Sélection de jurisprudence du Conseil d'Etat

Janvier 2018

 

Actes et décisions

 

1 - Notion de décision. Cas d’une décision non formalisée résultant de comportements répétés dans la durée. Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat donne ici une extension très large à la notion de décision et donc à la portée d’un engagement de l’Etat.

Un régime d’aide financière destiné aux agriculteurs en difficulté, propre à la Corse, est institué en 1988.  La Caisse de Crédit agricole de Corse faisant l’avance de ces aides pour le compte de l’Etat, une circulaire interministérielle du 7 juin 1990 et un courrier de l’Etat ont fixé les modalités de remboursement de ces aides au Crédit agricole. A la suite d’observations de la Cour des comptes, il a été mis fin à ce dispositif en 1997. A cette date la Caisse de crédit agricole a demandé à l’Etat le remboursement du solde des aides préfinancées par elle.

Pour apercevoir, contrairement au TA de Bastia et à la CAA de Marseille, une décision et donc un engagement dans les échanges de courriers et dans les circulaires ministérielles, le Conseil d’Etat a le raisonnement suivant « S'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le courrier du 7 juin 1990 (…) comporte, à son dernier paragraphe, une mention indiquant : « nous verrons en fin d'exercice 1990 s'il convient de proposer la poursuite en 1991 de cette procédure » et qu'aucune décision formelle n'a été prise par le directeur régional de l'agriculture et de la forêt de Corse quant à la reconduction de la procédure de remboursement mise en place par ce courrier, il est toutefois établi que l'Etat a procédé, postérieurement au 31 décembre 1990 et pendant plusieurs années, en application de la procédure décrite par le courrier du 7 juin 1990, au remboursement, sur présentation de bordereaux mensuels, des sommes versées pour le compte de l'Etat par (le Crédit agricole) aux agriculteurs corses sur le fondement d'arrêtés préfectoraux leur accordant des aides financières. Par ailleurs, (…) les services de l'Etat ont continué, postérieurement au 31 décembre 1990, à transmettre à la caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Corse copie des arrêtés préfectoraux octroyant des aides financières aux agriculteurs corses et à inviter ses représentants à participer aux travaux des commissions départementales des agriculteurs en difficulté chargées de donner un avis sur l'attribution de ces aides financières.

Il résulte de ce qui précède que le comportement des services de l'Etat postérieur au 31 décembre 1990 (…) révèle l'existence, même non formalisée, d'une décision de reconduction, jusqu'en 1997, de la procédure de remboursement mise en place par le courrier du 7 juin 1990 (…). Par suite, en jugeant que le comportement de l'administration postérieurement au 31 décembre 1990 ne révélait aucune décision ouvrant droit au remboursement des préfinancements effectués par la caisse, la cour a inexactement qualifié les faits de l'espèce. Dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Corse est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. » (12 janvier 2018, Caisse régionale de crédit mutuel agricole de la Corse, n° 398633)

 

2 – Acte obtenu par fraude – Régime. Le Conseil d’Etat rappelle qu'il est toujours loisible à l'administration, même en l'absence de texte l'y autorisant expressément et sans que puissent y faire obstacle des directives européennes, de rejeter une demande entachée de fraude. Fraus omnia corrumpit…(17 janvier 2018, CIMADE et autres, n° 410280)

 

3 – Notion de décision – Cas des règles AFNOR – Absence ici. L’AFNOR s’est dotée de " règles pour la normalisation française ". Elles définissent la procédure qui doit être appliquée par elle ainsi que par les bureaux de normalisation sectoriels et les parties prenant part aux travaux de normalisation. Comme l’édiction de telles règles n'a pas été prévue par des dispositions législatives ou réglementaires, celles-ci ne peuvent pas être invoquées à l'appui de conclusions tendant à l'annulation des décisions prises par l'AFNOR pour l'exercice de la mission d'orientation et de coordination de l'élaboration des normes nationales qui lui est confiée par le décret du 17 juin 2009. (24 janvier 2018, Association des prestataires en archivage et gestion externalisée (PAGE), n° 410996)

 

4 – Décret – Compétence de principe du président de la république pour prendre un décret. Lorsqu’un texte évoque un décret à prendre sans en préciser l’auteur, celui-ci ne peut être que le président de la république, autorité décrétale de droit commun en vertu de l’art. 13 de la Constitution. (26 janvier 2018, Mme X., n° 401796)

 

5 – Loi fiscale interprétative – Caractère rétroactif et garantie des droits – QPC. Une loi fiscale se déclarant elle-même comme ayant le caractère interprétatif d’une disposition fiscale antérieure et donc de portée rétroactive, le Conseil d’Etat interroge le Conseil constitutionnel au moyen d’une QPC sur le point de savoir si en procédant ainsi il n’est porté atteinte à la garantie des droits proclamée par l’art. 16 de la Déclaration des droits de 1789. (26 janvier 2018, Sté Technicolor, n° 415695)

 

Biens

 

6 - Appartenance au domaine public d’une dalle surmontant le tunnel du RER A – Non : domaine privé de la RATP. Une dalle en béton recouvre la voûte du tunnel ferroviaire permettant le passage de la ligne A du RER à Paris. Elle est occupée par une société privée et se pose la question de la domanialité de cette dalle. Le Conseil d’Etat constate d’abord que la dalle n’est ni affectée à l’usage direct du public ni à une activité de service public. Ensuite, il relève que le tunnel et sa voûte constituent bien un ouvrage d’art affecté au service public ferroviaire des voyageurs pour lequel il a été spécialement aménagé. Enfin, il indique que la dalle ne constitue point un accessoire de cet ouvrage et qu’elle ne présente pas d’utilité directe pour lui, par exemple quant à sa solidité ou à son étanchéité. La dalle fait donc partie du domaine privé de la RATP. (26 janvier 2018, Sté Var Auto, n° 409618)

Se situant dans la lignée du code général de la propriété des personnes publiques et de son souci de réduire le champ d’application – devenu trop vaste – de la domanialité publique, le Conseil d’Etat revient ainsi avec éclat sur une jurisprudence cinquantenaire rigoureusement inverse concernant un cas identique (28 janvier 1970, Consorts Philip-Bingisser, Rec. 58 ; AJDA 1970 p. 361 ; Rev. adm. 1972 p. 297, note G. Liet-Veaux « Hypertrophie pathologique de la notion de domaine public »).

 

7 – Contravention de grande voirie sur le domaine public fluvial – Non en l’espèce. L’opération par laquelle il est procédé – au moyen d’un dock flottant - au levage d’un bateau pour le placer en cale sèche n’est pas « un travail effectué sur le domaine public fluvial » et, par voie de conséquence, ne saurait constituer une contravention de grande voirie. (26 janvier 2018, Voies navigables de France, n° 402746)

 

Contrats

 

8 - Marché public – Obligation d’emploi de travailleurs handicapés – Absence ici – Régime des offres.  Saisi d’un recours dirigé contre le rejet de l’offre d’une entreprise candidate, le Conseil d’Etat apporte un certain nombre de précisions.

D’abord, l’obligation, pour une entreprise candidate à un marché public, d’employer des personnes handicapées, ne vaut que si elle emploie au moins vingt salariés, en-dessous de ce seuil n’existe aucune obligation même si celle-ci est inscrite comme telle dans l’arrêté réglementant sur ce point les candidatures aux marchés publics.

Ensuite, une offre n’est pas anormalement basse du seul fait que des matériels sont facturés à prix coûtant ce qui ne permettrait aucun bénéfice.

Enfin, le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en oeuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il doit avoir clairement  définis et rendus publics. (22 janvier 2018, Commune de Vitry-le-François, n° 414860)

 

9 – Cession de créance – Application stricte des dispositions de l’art. 1690 du code civil. Après avoir rappelé les termes de l’art. 1690 c. civ. (« Le cessionnaire n'est saisi à l'égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur. / Néanmoins, le cessionnaire peut être également saisi par l'acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte authentique »), le Conseil d’Etat énonce solennellement les conséquences qu’il convient d’en tirer : « le cédant d'une créance ne pouvant transmettre plus de droits qu'il n'en détient, la signification d'une cession de créance dont le cédant n'est pas titulaire à la date où elle est faite doit être regardée comme nulle, même lorsqu'elle est régulière en la forme ; ( …) il résulte des dispositions précitées que la simple connaissance de la cession de créance par le débiteur cédé ne suffit pas à la lui rendre opposable ; (…) ni les dispositions précitées ni aucune autre ne permettent au débiteur cédé d'exercer un contrôle sur les motifs de la cession de créance qui lui est signifiée ou de son éventuelle mainlevée ; » Il y a là une remarquable fidélité du juge administratif aux règles du droit civil. (26 janvier 2018, Sté Industrias Durmi, n° 402270)

 

10 – Participation d’un GIE à un appel d’offres – Conditions - Marché ayant pour objet l'intervention d'huissiers de justice en vue du recouvrement amiable des créances, amendes, condamnations pécuniaires et produits locaux. Il résulte d’une disposition législative expresse (art. 128, loi de finances rectificative du 30 décembre 2004) la possibilité pour les groupements d’intérêt public (GIE) constitués entre plusieurs personnes physiques ou morales titulaires d'offices d'huissier de justice, de se porter candidats à l'obtention d'une commande publique pour le compte de leurs membres, dans le cadre de la loi précitée, dès lors que seuls ces derniers exécutent les prestations objet du contrat et à la condition de préciser dans l'acte de candidature quels sont les huissiers membres du groupement qui s'engagent ainsi à exécuter les prestations. Toutefois, un huissier associé dans une société civile professionnelle ou une société d'exercice libéral ne peut pas être membre d'un GIE en vue d'exercer une activité de recouvrement à titre individuel. D’où il suit que doit être rejetée la candidature d’un GIE dont l’un des membres se trouve dans ce cas. (26 janvier 2018, GIE  « Groupement périphérique des huissiers de justice », n° 399865)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

11 - TVA et notion de travaux immobiliers. Dans cette affaire, le Conseil d’Etat avait saisi la CJUE d’une question préjudicielle mais la Cour ne s’est pas estimée compétente pour y répondre ; il statue donc en se passant de la réponse attendue.

A propos de l’assujettissement ou non à la TVA de l’acquisition et/ou de la pose de panneaux photovoltaïques outre-mer, en raison de dispositions particulières du code général des impôts (art. 295), le Conseil d’Etat donne la définition suivante des travaux immobiliers  : « Doivent être regardées comme des travaux immobiliers, pour l'application des articles 256 et 266 du code général des impôts, les opérations qui concourent directement à l'édification d'un bâtiment, laquelle doit s'entendre non seulement de la construction du bâtiment lui-même, mais aussi de la réalisation des équipements généraux qui l'accompagnent normalement dès lors qu'ils ne sont pas destinés à être déplacés et qu'ils s'incorporent à l'immeuble. En conséquence, les travaux immobiliers ne comprennent pas la réalisation d'installations particulières répondant à une utilisation spéciale du bâtiment édifié. » Si la pose d’installations électriques est ainsi assujettie à la TVA parce qu’elle a lieu avec l’édification du bâtiment, c’est le contraire s’agissant de la pose de panneaux photovoltaïques pourtant eux aussi incorporés au bâtiment et destinés à produire de l’électricité, du moins si cette pose est postérieure à ladite édification (12 janvier 2018, Sté Solar Electric Martinique, n° 384395).

 

12 – Recours préjudiciel en appréciation de validité – Régime - Institution  d’une redevance d’assainissement collectif – Illégalité en l’espèce. Dans une affaire rendue sur renvoi préjudiciel du juge judiciaire, le Conseil d’Etat commence par rappeler qu’«  En vertu des principes généraux relatifs à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, il n'appartient pas à la juridiction administrative, lorsqu'elle est saisie d'une question préjudicielle en appréciation de validité d'un acte administratif, de trancher d'autres questions que celle qui lui a été renvoyée par l'autorité judiciaire. » En l’espèce, une commune avait, par une même délibération, décidé la création d’un réseau d’assainissement jusque là inexistant et l’instauration d’une redevance pour les usagers de service public à caractère industriel ou commercial. La délibération est déclarée illégale car elle ne peut instaurer une redevance qui n’est due que par des usagers, or il n’existe pas d’usager tant que le réseau n’est pas en état de fonctionner. Le juge ne retient donc pas la notion d’usager virtuel d’un service public. (12 janvier 2018, M. et Mme X. c/ Commune de Sablonnières,  n° 404655).

 

13 – Titre de recettes – Conditions de régularité de forme – Possibilité de suppléer à ces exigences par d’autres formes. Selon l’art.  L. 1617-5, 4° du code général des collectivités territoriales, tout titre de recettes doit notamment mentionner les nom, prénom et qualité de la personne qui l’a émis. Une cour administrative d’appel ayant jugé qu’un titre de recettes ne comportant aucune de ces trois précisions était irrégulier et entachait d’illégalité l’arrêté pris sur ce fondement, le Conseil d’Etat, faisant une application très souple - et sans doute contra legem - de ces exigences de forme, annule l’arrêt d’appel au motif  qu’ « en statuant ainsi, sans rechercher si les documents adressés au débiteur en même temps que le titre litigieux permettaient de regarder les exigences de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales comme satisfaites, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit. » (16 janvier 2018, Caisse de crédit municipal de Rouen, n° 401430)

 

14 – Subvention publique : absence de droit à une subvention même quand les conditions auxquelles elle est subordonnée sont remplies. Le Conseil d’Etat rappelle ici une règle constante : il n’existe pas de droit à recevoir une subvention. La fixation des conditions auxquelles est subordonné l’octroi d’une subvention n’est qu’une condition pour pouvoir la solliciter et le respect de celles-ci ne confère aucun droit, pas plus que n’existe ici un principe d’égalité sauf détournement de procédure ou autres illégalités. (19 janvier 2018, Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat, n° 403470)

 

15 – Notion d’ « événement » ouvrant le délai de réclamation auprès de l’administration fiscale (art. R. 196-1, Livre procéd. fisc.) – Violation de la hiérarchie des normes. Importante décision, rédigée comme une décision de principe, relative à l’ouverture du délai de réclamation ouvert au contribuable à compter d’un « événement » justificatif. On se bornera à reproduire les motifs centraux de l’arrêt en raison du caractère très pédagogique de leur rédaction tant pour le contribuable que pour l’administration fiscale.

« 3. D'une part, il résulte des dispositions de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales qu'une réclamation est recevable, dès lors qu'elle est formée dans le délai prévu dans l'une des trois hypothèses mentionnées dans la première partie de cet article. La seconde partie de l'article ouvre, en outre, dans les hypothèses qu'elle prévoit, un délai spécial pendant lequel une réclamation est également recevable. 

4. D'autre part, s'agissant des décisions et avis rendus au contentieux par le Conseil d'Etat, la Cour de cassation, le Tribunal des conflits et la Cour de justice de l'Union européenne, seuls ceux qui révèlent directement l'incompatibilité avec une règle de droit supérieure de la règle de droit dont il a été fait application pour fonder l'imposition en litige sont de nature à constituer le point de départ du délai dans lequel sont recevables les réclamations motivées par la réalisation d'un événement, au sens du c de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, ainsi que de la période sur laquelle l'action en restitution peut s'exercer en application de l'article L. 190 du même livre. Une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux qui se borne à retenir une interprétation des dispositions du droit de l'Union ou du droit national dont il a été fait application pour fonder l'imposition contestée différente de celle jusqu'alors formellement admise par l'administration dans ses instructions ne peut constituer le point de départ de ce délai et de cette période, dès lors que l'imposition ne saurait être fondée sur l'interprétation de la loi fiscale que l'administration exprime dans ses instructions. Il peut toutefois en aller autrement lorsque l'instruction fiscale, dont l'illégalité a été révélée par une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux sur un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une instruction ou le refus de l'abroger, n'ajoute pas à la loi fiscale mais se borne à réitérer les termes de cette loi dont il a été fait application pour fonder l'imposition dont la restitution est demandée et que cette décision révèle alors directement la non-conformité de cette loi à une règle de droit supérieure au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales. »       

Il est fait application positive - au cas de l’espèce - des principes ainsi dégagés. (24 janvier 2018, CALPERS (California public employees' retirement system), n° 402167)

 

16 – Quotient familial – Détermination en cas de garde alternée des enfants après le divorce – Accord conclu entre les parents. Le Conseil d’Etat approuve une cour administrative d’appel d’avoir retenu, pour déterminer le quotient à retenir entre deux parents divorcés pour l’imposition sur le revenu, non un partage égal entre les deux ex-époux mais une autre répartition fondée sur le fait qu’il résultait de l’accord conclu entre les parents que, de fait, le père avait la charge principale des enfants. (24 janvier 2018, Mme X., n° 399726)

 

Droit public économique

 

17 - Régime des appellations d’origine contrôlée. « Clairette de Die » rosée – Erreur d’appréciation. Traditionnellement l’appellation d’origine contrôlée « Clairette de Die » est réservée aux seuls vins mousseux blancs. L’arrêté ministériel qui, en 2016, a homologué l’extension de cette appellation à des vins mousseux rosés est illégal car il ne fournit aucune preuve de l’antériorité historique de ces derniers sur les mousseux blancs. (12 janvier 2018, Syndicat des vins de Bugey, n° 406847).

 

Environnement

 

18 - Police des installations classées – Décision relevant du contentieux de pleine juridiction – Conséquences. Les décisions prises en matière de police des installations classées pour la protection de l'environnement à la suite d'une demande d'autorisation ou d'enregistrement ou d'une déclaration préalable sont soumises à un contentieux de pleine juridiction. Leur légalité doit donc s’apprécier au jour où le juge statue. Toutefois, le Conseil d’Etat fait une importante distinction entre les décisions d’autorisation et celles de refus. Les premières, par dérogation à la logique de la pleine juridiction, voient leur compatibilité avec les documents d’urbanisme appréciée à la date de l'autorisation, de l'enregistrement ou de la déclaration. Ceci évite  que l'exploitation d'une installation classée légalement autorisée, enregistrée ou déclarée soit rendue irrégulière par une modification ultérieure des règles d'urbanisme. Au contraire, pour les décisions de refus, cette dérogation ne se justifie pas et il est fait application du régime normal de la pleine juridiction : la légalité de ces décisions s’apprécie au jour où le juge statue. (29 janvier 2018, Société d'assainissement du parc automobile niçois (SAPAN), n° 405706)

 

19– Police de la chasse des oiseaux sauvages et du gibier d’eau – Non respect par la ministre de l’Ecologie d’un arrêté pris par elle – Illégalité. La ministre qui donne instruction à ses services de ne pas verbaliser pendant un certain temps les chasseurs qui contreviendraient à un arrêté antérieur par lequel elle fixe la date de fermeture de la chasse aux oies cendrées commet une illégalité. C’est là l’application d’un principe bien connu et de bon sens : « Tu patere legem quam ipse fecisti » (« supporte la loi que tu as toi-même faite »). (29 janvier 2008, Ligue pour la protection des oiseaux, n° 407350)

 

20 – Contrôle des parcs aquatiques – Consultation préalable obligatoire – Modification postérieure du projet possible sans nouvelle consultation sauf si est retenu un projet complètement différent du précédent – Cas en l’espèce : annulation. Le projet d’arrêté ministériel du 3 mai 2017 fixant les caractéristiques générales et les règles de fonctionnement des parcs aquatiques a bien été pris après consultation des organismes prévus par les textes. Toutefois, la version définitive de cet arrêté comporte deux différences avec celle soumise à consultation : le délai pour réaliser les travaux de gros œuvre est réduit de cinq à trois ans et sont supprimées toutes les références à la possibilité de reproduction des cétacés de l'espèce Tursiops truncatus ce qui a pour effet d'interdire la reproduction des cétacés de cette espèce alors que dans la version de l'arrêté soumise à consultation cette interdiction ne s'appliquait qu'aux cétacés de l'espèce Orcinus orca. Or l’interdiction de la reproduction des dauphins, spécialement les grands dauphins, dans les bassins de ces parcs, a un effet considérable sur leur survie économique.  Eu égard à la portée de cette disposition, elle constitue une question nouvelle sur laquelle les organismes consultés n'ont pas pu donner des avis pertinents, d’où il suit que ces avis sont intervenus à la suite d'une procédure irrégulière. Cette irrégularité est susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise. Annulation de l'arrêté contesté. (29 janvier 2018, Sté Marineland et autres, n° 412210)

 

Etat-civil et nationalité

 

21 - Naturalisation – Conditions et régime. Appliquant strictement les dispositions de l’article 22-1 du code civil, le Conseil d’Etat juge qu'il résulte de celles-ci « qu'un enfant mineur ne peut devenir français de plein droit par l'effet du décret qui confère la nationalité française à l'un de ses parents qu'à condition, d'une part, que ce parent ait porté son existence, sauf impossibilité ou force majeure, à la connaissance de l'administration chargée d'instruire la demande préalablement à la signature du décret et, d'autre part, qu'il ait, à la date du décret, résidé avec ce parent de manière stable et durable sous réserve, le cas échéant, d'une résidence en alternance avec l'autre parent en cas de séparation ou de divorce; ». Ces deux conditions sont cumulatives, or au moment où la mère obtenait sa naturalisation, l’enfant vivait avec son père en Pologne, il ne peut donc être naturalisé. (15 janvier 2018, M. X., n° 411147)

 

22 – Acte de l’état-civil douteux ou frauduleux – Pouvoirs et obligations de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Renvoi éventuel au juge judiciaire. Lorsque, dans le cadre d’une demande d’asile, sont fournis des documents d’état-civil comportant des incohérences ou autres les rendant suspects, la CNDA ne peut pas se borner à les rejeter purement et simplement : soit elle constate et décrit leur caractère frauduleux, soit elle renvoie au juge judiciaire le soin d’apprécier leur force probatoire. (26 janvier 2018, Mme X., n° 408256)

 

Fonction publique

 

23 - Professeur des universités. Admission en surnombre. Régime. Un professeur, membre du corps des directeurs d'études de l'Ecole pratique des hautes études, de l'Ecole nationale des chartes et de l'Ecole française de l'Extrême-Orient, mis à la retraite le 19 décembre 2017 et maintenu, sur sa demande, en activité en surnombre à l'Ecole pratique des hautes études jusqu’au 19 décembre 2020, ne peut pas sérieusement saisir le juge administratif des référés du refus qui lui a été opposé de cumuler cette autorisation avec une nomination en surnombre au sein de l'Ecole nationale des chartes et de la demande subséquente de libérer le bureau qu’il occupait dans ce dernier établissement, en invoquant à l’appui de sa requête qu’il serait ainsi porté atteinte aux libertés d'expression, d'exercer un recours effectif et d'exercer une profession ainsi qu'à l'indépendance des enseignants-chercheurs (5 janvier 2018, ord. réf., M. X. , n° 416828).

 

24 - Conditions d’examen de la candidature d’un professeur des universités. Annulation et recommencement de la procédure en exécution de cette annulation. Recours en exécution de décision de justice et recours en annulation : litiges distincts. Irrecevabilité du second recours. Une personne candidate à un emploi de professeur des universités à l’Université de Nice obtient du Conseil d’Etat l’annulation de la procédure de recrutement pour irrégularité et le droit à un nouvel examen de sa candidature. L’Université procède à ce réexamen et ne retient pas ladite candidature. L’intéressée, qui a saisi le Conseil d’Etat sur le fondement de l’art. L. 911-5 du code de justice administrative, relatif à l’exécution des décisions du juge administratif, n’est pas recevable dans le cadre d’une telle instance à invoquer les irrégularités qui entacheraient ce second examen car c’est là un litige distinct (10 janvier 2018, Mme X., n° 403772).

 

25 – Jury de concours – Absence de contrôle juridictionnel des appréciations qu’il porte sur la valeur des candidats. C’est un principe constant au contentieux, en matière de concours et d’examens, que celui de la « souveraineté du jury ». Il a pour conséquence que le juge ne contrôle point les appréciations portées par un jury sur la valeur des candidats qu’il a à juger. Par suite, ne peut, non plus, être invoquée à l’encontre de sa décision une quelconque erreur manifeste d’appréciation. (26 janvier 2018, M. X., n°404004)

 

26 – Composition irrégulière d’une liste de candidats. Annulation de la nomination subséquente. La circonstance qu’un jury procède irrégulièrement à la composition d’une liste de candidats à une promotion entache de nullité la composition de la liste et la nomination qui lui fait suite. (26 janvier 2018, M. X., n° 408215)

 

Libertés fondamentales

 

27 - Liberté de culte - Référé liberté et QPC - Fermeture d’une mosquée pour radicalisme - Faits nouveaux : absence ou trop récents pour justifier l’annulation de la mesure (3 espèces). La décision était délicate à prendre en raison d’éléments de fait. Elle comporte aussi d’intéressants points de procédure.

Il faut retenir d’abord cette affirmation solennelle du juge administratif, dans le droit fil de la jurisprudence de Cour européenne des droits de l’homme : «  La liberté du culte a le caractère d'une liberté fondamentale or, telle qu'elle est régie par la loi, cette liberté ne se limite pas au droit de tout individu d'exprimer les convictions religieuses de son choix dans le respect de l'ordre public, elle a également pour composante la libre disposition des biens nécessaires à l'exercice d'un culte. Aussi, un arrêté prescrivant la fermeture d'un lieu de culte est susceptible de porter atteinte à cette liberté fondamentale, il est également susceptible de porter atteinte au droit de propriété. »

Ensuite, au plan procédural, le Conseil d’Etat, qui a renvoyé au Conseil constitutionnel une QPC sur la constitutionnalité de l’art. L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, décide de ne pas attendre en l’espèce la réponse de ce Conseil car il doit statuer en urgence ayant été saisi par la voie d’un référé liberté.

Sur le fond, le juge estime que les motifs qui ont fondé la décision préfectorale de fermer la mosquée (imams radicalisés, prêches haineux envers d’autres religions, fréquentation par des éléments radicalisés ou proches de djihadistes ainsi que par des femmes entièrement voilées, liens avec la Syrie, etc.) sont toujours actuels. Si les responsables affirment avoir mis de l’ordre et renouvelé complètement leur organisation, le Conseil d’Etat considère qu’il n’y a pas lieu de revenir sur la fermeture car ces éléments sont soit trop récents soit trop flous pour être convaincants et parce qu’il est loisible aux fidèles de se rendre à l’autre mosquée de la commune. (11 janvier 2018, Association « Communauté musulmane de la Cité des Indes », n° 416398.

V. aussi, dans des circonstances voisines : 26 janvier 2018, Association Rahma de Torcy, n° 412312 ; 31 janvier 2018, Association des musulmans du boulevard National, n° 417332).

 

28 – Liberté d’association – Dissolution d’une association – Régime. Cette décision, qui concerne la liberté constitutionnelle d’association, repose sur une motivation du juge en droit et en fait, assez proche de ce qui a été dit au 1- précédent. Par ailleurs, confirmation d’une jurisprudence bien établie selon laquelle une association dissoute, qui ne dispose donc plus de personnalité juridique, se survit le temps de former un recours contre le décret de dissolution. (26 janvier 2018, Association dissoute " Fraternité musulmane Sanâbil (Les Epis) ", n° 407220)

 

29 – Droit d’asile – Convention de Genève – Mode d’emploi et directives jurisprudentielles – Création prétorienne. Cet arrêt fournit, dans l’épineux et douloureux domaine des demandes d’asile, un bel exemple du pouvoir normatif du juge. Ici le Conseil d’Etat délivre un manuel complet de mise en œuvre des dispositions de la Convention de Genève dans des cas non prévus et donc non couverts par cette Convention. (26 janvier 2018, M. et Mme X., n° 391111)

 

Police

 

30 - Police des films – Interdiction aux  seuls mineurs de douze ans justifiée. A propos du film « Bang gang (une histoire d’amour moderne) » le juge justifie en ces termes le caractère suffisant de son interdiction aux seuls mineurs de douze au lieu de seize ans comme le réclamait l’association requérante.

« (…) il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que si le film comporte plusieurs passages pendant lesquels les lycéens qui en sont les héros s'adonnent, sous l'emprise de l'alcool et de la drogue, à des pratiques de sexualité collective, les scènes en cause, indéniablement simulées, sont filmées sans aucun réalisme, de manière lointaine et suggérée. Ces scènes s'insèrent en outre de manière cohérente dans la trame narrative globale de l'oeuvre dont l'ambition est de rendre compte, sans porter de jugement de valeur, du désoeuvrement d'un groupe de jeunes, des pratiques auxquelles ils décident de se livrer jusqu'à l'excès, ainsi que des conséquences de tous ordres, sentimental, réputationnel comme médical, qu'elles ont entraînées. Il s'ensuit, dans ces conditions, que la cour administrative d'appel de Paris, qui a pris en compte l'ensemble des arguments invoqués par les requérantes, n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que la ministre de la culture et de la communication avait pu légalement attribuer au film" Bang Gang (une histoire d'amour moderne) " un visa d'exploitation comportant une interdiction limitée aux mineurs de douze ans. »

On peut ne pas approuver l’analyse – guère convaincante - qui motive le rejet de la requête. (26 janvier 2018, Association Promouvoir et autre, n° 408832)

 

Procédure contentieuse

 

 31 - Sursis à l’exécution d’une décision de justice. Conditions et régime. L’art. R. 821-5, al. 1, CJA permet de solliciter, en cas de pourvoi, qu’il soit sursis à l’exécution de la décision de justice critiquée par ce pourvoi. Ici ce sursis est accordé  à propos d’une décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes car sont réunies les trois conditions exigées par ce texte : l’application immédiate du jugement risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables ;  l’un au moins des moyens invoqués apparaît sérieux en l’état de l’instruction ; ce moyen est de nature à conduire, outre à l’annulation du jugement, également à son infirmation (12 janvier 2018, M. X., n° 413114).

En revanche, les conditions d’un tel sursis ne sont pas remplies dans l’espèce suivante : 26 janvier 2018, Ministre des solidarités et de la santé, n° 415754.

 

32 – Compétence matérielle de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Précisions. Le Conseil d’Etat rappelle que la CNDA n’est pas compétente à l’égard de toutes les décisions prises par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) mais seulement à l’égard de certaines d’entre elles seulement, limitativement énumérées à l’art. L. 731-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, tel qu’éclairé par les travaux parlementaires préparatoires. Pour les autres décisions, le contentieux relève de la juridiction administrative de droit commun. (17 janvier 2018, M. X., n° 410449)

 

33 – Effets du non respect du délai fixé par une injonction du juge. Par une décision du 16 janvier 2017, le Conseil d’Etat avait enjoint le premier ministre de prendre par décret une certaine décision dans les deux mois, soit, au plus tard, le 17 mars 2017. En fait elle le fut le 1er avril 2017. Usant de son pouvoir de modulation le juge estime excessives les conséquences qui découleraient de l’annulation de ce décret, illégal du fait de ce retard, et fixe au 1er juin 2018 les effets de l’annulation… A tout péché miséricorde… (17 janvier 2018, CIMADE et autres, n° 410280)

 

34 - Référé suspension - Condition d’urgence non remplie (3 décisions). C’est à bon droit que pour rejeter la demande de Mme X. tendant à voir suspendre le refus du Préfet de  la Guyane de lui accorder un titre de séjour « vie privée et familiale », le  TA de la Guyane s’est fondé sur ce que ce refus n’était assorti ni d'une obligation de quitter le territoire, ni d'aucune autre mesure d'éloignement, qu’ainsi n’existait aucune urgence. (Réf. 10 janvier 2018, Mme X., n° 417073).

Dès lors que la condition d’urgence n’est pas remplie le juge n’a - très logiquement -  pas à répondre aux moyens soulevés dans la requête. (26 janvier 2018, M. X., n° 415730)

La seule invocation de l’atteinte portée aux droits reconnus par l’ordre juridique de l’UE et de la nécessité d’y mettre fin rapidement n’est pas constitutive d’une situation d’urgence qui justifierait par elle-même et indépendamment de toute autre considération la suspension sollicitée. On peut regretter une jurisprudence qui fait bon marché des deux principes d’effectivité et d’application immédiate du droit de l’Union. (31 janvier 2018, M. X., n° 417521)

 

35 – Incompétence du juge administratif français pour connaître d’une décision administrative prise par une autorité étrangère à l’étranger même à l’égard d’un ressortissant français. Réitération d’une solution traditionnelle, appliquée ici à un militaire français en formation à l’université de l’armée fédérale à Munich. (26 janvier 2018, M. X., n°403177)

 

36 – Référé suspension et recours préalable obligatoire – Régime. Lorsqu’une décision ne peut être déférée au juge qu’après formation d’un recours administratif préalable obligatoire, la saisine directe du juge est irrégulière et le recours doit être rejeté. Compte tenu de l’urgence, il faut et il suffit que ce recours obligatoire ait été formé pour pouvoir saisir le juge sans attendre la réponse au recours préalable. C’est là une jurisprudence constante. (26 janvier 2018, M. X., n° 413663)

 

37 – Conditions de recevabilité des recours – Intérêt pour agir. Un arrêté ayant supprimé, pour les candidats au concours d’accès à un centre régional de formation professionnelle d’avocats, la possibilité d’opter pour une épreuve portant sur le « droit des affaires », il est contesté devant le juge par deux enseignants. L’un, maître de conférences dispensant un enseignement de droit fiscal à l’Institut d’études judiciaires d’Aix-en-Provence, en vue de la préparation dudit concours, est déclaré recevable à agir contre l’arrêté litigieux. L’autre, professeur des universités enseignant le droit fiscal dans le cursus général des études, voit sa requête frappée d’irrecevabilité car sa qualité ne lui donne pas un intérêt pour agir. (26 janvier 2018, M. X. et M. Y., n° 406005)

 

38 – Effet dévolutif de l’appel – Conséquences – Obligation d’examen en appel des moyens de première instance non repris en appel. Rappel de la jurisprudence classique et constante selon laquelle le principe de l'effet dévolutif de l'appel oblige le juge d'appel à répondre aux moyens invoqués en première instance par le défendeur, alors même que ce dernier ne les aurait pas expressément repris dans un mémoire en défense devant lui. Il n’existe que deux exceptions à cette obligation : celle où le requérant déclare expressément abandonner tel(s) moyen(s) de première instance et celle où un (ou plusieurs) moyen(s) de première instance serai(en)t inopérant(s). (31 janvier 2018, M. et Mme X. et autre, n° 406655)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

39 - Notion de disposition législative – Texte adopté par voie d’ordonnance non encore ratifiée – Bien que de nature réglementaire, possibilité d’une QPC en cas d’indivisibilité. La procédure de la QPC ne peut être engagée qu’à l’égard d’une disposition de nature législative, non contre un traité ou un acte réglementaire. Toutefois, lorsque, comme au cas de l’espèce, l’acte litigieux résultant d’une ordonnance non ratifiée est indivisible d’autres dispositions qui sont, elles, de nature législative, une QPC est possible au sujet de l’ensemble indivisible.

C’est là une solution de bon sens et simplificatrice qui doit être approuvée (16 janvier 2018, Union des ostéopathes animaliers et autre, n° 415043).

 

40 – Constitutionnalité, ou non,  du premier alinéa  l’art. L. 561-1 du code l’environnement. Cet article permet au préfet d’exproprier les terrains soumis à un risque de submersion marine ou de mouvements de terrain mais non ceux soumis au risque d’érosion côtière : le Conseil d’Etat interroge le Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité de cette différence de régime qui lui paraît attenter tant au principe d’égalité qu’au droit de propriété.

On relèvera que ce renvoi concerne donc ici une disposition législative non à raison de son contenu mais de ce qu’elle ne contient pas. (17 janvier 2018, Syndicat secondaire Le Signal, n° 398671)

 

41 – QPC dirigée contre une disposition législative se bornant à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d’une directive de l’UE – Irrecevabilité sauf atteinte à l’identité constitutionnelle de la France. Le Conseil constitutionnel juge, en application de l’art. 88-1 de la Constitution, qu’il ne lui appartient pas de contrôler la constitutionnalité de lois qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires des dispositions inconditionnelles et précises d’une directive de l’UE sauf s’il est par là porté atteinte à l’identité constitutionnelle de la France (C.C. 10 juin 2004, Loi sur l’économie numérique, n° 2004-496 DC). Le Conseil d’Etat en déduit très logiquement qu’il ne peut adresser au Conseil constitutionnel une QPC concernant de telles lois sauf l’exception précitée. En l’espèce, l’identité constitutionnelle de la France n’étant pas en cause, il n’y a pas lieu de transmettre la QPC. (26 janvier 2018, Sarl Consus France, n° 415512)

 

42 – Refus de transmettre une QPC au Conseil d’Etat – Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Droit de l’UE et art. 88-1 de la Constitution. Importante décision portant sur plusieurs points de droit.

Tout d’abord, dès lors qu’une QPC relative à une loi se bornant à transposer le droit de l’UE (ici la directive du 26 juin 2013), ne porte pas sur l’identité constitutionnelle de la France, elle est irrecevable. Le refus de la transmettre au Conseil d’Etat est donc régulier. Ensuite, il est clair en l’espèce que la directive en cause ne porte pas atteinte, en matière de droit d’asile, à l’art. 18 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE : c’est donc à bon droit que la CNDA a refusé de poser à son sujet une question préjudicielle à la CJUE. Enfin, ne saurait être invoqué pour la première fois en cassation le moyen, qui n’est pas d’ordre public, tiré de l'invalidité des dispositions litigieuses de la directive du 26 juin 2013 au regard de la Charte des droits fondamentaux de l’UE pour soutenir que la CNDA aurait entaché sa décision d'erreur de droit en ne renvoyant pas à la Cour de justice de l'Union européenne une question en appréciation de validité sur ce point. (26 janvier 2018, M. et Mme X., n° 397611)

 

Responsabilité

 

43 - Art. R. 422-8 du code des assurances – Recours subrogatoire – Principe de réparation intégrale du dommage – Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions. La présente décision comporte de très utiles précisions sur le principe d’indemnisation intégrale du préjudice ainsi que sur le rôle joué à cette fin par le recours subrogatoire de l’organisme qui a indemnisé. (24 janvier 2018,  Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs (FENVAC) et autres, n° 401826)

 

Santé  publique

 

44 - Maintien artificiel en vie du patient - Arrêt de traitement médical sur patient hors d’état de manifester sa volonté – Cas du patient mineur - Régime. De cette affaire dramatique, on retiendra les éléments suivants.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat juge qu’il résulte des textes législatifs applicables ainsi que de la décision du Conseil constitutionnel (n° 2017-632 QPC) du 2 juin 2017, que dans toute hypothèse où un patient est hors d’état de manifester sa volonté d’arrêter ou de ne pas mettre en œuvre un traitement médical, c’est au médecin qui en a la charge que revient le pouvoir de décider après respect, d’une part, d’une procédure collégiale, d’autre part, soit «  des directives anticipées du patient » soit à défaut de ces dernières, après avoir consulté la personne de confiance qu’il a désignée ou à défaut, sa famille ou ses proches.

Le juge fait ici une distinction très importante entre la volonté du patient exprimée avant sa perte de volonté, qu’il doit impérativement respecter, et les avis d’autres personnes lesquels concourent à l’information du médecin mais ne s’imposent point à lui.

Ensuite, lorsque ce patient hors d’état d’exprimer sa volonté est un mineur, le médecin après avoir consulté la famille et – selon l’âge du mineur - recherché s’il a antérieurement exprimé une quelconque volonté sur cette question, doit « s'efforcer, en y attachant une attention particulière, de parvenir à un accord sur la décision à prendre avec ses parents ou son représentant légal, titulaires (…) de l'autorité parentale. A défaut d’un tel accord, il appartient au médecin, s'il estime que la poursuite du traitement traduirait une obstination déraisonnable, après avoir mis en oeuvre la procédure collégiale » de prendre la décision de limitation ou d'arrêt de traitement.

Enfin, la décision du médecin d’arrêter ou de limiter le traitement, dans le cas d’un patient mineur, doit être notifiée à ses parents ou à son représentant légal afin qu’il(s) puisse(nt), le cas échéant, former un recours contre cette décision et cette dernière ne peut pas être mise en œuvre avant l’expiration du délai de saisine de la juridiction administrative ou avant que celle-ci, si elle a été saisie, n’ait statué. (5 janvier 2018, Référé en formation collégiale, Mme X. et M. Y. c/ CHRU de Nancy, n° 416689)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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