Sélection de jurisprudence du Conseil d'Etat

Mars 2018

 

Actes et décisions

 

1 - Abrogation des actes administratifs – Régime – Décrets organisant la représentation syndicale au sein du Conseil économique, social et environnemental – Refus d’abrogation opposé par le premier ministre – Légalité.

Deux questions distinctes étaient posées au juge.

En premier lieu, l'article 7 de l'ordonnance du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique et social en fixe les diverses catégories qui le composent. S’agissant des organisations syndicales appelées à y désigner des représentants, joue le principe général de représentativité ; celle-ci est déterminée au moyen de plusieurs critères combinés (ancienneté, effectifs et audience). Il incombe au pouvoir réglementaire de répartir les sièges entre les organisations syndicales les plus représentatives, en tenant compte de leurs résultats aux diverses élections professionnelles au niveau national.

L'Union syndicale Solidaires a sollicité l'abrogation de l'article 1er du décret du 7 octobre 2015 qui modifie les règles de répartition des sièges au sein de ce Conseil entre les organisations y représentant les salariés, au motif qu'il ne lui attribue que deux représentants. Le premier ministre, par une décision implicite, a refusé. L’union requérante sollicite l’annulation de ce refus au moyen d’un recours pour excès de pouvoir.

L’Union requérante a obtenu 3,47 % des voix lors des élections professionnelles qui se sont tenues entre janvier 2009 et décembre 2012 au sein des entreprises de plus de onze salariés, auprès des salariés des très petites entreprises et des employés à domicile et lors des élections aux chambres départementales d'agriculture, et 6,85 % des voix lors des élections professionnelles pour les comités techniques dans la fonction publique en 2014, soit une audience moyenne de 4,4 % auprès de l'ensemble des salariés du secteur privé et du secteur public à la date de la décision attaquée.

Le Conseil d’Etat juge que si le premier ministre, pour fixer la représentativité de cette Union devait tenir compte des résultats qu’elle a obtenus aux élections professionnelles, en revanche, il n’était nullement tenu de répartir les sièges selon la règle de la représentation proportionnelle. Ainsi, en attribuant à cette Union deux des soixante-neuf sièges alloués aux représentants des salariés, soit 2,89% des sièges, n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation. La demande d’annulation du refus implicite d’abroger cet article du décret de 2005 est donc rejetée.

En second lieu, l’art. 12 de l’ordonnance organique précitée de 1958 prévoit la création, au sein du Conseil économique, social et environnemental, de « sections » composées de membres du Conseil et de personnalités associées qualifiées. Un décret du 19 novembre 2015 a porté nomination des personnalités associées. L’Union requérante sollicitait, d’une part, la nomination d’une personne qualifiée choisie en son sein et présentée par elle, d’autre part, l’annulation du refus d’abroger ce décret en tant qu’il porte nominations de personnalités qualifiées. Sur le premier point, la requérante se voit répondre, logiquement, qu’elle n’a aucun droit à une telle nomination et n’est donc pas fondée à demander l’annulation du refus né du silence gardé par le premier ministre sur cette demande. Sur le second point, le juge rappelle une règle importante et classique : il est impossible, après expiration d’un délai de quatre mois (art. L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration), d’abroger une décision individuelle expresse créatrice de droits, ce qu’est chacune des décisions désignant une personnalité qualifiée. Or ce délai était expiré à la date à laquelle l'Union syndicale Solidaires a saisi le Conseil d’Etat. (26 mars 2018, Union syndicale Solidaires, n° 406356)

 

2 – Abrogation des actes administratifs – Décret du 5 juin 1852 autorisant l'édification d’un moulin à eau pour l'exploitation de l’énergie hydraulique de la Bruche – Arrêté préfectoral accordant un droit d’eau – Abrogation ultérieure – Absence de respect du caractère contradictoire de la procédure non contentieuse avant toute mesure défavorable – Annulation de l’arrêté et, par voie, de conséquence, de la décision de remise en état des lieux.

La société MMC a acquis le 2 décembre 2005, une partie de l'installation d’un moulin situé sur la Bruche– autorisé par décret présidentiel du 5 juin 1852 -, comprenant notamment le bâtiment d’une usine hydroélectrique. Parallèlement, une partie de l'installation, comprenant les terrains sur l'emprise desquels se trouve le canal d'amenée de l'eau, a été cédée le 9 novembre 1995 avec la mention « en ce compris le droit de l'eau du canal usinier » à la Fédération du Bas-Rhin pour la pêche et la protection du milieu aquatique (FDPPMA). Après abandon de son projet d’ouvrage piscicole, la FDPPMA a informé le préfet du Bas-Rhin de son intention de remettre le site en état, lui a demandé l'abrogation de l'autorisation réglementant l'usage du cours d'eau et a fourni un dossier de remise en état du site. L’arrêté préfectoral du 18 septembre 2012, prescrit les modalités de remise en état du site et abroge, notamment, le décret du 5 juin 1852. La société MMC a sollicité l’annulation de cet arrêté mais a été déboutée par une ordonnance du tribunal administratif de Strasbourg du 6 juillet 2015, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 6 octobre 2016, contre lequel la société MMC se pourvoit.

De manière tout à fait attendue, le Conseil d’Etat relève que l'arrêté litigieux a prononcé, à la demande de la FDPPMA, l'abrogation de l'autorisation administrative d’usage de la force motrice de la Bruche sans que la SCI MMC, qui était bénéficiaire, en sa qualité de propriétaire d'une partie de l'installation, de cette autorisation, même si l'installation n'était plus en fonctionnement, l’ait sollicitée ou ait été mise à même de présenter ses observations dans les conditions fixées par les articles R. 214-26 et R. 214-28 du code de l'environnement.  La cour de Nancy a commis une erreur de droit et son arrêt est annulé. Usant du pouvoir de se prononcer sur le fond que lui confère

l'article L. 821-2 CJA, le Conseil d’Etat décide « que dans les circonstances particulières de l'espèce, les mesures de remise en état du site prévues par l'arrêté, consistant notamment en un comblement partiel du canal d'amenée, se présentaient comme la conséquence de l'abrogation de l'autorisation administrative au titre de la police de l'eau ; que, par voie de conséquence de l'irrégularité de la procédure ayant conduit à cette abrogation, la société MMC est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 septembre 2012 en tant qu'il prescrit les modalités de remise en état du site. (16 mars 2018, Société MMC, n° 405864)

 

3 - Transposition d’une directive européenne sur la fabrication, la présentation et la vente des produits du tabac et des produits connexes – Exigence de sécurité juridique – Institution d’une période transitoire – Nécessité d’une durée raisonnable de celle-ci – Objectif de santé publique.

Une directive européenne du 3 avril 2014 a pour objet sur l’harmonisation des législations des Etas membres relative à la fabrication, la présentation et la vente des produits du tabac et des produits connexes. La Société Massis, requérante, mise en demeure le 23 décembre 2016 d’avoir à se mettre en conformité avec les textes, conteste tout à la fois la durée de la période transitoire retenue par le gouvernement pour le passage au régime institué par cette directive (1), le fait que celui-ci n’ait pas accordé un délai dérogatoire d’une année à cette fin (2) et, enfin, l’atteinte que le calendrier d’entrée en vigueur du nouveau régime porterait à certains droits et libertés (3).

(1) Le juge répond que s’il était loisible aux pouvoirs publics de prévoir une phase transitoire celle-ci ne pouvait avoir une durée excédant celle prévue par la directive elle-même. Aucun motif impérieux ou spécifique n’est allégué par la requérante au soutien de son argumentation. Elle ne peut davantage se prévaloir, s’agissant du droit de l’Union, de la tolérance administrative accordée par la lettre-circulaire du 22 novembre 2016 pour la mise en œuvre de l'interdiction des marques et dénominations commerciales incitatives. 

(2) La requérante se méprend sur le sens et la portée du prétendu « délai dérogatoire » qu’elle n’aurait pas obtenu. En effet, la directive ne prévoit aucun délai supplémentaire d'un an qui serait de droit ; simplement, elle ouvre aux Etats la faculté d’accorder aux fabricants et importateurs un délai maximal d'un an pour écouler le stock de produits fabriqués ou importés avant le 20 mai 2016 et qui seraient non conformes à leurs nouvelles obligations.

(3) Enfin, s’agissant de dispositions concernant des produits gravement nuisibles à la santé humaine, des délais dont a disposé la société requérante et notamment de la tolérance administrative évoqué au (1), celle-ci ne saurait se prévaloir sérieusement de ce que les textes en cause auraient méconnu la liberté d'entreprendre, la liberté d'entreprise, le principe de proportionnalité et le principe de sécurité juridique. (7 mars 2018, Société Massis distribution, n° 406980)

 

4 - Règles de prescription – Compétence exclusive du législateur pour les fixer – Illégalité en principe du décret y procédant – Décret du 19 décembre 1991 relatif à l’effet interruptif des délais de prescription en cas de demande d’aide juridictionnelle – Simple mise en œuvre de la loi – Légalité.

Cette décision, rendue sur renvoi préjudiciel du Conseil des prud’hommes de Narbonne, concerne la légalité de l'article 38 du décret du 19 décembre 1991 en tant qu'il confère aux demandes d'aide juridictionnelle un caractère interruptif des délais de prescription. Or il est constant que seule la loi peut fixer les délais de prescription et que l’intervient d’un règlement en la matière est illégal. Toutefois, il résulte de la combinaison des articles 2241 (« La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion »), 2231 (« L'interruption efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien ») et 2242 (« L'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ») du code civil, qu'une demande d'aide juridictionnelle formée en vue de saisir une juridiction a le caractère d'une demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil et qu’elle a, par suite, pour effet d'interrompre le délai de prescription du droit revendiqué par le demandeur. Il suit de là que la disposition réglementaire en cause « se borne à préciser les modalités de mise en oeuvre de l'interruption du délai de prescription qui découle de la loi ». Elle n’a donc pas été prise en méconnaissance de la compétence du pouvoir législatif. Elle n’est donc pas inconstitutionnelle. (14 mars 2018, Mme X. et Château des vieilles caves, n° 415956)

 

5 - Arrêté fixant le tonnage maximal de capture du thon rouge en Méditerranée pour la campagne 2017 – Acte non réglementaire – Compétence en premier ressort du tribunal administratif.

Le syndicat professionnel des pêcheurs petits métiers d'Occitanie sollicite directement du Conseil d’Etat l'annulation de l’arrêté du 10 février 2017 par lequel la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, en charge des relations internationales sur le climat, a fixé pour l’année 2017 les modalités de répartition du quota de thon rouge pouvant être pêché. Or cet arrêté ne présente pas de caractère réglementaire : il ne relève donc pas de la compétence directe de premier et dernier ressort du Conseil d’Etat. Il résulte des dispositions de l'article R. 311-1 CJA qu’un tel recours doit être soumis au tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve soit l'établissement ou l'exploitation dont l'activité est à l'origine du litige, soit le lieu d'exercice de la profession. (30 mars 2018, Syndicat professionnel des pêcheurs petits métiers d'Occitanie, n° 409701)

 

6 - Refus de constater l’état de catastrophe naturelle dans une commune – Art. L. 125-1 code des assurances – Compétence ministérielle – Prise en compte de paramètres météorologiques et géologiques constatés en application de la méthodologie scientifique élaborée par Météo France – Expertise inutile en l’espèce.

A la suite de la sécheresse des années 2009 et 2010, les ministres chargés de l'intérieur, de l'économie et des finances et du budget ont, par arrêtés du 13 décembre 2010 et du 30 janvier 2012, fixé la liste des communes pour lesquelles a été constaté l'état de catastrophe naturelle au titre des mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols durant les années 2009 et 2010, au nombre desquelles ne figure pas la commune de Bonneuil-sur-Marne. Cette dernière a adressé au préfet du Val-de-Marne des demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle puis saisi le tribunal administratif de Melun de demandes tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des arrêtés précités motif pris de ce qu'ils ne la mentionnent pas parmi les communes où a été déclaré l'état de catastrophe naturelle. La cour de Paris ayant confirmé les deux jugements de rejet, la commune se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’Etat examine les divers griefs articulés par la commune de Bonneuil-sur-Marne. Il estime tout d’abord que la méthodologie et les paramètres scientifiques utilisés par les ministres compétents pour apprécier la survenance, sur le territoire d'une commune, d'une sécheresse d'une intensité anormale à l'origine de mouvements différentiels de terrain, étaient de nature à permettre de caractériser une sécheresse d'une intensité anormale et répondaient ainsi aux objectifs prévus à l'article L. 125-1 du code des assurances. De plus, ils peuvent à cette fin recueillir tous avis, pièces ou documents susceptibles de les éclairer. La critique de la commune sur ce point est rejetée. Pas davantage n’est admis le grief d'insuffisance de motivation, ni celui de dénaturation des pièces du dossier, tiré de ce que les ministres signataires des arrêtés querellés n'étaient pas compétents pour déterminer les paramètres permettant de définir l'état de catastrophe naturelle. Concernant l’expertise, le Conseil d’Etat rappelle que si elle peut être décidée spontanément par le juge ou sur demande des parties, ce n’est jamais une obligation pour le juge d’y recourir. En l’espèce, l’affirmation du caractère inutile d’une expertise ne saurait être discutée devant le juge de cassation car elle relève du pouvoir souverain des juges du fond. Semblablement, la circonstance que la commission interministérielle prévue par la circulaire interministérielle du 27 mars 1984 intervienne pour éclairer les ministres sur l'application à chaque commune des méthodologies et paramètres scientifiques permettant de caractériser les phénomènes naturels en cause, notamment ceux issus des travaux de Météo France, n’empêche nullement que les avis qu'elle émet ne lient pas les autorités dont relève la décision.  En s'appuyant sur les résultats issus de la méthodologie élaborée par cet organisme ainsi que sur l'avis de cette commission pour apprécier l'existence, dans les communes concernées, d'un état de catastrophe naturelle, les ministres n'ont pas méconnu l'étendue de leur compétence. (16 mars 2018, Commune de Bonneuil-sur-Marne, n° 389176) V. aussi, du même jour, Commune d’Antony et autre, n° 388439 et Communes de Sucy-en-Brie, de Fontenay-sous-Bois et du Kremlin-Bicêtre, n°s 407725, 407726, 407727, 407728, 408954 et 412843, qui soulèvent des questions voisines mais non identiques.

 

7 - Données informatiques sur les résultats des élections politiques – Arrêté du ministre de l’Intérieur fixant les catégories auxquelles sont rattachés les partis politiques – Contrôle réduit du juge à la seule erreur manifeste d’appréciation.

Le décret du 9 décembre 2014 relatif à la mise en oeuvre de deux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés « Application élection » et « Répertoire national des élus » prévoit que le ministre de l'intérieur établit une « grille des nuances politiques » retenue pour l'enregistrement des résultats de l'élection afin de faciliter l'agrégation au niveau national et la présentation de ces résultats. M. X. et le Front des patriotes républicains, dont les candidats se sont vu attribuer la nuance politique " extrême droite " lors des élections législatives de juin 2017, demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre l'exécution de la décision du 16 août 2017 par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, a rejeté leur recours tendant à ce que leur soit attribué soit la nuance " FPR ", soit une autre nuance.

Le juge reconnaît un large pouvoir discrétionnaire au ministre de l’intérieur lorsqu'il détermine la liste des nuances politiques devant figurer dans cette grille, ainsi que le rattachement d'un mouvement politique à l'une d'entre elles ; le contrôle du juge de l'excès de pouvoir est limité au seul cas d'une erreur manifeste, c’est-à-dire évidente.

Par suite, aucun des moyens soulevés par les requérants n’est susceptible d’être retenu. (29 mars 2018, M. X. et Association « Front des patriotes républicains », n° 418822)

 

8 - Foire aux questions d’un site ministériel – Nature juridique d’une réponse à une question – Décision administrative (solution implicite) – Amission du recours pour excès de pouvoir contre cette catégorie d’actes.

Le Conseil d’Etat accepte d’examiner – pour la rejeter au fond - une requête en annulation pour excès de pouvoir de la décision du garde des sceaux, ministre de la justice, contenue dans la réponse à la question intitulée « Puis-je renoncer à tout moment à une demande de création d'office, y compris après le tirage au sort de la zone concernée », publiée au sein d'une « foire aux questions » (FAQ) sur le portail internet du ministère de la justice destiné aux officiers publics ou ministériels. (28 mars 2018, M. X., n° 408729)

 

9 - Cession de créance à un établissement public administratif (CROUS) – Régime de notification – Règles spécifiques à une telle cession – Obligation de transmission au comptable assignataire – Impossibilité, en l’absence de caractère de « demande » d’une telle transmission, de se prévaloir du bénéfice des dispositions de l’art. L. 114-2 CRPA.

La société Cobatra a cédé le 6 juillet 2012 à la société Banque Delubac et Cie les créances qu'elle détenait sur le CROUS de Nice-Toulon en sa qualité de sous-traitante d'un lot du marché public de travaux passé pour la réhabilitation de la résidence universitaire « Saint-Antoine » à Nice. La banque Delubac a notifié ces cessions de créance au CROUS par lettres recommandées avec accusés de réception adressés à l'établissement public et non à son comptable assignataire. Elle n'a pu obtenir le règlement du montant de la première créance, en dépit de deux mises en demeure adressées, le CROUS estimant s'être valablement libéré de sa dette, en l'absence de cession de créance notifiée à son comptable, à la suite du paiement que celui-ci avait effectué auparavant directement auprès de la société Cobatra.

Le tribunal administratif de Nice a rejeté la demande de la banque tendant, d’une part, à l'annulation de la décision par laquelle le CROUS de Nice-Toulon a refusé de la payer et, d’autre part, à la condamnation de l'établissement à lui payer cette somme au titre de la cession de créance notifiée ou, à défaut, à titre de dommages et intérêts. La cour de Marseille ayant confirmé ce jugement, la banque se pourvoit en cassation ce qui donne au Conseil d’Etat l’occasion d’une bien décevante et très inopportune décision.

D’une part, les dispositions du code monétaire et financier instituent une obligation pour le créancier, dans le cadre d’un marché public, d’adresser sa créance au comptable assignataire désigné dans le marché. La banque requérante n’a pas respecté cette formalité en l’espèce. D’autre part, la loi du 12 avril 2000 (art. L. 114-2 CRPA) fait obligation à l’autorité publique saisie incompétemment d’une demande de la transmettre à l’autorité compétente. Ce mécanisme ne pouvait pas jouer en l’espèce car la transmission d’une cession de créance est un acte d’information non une demande. Un peu plus de souplesse n’aurait pas fait de mal d’autant qu’à dire le vrai transmettre une créance cédée revient à en demander le paiement, ce qui ressemble beaucoup à une demande… (9 mars 2018, Société Banque Delubac et Cie, n° 407842)

 

10 - Délai raisonnable pour prendre les arrêtés d’application des lois et règlements – Cas des arrêtés d'application relatifs aux nuisances lumineuses prévus au I de l'article L. 583-2 et à l'article R. 583-4 du code de l'environnement – Carence manifeste résultant du refus implicite du ministre compétent de prendre lesdits arrêtés – Annulation assortie d’une injonction et d’une astreinte.

Même lorsqu’elle doit prendre dans un délai préfixé les mesures d’application des textes (lois, conventions internationales, actes réglementaires), l’administration dispose d’un « délai raisonnable » pour ce faire du moins pour celles de ces mesures nécessaires à l’efficacité du texte de base ; il en va a fortiori ainsi lorsque aucun délai n’est imparti. En l’espèce, le ministre chargé de l'environnement devait prendre les arrêtés nécessaires pour fixer les prescriptions techniques relatives aux diverses catégories d'installations lumineuses ainsi que celles devant s'appliquer dans certains espaces naturels et sites d'observation astronomique. L’association requérante, estimant ce délai dépassé saisit le juge d’une action à fin d’annulation assortie d’une demande d’injonction et d’astreinte.

Le Conseil d’Etat constate que plus de cinq années se sont écoulées depuis l’adoption de la loi et de son décret d’application, la carence du ministre concerné est donc manifeste même en faisant la part des difficultés techniques rencontrées. La requérante est bien fondée à demander l’annulation du refus implicite du ministre, résultant de son silence, de prendre les arrêtés nécessaires. En outre, il ordonne de les prendre dans les neuf mois de la présente décision à peine, à l’expiration de ce délai, d’une astreinte de 500 euros par jour de retard jusqu’à la prise effective de ces décisions.

Ceci est assez symbolique : 500 euros par jour pour l’Etat c’est bien peu contraignant. (28 mars 2018, France Nature Environnement, n° 408974)

 

11 - Bonnes pratiques de dispensation des médicaments dans les pharmacies autres que d’hôpital – Consultation obligatoire prévue par un texte – Complétude de la consultation – Modification postérieure – Obligation de consulter à nouveau si, de ce fait, sont soulevées des questions nouvelles.

Le requérant sollicite l’annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du ministre des affaires sociales et de la santé du 28 novembre 2016 relatif, en matière de commerce électronique, aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments dans les pharmacies d'officine, les pharmacies mutualistes et les pharmacies de secours minières, ou, à défaut, les dispositions figurant aux points 7.1. et 7.6.1. de l'annexe de cet arrêté. Selon lui, l'arrêté attaqué comporte au point 7 de son annexe des " Règles complémentaires applicables au commerce électronique de médicaments ", dont le requérant soutient que les points 7.1., 7.2. et 7.6.1. apportent des restrictions excessives au développement de cette activité, en méconnaissance du droit de l'Union européenne. Son argumentation portait sur le non respect des règles relatives à la consultation de l’Autorité de la concurrence et sur la violation du droit de l’Union.

Concernant la consultation, on sait que l’organisme consulté doit être mis à même d'exprimer son avis sur l'ensemble des questions soulevées par la décision qui est l’objet de la consultation. Si, après cette consultation, l’autorité compétente envisage d’apporter à son texte primitif des modifications soulevant des questions nouvelles non envisagées lors de la consultation initiale il y a lieu de procéder à une nouvelle consultation. Le Conseil d’Etat rejette l’argument tiré de l’incomplète ou irrégulière consultation de l’Autorité de la concurrence car si des éléments nouveaux (application à la dispensation de médicaments au comptoir de l'officine, ajout de dispositions communes à tous les modes de dispensation) ont été ajoutés après sa consultation ceux-ci ne sont que la reprise des dispositions réglementaires ou législatives déjà existantes. Elles ne sauraient donc soulever des questions nouvelles.

Concernant le respect du droit de l’Union, le Conseil d’Etat examine surtout le point 7 de l’annexe à l’arrêté litigieux. Tout d’abord, le point 7.1 se borne à rappeler le comportement attendu du pharmacien, à prévoir un questionnaire de bon sens, à organiser un dialogue individualisé avec le patient, etc.). Rien n’y contrevient au droit européen. Le point 7.2 qui porte sur la vérification des quantités maximales de produit à délivrer sur une période donnée n’est pas davantage contraire à ce droit. En revanche, au point 7.6.1 l’annexe comporte deux exigences : la première impose la contiguïté des locaux de l'officine et la proximité immédiate des lieux de stockage pour la préparation des commandes électroniques et cette précaution n’est pas en contravention avec le droit européen ; la seconde, en ce qu’elle fait obligation de préparer, au sein même de l'officine, les commandes de médicaments liées au commerce électronique, « alors qu'une préparation au sein d'un lieu de stockage situé à proximité immédiate ne ferait en rien obstacle au contrôle effectif, par le pharmacien titulaire, de la qualité de la dispensation des médicaments par l'ensemble des personnes qui l'assistent et le secondent, est disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi et excède ainsi la marge d'appréciation reconnue aux États membres par le 2. de l'article 85 quater de la directive 2001/83/CE (du 8 juin 2011) pour imposer des conditions justifiées par la protection de la santé publique ». L’annulation porte ainsi uniquement sur ce point. (26 mars 2018, M. X., n° 407289) V. aussi, à propos du commerce en ligne des médicaments par une pharmacie, du même jour, le n° 408886.

 

Biens

 

12 - Demande en référé d’expulsion d’occupants sans droits ni titre du domaine public maritime – Invocation d’une contestation sérieuse – Pouvoirs et devoirs du juge des référés à l’égard de cette contestation.

Lorsque le juge des référés est saisi sur le fondement de l'article L. 521-3 CJA (référé « mesures utiles ») d'une demande d'expulsion d'un occupant du domaine public, il lui appartient de rechercher si, au jour où il statue, cette demande a un caractère urgent et si elle ne se heurte à aucune contestation sérieuse. L’arrêt porte sur cette seconde condition et adopte une solution peu heureuse. En effet, il estime que si «  la demande d'expulsion fait suite à une mesure de résiliation d'une convention d'occupation du domaine public et (si) cette mesure est contestée, il appartient au juge des référés de rechercher, alors que le juge du contrat a été saisi d'un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation du contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles, si cette demande d'expulsion se heurte, compte tenu de l'ensemble de l'argumentation qui lui est soumise, à une contestation sérieuse ».

Il est donc demandé au juge du référé « mesures utiles » de rechercher si les vices invoqués à l'encontre de la mesure de résiliation lui paraissent, en l'état de l'instruction, d'une gravité suffisante pour conduire à la reprise des relations contractuelles et non à la seule indemnisation du préjudice résultant, pour le requérant, de cette résiliation. 

Cette solution, qui fait se chevaucher la compétence et l’office du juge du contrat avec ceux du juge du référé de L. 521-3 est de nature à conduire à des déconvenues en cas de discordances voire de contradictions entre les approches des deux juges. D’autant que l’ordonnance de référé n’étant pas revêtue de l’autorité de chose jugée, le juge du contrat a la pleine liberté de sa décision. Il eut été plus simple, même avec les inconvénients que cela peut comporter parfois, de décider qu’en présence d’une contestation sérieuse il n’y a pas lieu à statuer en référé. (21 mars 2018, SEMIDEP Ciotat, n° 414334)

 

13 - Domaine public maritime – Contravention de grande voirie – Eléments constitutifs de l’infraction – Fait justificatif, absence en l’espèce – Action domaniale et action publique – Contrôle du caractère anormal du coût de remise en état des lieux.

Les requérants, poursuivis en contravention de grande voirie pour des travaux d'aménagement réalisés sur le domaine public maritime de la Polynésie française, saisissent le juge de cassation après avoir vu leur action rejetée successivement en première instance et en appel.

Le Conseil d’Etat rejette négativement et positivement le pourvoi. Négativement, c’est le rappel qu’aucun argument tiré de l’intérêt général, d’un besoin public, de la cessation de l’activité ou autre chose analogue ne peut venir excuser et, a fortiori, légitimer l’atteinte à une dépendance du domaine public. Ceci en raison du caractère sacré de ce domaine. Positivement, la contravention comprend notamment le remboursement au gestionnaire du domaine public du montant des frais exposés ou à exposer par celui-ci pour les besoins de la remise en état du domaine. Toutefois, le contrevenant peut objecter le caractère anormal des frais mis à sa charge à ce titre pour en demander la réduction. En l’espèce, la cour a écarté les conclusions des demandeurs en relevant que les devis qu'ils avaient produits ne permettaient pas d'établir que les dépenses évaluées par la Polynésie Française présenteraient un caractère anormal. Ce jugeant, par une appréciation souveraine non entachée de dénaturation, la cour n'a pas commis d'erreur de droit. (23 mars 2018, MM. X., n° 401542)

 

Contrats

 

14 - Résiliation unilatérale d’un marché public pour motif d’intérêt général – Indemnisation du manque à gagner – Détermination – Conclusion d’un nouveau contrat comportant des prestations identiques à celles manquées dans le contrat résilié – Conséquences – Caractère éventuel ou non du manque à gagner.

En cas de résiliation unilatérale d'un marché public pour motif d'intérêt général, le juge saisi d'une demande d'indemnisation du manque à gagner en résultant doit, pour apprécier l'existence d'un préjudice et en évaluer le montant, tenir compte du bénéfice que le requérant a, le cas échéant, tiré de la réalisation, en qualité de titulaire ou de sous-traitant d'un nouveau marché passé par le pouvoir adjudicateur, de tout ou partie des prestations qui lui avaient été confiées par le marché résilié. Surtout, le Conseil d’Etat fixe en outre la ligne de conduite suivante : si, à la date à laquelle le juge statue sur le litige relatif à la résiliation, le titulaire du marché résilié est susceptible d'être chargé, dans un délai raisonnable, de tout ou partie de ces prestations à l'occasion d'un nouveau marché, il appartient au juge de surseoir à statuer sur l'existence et l'évaluation du préjudice né de la résiliation.

En l’espèce, la cour a constaté qu’un second marché avait été conclu après la résiliation et que la société Balineau y a recouvré peu ou prou les mêmes prestations que dans le marché résilié et qu’elle n’allègue point de ce chef une minoration de son bénéfice. Le Conseil d’Etat considère que c’est donc à bon droit qu’elle a appliqué la méthodologie rappelée ci-dessus.

Toutefois, la cour, alors qu’elle avait, par un arrêt antérieur, prononcé la résiliation du second marché, avant la réalisation des prestations en cause par la société Balineau, a considéré que le préjudice dont la société se prévalait n’était qu’éventuel car il n’était ni établi qu’il aurait été renoncé à conclure un nouveau marché ni certain que la société Balineau n’en serait pas bénéficiaire. A juste titre le Conseil d’Etat casse cette solution étrange pour erreur de droit. (26 mars 2018, Société Balineau, n° 401060)

 

15 - Contrat de concession – Annulation – Indemnisation – Responsabilité quasi-contractuelle – Régime de l’indemnisation des frais financiers – Caractère utile des dépenses engagées par le concessionnaire – Disposition législative nouvelle – Date d’application.

La ville de Nice ayant conclu pour trente ans un contrat de concession pour la conception, la construction, la maintenance et l'exploitation d'un stade de football, contrat transféré ensuite à la société GSN-DSP, la délibération autorisant la signature du contrat et ce contrat lui-même, ont été annulés par le tribunal administratif de Nice sur déféré préfectoral pour méconnaissance des dispositions légales relatives aux tarifs à la charge des usagers et à la détermination de l'incidence sur ces tarifs des paramètres ou indices qui déterminent leur évolution. La société GSN-DSP a obtenu du tribunal de Nice la condamnation de la commune de Nice à l'indemniser des conséquences de l'annulation du contrat. La cour de Marseille a majoré la somme allouée. Cependant, la société GSN-DSP se pourvoit contre cet arrêt en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à ses conclusions d'appel.

Des nombreux points de droit examinés par cet arrêt, il faut surtout retenir le rappel par le Conseil d’Etat des principes applicables au cocontractant en cas d’annulation du contrat administratif par le juge. 

1°/Le cocontractant peut solliciter le remboursement, par une action quasi-contractuelle, de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la puissance publique. Il en résulte que la cour ne pouvait pas juger que les frais financiers engagés par la société GSN-DSP pour assurer l'exécution du contrat ne pouvaient, par principe, être regardés comme des dépenses utiles, sans rechercher si ces dépenses correspondaient au coût de financement d'un déficit d'exploitation répondant aux conditions habituelles. Elle a commis, ce faisant, une erreur de droit. Dans le cas d'une délégation de service public, le cocontractant peut prétendre, toujours sur ce terrain quasi-contractuel, au remboursement des dépenses d'investissement qu'il a effectuées relatives aux biens nécessaires ou indispensables à l'exploitation du service, à leur valeur non amortie évaluée à la date à laquelle ces biens font retour à la personne publique, ainsi que du déficit d'exploitation qu'il a éventuellement supporté sur la période et du coût de financement de ce déficit, pour autant toutefois qu'il soit établi, au besoin après expertise, que ce déficit était effectivement nécessaire, dans le cadre d'une gestion normale, à la bonne exécution du service public et que le coût de financement de ce déficit est équivalent à celui qu'aurait supporté ou fait supporter aux usagers le délégant.

2°/ Si cette annulation a été prononcée pour faute de l’administration, et à condition que le préjudice ait à la fois un caractère certain et un lien direct avec cette faute, il peut également prétendre à la réparation du dommage imputable à cette faute ainsi qu’au paiement des sommes correspondant aux autres dépenses exposées par lui pour l'exécution du contrat et aux gains dont il a été effectivement privé par son annulation, notamment du bénéfice auquel il pouvait prétendre, si toutefois l'indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l'exécution du contrat lui aurait procurée. (9 mars 2018, Société GSN-DSP, n° 406669)

 

16 - Référé contractuel – Marché d’examens de biologie médicale et de transports des prélèvements vers les lieux d’analyse – Obligations de publicité et de mise en concurrence - Critères et sous-critères retenus en vue de l’appel d’offres – Sous-critère ambigu – Barème de notation des critères et sous-critères – Caractère utile.

Après avoir cassé la décision qui lui était déférée et réglant directement l’affaire en application de l'article L. 821-2 CJA, le Conseil d’Etat se prononce notamment sur les critères et sous-critères retenus en l’espèce. Deux d’entre eux sont censurés.

En premier lieu, l'article 5.1 du CCP « Prix de la prestation » envisage le cas de l’utilisation du plateau technique en imposant au candidat d’indiquer dans son offre financière le montant forfaitaire mensuel reversé au centre hospitalier. Cependant, il résulte des stipulations de ce cahier que l'utilisation du plateau technique du centre hospitalier était facultative. Il en résulte que le sous-critère « forfait plateau technique », ne pouvait être régulièrement retenu par le centre hospitalier pour l'appréciation de l'offre financière des candidats.

En second lieu, le juge note que pour le sous-critère « valeur des actes non cotés à la nomenclature des actes de biologie médicale (NABM) » du critère « offre financière », l'article 4.2 du règlement de consultation prévoit une méthode de notation qui a pour effet, dans l'hypothèse où un candidat proposerait, eu égard aux caractéristiques de ces prestations, de les réaliser gratuitement, d'attribuer une note nulle à tous les candidats qui proposeraient une facturation, quel qu'en soit le montant. S’il est possible à un pouvoir adjudicateur de définir librement la méthode de notation pour la mise en oeuvre des critères de sélection des offres, la méthode retenue en l'espèce ne peut, compte tenu du caractère très particulier des prestations demandées et du risque que le sous-critère en cause soit privé de l'essentiel de sa portée, être regardée comme régulière.

Relevant que la méconnaissance par le centre hospitalier de ses obligations de publicité et de mise en concurrence constitue un vice entachant la procédure de passation du contrat litigieux : le centre se voit condamné à choisir entre reprendre l’ensemble de la procédure ou renoncer à passer ce marché. (7 mars 2018, Centre hospitalier de Péronne, n° 415675)

 

17 - Délégation de service public – Régime des avenants – Modification substantielle impossible – Cas en l’espèce – Nature du contentieux portant sur l’annulation des clauses réglementaires d’un contrat – Contentieux de l’excès de pouvoir et non de pleine juridiction – Effet différé dans le temps de l’annulation prononcée.

Le syndicat mixte de la baie du Mont-Saint-Michel a, par contrat conclu le 6 octobre 2009, concédé à la société Veolia Transport, aux droits de laquelle vient la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel, la construction et l'exploitation des ouvrages et services d'accueil du Mont-Saint-Michel. Par une délibération du 3 avril 2013, le comité syndical du syndicat mixte a autorisé son président à signer un cinquième avenant à cette convention, ayant notamment pour objet, afin de répondre à la demande des visiteurs de réduire le trajet à pied et de faciliter l'accès au site, de modifier le point d'embarquement des voyageurs empruntant les navettes, de réviser la grille tarifaire et de modifier le service de navettes hippomobiles. Le tribunal administratif de Caen, saisi par la commune du Mont-Saint-Michel et la société Sodetour,  a, par un jugement du 17 novembre 2015, annulé, la délibération précitée du 3 avril 2013 autorisant le président du syndicat mixte à réviser par avenant la grille tarifaire applicable aux usagers des installations d'accueil et de transport du Mont-Saint-Michel ainsi que la décision de ce président de signer l'avenant n° 5 qui approuve les nouveaux tarifs qui y sont annexés 5 à cet avenant. La compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel a interjeté appel de ce jugement et elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 22 février 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son appel.

Le Conseil d’Etat rappelle deux choses très importantes avant de rendre sa décision. D’abord, les délégations de service public sont soumises aux trois principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, ce sont là « des principes généraux du droit de la commande publique ». Ensuite, il en tire cette inéluctable conséquence que les parties à une convention de délégation de service public ne peuvent, par simple avenant, apporter des modifications substantielles au contrat.

Par « modifications substantielles » on sait qu’il faut entendre l’introduction de conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure de passation initiale, auraient pu conduire à admettre d'autres candidats ou à retenir une autre offre que celle de l'attributaire. Cette règle exclut que l’avenant puisse modifier l'objet de la délégation ou faire évoluer de façon substantielle l'équilibre économique du contrat, tel qu'il résulte de ses éléments essentiels, comme la durée, le volume des investissements ou les tarifs.

La circonstance qu’en l’espèce il s’agissait d’un avenant tarifaire et que les clauses tarifaires d'un contrat de délégation de service public revêtent un caractère réglementaire, n’empêche pas cette évidence que les tarifs sont au nombre des éléments essentiels qui concourent à l'équilibre économique du contrat.   En outre, la cour d’appel a relevé que le nouvel avenant prévoyait des hausses de tarifs comprises entre 31 et 48 %, qui se traduiraient par une augmentation de plus d'un tiers des recettes et qui allaient très au-delà de la compensation des augmentations de charges liées aux modifications des obligations du délégataire convenues par ailleurs. Il s’agissait bien d’une modification substantielle du contrat, impossible à réaliser au moyen d’un avenant. (9 mars 2018, Compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel, n° 409972)

 

18 - Contrat d’assistance à maîtrise d’ouvrage – Marché de maîtrise d’œuvre – Réception avec réserves – Etablissement thermal – Garantie décennale, notion et régime – Personnes tenues à la garantie – Notion de constructeurs - Responsabilité contractuelle et responsabilité décennale – Faute de la commune victime – Conditions de la réparation du préjudice – Sort des appels en garantie.

Des diverses questions de droit figurant dans cette décision nous ne retenons que ce qui a trait à la garantie décennale des constructeurs.

En premier lieu est rappelée la règle, issu du code civil, selon laquelle cette action n’est ouverte qu’au maître de l’ouvrage et qu’elle ne peut être dirigée que contre les constructeurs à condition qu’ils lui soient liés par un contrat de louage d'ouvrage.

Le juge énumère soigneusement les éléments de droit permettant de déterminer la nature du lien unissant la commune de Rennes-les-Bains avec M. X. : il s’agit bien d’un contrat de louage d’ouvrage. Ce qui emporte satisfaction de l’autre condition : la qualité de « constructeurs » reconnue au maître d’œuvre et à l’entrepreneur mais aussi à M. X.

En second lieu, il convenait d’apprécier s’il y avait bien matière à garantie décennale : d’une part, devait être établie l’existence de désordres intervenus dans le délai d’épreuve de dix années, ainsi que la solidité compromise de l’ouvrage ou son caractère impropre à sa destination, d’autre part, l’absence de force majeure, de faute du maître de l’ouvrage ou d’imputabilité au constructeur. Ces conditions sont considérées par le juge comme réunies ici. Cependant, est pointée la faute de la commune « qui a fait le choix de n'engager qu'un programme partiel de rénovation et non, comme elle aurait dû le faire compte tenu du caractère vétuste de l'établissement thermal et de l'état dégradé des installations, un programme général ». Celle-ci est évaluée à 30% des conséquences dommageables, ce qui exonère à due concurrence la responsabilité décennale des constructeurs. (9 mars 2018, Commune de Rennes-les-Bains, n° 406205)

 

Droit de l’urbanisme (V. aussi n° 58)

 

19 - Convention de ZAC – Participation financière de l’aménageur à la réalisation de travaux d’infrastructure et de superstructure – Répétition des sommes indûment versées – Appréciation par le juge de la valeur des équipements réalisés (non).

On laisse de côté les aspects procéduraux de cette décision pour s’intéresser seulement à l’irritante et fréquente question des participations financières exigées de l’aménageur car elle donne lieu à un contentieux nourri. L’art. L. 332-30 du code de l’urbanisme répute sans cause les participations imposées par les collectivités en violation des art. L. 311-4 et L. 332-6 de ce code ; elles sont sujettes à répétition pour cause d’indu. Il fixe un régime particulier de prescription de l’action en répétition. Une cour d’appel ne commet pas d’erreur de droit en jugeant, contrairement à ce que soutenait la société demanderesse, que cette prescription spéciale n’était pas applicable aux participations régulièrement exigées. Par ailleurs, il est répondu à celle-ci, qui reprochait à la cour de n’avoir point requalifié ses conclusions en un recours en responsabilité contractuelle, qu’il n’entre point dans l’office du juge rejetant une requête fondée sur la prescription spéciale de l’art. L. 332-30 précité de rechercher si une action en responsabilité eût été recevable et bien fondée. (30 mars 2018, Société Jenzi, n° 401466)

 

20 - Urbanisme commercial - Permis de construire un supermarché – Interruption des travaux ordonnés – Non respect de la suspension – Atteinte grave au droit du demandeur à l’exécution d’une décision de justice rendue à sa demande – Preuve du non respect de l’arrêt de la cour non rapportée – Octroi puis retrait d’un nouveau permis de construire – Arrêt effectif des travaux – Absence de réalisation de la condition d’urgence – Rejet de la demande de référé suspension.

Les faits de l’espèce sont complexes mais ils doivent être exposés car ils sont topiques de ces sortes de litiges.

La société Lidl dépose une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale qui fait l’objet d’un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial. Un concurrent, la société Samad, exploitant un supermarché dans la commune, saisit la commission nationale d'aménagement commercial, qui rend un avis défavorable. La société Lidl ayant revu son projet à la suite de cet avis, le maire de la commune de Vire Normandie lui accorde un permis de construire sur le même terrain. Cet arrêté indiquait que le permis valait autorisation d'exploitation commerciale, laquelle n'est pourtant requise que pour les magasins de commerce de détail d'une surface de vente supérieure à 1000 m2.

Saisie par la société Samad, la cour administrative d'appel de Nantes a, par un arrêt du 14 juin 2017, relevé que la surface de vente annoncée de 999 m2 n'était séparée, sur les plans, d'un local « non affecté », d'une surface de 417 m2, que par une cloison légère aisément démontable composée de plaques de plâtre d'une épaisseur de vingt-cinq millimètres. La cour en a déduit que le maire ne pouvait que s'estimer saisi d'une demande de permis de construire portant sur la création d'une surface de vente excédant 1 000 m2 et qu'elle était, ainsi, compétente pour statuer sur la requête de la société Samad sur le fondement de l'article L. 600-10 du code de l'urbanisme. Faute pour cette demande d'avoir été soumise à la commission départementale d'aménagement commercial, la cour a jugé que le permis litigieux ne pouvait, en application des dispositions de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme, valoir autorisation d'exploitation commerciale et a annulé, dans cette mesure, l'arrêté du maire de Vire Normandie. Le préfet du Calvados a, en conséquence, pris un arrêté interruptif de travaux, puis le maire de la commune de Vire Normandie a délivré à la société Lidl un permis modificatif, puis un nouveau permis, qui ont conduit le préfet du Calvados à lever la mesure d'interruption des travaux, lesquels ont alors repris. Toutefois, le maire a, le 29 janvier 2018, retiré l'arrêté du 1er décembre 2017 portant permis de construire.

La société Lidl relève appel de l'ordonnance du 16 février 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Caen a, à la demande de la société Samad, enjoint au maire de Vire Normandie de faire contrôler, sous sa responsabilité, l'absence de toute reprise des travaux sur le chantier de la société Lidl situé rue de Caen, par une visite quotidienne des lieux, tous les jours ouvrables et à des horaires variables, à compter du lundi 19 février 2018 et jusqu'à la notification des arrêts de la cour administrative d'appel de Nantes intervenant sur les recours en annulation dirigés contre les permis de construire délivrés le 30 novembre et le 1er décembre 2017, ou d'une décision du Conseil d'Etat annulant l'arrêt du 14 juin 2017 de cette cour, en précisant que le maire ferait de ces visites inopinées un rapport hebdomadaire au préfet du Calvados, en lui indiquant, dans les heures qui suivent la constatation d'une reprise des travaux, dans quel délai il prendrait un arrêté interruptif de travaux.

Le Conseil d’Etat, saisi ici par la voie de l’appel, commence par relever que le juge des référés du tribunal administratif de Caen a jugé que la délivrance de plusieurs permis de construire au profit de la société Lidl par le maire de Vire Normandie agissant au nom de la commune, en dépit de l'avis de la commission nationale d'aménagement commercial, et l'attitude du maire pris en sa qualité d'agent de l'Etat, qui s'abstient de faire contrôler si la société Lidl a réellement mis fin aux travaux de construction alors qu'il ne peut ignorer que celle-ci poursuit son projet pour le rendre irréversible, en essayant de contourner la législation sur l'urbanisme commercial, sont de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale au droit qu'a la société Samad de bénéficier d'une exécution effective de l'arrêt du 14 juin 2017 par lequel la cour de Nantes a annulé l'arrêté du 21 juillet 2016 en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale. Pour caractériser l'urgence qu'il y avait à faire usage des pouvoirs qu'il tire de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés a relevé qu'à plusieurs reprises la société Lidl avait provisoirement arrêté le chantier de construction, puis décidé la reprise des travaux, de telle sorte que l'immeuble est en voie d'achèvement, et jugé que les pièces versées au dossier, en particulier les ordres de service datés du 9 février 2018, n'établissaient pas l'interruption des travaux, si bien qu'il apparaissait manifeste que la société Lidl n'avait pas l'intention de respecter les décisions de justice en arrêtant spontanément le chantier.

En premier lieu, procédant au réexamen complet de l’affaire en fait et en droit par l’effet dévolutif de l’appel, le Conseil d’Etat constate qu’il n’est pas établi que des travaux aient eu lieu sur le chantier entre l'arrêt du 14 juin 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a annulé l'arrêté du 21 juillet 2016 en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale, ce qui faisait obstacle à la réalisation du projet, et le nouveau permis de construire délivré 1er décembre 2017 par le maire de Vire Normandie.

En deuxième lieu, le Conseil juge que dans la mesure où ce nouveau permis autorisait un projet de construction s'attachant à remédier au motif d'illégalité retenu par cette cour, en prévoyant le remplacement de la cloison légère aisément démontable séparant la surface de vente annoncée, de 993 m2, du local précédemment « non affecté », par un mur en béton dépourvu d'ouverture et où le préfet du Calvados avait en conséquence, par son arrêté du 11 décembre 2017, levé l'interruption des travaux, la société Lidl était autorisée à procéder à la reprise du chantier, sans que cette reprise puisse être regardée comme prouvant l'intention de la société de ne pas respecter l'arrêt du 14 juin 2017 de la cour de Nantes, qui annulait partiellement un précédent permis de construire.

D’où la conclusion : A la suite de son arrêté du 1er décembre 2017 et de l'arrêté préfectoral du 11 décembre 2017, le maire de la commune de Vire Normandie n'avait donc pas à faire contrôler que la société avait mis fin à des travaux de construction qu'elle était autorisée à entreprendre.

En troisième lieu, le juge observe que, cependant, par un arrêté du 29 janvier 2018, le maire de la commune a retiré le nouveau permis de construire qu'il avait délivré le 1er décembre 2017 à la société Lidl. Or il résulte de l'instruction, notamment des dix ordres de service à nouveau produits devant le juge des référés du Conseil d'Etat, qu'après avoir pris connaissance de cet arrêté, la société Lidl a notifié un arrêt du chantier à compter du 9 février 2018 aux entreprises chargées des différents lots, en précisant que la reprise des travaux ne pourrait intervenir qu'après notification d'un ordre de service en ce sens, et que chacun de ces dix documents est signé par le maître d'ouvrage, le maître d'oeuvre et l'entreprise concernée. Si, ainsi que l'avait relevé le juge des référés du tribunal administratif de Caen, certains de ces ordres de service concernent des lots qui, compte tenu de l'état d'avancement du chantier, sont déjà terminés, la majorité d'entre eux porte sur des travaux indispensables à l'achèvement du bâtiment et sans lesquels ce dernier est, en l'état, inexploitable. Ces documents attestent donc de l'arrêt effectif des travaux depuis le 9 février 2018. Dans ces circonstances, l'urgence qu'il y a à faire usage des pouvoirs que le juge des référés tire de l'article L. 521-2 du code de justice administrative n'est pas caractérisée. D’où l’annulation de l’injonction qu’avait prononcé le juge des référés du tribunal administratif de Caen. (14 mars 2018, Société Lidl, n° 418347)

 

21 - Urbanisme commercial – Recours gracieux contre une décision administrative accordant un permis de construire – Recours contentieux consécutif au rejet du recours gracieux – Ce recours est dirigé non contre le rejet du recours gracieux mais contre l’octroi du permis initial de construire.

A la suite de la délivrance à la SNC Lidl d’un arrêté de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de la réalisation d'un bâtiment commercial, Mme X. a saisi le maire de Wissembourg d’un recours gracieux contre cet arrêté, recours gracieux rejeté par une décision du maire le 15 décembre 2015. Mme X. a alors saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’une requête que le président du tribunal administratif a transmis à la cour administrative d'appel de Nancy, compétente pour en connaître en premier ressort en vertu de l'article L. 600-10 du code de l'urbanisme. Par un nouvel arrêté du 30 mars 2016, le maire de Wissembourg a délivré à la SNC Lidl un permis de construire modificatif que Mme X. a déféré à la cour administrative d'appel. Par un premier arrêt la cour a rejeté comme irrecevables les conclusions dirigées contre le permis initial mais a annulé la décision du maire du 15 décembre 2015 ayant rejeté le recours gracieux dirigé contre ce permis.  Par un second arrêt rendu le même jour, la cour a rejeté la demande de Mme X. dirigée contre le permis modificatif. Mme X. s'est pourvue en cassation contre ces deux arrêts en tant qu'ils ont rejeté ses conclusions et la commune de Wissembourg a formé un pourvoi incident contre le premier arrêt en tant qu'il a annulé le rejet du recours.

Le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord comment se combinent et se distinguent le recours gracieux et le recours contentieux ; il le fait de façon très constructive en créant une nouvelle « doctrine ». Par le premier l’auteur de la décision est seulement invité à reconsidérer sa position. Par le second, même s’il intervient après le rejet d’un recours gracieux, il est d’abord demandé au juge d’annuler la décision initialement prise par l'autorité administrative et non pas d’annuler le rejet du recours gracieux. Lorsque le juge est saisi dans le délai du recours contentieux de conclusions dirigées contre le seul rejet du recours gracieux, d'interpréter ces conclusions comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale.

En l’espèce le Conseil d’Etat censure l’arrêt de la cour de Nancy pour avoir rejeté les conclusions de Mme X. dirigées contre le permis de construire initial, délivré le 30 septembre 2015, parce que, d’une part, le mémoire introductif d'instance, enregistré le 24 décembre 2015 au greffe du tribunal administratif de Strasbourg, ne comportait que des conclusions dirigées contre le rejet, intervenu le 15 décembre 2015, du recours gracieux formé par Mme X. et, d’autre part, le permis initial n'a fait l'objet de conclusions formelles que le 1er mars 2016, après l'expiration du délai de recours. Cette façon de procéder est contraire à la « doctrine » exposée plus haut.  La cour a ainsi méconnu son office. (7 mars 2018, Mme X., n° 404079 et n° 404080)

                                                                           

Droit du sport (V. aussi n° 60)

 

22 - Suspension d’un joueur de rugby pour dopage – Demande de suspension de la décision – Référé suspension – Condition d’urgence non remplie – Rejet.

Par décision de l'Agence française de lutte contre le dopage, M. X. s’est vu infliger la sanction d'interdiction de participer pendant deux ans aux manifestations sportives organisées ou autorisées par la fédération de rugby à XIII et diverses autres fédérations sportives. M. X. demande au juge des référés d’ordonner la suspension de l'exécution de cette décision. Il invoque deux arguments au soutien de sa requête :
tout d’abord, cette décision mettrait en péril son engagement au sein de son club en tant que joueur amateur ainsi que ses perspectives de devenir joueur professionnel, par suite, elle le prive des primes perçues en cas de victoire ; ensuite, il fait valoir que la décision litigieuse prive l'équipe de Saint-Gaudens, qui évolue au sein du championnat de rugby à XIII Elite 1, de la possibilité de profiter de ses qualités de joueur.

Sa demande de suspension est rejetée car M. X. n'apporte pas d’élément permettant d'apprécier ses perspectives dans ce sport ainsi que l'ampleur de la perte de revenus résultant de l'impossibilité de bénéficier des primes de matchs. Par voie de conséquence, faute d’urgence établie, le sursis ne peut être accordée. (14 mars 2018, M. X., n° 418760)

 

23 - Code du sport – Codification par une ordonnance non ratifiée – Nature législative de ses dispositions après expiration du délai d’habilitation du gouvernement – Obligation, en certains cas, de détenir une licence sportive – Absence d’illégalité et d’atteinte au principe de libre accès aux activités sportives comme à la liberté d’association.

L'Union française des œuvres laïques d'éducation physique et l'association Cournon Karaté ont demandé au premier ministre l'abrogation de l'article L. 131-6 du code du sport et du paragraphe 1.4.2.1 de l'annexe I-5 aux articles R. 131-1 et R. 131-11 de ce même code. Ces demandes ont été rejetées et les demanderesses sollicitent l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.

En premier lieu, le Conseil d’Etat, relevant que ces dispositions sont issues d’une ordonnance de l’art. 38 de la Constitution, rappelle que si une telle ordonnance conserve, aussi longtemps qu'elle n'a pas été ratifiée, le caractère d'un acte administratif, celles de ses dispositions qui relèvent du domaine de la loi, ne peuvent plus, après l'expiration du délai de l'habilitation conféré au Gouvernement, être modifiées ou abrogées que par le législateur. Tel est le cas de l’art. L. 131-6 : la ministre des sports était tenue de rejeter les demandes tendant à leur abrogation.

En second lieu, les requérantes peuvent néanmoins contester ces dispositions par voie d'exception à l'appui de leur demande d'abrogation du paragraphe 1.4.2.1 de l'annexe I-5 aux articles R. 131-1 et R. 131-11 du code du sport. Toutefois, à supposer même, comme il est soutenu ici, que l’obligation de licence sportive déroge au principe de libre accès aux activités sportives, cette dérogation résulterait de dispositions législatives, codifiées en application de l'article 84 de la loi du 9 décembre 2004. Comme les dispositions réglementaires attaquées se bornent à mettre en œuvre ce principe elles ne peuvent pas être considérées comme y portant elles-mêmes atteinte. Elles ne portent pas davantage atteinte à la liberté d’association dans la mesure où dans la mesure où les statuts des fédérations sportives peuvent prévoir, sans que cela constitue une obligation, que les membres adhérents des associations affiliées doivent être titulaires d'une licence sportive. (7 mars 2018, Union française des œuvres laïques d'éducation physique et association Cournon Karaté, n° 406811)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

24 - Cotisation foncière des entreprises – Nature de l’impôt, d’Etat ou local – Caractère contradictoire de la procédure de redressement (non) – Obligation d’information sur la possibilité pour le contribuable de se faire assister d’un conseil (non ici).

A propos d’un litige portant sur un redressement de cotisation foncière des entreprises, le Conseil d’Etat juge tout d’abord que la circonstance que, pour l'année 2010, son produit ait été affecté au budget de l'Etat n'a eu ni pour objet ni pour effet de priver cette taxe de sa nature d'imposition locale. S’agissant d’un redressement, l’art. L. 54B du Livre des procédures fiscales qu’est nulle la notification d'une proposition de redressement ne mentionnant pas que le contribuable a la faculté de se faire assister d'un conseil de son choix pour discuter la proposition de redressement ou pour y répondre. Cependant, cette disposition est inapplicable à un impôt local telle la cotisation en cause (cf. L. 56, 1° LPF) même si demeurent les obligations qui découlent du principe général des droits de la défense.

Par suite la société défenderesse ne peut invoquer l’irrégularité de la procédure suivie. (30 mars 2018, Ministre de l’Economie et des Finances, n° 410621)

 

25 - Permis de construire – Redevance pour création de locaux à usage de bureaux en Ile-de-France –  Détermination de la surface utile de plancher servant d’assiette au calcul de la redevance – Contrôle entier du juge de cassation – Annulation du jugement ici.

Le code de l’urbanisme a prévu en région d'Ile-de-France l’instauration d’une redevance à l'occasion de la construction de locaux à usage de bureaux. Cette redevance – c’est là l’objet du litige -  est calculée sur la surface utile de plancher prévue pour la construction, étant précisé que « la surface utile de plancher est réputée égale, sauf preuve contraire, à la surface couverte à chaque niveau affectée d'un abattement forfaitaire de 5% ».

En l’espèce, où il s’agissait de la réhabilitation et de la surélévation de trois étages d'un immeuble à usage de bureaux, l’administration fiscale avait calculé, étage par étage, la surface utile de plancher à partir des déclarations de la société et des plans joints à son dossier de demande de permis de construire, puis déduit les surfaces des niveaux déjà existants afin de ne retenir que les surfaces des trois étages faisant l'objet d'une création de bureaux. Le tribunal administratif avait estimé qu’avait ainsi été retenu un mode de calcul de la surface taxable conforme à ces dispositions.

Le Conseil d’Etat annule ce jugement car il n’a pas tenu compte du fait que la construction de ces trois étages s'était accompagnée de la réduction de la surface utile des niveaux existants, laquelle venait en déduction de la superficie taxable. (28 mars 2018, SCI du 29, rue d’Estienne d’Orves, n° 398690)

 

26 - Prescription quadriennale – Absence d’égalité dans son application – Absence d’atteinte à la règle du procès équitable.

Suite à une réclamation de M. X., agent contractuel du centre d'études techniques de l'équipement du Sud-Ouest, celui-ci a obtenu le droit au versement d'une indemnité de résidence en cette qualité mais seulement pour la période postérieure au 1er janvier 2001, en raison de l'exception de prescription quadriennale soulevée par l'administration devant le juge. M. X. a sollicité la condamnation de l'Etat à lui verser 62 432 euros au titre du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'application, par l'Etat, des dispositions relatives à la prescription quadriennale. Cette demande ayant été rejetée par ordonnance du 14 octobre 2015 du président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Bordeaux, il saisit le Conseil d’Etat.

Celui-ci rejette les deux arguments de l’intéressé. Tout d’abord, ce dernier ne saurait exciper de ce que ses collègues ne s'étaient pas vus opposer par l'administration cette exception, ceci étant sans incidence sur la légalité de la décision d’opposer celle-ci à M. X. dès lors qu’il ne se trouvait pas une situation analogue, ce qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. De plus, à supposer même qu’ils fussent tous dans la même situation, cela est sans incidence sur le bien-fondé de l'application par l’Etat, à la créance de M. X., de la prescription quadriennale. Ensuite, l’ordonnance attaquée n’a pas méconnu le droit à un procès équitable garanti par les stipulations de diverses conventions internationales. (28 mars 2018, M. X., n° 404242)

27 - Créances des collectivités publiques – Recouvrement – Titre exécutoire des collectivités territoriales et de leurs établissements publics – Contestation du titre – Perte et rétablissement de sa force exécutoire du fait de décisions de justice successives – Emprunt contracté pour payer le titre annulé par la suite – Intérêts financiers assortissant l’emprunt – Absence d’indemnisation car sans lien direct avec l’illégalité du titre exécutoire.

Par convention avec la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Montpellier, le service départemental d'incendie et de secours de l'Hérault (SDIS 34) s'est engagé, en contrepartie du paiement d'une redevance mensuelle, à assurer le service de sauvetage et de lutte contre l'incendie de l'aéroport de Fréjorgues, exploité par la CCI. La CCI ayant refusé de renouveler la convention à compter du 1er juillet 2004, le SDIS 34 a émis le 8 mars 2005 un titre exécutoire à son encontre, d'un montant de 5 801 330 euros, correspondant à l'indemnité contractuelle de non-renouvellement. Le tribunal administratif a annulé ce titre à la demande de la CCI mais la cour de Marseille a annulé ce jugement par un arrêt du 14 février 2011 et rejeté la demande de la CCI. La société Aéroport Montpellier Méditerranée (SAMM), venue aux droits et obligations de la CCI, a procédé au règlement de la somme de 5 801 330 euros par trois paiements intervenus en octobre et décembre 2011. Par une décision du 22 juin 2012, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé l'arrêt de la cour et confirmé l'annulation du titre exécutoire émis le 8 mars 2005 à l'encontre de la CCI. Le SDIS 34 a alors remboursé à la SAMM la somme que celle-ci lui avait versée en 2011. La SAMM a sollicité du tribunal administratif de Montpellier la condamnation du SDIS 34 à l'indemniser du préjudice qu'elle estime avoir subi. Cette demande d’indemnisation a été rejetée par jugement du 24 novembre 2014, lequel a été annulé par un arrêt du 9 mai 2016 contre lequel le SDIS 34 se pourvoit en cassation, la cour ayant condamné le SDIS 34 à réparer le préjudice subi par la SAMM.

Se fondant sur les dispositions du 1° de l’art. L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, le Conseil d’Etat décide « que l'introduction d'un recours tendant à l'annulation d'un titre de recettes émis par une collectivité territoriale ou un établissement public local suspend la force exécutoire de ce titre ; qu'en cas d'annulation de celui-ci par le tribunal administratif, cette force exécutoire est rétablie en cas d'annulation du jugement par le juge d'appel ou de cassation ; que, dans cette hypothèse, le comptable public peut poursuivre le recouvrement de la créance en cause sur le fondement du titre exécutoire initial ».
En l’espèce, le préjudice invoqué par la SAMM tenait aux intérêts financiers dont étaient assortis les emprunts qu'elle avait souscrits pour payer la somme dont elle avait été rendue redevable à la suite de l'arrêt du 14 février 2011, ensuite annulé par le Conseil d'Etat. Or la cour a estimé qu'il existait un lien direct entre l'illégalité fautive du titre émis par le SDIS 34 en 2005 et le préjudice invoqué par la SAMM, ce qui constitue une qualification inexacte des faits. Se prononçant au fond, le Conseil d’Etat juge que le préjudice allégué par la SAMM n’est pas directement lié à l'illégalité fautive du titre émis en 2005 par le SDIS 34 ou à l'attitude malveillante dont aurait fait preuve le SDIS pour l'exécution de ce titre. En conséquence le pourvoi est rejeté : c’est à bon droit que le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses conclusions tendant à ce que le SDIS 34 soit condamné à l'indemniser de ses frais financiers. (26 mars 2018, SDIS 34, n° 401476)

 

 28 - Contentieux portant sur l’assiette de l’impôt – Irrégularité de l’avis d’imposition – Absence d’effet sur la régularité ou sur le bien-fondé de l’impôt – Moyen inopérant au soutien d’une QPC.

Dans le cadre d’un litige d’assiette, M. et Mme X. ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de les décharger des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2012 et 2013, au motif que si l'avis d'imposition qui leur a été adressé est conforme aux dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 253 du livre des procédures fiscales, ces dernières méconnaîtraient les droits et libertés que la Constitution garantit.

Or il est de principe constant que dans le cadre d'un contentieux d'assiette, les irrégularités entachant les avis relatifs aux impositions recouvrées par voie de rôle sont sans incidence sur la régularité et le bien-fondé de l'impôt.

Le moyen soulevé étant inopérant, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les requérants. (9 mars 2018, M. et Mme X., n° 416492)

 

29 - Nature juridique des réponses ministérielles – Cas des réponses contenant des prises de position de l’administration fiscale – Notion de prise de position : interprétation de la loi fiscale.

Le Conseil d’Etat rappelle ici une solution classique : Les réponses faites par les ministres aux questions écrites des parlementaires ne constituent pas des actes susceptibles de faire l'objet d'un recours contentieux, sauf lorsqu'elles comportent une interprétation par l'administration de la loi fiscale pouvant lui être opposée par un contribuable sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

Par suite, la réponse ministérielle qui se borne à réitérer les dispositions du 8 du I de l'article 278 sexies du code général des impôts et à indiquer que ces dispositions n'ont pas vocation à être étendues à d'autres structures médico-sociales, telles que les maisons d'enfants à caractère social chargées de l'accueil des mineurs en difficulté, ne comporte aucune interprétation de la loi fiscale au sens et pour l'application de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. La requête tendant à son annulation est irrecevable. (23 mars 2018, Fondation AJD-Maurice Gounon, n° 409606)

 

30 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Redevance pour service rendu – Absence de nature fiscale de cette taxe – Calcul des dépenses engagées limitées à la seule couverture des dépenses exposées par la collectivité territoriale pour assurer l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères et non couvertes par des recettes non fiscales.

La société Cora a demandé en vain au tribunal administratif de Montreuil d’ordonner la restitution de la cotisation de taxe d'enlèvement des ordures ménagères à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2013 dans les rôles de la commune de Livry-Gargan à raison du centre commercial dont elle est propriétaire. Elle se pourvoit en cassation contre ce jugement.

C’est là un contentieux récurrent et donc quantitativement important.

Le CGI (I de l’art. 1520) permet aux communes qui assurent la collecte des déchets ménagers d’instituer une taxe destinée à pourvoir aux dépenses du service dans la mesure où celles-ci ne sont pas couvertes par des recettes ordinaires n'ayant pas le caractère fiscal. Il est donc clair, comme le rappelle ici le juge, que cette taxe « n'a pas le caractère d'un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l'ensemble des dépenses budgétaires de la commune mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées par la commune pour assurer l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères et non couvertes par des recettes non fiscales ».

Pour déterminer le montant de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères pour l'année 2013 dans la commune de Livry-Gargan, les premiers juges ont pris en compte, non seulement toutes les dépenses de fonctionnement réelles exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers, mais aussi des dépenses exposées pour la seule administration générale de la commune. Ils ont aussi pris en compte, non seulement les dotations aux amortissements des immobilisations affectées au service, mais aussi, ses dépenses réelles d'investissement. Une double erreur de droit a été commise conduisant nécessairement à l’annulation du jugement. (19 mars 2018, SAS Cora, n° 402946)

 

31 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Centre commercial situé sur le territoire de deux communes – Application de modalités différentes de calcul – Evaluation des terrasses – Termes de comparaison – Obligation légale de proportionnalité par rapport à un local type.

La SCI Aéroville, propriétaire d'un centre commercial situé à la fois sur le territoire de la commune de Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis) et sur celui de la commune de Roissy-en-France, a sollicité du tribunal administratif de Montreuil la réduction de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2014 à raison de ces locaux. Cette demande ayant été rejetée, elle sollicite l’annulation du jugement.

Ce litige repose sur la question de la détermination de la valeur locative des locaux servant d’assiette au calcul de la taxe. Les articles 1496, 1498 et 1499 combinés du CGI disposent que les locaux loués ou occupés dans des conditions anormales sont évalués à partir du bail ou par comparaison avec d’autres immeubles (de la commune normalement mais il peut être recouru à ceux d’autres communes) servant de référence. L’annexe III du CGI (324 Y à 324 AC) précise les termes de comparaison et leur modulation en fonction de divers éléments (situation, état, conditions d’occupation, etc.).

La détermination, par la méthode comparative, de la valeur locative d'un local commercial, suppose l'appréciation de la consistance d'un bien au moyen de sa superficie pondérée de la surface de ses différents éléments afin de tenir compte des différences de commercialité de ceux-ci en fonction de leur affectation et de leur emplacement au sein du local. Toutefois, l'article 324 Z de l'annexe III au CGI, imposant d’attribuer au local à évaluer une valeur locative proportionnelle à celle du local-type retenu comme terme de comparaison, c’est à bon droit que le tribunal administratif a jugé que les terrasses du centre commercial dont la société requérante est propriétaire avaient pu se voir affecter un coefficient de pondération différent selon qu'elles étaient situées sur le territoire de la commune de Roissy-en-France ou sur celui de la commune de Tremblay-en-France, dès lors que l'administration avait retenu des termes de comparaison différents pour chacun de ces deux territoires. 
Par ailleurs, la société requérante ne peut se prévaloir de ce que ses locaux abritant un hypermarché il n’était pas possible que leur que leur valeur locative fût déterminée par comparaison avec un local-type à usage de supermarché. En raison des caractéristiques similaires à celles de ce dernier, le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que le local-type ainsi proposé constituait un terme de comparaison pertinent. (9 mars 2018, Société Aéroville, n° 407000)

 

32 - Gains exceptionnels – Notion et régime d’imposition – Obligation pour le juge de motiver correctement la qualification juridique desdits gains.

La présente affaire concerne le régime d’imposition des gains ou revenus exceptionnels.

La requérante, Mme X., a reçu de son père, par voie de donation à titre gratuit, 3 740 actions de la société par actions simplifiée Ceres. Le 15 juin 2006, la société Ceres a racheté 1 520 de ces actions à Mme X. et a procédé consécutivement à une réduction de son capital. Le 19 septembre 2008, la société Ceres a procédé au rachat à Mme X. de 1 555 actions, suivi d'une réduction de son capital. Mme X. estimant que le gain qu'elle avait réalisé à l'occasion du rachat opéré le 19 septembre 2008 constituait un revenu exceptionnel, a opté pour son imposition selon le système dit du quotient prévu par l'article 163-0 A du code général des impôts. Ce texte permet au contribuable, en cas de revenu exceptionnel excédant la moyenne des revenus nets imposables au cours des trois années précédentes, de demander que l'impôt correspondant soit calculé en ajoutant le quart du revenu exceptionnel net à son revenu net global imposable et en multipliant par quatre la cotisation supplémentaire ainsi obtenue. L'administration fiscale a remis en cause l'application de ces dispositions au gain litigieux, en estimant qu'il ne présentait pas le caractère d'un revenu exceptionnel et a, en conséquence, majoré l’impôt à payer par l’intéressée. Le tribunal administratif et la cour administrative de Marseille ayant rejeté ses recours, elle se pourvoit en cassation.

Ce pourvoi est admis car la cour, pour dire non exceptionnels les revenus en cause, s'est fondée sur la circonstance qu'une opération similaire de rachat, qui n'avait donné lieu à aucun gain pour Mme X., avait déjà été effectuée en 2006. Or, estime le Conseil d’Etat, la cour aurait du rechercher si le rachat d'action litigieux, qui relevait, conformément à la décision n° 2014-404 QPC du 20 juin 2014 du Conseil constitutionnel, de la catégorie des plus-values de cession de valeurs mobilières, constituait un revenu qui, par sa nature, n'était pas susceptible d'être recueilli annuellement. D’où la cassation de l’arrêt contesté. (19 mars 2018, Mme X., n° 399150)

 

Droit public économique

 

33 - Demande d’extension d’un accord interprofessionnel triennal – Matière viticole – Institution de délais de paiement dérogatoires – Régime applicable à la décision ministérielle refusant cette extension (art. L. 632-3 et L. 632-4 code rural et de la pêche maritime).

Le Conseil interprofessionnel des vins de Provence (CIVP) a adopté un accord interprofessionnel triennal pour les années 2016 à 2018. Il a demandé au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt l'extension du troisième paragraphe de l'article 7.5 de l'accord, relatif aux délais de paiement dérogatoires pour la première mise en marché en vrac. Cela fut refusé le 2 mai 2016 et un recours gracieux fut formé contre cette décision. Cependant, par arrêté interministériel du 6 juillet 2016, ont été étendues les dispositions de l'accord interprofessionnel à l'exception, notamment, des dispositions relatives aux délais de paiement dérogatoires pour la première mise en marché en vrac. Le CIVP demande l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, de la décision du 2 mai 2016, ainsi que la décision de rejet née du silence gardée par le ministre sur sa demande de recours gracieux et, d'autre part, de l'arrêté interministériel du 6 juillet 2016, en tant qu'ils n'ont pas procédé à l'extension des dispositions de l'accord interprofessionnel relatives aux délais de paiement dérogatoires.
Au plan de la légalité externe, le CIVP reprochait  à l’administration que les décisions contestées étaient illégales car la demande d'extension de l'accord interprofessionnel était réputée acceptée au moment où elle a procédé à leur retrait. Mais s’agissant d’actes réglementaires, le délai de retrait est non de deux mais de quatre mois. Le retrait n’était donc pas illégal. Il invoquait aussi un moyen d’incompétence tiré de la qualité du signataire de la décision du 2 mai 2016, moyen qui ne pouvait qu’être rejeté ; il en allait de même du reproche d’une motivation défectueuse.

Au plan de la légalité interne, était surtout en cause le refus d’accorder un délai dérogatoire. Le pouvoir de l’administration s’inscrit ici dans le cadre du droit de l’Union (directive du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales) et il doit porter non seulement sur le caractère manifestement abusif de la durée du délai mais encore sur son caractère raisonnable au regard de l’intérêt général et des raisons économiques objectives invoquées. En dehors de ces hypothèses, toute extension de délai doit être refusée par les autorités nationales. Pas davantage ne sauraient prospérer le moyen tiré de ce que d’autres filières auraient bénéficié d’un délai dérogatoire dans la mesure où le requérant n’apporte pas de précisions au soutien de cet argument, ainsi que le moyen fondé sur une erreur manifeste. (30 mars 2018, Conseil interprofessionnel des vins de Provence (CIVP), n° 404743)

 

34 - Organisme privé gérant un service public – Prérogatives de puissance publique – Crédit mutuel – Statuts – Pouvoir d’organisation, de réglementation, de discipline et de sanction de la Caisse centrale de crédit mutuel sur les caisses affiliées – Recours pour excès de pouvoir – Régulation des activités des établissements de crédit - Compétence en premier et dernier ressort du Conseil d’Etat -  Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction.

Cette décision s’inscrit dans le cadre du lourd conflit interne opposant deux conceptions différentes de l’organisation et des pouvoirs respectifs des différentes caisses de Crédit mutuel.

La société Crédit mutuel Arkéa et autres demandent l'annulation pour excès de pouvoir de certaines dispositions des statuts de la Confédération nationale du Crédit mutuel (CNCM) adoptés lors de l'assemblée générale mixte du 21 mars 2016 et approuvés par le ministre des finances et des comptes publics le 23 mars 2016.  

De cette décision-fleuve on retiendra deux questions, celle de la compétence juridictionnelle et celle de la légalité des dispositions statutaires contestées.

Sur la compétence juridictionnelle, le Conseil d’Etat opère une distinction. Le législateur a confié à la CNCM, bien qu’elle soit une association de droit privé régie par la loi du 1er juillet 1901, une mission et des pouvoirs qui lui confient un service public impliquant l'usage de prérogatives de puissance publique. Sur ce point la juridiction administrative est compétente pour apprécier la légalité des clauses statutaires de la confédération nationale qui révèlent l'exercice de telles prérogatives. En revanche, la négociation et la conclusion par la CNCM, en tant qu'organisation professionnelle représentative des employeurs du Crédit mutuel, des conventions et accords de branche applicables à l'ensemble des caisses et fédérations du réseau ne relèvent pas des prérogatives de puissance publique conférées par le législateur à la CNCM pour l'exercice de sa mission de service public : leur contentieux n’appartient pas au juge administratif.

Sur la légalité des autres clauses statutaires contestées, seules sont donc concernées celles relevant de la première catégorie ci-dessus.

Fixant le cadre général de son analyse, le Conseil d’Etat indique que la CNCM s’est vue confier par la loi (art. L. 511-30 et L. 511-31 et L. 512-56) des missions (assurer la cohésion du réseau des caisses, veiller à l'application des dispositions législatives et réglementaires propres aux établissements de crédit, exercer un contrôle administratif, technique et financier sur l'organisation et la gestion de chaque caisse, prendre toutes les mesures nécessaires au bon fonctionnement du réseau etc.) qui impliquent nécessairement sa compétence pour édicter des prescriptions s'imposant aux caisses, pour veiller à leur respect et, le cas échéant, pour en sanctionner le non respect.

Concernant le 3è alinéa de l’art. 7 des status, le juge relève qu’il confie à la CNCM le pouvoir d'exercer un contrôle administratif, technique et financier sur l'organisation et la gestion de chaque caisse de crédit mutuel, de chaque caisse fédérale ainsi que des filiales des caisses de Crédit mutuel. Il s’ensuit que la Confédération dispose du pouvoir d'édicter des prescriptions de caractère général et aux fins de garantir la liquidité et la solvabilité du réseau du Crédit mutuel et que cette disposition des statuts n’est pas illégale.

Concernant la légalité des dispositions du douzième alinéa de l'article 7, de l'avant-dernier alinéa de l'article 11-3 et du septième alinéa de l'article 11-4 des statuts prévoyant que la CNCM garantit le respect du principe de territorialité au sein du Crédit mutuel et détermine la circonscription des caisses et des fédérations de Crédit mutuel, aucune illégalité n’apparaît. Tout d’abord, la spécificité du réseau du Crédit mutuel, lequel est caractérisé par l'absence de liens capitalistiques entre la CNCM et les caisses et entre les caisses elles-mêmes, autorise l'organe central à déterminer la circonscription territoriale des caisses appartenant au réseau. Ensuite, les pouvoirs attribués à la CNCM en sa qualité d'organe central s'exercent sur les fédérations régionales auxquelles les caisses de crédit mutuel sont tenues d'adhérer, au même titre que sur les caisses elles-mêmes. Enfin, le pouvoir réglementaire a pu légalement, sans porter atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie et au droit de la concurrence, lequel, en tout état de cause, ne s'applique pas aux entités qui forment une entité économique ou un groupe, définir la règle de territorialité prévue à l'article R. 512-20 du code monétaire et financier. 

Les dispositions du neuvième alinéa de l'article 11-4 des statuts prévoyant que le conseil d'administration de la CNCM modifie, à la majorité des deux tiers, le mécanisme de solidarité du Crédit mutuel ne sont pas, non plus, irrégulières car, d’une part, il s’agit de « garantir la liquidité et la solvabilité du réseau » dont les organes centraux ont la charge au besoin en instituant des mécanismes de solidarité contraignants, d’autre part, les accords de soutien financier intra-groupe prévus à l'article L. 613-46 du code monétaire et financier, qui exigent, pour leur mise en place, compte tenu de leur caractère volontaire, l'accord de l'ensemble des parties ne se substituent pas aux mécanismes de solidarité mis en place au sein des réseaux mutualistes, tel que celui institué au sein du réseau du Crédit mutuel, mais constituent des dispositifs complémentaires pouvant être mobilisés au soutien d'une entité du réseau. 

La légalité du neuvième alinéa de l'article 7, des septième, onzième et douzième alinéas de l'article 11-3 et des dixième et dix-septième alinéas de l'article 11-4 des statuts prévoyant que la CNCM agrée les dirigeants des caisses et des fédérations et dispose d'un pouvoir de sanction à l'égard de ces dirigeants et des fédérations de Crédit mutuel ne sont pas davantage entachés d’illégalité. Ces pouvoirs découlent en premier lieu directement des missions confiées par le Code monétaire et financier (art. L. 511-31 et L. 512-56) aux organismes tels la CNCM, en second lieu des éléments qui constituent la mission de service public confiée à la CNCM.

Seuls les art. 29 et 29-1 des statuts donnent lieu à censure par le juge en tant qu'ils confèrent au président du conseil d'administration de la CNCM et à son directeur général le pouvoir d'ouvrir une procédure de sanction dans des conditions non conformes au principe d’impartialité (9 mars 2018, Société Arkéa et autres, n° 399413) V. aussi, dans le même sens mais sur des questions voisines : 9 mars 2018, Société Crédit mutuel Arkéa et autres, n° 405047.

 

Droit social et action sociale

 

35 - Plan de sauvegarde de l’emploi – Homologation par l’administration – Conditions de légalité – Etendue du contrôle du juge sur les éléments du plan.

La société C3 Consultants Atlantique a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Nantes du 10 septembre 2014. Un mois plus tard, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire a homologué le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de cette société. Plusieurs salariés ont sollicité et obtenu du tribunal administratif de Nantes l’annulation de cette homologation pour insuffisance de motivation. La cour Nantes ayant confirmé ce jugement, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social se pourvoit en cassation contre son arrêt.

Le Conseil d’Etat interprète l’art. L. 1233-57-4 du code du travail comme n’imposant à la décision administrative d’homologation que d’indiquer les éléments de fait et de droit sur lesquels elle repose non de prendre parti sur le respect par le plan de l’ensemble des éléments devant être contrôlés par l’administration. En étant allée au-delà de cette exigence pour rejeter l’appel du ministre, la cour de Nantes a commis une erreur de droit. Le délai de trois mois imparti à la cour pour statuer étant expiré c’est au Conseil d’Etat qu’il revient de statuer sur le recours du ministre.

Cependant, le Conseil constate que la décision d’homologation doit notamment faire apparaître les éléments relatifs à la régularité de la procédure d'information et de consultation des instances représentatives du personnel, ceux tenant au caractère suffisant des mesures contenues dans le plan au regard des moyens de l'entreprise et, le cas échéant, de l'unité économique et sociale ou du groupe ainsi que, à ce titre, ceux relatifs à la recherche, par l'employeur, des postes de reclassement. Or il est constant que cette décision, ici, ne satisfait pas à ces exigences de motivation et qu’elle est illégale. Le ministre n’est pas fondé à se plaindre de l’annulation prononcée par le tribunal administratif. (28 mars 2018, Mme X. et autres, n° 393181)

 

36 - Aide sociale – Cessation, ordonnée par l’autorité administrative de tutelle, des activités d’une institution ou d’un établissement à caractère social ou médico-social – Dévolution des droits, biens et créances – Option possible de l’organisme dont l’activité cesse – Défaut d’exercice de l’option – Conséquences.

La fermeture définitive de l’association « Le Colombier », organisme gestionnaire d'un établissement ou d'un service social ou médico-social, ayant été prononcée par l’autorité administrative, se posait la question du devenir des sommes énumérées à l’art. L. 313-19 du code de l'action sociale et des familles. Deux modalités étaient offertes à l’association entre lesquelles elle devait opter dans les trente jours : soit le reversement à une collectivité publique ou à un établissement privé poursuivant un but similaire de l'ensemble des sommes, soit  la dévolution pure et simple de l'ensemble de son « actif net immobilisé » en lieu et place du reversement des subventions d'investissement non amortissables qu'il a perçues pour le financement de cet actif ainsi que des excédents d'exploitation, provenant de la tarification, affectés à l'investissement. Lorsque, passé ce délai de trente jours, l'organisme n'a pas fait connaître son choix, seul le reversement des sommes énumérées par l'article L. 313-19 du code de l'action sociale et des familles peut être poursuivi par le préfet. Or la cour a jugé qu’en l’espèce, passé les trente jours, le préfet pouvait légalement prononcer cette dévolution, commettant ainsi une erreur de droit.

La cassation prononcée étant la seconde dans cette affaire, le Conseil devait statuer au fond et a prononcé l’annulation de l’arrêté préfectoral litigieux. (26 mars 2018, Association « Le Colombier », n° 404819)

 

37 - Emploi d’étrangers non autorisés à exercer une activité salariée en France – Sanction par la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et par la contribution forfaitaire fixée à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile – Soumission, dans le silence de ces textes, au principe du respect des droits de la défense.

Bien que les dispositions législatives et réglementaires relatives à la contribution spéciale (art. L. 8253-1 code du travail) et à la contribution forfaitaire (art. L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) ne prévoient pas expressément que le procès-verbal transmis au directeur général de l'OFII, constatant l'infraction d’emploi d'un étranger non autorisé à exercer une activité salariée en France, soit communiqué au contrevenant, ce silence, s’agissant d’une sanction, ne saurait faire obstacle au respect du principe général des droits de la défense, applicable même sans texte, qui impose la communication préalable du dossier avant toute sanction et l’octroi d’un délai raisonnable pour préparer sa défense. Le non respect de ce principe emporte annulation de la sanction. (7 mars 2018, Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), n° 412261)

 

Environnement

 

38 - Demande d’autorisation d’une installation ou activité ayant une incidence sur l’environnement (art. L. 181-18 code de l’environnement) – Autorisation environnementale unique – Vice affectant une phase de l’instruction de la demande d’autorisation – Conditions de régularisation – Régime de droit applicable au sursis et portée du pouvoir de suspension – Etendue des pouvoirs du juge envers l’administration en cas d’annulation partielle ou à un certain stade de la procédure d’instruction – Conditions et portée d’un jugement ordonnant la régularisation – Possibilité d’autoriser à titre provisoire la poursuite de l’exploitation, des activités ou des travaux.

Dans cette importante et très longue décision, qui sera publiée au Recueil Lebon, dont le commentaire excède les limites de cette chronique, le Conseil d’Etat, saisi d’une demande circonstanciée d’avis par la cour administrative d’appel de Douai, apporte de nombreuses réponses en particulier sur les points figurant dans l’incipit ci-dessus. (22 mars 2018, Association Novissen et autres, n° 415852)

 

Fonction publique et agents publics

 

39 - Sanction disciplinaire – Composition de l’organe disciplinaire – Présence d’une personne délégataire du pouvoir disciplinaire – Irrégularité – Annulation de la sanction.

M. X. sollicite l'annulation de l'arrêté le sanctionnant de l'abaissement du 7ème au 4ème échelon de son grade et, par voie de conséquence, de l'arrêté portant avancement d'échelon au motif qu’aurait été irrégulière la procédure au terme de laquelle ces décisions ont été prises.

En l’espèce, le vice-président du conseil général, investi du pouvoir disciplinaire par délégation du président du conseil général, avait siégé au conseil de discipline statuant sur le cas du requérant. Or, en cas de délégation du pouvoir disciplinaire, l'autorité délégataire ne peut siéger au conseil de discipline alors même qu'elle s'abstiendrait, ensuite, de prononcer la sanction. Cette règle, inspirée par un souci d’impartialité, constitue une garantie pour l'agent poursuivi. Doit être annulé l’arrêt qui juge le contraire au motif que la sanction litigieuse avait été prise par le président du conseil général. Sans surprise, se prononçant au fond, le Conseil d’Etat déclare annulés l’arrêté sanctionnant M. X. et, par voie de conséquence, le second arrêté. (26 mars 2018, M. X., n° 403168)

 

40 - Licenciement d’un agent public contractuel pour faute disciplinaire – Caractère disproportionné de la mesure – Obligation de réparer le préjudice en résultant – Règles de calcul de l’indemnité pour licenciement illégal.

M. X., agent contractuel de l'Ecole des mines de Nantes, a été licencié pour faute disciplinaire le 20 avril 2010.  Saisi par l'intéressé d'une demande d'annulation de la décision de licenciement et d’une demande de condamnation de l'Ecole des mines à lui verser une somme à titre de dommages et intérêts, le tribunal administratif de Nantes a annulé la sanction au motif qu'elle était manifestement disproportionnée au regard des fautes commises et a condamné l'école à verser à M. X. une somme en réparation des préjudices subis du fait de son éviction illégale. L’appel que M. X. a formé devant la cour de Nantes en annulation du rejet par le tribunal du surplus de ses conclusions ayant été rejeté, M. X. se pourvoit en cassation contre cet arrêt et, par la voie du pourvoi incident, l'Ecole des mines de Nantes demande l'annulation du même arrêt en tant qu'il rejette ses conclusions d'appel incident formées contre le même jugement.

Le Conseil d’Etat confirme le rejet du pourvoi incident comme la cour avait rejeté l’appel incident car celui-ci soulève un litige distinct du litige principal, litige indemnitaire de plein contentieux, ce que la procédure administrative, plus rigide que la procédure civile, n’admet pas.

L'annulation de la sanction de licenciement infligée à M. X., prononcée par le tribunal administratif de Nantes le 19 juillet 2013, au motif, notamment, de son caractère manifestement disproportionné, est revêtue de l'autorité de la chose jugée.

Enfin, concernant le recours de M. X. contre le rejet du surplus  de ses conclusions, le Conseil d’Etat rappelle que si la réparation des préjudices directement liés à un licenciement illégal pour faute doivent être entièrement réparés, d’une part, il n’incombe point au juge de fixer la sanction qui eût légalement être infligée en l’espèce, d’autre part, le montant de l’indemnisation doit être réduit à due proportion des fautes imputables à la personne licenciée en relation directe avec la mesure de licenciement. (28 mars 2018, M. X. et Ecole des Mines de Nantes, n° 396851)

 

41 - Admission directe dans la magistrature – Avis défavorable – Absence d’obligation de motivation au regard du 6° de l’art. 1er de la loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des actes administratifs.

Mme X. a présenté sa candidature à une nomination directe en qualité de magistrat hors hiérarchie au titre des dispositions de l'article 40 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Informée que sa candidature n’avait pas été retenue et de l’avis défavorable de la commission d’avancement, elle demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet avis pour défaut de motivation.

Le Conseil d’Etat rejette ce recours car les textes invoqués (art. L. 211-1 à L. 211-8 et L. 322-4 CRPA ; art. 1er, 6° loi du 11 juillet 1979) n’imposent en l’espèce la motivation que pour celles des décisions qui « Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ». Or le recrutement direct dans la magistrature ne constitue pas un droit pour celui qui le sollicite. Le moyen tiré du défaut de motivation de la décision attaquée ne pouvait qu’être écarté. (9 mars 2018, Mme X., n°410477)

 

42 - Enseignants d’université – Procédures de suspension à titre conservatoire – Comportement inapproprié – Application de l’art. 40 du code de procédure pénale.

M. X., professeur des universités, nommé président du comité de sélection pour le recrutement d'un maître de conférences, a, après classement en premier rang et recrutement subséquent de Mme Y., en sa qualité de directeur du département d'études arabes, rencontré Mme Y. en vue de l'organisation et de la pédagogie des enseignements. A la suite de cette rencontre, il ressort d’échanges de courriers électroniques produits au dossier, que M. X. a adressé à l’intéressée de vifs reproches ayant déterminé Mme Y. à porter plainte. La présidente de l'université, après avoir reçu M. X., a pris un arrêté de suspension de fonctions avec effet immédiat, au motif d'un comportement inapproprié à l'égard de sa collègue ; M. X. a refusé de signer la notification de cet arrêté, qui lui a dès lors été notifié par courrier à son domicile. L'université a transmis au parquet de Bobigny un signalement en application de l'article 40 du code de procédure pénale.

M. X. demande la suspension de l'exécution de cet arrêté. Sa demande est rejetée d’abord parce que le requérant n’indique pas en quoi l'intervention de la mesure de suspension qu'il conteste a préjudicié de manière grave et immédiate à sa situation. Elle l’est ensuite pour défaut d’urgence. D’une part cet arrêté, purement temporaire, maintient l'intégralité du traitement de l'intéressé et n'a ni un caractère disciplinaire ni pour finalité de préjudicier à la carrière du requérant mais cherche seulement à préserver le bon fonctionnement de l'université.  D’autre part, le Conseil d4Etat assure qu’il va statuer à bref délai au fond dans cette affaire. (30 mars 2018, M. C., n° 418843)

 

43 - Demande de transformation d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée – Application de l’article 8 de la loi du 12 mars 2012 – Notion de « services publics effectifs » – Existence en l’espèce – Pouvoir souverain d’appréciation du juge du fond.

M. X.  a accompli du 16 février 2005 au 1er janvier 2007 un travail de recherche en qualité de « chercheur post-doctoral » au sein du « centre de recherche en biochimie macromoléculaire » du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), à Montpellier.  Il a ensuite été recruté par le CNRS comme chercheur contractuel, entre janvier 2007 et juin 2012, en vertu de plusieurs contrats à durée déterminée successifs, pour accomplir des travaux de recherche à « l'Institut de génétique moléculaire » du CNRS, à Montpellier. Le directeur des ressources humaines du CNRS ayant refusé de transformer le dernier contrat à durée déterminée de M. X. en un contrat à durée indéterminée et la cour de Marseille ayant annulé cette décision, le CNRS se pourvoit en cassation.

Rejetant ce pourvoi, le Conseil d’Etat donne raison à la cour, pour l’application des dispositions des deux premiers alinéas de l’article 8 de la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, d’avoir considéré  que la période de travail effectuée par M. X. du 16 février 2005 au 1er janvier 2007 en qualité de « chercheur post-doctoral » devait être prise en compte au titre des années de services publics effectifs accomplis auprès du CNRS, au sens de ces dispositions.  En effet, durant cette période, le requérant a participé à des travaux de recherche collectivement effectués au sein d'une unité de recherche du CNRS, sous la supervision directe du directeur de cette unité et en étant soumis aux mêmes obligations de travail et aux mêmes sujétions que les chercheurs du CNRS qui concouraient à ces travaux, ce que la cour administrative d'appel a, sans dénaturation, souverainement apprécié alors même qu'il n'était pas rémunéré par le CNRS mais touchait une « libéralité » versée annuellement par la Ligue nationale contre le cancer au titre des recherches auxquelles il participait. (28 mars 2018, CNRS, n° 402913)

 

Hiérarchie des Normes

 

44 - Circulaire ou instruction non publiée sur le site internet dédiée – Inapplicable elle peut néanmoins faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir – Distinction entre les circulaires et instructions à caractère impératif et celles n’ayant pas ce caractère – Circulaire relative au traitement des demandes d’asile – Caractère impératif – Obligation de conformité aux directives européennes sur le droit d’asile – Annulations partielles.

La CIMADE défère au juge de l’excès de pouvoir une circulaire relative au traitement des demandes d’asile ou de reconnaissance de la qualité de réfugiés ou d’apatrides en attente de transfert.

Le droit français (art. L. 551-1 et 1° de l'art. L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) permet à l'autorité administrative de placer en rétention administrative l'étranger qui fait l'objet d'une décision de transfert (art. L. 742-3 du même code) après l'intervention de la décision de transfert et dans le seul cas où il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite mentionné au (3° du II de l'article L. 511-1). Cette solution est contraire à la jurisprudence européenne (CJUE 15 mars 2017, Al Chodor, aff. C-528/15) qui impose aux Etats membres de fixer, dans une disposition contraignante de portée générale, les critères objectifs sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite du demandeur d'une protection internationale qui fait l'objet d'une procédure de transfert. En effet, les dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne satisfont aux exigences de la jurisprudence européenne (dans le même sens, Cass.  27 septembre 2017, n° 17-15.160). Il s'ensuit que les dispositions de la circulaire attaquée qui prescrivent, en cas de risque de fuite, le placement en rétention d'un demandeur d'asile faisant l'objet d'une procédure de transfert doivent être annulées. Par voie de conséquence, sont annulées les dispositions de la circulaire qui prescrivent aux préfets, lorsque le risque de fuite est caractérisé, d'en informer l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Semblablement doivent être annulées les dispositions de cette circulaire qui permettent à l'autorité administrative, si elle estime raisonnablement que la demande n’est présentée que dans le seul but de faire échec à l'exécution de la mesure d'éloignement, de maintenir l'intéressé en rétention le temps strictement nécessaire à l'examen de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, en cas de décision de rejet ou d'irrecevabilité de celui-ci, dans l'attente de son départ.

En revanche, ne sont pas illégales les dispositions de cette circulaire : 1) prescrivant aux préfets, lorsqu'un étranger en situation irrégulière fait l'objet d'un placement en rétention, de vérifier préalablement à l'exécution de la mesure d'éloignement envisagée qu'il n'a pas auparavant introduit une demande de protection internationale dans un autre État membre de l'Union européenne, dans le cadre d'Eurodac ; 2) décidant que s'il apparaît que l'étranger est connu comme demandeur d'asile dans un autre Etat membre, il convient, d'une part, de mettre en oeuvre la procédure de prise en charge par cet Etat au titre du règlement " Dublin III " et, d'autre part, de ne pas procéder à l'éloignement forcé de l'étranger vers son pays d'origine. (5 mars 2018, CIMADE, n° 405474)

 

Libertés fondamentales (V. aussi n° 26)

 

45 - Séparation des pouvoirs – Indépendance de la magistrature – Création d’une Inspection générale de la justice – Conditions de régularité de cette création et limite des pouvoirs du garde des sceaux – Exclusion, en l’état, de la Cour de cassation, du champ de compétence de cette Inspection.

Le décret du 5 décembre 2016 et son arrêté d’application du même jour institue une Inspection générale de la justice qui a fait couler beaucoup d’encre, notamment au sein de la magistrature. Laissant de côté les moyens de légalité externe, d’ailleurs tous rejetés, seuls seront présentés les moyens de légalité interne.

Le Conseil d’Etat se prononce d’abord sur le principe même de l’institution d’une telle Inspection et sur sa composition. En premier lieu, il estime possible cette création car elle n’est pas interdite par le principe de la séparation des pouvoirs et l'article 64 de la Constitution, qui garantissent l'indépendance de l'autorité judiciaire, notamment l'indépendance des magistrats dans l'exercice de la fonction de juger. Cette faculté est cependant soumise au respect de conditions assez strictes : cette Inspection doit apporter, par sa composition, le statut de ses membres, son organisation ainsi que les conditions et les modalités de son intervention, les garanties nécessaires au respect de l'indépendance de l'autorité judiciaire et ses investigations ne le conduisent pas à porter une appréciation sur un acte juridictionnel déterminé. En second lieu, ces mêmes principes n'interdisent pas davantage la présence, au sein d'un tel organe, d'inspecteurs extérieurs à la magistrature judiciaire justifiant de qualifications adéquates, dès lors que les investigations portant sur le comportement d'un magistrat sont conduites par un inspecteur ayant lui-même cette qualité et que celles qui portent sur l'activité juridictionnelle d'une juridiction le sont sous l'autorité directe d'un tel inspecteur.
Entrant plus avant dans l’architecture de cette institution le Conseil, après avoir cité ses fonctions telles qu’elles résultent de l’art. 2 du décret du 5 décembre 2016, note l’existence d’importantes garanties : les inspections et contrôles des juridictions de l'ordre judiciaire sont conduits par des inspecteurs généraux et des inspecteurs ayant la qualité de magistrat et les enquêtes portant sur le comportement professionnel et, le cas échéant, personnel de magistrats ne peuvent être effectuées que par des inspecteurs généraux ou des inspecteurs ayant la qualité de magistrat. Le Conseil renforce encore ces garanties en déduisant de l’art. 65 de la Constitution et de l’art. 38 de l’ordonnance organique relative à la magistrature que ces dispositions doivent être interprétés comme exigeant que l'un de ces inspecteurs ait un rang au moins égal à celui du magistrat concerné. Par ailleurs, le pouvoir de nomination de ces agents par le garde des sceaux est tempéré d’une part par l’avis préalable que doit donner le Conseil supérieur de la magistrature d’autre part par le fait que les inspecteurs ayant la qualité de magistrat sont soumis au statut de la magistrature et bénéficient des garanties d'indépendance qu’il prévoit. Par ailleurs les inspecteurs déterminent librement la méthodologie de leurs contrôles, ne reçoivent pas d’instruction du garde des sceaux, décident librement des contrôles et enquêtes qu’ils entendent effectuer et seul le chef de l’inspection répartit les missions entre les inspecteurs.

Enfin, le Conseil d’Etat observe que les enquêtes conduites par l'inspection générale de la justice sont, par elles-mêmes, sans effet sur les droits et prérogatives des magistrats qu'elles concernent comme sur l'exercice, par ceux-ci, de leurs fonctions, dès lors qu'ils ne peuvent être mutés, s'agissant des magistrats du siège, qu'à leur demande et après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature ou, s'agissant des magistrats du parquet, qu'après avis de ce Conseil et que d'éventuelles sanctions disciplinaires ne peuvent être prises, s'agissant des magistrats du siège, que par la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour ces magistrats et, s'agissant des magistrats du parquet, après l'avis de la formation de ce Conseil compétente à leur égard.

Le Conseil d’Etat va cependant prononcer une censure à la fois symbolique et de taille en estimant qu’eu égard à la nature, à la qualité, au rang statutaire et aux fonctions de la Cour de cassation, « le décret attaqué ne pouvait légalement inclure la Cour de cassation dans le champ des missions de l'inspection générale de la justice sans prévoir de garanties supplémentaires relatives, notamment, aux conditions dans lesquelles sont diligentées les inspections et enquêtes portant sur cette juridiction ou l'un de ses membres. » D’où l’annulation de l’article 2 du décret. (Section, 23 mars 2018, Syndicat Force ouvrière Magistrats (FO Magistrats), n° 406066)

 

46 - Libéralités consenties à des Etats ou à des établissements étrangers – Régime – Pouvoirs du ministre de l’Intérieur – Contrôle plein et entier du juge.

En principe, les libéralités consenties en France à des Etats étrangers ou à des établissements étrangers habilités par leur droit national à recevoir des libéralités sont acceptées librement par ces Etats ou par ces établissements, sauf opposition formée par l'autorité compétente. En vertu des pouvoirs qu’il tient de l’art. 910 du code civil et du décret du 11 mai 2007 relatif aux associations, fondations, congrégations et établissements publics du culte, le ministre de l’intérieur dispose d’un droit d'opposition à l'acceptation d'une libéralité par un établissement étranger notamment lorsque les activités de cet établissement ou de ses dirigeants, qu'elles soient menées en France ou à l'étranger, sont contraires à l'ordre public. 

En l’espèce, le ministre de l’intérieur s’est opposé à l’acceptation par le mouvement raëlien international des legs consentis par diverses personnes. Le tribunal administratif, confirmé par la cour de Paris ont annulé cette opposition car cette association n’était pas interdite en France et les donateurs, qui en étaient membres actifs, n’étaient pas connus défavorablement des services de police.

 Il se pourvoit en cassation et le Conseil d’Etat lui donne raison motif pris de ce que les juges du fond auraient du rechercher si les activités de cette association, en France mais aussi à l'étranger, n'étaient pas contraires à l'ordre public. (30 mars 2018, Association mouvement raëlien international, n° 411124). V. également, du même jour, sous le n° 411124, la solution identique retenue au sujet de la même organisation.

 

47 - Etrangers – Droit au séjour – Conditions plus souples, pour les conjoints des personnes auxquelles a été reconnue la qualité de réfugiés que pour le regroupement familial – Erreur de droit pour avoir exigé des conditions identiques.

Mme X., épouse d’un réfugié, a présenté, pour attester de sa résidence permanente en France, le récépissé d’une demande de carte de résident. Le tribunal administratif a jugé que ce document ne pouvait pas ne pouvait être regardé comme justifiant de la résidence permanente en France de l'intéressée. Le Conseil d’Etat annule ce jugement pour erreur de droit ainsi que la décision administrative de refus.

Selon lui, l’esprit de la loi est de permettre l'installation en France des conjoints de réfugiés selon des modalités plus souples que celles de la procédure de regroupement familial. Même si l’arrêté du 22 janvier 2013 omet à tort de mentionner ces documents, le visa de long séjour délivré au conjoint de réfugié (art. L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) et le récépissé de demande de carte de résident (art. R. 311-4 du même code) répondent aux conditions posées par l'article R. 300-2 du code de la construction et de l'habitation pour l’obtention d’un logement décent. On admirera la construction prétorienne conduite sans sourciller alors qu’il est loin d’être établi qu’elle est réellement conforme à la volonté du législateur. (30 mars 2018, M. X., n° 408994)

 

48 - Extraction de détenu pour examen médical – Conciliation de la dignité de la personne (détachement de menottes), du secret médical et des exigences de sécurité (risques de violence, fuite ou évasion) – Nécessité que les mesures de contrainte soient proportionnelles – Préjudice moral non automatique en cas de disproportion manifeste – Obligation d’en rapporter la preuve.

Un détenu qui fait l’objet d’une extraction en vue d’un examen médical invoque le préjudice moral subi du fait des mesures coercitives prises à son encontre. Le tribunal administratif de Nancy a estimé que bien que disproportionnées, ces mesures n’avaient pas, par elles-mêmes, porté atteinte à la dignité de l'intéressé, entraîné une privation de soins ni fait obstacle à la tenue d'une consultation dans le respect du secret médical, qu’ainsi cela ne suffisait pas à caractériser l'existence d'un préjudice moral. La demande de l’intéressé a été rejetée d’où la saisine du Conseil d’Etat.

Cette décision est au carrefour de plusieurs droits et libertés : quelles précautions prendre à l’égard d’un détenu extrait d’un centre pénitentiaire pour subir des examens médicaux ? Doit-il demeurer menotté ? A défaut de menottes comment s’assurer, le cas échéant, de sa personne ? La présence d’agents pénitentiaires a un entretien et à un examen médicaux est-elle compatible avec la dignité attachée aux personnes et au corps humain comme avec les exigences du secret médical ?

Le Conseil d’Etat pose une ligne directive très générale en ces termes : « les mesures de sécurité mises en œuvre par l'administration pénitentiaire lors de l'extraction et du séjour dans un établissement hospitalier d'un détenu doivent toutefois, d'une part, être adaptées et proportionnées à la dangerosité du détenu et au risque d'évasion que présente chaque cas particulier et, d'autre part, assurer en toute hypothèse la confidentialité des relations entre les détenus et les médecins qu'ils consultent. Ces mesures de sécurité doivent en outre, dans tous les cas, respecter la dignité du détenu. »

Opérant un subtil balancement, le juge indique que l’adoption de mesures coercitives disproportionnées constitue une faute susceptible d’engager la responsabilité de l’administration pénitentiaire. Toutefois, de ce seul fait ne saurait résulter automatiquement un préjudice moral. Celui-ci ne saurait être présumé, il appartient à celui qui l’allègue de l’établir avec certitude sauf au cas d’atteinte à la dignité où le lien est alors automatique. (16 mars 2018, M. X., n° 407857)

 

49 - Scolarisation inexistante d’un enfant handicapé – Exigence constitutionnelle d’égal accès à l’enseignement – Atteinte à une liberté fondamentale au sens et pour l’application de l’art. L. 521-2 CJA (référé-libertés) – Absence de carence en l’espèce eu égard aux efforts déployés par l’administration scolaire.

Un enfant âgé de quatorze ans et atteint d'un trouble du spectre autistique, scolarisé depuis la rentrée 2015 au collège Saint-Spire Sénart, établissement privé d'enseignement sous contrat avec l'Etat s’est vu reconnaître à plusieurs reprises un droit à bénéficier d'une aide individuelle dans le cadre de sa scolarité à hauteur de douze heures par semaine et ce au moins jusqu’au 31 août 2018. Pourtant il ne bénéficie plus d’aucun accompagnement depuis le troisième trimestre 2016/2017. Ses parents ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Versailles d’un référé liberté à fin que le recteur de l’Académie soit enjoint de trouver une solution. Cette requête a été rejetée.

Le Conseil d’Etat considère qu’est en jeu une liberté fondamentale résultant tant de l’obligation scolaire que de la prise en charge obligatoire des handicaps. La procédure du référé liberté a été introduite à bon droit.

Cependant, après avoir constaté les efforts fournis par le service public et les difficultés techniques et juridiques à recruter une personne compétente, le juge estime que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'attitude de l'administration serait constitutive d'une carence de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la scolarisation de leur enfant. (28 mars 2018, M. et Mme X., n° 418702)

 

50 - Détenu demandant au juge des référés de prendre toutes mesures utiles de nature à préserver ses messageries électroniques – Référé « mesures utiles » (L. 521-3 CJA) – Nature de bien privé des données en cause – Mesure de caractère conservatoire – Compétence du juge du référé « mesures utiles ».

Un détenu sollicite par voie d’un référé « mesures utiles » la protection des données contenues sur son compte de messagerie électronique afin d’en prévenir la destruction. Sa demande est rejetée.

Le Conseil d’Etat relève, d’une part, que ces données constituent des biens personnels de l’intéressé, d’autre part, qu’en sa qualité de détenu, le requérant ne pouvait être autorisé à utiliser un ordinateur connecté à un réseau informatique relié avec l'extérieur du centre de détention afin d'accéder à ses comptes de messagerie électronique pour prévenir la destruction des données y figurant et en conserver l'usage. Il en résulte que cette demande, de caractère purement conservatoire, n’appelle que des mesures qui sont de la nature de celles pouvant être accordées sur le fondement de l'article L. 521-3 CJA. En refusant d’y accéder car cette demande n’aurait pas relevé de son office le juge des référés a méconnu les pouvoirs qu'il tient de cet L. 521-3 et commis une erreur de droit. (5 mars 2018, M. X., n° 414859)

 

Police

 

51 - Police des taxis – Décret relatif aux tarifs des courses de taxis pour 2018 – Régime des suppléments au tarif de la course de taxi – Référé suspension – Rejet pour défaut de preuve d’une atteinte « grave et immédiate » à la situation financière des exploitants de taxis.

Le ministre de l'économie et des finances a, par son arrêté du 14 décembre 2017, d'une part, déterminé les éléments constitutifs des tarifs des courses de taxis pour l'année 2018, d'autre part, modifié l'arrêté du 2 novembre 2015 relatif aux tarifs des courses de taxi aux fins de limiter les suppléments susceptibles d'être appliqués, en vertu d'arrêtés préfectoraux, par les taxis autres que les « taxis parisiens » (prise en charge d'animaux, passagers supplémentaires, prise en charge de bagages ); ces deux derniers suppléments ne peuvent désormais être appliqués par les taxis « non parisiens », pour le premier, qu'à la condition que le taxi transporte au moins cinq passagers et pour le second, dans les seules hypothèses où un passager dispose soit de bagages « qui ne peuvent être transportés dans le coffre ou dans l'habitacle du véhicule et nécessitent l'utilisation d'un équipement extérieur », soit de plus de trois  « valises, ou bagages de taille équivalente » ; en outre, une majoration supplémentaire de la course-type de taxi, dans la limite, selon les cas, de 0,30 euros à 0,50 euros, est susceptible d'être décidée par les préfets de département, en vue de «  compenser la perte de revenu résultant de la modification du champ d'application du supplément pour la prise en charge de bagages ou de passagers ».

Les organisations professionnelles requérantes sollicitent la suspension de l’arrêté litigieux, en vain car le juge estime non établie la preuve d’une atteinte directe, grave et immédiate aux intérêts financiers des propriétaires de taxis du seul fait des dispositions attaquées ; les éléments avancés ne sont souvent pas pertinents ou sont incomplets, les données sujettes à caution, les chiffres partiels ou contestables, etc. (19 mars 2018, Union nationale des taxis (UNT) et autres, n° 418209)

52 - Police des jeux (casinos), police spéciale – Police de la santé publique, police générale – Décision interdisant d’installer des machines à sous dans des salles pour fumeurs – Légalité (oui).

Les casinos d'Amnéville et de Blotzheim ont ouvert en leur sein des espaces fumeurs équipés de machines à sous ; ils ont été invités par le ministère de l'intérieur à veiller à ce qu'aucune machine à sous ne soit installée dans ces espaces. Après qu’ait été rejeté le recours gracieux qu’ils avaient formé contre cette mesure, ils ont formé deux La cour administrative de Nancy a annulé ces jugements et les courriers litigieux mais et rejeté le surplus de leurs conclusions. Les sociétés requérantes demandent que ces arrêts soient annulés en tant qu'ils rejettent le surplus de leurs conclusions.

Le Conseil d’Etat rejette les pourvois sur la base du raisonnement suivant.

D’une part, le code de la santé publique interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif à l’exception de ceux réservés à des fumeurs dans lesquels aucune prestation de service n'est délivrée. Aucune tâche d'entretien et de maintenance ne peut y être exécutée sans que l'air ait été renouvelé, en l'absence de tout occupant, pendant au moins une heure. D’autre part, il résulte de la réglementation propre aux casinos que tout « casino qui exploite les machines à sous dans un local distinct doit au moins employer dans cette salle un caissier et affecter un membre du comité de direction au contrôle de ces jeux. Il pourra également employer un mécanicien pour effectuer les opérations courantes d'entretien et de dépannage ». De la combinaison de ces textes découle leur incompatibilité dans le cas de salles « fumeurs » où se trouvent des machines à sous. La cour administrative de Nancy, en jugeant que l'installation de machines à sous dans une telle salle méconnaissait les dispositions du code de la santé publique, n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. (30 mars 2018, Société Casino de Blotzheim, n° 408156)

 

53 - Police des installations classées pour la protection de l'environnement – Autorisation d’exploiter une carrière – Litige de plein contentieux – Date à laquelle le juge se place pour statuer – Etendue du contrôle du juge – Obligation de statuer sur l’ensemble des obligations à la charge des personnes concernées.

Dans le cadre d’un contentieux relatif à une autorisation d’exploitation d’une carrière, qui touche donc à l’environnement, cette décision met surtout en évidence les caractères du contentieux et du juge de la pleine juridiction.

La majeure partie des litiges d’environnement ressortissent à ce contentieux.

Il existe une distinction : le juge doit apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d'autorisation d’une installation classée pour la protection de l'environnement au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de la délivrance de l'autorisation et il doit apprécier le respect des règles de fond relatives à la protection de l'environnement régissant l'installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce.

En l’espèce, pour rejeter l’appel dont elle était saisie la cour administrative a estimé que les risques relevés par deux expertises hydrogéologiques ne révélaient pas l’illégalité de l’autorisation dans la mesure où l’édiction d’un nouvel arrêté préfectoral pourrait permettre dans le futur d’éviter ou de réduire ces risques. En se plaçant ainsi dans le futur, elle ne s’est pas placée, pour apprécier les éléments de droit et de fait du litige, comme c’était pourtant pour elle une obligation, à la date à laquelle elle statuait. D’où l’annulation prononcée. (16 mars 2018, Mme X. et autres, n° 408182)

 

Procédure administrative non contentieuse

 

54 - Document administratif communicable – Notion – Absence de ce caractère – Plainte déposée auprès d’un procureur de la république – Non communicabilité de principe.

Rappel d’une règle très claire : « Les documents, quelle que soit leur nature, qui se rattachent à la fonction juridictionnelle n'ont pas le caractère de documents administratifs pour l'application du droit de communication des documents mentionnés au 2e alinéa de l'article 1er précité (de la loi du 17 juillet 1978). » (5 mars 2018, M. X., n° 401933)

 

55 - Demande de communication de documents administratifs – Obligation de saisine préalable de la CADA avant tout recours contentieux – Irrecevabilité du recours en cas de défaut de saisine de la CADA – Documents non communicables – Cas en l’espèce.

La société Celtipharm a saisi la commission d'accès aux documents administratifs du refus de communication des documents utilisés et produits dans le cadre des réunions du Comité de pilotage inter-régime (COPIIR) puis le tribunal administratif.

Celui-ci juge communicables les documents utilisés et produits dans le cadre des réunions du COPIIR mais sans répondre au moyen de la CNAMTS tiré de ce qu'ils étaient couverts, d'une part, par le secret des délibérations du Gouvernement et, d'autre part, par un secret protégé par la loi.

En omettant de répondre, le tribunal administratif a entaché son jugement d'insuffisance de motivation. (9 mars 2018, Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), n° 406289)

 

56 - Délibérations de la Commission de régulation de l’énergie – Décisions et projets de décisions des autorités administratives indépendantes – Contrôle du pouvoir réglementaire de ces autorités – Définition des tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité haute et basse tensions – Obligations consultatives imposées par le code de l’énergie – Obligation de consultation du Conseil national d'évaluation des normes – Absence – Délai de convocation des membres de la Commission – Prise en compte des orientations de politique énergétique définies par le Gouvernement - Mécanismes de régulation incitative mis en place par la Commission – Détermination des coûts pris en compte pour la détermination des tarifs d'utilisation du réseau public d'électricité – Structure du tarif.

L’extrême longueur de la décision, sa technicité et la diversité des points de droit évoqués rendent difficile son commentaire dans le cadre de cette chronique comme le montre le long incipit ci-dessus. (9 mars 2018, Société Enedis et Société EDF, ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer et Fédération CFE-CGC Energies, n° 407516, n° 407547, n° 408809 et n° 409065)

 

Procédure contentieuse (V. aussi n° 26)

 

Le nombre absolu et le taux de seconds pourvois en Conseil d’Etat ont fortement augmenté depuis la réforme de 1989, signe, d’une part, d’une réappropriation complète par les juges du fond du mécanisme de cassation, d’autre part, de la vitalité désormais entière de celui-ci.

 

57 - Office du juge d’appel – Obligation de répondre aux moyens se bornant à reprendre ceux invoqués en première instance –

Réitération d’une jurisprudence bien établie et très favorable aux appelants : Le juge d'appel ne peut, eu égard à son office, écarter un moyen au seul motif que le requérant se borne à reproduire le moyen tel qu'il avait été présenté en première instance et ne critiquerait pas les motifs du jugement attaqué. 

M. et Mme X. soutenaient en appel n’avoir point omis délibérément de déclarer les sommes perçues à raison des résultats anciens des sociétés civiles immobilières, que les sommes retirées en espèces des comptes de la société avaient servi à régler des dépenses de la société et qu’enfin il n'était pas possible dans la proposition de rectifications de comprendre pourquoi M. X. aurait, de mauvaise foi, commis le manquement consistant à ne pas les avoir déclarées. 

Même si ces moyens étaient strictement identiques à ceux exposés en première instance, la cour devait y répondre, au besoin, le cas échéant, par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif. L’arrêt est annulé pour insuffisance de motivation en tant qu’il porte sur les pénalités afférentes aux droits dus. (30 mars 2018, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 401482)

 

58 - Sursis à l’exécution des jugements – Obligation de motivation de la juridiction d’appel – Application à l’annulation du refus d’accorder un permis de construire un ensemble de logements – Contrôle étendu du juge de cassation.

Par un considérant de principe, dans le cadre d’un litige portant sur un refus d’accorder un permis de construire, le Conseil d’Etat définit les pouvoirs et les obligations de la juridiction d’appel lorsqu’elle est saisie d’une demande suspension du jugement de première instance annulant une décision administrative et qu’elle décide de rejeter cette demande de suspension.

Deux cas sont à distinguer, dominés chacun par le souci que le juge de cassation soit mis en état d’exercer son contrôle, ce qui implique que soit exposé le raisonnement suivi. Ou bien la juridiction d’appel se borne à relever qu'aucun des moyens de l'appelant mettant en cause la régularité du jugement attaqué ou le bien-fondé du ou des moyens d'annulation retenus par les premiers juges ne paraît, en l'état de l'instruction, sérieux, mais il est impératif en ce cas qu’elle ait procédé à l'analyse, dans les visas ou les motifs de sa décision, des moyens invoqués par l'appelant. Ou bien, si elle estime que l'un des moyens invoqués en appel apparaît sérieux mais que la demande de sursis doit en définitive être rejetée au motif qu'un des moyens soulevés par le demandeur de première instance ou qu'un moyen d'ordre public semble de nature à confirmer, en l'état de l'instruction, l'annulation de la décision administrative en litige, il lui incombe de désigner avec précision tant le moyen d'appel regardé comme sérieux que celui qu'elle estime, en l'état du dossier, de nature à confirmer l'annulation prononcée par les premiers juges.

En l’espèce, le jugement avait considéré illégal le refus du maire de délivrer le permis de construire demandé parce que fondé sur une disposition illégale du règlement du plan local d’urbanisme par rapport au code de l’urbanisme. En appel, la commune sollicitait l’annulation de ce motif tandis que la société pétitionnaire, défenderesse, soutenait qu'en tout état de cause, l'article en question du plan était entaché d'une autre illégalité, tenant au fait qu'il avait été rendu applicable à toutes les zones urbaines et à urbaniser, en méconnaissance des mêmes dispositions du code de l'urbanisme. La cour s’est limitée à juger qu'aucun des moyens invoqués par la commune n'apparaissait de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué et le rejet des conclusions accueillies par ce jugement. Ce disant, elle n’a pas indiqué si le moyen de la commune relatif à l'article litigieux du plan d’urbanisme n'était pas sérieux ou si elle retenait que le moyen relatif au même article invoqué en défense par la société devait conduire à confirmer l'annulation du refus de permis de construire. L’arrêt doit être annulé car ce défaut ne met pas le juge de cassation en mesure d’exercer son contrôle.

Statuant au fond, le Conseil d’Etat juge qu’aucun des moyens invoqués par la commune devant le juge d’appel n’était sérieux et ne pouvait justifier sa demande. (30 mars 2018, Commune des Sables-d’Olonne, n° 411122)

59 - Désistement d’office – Délai d’un mois pour confirmer le maintien de conclusions – Office du juge en cas de silence du requérant – Distinction des exigences procédurales (art. R. 612-5-1 CJA) et de celles liées à une bonne administration de la justice.

Dans un contentieux relatif à un litige en réduction des cotisations de taxe foncière, la société requérante et l’administration défenderesse ont chacune produit deux mémoires puis le président de la chambre compétente a demandé à la requérante de confirmer le maintien de ses conclusions, en précisant qu'à défaut de réception de cette confirmation dans un délai d'un mois, elle serait réputée s'être désistée de ses conclusions (art.  R. 612-5-1 CJA). La société n’ayant pas répondu dans ce délai, le même magistrat lui a donné acte de son désistement.

Le Conseil d’Etat décide que s’il est fait quadruple obligation au juge de vérifier que l'intéressé a bien reçu la demande de confirmation, que cette demande fixait un délai d'au moins un mois pour répondre, que le requérant a correctement été  informé des conséquences d'un défaut de réponse et qu’enfin il s'est abstenu de répondre en temps utile, en revanche – et contrairement à ce que soutenaient les requérants - il n’a pas à s’expliquer sur les motifs pour lesquels il s’interroge, en l'état du dossier, sur l'intérêt que la requête conserve pour son auteur. Dans la présente affaire, les conclusions des demandeurs doivent donc être rejetée. (19 mars 2018, SAS Roset, n° 410389)

 

60 – Dénaturation – Subventions publiques – Conditions d’octroi non respectées – Emission de certificats administratifs de remboursement des sommes versées – Dénaturation par le juge des écritures de l’association requérante – Simple erreur de plume de l’association requérante.

A la suite d'un contrôle, la région PACA a remis en cause l'attribution entre 2007 et 2010, de subventions à l'association Olympic Judo Nice pour non respect des conditions mises à leur octroi ; elle a, en conséquence, émis seize certificats administratifs ainsi que seize avis de sommes à payer en vue d'obtenir le remboursement des subventions versées. L'association ayant demandé au tribunal administratif de Marseille l'annulation de ces décisions, la région les a retirées en février 2014, conduisant le tribunal administratif à prononcer un non-lieu à statuer dans chacune des instances. Cependant, la région a de nouveau émis seize certificats administratifs ainsi que seize avis de sommes à payer en vue d'obtenir le remboursement des subventions versées. L'association Olympic Judo Nice a de nouveau saisi le tribunal administratif de Marseille de demandes d'annulation que celui-ci a rejetées. L'association a alors demandé à la cour administrative de Marseille l'annulation de ce jugement et, par voie de conséquence, des certificats et avis de sommes à payer. Cet appel a été rejeté pour irrecevabilité car à l'appui de son mémoire introductif d'instance, l’association se bornait « à exposer des moyens dirigés contre l'avis des sommes à payer du 3 décembre 2013 et le certificat du 5 novembre 2013, décisions étrangères au litige ».

Le Conseil d’Etat y voit une méconnaissance de la portée des écritures de l'association en leur déniant toute portée utile, alors qu'il s'agissait d'une simple erreur de plume de la part de l'association requérante. Celle-ci avait expressément demandé dans ce mémoire l'annulation du jugement du 22 décembre 2014 et avait rectifié son erreur relative aux dates des décisions contestées dans un mémoire ultérieur. L'association est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué. (30 mars 2018, Association Olympic Judo Nice, n° 401956)

 

61 - Omission de viser un moyen et d’y répondre – Irrégularité de l’arrêt d’appel – Annulation.

A la suite d’une remise en cause du crédit d’impôt dont elle avait bénéficié à raison des dépenses d'élaboration de nouvelles collections, la société Centre de distribution textile a fait l'objet de majorations d’impôts assorties de pénalités. Ses recours, en décharge d’impôts et de pénalités, de première instance et d’appel, ayant été rejetés, elle s’est pourvue en cassation.

La requérante avait excipé devant les juges du fond de ce que la disposition du CGI qui lui était opposée (le h) du II de l'article 244 quater B) introduisait une discrimination injustifiée entre les entreprises élaborant de nouvelles collections exposées, ceci en violation de l’art. 14 de la Convention EDH et de son 1er protocole. Faute que la cour ait visé ce moyen et y ait répondu son arrêt, irrégulier, est cassé. (30 mars 2018, SAS Centre de distribution textile, n° 402719)

 

62 - Principes généraux gouvernant la procédure devant les juridictions administratives – Règle du délai raisonnable – Appréciation in concreto – Régime et effets – Conditions de la réparation.

M. et Mme X. ont sollicité, d’abord du tribunal administratif de Toulouse (en janvier et août 2008) puis de la cour administrative de Bordeaux (en juin 2012), l’annulation de deux courriers préfectoraux les informant de leur expulsion et les invitant à quitter les lieux (décembre 2007) ainsi que du concours de la force publique pour assurer l’exécution de cette décision (janvier 2008). Le tribunal a rendu son jugement en janvier 2012, soit quatre ans et trois mois après l'introduction de la première demande et trois ans et huit mois après l'introduction de la seconde ; la cour, qui avait été saisie en juin 2012, a pris son arrêt le 24 novembre 2014, soit deux ans et cinq mois plus tard. La procédure a ainsi duré au total six ans, dix mois et six jours pour les deux instances ; cette durée est excessive d’abord parce que l’affaire ne présentait pas de difficulté particulière, ensuite parce que s’agissant d’une expulsion, les intéressés avaient grand intérêt à un jugement rapide.

La méconnaissance de la durée raisonnable des procès, si, par elle-même, elle n’entache pas d’irrégularité les décisions de justice, oblige à réparer tous les préjudices directs, matériels et/ou moraux, qu’elle a causés aux justiciables.

En l’espèce, où M. X. a subi, du fait du délai excessif de la procédure de jugement, des désagréments allant au-delà de ceux provoqués habituellement par un procès, est allouée une indemnité de 2000 euros, ce qui n’est ni dissuasif pour la lenteur des juges ni bien intéressant pour les victimes d’un fonctionnement défectueux du service public de la justice. (28 mars 2018, M. et Mme X., n° 405315)

 

63 - Principe de la discussion contradictoire des moyens relevés d’office par le juge – Règle du délai raisonnable pour contester une décision au-delà du délai de droit commun de deux mois en l’absence d’indication des voies et délais de recours contre cette décision ou en l’absence de preuve que celle-ci a eu lieu – Régime et effets de la combinaison de ces deux exigences procédurales.

L’inspecteur du travail a autorisé Me X., liquidateur judiciaire d’une société, à licencier un salarié protégé. Cette décision a été annulée, sur recours hiérarchique, par le ministre du travail.  Me X., qui a demandé en vain au tribunal de Lille puis à la Cour de Douai l’annulation de la décision ministérielle refusant d’autoriser le licenciement, se pourvoit en cassation.

Le cour de Douai avait jugé, d’une part, que le délai de deux mois pour ester n’était pas opposable au liquidateur judiciaire faute qu’aient été mentionnés dans la notification de la décision ministérielle les voies et délais de recours, d’autre part que Me Y. ayant eu connaissance de cette dernière plus d'un an avant l'introduction de sa demande devant le tribunal administratif de Lille, le principe de sécurité juridique s’opposait à l’admission de son appel formé au-delà d'un délai raisonnable. Ce raisonnement est l’exacte reprise de la jurisprudence du Conseil d’Etat qui refuse que l’absence de notification régulière des décisions administratives permette aux administrés de disposer d’un délai infini de recours contentieux. Le formalisme administratif trouve ainsi sa limite dans la sécurité juridique des relations individuelles ou sociales.

Le Conseil d’Etat reproche à la cour d’avoir fait application d’office de cette solution jurisprudentielle sans avoir préalablement communiqué aux parties ce moyen d'ordre public et cela alors même que la cour était saisie d’une fin de non-recevoir pour tardiveté soulevée par l’agent licencié et tirée de ce que Me X. avait eu connaissance de la décision attaquée plus de deux mois avant l'introduction de sa demande devant le tribunal. On peut trouver la solution un peu sévère. (28 mars 2018, Maître X., liquidateur judiciaire de la Société « Imprimerie Georges Frère », n° 410554)

 

64 - Référé suspension de l’art. L. 521-1 CJA – Condition d’urgence remplie en l’espèce – Les droit et pénalités fiscaux excédant notablement les disponibilités de la société qui en fait l’objet.

La Sarl Faraday s’est vue infliger une cotisation supplémentaire d’impôt sur les sociétés et une amende pour un total très élevé. Estimant qu’eu égard à son actif porté au bilan et à la composition de celui-ci, ces décisions, applicables à très bref délai, étaient de nature à mettre en péril la continuité de son exploitation, elle a introduit un référé-suspension de ces décisions.

Après avoir constaté une disponibilité de 57 665 euros pour une dette fiscale de 1 513 900 euros, le Conseil d’Etat relève que le risque est établi et qu’est remplie la condition d’urgence prévue à l'article L. 521-1 CJA. (28 mars 2018, Sarl Faraday, n° 415311)

 

65 - Référé suspension – Conditions devant être réunies – Cas en l’espèce – Suspension accordée et annulation de l’ordonnance de référés rendue en première instance.

La Société Free Mobile a fait une déclaration préalable de travaux en vue de l’implantation d’un relais de téléphonie sur la partie du territoire de la commune de Marseille non couverte par les réseaux 3G et 4G de cette société. Le Maire de Marseille a rejeté cette demande. Le juge des référés a rejeté le recours de la Société Free Mobile au motif que la société aurait déjà atteint ses objectifs de couverture et respecté ses engagements vis-à-vis de l'Etat en matière de couverture du territoire national, d’où il en a déduit que la condition d'urgence n'était pas remplie.

A juste titre, le Conseil d’Etat annule cette ordonnance en faisant d’abord observer l’erreur de droit commise par le juge des référés qui a lui-même relevé que la partie du territoire de la commune de Marseille sur laquelle le relais de la société Free mobile devait être implanté n'était pas couverte par les réseaux 3G et 4G de cette société ce qui constituait déjà l’urgence. Ensuite, le moyen tiré de ce qu'en prenant la décision litigieuse le maire de Marseille a fait une inexacte application des dispositions de l'article UB11 du règlement du plan local d'urbanisme lui apparaît de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

En conséquence, il est enjoint au maire de Marseille de procéder à une nouvelle instruction de la demande de la Société Free Mobile dans un délai d'un mois à compter de la notification de sa décision. (23 mars 2018, Société Free Mobile, n° 412029)

 

66 - Référé liberté – Nécessité d’existence d’un agissement ou d’une décision de l’autorité administrative – Impossible contre une décision juridictionnelle, ici du Conseil d’Etat.

Il est impossible de former un référé liberté contre une décision juridictionnelle rendue par le Conseil d'Etat, statuant au contentieux. Cette requête, manifestement étrangère au champ d'application de l'article L. 521-2 CJA, est rejetée selon la procédure expéditive prévue par l'article L. 522-3 de ce code. (26 mars 2018, Association pour la formation sécurité des agents de recherches privées, n° 419073)

67 - Mandataire désigné – Limites du mandat – Absence d’élection expresse d’élection chez ce mandataire – Actes et décisions présentés au domicile du requérant.

Est rappelée une règle souvent méconnue : lorsque le mandat donné à un conseil ou à tout autre mandataire par un contribuable pour l'assister dans ses relations avec l'administration ne contient aucune mention expresse habilitant le mandataire à recevoir l'ensemble des actes de la procédure d'imposition, ce mandat n'emporte pas élection de domicile auprès de ce mandataire. Dans ce cas, l'administration n'entache pas la procédure d'imposition d'irrégularité en notifiant l'ensemble des actes de la procédure au contribuable, alors même que le mandat confie au mandataire le soin de répondre à toute notification de redressements et d'accepter ou de refuser tout redressement.
C’est à bon droit que la cour administrative d’appel a jugé que la société Maysam France n’ayant pas indiqué avoir fait élection de domicile au cabinet de son conseil, c’est régulièrement que les documents de la procédure fiscale la concernant ont été adressés à son domicile. (23 mars 2018, Société Maysam France, n° 401562)

 

68 - Décision – Titre exécutoire – Absence de mention des voies et délais de recours – Délai raisonnable d’un an pour saisir le juge – Saisine de la juridiction judiciaire incompétente – Conservation du délai annal.

La société Sanicorse a conclu avec la commune d'Ajaccio, à laquelle a succédé la communauté d'agglomération du pays ajaccien (CAPA), un contrat de nature administrative l'autorisant à déposer sur le site d’une décharge publique des déchets d'activité de soins, moyennant le versement d'une redevance. Cette société a contesté devant le tribunal administratif de Bastia, qui lui donne raison et qui sera confirmé par la cour de Marseille, l'exigibilité des sommes réclamées par la CAPA à la suite des modifications tarifaires unilatérales. La CAPA se pourvoit en cassation contre l’arrêt.

On sait que le défaut de mention des voies et délais de recours empêche le délai de recours de courir sans cependant pouvoir excéder en principe une année pour des raisons de sécurité juridique. Cet arrêt applique cette solution au cas des titres exécutoires ou titres de créance : d’un côté, le non-respect de l'obligation d'informer le débiteur sur les voies et les délais de recours ou l'absence de preuve qu'une telle information a été fournie est de nature à faire obstacle à l’application du délai de forclusion institué par le 2° de l'article L. 1617-5 du CGCT, de l’autre côté, la prorogation du délai ne peut excéder le délai raisonnable d’une année.

Par ailleurs, la décision comporte une construction prétorienne lorsque le requérant saisit une juridiction judiciaire incompétente. En ce cas il conserve le bénéfice de ce délai raisonnable dès lors qu'il a introduit cette instance avant son expiration. Un nouveau délai de deux mois est décompté à partir de la notification ou de la signification du jugement par lequel la juridiction judiciaire s'est déclarée incompétente. 

Ici la cour a commis une erreur de droit en se bornant à constater que l’absence de notification des voies et délais de recours empêchait que pût être opposé un quelconque délai alors qu’il lui incombait de tirer les conséquences des exigences de sécurité juridique. (9 mars 2018, Communauté d’agglomération du pays ajaccien (CAPA), n° 401386). V. aussi, sur ce point, du même jour, Communauté des communes du pays roussillonnais, n° 405355, points 6 à 9.

 

69 - Annonce du dépôt futur d’un mémoire complémentaire développant les moyens sommairement indiqués dans la requête introductive d’instance – Mise en demeure de produire – Absence de production du mémoire complémentaire – Obligation pour le juge de constater le désistement d’office.

Lorsqu’un demandeur informe le juge saisi du dépôt ultérieur d’un mémoire complémentaire, celui-ci peut lui adresser une mise en demeure d’avoir à le produire dans un délai qui ne peut être inférieur à un mois et doit en ce cas indiquer qu’à défaut il sera réputé d’office s’être désisté de son action. Le juge, à l’expiration du délai imparti sans qu’un mémoire lui soit parvenu, doit constater le désistement d'office, à peine de commettre une erreur de droit. (9 mars 2018, Mme X., n° 402378)

 

70 - Fin de non recevoir – Régularisation possible en cours d’instance – Obligation pour la juridiction d’inviter à régulariser – Absence d’établissement que cette invitation est intervenue – Annulation de l’arrêt omettant ladite formalité.

Commet une erreur de droit la juridiction qui, constatant l’existence dans une requête d’une fin de non-recevoir régularisable en cours d’instance, omet - par un dispositif permettant d’attester la date de réception de cette invitation - d'inviter son auteur à la régulariser.  Lorsque la fin de non-recevoir régularisable en cours d’instance figure dans un mémoire en défense, le juge administratif doit respecter l'obligation susrappelée, sauf à ce qu’il soit établi par ailleurs que le mémoire en défense a bien été reçu par l'intéressé.

Ainsi, la cour administrative de Bordeaux, en se bornant à constater qu’une fin de non-recevoir avait été soulevée dans des mémoires en défense, sans rechercher, comme elle aurait dû le faire, s'il était établi que la Bordeaux Métropole avait bien reçu lesdits mémoires en défense, seule circonstance à même de dispenser le juge de l'obligation d'inviter l'auteur de la requête à la régulariser, a commis une erreur de droit. (26 mars 2018, Bordeaux Métropole, n° 408685)

 

71 - Mention, dans un arrêt, de deux dates d’audience et deux dates de lecture de la décision – Annulation de l’arrêt ipso facto.

Tout est dit : les mentions de l'arrêt attaqué font apparaître deux dates d'audience différentes et deux dates de lecture différentes. Si le premier point, qui résulte d'une erreur purement matérielle, est sans influence sur la régularité de l'arrêt, le second, en ne permettant pas d'établir la date à laquelle sa lecture est effectivement intervenue, entache l’arrêt d’irrégularité. (28 mars 2018, Mme X., n° 405978)

 

72 - Délai imparti à un requérant pour produire son mémoire en réplique au mémoire en défense – Non respect par le juge du délai imparti – Annulation de l’ordonnance de non-lieu.

Le greffe du tribunal administratif de Rouen, en communiquant à M. X. le premier mémoire en défense présenté par la ministre de l'éducation nationale, l'a invité à déposer un mémoire en réplique dans un délai de quinze jours maximum, expirant le 10 mars 2017. Est donc irrégulière l'ordonnance de non-lieu rendue le 3 mars 2017, soit avant l'expiration de ce délai. (9 mars 2018, M. X., n° 410110)

 

73 - Notification des décisions de la justice administrative – Cas des décisions rendues par les chambres disciplinaires des ordres professionnels – Signature d’un récépissé de réception du pli recommandé contenant la décision – Destinataire affirmant n’être pas l’auteur de la signature portée sur ledit pli – Régime de preuve – Praticien hospitalier ayant donné comme adresse de domicile l’hôpital où il exerce.

Un praticien hospitalier attaque la sanction que lui a infligée de la chambre disciplinaire de première instance et son appel est rejeté pour tardiveté par la présidente de la juridiction d’appel pour avoir été formé plus de trente jours après la décision de première instance. Celui-ci se pourvoit en cassation au motif que son domicile professionnel est l’établissement de santé où il travaille et que le pli recommandé contenant le jugement querellé ne lui a pas été remis et qu’il n’est pas le signataire du récépissé.

Dès lors cependant que ce courrier a bien été envoyé à l’adresse qu’il a donnée, le Conseil d’Etat juge qu’il appartient à ce praticien d'établir que le signataire de l'avis n'avait pas qualité pour recevoir le pli en cause. En l’espèce, s’agissant d’un hôpital, il y existe donc un vaguemestre compétent pour réceptionner tous les plis et donner toutes les signatures. Le requérant n'est, par suite, pas fondé à soutenir qu'en jugeant que la réception par ce vaguemestre, du courrier lui notifiant la décision de première instance, a fait courir à son égard, à partir de cette date et quelle que soit celle à laquelle ce pli lui a ensuite été effectivement remis, le délai d'appel de trente jours prévu par l'article R. 4126-44 du code de la santé publique. (28 mars 2018, M. X., n° 405060). V. aussi, comparable : 28 mars 2018, Mme X., n° 399867.

 

74 - Décision préalable à la saisine du juge – Plein contentieux – Défaut d’une telle décision mais introduction d’une demande préalable en cours d’instance – Fin de non recevoir possible dans un cas de figure pas dans l’autre – Régime antérieur à la réforme issue du décret n°2016-1480 du 2 novembre 2016.

Rappel d’une jurisprudence constante.

Lorsqu’un requérant a introduit devant le juge administratif un contentieux indemnitaire à une date où il n'avait présenté aucune demande préalable en ce sens devant l'administration, aucune fin de non-recevoir tirée du défaut de décision préalable ne peut lui être opposée s’il a formé, postérieurement à l'introduction de son recours juridictionnel, une demande auprès de l'administration sur laquelle elle a gardé le silence, faisant ainsi naître une décision implicite de rejet avant que le juge de première instance ne statue, et ce quelles que soient les conclusions du mémoire en défense de l'administration. En revanche, lorsque, dans le même cas de figure, le requérant s'est borné à informer le juge qu'il avait saisi l'administration d'une demande mais qu'aucune décision de l'administration, ni explicite ni implicite, n'est encore née, il incombe au juge d’opposer une telle fin de non-recevoir. (26 mars 2018, Mme X., n° 409565)

 

75 - Recours en rectification d’erreur matérielle – Notion et régime – Conditions d’existence – Absence ici.

Cette décision tente, une fois de plus, de tracer le périmètre du recours en rectification d'erreur matérielle. Celui-ci n’est ouvert que dans le cas où une décision juridictionnelle « est entachée d'une erreur matérielle susceptible d'avoir exercé une influence sur le jugement de l'affaire » (art. R. 833-1 CJA). Il est porté devant la juridiction (cour administrative d’appel ou Conseil d’Etat) qui a rendu la décision arguée d’erreur matérielle.

De ce qu’un tel recours n'est ouvert qu'en vue de corriger des erreurs de caractère matériel qui ne sont pas imputables aux parties et qui ont pu avoir une influence sur le sens de la décision (ainsi de l'omission de répondre à un moyen invoqué de manière distincte des autres moyens), il s’en déduit qu’il ne peut être utilisé pour critiquer les appréciations d'ordre juridique auxquelles se livre le juge pour interpréter les moyens soulevés devant lui et pour décider de la façon d'y répondre. (23 mars 2018, Société Hochtief Solutions AG, n° 416600)

 

76 - Ministère d’avocat obligatoire – Démission d’un avocat – Obligation de régulariser en constituant un autre avocat – Mandat initial de l’avocat se poursuivant jusque-là – Absence d’irrecevabilité des requêtes ou mémoires.

Cette décision est importante à un double titre. D’abord, elle définit l’importance du rôle de l’avocat dans le procès administratif : « (il) a pour objet tant d'assurer aux justiciables le concours d'un mandataire qualifié veillant à leurs intérêts que de contribuer à la bonne administration de la justice en faisant de ce mandataire l'interlocuteur de la juridiction comme des autres parties ». Ensuite, elle innove concernant le cas où le ministère d’avocat est obligatoire situation très fréquente désormais et en voie de quasi-généralisation. Le Conseil d’Etat énonce cette règle que l’obligation en question débute avec le dépôt de mémoires et pièces au greffe et revêt un caractère continu qui se poursuit jusqu'à la lecture de la décision. D’où découle une « règle générale de procédure » qui semble apparaître ici pour la première fois, selon laquelle la révocation d'un avocat par sa partie ou la décision d'un avocat de mettre fin à son mandat est sans effet sur le déroulement de la procédure juridictionnelle et ne met un terme aux obligations professionnelles de cet avocat que lorsqu'un autre avocat s'est constitué pour le remplacer, le cas échéant après qu'une invitation à cette fin a été adressée à la partie concernée par la juridiction.

Par suite, est entaché d’erreur de droit l’arrêt qui rejette comme irrecevable une requête au seul motif que le requérant avait cessé, en cours d'instance, d'être régulièrement représenté et qu'il n'avait pas donné suite à la demande de régularisation l'invitant à constituer un nouvel avocat. (Section, 23 mars 2018, Société Patrice Parmentier automobiles, n° 406802)

 

77 - Délai franc – Computation – Application à une demande, par le juge, de produire un mémoire récapitulant les conclusions et moyens précédemment présentés dans le cadre de l'instance en cours.

Le 31 mars 2017 a été adressé à la société L'Immobilière Leroy-Merlin France, au moyen de l'application Télérecours, une ordonnance demandant la production d'un mémoire récapitulatif et précisant qu'à défaut de cette production dans le délai d'un mois, elle serait réputée s'être désistée de sa demande. La société ayant accusé réception de ce courrier le 3 avril 2017 à 16 H 31, le délai, qui est un délai franc, expirait le 4 mai 2017 à minuit.

Par suite, c’est par une erreur de droit qu’il est jugé que le mémoire récapitulatif de la société, enregistré le 4 mai 2017, avait été produit au-delà du délai qui lui était imparti. D’où l’annulation de l’ordonnance. (19 mars 2018, Société L'Immobilière Leroy-Merlin France, n° 416510)

 

78 - Honoraires pour réalisation d’expertises et d’enquêtes sociales – Redressement d’honoraires – Préjudice – Action en réparation – Litige avec le garde des sceaux – Compétence de la juridiction judiciaire.

Alors que sur renvoi du Conseil d'Etat, le Tribunal des conflits a déclaré la juridiction judiciaire seule compétente pour connaître du litige opposant Mme X. au garde des sceaux, le tribunal administratif de Paris a, par jugement du 23 janvier 2014, rejeté comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ses conclusions relatives à la contestation d'un redressement de ses honoraires ; en revanche, il a condamné l'État à lui verser une somme au titre de l'enquête sociale qu'elle a réalisée dans une affaire devant le tribunal de grande instance de Bobigny et une somme en réparation de son préjudice.

Or il résulte de la décision du Tribunal des conflits qu'en condamnant l'Etat à verser une somme au titre de l'enquête sociale qu'elle a réalisée ainsi qu'une somme en réparation de son préjudice, alors que la juridiction administrative n'était pas compétente pour en connaître, le tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit conduisant à son annulation. (16 mars 2018, Mme X., n° 398767)

 

 

79 - Intervenant devant la cour administrative d’appel – Qualité pour se pourvoir en cassation – Possibilité d’une tierce opposition et effet sur le contenu du pourvoi.

Le Conseil d’Etat rappelle les principes qui gouvernent les rapports entre qualité d’intervenant en appel et qualité pour se pourvoir. Ne rechignant pas à faire compliqué, trois cas sont distingués.

Premier cas : la personne qui est intervenue devant la cour administrative d'appel, que son intervention ait été admise ou non, ou qui a fait appel du jugement ayant refusé d'admettre son intervention, a toujours qualité pour se pourvoir en cassation contre l'arrêt rendu contre les conclusions de son intervention.

Deuxième cas : la personne qui aurait eu qualité, à défaut d'intervention de sa part en appel, pour former tierce-opposition, peut contester tant la régularité que le bien-fondé de l'arrêt attaqué.

Troisième cas : la personne qui, à défaut d’intervention de sa part en appel, n’aurait pas eu qualité pour former tierce-opposition, n’est recevable qu’à invoquer des moyens portant sur la régularité de l'arrêt attaqué relatifs à la recevabilité de son intervention ou à la prise en compte des moyens qu'elle comporte, tout autre moyen devant être écarté par le juge de cassation dans le cadre de son office.

Le Conseil d’Etat fait application de ce schéma par rapport au III de l'article L. 514-6 du code de l'environnement qui déclare irrecevables les recours dirigés par les tiers qui n'ont acquis ou pris à bail des immeubles ou n'ont élevé des constructions dans le voisinage d'une installation classée que postérieurement à l'affichage ou à la publication de l'acte portant autorisation ou enregistrement de cette installation ou atténuant les prescriptions primitives, contre ledit arrêté. Ils ne sont pas davantage recevables à intervenir au soutien d'une demande d'annulation de cet arrêté. Substituant ce motif de pur droit à celui, erroné, retenu par le tribunal administratif, le juge déboute les requérants de leur action. (16 mars 2018, Mme X. et autres, n° 408182). V. aussi n°s 38 et 53.

 

 

80 - Recours préalable obligatoire – Décision implicite de rejet de ce recours – Délai d’un mois pour demander à en connaître les motifs – Formation d’une demande d’aide juridictionnelle – Effet sur le déroulement du délai.

Lorsqu'un recours préalable obligatoire fait l'objet d'une décision implicite de rejet (art. 5, loi du 11 juillet 1979), cette décision est illégale si son auteur n'en communique pas les motifs à l'intéressé dans le délai d'un mois qui suit la demande formée par ce dernier à cette fin dans le délai de recours contentieux. Lorsque l'intéressé présente dans le même délai de recours une demande d'aide juridictionnelle au titre du recours contentieux qu'il a formé ou envisage de former devant une juridiction administrative pour contester la décision implicite de rejet de son recours préalable obligatoire, le délai pendant lequel il peut demander la communication des motifs de cette décision est interrompu. Il recommence à courir selon les modalités prévues à l'article 38 du décret du 19 décembre 1991. (7 mars 2018, Mme X., n° 411639)

 

Professions réglementées

 

81 - Notaire – Cession d’un office notarial – Notion d’office vacant (oui ici) – Agrément ministériel (portée).

D’un déroulement complexe des faits et de la procédure on retiendra ceci.

M. C. a conclu le 2 juin 2005 un traité de cession avec M. A. et déposé le 14 juin 2005 une demande aux fins d'être nommé notaire à la résidence de Paris en remplacement de celui-ci, démissionnaire. La demande est rejetée par le garde des sceaux le 1er juin 2006 ; celui-ci nomme, le 22 octobre 2007 M. B., notaire à la résidence de Paris en remplacement de M. A. Par un jugement du 23 juillet 2010, devenu définitif à la suite du rejet de l'appel du garde des sceaux par un arrêt du 26 mars 2012 de la cour administrative d'appel de Paris, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 1er juin 2006 rejetant la demande d'agrément de M. C. Par une décision du 28 septembre 2016, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un second pourvoi en cassation, a annulé l'arrêté du 22 octobre 2007 nommant M. B. avec effet à l'expiration d'un délai de neuf mois à compter de cette décision. Par un jugement du 21 juin 2017, le tribunal de grande instance de Paris a désigné M.  B. en qualité de suppléant de son ancien office à compter du 28 juin 2017 pour une durée d'un an. Par l'arrêté litigieux du 16 janvier 2018, la garde des sceaux a déclaré vacant l'office de M. B. Par la présente requête, M. C. demande la suspension de l'exécution de cet arrêté, sur le fondement de l'article L. 521-1 CJA.

Sur le fond, le juge des référés du Conseil d’Etat rappelle qu’en vertu des textes, d’une part, le candidat à la succession d'un notaire sollicite l'agrément du garde des sceaux, d’autre part, lorsqu'il n'a pas été ou qu'il ne peut être pourvu par l'exercice du droit de présentation à un office de notaire dépourvu de titulaire, cet office est déclaré vacant par arrêté du garde des sceaux. Ensuite, rejetant l’argumentation de M. C., requérant, il indique que M. A. a cédé par convention les actifs attachés à son office à M.B., après que celui-ci a obtenu l'agrément du garde des sceaux le 22 octobre 2007. L'annulation dudit agrément n’a pas eu pour effet, en conséquence des termes de la convention ou d'une action engagée par l'une des parties, de remettre en cause la cession à M. B. des actifs attachés à l'office ni d'entraîner le remboursement à celui-ci du prix de cession qu'il avait versé à M.A., permettant ainsi à ce dernier, le cas échéant, de faire usage de son droit de présentation en faveur de M.C. Il en résulte que le moyen tiré de ce que la poursuite de la procédure de présentation initiée en 2005 ferait obstacle à ce que l'office en cause soit regardé comme vacant n'est pas de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté.  Enfin, le fait que l'administration resterait saisie de la demande initiale de M. C. en conséquence de l'annulation du refus d'agrément qui lui a été opposé n'est pas par elle-même de nature à faire obstacle à ce que l'office soit regardé comme vacant à la date de la décision attaquée. (30 mars 2018, ord. référé, M. C., n° 418883)

 

82 - Médecin – Plainte disciplinaire devant la juridiction ordinale – Sanction – Existence d’une transaction entre les plaignants et le médecin poursuivi disciplinairement – Absence d’effets sur l’action disciplinaire – Sanction justifiée au fond.

Postérieurement au dépôt de leur plainte contre M. E. devant la chambre disciplinaire de l'ordre des médecins compétente, Mme F. et M. A. ont conclu, le 20 septembre 2013, sur le fondement de l'article 2044 du code civil, une transaction avec l'assureur de M. E. par laquelle, sous réserve du paiement par ce dernier d'une certaine somme en réparation des préjudices subis du fait du décès de leur enfant, ils s'engageaient à « se désister de toute instance et de toute action devant quelque juridiction que ce soit pour l'accident en cause » M. E. se pourvoit en cassation contre la décision du 15 septembre 2016 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins en tant que celle-ci, après avoir écarté la fin de non-recevoir tirée de l'existence de cette transaction, a confirmé la peine de six mois d'interdiction d'exercice de la médecine qui lui avait été infligée par la chambre disciplinaire de première instance du Nord-Pas-de-Calais.

Le Conseil d’Etat approuve tout d’abord les juges du fond d’avoir décidé que la transaction n'était de nature, ni à priver d'objet le litige introduit par la plainte de Mme F. et M. A. ni à valoir désistement faisant obstacle à leur présence à l'audience.

Il estime ensuite qu’ils ont suffisamment motivé l’infliction d’une sanction et exactement qualifié les faits dont ils étaient saisis (manquement aux obligations déontologiques découlant du caractère atypique d’une grossesse). Enfin, en confirmant l’interdiction d’exercer pour une durée de six mois, la chambre disciplinaire n’a pas retenu une sanction disproportionnée. (29 mars 2018, M. E., n° 405077)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

83 - Calcul de la dotation d’intercommunalité attribuée à une communauté d’agglomération – Conditions de la QPC remplies – Examen et proclamation du caractère sérieux de l’argument tiré du principe d’égalité entre collectivités territoriales et du principe d’égalité devant les charges publiques.

Est sérieuse et doit en conséquence être renvoyée au Conseil constitutionnel la QPC fondée sur ce que les articles L. 5211-28, L. 5211-29, L. 5211-30 et L. 5211-33 du CGCT introduiraient une différence forte de traitement au regard du calcul de la dotation d’intercommunalité qui leur est attribuée, entre les communautés d’agglomération créées depuis au moins trois ans et celles plus récentes.

Est donc invoquée au soutien de cette QPC la violation, par les articles précités, du principe d'égalité entre les collectivités territoriales et du principe d'égalité devant les charges publiques. (28 mars 2018, Communauté d’agglomération du Grand Sénonnais (CAGS), n° 417024)

 

84 - Magistrats de l’ordre judiciaire – Blâme infligé par le Conseil supérieur de la magistrature – Composition du Conseil – Indépendance et impartialité – Contrariété de l’art. 14 de la loi organique du 5 février 1994 à l’art. 65 de la Constitution – Invocation d’un changement de circonstances tenant à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 21 juin 2016 – Rejet de la demande de transmission de la QPC.

Est doublement rejetée la demande de renvoi d’une QPC portant sur les insuffisances de la loi organique du 5 février 1994 relative au Conseil supérieur de la magistrature. En premier lieu, il est reproché à cette loi de ne pas prévoir de règles permettant de garantir la représentation paritaire des membres magistrats et non magistrats du Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège. Ce reproche n’est pas fondé car cette garantie figure à la fois à l’art. 65 de la Constitution et à l’art. 14 de la loi attaquée. En second lieu, les dispositions querellées de l’art. 14 de la loi organique ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel (décisions n° 93-337 DC du 27 janvier 1994 et n° 2010-611 DC du 19 juillet 2010).

Enfin, on ne saurait considérer comme un changement dans les circonstances de nature à permettre de poser à nouveau la question au C.C., l’arrêt Ramos Nuñes de Carvalho e Sà c. Portugal, nos 55391/13, 57728/13 et 74041/13, du 21 juin 2016, rendu par la CEDH, arrêt provisoire au surplus. (16 mars 2018, M. X., n° 414350)

 

85 - Imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) (art. 1635-0 quinquies CGI) au profit des collectivités territoriales et des intercommunalités – Application à la production de gaz naturel liquéfié (art. 1519 HA CGI) – Dérogation possible au profit de certaines entreprises (art. L. 452-6 code de l’énergie) – Absence de mention de ce dernier texte à l’art. 1519 HA – Inégalité injustifiée de traitement – Renvoi au Conseil constitutionnel.

Le CGI (art. 1519 HA et 1635-0 quinquies) institue au profit des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics de coopération intercommunale une imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER). Par ailleurs, l'article L. 452-1 du code de l'énergie définit les modalités de fixation des tarifs d'utilisation des installations de gaz naturel liquéfié. Or l’art. 1635-0 quinquies CGI s’applique à ces installations.

Les sociétés requérantes soutiennent qu'en ne mentionnant pas l'article L. 452-6 du code de l'énergie, les dispositions du deuxième alinéa du III de l'article 1519 HA du code général des impôts exonèrent de l'IFER les installations de gaz naturel liquéfié bénéficiant de la dérogation prévue à cet article et instaurent ainsi, entre les installations de gaz naturel liquéfié, une différence de traitement contraire aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Ce raisonnement confère un caractère sérieux à la QPC qui est ainsi renvoyée au C.C. en ce que l’art. 1519 HA CGI serait contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques. (14 mars 2018, Sociétés Elengy et Fosmax LMG (renvoi du TA de Marseille) et Société Elengy (renvoi du TA de Nantes), n° 416697)

 

86 - Dispositions réglementaires (art. R. 776-29 à R. 776-32 CJA) prises pour l’application d’une loi (art. L. 512-1, IV., du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) – QPC possible si sont réunies les autres conditions exigées – Invocation d’une atteinte au droit à un recours effectif – Renvoi au Conseil constitutionnel.

La Section française de l'observatoire international des prisons et autres et M. X. font valoir que le IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, eu égard à la brièveté du délai de recours et aux contraintes résultant de la détention, porte atteinte au droit à un recours effectif tel qu’il est affirmé et garanti par l’art. 16 de la Déclaration de 1789. Le Conseil d’Etat y voit un moyen sérieux justifiant le renvoi de cette QPC au Conseil constitutionnel. (14 mars 2018, Section française de l’observatoire international des prisons et autres, n° 416737 et M. X., n° 417314)

 

Responsabilité

 

87 - Droit des assurances –  Assurance dommages ouvrage – Obligations incombant à l’assureur – Rappel des règles de prescription et des causes d'interruption de celle-ci, prévues par le code des assurances ou par le code civil – Notification impérative du rapport d’expertise à l’assuré avant toute offre de la compagnie d’assurance – Obligation d’affecter les sommes versées par l’assureur à la réparation des dommages invoqués.

La commune de Montereau-Fault-Yonne a souscrit un contrat d'assurance dommages ouvrage avec la société Axa pour des travaux portant sur la réalisation d’une maison des services publics. Ayant constaté divers désordres affectant le bâtiment, elle a réclamé à la société Axa le versement d’une somme en réparation de ces désordres puis, demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la société à lui verser cette somme. Sa demande ayant été rejetée par un jugement confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Paris, à la suite du pourvoi formé par la commune le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt. Sur renvoi, la cour de Paris a de nouveau rejeté la requête de la commune.

Statuant définitivement au fond, le Conseil d’Etat se prononce successivement sur la prescription dont serait entachée la demande de la commune puis sur son bien-fondé.

Sur la prescription, le juge relève qu’il résulte des dispositions combinées des art. L. 114-1 et L. 114-2 du code des assurances que la prescription intervient au terme de deux années à compter de l'événement et qu’elle est interrompue par une des causes ordinaires d'interruption de la prescription ainsi que par la désignation d'experts à la suite d'un sinistre. L'interruption de la prescription peut, en outre, résulter de l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception adressée par l'assureur à l'assuré en ce qui concerne l'action en paiement de la prime et par l'assuré à l'assureur en ce qui concerne le règlement de l'indemnité. Surtout, l'article R. 112-1 du même code disposait alors que la police d’assurance doit rappeler les dispositions du code relatives à « la prescription des actions dérivant du contrat d'assurance ». Or il résulte de l'instruction qu'aux termes des conditions générales du contrat d'assurance conclu entre la commune et la société Axa France Iard relatives à la prescription des actions il a été omis de rappeler l’applicabilité à ce contrat des causes ordinaires de prescription prévues par le code civil. Ces stipulations méconnaissent ainsi les dispositions de l'article R. 112-1 du code des assurances : la prescription prévue par l'article L. 114-1 ne peut être opposée à la commune par la société Axa France Iard.

Sur le bien-fondé de la requête de la commune, il est relevé qu’il résulte tant des textes réglementaires (art. A. 243-1 du code des assurances) que des stipulations du contrat d’assurances conclu entre la commune et la société Axa que l'assureur a l'obligation de notifier le rapport préliminaire d'expertise préalablement à sa prise de position sur le principe de l'indemnisation ; à défaut, il ne peut plus refuser sa garantie, notamment en contestant la nature des désordres déclarés par l'assuré. Or en l’espèce, par un courrier du 16 novembre 2006, l'assureur a notifié à la commune le rapport de l’expert en même temps que son refus de garantir les désordres constatés sur le bâtiment de la maison des services publics au motif qu'ils ne lui paraissaient pas relever de la garantie décennale. Ayant méconnu son obligation de notifier le rapport préliminaire d'expertise à la commune préalablement à sa position de principe sur la prise en charge, l’assureur ne pouvait donc plus refuser sa garantie, notamment en contestant la nature des désordres déclarés par l'assuré. La commune est bien fondée en son action. (26 mars 2018, Commune de Montereau-Fault-Yonne, n° 405109)

 

88 - Décès dû à l’amiante – Responsabilité de la puissance publique exclue par la faute d’une particulière gravité commise de façon délibérée par le demandeur en réparation – Exigence d’un lien direct de causalité entre l’action ou l’inaction de la puissance publique et le préjudice invoqué – Preuve non rapportée ici.

Salarié de l'établissement de Saint-Grégoire de la société Eternit (devenue ECCF) de 1974 à 2005, M. X. a été victime d'une maladie professionnelle, liée à son exposition aux poussières d'amiante, dont il est décédé en 2005. La société ECCF, anciennement Eternit, condamnée par l'autorité judiciaire à verser une indemnité aux ayants droit de M. X. en raison de son exposition à l'amiante, invoquant la carence des pouvoirs publics dans l'exercice de leur mission de prévention des risques professionnels, a demandé à l'État de la garantir pour moitié des sommes qu'elle a payées et de l'indemniser du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de cette faute. La cour administrative d'appel de Versailles, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif, a rejeté sa demande, en jugeant, pour la période 1974-1977, qu'ECCF avait commis une faute d'une particulière gravité délibérément commise faisant obstacle à ce qu'elle puisse se prévaloir de la faute de l'administration et, pour la période 1977-2005, qu’ECCF n’a établi que la maladie professionnelle développée par M. X. trouverait directement sa cause dans une carence fautive de l'Etat.  

Le Conseil d’Etat expose la théorie du dommage unique par co-auteurs lorsque l’un d’eux est la puissance publique. Celui des co-auteurs qui a indemnisé la victime pour le tout peut se retourner contre l’Etat pour le voir prendre à sa charge une partie de la réparation à due concurrence de la faute que l’Etat a commise et du rôle causal qu’elle a joué dans la réalisation du dommage, même dans le cas où ce co-auteur a commis une faute inexcusable. Naturellement, la propre faute de ce dernier lui est opposable qu’il agisse en qualité de co-auteur ou de victime du dommage.

Toutefois, dans le cas où ce co-auteur a délibérément commis une faute d'une particulière gravité, il ne peut se prévaloir de la faute que l'administration aurait elle-même commise en négligeant de prendre les mesures qui auraient été de nature à l'empêcher de commettre le fait dommageable.

Enfin, lorsque le co-auteur est subrogé dans les droits de la victime à l'égard de l'administration, notamment parce qu'il a été condamné par le juge judiciaire à indemniser la victime, il peut se voir opposer l'ensemble des moyens de défense qui auraient pu l'être à la victime.

Ensuite, reprenant la distinction des deux périodes chronologiques, il approuve entièrement la solution retenue par la cour de Versailles au bénéfice de son pouvoir souverain d’appréciation des faits. (26 mars 2018, Sté ECCF, n° 401376). V. aussi, du même jour, n° 401374.

 

89 - Infection nosocomiale par staphylocoque doré – Lien direct avec les incapacités professionnelles en résultant – Détermination des postes de préjudice – Indemnisation intégrale mais non supérieure au préjudice.

Au cours d’une hospitalisation dans les Hôpitaux universitaires de Strasbourg, M. X. a contracté une infection par staphylocoque doré qui a été reconnue de caractère nosocomial. De graves séquelles en ont résulté au plan médical (pose d’une prothèse) et professionnel, la victime ne pouvant plus exercer à l’avenir son activité de tuyauteur soudeur ; elle sera d’ailleurs licenciée. L'assureur des Hôpitaux universitaires de Strasbourg ayant refusé de faire une offre d'indemnisation à M. X., l'ONIAM s'est substitué à celui-ci et proposition d’indemnisation a été acceptée par M. X.

Désormais subrogé à hauteur de ce montant dans les droits de M. X., l’ONIAM a exercé son action subrogatoire contre les Hôpitaux universitaires de Strasbourg puis saisi le juge administratif : des sommes lui ont été allouées en première instance et augmentées en appel. Après cassation, la cour de Nancy – dans la limite de la cassation prononcée – à condamné lesdits Hôpitaux à verser certaines sommes à l’ONIAM et à la CPAM du Bas-Rhin. L’ONIAM se pourvoit contre cet arrêt en tant qu’il a reconnu un lien direct entre l’infection nosocomiale et les revenus perdus par M. X. jusqu’au 31 juillet 2006 mais a dénié tout préjudice professionnel après cette date, M. X. n’étant pas inapte à toute activité professionnelle « sous réserve qu'elle soit compatible avec son handicap ». Le Conseil d’Etat décèle dans ce jugement une erreur de droit qui nous semble être plutôt une contradiction dans les motifs, la cour n’ayant pas tiré les conséquences de ses propres constatations en les contredisant.

De manière plus raisonnable, il décide que « eu égard à la circonstance que M. X. était âgé de 52 ans à la date du 31 juillet 2006 et au fait que son handicap, qui lui a fait perdre son emploi de tuyauteur soudeur dont il tirait des revenus stables, rendait impossible la reprise tant de cette activité que d'une activité comparable, l'infection nosocomiale qu'il a contractée doit être regardée comme la cause directe de la perte de tout revenu professionnel jusqu'à l'âge de la retraite, qu'il a atteint le 15 décembre 2013. L’indemnisation accordée est fixée en conséquence. (30 mars 2018, ONIAM, n° 408052)

 

90 - Campagne de vaccination – Lien direct avec une invalidité permanente – Détermination de l’étendue du préjudice professionnel futur.

Une semaine après avoir subi une vaccination contre le virus H1N1 organisée par un arrêté du 4 novembre 2009 du ministre de la santé, M. X. a présenté une paralysie faciale droite, avec impossibilité de fermer l'œil droit, qui n'a pas régressé par la suite. Il a été contraint à abandonner son activité d'artisan-plombier. Le tribunal administratif de Toulon a reconnu l'imputabilité de l'invalidité à la vaccination et mis à la charge de l'ONIAM le versement d'une indemnité augmentée en appel. M. X. se pourvoit en cassation contre cet arrêt car il lui reproche d’avoir jugé que s'il résulte de l'instruction que l'invalidité dont il est atteint rend impossible la poursuite de son activité professionnelle d'artisan-plombier, une activité de gestion n'excédant pas un quart de temps est possible : ainsi l'intéressé ne justifierait pas être inapte à l'exercice de toute activité professionnelle.

Le Conseil d’Etat annule cet arrêt pour dénaturation des faits car, après avoir constaté que M. X., âgé de 53 ans lors de l'apparition de la paralysie faciale, avait été contraint d'abandonner l'activité professionnelle de plombier qu'il exerçait depuis 30 ans et ne pouvait désormais effectuer que des activités de caractère « très limité », une activité de nature administrative n'étant notamment envisageable que dans la limite d'un quart de temps, la cour ne pouvait décider que l'invalidité n'entraînerait à l'avenir aucune perte de revenus professionnels pour l'intéressé. (30 mars 2018, M. X., n° 408199)

 

91 - Exigence d’une faute lourde – Dommage causé par une juridiction administrative dans l’exercice de sa fonction juridictionnelle – Conditions – Violation du droit de l’Union européenne – Absence en l’espèce.

Réitération d’une jurisprudence bien établie : les principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique ouvrent un droit à indemnité à la victime d’une faute lourde commise dans l'exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative.

Cette responsabilité, qui doit être écartée dans les cas où la faute lourde alléguée résulterait du contenu même de la décision juridictionnelle et où cette décision serait devenue définitive, est cependant susceptible d’être engagée lorsque le contenu de la décision juridictionnelle est entaché d'une violation manifeste du droit de l'Union européenne ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. (28 mars 2018, M. C., n° 389911)

 

92 - Essais nucléaires – Régime législatif de responsabilité et de réparation – Date d’application de la loi du 28 février 2017 – Illégalité de la décision opposant le caractère « négligeable » du risque couru de développer une maladie radio-induite.

M. X. a sollicité la réparation - au titre de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français – des conséquences de sa maladie qu’il impute aux essais nucléaires.

Sa demande ayant été rejetée par une cour d’appel, le Conseil d’Etat, saisi, annule tout d’abord l’arrêt de la cour en ce qu’elle a jugé que le I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 n’était pas entré en vigueur au moment où M. X. a formé sa demande d'indemnisation alors que, selon lui, son entrée en vigueur n’était pas manifestement impossible en l’absence de mesures d’application. Celle-ci a donc eu lieu le lendemain de sa publication au Journal officiel et cette loi est applicable aux instances en cours à cette date. L’arrêt déféré doit donc être annulé de ce chef.

Le Conseil d’Etat examine alors le jugement de première instance et lui donne raison d’avoir annulé la décision de refus d’indemniser prise par le ministre au motif, selon ce dernier, que le risque imputable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de M. X. pouvait être considéré comme négligeable. (26 mars 2018, M. X., n° 411437). V. du même jour, même solution : n° 410566 et n° 413235.

 

Santé publique (V. aussi n° 52)

 

93 - Infections nosocomiales – Conditions d’existence – Responsabilité fondée sur la faute simple – Conditions de la réparation.

Mme X. a contracté au cours de son hospitalisation une infection imputée par l’expert et les juges à la régurgitation du liquide gastrique qui avait pénétré dans les bronches de la patiente en raison d'un trouble de la déglutition consécutif à l'accident vasculaire cérébral dont elle avait été victime. Cette infection n’avait ainsi aucun caractère nosocomial car elle résultait directement de la pathologie à l’origine de l’hospitalisation.

Saisie également d’une demande d’indemnisation des préjudices subis du fait des autres épisodes infectieux survenus au cours des différentes périodes d'hospitalisation de Mme X., la cour avait rejeté cette demande motif pris de ce que si ces infections présentaient un caractère nosocomial, elles n'étaient pas d'une particulière gravité, avaient été traitées efficacement et n'avaient engendré aucune séquelle. Le Conseil d’Etat rappelle qu’il résulte du second alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique que seule une cause étrangère peut exonérer de responsabilité en cas d’infection nosocomiale. Par suite, il censure ce raisonnement car la cour n’a pas recherché, ce jugeant, si ces infections répétées avaient entraîné pour la victime des troubles et des souffrances lui ouvrant droit à réparation. (Section, 23 mars 2018, Mme X., n° 402237)

 

94 - Exposition du public aux champs magnétiques émis par les équipements de téléphonie mobile – Principe de précaution – Conditions et procédure d’application – Principe écarté en l’espèce en l’état des connaissances scientifiques actuelles.

L'association requérante a demandé au premier ministre de procéder à la modification du décret du 3 mai 2002 qui fixe les valeurs limites d'exposition du public aux champs électromagnétiques émis par les équipements en matière de téléphonie mobile. Elle attaque le refus d’abaisser ces valeurs limites qui lui a été opposé. Question très délicate où sont en jeu des connaissances scientifiques et des techniques évolutives, un certain cadre mouvant et la protection de la santé humaine.

Après avoir rappelé les dispositions protectrices des personnes en la matière (articles 1er et 5 de la Charte de l'environnement et 1° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement), ainsi que les exigences du principe de précaution, le Conseil se livre à une analyse approfondie de la question posée.

Tout d’abord, il pose le principe, en la matière, qu’il incombe à l’autorité étatique compétente  de rechercher s'il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l'hypothèse d'un risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé, qui justifierait, en dépit des incertitudes subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l'état des connaissances scientifiques, la réévaluation de ces valeurs par application du principe de précaution. A cet effet, sous le contrôle du juge, ces autorités doivent recourir à des procédures d'évaluation du risque identifié ou de les contrôler afin d’établir que les mesures prises, compte tenu du contexte, ne soient ni insuffisantes, ni excessives et d'erreur manifeste d'appréciation dans le choix des mesures de précaution.

Dans un contexte complexe, le juge recourt à la méthode du faisceau d’indices pour en conclure que le premier ministre n’a pas illégalement refusé de modifier le décret attaqué car les valeurs qu’il contient sont conformes aux données les plus répandues. Ainsi, l’Etat a fait le choix de confier à l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail et à l'Agence nationale des fréquences le soin de contrôler ces valeurs limites d'exposition du public aux champs électromagnétiques. Pareillement, les nombreuses études internationales consacrées aux risques des effets non thermiques des ondes radioélectriques, n'ont pas mis en évidence d'effet athermique de ces ondes sur l'homme entraînant des conséquences sanitaires délétères. Semblablement, le Conseil de l'Union européenne n'a pas révisé sa recommandation du 12 juillet 1999 relative à l'exposition du public aux champs électromagnétiques préconisant des valeurs limites d'exposition du public aux champs électromagnétiques, lesquelles ont été reprises dans le décret contesté. Pareillement, les rapports d'expertise collective publiés par l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail en 2009 et 2013 n'ont pas préconisé la révision de ces valeurs limites. (7 mars 2018, Association Robin des toits, n° 399727)

 

Service public

 

95 - Principe d’égalité devant le service public – Application aux candidats à un même diplôme – Brevet de technicien supérieur – Possibilité de traitement différencié si les conditions d’accès sont différentes – Tel est le cas en l’espèce.

La requérante conteste, au nom du principe d’égalité, qu’un barème de notation différent soit prévu par les textes entre, d'une part, les candidats au brevet de technicien supérieur qui ont suivi une partie de leur formation sanctionnée par une note de stage et, d'autre part, les candidats se prévalant d'une expérience professionnelle ou d'un apprentissage et qui ne sont, à ce titre, pas évalués dans le cadre d'un stage.  Son recours est rejeté car le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes. En l’espèce, la différence de traitement des candidats est justifiée par la différence de situation existant entre ces deux groupes de candidats et n'est, eu égard à la pondération retenue pour les différents coefficients, pas entachée d'une disproportion manifeste. (28 mars 2018, Mme X., n° 399097)

 

96 - Fourniture d’eau potable - Service public à caractère industriel et commercial – Relations avec les usagers – Compétence exclusive du juge judiciaire.

La commune de Sassenage a saisi le juge administratif d’une demande de résiliation des « concessions de fourniture d'eau potable gratuite » conclues avec plusieurs propriétaires de cette commune à partir de 1838, prévoyant qu’ils pourraient bénéficier gratuitement d'une certaine quantité d'eau en contrepartie de leur participation au financement de travaux sur le réseau d'eau potable. Ce litige, qui oppose un service public à caractère industriel et commercial à ses usagers, relève de la compétence de la juridiction judiciaire et c’est à tort que la cour administrative d'appel de Lyon a jugé le contraire. (26 mars 2018, Commune de Sassenage puis métropole Grenoble-Alpes-Métropole, n° 405751)

 

97 - Bourse du travail de Paris – Etablissement public municipal – Mission de service public à caractère administratif – Nature d’agents publics contractuels de ses employés - Obligation de les informer du droit à communication de leur dossier (décret du 15 février 1988).

M. X., employé en qualité de conseiller en droit du travail par la bourse du travail de Paris a fait l’objet d’une mesure de licenciement qu’il conteste devant le juge des référés.

Ce dernier devait d’abord déterminer le statut de cet agent. La bourse de travail de Paris est un établissement public de caractère municipal doté de la personnalité morale, son objet est de concourir à la promotion économique et sociale des travailleurs, notamment par l'organisation d'activités d'enseignement et la fourniture de services de consultation ou d'information. Ainsi, eu égard à son objet, aux modalités de son organisation et de son fonctionnement et à l'origine de ses ressources, principalement assurées par des subventions inscrites au budget de la ville de Paris, cette bourse exerce une mission de service public à caractère administratif. Par application du principe posé par l’arrêt Berkani, le juge des référés, approuvé en cela par le Conseil d’Etat, décide que M. X., agent non statutaire travaillant pour le compte d'un service public à caractère administratif géré par une personne publique, est un agent contractuel de droit public.

Le décret du 15 février 1988, qui fait obligation d'informer les agents publics du droit à communication de leur dossier et fixe les modalités de cette communication, était applicable au cas de l’espèce. Faute que M. X. ait été mis à même de demander cette communication, c’est à bon droit que le juge des référés a estimé, en l'état de l'instruction, qu’existait un doute sérieux quant à la légalité du licenciement de M. X. (7 mars 2018, M. X. n° 415125)

 

98 - CROUS – Etablissement public administratif – Expulsion d’occupants sans droits ni titre de logements gérés par le CROUS – Absence de domanialité publique mais exercice d’une mission de service public et exigence de sa continuité – Compétence de la juridiction administrative.

Le centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS) de Paris a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris d'ordonner l'expulsion, sous astreinte, de la personne occupant sans droit ni titre un logement dans une résidence universitaire, cette demande a été rejetée par une ordonnance du 25 janvier 2017 contre laquelle le CROUS de Paris se pourvoit en cassation, au motif qu’elle a été portée devant une juridiction incompétente pour en connaître. Pour annuler cette ordonnance, le Conseil d’Etat indique que le Tribunal des conflits, saisi dans la présente affaire, a jugé (12 février 2018), que les CROUS sont des établissements publics à caractère administratif chargés d'une mission de service public qu'ils assurent en accordant notamment, par décision unilatérale, des logements aux étudiants. Il en résulte que même dans le cas où la résidence universitaire ne peut pas être regardée comme une dépendance du domaine public, toute demande d'expulsion formée par un CROUS vise à assurer le fonctionnement normal et la continuité du service public administratif dont il a la charge. Seule la juridiction administrative est compétente pour en connaître, c’est à tort que le juge des référés a jugé le contraire. (21 mars 2018, Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) de Paris, n° 408006). V. aussi, sur des questions voisines concernant le CROUS de Paris, la décision du 21 mars 2018, M. X., sous le n° 407386.

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