opposant un joueur à des adversaires lorsqu'elle permet à ce dernier de maîtriser de façon significative l'aléa inhérent à ce jeu, par les qualités et le savoir-faire qu'il développe, et lui procure des revenus significatifs. Les gains qui en résultent sont alors imposables, en application de l'article 92, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, alors même que le contribuable exercerait aussi par ailleurs une activité professionnelle. » Il ne lui reste plus à dire qu’en l’espèce le contribuable est un gros joueur, très connu et fréquemment gagnant, participant à de nombreuses compétitions (24 pour l’année 2010), dont les gains, à ce titre, sont très supérieurs à ses autres revenus, pour estimer qu’il doit en conséquence être pris dans la nasse argumentative imaginée au point 2 de sa décision.

Ainsi, cette situation se déduirait de la pratique habituelle du jeu et de l’importance des gains. Imagine-t-on un seul instant le même juge admettre qu’un joueur habituel subissant, au contraire, de grosses pertes, pourrait déduire celles-ci de ses autres revenus ? La réponse, évidemment négative, à cette question détruit ipso facto l’apparence de raison contenue dans la démonstration du Conseil d’Etat.

Naturellement, puisqu’il faut absolument soumettre à l’impôt de tels gains, aucun obstacle ne pourra s’élever sur la route de l’imposition, ni celui tiré du droit de la police des jeux ni, non plus, la propre position de l’administration fiscale en faveur de la non taxation de tels gains, exprimée dans l’une de ses instructions. Sans doute aussi ont pesé dans cette décision les considérations morales mais alors ne serait-il pas plus sain d’extirper le vice en le prohibant que de permettre à l’Etat d’en tirer un profit dans des conditions juridiques elles-mêmes pas très honnêtes ? (21 juin 2018, M. X., n° 412124 ; dans le même sens, à propos d’un contrat de partenariat avec le GIE PMU, voir : 21 juin 2018, M. et Mme X., n° 409427 et, aussi, du même jour : ministre de l’action et des comptes publics, n° 411195, où le joueur de poker sauve sa « mise », si l’on peut dire, grâce à la date à laquelle est survenu le revirement de jurisprudence dont se prévalait le ministre auteur du pourvoi)

 

43 - Taxe professionnelle – Principe des droits de la défense – Non application en cas de rehaussement des bases de la taxe professionnelle – Obligation de motivation – Non respect – Annulation de l’imposition.

Lorsqu’un impôt (ici la taxe professionnelle) est établi à partir des déclarations du contribuable, l’administration ne peut mettre à sa charge des droits excédant ceux afférents aux éléments qu’il a déclarés qu’après l’avoir mis à même de présenter des observations, par application du principe général des droits de la défense. En revanche, lorsqu’une nouvelle valeur locative est attribuée aux biens servant d’assiette à l’établissement et au calcul de l’impôt, il n’y a pas lieu à application de ce principe car la valeur locative ne résulte pas des déclarations du contribuable. En ce cas, il incombe à l’administration fiscale de communiquer spontanément le motif du rehaussement de la valeur locative. Faute de cette indication dans la notification de l’impôt ou dans un document y annexé, la notification est irrégulière, ce qu’a jugé à bon droit la cour administrative d’appel. (13 juin 2018, ministre des finances et des comptes publics, n° 399760)

 

44 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Etablissement de la valeur locative des locaux – Termes de comparaison – Immeubles situés dans la même commune.

Rappel d’une règle constante : la détermination de la valeur locative des immeubles servant d’assiette à la fixation de la taxe foncière sur les propriétés bâties peut se faire par comparaison avec un local-type situé dans la même commune ou, à défaut, par comparaison avec des immeubles similaires situés dans la commune ou dans une localité présentant, du point de vue économique, une situation analogue à celle de la commune en cause et qui faisaient l'objet à cette date de locations consenties à des conditions de prix normales. En revanche, il est irrégulier que la valeur locative du local-type soit déterminée par référence au tarif médian des locaux similaires situés dans une autre commune. (13 juin 2018, SA Socamil, n° 405491)

 

45 - Participation pour raccordement à l’égout – Nature juridique – Etablissement d’un montant forfaitaire (légalité sous réserve) – Exonérations : condition de légalité.

Le Conseil d’Etat rappelle ici que la participation pour raccordement à l'égout constitue une redevance justifiée par l'économie réalisée par le propriétaire grâce au raccordement de son immeuble au réseau d'assainissement existant. Si cette participation peut être établie selon une méthode forfaitaire, c’est à la condition qu’il ne soit pas demandé au propriétaire de verser plus de 80 % du coût de la fourniture et de la pose de l'installation du dispositif individuel d'assainissement qui aurait été nécessaire en l'absence de raccordement. En revanche, la collectivité ne saurait instituer des exonérations qui seraient fonction de la qualité du maître de l'ouvrage, celle-ci étant sans incidence sur la capacité du système d'évacuation et sur l'économie réalisée en ne l'installant pas. (6 juin 2018, SCI Lasserre Promotions et SCI Dolphaf, n° 399932)

 

Droit public économique (v. aussi n° 110)

 

46 - Appellation contrôlée – Indication géographique protégée « Tomme des Pyrénées » – Exclusion du lait des brebis de race Lacaune – Légalité.

Un arrêté ministériel modifiant le cahier des charges de l'indication géographique protégée « Tomme des Pyrénées » décide que seul le lait provenant de quatre races de brebis – qu’il énumère – peut entrer dans la fabrication du fromage appartenant à l’indication géographique protégée (IGP) « Tomme des Pyrénées », à l’exclusion de celui provenant des brebis de race Lacaune. L’association requérante saisit le Conseil d’Etat pour demander l’annulation de cette exclusion. Rejetant le recours, le juge relève, d’une part, « que la race Lacaune, à la différence des quatre races locales (retenues par l’arrêté litigieux), n'est pas adaptée à la transhumance en milieu pyrénéen, alors que l'utilisation de lait issu de races de brebis aptes à la transhumance dans ce milieu constitue un des éléments permettant d'établir le lien à l'origine géographique de la tomme des Pyrénées », et d’autre part que « l'INAO soutient sans être contredit que les quatre races retenues par le cahier des charges ont un rendement laitier inférieur à celui de la race Lacaune, ce qui permet de produire un lait plus gras nécessaire à la qualité d'un fromage à pâte semi-dure non cuite ». La leçon valait sans doute bien un fromage… (13 juin 2018, Association des éleveurs de brebis laitières, n° 411663)

 

Droit social et action sociale

 

47 - Agent des collectivités territoriales – Régime de retraite – Absence d’information particulière sur le décret du 26 décembre 2003 – Inexistence d’une obligation pour l’administration à cet égard – Rejet.

Un agent public territorial partant en retraite reproche à sa collectivité de ne l’avoir point avisé des dispositions du décret du 26 décembre 2003 ainsi que du délai de deux ans qu’il instituait pour demander la validation des services ; il prétend qu’en conséquence celui-ci ne lui était pas opposable. Il lui est répondu, sans surprise, pour rejeter sa demande : « que l'administration n'est pas tenue de donner aux agents une information particulière sur les droits spécifiques qu'ils pourraient éventuellement revendiquer en application des textes législatifs et réglementaires relatifs aux pensions civiles et militaires de retraite ; que les dispositions du décret du 26 décembre 2003 dont le bénéfice est invoqué ont fait, au moment de leur adoption, l'objet d'une publication régulière par insertion au Journal officiel ; qu'aucune autre mesure de publicité n'incombait à l'administration ». (20 juin 2018, Mme X., n° 409322)

 

48 - Aide personnalisée au logement – Notion d’ « activité professionnelle rémunérée » – Disposition de revenus réguliers – Absence.

Dans le cadre d’un litige relatif à l’aide personnalisée au logement, le Conseil d’Etat définit la notion d’ « activité professionnelle rémunérée » comme étant celle qui permet de disposer de revenus professionnels réguliers et juge que tel n’est pas le cas de revenus faibles et épisodiques. (18 juin 2018, Mme X., n° 407685)

 

49 - Détenu exerçant en prison une activité rémunérée – Droit à percevoir la rémunération due – Assujettissement de cette somme à la CSG et à la CRDS – Droit aux intérêts de la somme litigieuse.

La rémunération que perçoivent les personnes détenues en prison en contrepartie du travail qu'elles effectuent constitue l'assiette de la contribution sociale généralisée et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale. C’est donc à bon droit que les premiers juges ont estimé que ces contributions devaient être déduites, dans les conditions du droit commun, de la rémunération brute de l’intéressé. (29 juin 2018, M. X., n° 409214)

 

50 - Médecin du travail – Certificat médical mettant en cause les relations de travail – Faits non constatés personnellement par le médecin – Mise en cause de l’entreprise – Intérêt de cette dernière à saisir le conseil de l’ordre d’une action disciplinaire – Infliction d’un avertissement – Régularité.

Un médecin du travail rédige dans le cadre de ses fonctions un certificat médical en faveur du salarié d’une entreprise ; ce certificat est produit par l’intéressé dans le cadre d’une instance prud’homale l’opposant à son employeur. Ce dernier dépose une plainte contre le médecin devant les juridictions ordinales. Un avertissement lui est infligé, contre lequel le médecin, après l’échec de sa demande devant ces juridictions, se pourvoit en cassation.

Le Conseil juge d’abord recevable la plainte de l’entreprise car le certificat médical mentionne l’existence d’un « enchaînement délétère de pratiques maltraitantes » de la part de l’employeur. Il lèse donc directement l’entreprise. Ensuite, le médecin est libre de ses appréciations et de la détermination de la causalité des maladies ou autres dont se plaignent les salariés. Toutefois, il ne peut se fonder que sur des faits ou symptômes dont il a connaissance personnellement et directement. Ce n’a pas été le cas en l’espèce. En conséquence, la sanction infligée était légitime et proportionnée. (6 juin 2018, M. X., n° 405453)

 

51 - Revenu de solidarité active (RSA) – Contrôle du droit à prestations – Moyens d’investigation  des pièces et déclarations à la disposition des caisses versant l’aide – Echange d’informations ou Droit de communication – Garanties offertes en ce second cas à l’intéressé – Conséquences.

Les organismes auxquels incombe le versement du revenu de solidarité active disposent de deux moyens pour contrôler la véracité des pièces, affirmations, situations de fait, etc. utilisées par les bénéficiaires de ce revenu afin d’en justifier : un système d’échanges d’informations (prévu à l’art. L. 262-16 du code de l’action sociale et des familles : administrations publiques, caisses de retraite, de sécurité sociale, d’indemnisation du chômage, etc.) et l’exercice d’un droit de communication (art. L. 114-19 du code de la sécurité sociale). L’usage de ce dernier droit est soumis au respect de garanties en faveur du bénéficiaire du RSA. En l’espèce, pour contester le droit de la requérante à percevoir le RSA, le conseil général se prévalait de documents provenant de diverses sources dont il n’expliquait pas l’origine. Les premiers juges en ont donc déduit qu’ils étaient parvenus au département du fait de l’exercice par celui-ci de son droit de communication, ils devaient donc l’être en respectant les garanties prévues à l’art. L. 114-19 précité. Ce n’était pas le cas : les décisions contestées par la requérante étaient donc irrégulières, ce que confirme le Conseil d’Etat.  (20 juin 2018, Mme X., n° 409189)

 

52 - Revenu de solidarité active (RSA) – Versement subordonné à l’accomplissement d’un service individuel bénévole – Légalité si ce service, prévu au contrat conclu par le bénéficiaire avec le département, tend à favoriser son implication dans des actions d’insertion professionnelle – Création ou extension de compétences à caractère obligatoire – Allocation de ressources d’un montant suffisant pour être compatible avec le principe de libre administration – Acte préparatoire à la délibération d’une assemblée locale – Contestation possible par le seul préfet.

Le département du Haut-Rhin ayant décidé de conditionner le versement du RSA aux seuls bénéficiaires du RSA qui acceptent de participer à un service individuel bénévole, le préfet a déféré cette décision à la censure du juge.  Plusieurs points de droit devaient être examinés, on en rappelle ici quelques-uns.

Tout d’abord, se fondant sur le texte de l’art. 72-2 de la Constitution selon lequel : « Tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi », le Conseil  d’Etat en déduit qu’en cas de création ou d'extension de compétences à caractère obligatoire, il n'est fait obligation au législateur que d'accompagner ces créations ou extensions de compétences de ressources dont il lui appartient d'apprécier le niveau, dans le respect des autres exigences constitutionnelles, en particulier les principes de libre administration et d'égalité devant les charges publiques. 

Ensuite, il était loisible au département, comme il l’a décidé, de subordonner le versement du RSA à la participation, via le contrat conclu avec le bénéficiaire du RSA, à un service individuel bénévole pourvu que celui-ci contribue à son insertion. Le refus, sans motif légitime, de conclure un contrat en ce sens ou de respecter le contrat conclu fonde le président du département à suspendre le versement du RSA. Par suite, le département a raison de solliciter l’annulation de l’arrêt en sens contraire. (15 juin 2018, Département du Haut-Rhin, n° 411630)

 

53 - Accord de rupture d’un contrat de travail – Travailleur transfrontalier – Qualification juridique – Prime de départ à la retraite ou préretraite ou application d’un plan de départ volontaire assimilable à un plan social – Seconde qualification retenue – Absence de caractère imposable.

Lorsqu’un salarié ayant exercé une activité salariée dans un pays membre de l’Union européenne fait l’objet de mesures dans le cadre d’une réduction des effectifs de son entreprise par des départs volontaires et perçoit des sommes de ce chef, il importe, pour éviter toute différence de traitement entre salariés français selon qu’ils travaillent en France ou dans un autre Etat de l’Union, de déterminer à quelle catégorie du droit français appartient la forme de rupture dont il s’agit. En l’espèce, l’administration fiscale prétendait imposable la somme perçue par un transfrontalier qu’elle avait qualifiée de « prime de départ à la retraite ou en préretraite ».  Le juge lui donne tort et exonère le requérant de l’impôt sur le revenu après avoir constaté que selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, une entreprise qui entendait supprimer des emplois en concluant avec les salariés des accords de rupture amiable était tenue d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi lorsque les conditions prévues par les dispositions des articles L. 321-4 et L. 321-4-1 du code étaient remplies. Or en l’espèce, « compte tenu de la taille de l'entreprise, du nombre de salariés qui l'ont quittée, de ce que les départs se sont effectués sur une courte période et du caractère économique du plan social mis en oeuvre, l'indemnité prévue par la convention signée entre M. X. et la société devait être assimilée à une indemnité de départ volontaire versée dans le cadre d'un plan social qui aurait fait l'objet en France d'un plan de sauvegarde de l'emploi », cela alors même que la société n'aurait pas élaboré de plan de reclassement interne ou externe et que le plan social mis en oeuvre n'aurait pas été soumis à l'équivalent allemand du comité d'établissement ni à l'administration allemande du travail. (6 juin 2018, M. X., n° 399994 ; dans le même, du même jour et concernant la même entreprise, voir n° 399990, n° 399991)

 

54 - Reprise par une personne publique d’un service public administratif jusque là géré par une personne privée – Sort du personnel – Salarié protégé – Régime du licenciement d’un tel salarié après reprise de l’activité.

En cas de reprise par une personne publique d’une activité de service public administratif qui était jusqu’alors gérée par une personne privée, la procédure de licenciement d’un salarié protégé après qu’il a refusé le contrat proposé par l’employeur public, « est soumise à l'ensemble de la procédure prévue en cas de licenciement d'un salarié protégé et est, dès lors, subordonnée à l'obtention d'une autorisation administrative préalable. » (6 juin 2018, Mme X., n° 391860)

 

55 - Aide sociale à l’enfance – Distinction entre mineurs déjà pris en charge devenant majeurs en difficulté et majeurs en difficulté non déjà pris en charge – Obligations distinctes – Pouvoirs du président du conseil départemental – Référé liberté – Contrôle du juge.

Le Conseil d’Etat était saisi d’un recours du département de Seine-et-Marne contre une ordonnance du juge du référé liberté lui enjoignant de continuer à subvenir aux besoins d’un mineur qu’il avait pris en charge, devenu depuis majeur mais en difficulté car isolé et sans famille. S’appuyant sur les textes, le Conseil d’Etat juge qu’il convient de distinguer selon que l’aide départementale a été accordée à un mineur qui devient ensuite majeur et en sollicite la poursuite car il demeure en difficulté ou qu’elle est demandée pour la première fois par un majeur qui se prétend en difficulté. Dans le premier cas, sans reconnaître au mineur un véritable droit à la poursuite de l’aide, le Conseil d’Etat exige cependant du département une motivation particulièrement étayée et complète du refus de la poursuite de l’aide. Dans le second cas, la marge de manœuvre du président du département est plus large sans être discrétionnaire. Au cas de l’espèce, le refus de prolonger l’aide qui avait été accordée à une personne mineure lorsque celle-ci est devenue majeure est annulé. Le juge vérifie minutieusement les points positifs du dossier de l’intéressé (engagement sérieux, poursuite d’études avec succès, politesse, absence de comportements négatifs, imminence d’une embauche, etc.) (27 juin 2018, Département de Seine-et-Marne, n° 421338)

 

Elections (v. aussi le n° 122)

 

56 - Chambres d’agriculture – Création d’une chambre d’agriculture de la région Île-de-France – Contestation d’un décret – Requalification de la requête – Décret en Conseil d’Etat – Absence de consultation du Conseil d’Etat – Annulation partielle – Conséquences.

La confédération requérante saisit le juge d’une demande d'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2017-1823 du 28 décembre 2017 portant création de la chambre d'agriculture de la région Ile-de-France et d’une demande d’injonction à l'Etat de limiter à deux le nombre des suppléants en cas de vacance des membres de la chambre d'agriculture de la région Ile-de-France. Compte-tenu de ces deux demandes combinées, le Conseil d’Etat requalifie la première d’entre elles en considérant qu’elle est seulement dirigée contre les dispositions de l'antépénultième alinéa de l'article 2 du décret du 28 décembre 2017 portant création de la chambre d'agriculture de région Ile-de-France et point contre les autres dispositions de ce décret.

Constatant que la fixation du nombre des candidats pour les sièges à pourvoir et de leurs suppléants devant figurer sur les listes en vue des élections aux chambres d'agriculture de région ne peut relever que d'un décret en Conseil d'Etat, ce dernier relève que les dispositions contestées de l'antépénultième alinéa de l'article 2 du décret attaqué, prévoyant que chaque liste de candidats à l'élection à la chambre d'agriculture de région Ile-de-France doit comporter un nombre égal de titulaires et de suppléants, ont été adoptées sans avoir été soumises au Conseil d'Etat. Cette disposition, qui n’est pas indivisible des autres dispositions du décret, est annulée. On observera que si elles avaient été estimées indivisibles, en l’état de la requalification de la demande rappelée plus haut, celle-ci eût été déclarée irrecevable car elle constituait une demande d’annulation partielle d’un acte indivisible, ce qui est toujours irrecevable.

Enfin, la demande d’injonction est rejetée car l’annulation de la disposition litigieuse « n'implique pas qu'il soit enjoint à l'Etat de limiter à deux le nombre des suppléants en cas de vacance de membres de la chambre d'agriculture de région Ile-de-France ». (27 juin 2018, Coordination rurale Union nationale et la Confédération paysanne, n° 418638)

 

57 - Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) – Rejet du compte d’un candidat – Présentation dans le cadre d’une campagne électorale, du bilan des mandats écoulés – Possibilité mais interdiction d’en faire un outil de propagande électorale (art. L. 52-1 c. électoral) – Pouvoirs en ce cas de la CNCCFP.

Lors de l’élection de conseillers territoriaux à Saint-Barthélemy, la Commission a constaté l’utilisation par un candidat du bilan de son mandat à des fins de propagande et a, pour ce motif, rejeté son compte de campagne. Le Conseil d’Etat rappelle opportunément que « si la méconnaissance de l'interdiction prévue au premier alinéa de l'article L. 52-1 du code électoral constitue une irrégularité susceptible d'altérer la sincérité du scrutin et de justifier, en fonction de son incidence sur les résultats, l'annulation de l'élection et si le caractère irrégulier d'une telle dépense fait obstacle à ce qu'elle puisse faire l'objet d'un remboursement de la part de l'Etat, elle ne peut, par elle-même, justifier le rejet du compte de campagne du candidat qui y a porté une telle dépense faite en vue de l'élection. Par suite, la CNCCFP ne pouvait rejeter le compte de campagne de M. X. pour ce motif. Sa saisine ne peut donc qu'être rejetée. » (6 juin 2018, CNCCFP, n° 415317)

 

Environnement (v. aussi n° 121)

 

58 - Permis exclusif de recherche d’hydrocarbures – Délivrance de titres miniers – Interdiction définitive par la loi du 30 décembre 2017 – Violations du principe d’égalité, du droit à un recours juridictionnel effectif, de la liberté du commerce et de l’industrie, de la libre administration et à l’autonomie financière des collectivités territoriales (non) – Atteinte aux effets légitiment attendus de la loi (non) – Droit acquis antérieurement à la loi à la délivrance d’un titre minier, notion et conditions - QPC non transmise.

L’importance de cette décision vient de la diversité des moyens soulevés dans le cadre d’une QPC invoquée en défense en cours d’instance d’appel. En bref, une loi du 30 décembre 2017, à effet immédiat, organise l'arrêt progressif de la recherche et de l'exploitation des hydrocarbures en France et interdit à l’avenir toute délivrance d’une autorisation de recherche ou d’exploitation. Les sociétés requérantes soulèvent à son encontre une QPC. Elles invoquent au soutien de celle-ci de nombreux moyens dont aucun ne va être jugé sérieux par le Conseil d’Etat en tant qu’ils tendent à étayer une QPC.

En premier lieu, est objectée l'atteinte aux effets légitimement attendus de la loi du 13 décembre 2000 d’orientation pour l’outre-mer ainsi qu’au principe d’égalité. Le juge rappelle le régime juridique des titres miniers fondé sur un mécanisme d’autorisation administrative préalable. Il en résulte que les opérateurs qui n'avaient pas obtenu, avant l'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2017, la délivrance d'un permis exclusif de recherches ou une décision de justice passée en force de chose jugée enjoignant à l'administration de procéder à la délivrance d'un titre minier, ne bénéficiaient d'aucune situation légalement acquise et n'étaient pas recevables à invoquer une attente légitime quant à la délivrance d'une telle autorisation. Il en va de même de ceux ayant obtenu avant cette date une décision de justice annulant le refus d’accorder un titre minier lorsque cette annulation n’a pas été assortie d’une injonction de délivrer celui-ci. En traitant différemment ceux déjà titulaires d’un titre minier à la date du 30 décembre 2017 et ceux ne possédant pas ce titre à cette date, le législateur n’a pas violé le principe d’égalité.

De plus, s’agissant d’appliquer ce principe à des titres miniers, il résulte du principe de concurrence combiné avec les caractéristiques propres à chaque titre, que l’égalité doit s’apprécier titre par titre et non globalement.

En deuxième lieu, pas davantage ne peut être retenu le grief d’atteinte au droit à recours juridictionnel effectif puisque les personnes titulaires de droits miniers antérieurs à la loi du 30 décembre 2017 peuvent toujours solliciter du juge administratif l’application ou le respect de ces droits. Ainsi nulle atteinte n’est portée au droit à recours effectif.

En troisième lieu, l'entrée en vigueur immédiate des dispositions de la loi du 30 décembre 2017 non assortie de mesures transitoires destinées à atténuer leurs effets à l'égard des opérateurs ayant formulé, avant cette date, une demande de délivrance d'un tel titre, n'a porté atteinte ni au principe d'égalité ni à des situations contractuelles légalement établies, ni à des intérêts publics ou privés résultant d'une situation constituée sous l'empire des anciennes règles. 

En quatrième lieu, le législateur n’a apporté en l’espèce à la liberté d'entreprendre que des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général et il n’en résulte pas ici d'atteintes disproportionnées par rapport à l'objectif poursuivi. Il en va d’autant plus ainsi que « le droit minier français repose sur un régime d'autorisation administrative, duquel ne découle aucun droit, pour les opérateurs concernés, à l'attribution d'un permis exclusif de recherches ». Au reste, l'atteinte que porteraient les dispositions contestées à la liberté du commerce et de l'industrie est motivée par l'objectif d'intérêt général de limitation du réchauffement climatique et par la nécessité pour la France de respecter ses engagements pris au titre de l'Accord de Paris sur le climat.

Enfin, en dernier lieu, n’est pas retenu le moyen tiré de ce que l’impossibilité future de délivrance de titres miniers porterait atteinte à la libre administration et à l’autonomie financière des collectivités territoriales car son effet ne sera qu’indirect et progressif d’où l’absence de dénaturation du principe de libre administration de ces collectivités.

Décision très sensible, très politique au sens originaire du mot, très prévisible aussi étant donnés ses enjeux pratiques et symboliques. (27 juin 2018, Société Esso Guyane française Exploitation et Production SAS (EGFEP) et Société Total EetP Guyane française SAS (TEPGF), n° 419316)

 

Etat-civil et nationalité

 

59 - Naturalisation – Naissance d’enfants très peu de temps avant la signature du décret de naturalisation – Refus d’octroi à ceux-ci de la nationalité française – Annulation.

Le ministre de l’Intérieur avait refusé à une dame en instance de naturalisation que celle-ci soit étendue à ses deux filles nées très peu de temps avant la signature du décret de naturalisation. Le Conseil d’Etat annule ce refus motif pris de ce que l’intéressée aurait été dans l'impossibilité de porter à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande de naturalisation la naissance de ses deux filles avant la signature du décret. Décision généreuse qui cependant fait bon marché de la circonstance que la mère se savait enceinte plusieurs mois avant l’accouchement et aurait pu en aviser l’autorité compétente ; son silence pouvait être justifié par la crainte d’un refus de naturalisation au vu de cette situation. (6 juin 2018, Mme X., n° 413274)

 

Fonction publique et agents publics

 

60 - Harcèlement moral – Mesures discriminatoires – Régime de la preuve – Rôle de la victime dans l’administration de la preuve – Appréciation souveraine des faits par les juges du fond – Contrôle de la dénaturation.

Dans une affaire où une ressortissante italienne, adjoint administratif territorial d’un service d’incendie, se plaignait de harcèlement moral et de discrimination, le Conseil d’Etat rappelle, ce qui est parfois un peu perdu de vue par certaines juridictions, qu’il appartient en ce cas à l’agent public d’apporter lui-même au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement et à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. Le juge, sur la base de ces éléments contradictoires, usant de ses pouvoirs d’instruction, forge ensuite sa conviction sur ce point. En l’espèce, la cour administrative d’appel qui détient en la matière un pouvoir souverain d’appréciation, a retenu que la requérante ne produisait aucun élément de fait susceptible de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral de la part du service en cause et qu'elle ne justifiait pas d'une dégradation de ses conditions de travail et de sa carrière ou d'une volonté d'intimidation de la part de sa hiérarchie. D’où il suit que le pourvoi doit être rejeté. (27 juin 2018, Mme X., n° 405776)

 

61 - Agent public territorial – Nomination implicite – Impossibilité – Nécessité d’une décision expresse – Recours rejeté.

Le juge des référés avait suspendu l’application d’une décision du directeur des services communaux en ce qu’elle aurait révélé à l’intéressée « le retrait de la décision d'affectation aux fonctions de responsable du service des affaires scolaires ». Pour juger cela il avait estimé que « l'exercice public, paisible et non équivoque par celle-ci, pendant plusieurs semaines au cours des mois de mai et juin 2017, des fonctions de responsable du service des affaires scolaires, qui s'était manifesté notamment par la participation de l'intéressée à des réunions en cette qualité et par la modification apportée par la direction de la communication à l'annuaire interne le 4 mai 2017, révélait l'existence d'une décision implicite de la nommer à ce poste ».  Par suite, en la changeant de service, il aurait été opéré un retrait de la décision implicite antérieure. Le Conseil d’Etat rappelle cette évidence qu’une nomination aux grades et emplois de la fonction publique territoriale ne peut résulter que d’une décision expresse. Le juge des référés a donc commis une erreur de droit. (27 juin 2018, Commune de Villejuif, n° 415374)

 

62 - Temps de travail dans les missions diplomatiques et consulaires à l’étranger – Principe d’égalité applicable à tous les agents en poste à l’étranger – Obligation d’assurer un service annuel de 1607 heures quel que soit le nombre de jours ouvrés – Possibilité qu’une semaine excède 35 heures de travail – Situations différentes des agents selon qu’ils sont en poste dans l’administration centrale ou à l’étranger.

Le juge rappelle d’abord qu’est recevable un recours formé contre les dispositions impératives à caractère général figurant sur le site intranet du ministère des affaires étrangères. Ensuite, il estime qu’il ne peut être dérogé à la règle générale de 1607 heures annuelles de travail applicable aux agents publics, par suite, s’il est loisible à l’autorité compétente d’accorder un congé annuel d’une durée variable, celle-ci doit organiser, comme elle l’a fait en l’espèce, le temps de travail d’une durée de 1607 heures en le répartissant sur les jours effectivement ouvrés au besoin en exigeant plus de 35 heures hebdomadaires de travail. Enfin, n’est pas illégale l’application de deux régimes différents à ces agents selon qu’ils sont ou non en poste à l’étranger. (27 juin 2018, M. X., n° 415202)

 

63 - Ingénieur territorial – Mise en disponibilité sur sa demande – Maintien dans cette position à l’expiration de la période de disponibilité – Droit à l’allocation d’assurance chômage seulement si le maintien en disponibilité n’est pas de son fait.

On retiendra surtout de cette décision cette solution imaginée par le juge par combinaison des textes applicables (loi du 26 janvier 1984 sur la fonction publique territoriale, art. 72 et 97, et art. L. 5421-1 et L. 5424-1 du code du travail) selon laquelle « un fonctionnaire territorial qui, à l'expiration de la période pendant laquelle il a été placé, sur sa demande, en disponibilité, est maintenu d'office dans cette position, ne peut prétendre au bénéfice des allocations d'assurance chômage que si ce maintien résulte de motifs indépendants de sa volonté. Tel n'est pas le cas du fonctionnaire qui a refusé un emploi, répondant aux conditions définies par les dispositions statutaires applicables, qui lui a été proposé par la collectivité à la suite de sa demande de réintégration. » (20 juin 2018, Mme X., n° 406355)

 

64 - Inspection générale de l’administration du développement durable – Haut fonctionnaire – Contrôle juridictionnel restreint – Erreur manifeste d’appréciation – Absence.

Etait contestée par le syndicat requérant la nomination d’une inspectrice générale de l’administration du développement durable. Aucun des moyens de forme et de fond invoqués à l’encontre de cette nomination n’est retenu par le Conseil d’Etat qui, rappelle, s’agissant de hauts fonctionnaires, qu’il n’exerce, quant au fond de ces décisions de nomination, qu’un contrôle restreint, dit de l’erreur manifeste d’appréciation. En l’espèce, une telle erreur ne ressort pas des pièces du dossier au regard des qualifications et de l’expérience de l’intéressée. (18 juin 2018, Syndicat des inspecteurs généraux et inspecteurs de l'administration du développement durable, n° 411466 ; v. aussi, du même jour avec le même requérant et comportant la même solution, le n° 410920)

 

65 - Président d’université – Qualité concomitante de ministre du culte – Atteinte au principe de laïcité (non) – Atteinte au principe d’indépendance des enseignants-chercheurs (non) – QPC rejetée.

A la suite de l’élection comme président de l’université de Strasbourg, d’un ecclésiastique, le syndicat requérant a soulevé une QPC motif pris de ce que le code de l’éducation, en n’interdisant pas un tel cumul, aurait porté atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, à savoir le principe de laïcité et celui de l’indépendance des enseignants-chercheurs. Le recours est rejeté et la QPC non transmise pour l’évident motif que la laïcité, en respectant toutes les croyances, impose un égal accès de tous aux emplois et dignités, même aux ministres du culte, puisqu’il faut le préciser au risque d’un pléonasme. Par ailleurs, l’invocation de l’atteinte qui serait ainsi portée au principe d’indépendance des enseignants-chercheurs est sans rapport aucun avec l’objet du litige. (27 juin 2018, SNESUP-FSU, n° 419595)

 

66 - Fonctionnaire de l’Etat détaché dans une collectivité territoriale – Décision d’attribution d’une allocation temporaire d’invalidité – Autorité compétente – Ministre.

Rappel de la règle selon laquelle la décision d'attribution d'une allocation temporaire d'invalidité à un fonctionnaire de l'Etat détaché dans un emploi relevant d'une collectivité territoriale doit être prise par le ministre dont relève l'agent et par le ministre du budget. Les premiers juges ont donc commis une erreur de droit en faisant application au cas de l’espèce du décret du 2 mai 2005 relatif à l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité aux fonctionnaires relevant de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière au lieu de celles du décret du 6 octobre 1960, relatif aux fonctionnaires de l'Etat. (27 juin 2018, Mme X., n° 415210)

 

67 - Agent contractuel de droit public – Agent de Pôle emploi – Congé pour convenances personnelles – Emploi contractuel de droit public à la direction générale des finances publiques durant ce congé – Demande de réintégration en fin de contrat – Réintégration de droit mais refusée et retardée – Obligation d’indemnisation – Détermination de la personne publique chargée de l’indemnisation – Absence de désignation par le tribunal – Erreur de droit – Annulation.

Agent contractuel de droit public à Pôle emploi, l’intéressée, au cours d’un congé pour convenances personnelles, est nommée agent contractuel de droit public pendant trois ans auprès de la direction générale des finances publiques. Il est mis fin à ce contrat et Mme X. sollicite sa réintégration, qui est de droit, à son employeur Pôle emploi ainsi que diverses indemnités dont l’aide de retour à l’emploi. Les dispositions pertinentes du code du travail applicables ici (art. L. 5424-1 et L. 5422-2), imposent la prise en charge de cette indemnisation à celui de ses deux employeurs publics successifs qui l’avait employée durant la période la plus longue. Ainsi, le tribunal administratif a-t-il commis une erreur de droit en jugeant que, sa situation d'agent involontairement privé d'emploi résultant de son placement en « attente de réintégration » par Pôle emploi, il incombait à ce dernier, en qualité d'employeur de l'intéressée, de prendre en charge son indemnisation au titre de l'allocation d'aide au retour à l'emploi, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'elle avait travaillé pendant sa période de congé sans rémunération pour convenances personnelles à la direction générale des finances publiques, entre le 1er mars 2010 et le 11 janvier 2013. Ce raisonnement est censuré car il comporte une manifeste erreur de droit. (20 juin 2018, Mme X., n° 408299)

 

68 - Capitaine de la gendarmerie nationale commandant un escadron de gendarmerie mobile – Publication, sous pseudonyme et sans indiquer sa qualité, sur des sites de médias en ligne – Auteur d’articles polémiques sur des sujets relatifs à la politique menée par le Gouvernement – Termes employés outranciers ou irrespectueux – Absence d’utilisation des moyens du service – Sanction du blâme non disproportionnée.

Un capitaine de gendarmerie qui publie sous un pseudonyme des articles contre la politique gouvernementale sur des sites de réseaux sociaux se voit infliger un blâme pour comportement en inadéquation avec celui qui est attendu d'un officier de gendarmerie ; il saisit le Conseil d’Etat d’un recours pour excès de pouvoir contre cette décision. Ce dernier, pour rejeter le recours, met en balance les aspects « positifs » et ceux « négatifs » du comportement de l’intéressé. Au crédit de celui-ci sont portés le caractère anonyme de ses propos, l’absence d’indication de ses fonctions, la non utilisation des moyens du service et le fait que ses manquements ont lieu en dehors du service. Au contraire, lui sont reprochés l’usage de termes outranciers et irrespectueux pour critiquer l'action de membres du Gouvernement et la politique étrangère et de défense française, l’indication de sa qualité d'ancien élève de l'école Saint-Cyr et de l'école des officiers de la gendarmerie nationale, la poursuite de cette activité alors qu’une mise en garde à ce sujet lui avait été adressée. Le Conseil d’Etat estime, au total, sans que puissent y faire obstacle « les stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui garantissent à toute personne le droit à la liberté d'expression et celui de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées », sont constitutifs d'une violation de l'obligation de réserve à laquelle sont tenus les militaires à l'égard des autorités publiques, même en dehors du service. Reste à savoir ce que jugerait la Cour EDH si elle devait être saisie de ce dossier. (27 juin 2018, M. X., n° 412541)

 

69 - Militaire – Répétition d’indu – Nature juridique de la lettre informant de cette répétition – Nature du recours contre celle-ci : recours pour excès de pouvoir ou plein contentieux – Obligation d’un recours préalable obligatoire pour les militaires.

Le sous-titre d’un commentaire de cette décision pourrait être « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? ». L’administration des armées ayant informé l’intéressé par lettre de ce qu’il devait rembourser une certaine somme, le tribunal administratif de Bordeaux, usant de la faculté que lui ouvre l’art. L. 113-1 CJA (procédure dite de l’avis de droit), interroge le Conseil d’Etat sur plusieurs difficultés soulevées par ce contentieux, les réponses suivantes sont données.

Lorsqu’une lettre de l’administration des armées informe un militaire qu’un indu sera répété soit directement par une retenue sur sa solde soit par notification d’un titre exécutoire et que cette lettre vaut décision administrative pouvant faire l’objet d’un recours devant la commission des recours des militaires, il y a lieu, selon le Conseil d’Etat de distinguer deux cas. En tant que la lettre informe de l’émission d’un titre exécutoire elle ne constitue qu’une mesure préparatoire de ce titre et ne peut donc pas faire l’objet d’un recours contentieux. En tant qu’elle informe d’un prélèvement direct sur la solde, elle constitue une décision susceptible de faire l’objet d’un recours de plein contentieux.

Par ailleurs, dans ce second cas, le recours contentieux ne peut être formé qu’après le rejet, total ou partiel, du recours préalable obligatoire que le militaire doit former devant la commission des recours des militaires. En effet, une telle décision n’est pas au nombre des exceptions à ce recours obligatoire limitativement énumérées au III de l’art. R. 4125-1 du code de la défense. Dans l’hypothèse où l’administration opérerait une retenue sur la solde sans en avoir préalablement informé le militaire, celui-ci devrait également, comme il vient d’être indiqué, former un recours préalable à l’éventuelle saisine du juge contre cette retenue.

Enfin, dans l’hypothèse de la notification à l’intéressé d’un titre exécutoire, l’opposition contentieuse à ce titre doit être obligatoirement précédée d’un recours administratif préalable adressé cette fois non à la commission des recours des militaires mais au comptable chargé de recouvrer la somme litigieuse. Simplification ? On peut en douter… (25 juin 2018, M. X., n° 419227)

 

70 - Centre national d'enseignement à distance (CNED) – Démission du directeur général de cet organisme – Demande d’annulation d’un décret mettant fin à ses fonctions – Erreur de qualification juridique de l’acte – Rejet.

Le directeur du CNED ayant présenté sa démission de ses fonctions le 22 décembre 2016, le décret du 5 janvier 2017 n’a pas mis fin à ses fonctions mais s’est borné à accepter cette démission. L’intéressé ne pouvait donc pas, s’agissant d’une décision prise à sa demande, le contester au motif qu’il serait entaché, de sa part, d’un vice du consentement et qu’il ne serait pas motivé. (1er juin 2018, M. X., n° 408679)

 

71 - Sanction disciplinaire – Déplacement d’office – Annulation par le juge – Mesures d’exécution du jugement – Impossibilité de présumer la renonciation de l’agent au bénéfice du jugement.

Le requérant, chef de poste à la trésorerie de Saint-Martin, avait fait l’objet d’une sanction disciplinaire sous la forme d’un déplacement d’office. Cette sanction a été annulée par la cour de Versailles. Le Conseil d’Etat décrit les conséquences qui doivent être tirées de cet arrêt : l’autorité compétente a l’obligation de replacer l’intéressé dans l’emploi qu’il occupait précédemment et de régulariser rétroactivement les éléments afférents à celui-ci. Il ne peut en aller autrement que si la réintégration est impossible parce que l’emploi d’origine n’existe plus ou a été substantiellement modifié, ou si l’intéressé ne possède plus la qualité d’agent public ou encore s’il a renoncé aux droits qu’il tient de la décision d’annulation. En ce dernier cas, il ne peut être regardé comme ayant renoncé à ses droits que s'il a explicitement exprimé une volonté en ce sens ou l'a manifestée d'une manière dépourvue de toute ambigüité. Tel n’est pas le cas en l’espèce : la cour s’est ainsi méprise en présumant l’existence d’une telle renonciation. (1er juin 2018, M. X., n° 405532)

 

Hiérarchie des normes

 

72 - Obligation d’indiquer l'origine du lait et du lait et des viandes utilisés en tant qu'ingrédient – Décret n° 2016-1137 du 19 août 2016 – Non conformité à l'accord instituant l’OMC (Accord de Marrakech du 15 avril 1994) – Non conformité aux art. 26, 38 et 39 du règlement du 25 octobre 2011 de l’Union européenne – Renvoi préjudiciel.

Un décret ayant, en 2016, rendu obligatoire à titre expérimental, du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2018, l'indication de l'origine du lait ainsi que du lait et des viandes utilisés en tant qu'ingrédient dans des denrées préemballées, la Société Lactalis conteste ses dispositions en ce qu’elles concernent le lait.

Elle invoque des moyens de légalité externe qui sont tous rejetés, ce qui conduit le Conseil d’Etat, pour ce faire, à apporter une importante précision concernant les stipulations des articles 2.9 de l'article 2 de l'accord sur les obstacles techniques au commerce figurant à l'annexe 1A de l'accord sur l’OMC et à l’art. 13 de cet accord. Ceux-ci, qui ne produisent pas d'effet direct à l'égard d'autres personnes que l'Etat dans l'ordre juridique interne, ne peuvent être utilement invoquées à l'appui de conclusions tendant à l'annulation d'une décision individuelle ou réglementaire.  En conséquence, il est jugé que le moyen de la société Lactalis tiré de ce que le décret attaqué aurait dû être préalablement notifié aux membres de l’OMC ou au comité des obstacles techniques au commerce ne peut qu'être écarté.

S’agissant des moyens de légalité interne, la Société Lactalis fait valoir, d’une part,  qu'au regard des dispositions combinées des articles 26 et 38 du règlement européen du 25 octobre 2011, le décret attaqué ne pouvait imposer, en matière d'étiquetage, de mentionner, à titre d'indication obligatoire, le pays d'origine ou le lieu de provenance du lait et du lait utilisé comme ingrédient dans certains produits laitiers et, d’autre part, qu'à supposer que le décret puisse être regardé comme étant pris pour l'application de l'article 39 du même règlement, il ne satisfait pas à la condition posée par le second paragraphe de celui-ci, qui est relative à l'existence d'un lien avéré entre certaines propriétés de la denrée et son origine ou sa provenance.

Le Conseil d’Etat constate que la réponse à ce double moyen « dépend de la question de savoir si les dispositions de l'article 26 du règlement n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 qui prévoit notamment que la Commission présente des rapports au Parlement européen et au Conseil concernant l'indication obligatoire du pays d'origine ou du lieu de provenance pour ce qui concerne le lait et le lait utilisé en tant qu'ingrédient, doit être regardé comme ayant expressément harmonisé cette question au sens du 1 de l'article 38 du même règlement et s'il fait obstacle à la faculté pour les Etats membres d'adopter des mesures exigeant des mentions obligatoires complémentaires sur le fondement de l'article 39 de ce règlement. Dans le cas où les mesures nationales seraient justifiées par la protection des consommateurs au regard du 1 de l'article 39, se pose également la question de savoir si les deux critères prévus au 2 de cet article s'agissant, d'une part, du lien avéré entre certaines propriétés de la denrée et son origine ou sa provenance et, d'autre part, la preuve que la majorité des consommateurs attache une importante significative à cette information doivent être lus de façon combinée, et notamment si l'appréciation du lien avéré peut être fondée sur des éléments seulement subjectifs tenant à l'importance de l'association que les consommateurs peuvent majoritairement faire entre les propriétés d'une denrée et son origine ou sa provenance. En outre, se pose la question de savoir, dans la mesure où les propriétés de la denrée paraissent pouvoir s'entendre de tous les éléments qui participent de la qualité de la denrée, si les considérations liées à la capacité de résistance de la denrée aux transports et aux risques de son altération durant un trajet peuvent intervenir pour apprécier l'existence d'un lien avéré entre certaines propriétés de la denrée et son origine ou sa provenance pour l'application du 2 de l'article 39. Se pose enfin la question de savoir si l'appréciation des conditions posées à l'article 39 suppose de regarder les propriétés d'une denrée comme étant uniques du fait de son origine ou de sa provenance ou comme étant garanties du fait de cette origine ou de cette provenance et, dans ce dernier cas, nonobstant l'harmonisation des normes sanitaires et environnementales applicables au sein de l'Union européenne, si la mention de l'origine ou de la provenance peut être plus précise qu'une mention sous la forme « UE » ou « hors UE » ». En conséquence, en raison de la difficulté sérieuse ainsi soulevée, ces questions, déterminantes pour la solution du litige, sont renvoyées à la Cour de justice de l’Union européenne. (27 juin 2018, Société Groupe Lactalis, n° 404651)

 

73 - Extradition – Conditions – Absence de contrôle de la qualification juridique des faits – Contrôle du respect des principes fondamentaux du droit pénal – Principes généraux du droit international utilement invocables – Extradition sollicitée sur la base des incriminations existant en droit bosnien – Vérification – Légalité de l’extradition.

Lorsque les autorités françaises compétentes sont saisies d’une demande d’extradition il ne leur appartient pas de vérifier si les faits pour lesquels l'extradition est demandée ont reçu, de la part des autorités de l'Etat requérant, une exacte qualification juridique au regard de la loi pénale de cet Etat. Cependant elles ont l’obligation de vérifier : 1°/ qu'est respecté le principe selon lequel l’infraction reprochée doit exister dans les deux Etats au moins quant aux faits qui en sont constitutifs ; 2°/ que soient respectés les principes de non-rétroactivité de la loi pénale et celui d'application immédiate de la loi pénale moins sévère, tels qu'ils sont imposés par l'ordre public français.

En l’espèce, était contesté un décret accordant l’extradition d’un ressortissant bosnien à la Bosnie-Herzégovine sous la prévention de crimes contre l’humanité commis en juin 1992. Or l’intéressé faisait valoir que cette incrimination n’existait pas à cette date dans le droit bosnien, n’ayant été introduite que par une disposition du code pénal bosnien de 2003. La condition de non rétroactivité semblait donc faire défaut.

Le Conseil d’Etat relève que la définition de tels crimes a été donnée par le statut du tribunal international de Nuremberg qui a été adopté en 1945 par l’accord de Londres et confirmée par l’assemblée générale de l’ONU le 11 décembre 1946. En outre, la convention internationale du 26 novembre 1968 sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, à laquelle la République fédérative socialiste de Yougoslavie était partie, renvoyait elle aussi à cette définition qui, au demeurant, figurait dans le code pénal de l’ex-Yougoslavie depuis 1977 et a été reprise en avril 1992 par le code pénal de Bosnie-Herzégovine. Par suite, n’existe aucune rétroactivité de l’incrimination retenue par les autorités bosniennes pour solliciter de la France l’extradition du requérant. Le recours contre le décret d’extradition est donc rejeté. (18 juin 2018, M. X., n° 415046)

 

74 - Ordonnance de l’art. 38 de la Constitution – Ratification par le législateur – Incompétence du juge administratif pour en connaître – Impossibilité de soulever à son encontre une QPC – Impossibilité d’invoquer une incompatibilité avec une directive européenne.

Le Conseil rappelle qu’une ordonnance de l’article 38, une fois ratifié par le législateur, acquiert valeur législative à compter de sa signature, donc rétroactivement ; le juge administratif est dès lors incompétent pour en connaître. En l’espèce, les entités requérantes entendaient faire juger, d’une part, la violation par cette ordonnance, de droits et libertés constitutionnellement garantis, d’autre part son incompatibilité avec une directive européenne. S’agissant d’un texte ayant désormais valeur législative ces demandes ne peuvent être accueillies en l’état de l’incompétence de la juridiction administrative. Il appartient aux intéressés de se mieux pourvoir à l’occasion de l’introduction de litiges soulevant de telles questions. Il existe en la matière un contentieux fourni ainsi qu’on le voit ci-après. (13 juin 2018, Conseil national de l’ordre des infirmiers, n° 408325 ; du même jour et par la même décision : Fédération nationale des orthophonistes et autres, n° 409019, et Conseil national de l'ordre des pédicures-podologues (CNOPP), n° 409045 ; dans le même sens et du même jour : Conseil national de l'ordre des médecins, Conseil national de l'ordre des sages-femmes et Conseil national de l'ordre des pharmaciens, n°411182, 411882 et 411908 ; v. aussi, à propos de l’irrecevabilité d’un recours contre une ordonnance ratifiée : 1er juin 2018, Confédération générale du travail, n° 415244, n° 415375, n° 415064 et n° 415641 (quatre décisions), et Fédération de l'équipement, de l'environnement, des transports et des services - Force Ouvrière (FEETS-FO), n° 415912, n° 415914, n° 415910, n° 415911 et n° 415913 (cinq décisions), M. X., n° 415035,  M. X., n° 415023, Syndicat CGT Allibert Auchel et vingt autres syndicats CGT, n° 414591, n° 414593 et n° 414592)  

 

Libertés fondamentales

 

75 - Etranger – Carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » – Exercice conjoint de l’autorité parentale – Droit de visite – Refus de séjour – Constatation par la cour administrative d’appel que le demandeur satisfait aux obligations imposées par le juge aux affaires familiales – Refus fondé sur l’absence de contribution effective à l’éducation de l’enfant – Contradiction de motifs.

Repose sur une contradiction de motifs et doit donc être annulé l’arrêt d’une cour administrative qui, tout à la fois, constate qu’un ressortissant marocain, titulaire d’un droit de visite de son enfant mineur de nationalité française, satisfait en tous points aux obligations imposées par décision du juge aux affaires familiales et lui refuse un droit au séjour pour visiter son enfant motif pris de ce qu’il ne contribuerait pas effectivement à l’éducation de ce dernier (29 juin 2018, M. X., n° 408778 ; dans un sens voisin malgré la différence de cadre juridique et avec une solution identique, on lira : 29 juin 2018, M. X., n° 407087)

 

76 - Liberté de culte – Aumôneries militaires, hospitalières et pénitentiaires – Obligation d’une formation civile et civique de ces aumôniers – Conformité à la loi de séparation des Eglises et de l’Etat – Compétence du pouvoir réglementaire à cet effet – Compatibilité avec le régime de délivrance des diplômes propres d’université.

Etaient attaqués le décret du 3 mai 2017 relatif aux aumôniers militaires, hospitaliers et pénitentiaires et à leur formation civile et civique, ainsi que l'arrêté interministériel du 5 mai 2017 relatif aux diplômes de formation civile et civique suivie par les aumôniers militaires d'active et les aumôniers hospitaliers et pénitentiaires et fixant les modalités d'établissement de la liste de ces formations. Ces actes réglementaires ont institué une condition de diplôme de formation civique et civile pour ceux des ministres du culte présentés à l’Etat en vue de leur nomination comme aumôniers dans les armées, hôpitaux et prisons.

Pour rejeter l’ensemble des griefs développés à l’encontre de ces deux textes, le Conseil d’Etat juge, tout d’abord, qu’il appartenait au pouvoir réglementaire d’intervenir en cette matière, ce qui s’agissant d’une liberté fondamentale n’avait rien d’évident d’autant que la jurisprudence de la Cour EDH ne va plutôt pas en ce sens. Il fait découler cette compétence à la fois de l’art. 10 de la Déclaration de 1789, de l’art. 1er de la Constitution de 1958 et de l’art. 2 de la loi du 9 décembre 1905. En outre existent des textes spécifiques pour chacune des trois catégories d’aumôniers servant de fondement à l’intervention du pouvoir réglementaire (pour les armées : art. L. 4121-2 code de la défense, loi du 8 juillet 1880, art. 2 ; pour les hôpitaux : art. R. 1112-46 code de la santé publique ; art. 9, 9-1 et 10 de la loi du 9 janvier 1986 relative à la fonction publique hospitalière ; pour les prisons : art. 26 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009). Le grief d’incompétence du pouvoir réglementaire à prendre le décret attaqué est ainsi écartée, ce qui va entraîner également le rejet du grief d’illégalité de l’arrêté du 5 mai 2017, celle-ci n’étant invoquée que par voie de conséquence de l’illégalité du décret.

Ensuite, dans la mesure où, à la fois, ces aumôniers sont des ministres du culte et des agents publics et exercent leur mission dans le cadre d’un service public, il importe de concilier les exigences propres à ces différentes qualités ou appartenances.

S’en tenant à une ligne tracée dès les premières applications de la loi de 1905, le Conseil d’Etat rappelle, d’une part, que l’Etat ne peut nommer que des personnes que lui présentent les responsables d’un culte sans pouvoir interférer de quelque manière que ce soit dans cette présentation, et d’autre part, que ces personnes doivent respecter leur qualité éventuelle d’agents publics et leur appartenance au service public pour en respecter toutes celles des conséquences en découlant qui sont compatibles avec leur état de ministres du culte.

Par suite, selon lui, l’institution d’un diplôme de caractère civil et civique pour exercer leur ministère dans les aumôneries assure un compromis raisonnable entre les diverses exigences en cause. En effet, une telle formation n'a pour effet ni d'encadrer l'exercice des cultes, ni de substituer l'appréciation de l'administration à celle de l'aumônier national ou des autorités cultuelles, auxquels il appartient de proposer les candidats aux fonctions d'aumônier ; de plus, cette formation ne porte pas sur leur ministère religieux, mais sur l'environnement social, institutionnel et juridique dans lequel s'exerce leur activité d'aumônier et n'implique pas que l'administration, comme les enseignants y participant, porte une appréciation sur le contenu des croyances concernées. Il s’ensuit que c’est pour ce motif que cette formation peut être assurée, financée ou réglementée par une collectivité publique sans méconnaître le principe posé par l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905. Ce faisant, le pouvoir réglementaire ne s’est pas immiscé dans l'organisation des cultes.

Enfin, techniquement, un tel diplôme peut s’obtenir soit en suivant un cursus classique soit par équivalence de diplôme soit par validation des acquis de l’expérience ; il ne porte point atteinte aux prérogatives des universités en matière de délivrance de diplômes propres. (27 juin 2018, Union des associations diocésaines de France et Monseigneur G. Pontier, archevêque de Marseille, n° 412039)

 

77 - Santé mentale – Arrêté préfectoral d’admission en soins psychiatriques – Recours contre la décision – Incompétence de la juridiction administrative – Rejet.

L’intéressée demande l’annulation de l’arrêté par lequel le préfet de Seine-et-Marne a ordonné son admission en soins psychiatriques sous la forme initiale d'une hospitalisation complète jusqu’au 17 juin 2018 sous réserve de la décision éventuelle du juge des libertés et de la détention. Une telle requête, quelle qu’en soit la forme procédurale, ne relève pas de la compétence ratione materiae du juge administratif. (12 juin 2018, Mlle X., n° 420832)

 

78 - Décret du 3 mai 2017 relatif aux enquêtes administratives (art. L. 114-2 du code de la sécurité intérieure) – Contrôle des affectations et recrutements dans certaines entreprises de transport – Exigence d’un comportement douteux des personnes objet d’une enquête – Enquête n’ayant pas le caractère de sanction et ne pouvant donner lieu à l’application du principe des droits de la défense – Existence de procédures de contestation, administrative et contentieuse, spécifiques.

L’institution par le décret du 3 mai 2017 d’enquêtes administratives dans certaines entreprises de transport (transport de passagers, transport de matières dangereuses) est critiquée par les syndicats requérants et leur recours est rejeté.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat fait remarquer que ce dispositif connaît un périmètre précis quant aux emplois et fonctions concernés.

Ensuite, de telles enquêtes ne sont possibles qu’après constatation de comportements douteux chez une personne dans son emploi.

De telles enquêtes ne constituant pas des sanctions elles ne sont pas soumises au principe des droits de la défense et d’ailleurs celui qui en est l’objet n’en est pas averti. En revanche, le décret a bien prévu, d’une part, que l’avis rendu après l’enquête administrative est communiqué à l’intéressé, et d’autre part, que l’intéressé dispose de la possibilité de former un recours administratif devant le ministre de l’intérieur ainsi qu’un recours contentieux devant le juge administratif. (1er juin 2018, Confédération générale du travail et Fédération CGT des cheminots, n° 412161)

 

79 - Expropriation – Information des propriétaires concernés par l’enquête parcellaire – Arrêté préfectoral de cessibilité – Absence de retour de l’avis de réception de la notification effectuée au domicile connu des intéressés – Substitution de l’affichage en mairie – Validité.

Les textes exigent du préfet qu’au cours de la procédure d’expropriation, avant de prendre l’arrêté de cessibilité, il informe, sur la base des indications fournies par le service du cadastre, les propriétaires concernés que leurs biens figurent dans le plan de l’enquête parcellaire. Cette information prend la forme d’une lettre recommandée avec récépissé postal de réception. En l’espèce, cette formalité a bien été accomplie mais l’administration n’a pas reçu la réception de cette notification au terme du délai normal d’acheminement du courrier. Il a donc été porté mention de cette notification par affichage en mairie. Alors que la cour administrative d’appel estimait que l’affichage n’avait pas pu se substituer à l’exigence de notification individuelle et qu’il ne constituait ainsi pas une formalité régulière, le Conseil d’Etat juge le contraire et annule l’arrêt d’appel confirmant le jugement ayant annulé l’arrêté préfectoral de cessibilité. (18 juin 2018, ville de Nice, n° 407310)

 

80 - Expropriation – Arrêté de cessibilité – Recours contre cet arrêté – Intérêt donnant qualité pour agir – Absence.

Dans le cadre d’une expropriation en vue de la réalisation d’une station de traitement et d’une plateforme de compostage ainsi que du déversement des eaux usées, après traitement, dans le canal du Rhône à Sète, le préfet est amené à prendre un arrêté de cessibilité que contestent avec succès diverses personnes ou entités. Pour accueillir le pourvoi du ministre, le Conseil d’Etat rappelle que pour agir en justice il faut démontrer l’existence d’un intérêt donnant qualité pour agir. Or deux des requérants contestaient l’arrêté de cessibilité alors qu’ils ne possédaient aucune parcelle figurant dans le périmètre de cessibilité et qu’ils n’invoquaient aucun intérêt particulier à saisir le juge. Leur requête puis leur pourvoi sont donc irrecevables. (13 juin 2018, ministre de l’Intérieur, n° 409635)

 

81 - Audiovisuel – Sanction du CSA à l’encontre d’une chaîne de télévision – Atteinte prétendue à la dignité de la personne humaine – Contrôle plein et entier du Conseil d’Etat – Liberté d’expression – Faits ne constituant pas une telle atteinte – Annulation de la sanction.

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel ayant infligé une sanction à la société requérante au motif que des séquences diffusées par C8 portaient atteinte à la dignité de la personne humaine, celle-ci demande l’annulation des sanctions. Le Conseil d’Etat lui donne raison en procédant à l’examen minutieux des données de l’affaire. Relevant qu’il s’agit de plusieurs séquences tournées selon le principe de la « caméra cachée » mettant en scène l'animateur et des chroniqueurs de l'émission censés avoir été filmés à leur insu, les juges ajoutent « que lors de la séquence ayant donné lieu à la sanction attaquée, l'animateur et le chroniqueur ont été montrés se rendant chez un tiers, en réalité un acteur se faisant passer pour un producteur américain avec lequel l'animateur venait négocier le passage dans l'émission d'un acteur vedette ; que, la discussion s'étant tendue, l'animateur et son comparse ont eu une altercation au cours de laquelle le second est tombé, apparemment inanimé ; que l'animateur et son garde du corps ont ensuite tenté de dissuader le chroniqueur d'appeler la police et de le contraindre à endosser la responsabilité de l'incident qui ne lui était cependant en rien imputable ; que le chroniqueur, qui a été présenté comme n'ayant été avisé que le lendemain qu'il s'agissait d'une mise en scène, est apparu, tout au moins initialement, déstabilisé par le comportement de l'animateur, mais faisant preuve de sang-froid, appelant la police, alors qu'il lui était demandé avec insistance de n'en rien faire, et se préoccupant à plusieurs reprises de l'état de la prétendue victime avec qui il a partagé un repas après qu'elle a repris ses esprits ; qu'eu égard à son comportement tout au long de la séquence, il n'a pas été montré sous un jour dégradant, humiliant ou attentatoire à sa dignité ; que, dès lors, la diffusion de cette séquence, à laquelle le chroniqueur a consenti et qu'il a lui-même accepté de commenter, ne révèle, contrairement à ce qu'a estimé le CSA dans la décision attaquée et eu égard au caractère humoristique de l'émission et à la protection qui s'attache à la liberté d'expression en vertu des articles 11 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aucune méconnaissance des stipulations de l'article 2-3-4 de la convention du service C8 ». L’affaire est plus rocambolesque qu’autre chose et la décision du CSA est annulée. (18 juin 2018, Société C8, n° 412074 ; v. aussi, du même jour et avec la même requérante, la décision n° 414532, où le juge admet au contraire la légalité de la sanction de trois millions d’euros infligée par le CSA à la chaîne C8)

 

82 - Référé liberté – Procréation médicalement assistée – Demande de transfert vers l’étranger de gamètes d’un compagnon décédé – Refus – Demande de poser une question préjudicielle à la CJUE – Refus.

La requérante demande à titre principal au Conseil d’Etat, par voie d’un appel sur référé liberté, d’enjoindre à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris de prendre toutes mesures utiles afin de permettre le transfert des gamètes de son compagnon décédé, conservés sous forme de paillettes, vers un établissement de santé, situé dans l’UE, qu’elle indiquera. Subsidiairement elle sollicite que la CJUE soit saisie d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation des articles 7 et 9 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Les deux demandes sont rejetées.

Auparavant le Conseil d’Etat rappelle que l’office du juge du référé liberté lui permet de prendre toutes mesures nécessaires pour remédier à l’atteinte grave et manifestement illégale qui serait portée à une liberté fondamentale y compris lorsque cette atteinte résulte de l'application de dispositions législatives qui sont manifestement incompatibles avec les engagements européens ou internationaux de la France, ou dont la mise en oeuvre entraînerait des conséquences manifestement contraires aux exigences nées de ces engagements.

En premier lieu, le juge statue sur le refus d’autoriser le transfert qu’il juge bien fondé sur les dispositions législatives de droit interne français, ce qui le conduit à examiner si, de ce chef, cette législation ne contrevient pas à une norme internationale applicable en l’espèce. Il n’aperçoit point de violation de la Convention EDH dans la mesure où Mme X. ne démontre pas l'existence d'une circonstance particulière constituant une ingérence disproportionnée dans ses droits garantis par cette convention. Ensuite, le refus de transfert des paillettes ne porte nullement atteinte au droit de la requérante à la libre circulation dans l'Union européenne garanti par l'article 20 du TFUE. Enfin, l’invocation de la charte des droits fondamentaux de l’UE est inopérante puisque le refus de transfert ne met pas en œuvre le droit de l’Union. D’où il suit que n’est pas, non plus, possible le renvoi d’une question préjudicielle à la CJUE. (13 juin 2018, Mme X., n° 421333)

 

83 - Etranger – Demande d’asile – Règles de la convention de Genève – Possibilité de demander ce statut, déjà accordé par un Etat, à un autre Etat – Conditions et régime – Parallélisme des formes et des compétences – Non respect – Rejet de la demande.

Il résulte des dispositions de la convention de Genève sur les réfugiés que la reconnaissance à un individu, par un Etat partie à la convention, de la qualité de réfugié, ne lui permet plus, aussi longtemps que le statut de réfugié lui est maintenu et effectivement garanti dans l'Etat qui lui a reconnu ce statut, de revendiquer auprès d'un autre Etat, sans y avoir été préalablement admis au séjour, le bénéfice des droits qu'il tient de la convention de Genève. En revanche, s’il est préalablement admis au séjour en France dans le cadre des procédures de droit commun applicables aux étrangers, il lui est possible de demander à ce que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides exerce à son égard la protection qui s'attache au statut de réfugié, ce que l’on appelle « un transfert de protection ». Comme aucune disposition ne détermine les formes et compétences régissant une telle demande, appliquant les principes du parallélisme des formes et des compétences, le Conseil d’Etat décide qu’« une telle demande doit être présentée dans les formes et selon les règles procédurales applicables aux demandes d'asile ». En l’espèce, l’intéressé a sollicité le bénéfice de ce transfert mais sans avoir préalablement formé une demande d’admission au séjour satisfaisant aux conditions ordinaires de fond et de compétence. D’où le rejet par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) de sa demande de transfert de protection et l’invitation faite au demandeur de suivre la procédure régulière à cet effet.

Le Conseil d’Etat précise à cette occasion que les recours dirigés contre cette catégorie de décisions de l’OFPRA ne relèvent pas de la compétence de la Cour nationale du droit d’asile mais de celle des juridictions administratives de droit commun. (18 juin 2018, M. X., n° 415335)

 

84 - Groupe municipal d’opposition – Liberté d’expression – Tribune dans le bulletin municipal – Interdiction de la diffamation, l’injure ou l’outrage (loi de 1881 sur la liberté de la presse) – Pouvoir du maire, responsable de la publication – Refus d’autoriser la parution de la tribune – Etendue de son contrôle.

Le maire d’une commune s’oppose à la parution d’une tribune dans le bulletin municipal parce que, de nature diffamatoire, elle contrevient aux prescriptions de la loi de 1881.  En première instance et en appel la demande d’annulation du refus de publication est rejetée. Le Conseil d’Etat, tout en reconnaissant, à son tour, le caractère diffamatoire de la tribune, reproche à la cour administrative d’appel de n’avoir pas vérifié « s'il ressortait à l'évidence du contenu de cette tribune que son caractère injurieux, ou diffamatoire, était manifeste », constate le caractère manifeste de la diffamation et rejette la demande d’annulation du refus de publication. On regrettera que le juge ajoute ici aux conditions légales une double condition redondante, à savoir l’évidence du caractère manifeste de la nature diffamatoire. (27 juin 2018, Mme X., n° 406081)

 

85 - Employé du Centre hospitalier ophtalmologique des Quinze-Vingt (CHNO) – Conservation irrégulière des données relative à sa vie sexuelle – Intervention de la CNIL – Rappel à la loi – Défaut de déclaration d’un dossier à la CNIL – Obligation d’effacer les données à la fin de la procédure judiciaire en cours – Refus d’obtempérer du CHNO – Refus de la CNIL de donner suite à la plainte.

M. X., employé du CHNO, constate le maintien dans son dossier administratif d’un document contenant des indications sur sa vie sexuelle et en demande en vain le retrait. Il saisit la CNIL qui lui répond : 1°/ Que ces informations ne figurent point dans son dossier administratif mais dans celui ouvert suite à des procédures judiciaires engagées en 2014 et 2015 par M. X. contre des mesures de changement d'affectation motivées par les informations attestées par ledit document ; 2°/ Qu’elle avait rappelé au CHNO ses obligations, non respectées, de déclaration de mise en œuvre d’un traitement de données ; 3°/ Qu’elle avait demandé que ces éléments relatifs à la vie sexuelle de M. X. soient supprimés à l’expiration des voies de recours contre la décision de justice à rendre. La présidente de la CNIL ajoutait alors qu’elle ne donnerait pas d’autre suite à la plainte de M. X.  Celui-ci saisit le Conseil d’Etat et s’entend répondre que s’il est possible de saisir le juge de l’excès de pouvoir d’un refus de la CNIL d’engager une procédure, et, pour ce juge, de censurer un tel refus, c’est sous réserve qu’ait été commis une erreur de fait ou de droit, une erreur manifeste d'appréciation ou un détournement de pouvoir.

Or il constate qu’en l’espèce la CNIL n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation dans la mise en oeuvre des compétences qui lui sont conférées par les dispositions de l'article 11 de la loi du 6 janvier 1978. Difficile d’être plus laconique et moins compréhensible… (21 juin 2018, M. X., n° 414139 ; v. aussi, d’ailleurs plus explicite, du même jour : M. X., n° 416505)

 

86 - Droit d’asile – Demande refusée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Rejet du recours par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Pouvoir souverain de la Cour – Erreur de droit – Annulation.

La CNDA, qui dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation des faits, commet une erreur de droit quand elle rejette un recours dirigé contre le refus de l’OFPRA d’accorder le bénéfice de l’asile sans s’expliquer sur deux certificats médicaux figurant au dossier et faisant état de plusieurs blessures et traumatismes ; en particulier, en n’indiquant ni s’ils étaient de nature à prouver les risques encourus par les demandeurs dans leur pays, ni, non plus, pourquoi elle n’a pas regardé leur contenu comme sérieux. (21 juin 2018, M. et Mme X., n° 413978)

 

Police

 

87 - Police des spectacles – Interdiction d’un spectacle par arrêté préfectoral – Demande d’annulation de l’arrêté – Demande de réparation des préjudices financiers et moral en résultant – Respect de la dignité de la personne humaine – Conciliation avec la liberté d’expression et la liberté de réunion – Exigence du caractère nécessaire, adapté et proportionné des mesures prises pour préserver l’ordre public.

Pour rejeter les recours dirigés contre l’interdiction préfectorale du spectacle « Le Mur » et formulant des demandes de réparation, le Conseil d’Etat juge que c’est à bon droit que la cour administrative d’appel a refusé d’annuler l’arrêté d’interdiction dans la mesure où le contenu du spectacle, identique à des précédents, comportait des propos, gestes ou autres, attentatoires à la dignité de la personne humaine, avait entraîné plusieurs condamnations pénales définitives à l’encontre de son auteur, rendait imminente la menace de troubles à l’ordre public. Ce jugeant, il n’a pas été porté, dans les circonstances de l’espèce, une atteinte excessive aux libertés d’expression et de réunion. (21 juin 2018, SARL Les productions de la Plume et M. M'Bala M'Bala, n° 416353)

 

88 - Plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP) – Effets sur le permis de construire – Distinction entre les prescriptions du plan et les mesures de prévention, de protection et de sauvegarde qu’il comporte – Distinction, parmi ces dernières, entre celles d’entre elles rendues obligatoires et les autres.

Un permis de construire plusieurs logements, délivré au nom de l’Etat par le maire d’une commune, est annulé car situé dans la zone de risque B1a du plan de prévention des risques naturels prévisibles d'incendie de forêt, dans laquelle le niveau de risque est modéré. Le ministre intéressé se pourvoit.

Le Conseil d’Etat rappelle qu’existe en la matière une double distinction issue des dispositions de l’art. L. 562-1 du code de l’environnement.

En premier lieu, les prescriptions auxquelles un plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP) subordonne une construction en application des 1° et 2° du II de l'article L. 562-1 du code de l'environnement s'imposent directement aux autorisations de construire, qui ne sauraient être légalement accordées lorsque ces prescriptions sont méconnues.

En second lieu, s'agissant des mesures de prévention, de protection et de sauvegarde définies par un tel plan comme incombant aux particuliers dans ces mêmes zones en application du 3° du II du même article, il convient de distinguer entre le cas où leur réalisation a été rendue obligatoire dans les conditions prévues au III de cet article, elles s’imposent alors directement aux constructions, et le cas où cette réalisation n’a pas été rendue obligatoire, laissant les propriétaires libres de les prendre, ou non, en considération.

En l’espèce, le permis accordé ne portant ni sur une zone du PPRNP assortie de prescriptions ni, non plus, sur la zone de ce plan où des mesures de prévention, protection ou sauvegarde ont été rendues obligatoires, c’est en commettant une erreur de droit que les premiers juges l’ont jugé illégal. (20 juin 2018, ministre de la cohésion des territoires, n° 412650)

 

89 - Réfugié politique – Demande d’échange de permis de conduire – Permis d’origine gambienne n’étant plus valide – Refus d’échange – Illégalité.

Le requérant, réfugié politique gambien, demande l’échange de son permis de conduire avec un permis français. Pour ce faire son permis d’origine devait être en cours de validité. Ce n’était plus le cas d’où le refus opposé par les autorités françaises et sa confirmation par les premiers juges. Annulant cette décision, le Conseil d’Etat fait valoir que le motif retenu pour refuser l’échange n’est pas régulier dès lors que l’intéressé s'est trouvé empêché d'obtenir le renouvellement du précédent permis par le risque de persécutions auquel il est exposé dans son pays. Au reste, il ressortait des pièces du dossier que la période de validité du permis gambien de l'intéressé avait expiré postérieurement à la date à laquelle il avait dû quitter son pays. En refusant cet échange le tribunal administratif a commis une erreur de droit. (15 juin 2018, M. X., n° 415398)

 

90 - Police des ports maritimes – Polices du bruit et de la sécurité maritime – Pouvoirs et obligations du maire – Interdiction générale et absolue d’utiliser l’unique cale existante de mise à l'eau d’un port à tout engin nautique à moteur – Caractère disproportionnée de la mesure – Illégalité.

Saisie de plaintes des riverains, la Commune de Cannes, pour des motifs de sécurité des utilisateurs et d’excessive intensité sonore, interdit purement et simplement à tout engin nautique à moteur l’utilisation de l’unique cale de mise à l'eau existante dans le port du Mourré Rouge à Cannes. Le Conseil d’Etat considère que cette interdiction est disproportionnée tant en raison de son caractère général et absolu que du fait qu’il s’agit de l’unique endroit susceptible d’être utilisé par lesdits engins. La mesure est déclarée illégale. (6 juin 2018, Commune de Cannes, n° 408539)

 

91 - Livre officiel des origines félines – Mission de service public à caractère administratif – Désignation d’une seule fédération nationale pour gérer ce livre – Reconnaissance d’une seule association nationale par race de chats et obligation pour chacune d’adhérer à la fédération nationale désignée comme gestionnaire livre des origines félines.

La Fédération requérante demande l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le premier ministre a rejeté sa demande tendant à l'abrogation de l'article D. 214-8 du code rural et de la pêche maritime et de l'arrêté du 1er août 2006 du ministre de l'agriculture et de la pêche portant agrément de la Fédération pour la gestion du livre officiel des origines félines. Pour rejeter en tous points ce recours, les juges retiennent que la tenue d’un tel livre constitue une mission de service public à caractère administratif et qu’il résulte du texte attaqué l’unicité de ce livre, impliquant sa gestion par une unique fédération. Par ailleurs, en imposant, d’une part, que ne soit agréée qu’une seule fédération nationale par race de chats, et d’autre part, que chacune de ces fédérations adhère à la fédération pour la gestion du livre des origines félines, le pouvoir réglementaire a agi conformément aux exigences découlant de l’unicité susrappelée de ce livre. (6 juin 2018, Fédération féline française (FFF), n° 403977)

 

92 - Interdiction de la circulation de mineurs de 13 ans non accompagnés de majeurs entre 23 heures et 6 heures – Interdiction valant pour le centre-ville de Béziers et un quartier de cette commune – Invocation de circonstances particulières – Allégations non établies par les pièces du dossier – Illégalité – Annulation de l’arrêt ayant jugé cet arrêté régulier.

Le maire de Béziers avait pris un arrêté interdisant la circulation de mineurs de 13 ans, non accompagnés de majeurs, dans les rues du centre-ville de Béziers et d’un quartier de cette commune de 23h à 6h. Il invoquait au soutien de cette mesure de police le souci de la protection des mineurs de moins de 13 ans contre les violences dont ils pourraient être les victimes et celui de la prévention des troubles qu'ils pourraient eux-mêmes causer à l'ordre public.

Les juges commencent par rappeler qu’une telle décision entre tout à fait dans la compétence ratione materiae du pouvoir de police municipale.

Ensuite, estimant, au contraire de ce qu’avait jugé la juridiction d’appel, que rien dans les pièces du dossier ne permettait de corroborer les risques invoqués par l’arrêté municipal et que, en particulier, les chiffres de la délinquance constatée à Béziers en 2013 et 2014 ne laissaient apparaître d’augmentation ni des violences envers ces mineurs ni des actes délictueux commis par eux, le Conseil d’Etat annule l’arrêt qui lui était déféré.

Cette décision soulevait une question de procédure assez classique mais résolue ici de façon quelque peu preste. En effet, le pourvoi avait été formé par une association à compétence nationale alors que la mesure attaquée était très circonscrite au plan territorial ; le pourvoi devait normalement être déclaré irrecevable. Cependant, faisant montre d’un libéralisme assez rare sur ce sujet, le Conseil d’Etat explique qu’était en cause la matière des libertés publiques, que les circonstances alléguées étaient susceptibles de se retrouver dans d’autres communes et qu’ainsi l’enjeu n’était pas purement local… (6 juin 2018, Ligue des droits de l’homme, n° 410774)

 

93 - Décret modifiant la profession de greffier de tribunal de commerce – Demande d’annulation – Absence de qualité de greffier – Absence d’intérêt à agir – Rejet.

N’a pas un intérêt direct et certain à attaquer le décret modifiant les conditions d’exercice de la profession de greffier de tribunal de commerce sous forme de société civile professionnelle et en qualité de salarié, celui qui aspire seulement à exercer un jour ce métier. Son recours est irrecevable. (6 juin 2018, M. X., n° 411710)

 

Procédure non contentieuse

 

94 - Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) – Procédure de sanction – Date d’appréciation des infractions ou de leur correction – Incidences.

Selon le Conseil d’Etat, il résulte des art. 45 et 59 de la loi de 1978 portant création de la CNIL que celle-ci ne peut faire usage de ses pouvoirs de sanction qu'après avoir mis en demeure le responsable du traitement de respecter les obligations qui lui sont imposées et faute pour l'intéressé de s'être conformé à cette mise en demeure dans le délai imparti à cet effet. La CNIL doit donc apprécier, à la date à laquelle ce délai a expiré, si la personne à l'encontre de laquelle la mise en demeure a été prononcée s'y est, en tout ou partie, conformée. Il incombe à la personne mise en demeure de porter à la connaissance de la CNIL tous les éléments lui permettant d'apprécier si et dans quelle mesure il a été donné suite à ses injonctions dans le délai prévu pour ce faire.

S'il est toujours loisible à la CNIL de faire usage de ses pouvoirs d'instruction, elle n'est jamais tenue de procéder à un nouveau contrôle afin d'apprécier l'existence de manquements à la date d'expiration du délai fixé par la mise en demeure. Il s'ensuit qu'une procédure disciplinaire peut être légalement engagée au seul motif qu'à cette date, la personne mise en cause n'a transmis aucun élément suffisant permettant d'apprécier si et dans quelle mesure il a été remédié aux manquements constatés. Dans une telle hypothèse, si l'instruction contradictoire de la procédure disciplinaire fait apparaître que la personne poursuivie avait remédié aux manquements constatés dans la mise en demeure, dans le délai qui lui était imparti, cette circonstance ne fait pas obstacle au prononcé d'une sanction pour méconnaissance de l'obligation de coopérer avec la CNIL qui est posée à l'article 21 de la loi du 6 janvier 1978. On ne peut s’empêcher de relever le caractère excessif de la dernière déduction ainsi opérée par le juge et de sa faible conformité à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de sauvegarde des libertés fondamentales. (6 juin 2018, Société Editions Croque Futur, n° 412589)

 

95 - Réseau d’éducation prioritaire – Détermination des établissements tête de réseau – Information et non consultation du comité technique ministériel du ministère chargé de l'éducation nationale – Irrégularité – Annulation de l’arrêté fixant la liste des établissements scolaires publics tête de réseau participant au programme « Réseau d'éducation prioritaire » (REP) à la rentrée scolaire 2015.

En vue de préparer l’arrêté fixant la liste des établissements scolaires publics tête de réseau participant au programme « Réseau d'éducation prioritaire » (REP) à la rentrée scolaire 2015, il n’a été procédé qu’à la simple information du comité technique ministériel du ministère chargé de l'éducation nationale sur un projet d’arrêté et non à sa consultation. Or le Conseil d’Etat estime qu’ « eu égard aux conséquences directes et significatives de la définition de la carte des réseaux d'éducation prioritaire sur l'organisation et le fonctionnement de l'ensemble des services déconcentrés » une telle consultation était nécessaire en l’espèce. L’arrêté est annulé pour excès de pouvoir. (1er juin 2018, M. X., n° 391518 ; v. aussi, au sujet des « réseaux d’éducation prioritaires », le fait qu’un établissement ne soit pas reconnu à ce titre : 1er juin 2018, Commune de Sainte-Marie-aux-Mines et autres, n° 392196)

 

Procédure contentieuse (v. aussi n°s 18 et 23)

 

96 - Jugement rendu sur référé suspension – Caractère provisoire – Absence d’autorité de chose jugée au principal – Caractère pleinement exécutoire – Interdiction faite à l’autorité administrative de reprendre une décision identique à celle dont la suspension a été ordonnée.

Rappel utile d’un aspect parfois oublié de la procédure du référé suspension. Si la décision ordonnant la suspension d’une décision n’a pas l’autorité de chose jugée parce que la juridiction du référé est normalement une juridiction du provisoire, il n’en reste pas moins qu’elle revêt, ainsi que le rappelle l’art. L. 11 du titre préliminaire du CJA à propos de toute décision du juge administratif, un caractère exécutoire et qu’elle doit donc être respectée. Tant que dure la suspension, l’autorité administrative auteur de la décision ou de la mesure suspendue se voit donc interdire de reprendre la même décision ou la même mesure à peine d’illégalité. En revanche, elle peut substituer à la décision suspendue une autre décision substantiellement différente ; c’était le cas en l’espèce. (29 juin 2018, M. X., n° 407234)

 

97 - Conseil national de l’ordre des médecins – Refus de transmettre des plaintes de particuliers aux instances disciplinaires compétentes – Refus de saisir lui-même ces instances – Incompétence du Conseil d’Etat en premier et dernier ressort – Renvoi au tribunal administratif de Caen.

Le Conseil d’Etat est saisi de requêtes qu’il interprète comme tendant à l'annulation des décisions, révélées par les courriers dont la requérante conteste le contenu, par lesquelles le Conseil national de l'ordre des médecins a, d'une part, refusé de transmettre les deux plaintes de l'intéressée aux instances disciplinaires compétentes en application du dernier alinéa de l'article L. 4123-2 du code de la santé publique et a, d'autre part, refusé de saisir directement ces instances au titre des pouvoirs propres de saisine qu'il détient en vertu de l'article R. 4126-1 du même code. Le Conseil d’Etat ne peut que constater que ces décisions ne sont pas au nombre de celles dont il lui appartient de connaître en premier et dernier ressort. Il en attribue donc le jugement au tribunal administratif de Caen, dans le ressort duquel est né le litige. (1er juin 2018, Mme X., n° 409626)

 

98 - Exercice par le président de l’université de compétences à lui déléguées par le ministre en charge de l’enseignement supérieur (art. L. 951-3 code de l’éducation) – Compétences exercées au nom de l’Etat – Absence de la qualité de défendeur de l’université dans les instances où sont contestées les décisions relatives à l’exercice de ces compétences – Absence de la possibilité de former tierce-opposition – Absence de l’éventuel bénéfice de l’art. L. 761-1 CJA.

Dans le cadre d’un litige opposant un maître de conférences à son université, était contestée une mesure que le président de cette dernière avait prise dans le cadre de compétences déléguées par le ministre de l’enseignement supérieur. Le Conseil d’Etat rappelle qu’en ce cas l’université n’a pas la qualité de défenderesse à l’instance ni davantage qualité pour y former tierce-opposition. Ainsi, elle ne peut solliciter l’application des dispositions de l’art. L. 761-1 CJA relative aux frais irrépétibles. (1er juin 2018, M. X., n° 403554)

 

99 - Caractère contradictoire de la procédure contentieuse – Communication des mémoires – Obligation de communiquer le seul mémoire produit par la partie adverse – Annulation intégrale de la procédure.

La circonstance qu’une décision de justice se fonde sur des éléments contenus dans un mémoire en défense non communiqué au demandeur entache d’irrégularité l’ensemble de la procédure qui se trouve ainsi annulée. (15 juin 2018, M. X., n° 421358)

 

100 - Juridiction ordinale – Sanction disciplinaire – Saisine du Conseil d’Etat en référé suspension – Irrecevabilité faute de recours en cassation contre la décision juridictionnelle contestée.

Ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire de la part du Conseil national de l’ordre des médecins, le requérant saisit le Conseil d’Etat d’un référé liberté dirigé contre ce jugement. Un tel référé n’est évidemment possible que contre une décision administrative non contre une décision de nature juridictionnelle. Il fallait saisir le Conseil d’un pourvoi en cassation et, si le demandeur s’y croyait fondé, l’assortir d’une demande de sursis à l’exécution de la décision contestée, d’où le rejet éminemment prévisible de la demande. (13 juin 2018, M. X., n° 421315)

 

101 - Sursis à l’exécution d’un jugement – Pharmacien – Conséquences difficilement réparables – Moyen paraissant sérieux en l’état de l’instruction – Suspension accordée.

Le sursis à l’exécution d’une décision frappée d’appel ou de cassation peut être accordé par la juridiction d’appel ou de cassation si deux conditions sont réunies : existence de conséquences difficilement réparables en cas d’exécution immédiate de la décision et existence d’un moyen sérieux en l’état de l’instruction.

Un pharmacien a fait l’objet de la sanction d’interdiction de servir des prestations aux assurés sociaux pendant une durée de douze mois dont trois avec sursis. Ayant saisi en vain les juridictions ordinales des premier et second degrés, il se pourvoit en cassation et sollicite, en même temps, le sursis à l’exécution de la décision d’appel.

L’existence de conséquences difficilement réparables résulte d’évidence de la perte de l’essentiel de ses revenus pendant au moins neuf mois.

L’existence d’un moyen paraissant, au fond, sérieux en l’état de l’instruction, résulte ici, selon le Conseil d’Etat, de ce que le pharmacien poursuivi, associé au sein d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL), soutenait qu’il ne pouvait voir sa responsabilité engagée pour des erreurs de délivrance de médicaments sans que les juridictions ordinales aient recherché et établi s'il était personnellement impliqué dans les actes fautifs reprochés. (15 juin 2018, M. X., n° 419044)

 

102 - Pourvoi dans l’intérêt de la loi – Jugement annulant la déclaration d’utilité publique d’une expropriation et un arrêté de cessibilité – Examen des seuls éléments de fait par le premier juge – Impossibilité de former en ce cas un recours dans l’intérêt de la loi.

Le ministre de l’Intérieur, usant de la très rare procédure du recours dans l’intérêt de la loi, demande au Conseil d’Etat d’annuler le jugement par lequel le tribunal administratif a annulé pour excès de pouvoir l’arrêté préfectoral déclarant d'utilité publique le projet d'aménagement du " Parc économique de la gare " sur le territoire des communes de Mauléon et Saint-Aubin-de-Baubigné et cessibles les immeubles nécessaires à l'aménagement de ce parc. 

La procédure en cause n’a qu’un caractère doctrinal, étant destinée surtout à prendre date pour l’avenir s’agissant d’un point de droit litigieux. Elle n’a donc aucun effet pratique, en particulier sur les parties à la décision éventuellement « annulée ». C’est pourquoi elle ne peut être utilisée que par un ministre et contre une décision qui n’est susceptible d’aucun recours, les délais étant expirés.

Le Conseil d’Etat constate que le reproche du ministre porte sur l’appréciation faite par le tribunal des éléments de fait du litige (disponibilité d’autres terrains, atteintes excessives à la propriété privée…), ce qui ne peut être présenté à l’appui d’un recours dans l’intérêt de la loi et rejette le recours dont l’a saisi le ministre.  (18 juin 2018, Ministre de l’Intérieur, n° 409279 ; v. aussi du même jour avec le même requérant, le n° 416325)

 

103 - Amende pour recours abusif – Utilisation successive de deux référés différents – Opposition à une ordonnance d’expulsion – Infliction d’une amende par le tribunal administratif – Erreur de qualification juridique.

Le Conseil d’Etat estime que ce n’est que par une erreur de qualification juridique que les premiers juges ont aperçu dans la formation de deux référés différents et successifs dans la même affaire un comportement abusif dès lors que le requérant invoquait au soutien de son second recours un moyen nouveau tiré de la violation de l’art. 3 de la Convention EDH. On peut ne pas approuver une analyse qui permet, à coup d’invocations de textes, de favoriser à l’excès les comportements dilatoires des plaideurs.

En outre, répondant au ministre de l’Intérieur qui estimait que l’Etat ne saurait être la partie perdante alors que la décision annulée était le fait du juge agissant spontanément, le Conseil d’Etat condamne l’Etat aux dépens. Là aussi la solution se discute… (18 juin 2018, M. X., n° 413619 ; v. aussi, estimant inexacte la qualification d’une requête comme étant abusive : 13 juin 2018, M. X., n° 409613)

 

104 - Juridiction ordinale – Procédure disciplinaire – Règles de procédure applicables – Note en délibéré – Obligation d’en prendre connaissance et de la viser – Absence – Annulation.

Rappel de ce que la règle de procédure existant devant les juridictions administratives de droit commun selon laquelle il est fait obligation à la juridiction saisie de viser toutes les productions postérieures à la clôture de l'instruction est applicable à toutes les juridictions ordinales. Ici il s’agissait de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes. C’est là une « règle générale » qui oblige donc à prendre connaissance des notes en délibéré et à les viser dans le jugement. Son omission frappe de nullité la procédure suivie. (27 juin 2018, M. X., n° 418670 et n° 419377)

 

105 - Appel – Effet dévolutif – Office du juge – Moyen non repris ni abandonné en appel – Obligation d’y répondre en l’absence d’inopérance.

Rappel d’un principe constant de la procédure d’appel.

La juridiction d’appel, en vertu du principe de l’effet dévolutif de l’appel, est saisie d’une part, de tous les moyens de première instance expressément repris en appel, d’autre part, de ceux des moyens non expressément repris ni abandonnés en appel dès lors, pour ces derniers, qu’ils ne sont pas inopérants. (20 juin 2018, Société Sarom et M. X., n° 413734 ; v. aussi, dans le même sens, du même jour, sous le n° 412842, M. X.)

 

106 - Contentieux sociaux – Requête manifestement irrecevable – Obligation d’une invitation à régulariser – Notification de l’invitation à régulariser – Conditions de régularité de la notification – Conséquences.

Soucieux de tenir compte de certains particularismes des personnes bénéficiaires de prestations sociales de tous ordres, le pouvoir réglementaire a aménagé diverses règles de la procédure contentieuse en les assouplissant. Notamment, alors que dans les contentieux de droit commun il existe des cas d’irrecevabilité manifeste des requêtes entraînant ipso facto leur rejet, dans les contentieux sociaux un tel rejet ne peut intervenir qu’après une invitation à régulariser étant donné la gravité des conséquences, spécialement financières, pouvant en résulter pour les intéressés souvent peu fortunés.

Le litige concernait ici un dysfonctionnement dans la notification de l’invitation à régulariser et il était centré sur la notion de « notification régulière ». Le principe est que doit être considéré comme irrégulière la notification contenue dans un courrier qui n’a pas pu être remis à son destinataire par suite d’une défaillance du service postal : celui-ci n’a pas remis le pli au domicile du destinataire ou, s’y étant en rendu mais en vain, a omis d’adresser un avis de mise en instance ou encore n’a pas conservé le pli durant le délai réglementaire de garde. En revanche, et bien évidemment la non remise par suite du refus de l’intéressé de recevoir ce courrier n’empêche pas sa notification d’être régulière.

En l’espèce, le juge relève d’une part que le pli contenant l'invitation à régulariser sa requête adressée à Mme X. le 15 juin 2017 a été retourné au tribunal revêtu de la mention « défaut d'accès ou d'adressage » et d’autre part, que cependant la requérante a réceptionné le 13 septembre suivant, à la même adresse, l'ordonnance rejetant son opposition à contrainte. Créant alors une présomption (déduction à partir de faits connus un fait inconnu), il estime que « dans les circonstances particulières de l'espèce, l'invitation faite à Mme X. de régulariser sa requête ne peut être regardée comme lui ayant été régulièrement notifiée et la requérante s'est trouvée privée de la garantie prévue par les dispositions précitées de l'article R. 772-6 du code de justice administrative ». (20 juin 2018, Mme X., n° 414681)

 

107 - Exécution des jugements (art. L. 911-7 CJA) – Astreinte – Règles de liquidation – Notions d’inexécution totale ou partielle, ou d’inexécution tardive – Jugement entièrement exécuté.

Commet une erreur de droit le juge de l’exécution des décisions de justice (art. L. 911-7 CJA) qui, pour dire n’y avoir pas lieu à liquider l’astreinte, le jugement ayant été entièrement exécuté, ne s’interroge pas, en violation de l’article précité, sur le point de savoir si cette complète exécution a été, ou non, tardive. (21 juin 2018, M. X., n° 413883)

 

108 - Office du juge des référés – Possibilité de statuer successivement comme juge du référé puis comme juge du fond – Conditions et limites – Interdiction pour le juge du référé de préjuger de l’issue du litige au principal – Principe d’impartialité.

Dans le cadre d’un litige afférent à un retrait de permis de conduire pour perte de la totalité des points, le Conseil d’Etat rappelle les principes applicables au magistrat qui, dans une même affaire, statue successivement comme juge du référé puis comme juge du principal.

Tout d’abord, cette situation est en principe possible puisqu’il s’agit de deux jugements portant chacun sur un litige distinct. Par le premier, en urgence et en l’état d’un examen sommaire du dossier, le juge des référés se prononce à titre provisoire et sans que son ordonnance soit revêtue de l’autorité de chose jugée. Par le second, il tranche le principal du litige à titre définitif et au moyen d’un jugement revêtu de l’autorité de chose jugée. Toutefois, cette possibilité de statuer successivement sur un même litige, fût-ce à des titres et selon des modalités distinctes, n’est reconnue que sous réserve que soit sauf le principe d’impartialité lequel impose notamment que l’ordonnance de référé ne préjuge pas de la solution qui sera donnée au principal du litige. A défaut serait violé le principe d’impartialité.

En l’espèce, l’automobiliste avait saisi, à la fois, le juge des référés d’une demande de suspension du retrait de son permis de conduire, retiré pour cause de solde de points nul, et le juge du fond d’une demande d’annulation pour excès de pouvoir du retrait du permis. Or le juge des référés avait rejeté la première demande en raison de la forclusion entachant sa requête sur le principal du litige. Ce faisant il préjugeait donc de la solution qui serait rendue sur son recours pour excès de pouvoir et comme c’est la même personne qui a jugé les deux dossiers, l’atteinte à l’impartialité était évidente, d’où la cassation encourue. (27 juin 2018, M. X., n° 415240)

 

109 - Référé liberté – Interdiction de circuler sur une voie publique – Voie constituant l’unique accès à une propriété privée et desservant un groupe scolaire ainsi que son parking – Appel ne comportant pas d’élément nouveau – Rejet.

Un arrêté du maire de la commune de Centuri (Haute Corse) interdit le stationnement de tout véhicule aux abords des écoles et décide l'installation d'une barrière à l'entrée de la voie permettant d'accéder au parking de l'école ainsi qu'au garage et à la maison d'habitation du requérant. Cette voie est une voie publique ouverte à la circulation.

M. X. a saisi le juge du référé liberté du tribunal administratif de Bastia en lui demandant d’enjoindre à la commune de libérer la portion de voie communale permettant d’accéder à sa propriété. Le tribunal lui donne satisfaction dès lors qu’étaient réunies toutes les conditions nécessaires à l’exercice d’une liberté fondamentale (art. L. 521-2 CJA). La commune interjette en vain appel de cette ordonnance car le Conseil d’Etat n’aperçoit dans le dossier d’appel « aucun élément nouveau de nature à infirmer l'appréciation ainsi portée par le juge des référés de première instance. » (21 juin 2018, M. X., n° 421384)

 

110 - Prix des tabacs manufacturés – Procédure d’homologation des prix de vente au détail – Obligation de communiquer ces prix à un intermédiaire agréé ou à l’administration au moyen d’une adresse électronique fonctionnelle – Allégation de violation du secret des affaires – Illégalité par voie de conséquence.

Etait contesté par une société un arrêté portant homologation des prix de vente au détail des tabacs manufacturés en France. En effet, par une lettre du 6 avril 2016, la direction générale des douanes et des droits indirects a invité les fabricants de produits du tabac, dont la société Manufacture de tabacs Heintz van Landewyck, à déposer les prix qu'ils souhaitaient présenter à l'homologation. Cette lettre précisait que les fabricants de produits du tabac n'ont pas accès à l'application dédiée dite " Soprano-Delphes " mais qu'ils doivent communiquer leurs prix, soit directement à un fournisseur agréé qui les intègre ensuite dans cette application, soit à l'administration elle-même, par l'intermédiaire d'une adresse électronique fonctionnelle, à charge pour cette dernière de les transmettre au fournisseur agréé désigné par le fabricant. La société requérante demande l'annulation de l'arrêté d'homologation des prix des produits du tabac du 24 juin 2016, adopté à l'issue de cette procédure, en tant qu'il n'a pas homologué les prix de certains des produits qu'elle distribuait antérieurement sur le marché français et, par voie de conséquence, en tant qu'il a abrogé l'arrêté du 4 février 2015 modifié qui incluait ces prix. Dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté attaqué, à laquelle s'apprécie la légalité de ce dernier, l'article 284 de l'annexe II CGI prévoyait que seuls les fournisseurs agréés communiquent à la direction générale des douanes et des droits indirects les prix de vente au détail des tabacs manufacturés, ce dont il résultait que les fabricants de ces produits devaient transmettre aux fournisseurs agréés les prix qu'ils souhaitaient présenter à l'homologation. La société requérante demande au Conseil d’Etat de dire illégale une procédure qui porte atteinte, selon elle, au secret des affaires. Or, par une décision du 7 février 2018, le Conseil d’Etat a jugé « qu'eu égard aux liens capitalistiques qui unissent certains fournisseurs agréés à des fabricants de produits du tabac et à la nature des informations collectées sur les prix, qui révèlent la stratégie commerciale des fabricants de produits du tabac, les dispositions du décret du 7 juin 2016 modifiant l'article 284 de l'annexe II au code général des impôts portent une atteinte illégale au secret des affaires en tant qu'elles ne permettent pas aux fabricants de produits du tabac de communiquer directement leurs prix à l'administration. » Rappelant une jurisprudence constante, les juges du Palais-Royal énoncent que « en raison des effets qui s'y attachent, l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, emporte, lorsque le juge est saisi de conclusions recevables, l'annulation par voie de conséquence des décisions administratives consécutives qui n'auraient pu légalement être prises en l'absence de l'acte annulé ou qui sont en l'espèce intervenues en raison de l'acte annulé. Il en va ainsi, notamment, des décisions qui ont été prises en application de l'acte annulé et de celles dont l'acte annulé constitue la base légale. Il incombe au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il est saisi de conclusions recevables dirigées contre de telles décisions consécutives, de prononcer leur annulation par voie de conséquence, le cas échéant en relevant d'office un tel moyen qui découle de l'autorité absolue de chose jugée qui s'attache à l'annulation du premier acte. » En l’espèce, le décret annulé du 7 juin 2016 constituait la base légale de l’arrêté attaqué, celui-ci doit donc être annulé par voie de conséquence. (27 juin 2018, Société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck, n° 401333)

 

111 - Obligation pour le juge de statuer sur l’ensemble des demandes dont il est saisi – Prohibition de l’ultra petita – Cas en l’espèce – Annulation.

Doit être annulé l’arrêt d’une cour d’appel qui, invitée à attribuer une somme de 5000 euros au titre de l’art. L. 761-1 CJA (frais irrépétibles), en accorde le double, statuant ainsi irrégulièrement au delà de ce qui lui avait été demandé. (25 juin 2018, Association Ourcq Ensemble, la société Câblerie Daumesnil, la SCI Vaduz, la SCI du 93 Lolive, la SARL Tim Pouce et la SCI Chekroun Bis, n° 409261)

 

112 - Référé précontractuel – Référé contractuel – Exigence d’information de la partie adverse – Avis du dépôt d’un référé au tribunal administratif – Absence d’obligation d’adresser également l'accusé de réception du dépôt et de l'enregistrement de la demande délivré par télérecours.

Sa candidature à un marché de prestations de services d'assurance responsabilité civile hospitalière et risques annexes ayant été rejetée, la société requérante a introduit un référé précontractuel tendant à l’annulation de la décision de rejet de son offre, à la reprise de la procédure au stade de l’examen des offres, à l’annulation de la procédure de passation du marché et, enfin, à ce que soit enjointe la communication de divers documents afférents à la décision de désignation des attributaires dudit marché. Puis, informée de la signature du marché, elle a saisi le juge d’un référé contractuel aux fins d’annulation du marché ainsi conclu et de communication de divers documents. Le juge des référés de première instance a décidé qu’il n’y avait pas lieu à statuer sur l’action en référé précontractuel et rejeté la demande de référé contractuel.

Le Conseil d’Etat annule la décision de non-lieu à statuer.

En effet, il résulte des dispositions de l’art. L. 551-4 CJA que : « Le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu'à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle ». Or le juge du tribunal administratif avait estimé que si la société requérante avait bien adressé au pouvoir adjudicateur un courrier l'informant du dépôt d'un référé précontractuel devant le tribunal, en lui joignant la copie de sa demande, elle n'avait cependant pas envoyé à celui-ci l'accusé de réception du dépôt et de l'enregistrement de sa demande, délivré automatiquement par l'application télérecours, seul élément de nature à établir la saisine du tribunal. Le référé précontractuel ne pouvant être regardé comme ayant été régulièrement notifié au pouvoir adjudicateur, le juge a estimé qu’il n’y avait pas lieu à statuer sur cette demande.

En réalité, le pouvoir adjudicateur, lorsqu'est introduit un recours en référé précontractuel dirigé contre la procédure de passation d'un contrat, doit suspendre la signature de ce contrat à compter, soit de la communication du recours par le greffe du tribunal administratif, soit de sa notification par le représentant de l'Etat ou par l'auteur du recours (art. R. 551-1 CJA). Il n’est nulle part question dans ce code d’une formalité supplémentaire. En ajoutant ainsi une condition que le texte ne prévoit pas le premier juge a commis une erreur de droit. (25 juin 2018, Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 417734)

 

113 - Désistement d’office – Art. R.611-8-1, alinéa 2 du CJA – Mémoire récapitulatif - Ordonnance de donné acte d’un désistement – Expiration du délai accordé pour la production d’un mémoire récapitulatif – Pouvoirs du juge.

L’art. R. 611-8-1 du CJA dispose que le président de la formation de jugement peut demander à l’une des parties de produire un mémoire récapitulatif avec indication du maintien de tout ou partie des moyens et conclusions dont elle avait initialement saisi la juridiction. Lorsque ce magistrat assortit cette demande d’un délai pour effectuer cette production, à l’expiration de ce délai et en l’absence de production dudit mémoire la partie concernée est réputée s’être désistée, à la condition toutefois qu’elle ait été avisée des conséquences du non-respect du délai imparti.

D’une part, ne peu(ven)t être discuté(s) le(s) motif(s) à l’origine de la demande de production du mémoire récapitulatif.

D’autre part, l’art. R. 611-8-1 CJA ne peut pas être utilisé lorsque n’a été produit qu’un mémoire introductif d’instance ou d’appel.

En l’espèce, il existait, outre le mémoire de la société demanderesse, un autre mémoire. C’est donc sans erreur de droit qu’a été mise en œuvre l’art. R. 611-8-1 CJA et que, faute de respect du délai fixé, a été rendue une ordonnance donnant acte du désistement. (25 juin 2018, Société L'Immobilière Groupe Casino, n° 416720)

 

114 - Rapporteur public – Communication préalable du sens de ses conclusions – Mention insuffisante pour connaître ce sens – Annulation du jugement.

Dans un litige en responsabilité le rapporteur public fait savoir aux parties que le sens des conclusions qu’il va prononcer sera le suivant « satisfaction partielle ». Le Conseil d’Etat juge, avec raison, qu’une telle mention ne permet pas de savoir quelle est la position du rapporteur public sur le montant de l'indemnisation qu'il proposait de mettre à la charge de l'Etat. Ainsi, cette communication préalable incomplète ne remplissait pas son but, d’où l’annulation du jugement subséquent. (7 juin 2018, M. X., n° 406207) V. aussi n° 125

 

115 - Dysfonctionnement prétendu de la justice administrative – Demande d’indemnisation – Refus – Confirmation en cassation.

La société demanderesse estimait qu’une juridiction administrative avait commis une faute en annulant une expertise qu’elle avait ordonnée et qu’elle estimait irrégulière, sans désigner un nouvel expert pour procéder à une nouvelle expertise. Le Conseil d’Etat rejette le recours car la faute alléguée résulterait, si elle existait, du contenu même de la décision juridictionnelle et n’en serait pas détachable ; de plus, n’est invoquée aucune violation du droit de l’Union européenne, hypothèse qui permettrait de passer outre à la condition précédente. (7 juin 2018, Société La Coccinelle, n° 409805)

 

Professions réglementées

 

116 - Accès à la profession de notaire – Création d’un nouvel office notarial – Candidatures excédentaires – Ordre d’arrivée fixé par tirage au sort – Conditions de régularité – Conditions satisfaites en l’espèce.

Etait contesté un arrêté du garde des sceaux organisant le tirage au sort en cas de pluralité de candidatures à l’obtention d’un office notarial nouvellement créé, ces candidatures devant être déposées par voie télématique dans les vingt-quatre de la date d’ouverture de dépôt des demandes.

Le requérant estimait que la procédure ainsi instituée n’offrait pas des garanties suffisantes tant en ce qui concerne les modalités du tirage au sort lui-même – en particulier son absence de caractère public - que concernant les conditions de la conservation sécurisée des bulletins jusqu’au jour du tirage. Après avoir examiné de façon détaillée les conditions d’organisation d’un tel tirage au sort (conditions du tirage, agents du ministère susceptibles d’accéder au processus, constitution et conservation des bulletins à tirer au sort, accessibilité à l’ordre de tirage et aux listes ainsi constituées, etc.), le juge rejette la requête. (29 juin 2018, M. X., n° 407234 ; v. aussi cette même décision rapportée au n° 96)

 

117 - Accès à la profession de notaire – Candidature à un office nouvellement créé – Conditions générales d’aptitude à exercer les fonctions de notaire – Rejet de la demande de nomination pour non satisfaction aux conditions générales d’aptitude – Règles de forme à respecter pour opposer un tel refus – Irrégularité en l’espèce – Suspension ordonnée à bon droit par le juge des référés.

M. X., ancien avocat, sollicite la nomination dans l’un des offices notariaux nouvellement créés et pour lequel il a été classé, par tirage au sort, premier pour l’un deux et deuxième pour l’autre. Le ministre a refusé cette nomination pour non satisfaction par l’intéressé des conditions générales d’aptitude à l’exercice des fonctions de notaire. Le juge des référés donne raison à M. X., qui l’avait saisi, en suspendant l’exécution du refus ministériel, c’est-à-dire en ordonnant, par voie de conséquence, sa nomination. Le ministre saisit le Conseil d’Etat. Son recours va être rejeté. Aucun des moyens invoqués par lui n’ayant trouvé grâce aux yeux de ce dernier.

Tout d’abord, c’est à bon droit que le tribunal administratif s’est reconnu compétent pour connaître du litige car celui-ci ne porte pas sur le principe de la création de l'office pour lequel l'intéressé a déposé sa candidature, mais sur l'appréciation de l'aptitude du demandeur aux fonctions de notaire, laquelle constitue un acte individuel ne relevant pas du Conseil d’Etat en premier et dernier ressort.

Ensuite, il ressort des éléments du dossier qu’il y a bien en l’espèce urgence (difficultés matérielles dans l’exercice de sa fonction, précédente, d’avocat ; candidat bien placé aux tirages au sort pour l’ordre d’examen des candidatures ; nomination imminente des nouveaux notaires ; risque d’atteinte plus grave à l’intérêt général en cas d’annulation postérieure de la décision ministérielle qu’en cas de suspension).

Enfin, il existe au moins deux doutes sérieux sur la légalité de la décision querellée : insuffisance de motivation et non respect du principe du contradictoire. (25 juin 2018, M. X., n° 412970 ; v. aussi, en tous points semblable : 25 juin 2018, Ministre de la Justice, n° 414866)

 

118 - Pédicure podologue – Diplôme d’Etat et diplôme universitaire – Absence de reconnaissance du second par l’ordre des pédicures-podologues – Contrôle entier du juge sur les motifs de la décision.

Il était demandé au conseil national de l’ordre des pédicures-podologues de reconnaître un diplôme universitaire de podologie et biomécanique de l’appareil locomoteur délivré par l’université de Paris-Est Créteil. Le silence gardé sur cette demande valant rejet, le Conseil d’Etat est saisi. Il valide en tous points les motifs de ce refus et donc ce refus lui-même. En particulier, il relève, comme le conseil national de l’ordre, l’absence d’intérêt novateur de ce diplôme et l’absence d’intérêt pour les professionnels et les patients. Pour aboutir à cette conclusion, il constate que les enseignements contenus dans ce projet de diplôme, tout en étant très largement redondants avec ceux du diplôme d’Etat, comportent cependant un nombre d’heures sensiblement réduit par rapport à ce dernier. Par suite, le conseil national n’a pas commis d’erreur de droit ni d’inexactitude matérielle en retenant que ce diplôme universitaire ne sanctionne pas l'acquisition de connaissances et compétences allant au-delà de celles qui doivent être détenues par les pédicures podologues titulaires du diplôme d'Etat. (20 juin 2018, Société Institut national de podologie, n° 408347)

 

Question prioritaire de constitutionnalité (v. aussi n°s 16, 58 et 65)

 

119 - Tabacs – Fixation des prix de vente minima – Arrêté interministériel – Exercice du pouvoir réglementaire – Compétence du seul premier ministre ou, le cas échéant, du chef de l’Etat – Violation de l’art. 21 de la Constitution – Incompétence négative du législateur (non) – Atteinte à la liberté d’entreprendre et au principe de libre concurrence (non) – Objectif de santé publique – Absence de renvoi au Conseil constitutionnel.

Ne peut donner lieu à QPC la question de savoir si a été respectée ou non la règle de compétence posée à l’art. 21 de la Constitution en matière d’exercice du pouvoir réglementaire, celle-ci ne relevant pas des droits et libertés garantis par la Constitution au sens et pour la mise en œuvre d’une QPC.

Les dispositions du code général des impôts interdisant aux fabricants de produits du tabac de diminuer leurs prix de vente, parce qu’elles poursuivent un objectif de santé publique, ne portent pas une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre et au principe de libre concurrence. Elles ne sauraient faire sérieusement l’objet d’un renvoi en QPC. (29 juin 2018, Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA) et Société British American Tobacco France, n° 415947 et n° 416031)

 

120 - Cotisations foncières des entreprises – Exonération pour certains ports seulement (art. 1449, 2° CGI) – Invocation d’une atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques – Caractère sérieux – Renvoi de la QPC au C.C.

Le moyen soulevé au soutien d’une QPC, tiré de ce que les dispositions du 2° de l’art. 1449 CGI  portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce que le bénéfice de l'exonération fiscale qu'elles instituent au profit des activités d'exploitation d'outillages et équipements dans les ports autres que les ports de plaisance est réservé aux personnes qu'elles énumèrent, à l'exclusion des sociétés commerciales de droit commun, ainsi d'ailleurs que des sociétés publiques locales, soulève une question présentant un caractère sérieux. (29 juin 2018, Société d'exploitation des moyens de carénage (SEMCAR), n° 419930)

 

121 - Notion de loi applicable au litige dans le cadre d’une QPC – Loi du 30 décembre 2017 organisant l’arrêt progressif de la recherche et de l’exploitation d’hydrocarbures en France.

Les demanderesses en QPC invoquent des dispositions législatives dont le contenu est susceptible de faire obstacle aux conclusions aux fins d'injonction qu’elles ont présentées en défense devant la cour administrative d'appel. Par suite, ces dispositions doivent, de ce fait, être regardées comme étant applicables au litige au sens et pour l’application des dispositions constitutionnelles relatives à la procédure de la QPC. (27 juin 2018, Société Esso Guyane française Exploitation et Production SAS (EGFEP) et Société Total EetP Guyane française SAS (TEPGF), n° 419316)

 

Responsabilité

 

122 - Désignation d'un nouveau grand chef au sein des clans de la tribu d'Unia (Nouvelle-Calédonie) – Décision coutumière d’expulser l’un des clans – Absence d’exercice du recours coutumier contre la décision d’expulsion – Destruction de biens mobiliers et immobiliers – Intervention insuffisante des forces de l’ordre – Échec d’une médiation – Responsabilité de l’Etat à raison d’attroupements et rassemblements (non) – Responsabilité de l’Etat pour faute dans l’exercice de son pouvoir de police (non) – Responsabilité sans faute à prouver de l’Etat – Absence de caractère anormal d’un préjudice en conformité avec les règles coutumières.

Droit coutumier néo-calédonien et droits de l’homme ne font pas bon ménage comme vont l’apprendre à leurs dépens M. et Mme X. (et bien d’autres personnes comme on le voit au bas de cette notice). A la suite d’un litige né lors de la désignation d'un nouveau grand chef au sein des quatorze clans de la tribu d'Unia (Nouvelle-Calédonie) du fait de l’opposition de l’un des clans, la tribu d’Unia a décidé l’expulsion des membres de ce clan des terres de la tribu. Ceux-ci ayant quitté les lieux sous la protection des forces de l’ordre, leurs biens meubles et immeubles ont été pillés ou détruits.  Les époux X. ont entendu réclamer réparation à l’Etat. Le tribunal administratif de Nouméa a rejeté leur demande fondée sur la faute qu’aurait commis l’Etat en sa qualité d’autorité de police car aucune faute ne peut être reprochée en l’espèce ; il n’a pas davantage retenu sa responsabilité du fait des dommages résultant d’un attroupement ou rassemblement. En revanche, il retient la responsabilité sans faute pour rupture de l'égalité devant les charges publiques en raison de la perte matérielle de leurs biens mobiliers et immobiliers et de leur préjudice moral. En appel, la cour administrative d’appel de Paris, a, d’une part, confirmé l’absence de responsabilité au titre d’un attroupement, et d’autre part, inversant ce jugement, elle refusé d’apercevoir une responsabilité non fautive et fondé l’indemnisation des demandeurs sur la responsabilité pour faute commise dans l’exercice des pouvoirs de police. Devant ce bel imbroglio, le Conseil d’Etat va trancher net : il n’y a en l’espèce aucune responsabilité de l’Etat à quelque titre que ce soit. C’est en commettant une erreur de droit que la cour a jugé qu’il y avait eu faute ; le Conseil d’Etat n’en aperçoit aucune. Ensuite, la cour ayant refusé d’engager sans faute la responsabilité de la puissance publique au motif que les victimes n’ont pas contesté la décision coutumière en exerçant les voies de recours coutumières et ayant jugé que la faute de la victime est toujours exonératoire en cette matière, le Conseil d’Etat casse sa décision car ce motif ne pouvait être opposé qu’à la perte d’usage de leur habitation non à la destruction de celle-ci. Egalement, ne peut être qualifié d’attroupement ou rassemblement au sens de l’art. L. 211-10 du code de la sécurité intérieure un comportement de caractère prémédité et organisé pour provoquer le départ des intéressés et faire obstacle à leur retour. Enfin, nulle rupture de l’égalité devant les charges publiques ne se rencontre ici car selon les juges du Palais-Royal « les préjudices allégués par les intéressés, résultant tant de la perte d'usage de leur habitation que de la destruction de leurs biens immobiliers et mobiliers, n'excèdent pas, dans les circonstances de l'espèce, les aléas auxquels ils se sont exposés en qualité d'occupant sans titre des terres de la tribu d'Unia à compter du 30 juin 2010, alors qu'un délai de quinze jours leur avait été laissé pour prendre leurs dispositions, dans un contexte de violence généralisée dans lequel, pour regrettable qu'elle soit, la destruction des biens constituait une pratique courante et connue d'eux. » Solution sévère sans doute commandée par les circonstances locales et la volonté de ne pas voir se développer un contentieux récurrent et fréquent ; reste qu’une telle solution est très amère pour le juriste et très pathogène pour l’Etat de droit. (28 juin 2018, M. et Mme X. et ministre des outre-mer, n° 406496 et n° 408309 ;  v. aussi, analogues en tous points, du même jour, les quarante-deux autres décisions : n° 406458, n° 406459, n° 406460, n° 406461, n° 406462, n° 406463, n° 406464, n° 406465, n° 406466, n° 406469, n° 406471, n° 406472, n° 406473, n° 406475, n° 406476, n° 406477, n° 406478, n° 406479, n° 406480, n° 406483, n° 406485, n° 406486, n° 406489, n° 406490, n° 406491, n° 406492, n° 406493, n° 406499, n° 406500, n° 406501, n° 406502, n° 406504, n° 406506, n° 406507, n° 406508, n° 406517, n° 406518, n° 406519, n° 406520, n° 406521, n° 406522, n° 406523)

 

123 - Patiente suicidaire multirécidiviste – Accueil dans un centre hospitalier spécialisé en psychiatrie – Fugue réussie – Suicide entraînant une paraplégie – Absence de faute de l’établissement retenue par les premiers juges – Annulation.

Une adolescente ayant à plusieurs reprises tenté de se suicider est admise dans un centre hospitalier spécialisé (CHS) en psychiatrie d’où elle réussit à échapper à la surveillance du personnel, ce qui permet une tentative de suicide qui la laisse paraplégique. La responsabilité du centre hospitalier est recherchée par la famille, en vain en première instance et en appel. Le Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi contre l’arrêt d’appel annule celui-ci en relevant plusieurs faits dont la réunion lui semble constitutive d’une faute. La victime avait déjà fugué d’un précédent établissement, elle avait tenté, durant son séjour au CHS, de s’auto-stranguler, elle s’était vu interdire de porter d’autres vêtements qu’un pyjama sauf pour certains exercices, etc. Précisément, au retour de l’un de ces exercices et alors qu’elle avait conservé sur elle ses vêtements de ville, elle a réussi à quitter sa chambre et à fuguer, passant ainsi inaperçue des deux gardiens censés prévenir ce genre de comportement. En apercevant, dans ces circonstances, une faute de l’hôpital le Conseil d’Etat nous semble avoir fait une appréciation très exacte des faits. (18 juin 2018, Mme X. et autres, n° 411049)

 

124 - Agent public – Allégation de harcèlement moral – Demande indemnitaire – Action mal dirigée contre l’Etat au lieu de la ville de Paris – Condamnation de l’Etat – Rappel d’une règle financière classique.

Cette décision, relative à l’indemnisation de faits de harcèlement moral aboutissant à la condamnation de l’Etat, est surtout à retenir pour le rappel d’un principe bien connu mais assez peu utilisé en définitive. Les faits reprochés mettaient en cause le préfet de police agissant comme autorité municipale de la ville de Paris non comme autorité de l’Etat. Par suite, les premiers juges ont commis une erreur en mettant l’indemnisation à la charge de l’Etat car, ce jugeant, ils ont méconnu « le principe selon lequel une personne morale de droit public ne saurait être condamnée à payer une somme qu'elle ne doit pas ». (20 juin 2018, ministre de l’Intérieur, n° 411046)

 

124 - Titre de perception – Demande d’annulation du titre et de décharge de l’obligation de payer – Obligation de réclamation préalable obligatoire au comptable chargé du recouvrement du titre – Assurance de protection juridique – Réclamation préalable effectuée par l’assureur ou l’un de ses préposés – Fin de non-recevoir non fondée.

L’art. 118 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique fait obligation à celui qui conteste devoir payer une somme fixée par un titre de perception, d’adresser au comptable chargé du recouvrement du titre toute justification utile dans le cadre d’une réclamation préalable à la saisine du juge. Lorsque l’intéressé bénéficie d’un contrat d’assurance de protection juridique, son assureur ou l’un des préposés de ce dernier peut valablement présenter un recours administratif ou une réclamation préalable sans avoir à produire un mandat exprès de l’assureur ou une délégation de signature donnée à son préposé. (7 juin 2018, Mme X., n° 412744)

 

125 - Incorporation en vue du service militaire dans la marine – Test de dépistage du VIH – Absence de consentement de l’intéressé – Absence de faute au regard du droit de l’époque.

Le requérant sollicite la réparation du préjudice d'impréparation qu'il aurait subi suite à un dépistage sérologique du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) sans en avoir été informé au préalable pendant son service militaire. Il résulte du droit alors applicable que le consentement du patient à un tel dépistage n’était pas exigé : ainsi le service de santé des armées n’a pas manqué en l’espèce à son devoir d’information ; l’action à fins indemnitaires est rejetée. (7 juin 2018, M. X., n° 406207 ; v. aussi n° 114)

 

126 - Principe de la réparation intégrale du préjudice – Erreur en l’espèce – Annulation – Frais engagés pour déterminer l’étendue d’un préjudice – Mise à la charge de l’organisme chargé de l’indemnisation.

A la suite d’une action indemnitaire du chef de dommages subis du fait d’une vaccination obligatoire contre l’hépatite B, la cour administrative d’appel, tout en relevant l’existence certaine d’un lien direct de causalité entre la vaccination et les dommages corporels subis, a fixé à 25% la part des troubles liés à cette vaccination et a, en conséquence, accordé réparation dans cette proportion. Le Conseil d’Etat rejette ce raisonnement motif pris de ce que l'ensemble des frais en cause aurait pu être évité si l'ONIAM avait accepté d'accorder aux requérants l'indemnité qui leur était due ; par suite en limitant à 25% le taux de réparation la cour a méconnu le principe de réparation intégrale du préjudice et commis une erreur de droit. Par ailleurs, les notes d’honoraires médicaux pour l’établissement des documents qui ont été demandés par les intéressés aux fins de déterminer l'étendue des préjudices résultant de la vaccination de Mme X., étaient destinés à faire valoir leurs droits à indemnisation par l'ONIAM. Ils devaient donc, contrairement à ce qu’a jugé la cour, être mis à la charge de l’ONIAM. (15 juin 2018, Mme X. et autres, n° 409961)

 

Santé publique

 

127 - Directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) – Compétence contentieuse pour connaître des recours dirigés contre certaines de ces décisions – Cas de la récupération au titre de la minoration des tarifs – Incompétence de la juridiction administrative de droit commun.

Il résulte des dispositions de l’art. L. 351-1 du code de l’action sociale et des familles que « Les recours dirigés contre les décisions prises par (...) le directeur général de l'agence régionale de santé (...) déterminant les dotations globales, les dotations annuelles, les forfaits annuels, les dotations de financement des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation, les remboursements forfaitaires, les subventions obligatoires aux établissements de santé mentionnés à l'article L. 4383-5 du code de la santé publique, les prix de journée et autres tarifs des établissements et services sanitaires (...) de statut public ou privé (...) sont portés, en premier ressort, devant le tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale ».

Le Conseil d’Etat était saisi d’un recours contre une décision de ce directeur fixant le montant des sommes à récupérer auprès d'un établissement au titre de la minoration des tarifs, par application des dispositions, alors en vigueur, de l'article R. 162-42-1-8 du code de la sécurité sociale. Une telle décision ne constituant pas une sanction, le recours contre celle-ci relève donc du régime de droit commun du contentieux des actes du directeur de l’ARS. Le tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale était seul compétent pour en connaître. Comme ce dernier avait jugé le contraire, créant ainsi une contrariété entre les deux décisions, la sienne et celle du Conseil d’Etat, ce dernier règle de juges en ces termes : « en raison de la contrariété existant entre ce qui vient d'être dit et l'ordonnance (…) devenue définitive, par laquelle le président du tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale de Nantes a rejeté la requête de la clinique Bretéché Viaud tendant aux mêmes fins comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, il y a lieu, en vertu des pouvoirs généraux de régulation de l'ordre juridictionnel administratif dont le Conseil d'Etat statuant au contentieux est investi, de déclarer cette ordonnance nulle et non avenue. » (20 juin 2018, Clinique Bretéché Viaud, n° 419300)

 

Urbanisme

 

128 - Recours contre une carte communale – Avis défavorable de la chambre départementale d’agriculture – Invitation faite à la commune de prendre une délibération à fin de régularisation – Contestation de la nouvelle délibération – Demande d’annulation de la décision qu’elle contient – Moyens susceptibles d’être alors invoqués – Limitation stricte – Rejet du recours.

Saisi d’un recours contre une délibération municipale approuvant une carte communale, le Conseil d’Etat, dans une importante décision (Section, 22 décembre 2017, Commune de Sempy, n° 395963), constatant l’absence de consultation préalable à la délibération communale de la chambre départementale d’agriculture, avait estimé que ce défaut était régularisable et, prononçant un sursis à statuer sur le recours, fait application de l’art. L. 600-9 c. urb. en invitant la commune à produire dans un délai de trois mois une délibération après consultation de cet organisme.

Cette nouvelle délibération a été attaquée : c’est l’objet de la présente décision de se prononcer sur la procédure à suivre et sur les moyens invocables en ce cas devant le juge saisi. Le Conseil d’Etat rappelle qu’il résulte de l'article L. 600-9 précité que les parties à l'instance ayant donné lieu à la décision de sursis à statuer en vue de permettre la régularisation de l'acte attaqué ne peuvent contester la légalité de cet acte que dans le cadre de cette instance. En conséquence, elles ne sont pas recevables à présenter devant le tribunal administratif une requête tendant à l'annulation de cet acte. Enfin, elles peuvent, à l'appui de la contestation de l'acte de régularisation, invoquer des vices affectant sa légalité externe et soutenir qu'il n'a pas pour effet de régulariser le vice que le juge a constaté dans sa décision avant-dire droit. Elles ne peuvent soulever aucun autre moyen, qu'il s'agisse d'un moyen déjà écarté par la décision avant-dire droit ou de moyens nouveaux, à l'exception de ceux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation. (29 juin 2018, M. X., n° 395963)

 

129 - Permis de construire – Ensemble immobilier unique – Ensemble comportant plusieurs bâtiments – Conditions de délivrance d’un unique permis – Existence de liens fonctionnels entre les différents bâtiments – Cas où certains bâtiments sont réalisés pour le compte de l’Etat et d’autres non – Compétence pour délivrer le permis.

Le préfet de Vaucluse ayant délivré à la communauté de communes Rhône-Lez-Provence un permis de construire unique pour l’édification, sur le territoire de la commune de Bollène, d'un ensemble de trois bâtiments à destination de bureaux pour son usage propre et de bureaux et logements destinés à la gendarmerie nationale, cette commune demande l’annulation dudit permis. Pour rejeter cette requête, le Conseil d’Etat rappelle opportunément deux principes constants en matière de permis unique de construire un ensemble immobilier.

En premier lieu, il est possible de recourir à un tel permis en cas de pluralité de bâtiments à construire lorsqu’il existe des liens physiques ou fonctionnels entre les différents bâtiments, à défaut il convient de solliciter un permis par unité fonctionnelle autonome. Dans ce second cas, il est imparti à l’autorité de délivrance de vérifier le respect par les différents permis de la cohérence globale qu’apporterait la délivrance d’un unique permis. Ici, le juge constate l’existence d’une voirie et d’évacuation des eaux pluviales communes ainsi qu’une étude paysagère globale pour les différents bâtiments à construire.

En second lieu, lorsqu’une partie seulement des bâtiments composant cet ensemble immobilier est édifiée pour les besoins de l’Etat, c’est tout de même le préfet qui est l’autorité compétente pour délivrer l’unique permis. (27 juin 2018, Commune de Bollène, n° 402896)

 

130 - Permis de construire – Refus – Annulation précédente d’un certificat d’urbanisme négatif – Méconnaissance par une cour de son arrêt antérieur (oui et non) – Substitution de motif en cassation – Pouvoir souverain des juges du fond.

S’étant vu refuser un permis de construire une maison d’habitation à proximité de son exploitation de maraîchage et d'élevage avicole, l’intéressé saisit, mais en vain, le tribunal puis la cour, d’où son pourvoi.

Il invoque le fait que par un arrêt définitif la cour administrative d'appel de Bordeaux avait annulé, pour erreur de droit, le certificat d'urbanisme négatif que lui avait délivré le maire de la commune, agissant au nom de l'Etat, aux motifs que le projet de construction était situé en dehors des parties actuellement urbanisées de la commune et qu’il serait de nature à compromettre les activités agricoles. Par suite, la cour ne pouvait pas, se contredisant, juger légal le refus de permis après avoir, dans son précédent arrêt, annulé le certificat d'urbanisme négatif au motif que le projet n'était pas de nature à porter atteinte à l'activité exclusivement agricole de la zone concernée et relevé l'erreur de droit commise par le maire en se fondant sur la situation de la parcelle en dehors des parties actuellement urbanisées de la commune. Le Conseil d’Etat admet cette critique.

Cependant, pour refuser le permis, le maire s’était également appuyé sur la circonstance que les serres de cultures maraîchères que le requérant exploitait ne nécessitaient pas sa présence à proximité de celles-ci. Dès lors que ce motif est de pur droit, qu’il répond au moyen soulevé devant les juges du fond et qu’il ne comporte aucune appréciation des éléments de fait, il peut être substitué au motif erroné retenu par la cour dont il justifie le dispositif.

Enfin, retenant que le requérant n’établissait pas en quoi les conditions de son exploitation auraient exigé sa présence aux abords de celle-ci, le juge conclut à la régularité du refus de permis de construire. (20 juin 2018, M. X., n° 407589)

 

131 - Permis de construire – Délivrance par le maire – Permis relatif à un établissement recevant du public – Compétence du maire agissant au nom de l’Etat – Cumul des deux compétences.

Une ordonnance de référé décide la suspension d’un arrêté municipal accordant un permis de construire au motif, soulevé d’office par le juge, que le maire, autorité communale, ne pouvait autoriser la construction d’un établissement recevant du public (hôtel), cela relevant d’une compétence étatique. Le Conseil d’Etat estime qu’il résulte de la combinaison des textes applicables qu’en principe le maire est compétent pour délivrer les permis de construire et qu’il agit en ce cas comme autorité communale mais aussi qu’il est également compétent, dans la plupart des cas, pour délivrer les permis de construire les établissements recevant du public, cette fois au nom de l’Etat. Contrairement à ce qu’a estimé le juge des référés, il n’existe pas de doute sérieux sur la compétence du maire de Bayonne à cet égard et l’ordonnance de référé attaquée est annulée.  (13 juin 2018, Commune de Bayonne, n° 413806)

Précédent
Précédent

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Suivant
Suivant

Sélection de jurisprudence du Conseil d'Etat