Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Mai 2021

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Communication de documents administratifs - Minutes civiles des jugements du TGI de Paris - Absence de caractère de document administratif - Communication impossible - Droit à la réutilisation de données publiques - Inapplicabilité aux décisions de l’autorité judiciaire - Rejet.

Le requérant contestait devant le Conseil d’Etat le rejet de sa requête tendant à l’annulation du refus implicite, par le ministre de la justice, d’accéder à sa demande de communication des minutes civiles des jugements prononcés en audience publique par le tribunal de grande instance de Paris en vue de la réutilisation des informations publiques contenues dans celles-ci.

Le Conseil d’Etat, se fondant sur ce que les documents, quelle que soit leur nature, qui se rattachent à l’exercice de la fonction juridictionnelle, et notamment les jugements des juridictions judiciaires, n'ont pas le caractère de documents administratifs communicables, rejette le pourvoi dont il est saisi, tant au regard des dispositions de l’art. L. 300-2 du CRPA qui organisent la communication de tout document administratif qu’à celui de l’art. L. 321-1 de ce code qui fixent le régime de la réutilisation des données publiques.

Le critère organique, qui prend en considération l’auteur de l’acte ou du document, prime sur toute autre considération en l’état de la séparation entre ce qui touche au fonctionnement de la justice judiciaire, lequel ne relève pas du juge administratif et fait rejeter la qualification des actes et documents qu’il produit comme documents administratifs communicables et l’organisation de ce service public dont on sait qu’il relève traditionnellement de la compétence de ce dernier juge (TC 27 novembre 1952, Officiers ministériels de Cayenne c/préfet de la Guyane).

A la question de savoir s’il s’agit d’actes administratifs non communicables ou d’actes n’étant pas de nature administrative, il convient de répondre par la première branche de l’alternative en raison de l’éminence du caractère de service public de la justice judiciaire.

(5 mai 2021, M. B., n° 434502)

(2) V. aussi, au sujet de l’invocation par ce même requérant d’un droit à la communication de ces mêmes documents tiré de leur nature d’archives publiques (art. L. 211-1 et s. du code du patrimoine), où il est jugé que de tels documents ont bien cette nature mais, d’une part, que la communication de ceux des jugements qui sont rendus publiquement s’effectue non sur le fondement des dispositions du code du patrimoine et spécialement sur celles de l’art. L. 213-3 de ce code mais sur celles de l’art. 11-3 de la loi du 5 juillet 1972 instituant un juge de l'exécution et relative à la réforme de la procédure civile, la demande du requérant est donc de ce chef sans objet, et d’autre part, que la communication des jugements qui n’ont pas été rendus publiquement n’est pas possible sans qu’il soit porté atteinte  notamment  au secret relatif aux affaires portées devant les juridictions et à la protection de la vie privée des personnes physiques mentionnées dans les jugements ; ces derniers ne sauraient non plus relever du régime de la réutilisation des données publiques (cf. art. L. 321-1 CRPA) : 5 mai 2021, M. B., n° 434503.

 

3 - Conseil national des barreaux - Édiction d’une fiche - Guide pratique « lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme » - Commentaire d’un dispositif de lutte - Absence de caractère d’acte administratif - Irrecevabilité - Rejet.

Est irrecevable le recours de la requérante demandant l’annulation pour excès de pouvoir d’énonciations contenues dans une « fiche » du Conseil national des barreaux se bornant à rappeler le droit applicable, à signaler des difficultés d'interprétation et à souhaiter des clarifications jurisprudentielles quant à la portée des nouvelles dispositions du 3° du I de l'article L. 561-3 introduites par l'ordonnance du 12 février 2020, car celles-ci sont en elles-mêmes dépourvues de toute portée et de tout effet.

Par suite, aucun des moyens énoncés n’est examiné.

(5 mai 2021, Mme B., n° 447504)

 

4 - Référé-suspension - Foire aux questions – Publication sur le site internet du ministère des finances – Demande de suspension – Acte déférable au juge – Rejet.

Le juge des référés admet implicitement mais nécessairement la recevabilité d’une requête en référé-suspension dirigée contre certaines énonciations d’une « foire aux questions » (FAQ) publiée sur le site internet du ministère de l’économie et des finances.

(ord. réf. 12 mai 2021, Mme A., n° 451130)

 

5 - Décret portant dissolution d’un parti politique – Demande gracieuse de retrait – Refus implicite – Forclusion encourue pour la formation d’un recours contentieux antérieurement à la demande gracieuse – Irrecevabilité – Rejet.

Est irrecevable le recours contentieux en annulation du rejet implicite d’un recours gracieux tendant au retrait d’un décret formé lui-même après l’expiration du délai de recours contentieux ouvert contre ce décret.

La règle est classique et d’une logique imparable car il n’entre pas dans l’objet d’un recours gracieux de faire revivre un délai contentieux déjà expiré à la date d’introduction de ce recours.

(27 mai 2021, Association Pupu Here Ai'Ia Nunaa Ia'Ora, n° 439927)

 

6 - Concours d'entrée dans les écoles de commerce (dits " BCE " et " ECRICOME) - Calendrier des épreuves de ces concours d'entrée dans les grandes écoles - Révélation par des communiqués de presse – Covid-19 – Recommandations de la ministre des universités – Absence d’incompétence – Rejet.

L’association requérante entendait contester des « décisions » ministérielles qu’elle estimait illégales et obtenir réparation du préjudice en résultant. Le rejet de la demande d’annulation entraîne celui de la demande indemnitaire.

Pour rejeter le recours dirigé contre la révélation de « décisions » ministérielles par la publication d’un calendrier des concours d’accès aux grandes écoles de commerce, le Conseil d’État indique qu’il n’y a pas en l’espèce de décisions mais seulement des recommandations émises à la suite d’une procédure de concertation avec les responsables des établissements concernés, ceux-ci demeurant, en toute hypothèse, décisionnaires. De telles recommandations ne sont pas entachées d’incompétence.

Par ailleurs, en fixant au 12 août 2020 la date limite d'organisation de ces épreuves, afin de permettre une rentrée dans les établissements en septembre, la ministre, compte tenu de la persistance de la circulation du virus et de l'incertitude, à la date de la recommandation litigieuse, sur l'évolution de la situation sanitaire, et par suite sur la possibilité d'organiser des épreuves orales après le 7 août 2020, n’a pas entachée sa « décision » d'erreur manifeste d'appréciation.

Enfin, lesdites recommandations n’avaient ni pour objet ni pour effet de modifier la nature du programme ou des épreuves écrites des concours d’entrée dans les écoles de commerce. 

(27 mai 2021, Association pour la défense de la méritocratie en classes préparatoires aux grands écoles (ADMCP), n°440939)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

7 - Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) - Accomplissement de ses missions - Facultés reconnues par l’art. 19 de la loi du 30 septembre 1986 - Caractère non décisoire du recours ou non à ces facultés - Contrôle du juge – Contrôle normal ou restreint selon les cas si un opérateur a manqué à ses obligations légales ou conventionnelles - Rejet.

Le syndicat requérant avait demandé au CSA d’exercer ses pouvoirs d’enquête afin de vérifier le respect par une radio locale du plafond de 20 % de recettes assurées par la publicité et le parrainage qui lui est applicable, de mettre en demeure l'association éditrice de cesser de porter atteinte aux conditions d'exercice de la concurrence et de respecter les obligations de la convention qu'elle a conclue avec le CSA tant en matière de durée des informations et rubriques locales, qu’en matière de programmation musicale ainsi que de temps de diffusion des messages publicitaires. 

Il saisit le juge du refus implicite né du silence gardé par le CSA sur ses demandes. Il est débouté.

L’affaire est intéressante pour les deux principaux points de droit qu’elle aborde et résout.

En premier lieu, les pouvoirs que l’art. 19 de la loi du 30 septembre 1986 reconnaît au CSA pour l’exercice de ses missions légales ne sont que des facultés dont il use librement, par suite leur mise en œuvre comme le refus d’y recourir ne constituent point des décisions faisant grief.

En second lieu, l’étendue du contrôle exercé par le juge administratif n’est pas la même selon qu’il s’agit de déterminer si l’opérateur a manqué à ses obligations, légales ou conventionnelles, conduisant le CSA à une mise en demeure, le contrôle contentieux étant alors normal c’est-à-dire plein et entier, ou selon qu’il s’agit de contrôler l’exercice par le CSA de ses pouvoirs en cas de manquement constaté, le contrôle étant alors restreint.

(6 mai 2021, Syndicat des radios indépendantes (SIRTI), n° 435540)

 

8 - Émission radiophonique satirique - Chanson affirmant « en des termes souvent obscènes et grossiers » l’homosexualité de Jésus Christ - Refus du CSA d’engager les actions que lui ouvrent les art. 3-1 et 43-11 de la loi du 30 septembre 1986 - Légalité.

L’association requérante demandait l’annulation de la décision du CSA ayant refusé d'engager à l'encontre de la société Radio France les actions prévues aux articles 42-10, 48-1, 48-3, 48-9 et 48-10 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication du chef de l’émission « Par Jupiter ! » au cours de laquelle a été diffusée, « en réaction à la décision d'une autorité judiciaire brésilienne qui avait interdit un film présentant Jésus Christ comme une personne homosexuelle (…) une chanson dont le texte affirmait, en des termes souvent obscènes et grossiers, l'homosexualité de ce dernier. ».

Le Conseil d’Etat juge régulier le refus du CSA de faire application, comme il le lui était demandé, des art. 3-1 (refléter la diversité de la société française) et 43-11 (actions en faveur de la cohésion sociale, de la diversité culturelle, de la lutte contre les discriminations et des droits des femmes) de la loi de 1986 sur la liberté de communication.

Le juge retient pour cela le caractère satirique de l’émission au cours de laquelle ont été tenus ces propos « souvent obscènes et grossiers », « outranciers » (Conseil d’Etat dixit), le fait qu’ils «  ne comportaient aucun encouragement à la discrimination envers un groupe de personnes déterminé à raison de leur religion », la circonstance que des excuses ont été présentées par leur auteur comme par la chaîne de radio, qu’ils n’excédaient pas les limites de la liberté d’expression et ne méconnaissaient pas, de la part de ladite chaîne, son obligation légale de concourir à la cohésion sociale et à la lutte contre les discriminations.

On peine à imaginer qu’une solution identique serait retenue si de tels propos visaient le chef de l’Etat ou quelque sous-ministre… pourtant ils n’ont pas plus, ni moins, de réalité que le personnage visé par la chanson.

Comme le dit F. Ponsard :

 « Quand la règle est franchie, il n’est plus de limite 

Et la première faute aux fautes nous invite. ». (in L’honneur et l’argent, 1853, Acte III sc. 5)

(6 mai 2021, Association Fondation service politique, n° 440091)

 

9 - Création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel – Système d’information sur les armes – Finalité du traitement conforme au droit de l’Union – Respect de la loi de 1978 – Dispositions claires et intelligibles – Conditions légales d’exploitation et d’information – Rejet.

Le requérant poursuivait l’annulation du décret n° 2020-487 du 28 avril 2020 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « système d'information sur les armes », qui a pour finalités la gestion et le suivi des titres ou autorisations d'acquisition et de détention, de fabrication, commerce et intermédiation, de port et de transport d'armes, de munitions et de leurs éléments, ainsi que la dématérialisation des formalités administratives relatives aux armes pour les usagers.

Le décret insère dans le code de la sécurité intérieure des articles R. 312-84 à R. 312-90, qui définissent, outre les finalités de ce traitement, la nature et la durée de conservation des données enregistrées, les catégories de personnes y ayant accès ainsi que celles qui en sont destinataires, et précise les modalités d'exercice des droits des personnes concernées. 

Tous les moyens soulevés par le requérant à l’appui de sa prétention sont rejetés.

Au plan formel, la publication de l’avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés sur ce décret postérieurement à la publication de ce dernier est sans incidence sur sa légalité.

Au fond, le décret créant le traitement litigieux répond à une finalité se rattachant à celles que régit la directive (UE) 2016/680 du 27 avril 2016 en ce qu’il vise, d’une part, par la collecte de données sensibles, issues d’enquêtes administratives, à s'assurer que la personne sollicitant l'autorisation de fabriquer, vendre, acquérir, détenir, porter ou transporter des armes à feu, n'a pas un comportement incompatible avec la délivrance d'une telle autorisation, et d’autre part, en ce que ces données sont conservées pendant une durée maximale d'un an en cas de déclaration ou de demande d'autorisation ou, en cas de litige, jusqu'à ce qu'il ait été statué définitivement sur ce dernier.

Si le décret autorise la conservation et le traitement des données relatives à la prétendue origine raciale ou ethnique, aux opinions politiques, aux convictions religieuses, à l'appartenance syndicale, à la vie sexuelle ou à l'orientation sexuelle de tiers, cette possibilité, d’une part, n'est ouverte qu'en cas de nécessité absolue, pour les seules donnée strictement nécessaires, adéquates et non excessives, et aux seules fins assignées au traitement, dans le respect des conditions qui lui sont applicables, et, d'autre part, elle n’est admise que si ces données se rapportent à une procédure dans laquelle la personne faisant l'objet d'une enquête est mise en cause. Par suite, de ce chef, le décret ne méconnaît pas les exigences légales invoquées à son encontre par le requérant.

Enfin, les limitations apportées par le texte litigieux aux droits d'opposition, d'information, d'accès et de rectification s’inscrivent dans le cadre d'enquêtes, de recherches ou de procédures liées à la prévention ou à la poursuite d'infractions pénales ou à la protection de la sécurité publique, ce qui suffit à en permettre la justification.

(27 mai 2021, M. B., n° 441977)

 

10 - Radios-associatives – Covid-19 - Perte de recettes publicitaires et de certaines autres ressources financières – Exclusion du dispositif de soutien spécifique à la diffusion hertzienne et numérique des services de télévision à vocation locale et des radios (loi du 30 juillet 2020 et décret du 10 avril 2021) – Référé suspension - Défaut d’urgence – Rejet.

Les requérants demandaient la suspension du décret du 10 avril 2021 pris pour l’application de la loi du 30 juillet 2020 mettant en place un dispositif de soutien spécifique à la diffusion hertzienne et numérique des services de télévision à vocation locale et des radios dont les revenus, notamment publicitaires, ont été particulièrement affectés par la crise liée à la Covid-19 dans la mesure où ce dispositif n’est pas applicable aux radios associatives. Or celles-ci, dont les recettes publicitaires ne peuvent dépasser 20% de leur chiffre d’affaires, ont vu ces dernières réduites ainsi que les autres sources de revenus, d’où la demande de suspension.

Cette requête est rejetée au double motif que la privation du soutien exceptionnel ne représente que 2% des recettes annuelles et que le Conseil d’État statuera avant la fin de l’année 2021 sur la requête en annulation, ce qui prive d’urgence la demande de référé.

(28 mai 2021, Syndicat national des radios libres et Confédération nationale des radios associatives, n° 452774)

 

Biens

 

11 - Dons et legs - Don en « nue-propriété au Vatican » - Revendication par une association pontificale - Arrêté préfectoral refusant de délivrer un certificat de non-opposition - Qualité d’État du Saint-Siège - Disposition de la personnalité internationale - Compétence à cet égard du seul ministre de l’intérieur (art. 910 c. civ.) - Rejet.

Un ressortissant français a, par testament en forme authentique, institué « légataire universel en nue-propriété le Vatican avec obligation d'affecter ce legs prioritairement à la basilique Sainte-Marie-Majeure de Rome ». Ce legs a été accepté par l'association française des œuvres pontificales missionnaires (AFOPM) à laquelle le préfet du Rhône a refusé le certificat de non opposition à délivrance d’un legs prévu par l’art. 910 du Code civil pour les legs faits, notamment au profit des fondations, des congrégations et des associations ayant la capacité à recevoir des libéralités. L’AFOPM a contesté en vain ce refus devant le tribunal administratif puis devant la cour administrative d’appel et elle se pourvoit en Conseil d’Etat.

Celui-ci confirme la solution adoptée par les juges du fond.

En premier lieu, dès lors que le legs a été fait au profit du « Vatican » « avec obligation d'affecter ce legs prioritairement à la basilique Sainte-Marie-Majeure de Rome », il devait être considéré comme effectué au bénéfice du Saint-Siège, propriétaire de cette basilique, lequel possède la qualité de sujet de droit international, et c’est à bon droit que le préfet  a refusé de délivrer un certificat de non opposition à délivrance de legs à une association qui, quelle que soit l’étroitesse de ses liens avec le Saint-Siège, n’est pas la légataire mentionnée dans le testament.

En second lieu, le legs attribué au Saint-Siège, qui est un Etat au sens et pour l’application du dernier alinéa de l’art. 910 du Code civil, doit faire l’objet d’un certificat de non opposition de la part du ministre de l’intérieur en vertu des art. 6-1 à 6-7 du décret du 11 mai 2007 relatif aux associations, fondations, congrégations et établissements publics du culte et portant application de l'article 910 du code civil.

(5 mai 2021, Association française des œuvres pontificales missionnaires, n° 440167)

 

12 - Décision d’exercice du droit de préemption urbaine – Doute sérieux sur sa légalité pour insuffisance de la motivation sur la nature du projet – Doute sur sa légalité à raison de l’absence de réalité, à la date de la décision, du projet justificatif de la préemption – Rejet.

Le juge des référés d’un tribunal administratif ordonne la suspension de l’exécution de la décision d’une commune d’exercer son droit de préemption urbain sur une parcelle privée en se fondant sur l’existence d’un doute sérieux affectant deux aspects du projet.

La commune se pourvoit.

Le Conseil d’État aperçoit une dénaturation des pièces du dossier dans le jugement contesté en ce que celui-ci a estimé cette décision insuffisamment motivée s'agissant de la nature du projet justifiant la décision d'exercer le droit de préemption.

Toutefois, il considère que c’est sans dénaturation des faits ni erreur de droit que ce jugement a émis un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse fondé sur le moyen tiré de l'absence de réalité, à la date de cette décision, du projet d'action ou d'opération d'aménagement l'ayant justifiée.

Dès lors que l’un au moins des motifs de l’ordonnance attaquée justifie la suspension ordonnée, le recours est rejeté.

(21 mai 2021, Commune de Nogent-le-Rotrou, n° 445049)

 

Collectivités territoriales

 

13 - Nouvelle-Calédonie - Référendum en vue de l’accession de ce territoire à l’indépendance - Demande de modification du décompte des voix - Demande assortie d’aucun effet juridique - Irrecevabilité.

Les requérants demandaient la modification des résultats du scrutin du 4 octobre 2020 sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie dans les bureaux de vote n°s 28, 29, 37, 43, 44 et 50 de la commune de Nouméa, n°s 27 et 29 de la commune de Lifou et n° 5 de la commune du Mont-Dore.

Alors que le résultat proclamé officiellement, a donné 53,26% des suffrages en faveur du « non » et 46,74% pour le « oui », l’admission de la protestation aurait pour effet de porter ces chiffres respectivement à 54,27% et 45,73% « sans inverser le résultat de la consultation.

Dans ces conditions, la protestation qui, sans tendre à l'inversion ou l'annulation du résultat de la consultation, recherche seulement la modification du décompte des voix, auquel ne s'attache, dans son détail, aucune conséquence juridique, n’est pas recevable ».

La solution n’est guère satisfaisante même si elle peut s’autoriser d’une décision de principe un peu ancienne (Section, 17 octobre 1986, Élections cantonales de Sevran, Rec. p. 233) : pourquoi les électeurs n’auraient-ils pas le droit d’exiger que les chiffres officiels des résultats d’élections soient conformes à la vérité et point erronés ?

(5 mai 2021, Mme F. et autres, n° 445305)

 

14 - Autorisation de plaider en lieu et place d’une collectivité territoriale négligente de ses intérêts (art. L. 2132-5 CGI) – Régimes juridique et contentieux – Requête de la commune normalement irrecevable mais régularisée – Qualité pour plaider au nom de la commune – Délibération préalable de la commune – Autorisation fondée – Rejet.

Des contribuables de Montauban ont été autorisés par le tribunal administratif à se constituer partie civile au nom de cette commune devant le tribunal correctionnel contre la maire de la commune, poursuivie pour détournements de fonds publics. La commune demande l’annulation de cette autorisation de plaider laquelle constitue de la part du juge non un acte juridictionnel mais un acte administratif.

La requête est rejetée au terme d’un examen de divers points de procédure relatifs à cette voie d’action contentieuse particulière qu’est l’autorisation de plaider.

Tout d’abord, les contribuables autorisés à plaider contestent la recevabilité du recours introduit par la commune devant le Conseil d’État. En effet, la maire de la commune étant en cause, elle ne pouvait donc pas le saisir ou y défendre au nom de la commune ; c’est pourquoi, conformément aux textes, le conseil municipal avait donné délégation à cet effet à Mme C. conseillère municipale. Or il était objecté que cette dernière était en situation de conflit d’intérêts (cf. art. 2 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique), ce que le Conseil d’État reconnaît mais celui-ci relève que postérieurement à l’introduction de la requête par Mme C. et avant la clôture de l’instruction, le nouveau maire de la commune a régularisé la requête qu’elle avait présentée au nom de la commune.

Ensuite, il est jugé que l’une des contribuables autorisées à agir au nom de la commune avait bien la qualité de contribuable qui lui était, en vain, contestée.

Également, la commune affirmait n’avoir pas préalablement délibéré sur la demande des contribuables afin qu’elle exerce l’action en justice pour la défense de ses intérêts alors que, par sa délibération du 23 novembre 2020, le conseil municipal a expressément refusé la constitution de partie civile de la commune dans l'instance pénale devant le tribunal correctionnel.

Enfin, deux autres points étaient discutés. En premier lieu, la régularité de la procédure suivie devant le tribunal administratif était critiquée. Ce grief est rejeté. En présence des mémoires détaillés des contribuables demandant à être autorisés à plaider, le tribunal, compte tenu de l’audience correctionnelle prévue le 10 décembre 2020, a, le 30 novembre 2020, imparti à la commune un délai de huit jours pour que le conseil municipal délibère sur les observations qu’appellerait selon lui la demande d’autorisation de plaider. Constatant qu’à la date du 8 décembre le conseil municipal n’avait pas été convoqué, c’est sans irrégularité que le tribunal a, le jour même, autorisé les contribuables demandeurs à se constituer partie civile au nom de la commune dans l’instance ouverte devant le tribunal correctionnel. En second lieu, il ne faisait pas de doute que la demande d’autorisation de plaider était fondée en l’espèce, l’intéressée ayant été renvoyée devant le tribunal correctionnel pour avoir, du 3 septembre 2012 au 8 février 2014, fait rémunérer par la commune de Montauban un emploi fictif ainsi que l'achat d'articles, de publireportages, de journaux et la création et le fonctionnement d'un blog dédié à sa communication électorale, le préjudice matériel subi par la commune en raison de ces faits ayant été évalué à une somme globale de 80 000 euros.

(28 mai 2021, Commune de Montauban, n° 447403)

 

Contentieux administratif

 

15 - Partie non-mise en cause, non convoquée et non présente à l'audience - Pourvoi en cassation irrecevable - Requalification en tierce opposition - Renvoi de l'affaire au tribunal administratif.

Rappel de règles générales constantes de procédure contentieuse selon lesquelles :

1°/ la voie du recours en cassation est réservée aux personnes qui ont eu la qualité de partie dans l'instance ayant donné lieu à la décision attaquée ; 2°/ une personne qui n'a été ni appelée ni représentée à l'instance peut former tierce-opposition devant la juridiction qui a rendu la décision si celle-ci préjudicie à ses droits.

Ce dernier cas se présentait en l'espèce où le préfet demandait au tribunal administratif d'annuler l'arrêté municipal accordant un permis de construire à M. B. en vue de la construction d'un bâtiment à usage d'habitation et où le tribunal avait annulé ledit permis sans communiquer la requête du préfet à M. B., sans le convoquer à l'audience publique et sans que, par voie de conséquence, M. B. ait produit un mémoire ou ait été présent à l'audience.

Ne pouvant pas être regardé comme ayant été régulièrement mis en cause par le tribunal, M. B. n'avait pas la qualité de partie dans l'instance devant ce tribunal et n'était dès lors pas recevable à se pourvoir en cassation contre le jugement rendu par celui-ci.

En revanche, en ce que ce jugement préjudicie gravement à ses droits, l'action de M. B. doit être requalifiée en tierce-opposition et elle est renvoyée devant le tribunal administratif.

(3 mai 2021, M. B., n° 444789)

 

16 - Appel incident - Absence de condition de délai - Nécessité d'un appel ne portant pas sur un litige distinct - A défaut, formulé hors du délai d'appel, appel irrecevable - Cassation de l'arrêt contraire à cette règle et règlement du litige au fond.

Rappel du principe bien certain que si un appel incident est recevable sans condition de délai c'est à la stricte condition qu'il ne soulève pas un litige distinct de celui qui fait l'objet de l'appel principal. En effet, s'il soulève un litige distinct il ne constitue pas un appel incident mais un appel principal parallèle à l'autre appel principal et doit, en ce cas, être lui-même formé dans le délai d'appel.

Un tel moyen est d'ordre public et peut donc être soulevé d'office par le juge y compris, comme ici, en cassation.

Ainsi, en l'espèce, où l'appel principal portait sur des impositions au titre des années 2012 et 2013 et l'appel incident sur des impositions (cotisations de contribution sociale généralisée et de contribution au remboursement de la dette sociale) relatives à l'année 2011, ce dernier soulevait un litige distinct ; c'est pourquoi, formé après expiration du délai d'appel, il était irrecevable.

(5 mai 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 433583)

 

17 - Éoliennes terrestres - Contentieux de l’installation - Compétence en premier et dernier ressort de la cour administrative d’appel - Extension à l’ensemble des actes en relation avec l’autorisation d’installation d’éoliennes - Renvoi de l’affaire à la CAA.

Sur renvoi d’un tribunal administratif, le Conseil d’État juge que l’attribution en premier et dernier ressort à la cour administrative d’appel de la connaissance de l’ensemble du contentieux relatif à l’installation d’éoliennes ayant été instituée dans le souci d’accélérer le délai de traitement de ce contentieux, il s’ensuit que cette compétence doit être entendue comme leur permettant de connaître également « des autorisations d'occupation du domaine public au sens de l'article R. 2122-1 du code général de propriété des personnes publiques, de la modification d'une de ces autorisations ou du refus de les prendre ainsi que des actes permettant la conclusion de conventions autorisant l'occupation du domaine public dès lors que ces décisions sont relatives aux installations terrestres de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent classées au titre de l'article L. 511-2 du code de l'environnement, à leurs ouvrages connexes, ainsi qu'aux ouvrages de raccordement propres au producteur et aux premiers postes du réseau public auxquels ils sont directement raccordés. »

(5 mai 2021, SCEA Ferme de la Puce, n° 448036)

 

18 - Concessions hydroélectriques – Décret de regroupement et instauration d’une nouvelle date d’échéance - Décret valant nouvelle autorisation d’installations hydroélectriques (art. L. 311-5 c. énergie et art. L. 214-1 c. environnement) – Appréciation de l’intérêt donnant qualité à agir à une association à vocation nationale – Admission de principe du recours et supplément d’instruction ordonné en vue de communication de documents.

(18 mai 2021, Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG), n° 434438) V. n° 31

 

19 - Référé - Procédure engagée devant le juge judiciaire – Saisine du juge administratif des référés – Incompétence manifeste – Rejet.

Le juge administratif des référés est manifestement incompétent pour connaître d’une demande intervenant dans le cadre d'une procédure engagée auprès des juridictions de l'ordre judiciaire.

(ord. réf. 7 mai 2021, M. B., n° 449269)

 

20 - Référé-suspension – Travaux terrestres déjà engagés – Liaison électrique entre le rivage et des éoliennes devant être implantées en mer - Absence d’urgence – Rejet.

Les requérantes demandaient en référé la suspension de l'exécution de la décision implicite par laquelle la ministre de la transition écologique a rejeté leur demande d'abrogation de la décision du 6 avril 2012 désignant l'exploitant du parc éolien au large de Courseulles-sur-Mer et de la décision du 18 avril 2012 autorisant la société Éolien Maritime France à exploiter une installation de production d'électricité sur le domaine public maritime au large de Courseulles-sur-Mer. Pour justifier de l’urgence à statuer, elles invoquaient le fait qu’étaient déjà commencés les premiers travaux de génie civil, consistant en la construction d'une liaison souterraine de 24 kilomètres, afin de réaliser la partie terrestre du raccordement électrique entre Bernières-sur-Mer et le poste de transformation de Ranville. 

Pour rejeter la demande pour défaut d’urgence, le juge relève que si ces travaux d’enfouissement de la liaison électrique peuvent permettre à terme le raccordement électrique du poste de transformation de Ranville et ensuite du parc éolien en mer au large de Courseulles-sur-Mer, ils sont toutefois indépendants du titulaire de l'autorisation d'exploiter l'installation de production électrique de ce parc. En eux-mêmes ces travaux ne caractérisent pas une situation d’urgence au regard des deux demandes formées par les requérantes devant le juge des référés.

(ord. réf. 7 mai 2021, Associations Libre Horizon et Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), n° 451686)

 

21 - Référé-suspension – Référé dirigé contre une décision qui a épuisé ses effets – Requête dépourvue de tout effet sur la situation du requérant – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Le demandeur, médecin, s’était vu infliger par le conseil national de l’ordre des médecins une suspension de trois mois d’exercer la médecine. Ce délai étant expiré il saisit le juge d’une demande de suspension. Celle-ci est évidemment irrecevable puisque ne saurait être suspendue une décision qui a cessé de produire tout effet et dont la suspension n’aurait aucune incidence sur le sort personnel du demandeur.

(ord. réf. 7 mai 2021, M. Moatassime, n° 451765)

 

22 - Décision administrative – Invocation à son soutien devant le juge d’un autre motif que celui initialement indiqué – Motif fondé sur la situation existant à la date de la décision – Argumentation valant demande de substitution de motif – Exigence d’une demande expresse de substitution de motif – Erreur de droit – Annulation et renvoi.

Commet une erreur de droit la juridiction qui, saisie par une commune d’un nouveau motif à sa décision fondant un refus d’octroi d’un permis de construire, substitué à celui initialement retenu pour justifier sa décision de refus, exige de cette dernière qu’elle formule en outre une demande expresse de substitution de motif alors que celle-ci découle implicitement mais nécessairement de la présentation du nouveau motif et de son examen contradictoire par la juridiction saisie.

(19 mai 2021, Commune de Rémire-Montjoly, n° 435109)

 

23 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort – Fonctionnaire nommé par décret du président de la république – Cas d’un fonctionnaire nommé en qualité de membre d’un corps par un tel décret – Indifférence pour la qualité d’agent « nommé par décret du président de la république » au sens du code de justice administrative - Renvoi du litige au tribunal administratif.

Saisi d’un litige par une requérante membre du corps des inspecteurs généraux de l'administration du développement durable dans lequel elle avait été nommée par décret du président de la République et par application des dispositions de l’art. R. 311-1 CJA, un tribunal administratif renvoie sa connaissance au Conseil d’État. Celui-ci décline sa compétence : la circonstance qu’un fonctionnaire est nommé dans un corps par décret du président de la république ne lui confère la qualité d’agent « nommé par décret du président de la république » au sens et pour l’application des dispositions du CJA relatives à la compétence directe du Conseil d’État que si le corps auquel il appartient figure au rang de ceux pour lesquels une telle procédure de nomination est expressément requise par l’art. 13 de la Constitution et les art. 1er et 2 de l'ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l'Etat.

L’emploi de la requérante ne relevant d’aucune de ces dispositions, sa demande est renvoyée au tribunal administratif primitivement saisi.

(20 mai 2021, Mme B., n° 445234)

 

24 - Exécution des décisions de justice – Refus implicite de prendre le décret d’application d’une loi (art. L. 146-5 code de l’action sociale et des familles) –Condamnation à exécution sous astreinte (24 février 2016) – Liquidation de l’astreinte (mars 2017 et octobre 2018) – Intervention en vain de la section du rapport et des études – Poursuite de l’astreinte dont le taux est majoré de 250%.

Voilà un cas d’école dont on pouvait penser qu’il n’en subsiste plus de nos jours : hélas c’était là une vision optimiste naïve. La lecture de ce qui suit se passe de commentaire, si ce n’est une interrogation : qui va payer ? Le lecteur, l’auteur de ces lignes et quelques autres ? Est-ce bien démocratique ?

« 3. La décision du Conseil d'Etat du 24 février 2016 (par laquelle celui-ci, après avoir annulé la décision implicite par laquelle le Premier ministre avait refusé de prendre le décret d'application prévu au deuxième alinéa de l'article L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles et enjoint au Premier ministre de prendre ce décret, a prononcé une astreinte de cent euros par jour à l'encontre de l'Etat s'il ne justifiait pas, dans les neuf mois suivant sa notification, avoir exécuté cette décision), a été notifiée au Premier ministre le 2 mars 2016. Par deux décisions du 31 mars 2017 et du 24 octobre 2018, le Conseil d'Etat a procédé à la liquidation provisoire de l'astreinte prononcée par cette décision au titre des périodes comprises entre le 2 décembre 2016 et le 24 mars 2017 puis entre le 25 mars 2017 et le 15 octobre 2018. A la date du 6 mai 2021, le Premier ministre n'avait pas communiqué à la section du rapport et des études du Conseil d'Etat copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter la décision du 24 février 2016. Le Premier ministre doit être, par suite, regardé comme n'ayant pas, à cette date, exécuté cette décision. Il y a lieu, dès lors, en dépit de la modification entrée en vigueur le 8 mars 2020 du deuxième alinéa de l'article L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles par le V de l'article 2 de la loi du 6 mars 2020 visant à améliorer l'accès à la prestation de compensation du handicap, de procéder au bénéfice de M. A..., de l'Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs et de la fondation MMA Solidarité, abritée par la Fondation de France, à la liquidation de l'astreinte pour la période du 16 octobre 2018 au 6 mai 2021, au taux de cent euros par jour, soit 93 400 euros, dont 3 000 euros pour M. A..., 22 600 euros pour l'Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs et 67 800 euros à la fondation MMA Solidarité, abritée par la Fondation de France, pour le financement d'équipements destinés à faciliter les loisirs et la pratique du sport par les personnes handicapées.
4. Il y a lieu de majorer le taux de l'astreinte fixé par la décision du 24 février 2016 à 250 euros par jour de retard à compter de la présente décision
. »

(21 mai 2021, M. A. et Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs, n° 383070)

 

25 - Référé provision – Caractère non sérieusement contestable de la créance – Exception de prescription de la créance – Force majeure – Absence – Rejet.

(17 mai 2021, Société Hydrétudes, n° 448319) V. n° 30

 

26 - Forme et contenu des jugements et arrêts – Cohérence entre motifs et dispositif – Cohérence interne du dispositif – Absences – Cassation.

Encourt irrémissiblement la cassation l’arrêt qui contient des contradictions, d’une part, entre ses motifs et son dispositif, d’autre part, à l’intérieur même de son dispositif, dont les articles 2 à 4 sont, par suite, annulés.

(26 mai 2021, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 433878)

(27) V. aussi, ajoutant à la contradiction la dénaturation de pièces du dossier : 26 mai 2021, M. A.-B., n° 434065.

 

28 - Procédure d’avis de droit – Prorogation du délai de transfert d'un demandeur de protection internationale vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande – Régime contentieux du recours contre la décision de prolongation – Décision non susceptible ce recours.

Le Conseil d’État était saisi de la demande d’avis suivante : « La prorogation à dix-huit mois du délai de transfert d'un demandeur de protection internationale vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande, sur la base d'un constat de fuite de l'intéressé, doit-elle être regardée comme une décision susceptible de faire l'objet d'un recours autonome en annulation pour excès de pouvoir ou cette prorogation ne peut-elle être contestée qu'à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir contre une décision ultérieure et dont elle conditionne la légalité ? »

Il répond d’abord directement à la question posée en indiquant que la prolongation du délai de transfert, qui résulte du seul constat de fuite du demandeur et qui ne donne lieu qu'à une information de l'Etat responsable de la demande d'asile par l'État membre qui ne peut procéder au transfert du fait de cette fuite, a pour effet de maintenir en vigueur la décision de transfert aux autorités de l'Etat responsable et ne suppose pas l'adoption d'une nouvelle décision. Cette prolongation n'est ainsi qu'une des modalités d'exécution de la décision initiale de transfert et ne peut être regardée comme révélant une décision susceptible de recours. 

Ensuite, dépassant nettement le cadre de la question posée et se voulant pédagogue dans une matière touffue et complexe, le Conseil d’État précise : « Au demeurant, dans le cadre d'un recours contre une décision de transfert, l'expiration du délai de transfert, qui a pour conséquence que l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale, prive d'objet le litige. Il appartient au juge saisi de le constater en prononçant un non-lieu à statuer. L'étranger peut en outre demander à l'administration de reconnaître la compétence de la France pour examiner sa demande d'asile et saisir le juge d'un éventuel refus fondé sur l'absence d'expiration du délai de transfert, le cas échéant dans le cadre d'une instance de référé. Il lui est également loisible de contester l'existence d'une cause de prolongation à l'appui d'un recours dirigé contre une mesure prise en vue de l'exécution du transfert, telle qu'une assignation à résidence, ou d'une mesure tirant les conséquences du constat de la fuite, telle que la limitation ou la suspension des conditions matérielles d'accueil. Dans ces différentes hypothèses, l'étranger peut ainsi se prévaloir de l'expiration du délai de transfert ».

(28 mai 2021, M. B., n° 450341)

 

29 - Autorisation de plaider en lieu et place d’une collectivité territoriale négligente de ses intérêts (art. L. 2132-5 CGI) – Régimes juridique et contentieux – Requête de la commune normalement irrecevable mais régularisée – Qualité pour plaider au nom de la commune – Délibération préalable de la commune – Autorisation fondée – Rejet.

(28 mai 2021, Commune de Montauban, n° 447403) V. n° 14

 

 

Contrats

 

30 - Référé provision – Caractère non sérieusement contestable de la créance – Exception de prescription de la créance – Force majeure – Absence – Rejet.

Suite à une expertise ayant imputé des dégâts consécutifs à une inondation à l’insuffisance d’ouvrages hydrauliques, le juge des référés a, en première instance, condamné l’entreprise maître d’œuvre, la société Hydrétudes, et son assureur à verser une certaine somme à titre de provision. Sur appel de ces derniers, la cour a annulé le jugement en tant qu’il portait condamnation de l’assureur et confirmé celui-ci en tant qu’il mettait la provision à la charge de l’entreprise.

Dans le cadre du pourvoi formé par cette dernière, deux moyens principaux été soulevés.

En premier lieu, était en cause une délicate question de prescription invoquée par l’entreprise maître d’œuvre auteur du pourvoi.  Il était soutenu que la société victime de l’inondation, si elle a bien mis en cause la communauté de communes maître de l’ouvrage, n’a présenté aucune demande contre la société Hydrétudes. Or la cour a jugé que la citation en justice avait eu un effet interruptif de la prescription bénéficiant à la compagnie d’assurances subrogée dans les droits de la société victime y compris contre la société Hydrétudes alors que l’expertise n’avait été étendue à cette dernière qu’à la demande de la communauté de communes non à celle de la victime demanderesse. Elle a ainsi commis une erreur de droit en l’état de la combinaison des dispositions de l’art. 2224 (selon lesquelles : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».) et de l’art. 2241 du Code civil (selon lesquelles « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription (…) ».). Cependant, l’arrêt n’est pas censuré de ce chef car la cour a retenu un second motif au soutien de l’absence de prescription de l’action, retenu par le Conseil d’État au visa du pouvoir souverain d’appréciation de la cour : la mission de l'expert comprenait la détermination des travaux de nature à faire cesser les désordres subis, la société Hydrétudes devait être regardée comme ayant eu une connaissance suffisamment certaine de l'étendue du dommage à la date à laquelle l'expert avait déposé son rapport en 2018. 

En second lieu, la société Hydrétudes entendait se prévaloir de l’exception de force majeure que le Conseil d’État, comme l’avait fait la cour, rejette. Cette exception permet d’exonérer le maître d’œuvre de sa responsabilité, sans faute à prouver, envers les tiers. Pour justifier le rejet de cette exception, la cour avait à bon droit relevé que les travaux auxquels la société Hydrétudes avait participé avaient pour finalité d'éviter une inondation consécutive à une crue présentant les caractéristiques exceptionnelles décrites dans la note produite par cette société.

(17 mai 2021, Société Hydrétudes, n° 448319)

 

31 - Concessions hydroélectriques – Décret de regroupement et instauration d’une nouvelle date d’échéance - Décret valant nouvelle autorisation d’installations hydroélectriques (art. L. 311-5 c. énergie et art. L. 214-1 c. environnement) – Appréciation de l’intérêt donnant qualité à agir à une association à vocation nationale – Admission de principe du recours et supplément d’instruction ordonné en vue de la communication de documents.

Le recours dont était saisi le Conseil d’État, présenté par une association à vocation nationale, était dirigé contre un décret procédant, sur le fondement de l’art. L. 521-16-1 du code de l’énergie, au regroupement des concessions hydroélectriques de la Société hydroélectrique du Midi (SHEM) sur la Dordogne, d'une part, de la concession de l'aménagement de la haute Dordogne octroyée par le décret du 11 mars 1921, à l'exclusion des aménagements en amont du pont de Bort, du Chavanon et de la Rhue (à l'exception de la chute de Coindre) concédés à EDF par le décret du 6 janvier 1956 et, d'autre part, de la concession de Saint-Pierre-Marèges sur la Dordogne dans le département du Cantal octroyée par le décret du 2 mars 1988. 

En conséquence de ce regroupement, le décret a repoussé les dates d’échéance initiale de ces différentes concessions.

Le recours de l’AFIEG tendant à ce que soit annulé le refus du ministre de la transition écologique et solidaire de retirer ce décret, soulevait deux questions juridiques très distinctes.

La première était de savoir si le décret portant regroupement de concessions hydroélectriques a pour effet seulement de modifier les dates d’échéance des concessions ainsi regroupées. La réponse est négative : il a également pour effet de valoir nouvelles autorisations des concessions qu’il regroupe. Cette solution est importante car si dans la première hypothèse il n’est pas possible de saisir le juge du recours pour excès de pouvoir cette possibilité est au contraire ouverte contre de nouvelles autorisations car elles modifient l’état du droit.

La seconde question était aussi délicate que de solution subjective : l’association requérante ayant vocation nationale a-t-elle intérêt et, partant, qualité pour contester un décret qui ne concerne que l’aménagement hydroélectrique de la rivière Dordogne ? Pour répondre positivement, le juge retient que le décret, « s'il concerne principalement les départements traversés par la Dordogne, prolonge également de manière substantielle la durée de l'une des deux concessions hydroélectriques qu'il regroupe. Il est ainsi de nature à affecter le libre jeu de la concurrence et soulève, dès lors, compte tenu des spécificités de ce secteur des concessions hydroélectriques, des questions qui par leur nature et leur objet excèdent les seules circonstances locales. Par suite, l'association requérante qui, aux termes de ses statuts, s'est notamment donnée pour objet la promotion du développement en France d'un marché concurrentiel dans les secteurs de l'électricité et du gaz naturel, justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir à l'encontre de ce décret. »

Toutefois, le juge ordonne un supplément d’instruction afin que lui soient communiqués par la ministre de la transition écologique certains documents pour l’éclairer sur la légalité de la nouvelle date commune d'échéance retenue par le décret attaqué car, en l’état, ne peut pas être résolue la question de savoir laquelle des formules de calcul doit être appliquée pour la détermination de la date d'échéance théorique de la concession de l'aménagement de la haute Dordogne octroyée par le décret du 11 mars 1921, à l'exclusion des aménagements en amont du pont de Bort, du Chavanon et de la Rhue (à l'exception de la chute de Coindre), dont la date d'échéance était fixée, avant prorogation, au 31 décembre 2012.

(18 mai 2021, Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG), n° 434438)

 

32 - Marché public industriel – Résiliation aux torts du titulaire – Indemnisation possible de ce dernier sous déduction des conséquences de ses propres fautes – Cassation avec renvoi.

La régie requérante a résilié, après mise en demeure adressée à son titulaire de respecter ses obligations contractuelles, le marché public industriel de renouvellement et de maintenance d’une partie des escaliers mécaniques du métro de Marseille.

La cour administrative d’appel ayant jugé que le titulaire du marché avait droit à la réparation intégrale du préjudice causé par cette résiliation qu’elle estimait irrégulière, la régie se pourvoit.

Le Conseil d’État pose en principe qu’alors même que les fautes commises par le titulaire du contrat ne seraient pas d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation unilatérale de celui-ci, elles sont de nature à entraîner une limitation de l’indemnisation du préjudice subi.

(18 mai 2021, Régie des transports métropolitains (RTM), n° 442530)

 

33 - Marché sur procédure adaptée - Attribution d’un lot d’un accord-cadre à bons de commande – Décision sur référé précontractuel ordonnant la reprise de la procédure au stade de l’examen des offres – Confirmation – Rejet.

Sur requête en référé-précontractuel de l’une des deux sociétés candidates, évincée,  tendant à l’annulation de la procédure de passation du lot n° 4 « Déneigement voirie et parkings de Doucy », d’un accord-cadre à bons de commande relatif à des prestations de déneigement et sablage des voiries et parking, transport de neige, mise à disposition et location de machines, mise à disposition de chauffeur, composé de 9 lots correspondant aux différents lieux d'exécution de ces prestations, le juge de première instance a annulé cette procédure au stade de l'examen des offres et enjoint à la commune, si elle entendait poursuivre l'attribution du marché, de reprendre la procédure à ce stade.

La commune demande l’annulation de cette ordonnance ; elle est déboutée, le Conseil d’État confirmant en tous ses points contestés ladite ordonnance.

Tout d’abord c’est sans erreur de droit et de qualification juridique des faits que le premier juge a considéré comme un manquement au principe de transparence des procédures le fait, pour la commune, de n'avoir pas porté à la connaissance des candidats la façon dont elle entendait décomposer, au stade de l'analyse des offres, les trois sous-critères du critère technique prévus dans le règlement de la procédure. En effet, la grille d'analyse utilisée par la commune conduisait à ce que les sous-critères " méthodologie ", " continuité du service " et " moyens humains " comptent respectivement pour 6/11, 3/11 et 2/11 dans la note technique, et établissait ce faisant une pondération entre ces derniers, de nature, si elle avait été connue des candidats, à influencer la présentation de leurs offres.

Ensuite, eu égard à l'importance de la pondération établie entre les sous-critères, ceux-ci devaient être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. Par suite, le moyen tiré de ce que le juge du référé précontractuel aurait commis une erreur de droit en omettant de rechercher si les sous-critères en litige avaient exercé une influence sur la présentation de l'offre des différents candidats doit être écarté. 

Également, c’est sans erreur sur la qualification des faits que le premier juge a estimé que le manquement au principe de transparence des procédures était susceptible d'avoir lésé la société SNBTP dès lors que la société SNBTP avait obtenu la meilleure note au regard du critère du prix et que l'écart de points entre les deux candidats était relativement faible au niveau de leur note globale.

Enfin, c’est sans erreur de droit et sans insuffisance de motivation que le premier juge n’a pas recherché d'office si des considérations d'intérêt public faisaient obstacle à la reprise de la procédure au stade des offres car il a jugé s’il lui était possible de ne pas suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat s’il avait estimé, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives résultant de telles mesures de suspension pourraient l'emporter sur leurs avantages, ces dispositions, contrairement à ce que soutenait la commune, ne sont pas applicables quand le juge saisi considère que les manquements relevés doivent avoir pour conséquence l'annulation de la procédure.

Le pourvoi est, logiquement, rejeté.

(18 mai 2021, Commune de La Léchère, n° 448618)

 

Covid-19

 

34 - Heures du couvre-feu - Adaptation aux caractéristiques de chaque territoire - Inefficacité du système uniforme actuel - Situation sanitaire grave - Rejet.

Le juge du référé liberté rejette, selon la procédure ce l’art. L. 522-3 du CJA, la demande du requérant qui, estimant inefficace l’actuel système de fixation nationale et uniforme des heures du couvre-feu, plaidait pour une solution d’horaires différenciés selon les caractéristiques géographiques et sanitaires propres à chaque territoire. Il estime, sans trop s’expliquer ni démontrer, que la gravité de la situation sanitaire, la circulation de variants, la tension des disponibilités hospitalières, etc.  justifient la solution retenue qui ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégales à diverses libertés fondamentales.

(5 mai 2021, M. B., n° 452158)

 

35 - Entrée en France de ressortissants de pays extérieurs à l’UE - Mesures restrictives en raison de l’épidémie de Covid-19 - Cas des amoureux non mariés, pacsés ou concubinaires - Sollicitation d’un visa ordonné par le juge des référés - Situation sanitaire justifiant les restrictions - Rejet.

N’étant ni marié, ni pacsé, ni en état concubinaire avec elle, un ressortissant français demande au juge des référés d’ordonner à l’administration la délivrance d’un visa à son amie afin qu’elle le rejoigne en France.

La demande est rejetée car en l’état de la situation sanitaire en France, les restrictions à l’entrée sur le territoire national sont nécessaires, adaptées et proportionnées et ne portent pas une atteinte excessive à la vie privée.

Le juge est ainsi demeuré insensible à l’invite de Jean de La Fontaine : « Amour, amour, quand tu nous tiens/On peut bien dire : adieu prudence » (Le lion amoureux, Fables, Livre IV, 1).

(7 mai 2021, M. B., n° 452052)

 

36 - Référé-liberté – Décrets pris en exécution de la loi du 15 février 2021 et prorogés – QPC – Demande de saisine de la Cour EDH – Contestation du port du masque à l’école et des restrictions aux activités sportives des enfants – Atteinte alléguée à plusieurs libertés fondamentales – Rejet.

Les requérants ont essayé de « ratisser large » dans l’utilisation des moyens contentieux pour obtenir du juge qu’il saisisse le Conseil constitutionnel d’une QPC, qu’il demande à la Cour EDH de donner son avis sur la nécessité, la proportionnalité et l'adaptabilité des mesures exceptionnelles prises par la France pour assurer la protection de la santé, d’annuler les décrets prorogés pris en application de la loi n° 2021-160 du 15 février 2021, enfin d’enjoindre au gouvernement de prendre des mesures appropriées et proportionnées pour lutter contre l’épidémie de Covid-19.

Sans grande surprise, ces diverses demandes sont rejetées par des considérations habituelles aux affaires relatives aux mesures prises pour lutter contre la pandémie.

La QPC ne sera pas renvoyée car les mesures prises sont conformes à l’analyse faite et aux exigences posées par le Conseil constitutionnel lorsqu’il s’est prononcé sur la constitutionnalité des dispositions de la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire (déc. 2020-808 DC du 13 novembre 2020).

L’avis de la CEDH ne sera pas sollicité car il résulte de ce qui précède et de ce qui suit que les mesures contestées n’apportent aucune atteinte grave et manifeste aux droits et libertés reconnus par la convention EDH, qui nécessiterait l’interprétation ou l’application, par la cour, des droits et libertés conventionnellement reconnus.

Enfin, au regard de la situation sanitaire actuelle, de son évolution dans le passé et de ses perspectives d’avenir ne sont ni disproportionnées ni inadaptées les mesures que contestent les requérants : l’obligation du port du masque à l’école dès l’âge de six ans, les restrictions apportées aux activités sportives des enfants, l'atteinte aux libertés d'association, de réunion et d'information, et au droit de se présenter à des élections et de faire campagne ainsi qu’à la liberté d'aller et venir et au droit à une vie familiale normale, l’atteinte au droit à la protection de la santé, à la formation et au travail. 

(ord. réf. 17 mai 2021, MM. B. et C., n° 451696)

 

37 - Obligation de port du masque à partir de six ans – Référé liberté - Demande d’enquête ou d’expertise sur l’utilité de la mesure sur le territoire du Vaucluse – Défaut d’urgence – Rejet.

Doit être rejetée pour non-justification d’une urgence à statuer, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, la demande en référé liberté d’une expertise ou d’une enquête aux fins de déterminer si le port du masque obligatoire pour les enfants scolarisés à partir de 6 ans est justifié sur le territoire du Vaucluse.

(ord. réf. 19 mai 2021, Association « Collectif parents d’élèves du Vaucluse » et autres, n° 452345)

(38) V. aussi, confirmant le jugement du tribunal administratif rejetant la demande de suspension de l'exécution de l'arrêté du 2 mai 2021 par lequel le préfet de la Sarthe a imposé, jusqu'au 9 juin 2021 inclus, le port du masque à toute personne de onze ans et plus dans l'ensemble des lieux publics de la zone agglomérée des communes du département et, à titre subsidiaire, d'ordonner au préfet de la Sarthe de modifier cet arrêté en dispensant les communes rurales du département, en particulier celle de Solesmes, de l'obligation du port du masque : ord. réf. 17 mai 2021, M. Jean-Dominique Bunel, n° 452359.

 

39 - Obligation du port du masque pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 – Violation de la loi interdisant la dissimulation du visage – Facilitation de la commission d’attentats – Rejet.

La requête de la requérante est rejetée d’abord en ce qu’elle soutient que le décret imposant le port du masque violerait la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public alors que, précisément, conforme à des prescriptions légales à fin sanitaire, ce port obligatoire est légal ; ensuite, la facilitation d’attentats que permettrait le port du masque qui, de ce fait, contreviendrait à des exigences constitutionnelles, suppose une démonstration ici inexistante.

(20 mai 2021, Mme A., n° 442191)

 

40 - Vaccin contre le Covid-19 – Vaccin AstraZeneca (désormais Vaxzevria) – Avis du collège de la Haute autorité de santé (HAS) – Demande de suspension de l’exécution de l’avis – Irrecevabilité manifeste insusceptible d’être couverte en cours d’instance, un avis ne pouvant pas faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir – Rejet.

Le requérant demandait que soit suspendue l’exécution d’un avis de la HAS recommandant d'utiliser les vaccins à ARNm (ARN messager) pour l'administration de la deuxième dose chez les personnes de moins de 55 ans ayant reçu une première dose du vaccin AstraZeneca. Il tombe sous le sens qu’un tel avis ne pouvant pas faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, il ne saurait non plus faire l’objet d’un référé suspension. Cette irrecevabilité est insurmontable faute de pouvoir être régularisée. Le rejet s’imposait d’évidence.

(ord. réf. 26 mai 2021, M. B., n° 452529)

 

41 - Personnes vaccinées contre le Covid-19 – Maintien du couvre-feu pour ces personnes – Difficulté d’exercice d’un contrôle individualisé – Fragilité de la situation – Caractère indispensable du confinement – Rejet.

Le juge des référés rejette une requête en référé suspension de l'article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 en ce qu'il institue un confinement et un couvre-feu pour les personnes vaccinées.

Pour justifier cette mesure, le juge considère que cette demande supposerait une vérification individuelle très difficile à organiser ; de plus, si une certaine amélioration de l’état sanitaire se produit, cette amélioration est très fragile. Enfin, à défaut d’autres mesures susceptibles d’avoir un effet significatif, le confinement, dont la durée est d’ailleurs appelée à se restreindre prochainement, reste l’arme la plus efficace pour combattre l’épidémie.

L’argumentation convaincra surtout ceux qui ont envie d’y croire.

(ord. réf. 6 mai 2021, M. Djian et autres, n° 451455)

(42) V. aussi la réponse comparable et le rejet semblable opposés à une requête tendant à la suspension de l'exécution de l'article 2 du décret n° 2021-384 du 2 avril 2021 modifiant les décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en tant qu'il s'applique aux personnes ayant déjà contracté le Covid-19 et développé des anticorps toujours actifs contre cette maladie à la date d'édiction du décret querellé, celles-ci n'entrant pas dans la liste des exceptions permettant de déroger à « l'obligation de rester chez soi » : ord. réf. 6 mai 2021, M. Christophe Preap et autres, n° 451940.

(43) V. également, rejetant la demande de suspension de l'exécution des dispositions de l'article 37 du décret n° 2020 1310 du 29 octobre 2020 en tant qu'elles excluent le commerce de vente au détail d'articles de sport de la liste des activités essentielles et la demande d’injonction au premier ministre de prendre les mesures appropriées afin que les commerces vendant au détail des articles de sport puissent accueillir du public dans le respect des protocoles sanitaires en vigueur : ord. réf. 12 mai 2021, Union des entreprises de la filière du sport, des loisirs, du cycle et de la mobilité active (« Union Sport et Cycle »), n° 452194.

 

44 - Établissements fermés par mesure administrative anti-Covid – Loyers et charges locatives afférentes aux locaux professionnels ou commerciaux – Mesures de protection pour certains d’entre eux seulement (art. 14, loi du 14 novembre 2020) – Atteinte au principe d’égalité – Formation d’une QPC – Rejet.

(28 mai 2021, Société Buger King France et autres, n° 450256) V. n° 151

 

Droit fiscal et droit financier public

 

45 - Nouvelle-Calédonie - Contribution calédonienne de solidarité sur les produits des valeurs mobilières - Imposition de caractère analogue à l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières - Régime fiscal du plafonnement applicable à cette contribution - Rejet.

La convention fiscale entre le gouvernement de la République française et le conseil de gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et dépendances en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale, approuvée par la loi du 26 juillet 1983, a instauré un plafonnement des impositions sur les dividendes fixé, au a) du §2 de son article 9, à 5% du montant brut des dividendes si le bénéficiaire effectif est une société (autre qu'une société de personnes).

Le litige portait sur le point de savoir si la contribution calédonienne de solidarité sur les produits des valeurs mobilières, instituée par la loi du pays du 31 décembre 2014 et non visée par cette convention fiscale, était soumise à la règle de plafonnement susindiquée comme le soutenaient les sociétés contribuables.

Le Conseil d'Etat, confirmant la solution retenue en première instance et en appel, juge applicable ce plafonnement en se fondant, par substitution de motif, sur ce que, d'une part, cette contribution a un caractère analogue à l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières laquelle bénéficie du plafonnement, et d'autre part, aucune disposition de la loi du pays créant cette contribution, qui n'a pas entendu déroger à la convention fiscale, ne l'exclut du champ d'application du mécanisme de plafonnement fixé par les dispositions précitées de la convention fiscale de 1983.

(5 mai 2021, Gouvernement de Nouvelle-Calédonie, n° 433915, n° 433916, n° 433917, n° 422217 et n° 422221, jonction)

 

46 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères - Nature - Redevance spéciale pour l'élimination de certains déchets (art. L. 2333-78 CGCT) - Détermination du calcul du montant net du coût du service rendu - Appréciation de l’existence du caractère disproportionné du montant de la taxe - Absence en l’espèce - Rejet.

Rappel de ce que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères n'a pas le caractère d'un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l'ensemble des dépenses budgétaires de la commune mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées par la commune pour assurer l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères et non couvertes par des recettes non fiscales.

Le montant net de ces dépenses est constitué de l’ensemble des dépenses de fonctionnement réelles exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des dotations aux amortissements des immobilisations qui lui sont affectées, telle qu'elle peut être raisonnablement estimée à la date du vote de la délibération fixant le taux de la taxe.

La juridicité de la fixation du produit attendu de cette taxe et donc du taux de la taxe, est subordonnée à ce qu’elles ne soient pas manifestement disproportionnées par rapport au montant des dépenses de ce service, honnêtement estimé à la date du vote de la délibération fixant ce taux.

En l'absence d’institution de la redevance d'enlèvement des ordures ménagères, il est obligatoire d’instaurer une redevance spéciale pour l’élimination et le traitement des déchets non ménagers (art. L. 2333-78 CGCT) que ces collectivités peuvent, eu égard à leurs caractéristiques et aux quantités produites, collecter et traiter sans sujétions techniques particulières (art. L. 2224-14 CGCT).

Cependant, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) n'a pas pour objet de financer l'élimination des déchets non ménagers, alors même que la redevance spéciale n'aurait pas été instituée. Il s’ensuit donc que pour déterminer le caractère éventuellement disproportionné du produit de la TEOM et donc de son taux, le juge de l'impôt saisi de ce litige doit seulement rechercher si le produit de la taxe, tel qu'estimé à la date de l'adoption de la délibération, n'est pas manifestement disproportionné par rapport au coût de collecte et de traitement des seuls déchets ménagers, tel qu'il pouvait être estimé à cette même date, non couvert par les recettes non fiscales affectées à ces opérations, c'est-à-dire n'incluant pas le produit de la redevance spéciale lorsque celle-ci a été instituée.

En l’espèce, il est jugé que n’est pas manifestement disproportionné le produit attendu de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, pour l'année 2014, alors qu’il excède de 14,6% le montant des charges qu'elle a vocation à couvrir.

La solution retenue peut ne pas emporter la conviction.

(5 mai 2021, Société hôtelière de la Porte de Sèvres, n° 438897)

 

47 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Irrégularité de la détermination du local type pour fixer la valeur locative d’un bien immobilier - Réduction d’impôt accordée - Absence d’examen d’un terme de comparaison alternatif - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit le tribunal administratif qui, constatant qu’a été déterminé dans des conditions irrégulières le local type pour l’établissement de la taxe foncière due au titre du bien litigieux compte tenu de sa catégorie d’appartenance, octroie la réduction de taxe sollicitée sans rechercher s'il existait un autre terme de comparaison pertinent, alors que l'administration proposait comme alternatives deux autres locaux-type, ni, au cas où cette méthode se serait révélée inapplicable, procédé lui-même à l'appréciation directe de la valeur locative en cause.

(5 mai 2021, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 439497)

 

48 - Mesures fiscales nationales dissuadant les non-résidents d’investir dans un autre État-membre de l’Union – Taxation différenciée des dividendes selon leur perception par une société résidente en France ou non – Cas des sociétés d’assurance-vie et de leurs provisions techniques imposées par la législation – Violation des art. 63 (1) et 65 (1 a) du TFUE combinés – Annulation avec renvoi

Cette importante décision illustre une nouvelle fois le combat d’arrière-garde mené par l’administration de Bercy contre une application loyale des dispositions fiscales ou à incidence fiscale contenues dans le droit de l’Union (traités et actes dérivés).

L'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) interdit toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sous réserve, précise l’art. 65, des dispositions  fiscales nationales qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis. Interprétant ce texte, la CJUE comprend au rang des mesures ainsi interdites celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements dans un État membre (2 juin 2016, Pensioenfonds Metaal en Techniek, aff. C-252/14).

Cette règle s’applique naturellement au cas d’un traitement fiscal désavantageux, par un État membre, des dividendes versés à des sociétés résidentes d'un autre État membre, par rapport au traitement réservé aux dividendes versés à des sociétés résidentes, puisqu’il a un tel effet dissuasif prohibé. Par suite, il n’est compatible avec la liberté de circulation des capitaux qu'à condition de s'appliquer à des situations purement nationales et transfrontalières qui ne sont pas objectivement comparables ou d'être justifié par une raison impérieuse d'intérêt général (CJUE 8 novembre 2012, Commission/Finlande, aff. C-342/10, et 13 novembre 2019, College Pension Plan of British Columbia c/ Finanzamt München Abteilung III, aff. C-641/17). 

Ajoutons qu’il s’agissait ici d’une société d’assurance-vie donc tenue (art. R. 331-1 et suivants du code des assurances, transposant le chapitre 2 de la directive 2002/83/CE du 5 novembre 2002 concernant l'assurance directe sur la vie), de constituer, au titre de ses engagements réglementés, des provisions techniques représentatives de ses engagements vis-à-vis des assurés. Or ces engagements réglementés doivent, à toute époque, être représentés par des actifs équivalents. Il en résulte que, pour autant que la perception de dividendes provenant d'actifs admis en représentation des engagements réglementés a pour effet d'accroître, à concurrence de tout ou partie de leur montant, les engagements de l'assureur vis-à-vis de l'assuré, et par suite le montant des provisions techniques, la charge fiscale supportée par l'entreprise d'assurance établie en France à raison de la perception de ces dividendes se trouve réduite, voire annulée, du fait de l'admission en déduction, en application des règles de détermination du bénéfice soumis à l'impôt sur les bénéfices, du supplément de provision correspondant. Précisément, la requérante faisait valoir que tel n’est pas le cas pour une société française d’assurance percevant des dividendes de sociétés étrangères ou des sociétés étrangères en France percevant des dividendes de sociétés françaises, une telle société étant imposée, par la voie de la retenue à la source, sur le montant brut de ces dividendes sans possibilité de déduction des provisions techniques.

En l’espèce, la cour administrative d’appel s’était bornée, dans son arrêt confirmatif, à juger que la société requérante n'établissait pas, en faisant valoir qu'elle aurait pu déduire des provisions techniques d'un montant quasi-identique aux dividendes en cause si elle avait été établie en France, que les retenues à la source opérées sur les dividendes de source française qu'elle avait perçus au cours des années en litige avaient été prélevées en méconnaissance de la liberté de circulation des capitaux. Il incombait à la cour de rechercher si, ainsi que le soutenait cette société, ces dividendes provenaient d'actifs admis en représentation de ses engagements réglementés et avaient pour effet, en exécution des engagements souscrits à l'égard de ses assurés, titulaires de contrats d'assurance-vie en unités de compte, d'accroître à due concurrence ces engagements, ce qui justifiait leur déductibilité des dividendes perçus et imposables.

La cassation, avec renvoi, est prononcée pour erreur de droit.

Relevons que cette décision met un point final à un contentieux né d’impositions (retenues à la source) de 2007 et 2008…

(11 mai 2021, Société UBS Asset Management Life Ltd, n° 438135)

 

49 - Impôts locaux divers – Demande de dégrèvement – Vacances de locations pour cause de climat d’insécurité du quartier – Motif indépendant de la volonté du propriétaire (art. 1389 CGI) – Démonstration des effets de ce climat non rapportée pour chaque appartement ou emplacement – Absence d’explication sur le sort différent de chaque bien en matière de location – Absence de circonstances indépendantes de la volonté du propriétaire – Rejet.

Le contribuable requérant avait demandé, en vain en première instance, le bénéfice de dégrèvements au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères en raison des difficultés de location de ses 51 appartements et 34 places de stationnement du fait de l’insécurité régnant dans le quartier où est situé l’immeuble les abritant.

Son appel est rejeté par adoption des motifs des premiers juges : faute de démontrer les efforts faits par lui pour permettre les locations et de donner les motifs propres à chaque bien pour justifier l’absence de location de certains et faute d’explications sur la circonstance que si certains n’étaient pas loués d’autres, dans le même temps et au même endroit, l’étaient, il ne peut être soutenu que les vacances des biens en cause sont indépendantes de la volonté de leur propriétaire.

(11 mai 2021, M. B., n° 440044)

(50) V. aussi, identique et concernant le même ensemble immobilier : 11 mai 2021, SCI ACI, n° 440045.

 

51 - Crédit d’impôt – Remboursement – Somme assortie d’intérêts moratoires seulement en cas de dégrèvement contentieux – Absence d’application en ce cas de l’art. 1231-6 du Code civil – Rejet.

Le litige était relatif à une demande remboursement d’un crédit d’impôt recherche et soulevait deux questions.

La première était celle de savoir si une telle demande, présentée sur le fondement des dispositions de l’art. 199 ter B du CGI, peut être qualifiée de réclamation au sens et pour l’application de l’art. L. 190 du livre des procédures fiscales (LPF). La réponse est positive.

La seconde question portait sur le point de savoir si et quand le remboursement par l’administration fiscale d’une telle réclamation ouvre droit à ce qu’il soit assorti du versement d’intérêts moratoires. Le juge pratique une distinction délicate entre deux situations.

Si le remboursement est accordé suite à l’acceptation par l’administration d’une telle réclamation, il ne donne pas lieu au versement, au profit du contribuable, d’intérêts moratoires puisqu’il ne tend qu’à l’exécution d’un droit reconnu par une disposition légale ou réglementaire.

Si le remboursement a lieu après rejet, explicite ou implicite (cf. R. 198-10 LPF), par l’administration de la demande en ce sens, ce remboursement postérieur, parce qu’il a le caractère d’un dégrèvement contentieux, ouvre droit au paiement d’intérêts moratoires courant à compter du jour de la demande de remboursement du crédit d’impôt recherche. En effet, en ce cas, le dégrèvement a la même nature juridique que celui prononcé par un tribunal conformément à ce que dispose le premier alinéa de l’art. L. 208 LPF. En revanche, ne jouent pas alors les dispositions de l’art. 1231-6 du Code civil relatives aux dommages-intérêts.

(11 mai 2021, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 441603)

(52) V. aussi, identique : 11 mai 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 442936.

 

53 - Immeuble à usage commercial donné en location – Travaux réalisés par le locataire en cours de bail – Travaux considérés comme un supplément de loyer imposable en fin de bail – Conditions d’évaluation du coût de réalisation des travaux – Erreur de droit – Annulation partielle avec renvoi dans cette limite.

Avant de statuer sur le fond du litige le juge de cassation rappelle que ne peut se pourvoir en cassation sur le fond du litige le requérant qui ne conteste pas l’irrecevabilité qui lui a été opposée dans l’instance frappée de cassation.

L’administration fiscale, constatant que le locataire d’un immeuble à fins commerciales y avait réalisé des travaux, a considéré que ceux-ci constituaient un supplément de loyer et devaient faire l’objet d’un supplément d’impôt en fin de bail. Pour estimer l’assiette de ce supplément le juge avait retenu le coût de réalisation de ces travaux.

Si le juge de cassation confirme le principe d’un supplément d’impôt pour ce motif, en revanche, il censure la décision déférée en ce qu’elle n’a pas retenu, pour l’assiette du supplément d’impôt, le surcroît de valeur vénale à la fin du bail qu’ont éventuellement apporté ces travaux.

(19 mai 2021, SCI Saint-Léonard et Sarl Hathor, n° 429332)

 

54 - Impôt sur les sociétés - Détermination du bénéfice net – Impositions supplémentaires et majorations – Abus de droit – Charge de la preuve incombant à l’administration – Exercice – Rejet.

Rappel de ce que l’administration fiscale, pour établir l’existence d’un abus de droit, qui a consisté en l’espèce en la fixation de la date de clôture du premier exercice d’une société, est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

(19 mai 2021, Société Comsa venant aux droits de la société MC2D Investissement, n° 429476)

 

55 - Société civile professionnelle (SCP) d’avocats – Cession de parts sociales (art. 238 quindecies CGI) – Exonération de plus-values de cession – Attribution de parts ultérieures en industrie – Remise en cause de l’exonération – Erreur de droit – Annulation.

Un couple membre d’une SCP d’avocats cède à ses associés leurs parts dans la SCP puis reçoit quelque temps après des parts en industrie de cette SCP leur ouvrant droit au partage des bénéfices que cette dernière est amenée à réaliser. L’administration a cru pouvoir remettre en cause l’exonération des plus-values de cession au motif que les intéressés auraient cédé leurs parts à un cessionnaire dans lequel ils auraient détenu pendant la période de trois années suivant la cession, directement ou indirectement, des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux.

Les juges du fond ont confirmé la position de l’administration.

Sur pourvoi, le Conseil d’État relève l’erreur de droit.

En effet, d’une part, les parts ont été cédées aux associés de la SCP non à cette dernière, les personnalités juridiques de chacun des associés et de la SCP étant distinctes et, d’autre part, la remise de parts en industrie l’a été par la seule SCP.

Les conditions posées au IV de l’art. 238 quindecies du CGI pour la remise en cause de l’exonération de plus-values n’étaient donc pas réunies en l’espèce.

(19 mai 2021, M. et Mme B., n° 430265)

(56) V. aussi, du même jour et avec mêmes parties : 19 mai 2021, M. et Mme B., n° 430265.

 

57 - Crédit impôt recherche – Dépenses de recherche déductibles – Rémunérations et leurs accessoires, charges sociales constituant des cotisations sociales obligatoires (art. 49 septies I, ann. III au CGI) – Notion – Versements exclus de cette catégorie – Dépenses de veille technologique – Éligibilité au crédit d’impôt recherche – Rejet pour l’essentiel.

Le litige portait sur le régime fiscal du crédit impôt recherche, lequel ne cesse de fournir un abondant contentieux.

Pour l’essentiel, il s’agissait de déterminer, pour l’application de l’art. 49 septies I de l’annexe III au CGI, quelles sont les charges sociales afférentes aux rémunérations et accessoires versées au personnel affecté aux tâches de recherche, en particulier les « cotisations sociales obligatoires », constituant ainsi des dépenses de recherche.

Le juge s’essaie, avec un degré louable de précision, à une définition de cette catégorie juridico-fiscale que le législateur emploie sans plus outre la définir. Il convient d’entendre par là deux sortes de prélèvements.

En premier lieu, constituent de telles cotisations : « (…) les versements de la part des employeurs aux régimes obligatoires de sécurité sociale ainsi que les versements destinés à financer les garanties collectives complémentaires instituées par des dispositions législatives ou réglementaires ou les garanties instituées par voie de conventions ou d'accords collectifs ainsi que par les projets d'accord ou les décisions unilatérales mentionnés à l'article L. 911-1 du code de la sécurité sociale, et qui ont pour objet d'ouvrir des droits à des prestations et avantages servis par ces régimes ou au titre de ces garanties ».

En second lieu, entrent également dans cette catégorie : (…) des prélèvements qui, tout en n'entrant pas en compte pour la détermination du calcul des prestations servies par un régime obligatoire de sécurité sociale, conditionnent l'ouverture du droit à ces prestations et constituent, par leurs caractéristiques, un élément de solidarité interne au régime ». 

Ainsi, n’en font partie, en l’espèce, ainsi que l’a jugé la cour administrative d’appel, ni les versements au profit du Fonds national d'aide au logement (FNAL), ni la contribution destinée au financement de l'Association pour l'emploi des cadres (APEC), cette dernière ne constituant pas davantage un accessoire de la rémunération.

En revanche, en font partie, contrairement à ce qui a été jugé par la cour, la contribution exceptionnelle et temporaire (CET), non génératrice de droits, afin de compenser la diminution des cotisations engendrée par la suppression progressive des systèmes de cotisations forfaitaires et garanties et permettre ainsi le financement des droits inscrits au titre de ces systèmes, tout comme les dépenses de veille technologique lorsque celle-ci est liée à la réalisation d’opérations de recherche car elles sont éligibles au crédit impôt recherche.

C’est seulement sur ces deux cas que la cassation est prononcée en raison de l’erreur de droit qu’ils contiennent.

(19 mai 2021, Société Publicis groupe, n° 432370)

 

58 - Impôt sur le revenu de contribuables domiciliés en France – Réduction pour location nue de biens à titre d’habitation principale dans les départements d’outre-mer (art. 199 undecies A du CGI) – Conditions d’élection au bénéfice de ce régime de faveur fiscale – Rejet.

Rappel et précision sur un point souvent perdu de vue par les investisseurs désireux de profiter d’une exonération fiscale.

La réduction d’impôt sur le revenu liée à la location nue d’un appartement ultra-marin est subordonnée à la réunion concomitante de deux conditions, à défaut de l’une d’elles la réduction n’est pas accordée ou peut être remise en cause.

D’une part, cette réduction s’applique au prix de revient de l'acquisition ou de la construction d'un immeuble neuf situé dans les départements, territoires ou collectivités d’outre-mer que le propriétaire prend l'engagement de louer nu dans les six mois de l'achèvement ou de l'acquisition si elle est postérieure, pendant cinq ans au moins à des personnes, autres que son conjoint ou un membre de son foyer fiscal, qui en font leur habitation principale.

D’autre part, et c’est sur ce point que, bien souvent, les intéressés négligent, que portent les redressements d’impôt pour remise en cause de l’exonération, le propriétaire qui entend bénéficier de ce régime fiscal doit souscrire préalablement l'engagement de louer nu le bien dans les six mois de son achèvement, ou de son acquisition si elle est postérieure, pendant cinq ans au moins à des personnes qui en font leur habitation principale. L’absence de souscription de cet engagement entraîne ipso facto la perte du droit à déduction fiscale.

 (19 mai 2021, M. A., n° 432556)

 

59 - Abus de droit – Absence – Acquisition concomitante de titres d’une société et de son fonds de commerce en état d’exploitation – Cession à une société liée – Erreur de qualification juridique des faits – Cassation sans renvoi en l’absence de reste à juger.

Qualifie erronément les faits de l’espèce au plan juridique l’arrêt, comme le jugement, qui aperçoit un abus de droit au sens de l’art. L. 64 du LPF dans la circonstance qu’une société de transports routiers acquiert les parts d’une filiale en franchise d’impôts ainsi que le fonds de commerce qu’elle possède et qui est alors parfaitement exploitable puis le cède à une société opérationnelle liée poursuivant une stratégie de croissance externe.

Pour parvenir à ce résultat le juge de cassation se livre à une étude  impressionnante des travaux préparatoires des textes législatifs qui, depuis 1920, traduisent la volonté constante du législateur de supprimer ou de limiter la succession d'impositions susceptibles de frapper les produits que les sociétés mères perçoivent de leurs participations dans des sociétés filles et ceux qu'elles redistribuent à leurs propres actionnaires, car il a toujours eu comme objectif de favoriser l'implication de sociétés mères dans le développement économique de sociétés filles pour les besoins de la structuration et du renforcement de l'économie française.

(19 mai 2021, Société Douaisienne de transports, n° 433201)

 

60 - Taxe d’aménagement – Détermination de l’assiette de la taxe – Travaux de construction et/ou de reconstruction – Surface des constructions nouvellement créées – Rejet.

Rappel, confirmatif du jugement attaqué, de ce que par suite de l’obtention d’un permis de construire, l’assiette de la taxe d’aménagement due de ce fait est constituée, en cas de démolition totale et de reconstruction, par la superficie totale des constructions nouvellement créées.

(20 mai 2021, Société civile de construction vente Villa Carlotta, n° 440162)

 

61 - Taxe annuelle sur les surfaces de stationnement – Locaux impropres à leur destination du fait de travaux ayant affecté le gros-œuvre – Absence de dispense du paiement de la taxe – Rejet.

La solution semble passablement injuste et limite entachée de loufoquerie.

La requérante estimait qu’elle n’avait pas à payer la taxe, prélevée annuellement, sur les surfaces de stationnement, situées dans son immeuble, car en raison d’importants travaux ayant affecté le gros-œuvre de cet immeuble, cet espace était devenu impropre à sa destination et donc inutilisable. L’administration fiscale soutenait le contraire ; le juge lui donne raison en ces termes : « dès lors qu'il n'est pas contesté que les locaux n'avaient pas été complètement démolis et subsistaient à l'état brut de béton au 1er janvier de l'année d'imposition et qu'ils avaient vocation à demeurer à usage de bureaux à l'issue des travaux », la taxe était due durant toute la période d’indisponibilité et alors, en outre, que cet immeuble a été soumis, durant cette même période, à la taxe foncière sur les propriétés non bâties.

La chose est forte : il faut payer une taxe sur des places de stationnement qui n’existent plus et, malgré la constatation par le juge de l’existence d’une dalle de béton servant d’assiette à ladite taxe, est encore due la taxe sur les surfaces non bâties… Feydeau, dans sa douce folie théâtrale est plus drôle.

(26 mai 2021, Société des Tours du Pont de Sèvres, n° 436308)

 

62 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Assiette – Biens en faisant partie – Plateforme démontable – Extension de la surface de l’immeuble – Assujettissement à la taxe – Rejet.

C’est sans erreur dans la qualification juridique des faits qu’un tribunal administratif juge que doit être assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties, la plateforme, certes démontable mais non destinée à l’être, qui, se présentant comme un espace supplémentaire de stockage, doit être considérée comme faisant corps avec le bâtiment au sens et pour l’application des dispositions de l’art. 1945 du CGI et de l’art. 324 B de son annexe III qui déterminent la consistance des propriétés bâties que, par ailleurs, les art. 1380 et 1381 de ce code assujettissent à la taxe foncière sur les propriétés bâties.

(27 mai 2021, Société civile immobilière Vent d'Autan, n° 427933)

(63) V. aussi, sur les problèmes d’assujettissement des bâtiments agricoles à la taxe foncière sur les propriétés bâties ainsi qu’aux méthodes d’évaluation de leur valeur locative : 27 mai 2021, SCA Marché de Phalempin, n° 436742.

 

64 - Taxe foncière sur les propriétés non bâties – Majoration de la valeur locative pour le calcul de cette taxe – Champ et conditions d’application – Cas des terrains enclavés – Absence d’exonération – Rejet.

Il résulte des dispositions de l’art. 1393 du CGI que sont soumis à la majoration de la valeur locative pour l'établissement de la taxe foncière sur les propriétés non bâties prévue, sur délibération du conseil municipal, par le B du II de l'article 1396 du CGI, les terrains situés dans les zones définies comme urbanisées ou à urbaniser par le document d'urbanisme applicable et équipées de voies publiques et de réseaux d'eau et d'électricité suffisants pour desservir les constructions devant y être implantées, à l'exception des terrains insusceptibles de recevoir une construction.

C’est sans erreur de droit et sans inexacte qualification des faits que le juge d’un tribunal administratif déclare que compte tenu du droit de passage sur les fonds voisins que prévoit l'article 682 du code civil pour garantir un accès à la voie publique, la seule circonstance qu'un terrain soit enclavé n'est pas de nature à faire obstacle à l'application de la majoration.

Il n’en irait différemment qu’au cas où, pour des raisons de fait ou de droit, il serait impossible de mettre fin à l’état d’enclavement.

(28 mai 2021, M. A., n° 440265)

 

65 - Exonération de TVA – Activité municipale de fourniture de repas dans les cantines scolaires exercée en régie directe – Crédit de TVA – Régime de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 – Conditions d’application du régime – Conditions remplies – Rejet.

La commune requérante avait demandé en vain aux juges du fond un remboursement de crédit de TVA né, selon elle, de son activité de fourniture, en régie directe, de repas dans ses cantines scolaires.

La question était délicate et importante à la fois.

En effet, n’étant pas assujettie à la TVA pour ses propres activités et produits, elle ne peut pas répercuter aux familles, dans le prix des repas qu’elle fournit, le montant de la TVA qu’elle a elle-même acquittée pour assurer cette prestation. Il y a là une réelle injustice.

Recourant au double critère jurisprudentiel que retient la CJUE pour définir les organismes non assujettis à la TVA (29 octobre 2015, Saudaçor - Sociedade Gestora de Recursos e Equipamentos da Saúde dos Açores SA, aff. C-174/14), le Conseil d’État rejette la requête dont la commune l’a saisi.

D’une part, positivement, la CJUE exige que l’activité en cause soit exercée en qualité d’autorité publique, tel est le cas de l’enseignement et donc des prestations qui, telles les cantines scolaires, lui sont étroitement liées.

D’autre part, négativement, il ne faut pas que ce non-assujettissement puisse, par son importance, créer de distorsions de concurrence (16 septembre 2008, Commissioners of Her Majesty's Revenue et Customs contre Isle of Wight Council et autres, aff. C - 288/07). Tel est bien le cas des cantines scolaires pour lesquelles un opérateur économique quelconque ne peut y exercer une activité rentable qu’en percevant des subventions des collectivités intéressées. Cette condition est également remplie en l’espèce.

Ce rejet est très injuste car il se comprend mal que la même activité exercée dans le cadre de l‘enseignement privé et à des conditions de fait et de droit absolument semblables donnerait lieu à un crédit de TVA remboursable.

(28 mai 2021, Commune de Sarlat-la-Canéda, n° 441739)

(66) V. aussi, dans le même sens, à propos d’une piscine municipale : 28 mai 2021, Commune de Castelnaudary, n° 442378.

 

67 - Répression des abus de droit – Apport de parts de société – Sursis d’imposition des plus-values de cession – Opération en vue de la création, du développement ou de la restructuration d’entreprises – Annulation partielle de l’arrêt d’appel et renvoi.

L’administration fiscale avait retenu l’existence d’un abus de droit dans une opération de cession de titres à une société suivie immédiatement d’une revente desdits titres par cette société, estimant qu’une telle revente ne pouvait pas être regardée comme constituant un réinvestissement à caractère économique.

Le Conseil d’État approuve la cour administrative d’appel d’avoir jugé que le nantissement, dans des conditions les rendant indisponibles à tout autre usage, de sommes placées sur un compte à terme en vue de garantir des emprunts bancaires souscrits pour la réalisation d'investissements dans une activité économique devait être regardé comme un réinvestissement à caractère économique. En revanche, c’est à tort qu’elle a estimé qu'il en allait de même du nantissement de sommes en vue de couvrir une garantie de passif, consentie au profit de la société cessionnaire des parts qui lui avaient été apportées. En effet, en ce dernier cas le nantissement avait pour seul objet de couvrir une éventuelle obligation future de restitution d'une partie du prix de cession, il ne pouvait donc pas être regardé comme constituant un réinvestissement pour l’application des art. L. 150-0 A et L. 150-0 B du CGI.

(28 mai 2021, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 442711)

 

68 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Immobilisations industrielles – Rectification pour défaut ou inexactitude dans la déclaration des propriétés bâties – Recours à l’émission d’un rôle particulier (art. 1508 CGI) – Conditions – Absence de réunion des conditions – Annulation du jugement contraire sans renvoi.

Lorsque l’administration fiscale entend procéder à des rectifications en raison d’insuffisances d'évaluation résultant du défaut ou de l'inexactitude des déclarations des propriétés bâties et en dehors du cas où est mise en œuvre une révision générale des valeurs locatives, elle ne peut recourir à l’émission d’un rôle particulier pour effectuer ces rectifications sur le fondement des dispositions de l’art. 1508 du CGI  que lorsque ce défaut ou cette insuffisance portent sur des constructions nouvelles, sur des changements de consistance ou d'affectation des propriétés bâties.

En l’espèce, la contribuable contestait 48 des 52 immobilisations retenues pour justifier les rehaussements d’imposition mises à sa charge à la suite de l’émission d’un rôle particulier. Elle estimait qu’elles ne constituaient pas des changements de consistance au sens et pour l’application combinée des dispositions des articles 1406, 1499, 1502, 1508 et 1517 du CGI.

Avant d’examiner les faits, le juge pose, et c’est une certaine nouveauté, que par « changements de consistance », il convient d’entendre, y compris s’agissant d’établissements industriels, « la transformation apportée à la composition d'un local préexistant afin d'en modifier le volume ou la surface de manière substantielle, notamment par l'addition de constructions, la démolition totale ou partielle de la construction ou sa restructuration par division ou réunion de locaux préexistants ».

Or la société requérante faisait valoir que les immobilisations litigieuses correspondaient à des changements de caractéristiques physiques et n'entraient pas dans le champ de l'obligation déclarative prévue par l'article 1406 du CGI.

Le juge constate que ces immobilisations étaient relatives à l'installation de volets roulants, de « rails protection mur coupe », de disjoncteurs et de transformateurs électriques, de dispositifs de détection dans les cuves de rétention et d'adduction d'eau, de quais hydrauliques, d'un quai de déchargement des agents de blanchiment et d'un extracteur de vapeurs, à la mise en conformité « COMAH » des installations, au bouchage d'un regard du système d'eaux pluviales, à la clôture du site, à la réfection des parkings, des sols et des revêtements et à la mise en peinture de divers locaux. Constatant qu’il ne s’agissait pas de changements de consistance, le Conseil d’État juge que l’administration ne pouvait recourir à la procédure d’émission d’un rôle particulier pour opérer les rectifications qu’elle a décidées et ordonne le remboursement des 32 690 euros de cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles la société requérante avait été, à tort, assujettie.

(28 mai 2021, Société Vitherm France, n° 443642)

 

69 - Taxe sur la valeur ajoutée – Taux applicable aux baptêmes de l’air en parachute biplace – Parachute ayant la nature d’un aéronef – Transport ne constituant pas l’acheminement d’un passager – Rejet.

La société requérante demandait le remboursement d’une partie des droits de TVA acquittés au titre de son activité de prestations de saut en parachute en tandem dans le cadre de baptêmes de l’air. La TVA qu’elle a versée était au taux de 20% alors qu’elle prétend ses activités professionnelles éligibles au taux de 10%.

Ce dernier taux est prévu par le b quater de l’art. 279 du CGI pour « les transports de voyageurs », ce que la requérante prétend effectuer.

Pour rejeter cette prétention, les juges du fond, confirmés en l’espèce par le Conseil d’État, ont, au contraire considéré, d’une part, que la prestation de transport en aéronef jusqu’au point du parachutage puis ce parachutage lui-même en tandem constituait une opération indivisible ne pouvant pas être scindée en plusieurs prestations ni non plus entre une prestation principale et une prestation accessoire, et d’autre part, qu’il ne pouvait s’agir d’un transport aérien, lequel « consiste à acheminer par aéronef d'un point d'origine à un point de destination des passagers, des marchandises ou du courrier » (art. L. 6400-1 code des transports). C’est donc sans erreur de droit que les activités en cause ont été soumises à un taux de TVA de 20% et non de 10%.

(28 mai 2021, Sarl Centre de parachutisme Paris-Nevers, n° 445016)

(70) V. aussi, avec solution identique : 28 mai 2021, Entreprise Angel Parachutisme, n° 445020.

 

71 - Taxe sur les surfaces commerciales – Établissement faisant l’objet d’un changement d’exploitant en cours d’année – Détermination du chiffre d’affaires par mètre carré – Calcul du dépassement du seuil pour l’assujettissement à la taxe sur l’année entière nonobstant le changement d’exploitant.

La taxe sur les surfaces commerciales due au titre d'une année est assise sur la surface de vente de l'établissement existant au 1er janvier de cette année, dès lors que le chiffre d'affaires réalisé l'année précédente par cet établissement excède un certain seuil et son taux est déterminé en fonction du chiffre d'affaires par mètre carré réalisé par cet établissement au cours de l'année précédente.

La question posée au Conseil d’État était de savoir si en cas de changement d’exploitant en cours d’année le chiffre d’affaires à retenir était seulement celui réalisé par la personne qui était l’exploitant au 1er janvier, date du fait générateur de l’impôt, ou l’entier chiffre d’affaires réalisés au cours de l’année par les deux exploitants successifs.

Dès lors que le changement d’exploitant résulte d'une opération de fusion-absorption entraînant la dissolution sans liquidation de l'ancien exploitant, le chiffre d'affaires à retenir pour apprécier si le seuil d'assujettissement est dépassé et pour déterminer le taux de la taxe est celui qui a été réalisé par cet établissement durant l'année précédente, sans distinguer selon qu'il est imputable à l'ancien ou au nouvel exploitant.

(Avis de droit, 28 mai 2021, Sas But international, n° 450683)

 

Droit public économique

 

72 - Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) - Versements européens en faveur des zones défavorisées – Zones soumises à des contraintes naturelles et zones soumises à des contraintes spécifiques – Délimitation des zones – Décret du 27 mars 2019 – Rejet.

Les requérants demandaient notamment l’annulation du décret n° 2019-243 du 27 mars 2019 relatif à la révision des critères de délimitation des zones agricoles défavorisées autres que les zones de montagne ainsi que l’adresse par le juge de plusieurs injonctions à des organismes publics afin de production de documents, notamment cartographiques.

En vue de rationaliser et d’améliorer les distributions de subventions par le FEADER, le règlement (UE) n° 1305/2013 du 13 décembre 2013 relatif au soutien au développement rural par le FEADER a prévu l’obligation pour les États d’établir un ou plusieurs programmes de développement rural en particulier pour délimiter les zones agricoles défavorisées autres que les zones de montagne, c’est-à-dire, d’une part, des zones soumises à des contraintes naturelles (ZSCN) et, d’autre part, des zones soumises à des contraintes spécifiques (ZSCS). Dans ces zones, les exploitants agricoles peuvent bénéficier de l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) au vu de la satisfaction des critères fixés par le règlement de 2013. La France a présenté à la Commission européenne une demande de modification du cadre national antérieurement établi en détaillant dans des annexes la méthode et les données utilisées afin de délimiter les zones dans lesquelles les exploitants agricoles peuvent bénéficier de l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), conformément aux critères fixés par le règlement du 17 décembre 2013 ; la Commission a, par sa décision d’exécution du 27 février 2019, approuvé la modification de ce cadre national.

Les requérants contestent la légalité du décret et l’absence d’un certain nombre de documents. Tous leurs moyens sont rejetés.

Tout d’abord, contrairement à ce qu’ils allèguent, la détermination des ZSCN et des ZSCS n’était pas soumises à une obligation d’évaluation environnementale ni, non plus, à une enquête publique au sens de l’art. L. 123-2 du code de l’environnement.

Ensuite, les nombreux griefs de légalité interne sont également rejetés. Le juge classe ces moyens en deux groupes.

D’un côté sont examinés ceux qui sont communs aux zones soumises à des contraintes naturelles et aux zones soumises à des contraintes spécifiques. A cet égard, il est jugé que les données biophysiques retenues pour délimiter les zones soumises à des contraintes naturelles ou autres contraintes spécifiques étaient suffisamment complètes pour s'assurer du respect des critères pédologiques fixés par le règlement du 17 décembre 2013, tout comme sont réguliers le niveau de qualité des référentiels régionaux pédologiques contenant les données utilisées même s’ils varient nécessairement d'une région à l'autre ainsi que l'échelle cartographique des données retenue ou encore l’utilisation du registre parcellaire graphique à l'échelle 1/5000ème. Enfin, le recours à des unités locales différentes pour, d'une part, l'exercice d'affinement applicable à la délimitation des zones soumises à contraintes naturelles et, d'autre part, la méthode hors critères combinés et l'exercice d'affinement applicables à la délimitation des zones soumises à contraintes spécifiques, ne méconnaît pas les dispositions du règlement du 17 décembre 2013 et le principe d'égalité.

De l’autre côté, sont examinés, plus cursivement, les moyens propres aux zones soumises à des contraintes spécifiques : les États membres ne sont pas tenus de déterminer les critères de délimitation de ces zones en fonction de la préservation du potentiel touristique ; le recours, en 2019, au critère « haies » sur la base des données du recensement agricole de 2010, qui font l’objet d’une actualisation décennale, est une méthodologie objective et fiable ; il n’est pas établi, enfin, que l’exercice d'affinement pour délimiter les zones soumises à des contraintes spécifiques selon la méthode " hors critères combinés " soit contraire au règlement de 2013.

(27 mai 2021, Association " Pour que vive la Piège " et autres, n° 434951)

 

Droit social et action sociale

 

73 - Prestations en matière d’invalidité – Statuts d’une caisse de retraite fixant les conditions du bénéfice de prestations invalidité – Exception d’illégalité - Renvoi préjudiciel de l’autorité judiciaire – Légalité – Exception infondée.

Statuant sur renvoi préjudiciel de l’autorité judiciaire, le Conseil d’État devait se prononcer sur la légalité de l’art. 7 des statuts du régime d'assurance invalidité-décès de la caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes (Carpimko) au regard des dispositions de l’art. 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH en ce qu’il prive de droits à une prestation d'invalidité les personnes qui présenteraient un arriéré, même faible, de cotisations.

Pour dire infondée l’exception d’illégalité soulevée par la requérante devant la juridiction judiciaire, le juge rappelle que si une pension, ici d’invalidité, constitue un bien au sens de la convention précitée, c’est sous réserve que l’éventuel bénéficiaire satisfasse aux conditions posées par le texte qui l’institue pour la percevoir. Dès lors qu’est exigé par ce texte, comme au cas de l’espèce, le versement intégral des cotisations pour pouvoir prétendre à l’octroi d’une pension d’invalidité, le non respect de cette condition justifie qu’elle ne soit pas versée.

Par suite, l’art. 7 en litige ne contrevient pas au principe de juridicité.

Le juge rappelle que, statuant sur renvoi préjudiciel, il est strictement limité dans sa réponse par les termes de la ou des question(s) posée(s) par l’autorité judiciaire et que sont, par suite, irrecevables celles des conclusions qui excèdent le cadre de la question posée.

(11 mai 2021, Mme A., n° 447963)

 

74 - Droit aux prestations familiales – Prestation d'accueil du jeune enfant - Complément du libre choix du mode de garde - Notion d’allocataire – Titulaire de cette qualité en cas de garde alternée de l’enfant – Illégalité – Annulation.

L’art. R. 513-1 du code de la sécurité sociale, dans son premier alinéa, attribue à un seul des deux parents séparés, à la fois, la qualité d’allocataire bénéficiant de la prestation d’accueil de jeune enfant et celle de bénéficiaire du complément de libre choix du mode de garde.

Le requérant demandait l’annulation du refus implicite du premier ministre d’abroger cette disposition en tant qu’en cas de résidence alternée effective et équivalente d'un enfant chez chacun de ses parents séparés, elle fait obstacle à ce que celui des parents qui n'a pas la qualité d'allocataire bénéficie du complément de libre choix du mode de garde de la prestation d'accueil du jeune enfant.

Estimant illégale cette solution et jugeant ces dispositions divisibles, le juge enjoint au premier ministre de les modifier sous six mois.

(19 mai 2021, M. B., n° 435429)

 

75 - Salarié protégé – Autorisation de licenciement refusée par l’inspecteur du travail puis par le ministre – Annulation par les juges administratifs du premier degré et d’appel – Rejet.

Une entreprise sollicite l’autorisation administrative de licencier un salarié protégé pour agissements fautifs lors d’une grève ayant affecté son fonctionnement. L’inspecteur du travail puis, sur recours hiérarchique, le ministre compétent ont refusé cette autorisation la faute n’étant pas considérée comme ayant revêtu une gravité suffisante.

Sur recours de cette entreprise, le tribunal administratif puis le juge d’appel ont annulé le refus d’autorisation de licencier.

L’intéressé se pourvoit en cassation ; son pourvoi est rejeté.

En particulier, au visa du pouvoir souverain des juges du fond non argué de dénaturation, le Conseil d’État relève que la cour a constaté qu’il ressortait du dossier à elle soumis :

- d’une part, « que M. B. a, à plusieurs reprises entre le 16 et le 19 juin 2014, bloqué physiquement l'accès à une cabine de commande de délovage de câble, empêchant ainsi non seulement des salariés de la société (requérante), mais aussi (ceux d’une autre société, partenaire de cette dernière), de travailler. Le 19 juin 2014, il a aussi bloqué, à partir de 14 heures, l'accès à un navire, en occupant l'échelle de coupée, empêchant ainsi les salariés (d’une) société de travailler » ;

 - d’autre part, « que le blocage illicite de l'établissement (…)  résulte principalement du fait de M. B., présent, de manière récurrente, lors de chaque constatation d'huissier, et qui a porté des atteintes à la liberté du travail, commettant à cette occasion plusieurs voies de fait à l'encontre de membres du personnel de la société qui tentaient de s'acquitter de leurs missions » ;

- enfin, elle a souligné le rôle prépondérant, constant et particulièrement actif de M. B. dans ces actions dont a résulté une entrave à la liberté du travail d'autres salariés.

Par suite, en jugeant que ces faits, qui ne sont pas en eux-mêmes contestés en cassation, étaient d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de M. B. et ne pouvaient être regardés comme se rattachant à l'exécution normale de ses mandats représentatifs, alors même que le blocage n'avait pas affecté le site de production des câbles lui-même, la cour administrative d'appel, qui n'avait pas à rechercher si ces blocages avaient porté une atteinte grave aux intérêts de la société, n'a pas commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits de l'espèce. 

(27 mai 2021, M. B., n° 433078)

 

76 - Aide personnalisée au logement – Récupération d’un indu de cette aide – Rejet de la demande de remise gracieuse de cet indu – Office du juge saisi – Annulation et renvoi au tribunal administratif.

Nouveau rappel d’une solution clairement établie.

Lorsque le juge administratif statue sur un recours dirigé contre une décision refusant ou ne faisant que partiellement droit à une demande de remise gracieuse d'un indu d'une prestation ou d'une allocation versée au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d'emploi, il le fait en qualité de juge du plein contentieux et non, comme jugé à tort par le tribunal administratif, comme juge de l’excès de pouvoir, il lui incombe, eu égard à la finalité de son intervention, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner si une remise gracieuse totale ou partielle est susceptible d'être accordée, en se prononçant lui-même sur la demande au regard des dispositions applicables et des circonstances de fait dont il est justifié par l'une et l'autre parties à la date de sa propre décision.

Les premiers juges, en se croyant investis de la qualité et des prérogatives de juges de l’excès de pouvoir, ont méconnu en l’espèce leur office.

(27 mai 2021, M. A., n° 439526)

 

Élections

 

77 - Élections municipales et communautaires - Tracts anonymes - Tracts dont le contenu excède gravement les limites de la polémique électorale et sans possibilité de réplique utile - Écart réduit des voix - Annulation des élections confirmée.

C'est à bon droit que les premiers juges ont annulé les opérations électorales dans une commune où avaient été distribués au cours de la campagne électorale deux tracts anonymes dont le premier portait atteinte à l'honorabilité d'un candidat tête de liste et le second, rappelant par sa présentation ceux utilisés pour la campagne de la liste dont il était le chef de file, lui attribuait des termes d'un caractère odieux à l'égard des personnes atteintes d'un handicap mental. Ces affirmations, sans possibilité réelle de réplique utile, jointes à un faible écart des voix, suffisaient à entraîner l'annulation des opérations électorales.

(3 mai 2021, M. E., Él. mun. et cnautaires de la commune d'Ambleteuse, n° 442727)

 

78 - Élections municipales et communautaires - Campagne de promotion publicitaire - Absence - Erreur sur le mode de scrutin applicable - Absence de risque d'erreur - Manoeuvres de nature à altérer le scrutin (enveloppes retournées) - Absence - Effets de la crise sanitaire sur les abstentions et donc sur le résultat du scrutin - Absence - Rejet.

Le Conseil d'Etat, juge d'appel, rejette tous les griefs développés au soutien de la protestation tendant à l'annulation du scrutin dans la commune.

Des rappels informatifs ne constituent pas des actes de promotion publicitaire de l'action de l'équipe municipale sortante, l'évocation d'un second tour alors qu'il n'y a que deux listes en présence n'a pas pu induire en erreur les électeurs, la circonstance que nombre d'enveloppes contenant du matériel électoral aient été retournées en mairie avec la mention « n'habite pas à l'adresse indiquée » n'est pas constitutive d'une manoeuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin, enfin, ne saurait être invoqué le fait d'élections organisées en période de pandémie avec un fort taux d'abstentions comme étant de nature à altérer la sincérité du scrutin.

(3 mai 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Vaucresson, n° 442727)

(79) V. aussi, toujours sur l’effet de la crise sanitaire sur le nombre des abstentions : M. E. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune de Chilly-Mazarin, n° 448288.

 

80 - Élections municipales et communautaires - Diffusion en cours de scrutin d'allégations d'illégalité d'une liste devant conduire à l'annulation du scrutin le soir même du premier tour - Instauration d'une incertitude de nature à altérer la sincérité du scrutin - Annulation du scrutin confirmée.

La circonstance de la diffusion pendant le déroulement du scrutin et en particulier dans la version numérique d'un journal local à 10h50, d'informations présentant l'annulation du scrutin le soir même pour cause d'illégalité dans la présentation de l'une des listes a créé un climat d'incertitude qui a altéré la sincérité du scrutin. C'est à bon droit que le tribunal administratif a prononcé de ce chef l'annulation des opérations électorales.

(3 mai 2021, M. E., Él. mun. et cnautaires de la commune de Maroeuil, n° 442727)

 

81 - Élections municipales et communautaires - Absence d'actes de propagande électorale ou de dons prohibés - Griefs formulés hors délai - Rejet.

Est confirmé en appel le rejet prononcé en première instance d'une protestation apercevant dans l'annonce de la distribution de masques acquis par la commune et leur distribution directe aux habitants de la commune, y compris par le maire, des actes de propagande électorale, des dons prohibés ou des pressions exercées sur les contribuables.

Par ailleurs, sont déclarés irrecevables les griefs soulevés devant le juge après l'expiration du délai de cinq jours imparti par les textes.

(4 mai 2021, M. E., Él. mun. et cnautaires de la commune de Lapugnoy, n° 442727)

 

82 - Élections municipales et communautaires - Don d'une personne morale - Financement par les seuls candidats - Absence d'altération du scrutin - Rejet.

Le protestataire interjetait appel d'un jugement rejetant sa demande d'annulation d'élections pour cause de dons prohibés. Son appel est rejeté.

Le Conseil d'Etat relève l'acquittement par une association, portant le même nom que la liste de candidats dirigée par le maire sortant, de diverses dépenses de propagande électorale pour cette liste portant sur l'édition de trois tracts et de deux affiches ; or les fonds avaient été fournis exclusivement par les candidats de cette liste.

Par suite, ce don d'une personne morale n'a pu constituer, dans les circonstances de l'espèce, à le supposer irrégulier, un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin.

(4 mai 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune d'Arnoult-en-Yvelines, n° 442727)

 

83 - Élections municipales et communautaires - Griefs multiples (Affichage irrégulier ou tardif ou dégradé, invocation maladroite d’une qualité, tracts reliquataires demeurés sur la voie publique, distribution de kits pris en charge par une liste, contenu du bulletin municipal et, suppression d’une tribune de l’opposition, réalisation de clips sur l’hippodrome municipal, etc.) - Absence de manœuvres ou d'altérations du scrutin - Rejet.

Cette affaire fournit un bon exemple des griefs contentieux susceptibles d’être tirés - ici sans succès - de multiples petits incidents survenant au cours d’une campagne électorale locale.

(5 mai 2021, M. K., Él. mun. et cnautaires de la commune de Maisons-Laffitte, n° 449668)

 

84 - Nouvelle-Calédonie - Référendum en vue de l’accession de ce territoire à l’indépendance - Demande de modification du décompte des voix - Demande assortie d’aucun effet juridique - Irrecevabilité.

(5 mai 2021, Mme F. et autres, n° 445305) V. n° 13

 

85 - Élections municipales et communautaires – Campagne de promotion publicitaire -Absence – Élément de polémique électorale normal et sans nouveauté – Avantage accordé à une liste – Irrégularité – Écart des voix appréciable – Absence d’altération de la sincérité du scrutin - Rejet.

Étaient contestées, d’une part, la régularité des opérations électorales et, d’autre part, en conséquence, la proclamation de l’inéligibilité de trois élus. Comme en première instance, la protestation est rejetée en appel.

Ne sauraient constituer des éléments de promotion publicitaire ni la publication d’un bulletin municipal plus étoffé que d’ordinaire mais se limitant à l’actualité municipale, ni la cérémonie des vœux, traditionnelle, ni l’allocution du maire prononcée à cette occasion.

La diffusion d’une brochure le soir du vendredi au samedi précédent le scrutin et son relais sur « Facebook » n’ont pas excédé les limites de la polémique électorale ni ajouté à cet égard d’éléments nouveaux.

Si l’utilisation, pour la brochure de présentation d’une liste, de clichés photographiques issus du bulletin municipal de l'automne 2019, sur lequel aucun nom d'auteur n'apparaît et qui doivent donc être regardés comme provenant de la photothèque municipale, a incontestablement constitué un avantage pour cette liste et si, en théorie, cela a pu exercer une influence sur l'issue du scrutin, elle ne constitue pas, dans les circonstances de l’espèce, une irrégularité eu égard à l’écart des voix et à la circonstance que la liste arrivée en tête a obtenu 55 voix de plus que la majorité absolue, soit 583 voix sur 1005 suffrages exprimés.

Enfin, en l’absence dans ce qui précède, de manœuvres frauduleuses imputables aux trois élus intéressés il n’y a pas lieu de les déclarer inéligibles.

La protestation est rejetée en son entier.

(11 mai 2021, M. H., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Argeliers, n° 445863)

 

86 - Élections municipales – Refus d’enregistrement d’une liste – Existence d’un recours spécial – Possibilité d’invoquer l’irrégularité de ce refus devant le juge de l’élection – Report de la date du second tour d’élections municipales – Absence de validation législative des résultats du second tour – Rejet.

Cette décision, outre la critique, récurrente, du vice qui aurait entaché l’organisation d’élections en pleine pandémie, critique évidemment rejetée, se signale à l’attention par deux aspects importants de contentieux électoral.

Tout d’abord, le préfet peut refuser d’enregistrer une candidature ou une liste de candidats, notamment pour dépôt tardif en préfecture ou en sous-préfecture et ce refus peut faire l’objet d’un recours spécial organisé par l’art. L. 265 du code électoral. Toutefois, la circonstance que ce recours ait été exercé et rejeté ne fait pas obstacle à ce qu'un grief tiré de l'irrégularité de ce refus soit soulevé devant le juge de l’élection à l'occasion d'une protestation dirigée contre les opérations électorales. La solution serait la même en cas de non-exercice de ce recours spécial.

Ensuite, la loi du 23 mars 2020 ayant décidé, après le premier tour de scrutin pour les élections municipales et communautaires organisé le 15 mars 2020, que les résultats de ce premier tour restaient acquis, il n’en résulte nullement que la loi a entendu valider rétroactivement les opérations électorales du premier tour ayant donné lieu à l'attribution de sièges : ainsi la loi ne fait pas obstacle à ce que ces opérations soient contestées devant le juge de l'élection.

(17 mai 2021, M. C., Élections municipales de Pont-Audemer, n° 448329)

 

87 - Élections municipales et communautaires – Utilisation de l’emblème national sur des documents de propagande électorale – Association des trois couleurs constitutives de cet emblème – Faible écart des voix – Annulation du scrutin.

Dans une petite commune où l’écart des voix est très faible, le scrutin qui s’y est déroulé doit être annulé du fait de l’utilisation, prohibée par l’art. R. 27 du code électoral, de l’emblème national et de l’association des trois couleurs de celui-ci sur du matériel de propagande électorale.

(19 mai 2021, Mme V. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune d’Oppède, n° 442678)

 

88 - Élections municipales et communautaires – Actes de propagande électorale – Élément nouveau de polémique électorale – Absence – Rejet.

Est rejetée la protestation qui,  pour l’essentiel, se fonde sur l’existence d’actes de propagande électorale qui n’ont pas cette portée (tenue de la traditionnelle cérémonie des vœux et diffusion, à sa date normale et sans excès de ton, du bulletin municipal, allégation non établie de diffusion de vidéos réalisées dans des locaux communaux) ou la diffusion d’un élément nouveau de polémique électorale auquel il était en réalité aisé de répliquer en temps utile, ce qui a d’ailleurs, effectivement eu lieu.

(19 mai 2021, Mme D., Él. mun. et cnautaires de la commune de Liancourt, n° 442678)

(89) V. aussi, semblable sur certains aspects (cérémonie des vœux, page Facebook, etc.) : 25 mai 2021, M. C., Él. mun. et cnautaires de la commune de Fay-de-Bretagne, n° 444766.

(90) V. également, annulant le jugement prononçant l’annulation d’un scrutin municipal pour cause d’apparition d’un élément nouveau de polémique électorale car l’intéressé a disposé d’un délai suffisant pour répondre et l’a effectivement fait, notamment par rédaction et distribution de tracts. : 27 mai 2021, M. Z., Él. mun. et cnautaires de la commune de Sauve, n° 445776.

 

91 - Élections municipales – Protestation fondée sur des griefs divers – Inéligibilité de certains candidats – Déroulement et financement de la campagne – Opérations électorales – Rejet.

Tous les griefs avancés au soutien de la protestation sont écartés, notamment celui de l’inéligibilité  du gérant d’une société ayant acheté à plusieurs reprises du matériel pour un montant total cumulé inférieur à deux mille euros sur une année,  ainsi que celles de deux dirigeants d’associations qui n’ont pas la nature de services de la commune ; pareillement ni les critiques visant le déroulement de la campagne électorale (portrait du maire en écharpe sur un coin de tract) ou le financement de celle-ci (moyens non étayés ou tardivement présentés) ni celles relatives au déroulement du vote (nombre de procurations, etc.) ne révèlent de manœuvres destinées à altérer la sincérité du scrutin.

Un aspect de procédure contentieuse est intéressant et doit être signalé : il est jugé ici que le moyen invoqué en première instance, dirigé contre le soutien financier public irrégulier dont les membres d’une liste auraient bénéficié consistant en un prêt à titre gracieux d’une salle municipale et en la mise à disposition gratuite du matériel de projection et de sonorisation de la mairie pour animer leurs réunions publiques,  et le moyen invoqué pour la première fois en cause d’appel, consistant à dire irréguliers des prêts consentis à cette même liste par des personnes morales de droit privé participent du même grief. En effet, l’un et l’autre moyens tendent à voir sanctionnées les dispositions du 2ème alinéa de l'article L. 52-8 du code électoral qui sont relatives au financement de la campagne électorale et prohibent le financement de la campagne par des personnes morales autres que des partis ou des groupements politiques, par des dons, avantages, ou prêts, sans qu’il y ait lieu, de ce point de vue, de distinguer selon que ces critiques sont relatives, pour les premières, à des avantages allégués de personnes morales publiques, qui sont l'objet de la première phrase du 2ème alinéa de l'article L. 52-8 et pour les secondes, à des prêts allégués de personnes morales privées, qui sont visés à la seconde phrase des mêmes dispositions. Le grief présenté pour la première fois en appel et après l’expiration du délai de recours contentieux n’était donc pas tardif.

(25 mai 2021, Mme P., Élections municipales de Villerville, n° 445470)

(92) V. aussi, sur une allégation inexacte d’être un entrepreneur de service municipal : 25 mai 2021, M. C., Él. mun. et cnautaires de la commune de Fay-de-Bretagne, n° 444766.

 

93 - Élections municipales et communautaires – Déféré préfectoral en rectification des résultats d’une élection – Règles de procédure électorale – Rejet.

Le maire d’une commune n’est pas ipso facto partie à l’instance contestant les résultats des élections qui s’y sont tenues, il n’a donc pas à être convoqué à l’audience.

C’est sans erreur de droit que saisi d’un déféré du préfet en ce sens, le tribunal administratif a rectifié les résultats proclamés à l’issue du premier tour : la majorité absolue étant non de 195 voix mais de 191, il convenait de proclamer élus non seulement les quatorze candidats qui l’ont été mais encore une quinzième candidate qui a obtenu un nombre de voix exactement égal au chiffre de la majorité absolue.

Enfin, le requérant ne saurait contester le jugement du tribunal administratif qui a rejeté sa protestation contre l’élection de quatorze conseillers car ce jugement est définitif et cette demande est irrecevable pour cause de forclusion.

(26 mai 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Tilloy-lez-Cambrai, n° 441432)

 

94 - Élections municipales et communautaires – Protestation fondée sur des griefs divers – Allégations non établies - Rejet.

Doit être rejetée la protestation qui invoque, sans les établir et alors qu’aucune observation n’est portée en ce sens au procès-verbal, des irrégularités dans le dépouillement du scrutin et qui évoque, sans l’étayer plus outre, l’existence d’une campagne de diffamation dirigée contre l’un des candidats.

(26 mai 2021, M. C., Él. mun. et cnautaires de la commune de Montréal, n° 445470)

 

95 - Élections municipales et communautaires – Élément nouveau et important de polémique électorale – Présentation tardive – Faible écart des voix – Annulation du scrutin confirmée en appel.

Le Conseil d’État, juge d’appel, confirme l’annulation des élections dans une commune où l’argument de l’existence d’un grave endettement communal est soulevé pour la première fois dans la nuit du vendredi au samedi précédent le scrutin au moyen de tracts insérés dans les boîtes aux lettres des habitants et alors, au surplus, que l’écart des voix entre les listes n’est que de 33 sur 1141 suffrages exprimés, donc inférieur à 2,9%.

(26 mai 2021, Mme B., Él. mun. et cnautaires de la commune de La Sentinelle, n° 446066)

 

96 - Élections municipales et communautaires – Émargements irréguliers ou erronés par interversion des cases utilisées – Faible écart des voix – Confirmation de l’annulation du second tour – Rejet.

Le Conseil d’État était saisi d’un appel dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Mayotte ayant annulé le second tour des élections municipales dans une commune.

Était en cause, pour l’essentiel, l’irrégularité d’un certain nombre de signatures. En particulier, certaines d’entre elles n’étaient pas les mêmes au second tour que celles censées émanées des mêmes personnes au premier tour et la circonstance que leurs auteurs les aient reconnues pour leurs devant le tribunal est sans effet sur leur irrégularité. De plus, des personnes disant ne pas savoir signer ont apposé une croix ou un rond en face de leur nom alors que, en ce cas, le code électoral permet seulement à l’intéressé(e) de désigner une personne de confiance pour émarger à sa place. L’écart des voix n’étant que de onze, l’annulation prononcée en première instance est confirmée en appel.

(26 mai 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Kani-Kéli, n° 446404)

 

97 - Élections municipales et communautaires – Protestation du préfet contre la proclamation d’un élu suite à la constatation de l’inéligibilité d’un autre élu – Application de l’art. L. 273-10 du code électoral – Annulation et proclamation d’un élu.

Rappel de la règle, découlant des dispositions impératives de l’art. L. 273-10 du code électoral, selon laquelle lorsque le juge a annulé pour cause d'inéligibilité l'élection d'un conseiller communautaire, il a l’obligation de proclamer élu le candidat de même sexe élu conseiller municipal suivant sur la liste des candidats aux sièges de conseiller communautaire sur laquelle le conseiller à remplacer a été élu.

En proclamant élue une candidate d’un autre sexe, le tribunal a fait une inexacte application de cette disposition légale.

(26 mai 2021, M. E., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Anzin, n° 448713)

 

98 - Élections municipales et communautaires – Publicité commerciale interdite – Affichage irrégulier – Absence d’altération de la sincérité du scrutin en dépit d’un faible écart des voix – Annulation du jugement frappé d’appel.

Le juge d’appel annule le jugement déféré qui avait annulé le premier et unique tour du scrutin municipal. Il estime, d’une part, que le recours via le réseau social Facebook, à une publicité commerciale interdite, qu’elle ait été volontaire ou non, n’a pas altéré la sincérité du scrutin en raison de son contenu non polémique et de son faible impact. Il considère, d’autre part, que l’installation d’une affiche, dans des conditions irrégulières, sur la devanture d’un magasin n’a pas, non plus, pu avoir cet effet même si l’écart des voix séparant les deux listes en présence était très faible.

En vertu de l’effet dévolutif de l’appel, le Conseil d’État se prononce sur les griefs non examinés en première instance (absence de caractère mensonger d’un message sur Facebook, tract non diffamatoire, niveau d’abstention sans effet sur la sincérité du scrutin…) et les rejette.

(28 mai 2021, Mme F., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Alixan, n° 445567)

 

99 - Élections municipales et communautaires – Inéligibilité d’une candidate – Chef de service au sein d’une direction du département – Inéligibilité manifeste – Égalité de voix - Annulation du jugement et annulation de l’ensemble des opérations électorales.

La circonstance que la candidate placée en dixième position sur la liste du maire sortant était inéligible en raison de sa qualité de chef du service de l'action territoriale au sein de la direction de l'agro-écologie du conseil départemental de la Haute-Garonne, ne devrait entraîner que l’annulation de la seule élection de cette dernière et son remplacement par le suivant de liste.

Toutefois, en raison de la notoriété de cette candidate, de son implication dans la campagne, de l’égalité de voix entre les listes en présence et, enfin, de ce que l’attention du maire et du préfet avait dûment était appelée sur cette inéligibilité, qui était manifeste, conduisent ici le Conseil d’État à décider, contrairement à ce qu’avaient jugé les premiers juges, l’annulation de l’ensemble des opérations électorales.

(28 mai 2021, Mme A. et M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune du Fousseret, n° 446967)

 

100 - Élections municipales et communautaires – Publicité commerciale interdite – Taux élevé des abstentions – Rejet.

Sont rejetées deux protestations distinctes tendant à l’annulation du scrutin au double motif d’une publicité commerciale – mais jugée comme n’ayant pas pu altérer la sincérité du scrutin dans les circonstances de fait de l’espèce – et d’un taux élevé d’abstention du fait d’élections s’étant déroulées en période épidémique.

(31 mai 2021, M. D. et M. C., Él. mun. et cnautaires de la commune de Sault, n° 441849 et n° 442570, deux espèces jointes)

 

101 - Élections municipales et communautaires – Défaut d’indication sur le bulletin de l’une des listes de la nationalité d’un candidat ressortissant de l’Union européenne – Bulletin nul – Nombre élevé de voix sans représentation – Confirmation de l’annulation du scrutin – Rejet.

Lorsqu’une liste de candidats aux élections communautaires et municipales comporte un ou plusieurs ressortissants de l’UE, leur(s) nom(s) doi(ven)t être suivi(s) de l’indication de sa(leur) nationalité à peine de nullité du suffrage.

Par suite d’une omission d’une telle mention, les bulletins d’une liste ont été annulés laissant ainsi sans représentation près de 44% des suffrages exprimés et donc sans portée utile. Cette conséquence, en l’absence de toute manœuvre, affecte la sincérité du scrutin. C’est donc à bon droit que le tribunal administratif a annulé les opérations électorales qui se sont tenues le 15 mars 2020 dans cette commune.

(31 mai 2021, M. N.-BW.AN., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Arbonne, n° 455557)

 

Environnement

 

102 - Réserve naturelle nationale de Chastreix-Sancy - Absence de mention de la possibilité de pratiquer l'alpinisme et l'escalade parmi les activités sportives réglementées sur le territoire de la réserve - Refus implicite d'abroger l'art. 12 du décret du 13 juillet 2007 - Annulation assortie d'une injonction d'exécution sous six mois.

L'interdiction générale et absolue de l'alpinisme dans la réserve naturelle de Chastreix-Sancy, alors que le préfet dispose d'un pouvoir de réglementation des activités sportives autorisées dans cette réserve et d’encadrement de la pratique de l'alpinisme pour éviter qu'elle ne porte atteinte aux milieux protégés par la réserve, n'est pas nécessaire pour atteindre les objectifs de protection poursuivis.

Il résulte de l'instruction que les sites où l'alpinisme hivernal est susceptible d'être pratiqué représentent, dans la réserve naturelle, à la différence de ceux dans lesquels l'escalade peut être pratiquée, des surfaces importantes, de sorte qu'ils sont moins susceptibles de faire l'objet d'une forte concentration de pratiquants, ne présentent pas les mêmes caractéristiques physiques et n'abritent pas les mêmes espèces de faune et de flore. Il résulte également, notamment d'un avis du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel Auvergne-Rhône-Alpes du 21 septembre 2017, que lorsque le couvert neigeux est supérieur à 15 cm, la pratique de l'alpinisme n'a pas d'impact significatif sur la flore située sous le couvert neigeux et la faune présentes dans la réserve. Cette circonstance a d'ailleurs conduit aussi bien le conservatoire botanique naturel du Massif Central que le syndicat mixte du parc naturel régional des volcans d'Auvergne, gestionnaire de la réserve, ainsi que le délégué régional de l'Office français de la biodiversité, dans leurs avis rendus en mars 2018, à estimer que la pratique de l'alpinisme n'est pas susceptible de porter atteinte à la réserve à condition qu’elle soit restreinte à la période hivernale et à la partie nord de la réserve, que l'enneigement soit suffisant et que les cascades de glace en soient exclues.

Le refus implicite du premier ministre d'abroger l'art. 12 du décret du 13 juillet 2007 en tant qu'il n'autorise pas, sous conditions, l'alpinisme hivernal dans la réserve naturelle nationale de Chastreix-Sancy est annulé et injonction lui est adressée de prendre sous six mois un décret modificatif à cet effet.

(5 mai 2021, Fédération française de montagne-escalade Auvergne-Rhône-Alpes, n° 433553)

 

103 - Unité de méthanisation de déchets non dangereux – Permis de construire – Portée de l’art. L. 600-3 c. urb. – Audience de référé – Clôture de l’instruction – Communication de mémoires postérieurs – Réouverture automatique de l’instruction – Absence – Annulation.

Dans cette affaire, relative à une demande de suspension de l’exécution d’un arrêté préfectoral autorisant l’exploitation d’une unité de méthanisation, d’une unité de déconditionnement de biodéchets et l'épandage de digestats issus du procédé de méthanisation, le juge est amené à apporter deux précisions de procédure, la première étant assez nouvelle, la seconde plus classique.

Il est tout d’abord affirmé que les dispositions de l’art. L. 600-3 du code de l'urbanisme selon lesquelles : « Un recours dirigé contre une décision de non-opposition à déclaration préalable ou contre un permis de construire, d'aménager ou de démolir ne peut être assorti d'une requête en référé suspension que jusqu'à l'expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort.

La condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative est présumée satisfaite », n’établissent pas une présomption irréfragable.  Ainsi, en l’espèce, c’est sans erreur de droit que le premier juge a considéré que l’odeur dégagée par l’unité de méthanisation à construire n’étant pas plus désagréable que celle actuellement dégagée par la porcherie existante, il n’y avait pas d’urgence à statuer dans le cadre d’un référé suspension.

Ensuite, assez classiquement, il est rappelé qu’en principe, en référé, l’instruction est close à l’audience sauf si le juge des référés décide d’en différer la clôture en avisant les parties. Si des mémoires sont produits postérieurement à la clôture et sont communiqués par le juge aux parties, cette communication constitue ipso facto une réouverture de l’instruction : le juge ne peut en ce cas se dispenser de convoquer et d’entendre les parties avant de rendre son ordonnance.

(26 mai 2021, M. B. et autres, n° 436902 et n° 436904)

 

104 - Éoliennes terrestres - Contentieux de l’installation - Compétence en premier et dernier ressort de la cour administrative d’appel - Extension à l’ensemble des actes en relation avec l’autorisation d’installation d’éoliennes - Renvoi de l’affaire à la CAA.

(5 mai 2021, SCEA Ferme de la Puce, n° 448036) V. n° 17

 

105 - Moulins à eau – Éléments du patrimoine hydraulique – Préservation (L. 214-18-1 c. environnement) – Dispense de soumission à l’obligation de continuité écologique des cours d’eau (art. L. 214-17, I, 2° c. env.) – Usinier fondé en titre antérieurement à la publication de la loi du 24 février 2017 – Obligation de mise en conformité ne pouvant être imposée – Erreur de droit – Cassation sans renvoi.

L’art. L. 214-17 du code de l’environnement institue une obligation de continuité écologique des cours d’eau ; le 2° du I décide que sera établie « Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant ». Toutefois, dans le souci de maintenir le patrimoine hydraulique de la France, notamment constitué de moulins à eau, la loi du 24 février 2017 a inséré dans le code de l’environnement un art. L. 214-18-1 dont le Conseil d’État considère, au vu des travaux préparatoires de cette loi, qu’il exonère de l’obligation susrappelée l'ensemble des moulins à eau bénéficiant d'un droit de prise d'eau fondé en titre ou d'une autorisation d'exploitation à la date de publication de la loi.

La société requérante, propriétaire d’une centrale hydroélectrique sur le cours d'eau l'Andelle, installation initialement autorisée par une ordonnance royale du 30 janvier 1839, a demandé la remise en service de la centrale. Le préfet a subordonné cette remise en service à la délivrance de l'autorisation d'exploiter et au constat par le service de police de l'eau, notamment, de la mise en conformité des installations à la continuité écologique (circulation piscicole des espèces migratrices et transit sédimentaire). Estimant cette exigence injustifiée, la société a saisi en vain, les juges administratifs du premier et du second degré puis, après cassation d’un premier arrêt d’appel et renvoi à la même cour, elle saisit à nouveau le Conseil d’État d’un second pourvoi dirigé contre le rejet d’une partie de ses conclusions.

Constatant que l’autorisation délivrée par l’ordonnance royale du 30 janvier 1839 était toujours en vigueur à la date de publication de la loi de 2017 et qu’ainsi la société était un usinier fondé en titre, le Conseil d’État juge que c’est à tort que la cour administrative d’appel a estimé que la dispense prévue à l’art. L. 214-18-1 précité n'était pas applicable aux exploitants de moulins hydrauliques antérieurement soumis à une obligation de mise en conformité en application de l'article L. 232-6 du code rural, devenu l'article L. 432-6 du code de l'environnement, désormais remplacé par les dispositions de l'article L. 214-7 du même code, qui n'auraient pas respecté le délai de cinq ans qui leur avait été octroyé par ces dispositions pour mettre en oeuvre cette obligation. En effet, le bénéfice de l’art. L. 214-18-1 n’est pas subordonné au respect de cette condition.

La cassation intervenant pour la seconde fois dans ce litige, le juge statue au fond pour décider non opposables, dans le cas de l’espèce, les dispositions du 2° du I de l’art. L. 214-17 du code de l’environnement.

(31 mai 2021, Sarl MDC HYDRO, n° 400043)

 

106 - Installations classées pour la protection de l’environnement – Édification d’un ensemble de stockage, de logistique et de bureaux de 110 522 m2 - Obligation de prescriptions s’imposant à l’autorité de police administrative pour la protection de l’environnement – Obligation pour le juge de justifier son opinion sur l’existence d’atteintes à l’environnement et l’insuffisance des prescriptions imposées à cet effet par l’autorité administrative – Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la juridiction qui juge qu’un projet porte aux intérêts protégés par l’art. L. 511-1 du code l’environnement (santé, nature, agriculture, paysage, etc.) des atteintes telles qu’aucune prescription additionnelle ne permettrait d’éviter, sans indiquer la teneur de ces atteintes ni en quoi les prescriptions prévues par l’autorisation administrative, éventuellement complétées de prescriptions supplémentaires, seraient insuffisantes pour les prévenir.

Ceci traduit parfaitement le caractère de plein contentieux des pouvoirs du juge des installations classées pour la protection de l’environnement.

(31 mai 2021, SAS Castorama, n° 434542 ; Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 434603)

(107) V. aussi la solution identique retenue, sur le territoire de la même commune, concernant l’autorisation d’exploiter une installation de stockage de matières, produits ou substances combustibles d'une capacité maximale de 1 677 600 m3 : 31 mai 2021, Société Logiprest, n° 434576 ; Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 434604, jonction)

 

État-civil et nationalité

 

108 - Décret rapportant un précédent décret octroyant la nationalité française - Reconnaissance frauduleuse de paternité annulée par le juge judiciaire - Absence de vie commune avec le prétendu père - Invocation non démontrée des effets de l'annulation en droit camerounais - Rejet.

C'est sans illégalité que le premier ministre, constatant que Mme D. n'avait obtenu un titre de séjour puis la nationalité française que par suite de l'affirmation mensongère d'un tiers prétendant être le père de son enfant et l'ayant reconnu comme tel, a abrogé le décret lui conférant la nationalité française. Le juge judiciaire a annulé cette reconnaissance du fait de son caractère frauduleux.

Cette décision, compte tenu des circonstances de fait, ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.

Par ailleurs, l'affirmation selon laquelle, du fait de sa démarche de naturalisation, elle aurait perdu la nationalité camerounaise n'étant pas établie, elle ne saurait invoquer l'état d'apatridie - interdit par la Convention de Genève de 1951 de la part d'un acte étatique - dans lequel elle se trouverait désormais.

(3 mai 3021, Mme D., n° 442212)

(109) V. aussi, dans le cas du rejet d'un recours dirigé contre le décret rapportant pour fraude du fait de déclarations mensongères (notamment pour s'être déclaré sans enfants alors qu'il en a six...), le décret réintégrant  un ressortissant béninois dans la nationalité française : 3 mai 2021, M. B., 442966.

(110) V. encore, jugeant que ne fait pas une inexacte application de la loi la décision du premier ministre refusant à une ressortissante centrafricaine l'octroi de la nationalité française par mariage avec un ressortissant français du fait de sa condamnation pour violences par ascendant sur un mineur : 3 mai 2021, Mme C., n° 443941.

 

111 - Opposition à un décret autorisant un changement de nom - Nom patronymique de la mère - Risque de confusion exclu - Rejet.

Est rejetée l'opposition à un décret autorisant une personne portant un nom à consonance étrangère à changer de nom pour prendre celui de sa mère, fondée sur le risque de confusion allégué par l'opposant, qui n'a d'ailleurs pas le même nom, et qui n'est pas établi.

(3 mai 2021, M. Hervé D., n° 443146)

 

112 - Relèvement d’un nom – Nom en voie d’extinction – Nom devant avoir été porté par une personne de nationalité française – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt qui estime que le relèvement d'un nom menacé d'extinction peut être accordé sans qu'il soit établi que l'ascendant dont le nom est recherché a possédé la nationalité française, la procédure de relèvement de nom n’étant instituée qu’à seule fin de préserver le patrimoine onomastique français.

(28 mai 2021, M. U., n° 441856)

 

113 - Opposition à l’acquisition de la nationalité française par mariage – Indignité - Étranger condamné pour diverses infractions – Infractions en lien avec une entreprise terroriste – Non-lieu prononcé par le juge judiciaire du chef de cette dernière – Violation de la règle de droit – Annulation.

Le Premier ministre s'est opposé à l’acquisition, par un ressortissant marocain, de la nationalité française par son mariage avec une française en raison de ce qu’il a été reconnu coupable d'avoir commis en 1995 de façon réitérée des faits de falsification de documents d'identité, permis de séjour et permis de conduire et d'avoir pénétré irrégulièrement sur le territoire français en 1988, faits pour lesquels il a été condamné à 18 mois d'emprisonnement et à une interdiction du territoire de trois ans. Il a estimé que ces faits avaient été commis en relation avec une entreprise terroriste, certains des documents falsifiés ayant été utilisés par des personnes poursuivies de ce chef, et qu’ils étaient d'une gravité telle qu'ils le rendaient indigne d'acquérir la nationalité française.

Toutefois, pour annuler ce refus, le Conseil d’État relève que le requérant a fait l’objet de la part du juge judiciaire (TGI et cour d’appel) d’une décision de non-lieu pour le chef d'association de malfaiteurs ayant pour objet de préparer un acte de terrorisme car il ne connaissait pas les utilisateurs des documents falsifiés. Par ailleurs, la demande de l’intéressé d'être relaxé de la circonstance aggravante que les faits qui lui étaient reprochés auraient été commis en relation avec une entreprise à caractère terroriste a été rejetée non du fait de l'existence d'une telle circonstance, mais au motif que si ces faits présentaient un lien de connexité avec des actes de terrorisme, cette connexité, prévue par les dispositions de l'article 706-6 du code de procédure pénale, n'était ni une infraction nouvelle, ni une circonstance aggravante, mais le fondement d'une règle de procédure justifiant en particulier la compétence de la juridiction saisie pour juger des infractions de droit commun connexes avec les actes de terrorisme.

Ainsi, le Premier ministre, n'apporte en réalité aucun autre élément au soutien de sa décision et il a fait une inexacte application des dispositions de l'article 21-4 du code civil en estimant que ces faits, anciens, rendaient l'intéressé indigne d'acquérir la nationalité française à la suite de son mariage.

(28 mai 2021, M. A., n° 438058)

 

Étrangers

 

114 - Demandeur d'asile - Demande rejetée par l'OFPRA - Décision régulièrement envoyée mais prétendument non reçue par son destinataire - Effet sur le délai de recours contentieux - Absence - Forclusion - Rejet.

Sa demande d'asile ayant été rejetée par l'OFPRA, un ressortissant forme un recours contre cette décision du 17 décembre 2018 devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), son recours est déclaré irrecevable pour cause de forclusion car formé le 10 mai 2019. Le requérant soutient n'avoir découvert, indirectement, la décision litigieuse qu'en avril 2019 en raison des problèmes de distribution du courrier imputables à l'association gestionnaire de la distribution du courrier du centre d'hébergement où il était domicilié, ainsi qu'en atteste une responsable de cette association. Toutefois, ce motif n'est pas retenu dans la mesure où la notification qui lui a été faite, le 17 décembre 2018, à l'adresse qu'il avait indiquée a été retournée à l'OFPRA avec la mention " présenté / avisé " le 4 janvier 2019 et la case " pli avisé et non réclamé " cochée. 

(3 mai 2021, M. B., n° 436227)

 

115 - Carte de séjour mention « vie privée et familiale » - Remise volontaire aux autorités françaises - Renonciation au droit de résidence en France - Référé liberté en vue de la restitution du titre - Absence d'urgence au sens de l'art. L. 521-2 CJA - Confirmation de l'ordonnance de rejet.

Ne commet pas d'erreur d'appréciation le juge du référé de l'art. L. 521-2 CJA qui, saisi par une ressortissante ivoirienne d'une demande d'injonction à adresser à l'autorité administrative de lui restituer son titre de séjour alors qu'elle avait spontanément remis elle-même ce titre, déclarant par là renoncer au droit de résidence en France, considère que n'est pas remplie en l'espèce la condition d'urgence particulière à l'art. L. 521-2 du CJA.

(4 mai 2021, Mme B., n° 451915)

 

116 - Réfugié – Principe de l’unité de la famille – Principe général du droit applicable aux réfugiés – Inapplication au bénéficiaire de la seule protection subsidiaire – Autorité de la chose jugée en sens contraire ne pouvant prévaloir sur le champ d’application de la loi – Cassation pour erreur de droit et sans renvoi.

Dans cette importante décision, où était en cause le principe de l’unité de la famille, principe général du droit des réfugiés, le Conseil d’État apporte deux précisions d’importance.

Tout d’abord, il est affirmé que si le principe de l'unité de la famille est au nombre des principes généraux du droit applicables aux réfugiés, tels qu'ils résultent notamment de la convention de Genève du 28 juillet 1951 (art. 1er A 2°, issu du protocole de New-York du 31 janvier 1967), le droit des réfugiés résultant de cette convention n'est pas applicable aux personnes relevant du régime de la protection subsidiaire, défini tant par le § 1 de chacun des art. 16 et 19 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 (concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection), que par les dispositions de droit interne qui en assurent la transposition.

Ensuite, en dépit de l’autorité de la chose jugée s’attachant à une première décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), celle-ci entache d’erreur de droit une seconde décision fondée sur ce motif dès lors que la solution précédemment adoptée méconnaissait le champ d’application de la loi.

La cassation est prononcée avec renvoi à la CNDA.

(28 mai 2021, Office français de protection des réfugiés et apatrides, n° 433970)

 

117 - Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Délai de convocation à l’audience devant la Cour – Délai de trente jours (art. R. 532-32 CESEDA) – Délai franc.

Par une solution purement prétorienne, le Conseil d’État décide qu’a le caractère d’un délai franc, le délai de trente jours fixé par l’art. R. 532-32 (ex-art. R. 733-19) du CESEDA séparant la date de l’envoi de l’avis d’audience aux parties devant la CNDA du jour où leur affaire sera appelée à l’audience.

(28 mai 2021, M. et Mme A., n° 438847)

 

118 - Demande d’asile – Demande présentée dans un autre État de l’Union européenne – Acceptation par cet État de la prise en charge de l’intéressé – Exclusion par principe du grief de traitement inhumain ou dégradant sauf preuve d’une défaillance systémique – Preuve non rapportée – Rejet.

Le Conseil d’État pose en principe, très logiquement et pour la première fois avec une telle netteté, à propos d’un demandeur afghan de protection internationale en Suède que : « eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations ». 

(28 mai 2021, M. A., n° 447956)

 

Fonction publique et agents publics

 

119 - Abandon de poste - Radiation des cadres - Information suffisante donnée à l’agent sur les effets d’une non reprise - Annulation de la radiation - Erreur de droit - Cassation et renvoi.

Lorsqu’un agent public encourt sa radiation des cadres pour cause d’abandon de poste, il incombe à l’autorité administrative compétente d’indiquer à l’intéressé que s’il ne défère pas à cette obligation, il s'expose à une radiation des cadres sans procédure disciplinaire préalable. Cette information constitue une garantie pour l’agent concerné. Faute de celle-ci, la radiation serait irrégulière.

Dans la présente affaire la cour administrative d’appel avait jugé irrégulière la procédure de radiation des cadres consécutive à un abandon de poste, au motif d’une information incomplète de l’agent. Si cette appréciation des pièces du dossier relève du pouvoir souverain des juges du fond et si elle n’est pas entachée de dénaturation, le juge de cassation relève toutefois que pour y parvenir la cour a jugé que le centre hospitalier ne pouvait utilement se prévaloir, pour soutenir que Mme B. n'avait pas été privée d'une garantie, de ce que l'intéressée n'avait pas retiré le pli contenant la mise en demeure, envoyé à son domicile par courrier recommandé avec accusé de réception, après qu'un avis de passage avait été déposé à son domicile.

Dès lors que l'absence de réception de ce courrier n’était le fait que de sa destinataire, la cour devait en tenir compte pour apprécier si et dans quelle mesure le vice entachant les termes de la mise en demeure avait privé l'intéressée d'une garantie ; en omettant cette analyse la cour a commis une erreur de droit conduisant à la cassation de son arrêt.

(6 mai 2021, Centre hospitalier Sud Francilien, n° 428957)

 

120 - Titularisation d’agents dans certains corps de catégorie A de la fonction publique – Garantie d’une rémunération minimale à quotité de travail inchangée – Plancher de 70% - Hypothèse d’un agent à temps partiel, avant comme après la titularisation – Annulation.

Le décret du 23 décembre 2006 (art. 7, I et 12, II) relatif aux règles du classement d'échelon consécutif à la nomination dans certains corps de catégorie A de la fonction publique de l'État, a prévu qu’en cas de titularisation dans certains corps de catégorie A de la fonction publique l’agent, à quotité de travail inchangée, ne pourrait pas toucher dans son corps de titularisation une rémunération inférieure à 70% de celle qu’il percevait antérieurement.

En l’espèce, la requérante travaillait à temps partiel avant sa titularisation et continue à exercer à temps partiel après cette titularisation. Cette circonstance, selon le Conseil d’État et contrairement à ce que soutenait le ministre de l’agriculture et à ce qu’ont jugé le tribunal administratif et la cour administrative d’appel, est sans effet sur le seuil de 70% qui s’applique à des quotités inchangées, ce qui est le cas en l’espèce. La solution est tout à fait logique.

Injonction est faite au ministre de fixer le traitement de la requérante à l'indice le plus proche de celui lui permettant d'obtenir un traitement mensuel brut égal à 70 % de sa rémunération mensuelle antérieure intégrant le solde de la prime de service et de résultats versé en juillet.

(18 mai 2021, Mme B., n° 447953)

 

121 - Enseignants – Notion de fonctions « accomplies dans des conditions d'exercice difficiles ou sur des fonctions particulières » - Fonctions prises en compte pour un accès à la classe exceptionnelle – Fonctions non définies par la loi – Renvoi à un décret – Incompétence – Annulation.

La loi du 5 juillet 2010 (art. 39) a prévu que les textes portant statuts particuliers de certains corps de fonctionnaires, dont ceux des enseignants, peuvent « subordonner l'avancement de grade à l'exercice préalable d'autres fonctions impliquant notamment des conditions d'exercice difficiles ou comportant des missions particulières ». Le décret du 4 juillet 1972, dans la version que lui a donnée l’art. 59 du décret du 5 mai 2017, dispose au I de son art. 13 sexies que « Peuvent être promus au grade de professeur agrégé de classe exceptionnelle, au choix, par voie d'inscription à un tableau annuel d'avancement, les professeurs agrégés qui, à la date d'établissement dudit tableau, ont atteint au moins le 2e échelon de la hors-classe, et justifient de huit années de fonctions accomplies dans des conditions d'exercice difficiles ou sur des fonctions particulières au sein d'un corps enseignant, d'éducation ou de psychologue relevant du ministère de l'éducation nationale.

La liste de ces fonctions est fixée par arrêté du ministre chargé de l'éducation nationale et du ministre chargé de la fonction publique. (...) ». Un arrêté en ce sens a été pris par le ministre chargé de l’éducation le 10 mai 2017 modifié par un arrêté du 8 avril 2019.

Le recours tendait précisément à l’annulation  du 3° de l'article 1er et de l'article 2 de l'arrêté du 8 avril 2019 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et du ministre de l'action et des comptes publics modifiant l'arrêté du 10 mai 2017, fixant la liste des conditions d'exercice et des fonctions particulières des personnels des corps enseignants d'éducation et de psychologue au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche prises en compte pour un avancement à la classe exceptionnelle.

Le motif du recours, retenu par le juge, reposait sur le fait que c’est illégalement que les dispositions du décret de 2017, dans sa version 2019, ont renvoyé purement et simplement à un arrêté du ministre chargé de l'éducation nationale et du ministre chargé de la fonction publique le soin d'établir la liste de ces fonctions, sans définir au préalable, avec une précision suffisante, les modalités suivant lesquelles cette condition doit être appréciée.

La disposition litigieuse, entachée d’incompétence, est annulée.

(19 mai 2021, Syndicat national des agents publics de l'éducation nationale (SNAPEN), n° 430342)

 

122 - Instruction de la secrétaire générale des ministères économiques et financiers – Instruction relative au recrutement et à l’emploi d’agents contractuels dans ces ministères – Fixation de la rémunération des agents contractuels recrutés pour vacance temporaire d’emploi - Rejet de la demande d’abrogation d’une des dispositions de l’instruction – Disposition illégale – Annulation.

Le Conseil d’État juge que doit être annulé, conformément à la demande du requérant, le point 2.6 de l’instruction de la secrétaire générale des ministères économiques et financiers relative au recrutement et à l’emploi d’agents contractuels dans ces ministères, en ce qu’elle décide que la rémunération des agents contractuels recrutés par les ministères économiques et financiers pour vacance temporaire d'emploi est en principe uniquement déterminée en fonction de la catégorie d'emploi occupée par l'agent alors que le décret du 17 janvier 1986, pour l’application duquel cette instruction a été prise, impose, en ce cas, de prendre en compte, outre les fonctions occupées, « la qualification requise pour leur exercice, la qualification détenue par l'agent ainsi que son expérience ».

(27 mai 2021, M. D., n° 431998)

 

123 - Agent du centre de coopération policière et douanière de Tournai (Belgique) – Demande de versement d’une indemnité et de remboursement de frais de mission – Affectation permanente et sans limitation de durée – Absence de droit au remboursement de ses frais de transport ou au paiement d'indemnités de mission – Absence de droit à une indemnité de fidélisation en secteur difficile – Rejet.

Un fonctionnaire de police en poste à la direction interrégionale de la police judiciaire de Lille, a été affecté, à sa demande, au centre de coopération policière et douanière de Tournai (Belgique), créé en vertu d'un accord de coopération transfrontalière en matière policière et douanière passé entre les gouvernements français et belge. Il y exerce, sous l'autorité de sa hiérarchie française, des missions de lutte contre l'immigration irrégulière et la délinquance transfrontalière. Il a sollicité, d’une part, le remboursement de ses frais de transport ou le paiement d'indemnités de mission et, d’autre part, le versement de l’indemnité de fidélisation en secteur difficile susceptible d’être attribuée aux fonctionnaires actifs de la police nationale.

Un refus lui ayant été opposé, il a saisi, en vain, la juridiction administrative et se pourvoit en cassation. Son pourvoi est rejeté.

Le Conseil d’État juge que c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a estimé : 1°/ que son affectation à Tournai étant permanente et sans limitation de durée, les trajets quotidiens effectués par le demandeur entre ce lieu et celui de son domicile ne pouvaient pas être considérés comme des déplacements temporaires au sens et pour l’application du décret du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l'État sans que fasse obstacle à cette conséquence la circonstance que l'administration considérait que la résidence administrative de l'intéressé restait à Lille et qu'elle lui avait établi des ordres de mission mensuels pour exercer ses fonctions à Tournai.

2°/ qu’en raison de son affectation à Tournai, le requérant ne pouvait pas être regardé, pour l’application de l’art. 2 du décret du 15 décembre 1999 portant attribution d'une indemnité de fidélisation en secteur difficile aux fonctionnaires actifs de la police nationale, comme exerçant ses attributions dans la circonscription de sécurité publique de Lille et cela en dépit de ce que la zone d'intervention du centre de coordination comporte, aux termes de l'accord intergouvernemental précité, les cinq départements de l'Aisne, des Ardennes, du Nord, de la Meuse et de la Meurthe-et Moselle.

La solution est particulière rude sur ce dernier point.

(27 mai 2021, M. B., n° 439075)

(124) V., identique, s’agissant d’un agent affecté au poste de contrôle conjoint des frontières franco-britanniques à Coquelles et à Douvres : 27 mai 2021, M. A., n° 440017.

 

Hiérarchie des normes

 

125 - Loi d’habilitation à prendre des ordonnances de l’art. 38 – Champ d’application de l’habilitation – Ordonnance du 22 avril 2020 prise sur le fondement de la loi d’habilitation du 23 mars 2020 – Régime de consultation des instances représentatives du personnel – Dispositions de l’ordonnance excédant le champ de l’habilitation – Annulation.

Les organisations requérantes soutenaient que la loi d'habilitation du 23 mars 2020 dite d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, n’autorisait pas le gouvernement, sur la base de cette habilitation, à réduire, comme il l’a fait par l’art. 9 de l’ordonnance attaquée, les délais d'information et de consultation des comités sociaux et économiques, ni les délais applicables au déroulement des expertises décidées dans le cadre de ces procédures par les comités.

Le Conseil d’État confirme cette analyse en se fondant, outre les termes de la loi d’habilitation, sur l'exposé des motifs du projet de loi devenu la loi du 23 mars 2020 et les travaux parlementaires en ayant précédé l'adoption. Il considère que ceux-ci permettaient de prendre des mesures ayant pour objet, pour celles figurant au b) du 1° du I de l'article 9 de cette loi et relatives aux modalités d'information et de consultation des instances représentatives du personnel, d'organiser la consultation des instances représentatives du personnel par voie dématérialisée, et, pour celles figurant au b) du 2° du I du même article et relatives à l'adaptation, l'interruption, la suspension et le report du terme de certains délais, d'instaurer un moratoire sur les délais qu'elles mentionnent et ainsi en reporter le terme.

En revanche, aucune de ces dispositions n'habilitait le Gouvernement à réduire les délais d'information et de consultation des comités sociaux et économiques, ni les délais applicables au déroulement des expertises décidées dans le cadre de ces procédures par les comités.

Il s’ensuit que les dispositions des I et II de l'article 9 de l'ordonnance du 22 avril 2020 méconnaissent le champ de l'habilitation donnée au Gouvernement par les dispositions figurant au onzième alinéa du b) du 1° du I de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 ou au b) du 2° du I du même article, il en va de même de celles figurant aux III, IV et V qui en sont indivisibles. Comme l’ordonnance litigieuse a cessé d’être en vigueur rien ne s’oppose à la portée rétroactive de l’annulation ainsi prononcée étant sauve au demeurant la faculté d’actions indemnitaires éventuelles du chef de préjudices causés par l’organisation de procédures irrégulières.

(19 mai 2021, Confédération générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO), n° 441031 ; Union syndicale Solidaires et le Syndicat des avocats de France, n° 441218 et n° 441221, jonction)

 

126 - Décret d’application d’une loi – Obligation s’imposant à l’autorité détentrice du pouvoir réglementaire – Refus de prendre dans un délai raisonnable les mesures d’exécution de la loi – Office du juge de l’excès de pouvoir constatant ce refus – Annulation assortie d’injonction.

Rappel avec une certaine solennité, d’une part, de l’obligation, pour le gouvernement, de prendre les mesures d’exécution des lois et, d’autre part, de l’étendue de l’office du juge constatant le manquement d’exécution :

« 2. (…) L'exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit mais aussi l'obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi, hors le cas où le respect d'engagements internationaux de la France y ferait obstacle.

3. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus du pouvoir réglementaire de prendre les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour le pouvoir réglementaire, de prendre ces mesures. Il s'ensuit que lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'une autorité administrative d'édicter les mesures nécessaires à l'application d'une disposition législative, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité d'un tel refus au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision ».

(27 mai 2021, Association Compassion in World Farming France (CWIF France), n° 441660)

 

Libertés fondamentales

 

127 - Référé liberté - Liberté d'association - Dissolution d'une association - QPC - Rejet - Respect du contradictoire au stade de la décision administrative - Racisme et xénophobie - Style et idéologie paramilitaires - Absence de disproportion - Rejet.

En procédant par le décret attaqué, du 3 mars 2021, à la dissolution de l'association requérante, le président de la république a pris, d'une part, une décision qui ne justifie aucune QPC à l'encontre des dispositions législatives servant de fondement à la mesure prise et, d'autre part une décision régulière car fondée sur des faits non inexactement qualifiés, sur le constat de comportements, écrits, style et idéologie racistes, xénophobe, avec attitudes, objectifs et enseignements de nature paramilitaire tombant sous le coup des dispositions des 2° et 6° de l'art. L. 212-1 du code de la sécurité intérieure et d'ailleurs déjà sanctionnés par le juge pénal.

La suspension sollicitée est refusée par un juge des référés statuant en formation collégiale, le fait est notable.

(ord. réf. format. collég., 3 mai 2021, Association Génération identitaire, M. B. et Mme C., n° 451743)

 

128 - Liberté d'aller et de venir – Covid-19 - Déplacements au départ de Mayotte - Compétence transférée au préfet - Nature juridique inchangée du contrôle du motif impérieux - Recours à une procédure dématérialisée - Respect du secret médical - Rejet.

Les demandeurs, qui ne contestent pas la nécessité de disposer d'un motif impérieux justifiant le déplacement au départ de Mayotte, sollicitent la suspension de l'exécution des dispositions complétant l'article 57-2 du décret du 16 octobre 2020, issues du décret du 17 février 2021, ainsi libellées :

 " III. - Dans les collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution, le représentant de l'État est habilité, lorsque les circonstances locales le justifient, à exiger que la déclaration sur l'honneur et le document mentionnés au II lui soient adressés au moins 6 jours avant le déplacement contre récépissé.

La personne présente, avant l'embarquement, le récépissé mentionné à l'alinéa précédent. A défaut, l'embarquement est refusé et la personne est reconduite à l'extérieur des espaces concernés. Il en va de même lorsque le représentant de l'Etat a informé la personne concernée et l'entreprise de transport, au plus tard 48 heures avant le déplacement, que la déclaration et le document adressés ne permettent pas de retenir l'une des exceptions mentionnées au premier alinéa du I.

Les délais mentionnés au présent III ne sont pas applicables en cas d'urgence justifiée par l'intéressé auprès du représentant de l'État ". 

Ils soutiennent que le transfert au représentant de l'État du contrôle de l'existence d'un motif impérieux de déplacement ne présente aucun intérêt en termes de santé publique, que la compétence ainsi transférée aux services préfectoraux change la nature juridique du contrôle de l'existence d'un motif impérieux de déplacement  et qu'enfin est irrégulière l'exigence de ces services du recours uniquement à une procédure dématérialisée que rien n'autorise.

Ces griefs sont rejetés, le premier car ce transfert permet, au contraire, au préfet d'organiser un contrôle plus efficace, le deuxième parce que rien n'est changé à la nature du contrôle, en particulier s'agissant du respect du secret médical et le troisième parce qu'il est sans incidence sur des conclusions qui ne tendent qu'à la suspension de cette disposition.

(4 mai 2021, M. B. et association "Le Collectif des citoyens de Mayotte", n° 451779)

 

129 - Liberté de culte – Covid-19 - Ramadan (célébration de la « nuit du destin ») - Ouverture des mosquées dans la nuit du 8 au 9 mai 2021 - Refus justifié par l’état sanitaire - Rejet.

Les requérantes demandaient au juge du référé liberté d’enjoindre à l'Etat de faire droit à la demande formulée dans le courrier du recteur de la Grande mosquée de Paris au ministre de l'intérieur en autorisant l'ouverture des mosquées en France du samedi 8 mai 2021 à 21 heures, au dimanche 9 mai 2021 à 2 heures, avec des consignes sanitaires strictes prévues par une circulaire interne.

La demande est rejetée car bien qu’elle constitue une liberté fondamentale, la liberté de culte doit composer avec le souci de protection de la santé. A cet égard, l’état de la situation épidémiologique justifie l’interdiction de sortir entre 19 heures et 6 heures d’autant qu’a été autorisée l’ouverture des mosquées dès la première prière du matin et qu’il est possible de suivre un service religieux par voie dématérialisée.

L’atteinte ainsi portée à la liberté en cause ne revêt pas un caractère excessif.

(6 mai 2021, Associations Société des Habous et Lieux Saints de l'Islam et Fédération de la Grande Mosquée de Paris, n° 452144)

 

130 - Étranger – Demande d’admission au bénéfice d’un accueil provisoire d’urgence – Obligations incombant au département – Contrôle du juge – Rejet.

Le requérant avait sollicité en vain du juge des référés de première instance qu’il enjoigne au département de la Gironde de l'admettre au bénéfice de l'accueil provisoire d'urgence dans une structure agréée au titre de la protection de l'enfance, adaptée à son âge et à la prévention des risques de propagation de la Covid-19 et de prendre en charge ses besoins alimentaires, sanitaires ainsi que médicaux, et ce dans un délai de douze heures à compter de l'ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, jusqu'à ce que l'autorité judiciaire ait définitivement statué sur son recours fondé sur les articles 375 et suivants du code civil.

Il interjette appel de l’ordonnance de rejet.

Après avoir rappelé les exigences de procédure et de fond applicables, l’auteur de l’ordonnance d’appel indique qu’au cas où le département refuse de saisir l'autorité judiciaire au motif que l'intéressé n'aurait pas la qualité de mineur isolé, l'existence d'une voie de recours devant le juge des enfants par laquelle le mineur peut obtenir son admission à l'aide sociale rend normalement irrecevable le recours formé devant le juge administratif contre la décision du département. Toutefois, le juge du référé liberté peut enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire s’il lui apparaît que l'appréciation portée par le département sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité.

Appliquant en l’espèce ce double contrôle (appréciation d’une éventuelle erreur manifeste d’appréciation et risque immédiat pour l’intéressé) à un ressortissant bangladais, il juge comme devant être manifestement rejeté l’appel dont il a été saisi.

(4 mai 2021, M. A., n° 451735)

(131) V. les solutions identiques retenues dans le cas de ressortissants maliens (4 mai 2021, M. B., n° 451736 ; 4 mai 2021, M. A., n° 451737).

 

132 - Droit de visite et d’accès, par des parlementaires, à des étrangers en zone d’attente (art. L. 343-5 CESEDA) – Étrangers en zone de transit – Régime différent applicable – Absence de droit d’accès privilégié des parlementaires – Rejet.

Des passagers de nationalité algérienne en provenance du Royaume-Uni, se trouvant en transit à l'aéroport Paris-Charles de Gaulle, n'ont pu, avant la fermeture des frontières de l'Algérie, embarquer sur les derniers vols de rapatriement organisés par les autorités de ce pays et affrétés par Air Algérie. Des solutions ont pu être trouvées pour 28 d’entre eux, un seul restant maintenu dans la zone de transit internationale de l'aéroport de Roissy.

Un député ayant manifesté sa volonté d'organiser une visite auprès des ressortissants alors toujours présents, en compagnie de plusieurs journalistes, il lui a été indiqué oralement une réponse négative faute d'avoir régulièrement formulé une demande d'accès à une zone de sûreté à accès réglementé.

Il demande au juge des référés du Conseil d’État d’annuler l’ordonnance de première instance qui a rejeté sa demande tendant à ce qu’il soit fait injonction à l’autorité administrative de lui permettre, dans un délai de quarante-huit heures, de « visiter tout lieu en zone sous douane ou internationale dans lequel des ressortissants algériens sont implicitement maintenus ».

Pour rejeter son appel, le juge indique que le droit d’accès privilégié des parlementaires n’est reconnu que dans les zones d’attente et leurs extensions éventuelles (cf. art. L. 343-5 CESEDA) et dans les lieux privatifs de liberté. En l’espèce, le ressortissant algérien seul restant d’un groupe dont les autres membres ont trouvé des solutions leur permettant de sortir, se trouve dans une zone de transit internationale, laquelle est soumise à un régime juridique différent de celui des zones d’attente et il n’y existe pas un droit d’accès privilégié au bénéfice des parlementaires tant sur le fondement de la législation interne que sur celui de stipulations de conventions internationales. Son appel est rejeté.

Pour faire reste de raison sans y être obligé par les conclusions de la requête, le juge des référés, fidèle à sa fonction de pacification, ajoute que la personne en question a refusé toutes les autres solutions qui lui ont été proposées ne voulant qu’un retour direct vers l’Algérie et que ses conditions de vie, sa santé et ses possibilités de communication avec l’extérieur ne constituent pas une situation d’urgence.

Par ailleurs, si des ressortissants indiens sont actuellement maintenus dans une extension de la zone d’attente de l’aéroport de Roissy créée au sein de la zone de transit internationale, le député requérant ne s’est pas vu refuser l’accès à cette zone d’attente étendue ; au reste celle-ci a été visitée par le juge des libertés et de la détention, l’agence régionale de santé, le président du tribunal judiciaire et le bâtonnier.

(ord. réf. 11 mai 2021, M. A., n° 452068)

 

133 - Étranger – Russe originaire de Tchétchénie - Réfugié politique en Pologne – Refus d’octroi de cette qualité en France – Retrait de sa qualité par la Pologne – Recevabilité de la demande de réexamen du refus opposé par la France - Décision de refus – Recours encore pendant devant la CNDA – Menace grave pour la France - Arrêté préfectoral d’OQTF désignant la Pologne comme État de destination – Avis négatif de la CNDA concernant l’expulsion en raison des risques encourus en Russie – Arrêtés ministériels d’expulsion en urgence absolue et fixation de la Russie comme pays de destination – Rejet du référé liberté.

L’incipit de cette notule éclaire suffisamment le lecteur sur les données de l’affaire ; celle-ci est rapportée ici afin d’illustrer les limites et les difficultés du référé liberté. En définitive le juge de ce référé est saisi ici d’une requête formée par des étrangers contre une mesure d’éloignement vers la Russie entièrement exécutée au moment où il rend son ordonnance. Que peut-il faire ? A peu près rien et c’est bien normal car il n’est qu’un juge de l’urgence : qu’ordonner, en ce cas, qui soit exécutable à bref délai ? Quelle que pourrait être – le cas échéant – la gravité de l’atteinte voire l’évidence de son illégalité, portée à la situation des requérants, le juge ne peut, avec effets concrets sous 48 heures, ni ordonner à la Russie quelque chose car il n’a pas compétence sur ce territoire, ni même enjoindre l’État français de saisir les autorités russes dans un certain sens, ceci relevant des relations internationales de la France.

C’est seulement par un recours au fond qu’aurait pu soit être contestée la légalité de la succession des mesures prises soit être mise en cause la responsabilité de la France à raison des dommages consécutifs à la prise d’une décision illégale.

(ord. réf. 17 mai 2021, M. C. et Mme D., n° 451754)

 

134 - Liberté d’aller et de venir – Mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance – Ancienneté des faits reprochés (deux ans) sans incidence sur la légalité de la mesure – Faits non sérieusement contestés ou démentis par des justifications du requérant – Absence de caractère manifestement illégal de l’atteinte portée à la liberté d’aller et de venir du requérant – Rejet.

Le requérant contestait les motifs de sa soumission, par arrêté du ministre de l’intérieur, pris sur le fondement des articles L. 228-1 et s. du code de la sécurité intérieure, à une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance impliquant en particulier l’interdiction de sortir des limites de la commune ainsi que l’obligation de présentation quotidienne ou de déclaration d'adresse, en tentant d’en démontrer ou démentir la réalité et/ou la gravité. Il demandait au juge d’appel l’annulation du jugement ayant rejeté sa requête.

Comme les premiers juges, le Conseil d’État estime que l’intéressé a droit au bénéfice de l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle ; en revanche, il considère que le motif retenu en première instance pour rejeter la demande pour défaut d’urgence du fait de la situation sanitaire ne peut être admis, cette situation ayant fortement évolué. Cependant, au fond, il juge que la double circonstance, d’une part, que les faits reprochés remontent à la mi-2019 et d’autre part qu’il a déjà été fait usage d’un premier renouvellement de la mesure de contrôle, ne prive pas de pertinence les motifs sur lesquels s’est fondé le ministre de l’intérieur pour prendre la décision contestée.

Par ailleurs, le juge se dit non convaincu par les prétendues critiques du demandeur à l’égard desdits motifs et relève plusieurs faits récents qui corroborent les craintes du ministre de l’intérieur.

L’appel est rejeté, ces motifs suffisant à justifier le dispositif de l’ordonnance attaquée.

(ord. réf. 21 mai 2021, M. Reda B., n° 452330)

 

Police

 

135 - Référé liberté - Édifice menaçant ruine - Démolition complète - Compétence exclusive du juge judiciaire - Suspension pour trois mois de l’arrêté de péril - Appel de l’ordonnance - Communication d’une nouvelle étude - Démolition nécessaire du seul mur mitoyen - Annulation de l’ordonnance du premier juge.

Le juge du référé liberté avait été saisi en première instance d’une demande de suspension de l’exécution de mesures d’urgence ordonnées par un arrêté municipal de péril. Estimant que l’ensemble de ces mesures constituait en réalité une démolition de l’édifice, le premier juge s’est fondé sur ce que, en ce cas, le second alinéa de l’art. L. 511-19 du code de la construction et de l’habitation exige l’autorisation préalable du juge judiciaire et il a suspendu, à cet effet, pour trois mois l’exécution de l’arrêté litigieux.

En appel, le juge des référés du Conseil d’Etat avait avisé les parties que sa décision était susceptible d'être fondée sur le moyen relevé d'office tiré de ce que la démolition prescrite par l'arrêté en litige devait, compte tenu de son ampleur, être regardée comme une démolition complète au sens du second alinéa de l'article L. 511-19 du code de la construction et de l'habitation, laquelle ne peut être ordonnée, sur le fondement de cette disposition, qu'après autorisation du juge judiciaire. Cependant, à la faveur d’une clôture retardée de l’instruction, la commune défenderesse appelante a produit une étude attestant que, dans un premier temps, seule la démolition d’un mur mitoyen s’avérait nécessaire. Par suite, la suspension ordonnée en première instance ne se justifiait plus.

(7 mai 2021, Commune de Marseille, n° 457848)

 

136 - Stationnement abusif de véhicules sur un parking de transport international routier plateforme douanière – Ordonnance de référé enjoignant au préfet, sous quinzaine, de procéder à l’enlèvement des véhicules occupant abusivement – Stationnement sur une dépendance du domaine public routier – Compétence exclusive du juge judiciaire – Annulation de l’ordonnance pour incompétence du juge administratif saisi.

Saisi par un syndicat de copropriétaires d’une action tendant à faire évacuer des véhicules stationnant abusivement sur un parking de transport international routier, le juge administratif enjoint au préfet de faire procéder sous quinze jours à l’enlèvement de ces véhicules.

Saisi par le ministre de l’intérieur qui soutenait irrégulière l’ordonnance en ce qu’elle fait injonction à un préfet d’exercer son pouvoir de substitution à celui du maire alors qu’un tel pouvoir n’existe pas dans les départements d’Alsace et de Moselle, le Conseil d’État, au visa de dispositions du code de la route (art. L. 325-1, L. 325-3, L. 325-11 et L. 417-1), annule ce jugement pour incompétence du juge administratif, l’enlèvement de véhicules irrégulièrement stationnés sur une dépendance du domaine public met en œuvre des pouvoirs de police judiciaire dont le contentieux relève exclusivement du juge judiciaire.

(11 mai 2021, Ministre de l’Intérieur, n° 447948)

 

137 - Police du permis de conduire – Suspension du permis pour excès de vitesse – Excès constaté par un jugement définitif du juge pénal – Autorité de ce jugement sur le juge administratif – Caractère absolu – Moyen d’ordre public pouvant être soulevé pour la première fois en cassation – Annulation.

Un tribunal administratif avait annulé l’arrêté préfectoral suspendant le permis de conduire d’un automobiliste motif pris de ce que l’excès de vitesse invoqué n’était pas établi.

Le ministre de l’intérieur, auteur du pourvoi, produit pour la première fois devant le juge de cassation un jugement pénal condamnant l’automobiliste pour les mêmes faits d’excès de vitesse. L’autorité qui s’attache aux constatations de fait du juge pénal étant absolue, le moyen tiré de celles-ci est d’ordre public et peut être invoqué pour la première fois en cassation.

Le jugement querellé est annulé.

(27 mai 2021, Ministre de l’Intérieur, n° 436815)

 

138 - Stationnement des véhicules – Forfait de post-stationnement – Cession du véhicule – Cas de mise à la charge du vendeur du paiement de ce forfait – Rejet d’une QPC.

Le VII de l'article L. 2333-87 du code général des collectivités territoriales dispose : « (...) Lorsque, à la suite de la cession d'un véhicule, le système enregistrant les informations mentionnées à l'article L. 330-1 du code de la route (« Il est procédé, dans les services de l'Etat et sous l'autorité et le contrôle du ministre de l'intérieur, à l'enregistrement de toutes informations concernant les pièces administratives exigées pour la circulation des véhicules ou affectant la disponibilité de ceux-ci ») mentionne un acquéreur qui n'est pas le titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule, l'acquéreur est substitué au titulaire dudit certificat dans la mise en oeuvre des dispositions prévues aux II et IV du présent article ".

Ainsi, si, normalement, le débiteur du forfait de post-stationnement et de sa majoration éventuelle est la personne titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule à la date d'émission de l'avis de paiement de ce forfait, toutefois en cas de cession du véhicule, son acquéreur est le débiteur du forfait de post-stationnement dès lors que le vendeur a cédé son véhicule avant l'émission de l'avis de paiement et a procédé à la déclaration prévue par l'article R. 322-4 du code de la route avant cette date ou, en tout état de cause, dans le délai de quinze jours prévu à cet article.

C’est donc à tort que le requérant soutient que ces dispositions sont inconstitutionnelles en ce qu’elles porteraient atteinte au droit du propriétaire d'un véhicule de le céder ou méconnaîtraient la liberté contractuelle du vendeur et de l'acquéreur garantie par l'article 4 de la Déclaration de 1789, car ces dispositions n’ont pour objet que de fixer l'identité du débiteur du forfait de post-stationnement en cas de cession d'un véhicule.

Le paiement du forfait de post-stationnement ne peut donc être mis à la charge du vendeur du véhicule que dans deux hypothèses :

- lorsque l'avis de paiement est émis dans un délai de quinze jours suivant la vente du véhicule, qui est celui dont dispose le vendeur pour accomplir son obligation de déclaration, et qu'aucune déclaration de vente n'est effectuée par lui dans ce délai ;

- lorsque l'avis de paiement est émis après ce délai de quinze jours et que le vendeur n'a, à la date d'émission de cet avis, toujours pas déclaré la vente de son véhicule.

De la sorte, le vendeur n’est débiteur des avis de paiement émis pour le stationnement du véhicule qu'il a vendu que s’il a négligé d'en signaler la vente. Le législateur, contrairement à ce qui est soutenu au pourvoi, n'a ainsi pas porté une atteinte excessive à son droit de propriété, tel que garanti par la Déclaration de 1789.

(28 mai 2021, M. A., n° 447267)

(139) V. aussi, du même jour et avec même solution, les 34 autres décisions n° 447269, n° 447270, n° 447272, n° 447274, n° 447275, n° 447276, n° 447277, n° 447278, n° 447281, n° 447283, n° 447284, n° 447285, n° 447287, n° 447288, n° 447289, n° 447290, n° 447291, n° 447297, n° 447299, n° 447300, n° 447301, n° 447302, n° 447304, n° 447305, n° 447306, n° 447311, n° 447312, n° 447313, n° 447314, n° 447315, n° 447316, n° 447317, n° 447318, n° 447325.

 

Professions réglementées

 

140 - Masseurs-kinésithérapeutes - Obligation au secret - Pièces produites dans une instance disciplinaire - Nécessité du débat contradictoire - Appréciation du caractère probant - Cassation sans renvoi et rejet au fond.

Le requérant, masseur-kinésithérapeute, a porté plainte devant l’instance ordinale, en raison des soins délivrés à son ex-compagne par l’un de ses confrères en méconnaissance de ses obligations déontologiques. Au cours de la procédure il a produit des pièces dont il est estimé qu’elles sont couvertes par le secret professionnel.

Sa plainte a été rejetée en première instance et en appel au motif que même si le confrère poursuivi a admis avoir eu effectivement recours, pour sa patiente, à la technique controversée, cette information ayant été portée à la connaissance de l’instance ordinale disciplinaire en violation du secret médical, elle faisait obstacle à ce que le juge disciplinaire se prononce sur le point de savoir s’il avait été, ou non, fait usage de cette technique.

Le Conseil d’Etat casse la décision déférée en posant en principe que : « la circonstance que des pièces produites au cours d'une instance disciplinaire le seraient en méconnaissance d'une obligation de secret qui pèse sur la partie qui les produit ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que le juge disciplinaire fonde sa décision sur les pièces en question ou les éléments qu'elles révèlent. Il incombe seulement au juge, après avoir soumis ces pièces au débat contradictoire, de tenir compte de leur origine et des conditions dans lesquelles elles ont été produites pour en apprécier, au terme de la discussion contradictoire devant lui, le caractère probant. »

La solution, si elle peut surprendre en ce qu’elle pourrait paraître faire bon marché du secret professionnel, doit cependant être approuvée pour son réalisme et son adéquation raisonnable au droit pour tout justiciable d’apporter la preuve de ses affirmations surtout dans un milieu professionnel où la part prise par le secret pourrait rendre impossible toute action ou très illusoire son résultat pratique.

Le recours est toutefois rejeté au fond, le juge de cassation estimant que n’est pas rapportée la preuve des allégations du demandeur.

(6 mai 2021, M. B., n° 4290759)

 

141 - Pharmaciens - Ressortissante française ayant obtenu un diplôme de pharmacien en Équateur - Diplôme reconnu par équivalence en Espagne - Demande d’autorisation d’exercer en France - Diplôme non délivré dans l’UE ou l’Espace européen - Différences des conditions par rapport à la France - Mesures compensatoires imposées par le ministre de la santé - Légalité - Rejet.

C’est sans illégalité que saisi d’une autorisation d’exercer la pharmacie en France par une ressortissante française ayant obtenu son diplôme en Équateur et son équivalence en Espagne, le ministre de la santé subordonne cette autorisation, à son choix, à l’une des deux mesures compensatoires suivantes : soit subir une épreuve d'aptitude portant sur la totalité du cursus de formation de la pharmacie clinique en France, soit effectuer un stage d'adaptation de vingt-quatre mois de fonctions hospitalières rémunérées dans le cadre d'un statut d'associé au sein d'un service agréé pour la formation des internes en pharmacie.

C’est en vain que l’intéressée se prévaut de dispositions du droit de l’Union européenne alors que son diplôme n’a été délivré ni dans l’Union ni dans l’Espace économique européen.

Par ailleurs, l’équivalence espagnole ne fait pas obstacle à ces mesures compensatoires au regard des différences substantielles concernant les qualifications requises pour l'accès à la profession de pharmacien et pour son exercice en France.

(6 mai 2021, Mme A., n° 432620)

 

142 - Médecins – Poursuites disciplinaires engagées par une agence régionale de santé – Omission de réponse à moyen – Annulation.

Est entachée d’insuffisance de motivation pour omission de réponse à l’un des deux moyens soulevés devant lui, la décision de relaxe d’un médecin prononcée par le conseil national de l’ordre des médecins qui ne statue pas sur le grief tiré d’un manquement du médecin poursuivi aux dispositions de l'article R. 4127-37 du code de la santé publique en s'abstenant de se rendre au chevet du patient avant de décider de l'opération au milieu de la nuit, en dépit des appels des infirmières, alors que les rectorragies avaient repris aux environs de 20 heures et s'étaient aggravées à partir de 22 heures 30 jusqu'au transfert du patient au bloc opératoire à 3 heures du matin.

(7 mai 2021, Ministre des solidarités et de la santé, n° 437980)

 

143 - Médecin psychiatre – Signalements à l’autorité judiciaire – Présomption de faits de violences sexuelles sur enfant par ascendant – Manquement aux obligations déontologiques – Absence – Méconnaissance du champ d’application de la loi – Cassation avec renvoi.

Une médecin psychiatre adresse plusieurs signalements au procureur de la république sur des faits présumés de violences sexuelles commis au préjudice d'un enfant mineur et susceptibles d'être attribués à son père. Ce dernier porte plainte contre le médecin devant la chambre disciplinaire de l’ordre des médecins. Sa plainte, rejetée en première instance, est accueillie par le conseil national de l’ordre des médecins qui inflige la sanction de trois mois d’interdiction d’exercer la médecine à la praticienne, pour avoir, par son signalement à l’autorité judiciaire, manqué à ses obligations déontologiques.

Celle-ci se pourvoit en Conseil d’État qui casse la décision ordinale nationale.

Le conseil national s‘était fondé, pour infliger la sanction, sur les dispositions de l’art. R. 4127-76 du code de la santé publique, selon lesquelles : « Lorsqu'un médecin discerne qu'une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en oeuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection.

Lorsqu'il s'agit d'un mineur ou d'une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, il alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience ».

Ce jugeant, le conseil national s’est mépris sur le champ d’application de la loi puisque, dans le cas de l’espèce, la praticienne est intervenue sur le fondement des dispositions de l’art. R. 4127-44 du code précité qui est relatif à l’alerte donnée sur la situation d'un patient mineur susceptible d'être victime de sévices ou privations et qui a pour objet de transmettre à ces autorités tous les éléments utiles qu'il a pu relever ou déceler dans la prise en charge de ce patient, notamment des constatations médicales, des propos ou le comportement de l'enfant et, le cas échéant, le discours de ses représentants légaux ou de la personne accompagnant l'enfant soumis à son examen médical. Les attestations et autres certificats ou signalements fournis dans ce cadre ne ressortissent pas de l’art. R. 4127-74 dont a fait application le conseil de l’ordre, d’autant que selon ce dernier texte les documents en question ne peuvent reposer que sur des constatations médicales et sont susceptibles d’être remis au patient ou à ses représentants légaux.

L’affaire est renvoyée au conseil national.

(19 mai 2021, Mme D., n° 431346)

(144) V. aussi : 19 mai 2021, Mme C., n° 431352.

 

145 - Chirurgien-dentiste – Sanction disciplinaire – Procès-verbaux de conciliation concernant d’autres dossiers – Utilisation dans un dossier postérieur – Décision disciplinaire en partie fondée sur ces pièces – Annulation – Rejet.

C’est sans erreur de droit que le conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes annule la sanction disciplinaire infligée à un confrère par le conseil départemental requérant en se fondant sur que ce dernier s’était appuyé, pour décider de la sanction, sur trois procès-verbaux de conciliation afférents à d'autres faits et concernant d'autres patientes.

(27 mai 2021, Conseil départemental de Loire-Atlantique de l'ordre des chirurgiens-dentistes, n° 431548)

 

146 - Chirurgien-dentiste – Recours à des procédés de publicité – Non-conformité de la prohibition générale de publicité (art. R. 4127-215 c. santé pub.) au regard du droit de l’Union – Prohibition de l’exercice de la profession dentaire « comme un commerce » - Manquements – Sanction – Confirmation et réformation partielles de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes.

Un chirurgien-dentiste et le cabinet auquel il appartient se pourvoient en cassation contre une décision de la chambre disciplinaire de l’ordre des chirurgiens-dentistes leur infligeant la sanction de l'interdiction d'exercer la profession pendant un mois et dix jours.

Le Conseil d’État relève en premier lieu que la chambre disciplinaire a commis une erreur de droit en jugeant que le 3° de l’art. R. 4127-215 du code de la santé publique, qui dispose que sont interdits aux chirurgiens-dentistes « Tous procédés directs ou indirects de publicité », n’était pas contraire au droit de l’Union alors qu’il résulte de l‘art. 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, dans l’interprétation qu’en donne la CJUE (4 mai 2017, Luc Vanderborght, aff. C-339/15), que sont  incompatibles avec ce droit les dispositions réglementaires qui interdisent de manière générale et absolue toute publicité et toute communication commerciale par voie électronique, telles que celles qui figurent au 3° de l'article R. 4127-215 précité.

Le Conseil d’État relève ensuite que les intéressés ont commis divers manquements (mentions, parfois inexactes figurant sur un site internet ; contenu d’un reportage radiophonique ; contenu d’un courrier adressé aux adhérents d’une mutuelle, etc.) à l’interdiction de pratiquer leur profession « comme un commerce » (même art., 1er alinéa), justifiant l’infliction d’une sanction d’interdiction d’exercice pendant un mois.

(27 mai 2021, M. Molko et la société Cabinet du docteur Sébastien Molko, n° 420178)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

147 - Contribution à l’audiovisuel public - Cas des professionnels - Obligation déclarative de détention d’appareils - Sanction uniforme, non modulable et indéfiniment cumulable - Atteinte aux principes de proportionnalité et d’individualisation des peines - Absence - Atteinte au droit de propriété et au principe d’égalité - Absence - Refus de renvoi de la QPC.

La société requérante contestait la constitutionnalité des dispositions du 2. de l’art. 1840 W ter du CGI qui punit d’une amende de 150 euros par appareil l’omission ou l’inexactitude des déclarations que doivent souscrire les détenteurs d’appareils récepteurs de télévision ou de tout autre dispositif assimilé. Elle invoquait au soutien de sa QPC la violation de quatre droits ou principes constitutionnels : tous ses griefs sont rejetés.

Tout d’abord, cette amende, selon le juge, ne porterait atteinte ni au principe de proportionnalité ni au principe d’individualisation des peines car, par son caractère dissuasif, elle poursuit un but de lutte contre la fraude fiscale lequel est un objectif de valeur constitutionnelle et, par son montant, elle n’est pas manifestement disproportionnée au regard de l’avantage procuré par la fraude.

Ensuite, pas davantage ce mécanisme ne porterait atteinte au droit de propriété et au principe d’égalité en dépit du caractère indéfiniment cumulable des amendes encourues et de la différence des sanctions infligées aux particuliers, pour lesquels le montant de 150 euros ne constitue qu’un plafond et les professionnels pour lesquels ce montant est infrangible.

(7 mai 2021, Société Batouche Investissements, n° 449641)

 

148 - Prélèvement de solidarité affecté au budget général de l’État (art. 235 ter du CGI) – Loi de financement de la sécurité sociale du 22 décembre 2018 pour 2019 - Application aux revenus perçus à compter du 1er janvier 2018 – Atteintes alléguées à la non-rétroactivité de la loi, au principe d’égalité devant la loi et à ceux de sécurité juridique et d’intelligibilité de la loi – Absence – Refus du renvoi d’une QPC.

Une nouvelle fois est mise en lumière la nocivité du principe selon lequel, en France, le fait générateur de l’impôt est la date du 31 décembre de l’année d’imposition. Les contribuables sont ainsi dans l’ignorance des conséquences fiscales attachées aux actes et aux faits dont ils sont les auteurs et les destinataires, se produisant entre le 1er janvier et le jour du vote de la loi de finances de l’année ou de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), généralement dans la dernière semaine de décembre compte tenu du calendrier constitutionnel. Dire, comme le fait le juge, qu’il n’y a pas là d’atteinte au principe de non rétroactivité de la loi est une affirmation peu convaincante et persister depuis des années à le répéter, décision après décision, constitue une obstination déraisonnable.

En l’espèce, l’art. 26 de la loi LFSS du 22 décembre 2018 pour 2019, qui substitue à plusieurs prélèvements sociaux antérieurs un prélèvement de solidarité (cf. cf. art. 235 ter du CGI) entièrement affecté désormais au budget général de l’Etat, décide au A de son IX que ce prélèvement s’applique aux faits générateurs d'imposition intervenant à compter du 1er janvier 2019 et, au C de son XIV, qu’il s’applique à compter de l’imposition des revenus de l’année 2018 pour ce qui concerne les prélèvements assis sur les revenus mentionnés à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale.

Les auteurs de la QPC soutiennent tout d’abord que le C du XIV de cet art. 26, en modifiant les règles d'affectation du produit de prélèvements sociaux dont le fait générateur est déjà intervenu à la date de leur entrée en vigueur, aurait pour effet de porter atteinte à une situation légalement acquise et de remettre en cause les effets pouvant légitimement en être attendus par les contribuables, tenant à la faculté pour ces derniers de se prévaloir, en vue d'obtenir la décharge des prélèvements auxquels ils ont été assujettis, du principe d'unicité de législation sociale garanti par l'article 11 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.  Cet argument est rejeté au motif que « (…) les règles d'affectation du produit d'une imposition de toute nature, qui traduisent les choix opérés par le législateur pour le financement de l'action publique, que celui-ci a la faculté de modifier à tout moment, ne sauraient être regardées, pour le redevable légal de cette imposition, comme présentant le caractère d'une situation légalement acquise à la date de son fait générateur », ce qui se conçoit fort bien,  et le juge d’ajouter, ce qui se conçoit nettement moins bien, « Par suite, en se bornant à affecter au budget général de l'Etat le produit de prélèvements fiscaux recouvrés à compter du 1er janvier 2019, alors même que leur fait générateur serait antérieur à cette date, les dispositions du C du XIV de l'article 26 (…), dénuées de toute portée rétroactive, ne portent atteinte à aucune situation légalement acquise. Par ailleurs, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la faculté de se prévaloir des règles d'affectation du produit d'une imposition en vue d'en obtenir la décharge constituerait un effet de la législation dont le maintien pourrait être légitimement attendu. Ces dispositions ne sont, par suite, pas susceptibles de porter atteinte à la garantie des droits résultant de l'article 16 de la Déclaration du 26 août 1789. » On peine à voir en quoi le second passage cité est la conséquence nécessaire et liée du passage précédent. Flotte ici un parfum de paralogisme.

Les autres moyens soulevés au soutien de la QPC sont rejetés à leur tour : les nouvelles dispositions, si elles instituent une différence de traitement entre les résidents fiscaux français affiliés au régime obligatoire de sécurité sociale d'un Etat membre de l'Union européenne autre que la France réalisant une plus-value de cession de valeur mobilière au titre d'une année antérieure à 2018, selon que le recouvrement des prélèvements sociaux dus à raison de cette plus-value intervient avant ou après le 1er janvier 2019, seuls les premiers étant susceptibles de se prévaloir de l'article 11 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 au soutien de leur contestation de ces prélèvements, ne portent pas cependant atteinte au principe d’égalité devant la loi fiscale car cette différence de traitement « résulte de la seule faculté dont dispose à tout moment le législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier les textes antérieurs ». Certes, mais qu’est-ce que cela change au regard de l’argumentation dont le juge était saisi ?

Enfin, il n’est pas davantage porté atteinte aux principes de sécurité juridique et d’intelligibilité de la loi.

Le renvoi de la QPC est refusé.

(11 mai 2021, M. et Mme B., n° 450972)

 

149 - Enseignement supérieur – Organisation à titre expérimental de certains enseignements et formations en matière de santé – Inégalité de traitement entre établissements publics et établissements privés d’enseignement supérieur – Refus de transmission d’une QPC.

La fédération requérante, à l’appui de sa demande d’annulation du décret n° 2020-553 du 11 mai 2020 relatif à l'expérimentation des modalités permettant le renforcement des échanges entre les formations de santé, la mise en place d'enseignements communs et l'accès à la formation par la recherche, pris pour l’application de l'article 39 de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019, a soulevé la question de la conformité de cette disposition aux droits et libertés garantis par la Constitution. 

La demande de renvoi au Conseil constitutionnel est rejetée d’abord s’agissant de deux griefs : en premier lieu, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence en ce que l’article contesté ne définirait pas avec une précision suffisante l'objet et les conditions de l'expérimentation qu'il institue et en  prévoyant que la durée de l'expérimentation est de six ans et, en second lieu, du fait de la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, l’un et l’autre griefs ne pouvant pas être invoqués au soutien d’une QPC.

Ensuite, contrairement à ce qui est soutenu, l’article litigieux n’a ni pour objet ni pour effet de conférer davantage de prérogatives aux universités qu'aux établissements privés d'enseignement supérieur dans la mise en oeuvre de l'expérimentation et, par suite, ne saurait non plus être utilement invoquée l’atteinte à la liberté de l'enseignement, à l'égal accès à la formation professionnelle, à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle en ce qu'il désavantagerait les établissements privés d'enseignement supérieur par rapport aux universités.

(18 mai 2021, Fédération nationale de l'enseignement privé (FNEP), n° 441760)

 

150 - Acte réglementaire – Défaut de caractère législatif – Rejet de la demande de renvoi d’une QPC.

Ne peut faire l’objet d’un renvoi en tant que QPC le recours dirigé contre le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire car, contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, ce texte ne revêt pas le caractère de « dispositions législatives » au sens et pour l’application de l’art. 61-1 de la Constitution.

(20 mai 2021, Mme A., n° 446079)

 

151 - Établissements fermés par mesure administrative anti-Covid – Loyers et charges locatives afférentes aux locaux professionnels ou commerciaux – Mesures de protection pour certains d’entre eux seulement (art. 14, loi du 14 novembre 2020) – Atteinte au principe d’égalité – Formation d’une QPC – Rejet.

Les requérantes se plaignaient que les mesures protectrices arrêtées par le législateur (art. 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020) en faveur d’entreprises frappées de fermeture par mesure de police administrative sanitaire du fait de l’urgence épidémique, concernant le paiement de leurs loyers et charges locatives, n’étaient applicables qu’à certaines d’entre elles seulement. Voyant dans cette différence de traitement une atteinte au principe constitutionnel d’égalité, elles soulèvent une QPC.

Celle-ci est rejetée car, d’une part, en réservant ce dispositif aux entreprises les plus vulnérables financièrement et disposant d’un moindre pouvoir de négociation avec les bailleurs, le législateur a retenu des critères objectifs et pertinents au regard des objectifs de la loi et, d’autre part, les entreprises requérantes sont éligibles à d’autres dispositifs d’aide qui ne reposent pas sur la taille des entreprises.

(28 mai 2021, Société Buger King France et autres, n° 450256)

 

Responsabilité

 

152 - Vaccination obligatoire contre l’hépatite B - Agent d’écoles maternelles - Lien de causalité direct entre vaccination et atteintes dommageables aux reins - Préjudices réparables - Conditions - Recours subrogatoire de la sécurité sociale - Conditions et limites de son exercice - Rejet pour l’essentiel.

Une agente municipale des écoles maternelles de Paris, à laquelle son statut fait obligation d’être vaccinée contre l’hépatite B soutient que cette vaccination lui a causé des préjudices dont elle a demandé réparation.  Le Conseil d’Etat est saisi de deux pourvois principaux et d’un pourvoi incident. D’une part, la CPAM de Paris demande l’annulation de l’arrêt d’appel en tant, notamment, qu’il ne l’a pas mise, contrairement à l’exigence légale, en état d’exercer son action subrogatoire et qu’il comporte un certain nombre d’irrégularités. D’autre part, la victime conteste le montant global de la réparation qui lui a été alloué, certains chefs de préjudices n’auraient pas été indemnisés.  A titre incident la Ville de Paris, conteste l’existence d’un lien de causalité avec le dommage invoqué par la demanderesse.

C’est ce pourvoi qui est examiné en premier car sa solution commande tout le reste de l’affaire. Pour le rejeter, le juge de cassation relève que la cour administrative d’appel, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, a jugé que le lien de causalité litigieux n’était pas exclu par les données acquises de la science ainsi qu’il résulte du rapport d’expertise d’autant que l'intéressée, antérieurement en bonne santé, ne présentait pas d'antécédents la prédisposant à une affection rénale et que la maladie était apparue dans un bref délai après la troisième injection vaccinale. Une fois le pourvoi incident rejeté, il est passé à l’examen des deux pourvois principaux.

Celui de la victime ne soulevait guère de difficulté : il était reproché à la cour l’absence ou l’insuffisance de réparation de trois chefs de préjudice mais l’un d’eux n’avait pas été invoqué devant elle, le deuxième n’était pas justifié dans son existence et, pour le troisième, le montant retenu semble, au juge de cassation, être exempt de dénaturation des pièces du dossier. Le rejet de ces conclusions est prononcé.

Plus délicate était la difficulté soulevée par la CPAM et c’est ce point qui constitue l’apport principal de l’arrêt.

La caisse, appelée en cause par le tribunal administratif, a demandé que ses droits soient « réservés », mais n’a pas présenté de conclusions. Le tribunal administratif ayant rejeté la demande de Mme A., cette dernière a interjeté appel. La cour administrative d'appel a appelé en cause la CPAM mais celle-ci n'a pas présenté de conclusions. Par son pourvoi, la CPAM demande l'annulation de cet arrêt au motif qu'il ne l'a pas mise à même d'obtenir le remboursement par la Ville de Paris des dépenses de soins et de transport exposées pour Mme A.

Sur ce point, le Conseil d’Etat relève que la circonstance qu’en l’espèce la caisse, pourtant régulièrement appelée en cause en première instance, n'a pas présenté de conclusions devant le tribunal administratif, est sans incidence sur l'obligation qui incombait à la cour administrative d'appel, saisie d'un appel contre ce jugement, de la mettre en cause. Elle fait en revanche obstacle à ce que la caisse présente devant la cour administrative d'appel des conclusions tendant au remboursement de sommes exposées par elle antérieurement au jugement de première instance. Or en l’espèce, la cour, si elle a régulièrement invité la caisse à présenter ses conclusions en qualité de partie appelée à l'instance introduite par l'appel de Mme A., a omis de la convoquer à l'audience au cours de laquelle elle a examiné cet appel et ne lui a, en outre, communiqué certaines pièces du dossier, dont le rapport d'expertise, que postérieurement à l'audience.

L’arrêt est certes sur ce point évidemment entaché d’irrégularité mais il n’en demeure pas moins qu’en première instance, alors qu’elle avait été régulièrement appelée en cause, la caisse n’a pas présenté de conclusions subrogatoires. Elle ne pouvait donc prétendre en appel qu’au seul remboursement des prestations nouvelles servies par elle postérieurement au jugement de première instance. Il suit de là que l’irrégularité de l’arrêt d’appel ne lui ouvre droit qu’à solliciter dans cette seule limite son annulation.

(6 mai 2021, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Paris, n° 421744 ; Mme A., n° 425597, jonction)

 

153 - Responsabilité hospitalière - Perte de chance fautive - Calcul du taux de perte de chance - Erreurs de droit - Cassation.

Au cours d’un accouchement difficile, une manœuvre pour faciliter l’expulsion de l’enfant a provoqué une paralysie du plexus brachial. L’indemnisation qu’ils avaient obtenue en première instance ayant été fortement réduite en appel, les intéressés se pourvoient en cassation.

Se posait le désormais classique débat sur l’indemnisation de la perte de chance dont le Conseil d’Etat rappelle, dans sa formulation habituelle, la méthodologie de calcul : «  Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public de santé a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage advienne. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel, déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue. »

En l’espèce, la cour a estimé que la manœuvre effectuée, après diagnostic d’une dystocie des épaules, ayant été particulièrement contre-indiquée, cet acte fautif était en lien causal direct non avec le préjudice subi mais avec la perte de chance d’éviter la survenue de celui-ci.

Elle a entrepris d’évaluer le taux indemnisable de cette perte de chance. Tout d’abord, a été retenu un taux de 50% de la perte de chance de ne pas subir la paralysie du plexus brachial, dont ont été déduits, d’une part, 20% en raison de la rapidité d’intervention de l’équipe obstétricale, d’autre part 15 % en raison des poids excessifs de la mère et de l’enfant en dépit des consignes données à cet égard durant la grossesse. Le taux de perte de chance a donc été fixé à 15%. C’est sur ces deux déductions que porte la cassation.

Le Conseil d’Etat estime, à juste raison, qu’une double erreur de droit a été commise : d’abord, la bonne exécution des manœuvres obstétricales après le geste erroné commis par la sage-femme était seulement de nature à ne pas aggraver la perte de chance d'une naissance sans dommage et donc à ne pas accroître ce taux ; elle ne pouvait avoir pour résultat une diminution du taux de perte de chance comme l’a jugé erronément la cour ; ensuite, la fixation initiale par la cour  à 50% du taux de cette perte tenait déjà nécessairement compte, du fait des surpoids de la mère et de l’enfant, de la probabilité d’un accouchement dystocique en l'absence de toute faute de l'établissement, elle ne pouvait donc tenir compte une seconde fois de cet élément.

La cassation et le renvoi à la cour sont opérés dans cette mesure.

(6 mai 2021, M. E. et Mme B., n° 428154)

 

154 - Vaccination contre le virus H1N1 – Indemnisation du préjudice subi du fait de l’impossibilité d’exercer son métier à l’avenir – Calcul de l’indemnité déduction faite du revenu de solidarité active versé à l’intéressé – Rejet.

On retiendra surtout de cette décision que, prolongeant une tendance jurisprudentielle trentenaire, elle estime que c’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel détermine l’indemnisation à laquelle a droit un plombier atteint de paralysie faciale du fait d’une vaccination contre le virus H1N1, en déduisant le montant du RSA versé désormais à la victime.

(27 mai 2021, M. A., n° 431557)

 

155 - Responsabilité hospitalière à raison d’un dispositif ou produit médical défectueux – Indemnisation de la victime - Action en remboursement de l’assureur contre le fournisseur – Action récursoire et non subrogatoire – Prescription décennale (art. 1386-16 c. civ.) – Rejet.

A la suite d’un accident médical intervenu dans un centre hospitalier du fait de l’utilisation d’un dispositif médical défectueux, l’assureur du centre, après avoir indemnisé la victime, a entendu se retourner contre la société ayant livré ce dispositif à son assuré, le centre hospitalier, dans les droits duquel il s’estimait subrogé.

Son action est rejetée en première instance et en appel pour forclusion, l’art. 1386-16 du Code civil instituant une prescription décennale de la responsabilité du producteur non fautif d’un produit défectueux à partir de sa mise en circulation.

Tout d’abord, la société productrice du produit qui s’est révélé défectueux l’avait mis en circulation en 2004 du fait de sa livraison au centre hospitalier et l’action introduite par la demanderesse l’a été en 2016, soit après expiration du délai décennal.

Ensuite, le centre hospitalier, s’il a bien eu la qualité d’utilisateur du produit pour l’avoir mis en œuvre n’en est pas pour autant producteur au sens de l’art. L. 1386-7 du Code civil. L’assureur a donc indemnisé la victime à raison de la responsabilité encourue à son égard par son assuré, le centre hospitalier, du fait des conséquences dommageables de la défaillance d’un produit utilisé par ce dernier.

Enfin, par suite, l’action de l’assureur contre le producteur ne reposait pas sur le lien de subrogation existant entre l’assureur et le centre hospitalier mais sur le droit d’action propre et directe de l’assureur contre le producteur, il constituait donc une action récursoire comme celle dont aurait disposé le centre hospitalier envers le producteur ou fournisseur.

L’expiration du délai décennal était donc bien opposable à la demanderesse, ainsi que jugé par la cour.

(27 mai 2021, Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 433822)

 

156 - Dommage corporel – Nécessité de l’assistance d’une tierce personne – Détermination du taux horaire – Indifférence de la circonstance d’une aide apportée par un membre de la famille – Annulation.

Le juge rappelle à nouveau que, pour fixer le taux horaire du coût de l’assistance d’une tierce personne pour pourvoir aux besoins d’un enfant accidentellement handicapé par la faute d’un établissement hospitalier il convient de se fonder soit sur le montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit sur les tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier.

En revanche, la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime ne saurait être retenue pour effectuer cette détermination à la baisse.

(27 mai 2021, Mme F. et autres, n° 433863)

 

157 - Immatriculation d’un véhicule – Demande électronique effectuée sur le site de l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) – Action en responsabilité du fait du préjudice causé par le dysfonctionnement du site – Action rejetée comme mal dirigée – Annulation du jugement et renvoi.

Une banale affaire de dysfonctionnement d’une plate-forme internet conduit le Conseil d’État à adopter une solution très innovante, particulièrement intelligente et bienvenue, susceptible de connaître bien d’autres applications que celle du cas de l’espèce.

Le requérant, désireux – et obligé - de faire immatriculer un véhicule qu’il venait d’acquérir, a choisi de le faire sur le site internet du ministère de l’intérieur ; il lui a alors été demandé de se connecter sur la plate-forme de l’ANTS où sa demande a été dument enregistrée avant l’expiration du délai légal, le 15 janvier. Alors que cette immatriculation doit intervenir au plus tard dans le mois de l’achat du véhicule, l’intéressé a constaté que le 19 avril, le site de l’ANTS indiquait qu’aucune demande à son nom n’était en cours. Las d’attendre, il s’est adressé à un intermédiaire et a obtenu son certificat d’immatriculation le 7 mai. Il a entendu être réparé du préjudice ainsi causé, soit près de cinq mille euros. Le tribunal administratif a rejeté son recours comme étant mal dirigé : alors qu’il avait été porté contre l’ANTS, établissement public distinct de l’État, il aurait dû l’être contre l’État pris en la personne du ministre de l’intérieur. Devant un imbroglio d’autant plus injuste que les procédures sur internet, avec renvoi de l’État à un établissement public, sont opaques, le Conseil d’État adopte une solution radicale d’ailleurs généreusement extrapolée des textes. Celui-ci énonce : « 5. (…) lorsqu'un usager demande à l'Etat la délivrance d'un titre sécurisé pour lequel l'Agence nationale des titres sécurisés exerce ses missions et qu'il doit, en conséquence, s'enregistrer sur la plate-forme de cet établissement public, les dysfonctionnements ou retards qui peuvent survenir à l'occasion des différentes étapes au cours desquelles, successivement, les données sont transmises par l'agence aux services de l'Etat, ceux-ci instruisent la demande et, si le titre est octroyé, l'agence assure son édition et son acheminement, tout en ayant en charge, tout au long du processus, un soutien à l'usager, peuvent avoir différentes causes, qui sont susceptibles d'engager, selon le cas, la responsabilité de l'agence ou celle de l'Etat mais dont l'usager n'est pas en mesure d'identifier l'auteur. 

6. Par suite, lorsqu'un usager adresse une réclamation préalable à l'Agence nationale des titres sécurisés afin d'obtenir la réparation de préjudices qu'il estime avoir subis en raison de dysfonctionnements ou de retards lors de la délivrance, par cette agence, d'un titre sécurisé, cette réclamation doit être regardée comme adressée à la fois à l'agence et à l'Etat. Conformément aux dispositions de l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration, cette réclamation doit être transmise par l'agence à l'autorité compétente de l'Etat, laquelle, en l'absence de réponse expresse de sa part, est réputée, en vertu de l'article L. 231-4 du même code, l'avoir implicitement rejetée à l'expiration du délai de deux mois suivant sa réception par l'agence. »

Cette solution est d’autant plus bienvenue qu’elle rappelle que toutes les procédures électroniques n’ont un caractère démocratique que si elles présentent non seulement des avantages pour les administrations publiques mais encore, et surtout, pour les administrés alors que l’on a parfois le sentiment que n’est recherché que le seul confort des administrations.

(27 mai 2021, M. A., n° 439199)

 

158 - Tempête Xynthia (27-28 février 2010) – Action subrogatoire d’un assureur – Action dirigée contre la commune, l’État et une association syndicale autorisée – Partage des responsabilités – Exception de force majeure – Rejets et annulation pour l’essentiel.

La société Assurances du Crédit Mutuel IARD a demandé la condamnation solidaire ou subsidiaire l'un à défaut de l'autre, de la commune de la Faute-sur-Mer, de l'Etat et de l'association syndicale autorisée de la Vallée du Lay (ASVL) à lui payer diverses sommes (indemnités compensant les dommages matériels directs, indemnisations de biens en valeur à neuf et valeur d'usage et honoraires d’expertise) qu’elle a versées à ses assurés victimes de l'inondation consécutive à la tempête Xynthia. Le tribunal administratif, puis la cour administrative d’appel, ont accordé ce qui leur était demandé.

Le Conseil d’État est saisi de trois pourvois principaux émanant chacun de l’une des trois personnes publiques condamnées en 1ère instance puis en appel ainsi que d’un pourvoi incident de la société d’assurances ACM IARD.

Sauf ce dernier, les autres pourvois sont rejetés au terme d’une analyse portant sur de nombreuses questions juridiques.

En premier lieu, il est jugé, en réponse à un argument de la commune, que l’assureur subrogé dans les droits de l’assuré est fondé à se prévaloir de la subrogation légale instituée par le code des assurances (art. L. 121-12) même lorsque l'état de catastrophe naturelle a été déclaré et alors même qu'il se serait réassuré contre ce risque. C’est l’un des apports principaux de la décision.

En deuxième lieu, répondant à la ministre de l’écologie représentant l’État, le juge de cassation apporte quatre précisions importantes. 1°/ La cour n’a pas inexactement qualifié les faits en jugeant fautive la sous-estimation par les services de l’État, dans le cadre du plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) pour la commune de la Faute-sur-Mer, de l’aléa de référence par rapport au reste du littoral vendéen. 2°/ Elle n’a pas commis d’erreur de droit en estimant cette faute en lien causal direct avec les préjudices invoqués, d’autant qu’étaient insuffisantes pour les prévenir tant la délimitation des zones inconstructibles que la définition des prescriptions particulières à appliquer dans certaines autres zones. 3°/ La cour n’a pas, non plus, inexactement qualifié les faits en jugeant qu’en sa qualité d’autorité de tutelle de l’association syndicale l’État avait commis une faute lourde en n’exerçant pas sur ses ouvrages, notamment la digue Est, ses pouvoirs de tutelle dans un délai raisonnable, en ne lui adressant pas une mise en demeure ou en ne prenant pas une mesure d’exécution d’office des travaux qui s’imposaient. 4°/ Malgré la gravité des agissements et négligences du maire qui ont conduit à sa condamnation pénale, la cour n’a pas inexactement qualifié les faits en jugeant que ces faits ne constituaient point une faute personnelle détachable du service dans la mesure où ils ne manifestaient pas une intention de nuire et ne visaient point à satisfaire des intérêts personnels.

En troisième lieu, sur le pourvoi de l’ASVL, le Conseil d’État donne acte d’une contradiction entre les motifs de l’arrêt et son dispositif concernant les pourcentages de parts respectives de responsabilité puis rejette les quatre autres moyens qu’elle invoquait : 1°/ la tempête Xynthia, ainsi que l’a jugé la cour, ne constituait pas un cas de force majeure n’étant ni imprévisible ni irrésistible. 2°/ en dépit de la circonstance que l’ASVL n’était pas propriétaire de la digue Est, ses statuts, d’une part, disposaient que « L'association a pour but l'entretien des ouvrages et l'exécution des travaux en cours ou à entreprendre pour prévenir des graves dangers qu'une rupture du littoral (...) et l'invasion de la mer qui en serait la conséquence feraient courir aux terrains (...) situés (...) sur la rive gauche du Lay entre la côté et le canal du Luçon inclusion faite de la digue Est de la Faute-sur-Mer. (...) En outre, l'association pourra exécuter à l'intérieur de son périmètre tous travaux d'intérêt général de défense contre les inondations » et, d’autre part, lui en confiaient « l'entretien, le terrassement, le renforcement et l'exhaussement des digues de la rive droite du Lay Maritime situées sur le territoire de la commune de la Faute-sur-Mer assimilées à des ouvrages de défense contre la mer ». 3°/ Malgré un arrêté préfectoral de 2005 qui avait classé la digue Est comme ouvrage intéressant la défense contre la mer et enjoint son propriétaire de réaliser, dans un délai d'un an, une étude de risque et de diagnostic des ouvrages, il est constant que l’ASVL, comme l’a jugé la cour, n'ayant initié aucune démarche pour suggérer aux acteurs locaux la réalisation des travaux nécessaires, ni suffisamment attiré leur attention sur son incapacité à les réaliser, cette abstention constitue un  comportement fautif et en lien direct et certain avec les préjudices invoqués par la société ACM IARD. 4°/ La cour n’a ni dénaturé les faits ni commis d’erreur de droit en relevant, pour rejeter l’action en garantie de l’association contre son assureur, que l'ASVL ne pouvait ignorer, à la date de souscription de la garantie, la possibilité de voir sa responsabilité engagée au titre des conséquences humaines et matérielles provoquées par la tempête Xynthia, nonobstant le fait qu'elle n'avait pas été mise en cause dans les procédures pénales diligentées à la suite de la tempête.

En dernier lieu, sur pourvoi incident de l’assureur, le Conseil d’État sanctionne trois erreurs de droit de la cour : d’abord pour avoir appliqué une décote globale sur la valeur des biens sans prendre en considération l'état particulier des biens de chaque assuré, ensuite pour avoir refusé d’indemniser les honoraires d’expertise sans indiquer si cette dernière avait été utile au juge pour déterminer le préjudice indemnisable, enfin pour avoir refusé d’indemniser les frais supportés par l’assureur ne découlant pas de la stricte application des contrats qu'elle avait souscrits avec ses assurés, alors qu'elle se prévalait, en sus du préjudice des assurés dans les droits desquels elle était subrogée, de préjudices propres relatifs notamment aux indemnisations de biens engagées au-delà de ses obligations contractuelles, sans rechercher si ces préjudices propres avaient avec les fautes commises un lien direct et certain. 

(31 mai 2021, Association syndicale autorisée de la Vallée du Lay (ASVL), n° 434733 ; Commune de la Faute-sur-Mer, n° 434739 ; Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 434751, jonction)

 

Santé 

 

159 - Professions de santé – Diplômes obtenus hors de l’Union européenne et de l’Espace économique européen – Décret du 7 août 2020 portant application de dispositions de la loi du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007 – Fixation des conditions d’exercice en France de certaines professions de santé – Disposition législative déclarée inconstitutionnelle sur QPC – Annulation du décret litigieux.

Les requérants poursuivaient l’annulation du décret du 7 août 2020 portant application du IV et du V de l'article 83 de la loi du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007 et relatif à l'exercice des professions de médecin, chirurgien-dentiste, sage-femme et pharmacien par les titulaires de diplômes obtenus hors de l'Union européenne et de l'Espace économique européen en tant qu'il réserve l'accès aux professions médicales et pharmaceutiques aux seuls praticiens à diplôme étranger ayant exercé des fonctions de professionnel de santé au sein d'établissements de santé, c'est-à-dire celles qui, au cinquième alinéa de son article 1er, prévoient que le dossier de demande d'autorisation d'exercice ne peut être déposé que par des personnes ayant exercé des fonctions de professionnel de santé dans un établissement de santé public, privé d'intérêt collectif ou privé.

Le Conseil d’État relève :

- d’une part, que ces dispositions, qui figurent à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique, ont été prises sur le fondement de la loi du 21 décembre 2006, dont le B du IV de l’art. 83 prévoit un dispositif spécifique d'accès à la profession de médecin fondé notamment sur l’exigence que le pétitionnaire ait exercé des fonctions rémunérées, en tant que professionnel de santé, dans un établissement de santé – et seulement dans un tel établissement - mentionné à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique, pendant au moins deux ans en équivalent temps plein depuis le 1er janvier 2015 ;

- d’autre part, que le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnels les mots « de santé » employés par l’art. L. 6111-1 précité (cf. 19 mars 2021, Association SOS praticiens à diplôme hors Union européenne de France et autres, n° 2020-890 QPC) car il a considéré que portait atteinte au principe d'égalité devant la loi, la distinction entre établissement de santé et établissement social ou médico-social entre lesquels il n’existe pas une différence de situation pertinente au regard de l'objet de la loi, compte-tenu de la diversité des professions de santé dont l'exercice est requis pour bénéficier du dispositif légal.

(12 mai 2021, Association SOS Praticiens à diplôme hors Union européenne de France et autres, n° 445041)

 

160 - Autorisation d’installation d’un scanographe dans un hôpital – Autorisation donnée par l’agence régionale de santé (ARS) - Besoins identifiés par le schéma régional d'organisation des soins non couverts par les autorisations existantes - Schéma régional de l'offre de soins – Possibilité de contestation de sa légalité par voie d’exception – Erreur de droit du rejet des moyens pour inopérance – Annulation et renvoi.

Une société d’imagerie médicale conteste la décision par laquelle une ARS a autorisé l’installation d’un scanographe sur le site d’un hôpital alors qu’un refus lui a été opposé pour l’installation d’un tel dispositif sur son propre site.

Au soutien de sa requête, la société demanderesse invoquait par voie d’exception l’illégalité de la partie du schéma d’offre de soins comportant les objectifs de cette offre, spécialement les objectifs quantifiés. En particulier la requérante soutenait par voie d’exception l'illégalité du schéma régional d'organisation des soins pour les années 2012 à 2016 au motif que les décisions relatives à l'autorisation d'installation des équipements matériels lourds n'étaient pas prises pour l'application de ce schéma. La cour avait écarté les moyens tirés de cette illégalité au motif de leur inopérance.

Le juge de cassation annule cet arrêt car le législateur a entendu que les autorisations d'activités de soins et d'équipements matériels lourds soient, à la fois, compatibles avec les objectifs fixés par le schéma régional d'organisation des soins et prises pour l'application des objectifs de l'offre de soins arrêtés par le schéma régional de l'offre de soins, notamment de ses objectifs quantifiés, d’où la possibilité de contester ce dernier par voie d'exception (cf. art. L. 1434-3-1 du code de la santé publique, repris à l'article L. 1434-5 dudit code). 

(19 mai 2021, SAS Imagerie de Clairval, n° 433523)

 

161 - Médicaments traitant une maladie orpheline en milieu hospitalier – Application d’un régime exceptionnel et urgent d’autorisation de mise sur le marché – Conditions de prise en charge par l’assurance maladie – Spécialité agréée à l’usage des collectivités publiques – Prix de référence – Remboursement de « remises » consenties par la requérante - Rejet.

La société requérante exploite la spécialité Qarziba, utilisée en milieu hospitalier dans le traitement du cancer des cellules nerveuses, chez des enfants âgés de douze mois et plus. Celui-ci étant une maladie grave et rare, Qarziba a obtenu la désignation de médicament orphelin en application d’un règlement européen du 16 décembre 1999 concernant les médicaments orphelins, puis une autorisation de mise sur le marché centralisée délivrée sous circonstances exceptionnelles le 8 mai 2017 par la Commission européenne. A partir de février 2017, la spécialité Qarziba a bénéficié, au titre d'autorisations temporaires d'utilisation nominatives, de la prise en charge par l'assurance maladie, puis, du 1er septembre 2018 au 31 décembre 2019, faute de remplir les conditions pour pouvoir être inscrite sur la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge en sus des prestations d'hospitalisation (cf. art. L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale), d'un financement dérogatoire par délégation de crédits aux établissements de santé, elle a été inscrite sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités publiques (cf. art. L. 5123-2 du code de la santé publique). A la suite de cette inscription, le Comité économique des produits de santé a, le 23 mai 2019, en application du IV de l'article L. 162-16-5-1 du code de la sécurité sociale, d'une part, fixé le « prix de référence » de la spécialité Qarziba à 3461,902 euros par unité commune de dispensation et, d'autre part, mis à la charge d'Eusa Pharma des « remises » de 1 346 305 euros et 1 594 854 euros sur les ventes des années 2017 et 2018 prises en charge par l'assurance maladie au titre de l'autorisation temporaire d'utilisation de la spécialité. La société Eusa Pharma demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 23 mai 2019 et invoque trois moyens à l’appui de son recours, tous rejetés par le juge : l’inapplicabilité à l'espèce du IV de l'article L. 162-16-5-1 du code de la sécurité sociale, la méconnaissance de la directive du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance-maladie et le prix de référence fixé.

Sur le premier point, il est jugé que le IV de l'article L.162-16-5-1 du code de la sécurité sociale était applicable à la requérante dès lors qu’elle remplissait ainsi l'ensemble de ses conditions d’application et cela sans que la circonstance qu'elle ait bénéficié d'un financement dérogatoire ait une incidence à cet égard. Par ailleurs, l’application de ce texte ne saurait être entachée d’atteinte au principe de sécurité juridique et au principe de confiance légitime du droit de l'Union et au droit des laboratoires à la protection de leurs biens, protégé par la convention EDH du fait qu’il permet au Comité économique des produits de santé d'imposer des reversements, sous forme de « remises », à un laboratoire dont la spécialité a bénéficié avant son inscription sur la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques de sa prise en charge par l'assurance maladie en vertu d'une autorisation temporaire d'utilisation. En effet, il est loisible au laboratoire d'obtenir l'autorisation de mise sur le marché d'un médicament sans s'être préalablement engagé dans la procédure d'autorisation temporaire d'utilisation, laquelle est uniquement prévue à titre exceptionnel : de la sorte, les laboratoires qui s'engagent ainsi dans la procédure exceptionnelle en connaissent, dès cet instant, les contraintes.

Sur le deuxième point, le grief consiste à soutenir qu’il aurait été porté atteinte en l’espèce à l’exigence posée par la directive du 21 décembre 1988 que la « décision comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables ». Le Conseil d’État répond que «  la seule circonstance que le critère du « coût net » du traitement regardé comme comparable implique de prendre en considération les « remises » reversées à l'assurance maladie par un laboratoire tiers, sur lesquelles le I de l'article L. 162-18 du code de la sécurité sociale impose au Comité économique des produits de santé de respecter le secret des affaires, n'est pas, à elle seule, et en tout état de cause, de nature à le priver de son caractère « objectif et vérifiable » au sens de cette directive. La décision attaquée ne méconnaît donc pas les articles 1er et 2 de cette directive faute de comporter un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables.

Sur le troisième point, qui contestait la fixation du prix de référence de la spécialité Qarziba, le Conseil d’État rejette le moyen en relevant que le Comité économique des produits de santé a, pour fixer ce prix, notamment, d'une part, pris en considération le coût net d'un comparateur économique, la spécialité Bavencio et, d'autre part, opéré une décote de 10 % pour la fraction de population concernée par la seconde indication thérapeutique du médicament ; ce faisant, il n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.

(19 mai 2021, Société Eusa Pharma (France), n° 436534)

 

162 - Instruction technique du ministre de l’agriculture – Préconisations concernant la dangerosité de la consommation de certains produits crus ou insuffisamment cuits pour les jeunes enfants – Compétence du ministre – Irrecevabilité de conclusions tirées d’orientations pour l’organisation du travail gouvernemental – Risques graves encourus – Absence d’erreur manifeste d’appréciation – Rejet.

Dans une instruction technique du 22 août 2019, le ministre de l’agriculture a informé les exploitants de restaurants collectifs sur les risques sanitaires associés à la consommation de lait cru, de fromages à base de lait et de steaks hachés insuffisamment cuits par les enfants de moins de cinq ans, et de préconiser un traitement thermique préalable du lait cru, une cuisson à coeur des steaks hachés et une interdiction de servir des fromages au lait cru à ce public, le non-respect de ces prescriptions constituant une non-conformité majeure.

Le syndicat requérant demande l’annulation du refus du premier ministre de faire droit à sa demande d’abrogation de cette instruction. Son recours est rejeté.

Au plan formel, le ministre avait compétence pour prendre l’instruction litigieuse et cela quelle que fût la dénomination ou la forme retenue pour ce texte.

Par ailleurs, le requérant ne saurait se prévaloir à l’encontre de cette instruction d’une circulaire primo-ministérielle qui, parce qu’elle se borne à fixer des orientations pour l'organisation du travail gouvernemental, n’est pas invocable.

Sur le fond, il est constant que les produits visés par l’instruction ministérielle sont de nature à avoir des conséquences graves sur la santé, voire sur la vie, des jeunes enfants. De plus, les avantages d’une consommation directe de ces aliments ne compensent pas les risques qu’ils peuvent produire.

Le ministre n’a donc pas, en prenant l’instruction technique contestée, commis une erreur manifeste d’appréciation.

(27 mai 2021, Confédération paysanne, n° 435507)

 

163 - Médicament – Recommandation temporaire d’utilisation – Conditions de cessation de la recommandation – Obligation d’information préalable – Étendue d’application – Rejet.

La société requérante avait obtenu du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), le 17 mars 2014, pour une durée de trois ans, une autorisation temporaire d’utilisation du baclofène, produit qu’elle commercialise. Cette autorisation a d’abord été renouvelée chaque fois pour un an, du 17 mars 2017 au 17 mars 2018, puis du 17 mars 2018 au 17 mars 2019, ensuite pour six mois jusqu’au 17 septembre 2019 et, enfin, pour un an, jusqu’au 17 septembre 2020. Par, un communiqué de presse du 25 mai 2020, le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a annoncé qu'il serait mis fin à la recommandation temporaire d'utilisation des spécialités à base de baclofène en raison de la commercialisation des spécialités Baclocur, à compter du 15 juin 2020.

La requérante demandait l’annulation d’une décision qu'elle estimait révélée par ce communiqué de presse ainsi que du rejet de son recours gracieux contre cette communication.

Le Conseil d’État juge que cette communication contient bien une décision : celle de mettre un terme anticipé à l’autorisation temporaire d’utilisation du baclofène en faisant cesser ses effets au 15 juin 2020 au lieu du 17 septembre 2020.

Lorsque, parmi les spécialités ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) il n’en existe pas permettant de satisfaire à telle indication thérapeutique, il est possible à l’ANSM, de délivrer à une autre spécialité pouvant remplir cet office, une recommandation temporaire d’utilisation en dehors des spécifications pour lesquelles elle a obtenu une AMM. Cette solution temporaire cesse au moment où est délivrée une AMM à une autre spécialité correspondant à ces spécifications. En ce cas, il est mis fin à la recommandation temporaire selon une procédure prévoyant notamment une information préalable.

Toutefois, cette dernière exigence ne joue pas lorsque la spécialité temporairement recommandée est elle-même autorisée sur le marché pour la(les) même(s) indication(s) thérapeutique(s).

(28 mai 2021, Société Zentiva France, n° 441145)        

 

Service public

 

164 - Distribution de l’eau et assainissement – Service public à caractère industriel et commercial (SPIC) – Litige entre un tel service et des usagers – Litige relevant de la compétence exclusive du juge judiciaire – Annulation sans renvoi.

Rappel d’un grand classique, illustratif de la méthode des « blocs de compétence » : les litiges entre un SPIC (ici le service de distribution de l’eau potable) et ses usagers relèvent de la compétence du juge judiciaire. Partant, c’est au prix d’une erreur de droit que le juge du référé de l’art. L. 521-3 CJA a décliné sa compétence motif pris de ce que les canalisations à l'origine des dommages en litige n'étaient pas la propriété d'Eau de Paris et qu'elles n'étaient pas affectées à l'utilité publique.

(ord. réf. 14 mai 2021, M. U. et autres, n° 446675)

 

165 - Choix du lieu d’implantation d’une nouvelle cour administrative d’appel – Création de la CAA de Toulouse – Annonce faite sur un site internet – Absence de liens douteux entre l’organisme d’étude d’implantation et la ville de Toulouse – Absence d’erreur manifeste d’appréciation – Rejet.

Aucun des griefs développés par les requérants à l’encontre de la décision, annoncée sur le site internet du Conseil d’État, d’implanter une cour administrative d’appel à Toulouse plutôt qu’à Montpellier n’est retenu : la mise en cause de la compétence du garde des sceaux ne peut être utilement développée dans l’attente de la prise du décret nécessaire à la finalisation du processus de décision, cette dernière ne peut être considérée comme ayant été prise en raison des intérêts liant la gardienne des sceaux à la ville de Toulouse ni des liens du bureau d’études missionné pour préconiser une ville d’implantation, enfin, ce choix ne révèle pas une erreur manifeste d’appréciation.

(19 mai 2021, Commune de Montpellier et Ordre des avocats au barreau de Montpellier, n° 439677)

 

166 - Organisation du baccalauréat, session 2021 – Cas des élèves inscrits librement au Centre national d’enseignement à distance (CNED) - Principes d’égalité et de sécurité juridique – Respect de l’anonymat des copies – Accès à l’enseignement supérieur – Dates du baccalauréat dans les centres situés dans l’hémisphère sud – Rejet.

Le contentieux né des modifications apportées au régime du baccalauréat pour la session 2021 ne cesse de voir croître son volume. Un exemple est fourni par la présente ordonnance de référé.

Plusieurs dizaines de requérants demandaient, d’une part, la suspension, en référé, de l'exécution du décret n° 2021-209 du 25 février 2021 relatif à l'organisation de l'examen du baccalauréat général et technologique de la session 2021 pour l'année scolaire 2020-2021 et du décret n° 2021-210 du 25 février 2021 relatif à l'organisation de l'examen du baccalauréat général et technologique de la session 2022 pour l'année scolaire 2020-2021, en tant qu'ils excluent de leur champ d'application les candidats au baccalauréat inscrits librement au Centre national d'enseignement à distance (CNED) et, d’autre part, la prise d’un décret rétablissant l'égalité de traitement, au regard des modalités d'organisation des épreuves du baccalauréat, entre les élèves inscrits librement au CNED et ceux qui y sont inscrits sur le fondement du dernier alinéa de l'article R. 426-2 du code de l'éducation ou sont scolarisés dans les établissements publics et privés sous contrat, par la prise en compte de leurs notes annuelles, 1° au titre de l'évaluation des matières faisant l'objet des épreuves communes et 2° pour les épreuves de spécialité à la fin des années de première et de terminale.

Le recours est, sans grande surprise, rejeté, aucun doute sérieux n’effleurant l’esprit du juge quant à une possible illégalité des décisions contestées, d’où l’absence d’examen de la condition d’urgence.

Il n’y a pas eu, en l’espèce, violation du principe d’égalité car en vertu d’un principe constant l'autorité investie du pouvoir réglementaire peut régler de façon différente des situations différentes ou  déroger à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

En l’espèce tel est bien le cas puisque, à la différence des autres catégories d’élèves inscrits au CNED, les candidats au baccalauréat qui y sont inscrits en scolarité libre ne sont ni tenus de suivre l'ensemble des enseignements prescrits par les programmes pédagogiques définis par le ministère de l'éducation nationale, ni soumis à une quelconque obligation d'assiduité, tandis que la scolarité qu'ils choisissent de suivre ne donne pas lieu au calcul de moyennes trimestrielles ni à la délivrance d'un livret scolaire en vue du baccalauréat. Enfin, ces élèves ne font pas l'objet d'une décision d'orientation à l'issue de chaque année scolaire. 

Par ailleurs, le maintien des évaluations ponctuelles n’est pas susceptible, contrairement à ce qui est soutenu, de mettre en danger la santé des élèves inscrits librement au CNED : les aménagements dans les modalités d'organisation des épreuves du baccalauréat annoncées le 5 mai 2021 pour les élèves des établissements d'enseignement privés hors contrat s'appliqueront également aux élèves inscrits au CNED en scolarité complète libre, les notes éventuellement obtenues au titre des évaluations ponctuelles sanctionnant chacun des enseignements faisant l'objet d'évaluations communes écrites seront prises en compte, ils ne devront donc subir que les seules épreuves ponctuelles au titre des enseignements de spécialités en classe de première et de terminale. Enfin, le ministère, compte tenu notamment du nombre limité d'élèves concernés, évalué à moins de 2 000 en classe de terminale, a fait le choix d’organiser les épreuves en présentiel dans des conditions offrant les garanties de sécurité sanitaire requises, y compris dans les centres d'examen situés à l'étranger.

Les dates des épreuves du baccalauréat pour ces candidats ne pourront pas interférer négativement avec celles des concours d’accès à certains établissements d’enseignement supérieur, dont les IEP, ces dernières se seront déjà déroulées à la date des épreuves du baccalauréat.

Pour les candidats devant se rendre dans un centre d’examen situé dans l’hémisphère sud (fixées en novembre 2021) ou en Turquie, des dispositions particulières ont été prises, notamment en matière sanitaire.

Enfin, ne sont pas retenus le grief tiré d’une possible atteinte à l’anonymat des copies et celui de l’atteinte au principe de sécurité juridique, aucun engagement n’ayant été pris par le ministre selon lequel les élèves inscrits au CNED en scolarité libre bénéficieraient des mêmes modalités d’organisation du baccalauréat que les autres candidats inscrits auprès du CNED.

(ord. réf. 26 mai 2021, Mme Bourquin et autres, n° 451867)

(167) V. aussi la décision de non-lieu rendue sur une demande tendant à la suspension de l'exécution du décret n° 2021-209 du 25 février 2021, de l'arrêté du 25 février 2021 relatif aux modalités d'organisation de l'examen du baccalauréat général et technologique pour la session 2021 pour l'année scolaire 2020-2021 et de la note de service du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports du 23 février 2021 relative au « Calendrier 2021 des baccalauréats dans le contexte de l'épidémie de la Covid-19 » : ord. réf. 19 mai 2021, M. et Mme B., n° 450499.

 

Sport

 

168 - Ligue régionale de taekwondo – Retrait d’agrément par la fédération nationale de cette discipline – Mise en œuvre d’une prérogative de puissance publique – Absence de caractère réglementaire de la mesure – Incompétence du Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort – Renvoi de l’affaire au tribunal administratif dans le ressort duquel à son siège la ligue requérante.

L'acte par lequel la Fédération française de taekwondo et disciplines associées a retiré à la Ligue Centre Val de Loire de taekwondo l’agrément lui permettant d’exercer une partie de ses missions et de la délégation de service public dont est investie la Fédération, s'il met en oeuvre une prérogative de puissance publique dans la mesure où il a pour effet de la priver du bénéfice de la délégation accordée à cette fédération, et relève par suite de la compétence de la juridiction administrative, ne revêt pas de caractère règlementaire, dès lors que l'agrément retiré n'avait pas par lui-même pour objet la délégation du pouvoir d'édicter les règles techniques, disciplinaires, d'organisation et d'administration qui s'imposent aux licenciés et aux associations et sociétés sportives dans la discipline en cause. Par suite, le contentieux soulevé par ce retrait d’agrément ne relève pas de la compétence du Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort mais de celle du tribunal administratif d’Orléans dans le ressort duquel la requérante a son siège.

(28 mai 2021, Ligue Centre Val de Loire de taekwondo, n° 437870)

 

Travaux publics - Expropriation

 

169 - Réalisation d'une ZAC à vocation de logements - Expropriation - Contrôle de l'utilité publique de l'expropriation - Existence en l'espèce - Confirmation du rejet prononcé en première instance et confirmé en appel.

Rappel tout d'abord d'une ligne jurisprudentielle constante depuis 1971 en matière d'appréciation par le juge saisi de la juridicité d'une déclaration d'utilité publique en vue d'une expropriation.

Le juge doit 1°/ contrôler successivement que l'expropriation répond à une finalité d'intérêt général et que l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation, notamment en utilisant des biens se trouvant dans son patrimoine ; 2°/  vérifier que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente.

L'application au cas de l'espèce de ces règles d'appréciation conduit à constater que les atteintes portées notamment au droit de propriété ne sont pas excessives au regard de l'intérêt qui s'attache à la réalisation du projet.

En effet, la ZAC litigieuse doit, par la construction de soixante-dix-huit logements individuels et collectifs, permettre de maîtriser l'urbanisation de cette zone en évitant l'étalement urbain, en assurant la transition entre l'urbanisation dense du centre-bourg et celle, plus diffuse, de la périphérie caractérisée par un habitat individuel, elle diversifie l'offre de logements de la commune de Villefranche-sur-Saône, en particulier celle de logements intermédiaires, à destination notamment des familles, elle améliore la fréquentation des équipements publics de la commune, spécialement celle des écoles.

En regard de ces aspects positifs, l'opération projetée emporte, outre l'acquisition de quelques terrains agricoles, l'expropriation de parcelles non bâties ainsi que, pour permettre la création d'une voie verte assurant l'accès aux nouveaux logements, d'une partie du jardin d'agrément attenant à la maison d'habitation de la requérante première dénommée. Le bilan coûts-avantages est positif.

(5 mai 2021, Mme O. et autres, n° 429243)

 

Urbanisme - Aménagement du territoire

 

170 - Permis de construire – Appel d’un jugement rendu par le tribunal administratif – Permis délivré dans une commune relevant du régime de la taxe annuelle sur les logements vacants - Appel ne pouvant pas être porté devant le Conseil d’État mais devant l’être devant la cour administrative d’appel à laquelle est renvoyée l’examen du litige.

L’appel dirigé contre le jugement d’un tribunal administratif relatif à la contestation d’un permis de construire délivré dans une commune soumise au régime institué par l’art. 232 du CGI dans certaines communes en matière de taxe annuelle sur les logements vacants, ne relève pas de la compétence directe du Conseil d’État mais de la cour administrative d’appel à laquelle le présent litige est renvoyé.

(20 mai 2021, M. et Mme B., n° 447150)

 

171 - Permis de construire – Permis illégal – Régularisation – Attribution des dépens – Art. L. 761-1 CJA – Régime.

Il est ici jugé, non sans originalité, « que le paiement des sommes exposées et non comprises dans les dépens ne peut être mis à la charge que de la partie qui perd pour l'essentiel. La circonstance qu'au vu de la régularisation intervenue en cours d'instance, le juge rejette finalement les conclusions dirigées contre la décision initiale, dont le requérant était fondé à soutenir qu'elle était illégale et dont il est, par son recours, à l'origine de la régularisation, ne doit pas à elle seule, pour l'application de ces dispositions, conduire le juge à mettre les frais à sa charge ou à rejeter les conclusions qu'il présente à ce titre. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter l'ensemble des conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ».

(28 mai 2021, M. et Mme I. et autres, n° 437429)

 

172 - Permis de construire – Projet portant atteinte à la sécurité publique – Proximité avec une canalisation de transport de propylène enfouie – Zone de sismicité modérée et de ruissellements modérés – Incohérences prétendues dans le plan de masse quant aux zones de danger – Accessibilité aux engins de lutte contre l’incendie – Pouvoir souverain des juges du fond – Rejet.

Cette décision vaut surtout par l’affirmation nette du juge de cassation du pouvoir souverain des juges du fond, sous réserve de dénaturation, laquelle ne semble pas avoir été invoquée en l’espèce, relativement aux différents moyens rejetés par ces derniers.

En effet, sont abandonnés à ce pouvoir souverain aussi bien l’appréciation de l’atteinte à la sécurité publique résultant de la construction de vingt logements à proximité d’une canalisation de transport de propylène enfouie, que celle de la sismicité moyenne du site ainsi que du risque présenté par des ruissellements modérés possibles comme, encore, celle des incohérences prétendues du plan de masse en termes de zones de dangers ou, enfin, celle de la largeur suffisante de la voie d’accès pour permettre l‘intervention des véhicules de lutte contre l’incendie.

(27 mai 2021, M. et Mme H. et autres, n° 436391)

 

173 - Permis de construire – Détermination de la hauteur maximale de chaque façade d’un immeuble – Règlement du plan local d’urbanisme (PLU) fixant cette hauteur à neuf mètres – Jugement ayant retenu une hauteur moyenne – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit le tribunal administratif qui, pour apprécier la hauteur maximale pouvant être édifiée, et alors que le règlement du PLU dispose que cette hauteur ne peut excéder 9 mètres, - cette dernière étant ainsi calculée « Le niveau de référence définit le point bas pour le calcul de la hauteur. Il correspond au sol existant avant tous travaux d'exhaussement ou d'affouillement nécessaires à la réalisation du projet, pris au point médian de la façade. (...) La hauteur plafond est la différence d'altimétrie entre le niveau de référence, défini précédemment, et le point le plus élevé de la construction (...). » -, prend en compte, pour déterminer si la règle de hauteur des constructions fixée par le règlement du PLU avait été respectée, non la hauteur de chaque façade calculée conformément à la règle énoncée au point précédent, mais la différence entre le point médian de l'ensemble des façades de la construction et son point le plus élevé.

(28 mai 2021, M. et Mme E., n° 443721)

Précédent
Précédent

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Suivant
Suivant

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État