Sélection de jurisprudence du Conseil d'Etat

Mai 2018

 

Actes et décisions

 

1 - Ordonnance de l’article 38 de la Constitution – Ratification – Effets sur les recours contentieux dirigés contre une telle ordonnance – Recours pour excès de pouvoir – Recours contre un décret d’application de l’ordonnance.

La ratification d’une ordonnance de l’art. 38 rend sans objet aussi bien le recours pour excès de pouvoir dirigée contre elle que le recours formé contre le refus implicite d’un ministre de la modifier. Semblablement, l’action en illégalité dirigée contre un décret d’application de l’ordonnance au motif de l’irrégularité de cette dernière est inopérante. (30 mai 2018, Commune de Nanterre, n° 415420)

 

2 - Refus implicite du premier ministre résultant du silence gardé sur une demande – Acte non détachable de la conduite des relations internationales – Acte de gouvernement – Incompétence de la juridiction administrative pour connaître du recours pour excès de pouvoir dirigé contre une telle décision implicite.

Est irrecevable le recours en annulation dirigé contre une décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le premier ministre lorsqu’une telle décision « n'est pas détachable de l'exercice des pouvoirs du Gouvernement dans la conduite des relations internationales », ce qui est l’une des deux hypothèses d’actes de gouvernement actuellement reconnues par la jurisprudence. (9 mai 2018, Collectif national de préservation des activités agropastorales et rurales (CNPAAR) et autre, n° 402013)

 

3 - Recours contre une note de service, relative à une revalorisation indemnitaire, émanée du secrétaire général d’un ministère et adressée aux directeurs régionaux de celui-ci et aux directeurs de certaines écoles nationales – Absence de contenu impératif – Recours pour excès de pouvoir impossible sauf contre les applications individuelles de ladite note.

Le Conseil d’État rappelle qu’il est impossible de former un recours pour excès de pouvoir contre une note de service relative à des revalorisations indemnitaires lorsqu’elle est sans caractère impératif mais suggère qu’un tel recours serait recevable contre l’application individuelle de celle-ci. (16 mai 2018, Mme X., n° 393629)

 

4 - Exécution des lois – Délai raisonnable pour prendre les mesures réglementaires d’exécution d’une loi – Article L. 411-2 code de l’environnement – Absence d’exécution – Illégalité – Injonction.

Une disposition contenue dans une loi du 12 juillet 2010 prévoit l’intervention d’un décret d’application pour fixer la liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées ainsi que des sites d'intérêt géologique, y compris des types de cavités souterraines, ainsi protégés. Aucun décret n’étant intervenu à la date à laquelle le premier ministre a opposé à l’association intéressée un refus implicite né de son silence et alors que le délai raisonnable d’exécution était déjà expiré, le juge prononce l’annulation du refus implicite et fait injonction de prendre le décret en cause dans les six mois, à peine d’astreinte de 500 euros par jour de retard. (9 mai 2018, Ligue pour la protection des oiseaux France, n° 407695)

 

5 - Infractions tarifaires commises par un centre hospitalier – Sanction prononcée par le directeur régional d’une ARS – Éléments constitutifs de l’infraction – Date d’entrée en vigueur d’une loi – Absence de mesures réglementaires d’exécution de la loi – Sans effet ici.

Rappel d’un principe traditionnel selon lequel lorsqu’une loi renvoie à des mesures réglementaires d’exécution, celle-ci entre en vigueur et produit néanmoins ses effets dans toutes celles de ses dispositions qui se suffisent par elles-mêmes sans qu’il soit besoin d’une mesure d’exécution. Il n’en va autrement qu’au cas où cette carence rendrait manifestement impossible l’application de la loi. (23 mai 2018, ministre des affaires sociales et de la santé, n° 409607)

 

6 - Décision du président du comité économique des produits de santé – Absence de caractère réglementaire – Incompétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort pour connaître des recours dirigés contre une telle décision – Renvoi au tribunal administratif de Paris.

La décision par laquelle le président du comité économique des produits de santé a informé la société requérante qu'en application des articles L. 138-10 et suivants du code de la sécurité sociale et 34 de l'accord-cadre conclu le 31 décembre 2015 entre ce comité et le syndicat « Les entreprises du médicament », qu’elle était redevable d'une remise exonératoire de la contribution prévue à l'article L. 138-10, dite « contribution L », pour un montant de 169 553 euros au titre de l'année 2016, n’a pas  un caractère réglementaire et ne ressortit donc pas à la compétence du Conseil d'État en premier et dernier ressort. L’affaire est renvoyée au tribunal administratif de Paris. (18 mai 2018, Société Mediwin Limited, n° 417259)

 

7 - Instruction ministérielle relative aux critères de détermination des zones d’activité portuaire – Acte de nature décisoire et de portée réglementaire – Incompétence du ministre qui ne détient pas, à titre général, le pouvoir réglementaire – Indivisibilité des dispositions de l’instruction – Annulation intégrale.

En l’absence de toute définition législative ou réglementaire des zones d'activité portuaire et afin d'éclairer les conditions de leur transfert aux établissements publics de coopération intercommunale, le ministre de l’Aménagement du territoire a fixé les critères permettant d'identifier les ports communaux concernés. Ce faisant il a posé des règles entièrement nouvelles et impératives, ce qui caractérise le pouvoir réglementaire, pouvoir qu’il ne possède pas. De plus, les dispositions de cette instruction illégale étant indivisibles les unes des autres, l’annulation prononcée est intégrale. (25 mai 2018, Communes de Cannes, de Mandelieu-la-Napoule, de Théoule-sur-Mer et communauté d'agglomération du Pays de Lérins et autres, n° 407640)

 

8 - Demande de transfert d’une officine pharmaceutique – Dossier incomplet – Pouvoir de l’autorité administrative exerçant le pouvoir d’autorisation – Office du juge saisi d’un recours contre l’octroi de l’autorisation.

Allant toujours davantage dans le sens d’un libéralisme débridé en matière de vices de forme affectant les procédures administratives non contentieuses, le Conseil d’État décide que « s'il appartient à l'autorité administrative saisie d'une demande de création ou de transfert d'officine de pharmacie, de s'assurer du caractère complet du dossier présenté à l'appui de cette demande, la circonstance que ce dossier ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions du code de la santé publique pour l'examen de cette demande, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité l'autorisation accordée que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation que l'autorité administrative devait porter sur la conformité du projet à la réglementation applicable, y compris sur l'application du droit d'antériorité, par rapport aux demandes ultérieures concurrentes, prévu par l'article L. 5125-5 du code de la santé publique ». On aura reconnu ici tant par le fond que par le style, une énième application de la jurisprudence Danthony (Ass., 23 décembre 2011).

Le Conseil d’État aperçoit une erreur de droit dans l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux en ce qu’il a jugé que l’autorisation de transfert de l’officine avait été donnée irrégulièrement car au vu d'un dossier dont aucune pièce ne permettait de vérifier que les associés remplissaient les conditions prévues par les articles 5 et 6 de la loi du 31 décembre 1990, notamment la qualité de pharmacien de l'un d'entre eux. Pour le Conseil d’État, la cour devait aller plus loin et rechercher si l'absence de ces pièces avait été de nature à fausser l'appréciation que devait porter le directeur général de l'agence régionale de santé, alors que celui-ci indiquait avoir vérifié la qualité de l'intéressé auprès du conseil national de l'ordre des pharmaciens. (30 mai 2018, SELARL Pharmacie Ylang Ylang, n° 409127)

 

9 - Principes généraux du droit de l’Union européenne – Invocation possible seulement lorsque ce droit est en cause non lorsque le litige relève exclusivement du droit national – Cas des principes de confiance légitime et de sécurité juridique.

Au sein d’une décision riche de nombreuses questions de droit, nous retiendrons seulement le rappel d’une solution acquise dès longtemps : il est impossible d’invoquer un principe général du droit de l’UE lorsque la situation juridique en cause ne relève pas de ce droit mais seulement du droit national. (30 mai 2018, Union dentaire et autres, n°s 409440, 410797, 410856, 410995, 411130)

Pour certaine et constante qu’elle soit, une telle position peut se discuter. D’abord, en quoi consiste le caractère « général » d’un tel principe s’il est circonscrit à certains ensembles juridiques seulement ? Précisément, sa généralité devrait le soustraire à l’empire des solutions issues des seuls droits nationaux positifs. Ensuite, comment justifier que le principe de sécurité juridique, qui est commun, en tant que principe général du droit, au droit de l’Union et au droit interne français, ne puisse pas être invoqué en l’espèce motif pris qu’il est soulevé à l’encontre d’une loi prétendue contraire au droit de l’Union ?

 

10 - Traitements automatisés « Application élection » et « Répertoire national des élus » – « Grille des nuances politiques » pour l’enregistrement des résultats électoraux – Classement d’une famille politique dans la rubrique « divers » – Contrôle réduit du juge – Décision n’ayant pas à être motivée.

L’Union populaire républicaine conteste son classement par le ministère de l’Intérieur, au sein de la « grille des nuances politiques », dans la catégorie « divers. »  Le Conseil d’État rejette ce recours, d’une part, en rappelant que l’établissement de la « grille des nuances politiques » est une décision qui n’a pas à être motivée, d’autre part, en ne vérifiant que l’éventuelle erreur manifeste d’appréciation qui aurait été commise à cette occasion. En l’espèce, relevant que, par souci pratique, cette grille ne peut comporter qu’un nombre restreint de nuances politiques, le juge considère que « compte tenu des résultats électoraux obtenus par les candidats se réclamant de l'Union populaire républicaine lors des élections passées et de l'appréciation qui pouvait être portée sur la représentativité de ce mouvement politique à la date de la décision attaquée » le ministre n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en refusant de lui attribuer une nuance spécifique. (16 mai 2018, Union populaire républicaine, n° 411305)

 

11 - Principe d’impartialité de l’administration – Champ d’application – Limites – Déclaration d’absence de conflit d’intérêts souscrite par les agents – Communicabilité aux contribuables (non).

Dans le cadre d’un litige fiscal portant sur l’absence de bien-fondé de l’octroi d’un crédit impôt recherche, le contribuable a sollicité la communication des déclarations d’absence de conflits d’intérêts souscrites par les agents mandatés par le ministère chargé de la recherche et de la technologie pour vérifier, à la demande de l'administration fiscale, la réalité de l'affectation à la recherche de dépenses prises en compte pour la détermination du crédit d'impôt recherche. Le Conseil d’État admet que s’applique en ce cas, comme pour tout autre autorité administrative, le principe d’impartialité. Toutefois, cela ne saurait comporter, en l’absence de disposition législative ou réglementaire en ce sens, obligation de communiquer lesdites déclarations d’absence de conflits d’intérêts.

On doit en déduire, d’une part, qu’il n’existe en la matière aucun principe général, sinon le juge n’aurait pas recherché l’existence d’un règlement, lequel ne peut déroger à un tel principe, d’autre part, que l’éventuelle présence d’un conflit d’intérêts constitue un vice distinct de la partialité. Dans ce second cas, le distinguo est très délicat à mettre en œuvre. (25 mai 2018, SAS Assistance - Services - Traitements - Environnement - Nucléaire (ASTEN), n° 407544)

 

Biens

 

12 - « Loi de pays » en Polynésie française – Subordination aux dispositions du Code civil applicable en Polynésie (solution a contrario) – Expropriation pour cause d’utilité publique – Expropriation intervenue en faveur d’intérêts privés – Légalité à condition de respecter le bilan « coûts-avantages ».

Réitération d’une jurisprudence bien connue. La circonstance qu’une expropriation intervient pour satisfaire des intérêts privés ne suffit pas, à elle seule, à lui retirer son caractère d’utilité publique. Par ailleurs, même en ce cas, elle doit respecter la théorie du bilan selon laquelle les atteintes portées par cette expropriation à la propriété privée ou à des intérêts généraux, le coût financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social qu'elle comporte ne doivent pas être excessifs au regard de l'intérêt qu'elle présente. (30 mai 2018, Association syndicale libre des propriétaires du lotissement Te Maru Ata, n° 417577)

 

13 - Domaine public – Occupants sans titre – Expulsion demandée par une personne non habilitée – Obligation de tenir une audience en dépit du silence du code de justice administrative – Annulation de l’ordonnance de référé.

Une personne privée saisit le juge administratif d’une requête tendant à le voir ordonner à une collectivité territoriale (ici la province Sud de Nouvelle-Calédonie) qu’elle procède à l’expulsion des requérants occupant sans titre son domaine public. Outre des moyens de procédure qui devaient conduire inexorablement à l’annulation de l’ordonnance attaquée, deux points sont intéressants.

Tout d’abord, il s’agit du rappel d’une création prétorienne qui doit être approuvée. Bien que l’art. L. 521-3 CJA ne prévoit pas la tenue d’une audience dans le cadre du référé qu’il régit (référé « mesures utiles »), le Conseil d’État exige cependant la tenue d’une telle audience « eu égard au caractère quasi-irréversible de la mesure (que le juge des référés) peut être conduit à prendre, aux effets de celle-ci sur la situation des personnes concernées et dès lors qu'il se prononce en dernier ressort ».

Ensuite, le demandeur de première instance était irrecevable en sa demande d’expulsion, celle-ci ne pouvant être faite que par le propriétaire ou le gestionnaire de la dépendance domaniale en cause, alors qu’il ne possédait aucune de ces deux qualités. (4 mai 2018, M. et Mme X., n° 415002)

 

Contrats

 

14 - Accord-cadre - Marché public – Notion d’ « objet du marché » – Notation – Utilisations de critères sociaux – Lien direct avec les prestations figurant au contrat en cause – Caractère très général – Irrégularité – Annulation de l’appel d’offres.

Dans le cadre d’un appel d’offres en vue de la conclusion d’un accord-cadre multi-attributaire pour la réalisation de travaux d’impression, la communauté de Nantes Métropole, pour sélectionner l'offre économiquement la plus avantageuse, a mis en oeuvre des critères comprenant des aspects sociaux. Les textes le permettent (cf. notamment l’art. 52 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 sur les marchés publics). Cependant, pour ce critère comme pour tout autre, doit exister un lien entre eux et l'objet du marché ou ses conditions d'exécution. Il s’ensuit que n’est pas régulier l’appel d’offres qui ne se borne pas à vérifier ces critères au regard des seuls prestations et travaux prévus au marché mais institue un critère relatif à la politique générale de l'entreprise en matière sociale, apprécié au regard de l'ensemble de son activité et indistinctement applicable à l'ensemble des marchés de l'acheteur, indépendamment de l'objet ou des conditions d'exécution propres au marché en cause. C’est à bon droit que l’ordonnance contestée a annulé l’appel d’offres. (25 mai 2018, Nantes Métropole, n° 417580)

 

15 - Marché ou concession – Contrat de mobilier urbain – Location d’espaces publicitaires – Existence ou non d’un risque ou aléa – Qualification comme marché public erronée – Nature de concession.

Pour qualifier le contrat litigieux de marché public le juge du référé précontractuel s’est fondé uniquement sur la circonstance qu’il confiait à titre exclusif l'exploitation des mobiliers à des fins publicitaires à son attributaire : il en a déduit qu'aucun risque n'était transféré à ce dernier et que ne pouvant être qualifié de concession il était un marché public. Le Conseil d’État censure une telle erreur de droit : il tombe sous le sens qu’un tel contrat, dans lequel n’existe aucune rémunération d’aucune sorte, est soumis à un fort aléa, en particulier le nombre des annonceurs, la durée des locations d’affichage, etc. Il constitue, par suite, une concession. (25 mai 2018, Société Philippe Védiaud publicité et Commune de Saint-Thibault-des-Vignes, n° 416825)

 

16 - Référé précontractuel et obligations du juge – Annulation totale d’un marché dont seule l’annulation partielle avait été sollicitée – Conditions de procédure à respecter en ce cas – Nullité prononcée pour absence d’allotissement – Office du juge en présence d’une argumentation développée au soutien de cette absence – Contrôle des garanties professionnelles, techniques et financières des candidats à un marché – Étendue des pouvoirs du juge.

Cette décision présente plusieurs points intéressants. En premier lieu, alors qu’il n’était saisi que d’une demande d’annulation partielle du marché le juge du référé l’a annulé en totalité mais il l’a fait sans cependant respecter le caractère contradictoire de la procédure (art. L. 5 CJA) applicable même aux mesures décidées d’office par le juge. D’où un premier motif d’annulation. En deuxième lieu, le juge a prononcé cette annulation motif pris de ce que des offres ont été faites sans allotissements mais il a jugé cela sans tenir compte des justifications apportées par les intéressés au soutien de leur décision. Or si le principe d’allotissement est très important et s’impose généralement, il y est fait exception lorsque dans tel cas particulier il aurait des effets négatifs sur l’exécution du marché et/ou sur son coût. Le motif retenu était donc, au cas de l’espèce, erroné en droit. Enfin, lorsque le juge contrôle les garanties professionnelles, techniques et financières des candidats à un marché il ne peut porter ses investigations qu’au vu des seuls renseignements ou documents prévus par les prescriptions de l'arrêté ministériel du 29 mars 2016 sans pouvoir y ajouter. Règle que le juge du référé n’a pas respectée ici. (25 mai 2018, Département des Yvelines et autres, n° 417869 ; v. aussi, sur le non allotissement, du même jour, sous le n° 417428, Hauts-de-Seine Habitat et autre)

 

Droit fiscal et droit financier public (V. aussi à QPC au n° 406984)

 

17 - TVA – Champ d’application – Assujettissement - Notion de prestation de service effectuée à titre onéreux – Indemnité accordée par un juge en réparation d’un préjudice – Absence d’assujettissement.

Une société s’étant maintenue dans les lieux après la résiliation du contrat de bail, le juge judiciaire en a ordonné l’expulsion et fixé une indemnité réparant le préjudice résultant de ce que cette occupation irrégulière avait duré dix-neuf mois. L’administration fiscale, approuvée par les juges de première instance et d’appel, prétendait que cette somme constituait la rémunération d'une prestation de service à titre onéreux et qu’elle était donc passible de la taxe sur la valeur ajoutée. Le Conseil d’État censure à juste titre une interprétation directement contraire aux dispositions du I. de l’art. 256 CGI. En effet, une indemnité accordée par décision juridictionnelle qui a pour seul objet de réparer le préjudice subi par le créancier du fait du débiteur ne saurait être considérée comme une prestation de service effectuée à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. Contrairement à ce qu’indique le site Légifrance, cette solution n’est pas contraire à celle retenue par l’arrêt de Section du 15 décembre 2000, SA Polyclad Europe, n° 194696, p. 622 mais en constitue l’exacte application par a contrario. (30 mai 2018, SCI Armor Immo, n° 402447)

 

18 - Procédure de restitution indue de taxe professionnelle – Absence de caractère d’une répétition de l’indu au sens de l’article 1376 du Code civil – Nature juridique de la cession à bas prix d’une créance commerciale – Caractère exceptionnel empêchant sa qualification comme relevant de l’activité habituelle de la société – Charge exceptionnelle ne pouvant être prise en compte au titre de la TVA (art. 1647 B sexies CGI).

Il est surprenant que le Conseil d’État approuve la cour administrative d’appel d’avoir jugé que la mention d’une « restitution d’indu de taxe professionnelle » « ne saurait signifier que l'administration aurait entendu mettre en œuvre une action en répétition de l'indu au sens de l'article 1376 du code civil » alors qu’il s’agit, en droit comme en fait, de la même chose. On rappelle que l’art. 1376 est devenu, à compter du 1er octobre 2016, l’art. 1302-1.

Par ailleurs, la circonstance que la société ait cédé à bas prix à l’un de ses principaux clients – en grave difficulté financière - une créance commerciale afin de lui permettre de se refaire une santé financière et de revenir in bonis, a été jugée, en raison de son caractère exceptionnel et non pas habituel, comme ne pouvant relever du régime de la TVA. On peut regretter une solution aussi contraire à la logique du droit des affaires pour faire prédominer une sorte de fétichisme, aussi peu réaliste que possible, envers le droit fiscal. (30 mai 2018, Société Rhodia Opérations, n° 405248)

 

19 - Exercice du droit de communication auprès de tiers par l’administration fiscale – Exigences tirées du caractère contradictoire – Étendue de l’obligation du contradictoire - Possibilité d’occulter partiellement un document – Obligation d’en justifier – Caractère excessif de la demande de justification formulée ici par la cour administrative d’appel.

En principe, l'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir leur imposition et elle doit, à cet effet, les mettre dans leur intégralité à la disposition du contribuable sous la réserve du secret professionnel (art. L. 103 LPF). En ce cas, l’administration peut ne les communiquer au contribuable qu'après occultation des informations couvertes par un tel secret.

En l’espèce, l’administration avait utilisé un procès-verbal de synthèse de la brigade de répression de la délinquance économique (BRDE) dont elle n’a remis, après occultation pour atteinte à un secret professionnel et à la vie privé d’un tiers, que quatre des vingt pages qu’il comportait. La Cour de Nancy a exigé que l’administration établisse que les seize pages occultées du procès-verbal de synthèse de la BRDE étaient couvertes par un secret protégé par la loi. Tout en reconnaissant qu’en pareille occurrence l’administration doit, dans tous les cas, apporter des éléments d'information appropriés sur la nature des passages occultés et les raisons de leur occultation, le Conseil d’État estime qu’en l’espèce la Cour de Nancy s’est montré trop exigeante. Cette solution est très critiquable car l’occultation de 80% d’un document permet difficilement d’en saisir le raisonnement et son adéquation aux éléments de fait relevés. (30 mai 2018, M. et Mme X., n° 402177)

 

20 - Agent comptable – Défaut prétendu de contrôle de la qualité de l’ordonnateur pour effectuer une dépense – Distinction entre passation d’un marché et exécution d’un marché – Qualité de l’ordonnateur pour exécuter le marché – Absence de faute du comptable – Refus de substitution de motif – Annulation de l’arrêt de la Cour des comptes.

Un comptable public est condamné par la Cour des comptes pour n’avoir pas exercé correctement son contrôle sur la qualité de l’ordonnateur pour ordonner une opération. S’il est vrai que pour conclure un marché l’ordonnateur (ici le directeur de l’École nationale de formation agronomique (ENFA)) doit obtenir l’autorisation du conseil d’administration, en revanche, il tient directement de sa qualité le pouvoir de l’exécuter. Dès lors, l’agent comptable n’a pas commis de faute en ne s’opposant pas - pour un prétendu défaut de qualité de celui-ci - à ce que le directeur de l’ENFA règle certaines dépenses en exécution dudit marché. Par ailleurs, est rejetée la demande du parquet général près la Cour des comptes de substituer un motif à celui, erroné en droit, retenu par la Cour, car ce motif n’étant pas de pur droit mais de fait une telle substitution est impossible en cassation. (4 mai 2018, ministre de l’action et des comptes publics, n° 410880)

 

21 - Titre exécutoire – Date du titre différente de la date de signature figurant sur le bordereau – Absence d’irrégularité en principe – Existence d’un élément de droit ou de fait établissant que la décision en cause ne pouvait pas être prise à la date à laquelle elle a réellement été signée (non).

Dans cette affaire, un titre exécutoire daté du 5 septembre 2014 est accompagné d’un bordereau du 8 septembre comportant la signature de l’agent compétent et déclarant ce titre exécutoire à compter du 5 septembre. Pour le Conseil d’État,  il résulte de la combinaison des dispositions de la loi du 12 avril 2000, valable pour tous les actes administratifs, et de celles de l’art. 1617-5, 4° CGI, relatives au titre de  recettes, que l'ampliation du titre de recettes individuel ou de l'extrait du titre de recettes collectif adressée au redevable doit mentionner les nom, prénoms et qualité de la personne qu'il l'a émis et qu'il appartient à l'autorité administrative de justifier en cas de contestation que le bordereau de titre de recettes comporte la signature de l'émetteur. Si, comme au cas de l’espèce, la date que porte le titre de recettes est antérieure à celle à laquelle le bordereau de titres a réellement été signé, une telle circonstance est sans influence sur la légalité de celle-ci. Il n’en va autrement que dans le cas où le requérant ne se prévaut pas d'un élément de fait ou de droit de nature à établir que la décision en cause ne pouvait pas être prise à la date à laquelle elle a réellement été signée. En jugeant le contraire, la Cour de Versailles a commis une erreur de droit. (25 mai 2018, SCI Immo Plus, n° 405063 ; v. également sur cette question, du même jour, sous le n° 405064, Département de la Seine-Saint-Denis)

 

22 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Exonération pour certaines activités agricoles – Fourniture d’aliments pour animaux – Notion d’opération habituelle pour un agriculteur (oui en l’espèce) – Exonération justifiée.

L’Union requérante sollicitait l’exonération de taxe foncière prévue au a du 6° de l'article 1382 CGI, laquelle s’applique aux bâtiments servant aux exploitations rurales. Le Conseil d’État considère que la notion d'usage agricole concerne les opérations réalisées habituellement par les agriculteurs eux-mêmes et qui ne présentent pas un caractère industriel. En l’espèce, les premiers juges avaient estimé que l’activité de cette Union n’avait pas un caractère agricole dès lors que pour produire des aliments pour animaux, elle ne se bornait pas à valoriser la production végétale de ses adhérents mais avait également recours à des volumes importants de matières premières acquises auprès de tiers. Leur décision est censurée car il entrait dans leur office de vérifier si les opérations accomplies par la requérante faisaient partie des opérations réalisées habituellement par les agriculteurs eux-mêmes. Le Conseil d’État conclut que « ne présentent pas un caractère industriel les opérations réalisées par une société coopérative agricole avec des moyens techniques qui n'excèdent pas les besoins collectifs de ses adhérents, quelle que soit l'importance de ces moyens ». (25 mai 2018, Union de coopératives agricoles (UCA) Aliouest, devenue UCA Cecabroons, n° 408888)

 

23 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Association mettant gracieusement des locaux à la disposition d’une autre association – Contestation de l’assujettissement à la taxe – Irrecevabilité de la demande présentée non par le propriétaire redevable de l’imposition mais par son occupant – Existence d’un mandat de représentation sans effet sur l’issue du litige.

L'association Œuvre lyonnaise des hôpitaux climatiques est propriétaire d'un immeuble à usage d'établissement de soins de suite et de réadaptation situé à Hyères qu'elle met à disposition, à titre gracieux, de l'association varoise hôpital Léon Bérard. La première de ces associations ayant été assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties à raison de cet immeuble, l'association varoise hôpital Léon Bérard a présenté une réclamation contre cette imposition qui a été rejetée pour l’essentiel par le tribunal administratif de Toulon qui l’a jugée irrecevable. Le Conseil d’État lui donne raison car la requête n'avait pas été présentée par l'association varoise hôpital Léon Bérard pour le compte de l'association Œuvre lyonnaise des hôpitaux climatiques, laquelle était la seule redevable légal de la taxe litigieuse, mais pour son propre compte. Alors même que l’association Léon Bérard se prévalait d’un mandat lui permettant de représenter en justice l’association propriétaire, elle ne disposait d’aucun intérêt à agir ; c’est à bon droit que lui a été opposée l’irrecevabilité de sa demande. (25 mai 2018, Association varoise hôpital Léon Bérard, n° 409044)

 

24 - Litiges en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties – Dispense de conclusions du rapporteur public impossible – Conséquences – Annulation du jugement rendu irrégulièrement.

Rappel d’une règle de procédure parfois méconnue : Il résulte des dispositions de l'article R. 732-1-1 CJA, relatives à la dispense du rapporteur public de prononcer des conclusions à l'audience, que les litiges relatifs à la taxe foncière sur les propriétés non bâties ne figurent pas au nombre de ceux pour lesquels le président de la formation de jugement ou le magistrat statuant seul peut accorder une telle dispense. (25 mai 2018, Société publique locale d'aménagement de l'agglomération dijonnaise (SPLAAD), n° 413738)

 

25 - Principe d’égalité devant l’impôt – Application aux différences entre deux impositions différentes (non) – Revenus du patrimoine et produits de placements – Comparaison impossible entre eux s’agissant d’appliquer le principe d’égalité devant l’impôt.

Les demandeurs prétendaient violé à leur égard le principe d’égalité devant l’impôt du chef du traitement différencié des revenus tirés du patrimoine, qui sont imposables par voie de rôle après leur perception, et de ceux résultant de produits de placement, lesquels sont prélevés sous forme de retenue à la source. Cette dualité rendant impossible une comparaison entre les régimes respectifs de ces deux catégories d’imposition, les requérants ne sont point fondés à invoquer le principe d’égalité devant l’impôt au soutien d’une QPC. (18 mai 2018, M. et Mme X., n° 418731)

 

26 - Taxe professionnelle – Conditions d’assujettissement et conditions d’exonération – Cas des caisses de crédit agricole mutuel – Dépenses de mécénat.

Cette décision est notable en ce qu’elle est prise en quatre chambres réunies (3e, 8e, 9e et 10e), faculté prévue par le code de justice administrative mais assez peu fréquemment mise en œuvre. Elle signale une décision importante par son enjeu.  (9 mai 2018, Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Pyrénées Gascogne, n° 388209 ; mêmes observations concernant les décisions du même jour, M. X., n° 389563, et Société Cérès, n° 387071, rendues elles aussi en matière fiscale et en formation quadricamérale)

 

27 - Absence de voie d’exécution contre l’État – Refus d’admettre au profit des créanciers de l’État le bénéfice de la compensation légale (art. 1289, devenu 1347, du Code civil) – Forme de spoliation ou d’expropriation – Absence de réponse à un moyen non inopérant - Annulation.

Dans une affaire dont il est traité également dans la présente chronique à la rubrique Question prioritaire de constitutionnalité, les requérants faisaient valoir  que l'État ne pouvant être contraint à payer ses dettes par aucune mesure d'exécution, le refus de faire bénéficier ses créanciers de la compensation légale aboutit à une expropriation contraire aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Or ce moyen, qui n’était pas inopérant, n’a pas été examiné par la cour administrative d’appel ; son arrêt doit, sur ce point, être annulé. (16 mai 2018, M. et Mme X., n° 406984)

 

28 - TVA sur les boissons alcooliques – Notion de boisson alcoolique – Silence du code général des impôts – Définition retenue par le juge s’agissant de l’application d’un taux de TVA.

Dans le silence de la loi fiscale sur une définition spécifique des boissons non alcooliques, doivent être regardées comme telles, au sens des dispositions du 1° de l'article 278-0 bis du code général des impôts sur le taux réduit de TVA, les boissons dont le titre alcoométrique volumique n'excède pas 0,5 %. (4 mai 2018, Société Kronenbourg, n° 417475)

 

 

Droit public économique

 

29 - Avis aux opérateurs économiques – Décision ministérielle - Mesures de boycott économique des produits provenant de certaines zones de la Palestine – Occupations israéliennes consécutives à la guerre de 1967 – Compatibilité de la décision de boycott avec le droit de l’Union européenne – Renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l’UE.

Le Conseil d’État était saisi d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'avis du ministre de l'économie et des finances du 24 novembre 2016 destiné aux opérateurs économiques relatif à l'indication de l'origine des marchandises issues des territoires occupés par Israël depuis juin 1967. Malgré sa dénomination d’ « avis aux opérateurs économiques » l’acte en cause est, en vertu d’une jurisprudence bien établie, une décision car il modifie l’ordonnancement juridique ; le recours était donc recevable.

Au fond, la question de la légalité d’une telle mesure, en particulier au regard du droit de l’Union, est – par-delà les aspects intéressant le droit du commerce international - particulièrement délicate en raison de ses implications de politique internationale. Cet élément n’est sans doute pas étranger au renvoi préjudiciel à la CJUE opéré par le Conseil d’État. (30 mai 2018, Association Organisation juive européenne et Société vignoble PSAGOT LTD, n° 407147)

 

30 - Aides d’État – Caractère illicite – Récupération des sommes indument versées – Préjudices en résultant – Demande de réparation à l’État de ce chef – Faute de l’État, absence partielle – Réclamation sans lien direct avec la partie fautive du comportement de l’État.

Agissant pour le compte d’une société d’édition (CELF) en liquidation, une société de mandataires de justice réclame réparation du préjudice causé à la société CELF du chef de l’octroi d’une aide que celle-ci a ensuite remboursée sur décision de la Commission de Bruxelles en raison de son caractère illégal.

La société MJA a demandé l'indemnisation : 1°/ des préjudices liés à l'obligation de rembourser l'aide illégalement attribuée à la société CELF, 2°/ des intérêts afférents, 3°/  des conséquences de cette obligation tenant à l'insuffisance d'actif net ayant conduit au placement en liquidation judiciaire du CELF, 4°/ de la perte de chance pour ce dernier de poursuivre une activité concurrentielle rentable, 5°/  du coût de la mise en œuvre des procédures de licenciement induites par la liquidation. Le Conseil d’État approuve la Cour d’avoir jugé que ni la dette constituée par cette obligation de paiement ni la perte de l'aide n'étaient des préjudices indemnisables ; qu'il n'était pas démontré que les autres dettes du CELF étaient directement liées aux fautes commises par l'État, à les supposer établies ; que ni l'existence, ni le lien direct avec ces fautes, de la perte de chance de poursuivre une activité rentable n'étaient établis et qu'enfin le coût de la mise en œuvre des procédures de licenciement n'était pas en lien direct avec la faute commise par l'État à raison de la méconnaissance du droit de l'Union européenne. De plus, dans la mesure où l'ensemble de ces préjudices n'entretenait de lien direct qu'avec la décision de récupération des sommes versées ainsi que des intérêts communautaires afférents, laquelle n'est pas fautive, et non avec la faute ayant consisté à verser une aide incompatible et illégale, la cour n’a pas entaché son arrêt d'erreur de droit, ni d'inexacte qualification juridique ou de dénaturation des faits. (30 mai 2018, Société Mandataires Judiciaires Associés (MJA), en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Coopérative d'exportation du livre français (CELF), n° 402174)

 

31 - Engagement de caution – Caution solidaire – Exigences de forme posées par les articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation – Application aux engagements souscrits auprès de collectivités publiques : non quant à la lettre de ces textes oui quant aux principes dont ils s’inspirent.

M. X. s’étant porté caution dans le cadre d’un prêt consenti par un département à une société, ce dernier l’a actionné au moyen d’un titre exécutoire lors de la mise en liquidation de la société cautionnée. Si M. X. a invoqué, à tort en fait selon le juge, la circonstance que le libellé de son engagement de caution n’était pas conforme aux prescriptions de forme des articles L. 341-2 et L. 341-4 du code la consommation, il n’en a pas moins décidé – c’est le plus important – qu’en droit « Si les collectivités territoriales n'ont pas vocation à être régies par les dispositions des articles L. 341-2 et L. 341-3 précités, un acte de cautionnement conclu entre une personne physique et une collectivité territoriale se trouve néanmoins soumis aux principes dont s'inspirent ces articles, dont il résulte que toute personne physique souscrivant un engagement de caution, le cas échéant solidaire, doit avoir appréhendé la nature, la portée et les conséquences de son engagement. » D’où l’annulation de l’arrêt d’appel qui était déféré au Conseil d’État. (25 mai 2018, M. X., n° 406332)

 

32 - Concentration d’entreprises – Navires patrouilleurs destinés à l’action de l’État en mer – Droit de la concurrence – Pouvoir de contrôle et méthodologie du contrôle exercé par le Conseil de la concurrence – Lignes directrices – Caractère auto-contraignant pour leur auteur.

Nous signalons cette décision, très intéressante en matière de droit de la concurrence, notamment s’agissant du contrôle des concentrations d’entreprises.  (25 mai 2018, Société OCEA, n° 404382) V. aussi, voisin, portant sur la concentration d’entreprises commercialisant des grains : 25 mai 2018, SAS Soufflet Agriculture et SAS Sobra, n° 403732

 

Droit social et action sociale

 

33 - Revenu minimum d’insertion – Revenu de solidarité active – Allocation de logement à caractère familial – Allocation de logement à caractère social – Récupération de l’indu – Juridiction compétente – Procédure devant la juridiction administrative.

Le département des Yvelines entendait récupérer auprès de Mme X. des indus sociaux perçus par elle. Cette dernière contesta l’action en restitution d’indu. Il résulte des dispositions de l’art. L. 511-1 du code de la sécurité sociale que les litiges relatifs aux allocations de logement à caractère social comme à caractère familial relèvent de la compétence des juridictions spécialisées du contentieux de la sécurité sociale : le juge administratif est incompétent pour en connaître. Les affaires relatives aux allocations versées au titre de l’aide ou de l’action sociale sont, elles, instruites et jugées devant les juridictions administratives selon les règles particulières figurant notamment aux art. R. 772-5 et R. 772-9 CJA. En l’espèce, la requérante avait présenté des observations lors de l'audience devant le tribunal administratif et produit un nouveau mémoire, auquel étaient jointes de nouvelles pièces, l’ensemble a été communiqué après l'audience au département des Yvelines et à la caisse d'allocations familiales de ce département, avec l'indication que les défendeurs pouvaient produire des observations aussi rapidement que possible. Le tribunal a ensuite statué sans avoir informé les parties de la date à laquelle l'instruction était close. Son jugement est intervenu à la suite d'une procédure irrégulière et doit être annulé. (30 mai 2018, Mme X., n° 410172)

 

34 - Revenu de solidarité active (RSA) - Prise en compte, pour la détermination des ressources du demandeur au RSA, des aides apportées par des membres de sa famille – Oui selon le département, non selon le juge administratif – Erreur de droit – Annulation du jugement.

Commet une erreur de droit le jugement qui décide qu’un département ne doit pas prendre en compte pour le calcul des ressources d’un candidat au RSA les aides ponctuelles apportées par des membres de sa famille : celles-ci ne relèvent pas des dispositions du 14° de l’art. R. 262-11 du code de l’action sociale et des familles. (18 mai 2018, Mme X., n° 413255)

 

35 - Logements sociaux – Condition de ressources - Attribution en dépassement des plafonds de ressources autorisés par l’Office public d’aménagement et de construction (OPAC) de l’Isère – Contrôle de l'Agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS) – Sanctions en l’absence de demande de dérogation au préfet – Dérogation sollicitée postérieurement à la sanction – Absence d’effets sur la décision antérieure et sa confirmation ministérielle sur recours hiérarchique.

L’attribution de logements sociaux ne peut avoir lieu que sous conditions que les ressources des bénéficiaires n’excèdent pas certains plafonds sauf dérogation accordée par le préfet. L’OPAC de l’Isère n’a pas respecté cette règle treize fois et a été sanctionné. Pour solliciter l’annulation du rejet par le ministre du recours hiérarchique dirigé contre la décision sanction de l’ANCOLS, l’OPAC se prévaut de ce que cette dérogation a toutefois été demandée et obtenue mais après la sanction. Sa requête est bien évidemment rejetée. (18 mai 2018, OPAC de l’Isère, n° 410031).

 

Élections

 

36 - Événements de nature à altérer la sincérité du scrutin – Consultation par des membres et partisans d’une liste des feuilles d’émargement dans certains bureaux de vote pour y relever les noms des personnes n’ayant pas encore voté – Absence de preuve de l’exercice de pressions sur les intéressés – Annulation des opérations électorales eu égard au faible écart entre les nombres de voix.

Des mentions portées sur les procès-verbaux des opérations électorales dans trois des cinq bureaux de vote de la commune de Lamorlaye, corroborées par quatre attestations n'émanant pas uniquement de membres des listes des protestataires devant le tribunal administratif, il résulte qu'au cours des opérations de vote du second tour des élections, des membres et des partisans de la liste conduite par X. ont consulté les listes d'émargement dans trois bureaux de vote en vue d'identifier les personnes n'ayant pas voté et de communiquer à l'extérieur les informations ainsi recueillies.

La divulgation de renseignements nominatifs au cours des opérations de vote est par elle-même de nature à altérer la sincérité du scrutin dès lors qu'elle est susceptible de permettre l'exercice de pressions sur les électeurs qui n'ont pas encore voté. Il s'ensuit qu'alors même que les agissements litigieux n'auraient eu d'autre objet que d'exhorter les électeurs à participer au vote et qu'il ne résulte pas de l'instruction que des pressions auraient effectivement été exercées en l'espèce, ces agissements doivent être regardés, compte tenu du faible écart de voix, comme ayant altéré la sincérité du scrutin. Décision intéressante car il est très rare que le juge administratif de l’élection recherche la moralité du scrutin ; il vise plutôt l’efficacité. Même si, en l’espèce, est invoqué le faible écart des voix entre les listes, la rédaction de la décision laisse deviner une volonté de sanctionner la déloyauté d’un comportement. (4 mai 2018, M. X. et autres, n° 417458)

 

Environnement

 

37 - Régime des cours d’eau – Police des eaux – Enquête environnementale – État du droit antérieur à l’ordonnance du 26 janvier 2017 – Pouvoirs et limites de l’autorité administrative en la matière – Erreur de droit des juges du fond – Cassation.

Le préfet de l'Aude a délivré à la communauté d'agglomération du Carcassonnais l'autorisation prévue à l'article L. 214-3 du code de l'environnement pour réaliser des travaux de reprofilage du ruisseau du Régal relevant de la rubrique 3.1.2.0 de la nomenclature des opérations soumises à autorisation ou à déclaration en application des articles L. 214-1 à L. 214-3 dudit code. M. X. a sollicité, et obtenu, l’annulation de cet arrêté par la voie du recours pour excès de pouvoir. La cour administrative ayant confirmé le jugement du tribunal administratif de Montpellier, la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer a saisi le Conseil d’État d’une demande d’annulation de son arrêt. Le Conseil rappelle que les faits étant antérieurs à l’ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale, il convient, pour résoudre le litige, de se fonder sur les dispositions du code de l’environnement en vigueur avant cette ordonnance. Il observe que le régime spécifique existant alors permettait à l’autorité administrative d’exercer divers pouvoirs de contrôle notamment s’agissant du sort d’espèces protégées, en revanche, elle ne pouvait légalement subordonner la délivrance de l'autorisation sollicitée au titre de la police de l'eau au respect de cette législation sur la protection du patrimoine naturel. En jugeant le contraire, la Cour a commis une erreur de droit, d’où la cassation encourue. (30 mai 2018, ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, n° 405785)

 

38 - Schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie – Schéma régional éolien – Approbation préfectorale – Nécessité d’une évaluation environnementale préalable – Absence – Annulation.

Le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie ainsi que le schéma régional éolien qu’il comporte en annexe, sont des documents qui tant à raison de leur contenu que de leur portée doivent faire l’objet, en vertu de l’art. 3 de la directive européenne du 27 juin 2001 reprise à l’art. L. 122-4 du code de l’environnement,  d’une évaluation environnementale préalablement à leur éventuelle approbation préfectorale, et cela sans qu’il soit nécessaire qu’un texte réglementaire exprès le prescrive. L’absence de cette évaluation entraîne l’annulation entière de l’approbation préfectorale. (16 mai 2018, Association pour la sauvegarde et la préservation de l'environnement rural (ASPER) et autres, n° 408887)

 

État-civil et nationalité

 

39 - Adoption internationale d’enfants – Irrégularités dans l’adoption d’enfants congolais – Réglementation stricte par arrêté ministériel – Empiètement sur le domaine de la loi et autres (non) – Absence d’effets juridiques par lui-même – Refus d’annuler l’arrêté.

De graves irrégularités s’étant produites à l’occasion d’adoptions internationales d’enfants congolais (République démocratique du Congo), la France a pris des mesures très strictes, notamment par l’arrêté ministériel du 23 novembre 2016 dont les requérants demandaient l’annulation. Des nombreuses questions soulevées à cette occasion ne sera retenue que celle qui a trait à l’intervention ministérielle dans une matière relevant de la loi. Les requérants soutenaient, non sans justification, que l’arrêté querellé portait sur l’état des personnes, qui est réservé au législateur par l’art. 34 de la Constitution. Pour faire échapper cet arrêté à l’annulation le Conseil d’État, usant d’une manœuvre bien connue, va le neutraliser techniquement en affirmant que « si l'arrêté attaqué du 23 novembre 2016 indique « suspendre » les procédures d'adoption, un tel arrêté ne saurait, en l'absence de disposition législative le prévoyant expressément, avoir pour effet de faire obstacle à l'application des dispositions législatives régissant l'adoption ; qu'il ne saurait, en particulier, s'opposer à la possibilité de faire légaliser les actes d'état civil établis par une autorité étrangère ou s'opposer aux démarches engagées par les familles ayant adopté un ou plusieurs enfants par l'effet d'un jugement d'adoption prononcé par un tribunal étranger afin de faire reconnaître l'opposabilité en France d'un tel jugement par le juge judiciaire, seul compétent pour se prononcer sur l'effet des jugements rendus par un tribunal étranger relativement à l'état et à la capacité des personnes ; que l'arrêté attaqué n'a ni pour objet ni pour effet d'interdire aux familles de demander, le cas échéant, au procureur de la République de transcrire ce jugement sur les registres d'état-civil français ou de saisir le tribunal de grande instance compétent en France afin qu'il soit statué sur une demande d'exequatur d'un tel jugement ». Par suite, il ne saurait être allégué à l’encontre de cet arrêté ni un empiètement sur le domaine de la loi, sur la compétence du juge judiciaire français ou sur la souveraineté de l'État étranger concerné, ni que ses dispositions méconnaissent l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme ou affectent l'application des règles relatives à l'état des personnes et à l'acquisition de la nationalité française. (25 mai 2018, Association « Vivre en famille » et autres, n° 407343)

 

40 - Demande de changement de nom par adjonction du nom du père de l’intéressé – Invocation d’un motif d’ordre affectif – Caractère exceptionnel de l’admission d’un tel motif – Rejet de la demande.

M. X., dont le père au moment de sa naissance était marié à une autre personne que sa mère, n’a reçu alors que le nom patronymique de cette dernière. Il a demandé à sa majorité à porter le nom paternel. Puis, après le décès de son père, a invoqué les troubles psychologiques engendrés par l’absence de changement de nom. Pour juger que la cour administrative d’appel, en autorisant ledit changement de nom par adjonction, avait inexactement qualifié les faits de l’espèce qui lui étaient soumise, le Conseil d’État relève, d’une part, que pendant le cours de la minorité de l’enfant il n’y avait eu aucune demande de changement de nom et pas davantage après le mariage subséquent du père avec la mère de l’enfant, d’autre part, que les troubles psychologiques allégués étaient postérieurs à sa demande de changement de nom. En bref, « le seul souhait de prendre le nom de son père ne peut suffire à caractériser (l’existence d’un) intérêt (légitime) ». (16 mai 2018, M. X., n° 408064)

 

41 - Demande, par une fille, de changement de nom par suppression du nom de son père et substitution du nom de sa mère – Invocation d’un motif d’ordre affectif – Caractère exceptionnel de l’admission d’un tel motif – Admission de la demande en raison de l’abandon de la fille par son père et du désintéressement définitif de celui-ci.

La présente affaire se présente au rebours de la précédente (n° 40) s’agissant du motif affectif exceptionnel invoqué. Comme le relève lui-même le Conseil d’État pour annuler l’arrêt d’appel qui avait refusé le changement de nom par substitution du nom de la mère à celui du père : « Mme X., dont les parents se sont séparés peu après sa naissance, a été abandonnée par son père à l'âge de quatre ans et n'a plus eu aucun contact avec lui depuis lors ; qu'en dépit des prescriptions de l'ordonnance du 20 janvier 1994 du juge aux affaires matrimoniales, celui-ci n'a plus participé à son éducation, subvenu à son entretien et exercé le droit de visite et d'hébergement qui lui avait été reconnu ; que Mme X. souhaite ne plus porter le nom de son père et se voir attribuer celui de sa mère, qui l'a élevée ; que ces circonstances exceptionnelles sont de nature à caractériser l'intérêt légitime requis pour changer de nom. » (16 mai 2018, Mme X., n° 409656)

 

Fonction publique et agents publics (v. aussi n° 56)

 

42 - Impossibilité, pour motif médical, d’occuper l’emploi antérieur – Obligation de proposer un reclassement – Emploi de remplacement le plus proche possible de l’emploi précédent – Principe général dont s’inspirent le code du travail et le régime statutaire de la fonction publique – Application au cas du reclassement des agents contractuels relevant du régime du décret du 31 décembre 2003 (tels les agents de Pôle emploi).

Il a été jugé à de nombreuses reprises qu'en vertu d’un principe général du droit, un salarié qui se trouve, de manière définitive, atteint d'une inaptitude physique à continuer à occuper son emploi, a droit à ce que l'employeur public, avant de pouvoir prononcer son licenciement, cherche à le reclasser dans un autre emploi. Pour ce faire, sauf pour le salarié à décider de ne pas reprendre une activité professionnelle, l'employeur lui propose un emploi compatible avec son état de santé et aussi équivalent que possible à l'emploi précédemment occupé ou, à défaut d'un tel emploi, tout autre emploi si l'intéressé l'accepte. Si, et seulement si, ce reclassement est impossible (par absence d’emploi vacant pouvant être proposé à l'intéressé, pour inaptitude du salarié à l'exercice de toutes fonctions ou par suite de son refus de la proposition d'emploi qui lui est faite), l'employeur prononce son licenciement. Cette méthodologie du reclassement est applicable aux agents contractuels régis par les dispositions du décret du 31 décembre 2003 fixant les dispositions applicables aux agents contractuels de droit public de Pôle emploi. (25 mai 2018, M. X., n° 407336)

 

43 - Fonctionnaires et agents publics – Vocation à occuper à titre exclusif les emplois civils permanents des personnes publiques – Exception pour les emplois permanents requérant des qualifications professionnelles indispensables à l’exercice des missions spécifiques dévolues pour l’exercice de certaines fonctions – Cas de l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI).

Pour juger non fondé le recours dirigé contre le décret du 29 mars 2017 fixant la liste des emplois et des types d'emplois dérogatoires à l'emploi permanent des établissements publics administratifs en tant qu'il détermine cette liste pour l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), le Conseil d’État, réuni en Assemblée du contentieux, relève, d’une part, que «  les spécificités des missions confiées à l'INPI requièrent, eu égard aux compétences techniques et juridiques dont elles supposent la maîtrise, des qualifications professionnelles particulières dans le domaine de la propriété industrielle. Il ressort également des pièces du dossier que l'ensemble des huit types d'emplois retenus par le décret du 29 mars 2017 requièrent une expertise dans le domaine de la propriété industrielle et, en particulier, dans le maniement des titres et des données ainsi que du registre national du commerce et des sociétés », d’autre part, qu’aucun corps existant de la fonction publique ne comporte des agents possédant cette qualification. (Assemblée, 18 mai 2018, Syndicat CGT de l'administration centrale et des services des ministères économiques et financiers et du Premier ministre, n° 411045 ; v. aussi, du même jour, sous le n° 414583, la décision Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT, tendant aux mêmes fins et subissant le même sort).  V. aussi nos observations sous le n° 53

 

44 - Équivalence de grades entre deux corps de fonctionnaires – Critères de détermination – référence principale à l’indice sommital (non) – Combinaison d’éléments (oui).

Lorsqu’un fonctionnaire quitte son corps d’origine pour un autre se pose souvent la question de l’équivalence des grades en cause. Pour apprécier celle-ci on ne saurait s’en tenir à la seule comparaison des indices sommitaux des deux grades en cause. En l’espèce, il fallait déterminer si le grade d'ingénieur d'études de 2ème classe du corps des ingénieurs d'études du ministère chargé de l'enseignement supérieur était équivalent au grade d'ingénieur d'études et de fabrications du corps des ingénieurs d'études et de fabrications du ministère de la défense alors même que leurs indices terminaux étaient respectivement de 750 et 801 et que le corps d'origine du requérant comprenait deux grades tandis que son corps d'accueil en comprenait trois.

Le Conseil d’État approuve la cour administrative d’appel d’avoir retenu, pour effectuer la comparaison qui lui était demandée, la place de ces deux grades dans le déroulement de la carrière des fonctionnaires relevant des statuts des deux corps en cause, le nombre d'échelons de chacun de ces deux grades ainsi que leurs échelonnements indiciaires respectifs. (25 mai 2018, M. X., n° 410972)

 

45 - Gardien de la paix accomplissant sa scolarité – Contrôlée positive au test de dépistage médical du cannabis – Déclaration d’inaptitude médicale définitive à la scolarité et à l’intégration – Absence de fiabilité d’un seul examen – Allégations contraires de la requérante non contredites – Annulation de la décision d’exclusion.

Illégalité de la décision d’exclure un gardien de la paix en cours de scolarité, de celle-ci ainsi que de toute intégration en raison de sa positivité au test de cannabis. D’une part, un seul test n’est pas suffisant pour établir cela, d’autre part l’intéressée avait indiqué, préalablement à tout examen, prendre un médicament sur prescription médicale, susceptible d’entraîner des effets positifs en cas de contrôle. Enfin, des examens postérieurs ont révélé l’absence de cette substance dans son organisme. Annulation de l’ordonnance de référé qui a rejeté la demande de suspension formée par la requérante. (18 mai 2018, Mme X., n° 415915)

 

Hiérarchie des Normes

 

46 - Disposition du Préambule de la Constitution (5ème alinéa du préambule de la Constitution de 1946) – Absence de précision suffisante – Inopposabilité directe au pouvoir réglementaire à défaut de loi ou de traité la relayant – Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) – Non ratifiée par la France, ne peut être invoquée devant le juge.

Diverses associations sollicitent du juge l’annulation d’une décision du ministre du travail, révélée par un courrier électronique du délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle du 11 août 2017, adressé aux préfets de région, relative à la prescription de contrats aidés. Parmi les nombreux arguments, notamment de forme, développés par les associations requérantes, l’un retiendra l’attention dans la mesure où est invoquée une double violation de la hiérarchie des normes.

En premier lieu, il lui est reproché de violer le cinquième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère la Constitution du 4 octobre 1958, aux termes duquel : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi (…) ». Relevant le flou et l’absence de précision de ce texte, le Conseil d’État juge qu’il ne saurait s’imposer au pouvoir réglementaire que dans les conditions et les limites définies par les dispositions contenues dans les lois ou dans les conventions internationales applicables. En somme, l’absence de loi ou traité tirant les conséquences de cette disposition constitutionnelle en empêcherait la mise en œuvre par le pouvoir exécutif. Il n’est pas sûr que le Conseil constitutionnel aurait jugé cela de la même manière.

En second lieu, les associations requérantes invoquaient la déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948, rédigée sous les auspices de l’O.N.U. De manière constante depuis cette date le Conseil d’État rappelle que si elle a été publiée au Journal officiel, cette déclaration n’a jamais été soumise au Parlement pour ratification. Elle n’est donc pas un traité ou un accord international auquel la France serait partie. Par suite, elle ne saurait être invoquée devant le juge. (23 mai 2018, Association des élus écologistes d'Ile-de-France et autres, n° 413911)

 

Libertés fondamentales

 

47 - Personne atteint d’autisme sévère – Placement en foyer – Cessation de l’aide financière du département – Liberté fondamentale en cause – Obligation de continuité de la prise en charge jusqu’à ce que soit trouvée une solution pérenne – Ordonnance de référé invoquant l’urgence à statuer pour ne pas se prononcer sur la mise en cause de l’agence régionale de la santé – Annulation.

En l’espèce, il s’agit d’une affaire dramatique où l’on voit une personne autiste à un degré très élevé ne plus trouver de lieu et de moyens financiers d’hébergement, État et département s’en renvoyant la charge. Le juge des référés estime que, vu l’urgence, il ne peut étendre le champ du contradictoire. Le Conseil d’État ordonne au département, qui prenait en charge jusque-là l’intéressée, de continuer à le faire à titre provisoire mais pour une durée indéterminée, en attendant que soit trouvée une solution pérenne. (18 mai 2018, Département de Paris, n° 420127)

 

48 - Loi pénale plus douce – Application immédiate – Principe de nécessité des peines – Non-respect par une décision administrative – Pouvoir et devoir du juge administratif saisi.

Il résulte des dispositions de l'article 8 de la Déclaration de 1789 l’obligation impérieuse d’appliquer immédiatement la loi pénale plus douce car, à défaut, une loi plus sévère serait appliquée contre la volonté même du législateur qui ne la juge plus nécessaire. Il en découle que la loi pénale plus douce est applicable aux infractions commises avant son entrée en vigueur et qui n'ont pas encore donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée. Ce principe s'applique à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle. Il est, en ce cas, de l’office du juge du fond, de prendre une décision qui se substitue à celle de l'administration et, le cas échéant, de faire application d'une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l'infraction a été commise et celle à laquelle le juge statue. (9 mai 2018, Me X., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Global Facility Services, n° 409161)

 

Police

 

49 - Lutte contre le blanchiment de capitaux – Police des jeux et paris – Lignes directrices prises sur le fondement d’une disposition illégale – Irrégularité – incompétence de leur auteur pour le surplus – Annulation.

Les syndicats requérants ont saisi le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre les lignes directrices prises conjointement par le service central des courses et jeux et la cellule de renseignement financier nationale, Tracfin, (ceux-ci agissant en vertu des articles L. 321-1 et L. 321-3 du code de la sécurité intérieure). Ces lignes directrices fixent les obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme auxquelles sont soumis les représentants légaux et directeurs responsables des opérateurs de jeux ou de paris autorisés ; elles se fondent sur les dispositions du III de l’art. R. 561-38 du code monétaire et financier. Le Conseil d’État constate, en premier lieu, que par ce dernier texte, loin de définir avec une précision suffisante - comme il en avait l’obligation - les principes devant guider la mise en place des systèmes d'évaluation et de gestion des risques par les professions assujetties à cette obligation, le Gouvernement a au contraire abandonné ce soin aux autorités de contrôle compétentes pour chacune des professions concernées.  Or il ne pouvait légalement se décharger de la mission que lui avait confiée l'article L. 561-32 du code monétaire et financier et, par suite, les dispositions du III de l'article R. 561-38 du code monétaire et financier sont entachées d'illégalité. Il relève en second lieu, que ces dispositions étant insusceptibles de fonder la compétence du ministre de l'intérieur ou du ministre de l'économie ni, en tout état de cause, du chef du service central des courses et des jeux ou du directeur de Tracfin agissant par délégation respective de ces ministres ou en vertu de leur compétence propre, aucun d’eux ne pouvait édicter par les «  lignes directrices » litigieuses, des règles nouvelles impératives, complémentaires à celle posées par le code monétaire et financier, en matière de mise en place de systèmes d'évaluation et de gestion des risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme, ce qui entache d’incompétence les « lignes directrices » litigieuses. (4 mai 2018, Syndicat des casinos modernes de France (SCMF) et syndicat « Casinos de France », n° 408288)

 

Procédure contentieuse (v. aussi n° 84)

 

50 - Suppression des passages injurieux, outrageants ou diffamatoires contenus dans les pièces de la procédure – Art. 41 de la loi du 29 juillet 1881 – Compétence du juge administratif – Pièce produite par le requérant lui-même – Irrecevabilité de la demande de suppression.

Lorsque dans le cadre d’un procès se déroulant devant le juge administratif, sont produits des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires à l’encontre de l’une des parties, cette dernière peut solliciter de la juridiction qu’elle en ordonne la suppression (on dit encore « bâtonner » les passages en cause) tout en réservant, le cas échéant, l’action pénale devant la juridiction répressive. En l’espèce, les demandeurs avaient eux-mêmes produit le rapport provisoire et le rapport final censés contenir de tels propos. Tout d’abord, le Conseil d’État donne tort aux juges du fond d’avoir écarté ces documents au motif que seuls sont concernés par la procédure instituée par la loi de 1881, les éléments contenus dans des mémoires produits par les parties au cours de l’instance. En effet, ceux se trouvant dans des pièces de la procédure autres que les mémoires peuvent également donner lieu à l’action en suppression pour injure, outrage ou diffamation. Ensuite, pour rejeter au fond la demande dont il était saisi, le Conseil d’État objecte qu’en l’espèce ce sont les parties demanderesses à la suppression des passages litigieux qui ont elles-mêmes produit les rapports qui les contenaient, non l’un de leurs adversaires. Dès lors, il leur appartenait, si elles s’y croyaient fondées, de saisir directement le juge pénal. (23 mai 2018, M. X. et Mme Y., n° 408654)

 

51 - Recours en rectification d’erreur matérielle – Article R. 833 du code de justice administrative – Cas d’ouverture et champ d’application – Distinction de l’erreur matérielle et de l’appréciation juridique – Recours irrecevable ici.

C’est une question récurrente de procédure que celle de la confusion, régulièrement faite par les justiciables entre erreur matérielle et appréciation juridique. Le recours en rectification d’erreur matérielle est une voie de droit extraordinaire qui n’est ouverte que dans les seuls cas où elle est prévue, sans extrapolation possible. Si, pendant plusieurs décennies, le Conseil d’État a donné une interprétation bienveillante ou libérale des cas d ’ouverture de ce recours, il est revenu à une pratique plus normale désormais. En l’espèce, la société requérante estimait que le deuxième moyen qu’elle avait soulevé, qui était tiré de la dénaturation des faits de l'espèce par les juges du fond, avait été inexactement résumé. Selon elle, ces derniers ont estimé que le rapport produit par l'administration permettait de comprendre les raisons de l'absence « d’établissement » des procès-verbaux et rapports d'enquête, alors que la société requérante relève que cette décision mentionne les raisons de l'absence de « production » des documents en question, ce qui modifierait substantiellement le sens du moyen. Toutefois, il va de soi que lorsqu’une juridiction analyse un moyen dont elle est saisie et en retranscrit l'interprétation dans sa décision juridictionnelle, elle se livre à une appréciation d'ordre juridique. Par suite, ne saurait prospérer une requête en rectification d'erreur matérielle dirigée contre cette interprétation. (30 mai 2018, Société Alter Nego, n° 416098)

 

52 - Logement déclaré insalubre par arrêté préfectoral – Travaux de remise en état ordonnés et réalisés – Demande initiale d’annulation de l’arrêté maintenue après mainlevée de l’arrêté d’insalubrité – Rejet du recours pour perte de son objet du fait de la mainlevée – Erreur de droit – Irrecevabilité déclarée d’une demande d’indemnité considérée - à tort - comme présentée pour la première fois en appel – Erreur de droit – Annulations.

Le préfet de Paris déclare insalubre un logement et ordonne des travaux. Tout en saisissant le juge administratif d’un recours en annulation de cet arrêté et en sollicitant l’allocation de la réparation du préjudice causé par l’inertie du préfet qui n’a pas fait expulser les locataires qui s’opposaient aux travaux qu’il avait ordonnés, les propriétaires effectuent les travaux. Ils sont déboutés de leurs deux demandes par la cour administrative de Paris : 1°/ de la demande d’annulation car elle serait devenue sans objet, ce qui est inexact, l’intérêt pour agir s’appréciant au jour de l’introduction du recours pour excès de pouvoir ; 2°/ de la demande d’indemnisation car celle-ci serait nouvelle en appel, ce qui est inexact, cette demande ayant été déjà formulée en première instance. D’où la double annulation prononcée. (18 mai 2018, M. X. et Mme X., n° 408511)

 

53 - Exception d’illégalité – Acte réglementaire – Cas d’ouverture – Restriction jurisprudentielle du champ de la contestation.

Dans le cadre d’un litige portant sur la légalité de la dérogation apportée par décret à l’obligation de ne recruter que des agents statutaires pour pourvoir des emplois permanents dans la fonction publique d’État (V. Fonction publique et agents publics au n° 414583), le Conseil d’État consacre une importante évolution du champ d’application du recours en illégalité par voie d’exception dirigé contre un acte réglementaire.

Il distingue selon que le recours est dirigé contre l’acte réglementaire dans le délai du recours contentieux, c’est le recours par voie d’action, ou qu’il est formé après l’expiration du délai de recours, c’est le recours par voie d’exception.

Dans le premier cas, le requérant dispose des classiques quatre cas d’ouverture que sont, pour la légalité externe, l’incompétence et les vices de forme ou de procédure, et, pour la légalité interne, le détournement de pouvoir ou de procédure et la violation des règles de droit générales et impersonnelles.

Dans le second cas, le recours par voie d’exception peut revêtir deux formes selon qu’il est dirigé contre les décisions administratives, réglementaires ou individuelles, prises pour l’application de l’acte réglementaire non attaqué dans le délai du recours contentieux, ou qu’il est dirigé contre le refus d’abroger une décision ultérieure dont l’acte réglementaire constitue la base légale. Dans les deux hypothèses qui constituent ce second cas, en raison de la permanence de l'acte réglementaire, la légalité des règles qu'il fixe, comme la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir doivent pouvoir être mises en cause à tout moment, de telle sorte que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales que cet acte est susceptible de porter à l'ordre juridique. En revanche, et c’est la nouveauté apportée par la présente décision, les conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne peuvent être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux. Cette solution radicale accentue l’évolution qui tend à réduire de plus en plus la possibilité de contester des vices de forme et donc à faire de ces derniers les parents pauvres de la légalité au profit d’un pragmatisme qui se veut plus moderne et plus réaliste. Cela peut être critiqué en raison de sa brutalité et, parfois sans doute, de son injustice. Que se passera-t-il, par exemple, lorsqu’un individu ne pourra pas former un recours pour excès de pouvoir contre un acte réglementaire en raison de son défaut d’intérêt pour agir et qu’il ne pourra pas non plus contester l’application individuelle qui lui en sera faite dès lors que le seul vice invocable sera, précisément, celui affectant l’acte réglementaire initial et, par ricochet, l’acte individuel subséquent ? Or il s’agit là d’une situation fréquente en matière universitaire, de fonction publique et autres. (Assemblée, 18 mai 2018, Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT, n° 414583 ; v. aussi, du même jour, sous le n° 411045, la décision Syndicat CGT de l'administration centrale et des services des ministères économiques et financiers et du Premier ministre, tendant aux mêmes fins et subissant le même sort).

 

54 - Intérêt à interjeter appel – Appréciation par rapport au seul dispositif du jugement attaqué non par rapport aux motifs de celui-ci.

Une décision de référé dont l’objet porte exclusivement sur l’enregistrement d’une demande d’asile et sur la délivrance d’une attestation de la qualité de demandeur d’asile, rappelle opportunément un principe constant du régime de l’appel. La recevabilité à interjeter appel suppose l’existence d’un intérêt à le faire. Précisément, cet intérêt s’apprécie par rapport au seul dispositif du jugement attaqué et non par rapport aux motifs comme on le croit parfois. (ord. réf., 30 mai 2018, M. X., n° 420439)

 

55 - Appel provoqué – Relation directe avec l’appel principal – Situation au moins triangulaire – Distinction d’avec l’appel incident – Conditions de recevabilité – Absence de réunion en l’espèce – Rejet de l’appel provoqué.

Dans un litige de responsabilité hospitalière, après que le centre hospitalier, condamné, s’est retourné par voie récursoire contre l’ONIAM, ce dernier a formé, parallèlement à l’appel principal du Centre hospitalier, un appel provoqué (dit aussi « appel d’intimé à intimé »). Cette situation ne peut exister que s’il y a au moins trois parties au procès. En effet, à la différence de l’appel incident, qui est dirigé par une autre partie que l’appelant principal et contre ce dernier, l’appel provoqué suppose un appel principal suivi d’un appel d’une autre partie que l’appelant principal et dirigé non contre ce dernier mais contre une troisième partie de première instance.  En raison de son caractère dérogatoire notamment au regard de l’inopposabilité du délai d’appel et de ses effets procéduraux, l’appel provoqué est soumis au respect cumulatif de trois conditions : il n’est recevable que si l’appel principal l’est, il ne doit pas soulever un litige distinct de celui sur lequel porte l’appel principal et l’admission de l’appel principal doit avoir un effet aggravant de la situation de l’auteur de l’appel provoqué. Cette dernière condition faisant défaut en l’espèce, comme. C’est d’ailleurs souvent le cas, l’appel provoqué de l’ONIAM est rejeté. (25 mai 2018, ONIAM, n° 410142)

 

56 - Fonctionnaire stagiaire – Exclusion du service – Référé suspension – Octroi de la suspension – Réintégration – Éviction du service à l’expiration du stage – Refus d’annuler l’arrêté d’éviction – Conséquences sur les mesures postérieures à ce refus – Droits acquis et délai de retrait – Régime prétorien.

Les faits de cette affaire sont un peu complexes. Mme X., gardien de la paix stagiaire, est suspendue de ses fonctions puis exclue du service. Le juge administratif du référé suspension (art. L. 521-1 CJA) ordonne la suspension de ces décisions et la réintégration de l’agent. Réintégrée, Mme X. achève sa scolarité et elle est nommée gardien de la paix stagiaire par arrêté du 4 mars 2016. Statuant au fond, le tribunal administratif rejette, le 14 avril 2016, la demande de Mme X. tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 mars 2015 prononçant son éviction du service. Le 29 juin 2017, l'intéressée a été titularisée dans le corps des gardiens de la paix. Cependant, le ministre de l'intérieur, par un nouvel arrêté du 28 septembre 2017, a remis en vigueur à compter du 14 avril 2016, date de la notification du jugement du tribunal administratif, l'arrêté du 30 juin 2015 excluant l'intéressée du service et a mis fin, à compter également du 14 avril 2016, à l'arrêté du 30 juin 2015 qui avait prononcé la réintégration provisoire de l'intéressée. Saisi par Mme X., le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu les effets de l'arrêté du 28 septembre 2017 et enjoint au ministre de l'intérieur de réintégrer Mme X. dans ses fonctions de gardien de la paix, dans un délai d'un mois à compter de la notification de cette ordonnance. Le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation contre cette dernière ordonnance. En l’état de ce qu’il faut bien considérer comme un imbroglio, le Conseil d’État rappelle tout d’abord une règle bien certaine. L’ordonnance de suspension d’une décision administrative n’a qu’un caractère provisoire jusqu'à ce qu'il soit statué sur le recours en annulation présenté parallèlement à la demande en référé. Ensuite, cette règle s’applique à la décision juridictionnelle de suspension d'une mesure excluant du service un agent public ainsi qu’à l’injonction qu’elle contient à l’égard de l'administration de réintégrer cet agent. Enfin, il suit de là que le rejet de la demande d’annulation permet à l’administration de retirer la décision de réintégration qu’elle avait prise à la suite de cette injonction ainsi que les diverses mesures l’accompagnant sous la réserve des incidences de la règle du service fait. L’importance du présent arrêt tient à la double précision suivante qu’il apporte. 1°/  le  retrait doit intervenir « dans un délai raisonnable, » lequel ne peut excéder quatre mois à compter de la date à laquelle le jugement rejetant la demande d'annulation a été notifié à l'administration ; 2°/ en revanche, les décisions créatrices de droits prises postérieurement à cette date ne constituent plus des mesures provisoires et ne peuvent être retirées, conformément au droit commun, que si elles sont entachées d'illégalité et retirées dans un délai de quatre mois à compter de leur signature. En l’espèce, faute d’avoir procédé ainsi, la décision du ministre de l’intérieur n’a pas abrogé la mesure antérieure d’exclusion du service. (23 mai 2018, Mme X., n° 416313)

 

57 - Référé suspension – Travaux de réalisation du bus à haut niveau de service (BHNS) sur les communes du Bordelais – Suspension ordonnée pour trois motifs – L’un d’eux étant fondé, rejet de la demande d’annulation de l’ordonnance de suspension.

Pour rejeter la demande d’annulation d’une ordonnance ordonnant la suspension de l’arrêté préfectoral déclarant d’utilité publique les travaux en vue de la réalisation du bus à haut niveau de service sur le territoire de plusieurs communes du Bordelais, le Conseil d’État relève que l’un des trois motifs retenus par le juge des référés pour justifier sa décision de suspension est, en l’état de l’instruction, fondé. (18 mai 2018, Bordeaux Métropole, n° 415601).

 

58 - Requête manifestement irrecevable – Notion – Champ d’application strictement défini – Impossibilité d’extension par analogie ou autre – Régime procédural.

Parce que les requêtes manifestement irrecevables  peuvent être rejetées par simple ordonnance (art. R. 222-1, 4°, CJA), le champ d’application de cette notion est limité aux seuls trois cas suivants : requêtes dont l'irrecevabilité ne peut en aucun cas être couverte; requêtes ne pouvant être régularisées que jusqu'à l'expiration du délai de recours ; si ce délai est expiré, requêtes ayant donné lieu à une invitation à régulariser, si le délai que la juridiction avait imparti au requérant à cette fin, en l'informant des conséquences qu'emporte un défaut de régularisation (art. R. 612-1 CJA), est expiré. Il en résulte que lorsque la juridiction s'est bornée à communiquer au requérant, en lui indiquant le délai dans lequel il lui serait loisible de répondre, le mémoire dans lequel une partie adverse a opposé une fin de non-recevoir, en dehors du cas où son auteur aurait été invité à la régulariser dans les conditions prévues à l'article R. 612-1 précité, la requête ne peut être rejetée selon la procédure expédiente de l’irrecevabilité manifeste mais seulement par une décision prise après audience publique et fondée simplement sur son irrecevabilité. (18 mai 2018, Mme X., n° 409638)

 

59 - Renvoi pour cause de suspicion légitime – Juridiction compétente – Juridiction immédiatement supérieure – Compétence en l’espèce de la cour administrative d’appel non du Conseil d’État.

Rappel d’une règle classique : le renvoi pour cause de suspicion légitime devant être demandé à la juridiction « immédiatement supérieure » à celle dont la partialité est alléguée, une telle procédure, dirigée contre le tribunal administratif de Nice, devait être portée devant la cour administrative d’appel de Marseille et non, comme ce fut le cas en l’espèce, directement devant le Conseil d’État. (9 mai 2018, Mme X, n° 416237)

 

60 - Recours en référé contre un visa d’exploitation d’un film délivré par le ministre compétent – Saisine directe du Conseil d’État – Impossibilité – Compétence en premier et dernier ressort de la cour administrative d’appel de Paris.

Les recours, même en référé suspension, dirigés contre les décisions du ministre de la culture relatives à la délivrance du visa d'exploitation d'œuvres cinématographiques (ici à propos du film « L’homme qui tua Don Quichotte ») relèvent de la compétence en premier et dernier ressort de la cour administrative d'appel de Paris non de celle du Conseil d’État.  (18 mai 2018, Société X. et associés, n° 420555)

 

61 - Opposition – Règle générale de procédure – Prohibition devant les tribunaux administratifs – Légalité du décret réglementaire l’instituant.

Rappel d’une règle établie en 1959 : l’opposition est interdite devant les tribunaux administratifs ceci afin d’éviter les manœuvres dilatoires de certains plaideurs. Si cette voie de droit existe même sans texte devant toute juridiction administrative, le pouvoir réglementaire peut interdire cette voie de rétractation devant une juridiction déterminée. Par suite, doit être rejetée l’exception d’illégalité soulevée à l’encontre de l’art. R. 831-6 CJA. On regrettera la rédaction choisie qui pourrait laisser à penser que l’opposition est un principe général de procédure ; en effet, normalement un tel principe étant de rang législatif, le règlement ne peut y intervenir car il n’a ce pouvoir qu’à l’égard d’une règle générale de procédure. (4 mai 2018, Métropole Aix-Marseille-Provence, n° 408708) V. aussi, dans cette même affaire et du même jour, sur un autre aspect procédural : Métropole Aix-Marseille-Provence, n° 404410.

 

62 - Astreinte pour assurer l’exécution d’une décision de justice – Astreinte provisoire de 5000 euros par jour de retard – Liquidation de l’astreinte à un montant réduit eu égard aux circonstances de l’espèce et aux diligences accomplies.

Constatant l’inexécution de sa décision du 17 octobre 2014 impartissant au Premier ministre et au ministre de l’environnement de prendre un décret avant l’expiration d’un certain délai, le Conseil d’État leur donne trois mois à compter de sa décision du 27 juillet 2016, communiquée le 28 juillet aux intéressés, soit jusqu’au 28 octobre 2016. Ce décret n’a été pris que le 2 février 2018 et publié au JO du 4 février 2018 : le montant définitif de l’astreinte à verser à la collectivité de Guyane est ramené, « eu égard aux circonstances de l'espèce et notamment aux diligences accomplies », à 500 000 euros. (18 mai 2018, collectivité territoriale de Guyane, n° 396130)

 

63 - Responsabilité hospitalière – Dénaturation des pièces du dossier par un arrêt de cour administrative d’appel – Attribution de la charge des frais d’expertise à la partie non perdante – Annulations.

La Cour avait jugé dans cette affaire qu’un défaut d’information de la patiente par le centre hospitalier avait été reconnu dans ses écritures alors que ce n’était pas le cas, ce qui constitue une dénaturation des pièces du dossier. Par ailleurs, elle avait jugé que le dommage subi par l’intéressée serait de toutes façons survenu à peu près au même moment en l’absence d’intervention et refusé, pour ce motif, de l’indemniser. Toutefois, le rapport d’expertise avait conclu, au contraire, qu’en l’absence de cette intervention litigieuse, les graves inconvénients supportés par la patiente ne seraient apparus que « plusieurs années » après. D’où une seconde dénaturation. (18 mai 2018, Mme X., n° 411835)

 

64 - Recours administratif préalable obligatoire – Substitution de la décision prise après ce recours à la décision primitive – Conclusions dirigées contre cette dernière considérées comme dirigées contre la seconde décision.

Lorsqu’un administré a formé un recours administratif préalable obligatoire avant toute saisine du juge, la décision prise à la suite de l’exercice de ce recours se substitue entièrement à la décision attaquée. Il s’ensuit que les conclusions prises contre cette dernière doivent alors être considérées comme dirigées contre la décision qui s’y est substituée. (9 mai 2018, M. X., n° 408172)

 

Professions réglementées (v. aussi n° 8)

 

65 - Ordonnance de l’article 38 de la Constitution – Ordonnance du 16 février 2017 prise en application de la loi d’habilitation du 26 janvier 2016 relative à l'adaptation des dispositions législatives relatives aux professions de santé – Institution d’une limite d’âge pour faire acte de candidature à une élection professionnelle – Illégalité de l’ordonnance qui excède le champ de l’habilitation législative.

L’ordonnance du 16 février 2017 prise en application de la loi d’habilitation du 26 janvier 2016 concernant l'adaptation des dispositions législatives relatives aux professions de santé, contient diverses dispositions que contestent des conseils régionaux de l’ordre des pharmaciens. Il faut retenir, car cela est rare, l’annulation d’une disposition de l’ordonnance en raison de ce que celle-ci n’entre pas dans le champ de l’habilitation donnée au gouvernement par la loi du 26 janvier 2016. En effet, l’ordonnance insère dans le code de la santé publique un article L. 4233-9 qui établit une limite d'âge pour se porter candidat à une élection ordinale, limite que les dispositions antérieurement en vigueur ne prévoyaient pour aucun des ordres concernés. Le Conseil d’État relève qu’une telle mesure ne correspond à aucun des motifs de l’habilitation donnée au gouvernement : elle « n'a pour effet ni de simplifier les règles d'éligibilité au sein des instances ordinales, ni de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions de membres des conseils », par suite, elle n'entre pas dans le champ de l'habilitation donnée au Gouvernement. Elle est donc annulée. (25 mai 2018, Conseil régional d'Auvergne de l'ordre des pharmaciens et autre, n° 409871) V. aussi, très voisins, 1°/ 25 mai 2018, Conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes des Hauts-de-Seine et autres, n° 409412 ; 2°/ 25 mai 2018, Conseil régional de Midi-Pyrénées de l'ordre des médecins, n° 409869.

 

66 - Notaires, huissiers, commissaires-priseurs – Fixation à 71 ans de l’âge limite pour exercer ces fonctions – Recours au tirage au sort en cas de candidatures trop nombreuses – Transferts et création d’offices – Absence d’atteinte à un droit ou à une liberté constitutionnels ou conventionnels.

Importante décision, très technique, dans les détails de laquelle il n’est pas possible d’entrer dans le cadre de cette chronique. Elle concerne l’âge limite pour l’exercice de l’une des fonctions au sein de ces offices ministériels, les conditions de transfert ou de création d’offices, etc. (Assemblée, 18 mai 2018, X. et Association Défense du droit à l'exercice de la profession d'huissier de justice (DDEPHJ) et autres, n°s 400675, 400698, 400858, 401795 et 401810)

 

67 - Géomètres-experts – Procédure disciplinaire – Principe du contradictoire – Omission de la possibilité de faire des copies du dossier disciplinaire – Irrégularité de l’ensemble de la procédure.

L’intéressé, qui avait fait l’objet d’une sanction disciplinaire du conseil régional de l’ordre des géomètres-experts de La Réunion-Mayotte sous la forme d’une interdiction d’exercer sa profession durant deux mois, avait saisi pour appel le Conseil supérieur de cet Ordre. L’appel ayant été rejeté, M. X. fit valoir l’irrégularité de la procédure consistant à n’avoir pas été informé de la possibilité de prendre copie de son dossier disciplinaire. Le Conseil d’État, qui prend soin de relever que l’intéressé n’a été ni présent ni représenté à l’audience disciplinaire se déroulant à Paris, juge qu’en l’absence de cette information il a été ainsi privé d’une garantie visant à lui permettre de prendre connaissance de son dossier. Cette omission, en portant atteinte au caractère contradictoire de la procédure disciplinaire, entache de nullité la procédure suivie. (16 mai 2018, M. X., n° 411491)

 

Question prioritaire de constitutionnalité (v. aussi n° 25 et n° 27)

 

68 - Inconstitutionnalité résultant de l’incompatibilité d’une disposition de droit interne avec le droit de l’Union – Appréciation directe par le Conseil d’État de l’éventuelle incompatibilité ou renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l’UE – Saisine du Constitutionnel seulement en cas de réponse positive à l’objection d’incompatibilité.

Lorsqu'est invoquée, à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité, l'incompatibilité d'une disposition législative nationale avec le droit de l'Union européenne, dont il résulterait une discrimination à rebours contraire aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, il appartient au juge administratif national, pour apprécier le caractère sérieux de la question soulevée, d'examiner la compatibilité de la disposition nationale contestée avec celles du droit de l'Union européenne. (30 mai 2018, SA HighCo, n° 412964)

 

69 - Principe constitutionnel d’indépendance des professeurs d’université – Suspension d’un professeur à titre conservatoire – Inconstitutionnalité de l’art. L. 951-4 du code de l’éducation (non) – Violation par cet article de principes constitutionnels (non) – Violation des droits de la défense (non) – Violation de la liberté d’expression des professeurs d’université (non).

Suspendu à titre provisoire de ses fonctions par décision de la présidente de son université, un professeur fait plaider au soutien de la QPC qu’il a introduite, que les dispositions de l’art. L. 951-4 du code de l’éducation méconnaissent les exigences posées à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et le principe fondamental reconnu par les lois de la République de l'indépendance des enseignants-chercheurs, car elles attribuent au ministre chargé de l'enseignement supérieur, ou par délégation, aux présidents d'université, un pouvoir de suspension qui devrait relever des seules juridictions disciplinaires. Par ailleurs, elles n'organisent aucune procédure préalable de nature à assurer le respect des droits de la défense de l'enseignant-chercheur concerné. Le Conseil d’État rappelle qu’il ne s’agit point d’une mesure de sanction mais d’une mesure d’ordre destinée à permettre le fonctionnement normal de l’université, que l’intéressé perçoit son entier traitement durant toute la période de suspension, qu’à défaut de procédure pénale une procédure disciplinaire doit être engagée au plus court terme, qu’enfin, au cours de celle-ci, le fonctionnaire suspendu bénéficiera de tous ses droits, notamment, du caractère contradictoire de la procédure. Pas davantage une telle suspension ne porte atteinte à la liberté d’expression de l’agent. (30 mai 2018, M. X., n° 418844)

 

70 - QPC soulevée devant un tribunal administratif – Refus de transmission au Conseil d’État – Appel au Conseil d’État ne contenant pas la QPC – QPC formée hors du délai d’appel – Irrecevabilité.

Des contribuables soulèvent en première instance une QPC à propos de la contradiction - inconstitutionnelle selon eux - existant entre le principe d’absence d’exécution forcée contre l’État débiteur et le refus d’appliquer le principe de compensation légale du Code civil. En appel, ils développent des conclusions au principal sans y joindre une réitération de la QPC rejetée. Ils ne le feront qu’après l’expiration du délai d’appel : la QPC était dès lors irrecevable et elle est rejetée. (16 mai 2018, M. et Mme X., n° 406984)

 

71 - Article 190 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain – Notice d’information relative aux obligations du bailleur et aux voies de recours et d'indemnisation du locataire jointe au congé délivré par le bailleur en raison de sa décision de reprendre ou de vendre le logement – Absence de motifs de renvoi au Conseil constitutionnel.

Il n’y a pas lieu à renvoyer au C.C. la question de la constitutionnalité de l’art. 190 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2008 car, contrairement à ce qui est allégué par les requérants, cette disposition n’est pas source d’insécurité juridique, n’est pas davantage entachée d’incompétence négative et n’opère pas une distinction injustifiée en distinguant selon que l ‘information est donnée au locataire actuellement occupant de l’appartement ou à un tiers. (23 mai 2018, M. X., n° 418311)

 

72 - Art. 88 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 – Inconstitutionnalité – Régimes indemnitaires des collectivités territoriales – Alignement sur ceux de l’État – Caractère facultatif pour l’État d’un élément de rémunération, caractère obligatoire de ce même élément pour les collectivités locales.

Le Conseil d’État accepte de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de savoir si ne porte pas atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales affirmé par le troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, la circonstance que la prise en considération de l'engagement professionnel des agents dans le calcul d’une indemnité, facultative pour l’État, est obligatoire pour les collectivités territoriales en ce qu’elle ne comporte pas l'énoncé de garanties propres à prévenir une entrave à l'exercice du libre choix des collectivités territoriales dans l'établissement du régime indemnitaire de leurs agents. (18 mai 2018, Commune de Ploudiry et autre, n° 418726).

 

Responsabilité

 

73 - Accident médical, infection nosocomiale et affections iatrogènes – Dommage corporel – Assistance d’une tierce personne – Calcul de l’indemnité au titre de cette assistance – Prise en considération de la personne exerçant cette assistance (non).

Pour fixer, en matière de préjudice corporel, le montant de l’indemnisation réparant la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, le juge – tenu à une stricte exigence de calcul purement objectif - ne doit avoir égard qu’aux seuls besoins de la victime et au montant des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Pour cela, il convient, d’une part, de déterminer le taux horaire de l’emploi d’une personne disposant de la qualification adéquate, d’autre part, du nombre moyen d’heures hebdomadaires d’assistance dont a besoin la victime compte tenu de son âge et de son état, des dimanches et des jours fériés, etc. En particulier, il ne doit tenir compte ni des dépenses réelles assumées à cet effet, ni de la circonstance que l’assistance est assurée par un membre ou un proche de la famille de la victime.

En fixant un taux horaire très inférieur à celui qui aurait résulté de l’application des règles ci-dessus, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit qui justifie l’annulation de son arrêt en tant qu’il porte sur l’indemnisation au titre de l’assistance d’une tierce personne. (25 mai 2018, Mme X., n° 393827)

 

74 - Responsabilité hospitalière – Séquelles neurologiques d’une intervention pratiquée au moyen d’un endoscope – Mise hors de cause et de l’instrument utilisé et de l’établissement hospitalier par les juges du fond – Erreur dans la qualification juridique des faits – Annulation.

Pour dire n’y avoir lieu à entrer en voie de condamnation d’un établissement hospitalier du chef de sa responsabilité, la cour administrative d’appel avait jugé que les séquelles dont M. X. demeure atteint à la suite de l'opération de ventriculo-cisternostomie réalisée le 16 août 2001 ont été causées par la mauvaise trajectoire de l'endoscope. Toutefois, le rapport d’expertise réalisé à la demande du tribunal administratif concluait que dans les conditions dans lesquelles cette intervention a été pratiquée, l'erreur de trajectoire constatée ne pouvait survenir lorsque le neurochirurgien utilise un endoscope non défectueux et ne commet aucun manquement aux règles de l'art. En clair soit l’appareil présentait une défectuosité soit le praticien a commis une faute. Malgré ce, la Cour écrit que le dommage n'avait pas pu résulter d'un dysfonctionnement de l'instrument et que ni l'utilisation de l'appareil malgré une insuffisante visualisation constatée lors des essais préliminaires ni la survenance même de l'erreur de trajectoire ne permettaient d'établir une faute de l'établissement. Manifestement sa lecture des faits était erronée. (25 mai 2018, M. X., n° 410412)

 

75 - Réclamation adressée à un organisme (de droit public ou de droit privé chargé d’une mission de service public) en vue de la réparation d’un préjudice qu’il a causé – Organisme agissant au nom et pour le compte de l’État – Réclamation devant être considérée comme adressée à la fois à cet organisme et à l’État – Silence de l’État valant rejet s’agissant d’une demande à caractère financier – Saisine du juge pour action à fin indemnitaire – Office du juge.

En l’espèce était allégué un comportement fautif de Pôle emploi dans l’exercice d’une mission de service public au nom et pour le compte de l’État. Sa demande préalable ayant été rejetée, l’intéressée saisit le juge d’un recours contentieux qui fut rejeté au motif que son action indemnitaire était mal dirigée. Le Conseil d’État est d’accord avec ce raisonnement : l’action contentieuse devait être dirigée contre l’État non contre Pôle emploi, les fautes commises n’étant pas détachables de sa mission de service public. Cependant, d’une part, faute d’avoir recherché la responsabilité de l’État, la requérante se heurte désormais aux dispositions de l’art. L. 231-4 du code des relations entre le public et l’administration : le silence gardé pendant plus de deux mois sur une réclamation de caractère financier vaut rejet de celle-ci, mais d’autre part, les art. L. 114-2 et L. 114-3 du même code décident : « Lorsqu'une demande est adressée à une autorité administrative incompétente, cette dernière la transmet à l'autorité administrative compétente et en avise l'intéressé.

Le délai au terme duquel est susceptible d'intervenir une décision implicite de rejet court à compter de la date de réception de la demande par l'autorité initialement saisie. (...) ".

Combinant ces deux séries de dispositions, le Conseil d’État décide de façon expédiente et très bienvenue que « Lorsqu'un organisme de droit public ou un organisme de droit privé chargé d'une mission de service public est chargé du service de prestations au nom et pour le compte de l'État, une réclamation préalable adressée à cet organisme en vue d'obtenir la réparation des préjudices nés de fautes commises dans le service d'une telle prestation doit, en principe, être regardée comme adressée à la fois à cet organisme et à l'État, lequel, en l'absence de décision expresse de sa part, est réputé l'avoir implicitement rejetée à l'expiration du délai de deux mois suivant la date de réception de la demande par l'organisme saisi, alors même que ce dernier l'aurait également rejetée au titre de sa responsabilité propre. 
En outre, dans une telle hypothèse, il appartient au juge administratif, saisi d'une action indemnitaire après le rejet d'une telle réclamation préalable, de regarder les conclusions du requérant tendant à l'obtention de dommages et intérêts en réparation de fautes commises par les services de l'organisme chargé du service des prestations au nom et pour le compte de l'État comme également dirigées contre ce dernier et de communiquer la requête tant à cet organisme qu'à l'autorité compétente au sein de l'État.
 » (23 mai 2018, Mme X., n° 405448)

 

76 - Présomption d’imputabilité au service d’une affection – Article L. 3 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre – Absence de présomption en l’espèce – Obligation pour la victime d’établir un lien de causalité directe entre le préjudice et l’activité militaire en cause ainsi que des circonstances particulières de nature à expliquer le dommage.

Dans une décision sévère et de rédaction agacée, il est jugé que du fait de l’impossibilité pour la victime de se prévaloir d’une présomption légale d’imputabilité au service d’une affection, « le demandeur de la pension doit apporter la preuve de l'existence d'une relation certaine et directe de cause à effet entre les troubles qu'il invoque et des circonstances particulières du service à l'origine de l'affection. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle, ni des conditions générales de service partagées par l'ensemble des militaires servant dans la même unité. » (9 mai 2018, M. X., n° 404837)

 

Service public

 

77 - Notion de service public administratif – Condition juridique des usagers d’un service public administratif – Caractère de contrat administratif de l’éventuel contrat liant l’usager au service – Compétence de la juridiction administrative pour connaître des litiges en découlant.

Dans le cadre du litige opposant une personne hébergée dans un foyer communal pour personnes âgées quant à la décontamination par l’amiante du logement que celle-ci occupe, le juge est amené à réitérer une jurisprudence bien établie au moins depuis l’arrêt Berkani. En l’espèce, l’activité exercée par le centre communal d’action sociale est un service public administratif. Or l’usager d’un service public administratif est toujours dans une relation de droit public avec ce service et les litiges qui peuvent en résulter sont de la compétence du juge administratif y compris dans le cadre d’un référé constat de l’art. L. 521-4 CJA, lequel ne tranche aucun litige. (25 mai 2018, Mme X., n° 401760)

 

Urbanisme

 

78 - Permis de construire – Hauteur des constructions – Largeur des voies – Retrait des constructions par rapport à l‘axe de l’alignement – Erreur de calcul sans effet sur la légalité du jugement attaqué.

L’erreur commise par les premiers juges en tenant compte, pour fixer la hauteur maximale autorisée d’une construction, à la fois de la largeur de la voie et de la distance de retrait de la construction par rapport à l’axe de l’alignement n’entraîne pas l’annulation de leur jugement dès lors que cette erreur (retenir un retrait de quatre mètres alors qu’il fallait un retrait minimal de cinq mètres) n’a pas eu d’incidence sur la détermination de cette hauteur maximale (30 mai 2018, Consorts X., n° 413381)

 

79 - Refus de permis de construire – Annulation de ce refus – Suites contentieuses possibles – Pouvoirs et office du juge saisi.

Le Conseil d’État avait été saisi pour avis par le tribunal administratif de Versailles de trois questions, ce qui lui donne l’occasion d’effectuer un large tour d’horizon de la gestion contentieuse des annulations des refus de permis de construire. On se borne à retranscrire ci-après l’essentiel du « dialogue » entre les deux juridictions.

La première question était la suivante : « La combinaison des dispositions des articles L. 911-1 du code de justice administrative et des articles L. 600-4-1 et L. 424-3 du code de l'urbanisme et de la possibilité de présenter ou non une demande de substitution de motifs conduit-elle à ce que l'annulation d'un refus de permis de construire opposé après l'entrée en vigueur de l'article 108 de la loi du 6 août 2015 implique nécessairement que le juge administratif enjoigne à l'administration d'accorder le permis demandé, le cas échéant en l'assortissant de prescriptions ? Dans l'affirmative, avant d'exercer son pouvoir d'injonction, le juge administratif est-il préalablement tenu de demander spécifiquement aux parties de lui faire part de toute autre circonstance de droit ou de fait s'opposant à la délivrance du permis ? La solution est-elle différente selon la nature des moyens d'annulation retenus, notamment si le jugement accueille un moyen d'annulation tiré du détournement de pouvoir ? »

Le Conseil d’État répond que lorsque l'exécution d'un jugement ou d'un arrêt implique normalement, eu égard aux motifs de ce jugement ou de cet arrêt, une mesure dans un sens déterminé, il appartient au juge administratif, saisi de conclusions sur le fondement des dispositions précitées, de statuer sur ces conclusions en tenant compte, le cas échéant après une mesure d'instruction, de la situation de droit et de fait existant à la date de sa décision. Si, au vu de cette situation de droit et de fait, il apparaît toujours que l'exécution du jugement ou de l'arrêt implique nécessairement une mesure d'exécution, il incombe au juge de la prescrire à l'autorité compétente.

La deuxième question était la suivante : «  Dans l'hypothèse d'une réponse négative aux questions précédentes, les dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative limitant le pouvoir d'injonction du juge à la prescription d'une mesure d'exécution dans un sens déterminé permettent-elles au juge d'enjoindre à l'administration de " ne pas " rejeter la demande de permis de construire, alors qu'une telle injonction laisse ouverte la possibilité pour l'administration de choisir entre autant de décisions qu'existent de possibilités de prescriptions ? » Le Conseil d’État répond que lorsqu'une juridiction, à la suite de l'annulation d'un refus opposé à une demande d'autorisation d'occuper ou d'utiliser le sol, fait droit à des conclusions aux fins d'injonction sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, ces conclusions du requérant doivent être regardées comme confirmant sa demande initiale. Par suite, la condition posée par l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme imposant que la demande ou la déclaration soit confirmée dans les six mois suivant la notification de l'annulation au pétitionnaire doit être regardée comme remplie lorsque la juridiction enjoint à l'autorité administrative de délivrer l'autorisation d'urbanisme sollicitée.

La troisième question était la suivante : «  Dans l'hypothèse d'une réponse négative aux questions précédentes, le juge peut-il, en vertu des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, prescrire le réexamen de la demande de permis de construire, le cas échéant sous astreinte, en assortissant les motifs de son jugement d'une mention selon laquelle l'autorité administrative ne saurait, sauf circonstances de fait ou de droit nouvelles, rejeter de nouveau la demande sans méconnaitre l'autorité de la chose jugée qui s'attache à la décision d'annulation et aux motifs qui en constituent le soutien nécessaire ? » Le Conseil d’État répond que les dispositions introduites au deuxième alinéa de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme par l'article 108 de la loi du 6 août 2015 visent à imposer à l'autorité compétente de faire connaitre tous les motifs susceptibles de fonder le rejet de la demande d'autorisation d'urbanisme ou de l'opposition à la déclaration préalable. Combinées avec les dispositions de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, elles mettent le juge administratif en mesure de se prononcer sur tous les motifs susceptibles de fonder une telle décision. Il ressort des travaux parlementaires de la loi du 6 août 2015 que ces dispositions ont pour objet de permettre d'accélérer la mise en oeuvre de projets conformes aux règles d'urbanisme applicables en faisant obstacle à ce qu'en cas d'annulation par le juge du refus opposé à une demande d'autorisation d'urbanisme ou de l'opposition à la déclaration préalable, et compte tenu de ce que les dispositions de l'article L. 600-2 du même code conduisent à appliquer le droit en vigueur à la date de la décision annulée, l'autorité compétente prenne une nouvelle décision de refus ou d'opposition. Donc, lorsque le juge annule un refus d'autorisation ou une opposition à une déclaration après avoir censuré l'ensemble des motifs que l'autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément aux prescriptions de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme ainsi que, le cas échéant, les motifs qu'elle a pu invoquer en cours d'instance, il doit, s'il est saisi de conclusions à fin d'injonction, ordonner à l'autorité compétente de délivrer l'autorisation ou de prendre une décision de non-opposition. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction soit que les dispositions en vigueur à la date de la décision annulée, qui eu égard aux dispositions de l'article L. 600-2 demeurent applicables à la demande, interdisent de l'accueillir pour un motif que l'administration n'a pas relevé, ou que, par suite d'un changement de circonstances, la situation de fait existant à la date du jugement y fait obstacle L'autorisation d'occuper ou utiliser le sol délivrée dans ces conditions peut être contestée par les tiers sans qu'ils puissent se voir opposer les termes du jugement ou de l'arrêt. Enfin, en cas d'annulation, par une nouvelle décision juridictionnelle, du jugement ou de l'arrêt ayant prononcé, dans ces conditions, une injonction de délivrer l'autorisation sollicitée et sous réserve que les motifs de cette décision ne fassent pas par eux-mêmes obstacle à un nouveau refus de cette autorisation, l'autorité compétente peut la retirer dans un délai raisonnable qui ne saurait, eu égard à l'objet et aux caractéristiques des autorisations d'urbanisme, excéder trois mois à compter de la notification à l'administration de la décision juridictionnelle. Elle doit, avant de procéder à ce retrait, inviter le pétitionnaire à présenter ses observations. (Avis, 25 mai 2018, préfet des Yvelines et autre, n° 417350)

 

80 - Permis de construire – Construction dans le champ de visibilité d’un monument historique – Avis négatif de l’architecte des bâtiments de France (ABF) – Procédure à suivre – Saisine du préfet au moyen d’un dossier incomplet – Conséquences sur le délai de recours.

Cette décision concerne l’octroi puis le refus d’un permis de construire dans le champ de visibilité d’un édifice classé monument historique lorsque l’ABF donne un avis défavorable à cette construction.

Tout d’abord, lorsqu’un refus de permis a été opposé, le pétitionnaire doit, avant de former un recours pour excès de pouvoir contre ce refus faisant suite à un avis négatif de l’ABF, saisir le préfet de région d'une contestation de cet avis. Comme il est de règle en cas de recours préalable automatique, l'avis du préfet, exprès ou tacite, se substitue à celui de l’ABF. Deux hypothèses se présentent alors. Soit le préfet infirme l'avis défavorable de l’ABF : en ce cas, l'autorité compétente doit statuer à nouveau sur la demande de permis de construire dans un délai d'un mois à compter de la réception du nouvel avis, cette nouvelle décision se substituant alors au refus de permis de construire précédemment opposé. Soit le préfet confirme l'avis défavorable de l’ABF : en ce cas, l'autorité compétente n'a pas à se prononcer à nouveau sur la demande de permis de construire ; le délai de recours contentieux contre le refus de permis court à compter de la notification de la décision du préfet confirmant l'avis défavorable de l’ABF. Si, cependant, l'autorité compétente prend néanmoins une nouvelle décision de refus, cette dernière est purement confirmative du refus initialement opposé et ne rouvre pas ni ne prolonge le délai de recours contentieux.

Ensuite, lorsque le recours formé contre l'avis défavorable de l’ABF ne comporte pas le dossier complet de la demande de permis de construire, il appartient au préfet d'inviter le pétitionnaire à compléter ce dossier, dans le délai qu'il fixe, et d'en informer l'autorité d'urbanisme compétente pour statuer sur la demande de permis de construire. En ce cas, le délai au terme duquel le recours est réputé admis (cf. art. R. 423-68 c. urb.) est interrompu et ne recommence à courir qu'à compter de la réception des pièces requises (art. 2 du décret du 6 juin 2001, repris à l'art. L. 114-5 du code des relations entre le public et les administrations). (4 mai 2018, Mme X. et Mme Y., n° 410790)

 

81 - Zone d’aménagement concerté – Cahier des charges – Nature juridique – Décision réglementaire après approbation administrative – Détermination du nombre de mètres carrés de surface hors œuvre nette dont la construction est autorisée sur la parcelle cédée – Division de la parcelle en lots – Obligation de fixer la superficie des lots (non).

Dans le cadre d’une ZAC, il résulte de l’art. L. 311-6 du code de l’urbanisme qu’il incombe au cahier des charges qui régit les cessions ou concessions d’usage de terrains à l’intérieur de la zone d’indiquer « le nombre de mètres carrés de surface hors œuvre nette dont la construction est autorisée sur la parcelle cédée ». Ce cahier des charges, en raison de son approbation par l’autorité administrative, a la nature d’une décision réglementaire. Il s’ensuit qu’en cas d’omission de fixer cette superficie, aucune autorisation de construire ne peut être délivrée et qu’en cas de fixation de la superficie, ne peuvent être autorisées des constructions excédant la superficie ainsi fixée. En revanche, lorsqu’une parcelle fait l’objet d’une division en lots, il ne résulte d’aucun texte que doit être établie par ledit cahier des charges la surface constructible sur ces lots même dans le cas où ceux-ci ne recouvrent qu’une partie de la superficie totale de la parcelle. (23 mai 2018, M. X. et EARL de Bonnières, n° 406010)

 

82 - Reconstruction après incendie – Permis de construire – Augmentation du volume – Conformité au plan d’occupation des sols – Permis régulier – Annulation du permis par le juge entachée d’erreur de droit.

Suite à un incendie, un propriétaire sollicite un permis de construire portant sur un volume de construction augmenté par rapport à la partie détruite par l’incendie. Cette augmentation n’excédant pas ce que permet le plan d’occupation des sols de la commune dans ce secteur, c’est à tort que les premiers juges se sont fondés exclusivement sur ce dépassement pour annuler le permis de construire. Leur erreur de droit est censurée. (16 mai 2018, M. X., n° 406645)

 

83 - Permis de construire un parc de cinq éoliennes – Action en illégalité dirigée contre le permis par les propriétaires d’un château situé à 2,5 kilomètres du lieu d’implantation – Absence d’intérêt suffisant à agir – Irrecevabilité.

La double circonstance qu’un château se trouve à 2,5 kilomètres du lieu d’implantation d’un parc de cinq éoliennes et que celles-ci ne sont visibles qu’à partir du deuxième étage de l’édifice, ne confère point aux propriétaires de ce château un intérêt suffisant pour demander l’annulation du permis de construire le parc d’éoliennes. Cette décision se situe dans le droit fil de la volonté d’épurer le contentieux de l’urbanisme en empêchant le surgissement de litiges fondés sur une interprétation par trop libérale de l’intérêt à agir. (16 mai 2018, Société P et T Technologie, n° 408950)

 

84 - Annulation d’un permis de construire – Refus d’en permettre la régularisation – Décision juridictionnel reposant sur une pluralité de motifs dont l’un au moins est erroné – Pouvoir du juge de cassation en principe – Cas où existe au moins un moyen justifiant la décision frappée de cassation – Conséquences.

De façon générale, lorsqu’une décision de justice déférée au juge de cassation repose sur plusieurs motifs dont l’un au moins est erroné sans être surabondant, le juge de cassation doit accueillir le pourvoi. En effet, il n’a pas à s’interroger sur le point de savoir si les juges du fond auraient pris la même décision sans ce motif irrégulier.

Par exception, lorsque la décision juridictionnelle attaquée prononce l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif et que l'un quelconque des moyens qu’elle a retenus suffit à justifier son dispositif d'annulation, le juge de cassation, doit rejeter le pourvoi. Toutefois, en raison de l'autorité de chose jugée qui s'attache aux motifs constituant le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle déférée, il doit préalablement censurer le ou les motifs erronés. (23 mai 2018, ville de Paris, n° 405937)

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