Sélection de jurisprudence du Conseil d'Etat

Février 2018

 

Actes et décisions (V. aussi n° 105, n° 45)

 

1 - Permis de construire argué comme entaché de fraude – Régime de l’acte obtenu par fraude – Prorogation du délai de recours (non pour l’auteur de la fraude oui pour le tiers) – Notion d’acte frauduleux (non en l’espèce).

Si l’acte obtenu par fraude peut être retiré ou abrogé sans condition de délai (V. aussi, cette Chronique, janvier 2018 n° 2), celui-ci ne proroge pas le délai de recours (solution discutable). En revanche, un tiers y ayant intérêt peut à tout moment demander à l’autorité administrative de faire usage de son pouvoir d'abroger ou de retirer un acte administratif obtenu par fraude ; en cas de refus, il peut, dans le délai du recours contentieux, demander l’annulation du refus qui lui a été opposé. (5 février 2018, SCI Cora, n° 407149)

 

2 - Chambres régionales et chambres départementales d’agriculture – Compétences respectives établies par la loi – Violation par le pouvoir réglementaire – Divisibilité des dispositions d’un décret – Illégalité d’un acte réglementaire par voie de conséquence : conditions et régime.

Le code rural comporte des dispositions fixant la compétence matérielle, respectivement, des chambres régionales d'agriculture (L. 512-1 du code rural) et des chambres départementales (art. L. 511-3 du code rural). Un décret intervient pour confier aux premières des missions relatives aux politiques publiques, aux marchés agricoles, à l'offre de formation, aux prestations certifiées et à la création et reprise d'entreprises agricoles. Le Conseil d’Etat juge « que ces missions ne peuvent être regardées comme des missions juridiques, administratives et comptables au sens des dispositions de l'article L. 512-1 et se rattachent aux compétences des chambres départementales d'agriculture énumérées à l'article L. 511-3 ». D’où l’annulation seulement de celles des dispositions de ce décret qui sont illégales puisqu’elles sont divisibles des autres dispositions de celui-ci.

Les requérants sollicitaient également l’annulation, par voie de conséquence, de l’arrêté d’application de ce décret. Le juge rappelle, ce qui est une solution classique que « que l'illégalité d'un acte administratif réglementaire ne peut être utilement invoquée à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative que si cette dernière a été prise pour son application ou s'il en constitue la base légale ». Tel n’est pas le cas en l’espèce, d’où la solution de rejet de ce chef de demande. (9 février 2018, Coordination Rurale Union Nationale, Chambre départementale d'agriculture de la Charente et Chambre départementale d'agriculture du Lot-et-Garonne, n° 404914)

 

3 - Emission de télévision – Demande au CSA de rappeler à une chaîne la réglementation à respecter – Absence du caractère de décision – Acte ne pouvant être déféré au juge de l’excès de pouvoir.

Suite à la diffusion dans le cadre de l’émission « Envoyé spécial », d’une séquence de trois minutes intitulée « Calanques en eaux troubles » consacrée à la qualité des eaux de baignade dans la commune de Cassis, le maire de celle-ci saisit le président du CSA d’une demande tendant à ce que le CSA rappelle à la société France Télévisions les obligations qui pèsent sur elle en vertu de la loi et de son cahier des charges. Le président du CSA informe par courrier le maire de la commune de Cassis que, après avoir examiné la séquence litigieuse, il refuse de faire droit à sa demande. Le recours formé par la commune contre ce refus est déclaré irrecevable car un tel rappel, assorti le cas échéant d'une mise en garde pour l'avenir tout comme le refus d'y procéder ne constituent pas des décisions faisant grief susceptibles de faire l'objet d'un recours contentieux (13 février 2018, Commune de Cassis, n° 406425)

 

4 - Association syndicale autorisée – Décret portant actualisation des surtaxes temporaires perçues sur les usagers d’un canal – Conditions de la consultation – Insuffisance.

L'association syndicale autorisée (ASA) de Saint-Andiol demande, d’une part, l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 13 avril 2016 portant actualisation des surtaxes temporaires perçues sur les usagers du canal des Alpines septentrionales et application d'une clause de révision de ces surtaxes, qui a été pris sur le fondement de l'article L. 151-31 du code rural et de la pêche maritime, d’autre part, l’annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant au retrait de ce décret. 

Le Conseil d’Etat juge, par une solution prétorienne expédiente et bien venue, qu’en l'absence de toute association des usagers d'un canal, il appartient au ministre chargé de l'agriculture, à défaut de pouvoir entendre les représentants d'une telle association, de consulter, à titre de garantie équivalente à celle qui est prévue par l'article précité, les usagers eux-mêmes, le cas échéant par l'intermédiaire des maires des communes dont ils relèvent. Or si une réunion d’information a été organisée, en présence du sous-préfet d'Arles, par le syndicat intercommunal auquel ce canal a été concédé, il n’est pas établi que les usagers, alors même qu'ils ne se seraient pas constitués en association, aient pu faire valoir leurs observations avant cette réunion auprès des maires, durant celle-ci ou après qu'elle s'était déroulée. Cette privation d’une garantie entache le décret attaqué d'irrégularité ce qui entraîne son annulation. (20 février 2018, Association syndicale autorisée (ASA) de Saint-Andiol, n° 404446)

 

Audiovisuel et numérique

 

5 - CSA - Appel aux candidatures en vue de l'exploitation d'un service privé de télévision par voie hertzienne terrestre en mode numérique – Rejet d’une candidature – QPC, refus de transmission.

L'Association sportive culturelle chrétienne audiovisuelle se porte candidate à l’attribution d’une fréquence dont l’autorisation était venue à expiration. Sa candidature est refusée par le CSA. La cour administrative d’appel ayant refusé de transmettre une QPC, elle en saisit le Conseil d’Etat estimant que l’art. 30-1 de la loi du 30 septembre 1986 porte atteinte aux droits et libertés que garantit la Constitution en ce qu’il prévoit que le CSA « procède à une audition publique des candidats ».

Sans surprise, le Conseil d’Etat constate qu’au contraire une telle audition tend à assurer la mise en œuvre de l’exigence de transparence de la procédure d’attribution des fréquences. Vainement, l’association requérante invoque-t-elle le secret des affaires pour critiquer cette publicité alors que ce secret n’est pas au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution. Semblablement elle ne saurait invoquer l’atteinte à la liberté d’entreprendre ou à l’égalité entre les candidats. C’est à bon droit que lui a été opposé un refus de transmission de la QPC.

La requérante avançait ensuite trois arguments de fond contre la décision du CSA. En premier lieu, le non respect par le CSA de l’art. 28-1 de la loi précitée qui fixe à huit mois après la clôture de l’appel aux candidatures le délai dans lequel le CSA doit rendre sa décision d’attribution. Ce délai n’est pas prescrit à peine de caducité de la décision d’attribution prise après l’expiration de celui-ci ni non plus à peine de nullité. En deuxième lieu, contrairement à l’argumentation de la requérante, il est loisible au CSA – sans porter atteinte au principe d’impartialité - d’attendre le cas échéant, pour clôturer l’appel à candidatures, la clarification de la situation juridique de l’une d’elles. Enfin, en jugeant que le CSA avait pu légalement estimer que le projet de l'association requérante contribuerait dans une moindre mesure à l'impératif prioritaire de sauvegarde du pluralisme des courants d'expression socioculturels et répondrait moins bien à l'intérêt du public que le projet de la société Média H Antilles Guyane la cour a usé de son pouvoir souverain d’appréciation qui, en l’absence de dénaturation, ne peut être discuté en cassation. (22 février 2018, Association sportive culturelle chrétienne audiovisuelle, n° 408410). V. aussi n° 68 et n° 90

 

6 - CSA - Retrait de son mandat à un président d’une société audiovisuelle – Absence d’intérêt pour agir d’une association au regard de son objet social – Absence d’intérêt pour agir contre une décision individuelle du CSA.

L'association requérante fait valoir qu'elle a notamment pour objet social, selon ses statuts, de « veiller à l'indépendance des médias publics, leur stratégie, leur gestion, leur engagement éditorial » et de « contribuer à leur renforcement, ceci incluant d'éventuels recours contre les décisions injustifiées ou contraires au droit de ces organismes ... ». L’intérêt ainsi invoqué n'est pas de nature à lui donner qualité pour demander la suspension, ni d'ailleurs l'annulation, de la décision individuelle par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel retire son mandat au président de l'une des sociétés mentionnées à l'article 47-5 de la loi du 30 septembre 1986. (28 février 2018, Association de défense de l'audiovisuel public (ADAP), n° 418547)

 

Biens

 

7 - Transfert de biens entre personnes publiques – Régime – Droit de propriété – Cas des contributions en vue de la constitution des droits à pension – Modification rétroactive d’une règle par la loi ou validation rétroactive, par elle, d’actes administratifs.

Cette décision apporte une importante précision relative au droit de propriété et confirme une jurisprudence désormais bien établie en matière de rétroactivité et de validation.

Sur le premier point, il convient de citer le considérant essentiel : « Considérant, d'une part, que si la protection du droit de propriété, qui résulte des articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789, ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers mais aussi la propriété de l'Etat et des autres personnes publiques, le droit au respect des biens garantis par ces dispositions ne s'oppose pas à ce que le législateur, poursuivant un objectif d'intérêt général, autorise, sans contrepartie, le transfert de biens entre personnes publiques ; qu'il en va ainsi des charges qui s'attachent à la constitution des droits à la retraite pour les agents publics (des collectivités territoriales) ; ».

Sur le second point, rappel est fait des conditions très strictes de régularité auxquelles sont soumises les lois à portée rétroactive, notamment celles validant des actes administratifs. Elles doivent respecter les décisions de justice ayant force de chose jugée et le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions. Ensuite, l'atteinte aux droits des personnes pouvant résulter de cette rétroactivité doit être justifiée par un motif impérieux d'intérêt général. Egalement, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf si le motif impérieux d'intérêt général est lui-même de valeur constitutionnelle. Enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie. (7 février 2018, Centre hospitalier de Calais, n° 414552) 

 

8 - Domanialité publique d’une parcelle – Clause de renouvellement tacite d’une convention d’occupation – Saisine possible du juge du contrat – Arrivée du terme du contrat – Effets sur le refus d’appliquer la clause de reconduction tacite.

Une personne, et son épouse avant elle, exploite depuis 1986 un établissement de restauration rapide sur une parcelle communale sur la base d’une convention d’occupation renouvelable annuellement par tacite reconduction moyennant l’acquittement d’une redevance. En 2016 le maire décide de faire obstacle au renouvellement du titre d'occupation de l’intéressé à compter du 29 septembre 2016, date d'échéance de la convention annuelle alors en cours, ceci afin de procéder aux travaux de renforcement de la falaise surplombant la parcelle, lesquels impliquaient de démonter au préalable l'établissement de restauration rapide.

Le juge des référés du tribunal administratif de Rennes ayant rejeté la demande de suspension de la décision du maire, le demandeur se pourvoit en cassation.

Le Conseil décide d’abord que cette parcelle fait partie du domaine public sur la base des éléments suivants : la parcelle litigieuse jouxte la promenade située en front de mer, le long de l'estuaire de la Rance, elle accueille une aire publique de stationnement et des toilettes publiques, elle constitue ainsi un élément d'un espace présentant une unité physique et fonctionnelle affecté à l'usage direct du public.
Puis, il note que si le juge du contrat était compétent pour connaître de la contestation de la validité de la décision de la commune de Saint-Suliac de faire obstacle à la clause de renouvellement tacite de la convention d'occupation du domaine public, cette décision a, une fois passé le terme de ce contrat, fixé au 29 septembre 2016, été entièrement exécutée. La demande de suspension de cette décision est donc devenue sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer. (16 février 2018, M. X., n° 402542)

 

9 - Référé de l’art. L. 521-3 – Audience publique non prévue – Expulsion d’occupants du domaine public – Gravité de la mesure et quasi-irréversibilité de ses effets – Obligation, quoique non prévue par les textes, de tenir une audience publique.

En principe, lorsque le juge des référés statue sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, l’art. L. 522-1 du même code ne prévoit pas la tenue d'une audience publique. Toutefois, quand cette procédure est utilisée à l’égard d’une demande d'expulsion d'un occupant du domaine public, le Conseil d’Etat estime, par une création purement prétorienne, que le juge des référés, eu égard au caractère quasi-irréversible de la mesure qu'il peut être conduit à prendre, aux effets de celle-ci sur la situation des personnes concernées et dès lors qu'il se prononce en dernier ressort, doit mettre les parties à même de présenter, au cours d'une audience publique, des observations orales à l'appui de leurs observations écrites. En l’espèce, faute que les parties aient été convoquées à une audience publique, l'ordonnance attaquée est intervenue au terme d'une procédure irrégulière. D’où l'annulation. (16 février 2018, Société Prest’Air, n° 413617)

 

Collectivités territoriales

 

10 - Libre administration des collectivités locales – Autonomie financière – Réforme de la taxe professionnelle – QPC.

Des collectivités territoriales se sont émues de ce que l'article 78 de la loi du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 a institué, à compter de l'année 2011, une dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) et créé un fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR). En vertu du 1 et du 2 de cet article, les montants de la DCRTP et des prélèvements et reversements au FNGIR sont déterminés en intégrant notamment le montant de la compensation du produit théorique de la taxe professionnelle 2010.

La commune de Villers-Saint-Paul (Somme) a perçu, en 2010, une compensation relais en remplacement de la taxe professionnelle et a reçu une notification, en 2011, des montants de la DCRTP et du FNGIR qui la concernaient.

Elle a demandé au directeur départemental des finances publiques de l'Oise de prendre en compte, dans le calcul de ces montants, les rôles supplémentaires de taxe professionnelle qui ont été émis depuis cette notification. Déboutée en première instance et en appel, elle saisit le Conseil d’Etat d’un pourvoi et demande la transmission de deux QPC. 

La commune avait invoqué par la première QPC la violation du principe d’égalité (art. 6 Déclaration de 1789) découlant de la fixation d’une date unique pour l’ensemble du territoire national pour la prise en compte des rôles supplémentaires de taxe professionnelle ou de taxes foncières. La commune requérante s’entend répondre – ce qui est très classique – que si le principe d’égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit, il n'en résulte pas pour autant que le principe d'égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes, ce qui est très souvent perdu de vue par les requérants. L’absence de fixation de dates différenciées ne porte donc pas atteinte à ce principe.

Quant à la seconde QPC, fondée sur la violation du principe d’égalité devant les charges publiques (art. 13 Déclaration de 1789) et sur celle du principe de libre administration des collectivités territoriales, à raison de la perte de ressources fiscales qu'entraînerait l'application de la date du 30 juin 2011 pour pouvoir corriger le montant de la compensation relais, elle est également rejetée après cassation de l’arrêt d’appel pour une question de procédure et examen au fond de la demande. D’une part, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objectif poursuivi et il n'en résulte pas une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. D’autre part, le juge note que les règles fixées par la loi en cause ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources des collectivités territoriales ou d'accroître les obligations mises à leur charge au point d'entraver leur libre administration. De plus, les dispositions contestées n'ont pas pour effet d'empêcher toute correction du montant de la compensation relais et, par voie de conséquence, des dotations au titre de la DCRTP et du FNGIR, mais d'encadrer cette possibilité dans le temps.

Pour le surplus l’un des moyens, nouveau en appel, est déclaré irrecevable. L’autre moyen, au contraire, conduit à l’annulation de l’arrêt en tant qu’il a considéré qu’un courrier de la commune n’avait que « le caractère d'une simple demande d'information » et que la réponse qui lui a été donnée par l’administration ne faisait pas grief, ce qui constitue une qualification juridique erronée. (20 février 2018, Commune de Villers-Saint-Paul, n° 413658). V. aussi, du même jour, sous le n° 413653, Communauté d'agglomération Creil Sud Oise.

 

11 - Enlèvement des ordures ménagères – Taxe et taxe spéciale – Contrôle du juge – Mécanisme de ce contrôle.

Le Conseil d’Etat fait ici un rappel salutaire de sa directive de contrôle dans une matière où nombreuses sont les critiques et les contestations car fréquentes sont aussi les dérives. Il suffit de le citer : «  Il résulte de ce qui précède qu'il appartient au juge de l'impôt, pour apprécier la légalité d'une délibération fixant le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, que la collectivité ait ou non institué la redevance spéciale prévue par l'article L. 2333-78 du code général des collectivités territoriales et quel qu'en soit le produit, de rechercher si le produit de la taxe, tel qu'estimé à la date de l'adoption de la délibération, n'est pas manifestement disproportionné par rapport au coût de collecte et de traitement des seuls déchets ménagers, tel qu'il pouvait être estimé à cette même date, non couvert par les recettes non fiscales affectées à ces opérations, c'est-à-dire n'incluant pas le produit de la redevance spéciale lorsque celle-ci a été instituée. Lorsque le contribuable se prévaut, à l'appui de sa contestation de la légalité de cette délibération, de ce que les éléments retracés dans le compte administratif ou le rapport annuel relatif au service public d'élimination des ordures ménagères établis à l'issue de l'année en litige font apparaître que le produit constaté de la taxe excède manifestement le montant constaté des dépenses d'enlèvement et de traitement des ordures ménagères non couvertes par des recettes non fiscales, il appartient au juge de rechercher, au besoin en mettant en cause la collectivité et en ordonnant un supplément d'instruction, si les données prévisionnelles, découlant notamment des éléments retracés dans le compte administratif ou le rapport annuel relatif au service public d'élimination des ordures ménagères relatifs à l'année précédente, au vu desquelles la délibération a été prise diffèrent sensiblement de celles, constatées a posteriori, sur lesquelles le requérant fonde son argumentation. » L’application de cette méthodologie au cas de l’espèce conduit à l’annulation de la délibération litigieuse. (28 février 2018, Ministre de l’Economie et des Finances, n° 408016)

 

12 - Elections des représentants d’une commune à un établissement de coopération intercommunale – Régime contentieux – Alignement sur celui applicable à toute élection locale – Intérêt pour agir en contentieux électoral.

Les protestations dirigées contre les opérations électorales par lesquelles un conseil municipal désigne les délégués de la commune à l'assemblée d'un établissement public de coopération intercommunale doivent être formées dans les conditions, formes et délais prescrits pour les réclamations contre les élections du conseil municipal. Il en va de même pour l'appel d'un jugement statuant sur de telles protestations. Il s'ensuit qu'une commune n'a pas la qualité de partie devant le juge de l'élection saisi d'une contestation relative à l'élection de conseillers communautaires et qu’elle ne peut donc pas faire appel d'un jugement annulant les opérations électorales par lesquelles un conseil municipal désigne ses délégués, alors même qu'elle aurait été mise en cause devant le tribunal administratif. La requête de la commune de Gréasque est irrecevable et doit être rejetée. (20 février 2018, Commune de Gréasque, n° 411843)

 

13 - Collectivité territoriale – Transfert de compétence – Non ici – Décret créant un diplôme d'Etat d'accompagnant éducatif et social – Accroissement des charges prétendu contraire au principe constitutionnel de libre administration – Compensation, ici non.

Un décret du 29 janvier 2016 crée un diplôme d'Etat d'accompagnant éducatif et social, en remplacement des diplômes d'Etat d'auxiliaire de vie sociale et d'aide médico-psychologique. Un arrêté du même jour définit les modalités d'accès à la formation, le contenu et l'organisation de cette formation, ainsi que les modalités de certification du diplôme d'Etat d'accompagnant éducatif et social. La région Provence-Alpes-Côte d'Azur a demandé en vain l'abrogation de ces textes et a saisi le Conseil d’Etat.

Celui-ci rejette la demande d’abord en jugeant que si ces textes, qui réforment la formation des accompagnants éducatifs et sociaux, dans le cadre de la compétence déjà transférée aux régions par des lois du 13 août 2004 et du 5 mars 2014, ils n'ont cependant ni pour objet, ni pour effet de transférer des compétences vers les régions ou de leur en créer ou d’étendre celles déjà existantes, au sens de l'article 72-2 de la Constitution.

Il juge ensuite que même en admettant que cette réforme crée pour la région des charges nouvelles, il est constant que les dispositions de l'article L. 1614-2, al. 2 du CGCT ne subordonnent pas la légalité de la modification des règles relatives à l'exercice de compétences transférées à la compensation des charges nouvelles qui en résultent. Ce grief n’est donc pas fondé. Il appartient seulement aux régions de contester l'absence de compensation, si elles s’y croient fondées, notamment en demandant l'annulation du refus des ministres compétents de prendre l'arrêté prévu par l'article L. 1614-3 du CGCT.

Enfin, à supposer encore que, comme le soutient la région requérante, les décret et arrêté attaqués ont pour effet d'accroître les charges qui lui incombent en vertu des articles L. 451-2 et L. 451-2-1 du code de l'action sociale et des familles, il n’est pas établi que ces charges nouvelles sont d’une ampleur telle qu’elles seraient de nature à dénaturer le principe de libre administration des collectivités territoriales garanti par l'article 72 de la Constitution.

On peut critiquer un raisonnement qui se propose de mesurer l’existence de charges nouvelles recours par recours ou par texte qui est déféré, au lieu d’opérer une appréciation globale de la charge depuis la réforme constitutionnelle qui a pratiqué les transferts jusqu’au jour où le juge est saisi. (21 février 2018, Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, n° 404879)

 

14 - Revenu de solidarité active (RSA) – Compétence du département – Gestion par convention par des caisses de sécurité sociale ou de mutualité sociale agricole – Droit exclusif d’action en justice du président du conseil départemental.

Les caisses d'allocations familiales ou de mutualité sociale agricole assurent la gestion du service du RSA pour le compte des départements. Il s’ensuit que, sauf si la convention conclue à cet effet entre elles et le département leur a délégué la compétence du département pour agir en justice, le président du conseil départemental a seul qualité (art. L. 3221-10-1 CGCT) pour former un pourvoi en cassation contre un jugement statuant sur une action contentieuse relative au RSA, quand bien même la caisse d'allocations familiales ou de mutualité sociale agricole aurait été appelée à l'instance pour produire des observations devant le tribunal administratif. A défaut d’une telle délégation, le pourvoi introduit par ces caisses est irrecevable. On rappelle toutefois qu’en cas de délégation du droit d’agir en justice, le département et les caisses délégataires sont concomitamment compétents à cet effet. (21 février 2018, Caisse d’allocations familiales de Paris, n° 412349)

 

Contrats

 

15 - Conclusion provisoire d’une concession – Conditions devant être réunies – Contrôle du juge.

Lorsqu’un contrat en cours d’exécution ne peut plus être assuré par son titulaire et que la personne publique ne peut – ou ne veut – l’exécuter elle-même, il est possible à cette dernière de conclure à titre provisoire un nouveau contrat (ici une concession de service relative à l'exploitation de mobiliers urbains d'information à caractère général ou local, supportant de la publicité) sans respecter au préalable les règles de publicité prescrites. Trois conditions doivent être impérativement réunies : l’existence d’une urgence, la présence d’un motif d'intérêt général tenant à la continuité du service public, la limitation de la durée de ce contrat provisoire au temps d’organisation d’une procédure de mise en concurrence et d’attribution de celui-ci à un nouveau titulaire ou, si est décidée une reprise en régie, le temps nécessaire à son organisation.

En l’espèce, est déniée l’existence d’une urgence en raison de ce que, par son retard à mettre en œuvre la procédure adéquate, la Ville de Paris s’est mise elle-même dans cette situation.

Est également rejeté l’argument tiré de la continuité du service public, au regard de l’ensemble des moyens d’information et de diffusion dont cette commune dispose.

Est encore refusée la prise en considération d’éléments financiers allégués par la Ville car ils ne sauraient concourir à la satisfaction de l’intérêt général.  

On doit approuver la fermeté dont le juge fait preuve ici, à peine que ne soit dévoyé l’objectif que poursuivent les textes en matière de publicité et de mise en concurrence. (5 février 2018, Ville de Paris, n° 416581)

 

16 - Marchés relevant du régime dérogatoire de l’art. 14, 13° a/ et b/ de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics – Nature juridique – Loi applicable : ici loi française.

Il convient de souligner l’importance de cette décision dont le contenu et la portée dépassent largement ceux du seul cadre du présent litige.

 Aux termes d’un accord entre le Gouvernement français et l'Agence spatiale européenne, relatif au Centre spatial guyanais et aux prestations associées, le Gouvernement français garantit que l'ensemble de soutien au lancement du centre spatial sera mis à la disposition de l'Agence spatiale européenne pour ses programmes et activités ainsi que de la phase d'exploitation des fusées Ariane, Vega et Soyouz. L’Etat français garantit, par cet accord, que l'ensemble de soutien au lancement du Centre spatial guyanais sera rendu et maintenu compatible avec les besoins de ces activités de développement et d'exploitation. L'article 4.1 de l'accord, désigne le Centre national d’études spatiales (CNES) comme l'autorité chargée, au nom du Gouvernement français, de l'exécution de l'accord pour les fonctions techniques et opérationnelles qui relèvent de sa compétence. En application de l'article 8 de cet accord, une convention a été conclue entre le CNES et l'Agence spatiale européenne pour préciser notamment les prestations à fournir par le CNES en vue du maintien permanent en conditions opérationnelles de l'ensemble de soutien au lancement du centre spatial guyanais. L'article 8.1 de cette convention dispose que les actes d'achat relatifs à l'exécution de ce contrat sont passés « en conformité avec les règles de passation des contrats du CNES dans la mesure où ces dispositions ne sont pas contraires aux obligations du CNES au titre du présent contrat ».

Un contentieux s’étant élevé, le juge administratif du référé précontractuel fut saisi. Une double question devait être résolue par le Conseil d’Etat : celle de la compétence du juge administratif français, celle, au sein de celui-ci, du juge du référé précontractuel.

Pour répondre positivement à ces deux questions, le Conseil d’Etat procède ainsi.

Concernant la compétence du juge administratif français.

L’une des parties soutenait l’incompétence de celui-ci au motif que l’art. 14 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics dispose : « la présente ordonnance n'est pas applicable aux marchés publics passés par les pouvoirs adjudicateurs et qui présentent les caractéristiques suivantes : (...) 13° Les marchés publics qui sont conclus :  a) Selon la procédure propre à une organisation internationale lorsque le marché public est entièrement financé par cette organisation internationale ; / b) Selon la procédure convenue entre une organisation internationale et l'acheteur lorsque le marché public est cofinancé majoritairement par cette organisation internationale (...) ". Le Conseil d’Etat procède en deux temps : ce contrat ne relève que de la loi française et il est de nature administrative.

Tout d’abord, pour dire le contrat litigieux régi par la loi française, le juge relève qu’en l’espèce il n’a pas été pas passé par l'Agence spatiale européenne, ce qui l’aurait fait échapper au droit français, mais par le CNES, établissement public industriel et commercial de l'Etat, pour les besoins du centre spatial guyanais, en application de l'accord international conclu entre le Gouvernement français et l'Agence spatiale européenne. Au reste, la convention conclue entre le CNES et l'Agence spatiale européenne prévoit l'application du droit français, plus précisément des règles de passation des contrats du CNES dans la mesure où elles ne sont pas contraires aux obligations du CNES au titre de ladite convention. Même si l'Agence spatiale européenne est, en droit, associée au processus des décisions relatives à la politique d'approvisionnement du CNES au centre spatial guyanais et si elle doit, à ce titre, être invitée à participer aux commissions de sélection des candidatures et aux commissions de choix qui décident de l'attribution des contrats, il n’en reste pas moins qu’en l’espèce les contrats dont la procédure de passation est contestée ne peuvent être regardés comme des contrats passés conjointement par l'Agence spatiale européenne et le CNES. Ils sont conclus par le CNES en son nom, pour le compte de l'Etat. C’est pourquoi ils sont et ne peuvent être soumis qu’à la loi française.

Ensuite, en principe, les contrats en cause n'ont pas le caractère de contrats administratifs par détermination de la loi. En effet, les contrats du CNES étant passés selon une procédure convenue entre le CNES et l'Agence spatiale européenne et étant financés majoritairement par celle-ci, ils relèvent du b) du 13° de l'article 14 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et ne sont donc, comme tels, pas soumis à ladite ordonnance.

Toutefois, le Conseil d’Etat relève, de façon très pragmatique, que « ces marchés sont soumis à un cahier des clauses administratives particulières élaboré par le CNES, qui renvoie aux différents cahiers des clauses administratives générales applicables aux marchés publics ; que pour le marché litigieux, est ainsi rendu applicable le cahier des clauses administratives générales des marchés de fournitures courantes et de services ; d'autre part, que l'exécution de ce contrat est également régie par le cahier des clauses administratives particulières du CNES, lequel confère à l'établissement public des prérogatives particulières à l'égard de ses cocontractants pour assurer, pour le compte de l'Etat, sa mission régalienne tendant à l'exécution des engagements internationaux liant la France à l'Agence spatiale européenne ; que ce renvoi au cahier des clauses administratives générales des marchés de fournitures courantes et de services et l'application du cahier des clauses administratives particulières du CNES doivent être regardés comme introduisant dans ces contrats des clauses impliquant dans l'intérêt général qu'ils relèvent d'un régime exorbitant de droit public ; que l'existence de ces clauses confère par suite à ces contrats un caractère administratif ». 

Conclusion : ces contrats du CNES, passés pour l’exécution de son accord avec l’Agence spatiale européenne, sont des contrats relevant du droit administratif français et donc de la juridiction administrative.

Concernant la compétence du juge des référés précontractuels.

La circonstance que le contrat en cause ne relève pas de l’ordonnance sur les marchés publics ne suffit pas pour exclure la compétence du juge du référé précontractuel à son égard. En effet, ce dernier est bien compétent pour en connaître parce que le marché litigieux a pour objet de confier des prestations relatives au transport, à la logistique et à la manutention en contrepartie d'un prix, il entre donc pleinement dans la catégorie des contrats de prestations de services, lesquels relèvent du juge du référé précontractuel en vertu de l'article L. 551-1 CJA. Par suite, ces contrats sont soumis aux principes de liberté d'accès à la commande publique et d'égalité de traitement des candidats et à la règle de transparence des procédures qui en découle. (5 février 2018, Société Peyrani, CNES et Société Idex Energie, n° 414846)

 

17 - Marché public de voyageurs (transport scolaire) – Critères et sous-critères – Offre anormalement basse – Absence de contrôle du juge du référé précontractuel sur la capacité d’un candidat à assurer le contrat.

Dans cette intéressante affaire le Conseil d’Etat rappelle plusieurs solutions déjà antérieurement bien acquises.

Tout d’abord, lorsque, pour fixer un critère ou un sous-critère d'attribution du marché, le pouvoir adjudicateur prévoit que la valeur des offres sera examinée au regard d'une caractéristique technique déterminée, il lui incombe d'exiger la production de justificatifs lui permettant de vérifier l'exactitude des informations données par les candidats.

Ensuite, lorsqu'une personne morale de droit privé se porte candidate à l'attribution d'un contrat de commande publique, il n’appartient pas au juge de vérifier que l'exécution de ce contrat entre dans le champ de son objet social.

Egalement, le juge n’exerce qu’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur l’appréciation par le pouvoir adjudicateur du caractère suffisant des moyens techniques proposés.

Enfin, est rappelé le régime de l’offre anormalement basse.  Il appartient au pouvoir adjudicateur en présence d’une offre jugée anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. A défaut de réponse satisfaisante et si ce prix est de nature à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre. Mais – et c’est là le rappel d’une solution habituelle - le fait qu’une offre soit plus basse qu’une autre ne suffit pas à la faire regarder ipso facto comme anormalement basse. (5 février 2018, Métropole Nice Côte d’Azur, n° 414508)

 

18 - Contrat – Clause réglementaire – Notion et régime – Absence ici –  Recours des tiers – Décision ni réglementaire ni individuelle – Acte sui generis.

Revenant une nouvelle fois sur la typologie des recours possibles contre un contrat administratif, le juge apporte dans cet arrêt deux précisions.

S’agissant des tiers, ceux-ci disposent, d’une part, du recours de pleine juridiction contre le contrat, d’autre part, du recours pour excès de pouvoir pour solliciter l'annulation des clauses réglementaires contenues dans un contrat administratif, lorsque celles-ci portent une atteinte directe et certaine à ses intérêts. L’innovation vient de ce que le juge ajoute ici cette précision nouvelle selon laquelle les tiers sont également recevables à demander, par la voie du recours pour excès de pouvoir, l'annulation du refus d'abroger de telles clauses à raison de leur illégalité. C’est une solution logique et bien venue. En effet, déjà en matière d’acte unilatéral le juge aperçoit dans le refus de prendre une décision ou de l’abroger une décision de même nature que celle qui aurait du être prise ou abrogée.

S’agissant de déterminer la nature réglementaire d’une clause contractuelle, l’arrêt rappelle que de façon générale « revêtent un caractère réglementaire les clauses d'un contrat qui ont, par elles-mêmes, pour objet l'organisation ou le fonctionnement d'un service public ». En l’espèce, où le litige portait sur une convention de concession autoroutière, il précise d’abord ce que sont positivement ces clauses : celles qui définissent l'objet de la concession et les règles de desserte, ainsi que celles qui définissent les conditions d'utilisation des ouvrages et fixent les tarifs des péages applicables sur le réseau concédé. Il indique ensuite celles qui n’ont pas cette nature : les stipulations relatives notamment au régime financier de la concession ou à la réalisation des ouvrages, qu'il s'agisse de leurs caractéristiques, de leur tracé, ou des modalités de cette réalisation. Ces dernières clauses n’ont qu’un caractère purement contractuel. En l’espèce, les clauses contestées par la voie du recours pour excès de pouvoir ne revêtant pas une nature réglementaire, le recours contre la décision refusant de les abroger est irrecevable.

Enfin, le juge est amené à se prononcer sur la nature juridique de la décision par laquelle la ministre de l'écologie, au moyen d’un avenant, a autorisé la société concessionnaire à exécuter les travaux nécessaires à la réalisation d'une bretelle de sortie de l'autoroute A4. Celle-ci ne constitue pas une décision réglementaire et ne présente pas davantage le caractère d'une décision administrative individuelle. Elle constitue donc un acte sui generis et devait être attaquée dans le délai de droit commun de deux mois, la requête était donc, à cet égard, tardive. (9 février 2018, Communauté d'agglomération Val d'Europe agglomération, n° 404982)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

19 - Prescription quadriennale, point de départ – Fait générateur – Acte interruptif de la prescription.

Lorsqu’est sollicitée la réparation du préjudice causé par une illégalité fautive, le point de départ du délai de prescription quadriennale doit être rattaché non à l’exercice au cours duquel la décision a été prise mais celui au cours duquel elle a été valablement notifiée à son destinataire ou portée à la connaissance du tiers intéressé.

Une constitution de partie civile dans le cadre de la procédure pénale constitue un fait interruptif de la prescription quadriennale (solution a contrario ici). (5 février 2018, M. X., n° 401325)

 

20 - Notion de « maître de l’affaire » pour l’application de la loi fiscale – Existence ou non d’un établissement stable en France – Convention fiscale franco-britannique de 1968 – Notion de revenu distribué – Principe que « le criminel tient le civil en état » – Caractère absolu et d’ordre public – Possibilité de l’invoquer pour la première fois en cassation.

Bien étrange affaire que celle-ci. Une société de droit britannique installée sur la Côte d’Azur y déploie une activité de marchand et de gestion de biens. L’administration fiscale, au vu de divers éléments de fait et de droit, désigne l’intéressée comme étant le « maître de l’affaire » dans le cadre d’un établissement stable et donc comme redevable d’impositions. La cour administrative d’appel rejette le recours dirigé contre cette décision administrative d’assujettissement. Le juge de cassation confirme en tous points cet arrêt.

Un coup de théâtre se produit car la cour d'appel d'Aix-en-Provence a, par un arrêt du 29 mars 2016, relaxé l’intéressée des chefs de soustraction frauduleuse à l'établissement et au paiement, d'une part, de taxe sur la valeur ajoutée et, d'autre part, d'impôt sur les sociétés, faits pour lesquels elle était poursuivie au titre des seuls exercices clos les 31 décembre 2006 et 31 décembre 2007. Elle a prononcé cette relaxe dans des termes tels qu’ils sont l’exact contrepied de ce qu’avaient décidé la cour administrative d’appel et le Conseil d’Etat. C’est l’occasion pour le Conseil de rappeler l’étendue de l'autorité de la chose jugée par une décision définitive du juge répressif. Celle-ci s'impose aux juridictions administratives quant à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif. En revanche, elle ne s'attache pas aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité.

Au plan technique, le moyen tiré de la méconnaissance de l’autorité de cette chose jugée, qui présente un caractère absolu, est d'ordre public. Ceci explique qu’elle puisse être invoquée, comme au cas de l’espèce, pour la première fois devant le Conseil d'Etat, juge de cassation. Il en va ainsi même si le jugement pénal est intervenu postérieurement à la décision de la juridiction administrative frappée de pourvoi devant le Conseil d'Etat. Annulation de l’arrêt d’appel en tant qu’il statue sur les impositions des deux années 2006 et 2007. (16 février 2018, Mme X., n° 395371)

 

21 - Interprétation d’une décision du Conseil constitutionnel par la directrice nationale des vérifications des situations fiscales – Absence de caractère d’une circulaire ou d’une instruction fiscale – Absence de doctrine opposable à l’administration – Impossibilité de la contester par la voie du recours pour excès de pouvoir.

Après qu’en réponse à une QPC, le Conseil constitutionnel (n° 2016-554 QPC du 22 juillet 2016) a déclaré contraire à la Constitution les dispositions du second alinéa de l’art. 1649A du code général des impôts (répression, au moyen d’une amende proportionnelle, du défaut de déclaration des comptes ouverts, utilisés ou clos à l’étranger), la directrice nationale des vérifications des situations fiscales a fait savoir, par courrier électronique, que si l’amende proportionnelle n’était plus appliquée désormais, l’amende « simple » continuait, elle, à être infligée. Contestant cette dernière affirmation, le requérant en a sollicité l’annulation par la voie d’un recours pour excès de pouvoir. Ce dernier est rejeté car il ne peut être dirigé que contre une décision administrative ce que n’est pas la réponse en cause car elle n’a pas le caractère et donc la nature d’une circulaire ou d’une instruction fiscale qui la rendrait opposable aussi bien à l’administration fiscale elle-même qu’aux contribuables. (7 février 2018, M. X., n° 402034)

 

22 - Maintien au Bulletin officiel des finances publiques (BOFIP) d’un commentaire administratif contraire à une décision du Conseil constitutionnel – Recours pour excès de pouvoir possible – Annulation.

Suite à la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-660 QPC du 6 octobre 2017 déclarant inconstitutionnelle une disposition du code général des impôts (1er alinéa du I de l'article 235 ter ZCA), plusieurs établissements concernés ont sollicité l’annulation pour excès de pouvoir du paragraphe n° 70 des commentaires administratifs publiés le 2 mars 2016 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-IS-AUT-30 en ce qu’il maintenait l’application de la disposition inconstitutionnelle. Le recours est admis et le paragraphe litigieux annulé. (7 février 2018, Association française des entreprises privées (AFEP) et autres, n° 399024)

 

23 - Tutelle sur les organismes de crédit et les banques – Pouvoir de suspension de l’exécution d’une disposition statutaire – Etendue du pouvoir réglementaire de fixer des sanctions – Principe d’impartialité du pouvoir disciplinaire.

Cette décision apporte deux précisions importantes, la première étant bien moins connue que la seconde. En premier lieu, le pouvoir réglementaire, lorsqu'il est compétent pour fixer certaines règles d'exercice d'une profession, l'est également pour prévoir des sanctions administratives qui, par leur objet et leur nature, sont en rapport avec cette réglementation. Il en résulte que les statuts de l’organisme sous tutelle peuvent légalement définir d'autres sanctions que celles prévues par les textes (ici l'article R. 521-24 du code monétaire et financier).

En second lieu, la procédure de sanction, même de nature non juridictionnelle, doit être impartiale. Lorsque, comme en l’espèce, la procédure distingue des phases de poursuites, d'instruction et de sanction confiées à des autorités différentes, l'autorité chargée des poursuites ne peut pas assister ni participer à la délibération au cours de laquelle sera examinée la question de la sanction. Un doute sérieux pesant ici, de ce fait, sur la légalité de l’art. 29 litigieux des statuts, la suspension est ordonnée. (Ord. Réf. 7 février 2018, Crédit Mutuel Arkéa, la Fédération du Crédit Mutuel de Bretagne et la Fédération du Crédit Mutuel du Sud-Ouest, 417443)

 

24 - Responsabilité – Indemnisation – Intérêts – Intérêts de retard – Régime de la compensation entre sommes dues par des débiteurs (ancien art. 1289 à 1291 du code civil).

Une décision technique très illustrative de ces différentes questions et qui fait application très fidèle des dispositions du code civil. (14 février 2018, Société CMA CGM, n° 412196)

 

25 - Dégrèvement ou restitution d’imposition – Mesures fiscales gracieuses : notion et régime – Actes susceptibles de QPC.

La décision par laquelle l’administration fiscale refuse d’accorder au contribuable une remise purement gracieuse d’impositions (art. R. 211-1 du livre des procédures fiscales) est insusceptible de recours à raison même de sa nature. Le recours pour excès de pouvoir contre une telle décision est irrecevable et cette irrecevabilité est d’ordre public. Les moyens tirés de l'insuffisance de motivation, de la dénaturation et de l'erreur de droit qui entacheraient cette décision ne peuvent qu'être rejetés.

Par ailleurs, la disposition en cause étant de nature réglementaire, ne peut pas faire l’objet d’une QPC. (7 février 2018, Société Compagnie Wape, n° 416326)

 

26 - Société absorbante et transfert du déficit de la société absorbée – Exigence d’un agrément administratif – Réclamation : condition et délai – Délai pour présenter une réclamation en cas de reprise ou de rectification par l’administration fiscale : délai égal à celui dont dispose cette dernière.

Les dispositions du II de l'article 209 du code général des impôts, issues de l'article 85 de la loi du 28 décembre 2001 de finances pour 2002, ne prévoyant pas, contrairement à leur rédaction antérieure, que le déficit d’une société absorbée ne peut être transféré à la société absorbante que dans la mesure définie par l'agrément institué par ces dispositions, il s’ensuit que le montant du déficit mentionné dans celui-ci ne peut pas être opposé à un contribuable qui présenterait, dans les délais prévus par les textes en vigueur, une réclamation tendant au rehaussement de ce montant. 

L'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales dispose : " Dans le cas où un contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification de la part de l'administration des impôts, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations ". Cette disposition doit être interprétée comme permettant au contribuable de contester, non seulement l'imposition supplémentaire correspondant à cette rectification, mais encore l'imposition primitive à laquelle il avait été assujetti au titre de cet exercice. (7 février 2018, Ministre des finances et des comptes publics, n° 396926)

 

27 - Demande à bénéficier du statut de « jeune entreprise innovante » – Rejet – Conditions d’information – Notification complète non établie.

Une entreprise ayant sollicité le statut de « jeune entreprise innovante » bénéficie d’un régime fiscal de faveur. L’administration fiscale lui adresse des rectifications d’impositions motif pris que cette demande de statut avait fait l’objet d’avis négatifs par la délégation à la recherche de Rhône-Alpes. Sur recours de l’entreprise, la cour administrative d’appel a jugé que l’entreprise avait été informée en temps utile de ce refus et de ce rejet et que ceux-ci étaient régulièrement motivés. L’arrêt est cassé pour avoir prétendu que l’entreprise avait reçu deux courriers, le 20 décembre 2004 et le 20 avril 2005, l’informant de l’émission d’avis défavorables, auxquels étaient joints les avis négatifs, sans rechercher si ces courriers étaient réellement joints aux propositions de rectification d’impositions. D’où l’annulation des titres d’imposition. (7 février 2018, Société McKesson Information Solutions France, n° 397737)

 

28 - Trust – Régime fiscal – Commentaires administratifs de la loi fiscale – Illégalité.

Des commentaires administratifs décidaient, pour la détermination de l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune, l'inclusion des biens et droits placés dans un trust soit dans le patrimoine du constituant soit dans celui du bénéficiaire réputé constituant de ce trust, indépendamment du contenu de l'acte de trust et de la nature de celui-ci. Si le caractère irrévocable du trust ou le pouvoir discrétionnaire de gestion de son administrateur ne sauraient suffire à démontrer, à eux seuls, que les biens, droits et produits placés dans le trust ne confèrent aucune capacité contributive au constituant ou au bénéficiaire réputé constituant, il n’en reste pas moins que les caractéristiques de l'acte de trust ou ses stipulations annexes peuvent contribuer à une telle démonstration. En posant ainsi une présomption quasi-irréfragable quant au statut fiscal du trust, les commentaires administratifs contestés sont illégaux et doivent être annulés. (7 février 2018, M. et Mme X., M. X., n° 412027 et n° 412031)

 

29 - Principe du contradictoire et protection de certains secrets – Combinaison et régime – Cas du droit fiscal – Non admission d’une QPC.

Cette décision concerne l’application de la règle du respect des droits de la défense en présence de secrets protégés. Comment concilier les deux, notamment en matière fiscale ?

Selon une jurisprudence bien établie du Conseil d’Etat, fondée sur la combinaison des articles L. 76B et L. 103 du livre des procédures fiscales, l'administration fiscale ne peut, en principe, fonder un redressement sur des renseignements et des documents qu'elle a obtenus de tiers sans informer le contribuable de la teneur et de l'origine de ces renseignements et documents afin qu'il soit mis à même de demander, avant la mise en recouvrement des impositions, que les pièces concernées soient mises à sa disposition. Toutefois, dans les matières où existe un secret protégé, il peut être fait obstacle à la communication, au contribuable, de renseignements concernant un tiers, sans le consentement de celui-ci ou de toute personne habilitée à cet effet. Ce refus de communication ne fait pas obstacle à ce que, sous le contrôle du juge de l'impôt, les redressements soient fondés sur les renseignements ou documents communiqués au contribuable après occultation des informations qui seraient susceptibles de porter atteinte au secret professionnel.

En l’espèce, les requérants soutenaient que la combinaison des deux articles précités portait atteinte au principe constitutionnel du respect des droits de la défense (art. 16 de la Déclaration de 1789) et posaient des QPC.

Pour rejeter cette argumentation, le juge rappelle tout d’abord que ce principe ne s'applique pas aux décisions émanant des autorités administratives, sauf lorsqu'elles prononcent une sanction ayant le caractère d'une punition, il ne peut donc être invoqué au cas de l’espèce. Il indique aussi qu’en vertu de l’art. L. 80D du livre des procédures fiscales l'administration ne peut légalement fonder l'application de pénalités sur des éléments qui n'auraient pas été portés à la connaissance du contribuable au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait, et sur lesquels il a pu présenter des observations. Enfin, les règles générales de la procédure contentieuse interdisent au juge de se fonder sur des pièces qui n'auraient pas été soumises au débat contradictoire, à la seule exception des documents dont le refus de communication constitue l'objet même du litige. Par suite, il ne peut fonder sa décision sur le contenu de documents qui n'auraient pas été communiqués à l'autre partie, et ce alors même que ces documents auraient été couverts par un secret garanti par la loi. Ainsi, si l'administration produisait une pièce tout en indiquant qu'elle présente un caractère secret et ne peut être communiquée à l'autre partie, celle-ci ne pourrait qu'être écartée des débats sans pouvoir être utilisée par le juge pour fonder sa décision. Il s’ensuit qu’il ne saurait être soutenu que les articles précités permettraient au juge de l'impôt, en méconnaissance du principe constitutionnel des droits de la défense, de statuer sur le fondement de documents utilisés par l'administration pour établir l'imposition en litige et qui n'auraient pas été communiqués au contribuable dans leur intégralité. (14 février 2018, EURL Pièces, Pots, Métaux (RPPM), n° 416152)

 

30 - Droit fiscal – Société mère – Groupe fiscalement intégré – Impôt sur les sociétés – Régime.

La SAS Rhodia Opérations appartenait, au titre des années d'imposition en litige, à un groupe fiscalement intégré dont la société mère, Rhodia SA, était seule redevable de l'impôt sur les sociétés. L'administration fiscale prétendit rectifier le résultat déficitaire déclaré par la SAS. Saisi par la SAS Rhodia Opérations, la cour administrative jugea qu’elle était recevable à saisir le juge de l'impôt, en sa qualité de société membre du groupe, pour contester la rectification de son résultat déficitaire opérée par l'administration fiscale. Le Conseil d’Etat objecte au ministre auteur du pourvoi contre cet arrêt, que dès lors qu’il ne soutient pas que cette rectification aurait conduit à mettre à la charge de la société mère des impositions supplémentaires que celle-ci aurait acquittées, il n'est pas fondé à soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit. (21 février 2018, SAS Rhodia Opérations, n° 403988)

 

31 - Obligation au paiement solidaire de l’impôt – Exceptions et atténuations – Silence du législateur – Pouvoir de substitution du juge.

L'article 1691 bis du code général des impôts dispose au 2. de son II. que la décharge de l'obligation de paiement solidaire de l’impôt sur le revenu est accordée en cas de disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et, à la date de la demande, la situation financière et patrimoniale, nette de charges, du demandeur.

Le juge constate « l'absence de dispositions réglementaires précisant l'application du critère fixé au 2 du II de cet article ». Il décide, parce que la nature a horreur du vide, qu’« il appartient aux juges du fond, saisis d'un recours concernant une demande de décharge de l'obligation solidaire de paiement de l'impôt sur le revenu ou de la taxe d'habitation, d'apprécier souverainement l'existence, à la date de la demande, d'une disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale des conjoints, anciens conjoints ou partenaires, et la situation financière et patrimoniale, nette de charges, du demandeur, sans que n'ait d'influence à cet égard la durée maximale des plans de rééchelonnement ou d'apurement des dettes non professionnelles des personnes physiques. » Bel exemple d’auto-attribution d’un pouvoir normateur à la jurisprudence. (16 février 2018, Ministre de l’Economie et des Finances, n° 411778)

 

32 - Taux réduit de TVA applicable aux œuvres artistiques – Photographies – Notion de photographies artistiques – Difficulté sérieuse – Renvoi préjudiciel à la CJUE.

L’art. 103 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA institue un taux réduit de cette taxe pour les importations d'objets d'art, de collection ou d'antiquité tels que définis par cette directive. Parmi ces œuvres d’art figurent, selon ce même texte, les « photographies prises par l'artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus ». En l’espèce, l’administration fiscale avait remis en cause l’application du taux réduit dont bénéficiait la société redevable, qui a pour activité la réalisation et la vente de photographies, à la livraison de certaines photographies. Contestant cette décision, en vain en première instance et en appel, elle se pourvoit devant le Conseil d’Etat. La cour administrative d’appel avait écarté l’application du taux réduit car quelle que soit leur qualité, les portraits et les photographies de mariages en litige ne présentaient pas un caractère d'originalité et ne manifestaient pas une intention créatrice, susceptibles de les faire regarder, ne serait-ce qu'en partie, comme des photographies prises par un artiste. La société requérante récuse cette analyse au motif que la cour devait seulement se borner à vérifier si l'auteur des photographies en litige en avait contrôlé les tirages, les avait signées et les avait vendues, numérotées à moins de trente exemplaires. Son arrêt serait entaché d’erreur de droit.

Constatant que la réponse à ce moyen dépend de la question de savoir si les dispositions précitées de la directive du 28 novembre 2006 doivent être interprétées en ce sens qu'elles imposent seulement que des photographies soient prises par leur auteur, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus, pour pouvoir bénéficier du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée, le Conseil d’Etat décide en conséquence de renvoyer à la CJUE les questions préjudicielles qui sont soulevées à cette occasion. (20 février 2018, Société Regards Photographiques, n° 400837)

 

33 - Recours indemnitaire en matière fiscale – Requalification en recours en restitution – Office du juge – Compétence contentieuse.

L'administration est, en principe, tenue de restituer les impositions indûment perçues. Il en est notamment ainsi lorsque des fonds ont été illégalement prélevés sur un compte détenu par une personne qui n'en était pas débitrice en règlement de la dette fiscale d'un contribuable dont elle n'était pas solidairement responsable. Si cette personne dispose de la faculté d'exercer un recours de plein contentieux en restitution des fonds ainsi prélevés, l'existence de cette voie de droit, qui, exercée par un tiers n'ayant pas la qualité de contribuable ne se rattache ni au contentieux de l'assiette de l'impôt ni à celui de son recouvrement et à laquelle ne sont pas applicables les procédures fiscales, ne fait pas obstacle à ce qu'elle soit recevable à saisir le juge administratif d'un recours indemnitaire tendant à ce que la responsabilité de l'Etat soit engagée du fait de la perception indue des sommes en cause et à ce qu'il soit condamné à réparer le préjudice distinct de celui correspondant au paiement à tort de ces sommes. Lorsqu'un tribunal administratif est saisi de conclusions se présentant comme un recours en responsabilité mais ne tendant, en réalité, qu'à la restitution de la créance d'impôt indument perçue, il lui appartient de requalifier ces conclusions et de les traiter comme un recours en restitution. (20 février 2018, M. X., n° 393219)

 

34 - Cour des comptes – Recours en cassation du procureur général – Moyen soulevé d’office – Absence – Force majeure – Exonération du comptable public.

Le procureur général près la Cour des comptes se pourvoit en cassation contre un arrêt de la Cour infirmant partiellement un jugement de la chambre régionale des comptes de Basse-Normandie, Haute-Normandie qui avait constitué un comptable public débiteur d'une certaine somme. Il reproche à cet arrêt d’avoir soulevé d’office le moyen tiré de l’existence d’une situation de force majeure exonérant le comptable public. Pour rejeter ce pourvoi, le Conseil d’Etat affirme qu’en l’espèce la Cour n'a pas jugé qu'il appartenait au juge des comptes de soulever d'office un moyen tiré de l'existence d'un cas de force majeure mais qu’elle s'est bornée à définir, sans erreur de droit, l'office du juge des comptes en la matière. Il faut cependant reconnaître qu’entre « office du juge » et « relèvement d’office » la limite est, ici, bien ténue. (21 février 2018, Procureur général près la Cour des comptes, n° 404892)

 

Droit public économique

 

35 - Prix de vente des tabacs manufacturés – Principe de libre détermination des prix – Délai d’homologation – Liberté d’entreprendre et liberté du commerce et de l’industrie, limitations administratives – Monopole d’Etat sur la vente au détail de ces produits et règle d'unicité du prix des produits du tabac sur l'ensemble du territoire métropolitain.

Les prix de vente au détail des tabacs manufacturés font l’objet d’une homologation dans des conditions fixées par décret. Les requérants convainquent le juge qu’est illégal le décret qui n’indique ni la fréquence à laquelle, au cours de l'année civile, l'administration doit solliciter la communication des prix des produits du tabac ni le délai maximal dans lequel elle homologue les prix ainsi communiqués. Le Conseil d’Etat décide ensuite que c'est à l'administration qu'il revient de solliciter des fabricants la communication des prix devant être soumis à l'homologation. 

Interrogé sur le point de savoir s’il n’est pas ainsi porté atteinte à divers droits et libertés, le juge répond en trois points. 1°/ Il n’est, par cette procédure, porté atteinte au principe de libre détermination, par les fabricants, des prix de leurs produits. 2°/ Les atteintes portées ici à la liberté d’entreprendre ainsi qu’à la liberté du commerce et de l’industrie sont justifiées par l'intérêt général et ne sont pas disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. 3°/ Le décret critiqué, en réservant la faculté de communication des prix des produits du tabac à des fournisseurs agréés qui peuvent se trouver, par l'effet d'une intégration verticale, liés à d'autres fabricants, contraignent les intéressés à transmettre à ces fournisseurs des informations sur les prix qui relèvent de leur stratégie commerciale et sont de nature à porter une atteinte illégale au secret des affaires. Annulation partielle du décret attaqué. (7 février 2018, Société British American Tobacco France, n° 405705, et Fédération des fabricants de cigares, n° 405767)

 

Droit social et action sociale

 

36 - Plan de sauvegarde de l’emploi – Homologation – Etendue du contrôle de cassation sur l’analyse des faits par les juges du fond – Pouvoir souverain sous réserve de dénaturation des faits – Contrôle plein et entier de l’erreur de droit.

A l’occasion d’un recours contre l’homologation administrative d’un PSE, le Conseil d’Etat rappelle que le juge de cassation n’exerce sur l’ensemble des constatations de fait opérées souverainement par la cour administrative d’appel qu’un contrôle de la dénaturation des faits. (7 février 2018, Comité d'établissement de Bernouville de la société Altuglas international et autres, n° 403001).

En revanche est entier, comme cela est normal, dans le cadre d’un PSE, le contrôle de l’erreur de droit (7 février 2018, Société AEG Power Solutions, n° 407718 ; du même jour, Sociétés Tel and Com, L'enfant d'aujourd'hui et Squadra, n° 397900 et n° 406905, deux espèces). V. aussi n° 76

 

37 - Obligation pour une juridiction de statuer dans un certain délai à peine de dessaisissement – Régime – Rôle et pouvoirs de la juridiction supérieure – Accord collectif sur un plan de sauvegarde de l’emploi – Régime.

L’expiration du délai de trois mois imparti à la cour administrative d'appel - pour statuer en matière de plan de sauvegarde de l’emploi - par les dispositions de l'article L. 1235-7-1 du code du travail conduit le Conseil d'Etat, en application des mêmes dispositions et le délai de trois mois étant expiré, à statuer immédiatement sur l'appel formé devant la Cour.

Le code du travail (art. L. 1233-57-2) fixant limitativement les dispositions de ce code auxquelles un plan de sauvegarde de l'emploi ne peut déroger, il en résulte que l’accord collectif fixant un tel plan ne peut faire l'objet d'un refus de validation par l'autorité administrative seulement s'il méconnaît ces dispositions. (7 février 2018, Société Polymont IT Services et Société Laureau-Jeannerot, administrateur judiciaire, n° 403989 ; Ministre du travail de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, 2 espèces, n° 404077)

 

38 - Plan de sauvegarde de l'emploi – Décision implicite d’homologation – Point de départ du délai de recours contentieux.

Le Conseil d’Etat décide qu'il découle de dispositions du code du travail  (articles L. 1233-57-4 et L. 1235-7-1) que lorsque l’homologation du PSE résulte d’une décision implicite le délai de recours ne court, à l'égard des salariés de l'entreprise, qu'à compter du jour où, postérieurement à la naissance de cette décision implicite, ils ont été destinataires de la demande d'homologation présentée par l'employeur et de son accusé de réception par l'administration, soit par affichage de ces documents sur leurs lieux de travail, soit par tout autre moyen permettant de donner à cette information une date certaine. (7 février 2018, Société Girus, Société Bauland, Carboni, Martinez et associés, n° 399838). V. aussi n° 37 et n° 76

 

39 - Compétences respectives du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et du comité technique – Régime.

Le juge rappelle les principes classiques en matière de consultation d’organismes dans la procédure administrative non contentieuse.

Tout d’abord, une question ou un projet ne doit être soumis à la consultation du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail que si le comité technique ne doit pas lui-même être consulté sur la question ou le projet en cause. Il ne saurait y avoir de compétences cumulatives d’organes différents. Ensuite, seul le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail doit être saisi d'une question ou projet concernant exclusivement la santé, la sécurité ou les conditions de travail. Encore, lorsqu'une question ou un projet concerne ces matières et l'une des matières énumérées à l'article 34 du décret du 15 février 2011, seul le comité technique doit être obligatoirement consulté. Enfin, d’une part, le comité technique peut, le cas échéant, saisir le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de toute question qu'il juge utile de lui soumettre, d’autre part, l'administration a toujours la faculté de consulter le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. (7 février 2018, Syndicat national des agents des douanes CGT, n° 406716)

 

40 - Contrats initiative emploi – Régime des aides financières – Contestation : compétence d’appel.

La société Iso Concept conteste devant le Conseil d’Etat un jugement du tribunal administratif de Marseille se prononçant sur une demande d'annulation d’états exécutoires émis par l'Agence de services et de paiement, afin de recouvrer des aides financières qui auraient été indument perçues au titre de contrats initiative-emploi. Cependant, ce jugement n'ayant pas été rendu en dernier ressort, c’est à tort que l’appel a été porté au Conseil d’Etat alors qu’il fallait saisir la cour administrative d'appel de Marseille. (9 février 2018, Société Iso Concept, n° 410100)

 

41 - Revenu minimum d’insertion – Restitution de l’indu – Omission de statuer sur certains moyens.

Mme X., bénéficiaire du revenu minimum d'insertion puis du revenu de solidarité active jusqu'au 1er avril 2013, s’est vu réclamer, par titres exécutoires, la restitution du trop-perçu. Elle a contesté en vain lesdits titres exécutoires devant le tribunal administratif en soutenant que ces titres étaient irréguliers faute d'indiquer les bases de liquidation des sommes réclamées et que les créances correspondantes étaient prescrites. Elle se pourvoit devant le Conseil d’Etat. Celui-ci relève, pour annuler ce jugement, que celui-ci s’est borné à rejeter ses conclusions sans se prononcer sur ces moyens, alors qu’ils n'étaient pas insusceptibles d'avoir une incidence sur le litige. Statuant directement au fond plutôt que de renvoyer l’affaire à la commission départementale d'aide sociale compétente, il procède à l’annulation du titre exécutoire litigieux. (14 février 2018, Mme X., n° 408650)

 

42 - Revenu de solidarité active (RSA) – Caractère de prestation d'aide sociale – Absence de lien avec la politique de l'emploi – Régime de droit – Conditions de forme et de fond.

Le Premier ministre, par décret du 29 septembre 2016, a fixé le RSA à un certain montant forfaitaire mensuel. Ce décret est attaqué par les départements requérants tant dans sa légalité externe que dans sa légalité interne ; aucun des arguments avancés ne trouve grâce dans cette décision plus soucieuse du pouvoir de l’Etat que de la recherche d’une décentralisation effective.

Sur la légalité externe, il est prétendu que le Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles devait être consulté, ce qui n’est pas le cas car il est compétent pour donner des avis sur « les projets (...) de dispositions règlementaires dans le domaine de la politique de l'emploi, de l'orientation et de la formation professionnelle initiale et continue ». Pareillement, est invoquée la circonstance que le RSA a été fixé la première fois par décret en Conseil d’Etat ; cependant, cela n’oblige nullement à y procéder chaque fois par un tel décret puisque ce même texte prévoit sa modification ultérieure par décret simple. Enfin, ce décret, qui est de nature réglementaire, a bien été contresigné par les ministres chargés de son exécution (art. 22 de la Constitution) c’est-à-dire ceux compétents pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution de l'acte en cause. Aucun des moyens de légalité externe n’a été retenu.

Sur la légalité interne, il est tout d’abord certain que si la loi établissant le RSA en remplacement du RMI a, tout à la fois, transféré des compétences nouvelles aux collectivités territoriales et créé ou étendu des compétences, le décret attaqué, qui fixe le nouveau montant de RSA, ne transfère aucune compétence, par suite n’existe en l’espèce aucune atteinte à l’art. 72-2 de la Constitution. Ensuite, si les textes font obligation de compenser les charges nouvelles pesant sur ces collectivités du fait de l’Etat, cette compensation n’est pas une condition de la légalité de la modification. C’est pourquoi il appartient seulement aux départements qui estiment que la modification litigieuse leur aurait imposé des charges nouvelles de contester l'absence de compensation. Le moyen tiré de la méconnaissance du second alinéa de l'article L. 1614-2 CGCT ne pouvait, dès lors, qu'être écarté. Enfin, les réévaluations successives du montant du RSA ne revêtent pas une ampleur telles, qu’elles seraient de nature à dénaturer le principe de libre administration des collectivités territoriales, en méconnaissance de l'article 72 de la Constitution. (21 février 2018, Départements du Calvados, de la Manche, de l'Eure et de l'Orne, n° 409286)

 

43 - Droit au relogement d’urgence – Carence de l’administration – Responsabilité – Caractère nécessairement fautif.

Ayant constaté que le préfet de Paris n'avait proposé un relogement à une personne prioritaire ni dans le délai prévu par le code de la construction et de l'habitation, ni dans celui fixé par le jugement lui enjoignant de faire une telle proposition, le tribunal administratif de Paris avait jugé que cette carence, constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, ne causait à l'intéressée aucun préjudice. Cette solution était entachée d’une erreur de droit en raison de la durée de la situation d'hébergement de celle-ci chez des tiers, justifiant l’invocation de troubles dans ses conditions d'existence comme dans celles de son enfant. Ceci lui ouvrait droit à réparation. Ce jugement est annulé en tant qu'il se prononce sur la responsabilité de l'Etat. (21 février 2018, Mme X., n° 409739). V. aussi, 1°/ de caractère voisin, sous le n° 405766, Mme X., 2°/ sur l’aspect indemnitaire, du même jour, sous le n° 410283, M. X., sous le n° 409171, Mme X. et sous le n° 409221, M. et Mme X.

 

Environnement

 

44 - Aménagement routier - Site Natura 2000 – Etude d’impact – Atteinte à un tel site devant être établie et non présumée – Erreur de droit à juger le contraire.

L'autorité administrative, saisie d’une demande d’autorisation d’un projet, au regard de la réglementation des sites Natura 2000, doit apprécier si, au vu des pièces du dossier de demande et des divers avis recueillis, dont celui de l'autorité environnementale, qui se prononce notamment sur le caractère suffisant de l'étude d'impact, le projet en cause est susceptible d'affecter de manière significative un site Natura 2000 (art. L. 414-4 et s. code de l’environnement). Une cour administrative d’appel, dans le cadre d’un projet, déduit l'obligation de réaliser une évaluation des incidences Natura 2000 de la seule circonstance qu'il n'était pas exclu que le projet litigieux affecte de manière significative le site d'intérêt communautaire des gorges de l'Hérault. En raisonnant ainsi de façon purement hypothétique, la cour a commis une erreur de droit et cela d’autant plus qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment de l'avis du 14 avril 2011 de l'autorité environnementale, que le projet n'était pas susceptible d'affecter de manière significative le site d'intérêt communautaire des gorges de l'Hérault du réseau Natura 2000. L’arrêt, entaché d’une dénaturation des pièces du dossier, est annulé. (21 février 2018, Ministre de l’Intérieur et Département de l’Hérault, n° 405446, 405520, 407559, 407833)

 

Etat-civil et nationalité

 

45 -  Acquisition de la nationalité française – Obligation de loyauté – Déclaration mensongère par omission sur la situation matrimoniale de l’intéressée – Retrait justifié du décret de naturalisation.

Le juge fait application d’une jurisprudence constante et ferme selon laquelle la personne qui sollicite la naturalisation française ne doit pas dissimuler sciemment la réalité de sa situation familiale. Ce comportement justifie le retrait rétroactif du décret par lequel le premier ministre a prononcé sa naturalisation (8 février 2018, Mme X., n° 411557)

 

Fonction publique et agents publics

 

46 - Agents publics placés dans des situations différentes (oui) – Possibilité d’un traitement différencié de ces agents (oui) – Dérogation au principe d’égalité – respect d’un but d’intérêt général.

La circonstance qu’au sein du statut du personnel de la société des aéroports de Paris, les médecins d’urgence voient les conditions d’organisation de leur activité et leurs traitements différer notablement de ceux d’autres catégories de personnel est justifiée par les spécificités de leur emploi sans que cela porte atteinte au principe d’égalité. L’administration a toujours le pouvoir de traiter différemment des situations objectivement différentes ou de déroger au principe d’égalité dans un but d’intérêt général. (5 février 2018, Syndicat des médecins d’urgence de France, n° 403230)

 

 47 - Fonction publique militaire – Règles spécifiques – Organisations représentatives – Conseil supérieur de la fonction publique militaire.

Dans la fonction publique militaire, les arrêtés réglementaires comportant des dispositions indiciaires ou indemnitaires doivent être obligatoirement soumis à l'avis du Conseil supérieur de la fonction militaire. En l’espèce, l'arrêté attaqué ne comporte pas de telles dispositions, il s’ensuit que l'association requérante n'est pas fondée à soutenir qu'il est intervenu au terme d'une procédure irrégulière faute d'avoir été précédé de la consultation de ce conseil. (9 février 2018, Association professionnelle nationale des militaires de la marine nationale (APNM-Marine), n° 406742)

 

48 - Code de déontologie des infirmiers ayant la qualité de fonctionnaires – Existence concomitante d’une déontologie de la fonction publique (loi du 13 juillet 1983 (art. 28) et d’un code de déontologie des infirmiers libéraux – Légalité – Obligation de moralité et d’indépendance professionnelle – Pouvoir disciplinaire du Conseil national de l’ordre et pouvoir disciplinaire des organismes de fonction publique – Atteinte au principe non bis in idem.

L’établissement d’un code de déontologie propre aux infirmiers fonctionnaires soulève de délicates questions auxquelles le Conseil d’Etat répond négativement.

En particulier, rien ne s’oppose à ce qu’il existe, d’une part, un code de déontologie valable pour tous les infirmiers et que superpose à lui un autre code applicable aux seuls infirmiers fonctionnaires, ces derniers relevant donc de ces deux codes, d’autre part, au sein de la fonction publique, des règles déontologiques applicables à tous les fonctionnaires et donc à ceux d’entre eux qui sont infirmiers en même temps que ces derniers sont soumis à leur propre code de déontologie en tant qu’infirmiers fonctionnaires. Semblablement, la loi a disposé que les infirmiers fonctionnaires relevaient d’un double pouvoir disciplinaire, celui exercé par les instances ordinales et celui exercé par les institutions propres à la fonction publique.

Egalement, l’obligation de moralité imposée aux infirmiers fonctionnaires n’apparaît pas incompatible avec les dispositions de la loi de 1983. Enfin, concernant l’objection du risque pour ces infirmiers-là d’être doublement sanctionnés au mépris du principe non bis in idem, le Conseil d’Etat regrette que la requérante – qui pourrait encore le faire -, alors qu’il s’agit de dispositions législatives, ne l’ait pas saisi soit au moyen d’une QPC soit par un recours en inconventionnalité de la loi, montrant que, sur ce point, il partage les craintes de la fédération requérante. (14 février 2018, Fédération CGT santé action sociale, n° 407208)

 

49 - Salarié de droit privé, fonctionnaire ou agent public élu parlementaire – Suspension, sur demande, du contrat de travail -  Conditions – Fonctionnaire élu –  Régime.

Des textes (code du travail et code général des collectivités territoriales) ont prévu que, sauf dispositions plus favorables, un salarié, un fonctionnaire ou un agent public élu au Parlement peut, sur sa demande, être suspendu de cet emploi jusqu’à l’expiration de son mandat s’il justifie d’au moins un an d’ancienneté chez cet employeur. Il en va de même pour les maires, les adjoints au maire des communes de 10 000 habitants au moins et les membres du conseil d'une communauté de communes qui, pour l'exercice de leur mandat, ont cessé d'exercer leur activité professionnelle de fonctionnaires territoriaux. Le Conseil d’Etat juge que si la période d'exercice effectif du mandat diffère de sa durée théorique ou de celle qui a pu être déterminée à l'occasion de la demande de suspension de l'activité professionnelle, par exemple en cas de démission de son titulaire, cette circonstance est sans incidence sur le droit du fonctionnaire à retrouver son précédent emploi dans les conditions désormais prévues à l'article L. 3142-84 du code du travail. Dans le cas où le bénéficiaire de la suspension d'activité professionnelle exerce plusieurs mandats lui ouvrant droit à une telle suspension, la cessation d'un seul de ces mandats lui permet de retrouver son précédent emploi dans les conditions prévues par les textes. (20 février 2018, M. X., n° 401731)

 

50 - Harcèlement moral – Réparation du préjudice – Lien de connexité entre conclusions – Compétence de la Cour d’appel – Défaut de liaison du contentieux – Absence d’invitation à régulariser. Rejet

Mme X. a introduit une demande tendant à ce que la commune de Cayenne soit condamnée à lui verser diverses sommes en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral qu'elle estimait avoir subi et à ce qu'il lui soit enjoint de procéder à la régularisation de sa situation administrative et de ses droits. Cette demande ayant été rejetée par le tribunal administratif de la Guyane confirmé par la cour administrative de Bordeaux, Mme X. se pourvoit en Conseil d’Etat lequel va rejeter la demande pour des motifs de procédure.

D’une part, contrairement à ce qui était soutenu, la cour administrative d’appel était bien compétente pour statuer puisqu’il existait en l’espèce une connexité entre des demandes relevant de la compétence du tribunal administratif statuant en premier et dernier ressort et des demandes relevant de l’appel. D’autre part, la commune de Cayenne a soulevé tant devant le tribunal administratif que devant la cour, une fin de non-recevoir tirée de l'absence de liaison du contentieux, faute pour l'intéressée d'avoir présenté une demande préalable. Ainsi, le moyen tiré de ce que la cour administrative d'appel ne pouvait pas rejeter les conclusions indemnitaires de Mme X. pour ce motif sans l'inviter au préalable à régulariser sa demande ne pouvait qu'être écarté. (21 février 2018, Mme X., n° 412445)

 

51 - Télétravail des agents publics – Application aux seuls magistrats travaillant dans les administrations et non en juridiction – Absence d’illégalité faute de QPC.

Un syndicat de magistrats attaque les dispositions instaurant, pour les agents publics et donc pour les magistrats, la possibilité de recourir au télétravail. Il avance au soutien de sa demande des moyens de légalité externe et des moyens de légalité interne. Parmi ces derniers deux retiennent l’attention. En premier lieu, il est soutenu que la loi de 2012, sur le télétravail notamment, méconnaîtrait l'article 64 de la Constitution qui réserve à la loi organique le statut de la magistrature. Ce moyen, tiré de la non conformité d’une disposition législative à la Constitution, ne peut être examiné par le juge administratif en dehors de la procédure de la QPC. En second lieu, il est affirmé que le décret attaqué serait incompatible avec les usages qui régissent l'organisation du travail personnel des magistrats en juridiction, qu'il méconnaîtrait les dispositions statutaires relatives aux conditions de nomination et d'affectation des magistrats, à l'obligation de résidence dans le ressort de la juridiction et au principe d'inamovibilité des magistrats du siège et qu'il modifierait l'organisation du travail des magistrats en juridiction alors que celle-ci est régie par le code de l'organisation judiciaire. Argumentation balayée au prix d’une interprétation correctrice du texte, le juge affirmant que les conditions prévues par le décret attaqué doivent être regardées comme s'appliquant aux magistrats judiciaires qui exercent leurs fonctions en administration et non en juridiction. Le juge ajoutant qu'il en est de même – pour le même motif - du moyen dirigé contre les dispositions de l'article 3 du décret attaqué, qui prévoient que le temps de présence sur le lieu d'affectation ne peut être inférieur à deux jours par semaine et qui, selon le syndicat requérant, ne sont pas conciliables, s'agissant des magistrats en juridiction, avec les dispositions du code de l'organisation judiciaire, ainsi que du moyen tiré de ce que l'article 7 du décret méconnaîtrait l'article R. 212-42 du code de l'organisation judiciaire en ce qu'il renvoie à un arrêté ministériel le soin de définir les modalités du télétravail des magistrats en juridiction. (21 février 2018, Syndicat national des magistrats Force Ouvrière, n° 399260)

 

52 - Accès aux fonctions d’auditeur de justice – Avis unanimement défavorables – Large pouvoir d’appréciation de la commission d’avancement – Contrôle juridictionnel restreint à la seule erreur manifeste d’appréciation.

Candidate pour être nommée auditeur de justice, Mme X. conteste l’avis défavorable émis par la commission d'avancement sur sa candidature. Examinant les faits, le juge constate que la commission a tenu compte des quatre avis unanimement défavorables rendus par les magistrats concernés, lesquels émettaient des réserves tant sur sa motivation que sur son aptitude à exercer les fonctions judiciaires. Si l’intéressée se prévalait aussi de lettres de recommandation à l'appui de sa candidature, le juge, passant outre à la contradiction entre ces deux séries d’éléments, rejette le recours de Mme X. « eu égard aux larges pouvoirs dont dispose la commission d'avancement pour apprécier si l'expérience et les qualifications dont les candidats se prévalent les rendent aptes à l'exercice des fonctions de magistrat » car il n’a aperçu aucune erreur manifeste d'appréciation dans l’avis litigieux. (21 février 2018, Mme X., n° 408918)

 

53 - Réforme des conditions d’accès à la profession de greffier de tribunal de commerce – Exigence de subir un concours – Référé suspension – Absence de moyen sérieux.

L’accès à la profession de greffier des tribunaux de commerce est désormais soumis à la réussite à un concours alors que dans le système antérieur n’existait qu’un examen d'aptitude assorti du droit pour certaines personnes d’en être dispensées. La requérante critiquait, d’une part, l’absence – dans le nouveau régime - de maintien du droit qu’avaient les personnes dispensées d’examen d'aptitude, y voyant une méconnaissance du principe de sécurité juridique, d’autre part, une atteinte au principe d’égalité dans la mesure où ceux ayant été admis à l’ancien examen d’aptitude conservent le droit d’accéder à cette profession nonobstant la création postérieure d’un concours.

Le juge des référés, comme cela était prévisible, n’aperçoit aucun moyen sérieux dans les deux arguments ci-dessus et rejette fort logiquement la demande de suspension. (21 février 2018, Mme X., n° 417401)

 

54 - Fonction publique – Congé maladie à plein traitement ou à demi-traitement – Révélation de l’existence d’une décision.

En principe, le fonctionnaire en activité a droit à des congés de maladie à plein traitement pendant une durée de trois mois, en cas de maladie dûment constatée le mettant dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Au-delà, il a droit à des congés de maladie à demi-traitement, pendant une durée de neuf mois, s'il lui est toujours impossible d'exercer ses fonctions. Toutefois, si la maladie est imputable au service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service. En l’espèce, l’intéressée avait demandé à bénéficier d'un congé de maladie à plein traitement par sa lettre datée du 2 décembre 2011. L'arrêté du 6 janvier 2012 faisant suite à sa demande, a placé la requérante en congé à demi-traitement à compter du 2 février 2012. Il devait donc être considéré comme révélant une décision par laquelle le président du conseil régional a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie. Or la cour administrative a jugé que la région d'Ile-de-France n'avait pas pris position sur la demande de la requérante, commettant ainsi une erreur sur la qualification juridique des faits, son arrêt doit donc être annulé. (21 février 2018, Mme X., n° 396013)

 

55 - Agent public contractuel – Praticien hospitalier – Contrat à durée déterminée – Effet de la réussite au concours national de praticien des établissements publics de santé – Abstention de se porter candidat à un emploi vacant.

Lorsqu’un praticien jusque là employé dans un établissement de santé en qualité de contractuel sous un régime de contrat à durée déterminée est recruté comme praticien hospitalier, sa relation de travail se poursuit désormais comme en cas de conclusion d’un contrat à durée indéterminée au sens de l'article L. 1243-10 du code du travail. Il s’en déduit que lorsqu’un emploi de praticien hospitalier relevant de sa spécialité est vacant et qu’un praticien sous contrat à durée déterminée ayant été reçu au concours national de praticien des établissements publics de santé refuse ou s’abstient d’y présenter sa candidature alors que la rémunération qui y est attachée est au moins équivalente à celle de l’emploi qu’il occupe, il doit être réputé avoir refusé une proposition de contrat à durée indéterminée. En pareil cas, l'indemnité de fin de contrat n'est pas due.

C’est donc à tort qu’une cour administrative d’appel, excipant de ce que d'autres praticiens titulaires pouvaient se porter candidats à l'attribution du poste, a jugé qu’en s’abstenant de se porter candidate à un tel emploi une praticienne ne pouvait voir son attitude assimilée au refus d'une proposition de contrat à durée indéterminée. (22 février 2018, Centre hospitalier de Sainte-Foy-la-Grande, n° 409251)

 

Hiérarchie des Normes

 

56 - Réforme du code du travail – Hiérarchie des normes – Contrôle du juge – Impossibilité d’invoquer ici des dispositions conventionnelles.

Sera relevé, dans un recours en annulation des modifications apportées aux articles D. 3131-4 et D. 3131-5 du code du travail, un seul aspect de la décision. Les requérants ayant soulevé la violation du § 1 de l'article 2 de la charte sociale européenne, il leur est répondu qu’« eu égard notamment à la marge d'appréciation laissée aux Etats membres pour prendre les mesures nécessaires à la mise en oeuvre des stipulations du paragraphe 1 de l'article 2 de la Charte, ces stipulations ne créent pas de droits dont les particuliers pourraient directement se prévaloir ». Elles ne pouvaient donc être invoquées au soutien du recours. On sait que le juge opère classiquement parmi les dispositions d’un traité ou d’une convention internationale une distinction entre celles qui, créant directement des droits dans le chef de ses destinataires, sont invocables par eux (Théorie de l’ « effet direct » : CPJI, Compétence des tribunaux de Dantzig, avis du 3 mars 1928 ; Assemblée, 11 avril 2012, GISTI et autre, n° 322326) et celles qui, ne créant de droits et d’obligations qu’entre les Etats, ne peuvent pas être invoquées par les particuliers (Assemblée, 5 mars 1999, Rouquette et autres, n° 194658 et 196116). (21 février 2018, CGT-FO et autre, n° 406987, 406990, 407018, 407019). V. aussi n° 101

 

Police

 

57 - Dénaturation des éléments soumis au juge – Arrêté de péril – Notion d’urgence justifiant la déclaration de péril – Travaux exigés.

A propos d’un arrêté municipal de péril ordonnant des travaux urgents, les uns requérant des mesures provisoires, les autres des mesures définitives, lourdes et coûteuses, le Conseil d’Etat reproche au juge des référés d’avoir qualifié de mesures « provisoires » des mesures ordonnées par le maire comme devant être définitives car, ainsi, il a dénaturé les éléments soumis à son examen.

En outre, les sociétés visées ayant réalisé les mesures provisoires prescrites par l'arrêté municipal, assurant ainsi dans l'immédiat la sécurité des personnes, il en résulte que l'exécution de celles des mesures visant à assurer une mise en sécurité définitive, impliquerait des travaux importants et coûteux, par suite, l’urgence à faire suspendre cette partie de l’arrêté municipal doit être regardée comme remplie.

Enfin, le moyen tiré de ce que les mesures prescrites par l'arrêté litigieux ne présentent pas un caractère provisoire et ne pouvaient, par suite, être ordonnées dans le cadre de la procédure d’arrêté de péril (article L. 511-3 du code de la construction et de l'habitation) crée un doute sérieux justifiant la suspension de l’arrêté. (7 février 2018, Société Gascogne et Société Gascogne Flexible, n° 413486

 

58 - Attroupements et rassemblements – Régime de réparation des dommages résultant des mesures prises par les forces de l’ordre.

Le régime spécial de responsabilité sans faute à prouver du fait des dommages subis par suite d’actes de violence se produisant au cours de rassemblements et d’attroupements est applicable non seulement lorsque ces dommages sont causés par les manifestants eux-mêmes mais encore lorsqu’ils résultent de mesures prises par l'autorité publique pour le rétablissement de l'ordre. Application d’une jurisprudence bien établie mais rare. (8 février 2018, Ministre de l’Intérieur, n° 410780)

 

59 - Suspension de permis pour conduite en état d’ivresse – Urgence – Non respect du contradictoire possible.

Il est jugé que peut être prise sans procédure contradictoire (conformément au 1° de l'article L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration) une mesure préfectorale de suspension de permis pour conduite en état d’ivresse, laquelle est soumise à des conditions particulières d'urgence, celle-ci devant être prise dans les 72 heures (article L.224-2 du code de la route) dans la mesure où il faut empêcher qu’un conducteur ivre puisse retrouver l'usage de son véhicule. Annulation du jugement du tribunal administratif de Versailles qui avait suspendu l’arrêté de suspension du permis. (8 février 2018, M. X., n° 410367)

 

60 - Permis de conduire – Mesure du taux d’alcoolémie – Tolérance d’erreur de 8%   – Annulation de la suspension du permis.

L’erreur maximale tolérée des éthylomètres destinés à vérifier le taux d’alcoolémie des conducteurs de véhicules est fixé, par un arrêté de 2003 pris en exécution de la loi du 4 juillet 1837 (!), à « 8 % de la valeur mesurée pour les concentrations égales ou supérieures à 0,400 mg/l et inférieures ou égales à 2,000 mg/l ». Lorsque le préfet entend prononcer la suspension d’un permis de conduire pour conduite sous l'empire d'un état alcoolique caractérisé par une concentration d'alcool dans le sang égale ou supérieure à 0,80 gramme par litre ou par une concentration d'alcool dans l'air expiré égale ou supérieure à 0,40 milligramme par litre, il lui appartient de s'assurer qu'il est établi que ces seuils ont été effectivement dépassés.  Il a ainsi l’obligation de prendre en compte la marge d'erreur maximale tolérée des éthylomètres sauf si le résultat qui lui a été communiqué mentionne que le chiffre indiqué tient déjà compte de la marge d'erreur. En l’espèce, les juges du fond sont approuvés pour avoir annulé la décision de suspension d’un permis de conduire après avoir relevé qu’avait été constatée une concentration d’alcool de 0,40mg/l alors qu’il convenait d’appliquer à ce chiffre une réfaction de 8%. Le recours du ministre est donc rejeté. (14 février 2018, Ministre de l’Intérieur, n° 407914)

 

Sur les aspects médicaux de la suspension d’un permis de conduire, voir 21 février 2018, M. X., n° 405949

 

61 - Police - Droit au recours effectif – Liberté d’aller et de venir – Respect de la vie privée – Allégation d’incompétence négative du législateur – QPC.

L'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure dispose que sont désignés par décret « Les grands événements exposés, par leur ampleur ou leurs circonstances particulières, à un risque exceptionnel de menace terroriste (…), les établissements et les installations qui (les) accueillent (…) ainsi que leur organisateur.»  

La Ligue des droits de l’Homme, à l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, que, ce faisant, le législateur a entaché cette disposition d’incompétence négative car il n’a pas défini de façon suffisamment précise les notions de « grands événements » et « d'organisateur », ni assorti les pouvoirs des organisateurs de garanties appropriées ni encadré les conditions de création et de consultation des traitements automatisés de données à caractère personnel destinés à la réalisation des enquêtes administratives qu'il permet. Ce faisant, la loi affecte le droit au respect de la vie privée, la liberté d'aller et venir ainsi que le droit à un recours effectif (art. 2 et 16 de la Déclaration de 1789) et leur porte une atteinte disproportionnée. Pour rejeter la demande de poser une QPC au Conseil constitutionnel, les juges du Palais-Royal, donnent une interprétation très constructive de l’article critiqué afin de le sauver de l’annulation. Ils posent en effet quatre conditions cumulatives, soigneusement énumérées, à la légalité du décret en faisant obligation au pouvoir réglementaire, à chaque mise en oeuvre du régime d'autorisation qu’il crée : 1) de procéder par décret, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, à la désignation du grand événement concerné, 2) d'identifier la personne physique ou morale, de droit public ou de droit privé, chargée de son organisation et donc de la délivrance des autorisations d'accès, 3) de délimiter précisément la durée de préparation et de déroulement du grand événement ; 4) de désigner ceux des établissements et installations qui accueillent ce grand événement et dont l'accès peut être interdit, à l'exclusion de tout autre local et des voies publiques permettant d'y accéder. 

S’agissant des traitements automatisés, il est indiqué que les traitements concernés sont ceux relevant de l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, à l'exclusion des fichiers d'identification et que leur consultation a pour seul objet de vérifier que ne sont pas de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, à la sécurité publique ou à la sûreté de l'Etat le comportement ou les agissements des personnes, à l'exclusion des spectateurs et des participants, dont l'activité requiert qu'elles accèdent aux établissements et installations accueillant le grand événement.

Or, il est clair que ces dispositions n'autorisent pas la création de nouveaux traitements automatisés, ne permettent à l'administration de communiquer à l'organisateur du grand événement que le sens de son avis, lequel ne peut être défavorable que pour les motifs précédemment rappelés, ne permettent pas davantage de limiter le droit des personnes concernées à contester devant le juge compétent le refus d'autorisation qui leur aurait été opposé. Ainsi n’existe ici aucune question sérieuse de constitutionnalité.

Enfin, la nécessité de sauvegarder l'ordre public justifie globalement les dispositions critiquées qui, par suite, ne soulèvent non plus aucune question sérieuse de constitutionnalité au regard de la liberté d'aller et venir, du droit au respect de la vie privée et du droit au recours effectif. (21 février 2018, Ligue des droits de l’Homme, n° 414827)

 

62 - Taxi – Alsace-Moselle – Pouvoirs de police du préfet – Droit commun applicable aux mesures de police excédant le territoire d’une seule commune.

Le préfet du Bas-Rhin a modifié un article du règlement départemental des taxis du département du Bas-Rhin, afin, d’une part, de limiter, sous peine de sanction disciplinaire, la durée de stationnement sur la voie publique hors de son ressort géographique d'un taxi ayant fait l'objet d'une réservation à 30 minutes préalablement à l'heure de la réservation, d'autre part, d’imposer aux taxis, pour justifier d'une réservation préalable, de disposer d'un carnet numéroté, agenda ou tout autre support dédié à cet effet, sur lequel seraient portées les réservations dans l'ordre de réception.

Le tribunal administratif de Strasbourg, confirmé par la cour administrative d'appel de Nancy, a annulé les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par le préfet du Bas-Rhin sur les demandes qui lui avaient été adressées tendant à l'abrogation de l'article modifié. Le ministre de l’intérieur se pourvoit en Conseil d’Etat. Celui-ci décide que les juges du fond ne pouvaient dénier toute compétence au préfet du Bas-Rhin pour prendre des règlements de police. En effet, si les dispositions de droit commun (art. L. 2542-1 et L. 2215-1 CGCT) qui définissent les pouvoirs de police du maire et du représentant de l'Etat dans les départements, ne sont pas applicables dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, le préfet, dans ces départements comme en tout autre, est compétent pour prendre les mesures qu'il estime nécessaires pour faire respecter l'ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques et qui, eu égard à leur nature et à leur objet, doivent être prises à une échelle qui excède le territoire d'une seule commune. L’arrêt d’appel est annulé pour erreur de droit. (21 février 2018, Ministre de l’Intérieur, n° 390601)

 

63 - Police des sans abris - Référé suspension – Circulaire instituant un « dispositif d'hébergement d'urgence généraliste » Urgence non constituée.

La Fédération des acteurs de la solidarité et vingt-sept autres associations ont formé un recours pour excès de pouvoir ainsi qu’une demande de suspension contre une circulaire interministérielle (Intérieur et Cohésion des territoires) adressée aux préfets concernant l'examen de la situation administrative des personnes hébergées dans le « dispositif d'hébergement d'urgence généraliste ». Les requérants invoquent l’urgence à statuer, la circulaire portant une atteinte grave et immédiate, d'une part, au droit au respect de l'inviolabilité du « domicile » des intéressés, à la protection des données personnelles qu'elles détiennent et à l'exercice des missions qui leur sont confiées et, d'autre part, aux intérêts des personnes admises dans les centres d'hébergement, notamment à leur droit au respect de la vie privée et à la protection de leurs données personnelles.

Pour rejeter les requêtes, le Conseil d’Etat objecte que les équipes mobiles prévues par cette circulaire sont exclusivement chargées de recueillir, auprès des personnes hébergées qui acceptent de s'entretenir avec elles, les informations que ces personnes souhaitent leur communiquer, qu’elles ne possèdent, pour l’accomplissement de cette mission, aucun pouvoir de contrainte tant à l'égard des personnes hébergées qu'à l'égard des gestionnaires des centres. Enfin, les informations recueillies sont soumises au respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Faute que l’audience et les documents produits aient pu contredire ces éléments, il n’existe en l’espèce aucune urgence établie d’autant que le Conseil d'Etat statuera dans de brefs délais sur le recours pour excès de pouvoir parallèlement formé par les associations requérantes. (20 février 2018, Fédération des acteurs de la solidarité et autres, n° 417207)

 

Procédure contentieuse

 

64 - Ministère d’avocat obligatoire – Présence en l’espèce, oui – Note en délibéré non présentée par un avocat – Impossibilité de la viser ou de la retenir.

L’exigence d’un avocat, lorsqu’elle est obligatoire, est une exigence continue jusqu’à l’achèvement de la procédure. Par suite, la circonstance que l’avocat qui a assisté les parties n’a pas lui-même présenté la note en délibéré est une irrégularité empêchant que cette note soit visée et/ou retenue par la juridiction. (5 février 2018, Syndicat des médecins d’urgence de France, n° 403230)

 

65 - Edifices menaçant ruine – Etats exécutoires consécutifs aux travaux – Juge statuant seul – Absence de possibilité, pour le TA, de statuer en premier et dernier ressort.

Le 8° de l'article R. 222-13 CJA, permet que dans les litiges relatifs aux immeubles menaçant ruine ainsi que dans ceux relatifs aux états exécutoires émis en vue du recouvrement, auprès des propriétaires des immeubles concernés, des créances nées de l'application de la législation relative aux bâtiments menaçant ruine, il puisse être statué par le président du tribunal administratif ou par le magistrat qu'il désigne à cette fin, en audience publique et après audition du rapporteur public. Pour autant, il ne résulte d’aucune disposition que les jugements ainsi rendus le sont en premier et dernier ressort. (28 février 2018, M. X. et autres, n° 414145)

 

66 - Motivation des jugements – Ici incomplétude – Déductibilité de la taxe foncière sur les propriétés bâties de certains travaux effectués par un office d’HLM ou une société d’économie mixte.

L'article 1391 C du code général des impôts décide que les dépenses engagées par certains organismes d'HLM ou des sociétés d'économie mixte, pour l'accessibilité et l'adaptation des logements aux handicapés sont, à certaines conditions, déductibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties versée aux collectivités territoriales. L’Office public de l'habitat de l'Hérault a sollicité, dans ces conditions, ladite déduction. Cette demande ayant été refusée par les services fiscaux, et ce refus ayant été validé par le tribunal administratif de Montpellier motif pris de ce que les éléments versés au dossier n’établissaient pas que de « telles dépenses auraient été exposées pour des travaux améliorant effectivement l'accessibilité des immeubles et logements pour les personnes handicapées ». Le Conseil d’Etat casse ce jugement parce que, au contraire des premiers juges, il estime qu’il ressortait des pièces du dossier qui leur était soumis que l'office justifiait précisément de la nature de ces dépenses au moyen de plusieurs documents, dont des fiches synthétiques de travaux, des factures ainsi que des photographies, jointes à son mémoire en réplique. Dès lors, faute pour le jugement d’indiquer en quoi ces éléments ne permettaient pas d'établir que les travaux litigieux auraient permis d'améliorer effectivement l'accessibilité des immeubles concernés, celui-ci est entaché d’insuffisance de motivation, d’où son annulation. (21 février 2018, Office public de l’habitat de l’Hérault, n° 398798)

 

67 - Refus de visa d’entrée en France d’un enfant mineur – Saisine de la Commission de recours contre les refus de visa d’entrée en France – Enfant majeur à charge – Qualité pour agir du père – Non.

Par une solution d’une logique imparable, le Conseil d’Etat énonce qu’un parent ne justifie pas en cette seule qualité d'un intérêt lui permettant de contester, tant devant la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France que devant le juge administratif, la légalité d'un refus de visa opposé à son enfant majeur. (21 février 2018, M. Mohamed-Hafed X., n° 406754)

 

68 - Dénaturation des pièces d’un dossier par le juge – Oui en l’espèce.

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis le tribunal administratif qui affirme contiguës des parcelles qui ne le sont pas ainsi que cela ressort de ce dossier. (1er février 2018, SCI des Caboeufs, n° 402283 ; v. aussi, dans le cas où une cour d’appel juge qu’un demandeur ne conteste pas la créance réclamée contre lui, alors que, par deux moyens, il l’a bien contestée : 1er février 2018, Société Campenon Bernard Sud Est, n° 409595). V. aussi n° 6 et n° 90

 

69 - Dispense de conclusions du rapporteur public – Article R. 732-1-1 CJA – Obligation de mention dans l’avis d’audience.

L’article R. 732-1-1 du code de justice administrative énumère les contentieux dans lesquels, le président de la formation de jugement ou le magistrat statuant seul peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ; ainsi, en va-t-il des litiges relevant du contentieux des prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale.

En l’espèce, le Conseil d’Etat reproche au juge du tribunal administratif d’avoir adressé au département un avis d’audience l’informant que l'état de l'instruction du dossier pouvait être consulté sur le site de l'application « Sagace » mais sans comporter d’information concernant le sort des conclusions du rapporteur public. Cette omission a privé le département d'une garantie, en ne le mettant pas en mesure de prendre connaissance de la dispense des conclusions du rapporteur public. Le jugement, ainsi rendu au terme d'une procédure irrégulière, est annulé. (14 février 2018, M. X., n° 410707)

 

70 - Intervention à l’instance – Requête formée par des communes – Absence d’intérêt d’un département à y intervenir – Irrecevabilité de l’intervention.

Des communes attaquent un décret car il crée un nouveau cas de dispense de formalités au titre du code de l'urbanisme. Le département de l’Isère agit en intervention à leurs côtés. Bien que le juge administration admette avec beaucoup de mansuétude la possibilité d’intervenir à une instance (V. n° 79 ci-après), ici cette intervention est jugée irrecevable car ce décret n'affecte pas les compétences dévolues au département : il ne justifie donc pas, eu égard à la nature et à l'objet du litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des requêtes tendant à l'annulation de ce décret. (16 février 2018, commune de Fontanil-Cornillon, n°411778). V. aussi n° 71 et n° 75

 

71 - Intervention en demande dans l’instance d’appel -  Absence de qualité pour se pourvoir en cassation mais qualité pour intervenir en cassation – Production postérieure à la clôture de l’instruction – Conditions de réouverture de l’instruction – Mention des voies et délais de recours : cas de la décision rendue sur recours hiérarchique – Sécurité juridique et délai de recours contentieux en absence de mention des délais de recours – Irrecevabilité du recours pour forclusion opposée à bon droit ici.

Dans le cadre d’un litige en contestation d’autorisations administratives de licenciement plusieurs points de procédure sont rappelés par le juge.

Tout d’abord, la Société Recyclex qui, devant le tribunal administratif, n’a pas été présente à cette instance, doit être considérée comme y étant représentée en qualité de défendeur par les liquidateurs d’une autre société dont elle est actionnaire à 99%. Elle n’aurait donc pas pu être admise à former tierce opposition contre le jugement rendu par ce tribunal. Par suite, son intervention en demande devant la cour d’appel n’a pu lui conférer la qualité de partie en appel et, de ce fait, elle était irrecevable à se pourvoir en cassation. En revanche, étant société mère de la société en liquidation, elle détenait un intérêt suffisant à intervenir dans le litige en cassation introduit par les liquidateurs de cette société ; son intervention est donc recevable.

Ensuite, le Conseil d’Etat rappelle que le juge a toujours la faculté de rouvrir l'instruction lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. La cour administrative d’appel a été saisie, dans ces conditions, d’une note en délibéré du demandeur de première instance et d’appel par laquelle il affirmait que sa requête en première instance n’était pas tardive dans la mesure où, en vertu d’une décision du Conseil d’Etat, les délais de recours contre une décision administrative expresse d'autorisation de licenciement ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés dans sa notification, y compris lorsqu'il s'agit d'une décision du ministre chargé du travail saisi par la voie du recours hiérarchique. Or, si la cour d’appel a bien appliqué cette jurisprudence, elle l’a fait sans rouvrir l’instruction. D’où l’annulation de son arrêt.

Enfin, est appliquée une jurisprudence très innovante fixant à un an le délai dans lequel, pour des raisons de sécurité, doit être contestée en justice une décision ne comportant pas mention des voies et délais de recours contentieux. Bien qu’il ne soit pas établi à quelle date la décision du ministre, du 1er septembre 2003, a été notifiée à l’intéressé, celui-ci ayant formé en 2005, devant la juridiction prud’homale, une action indemnitaire du fait d'un préjudice qu’il estimait distinct de celui qui résultait de son licenciement, il s’ensuit que si le délai de droit commun de deux mois n'était pas opposable au demandeur, ne peut toutefois être considéré comme raisonnable le délai de six ans mis par l’intéressé pour saisir le juge administratif. (7 février 2018, Société Recylex, n° 397246 et Maîtres Theeten et Martin, n° 397541). V. aussi n° 70 et n° 75

 

72 - « Acte de douane » – Soumission ou non à l’octroi de mer – Compétence du tribunal d’instance par détermination de la loi.

L’acte par lequel l'administration des douanes, interrogée à cet effet par une personne physique ou morale, indique que l'activité qu’elle exerce dans une collectivité mentionnée à l'article 1er de la loi du 2 juillet 2004 constitue une activité entrant dans le champ de l'octroi de mer, doit être regardé comme concourant à la détermination de droits de douanes. Il constitue donc une « affaire de douane », au sens de l'article 357 bis précité du code des douanes. Il suit de là que la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître de conclusions dirigées contre un tel acte. La requête de la société Arcos Dorados Martinique doit, par suite, être rejetée car, sauf en matière pénale, elle relève de la compétence des tribunaux d’instance. (13 février 2018, Société Arcos Dorados Martinique, n° 411688)

 

73 - Elections – Contentieux de pleine juridiction – Date à laquelle le juge se place pour statuer.

De ce que le juge électoral (élections au conseil consulaire de Pékin) est juge de plein contentieux il en découle qu’il apprécie les données du litige au jour où il statue. En l’espèce, un jugement de première instance avait été cassé pour vice de forme par la Cour de Cassation au moment de l’introduction du recours devant le Conseil d’Etat ; un second jugement s’étant substitué au premier après l’arrêt de cassation, impossibilité d’invoquer la cassation du premier jugement, le juge appréciant la situation en droit et en fait le jour où il rend sa décision. (1er février 2018, M. X. n° 411472)

 

74 - Invitation à régulariser – Requête manifestement irrecevable (non) – Annulation.

Un automobiliste auquel son permis de conduire a été retiré se voit invité par un courrier du greffe, le 28 décembre 2016, à régulariser son recours contentieux en constituant avocat. Il sollicite le 17 janvier 2017 le bénéfice de l’aide juridictionnelle, ce qui lui est refusé le 3 avril 2017. Entretemps, le tribunal rejette par ordonnance sa requête « comme manifestement irrecevable » alors que ce ne pouvait pas être le cas en l’état de la prorogation née de la formation d’une demande d’aide juridictionnelle. (1er février 2018, M. X., n° 40943)

 

75 - Pourvoi en cassation – Conditions – Irrecevabilité à introduire un tel pourvoi faute d’avoir été partie à l’instance frappée de pourvoi – Recevabilité à former un recours en intervention dans le pourvoi déjà formé.

Rappel d’une solution classique : la recevabilité à agir et la recevabilité à intervenir s’apprécient distinctement. Celui qui est irrecevable à saisir lui-même le juge peut cependant être recevable à intervenir dans un recours déjà formé. L’intervention volontaire n’étend pas le champ du litige – du moins en procédure administrative – et peut donc être plus aisément admise que l’action principale. (5 février 2018, Société Peyrani, CNES et Société Idex Energie, n° 414846). V. aussi n° 70 et n° 71

 

76 - Référé suspension – Affirmation de la légalité de l’acte contesté – Omission d’une circonstance de droit dans les motifs – Insuffisance de motivation entraînant l’annulation de l’ordonnance.

Un juge des référés rejette les conclusions à fin de suspension d’un arrêté du préfet de la Guyane pour absence de doute sérieux sur sa légalité. Or la société requérante faisait valoir que le préfet s'était notamment fondé, pour décider la fermeture administrative de l'établissement, sur la circonstance que des boissons alcoolisées y étaient vendues sans licence de débit de boissons du quatrième groupe, alors qu'elle était titulaire d'une licence de restaurant l'autorisant à vendre des boissons alcoolisées destinées à être consommées pendant les repas. Ce moyen ne figurant pas dans les visas ou dans les motifs de l’ordonnance celle-ci doit être annulée. (7 février 2018, Société Kryol Food Amazonie, n° 413845)

 

77 - Recours administratif préalable au recours contentieux – Recours contre un arrêté de récupération d’indu de revenu de solidarité active (RSA) – Régime.

Le Conseil d’Etat opère en cette matière une délicate distinction.

D’un côté, il résulte des dispositions de l’art. L. 262-46 du code de l’action sociale et des familles que le recours contentieux dirigé contre la décision d’un président de conseil départemental d’ordonner la récupération d’un versement indu du RSA, doit obligatoirement être précédé d’un recours administratif, à défaut l’action contentieuse est irrecevable.

De l’autre côté, l’exercice du recours contentieux dirigé contre le titre exécutoire émis pour recouvrer un indu de RSA n'est pas, en vertu de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, subordonné à un tel recours administratif préalable. Cependant, lorsque le débiteur, par ce dernier recours, conteste devant le juge le bien-fondé de cet indu, celui-ci est irrecevable en l'absence de tout recours préalable saisissant de cette contestation le président du conseil départemental.

Enfin, il demeure possible au bénéficiaire du RSA - conformément aux dispositions de l'article L. 1617-5 du CGCT - de contester devant le juge les actes de poursuite qui procèdent du titre exécutoire, même en l'absence de tout recours administratif préalable. Solution aussi rigoureusement logique que complexe. (5 février 2018, Mme X., n° 403650)

 

78 - Référé précontractuel – Champ d’application – Marché financé en majeure patrie par une organisation internationale aux termes d’une convention internationale (art. 14, 13° a/ et b/ de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics). (5 février 2018, Société Peyrani, CNES et Société Idex Energie, n° 414846). V. n° 75

 

79 - Tierce opposition –  Jugement préjudiciant aux droits du tiers – Absence antérieure de qualité de partie - Régime.

Une action en tierce opposition suppose réunies deux conditions : l’existence d’une décision de justice qui préjudicie aux droits du tiers opposant et la circonstance que ce dernier n’a été ni présent, ni représenté, ni mis en cause. En l’espèce, il résulte tant de l’exercice par le juge de son pouvoir de modulation que de l’expiration de la durée d’application des dispositions litigieuses que l’arrêt du Conseil d’Etat n’a pas pu préjudicier aux droits de la requérante, d’où le rejet. (5 février 2018, Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) et autre, n° 408487)

 

80 - Référé suspension –  Qualité d’usager du service public – Conditions de recevabilité du recours – Absence d’intérêt – Irrecevabilité du recours.

Pour justifier de son intérêt à contester un décret du 21 avril 2016 relatif au compte rendu annuel d'activité des concessions d'électricité, prévu à l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales, le requérant invoque – en vain - successivement : 1) sa qualité d’usager  du service public de la fourniture d'électricité et du service public de la distribution d'électricité, en ce que le décret attaqué serait susceptible d'avoir une incidence directe et certaine sur la qualité ou le prix de ces services publics alors qu’il n'affecte par lui-même ni leur organisation ni leur fonctionnement ; 2) le fait que les conditions du contrôle exercé par les autorités concédantes sur les concessionnaires sont susceptibles d'avoir une incidence sur l'activité de producteur d'électricité dont il se prévaut ainsi que sur son droit d'accéder au réseau dans le cadre d'un contrat de vente d'énergie électrique et sur les conditions de son raccordement au réseau ; 3) sa qualité de contribuable de la commune de Biscarosse laquelle ne lui donne pas davantage intérêt à demander l'annulation du décret attaqué, car il n'a pas d'incidence sur le budget de cette commune. (7 février 2018, M. X., n° 400890)

 

81 - Sens des conclusions du rapporteur public – Obligation de le communiquer avant l’audience – Preuve de leur non communication incombant au requérant.

Celui qui soutient n’avoir pas été mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience devant une juridiction administrative, le sens des conclusions du rapporteur public, doit apporter les précisions utiles permettant d'en apprécier le bien-fondé. (7 février 2018, Mme X., n° 397803)

 

82 - Référé « mesures utiles » (art. L. 521-3 CJA – Caractère subsidiaire de ce référé – Impossibilité de demander par ce référé des mesures pouvant être obtenues par l’un des référés prévus aux art. L. 521-1 et L. 521-2 CJA.

En l’espèce, il était demandé au juge d'enjoindre à la CNIL de statuer sur une demande d'autorisation de traitement dont il l'avait saisie. Le demandeur ne précisait dans sa requête ni la date de cette saisine, ni l'objet du traitement dont l'autorisation était sollicitée et sa finalité, notamment commerciale. N’établissant ni l'utilité de la mesure sollicitée ni l’urgence qui s'attacherait à son prononcé, le requérant est débouté au moyen de la procédure dite « expéditive » de l’art. L. 522-3 CJA. (8 février 2018,  M. X., n° 417745)

83 - Exécution des décisions de justice – Régime de l’astreinte – Notion d’exécution – Sanction.

Le Conseil d’Etat avait ordonné la réparation du préjudice économique né de la perte de l'allocation aux adultes handicapés versée par le centre hospitalier général de Hyères. Il est saisi par les bénéficiaires de cette décision d’une demande de prononcé d’astreinte afin d’assurer l’exécution effective de celle-ci. Après intervention de la section du rapport et des études du Conseil d’Etat, le débiteur a émis le 18 août 2017 le titre de paiement de l’intégralité des sommes litigieuses ordonné par l’arrêt du 16 mars 2016. Cependant, devaient être ajoutés à cette somme les intérêts ayant couru de cette dernière date au jour du paiement, cela au taux normal pour les deux premiers mois puis au taux majoré pour les mois suivants. Comme cela n’a pas été fait, l’exécution de la décision n’a pas pleinement eu lieu ; en conséquence le juge prononce contre l’établissement hospitalier débiteur, à défaut pour lui de justifier de cette exécution dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision du Conseil d’Etat, une astreinte de cent euros par jour jusqu'à la date à laquelle cette décision aura reçu exécution. (8 février 2018, M. X., n° 406908)

 

84 - Autorités pouvant représenter l’Etat en justice – Exigence d’autonomie de décision – Possibilité de se pourvoir en cassation.

La directrice générale adjointe de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a suspendu la mise sur le marché, la distribution et l'exportation de divers dispositifs médicaux mis sur le marché après le 7 mars 2014, et a ordonné le retrait de ces produits auprès des clients dans un délai de six mois ainsi que la suspension de leur utilisation à l'issue de ce délai. Le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes, sur demande de la société Ysy, a partiellement suspendu l'exécution de ces décisions. La directrice de l’agence saisit le juge de cassation.

Se pose la question de savoir si la directrice générale de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé pouvait se pourvoir en cassation, au nom de l’Etat, contre cette ordonnance. Pour répondre positivement, le juge relève qu’il prend, au nom de l'Etat, les décisions relevant, en ce qui concerne les produits mentionnés à l'article L. 5311-1 du code de la santé publique, de la compétence de l’Agence ainsi que les mesures réglementaires prises pour l'application de ces dispositions. En outre, ces décisions prises par la directrice générale ne sont susceptibles d'aucun recours hiérarchique sauf en cas menace grave pour la santé publique, le ministre chargé de la santé pouvant alors s'opposer, par arrêté motivé, à la décision de la directrice générale et lui demander de procéder, dans le délai de trente jours, à un nouvel examen du dossier ayant servi de fondement à ladite décision. Il n’a cependant pas le pouvoir de réformer ses décisions.

La directrice générale de l'Agence dispose ainsi d'une grande autonomie : elle doit donc être regardée comme ayant qualité pour représenter l'Etat devant les juridictions administratives, et en particulier devant le Conseil d'Etat, afin d'assurer la défense de ces décisions, sans qu'y fasse notamment obstacle l'article R. 432-4 du code de justice administrative selon lequel seul le ministre intéressé est habilité à représenter l'Etat devant le Conseil d'Etat. En l’espèce, la directrice de l’Agence avait qualité pour se pourvoir en cassation au nom de l'État contre l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nîmes. (9 février 2018, Société Ysy Medical et Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, n° 414845 et n° 415128)

 

85 - Référé suspension – Conditions d’urgence et de moyen sérieux non remplies –Jeux et paris en ligne – Gains en déshérence.

L'article 50 de la loi de finances du 29 décembre 2015 pour 2016 dispose que sont acquises à l'Etat, à l'issue d'un délai de six ans, les sommes délaissées par les joueurs sur les comptes ouverts à leur nom par les opérateurs agréés de jeux et paris en ligne. La société requérante demande au juge des référés de suspendre l'exécution du décret du 29 décembre 2017 précisant, pour l'application de ces dispositions législatives, les modalités de liquidation et de recouvrement des sommes dues à l'Etat, notamment par les opérateurs de jeux ou de paris en ligne agréés, au titre des avoirs en déshérence des joueurs. Cette demande n’a aucun caractère d’urgence et aucun des moyens invoqués n’étant, en l’état, sérieux, elle est rejetée. (9 février 2018, Société Betclic Entreprises Limited, n° 417669)

 

86 - Recours en interprétation d’un acte administratif – Condition d’obscurité ou d’ambiguïté – Absence – Conséquence.

Le recours par lequel un requérant demande directement au Conseil d'Etat d'interpréter un acte administratif n’est recevable que dans la mesure où il peut valablement être argué que celui-ci serait obscur ou ambigu. Tel n’est pas le cas – et le recours est alors irrecevable – lorsqu’il tend à l’interprétation d’un acte sur le sens duquel une juridiction a déjà statué à l'occasion d'une instance dans laquelle elle a eu l'occasion d'en faire application et d'en préciser la portée. (14 février 2018, Association « Anti-G », n° 416294)

 

Procédure non contentieuse

 

87 - Mesure préparatoire – Cas d’un dossier de renouvellement d’autorisation – Oui : irrecevabilité du recours.

Une Société propriétaire d’une clinique ne peut déférer au juge l’injonction de déposer un dossier de renouvellement d’autorisation, dossier dont l’existence est prévue par les textes, qui est préalable à la décision sur la demande de renouvellement dont il ne constitue qu’une mesure préparatoire et qui ne préjuge en rien du sens et du contenu de cette décision. (5 février 2018, Société Parc, n° 401598)

 

88 - Principe qu’« un avocat est toujours cru sur sa robe » Dispense de produire un mandat – Application positive.

L’administration fiscale, non plus qu’aucune autre, ne peut demander à un avocat la production d’un mandat à l’effet de représenter un client en dehors de toute procédure contentieuse ; sa qualité le dispense de cette formalité. Aucune disposition législative ou réglementaire ne déroge à ce principe en matière fiscale. (1er février 2018, M. et Mme X., n° 397401)

 

89 – Office national des forêts (ONF) – Obligation de communiquer l'ensemble des informations relatives à l'environnement qu'il détient – Directive européenne – QPC impossible en l’absence de mise en cause de l’identité constitutionnelle de la France – Article 88-1 de la Constitution.

L'Office national des forêts, établissement public à caractère industriel et commercial se voit impartir, par un tribunal administratif, de communiquer l'ensemble des informations relatives à l'environnement qu'il détient, y compris celles résultant de ses activités commerciales. Le jugement se fonde sur l'article L. 124-3 du code de l'environnement qui reprend les dispositions de l'article 3 de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne (notamment l’arrêt de grande chambre C-279/12 du 19 décembre 2013 Fish Legal, Emily Shirley contre Information Commissionner). Un délai de quatre mois était accordé à l’ONF pour exécuter ce jugement c’est-à-dire pour communiquer les informations litigieuses, après occultation des données couvertes par le secret en matière industrielle et commerciale et de celles pouvant porter atteinte à la vie privée de toute personne impliquée.

L’ONF saisit le Conseil d’Etat d’un recours contre ce jugement et l’assortit d’une QPC.

Pour rejeter ces demandes, le juge fait une analyse désormais bien connue. La QPC de l’ONF est dirigée contre un texte législatif qui se borne à tirer les conséquences nécessaires de dispositions précises et inconditionnelles d'une directive de l'Union européenne. Si l’ONF invoque au soutien de sa requête le principe d'égalité devant la loi, la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle garantis par la Déclaration des droits de 1789, elle n’invoque pas une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, la QPC ne peut donc pas prospérer : le tribunal administratif n’a pas, ce jugeant, commis d'erreur de droit. (21 février 2018, Office national des forêts, n° 410678)

 

90 - Communication des documents administratifs – Notion de document communicable – Dénaturation.

L'Association des propriétaires de la zone d'aménagement concerté (ZAC) « Les coteaux de Sainte-Musse » ayant demandé en vain au concessionnaire de cette ZAC (la SAGEM, société d’économie mixte) et à la Commune la communication des bilans relatifs à la mise en oeuvre de la concession d'aménagement de la ZAC ainsi que d’autres documents et, après avoir reçu l’avis favorable de la commission d'accès aux documents administratif, a sollicité du tribunal administratif de Toulon qu’il enjoigne à la commune de La Garde de lui communiquer une copie de ces diverses pièces. Le tribunal a prononcé un non lieu à statuer en ce qui concerne les bilans et rejeté les autres conclusions de la requête.

S’agissant des bilans, le Conseil d’Etat constate qu’il n’a été transmis à l’Association requérante que le bilan de la seule année 2014 alors que la demande, admise par la CADA, portait sur tous les bilans depuis l’origine de la concession de ZAC. En jugeant qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur cette demande, au seul motif que le bilan 2014 avait été transmis, le tribunal a entaché son jugement de dénaturation.

S’agissant des autres documents dont la communication était demandée par l’Association, le tribunal administratif avait répondu que toutes les opérations confiées à une société d'économie mixte ne relèvent pas d'une mission de service public et, qu'il convenait donc de déterminer la nature de l'opération d'aménagement poursuivie par la SAGEM. Le Conseil d’Etat fait précisément reproche aux premiers juges ne n’avoir pas procédé à cette détermination et d’avoir jugé que les acquisitions foncières et les marchés conclus étant soumis au droit privé, ils n’entraient pas dans le champ d’application de la loi relative à la communication au public des documents administratifs.

Or le juge relève – comme il l’a d’ailleurs déjà jugé à plusieurs reprises - que s’agissant « des documents produits ou reçus par un organisme privé chargé d'une mission de service public qui exerce également une activité privée, seuls ceux qui présentent un lien suffisamment direct avec sa mission de service public peuvent être regardés comme des documents administratifs ». Il incombait donc au tribunal de Toulon rechercher si ces documents présentaient un lien suffisamment direct avec une mission de service public confiée à la SAGEM. Faute d’y avoir procédé, le jugement doit donc être également annulé sur ce point. (14 février 2018, Association des propriétaires de la zone d'aménagement concerté (ZAC) « Les coteaux de Sainte-Musse », n° 401352). V. aussi n° 6 et n° 68

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

91 - Libertés contractuelle et d’entreprendre – Droit de Propriété – Incompétence négative du législateur – Renvoi.

Très intéressante question posée par le Conseil d’Etat au juge constitutionnel : les dispositions du code de commerce qui confèrent  à l’Autorité de la concurrence et, selon les cas, à son président, de refuser d’agréer une cession de biens ou d’actifs entre deux sociétés commerciales ou d’imposer en ce cas des engagements aux intéressées sont-elles contraires à la Constitution, d’une part, en ce qu’elles portent atteinte aux libertés contractuelle et d’entreprendre ainsi qu’au droit de propriété, d’autre part, pour incompétence négative du législateur qui n’aurait pas apporté les garanties nécessaires à l’exercice des ces libertés et droit. (1er février 2018, Sté FNAC Darty, n° 414654)

 

92 - Droit fiscal – Vente d’une société à elle-même au moyen d’un emprunt – Impossibilité de la preuve contraire – Renvoi.

Est sérieuse la question qui se fonde sur ce qu’est impossible la preuve qu’une opération entre sociétés n’a pas qu’un caractère fiscal et n’est pas d’abord destinée à éluder ou réduire le paiement d’impôts. Il est donc renvoyé au Conseil constitutionnel. (1er février 2018, SAS Mi Développement 2, n° 412155)

 

93 - QPC - Disposition inapplicable au litige – Impossibilité.

La formation d’une QPC à l’encontre d’une disposition législative n’est recevable que si cette disposition est applicable au litige ; lorsqu‘elle y est inapplicable il est évidemment impossible de poser une QPC. (7 février 2018, M. X., n° 416925)

 

94 - QPC – Absence d’objet – Décisions annulées par le juge administratif.

Est sans objet une requête en QPC dirigée contre des dispositions annulées le jour même de l’examen de celle-ci par le juge administratif. (7 février 2018, M. X., n° 412977)

 

Responsabilité

 

95 - Illégalité et responsabilité – Causalité directe (non) – Cassation.

Une militaire demande réparation du préjudice que lui aurait causé la décision prétendue illégale lui refusant l’affectation qu’elle avait demandée, ce qui l’a conduite à solliciter sa mise à la retraite. La cour administrative de Marseille rejette la demande motif pris de ce que sa mise à la retraite avait eu lieu sur sa demande : elle ne saurait donc être fautive. La cassation est prononcée – pour erreur de droit - car la cour aurait dû vérifier si le motif déterminant de la demande de mise à la retraite était, ou non, le refus d’accorder l’affectation sollicitée. En cas de réponse positive, le lien de causalité serait établi. (1er février 2018, Mme X., n° 406630)

 

96 - Intervention chirurgicale – Obligation d’information – Etendue – Faute au cas d’espèce pour information insuffisante.

Contrairement à ce qu’avaient décidé les juges du fond, le Conseil d’Etat considère comme fautive et de nature à engager la responsabilité de l’hôpital l’absence d’information donnée par les médecins à une patiente sur ce que la laparotomie qu'elle allait subir laisserait une cicatrice de dix-huit centimètres, particulièrement apparente, en travers de l'abdomen. Le jugement est annulé pour erreur de droit. Cette décision doit être approuvée. (8 février 2018, Mme X., n° 404190 et n° 405079)

 

Santé publique

 

97 - Etablissements de santé – Maîtrise des dépenses de santé – Régime de la minoration des tarifs en cas de dépassement des seuils – Absence de caractère de sanction de la décision de minoration prise par le directeur de l’ARS.

Dans le but de maîtriser les dépenses de santé en matière hospitalière, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 23 décembre 2013 que le législateur a prévu un mécanisme de minoration au moyen de l'instauration d'une dégressivité tarifaire pour des catégories de prestations précisément identifiées connaissant, au sein d'un établissement de santé, un taux d'évolution ou un volume d'activité importants, afin, d'une part, de tenir compte de la décroissance corrélative du coût marginal de ces prestations et, d'autre part, d'inciter les établissements concernés à maîtriser l'augmentation de leur nombre.

Il résulte de ces dispositions que les décisions par lesquelles le directeur général de l'agence régionale de santé fixe le montant des sommes à récupérer auprès d'un établissement au titre de la minoration des tarifs, n'ont pas le caractère de sanction. Elles entrent dans la catégorie des décisions portant sur les tarifs des établissements et services sanitaires, sociaux et médico-sociaux dont le contentieux ressortit à la compétence en premier ressort du tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale. C’est donc à tort que le Conseil d’Etat a été saisi. Renvoi au tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale de Paris. (9 février 2018, SAS Clinique du Mont-Louis, n° 412585) V. aussi, du même jour, SA Clinique des Ormeaux, n° 414319

 

98 - Produits de Santé - Détermination du prix public des médicaments – Comité économique des produits de santé – Obligation de réexamen d’un refus illégal.

Etaient attaquées deux décisions. En premier lieu, était déférée au juge la décision du 4 mai 2016 par laquelle le comité économique des produits de santé a refusé de faire droit à la demande d'augmentation du prix de la spécialité Uvestérol D, présentée par la société Laboratoires Crinex, au motif que cette spécialité ne répondait pas au critère du « médicament indispensable » défini par l'article 16 de l'accord conclu le 31 décembre 2015 avec le syndicat « Les entreprises du médicament » et destiné, en application de l'article L. 162-17-4 du code de la sécurité sociale, à préciser le cadre des conventions conclues avec les entreprises ou groupes d'entreprises exploitant des spécialités pharmaceutiques. Le juge estime que si le comité économique des produits de santé pouvait apprécier les critères prévus par les articles L. 162-16-4 et R. 162-20 du code de la sécurité sociale au regard des conditions de leur mise en oeuvre prévues par cet accord cadre, à laquelle la convention conclue avec la société Laboratoires Crinex se réfère, il ne pouvait légalement fonder son refus sur le seul motif tiré de ce que la spécialité ne pouvait être regardée comme un « médicament indispensable », alors que ni les dispositions précitées du code de la sécurité sociale ni, en tout état de cause, les conditions de mise en oeuvre des critères légaux prévues par l'accord cadre du 31 décembre 2015 ne restreignent la possibilité d'augmenter le prix d'une spécialité à cette seule hypothèse. Le comité économique des produits de santé a commis une erreur de droit et sa décision doit être annulée

En second lieu, était également contestée la décision du 1er septembre 2016 rejetant le recours gracieux de la société Laboratoires Crinex.

Ce rejet était fondé sur trois motifs en sus de celui fondé sur la notion de « médicament indispensable » opposé à l’autre décision attaquée  : 1) l'amélioration du service médical rendu par cette spécialité n'est pas connue ; 2) le coût de traitement journalier des spécialités Adrigyl et Sterogyl, regardées comme des comparateurs pertinents, est moins élevé ; 3) les volumes des ventes de la spécialité Uvestérol D, constatés de juin 2014 à mai 2016, ne permettent pas d'établir une diminution du chiffre d'affaires.

Le juge réfute largement cette analyse. D’abord, le comité n’a pas utilisé une méthodologie pertinente pour mesurer s’il y avait eu, ou non, diminution des ventes ; sa décision repose, par suite, sur des faits matériellement inexacts. Ensuite, les médicaments de comparaison ne sont pas, non plus les plus pertinents. Enfin, s’agissant du troisième motif, fondé sur ce que l'amélioration du service médical rendu par la spécialité litigieuse n'était pas déterminable, le juge relève qu’il n’est pas établi que le comité aurait pris la même décision s’il s’était fondé uniquement sur ce dernier motif.

Les deux décisions sont annulées et injonction, sans astreinte, est faite au comité de procéder au réexamen de la demande de la société requérante dans les trois mois. (21 février 2018, Société Laboratoires Crinex, n° 404964)

 

Service public

 

99 - Usager d’un service public à caractère industriel et commercial – Intérêt pour agir : ici non en raison du contenu de la mesure attaquée – Invocation de la qualité de contribuable communal – Absence d’intérêt pour agir si la mesure n’affecte pas les finances communales.

Rappel de solutions bien établies.

1/ L’usager d’un service public ne peut contester au contentieux des dispositions qui n'affectent par elles-mêmes ni l'organisation ni le fonctionnement de ce service d’autant qu’il ne démontre pas en quoi ces dispositions seraient susceptibles d'avoir une incidence directe et certaine sur la qualité ou le prix de ce service public.

2/ La qualité de contribuable d’une commune dont se prévaut le requérant ne lui donne pas intérêt à demander l'annulation d’un décret dont les dispositions n'ont pas d'incidence sur le budget de cette commune. (7 février 2018, M. X., n° 400890)

 

100 - Dispositif « Parcoursup.fr » - Demande de suspension – Urgence – Suspension incompatible avec l’intérêt général attaché à ce dispositif.

Des organisations étudiantes demandent la suspension par référé :

- d’une part, de la décision de la directrice l'enseignement supérieur constituée de la partie publique du site internet dénommé « Parcoursup.fr », de la charte du 6 décembre 2017 pour une mise en oeuvre partagée des attendus des formations ainsi que des éléments de cadrage national des attendus pour les mentions de licence qui sont joints,

- d'autre part, de la décision non publiée par laquelle ladite directrice générale a instauré un portail destiné à recueillir les choix des candidats, afin de les sélectionner, sur la partie privée du site " parcoursup.fr ",

- enfin, de l'arrêté du 19 janvier 2018 de la ministre de l'enseignement supérieur autorisant la mise en oeuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Parcoursup ».

Selon les requérantes, il y aurait urgence à suspendre ce dispositif : il instaurerait sans base légale une sélection à l'entrée de l'enseignement supérieur ; sa complexité, qui rend nécessaire le recours aux services de conseillers privés, risquerait d'imposer aux futurs étudiants d'exposer en pure perte des dépenses importantes ; il occasionnerait la collecte de données dangereuses et, enfin, en mettant les futurs étudiants devant le fait accompli, il porterait atteinte à la raison d'être du syndicat Solidaires étudiant-e-s, syndicat de luttes (SESL). Le Conseil d’Etat rejette l’ensemble des demandes.

D’abord, il ressort des termes mêmes de l'arrêté du 19 janvier 2018 que le traitement de données qu'il autorise a pour seule finalité le recueil des voeux des étudiants dans le cadre de la gestion de la procédure nationale de préinscription dans une formation du premier cycle de l'enseignement supérieur pour l'année universitaire 2018-2019 et que les informations et données à caractère personnel relatives aux étudiants ainsi que celles relatives à la traçabilité des accès ne seront conservées que jusqu'au 2 avril 2018 et seront supprimées après cette date à moins que leur utilisation dans le cadre de la procédure nationale de préinscription soit expressément autorisée par la réglementation en vigueur à cette date. En raison de leur caractère temporaire et limité, ces dispositions ne sont pas critiquables.

Ensuite, le principe même de la pré-inscription résulte directement de l’art. L. 612-3 du code de l’éducation ; il ne saurait être discuté au contentieux sauf pour inconventionnalité de cette disposition législative ou par voie de QPC.

Enfin, il est de fait que cette plateforme fonctionne et que la suspension de l'exécution de l'arrêté du 19 janvier 2018 et de l'accès au portail internet « Parcoursup » aurait pour effet d'interrompre cette procédure nationale de préinscription ce qui entraînerait de graves perturbations, tant pour les futurs étudiants que pour les autorités académiques et pourrait avoir pour effet, compte tenu du caractère extrêmement contraint du calendrier, de compromettre le bon déroulement du début de l'année universitaire 2018/2019 dans le premier cycle de l'enseignement supérieur. Ainsi l’atteinte portée à l’intérêt général excéderait les inconvénients qu'invoquent les requérants et dont, eu égard notamment au caractère limité du traitement autorisé par l'arrêté du 19 janvier 2018, la gravité n'est pas établie ; il existe donc un intérêt public à ce que l'exécution des décisions litigieuses ne soit pas suspendue. A défaut d’urgence la demande de référé ne saurait être admise. (20 février 2018, Solidaires étudiant-e-s, syndicats de luttes (SESL) et l'Union nationale lycéenne - syndicale et démocratique (UNL-SD), n° 418029) V. aussi, du même jour, sous le n° 417905, Groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) et autres.

 

Sport

 

101 - Sportif sanctionné pour dopage, empêché de travailler – Référé suspension – Urgence établie – Existence d’un doute sérieux sur la légalité de la décision prise par l’Agence française de lutte contre le dopage.

Un rugbyman, sanctionné pour dopage, sollicite la suspension de la mesure qui le frappe.

Pour estimer qu’il y a urgence en l’espèce, le juge retient que la sanction infligée fait obstacle à sa participation en qualité de rugbyman professionnel à la plupart des compétitions organisées en France et à l'étranger, en particulier la Super League et la Challenge Cup, le privant ainsi des revenus qu'il tire de son activité professionnelle et qu’elle met en péril la carrière sportive du requérant du fait qu'il ne peut renouveler son contrat de travail avec l'équipe « les Dragons Catalans » pour la saison sportive qui a débuté le 4 février 2018. Le Conseil d’Etat relève au surplus que si l'Agence française de lutte contre le dopage fait valoir l'intérêt général qui s'attache au respect des règles anti-dopage, elle n'apporte pas d'éléments concrets de nature à faire obstacle à la suspension de la décision attaquée.

Pour établir l’existence d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, le juge relève que le 3° de l'article L. 232-22 du code du sport – sur lequel est fondée la décision contestée - a été jugé contraire à la Constitution  par le Conseil constitutionnel (décision n° 2017-688 QPC du 2 février 2018) au motif que ces dispositions n'opèrent aucune séparation au sein de l'Agence française de lutte contre le dopage entre, d'une part, les fonctions de poursuite et, d'autre part, les fonctions de jugement et méconnaissent ainsi le principe d'impartialité. (9 février 2018, M. X., n° 417201)

 

102 - Fédération sportive agréée et fédération sportive délégataire de service public (art. L. 131-14 c. des ports) – Choix de la fédération délégataire – Contrôle du juge  sur le choix ministériel – Contrôle restreint à la seule erreur manifeste d’appréciation.
Le Conseil d’Etat reconnaît ici au ministre chargé des sports un très large pouvoir d’appréciation lorsque, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, il choisit, parmi les fédérations sportives agréées, la fédération sportive à laquelle il accorde la délégation de service public pour une discipline sportive déterminée (art. L. 131-14 du code du sport). En effet, le juge n’exerce « qu'un contrôle limité à l'erreur manifeste d'appréciation sur les choix qui sont faits dans ce cadre par le ministre ». La formulation retenue est rarissime et manifeste la faiblesse du contrôle contentieux en la matière.

En l’espèce, la Fédération française de vol libre, soutenait que le kiteboard (glisse aérotractée nautique) est une discipline qui, eu égard à l'usage d'une aile de traction, requiert une maîtrise aérienne et présente des similitudes avec les autres déclinaisons de glisse aéroportée sur terre et sur neige, pour lesquelles elle a reçu la délégation prévue à l'article L. 131-14 du sport. Le Conseil d’Etat observe qu’il ressort des pièces du dossier que cette discipline, qui se pratique sur l'eau, présente également des points communs avec des disciplines, notamment la planche à voile, pour lesquelles la Fédération française de voile a reçu délégation. Il en conclut  « qu'en transférant à la Fédération française de voile la délégation antérieurement accordée à la Fédération française de vol libre pour le kiteboard, le ministre chargé des sports n'a pas, compte tenu des caractéristiques de la discipline et alors, d'une part, que la Fédération française de voile n'était pas dénuée d'expérience dans la pratique et l'enseignement de ce sport et, d'autre part, qu'un tel choix tenait opportunément compte des modalités selon lesquelles est organisée la pratique de cette discipline au niveau international, commis d'erreur manifeste d'appréciation ». (15 février 2018, Fédération française de vol libre, n° 408774 et n° 408775)

 

103 - Manifestations publiques de sports de combat – Pouvoir d’organisation et pouvoir de réglementation – Existence ou non de fédérations délégataires –  Pankration et arts martiaux mixtes – Etendue des pouvoirs propres du ministre chargé des sports.

Normalement, les manifestations publiques de sports de combat organisées par une fédération sportive délégataire, ses organes régionaux ou départementaux ou par l'un de ses membres ne sont pas soumises à l'obligation d'être préalablement déclarées auprès du préfet du département dans lequel la manifestation est organisée. Lorsque dans une discipline aucune fédération n'a reçu délégation, la déclaration de la manifestation est accompagnée d'une déclaration sur l'honneur de l'organisateur de se conformer aux règles techniques et de sécurité prévues par un arrêté du ministre chargé des sports notamment pour préserver la dignité, l'intégrité physique et la santé des participants. Ce second cas était celui qui se présentait en l’espèce, aucune fédération sportive n'ayant reçu délégation pour la discipline des arts martiaux mixtes. C’est donc au ministre chargé des sports qu’il revenait de prendre un arrêté à cet effet.

Etaient contestées la légalité externe (incompétence) et la légalité interne de cet arrêté réglementaire. On ne s’attachera qu’au premier aspect.

Tout d’abord, en l’espèce, en prenant l'arrêté litigieux le ministre chargé des sports n’a pas méconnu les compétences de fédérations sportives délégataires, contrairement à ce que soutenaient les requérants.

Ensuite, si l’article D. 331-1 du code des sports exige un arrêté interministériel (intérieur et sports) pour fixer les caractéristiques des manifestations sportives nécessitant des garanties particulières de sécurité et les modalités selon lesquelles les fédérations sportives en déterminent la liste et la transmettent aux autorités détentrices des pouvoirs de police, l’arrêté litigieux n'a ni pour objet ni pour effet de fixer les caractéristiques des manifestations sportives nécessitant des garanties particulières de sécurité et les modalités selon lesquelles les fédérations en déterminent la liste et la transmettent aux autorités détentrices des pouvoirs de police. Il n’avait donc pas à revêtir un caractère interministériel.

Enfin, pas davantage cet arrêté ne devait être précédé d’une consultation du Conseil national d'évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales ou à leurs établissements publics. (16 février 2018, M.X., Fédération de Pankration et d'arts martiaux mixtes, Commission nationale Kenpô et Sarl FAM, n° 406255 et M. X. et autres, n° 406286)

 

104 - Compétition sportive avec véhicules à moteur – Régime général – Protection de l’environnement (sites Natura 2000) – Violation d’un décret par un arrêté – Annulation avec modulation dans le temps assortie d’une injonction.

La Fédération Allier Nature demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 4 mai 2016 pris en application des dispositions du code de l’environnement (art. L. 362-1, L. 362-3 et R. 362-1, code de la route) destinées à protéger les espaces naturels et interdisant, dans certains lieux, la circulation de véhicules à moteur. Le code des sports fixe (art. R. 331-18 et R. 331-24-1) le régime des épreuves ou compétitions sportives comportant la participation de véhicules terrestres à moteur notamment lorsque l’événement est susceptible d’incidences au regard d’un site Natura 2000. Or, alors que l’alinéa I de l’art. A. 331-18 du code des sports n'impose pas à l'organisateur d'une manifestation de joindre au dossier de demande d'autorisation un document d'évaluation des incidences sur l'environnement si le budget de cette manifestation est inférieur à un certain montant, l’art. R. 331-24-1 du code des sports ne distingue pas selon le budget de la manifestation. En effectuant ce distinguo, les dispositions de l’art. A. 331-18 sont illégales et, du fait de leur caractère indivisible des autres dispositions de l’arrêté attaqué, l’entier arrêté attaqué est annulé. Toutefois, usant de son pouvoir de modulation des annulations qu’il prononce, le Conseil d’Etat ne fait produire effet à l’annulation de l’arrêté attaqué qu’à compter du 1er juillet 2018. Il enjoint en conséquence aux ministres concernés d'arrêter les dispositions nécessaires pour l'application de l'article R. 331-24-1 du code du sport, au plus tard le 1er juillet 2018. (21 février 2018, Fédération Allier Nature, n° 401344)

 

Urbanisme

 

105 - Permis de construire et permis de démolir – Actes distincts – Effets différenciés – Impossibilité d’annulation par voie de conséquence.

Le permis de construire et le permis de démolir sont deux actes aux finalités distinctes et aux effets propres à chacun d’eux même dans le cas où, au terme d'une instruction commune, ils sont délivrés – comme au cas de l’espèce - dans une même décision. Il s’ensuit qu’un permis de démolir ne peut pas être annulé par voie de conséquence de l’annulation d’un permis de construire.  En jugeant le contraire, la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit. (21 février 2018, SCI La Villa Mimosas, n° 401043)

 

106 - Permis de construire modificatif – Injonction à la commune de prendre une décision dans un délai préfix – Astreinte provisoire – Liquidation de l’astreinte – Exigences procédurales.

A la suite de l’annulation d’une décision de sursis à statuer sur une demande de permis de construire assortie d’une injonction d’y statuer dans les deux mois sous peine d’une astreinte dont le montant était fixé à titre provisoire, la SCI bénéficiaire de l’arrêt, saisit à nouveau le juge, par application des dispositions de l’art. L. 911-4 du code de justice administrative, pour qu’il ordonne l’exécution de son arrêt en liquidant l’astreinte à l’encontre de la commune.

Dans le cadre de cette dernière procédure, la commune affirmait dans un mémoire devant la cour administrative de Lyon que la SCI, en signant avec elle une convention d’objectifs, avait renoncé au paiement de l’astreinte. Cette dernière contesta cela dans un mémoire. La cour condamna la commune au paiement de l’astreinte sans lui communiquer le mémoire de la SCI. Or, relève le Conseil d’Etat « la décision par laquelle la juridiction ayant prononcé une astreinte provisoire statue sur sa liquidation présente un caractère juridictionnel et doit, par suite, respecter les exigences du caractère contradictoire de la procédure ». Comme le mémoire de la SCI comportait des éléments nouveaux, il devait être communiqué à la commune ; ce ne fut point le cas et cette violation du principe du contradictoire conduit à l’annulation de l’arrêt. (21 février 2018, Commune de Crest-Voland, n° 402114). V. aussi, du même jour, sous le n° 402109, à propos de l’annulation du sursis à statuer opposé par le maire à la demande de permis modificatif, Commune de Crest-Voland.

 

107 - Légalité et illégalité du permis de construire – Possibilité de régulariser - Permis de construire modificatif – Conditions de forme et régime.

Un permis de construire un bâtiment universitaire est délivré par arrêté préfectoral du 16 avril 2012. Son annulation est sollicitée et, d’abord prononcée en première instance, cette annulation est confirmée en appel. Un pourvoi en cassation est formé. Après avoir tranché deux questions de procédure (absence de moyen soulevé d’office et existence d’un intérêt pour agir), l’arrêt examine les motifs d'annulation du permis de construire retenus par la cour et les confirme, en revanche, il annule la mise à l’écart par la cour de l’art. L. 600-5-1 du code de l'urbanisme.

Il est d’abord procédé à un rappel, tout empreint du réalisme pratique qui caractérise aujourd’hui essentiellement le contentieux de l’urbanisme : l’insuffisance d’un dossier d’urbanisme ou le fait qu’il comporte des documents imprécis ou entachés d’inexactitudes ne rend illégal ce permis que dans le seul cas où ces défauts ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.

En l’espèce, il est donné raison à la cour d’avoir déclaré le permis litigieux irrégulier.

D’une part, il l’était du fait que l'appréciation portée par la commission de sécurité et le préfet sur les mesures nécessaires pour assurer la sécurité du public reposait sur des faits inexacts concernant l'accessibilité au public de plusieurs des étages des bâtiments en cause.

D’autre part, le permis était également irrégulier du fait que le bâtiment à édifier, établissement de première catégorie recevant plus de 3 500 personnes, n'était desservi ni par deux façades opposées ni par trois façades judicieusement réparties répondant aux conditions posées par l'article CO4 du règlement de sécurité.

En revanche, l’arrêt est annulé dans la mesure où il refuse l'application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme. Cet article permet au juge, spontanément ou sur demande, lorsqu'un vice entraînant l'illégalité du permis de construire est susceptible d'être régularisé par un permis modificatif, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, de surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation.

Si un tel permis modificatif valant régularisation est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le juge peut mettre en oeuvre ces pouvoirs pour la première fois en appel, alors même que l'autorisation d'urbanisme en cause a été annulée par les premiers juges.

En cas de transmission spontanée des éléments de régularisation, le juge peut se fonder sur ceux-ci sans être tenu de surseoir à statuer, dès lors qu'il a préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur la question de savoir si ces éléments permettent une régularisation. Cependant, si ces éléments spontanément transmis ne sont pas suffisants pour permettre de regarder le vice comme régularisé, le juge peut, dans les conditions susrappelées, surseoir à statuer en vue d'obtenir l'ensemble des éléments permettant la régularisation.

Or, la cour a commis une erreur de droit sur ce point en jugeant que le permis modificatif du 23 décembre 2013, délivré à fin de valoir régularisation, n'était, par principe, pas susceptible de régulariser les illégalités qu’elle avait relevées et que la délivrance de ce permis faisait obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société présentées sur le fondement de l'article L. 600-5-1 précité. Il est annulé sur ce point et les parties sont renvoyées devant la cour afin qu'elle se prononce à nouveau sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 600-5-1. (22 février 2018, SAS Udicité, n° 389518, et Université Paris Diderot- Paris 7, n° 389651). V. aussi, du même jour, SAS Udicité, n° 389520 et Université Paris Diderot - Paris 7, n° 389652.

 

108 - Accessibilité des personnes handicapées – Prescriptions relatives aux habitations collectives et aux maisons individuelles – Contrôle plein et entier du juge.

Etait, pour l’essentiel, demandée l’annulation d’un décret et d’un arrêté interministériel relatifs à l'accessibilité aux personnes handicapées des bâtiments d'habitation collectifs et des maisons individuelles lors de leur construction.

Le juge rappelle tout d’abord, pour écarter un moyen de légalité externe de la requête, la solution classique qui veut que lorsque l'autorité compétente demande, sans y être légalement tenue, l'avis d'un organisme consultatif sur un projet de texte, elle doit procéder à cette consultation dans des conditions régulières mais qu’elle conserve la faculté d'apporter au projet, après consultation, toutes les modifications qui lui paraissent utiles sans être dans l'obligation de saisir à nouveau cet organisme.

D’une très longue décision en raison du grand nombre de moyens soulevés qui tournent tous autour de l’exigence d’accessibilité des locaux, on retiendra deux choses.

En premier lieu, sont rejetés notamment les moyens tirés de l’illégalité des dispositions suivantes du décret et/ou de l’arrêté attaqués  : 1) la possibilité de satisfaire à l’obligation d’accessibilité « par des solutions d'effet équivalent aux dispositions techniques de l'arrêté dès lors que celles-ci répondent aux objectifs poursuivis », cette disposition n’étant ni incompatible avec les textes supérieurs ni entachée d’incompétence ; 2) l’institution, pour le logement situé en étage d'une maison individuelle, d’une exception au principe d'accessibilité en n'imposant pas l'installation d'un ascenseur pour accéder aux logements superposés en maisons individuelles mais seulement la mise en place d'escaliers adaptés de plan et de dimensions compatibles avec l'installation ultérieure d'un dispositif d'élévation ; 3) la violation de l'article 4 de la convention des Nations Unies du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées car ces stipulations, qui requièrent l'intervention d'actes complémentaires pour produire des effets à l'égard des particuliers, ont pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne peuvent être invoquées par les particuliers ; 4) le fait que le principe d’accessibilité imposerait que le caractère « visitable » d'un logement par une personne handicapée implique également la possibilité pour une personne handicapée visitant le logement, quel que soit la nature de son handicap, d'utiliser les cabinets d'aisance, l’invocation de la convention précitée des Nations Unies étant inopérante ici également ; 5) le fait de retenir que des motifs techniques ou juridiques puissent rendent impossible le respect des règles d'accessibilité aux personnes handicapées ; 6) l’invocation de l’art. 9 de la convention précitée des Nations Unies, inopérante ici ; 7) l’institution, en la matière, d’un régime de décision implicite d'acceptation car il n’est pas, ce faisant, porté atteinte à la liberté d'aller et de venir, surtout qu’il s’agit de locaux privés  destinés au logement ; etc.

En second lieu, en revanche, le Conseil d’Etat juge qu’en tant que, par la deuxième phrase du septième alinéa de l’article 1er de l’arrêté, sont déterminées des caractéristiques qui permettraient en toute circonstance de regarder comme avérée l'impossibilité d'accès, il est  institué un régime d'exemption à caractère général que n'autorisent pas les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'accessibilité des personnes handicapées, dispositions qui sont divisibles du reste de cet article 1er. Il pointe également une autre irrégularité tirée de ce que les caractéristiques dimensionnelles des espaces de manoeuvre de porte et des sas situés dans les parties communes, telles que définies à l'annexe 2 de l'arrêté attaqué, sont insuffisantes pour permettre à une personne en fauteuil d'effectuer un demi-tour. (22 février 2018, Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteur et autres, n° 399360)

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