Sélection de jurisprudence du Conseil d'Etat

Avril 2018

 

Actes et décisions (v. aussi n°s 23, 81, 84)

 

1 - Société anonyme d’économie mixte (SAEM) faisant l’objet d’une procédure de sanction pour non respect de son obligation déclarative de logements vacants sur contingent préfectoral – Non respect par l’Agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS) de la procédure fixée par les articles L. 342-9 et L. 342-12 du code de la construction et de l’habitation – Respect du contradictoire (non) – Respect des délais réglementaires (non).

Est irrégulière la procédure de sanction engagée par l’ANCOLS à l’encontre de la SAEM requérante pour avoir attribué des logements appartenant au contingent préfectoral sans que leur vacance ait été signalée aux services de l'Etat ou sans que ces derniers aient été mis en mesure de présenter une seconde liste de candidats. Cette sanction a, d’une part, été proposée au ministre par l’organe compétent de l’ANCOLS le 16 décembre 2016 alors que le rapport définitif sur les faits reprochés n’a été communiqué à la SAEM que le 23 décembre, d’autre part, prise par le ministre le 14 mars 2017 alors que le délai de quatre mois dont, en vertu des textes, disposait la SAEM pour présenter ses observations sur le rapport définitif n'était pas expiré. Est, par voie de conséquence, annulé le titre de recette émis à la suite de cette décision de sanction irrégulière. (26 avril 2018, SAEM Habiter à Yerres, n° 409688)

 

2 - Avis – Caractère impératif – Mesure réglementaire – Incompétence du ministre pour la prendre – Annulation.

L'article L. 541-10-4 du code de l'environnement impose à toute personne qui fabrique, importe ou introduit sur le marché national des produits chimiques pouvant présenter un risque significatif pour la santé et l'environnement de prendre en charge ou de faire prendre en charge par des sociétés spécialisées, techniquement et financièrement, la collecte et le traitement des déchets ménagers desdits produits. Un décret et des arrêtés ont été pris pour l’application de cette disposition. Un avis, dont la société EcoDDS demande l'annulation pour excès de pouvoir, a été pris par le ministère chargé de l'environnement, le 4 février 2016, modifiant un avis précédent relatif au champ d'application de la filière de responsabilité élargie du producteur des produits chimiques pouvant présenter un risque significatif pour la santé et l'environnement.

Le Conseil d’Etat relève que si cet avis indique avoir pour objet d' « éclairer » l'application de l'arrêté modificatif du 4 février 2016 et précise que la liste qu'il établit a un caractère non exhaustif et seulement indicatif, cependant il fournit des exemples de produits inclus ou exclus de la filière à responsabilité élargie des producteurs ; il précise que « La liste n'étant pas exhaustive, l'absence de mention d'un produit dans la colonne «  produits inclus »  du tableau ci-après n'implique pas son exclusion de la filière des déchets diffus spécifiques ménagers, chaque metteur sur le marché concerné doit alors pouvoir démontrer que les critères définis à l'article R. 543-28 ne sont pas remplis. » Le juge déduit de ces dispositions que, à l'inverse, les produits figurant expressément dans la liste des produits « inclus » sont soumis aux obligations de collecte et de traitement prévues par l'article L. 541-10-4 précité et qu’ainsi l'avis attaqué comporte des dispositions devant être regardées comme impératives et à caractère général. Or il mentionne les « aérosols et fumigènes d'extinction » dans la liste des « exemples de produits exclus » de la catégorie 2 et les ajoute entre les catégories 6 et 7, sans les rattacher à aucune des catégories déterminées par le III de l'article R. 543-228 du code de l'environnement, dans la colonne « correspondance sous-type de produits », en indiquant comme « exemples de produits inclus » les « aérosols extincteurs » et les « fumigènes d'extinction de feux de cheminée ».  L'avis ajoutant sur ce point aux dispositions de l'arrêté modificatif du 4 février 2016 il a, dans cette mesure, une portée réglementaire. En conséquence il aurait du être pris par un arrêté interministériel (environnement, industrie et santé) et non par le seul ministre de l’environnement. Il est donc annulé pour incompétence de son auteur. (11 avril 2018, Société EcoDDS, n° 407247)

 

3 - Avis – Absence de caractère décisoire – Mesure purement préparatoire – Recours en excès de pouvoir irrecevable – Contestation possible – éventuellement – seulement à l’appui d’un recours de pleine juridiction dirigé contre la DGSP.

L'avis émis par la direction générale de l'aviation civile du ministère chargé de l'écologie, du développement durable et de l'énergie afférent à l'octroi d'une délégation de service public relative à l'aérodrome d'Aix-Les Milles, publié au bulletin officiel des annonces des marchés publics, n’avait pas la nature d’une décision administrative contrairement à ce qui avait été jugé en appel. En effet, si cet avis manifeste l'intention de l'Etat de passer une convention de délégation de service public pour la gestion de cet aérodrome, il ne saurait en soi constituer une décision sur le principe du recours à une telle délégation. Ce dernier présente ainsi le caractère d'une simple mesure préparatoire à la conclusion de la convention ; il n'est pas susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir. (4 avril 2018, Ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, n° 414263)

 

4 - Commission de régulation de l’énergie – Fixation de la liste et des tarifs des prestations annexes que les gestionnaires des réseaux de distribution d'électricité réalisent à titre exclusifAbrogation d’une décision postérieurement au recors contentieux dont elle fait l’objet – Recevabilité du recours – Condition.

Rappel d’un principe constant du contentieux administratif : L'abrogation d'un acte administratif postérieurement à l'introduction d'une requête tendant à son annulation ne prive pas le litige de son objet sauf lorsque cet acte n'a reçu aucun commencement d'exécution. (26 avril 2018, Société Le Caloch Consultant, n° 404611)

 

5 - Convention par laquelle une autorité publique s’engage à user dans un certain sens de son pouvoir réglementaire – Illégalité en principe – Principe d’indisponibilité des compétences – Acte subséquemment pris pour un motif d’intérêt général – Illégalité par voie de conséquence – Non.

Dans le cadre d’un litige relatif à un permis de construire qui soulève plusieurs points de droit de l’urbanisme non examinés ici, un aspect de l’argumentation de la requérante doit être relevé.  

La commune avait conclu une convention avec le pétitionnaire du permis aux termes de laquelle son maire avait pris l’engagement de faire usage de son pouvoir réglementaire dans un sens déterminé. Une telle convention, directement contraire au principe d’indisponibilité des compétences, est nulle en raison de l’illicéité de son objet.

Pour autant, il ne s’ensuit pas automatiquement que l’acte réglementaire adopté après la signature d'une telle convention soit illégal de ce seul fait. S’il a été pris dans le but d'intérêt général pour lequel le pouvoir réglementaire a été conféré à cette autorité et non pour la mise en oeuvre de la convention, il ne procède d'aucun détournement de pouvoir. (6 avril 2018, Association Nature, aménagement réfléchi, territoire, environnement, culture sauvegardés (NARTECS), n° 402714)

 

6 - Ordonnance l’art. 38 de la Constitution – Ordonnance non ratifiée – Nature juridique – Délai de recours contentieux.

Si une ordonnance prise sur le fondement de l’art. 38 de la Constitution conserve la nature d’une décision administrative tant qu’elle n’a pas été expressément ratifiée par le Parlement et peut donc faire l’objet d’un recours, notamment pour excès de pouvoir, celui-ci, comme il en va pour toute décision administrative, est enfermé dans le délai de droit commun de deux mois, décompté à partir du jour de la publication de l’ordonnance au Journal officiel. (26 avril 2018, Syndicat indépendant des artistes interprètes, n° 411780)

 

Biens

 

7 - Château de Chambord – Domaine public de l’Etat – Utilisation photographique de l’image du château – Finalité publicitaire – Utilisation privative du domaine public – Contrepartie financière.

Cet arrêt rendu Assemblée du contentieux tranche une question de principe.

La société « Les Brasseries Kronenbourg » a fait réaliser des photographies du château de Chambord, dépendance du domaine public de l'Etat, en vue de leur utilisation dans le cadre d'une campagne de publicité. Estimant que la fin commerciale de l’opération constituait une occupation privative du domaine public, l’établissement public du domaine national de Chambord a exigé une contrepartie financière en émettant des titres exécutoires dont l’annulation a été accordée par le tribunal d’Orléans et confirmée par la Cour administrative de Nantes. L'établissement public du domaine national de Chambord se pourvoit en cassation. (1) Le Conseil d’Etat commence par poser deux axes d’analyse.

En premier lieu, reprenant la position de la cour de Nantes, il juge dans un considérant de principe plein de bon sens que « les personnes publiques ne disposant pas d'un droit exclusif sur l'image des biens leur appartenant, celle-ci n'est pas au nombre des biens et droits mentionnés à l'article L. 1 du code général de la propriété des personnes publiques, ainsi que l'a jugé la cour administrative d'appel sans erreur de droit. Il en résulte que l'image d'un bien du domaine public ne saurait constituer une dépendance de ce domaine ni par elle-même, ni en qualité d'accessoire indissociable de ce bien au sens des dispositions de l'article L. 2111-2 du code général de la propriété des personnes publiques ».

En second lieu, le juge rappelle que l'occupation ou l'utilisation du domaine public n'est soumise à la délivrance d'une autorisation que lorsqu'elle constitue un usage privatif de ce domaine public, excédant le droit d'usage appartenant à tous. En ce cas, la redevance d'occupation ou d'utilisation du domaine public constitue la contrepartie du droit d'occupation ou d'utilisation privative ainsi accordé. Il s’ensuit que si la personne publique gestionnaire du domaine peut demander à celui qui occupe ou utilise irrégulièrement le domaine public le versement d'une indemnité calculée par référence à la redevance qu'il aurait versée s'il avait été titulaire d'un titre régulier, en revanche, l'occupation ou l'utilisation du domaine public dans les limites ne dépassant pas le droit d'usage appartenant à tous, laquelle n'est soumise à la délivrance d'aucune autorisation, ne peut, par suite, être assujettie au paiement d'une redevance.

(2) Faisant application au cas de l’espèce, caractérisé par la prise de vues d'un bien appartenant au domaine public, il affirme avec un grand libéralisme, d’une part, que si une prise de vues est susceptible d'impliquer, pour les besoins de la réalisation matérielle de cette opération, une occupation ou une utilisation du bien qui excède le droit d'usage appartenant à tous, une telle opération ne caractérise toutefois pas, en elle-même, un usage privatif du domaine public, d’autre part, que l'utilisation à des fins commerciales de l'image d'un tel bien ne saurait être assimilée à une utilisation privative du domaine public.

(3) Est rappelé un grand principe du droit administratif des libertés : seul le législateur possède le pouvoir de soumettre à un régime d'autorisation préalable l'utilisation à des fins commerciales de prises de vues d'un immeuble appartenant au domaine public, un tel régime étant constitutif d'une restriction à la liberté d'entreprendre et à l'exercice du droit de propriété. Il n’appartenait point à l’établissement public requérant de se substituer au législateur.

(4) Enfin, se plaçant sur le terrain de la responsabilité, le juge observe que la loi du 7 juillet 2016 – inapplicable aux faits de l’espèce – a ouvert la possibilité aux gestionnaires des domaines nationaux de soumettre à autorisation préalable l'utilisation à des fins commerciales de l'image des immeubles qui constituent ces domaines, qu’ils relèvent ou non d'un régime de domanialité publique, et précisé que cette autorisation peut prendre la forme d'un acte unilatéral ou d'un contrat, assorti ou non de conditions financières, la redevance éventuellement mise à la charge du titulaire de l'autorisation tenant compte des avantages de toute nature que celle-ci lui procure. Le juge en déduit que l'utilisation à des fins commerciales des prises de vues d'un immeuble entrant dans leur champ, sans qu'ait été au préalable obtenue l'autorisation qu'elles prévoient, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'utilisateur à l'égard du propriétaire ou du gestionnaire de l'immeuble, le préjudice subi par celui-ci consistant notamment en l'absence de perception de la redevance dont l'autorisation aurait pu être assortie. La victime du dommage peut, dans ce cas, en demander la réparation devant la juridiction administrative. Reste entière la question de la conventionnalité (CEDH et son 1er protocole additionnel) d’une mesure qui fait fi de ce que les citoyens français sont a minima copropriétaires des immeubles domaniaux, acquis, entretenus, restaurés avec leurs deniers. (Assemblée, 13 avril 2018, Etablissement public du domaine national de Chambord, n° 397047)

 

8 - Autorisation d’exporter un tableau – Trésor national – Mise en instance de classement puis classé monument historique – Caractère justifié du classement – Absence d’atteinte excessive au droit de propriété.

Après la délivrance d'un certificat d'exportation d’un tableau du baron François Gérard, l’administration de la culture décide de le placer en instance de classement (décision du 5 juin 2015) puis de classer monument historique et le tableau raison de sa qualité de bien constituant un « trésor national » et l'ensemble d'objets mobiliers conservés au château de Craon à Haroué (décret du 2 juin 2016). L’intéressée saisit le Conseil d’Etat d’un recours dirigé contre ces deux décisions administratives.

Elle conteste d’abord la possibilité pour l’administration, après avoir délivré un certificat d’exportation pour cette œuvre, de le classer comme monument historique. Cette argumentation est rejetée car l'existence de certificats d'exportation ne faisait pas obstacle au classement et à la qualification, à ce titre, de " trésor national " de l'ensemble d'objets mobiliers conservés au château de Craon à Haroué concernés par les décisions attaquées.

Ensuite, le juge estime réunies les conditions permettant de dire d’intérêt public l’ensemble mobilier classé par le décret litigieux. Enfin, une telle mesure, si elle limite le droit de propriété de la requérante, ne constitue pas une atteinte excessive au droit de propriété car elle est justifiée par l'objectif d'intérêt général de conservation du patrimoine national sans que puissent être invoquées les dispositions combinées des articles 34, 35 et 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et du règlement 116/2009/CEE du Conseil du 18 décembre 2008 relatives aux restrictions à la libre circulation des biens culturels, et notamment des trésors nationaux ainsi que le principe de libre circulation des marchandises. (6 avril 2018, Mme X., n° 402065)

 

9 - Occupation sans titre du domaine public maritime – Contravention de grande voirie – Activité d’élevage d’huîtres perlières – Régularisation postérieure du titre d’occupation – Action domaniale devenue sans objet – Titre de recette des frais de remise en état annulé.

La société Dream Pearls – qui exerce une activité d’élevage et de greffe perlicoles - fait l’objet d'une contravention de grande voirie pour occupation irrégulière de plus de 75 hectares du domaine public maritime. Elle est condamnée par le TA de Polynésie française à une amende, aux frais de remise en état du domaine public maritime et à une somme correspondant au montant des frais d'établissement du procès-verbal de contravention de grande voirie. Le recours en appel ayant échoué, la société se pourvoit.

La société Dream Pearls se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 mai 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel dirigé contre ce jugement au motif que la circonstance que le président de la Polynésie française avait délivré en cours d'instance à la société Dream Pearls l'autorisation d'occuper les dépendances du domaine public maritime en litige pour les besoins de son activité de perliculture était par elle-même sans incidence sur l'obligation pour cette société de payer ces frais, dès lors que le domaine public était illégalement occupé à la date des faits reprochés. Le Conseil d’Etat reproche à la cour d’avoir, ce jugeant, méconnu son office car l'intervention au cours de l'instance pendante devant elle d’arrêtés conférant à la société un titre régulier d'occupation privait d'objet l'action domaniale, d’où l’annulation de l’arrêt ainsi que, pour l’essentiel, du jugement de première instance. (11 avril 2018, Société Dream Pearls, n°413245)

 

10 - Concessionnaire d’un réseau public de distribution d’électricité – Régime des travaux à réaliser sur la voirie routière – Autorisations distinctes du préfet et du service gestionnaire du domaine public routier – Avis de ce dernier dans le cadre de l’instruction préfectorale ayant le caractère de mesure préparatoire – Irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir contre l’avis.

Le concessionnaire d'un réseau public de distribution d'électricité, est soumis à deux obligations préalablement à la réalisation de tout projet de construction d'ouvrage de ce réseau. Il doit solliciter l'approbation du préfet au titre du code de l'énergie et il doit recueillir l'accord des services du gestionnaire de la voirie quant aux modalités techniques de réalisation des travaux, dans le respect des prescriptions des règlements de voirie. La circonstance que le concessionnaire tient de la loi le droit d'occuper le domaine public routier en y installant des ouvrages compatibles avec son affectation à la circulation terrestre et d'exécuter sur les voies publiques tous travaux nécessaires à l'établissement et à l'entretien de ces ouvrages ne le dispense pas du respect de cette seconde exigence.

Le Conseil d’Etat donne raison à la cour administrative d’appel pour avoir jugé qu’en l’espèce les courriers du président du conseil général de la Creuse indiquant à la société requérante que les travaux envisagés devraient être conduits dans le respect d'un certain nombre de conditions techniques n’avaient été émis que dans le cadre de la procédure d'approbation du projet par l'arrêté préfectoral, alors même qu'ils mentionnaient des prescriptions à respecter par les intervenants s'agissant de son domaine public routier. Ils n’avaient pas le caractère de décisions mais celui de mesures préparatoires. La Cour relève d’ailleurs que ces prescriptions ont été ultérieurement fixées par le président du conseil départemental dans sa décision d'autorisation des travaux prise en application du règlement départemental de voirie. Le recours pour excès de pouvoir dirigé contre de telles mesures était donc irrecevable. (11 avril 2018, Société ENEDIS, n° 406284)

 

11 - Droit de préemption – Préemption en cas de cession d’un monument historique – Exercice – Suspension par le juge – Effets – Modulation possible – Obligation de répondre à un moyen en ce sens.

Dans le cadre d’une procédure de préemption exercée à l’occasion de la cession d’un ensemble immobilier classé monument historique, les propriétaires ont saisi le juge du référé suspension qui leur a donné satisfaction. La métropole de Lyon se pourvoit. Le Conseil d’Etat rappelle les effets s’attachant à une ordonnance suspendant l'exécution d'une décision de préemption. Tout d’abord, cette suspension a normalement pour conséquence et de faire obstacle au transfert de propriété ou à la prise de possession du bien préempté au bénéfice de la collectivité publique titulaire du droit de préemption et de permettre aux signataires de la promesse de vente de mener la vente à son terme. Cependant, le juge peut ne suspendre que certains des effets de l'acte de préemption et, en particulier, décider de limiter la suspension au seul transfert de propriété sans permettre la poursuite jusqu’à son terme de la vente. Le juge des référés n’a pas effectué cette modulation, fût-ce pour la rejeter, alors qu’elle lui était demandée par la métropole de Lyon. D’où la cassation : l’autorité publique ne peut pas poursuivre, provisoirement, la préemption et les vendeurs ne peuvent pas, provisoirement, poursuivre leur cession. (4 avril 2018, Métropole de Lyon, n° 412423)

 

12 - Archives publiques – Papiers et brouillons du général de Gaulle – Art. L. 211-4 du code du patrimoine – Notion d’ « activité de l’Etat » – Qualification juridique et constitutionnelle de la France libre, de la France combattante, du Comité français de la libération nationale et du Gouvernement provisoire de la République française.

Cette décision a été rendue en Assemblée davantage pour sa portée symbolique et un peu incantatoire que pour la solution politico-juridique qu’elle contient et qui n’est pas nouvelle.

L'Etat ayant engagé une action en revendication d'archives publiques devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de se voir remettre 313 brouillons manuscrits de télégrammes écrits par le général de Gaulle entre le 11 décembre 1940 et le 11 décembre 1942 détenus par la société Aristophil et le musée des lettres et manuscrits, le tribunal a fait droit à cette demande. Saisie d'un appel formé par la société Aristophil et le musée des lettres et manuscrits, la cour d'appel de Paris a saisi le tribunal administratif de Paris de la question de savoir si ces pièces revêtaient le caractère d'archives publiques. Le tribunal ayant donné une réponse positive à cette question, l’Association du musée des lettres et manuscrits, la société Aristophil et autres se pourvoient en cassation.

Le Conseil d’Etat, reprenant l’art. L. 211-4 du code du patrimoine, décide que « Tout document procédant de l'activité de l'Etat constitue, par nature, une archive publique » et qu’il en va ainsi quelle que soit la date à laquelle ils ont été produits, quel que soit leur état d'achèvement et quelle que soit l'intention de leur auteur. Leur caractère, ici, de brouillons ne saurait les faire regarder comme des documents privés. Opérant une audacieuse déduction historique et juridique sur la base des affirmations de l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, le Conseil d’Etat juge que « la France libre et la France combattante et, par la suite, le Comité français de la libération nationale et le Gouvernement provisoire de la République française, ont été, à compter du 16 juin 1940, dépositaires de la souveraineté nationale et ont assuré la continuité de la République ». C’est une affirmation qui est plus gaullienne que scientifique, ainsi en août 1944, les ambassadeurs des Etats-Unis, du Royaume-Uni, d’URSS et de Suisse sont encore à Vichy non à Londres. A partir de cette réécriture du roman national français, la déduction devient logique – dans les limites de l’exercice - : « Il s'ensuit que les documents qui émanent de ces institutions et de leurs dirigeants et représentants procèdent de l'activité de l'Etat et constituent, dès lors, des archives publiques ».

Cette affirmation n’est en rien contredit (le Palais-Royal dixit) par la circonstance qu’au même moment « doivent être regardés comme des archives publiques les documents procédant de l'activité politique et administrative » de Vichy. (Assemblée 13 avril 2018, Association du musée des lettres et manuscrits, société Aristophil et autres, n° 410939)

 

13 - Autorisation d’accès aux locaux d’une direction départementale de la sécurité publique – Autorisation donnée à certaines mutuelles seulement pour présentation de leurs produits – Discrimination injustifiée au regard des prestations proposées – Annulation.

Une mutuelle, Cybèle Solidarité, se voit notifier qu'elle ne pourra plus tenir, au sein des locaux d’une direction départementale de la sécurité publique, des permanences destinées à présenter son offre aux agents car elle n'est pas chargée de la gestion du régime obligatoire de base de la sécurité sociale pour les agents du ministère de l'intérieur et n'a pas non plus conclu un partenariat avec ce ministère pour gérer une prestation d'action sociale ministérielle. Les juges du premier et du second degré ont rejeté le recours de la mutuelle contre cette décision.

Saisi d’un pourvoi de cette mutuelle, le Conseil d’Etat rappelle, ce qui est bien connu, que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité administrative règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la décision qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. Les juges du fond avaient estimé, pour ce motif, que les mutuelles chargées de la gestion d'un régime légal obligatoire de sécurité sociale ou celles ayant conclu un partenariat en matière d'action sociale avec le ministère de l'intérieur ne se trouvaient pas dans la même situation que les autres mutuelles, qui proposent exclusivement des offres de protection sociale complémentaire ainsi que des prestations d'action sociale, en dehors de toute mission de service public et dans un cadre concurrentiel et que la différence de traitement ainsi opérée était fondée sur des critères objectifs en rapport direct avec l'objet de la mesure, sans être manifestement disproportionnée au regard de l'objectif qu'elle poursuivait. Ce raisonnement est censuré par le Conseil d’Etat, lequel considère que ces mutuelles « au regard de l'objet de la mesure, en tant qu'elle concerne les offres par des mutuelles de prestations dans le domaine de la protection sociale complémentaire ne sont pas placées dans une situation différente de celle des autres mutuelles, dès lors que toutes ces mutuelles proposent des prestations relevant de la protection sociale complémentaire qu'elles ont vocation à présenter aux agents lors des permanences tenues (dans les locaux de cette direction) ».

Le juge ajoute que si les responsables avaient invoqué des contraintes liées au bon fonctionnement du service public dont ils ont la charge et des spécificités liées à l'affectation des locaux concernés, de tels motifs, qui sont bien d’intérêt général, n’auraient pas pu légalement permettre de  réserver l'accès ponctuel des locaux des services de police aux seules mutuelles chargées de la gestion d'un régime légal obligatoire de sécurité sociale ou ayant conclu un partenariat en matière d'action sociale avec le ministère de l'intérieur et d'exclure par principe toutes les autres mutuelles. D’où l’erreur de droit commise et l’annulation prononcée. (11 avril 2018, Mutuelle « Cybèle Solidarité », n° 407331)

 

Contrats

 

14 - Marché public – Décompte général – Prix global et forfaitaire – Contestation des chefs de créance non pris en compte – Erreur de droit et insuffisance des motifs – Etendue du contrôle du juge de cassation.

Le décompte général notifié par la commune de Mulhouse à la société Eiffage Construction Alsace à l’issue d’un chantier de construction n'ayant pas pris en compte ses demandes de paiements supplémentaires, la société a produit un mémoire en réclamation resté sans réponse.  Elle a donc saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à la condamnation du maître d'ouvrage à lui verser une certaine somme avec intérêts au taux contractuel et leur capitalisation. Les juridictions des premier et second degrés lui donnent satisfaction sauf sur un point, celui relatif au préjudice résultant de l'allongement des délais et des surcoûts de chantier ainsi que sur les intérêts moratoires et leur capitalisation. 
Le Conseil d’Etat annule l’arrêt d’appel pour deux motifs. En premier lieu, il estime que la Cour a commis une erreur de droit quand, ayant constaté que le marché devait être réglé par un prix global et forfaitaire, elle en a déduit que les frais complémentaires exposés par la société requérante en raison de l'allongement de la durée de chantier de treize mois, au-delà de la durée initialement prévue de vingt et un mois, devaient, quelle qu'en soit la cause et donc même si l'allongement de la durée était imputable à la personne publique, être regardés comme inclus dans son prix global et forfaitaire au seul motif que les travaux en cause ne constituaient pas des travaux supplémentaires mais des prestations incluses dans son marché. En second lieu, il aperçoit une insuffisance de motifs dans le fait que la Cour ayant elle-même jugé que la société Eiffage Construction Alsace était fondée à demander l'indemnisation de certains travaux supplémentaires, elle n’a pas recherché - comme le demandait la société requérante - si la responsabilité de la commune était susceptible d'être engagée en raison d'un préjudice lié à l'allongement des délais inhérents à ces travaux supplémentaires. (13 avril 2018, Société Eiffage Construction Alsace, n° 402691)

 

15 - Marché public de travaux – Eviction de l’un des candidats – Affirmation du caractère irrégulier de l’éviction – Action en réparation du préjudice subi du fait de l’éviction – Absence de causalité directe – Rejet.

Rappel du principe constant en matière d’action en responsabilité du fait du caractère irrégulier de l’éviction d’un candidat à un marché public. Il ne suffit pas, comme en l’espèce, qu’une irrégularité entache la procédure qui a conduit à la mesure d’éviction, encore faut-il, conformément au principe régissant le droit de la responsabilité, qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l’éviction irrégulière et les préjudices dont le candidat demande l'indemnisation. Lorsque l'irrégularité ayant affecté la procédure de passation n'a pas été la cause directe de l'éviction du candidat, il n'y a pas de lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à raison de son éviction. La demande de réparation ne peut pas, en ce cas, aboutir. (6 avril 2018, Etablissement public Habitat Sud Atlantic, n° 402219)

 

16 - Marché de services juridiques – Une partie des activités en cause est réglementée – Ventilation entre les deux sortes d’activités – Risque d’accomplissement de tâches réglementées par une entité non autorisée – Référé précontractuel tendant à la suspension de la signature d’un contrat – Rejet de la demande de suspension – Cassation en la forme, confirmation au fond.

La Société Altraconsulting avait sollicité du juge des référés du tribunal administratif de Nîmes qu’il ordonne la suspension de la signature d’un marché public de services portant sur une « mission visant à obtenir des dégrèvements sur les impositions de taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des dépenses pour économies d'énergie, pour l'adaptation des logements handicapés et de la vacance ». L’Office public de l’habitat de Vaucluse, « Mistral Habitat », avait retenu la candidature d’un groupement composé de la société Atax consultants et d’un avocat.  La requérante estimait que ce marché comprenant, d’une part, des missions de services juridique sstricto sensu, lesquelles sont réservées par la loi à certaines catégories de personnes, d’autre part d’autres missions non réglementées, il y avait risque d’exercice de l’activité par la Société Atax non habilitée pour cela. Son action ayant rejetée par la juridiction nîmoise, elle saisit le Conseil d’Etat. Celui-ci annule l’ordonnance de référé pour n’avoir pas recherché si, eu égard à la contestation soulevée devant lui sur ce point, la société Atax Consultants ne serait pas nécessairement conduite à effectuer des prestations juridiques qui sont des activités réglementées par la loi (art. 54 de la loi du 31 décembre 1971). Statuant au fond, il admet possible la ventilation des deux sortes d’activités objet du contrat et leur attribution respective à chacune des deux parties. La requête est rejetée au fond. (4 avril 2018, Société Altraconsulting, n° 415946)

 

Droit fiscal et droit financier public (v. n° 60)

 

17 - Contribution économique territoriale – Cas des sociétés absorbées – Demande de dégrèvement par la société absorbante – Condition d’octroi.

A la suite de la fusion-absorption de plusieurs sociétés par la société But international celle-ci a sollicité, en application des dispositions de l'article 1647 C quinquies B du CGI, le dégrèvement des cotisations de contribution économique territoriale mises à la charge des entreprises qu’elle avait absorbé par fusion. Le Conseil d’Etat, contrairement au juge d’appel, estime que lorsqu'une société redevable de la contribution économique territoriale au 1er janvier 2010 et satisfaisant, à cette date, aux conditions posées à l'article 1647 C quinquies B disparaît par l'effet d'une fusion-absorption, la société absorbante, venant aux droits et obligations de son absorbée, ne peut solliciter le dégrèvement litigieux qu'au titre des années pour lesquelles la société absorbée avait elle-même la qualité de redevable de la contribution économique territoriale. La société But International ne pouvait pas bénéficier de dégrèvements au titre des années durant lesquelles les sociétés qu'elle avait préalablement absorbées n'étaient plus redevables de la contribution. (13 avril 2018, Société But international, n° 394261

 

18 - QPC – Conditions du renvoi d’une QPC (1) - I et IV de l’article 150-0 A CGI – Indivision successorale – Cession d’un bien indivis – Plus-value – Attributaire du bien indivis – Charge exclusive de l’imposition de la plus-value – Conséquences de l’art. 883 du code civil – Question sérieuse (2) – Renvoi au Conseil constitutionnel.

(1) Le ministre soutient que le mémoire de Mme X. à l’appui de sa QPC relative à l'article 883 du code civil ne comporte aucune motivation propre au principe de l'effet déclaratif du partage successoral que consacrent ses dispositions. Le Conseil d'Etat rappelle qu’il lui revient seulement d’apprécier si sont réunies les conditions posées pour opérer un renvoi de la question au Conseil constitutionnel non de se prononcer sur la motivation du mémoire.

(2) L’intéressée estime que les dispositions précitées de l'article 150-0 A CGI, telles qu'interprétées par la jurisprudence, en particulier à la lumière de l'article 883 du code civil, ont pour effet, dans le cas d’une indivision successorale, de mettre à la charge du seul attributaire d'un bien indivis, le paiement de l'imposition de la plus-value résultant de la cession de ce bien sans l'autoriser à déduire du gain net les soultes qu'il a pu verser aux autres propriétaires indivis, non attributaires, lors du partage mettant fin à l'indivision. Cela lui paraît violer le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égalité devant les charges publiques.

Le juge renvoie cette QPC au Conseil constitutionnel en tant qu’elle porte sur les I et IV combinés de l'article 150-0 A CGI. (11 avril 2018, Mme X., n° 417378)

 

19 - Certificat fiscal nécessaire à l’immatriculation d’un véhicule acquis sans un autre Etat membre de l’Union européenne (art. 298 sexiès CGI) – TVA – Décision de l’administration, saisie d’un dossier complet, de refuser la délivrance du certificat pour soupçon de fraude à la TVA – Illégalité.

L’intéressé avait acquis un véhicule d’occasion auprès d’un revendeur établi au Luxembourg et demandé ensuite aux services fiscaux la délivrance du certificat nécessaire à l'immatriculation de son véhicule en France. Cela lui fut refusé pour deux motifs : le caractère incomplet de son dossier et la circonstance que les éléments fournis comportaient des mentions imprécises ou incohérentes. Débouté par le tribunal administratif de Nîmes, il saisit le Conseil d’Etat.

Sur le premier point, ce dernier relève que le dossier fourni était bien complet, l’administration fiscale exigeant en outre des pièces que le demandeur n’avait pas à fournir n’étant ni revendeur ni mandataire d’un autre. Sur le second point, il est jugé que dès lors que le dossier était complet la délivrance du certificat était automatique. C’est à tort que les juges nîmois ont rejeté le recours dont ils avaient été saisis. (6 avril 2018, M. X., n° 403401)

 

20 - Dispense de conclusions du rapporteur public – Article R. 732-1-1 CJA – Taxe foncière sur les propriétés – Méthodes d’évaluation du bien taxé : art. 1496, 1498 ou 1499 CGI – Application de l’art. 1496 CGI : dispense des conclusions possible – Application des art. 1498 ou 1499 : dispense des conclusions impossible.

Il est possible au président de la formation de jugement ou au magistrat statuant seul de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience sur tout litige relevant de certains contentieux limitativement énumérés (art. R. 732-1-1 CJA). En matière de taxe d'habitation et de taxe foncière sur les propriétés bâties afférentes aux locaux d'habitation et à usage professionnel la dispense des conclusions n’est possible que si la valeur locative a été déterminée en application de l'article 1496 du CGI non lorsqu’elle l’a été selon les règles fixées à l'article 1498 ou à l'article 1499 du CGI. (26 avril 2018, Société Les Entrepôts du Centre, n° 390203 ; v. aussi, 11 avril 2018, SA Natiocrédibail, n° 411443)

 

21 - Monuments historiques – Absence de recette – Déduction des charges foncières du revenu global – Conditions – Utilisation exclusive du bien ou utilisation partielle – Déduction possible en l’espèce.

Le Conseil d’Etat rappelle qu’il résulte de l’art. 156 CGI et de l’art. 41 E de l’annexe III à ce code que les charges foncières liées aux immeubles classés monuments historiques ou inscrits à l'inventaire supplémentaire, qui ne procurent aucune recette, ne sont admises en déduction du revenu global de leur propriétaire qu'à la condition que celui-ci se réserve la jouissance de l'immeuble.

Dans le cas où cette utilisation personnelle ne porte que sur une partie du bien, sont déductibles les charges foncières dont le contribuable justifie le lien existant avec cette partie.

Cependant, lorsque les charges ne peuvent être affectées à une partie spécifique de l'immeuble, il appartient au contribuable de répartir ces dépenses entre les différentes parties de l'immeuble selon une clef de répartition adaptée à l'objet de ces charges.

Par suite, commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge qu'aucune charge ne peut être déduite en l’espèce sur le fondement des dispositions de l'article 41 E précité, l'immeuble n'était pas intégralement réservé à la jouissance de ses propriétaires. (6 avril 2018, M. et Mme X., n° 405509)

 

22 - Société en commandite simple – Régime de l’agrément fiscal prévu au II de l’art. 209 CGI – Refus du ministre d’accorder cet agrément – Annulation et injonction de réexaminer la demande d’agrément – Rejet du pourvoi du ministre.

La société GE Medical Systems, société en commandite simple, a sollicité, à l'occasion des opérations de dissolution sans liquidation avec transmission universelle du patrimoine et de fusion par voie d'absorption, le bénéfice de l’agrément prévu au II de l’art. 209 CGI. Cela lui a été refusé par le ministre de l'économie et des finances, refus annulé par le tribunal administratif de Paris et confirmé par arrêt la cour administrative d'appel de Paris contre lequel le ministre se pourvoit.

Le Conseil d’Etat déduit des dispositions applicables qu’il cite, dont les art. 206 et 210 A, B et C du CGI, que les sociétés en commandite simple, même lorsqu'elles n'ont pas exercé l'option prévue au 3 de l’article 206, sont légalement passibles de l'impôt sur les sociétés, fût-ce pour une partie seulement de leurs bénéfices, correspondant aux droits des commanditaires, et quelle que soit l'importance de cette part. Le régime de l'article 210 A s'applique ainsi aux opérations de fusion ou opérations assimilées auxquelles participent ces sociétés, même en qualité de société absorbante ou bénéficiaire des apports. La cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la société GE Medical Systems, qui n'a pas opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés, était néanmoins passible de cet impôt au sens des dispositions de l'article 210 C du code général des impôts, au motif que les bénéfices qu'elle réalise sont imposés à l'impôt sur les sociétés à son nom à concurrence de la quote-part dans ses droits de la société GE Financial Holdings, associée commanditaire, soit pour 0,91 %. Par suite, est rejeté le recours du ministre des finances. (11 avril 2018, ministre de l’Economie et des Finances, n° 409027)

 

23 - Bitcoin – Rubrique « Actualités » du site internet de la direction générale des finances publiques (DGFIP) annonçant une insertion dans un bulletin officiel et paragraphes de commentaires administratifs – Absence d’impérativité – Recours pour excès de pouvoir irrecevable – Cession de bitcoins – Régime d’imposition – Assujettissement au régime de taxation des bénéfices industriels ou commerciaux (BIC).

Le Conseil d’Etat juge que la publication dans la rubrique (ou « onglet ») « Actualités » du site internet de la DGFIP ainsi que dans deux paragraphes des commentaires administratifs d’informations sur le bitcoin ne contenant aucune disposition impérative est irrecevable le recours formé à leur encontre par les requérants. La solution, eu égard à la teneur des textes contestés, nous semble quelque peu « limite » notamment du fait de l’emploi par deux fois du mot « spéculatif » lequel induit des conséquences fiscales spécifiques.

Ces documents énonçant le régime fiscal de taxation des revenus tirés de la cession de bitcoins, le juge se prononce sur les solutions retenues. Il estime justifié l’assujettissement du produit de la vente de bitcoins aux BIC lorsque celle-ci a lieu à titre habituel même si elle est sans caractère spéculatif et aux BNC lorsqu’elle ne constitue pas un gain en capital résultant d’une opération de placement. Par suite, sont illégales les parties des paragraphes attaqués qui ne font pas – selon les cas - cette distinction entre les deux régimes d’imposition. (26 avril 2018, M. X. et autres, n° 417809)

 

24 - Référé fiscal – Mesures conservatoires et demande de sursis de paiement – Appel de l’ordonnance du juge du référé fiscal – Compétence du tribunal administratif et non du Conseil d’Etat.

Le référé fiscal n’est en réalité qu’une demande de sursis de paiement d’un impôt, d’une taxe ou d’une pénalité, assortie de garanties financières. Il relève de la compétence de l’un des juges du tribunal administratif et l’appel contre une ordonnance de référé fiscal doit être portée devant ce tribunal. Ici l’erreur a été de former appel devant le Conseil d’Etat. (4 avril 2018, Société européenne Alliance Développement Capital SIIC, n° 411792)

 

25 - Rappels de TVA – Communication des documents comportant les renseignements demandés par l’administration – Envoi d’un support cd-rom – Cd-rom ne comportant pas les pièces demandées – Refus de la cour d’annuler la procédure fiscale – Dénaturation des pièces du dossier – Cassation.

La Société Primo Technologies, qui exerce une activité de vente de téléphones mobiles au moyen d’un réseau de boutiques dénommé « Happy Phone », a fait l’objet de rappels de TVA fondés sur des documents obtenus selon la procédure de l’art. L. 135 du Livre des procédures fiscales (auditions, pièces comptables, etc.). Elle a sollicité communication de ces pièces puis de ces auditions. L’administration lui a adressé un cd-rom et c’est en se fondant sur cette circonstance que la cour de Paris a rejeté le recours de la société, laquelle soutenait que les procès-verbaux réclamés ne figurent pas sur le cd-rom et qu’ils ne sont pas, non plus, visés sur la liste des scellés transmis par la section de recherche de Poitiers.

Le Conseil d’Etat constate l’exactitude des affirmations de la requérante, ce qui conduit à casser l’arrêt d’appel pour dénaturation des pièces du dossier. (26 avril 2018, Société Primo Technologies, n° 398204)

 

26 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Détermination de la valeur locative – Détermination par comparaison illégale ici – Obligation de détermination par voie d’appréciation directe.

La société demanderesse conteste les conditions de l’évaluation de l'immeuble qu’elle occupe en vue de son assujettissement à la taxe foncière sur les propriétés bâties. Cet immeuble est une tour à usage de bureaux de neuf étages et de 37 mètres de hauteur.

Le tribunal administratif a retenu pour appliquer la méthode d’évaluation par voie de comparaison, un local-type qui correspond à deux étages d’une tour d'une hauteur d'environ 100 mètres, en estimant que la circonstance que les deux étages se trouvent dans un immeuble relevant de la catégorie des immeubles de grande hauteur ne fait pas obstacle à ce que ces deux étages puissent servir de local de référence pour l'évaluation d'un immeuble ne relevant pas de cette catégorie. En somme il est possible de comparer ce qui n’est pas comparable…

Le Conseil d’Etat juge - avec une certaine sécheresse teintée d’ironie - que « eu égard à leurs spécificités, les immeubles de grande hauteur ne peuvent être évalués que par comparaison avec d'autres immeubles de grande hauteur (…) et que par suite un immeuble qui ne relève pas de cette catégorie ne peut pas être évalué par comparaison avec un immeuble de grande hauteur, ni davantage avec une partie d'un tel immeuble ». (26 avril 2018, SAS Défense CB3, n° 403104)

 

27 - Abandon de créance – Société mère et société filiale – Déductibilité ou non – Qualifications fiscales par un droit étranger – Portée – Contrôle du juge.

La société Parfums Christian Dior, société membre du groupe fiscal intégré dont la tête est la société LVMH Moët Hennesy Louis Vuitton a, d’une part, prêté une certaine somme à sa filiale américaine, d’autre part, consenti à celle-ci un abandon de cette créance à hauteur d’un certain montant ; elle a converti le solde en un prêt à long terme. Par suite, la société Parfums Christian Dior a comptabilisé une perte égale au montant de la créance ainsi abandonnée et elle a porté la charge correspondante en déduction de son résultat imposable. L’administration fiscale a remis en cause la déduction de cet abandon de créance, au motif qu'il avait été comptabilisé par la société LVMH Perfumes et Cosmetics Inc., ainsi que le droit comptable américain le lui permettait, comme un apport en capital. Son recours ayant été rejeté par la cour administrative d’appel, le fisc se pourvoit en cassation. Le Conseil d’Etat rappelle une obligation importante du juge fiscal. Si le juge de l’impôt, lorsqu'il détermine le traitement à réserver à une opération impliquant une société régie par le droit d'un autre Etat, doit rechercher la nature réelle de cette opération, il ne saurait, sans commettre d'erreur de droit, déduire sa qualification en droit fiscal national du seul traitement comptable qu'elle a reçu dans le droit de cet autre Etat. Ceci en vertu du principe d’autonomie des qualifications fiscales nationales. En l’espèce, c’est donc sans commettre d’erreur de droit que la Cour de Versailles a déduit de faits qu’elle a souverainement constatés que l'opération litigieuse constituait un abandon de créance au sens de la législation fiscale française. Le fisc ne peut objecter que l'abandon de créance consenti à une société étrangère par sa mère française ayant été comptabilisé comme un apport en capital sur le fondement de la législation en vigueur dans l'Etat de la filiale, n'a fait l'objet d’aucune imposition dans cet Etat. En effet, que cette qualification retenue par le droit américain n'est pas de nature à remettre en cause la déductibilité en France de cet abandon de créance, lorsque les conditions de cette déductibilité sont réunies. Le pourvoi est rejeté. (13 avril 2018, Ministre des Finances et des Comptes publics, n° 398271)

 

28 - Distribution de revenus excédant le montant déclaré à l’administration fiscale – Application de l’art. 117 CGI – Explications et réponses données par une personne qui n’est pas mandataire (Expert comptable) – Validité (oui).

A la suite d'une vérification de comptabilité, la SARL Ô Château a été assujettie – du chef des distributions de revenus auxquelles elle avait procédé - à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et à des rappels de TVA au titre de la période vérifiée. L'administration a, en outre, sollicité, par une proposition de rectification, des informations sur l'identité des bénéficiaires de ces distributions en application des dispositions de l'article 117 CGI. C’est l'expert-comptable de la société qui a répondu à cette demande. L'administration ayant infligé à la société une pénalité au motif que la désignation des bénéficiaires des revenus distribués n'était pas conforme aux conditions prévues à l'article 117 précité. Le tribunal administratif ayant rejeté la demande de la Société tendant à la décharge de la pénalité et la cour administrative d'appel ayant fait droit à la requête de la société contre le jugement du tribunal, le ministre des finances se pourvoit en cassation.

En l’espèce, l’expert-comptable n’était pas stricto sensu le représentant légal de la Société, ni un avocat ; il a cependant fourni dans le délai de trente jours à l'administration fiscale, au nom de cette personne morale, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires des excédents de distribution.

Le Conseil d’Etat juge que la Cour ne s’est pas méprise en constatant que l’expert-comptable avait régulièrement cumulé, au cours de la procédure de contrôle, le rôle d'interlocuteur de fait et la qualité juridique de mandataire de la société vérifiée. Ainsi, son courrier adressé à l’administration fiscale émanait bien d'une personne qui s'était présentée comme un interlocuteur de l'administration fiscale à l'occasion des opérations de contrôle de la société et qui disposait également d'un mandat régulièrement établi pour la représenter durant les phases de vérification, de rectification et contentieuse. Par ailleurs, c’est à bon droit qu’elle a relevé que ce courrier comportait, en réponse à la demande de désignation des bénéficiaires des revenus distribués adressée par l'administration à la société Ô Château, le nom et l'adresse de ces bénéficiaires ainsi que la répartition entre eux du montant global des revenus en cause. Elle n’a donc pas dénaturé les faits qui lui étaient soumis.

Enfin, ledit courrier comportait des informations présentant un degré de précision et de vraisemblance suffisant sur les bénéficiaires des distributions en cause et, d'autre part, sur la qualité de « mandataire » de l’expert-comptable, dont la société avait justifié par la production devant le tribunal administratif de Paris d'un pouvoir régulier, n'avait pas été démentie par la société Ô Château dans le cadre de la demande d'informations de l'administration fiscale. C’est donc sans erreur de droit que la cour a jugé que ce courrier ne pouvait, au seul motif que le mandat dont disposait son auteur n'avait pas été produit dans le délai de trente jours prévu à l'article 117 CGI, être regardé comme un défaut de réponse permettant le prononcé de la pénalité.

Il n’aurait pu en aller autrement que dans le cas où l’administration aurait demandé en vain à cette personne de justifier dans un certain délai d’un mandat régulièrement établi. (13 avril 2018, Ministre des Finances et des Comptes publics, n° 401923)

 

29 - Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises – Entité sans personnalité juridique – Demande de décharge de la cotisation – Assujettissement – Etablissement de crédit – Société exerçant le même type d’activité.

L'article 1586 ter CGI soumet à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises aussi bien les personnes physiques ou morales que les sociétés non dotées de la personnalité morale. La société requérante prétendait échapper à cette cotisation de ce dernier chef. Il est jugé qu’une société en participation, qui possède un bilan fiscal propre et qui doit, le cas échéant, acquitter la taxe sur la valeur ajoutée à raison des opérations qu'elle effectue, constitue, du point de vue fiscal, malgré son absence de personnalité juridique, une entité distincte de ses membres. Il s'en déduit que lorsqu'elle exerce à titre habituel une activité professionnelle non salariée, elle est elle-même légalement redevable de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Par ailleurs, la requérante objectait que n’étant pas un « établissement de crédit », les dispositions précitées ne lui étaient pas applicables. Le Conseil d’Etat réfute ce raisonnement en faisant observer que le III de  l’art. 1586 sexies CGI s'applique, non seulement aux établissements de crédit stricto sensu (c’est-à-dire ceux mentionnés aux articles L. 511-1 et suivants du code monétaire et financier), mais aussi à toute société exerçant le même type d'activité, alors même qu'elle n'aurait pas la qualité d'établissement de crédit, au sens de ce code. Or en l’espèce la SEP Norrsken Finance Cetelem Meubles Ikea avait pour activité l'octroi, le financement et la gestion de prêts consentis à la clientèle des magasins Ikea ainsi que toutes opérations connexes à la réalisation de ces prêts, elle relevait donc des dispositions du III de l'article 1586 sexies CGI, alors même qu'elle n'avait pas la qualité d'établissement de crédit, au sens du code monétaire et financier. Ce qui constitue une illustration supplémentaire du pragmatisme du droit fiscal, attitude qui consiste à interpréter le CGI dans le sens qui lui permet de donner le champ d’application le plus étendu aux impôts et taxes. (13 avril 2018, Société Norrsken Finance gérante de la société en participation (SEP) Norrsken Finance Cetelem Meubles Ikea, n° 410155)

 

30 - Impôt sur les sociétés – Proposition de rectification – Notification irrégulière – Dénaturation des pièces du dossier – Cassation de l’arrêt d’appel.

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis la Cour administrative d’appel qui rejette le moyen d’un contribuable tiré de l’insuffisante motivation d’une proposition de rectification au regard des exigences de l'art. L. 57 LPF, au motif que cette dernière renvoyait à une proposition de rectification qui lui avait été adressée antérieurement, concernant son impôt sur le revenu des années 2006 et 2007, et qui aurait comporté en annexe la proposition de rectification adressée le même jour à la société dont il était le gérant. En effet, le juge de cassation constate que seule était versée au dossier la seconde proposition de rectification adressée à M. X. et que ce dernier n’a pas soutenu devant la Cour que la première proposition de rectification était annexée à la seconde proposition de rectification adressée à M. X. (13 avril 2018, M. X., n° 402436)

 

31 - Réduction d’impôt sur les revenus pour investissement outre-mer – Engagements du bénéficiaire – Seuil de deux millions d’euros – Agrément ministériel – Détermination du seuil.

Le Conseil d’Etat est interrogé par un tribunal administratif, d’une part, sur le point de savoir comment doit être apprécié le seuil de deux millions d'euros d'investissement au-delà duquel le bénéfice de la réduction d'impôt prévue par le c du 2 de l'article 199 undecies A du CGI est subordonné à l'obtention d'un agrément ministériel préalable, d’autre part, dans l'hypothèse où le montant de l'investissement devrait être apprécié en fonction du coût des logements construits et que les logements réalisés par la société ne constitueraient qu'une partie d'un ensemble immobilier réalisé par plusieurs sociétés, s'il y aurait lieu d'apprécier le seuil en fonction du coût total de cet ensemble immobilier.

Pour répondre à ces questions le Conseil d’Etat s’appuie sur la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer mais aussi sur les travaux préparatoires à celle-ci, signe que la loi n’a pas, sur ce point, toute la clarté voulue. Il décide que le seuil de deux millions d'euros doit être apprécié, non pas au regard des souscriptions au capital des sociétés, mais au regard du coût total du programme immobilier en vue duquel les souscriptions de parts ou d'actions de sociétés ont été réalisées. Et il ajoute que, pour l’application du mécanisme fiscal en cause, les bâtiments collectifs ou les ensembles de logements individuels faisant l'objet d'une même demande de permis de construire constituent un programme immobilier. (13 avril 2018, M. et Mme X., n° 416360)

 

Droit social et action sociale

 

32 - Ressortissant malien – Aide sociale à l’enfance – Tutelle départementale – Contrat de jeune majeur refusé – Refus du département d’assurer un accompagnement jusqu’à la fin de l’année scolaire – Annulation et injonction d’assurer sous huit jours accompagnement, hébergement et suivi jusqu’à la fin de l’année scolaire 2018.

Cette décision a le mérite de souligner le caractère dramatique de la situation de certains mineurs isolés, sans accompagnement familial, pleinement intégrés en France et y satisfaisant aux obligations scolaires ainsi qu’aux exigences de comportement attendues dans une société organisée. Devenus majeurs, il leur est très difficile d’obtenir la continuation durant un certain temps de leur prise en charge. L’accumulation des aspects positifs au crédit de l’intéressé a rendu intenable, aux yeux du juge administratif suprême, la position de refus du département. (13 avril 2018, M. X., n° 419537)

 

33 - Liquidation judiciaire – Plan de sauvegarde de l’emploi – Caractère unilatéral – Non conformité partielle à un accord national sur les industries graphiques – Moyen inopérant – Non.

Pour rejeter le recours de salariés fondé sur ce qu’un plan de reclassement du plan de sauvegarde de l'emploi ne respectait pas certaines stipulations d’un accord du 24 mars 1970 relatif aux problèmes généraux de l'emploi concernant les industries graphiques, la cour administrative d'appel a jugé que le moyen invoqué était inopérant car il se rapportait à des mesures de reclassement autres que celles internes à l'entreprise ou au groupe. Ce jugeant, la cour a commis une erreur de droit : de telles mesures concernent bien l’appréciation de la légalité du plan. (13 avril 2018, Mme X. et autres, n° 404090)

 

34 - Licenciement d’un salarié protégé – Autorisation de l’inspecteur du travail – Recours hiérarchique au ministre – Date d’appréciation des possibilités de reclassement – Cas où le licenciement effectif avant que le ministre ne se prononce sur le recours hiérarchique.

Le ministre compétent, saisi d’un recours hiérarchique, a autorisé le licenciement d’un salarié protégé. Celui-ci se pourvoit en cassation contre l’arrêt qui a rejeté son appel contre le jugement ayant rejeté sa demande d’annulation de la décision ministérielle. L’inspecteur du travail comme le ministre dont il dépend doivent, chacun, lorsqu’ils se prononcent sur une demande d’autorisation de licenciement, se placer à la date de leur propre décision et tenir compte des éléments de fait et de droit existant à cette date.

En l’espèce, il était reproché à l’employeur de n’avoir pas sérieusement effectué les recherches préalables de reclassement du salarié en voie de licenciement. Cette obligation de recherche ne s’impose à l’employeur qu’à partir du moment où le licenciement est envisagé et jusqu’au prononcé de celui-ci. Le Conseil d’Etat rappelle que si le ministre saisi d’un recours contre la décision de l’inspecteur doit apprécier le sérieux des recherches de reclassement jusqu’à la date à laquelle a statué l’inspecteur, en revanche, lorsqu’il annule la décision de ce dernier et se prononce à nouveau sur l’autorisation de licencier, il doit apprécier le caractère sérieux des recherches à la date à laquelle lui-même statue. Cependant, en ce second cas, si l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement demandé et que le salarié a été licencié par l'employeur avant que le ministre ne se prononce sur son recours hiérarchique, il n'y a plus lieu, pour le ministre qui a annulé la décision de l'inspecteur du travail, d'apprécier les possibilités de reclassement du salarié que jusqu'à la date de son licenciement en prenant en compte l'ensemble des éléments portés à sa connaissance, au besoin y compris ceux qui, bien que postérieurs à la date du licenciement, sont de nature à éclairer l'appréciation à porter sur le sérieux de la recherche de reclassement jusqu'à cette date. En appliquant ces principes la cour de Nantes n’a pas commis d’erreur de droit. (13 avril 2018, M. X., n° 401767)

 

35 - Revenu de solidarité active – Récupération de l’indu – Annulation de la décision de répétition par le tribunal administratif – Dette pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants (art. 220 code civil) – Erreur de droit du tribunal – Annulation.

Le département de Paris se pourvoit contre un jugement du tribunal administratif de Paris qui a accueilli la demande d’annulation de sa décision de récupération de l’indu de revenu de solidarité active perçu pendant un certain temps par Mme X. et par son époux.

Pour annuler ce jugement, le Conseil d’Etat relève que si l’intéressée résidait à l'étranger au cours de la période de perception du revenu de solidarité active, elle et son mari n'étaient ni divorcés, ni séparés de fait. La circonstance, en outre, que Mme X. aurait disposé de ressources personnelles lui permettant de subvenir seule à ses besoins et à ceux de ses enfants, ni celle que le couple se serait ultérieurement séparé de fait puis aurait engagé une procédure de divorce ne faisaient obstacle à ce que les allocations indûment perçues soient regardées comme une dette ayant pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants au sens de l'article 220 du code civil. Sa perception indue était récupérable par le Département demandeur auprès d’elle solidairement avec son ex-mari. En jugeant le contraire le tribunal a commis une erreur de droit entraînant l’annulation de son jugement. (6 avril 2018, Département de Paris, n° 403386). On lira aussi : 1) à propos d’une décision de récupération d’un indu de RSA et de l’avantage en nature que constitue la mise à disposition gratuite d’un logement : 6 avril 2018, Mme X., n° 405870 ; 2) à propos d'indus de revenu de solidarité active, de prime exceptionnelle de fin d'année et d'aide personnalisée au logement : 6 avril 2018, Mme X., n° 403339.

 

Environnement

 

36 - Création d’un plan d’eau – Absence de déclaration préalable de travaux – Mise en demeure de déposer une déclaration préalable – Décision d’opposition tacite à déclaration préalable.

M. X., qui a créé un premier plan d'eau en 1991 puis un second en 2010, a été mis en demeure par le préfet, par un arrêté du 29 février 2012, de procéder au comblement du nouveau plan d'eau et à l'exportation des remblais et, par un arrêté du 14 mai 2012, de déposer une déclaration, qui a fait l’objet d’une décision tacite d'opposition. Saisi par M. X., le tribunal administratif de Lille a décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur ses conclusions dirigées contre l'arrêté du 29 février 2012 et a rejeté celles tendant à l'annulation de la décision d'opposition à déclaration. Au contraire, la cour administrative d'appel de Douai a annulé l'arrêté du 14 mai 2012, en tant qu'il met l'intéressé en demeure de déposer une déclaration pour la création d'un plan d'eau et, par voie de conséquence, la décision d'opposition à déclaration préalable et a réformé le jugement du tribunal administratif de Lille en ce qu'il avait de contraire à son arrêt. Si le ministre se pourvoit en cassation contre cet arrêt, il doit être regardé comme ne demandant son annulation qu'en tant qu'il a annulé l'arrêté du 14 mai 2012, mettant l'intéressé en demeure de déposer une déclaration au titre de la création d'un plan d'eau et la décision d'opposition à déclaration.

S’agissant du recours contentieux contre la décision tacite d'opposition à déclaration préalable, celui-ci devait, en vertu de l’art. R. 214-36 du code de l’environnement, être précédé d'un recours gracieux contre cette décision devant le préfet et le Conseil censure la cour qui n’a pas répondu à la fin de non recevoir tirée de l’omission d’un tel recours gracieux. Il ajoute qu’est à cet égard sans incidence la circonstance que cette décision n’a été annulée que par voie de conséquence de l'annulation de l'arrêté du 14 mai 2012 portant mise en demeure de déposer une déclaration préalable.

S’agissant de l'arrêté du 14 mai 2012 portant mise en demeure de déposer une déclaration préalable, il est jugé que c’est sans erreur de droit que la cour a considéré que, à la date à laquelle elle statuait, le dépôt d'une déclaration préalable n'était pas nécessaire. (11 avril 2018, M. X., n° 405683)

 

Etat-civil et nationalité

 

37 - Force probante des actes de l’état-civil – Actes établis à l’étranger – Preuve du caractère authentique ou non – Pouvoirs et devoirs du juge français – Recours à tout moyen.

Saisi de questions en ce sens par le TA de Rennes, le Conseil d’Etat répond tout d’abord que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par l’administration française par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. Il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. 

Ensuite, il lui revient d'apprécier par toute mesure d’instruction les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, alors que ce document a, lui, été établi sur la base d’actes de l’état-civil dont l’authenticité est discutée. Le juge ne saurait, par principe, leur attribuer ou leur refuser une force probante particulière. (26 avril 2018, M. X., n° 416550)

 

Fonction publique et agents publics

 

38 - Licenciement pour insuffisance professionnelle – Absence de caractère de sanction – Praticien contractuel – Droits de la défense – Respect en l’espèce (oui) – Procédure devant la commission médicale d’établissement – Régularité (oui).

Praticienne hospitalière contractuelle, Mme X., renouvelée à plusieurs reprises, a fait l’objet d’une mesure de licenciement pour insuffisance professionnelle qu’elle attaque, en vain, devant le tribunal administratif puis la cour, par la voie du recours pour excès de pouvoir. Elle se prévaut, à l’appui de son pourvoi, du non respect de certaines règles de procédure non contentieuse. Il lui est objecté, d’une part, que ses droits à se défendre ont été respectés (information suffisante sur la mesure envisagée et ses motif, délai raisonnable d’étude de son dossier et présentation de sa défense), d’autre part, que si la commission médicale d’établissement devait connaître le point de vue de Mme X., cela n’impliquait nullement que cette dernière dût être entendue par ladite commission ; il lui suffisait de prendre connaissance des éléments écrits du débat contradictoire. (26 avril 2018, Mme X., n° 409324)

 

39 - Licenciement d’un fonctionnaire pour insuffisance professionnelle – Appréciations des éléments constitutifs – Cas de la personne irrégulièrement nommée sur un emploi – Conditions d’appréciation de son insuffisance professionnelle.

La question posée au juge était originale : comment traiter le fonctionnaire auquel est reproché une insuffisance professionnelle lorsque celui-ci a été irrégulièrement nommé aux fonctions qu’il occupe ? Normalement, on le sait, l’inaptitude professionnelle ne saurait résulter ni d’un acte ou d’un fait isolé ne révélant qu’une carence ponctuelle, ni, non plus, d’une attitude persistante dans le temps. C’est simplement l’inaptitude à exercer normalement les fonctions qui lui ont été attribuées.

Dans le cas où celles-ci lui ont été irrégulièrement imparties, comment constater l’inaptitude ? Il était possible d’objecter que l’on ne saurait dire d’un fonctionnaire qu’il n’est pas professionnellement apte à exercer une fonction qui, en réalité, n’est pas la sienne. Pourtant ce n’est pas à cette position que s’est arrêté le juge ; il a estimé qu’en ce cas le fonctionnaire doit être regardé comme légalement investi de ces fonctions tant que sa nomination n'a pas été annulée et c’est seulement par rapport à elle que doit être constatée l’éventuelle inaptitude professionnelle. (13 avril 2018, Mme X., n° 410411)

 

40 - Agents publics territoriaux contractuels – Emploi permanent (notion) – Contrat d’agent public à durée déterminée – Transformation en contrat à durée indéterminée – Catégories d’agents concernés – Obligation d’avoir un service à temps complet (non).

La requérante, qui a vu à plusieurs reprises son contrat à durée déterminée d’enseignante renouvelé par son employeur, la ville de Paris, a sollicité de cette dernière sa transformation en un contrat à durée indéterminée, ce qui n’est possible que pour les agents recrutés « sur un emploi permanent ». La ville étant demeurée silencieuse sur cette demande, Mme X. a saisi le juge. Pour confirmer le refus de la ville de Paris de transformer le contrat, le tribunal puis la cour vont juger que le bénéfice de cette transformation est subordonné à la condition que le contrat soit conclu pour « un service à temps complet ». Le Conseil d’Etat, relève qu’aucune disposition n’imposant une telle condition, les juges du fond ont commis une erreur de droit en opérant une confusion entre « emploi permanent », lequel est une notion statutaire et budgétaire, et « service à temps complet », lequel est une notion de pur fait et d’organisation du service. (26 avril 2018, Mme X., n° 405449)

 

41 - Technicien du Ministère de l’Equipement – Mise en disponibilité d’office – Demande de paiement des salaires non perçus – « Erreur » reprochée sur la nature de la demande – Cassation.

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat reproche à la cour d’appel d’avoir mal interprété les conclusions de l’appelant.

Celui-ci, mis en disponibilité d’office, l’avait saisie de conclusions tendant à la condamnation de l'Etat au paiement d'une somme égale aux traitements qu'il n'a pu percevoir pendant la période au cours de laquelle il a été placé en disponibilité d'office. La Cour a jugé que l'absence de service fait, quels qu'en aient été les motifs, s'opposait à ce que ces conclusions puissent être accueillies. Or le Conseil d’Etat estime que la Cour a eu tort de considérer qu’elle avait été saisie, tout comme le tribunal, de conclusions tendant au versement de ses traitements et non d'une action indemnitaire engagée au titre du préjudice résultant de l'absence de versement de ses traitements pendant la période litigieuse. Celle-ci « eu égard à la nature du litige et à la teneur de la contestation portée devant elle, (…) se devait d'interpréter les conclusions dont elle était saisie comme tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité correspondant aux traitements non perçus ». D’où l’annulation qui est prononcée. On ne peut qu’être surpris d’une telle solution : les conclusions étaient très clairement placées sur un terrain salarial et non sur un terrain indemnitaire. Ce sont les requérants et leurs conseils qui sont maîtres du contenu et des limites des demandes dont ils saisissent le juge. A trop étendre l’exercice de requalification de requêtes on risque d’aboutir à une révision fantasmatique de celles-ci et à déposséder les acteurs du procès de leur pouvoir de diriger au moins ce qu’ils demandent. (13 avril 2018, M. X., n° 407882)

 

42 - Durée hebdomadaire maximum de travail en droit européen (directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003) – Période de référence européenne – Fixation du semestre civil par un décret – Interprétation de la directive – Renvoi préjudiciel à la CJUE.

Un syndicat défère à la censure du Conseil d’Etat le décret du 30 janvier 2017 modifiant le décret du 23 octobre 2002 portant dérogations aux garanties minimales de durée de travail et de repos applicables aux personnels de la police nationale au motif que ce décret contreviendrait à une directive du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, notamment à ses art. 16 et 17.

Le Conseil d’Etat estime que pour la solution du litige dont il est saisi sont déterminantes les réponses à deux questions : 1°/ Les dispositions des articles 16 et 17 doivent-elles être interprétées comme imposant une période de référence définie de manière glissante ou comme laissant aux Etats membres le choix de lui conférer un caractère glissant ou fixe ; 2°/  Dns l'hypothèse où ces dispositions devraient être interprétées comme imposant une période de référence glissante, la possibilité ouverte par l'article 17 de déroger au b de l'article 16 est-elle susceptible de concerner, non seulement la durée de la période de référence, mais aussi son caractère glissant ?

D’où le renvoi à la Cour de Luxembourg. (4 avril 2018, Syndicat des cadres de la sécurité intérieure, n° 409340)

 

43 - Recrutement d’un professeur des universités – Délibération du conseil académique sur un libellé incomplet du poste à pourvoir – Vice de nature à avoir influé sur le sens de la délibération – Annulation du décret du président de la république portant nomination d’un professeur des universités.

L'université de Rouen a ouvert un concours pour le recrutement d'un professeur des universités avec le profil " économie internationale, économie du développement ". La délibération du 2 décembre 2014 par laquelle le conseil académique de cette université a rendu son avis sur ce recrutement a été prise au vu de documents qui se bornaient à mentionner le recrutement d'un professeur d'économie sans autre précision. Cette incomplétude, parce qu’elle est susceptible d'avoir exercé une influence sur l'issue du concours, entache d’irrégularité l’ensemble des opérations ainsi que la nomination subséquente d’une autre personne que le requérant comme professeur des universités. (13 avril 2018, M. X., n° 397866)

 

44 - Conseillers principaux d’éducation – Membres de droit du conseil d’administration d’un établissement public local d’enseignement (EPLE) – Conséquences du décret attaqué – Vice de procédure (non).

La Fédération requérante demande l'annulation de la décision implicite née du silence gardé par le Premier ministre à sa demande tendant à l'abrogation de diverses dispositions des articles du code de l’éducation  car elles conduiraient à ce que le conseiller principal d'éducation le plus ancien d'un établissement public local d'enseignement, lorsqu'il siège au conseil d'administration en tant que membre de droit, se trouve dans l'impossibilité d'être candidat aux opérations électorales en vue de la désignation des représentants du personnel. Pour rejeter la requête, le Conseil d’Etat retient tout d’abord qu’en toute hypothèse les conseils d’administration des EPLE n’ont pas pour objet d'assurer la détermination collective des conditions de travail au sens du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Ensuite, il rappelle que les dispositions querellées « (qui) n'ont pas pour effet de priver les conseillers principaux d'éducation siégeant en tant que membre de droit au sein du conseil d'administration de leur qualité d'électeur et de leur droit à participer à la désignation des représentants du personnel, ne les privent pas davantage de leur droit à siéger au conseil d'administration ». (13 avril 2018, Fédération des syndicats généraux de l'éducation nationale et de la recherche publique, n° 404783)

 

45 - Indépendance des enseignants chercheurs – Principe fondamental reconnu par les lois de la république – Cas des professeurs d’université exerçant dans les universités de santé – Distinction entre les poursuites disciplinaires exercées par l’instance ordinale et celles relevant de l’Université – Impossibilité de sanctionner deux fois les faits non détachables de l’une ou l’autre qualité de la personne poursuivie (enseignant des universités ou praticien).

Examinant le régime disciplinaire des professeurs des universités-praticiens hospitaliers ou des maîtres de conférence des universités-praticiens hospitaliers, le Conseil d’Etat rappelle qu’ils peuvent se voir infliger des sanctions ordinales pour tout fait lié à leurs fonctions et des sanctions administratives pour faute dans leurs fonctions universitaires. Cependant, lorsque le fait reproché n’est pas détachable des fonctions universitaires, le principe fondamental reconnu par les lois de la République de l'indépendance des enseignants-chercheurs fait obstacle à ce que l’enseignant puisse être poursuivi pour ce fait devant la juridiction ordinale. Il en va ainsi que l’enseignant soit ou ne soit pas poursuivi et sanctionné devant la juridiction universitaire. Application positive au cas de l’espèce. (13 avril 2018, M. X., n° 406887)

 

46 - Retraite des agents publics – Validation de services d’enseignement à l’étranger – Employeur réel de l’intéressé – Obligation pour le juge de vérifier le bien-fondé des affirmations du demandeur.

Un enseignant, soucieux de faire valider ses années d’activité en vue de la constitution de sa retraite, invoque ses services d'enseignant non titulaire accomplis au lycée Jean Mermoz d'Abidjan, dont il demande la validation. Cela lui est refusé par l’administration et le juge confirme la légalité du refus car ces activités n'entrent dans aucune des catégories mentionnées par les textes.

Le Conseil d’Etat annule ce jugement car il n’a pas procédé à la vérification du point de savoir si l’intéressé, comme il le soutenait d’ailleurs dans ses écritures, n'avait pas été en réalité recruté pour le compte de l'Etat et en son nom puis, à compter de la création en 1992 de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), pour le compte de cet établissement public administratif et au nom de cet établissement et si, dès lors, l'Etat, puis l'AEFE, ne devaient pas être regardés comme ayant été ses véritables employeurs pendant cette période. En effet, en ce cas la validation des services est possible. (13 avril 2018, M. X., n° 397515)

 

Hiérarchie des Normes

 

47 - Dispositifs médicaux – Décret réglementaire – Incompatibilité avec une directive de l’Union européenne – Impossibilité d’appliquer un règlement européen par anticipation – Illégalité du décret.

La loi du 26 janvier 2016 a prévu une sanction en cas d’omission de déclarer la mise en service sur le territoire français de dispositifs médicaux présentant certaines caractéristiques. Le syndicat requérant fait observer que la matière était alors régie par deux directives de 1990 et 1993 et que le décret du 13 décembre 2016 pris pour l’application de la loi précitée impose des exigences non prévues par ces directives, d’où il en conclut l’illégalité. Le ministre répond que ces directives ont été remplacées par un règlement du 5 avril 2017 que le décret attaqué applique par anticipation. Cette argumentation est rejetée par le juge au triple motif que les champs d’application du décret et du règlement ne coïncident pas en réalité, qu’on ne saurait appliquer par anticipation un règlement européen et d’autant plus ici où il a lui-même prévu un temps de régime transitoire avant son application pure et simple. (26 avril 2018, Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (SNITEM), n° 407982)

 

48 - Ordonnances non encore ratifiées de l’art. 38 de la Constitution – Contestation contentieuse possible y compris par voie de référé suspension – Ratification d’ordonnances en cours de procès – Non lieu à statuer.

La ratification d’ordonnances de l’article 38 de la Constitution durant le cours d’un procès en référé suspension contre certaines de leurs dispositions rend sans objet le recours introduit avant cette ratification. C’est là une exception remarquable – et, au demeurant, fort logique – au principe constant que la légalité d’une décision administrative s’apprécie au jour où elle a été prise non au jour où le juge statue. (9 avril 2018, Confédération générale du travail, n° 417333)

 

49 - Polynésie française – « Loi de pays » – Non-conformité à la loi organique relative à la Polynésie française – Principe général du droit – Liberté de choix du médecin par les patients.

Les requérants défèrent au Conseil d’Etat une « loi de pays » pour non conformité au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française en ce qu’elle régit le statut des médecins traitant et fixe le régime du parcours de soins.

Le Conseil d’Etat indique que son contrôle s’effectue au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit, au rang de ces derniers figurant la liberté de choix du médecin par le patient et l'indépendance professionnelle du médecin. 

Il relève tout d’abord, qu’en subordonnant le changement de médecin traitant à la justification d'un motif et en limitant le nombre de changements autorisés chaque année, les dispositions de l'article 6 de cette « loi » méconnaissent le principe général du droit tenant à la liberté de choix de son médecin par le patient. En revanche, il juge ensuite qu’étant sans portée normative, les dispositions définissant (verbeusement…) le parcours de soins ne sauraient être censurées car elles n’ont pas de caractère juridique. Semblablement, sont validées l’institution d’un panier des soins ou la dérogation à l’obligation de consultation préalable du médecin traitant permettant de consulter directement les seuls médecins spécialisés en ophtalmologie, en pédiatrie pour les mineurs de moins de 16 ans et en gynécologie médicale et obstétrique, ceci en raison des particularités de l’exercice de ces spécialités médicales. Enfin, le juge rappelle que les « lois de pays » (comme les lois ordinaires ou les règlements administratifs) peuvent régler de façon différente des situations différentes ou déroger à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, à la condition que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet du texte qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. (6 avril 2018, Syndicat des médecins libéraux de Polynésie française et autres, n° 416563)

 

Libertés fondamentales (v. n°s 63, 88)

 

50 - Référé liberté et droit d’asile – Contrôle du juge – Contrôle in concreto – Incidences sur l’appréciation de l’existence des conditions permettant la mise en œuvre du référé liberté.

Saisi par une ressortissante nigériane d’un référé liberté en vue de le voir ordonner à l’Office français de l’immigration et de l’intégration de lui trouver un hébergement, le Conseil d’Etat rappelle le vade-mecum de son contrôle. Le droit d’asile est une liberté fondamentale mais pour apprécier l’existence d’une atteinte grave aux droits du demandeur d’asile le juge procède à deux examens très concrets. En premier lieu, sont appréciés les efforts faits par les services compétents pour trouver un hébergement compte tenu notamment des disponibilités existantes. En second lieu, il est tenu compte des effets – qui doivent être particulièrement graves - de l’absence d’hébergement sur la situation personnelle de l’intéressé(e) au regard de son âge, de son état de santé, de sa condition familiale, etc. En bref, l’Etat est davantage tenu à une obligation de moyens qu’à une obligation de résultat, ce qui est étrange pour une liberté fondamentale mais l’action publique est très dépendante du principe de réalité. (27 avril 2018, Mme, n° 419884)

 

51 - Demande d’un visa long séjour pour conjoint d’une ressortissante française – Refus – Motif d’ordre public – Génocide rwandais – Fonctions publiques exercées au Rwanda par le demandeur – Acquittement par le Tribunal pénal international pour le Rwanda – Légalité du refus de visa.

La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a, par une décision implicite, rejeté le recours formé devant elle à l'encontre de la décision du consul général de France à Dar-es-Salam (Tanzanie) refusant de délivrer à M. X.  un visa de long séjour pour établissement familial en tant que conjoint d'une ressortissante française. Le tribunal administratif a annulé ce refus ainsi que la décision par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté la demande de visa long séjour et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. X. un visa de long séjour dans un délai de deux mois à compter de sa notification.  Le ministre de l'intérieur ayant fait appel de ce jugement, la cour administrative d'appel a rejeté sa demande de sursis à l'exécution de ce jugement. Il se pourvoit.

Si, en principe, le visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois ne peut être refusé à un conjoint de Français qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public (art. L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) ; les aux autorités consulaires peuvent, sur un tel fondement, opposer un refus aux demandeurs ayant été impliqués dans la commission de crimes graves contre les personnes et dont la venue en France, eu égard aux principes qu'elle mettrait en cause ou au retentissement de leur présence sur le territoire national, serait de nature à porter atteinte à l'ordre public.

Faisant application des principes au cas de l’espèce, le Conseil d’Etat relève que l’intéressé, bien qu’acquitté par le Tribunal pénal international pour le Rwanda des crimes d'entente en vue de commettre le génocide et d'incitation directe et publique à commettre le génocide, a exercé en 1990 les fonctions de secrétaire général du ministère de la justice et occupé des fonctions importantes au sein du mouvement républicain national pour la démocratie et le développement alors que ce parti se radicalisait et organisait des milices armées en vue de la préparation du génocide. Il a aussi exercé des fonctions gouvernementales au Rwanda de décembre 1991 à juillet 1994, dont celles de ministre de la fonction publique, pendant toute la durée des massacres d'avril à juillet 1994, dans le gouvernement dont le chef a été condamné pour génocide par le Tribunal pénal international. Ainsi, il a continué à exercer d'importantes fonctions ministérielles jusqu'à la chute du gouvernement responsable de ces massacres. Dès lors, en estimant que la présence en France de M. X. ne constituait pas une menace à l'ordre public la cour administrative d'appel de Nantes a dénaturé les pièces du dossier et le ministre de l'intérieur est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué et au sursis à l’exécution du jugement du tribunal administratif. (11 avril 2018, Ministre de l’Intérieur, n° 409512)

 

52 - Extradition – Remise de l’intéressé aux autorités de Serbie – Portée de l’extradition – Invocation inopérante du droit à mener une vie familiale normale – Absence d’effet du caractère définitif ou non de la décision de justice étrangère sur la base de laquelle l’extradition est accordée.

L’intéressé sollicite l’annulation du décret du Premier ministre accordant son extradition aux autorités serbes. Aucun de ses arguments n’est retenu.

Le Conseil d’Etat prend bien soin de rappeler, surtout en direction des autorités serbes, que l'extradition de M. X. n’a été accordée que pour la seule exécution de la condamnation prononcée à son encontre le 9 avril 2012 par la cour supérieure de Nis, à une peine de cinq ans et cinq mois d'emprisonnement pour fabrication, détention et trafic illicite de stupéfiants.

D’une part, M. X. ne peut se plaindre de ce que l’extradition est susceptible de porter atteinte à son droit au respect de la vie familiale car l’objet d’une extradition est nécessairement de permettre, dans l'intérêt de l'ordre public et sous les conditions fixées par les dispositions qui la régissent, tant le jugement de personnes se trouvant en France qui sont poursuivies à l'étranger pour des crimes ou des délits commis hors de France, que l'exécution, par les mêmes personnes, des condamnations pénales prononcées contre elles à l'étranger pour de tels crimes ou délits.

D’autre part, il ne peut davantage exciper de ce que le recours formé devant la Cour constitutionnelle de Serbie contre la condamnation prononcée par la cour supérieure de Nis le 9 avril 2012 n'aurait pas été rejeté car il ne résulte d’aucune stipulation de la convention européenne d'extradition ni d’aucun principe général du droit de l'extradition que la peine devrait avoir acquis un caractère définitif à la date à laquelle l'extradition est accordée. (11 avril 2018, M. X., n° 417121)

 

53 - Expulsion de locataires – Décision de justice en ce sens – Concours de la force publique implicitement refusé – Exigence de démontrer l’existence de « diligences qui auraient été menées en vain » – Exigence non requise – Droit à l’exécution des jugements.

Des propriétaires privés ayant obtenu du juge judiciaire l’autorisation d’expulser un locataire ont demandé, en vain, par suite du silence gardé sur cette démarche, le concours de la force publique.

Ils ont donc réclamé une indemnité en vue que soit réparé le préjudice subi du fait de la privation de jouissance de leur propriété. Pour rejeter la requête le juge du fond a notamment relevé qu'ils ne justifiaient pas « des diligences qu'ils auraient mené en vain » pour obtenir le paiement de l'indemnité d'occupation que leur ancien locataire avait été condamné à leur verser.

A très juste titre, ce jugement est annulé au motif évident « que le droit à réparation du propriétaire qui se trouve privé de la jouissance de son bien faute d'avoir obtenu le concours de la force publique en vue de l'exécution d'une décision de justice ordonnant l'expulsion d'occupants sans titre n'est pas subordonné à l'administration d'une telle preuve ». (26 avril 2018, MM. X et Y., n° 413789 ; v. aussi, sur la détermination du préjudice né d’un refus de concours de la force publique du fait de l’inaccessibilité des locaux, 11 avril 2018, Société N2 Développement, n° 406097)

 

54 - Expulsion d’occupants sans titre d’un site industriel – Concours de la force publique – Délai du refus implicite de ce concours non encore expiré à la date de la seconde ordonnance d’expulsion se substituant à une précédente ordonnance moins précise n’identifiant pas précisément toutes les personnes concernées – Engagement de la responsabilité de la puissance publique – Erreur de droit.

 La société GMM a obtenu une ordonnance, le 23 septembre 2014, ordonnant l’expulsion de deux personnes nommément assignées parmi les occupants dont elle demandait l'expulsion. Une seconde ordonnance, du 18 décembre 2014, intervenue quatre jours avant l'expiration du délai de deux mois à l'issue duquel devait naître une décision de refus du concours de la force publique sollicité le 22 octobre en vue de la complète exécution de l'ordonnance du 23 septembre 2014. Cette ordonnance prononçait l'expulsion des dix-sept personnes nouvellement assignées par la société ainsi que celle de toute autre personne occupant le site sans autorisation. Saisi par le ministre de l’Intérieur, le Conseil d’Etat considère que, dans ces conditions, ne pouvait plus être poursuivie à cette date l’exécution de l’ordonnance du 23 septembre. D’une part, celle-ci était moins précise que celle du 18 décembre quant au champ des personnes concernées, d’autre part, les précisions apportées par cette ordonnance, qui accordait un nouveau délai aux occupants du site industriel qu'elle identifiait nommément, interdisait la poursuite de l’exécution de celle du 23 septembre. D’où l’annulation du jugement. (6 avril 2018, ministre de l’Intérieur, n° 408882)

 

55 - Droit d’asile – Convention de Genève – Agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies Militaire syrien – Asile et qualité de réfugié refusés par l’OFPRA – Confirmation par la Cour nationale du droit d’asile – Annulation.

La Cour nationale du droit d'asile a jugé qu'il existait des raisons sérieuses de penser que M. X. s'était rendu complice d'agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies et a fait application du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève pour l'exclure du statut de réfugié. Cependant, elle affirme aussi dans son arrêt que M. X. « se montre crédible lorsqu'il fait valoir qu'il n'était officiellement au sein du service de renseignement de l'armée de l'air qu'un officier de rang subalterne en charge de la logistique ». En particulier, s’il a admis avoir participé à la réunion au cours de laquelle il n'avait pas de responsabilité décisionnelle, il a nié avoir eu connaissance préalable des massacres qui allaient en résulter. Ensuite, aussitôt les massacres connus de lui, il a protesté auprès de son beau-frère et supérieur hiérarchique, le colonel Hassan et a, pour ce motif, été arrêté et détenu peu de temps après pendant soixante-dix jours. Enfin, ayant pu fuir la Syrie après avoir sollicité et obtenu une grâce, il a fait, en Jordanie, pays où il avait trouvé refuge, défection publiquement au régime syrien. Ainsi, par ses contradictions, la Cour nationale du droit d'asile a entaché sa décision d'inexacte qualification juridique des faits. Le recours de M. X. est admis. (11 avril 2018, M. X., n° 410897 ; v. aussi, sur une question identique, à propos d’un kurde, 11 avril 2018, M. X., n° 402242 ; également, sur le droit à la protection subsidiaire : 11 avril 2018, M. X., n° 412933)

 

56 - Assignation à résidence en attente du transfert vers un autre Etat – Notion et portée de la mesure – Cas où l’intéressé ne dispose que d’une adresse postale – Validité.

 « Le législateur a-t-il entendu permettre au préfet d'assigner à résidence un étranger, dans l'attente que soit exécutée la mesure de transfert dont il fait l'objet, uniquement lorsque cet étranger dispose d'un hébergement effectif à l'exclusion d'une simple domiciliation postale ? » Telle est la question difficile posée au Conseil d’Etat par le tribunal administratif de Lille. Le Conseil d’’Etat répond au moyen d’une construction audacieuse combinant les art. L. 561-1, L. 561-2 et R. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Selon lui « une mesure d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 consiste, pour l'autorité administrative qui la prononce, à déterminer un périmètre que l'étranger ne peut quitter et au sein duquel il est autorisé à circuler et, afin de s'assurer du respect de cette obligation, à lui imposer de se présenter, selon une périodicité déterminée, aux services de police ou aux unités de gendarmerie. Une telle mesure n'a pas, en dehors des hypothèses où elle inclut une astreinte à domicile pour une durée limitée, pour effet d'obliger celui qui en fait l'objet à demeurer à son domicile. »

Il s’ensuit que le préfet peut prononcer une mesure d’assignation à résidence à l'égard des étrangers qui ne disposent que d'une simple domiciliation postale. (11 avril 2018, M. X. (question du TA de Lille), n° 415174)

 

57 - Expulsion d’un réfugié – Assignation à résidence – Demande suspension – Refus pour atteinte au caractère exécutoire de la mesure d’expulsion – Annulation.

M. X., auquel la qualité de réfugié a été reconnue par une décision de la Cour nationale du droit d'asile, a fait l'objet d'une mesure d'expulsion du territoire français décidée par le préfet du Bas-Rhin au motif que sa présence en France constituait une menace grave pour l'ordre public. Le statut de réfugié lui a été retiré par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 23 juin 2016 et le préfet des Deux-Sèvres l’a assigné à résidence. M. X. se pourvoit en cassation contre l'ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande de suspension de l'exécution de l'arrêté du préfet de la Haute-Vienne qu’il a jugée irrecevable car le prononcé d'une telle mesure aurait nécessairement pour effet de remettre en cause le caractère exécutoire de la mesure d'expulsion du territoire français du 26 mai 2015.

Le Conseil d’Etat rejette, à juste titre, cette motivation : la suspension, par le juge des référés de l’art. L. 521-1 CJA, de l'exécution d'une décision d'assignation à résidence est, par elle-même, sans aucun effet sur le caractère exécutoire de la décision d'expulsion qui a conduit au prononcé de cette assignation. Son erreur de droit emporte l'annulation de l'ordonnance attaquée dans son ensemble. (11 avril 2018, M. X., n° 413159)

 

58 - Répression de la corruption d’agent public étranger – QPC fondée sur la violation de principes du droit pénal – Rejet des divers moyens invoqués et refus de renvoyer la QPC.

Mis en examen du chef de corruption d'agent public étranger sur le fondement de l’article 435-3 du code pénal, M. X. a saisi le Conseil d’Etat du refus résultant du silence gardé par le premier ministre sur sa demande de supprimer la mention faite aux articles 435-1 à 435-4 du code pénal dans l'article 12 du décret du 11 février 2009 relatif aux fonds de dotation des organismes pouvant faire appel à la générosité publique après autorisation administrative. Il sollicite le renvoi d’une QPC au sujet de texte. Sa demande est rejetée en tous points.

Le Conseil d’Etat, après avoir rappelé les principes fondamentaux de définition des infractions pénales, de leur incrimination et de leurs sanctions, examine les griefs soulevés par le requérant. Il relève qu’il n’y a au cas d’espèce ni incompétence négative du législateur ni méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines puisque sont clairement indiqués l’élément matériel et l’élément moral (intentionnel ou non) constituant l’infraction en cause ; pas davantage ne se rencontre ici une méconnaissance du principe de nécessité des incriminations et des peines. (6 avril 2018, M. X., n° 417192)

 

Police

 

59 - Permis de conduire – Carte grise – Signalement de changement d’adresse – Régimes distincts et autonomes – Absence d’obligation de déclaration dans le premier cas – Obligation de déclaration dans le second cas.

Rappel salutaire d’une distinction méconnue. Aucun principe général ni aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obligation au titulaire d'un permis de conduire de déclarer sa nouvelle adresse à l'autorité administrative en cas de changement de domicile. Le fait que l'intéressé soit également titulaire du certificat d'immatriculation d'un véhicule (carte grise) lequel est soumis à l’obligation de signalement du changement de domicile aux services compétents, est sans incidence sur l'étendue des obligations qui lui incombent en vertu des règles applicables au titre du permis de conduire. (26 avril 2018, Mme X., n° 408804)

 

60 - Police du permis de conduire – Echange d’un permis de conduire étranger contre un permis de conduire français – Conditions et régime – Compétence préfectorale – Silence fautif – Réparation du dommage – Opposition de la prescription quadriennale.

Le titulaire d’un permis de conduire algérien en a demandé en juillet 2008 l’échange avec un permis de conduire français. La préfecture de Seine-Maritime reste muette. Ayant déménagé, il fait une nouvelle demande devant la préfecture du département du Rhône où il réside désormais : il lui est objecté que celle-ci est tardive au regard de sa durée de résidence en France. De guerre lasse, du fait du dommage subi par ces silences ou refus successifs, il introduit une action en réparation pour faute. Celle-ci ayant été rejetée par le tribunal administratif de Rouen, M. X. se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’Etat rappelle que la préfecture dans le ressort de laquelle se trouve la résidence initiale du pétitionnaire demeure compétente quels que soient les changements de résidence ultérieurs. C’est donc le préfet de Seine-Maritime qui, en l’espèce, était compétent pour autoriser l’échange de permis. Ce sont ses services qui, par leur abstention à décider, ont commis la faute qui est à l’origine du dommage invoqué par le requérant. Celui-ci est constitué par l’impossibilité où s’est trouvé l’intéressé, après six mois écoulés depuis sa demande, de conduire en France, soit de janvier 2009 au mois d’avril 2018. Les trois mille euros d’indemnité qui lui sont alloués paraissent très faibles. Enfin, est rejetée l’objection tirée de la prescription quadriennale de la créance de M. X. En effet, la préfecture de Seine-Maritime étant demeurée silencieuse et donc non motivée, a commis une illégalité et faute de notification, sa « décision » n’a pas fait courir le délai de prescription, le refus opposé incompétemment par la préfecture du Rhône à une seconde demande n’ayant pu ouvrir le délai de prescription. (26 avril 2018, M. X., n° 410682 ; v. aussi sur le même sujet, la décision de rejet, à propos d’un permis syrien : 13 avril 2018, M. X., n° 413436 ou encore la décision de rejet d’un échange d’un permis espagnol (lui-même antérieurement échangé avec un permis chilien : 4 avril 2018, M. X., n° 409542)

 

61 - Permis de conduire – Suspension de sa validité – Motif médical – Motivation de la suspension n’indiquant pas ce motif – Secret médical – Demande substitution de motifs – Impossibilité en cassation d’apprécier les circonstances de fait – Rejet.

Un préfet ayant suspendu le permis de conduire d’une personne suite à un avis rendu par la commission médicale le 20 mars 2015 « dont l'intéressé a pris connaissance » et énonçant que son état de santé ne lui permet pas de conduire un véhicule à moteur, voit sa décision annulée par le tribunal administratif au motif que le préfet avait méconnu les dispositions de la loi du 11 juillet 1979 en ne faisant pas figurer dans sa décision les motifs médicaux de l'inaptitude à la conduite.

Le Conseil d’Etat fait observer que le tribunal a commis une erreur de droit car dispositions relatives au secret médical interdisent aux médecins de transmettre au préfet des informations précises relatives à l'état de santé de l'intéressé.

Par ailleurs, l’intéressé demandant au Conseil d’Etat de substituer, au motif erroné en droit retenu par le tribunal, le motif tiré de ce que l'avis de la commission médicale étant ambigu, il ne peut être regardé comme ayant été informé des motifs médicaux qui justifiaient cet avis. Ce que le juge refuse de faire car un tel motif, dont l'examen implique l'appréciation de circonstances de fait, ne peut être substitué en cassation au motif retenu dans le jugement attaqué. (11 avril 2018, M. X., n° 414540)

 

62 - Police des jeux (casinos), police spéciale – Police de la santé publique, police générale – Décision interdisant d’installer des machines à sous dans des salles pour fumeurs – Légalité (oui).

Même solution que dans la décision du 30 mars 2018, Société Casino de Blotzheim, n° 408156 (v. Sélection de jurisprudence de mars 2018, n° 52). (26 avril 2018, Société Le Grau du Roi Loisirs, n° 413170)

 

63 - Police des armes – Demande d’autorisation de détention d’armes – Refus d’autorisation – Sanction (non) – Atteintes à la liberté individuelle (non) – Existence d’un fichier et atteinte à la présomption d’innocence (non) – Droit au recours effectif.

Saisi du refus opposé à une demande d'acquisition et de détention d'armes soumises à autorisation (art. L. 312-3-1 code de la sécurité intérieure), le Conseil d’Etat rappelle qu’il s’agit là d’une mesure de police administrative non d’une sanction, le régime applicable est donc celui des décisions de police.

Alors que le requérant soutient que la législation sur les armes porte diverses atteintes aux droits et libertés (liberté individuelle, garantie des loisirs – 11è alinéa du préambule de 1946 -, présomption d’innocence, législation sur les fichiers automatisés et nominatifs, droit à un recours effectif, etc.), le juge répond que tant en raison des motifs et buts qui sont à la base de cette législation qu’en raison des contrôles exercés tant par le juge administratif sur toutes les décisions ou mesures administratives en découlant que par le juge judiciaire en sa qualité constitutionnelle de gardien de la liberté individuelle, le recours dont il l’a saisi ne présente aucun caractère sérieux. (13 avril 2018, M. X., n° 417447)

 

Procédure contentieuse

 

64 - Refus par Météo France d’autoriser l’implantation d’éoliennes – Référé suspension – Mesure superfétatoire – Autorisation plus requise désormais – Mesure ne faisant pas grief – Rejet.

Une décision superfétatoire ne fait pas grief et la demande de sa suspension en référé doit être rejetée. (26 avril 2018, Société Intervent, n° 410858)

 

65 - Question(s) déjà tranchée(s) par le Conseil d’Etat – Absence – Impossibilité d’appliquer l’art. R. 222-1 CJA – Annulation.

Si l'article R. 222-1 CJA permet aux présidents de tribunaux ou de cour administratifs « de statuer sur les requêtes relevant d'une série, qui, sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification de faits, présentent à juger en droit, pour la juridiction saisie, des questions identiques (...) à celles tranchées ensemble par une même décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux (...) », c’est à la condition qu’elles aient été réellement tranchées par celui-ci. En l’espèce, eu égard aux moyens qu’elle contenait, la demande de Mme X. présentait à juger des questions que n’avait pas tranchées l’arrêt du Conseil d’Etat invoqué par le juge. (26 avril 2018, Mme X., n° 413024)

 

66 - Refus d’homologation du prix de vente au public de certains produits manufacturés de tabac – Compétence en premier ressort du Conseil d’Etat – Annulation par voie de conséquence – Conditions – Moyen d’ordre public.

Cette décision rappelle deux points du droit du contentieux administratif.

1°/ Tout d’abord, l'arrêté par lequel les ministres chargés de la santé et du budget homologuent ou refusent d’homologuer le prix de détail de produits du tabac proposé par les fabricants présente, en raison des effets qui s'y attachent pour l'ensemble des consommateurs, un caractère réglementaire et cela alors même que l’arrêté ne concerne que des produits individualisés proposés par une société déterminée. Il en résulte, par application des dispositions de l’art.  R. 311-1, 2° CJA, la compétence du Conseil d’Etat en premier et dernier ressort pour connaître des recours dirigés contre un tel arrêté. La solution est discutable car cet arrêté ne comporte que des décisions individuelles, chaque cas faisant l’objet d’une appréciation spécifique en vue de l‘homologation, ou non, du prix de vente public proposé par son fabricant. Le Conseil d’Etat a préféré retenir les effets de l’arrêté pour en déterminer la nature réglementaire.

2°/ Ensuite, le juge expose le régime de l’annulation par voie de conséquence des actes consécutifs.

Il indique en premier lieu que ce régime peut concerner aussi bien l’acte pris à la suite d’un acte réglementaire que celui pris à la suite d’un acte non réglementaire.

En deuxième lieu, il définit le champ de cette annulation par voie de conséquence des actes consécutifs. Elle concerne principalement les décisions administratives qui n'auraient pu légalement être prises en l'absence de l'acte annulé ou celles qui sont en l'espèce intervenues en raison de l'acte annulé, c’est-à-dire dont ce dernier constitue la base légale.

 En troisième lieu, lorsque le juge est saisi de conclusions recevables en ce sens, il peut procéder à l'annulation de ces décisions consécutives par voie de conséquence soit quand celle-ci lui est expressément demandé par le requérant soit, en l’absence d’une telle demande, en relevant d'office un tel moyen qui découle de l'autorité absolue de chose jugée qui s'attache à l'annulation du premier acte. (26 avril 2018, Société Socopi, n° 414316)

 

67 - Recours en rectification d’erreur matérielle – Définition – Champ d’application en cas d’omission de réponse à moyen.

L’art. R. 833-1 CJA prévoit qu’un recours en rectification d’erreur matérielle est possible devant les cours administratives d’appel et devant le Conseil d’Etat, chacun pour les décisions qu’il rend. Le Conseil d’Etat donne, classiquement, la définition suivante de ce recours : il n'est ouvert qu'en vue de corriger des erreurs de caractère matériel qui ne sont pas imputables aux parties et qui ont pu avoir une influence sur le sens de la décision.

Saisi d’un recours tiré de ce qu’il avait été omis de répondre à un moyen, le Conseil d’Etat considère qu’une telle omission donne ouverture à l’introduction d’un recours en rectification d’erreur matérielle sous une très importante limite. Ce recours n’est pas possible en ce cas lorsque le juge, pour y répondre, devrait se livrer à une appréciation d'ordre juridique pour interpréter les moyens soulevés et que le moyen considéré n'est pas inopérant. Cependant la ligne de démarcation ainsi tracée repose sur la distinction entre nécessité d’une appréciation juridique ou non et cette analyse est souvent délicate. (26 avril 2018, Mme X., n° 417737)

 

68 - Litige relatif aux conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile Litige relatif à l'enregistrement des demandes d'asile – Compétence du tribunal administratif en premier et dernier ressort – Litige relatif à l'allocation pour demandeur d'asile – Absence de compétence en premier et dernier ressort – Existence d’un appel.

Si les litiges relatifs aux conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile, parce qu’ils ont un lien étroit avec les litiges relatifs à l'enregistrement des demandes d'asile relèvent de la compétence du tribunal administratif statuant en premier et dernier ressort, en revanche, les litiges relatifs au versement ou au refus de versement de l'allocation pour demandeur d'asile relèvent de la procédure ordinaire où le tribunal statue sous réserve d’appel. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

C’est à tort que le requérant a saisi directement le Conseil d’Etat ; s’agissant d’un appel son recours est attribué à la cour administrative d'appel de Nancy. (26 avril 2018, Souliman X., n° 415313)

 

69 - Référé liberté – Documents couverts par un secret – Refus de communication – Caractère contradictoire de la procédure – Conciliation d’exigences contraires pour assurer l’effectivité du droit au recours.

L’intéressé a saisi la CNIL afin de pouvoir accéder aux données le concernant contenues dans le fichier STARTRAC du service à compétence nationale Tracfin. La présidente de la CNIL l’a informé qu'il avait été procédé à l'ensemble des vérifications demandées s'agissant de ce fichier et que la procédure était terminée, sans apporter à l'intéressé d'autres informations. Le juge des référés du tribunal administratif de Paris, accueillant la demande du requérant, a suspendu l'exécution du refus de communiquer ce qui était demandé et a enjoint le ministre des Finances et des Comptes publics de mettre en oeuvre toutes mesures afin de répondre à la demande d'information de M. X. Le ministre se pourvoit en cassation.  Le Conseil d’Etat, constatant que le demandeur ne peut pas être autorisé à prendre connaissance des pièces concernées, cela en vertu de la loi de 1978 elle-même, estime cependant devoir passer outre au principe du contradictoire afin de rendre effectif en l’espèce le droit au recours, ici dans le cadre d’un référé liberté. En revanche, il fait obligation au ministre de lui communiquer ces pièces afin qu’il puisse apprécier le moyen dont le requérant l’a saisi. L'examen des éléments mis à la disposition n'a révélé aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Le référé devait être rejeté. Annulation de l’ordonnance. (13 avril 2018, M. X., n° 419057)

 

70 - Recours dans l’intérêt de la loi – Recevabilité - Prorogation d'un acte déclarant d'utilité publique une opération poursuivie par un département – Compétence exclusive du conseil départemental – Portée du II de l’art. L. 11-1 du code l’expropriation – Rejet du recours dans l’intérêt de la loi.

Voie de droit extraordinaire, le recours dans l’intérêt de la loi n’est ouvert qu’aux ministres et ne peut être porté que devant le Conseil d’Etat contre toute décision rendue par une juridiction administrative. Il ne peut être formé qu’après expiration du délai de recours contre la décision contestée et il est donc sans effet sur elle quelle que soit l’issue de ce recours. C’est dire qu’il a un but doctrinal : faire fixer un point de jurisprudence.

Ici était demandée l’annulation de la doctrine contenue dans un arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes en tant qu’elle a jugé que l'article L. 11-5 du code de l'expropriation ne fait pas obstacle à ce que la demande de prorogation de la déclaration d'utilité publique d'un projet routier du département soit présentée par le président du conseil général et non par une délibération du conseil général. Le Conseil d’Etat admet le principe de ce raisonnement. Toutefois, il refuse de censurer l’arrêt déféré car les dispositions litigieuses ne font nullement obligation à l’autorité administrative voulant proroger les effets d’une DUP de procéder aux formalités prévues pour l'édiction de cet acte. Il faut seulement et il suffit que l'acte prononçant la prorogation émane de l'autorité qui était compétente, en vertu de l'article L. 11-2 du même code, pour déclarer l'utilité publique.  Ainsi, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit au cas de l’espèce. (11 avril 2018, Ministre de l’Intérieur, n° 409648)

 

71 - Compétence du Conseil d’Etat pour statuer en premier et dernier ressort – Recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale – Décision des présidents ou jurys des concours « Un des meilleurs ouvriers de France » – Absence de compétence dérogatoire du Conseil d’Etat.

Les décisions prises en vue de l’organisation des concours qui, dans diverses disciplines, délivrent le titre envié de « Meilleur ouvrier de France » ne sont pas au nombre des « actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale » dont le contentieux relève de la compétence d’exception du Conseil d’Etat en premier et dernier ressort. (26 avril 2018, Confédération nationale des charcutiers traiteurs, n° 420077)

 

 72 - Autorité de chose jugée au civil – Portée et limite – Bail emphytéotique entre un établissement public administratif et une commune – Compétence du juge administratif.

Une convention est conclue entre un OPHLM, établissement public administratif, et une commune en vue de la construction de logements sociaux sur un terrain appartenant au domaine privé de la commune. Des péripéties s’en sont suivies : annulation par le juge administratif, en première instance et en appel, du permis de construire délivré par le préfet ; nouvelle demande de permis, refusée par le maire, refus confirmé en première instance et en appel par le juge administratif. Constatation par le TGI de la résiliation de plein droit du bail, assortie de l’expulsion de l’OPHLM, de l’obligation sous astreinte de remise en état des lieux et rejet de la demande de dommages-intérêts formée par l’Office. Ce dernier a réclamé réparation de son préjudice du fait de la mauvaise foi de la commune ; cela lui est refusé et le refus confirmé par les juridictions administratives du premier et du second degrés. L’OPHLM se pourvoit. Le Conseil d’Etat estime que le bail emphytéotique avait pour objet de mettre des terrains à disposition en vue de la réalisation d'une opération d'intérêt général relevant de la compétence la commune. Le litige relève bien de la compétence du juge administratif.

Par ailleurs, pour rejeter la demande dont l’avait saisie l’OPHLM, la cour avait objecté l'autorité relative de la chose jugée par le juge civil mais le Conseil d’Etat répond que cette autorité ne peut être utilement invoquée ici en l'absence d'identité d'objet, de cause et de parties. La demande de réparation de l’Office porte sur des chefs de préjudices distincts de ceux sur lesquels le juge civil a statué, l'autorité de chose jugée ne peut donc lui être opposée faute d'identité d'objet. Cassation et renvoi devant la cour pour y être statué sur la demande de réparation. (4 avril 2018, OPHLM « Mistral Habitat », n° 408179)

 

73 - Appel accompagné de la copie du jugement attaqué – Copie incomplète – Requête manifestement irrecevable (non) – Obligation d’inviter à régulariser la requête.

Mme X. avait joint à sa requête d'appel une copie du jugement attaqué mais, en raison d’une erreur matérielle, cette copie ne comprenait que les pages impaires de celui-ci. La cour ne pouvait donc pas, sans irrégularité, usant des pouvoirs conférés par l'article R. 222-1 CJA, rejeter la requête de Mme X. comme manifestement irrecevable, faute de production d'une copie complète du jugement attaqué, sans l'avoir préalablement invitée à compléter cette communication. (26 avril 2018, Mme X., n° 415316)

 

74 - Délai de distance – Article 643 code de procédure civile – Application à un appel exercé en matière ordinale.

Le délai d’appel applicable aux juridictions administratives de droit commun, d’ailleurs fixé par le code de procédure civile, l’est aussi aux juridictions ordinales, tout comme le bénéfice du délai de distance institué au profit des personnes qui, résidant en France continentale, veulent saisir une juridiction ultra-marine ou qui, résidant outre-mer, saisissent une juridiction siégeant en France continentale. Au passage, le Conseil d’Etat rappelle une règle classique du contentieux : les recours doivent être adressés en temps utile pour parvenir dans le délai fixé au greffe de la juridiction ou, au Conseil d’Etat, au secrétariat du contentieux. Ainsi, une requête postée à Marseille un samedi 8 octobre l’est trop tard pour un délai expirant le lundi 10 octobre à minuit. Parvenue hors délai, elle est irrecevable et doit donc être rejetée. (13 avril 2018, Mme X., n° 407899)

 

75 - Aide juridictionnelle – Absence de réponse de la commission siégeant près d’un tribunal de grande instance – Saisine du juge administratif – Demande d’exécution du jugement d’annulation et d’astreinte.

Laissant de côté certains aspects procéduraux, on retiendra de cette décision seulement ce qui suit. M. X. a demandé au tribunal administratif de Melun l'annulation du refus implicite du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Melun de lui communiquer le document « donnant délégation à l'huissier de justice membre du bureau, aux dates des décisions (…) rendues les 13 décembre 2011, 23 janvier, 10 mai, 23 juillet, 17 décembre 2012 et 16 avril 2013 » et à défaut d'existence de ce document, le document ayant désigné le secrétaire qui lui a adressé ces décisions au président de la chambre des huissiers du département pour désignation d'un huissier de justice.

En omettant de se prononcer sur cette demande, le tribunal administratif de Melun a entaché son jugement d'un défaut de réponse à conclusions et ce dernier doit être annulé sur ce point. (11 avril 2018, M. X., n° 401650)

 

76 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Dégrèvement sollicité – Rejet par jugement insuffisamment motivé – Annulation.

Ayant demandé la décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2007 à 2011 à raison de l'ensemble immobilier dont elle est propriétaire, la SAS COLVEL 1 se pourvoit en cassation contre le jugement du 28 avril 2007 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. 

Le Conseil d’Etat accueille le pourvoi en relevant qu’alors que la société requérante i soutenait devant les premiers juges que les surfaces de circulation situées dans les espaces ouverts de bureaux ne pouvaient être intégrées aux surfaces de bureaux mais devaient bénéficier du coefficient de pondération applicable aux dégagements, les juges ont écarté ce moyen au motif que la société requérante n'apportait aucun élément technique permettant d'infirmer l'analyse de l'administration. Pourtant, le mémoire en défense du directeur départemental des finances publiques ne contestait pas le fait que les nouveaux plans produits par la société requérante à l'appui de sa réclamation faisaient apparaître des espaces de circulation plus nombreux mais soutenait que, faute de cloisonnement, ils ne pouvaient être regardés comme de véritables dégagements. Ainsi, le tribunal a entaché son jugement d'insuffisance de motivation et encourt annulation. (11 avril 2018, SAS COLVEL 1, n° 412003)

 

77 - Taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères – Demande de décharge – Décharge accordée – Absence de la personne publique en première instance – Impossibilité pour elle d’interjeter appel.

Il résulte du I de l’art. 1520 CGI que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, qui est un impôt local, est établie, liquidée et recouvrée par les services de l'Etat pour le compte de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale qui en est le bénéficiaire légal. Ces services ont seuls qualité pour agir dans les litiges auxquels peuvent donner lieu l'assiette et le recouvrement de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. En l’espèce, la communauté d'agglomération Quimper Bretagne occidentale, qui n'avait pas la qualité de partie en première instance, n'a pas, non plus, qualité pour demander l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Rennes a accueilli la demande de la SCI « Les Jardins de Gutenberg » tendant à la décharge de la cotisation de taxe d'enlèvement des ordures ménagères. Son pourvoi est, dès lors, irrecevable. (11 avril 2018, SCI « Les jardins de Gutenberg », n° 407785)

 

Professions réglementées (v. n° 90)

 

78 - Chirurgien-dentiste – Sanctions disciplinaire – Pouvoir souverain d’appréciation de la juridiction ordinale (Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes) – Contrôle de la qualification juridique des faits par le juge de cassation.

Un chirurgien-dentiste se voit infliger une sanction disciplinaire par la juridiction ordinale au double motif que, frappé d’une interdiction de donner des soins aux assurés sociaux il s’était fait remplacer par une autre personne, contournant ainsi la sanction le visant, et que cette dernière n’étant pas inscrite au tableau de l’ordre, il s’était rendu coupable du délit d’exercice illégal de l’art dentaire. Le juge de cassation, saisi d’un pourvoi de l’intéressé dirigé contre cette décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes, confirme en tous ses chefs celle-ci.

Pour ce faire, il procède à un examen minutieux des faits reprochés afin d’en vérifier l’exacte qualification juridique par la juridiction ordinale : M. X. a-t-il donné des soins alors qu’il était sous l’empire de l’interdiction d’en donner ? S’est-il rendu complice du délit d’exercice illégal de l’art dentaire. ? Pour cela, il lui a fallu établir l’exactitude matérielle des faits ainsi qualifiés, situation peu ordinaire pour le juge civil de cassation, fréquente pour le juge administratif de cassation. Toutefois, il ne fonde son examen que sur les seuls éléments figurant au dossier sous la réserve de leur éventuelle dénaturation mais étant sauve leur appréciation souveraine. Enfin, le Conseil d’Etat se prononce sur la proportionnalité de la sanction (interdiction d’exercer durant trois mois à la gravité des manquements déontologiques relevés). (13 avril 2018, M. X., n° 391895)

 

79 - Masseur-kinésithérapeute – Sanction disciplinaire – Conséquences difficilement réparables – Moyen sérieux tiré de la disproportion de la sanction – Sursis à l’exécution du jugement ordinal.

Un masseur-kinésithérapeute sollicite le sursis à l’exécution d’un jugement ordinal lui infligeant la sanction d’interdiction d’exercer sa profession pendant deux années. Il obtient gain de cause car le Conseil d’Etat estime réunies les deux conditions : d’une part, par sa durée, cette sanction risque d'entraîner pour lui des conséquences difficilement réparables, d’autre part, il aperçoit un moyen sérieux, en l’état de l’instruction, dans la disproportion existant entre la sanction et le grief retenu. (13 avril 2018, M. X., n° 417878)

 

80 - Candidature au diplôme de masseur- kinésithérapeute – Nationalité franco-marocaine – Non révélation de cette binationalité – Suspicion de pour bénéficier d’un accès plus facile – Refus, par le conseil départemental de l’ordre, d’inscription au tableau de l’ordre – Inscription sur décision du conseil régional – Action à fin de réparation – Rejet – Annulation du rejet.

Candidat au diplôme de masseur-kinésitérapeute, l’intéressé ne révèle pas sa binationalité, une fois diplômé, ce fait est découvert. Suspecté d’avoir menti par omission pour bénéficier du régime plus favorable des ressortissants non communautaires, il voit son inscription au tableau de l’ordre refusée au niveau départemental puis acceptée au niveau régional. Il sollicite, en vain, réparation du préjudice causé par l’illégalité du refus d’inscription. Et se pourvoit. Le Conseil d’Etat lui donne raison après avoir constaté que lorsque M. X. s'est inscrit à la formation de masseur-kinésithérapeute en tant qu'étudiant non communautaire en 2003, il ne pouvait obtenir, à l'issue de cette formation, qu'une attestation d'études ne lui permettant pas d'exercer cette profession en France. Cette possibilité n’a été ouverte que par un arrêté du 6 août 2004. Il ne pouvait donc pas être suspecté de fraude ou de tentative de fraude au moment où il s’est inscrit. Le refus opposé était donc illégal ; le dossier est renvoyé à la cour de Marseille s’agissant de la demande de réparation. (4 avril 2018, M. X., n° 406300)

 

Question prioritaire de constitutionnalité (v. aussi, n° 91)

 

81 - Principe d’impartialité de l’administration active – Principe d’indépendance – Cas de l’Agence française de lutte contre le dopage – Absence d’auto-saisine – Absence d’inconstitutionnalité – Principes respectés.

Sanctionnés pour dopage, deux sportifs invoquent l’inconstitutionnalité de l’art. L. 232-22 du code du sport qui prévoit, en cas de carence d’une fédération sportive à statuer dans un certain délai sur la sanction devant être infligée à des contrevenants en matière de dopage, la substitution automatique de cette Agence. De ce fait, selon les requérants, l’Agence serait suspecte de manquer aux exigences d’impartialité et d’indépendance puisque, à la fois, elle poursuivrait et elle sanctionne. Pour refuser le renvoi de la question le Conseil d’Etat objecte que ce n’est pas, en ce cas, l’Agence qui décide de poursuivre car elle n’agit que par substitution automatique à l’autorité administrative défaillante. Elle n’a donc aucun pouvoir de décider ou non d’engager des poursuites, sa compétence étant ici liée. Ce n’est que dans la situation inverse qu’aurait pu se poser la question d’inconstitutionnalité comme cela a été jugé à plusieurs reprises. Rejet de la demande de renvoi de la QPC. (26 avril 2018, MM. X. et Y., n° 416181)

 

82 - Demande de renvoi d’une QPC – Silence de la juridiction saisie – Recours au Conseil d’Etat sur la QPC irrecevable – Admission d’un pourvoi en cassation (oui).

Des divers points de droit abordés dans cette décision sera ici retenu seulement celui relatif à la QPC. M. X., outre d’une action au fond, a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d’une QPC dirigée contre l’inconstitutionnalité d’une disposition du code de justice administrative. Or le tribunal a omis de statuer sur la QPC : aucune ordonnance ni décision avant dire droit ni, non plus, le jugement attaqué n’y est relatif. Par suite, doit être rejeté pour irrecevabilité le recours - présenté par mémoire distinct - en annulation de ce refus puisqu’il n’existe aucune décision sur ce point donc aucun refus. En revanche, saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat annule ce jugement et peut statuer sur la QPC qui avait été soumise aux premiers juges. (26 avril 2018, M. X., n° 400477)

 

83 - QPC – Inconstitutionnalité des dispositions (ou de certaines d’entre elles), des articles 1732 et 1746 du CGI– Possibilité de cumuler une sanction administrative et une sanction pénale – Absence de renvoi au Conseil constitutionnel.

Une question est souvent posée, celle de la possibilité, tant au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que de celle de la Cour EDH, qu’un même fait soit réprimé deux fois : par la voie pénale et par la voie administrative. En l’espèce, il s’agissait d’une opposition à contrôle fiscal, incriminée par l’art. L. 74 du Livre des procédures fiscales combiné aux art. 1732 et 1746 CGI. Soumis à ce cumul de sanctions, il soulève une QPC fondée sur ce que ces dispositions, qui répriment les mêmes faits, permettent à l'administration de recourir à la procédure d'évaluation d'office prévue à l'article L. 74 précité et prévoient des sanctions qui sont différentes dans leur ampleur et leur montant, sans que cette différence ne soit justifiée par une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi, et méconnaissent ainsi le principe d'égalité devant la loi. Par suite elles ne sauraient être conformes aux droits et libertés garantis par la Constitution. Pour dire n’y avoir lieu à saisir le juge constitutionnel, le Conseil d’Etat donne une réponse, classique mais tout aussi classiquement décevante car elle tourne à la pétition de principe et au paralogisme. Qui ne voit que s’il peut exister des sanctions de natures diverses, ce fait ne saurait, sans autre forme d’argumentation, constituer à lui tout seul une argumentation justificative d’un cumul de sanctions à raison d’un même fait ? La deuxième partie de la phrase citée ci-après n’est pas la suite logique de la première partie de cette phrase. Ce paralogisme se double d’un autre : il ne suffit pas d’affirmer, pour clore le débat, que ce cumul résulte de la volonté du législateur puisque ce qui est discuté au moyen d’une QPC ce n’est pas du tout l’interprétation de la volonté du législateur mais la constitutionnalité du contenu de cette volonté.

Le juge écrit en effet : « Toutefois, l'objet même de la répression administrative étant d'instituer des sanctions d'une nature différente de celles prévues par la répression pénale, le principe d'égalité devant la loi, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ne fait pas obstacle à ce que le législateur prévoie, dans le but d'assurer la protection des intérêts financiers de l'État, la possibilité d'engager des procédures conduisant, d'une part, à l'application d'une sanction administrative, d'autre part, au prononcé d'une sanction pénale. M. X. n'est, par suite, pas fondé à soutenir que le législateur aurait méconnu ce principe en instituant, à l'article 1732 du code général des impôts, une sanction administrative de majoration d'imposition en cas d'opposition à contrôle fiscal, tout en réprimant d'une amende pénale prononcée par les tribunaux correctionnels, en application de l'article 1746 du même code, le fait de mettre les agents habilités à constater les infractions à la législation fiscale dans l'impossibilité d'accomplir leurs fonctions. » (13 avril 2018, M. X., n° 418411).

 

84 - QPC – Contestation de commentaires administratifs – Irrecevabilité – Recours pour excès de pouvoir – Régime fiscal des traitements et remboursements forfaitaires – Situation des gérants majoritaires de Sarl – Absence d’atteinte aux principes d’égalité devant la loi fiscale et devant les charges publiques.

La législation fiscale dispose que les avantages en nature consentis aux gérants minoritaires comme aux gérants majoritaires par les sociétés à responsabilité limitée n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes sont soumis à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires. Dès lors n’est pas fondé le recours des intéressés dirigé contre les commentaires administratifs de cette législation, lesquels se bornent à préciser que ces avantages en nature doivent être toujours évalués selon leur valeur réelle, pour leur prise en compte dans le revenu imposable, cette règle découlant directement de la législation à laquelle ils n’ajoutent rien. Par ailleurs, ne sauraient, non plus, être invoqués ici les principes constitutionnels d'égalité devant la loi fiscale et d'égalité devant les charges publiques dès lors que les gérants de sociétés à responsabilité limitée sont placés, au regard des conditions d'attribution d'avantages en nature par l'entreprise, dans une situation distincte de celle des salariés. La QPC n’a pas à être transmise. (13 avril 2018, M. et Mme X., n° 418420)

 

Responsabilité

 

85 - Dommage corporel – Action de la victime – Obligations de mises en cause (L. 376-1, 8ème alinéa, code de la sécurité sociale) – Absence – Obligation, le cas échéant, de mettre en cause d’office - Irrégularité du jugement.

Lorsqu’une juridiction administrative (il en serait de même pour une juridiction judiciaire) est saisie d’une action à fins indemnitaires consécutive à un dommage corporel, l’article L. 376-1, 8ème alinéa, du code de la sécurité sociale dispose que « L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun ou réciproquement (...) ». En l’espèce, la victime demanderesse n’avait pas procédé à cette mise en cause. Le Conseil d’Etat annule le jugement pour n’avoir pas, en pareil cas, communiqué lui-même à la caisse de sécurité sociale compétente cette demande de réparation. (26 avril 2018, Mme X., n° 408136)

 

86 - Soumission de l’utilisation de gaz combustible à la taxe intérieure de consommation de gaz naturel – Demande de réparation du préjudice causé pour défaut de transposition d’une disposition d’une directive de l’UE – Questions déterminantes pour la solution du litige – Renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne et sursis à statuer.

Dans le cadre d’un litige portant sur un contentieux complexe et récurrent, la taxation des produits utilisés pour produire de l’électricité, la Société requérante conteste la conformité du droit français au droit de l’Union. Le Conseil d’Etat estime que deux questions, parce qu’elles sont déterminantes pour la solution du litige et soulèvent des difficultés sérieuses, doivent être renvoyées à titre préjudiciel à la Cour de Luxembourg.  La première question est celle de savoir si les dispositions du troisième alinéa du paragraphe 5 de l'article 21 de la directive en cause doivent être interprétées en ce sens que l'exonération dont elles autorisent les Etats membres à faire bénéficier les petits producteurs d'électricité, pour autant qu'ils taxent les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité, peut résulter d'une situation, telle que celle existant pour la période antérieure au 1er janvier 2011, pendant laquelle la France, comme l'y autorisait la directive, n'avait pas encore instauré la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité ni, par voie de conséquence, d'exonération de cette taxe en faveur des petits producteurs. La seconde question, du moins en cas de réponse positive à la première question, est celle de savoir comment doivent être combinées les dispositions du a) du paragraphe 1 de l'article 14 de la directive et celles du troisième alinéa du paragraphe 5 de son article 21 pour les petits producteurs qui consomment l'électricité qu'ils produisent pour les besoins de leur activité. En particulier, ces dispositions impliquent-elles une taxation minimale résultant soit de la taxation de l'électricité produite avec exonération du gaz naturel utilisé, soit d'une exonération de taxe sur la production d'électricité, l'Etat étant alors tenu de taxer le gaz naturel utilisé ? D’où le renvoi à Luxembourg et le sursis à statuer. (13 avril 2018, Société UPM France, n° 399794)

 

87 - Exercice séparé de la puissance parentale – Changement d’établissement scolaire pour un enfant – Demande du seul père – Mère demandant réparation du préjudice moral subi de ce fait – Responsabilité de l’Education nationale – Absence de recherche de l’existence d’une faute par le juge du fond – Cassation, dans cette mesure, de la décision du premier juge.

Le père d’un collégien, séparé de son épouse et co-exerçant avec elle la puissance parentale, sollicite la mutation de son fils d’un collège à un autre. Mme X. sollicite la réparation du préjudice moral causé par les décisions rectorales, prises sans son accord, de radiation puis de réinscription de son fils. Le tribunal administratif lui ayant alloué une indemnisation, la ministre de l’éducation se pourvoit.

Sur le fondement de l’art. 372 du code civil, le Conseil d’Etat juge de façon expédiente que « l'administration appelée à prendre, à la demande d'un des parents exerçant en commun l'autorité parentale avec l'autre parent, une décision à l'égard d'un enfant, doit apprécier si, eu égard à la nature de la demande et compte tenu de l'ensemble des circonstances dont elle a connaissance, cette demande peut être regardée comme relevant d'un acte usuel de l'autorité parentale ; que, dans l'affirmative, l'administration doit être regardée comme régulièrement saisie de la demande, alors même qu'elle ne se serait pas assurée que le parent qui la formule dispose de l'accord exprès de l'autre parent ». Si l’administration n’agit qu’avec l’accord d’un seul parent, l'illégalité de sa décision ne serait susceptible d'engager sa responsabilité qu'à proportion de son rôle causal dans la survenance du préjudice. Ici, le Conseil d’Etat aperçoit une erreur de droit dans le jugement ayant condamné l’administration scolaire car il n’y a pas de faute. (13 avril 2018, Mme Véronique X., n° 392949)

 

Santé publique

 

88 - Décision médicale d’arrêt de soins – Refus de la concubine – Pouvoirs et devoirs du juge administratif du référé liberté – Lésions cérébrales graves – Electroencéphalogramme négatif – Obstination déraisonnable – Rejet de la demande de référé.

Encore une affaire de coma plus ou moins dépassé, de disputes entre le corps médical et une partie au moins de la famille, de contorsions et de gymnastiques argumentatives pour signifier que le pire est ici certain. On a envie de dire « assez » devant la répétition des cas engendrant l’exhibition des certitudes des médecins et celle des souffrances familiales. Ce genre d’affaires relève de l’indicible et de l’indécidable car elles ne comportent jamais ni une bonne ni une juste décision : la conscience de chacun n’appartient pas à l’espace public. On peut même se demander si c’est encore là du « droit » et si l’on assiste vraiment, en ces cas, à l’exercice de la « justice ». Certes, le juge saisi doit répondre, à peine de forfaiture s’il ne le faisait pas, mais quelle misère morale et quelle tristesse d’en arriver là. On relèvera que pour s’assurer d’un maximum d’acceptabilité de sa décision, nécessairement critiquée et critiquable, le juge, outre une argumentation d’une longueur considérable, use du référé en formation collégiale, manière de signifier aux uns et aux autres, que sa décision a, à défaut d’autres, le mérite d’avoir recueilli, au sein de la juridiction, un consensus au moins minimal. (Ord. référé, formation collégiale, 12 avril 2018, Mme X., n° 419576)

 

89 - Santé publique – Droit pharmaceutique – Produits et dispositifs - Radiation  de la liste des produits remboursables – Affirmation  de l’identité des propriétés de ces produits  avec un autre ayant obtenu l’autorisation de mise sur le marché et partiellement remboursable – Violation du principe d’égalité (oui) – Violation des règles régissant la concurrence (oui) – Principe et règle invocables à l’encontre d’un refus d’autorisation de mise sur le marché - Principe et règle non invocables à l’encontre d’une décision de radiation d’une spécialité ou d’un dispositif.

De cette très longue et très technique décision – dans le détail de laquelle on ne saurait entrer dans le cadre de cette Sélection - ressortent, d’une part, la précision des analyses effectuées par le Conseil d’Etat pour répondre aux nombreux et précis moyens dont il était saisi, d’autre part, les limites d’un contrôle enserré dans une marge d’appréciation encore importante des autorités en charge de la santé publique, enfin, la porosité des intérêts en jeu comme la fragilité inhérente à des décisions dont le caractère économique l’emporte souvent sur la finalité sanitaire. (6 avril 2018, Société TRB Chemedica et autres, n° 409569, 409980, 410244, 410249, 410250, 410799, 410870, 410914 et 410935)

 

90 - Vente en ligne de médicaments – Publicité – Interdiction de toute promotion des médicaments proposés à la vente par un site internet – Caractère non justifié de cette restriction – Référencement payant des sites internet de vente électronique de médicaments – Objectif de santé publique – Prohibition proportionnée – Exercice de la profession de pharmacien.

M. X. demande l’annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du ministre des affaires sociales et de la santé du 28 novembre 2016 relatif aux règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments prévues à l'article L. 5125-39 du code de la santé publique ou, à défaut, de celles de ses dispositions plus particulièrement critiquées. Le Conseil d’Etat admet le recours et prononce l’annulation sur un point mais il rejette les trois autres demandes.

En premier lieu, il est jugé que l’interdiction sur un site internet autorisé de commerce électronique de médicaments d'une officine de toute forme de promotion pour les médicaments proposés à la vente, y compris les médicaments de médication officinale, le ministre a pris une décision illégale d’autant que ces dispositions sont plus restrictives que celles existant pour la vente au comptoir de l'officine.

En deuxième lieu, le juge estime que l’interdiction de la recherche de référencement dans des moteurs de recherche ou des comparateurs de prix contre rémunération est justifiée car ayant pour finalité d'attirer plus particulièrement vers lui, contre rémunération, des patients qui effectuent des recherches sur internet et revêtant ainsi un caractère publicitaire, n’a pas pour effet de soumettre le commerce électronique de médicaments à des contraintes disproportionnées au regard de l'objectif de protection de la santé publique. 

En troisième lieu, il est relevé que l’obligation d’indiquer que le prix du médicament vendu par le site internet de commerce électronique de l'officine soit assorti d'une information « rappelant le régime de prix » soit « affichée de manière visible et lisible », d’ailleurs fondée sur la distinction entre les médicaments remboursables par l'assurance maladie et ceux  non remboursables, permet d'informer le patient quant à la possibilité de trouver la même spécialité ailleurs à un prix différent, ne fait pas peser une contrainte excessive sur le commerce électronique de médicaments, de nature à y faire obstacle ou même à en freiner le développement.

En quatrième lieu, l'exigence d'agrément de l'hébergeur des données de santé est
justifiée par la nécessité de garantir la protection des données de santé des patients, elle n'est donc as disproportionnée au regard de l'objectif de protection de la santé publique. 

Enfin, l'exigence de chiffrement des correspondances est justifiée par la nécessité de garantir que l'ensemble des sites internet de commerce électronique de médicaments permettent aux pharmaciens d'exercer leur devoir de conseil tout en assurant la protection des données de santé des patients. En outre, le pharmacien a le choix de la technique de communication favorisant un échange simultané qu'il juge la plus appropriée et il n'est pas tenu de permettre au patient l'usage du courriel s'il estime que le chiffrement, dans ce cas, est techniquement trop complexe à mettre en œuvre. Là encore, n’apparaît aucune contrainte excessive qui serait de nature à faire obstacle au commerce électronique de médicaments. (4 avril 2018, M. X., n° 407292)

 

Sport (v. n°s 81, 84)

 

91 - Conséquences de l’admission d’une QPC par le Conseil constitutionnel – Modulation des effets dans le temps – Affaires non encore jugées ou en cours d’instruction ou dont l’Agence antidopage ne s’est pas encore saisie – Inapplication des dispositions jugées contraires aux droits et libertés que la Constitution garantit.

M. X. a fait l’objet de sanctions à la suite d’un contrôle antidopage (art. L. 232-21 code du sport) ; celles-ci ont été aggravées, suite à son autosaisine sur le fondement du 3° de l’art.  L. 232-22 de ce code, par l'Agence française de lutte contre le dopage, qui a le pouvoir de réformer les sanctions prises par les fédérations agréées. M. X. a demandé l’annulation de cette décision.

Le Conseil d’Etat relève que par sa décision n° 2017-688 QPC du 2 février 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions du 3° de l'art. L. 232-22. Il a fixé au 1er septembre 2018 la date d’abrogation de cette disposition tout en précisant que pour assurer la continuité de la mission régulatrice de l’Agence antidopage jusqu’à cette date « la déclaration d'inconstitutionnalité peut être invoquée dans toutes les instances relatives à une décision rendue sur le fondement de l'article L. 232-21 dont l'agence s'est saisie en application des dispositions contestées et non définitivement jugées à la date de la présente décision ». Il estime qu’en ce cas il appartient au juge administratif, saisi d'un litige relatif aux effets produits par la disposition déclarée inconstitutionnelle, de les remettre en cause en écartant, pour la solution de ce litige, le cas échéant d'office, cette disposition, dans les conditions et limites fixées par le Conseil constitutionnel. Appliquée au cas de l’espèce cette interprétation conduit à dire fondés l'argument d’inconstitutionnalité des dispositions litigieuses et la demande d'annulation de la décision de l'Agence française de lutte contre le dopage. (11 avril 2018, M. X., n° 413349)

 

92 - Sécurité des manifestations sportives – Conditions générales de vente des billets – Cas de leur non-respect – Traitement automatisé des données à caractère personnel – Légalité.

Les associations requérantes demandent l’annulation du décret n° 2016-954 du 28 décembre 2016 précisant les modalités de mise en œuvre des traitements automatisés de données à caractère personnel relatives au non-respect des dispositions des conditions générales de vente ou du règlement intérieur concernant la sécurité des manifestations sportives à but lucratif. Aucun des nombreux moyens soulevés ne trouve grâce devant les juges du Palais-Royal.

Ainsi, est-il jugé que ni l'article 32 de la loi du 6 janvier 1978 (dite « informatique et libertés ») ni aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n'impose que l'enregistrement, dans un traitement, de données à caractère personnel soit précédé d'une procédure contradictoire menée avec la personne dont les données sont recueillies. Pareillement, ne peuvent être invoquées ici la violation de l’art. 25 de cette loi, les traitements en cause n’avaient pas à être soumis au régime d'autorisation créé par l'article R. 332-20 du code du sport, ou celle de son art. 34 car les dispositions de celui-ci, relatives aux obligations des responsables des traitements dans le fonctionnement de ces derniers, ne peuvent être utilement invoquées à l'appui de conclusions dirigées contre le décret précisant les modalités de mise en œuvre de ces traitements.

Ce décret ne porte pas non plus atteinte à l’art. 1er de la loi de 1978, -  le caractère inadéquat, non pertinent et excessif des traitement mis en œuvre par le décret ne pouvant être discuté alors que celui-ci se borne à mettre en œuvre une loi. De plus, dès lors qu'aucun texte ni aucun principe ne fait obstacle à ce que soit autorisé l'enregistrement, dans un traitement automatisé, de données relatives à des mineurs, les dispositions créées par le décret attaqué ne revêtent pas un caractère disproportionné au seul motif qu'elles n'interdisent pas l'enregistrement, dans les traitements litigieux, de données à caractère personnel relatives à des mineurs. Le décret litigieux ne viole pas l’art. 6 de la loi de 1978 sur le régime de traitement des données à caractère personnel et de leur transmission car, contrairement à ce qui est soutenu, la transmission des données à caractère personnel n'a pas, par elle-même, à être autorisée par la loi. 

Enfin les associations requérantes ne sont fondées ni  à soutenir que les destinataires des données à caractère personnel ne respecteraient pas les différentes obligations fixées par la loi du 6 janvier 1978 car ceci est,  en tout état de cause, sans incidence sur la légalité du décret attaqué, qui n'a ni pour objet ni pour effet de définir les modalités de mise en œuvre des traitements automatisés qui pourraient résulter de ces éventuelles transmissions, ni à prétendre que le décret attaqué serait entaché d’un défaut de base légale car il résulte de sa décision n° 2017-637 QPC du 16 juin 2017, que le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l'article L. 332-1 du code du sport pour l’application duquel le décret attaqué a été pris. (6 avril 2018, Association nationale des supporters et autres, n° 406664, 407112, 407200 et 407244)

 

93 –  Sportif détenant ou utilisant des substances interdites sans raison médicale dûment justifiée (art. L. 232-9 code du sport) – Séparation organique des fonctions au sein de l'Agence française de lutte contre le dopage – Saisine d’office de l’Agence – Distinction entre le 2° de l’art. L. 232-22 (conforme à la Constitution) et le 3° (déclaré contraire à la Constitution) – Principes d’impartialité et d’indépendance d’une autorité administrative indépendante – QPC – Absence de renvoi.

Un rugbyman, sanctionné pour dopage, saisit le Conseil d’Etat d’un recours à l’argumentaire devenu classique en ces sortes de litiges. Ceci n’a pas convaincu les membres du Palais-Royal. Tout d’abord, l’absence de séparation organique au sein de l’Agence antidopage entre les fonctions de poursuite et celles de jugement ne porte point atteinte au droit à exercer un recours juridictionnel entouré de toutes les garanties d’indépendance et d’impartialité. Ensuite, à la différence du 3°, jugé inconstitutionnel, le 2° de l’art. L. 232-22 du code du sport donne à l’Agence le pouvoir disciplinaire sans qu’elle ait à se prononcer sur l'opportunité de la poursuite. Enfin, concernant la procédure suivie, M. X. n’arrive pas non plus à convaincre les juges : ni le fait que ne lui ait pas été notifié son droit à demander l'analyse de l'échantillon B de ses urines, ni la circonstance que n’ait été trouvé qu’une faible concentration du produit interdit, ni, enfin, le moyen tiré de la disproportion de la durée de deux ans de la mesure d'interdiction de participation aux manifestations sportives énumérées par la sanction, ne sauraient créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. (Ord. réf. 4 avril 2018, M. X., n° 418867)

 

Urbanisme

 

94 - Construction et extension irrégulières d’une habitation – Déclaration préalable de travaux – Non opposition du maire – Annulation par le juge – Existence d’une fraude – Oui en dépit de sa connaissance antérieure par l’administration.

Une personne ayant irrégulièrement construit puis agrandi une habitation, présente une déclaration en vue de réaliser certains travaux ; le maire ne s’est pas opposé à cette déclaration ; il n’a pas, non plus, répondu à la demande des voisins de s’y opposer en raison du caractère frauduleux de la demande de travaux car elle est en réalité destinée à purger le vice qui l’affecte. Ces derniers saisissent la juridiction administrative ; leur action, rejetée en première instance, est au contraire accueillie par la cour d’appel. Contre cet arrêt, M. X., propriétaire de l’édifice litigieux, se pourvoit en vain en cassation.

En effet, le Conseil d’Etat estime que c’est à bon droit que la cour a, d’une part, aperçu dans cette déclaration de travaux « une manœuvre frauduleuse destinée à obtenir une décision indue », d’autre part, jugé que, « alors même que la commune n'aurait pas ignoré l'illégalité de l'extension antérieure du bâtiment, la fraude était établie ». Cette décision illustre parfaitement l’observation du Doyen Maurice Hauriou selon laquelle le juge administratif est le juge de la moralité administrative. (26 avril 2018, M. X., n°410019)

 

95 - Loi littoral – Application aux rivages du lac d’Annecy – Extension limitée des espaces proches du rivage – Notion et critères – Contrôle du juge de cassation – Etendue – Appréciation souveraine des juges du fond.

Laissant de côté les questions de procédure, on s’attache aux seuls aspects relevant du droit de l’urbanisme. Cet arrêt a le mérite de montrer que, contrairement à ce qui est trop souvent imaginé, la loi littoral ne concerne pas que le seul rivage maritime, mais aussi les rivages fluviaux ou, comme ici, lacustres. Certains départements de montagne ont ainsi la majeure partie de leur territoire soumis au régime juridique instauré par cette loi.

Le débat portait, comme souvent, sur la notion de « d’extension limitée de l'urbanisation des espaces proches du rivage ou des rives des plans d'eau intérieurs » (loi du 3 janvier 1986, art. 2). Le Conseil d’Etat définit l’extension de l’urbanisation au sens de ce texte comme « l'ouverture à la construction de zones non urbanisées ainsi que la densification significative de zones déjà urbanisées ».

Le Conseil d’Etat approuve la cour d’avoir d’abord recherché si les conditions d'utilisation du sol permises dans chacun des secteurs en cause par le plan d’urbanisme pouvaient être regardées comme permettant une extension de l'urbanisation. Egalement, il considère, comme elle, que le classement en zone UTL 1 du secteur « Avenue du Petit Port » pouvait être regardé comme permettant illégalement une extension non limitée de l'urbanisation car, d’une part, le secteur couvert par cette zone était peu urbanisé et, d’autre part, les conditions dans lesquelles les dispositions du règlement du plan local d'urbanisme permettaient son urbanisation sur une surface importante, l'exposaient à l'implantation d'installations susceptibles d'en modifier très significativement le caractère. Ce faisant, sont rejetées - à juste titre - les critiques des requérantes selon lesquelles les premiers juges se sont fondés sur des critères quantitatifs pour apprécier l'existence d'une extension de l'urbanisation et n’ont pas fait porter leur appréciation à l'échelle de l'ensemble du centre-ville d'Annecy-le-Vieux ou de la totalité du territoire couvert par le plan local d'urbanisme. Enfin, en l’absence de toute dénaturation, relevait de leur pouvoir souverain d’appréciation l’affirmation que le classement en zone UTL 2 du secteur « Avenue du Petit Port » ne pouvait être regardé comme constituant une extension limitée de l'urbanisation au sens du code de l'urbanisme. (11 avril 2018, Commune d'Annecy et communauté d'agglomération le Grand Annecy, n° 399094)

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