Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Avril 2019

 

Actes et décisions

 

1 - Carrières – Circulaire rappelant l'état de la réglementation applicable pour les différentes composantes de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) – Incompétence de son auteur (non) – Inconstitutionnalités irrecevables faute d’user de la voie de la QPC.

Le syndicat requérant attaque pour excès de pouvoir la décision par laquelle le ministre de l'action et des comptes publics a implicitement rejeté sa demande tendant à l'abrogation des dispositions des paragraphes 105 et 106 de la circulaire du 3 juillet 2018 relative à la TGAP motifs pris, d’une part, de ce qu’elle serait entachée d’incompétence du fait de son auteur, d’autre part, de certaines inconstitutionnalités qu’elle comporterait. Le juge rejette le recours.

En premier lieu, le ministre se bornant, par le paragraphe 105 de cette circulaire, à préciser la définition des poussières totales en suspension, en rappelant leur subdivision en plusieurs catégories en fonction de leur taille, sans procéder à aucune assimilation à de telles poussières de particules qui n'en ont pas la nature, n’a ni ajouté ni retranché à la loi. En effet, il résulte des dispositions des art. 266 sexies, septies et nonies du code des douanes que le législateur a retenu, pour fixer cette taxe, « les poussières totales en suspension » du fait de l’activité taxable. De ce fait, le paragraphe litigieux de la circulaire n’étend pas le champ d’application de la loi et le ministre était donc compétent pour l’édicter.

En deuxième lieu, ne peuvent être invoqués à l’encontre de cette circulaire ni le fait qu’elle méconnaîtrait l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la loi du fait de sa définition des poussières en suspension ni la circonstance qu’elle fixerait un seuil de cinq tonnes portant ainsi atteinte au principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt car cette définition et ce seuil figurant dans la loi, c’est en réalité une QPC qu’il eût fallu invoquer contre la loi elle-même.

La requête est, sans surprise, rejetée.

(1er avril 2019, Syndicat professionnel des carrières indépendantes du grand ouest (CIGO), n° 426413)

 

2 - Réponse ministérielle à la question d’un parlementaire – Recours pour excès de pouvoir – Acte non susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux – Exception pour les réponses comportant interprétation par l’administration de la loi fiscale – Absence – Rejet.

Est irrecevable le recours en annulation dirigé contre une réponse ministérielle faite à une question parlementaire lorsque celle-ci ne comporte aucune interprétation de la loi fiscale au sens et pour l’application des dispositions de l’art. L. 80 A du livre des procédures fiscales.

(16 avril 2019, M. X., n° 423584)

 

3 - Baccalauréat – Annulation de résultats individuels – Fraude – Annulation des notes de contrôle continu – Légalité – Rejet du recours.

Une candidate au baccalauréat professionnel spécialité " conduite et gestion d'un élevage canin et félin ", est exclue de la session du baccalauréat 2018 pour fraude. L’ensemble de ses notes, y compris celles obtenues dans le cadre du contrôle continu dites « épreuves de contrôle en cours de formation », ayant été annulées par le ministre de l’agriculture, ici compétent, la demanderesse conteste que ces dernières puissent être annulées, la fraude n’ayant porté que sur les épreuves terminales.

Combinant le principe fraus omnia corrumpit avec celui d’indivisibilité des épreuves conduisant à un diplôme national, le juge rejette le recours.

(1er avril 2019, Mme X., n° 423952)

 

4 - Installation nucléaire de base – Autorisation de création d’une telle installation – Acte créateur de droits – Autorisation sous condition – Régime d’abrogation.

Les requérantes sollicitaient :

- d’une part, l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le premier ministre sur leur demande tendant à l'abrogation du décret du 10 avril 2007 modifié autorisant la création de l'installation nucléaire de base dénommée « Flamanville 3 », comportant un réacteur nucléaire de type EPR, sur le site de Flamanville,

- et d’autre part, qu’injonction soit faite au premier ministre d'abroger ledit décret dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision juridictionnelle à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

Le Conseil d’Etat juge applicable à l’autorisation donnée au profit d’EDF de créer une installation nucléaire de base dénommée « Flamanville 3 », comportant un réacteur nucléaire de type à eau pressurisée, les règles régissant les actes créateurs de droits, notamment celles relatives à leur abrogation.

Pour rejeter les demandes dont il est saisi, le juge pose en principe que l'autorité administrative investie du pouvoir de police des installations nucléaires de base dispose du pouvoir de vérifier si les conditions légales permettant le fonctionnement d’une installation sont toujours remplies. Si elles ne le sont plus, il lui incombe alors de modifier l'autorisation de l'installation nucléaire de base en cause pour fixer les dispositions ou obligations complémentaires que requiert la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de l’environnement (sécurité, santé et salubrité publiques, protection de la nature et de l'environnement ) et, lorsque ces modifications ne sont pas de nature à prévenir ou à limiter de manière suffisante les risques graves qu'elle présente pour ces même intérêts, d'abroger l'autorisation.

C’est là une application classique du régime des actes pris sous condition.

Le Conseil d’Etat relève l’existence de diverses anomalies techniques, tenant notamment à la construction du radier et à la fabrication du « liner » de l'enceinte de confinement, constatées par l'Autorité de sûreté nucléaire au cours de la construction du réacteur « Flamanville 3 » ainsi que des anomalies décelées dans la composition de l'acier utilisé dans certaines parties de la cuve de ce réacteur. Cependant, l’Autorité de sûreté nucléaire a estimé les premières corrigées de manière satisfaisante et les secondes non susceptibles de remettre en cause la future mise en service et l’utilisation de l'installation du seul fait de ces anomalies sous réserve que, le moment venu, lors de l'autorisation de mise en service, des conditions appropriées de contrôle et d'utilisation de l'installation soient précisées.

Par suite est rejetée la demande d’annulation du refus implicite d’abroger un décret qui n’est pas entaché d’irrégularité ni non plus de fraude.

 (11 avril 2019, Associations Greenpeace France, Réseau " Sortir du nucléaire ", Notre affaire à tous, France nature environnement, Observatoire du nucléaire, Comité de réflexion d'information et de lutte anti-nucléaire (CRILAN), Stop EPR ni à Penly ni ailleurs et Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD), n° 413548)

 

5 - Santé publique – Consultation obligatoire de la commission de la transparence en cas de radiation d’un médicament de la liste des spécialités prises en charge par l’assurance maladie et de celle des médicaments agréés à l’usage des collectivités publiques – Avis émis antérieurement en vue du renouvellement de l’inscription de ce médicament – Possibilité conditionnée pour l’autorité compétente de se fonder sur cet avis pour décider une radiation.

Une société de Laboratoires demande l’annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté conjoint du ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'action et des comptes publics du 9 octobre 2017 portant radiation de la spécialité Hyalgan de la liste mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de sécurité sociale, cette spécialité ne pouvant plus, de ce fait, être prise en charge ou donner lieu à remboursement par les caisses d'assurance maladie. Elle invoque au soutien de sa requête des moyens de légalité tant externe qu’interne. Sa demande est rejetée.

En particulier doit être retenu le raisonnement, un peu discutable, du juge pour rejeter l’argument tiré de ce que les ministres défendeurs n’ont pas saisi pour avis la commission de la transparence avant de décider la radiation litigieuse. Selon lui il n’était pas nécessaire de procéder à une nouvelle consultation de cette commission dès lors que, d’une part, elle avait déjà été consultée lors de la demande de renouvellement de l’inscription de ce médicament sur la liste des spécialités remboursables, et que, d’autre part, les critères d’appréciation du service médical rendu par un médicament sont les mêmes qu’il s’agisse de renouvellement d’inscription sur la liste ou de radiation de celle-ci. Le juge assortit cette interprétation latitudinaire d’une double limite, satisfaite en l’espèce : la question posée par la radiation ne doit pas présenter en soi un caractère nouveau et il ne doit y avoir eu aucun changement dans les circonstances de fait ou de droit entre la date de l’avis sur le renouvellement d’inscription et celle de la décision de radiation.

On demeure dubitatif sur la circonstance que, selon le juge, un même avis donné par une instance compétente puisse servir, dans un premier temps, à dire un médicament remboursable car il rend un service médical appréciable, et dans un second temps, à le radier de la liste de ceux remboursables car le service rendu est inexistant ou plus faible que celui rendu par d’autres médicaments. Cela d’autant plus que ledit avis n’est entaché ni d’erreur ni d’incomplétude.

(1er avril 2019, Société Laboratoires Expanscience, n° 416500)

 

6 - Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières – Consultation Quorum – Conditions d’appréciation du quorum – Modification d’un texte soumis à consultation après cette consultation – Conséquence – Condition d’une nouvelle consultation – Rejet.

Dans le cadre de l'examen d’un recours dirigé contre un décret du 10 mai 2017 relatif au Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières abrogeant le décret du 25 juillet 2014 relatif audit Conseil, deux points de procédure administrative non contentieuse retiennent l’attention parmi de nombreux autres griefs tous rejetés.

En premier lieu, se posait la question de savoir à quel moment il convient de se placer pour apprécier le respect de la règle du quorum par un organisme collégial lorsque ce chiffre varie en cours de séance. En l’espèce, si le nombre de membres présents ou représentés à l'ouverture de la séance excédait le chiffre du quorum, un refus, émis dans la suite de la séance, de participer au vote opposé par certains membres faisait passer le nombre de participants en-dessous de ce quorum, expédiente et logique : Qu’advient-il des votes émis à partir de cet instant ? La réponse est simple : la satisfaction du quorum s’apprécie en début de séance, peu important ce qu’il en advient ensuite.

En second lieu, lorsqu’un organisme a été consulté sur un projet (de texte ou autre), la modification postérieure de celui-ci oblige-t-elle à organiser une nouvelle consultation de cet organisme ? Là aussi la réponse est classique. Ce n’est que dans le cas où la modification postérieure pose une (ou plusieurs) question(s) nouvelle(s) qu’il convient de procéder à une nouvelle consultation.

(11 avril 2019, Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM) et Union des syndicats de l'immobilier (UNIS), n° 412344)

 

6 bis - 38 - Bénéficiaires de l’allocation pour adultes handicapés – Possibilité pour eux de tirer des rémunérations d'une activité professionnelle – Déduction des frais professionnels en vue de la détermination de l’assiette de l’impôt sur le revenu – Circulaire n’autorisant que la déduction forfaitaire de 10% au titre des frais professionnels à l’exclusion de tout autre calcul de la déduction – Circulaire à caractère impératif – Irrégularité pour violation de l’art. 83 CGI – Annulation.

(1er avril 2019, Association des paralysés de France, n° 421160) Voir n° 38

 

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

7 - Société France Télévisions – Personne privé chargée d'un service public – Compétence du juge administratif des référés – Absence de nature administrative des actes en cause sans effet sur la compétence de référé s'agissant d'une liberté fondamentale – Obligation constitutionnelle de respecter le pluralisme des courants d'opinion et de pensée – Principe d'égalité ou d'équité inapplicable stricto sensu en dehors des périodes électorales sauf en cas d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale (liberté d'opinion ou liberté d'expression des suffrages) – Nécessité d'une diversité non d'une complétude des opinions présentées – Annulation des ordonnances attaquées.

Le lecteur tient là une importante décision qui fera date en plusieurs domaines dont, en premier, celui de l'audiovisuel. Des réponses substantielles ont été données à cette occasion.

La société France Télévisions avait programmé pour le jeudi 4 avril 2019 au soir un débat télévisé, sur sa chaîne France 2, dans la perspective des élections des représentants français au Parlement européen, étant précisé que ce débat, en raison de sa date, ne se situait  ni durant la période de six semaines précédant le scrutin, ni durant celle au cours de laquelle doivent être présentées les candidatures aux élections des représentants au Parlement européen, ni non plus, a fortiori, durant la campagne électorale. Neuf participants avaient été choisis comme représentant les principaux courants politiques ; plusieurs partis ou groupements politiques dont les représentants n'avaient pas été invités saisirent le juge des référés du tribunal administratif de Paris de requêtes en référé liberté à fin de le voir ordonner à l'organisme concerné de les y inviter. Par trois ordonnances rendues le 1er avril 2019 les juges des référés de ce tribunal ont enjoint à la société nationale de programme France Télévisions, sous le contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel, soit d'inviter les trois personnalités concernées au débat du 4 avril 2019, soit d'organiser une autre émission consacrée aux élections européennes avant le 23 avril qui soit également un grand rendez-vous d'information et de débat au sens de l'article 14 du cahier des charges de France Télévisions et d'y inviter les trois mouvements politiques requérants. France Télévisions se pourvoit contre chacune de ces trois ordonnances.

En premier lieu, le Conseil d'Etat relève que France Télévisions est une personne morale chargée de missions de service public. À ce titre, ceux de ses actes ou mesures susceptibles de porter une atteinte grave et immédiate à une liberté fondamentale relèvent des dispositions de l'art. L. 521-2 CJA instituant le référé liberté. Il en va ainsi alors même que les décisions de cet organisme relatives à la conception d'émissions et à leur diffusion ne constituent pas des actes administratifs susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir dans la mesure où elles ne font pas partie de sa mission de service public. Ainsi les deux catégories d'actes pris par une personne morale de droit privé dans l'exercice de ses missions de service public, acte de droit public et acte de droit privé, si elles se distinguent quant à la question de savoir si elles relèvent ou non du juge de l'excès de pouvoir, ne se distinguent pas devant le juge du référé liberté dès lors que, par un acte relevant de l'une ou de l'autre catégorie, il est allégué une atteinte grave et immédiate à une liberté fondamentale.

C'était le cas en l'espèce où étaient d'ailleurs invoquées plusieurs libertés fondamentales. Toutefois, cette solution, assez cohérente et bien venue dans une vision unilatérale du référé liberté pourrait se discuter - et sérieusement - du côté judiciaire car la violation d'une liberté fondamentale par un acte de pur droit privé et qui n'intéresse pas le service public, cela fait beaucoup pour prétendre échapper à la compétence du juge judiciaire.

En deuxième lieu, le Conseil d'Etat observe qu'en période électorale, comme indiqué ci-dessus, s'appliquent des règles particulières de respect du pluralisme des courants d'opinion et de pensée se substituant au droit commun audiovisuel.

En troisième lieu, indépendamment de toute élection, il est une obligation constitutionnelle rappelée aussi bien dans la loi de 1986 sur la liberté de communication, que par des décisions du Conseil supérieur de l'audiovisuel ou par les dispositions figurant au cahier des charges souscrit par France Télévisions. En bref, il s'agit du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion, de l'honnêteté, de l'indépendance et du pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent, tout particulièrement pour les émissions d'information politique et générale. Cependant, il va de soi que ces exigences ne sauraient avoir ni la même portée ni le même contenu qu'en période électorale. D'ailleurs, la mesure du respect du pluralisme est faite par le CSA trimestriellement, sur la base de relevés mensuels.

Le Conseil d'Etat a choisi une formulation de choc pour dire cela, dans un évident souci pédagogique. Le point 15 de sa décision est très clair sur ce point : " Ni la loi, ni les termes de (la recommandation du CSA du 22 novembre 2017) n'ont pour effet d'imposer à la société France Télévisions d'inviter aux débats qu'elle organise dans la période en cause, même dans la perspective d'élections prochaines, et a fortiori à un seul débat en particulier, des représentants de l'ensemble des partis et groupements politiques qui entendent se présenter aux suffrages des électeurs. Elles n'exigent pas non plus d'inviter des personnalités susceptibles d'exprimer toutes les opinions se rapportant au scrutin à venir. Elles n'ont pas pour conséquence, dans cette période, d'imposer une stricte égalité de traitement entre toutes les personnalités politiques. Il appartient à la société France Télévisions, dans le régime de liberté garanti par la loi et dans l'exercice de sa responsabilité éditoriale, sous le contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel, de concevoir et d'organiser les émissions participant au débat démocratique, dans le respect d'un traitement équitable de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion." D'où cette conséqence, qui peut sembler abrupte mais est empreinte de logique : " Le juge administratif des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ne saurait remettre en cause les décisions prises dans ce cadre que dans le cas où elles porteraient une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale."

Enfin, au cas de l'espèce le large échantillonnage des neuf personnalités choisies ainsi que la perspective d'autres débats à venir rendent la mesure prise par France Télévisions dépourvue de toute suspicion d'atteinte grave et immédiate à une liberté fondamentale.

(4 avril 2019, Société France Télévisions, n° 429370, n° 429373 et n° 429374)

 

8 - Informatique et libertés – Sanction infligée par la CNIL sans mise en demeure préalable – Absence de possibilité de régulariser le comportement sanctionné – Légalité – Réformation d’une décision de sanction prise par la CNIL – Publicité de la décision de justice.

La société requérante a fait l’objet d’une sanction par la CNIL en raison d’irrégularités de son site web permettant l’accès, sans mot de passe ou autre filtre, à des données personnelles. Alertée par le CNIL le 31 juillet 2017, elle a dès le 2 août, corrigé le défaut de sécurité affectant son site, ce que la CNIL a elle-même constaté le 9 août. La CNIL a infligé à la société une sanction pécuniaire de 250.000 euros et décidé de rendre publique cette sanction sur son propre site pendant deux ans. Il était reproché à la CNIL d’avoir infligé cette sanction sans respecter l’obligation de mise en demeure préalable qui lui est impartie. Le Conseil d’Etat relève que ne saurait être reprochée en l’espèce l’absence de mise en demeure puisque cette procédure comporte invitation à régulariser le manquement et que la correction opérée spontanément par la société fautive rendait impossible toute régularisation avant sanction.

Par ailleurs, le juge exige que la CNIL tienne compte du comportement de l’intéressé lorsqu’elle inflige une sanction, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce alors que pourtant la société a fait preuve d’une grande célérité pour se mettre en conformité. La sanction était donc, dans ces circonstances de fait, disproportionnée ; elle est ramenée à 200.000 euros. En outre, il est fait obligation à la CNIL de porter sur le site Légifrance et sur son site, dans les mêmes formes que la décision de sanction attaquée, mention de la décision juridictionnelle réformant la sanction.

(17 avril 2019, Société Optical Center, n° 422575 ; comparer, du même jour, avec :  Association pour le développement des foyers (ADEF), n° 423559)

 

Biens

 

9 - Art. L. 631-7 code de la construction et de l'habitation (CCH) – Changement d'affectation des locaux à usage d'habitation – Conditions et limites de la présomption d'usage d'habitation en cas d'existence de cet usage au 1er janvier 1970 – Caractère non fautif de l'affirmation d'un maire sur l'existence d'un changement d'affectation non autorisé – Absence de faute – Erreur de droit de la cour administrative d'appel – Annulation.

M. X. a signé, le 12 juillet 2011, la promesse de vente d'un local dont il est propriétaire à Neuilly-sur-Seine. Sur demande du notaire chargé de la vente, le maire de la commune a précisé qu'il s'agissait d'un bien à usage de remise et de garage qui n'était donc pas à usage professionnel, commercial ou industriel et qu'il avait fait l'objet d'un procès-verbal à raison de sa transformation sans autorisation en local commercial ; de plus, le maire indiquait que l'affectation de ce local ne pouvait être modifiée. Le bénéficiaire de la promesse de vente ayant renoncé à son projet d'acquisition, M. X. a mis en cause la responsabilité de la commune pour la faute qu'elle aurait commise en donnant des informations erronées sur l'affectation du local et a demandé au tribunal administratif la condamnation de la commune à une indemnité en réparation du préjudice prétendument subi. Si sa demande a été rejetée par le tribunal, elle a, très partiellement, été accueillie en appel. La commune de Neuilly-sur-Seine se pourvoit en cassation contre l'arrêt d'appel.

Pour admettre le pourvoi au fond, le Conseil d'Etat reproche à la cour une erreur de de droit ayant consisté en une interprétation erronée des dispositions de l'art. L. 631-7 du CCH, celles-ci n'instituant une présomption d'usage d'habitation que pour les seuls locaux qui, à la date du 1er janvier 1970, étaient occupés à fins d'habitation ; en revanche, elles ne créent aucune autre présomption s'agissant de locaux qui, à la même date, étaient affectés - comme c'est le cas en l'espèce - à un autre usage.

L'interprétation donnée ici de ce texte est particulièrement étroite, d'où s'explique sans doute l'erreur de la cour.

(5 avril 2019, Commune de Neuilly-sur-Seine, n° 410039)

 

10 - Biens faisant partie du domaine privé d’un centre hospitalier – Cession de parcelles par mise en concurrence préalable – Possibilité non obligatoire pour les personnes publiques autres que l’Etat – Obligation en ce cas de respecter le principe d’égalité entre candidats – Cession n’ayant pas à respecter les règles de la commande publique – Règles inapplicables à la cession d’un bien.

Le centre hospitalier de Savoie (CHS), établissement public, a fait choix de céder des parcelles de son domaine privé par mise en concurrence de professionnels de l’immobilier, procédure originale non interdite ni permise par les textes. Dans le cadre de cette procédure deux sociétés introduisent un contentieux du fait du rejet de leur candidature commune. L’affaire arrive en cassation ce qui permet au Conseil d’Etat d’apporter deux précisions utiles.

En premier lieu, il est indiqué qu’ « aucune disposition législative ou réglementaire n'impose à une personne morale de droit public autre que l'État de faire précéder la vente d'une dépendance de son domaine privé d'une mise en concurrence préalable ». Cependant, le juge exige en ce cas le respect du principe d'égalité de traitement entre les candidats au rachat de ce bien.

En second lieu, le Conseil d’Etat, répondant à l’un des arguments en ce sens des demandeurs, rappelle que cette exigence d’égalité n’implique pas que l’autorité administrative devrait, en ce cas, respecter les règles relatives à la commande publique, « qui ne sont pas applicables à la cession d'un bien ». 

(16 avril 2019, Sociétés Procedim et Sinfimmo, n° 420876)

 

11 - Occupants sans titre d’un logement universitaire – Expulsion – Régime juridique mettant en cause le CROUS, établissement public administratif – Compétence du juge administratif – Inapplicabilité du code des procédures civiles d’exécution – Conciliation opérée par le juge entre les nécessités du service public et le respect de la vie privée comme de la dignité des personnes – Rejet de la demande de renvoi d’une QPC.

La requérante a été enjointe par le juge administratif des référés de libérer le logement qu’elle occupe sans droit ni titre dans une résidence universitaire gérée par le CROUS, établissement public administratif chargé du service public du logement étudiant. Elle soulève une QPC fondée sur le fait que ne sont pas appliquées par le CROUS les règles fixées par les dispositions pertinentes du code des procédures civiles d’exécution, que le législateur a fait montre, dans ces textes, d’incompétence négative, que la compétence du juge administratif est substituée à celle du juge judiciaire, enfin, que ne sont pas prévues de mesures protectrices de la vie privée et de la dignité des personnes.

Cette argumentation est – sans surprise – entièrement rejetée par la décision rapportée. Le juge rappelle que sont inapplicables ici les dispositions du code précité s’agissant de logements exclusivement affectés et gérés par un service public, que le législateur a entendu exclure cette forme de logement du droit commun des rapports locatifs et qu’enfin c’est au juge administratif qu’incombe la conciliation entre les divers intérêts en présence.

(16 avril 2019, Mme X., n° 426074 ; v. aussi, dans le même sens et du même jour : Mme X., n° 426075)

 

Collectivités territoriales et groupements

 

12 - Commune nouvelle – Création antérieure au 1er janvier 2016 – Régime applicable pour le versement de la dotation nationale de péréquation – Portée du VI de l'art. L. 2334-14-1 CGCT – Substitution de motifs – Confirmation de l'arrêt d'appel et rejet du pourvoi du ministre de l'intérieur.

La commune de Tinchebray-Bocage, créée le 1er janvier 2015 par regroupement de sept communes existantes, a contesté avec succès devant le tribunal administratif la décision de la préfète de l'Orne fixant le montant de dotation nationale de péréquation qui lui était attribué pour l'année 2015. Ce jugement ayant été confirmé sur l'appel formé par le ministre de l'intérieur, ce dernier se pourvoit en cassation où il échoue à nouveau.

La cour d'appel avait estimé qu'avait été appliquée à tort à cette commune la règle de plafonnement prévue par le VI de l'article L. 2334-14-1 du CGCT. Le Conseil d'Etat condamne ce raisonnement car il considère que ce VI, tout comme les autres points de cet article est applicable en l'espèce car il joue pour les communes nouvelles créées au plus tard le 1er janvier 2016 et regroupant soit une population inférieure ou égale à 10 000 habitants, soit toutes les communes membres d'un ou de plusieurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Toutefois, ceci n'entraîne pas la cassation car le Conseil d'Etat substitue à ce motif erroné en droit celui tiré de ce que, précisément, ce dispositif ne peut trouver à s'appliquer aux communes nouvelles l'année de leur création, dès lors que celles-ci n'ont pu, en tant que telles, percevoir de dotation de péréquation l'année précédente. Par ailleurs, préservant l'avenir, le juge rappelle aussi que ce dispositif ne saurait avoir pour effet de priver les communes nouvelles de la garantie du maintien des dotations au cours des trois années suivant leur création prévue par l'article L. 2113-22 du CGCT.

Ainsi la solution de l'arrêt se trouve justifiée.

(5 avril 2019, Ministre de l'intérieur, n° 412701)

 

13 - Communes – Droit à l'information des membres d'un conseil municipal – Demande de communication de documents mal dirigée – Obligation de transmission au maire – Intérêt à la communication – Absence – Documents résultant d'une délibération antérieure à la demande de communication – Documents non nécessaires pour l'appréciation d'affaires en cours – Rejet.

Voilà une solution curieuse.

Un conseiller communautaire se voit refuser - par rejet implicite résultant du silence gardé par l'autorité compétente - la communication de documents relatifs à une étude de marché réalisée par la société AID Observatoire en avril 2015, de la lettre de la SPLA Grand Sud adressée à la CIVIS (établissement public de coopération intercommunale) lui transmettant la demande d'acquisition de la société Holding Ethève et de l'intégralité des consultations juridiques réalisées au bénéfice de la CIVIS et de la SPLA Grand Sud se rapportant à la réalisation de la zone d'aménagement concerté de Pierrefonds Aérodrome, ainsi que des bons de commande de prestations juridiques afférents. Les premiers juges ont annulé la décision en tant qu'elle emporte refus de communication de ces divers éléments. La CIVIS se pourvoit en cassation.

Deux questions se posaient, l'une de forme, l'autre de fond.

En la forme, il était reproché au conseiller communautaire d'avoir adressé sa demande de communication de documents communautaires au directeur général des services non au maire, ainsi il n'y aurait pas eu de "silence" de la part de ce dernier, la décision implicite n'aurait donc pas été constituée. Il appartenait, de toute évidence, au DGS de transmettre ce courrier au maire et le silence valant refus était donc constitué.

Sur le fond, il est reproché aux premiers juges d'avoir fait droit à la demande de communication de documents au motif qu'ils se rapportaient à des projets ayant donné lieu à des délibérations du conseil communautaire de la CIVIS. Or le Conseil d'Etat estime qu'ils auraient dû, alors que les délibérations invoquées étaient antérieures à la date de la demande de communication, vérifier si les documents demandés pouvaient être regardés comme étant nécessaires pour que l'intéressé puisse se prononcer utilement sur les affaires en cours de l'établissement public de coopération intercommunale, la CIVIS, susceptibles de faire l'objet de délibérations à venir au cours desquelles les élus auraient à se prononcer sur les projets en cause. Cette solution n'est pas convaincante en ce qu'elle restreint le champ d'application du droit à communication sans que s'aperçoive un quelconque avantage à ce faire.

(5 avril 2019, Communauté intercommunale des villes solidaires (CIVIS), n° 416542)

 

14 - Communauté de communes – Retrait de communes membres et adhésion de celles-ci à une autre communauté de communes – Procédure – Avis préalable de la commission départementale de la coopération intercommunale – Réunion en formation plénière – Formation restreinte seule compétente – Suspension de l’arrêté préfectoral autorisant le retrait et l’adhésion.

L’arrêté préfectoral autorisant le retrait de communes d’une communauté de communes et ensuite leur adhésion à une autre communauté de communes du département doit etre précédé d’un avis de la commission départementale de la coopération intercommunale réunie en formation restreinte, c’est-à-dire ne comprenant pas les représentants des conseils départemental et régional. En l’espèce avait été réunie la commission siégeant en formation plénière.

Le juge des référés de première instance, saisi par la communauté de communes de « départ », avait suspendu l’exécution de l’arrêté préfectoral d’autorisation. Les communes et la nouvelle communauté de communes concernées se pourvoient en Conseil d’Etat.

Celui rejette le pourvoi en faisant sien le raisonnement du premier juge : il ressort des dispositions de l’art. L. 5214-26 CGCT que la création de la formation restreinte a, entre autres, pour but de renforcer la représentation des communes et des établissements intercommunaux par rapport à celle des conseils départemental et régional, qui en sont exclus. Par suite il n’était pas anodin d’avoir consulté en l’espèce non cette formation restreinte mais la formation élargie. De ce fait, l’arrêté attaqué était irrégulier et, en y voyant un moyen sérieux, le premier juge a donc considéré que cette irrégularité pouvait avoir eu une influence sur le sens de la décision prise ou privé la communauté de communes intéressée d'une garantie, entachant ainsi d’illégalité l’acte attaqué.

(24 avril 2019, Commune de Courcelles-les-Gisors, commune de Boury-en-Vexin et communauté de communes du Vexin-Normand, n° 419842)

 

15 - Contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales – Communauté de communes – Syndicat mixte – Déféré préfectoral – Actes soumis au contrôle – Actes préparatoires – Actes soumis à l'intervention finale du préfet – Jurisprudence Préfet de l'Eure – Mise à l'écart.

Usant de la procédure spéciale du référé suspension instituée au troisième alinéa de l'article L. 2131-6 CGCT, le préfet du Var a demandé la suspension de la délibération par laquelle le conseil communautaire de la communauté de communes du pays de Fayence a demandé son adhésion au syndicat mixte d'élimination des déchets du moyen pays des Alpes-Maritimes (SMED) pour l'exercice de la compétence n° 2 prévue par les statuts de ce syndicat, relative à la création et la gestion du centre de valorisation organique du Broc et de son centre de tri de collecte sélective, de l'installation de stockage de déchets non dangereux de Massoins et de tout équipement nécessaire au traitement des déchets ménagers et assimilés. Le juge des référés du tribunal administratif a, par ordonnance, fait droit à cette demande, tandis que celui de la cour administrative d'appel a annulé l'ordonnance précédente. Le ministre de l'intérieur se pourvoit. Le Conseil d'Etat lui donne raison en relevant l'illégalité, au regard des dispositions de l'art. L. 224-13 CGCT, de la délibération par laquelle la communauté de communes du pays de Fayence, d'une part, a demandé son adhésion au SMED pour l'exercice de la compétence n° 2 prévue par les statuts de ce syndicat, recouvrant notamment " la création et la gestion (...) de tout équipement nécessaire au traitement des déchets ménagers et assimilés ", laquelle porte nécessairement sur une partie du traitement des déchets ménagers, d'autre part, n'a pas entendu procéder à un transfert à ce syndicat mixte de l'intégralité de sa compétence relative au traitement de ces déchets. Dès lors, en jugeant que n'était pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la délibération attaquée le moyen tiré de ce que la communauté de communes ne pouvait légalement demander son adhésion au SMED, au titre de la compétence n° 2 prévue par les statuts de ce syndicat, sans lui transférer l'intégralité de sa compétence relative au traitement des déchets ménagers, le juge des référés de la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article L. 2224-13 du CGCT. Le pourvoi du ministre de l'intérieur est fondé.

Réglant l'affaire au fond (cf. art. L.821-2 CJA), le Conseil d'Etat doit d'abord résoudre d'importantes questions de procédure que recelait cette affaire. D'abord, la délibération déférée par le préfet sur référé n'était qu'une délibération préparatoire. Etait-ce possible ? La réponse du juge est positive. Ensuite, le référé suspension tel que décrit dans l'art. L. 2131-6 CGCT ne semblait pas être applicable à un acte ou procédure préparatoire : là aussi le juge lève l'obstacle éventuel en estimant possible en ce cas l'usage de ce référé spécial. Enfin, et c'était là peut-être la question la plus délicate, la procédure en question, d'adhésion à un syndicat tel que le SMED, se conclut par une intervention finale du préfet sans laquelle elle n'est pas exécutoire. La demande de suspension était-elle possible à l'égard d'un tel acte dont la perfection juridique exige l'intervention finale du préfet alors que n'a pas encore eu lieu cette intervention ? Là encore la réponse du juge est positive.

Enfin se posait une question classique du contentieux administratif, celle de savoir si l'administration peut demander au juge de lui délivrer un titre qu'elle peut se délivrer elle-même. La réponse est connue et elle est négative au moins depuis 1913 (jurisprudence Préfet de l'Eure). Sous la réserve d'une exception : le cas où, précisément, l'autorité administrative ne peut se délivrer un tel titre. Or c'était la situation de l'espèce.

(5 avril 2019, Ministre de l'intérieur, n° 418906)

 

Compétence

 

16 - Juge administratif – Interprétation d’un acte de droit privé – Difficulté sérieuse – Question préjudicielle – Sursis à statuer en l’attente d’une décision de l’autorité judiciaire.

Saisi d’un pourvoi du ministre de la santé dirigé contre plusieurs jugements de la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale, le Conseil d’Etat rappelle l’obligation pour le juge administratif, lorsque la solution du litige dont il est saisi dépend de l’interprétation d’un acte de droit privé présentant une difficulté sérieuse, de surseoir à statuer dans l’attente que le juge judiciaire se prononce sur cette question préjudicielle.

Tel est le cas en l’espèce, où il  s’agit, pour apprécier le bien-fondé du moyen invoqué par l’association demanderesse, de déterminer la portée que revêtent, à la date du litige, postérieurement à la loi du 17 janvier 2002, au décret du 19 mars 2004 et à l'arrêté du 22 septembre 2004 qui a créé le diplôme d'études spécialisées de médecine générale, pour la rémunération des médecins qualifiés spécialistes en médecine générale, d'une part, les stipulations de la convention collective nationale du 1er mars 1979 modifiée par le protocole d'accord du 6 avril 1993 et, d'autre part, les stipulations de l'accord de transfert du 26 mars 2003.

Cette question soulève une difficulté sérieuse, qu'il n'appartient, dès lors, qu'au juge judiciaire de trancher.

(1er avril 2019, Ministre des solidarités et de la santé, n° 414388)

 

Contrats

 

17 - Sous-concession en vue de l'attribution de lots de plage artificielle – Consultation – Conditions de régularité – Dénaturation d'une offre – Absence – Liberté de négociation – Conditions et limites (art. 46, ord. 29 janvier 2016).

De cette longue décision rendue au visa de l'art. L. 551-1 CJA, on retiendra seulement l'élément essentiel. Après établissement de la liste des candidats admis à soumissionner, le maire de la commune, alors qu'il n'y était point obligé, a institué une commission chargée de mener la négociation avec ces candidats. Cette commission était composée d'élus municipaux et de fonctionnaires territoriaux. La société requérante alléguait le caractère vicié de la procédure suivie car certains des membres de la commission n'avaient pas assisté à l'entretien de négociation la concernant. Le juge n'aperçoit en cela aucune atteinte au principe d'égalité de traitement de tous les candidats. On demeure dubitatif devant cette solution passablement laxiste. L'institution facultative d'une commission ne dispense pas son auteur et la commission d'un examen loyal, honnête et impartial des candidatures soumises. En l'absence de cette garantie l'atteinte au principe d'égalité devrait être considérée comme établie par présomption. Exiger que soit rapportée la preuve de l'incidence négatrice de cette irrégularité sur le principe d'égalité semble déraisonnable.

(8 avril 2019, Société Bijou Plage et M. X., n° 425373)

17bis - Biens faisant partie du domaine privé d’un centre hospitalier – Cession de parcelles par mise en concurrence préalable – Possibilité non obligatoire pour les personnes publiques autres que l’Etat – Obligation en ce cas de respecter le principe d’égalité entre candidats – Cession n’ayant pas à respecter les règles de la commande publique – Règles inapplicables à la cession d’un bien.

(16 avril 2019, Sociétés Procedim et Sinfimmo, n° 420876) Voir n° 10

 

18 - Référé précontractuel (art. L. 551-1 CJA) – Marchés publics – Marchés publics globaux – Obligation d'allotissement – Marchés dispensés de cette obligation – Cas d'un marché public global de performances portant sur la conception, la réalisation, l'exploitation et la maintenance d'une infrastructure de communications à très haut débit.

Une société candidate non retenue à un marché global de performances, obtient du juge du référé précontractuel de première instance l'annulation de la procédure de passation du marché litigieux. Deux pourvois sont formés, l'un par le candidat retenu, l'autre par l'acheteur public.

Des nombreux arguments avancés on retiendra le principal en ce qu'il conduit le Conseil d'Etat à une importante précision jurisprudentielle. Celui-ci déduit - avec juste raison - de l'incise ouvrant la première phrase du I de l'art. 32 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 que les dispositions de cet article imposant une obligation d'allotissement des marchés sont inapplicables aux marchés publics globaux que régit la section 4 du chapitre Ier du titre II de la première partie de ladite ordonnance (art. 33, pour les marchés publics de conception-réalisation, art. 34 pour les marchés publics globaux de performance et art. 35 pour les marchés publics globaux sectoriels).

(8 avril 2019, Société Orange, n° 426096 et Région Réunion, n° 426914)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

19 - Bénéficiaires de l’allocation pour adultes handicapés – Possibilité pour eux de tirer des rémunérations d'une activité professionnelle – Déduction des frais professionnels en vue de la détermination de l’assiette de l’impôt sur le revenu – Circulaire n’autorisant que la déduction forfaitaire de 10% au titre des frais professionnels à l’exclusion de tout autre calcul de la déduction – Circulaire à caractère impératif – Irrégularité pour violation de l’art. 83 CGI – Annulation.

(1er avril 2019, Association des paralysés de France, n° 421160) Voir n° 38

 

20 - Flagrance fiscale – Procès-verbal de flagrance – Impôts concernés – Période concernée – Conditions de détermination du montant maximal des mesures conservatoires – Régime applicable aux contribuables assujettis à la TVA selon le régime réel – Caractère indifférent de l’erreur commise par le contribuable qui s’est placé sous un autre régime.

Selon le Conseil d’Etat, il résulte des dispositions combinées des art. L. 16-0 BA et L. 252 B du livre des procédures fiscales et de l’art. 287 du CGI qu’un procès-verbal de flagrance fiscale est soumis, pour sa régularité, à trois conditions principales : 1) il ne peut jouer qu’en matière d'impôt sur le revenu, d'impôt sur les sociétés ou de TVA ; 2) il  ne peut porter que sur les périodes pour lesquelles les obligations déclaratives prévues pour les impôts précités ne sont pas échues ; 3) le cas échéant, le montant maximal à hauteur duquel des mesures conservatoires sont mises en œuvre est déterminé sur la base des mêmes périodes non échues, jusqu'à la date du procès-verbal.

En l’espèce l’administration a constaté, dans le cadre d'une procédure de flagrance, que la société requérante, qui était assujettie à la TVA, relevait, à la date du contrôle, du régime réel d'imposition. Elle était donc soumise à une obligation déclarative mensuelle (cf. 2 de l'art. 287 du CGI). Comme elle n'a pas, pour au moins deux périodes échues, déposé de déclaration, l’administration pouvait établir (cf. 5° du I de l'art. L. 16-0 BA du LPF) un procès-verbal au titre des périodes pour lesquelles cette obligation déclarative mensuelle n'était pas échue et déterminer, en application du 3° du I de l'art. L. 252 B LPF, le montant maximal des éventuelles mesures conservatoires, sur la base du chiffre d'affaires correspondant à ces mêmes périodes non échues, jusqu'à la date du procès-verbal. La circonstance que l'assujetti se serait irrégulièrement placé, à la date d'engagement de la procédure, sous un autre régime d'imposition à la TVA est indifférente en l’espèce.

Or la période au titre de laquelle le procès-verbal de flagrance fiscale est établi ne peut être déterminée, contrairement à ce qui s’est passé dans la présente affaire, qu'au regard du caractère non échu des obligations déclaratives mensuelles découlant du régime réel d'imposition dont relevait légalement la société à la date de l'établissement du procès-verbal. Il suit de là que le tribunal administratif en jugeant comme il l’a fait a commis une erreur de droit.

(24 avril 2019, SASU Groupe Ferry, n° 412390)

 

21 - Impôts sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales – Principe de non déductibilité des rémunérations versées à une personne soumise à un régime fiscal privilégié (art. 238 A CGI) – Charge de la preuve de ce caractère privilégié – Preuve devant être rapportée par l’administration fiscale.

L'art. 238 A du CGI disposait en ses deux premiers alinéas dans la version applicable au moment des faits :

" Les intérêts, (...), les rémunérations de services, payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ...à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré.

Pour l'application du premier alinéa, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies ". 

Se fondant sur ces dispositions, l’administration a infligé à la société demanderesse un supplément d’impôt sur les sociétés ainsi que de taxe professionnelle majorés pour manquement délibéré à ses obligations fiscales et la soumission à la retenue à la source. Cette société avait déduit de son chiffre imposable des sommes versées par elle à une autre société en rémunération de la garantie des risques liés à l'exécution du contrat signé avec l'Office Algérien Interprofessionnel des Céréales par lequel celui-ci lui a confié l'inspection et le contrôle des cargaisons de céréales qu'il importe par voie maritime.

Se posait une question de charge de la preuve que le régime fiscal de ces rémunérations revêtait le caractère d’un régime privilégié. Selon le juge, cette charge incombe à l’administration fiscale or cette preuve n’est pas établie en l’espèce. L’administration s’est bornée à relever que la société requérante ne contestait pas qu'aux Antilles néerlandaises où était établie la société à laquelle étaient versées les rémunérations litigieuses, le taux d'imposition du bénéfice des sociétés variait de 2,4 % à 6 %, alors que le taux d'imposition à l'impôt sur les sociétés était fixé en France à 33,33 % et la cour en a déduit ipso facto que l'administration devait être regardée comme établissant que cette dernière était, en l'espèce, soumise à un régime fiscal privilégié. Comme le rappelle le juge un raisonnement aussi sommaire n’est pas satisfaisant ; il incombait à l’administration « d'apporter tous éléments circonstanciés non seulement sur le taux d'imposition, mais sur l'ensemble des modalités selon lesquelles des activités du type de celles qu'exerce ce bénéficiaire sont imposées dans le pays où il est domicilié.... Le contribuable peut, de son côté, faire valoir, en réponse à l'administration, tous éléments propres à la situation du bénéficiaire en cause. Dans le cas où l'administration doit être regardée, au vu de l'ensemble des éléments ainsi produits par les parties, comme ayant établi que le bénéficiaire n'est pas imposable ou est assujetti à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont il aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France, il appartient au contribuable d'apporter la preuve que les dépenses en cause correspondent à des opérations réelles et ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré. »

Il s’agit donc d’exigences très lourdes imposées à l’administration, justifiées par l’ampleur de ses prérogatives en cette matière.

(24 avril 2019, SAS Control Union Inspections France (CUIF), n° 413129)

 

22 - Avis à tiers détenteur – Frais bancaires facturés pour l’exécution d’un tel avis – Prestation de services – Assujettissement à la TVA – Définition en droit européen de la prestation de services – Absence de prestation en l’espèce – Annulations.

La législation en vigueur fait obligation aux établissements teneurs des comptes bancaires de redevables d'impositions, sur la demande qui leur en est faite sous forme d'avis à tiers détenteur notifié par le comptable chargé du recouvrement, de verser, aux lieu et place des redevables, les fonds qu'ils détiennent à concurrence des impositions dues par ces derniers. 

L’administration fiscale prétendait que la requérante devait s’acquitter de la TVA sur les frais bancaires facturés à ses clients pour l’exécution d’avis à tiers détenteurs. Elle conteste cette argumentation, en vain, en première instance et en appel et se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’Etat lui donne raison en rejetant chacun des deux arguments développés par l’administration fiscale au soutien de ses exigences. Il convient, préalablement, de rappeler que sont des prestations de services, au sens de la directive européenne du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, celles qui sont effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. Il faut donc qu’existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire. 

En premier lieu, il ne saurait être raisonnablement soutenu – comme l’a fait la cour d’appel - qu'il existe, en pareille hypothèse, un rapport juridique entre la banque et son client sur le fondement duquel des prestations réciproques sont échangées.  En effet, l'obligation pour la banque d'accomplir ces opérations ne résulte pas de la relation contractuelle avec son client, mais de la demande qui lui est faite sous la forme d'avis à tiers détenteur par le comptable chargé du recouvrement. De plus, le client ne peut être regardé comme tirant un quelconque avantage de ces opérations. L’arrêt est cassé pour une évidente erreur de droit. 

En second lieu, le ministre défendeur a prétendu substituer au motif retenu par la cour un autre motif tiré de ce que les opérations en cause constituent des prestations de services accomplies par la banque au profit du Trésor public. Cet argument est rejeté car il résulte des dispositions relatives aux procédures civiles d’exécution applicables aux avis à tiers détenteur (cf. art. L. 263 LPF) qu’un tel avis rend la banque personnellement débitrice des sommes dues au Trésor public par son client, dans la limite des fonds disponibles sur les comptes de ce dernier. Par suite, les opérations accomplies par la banque à la réception d'un avis à tiers détenteur, qui ont pour seul objet le paiement d'une créance dont elle est personnellement redevable, ne constituent pas des prestations de services accomplies au bénéfice du Trésor public.

(24 avril 2019, SA Banque de La Réunion, n° 412570)

 

23 - Contrôle fiscal – Divergences subsistantes entre le contribuable et le vérificateur – Charte du contribuable vérifié – Débat avec un fonctionnaire de l’administration fiscale d’un certain rang – Débat ne pouvant porter que sur les points restant en litige.

Rappel de bon sens et de loyauté procédurale par le Conseil d’Etat : « Un contribuable qui a expressément demandé à bénéficier de la garantie, offerte par la charte du contribuable vérifié, d'obtenir un débat avec un fonctionnaire de l'administration fiscale de rang plus élevé que le supérieur hiérarchique du vérificateur, mais qui a limité la portée de cette demande à certains chefs de rectification sur lesquels persistaient des divergences importantes, ne saurait soutenir utilement devant le juge de l'impôt qu'il a été privé de cette garantie pour les autres chefs de rectification, seuls en litige, et que la procédure d'imposition serait, pour ce motif, irrégulière. »

(24 avril 2019, M. et Mme X., n° 412769)

 

24 - Taxation d’office – Utilisation par l’administration de relevés bancaires – Obligation d’informer le contribuable sur l’origine des renseignements ou documents qu’elle a ainsi obtenus – Communication incomplète – Effets et limites.

Un couple de contribuables qui a fait l’objet d’une procédure de taxation d’office a sollicité de l’administration (art. L. 76 B LPF) qu’elle lui fournisse la teneur et l'origine des renseignements et documents obtenus par elle de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition litigieuse. En l’espèce, alors que le fisc avait obtenu des relevés bancaires portant sur un semestre, il n’avait remis aux contribuables que celui du mois de janvier. Saisie de cela, la cour administrative d’appel a jugé que les contribuables avaient ainsi été privés de la possibilité de vérifier le contenu des documents et d'en discuter la teneur ou la portée et prononcé la décharge de la totalité des impositions mises à leur charge. Sur pourvoi du ministre, le Conseil d’Etat annule pour erreur de droit cet arrêt motif pris de ce que la cour aurait dû « circonscrire les conséquences du manquement de l'administration à son obligation de communication aux impositions pour lesquelles elle a utilisé les renseignements et documents en cause, que ce soit pour conduire la procédure d'imposition ou pour déterminer le montant de l'impôt ».

On peut ne pas approuver une conception aussi étroite des droits du contribuable qui aurait pu, par exemple, trouver dans ces relevés des éléments en sa faveur, évidemment non retenus par le fisc.

(24 avril 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 414420)

 

25 - Créance publique – Récupération d'une aide d'Etat accordée en violation du droit de l'Union – Titre exécutoire – Annulation – Différenciation des effets de l'annulation d'un titre exécutoire selon qu'elle résulte d'une irrégularité de forme ou de l'absence de bien-fondé du titre – Ordre d'examen des conclusions dirigées contre un titre exécutoire – Motivation du jugement ou de l'arrêt - Rejet.

Une société agissant comme mandataire liquidateur judiciaire du Centre d'exportation du livre français (CELF), a demandé l'annulation du titre de perception émis à son encontre, relatif aux intérêts courus de 1982 au 25 février 1989 sur les aides publiques versées au CELF pour le " programme petites commandes " et de prononcer la décharge de cette somme. Les premiers juges, confirmés en appel, ont annulé ce titre de perception et rejeté le surplus des conclusions de sa demande. La société se pourvoit en cassation et son action est rejetée. Ce qui retient l'attention c'est l'évolution jurisprudentielle qui caractérise cette décision.

Tout d'abord est rappelée la distinction selon que l'annulation d'un titre exécutoire repose sur un motif de régularité en la forme ou sur son absence de bien-fondé. Dans le premier cas, l'annulation n'a pas pour effet d'éteindre la créance publique litigieuse dans la mesure où l'administration peut procéder à la régularisation de la forme viciée. Dans le second cas, l'annulation éteint nécessairement cette créance puisqu'elle est alors jugée infondée.

Ensuite, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions tendant à l'annulation d'un titre exécutoire, des conclusions à fin de décharge de la somme correspondant à la créance de l'administration, il incombe au juge administratif d'examiner prioritairement les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre qui seraient seuls de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de la décharge. Si, dans cette hypothèse, et c'est là un revirement de jurisprudence, le juge n'estime fondé aucun des moyens qui seraient de nature à justifier le prononcé de la décharge mais retient seulement un moyen mettant en cause la régularité formelle du titre exécutoire, il n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler le titre. Le Conseil d'Etat considère qu'en statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande de décharge de la somme litigieuse. Reste que cette solution abandonne une précédente et très récente jurisprudence en sens contraire (Section, 13 mars 2015, Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer, n° 364612, Rec. Lebon p. 84).

Enfin, lorsque le demandeur de première instance décide d'interjeter appel - dans les cas où cette voie de réformation lui est ouverte - il est évidemment recevable à relever appel du jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande de décharge. Le juge d'appel, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, doit se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à cette demande. 

(5 avril 2019, Société Mandataires Judiciaires Associés, n° 413712)

 

26 - Décision de récupération d’une aide – Recours en annulation assorti d’un référé suspension – Recours en annulation du titre exécutoire émis en vue d’opérer cette récupération – Effet suspensif automatique du recours en annulation – Référé suspension irrecevable pour défaut d’objet.

Rappel d’une particularité procédurale propre aux titres exécutoires.

En l’espèce la requérante a fait l’objet d’une décision de récupération de l’aide qui lui avait été versée au titre de la politique agricole commune puis d’un titre exécutoire. Elle a formé contre ce dernier un recours à fin d’annulation ainsi qu’un référé suspension pour empêcher la récupération immédiate de la somme. Sa demande de suspension ayant été rejetée en première instance, elle se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’Etat rappelle que s’il est possible de former contre une décision de récupération de sommes, un recours en annulation et un recours en suspension d’exécution, en revanche, il n’est possible de diriger contre un titre exécutoire qu’un recours à fin d’annulation ; celui-ci, en effet, suspend automatiquement l’exécution du titre contesté rendant sans objet la demande de suspension, laquelle est, en ce cas, irrecevable, ainsi que cela avait été jugé en première instance.

(11 avril 2019, Mme X., n° 418039)

 

27 - Chambres régionales des comptes (CRC) – Contrôle des comptes des collectivités territoriales – Demande de rectification des observations définitive d’une chambre – Procédure – Caractère contradictoire de la procédure – Existence en l’espèce – Rejet.

Rappel de ce que le principe du contradictoire s’applique non seulement lors de l’établissement par une CRC de ses observations provisoires puis de ses observations définitives mais encore s’agissant de l’examen d’une demande de rectification desdites observations, condition respectée en l’espèce.

(24 avril 2019, M. X., n° 409270)

 

28 - Prélèvements sociaux - Plus-values immobilières réalisées par des non-résidents – Taxation à des fins de prélèvement à caractère social et de solidarité (art. 244 bis A du CGI) – Contrariété par rapport au principe de l'unicité de législation sociale garanti par le droit de l’Union européenne (art. 11, règlement européen du 29 avril 2004) – Annulation partielle.

Un contribuable conteste la taxation des plus-values immobilières réalisées en France par des non-résidents afin de financer diverses prestations sociales. Il estime que le paragraphe n° 80 des commentaires administratifs du 1er août 2018 donnant l’interprétation de l’administration fiscale sur cette question portent atteinte au principe de l'unicité de législation sociale garanti par l'article 11 du règlement européen du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

Le Conseil d’Etat examine chacun des prélèvements et contributions contestés et déduit la conformité de certains d’entre eux aux dispositions de l’art. 11 du règlement du 29 avril 2004 et la non-conformité d’autres par rapport à ce texte.

S’agissant du prélèvement de solidarité sur les produits de placement et des contributions affectées au fonds de solidarité vieillesse, le juge considère qu’ils entrent dans le champ d’application du règlement précité. En revanche, s’agissant, d’une part, des contributions affectées à la Caisse d'amortissement de la dette sociale et, d’autre part, des contributions sociales affectées à la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, il les juge contraires au principe d'unicité de législation en matière sociale énoncé à l’art. 11 précité. Ce principe « s'oppose à ce que les plus-values immobilières réalisées en 2018 par les non-résidents qui relèvent du champ d'application territorial et personnel de ce règlement soient assujetties à la contribution sociale généralisée et au prélèvement social affectés au fonds de solidarité vieillesse, à la contribution sociale généralisée et à la contribution au remboursement de la dette sociale affectées à la caisse d'amortissement de la dette sociale ainsi qu'au prélèvement social et à la contribution additionnelle à ce prélèvement affectés à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie ». Dès lors que les commentaires administratifs attaqués réitèrent des dispositions législatives (loi du 16 août 2012 de finances rectificative et loi du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale) méconnaissent, dans cette mesure, le règlement du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ils sont irréguliers et doivent être annulés.

(16 avril 2019, M. X., n° 423586)

 

29 - Taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage en Île-de-France et les surfaces de stationnement (art. 231 ter CGI) – Détermination de la nature des locaux à assujettir à la taxe – Recours à leur utilisation effective au 1er janvier de l’année d’imposition – Qualification retenue par un contrat ne pouvant prévaloir sur l’usage effectif de ces locaux.

Le ministre requérant a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui a déchargé une indivision du paiement des cotisations de taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement qui lui avaient été imposées du chef de locaux qu’elle possède. L’administration justifiait cet assujettissement par la qualification juridique donnée à ces locaux dans le bail conclu entre l’indivision et une société locataire.

La cour avait estimé devoir retenir non la qualification théorique du bien telle qu’elle figurait dans le bail mais celle résultant de son usage effectif par les parties au bail. Cette solution est entérinée en ces termes par le juge de cassation : « Pour l'application de ces dispositions (art. 231 ter CGI) seule doit être prise en compte l'utilisation effective des locaux au 1er janvier de l'année d'imposition soit comme bureaux, soit pour la réalisation d'une activité de commerce ou de prestation de services à caractère commercial ou artisanal ».

(24 avril 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 417792)

 

30 - TVA – Exonération de taxe au profit des personnes publiques – Effet de distorsion de concurrence – Conditions de son appréciation – Prise en compte de la nature identique ou semblable des prestations fournies – Élément d'appréciation insuffisant.

Il résulte des articles 256 et 256B CGI et de la directive 2006/112/CE  du 28 novembre 2006 telle qu’interprétée  par la CJUE (29 octobre 2015, C-174/14, Saudaçor - Sociedade Gestora de Recursos e Equipamentos da Saúde dos Açores SA), que le non-assujettissement à la TVA prévue en faveur des personnes morales de droit public énumérées au paragraphe 1 de l’article 13 de la directive précitée de 2006, qui déroge à la règle générale de l'assujettissement de toute activité de nature économique, est subordonné à deux conditions cumulative. 1°/ l'activité doit être exercée par un organisme agissant en tant qu'autorité publique ; 2°/  le non-assujettissement ne doit pas conduire à des distorsions de concurrence d'une certaine importance.

Par conséquent, l’existence de distorsions significatives de concurrence ne saurait résulter « de la seule constatation que des prestations réalisées par un organisme de droit public sont identiques à celles réalisées par un opérateur privé, sans examen de l'état de la concurrence réelle, ou à défaut potentielle, sur le marché en cause ».

(Avis, 12 avril 2019, TA de Caen, n° 427540)

 

31 - Bénéfices industriels et commerciaux – Détournements de fonds au détriment d’une société – Sommes détournées déduites du bénéfice net – Conditions – Absence de faute manifeste ou de carence des organes dirigeants et des responsables de la société – Hypothèse de l’espèce – Annulation de l’arrêt d’appel ayant jugé le contraire.

La demanderesse, qui exploite une grande surface, a déduit de son bénéfice des sommes correspondant à des vols de billets de banque livrés par une société de transport de fonds et destinés à alimenter le distributeur automatique attenant au supermarché. L’administration fiscale a remis en cause la qualification de détournements de fonds portée à la comptabilité de la société, réintégré ces sommes dans le montant imposable, avec rehaussement de l’impôt sur les sociétés, assujettissement à la contribution additionnelle à cet impôt, pénalités et amendes. Sur recours de la société, le tribunal administratif a fait droit à sa demande mais la cour d’appel a annulé ce jugement, d’où le pourvoi en cassation.

Il découle des art. 38 et 39 CGI combinés qu’en cas de détournements de fonds commis au détriment d'une société, les pertes qui en résultent sont, en principe, déductibles des résultats de la société. En revanche, ne sont pas déductibles les détournements commis par les dirigeants, mandataires sociaux ou associés ainsi que ceux, commis par un salarié de la société, qui ont pour origine, directe ou indirecte, le comportement délibéré des dirigeants, mandataires sociaux ou associés ou leur carence manifeste dans l'organisation de la société et dans la mise en œuvre des dispositifs de contrôle, contraires à l'intérêt de la société.

En l’espèce la cour a estimé, pour annuler le jugement et donc rejeter la demande de la société, que « l'attentisme et l'abstention inexplicables dont la société a fait preuve face aux détournements dont elle a été victime faisaient (...) obstacle à ce que ces vols puissent être regardés comme faisant partie des risques normaux de la vie de l'entreprise dans le cadre d'une gestion commerciale normale ».

Le Conseil d’Etat casse cet arrêt au motif qu’en statuant ainsi, alors qu'il n'était ni établi ni même allégué que les détournements litigieux auraient été réalisés par un salarié de la société, la cour a commis une erreur de droit.

(12 avril 2019, SAS Société de distribution Saint-Maximoise (SDSM), n° 410042)

 

32 - Impôt sur les bénéfices des sociétés – Régime des sociétés mères et filiales (art. 145 CGI) – Bénéfice imposable – Déduction des produits nets de participation (art. 216 CGI) – Cas des acomptes sur dividende – Déductibilité entière – Absence d’incidence des sommes soumises à distribution en fin d’exercice.

C’est à tort qu’une cour administrative d’appel juge que l'exonération des acomptes sur dividendes ne peut être admise que dans la limite du montant des sommes distribuables en fin d'exercice alors que leur perception procède, pour leur montant total, des droits attachés aux titres de participation détenus par la société mère et que les articles 145 et 216 CGI ne subordonnent pas l'exonération des produits nets de participations qu'ils instituent à l'imposition effective, entre les mains de la filiale, des bénéfices qu'elle distribue.

L’arrêt d’appel étant cassé le Conseil d’Etat se prononce comme juge d’appel du jugement du tribunal administratif. Là aussi, il est jugé que c’est à tort que celui-ci a rejetéla demande de la société mère tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale sur cet impôt auxquels elle a été assujettie à raison de la remise en cause de l'exonération d'une fraction des acomptes sur dividendes perçus de sa filiale britannique. En effet, les acomptes sur dividendes versés à la société mère par sa filiale avaient, dans leur totalité, le caractère de produits de participation au sens de l'article 216 du code général des impôts et relevaient, dès lors, du régime des sociétés mères.

(12 avril 2019, Société Compagnie de Saint-Gobain, n° 410315)

 

33 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) – Établissement public d’assistance (art. 1382 CGI) – Notion – Exonération de taxe foncière.

L’art. 1382 du CGI exonère de taxe foncière sur les propriétés bâties, notamment, les immeubles des établissements publics d'assistance (art. 1382, 1°, 12ème alinéa du CGI). Or cette qualité a été refusée en première instance à l’établissement demandeur.

Prenant le contrepied de ce jugement, le Conseil d’Etat décide que les établissements publics d'hébergement pour personnes âgées dépendantes sont des établissements d’assistance au sens et pour l’application des dispositions susrappelées.

C’est donc à tort qu’a été refusée à l’EHPAD demandeur l’exonération de taxe foncière sur les immeubles dont il est propriétaire et qui sont affectés à son objet social.

(24 avril 2019, Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) "Résidence du Colombier ", n° 410859)

 

34 - TVA – Opération constituée d’une pluralité d’éléments – Opération pouvant être qualifiée de complexe unique ou existence de plusieurs prestations ou livraisons – Activité accessoire : soumission à la TVA – Activité facultative, facturée spécifiquement : non assujettissement à la TVA – Cas en l’espèce – Soustraction régulière de l’activité de l’assiette de la TVA.

Lorsqu'une opération économique soumise à la TVA est composée de plusieurs éléments, actes et/ou prestations, deux cas se présentent au regard de l’assiette de la TVA.

Soit cette opération se décline en plusieurs modalités et éléments interdépendants constituant in fine une opération constituée d’un complexe d’éléments mais de caractère unique. En ce cas, l’assiette de la TVA comprend l’ensemble de ces éléments.

Soit cette opération est en réalité constituée de plusieurs éléments ou actes, chacun distinct des autres. En ce cas, chacun d’eux est retenu de façon indépendante comme assiette de la TVA.

Ce schéma se complique en chacune de ces deux variétés : d’une part, l'opération constituée d'une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la taxe sur la valeur ajoutée, et d’autre part, dans certaines circonstances, plusieurs opérations formellement distinctes, qui pourraient être fournies et taxées séparément, doivent être regardées comme une opération unique lorsqu'elles ne sont pas indépendantes.

Lorsque l’activité est l’accessoire d’une activité principale elle est soumise, pour ce qui regarde l’assujettissement à la TVA, au même régime fiscal que l’activité principale.

Ainsi, lorsque, au sein des éléments caractéristiques de l'opération en cause, certains éléments constituent la prestation principale, tandis que les autres, dès lors qu'ils ne constituent pas pour les clients une fin en soi mais le moyen de bénéficier dans de meilleures conditions de la prestation principale, doivent être regardés comme des prestations accessoires partageant le sort fiscal de celle-ci. Tel est le cas, également, lorsque plusieurs éléments fournis par l'assujetti au consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, sont si étroitement liés qu'ils forment, objectivement, une seule opération économique indissociable, le sort fiscal de celle-ci étant alors déterminé par celui de la prestation prédominante au sein de cette opération.

En l’espèce,  la société Xerox General Services exerçait, en qualité de sous-traitante de sa société mère, la société Xerox Global Services, une activité " d'éditique " consistant à fournir aux clients de celle-ci des prestations de gestion documentaire auxquelles pouvaient s'ajouter, sur option, des prestations complémentaires consistant en la mise sous pli des documents ainsi édités, leur affranchissement à l'aide de machines à affranchir mises à disposition par La Poste et la remise des plis ainsi affranchis à cette dernière.

Ces sociétés ont exclu de leur base d'imposition à la TVA les frais d'affranchissement qui étaient facturés par la filiale à sa mère puis refacturés par cette dernière à ses clients, en sus des prestations " d'éditique ".

La cour administrative d'appel a jugé que l'administration avait à bon droit réintégré ces frais d'affranchissement dans les bases d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée en application du 2° du I de l'article 267 du code général des impôts au motif que la prestation d'affranchissement revêtait un caractère accessoire par rapport à la prestation principale " d'éditique ".

Ce jugeant, la cour a commis une erreur dans la qualification juridique des faits car dans cette affaire la prestation d'affranchissement était facultative et faisait l'objet d'une facturation séparée à hauteur des seuls frais d'affranchissement en litige. Elle constituait donc pour les clients du groupe Xerox une fin en soi et non le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions de la prestation principale " d'éditique ", par suite elle ne revêtait pas un caractère accessoire de la prestation d’éditique.

Le pourvoi est admis et les arrêts sont cassés.

(24 avril 2019, Sociétés Xerox et Xerox General Services, n° 411007 ; v. aussi, sur cette question, les points 14 à 16 de : 24 avril 2019, SAS Corsica Ferries France, n° 418912)

 

35 - Droit de l’Union européenne – Principe de libre circulation des capitaux – Combinaison avec les conventions internationales destinées à éviter les doubles impositions – Régime français de retenue à la source – Crédit d’impôt – Détermination du montant et imputation de ce crédit d’impôt – Compatibilité avec le droit de l’Union – Renvoi d’une question préjudicielle à la CJUE.

Il s’agit dans cette affaire d’une question fiscale qui est à la fois techniquement complexe et politiquement hautement sensible. Ceci peut expliquer que la décision ait été rendue en quatre chambres réunies.

La société demanderesse contestait en cassation la conventionnalité européenne des dispositions, fondant l’arrêt d’appel contesté, du b du 1 de l'article 220 CGI selon lesquelles l'imputation sur l'impôt dû en France de la retenue à la source acquittée à l'étranger à raison des revenus de source étrangère auxquels cette disposition fait référence est limitée au montant du crédit d'impôt correspondant à cette retenue à la source tel qu'il est prévu par les conventions fiscales internationales. Dans l'hypothèse où une convention fiscale conclue entre la France et un autre Etat afin d'éviter les doubles impositions prévoit, comme le font celles en cause dans la présente affaire, l'application de trois principes. 1°/ Lorsqu'une société soumise à l'impôt sur les sociétés en France perçoit des dividendes d'une société résidente de l'autre Etat qui sont soumis à une retenue à la source dans cet Etat, la France a le pouvoir d'imposer la première société sur ces dividendes. 2°/ Cette société a droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt sur les sociétés, sans toutefois que ce crédit d'impôt ne puisse excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus. 3°/ Ce montant maximal doit être déterminé, en l'absence de toute stipulation contraire dans la convention fiscale, en appliquant l'ensemble des dispositions du code général des impôts relatives à l'impôt sur les sociétés, dont celles de l'article 39, applicables en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209, c'est-à-dire en déduisant du montant des dividendes distribués, avant toute retenue à la source, et sauf exclusion par des dispositions spécifiques, les charges justifiées, qui ne sont exposées que du fait de l'acquisition, de la détention ou de la cession des titres ayant donné lieu à la perception des dividendes, qui sont directement liées à cette perception et qui n'ont pas pour contrepartie un accroissement de l'actif.

La Société Générale soutenait que la cour avait commis une erreur de droit en écartant le moyen tiré de ce que l'application des règles contenues à l’art. 220 précité conduit à méconnaître la liberté de circulation des capitaux protégée par le droit de l'Union. Elle fait valoir que les opérations portant sur des titres de sociétés étrangères réalisées par des sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés en France seraient désavantagées par rapport à celles qui portent sur des titres de sociétés françaises, au motif que le mode de calcul du plafond des crédits d'impôt dont l'attribution est prévue par les conventions fiscales conclues par la France, afin d'éliminer la double imposition des dividendes résultant de leur imposition, d'une part, par l'Etat de la source des dividendes, d'autre part, par la France, ne permettrait qu'une imputation insuffisante de l'impôt prélevé par l'Etat de la source sur l'impôt sur les sociétés français. Elle se prévaut à cet égard des arrêts de la Cour de justice du 17 septembre 2015 Miljoen, X. et Société Générale, C-10/14, C-14/14 et C-17/14 et du 28 février 2013 Beker, C-168/11.

En réalité, constate le Conseil d’Etat, d’une part, il  résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qu'en l'absence de mesures d'unification ou d'harmonisation adoptées par l'Union, les États membres demeurent compétents pour définir, par voie conventionnelle ou unilatérale, les critères de répartition de leur pouvoir de taxation et que la préservation de cette répartition est un objectif légitime reconnu par la Cour (17 septembre 2015, Miljoen, X. et Société Générale, préc., point 76). En particulier, le droit de l'Union, dans son état actuel, ne prescrit pas de critères généraux pour la répartition des compétences entre les États membres s'agissant de l'élimination de la double imposition à l'intérieur de l'Union, d’autre part, il n’existe pas de jurisprudence de la CJUE sur la marge d'appréciation laissée aux États membres lorsqu'ils adoptent un mécanisme d'élimination de la double imposition applicable en cas de distribution à une société résidente d'un Etat membre de dividendes qui trouvent leur source dans un autre Etat, fondé sur l'octroi à cette société d'un crédit d'impôt imputable, dans la limite du montant de l'impôt correspondant, dans son Etat de résidence. C’est pourquoi, cette question étant déterminante pour la solution du litige soulevé par la Société Générale, il est renvoyé à titre préjudiciel à la CJUE.

(24 avril 2019, Société Générale, n° 399952)

 

Droit public économique

 

36 - Concurrence – Aides d’Etat – Financement des aides publiques au cinéma et à l’audiovisuel – Question préjudicielle à la CJUE – Réponse de la CJUE – Conséquences – Absence de caractère d’aides d’Etat – Rejet.

Les sociétés requérantes avaient saisi le juge administratif d’un recours contre le rejet de leurs demandes tendant à la restitution de la taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes destinées à l'usage privé du public acquittée par elles au profit de l’Etat pour le compte du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). Le Conseil d’Etat avait interrogé à titre préjudiciel la CJUE (21 septembre 2016, mêmes requérantes, n° 376193) et c’est après l’arrêt qu’elle a rendue sur cette affaire (20 septembre 2018, C-510/16) que le Conseil d’Etat statue ici au fond.

L’enjeu du litige portait sur la notion de modification d’une aide existante, celle-ci ayant été dûment notifiée à la Commission.

En l’espèce, la CJUE a jugé que le Conseil d’Etat devait déterminer si les trois taxes affectées au financement des aides au cinéma et à l'audiovisuel (taxes sur les billets de cinéma, sur les services de télévision et sur les ventes et locations de vidéogrammes), faisaient, lors de la période considérée, partie intégrante des régimes d'aides en cause et, en particulier, à examiner si la mise en réserve d'une partie des recettes du CNC avait eu pour effet de réaffecter le montant concerné à une mesure autre que celle revêtant toutes les caractéristiques d'une aide, au sens du paragraphe 1 de l'article 107 du TFUE et à apprécier l'impact que pourrait avoir  la réattribution d'une partie de ces recettes au profit du budget général de l'Etat sur l'existence d'un lien d'affectation contraignant entre ces taxes et ces régimes. 

Pour cela, après une analyse approfondie des faits, le Conseil d’Etat conclut «  que même si une part des sommes mises en réserve devait servir à financer le versement d'aides futures, si les sommes reversées à l'Etat ont été, au cours de la période concernée, d'un montant modeste au regard du produit des taxes affectées et si le prélèvement pour frais de fonctionnement représente une part limitée du produit de ces taxes, le total des sommes soustraites au financement du régime d'aides au cinéma et à l'audiovisuel antérieurement autorisé a représenté une part croissante des recettes devant servir au financement de ce régime d'aide. Ainsi, le montant des recettes collectées ne peut être regardé comme ayant influencé directement l'importance des aides accordées chaque année, dont le montant a évolué significativement moins vite que celui du produit des taxes affectées au CNC. Dans ces conditions, les trois taxes affectées au CNC ne peuvent être regardées comme faisant partie intégrante du régime d'aides concerné au titre de la période en litige ».

Les recours sont rejetés.

(12 avril 2019, Sociétés Carrefour Hypermarchés, Fnac Paris, Fnac Direct, Relais Fnac, Codirep et Fnac Périphérie, n°s 376193, 380199, 380205, 380206, 380208 et 380209)

 

37 - Subventions à la création et à la modernisation de salles de cinéma – Distinction entre deux types de subventions – Soutien financier automatique et soutien financier de caractère sélectif - Refus du président du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) d’attribuer une subvention de caractère sélectif à une commune – Refus correctement motivé en l’espèce – Rejet.

Le président du CNC refuse à une commune de lui accorder une subvention d'aide à la création et à la modernisation de salles en zone insuffisamment équipée, pour l'ouverture d'un complexe de trois salles de cinéma. La commune a saisi en vain le tribunal administratif d’une demande d’annulation mais, sur son appel, ce jugement est annulé ainsi que le refus opposé par le président du CNC. Ce dernier se pourvoit en cassation et le Conseil d’Etat lui donne raison.

Il juge que l’octroi de la subvention litigieuse n’a aucun caractère automatique, le président du CNC disposant d’un large pouvoir d’appréciation sous le contrôle restreint du juge. De plus, l’allégation d’insuffisance d’équipements de ce type dans la zone où se trouve la commune est controuvée par les pièces du dossier. C’est donc à tort que la cour a annulé le refus de subvention opposée à la commune requérante et que cette dernière a contesté le jugement de première instance.

(24 avril 2019, Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), n° 419910)

 

Droit social et action sociale

 

38 - Bénéficiaires de l’allocation pour adultes handicapés – Possibilité pour eux de tirer des rémunérations d'une activité professionnelle – Déduction des frais professionnels en vue de la détermination de l’assiette de l’impôt sur le revenu – Circulaire n’autorisant que la déduction forfaitaire de 10% au titre des frais professionnels à l’exclusion de tout autre calcul de la déduction – Circulaire à caractère impératif – Irrégularité pour violation de l’art. 83 CGI – Annulation.

Les salariés peuvent, pour la déduction de leurs frais professionnels de l’assiette de l’impôt sur le revenu, opter soit pour une déduction forfaitaire de 10% soit pour une prise en compte, sur justificatifs, des frais réels qu’ils ont effectivement exposés pour l’exercice de leur profession lorsqu'ils estiment que ceux-ci excèdent 10%. Les adultes handicapés, qui perçoivent une allocation spéciale, peuvent exercer une activité professionnelle salariée en milieu ordinaire de travail ou dont les ressources demeurent temporairement appréciées selon les mêmes modalités. S’agissant de la déduction de leurs frais professionnels, une circulaire du directeur des politiques familiale et sociale de la Caisse nationale des allocations familiales adressée aux directeurs et agents comptables des caisses d'allocations familiales ne leur ouvre qu’une seule possibilité de déduction, la déduction forfaitaire de 10%, à l’exclusion de l’autre branche de l’alternative offerte aux autres salariés. Saisi en ce sens par l’association requérante, le Conseil d’Etat juge cette limitation illégale et annule sur ce point la circulaire attaquée.

(1er avril 2019, Association des paralysés de France, n° 421160)

 

39 - Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) - Détermination du plafond de 250 salariés pour l’attribution du CICE – Absence de prise en compte des salariés mis à disposition d’une société par une entreprise de travail temporaire – Erreur de droit – Cassation et renvoi au juge d’appel.

Un contentieux né d’un refus de remboursement du CICE conduit le Conseil d’Etat à déterminer comment se calcule l’effectif des salariés d’une entité économique. En effet, ne sont éligibles au CICE que les entreprises dont l’effectif salarié n’excède pas le seuil de 250 salariés. La société en litige avait calculé ce chiffre en n’incluant pas dans ses effectifs les salariés mis à sa disposition par une entreprise de travail temporaire. Ce qu’avait admis la cour d’appel. Le Conseil d’Etat annule ce raisonnement car il résulte de l'art. L. 1251-1 du code du travail que les personnes mises à la disposition d'une entreprise utilisatrice par une entreprise de travail temporaire sont liées à cette dernière par un contrat de travail. Elles ont ainsi la qualité de salariés de cette entreprise de travail temporaire au sens du a) de l'article 5 de l'annexe I au règlement (CE) n° 800/2008 du 6 août 2008. Par suite, ces personnes doivent être comptées dans les effectifs de l’entreprise qui sollicite le bénéfice du CICE.

 En l’espèce, l’application de cette règle a pour effet de faire passer le nombre des salariés de l’entreprise au-dessus du plafond de 250 salariés ce qui l’exclut du bénéfice du CICE.

(16 avril 2019, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 422868)

 

Élections

 

40 - Élections relatives aux Français de l’étranger – Conseiller consulaire et conseiller à l’assemblée des Français de l’étranger – Démission d’office prononcée par le ministre – Question prioritaire de constitutionnalité – Irrégularité commise antérieurement à l’élection du démissionnaire d’office – Atteinte à l’égalité devant le suffrage – Rejet – Non renvoi de la QPC.

Le requérant a été démis d’office de ses mandats de conseiller consulaire à Alger et de conseiller à l'Assemblée des Français de l'étranger par deux arrêtés du 4 décembre 2018 pris par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Il soulève, au soutien de sa requête en annulation desdits arrêtés, une QPC fondée sur deux motifs.

En premier lieu, les dispositions du troisième alinéa de l'article 17 de la loi du 22 juillet 2013, relative à la représentation des Français établis hors de France, ne sauraient être interprétées selon lui comme prévoyant la démission d'office d'un conseiller consulaire ou d'un conseiller à l'Assemblée des Français de l'étranger lorsque sa radiation des listes électorales de la circonscription où il a été élu procède d'une irrégularité commise antérieurement à son élection, sauf à méconnaître la garantie des droits résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Le Conseil d’Etat rejette ce premier chef de demande en observant que le lien entre la qualité d’électeur, laquelle est fondée sur l’inscription sur les listes électorales, et l’éligibilité comme conseiller consulaire et/ou comme conseiller à l’Assemblée susmentionnée, est tel que le ministre est tenu de tirer les conséquences de la perte de la qualité d’électeur sans qu’il y ait lieu pour lui, ni d’ailleurs possibilité, de distinguer selon qu’un retranchement d’électeur de la liste procède de faits antérieurs ou non à son élection. L’intérêt général qui s’attache à une telle solution n’emporte pas des conséquences excessives aux droits que les intéressés tirent de leur élection.

En second lieu, le requérant soutenait qu’existe de ce fait une différence injustifiée de traitement, au regard de ce qui précède entre les conseillers précités, traités plus sévèrement, ainsi qu’une atteinte à l’égalité devant le suffrage d’une part, et les conseillers municipaux, départementaux et régionaux, mieux traités, d’autre part. Le juge pratique l’esquive bien connue selon laquelle peuvent être traitées différemment des situations différentes. Affirmation purement rhétorique et incantatoire qui donne à voir une argumentation inexistante : comment discriminer entre des élus au suffrage universel ?

La QPC n’est donc pas renvoyée.

(1er avril 2019, M. X., n° 426806)

 

Environnement

 

41 - Carrières – Assujettissement à la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) – Poussières totales en suspension – Circulaire rappelant l'état de la réglementation applicable pour les différentes composantes de la TGAP – Incompétence de son auteur (non) – Inconstitutionnalités irrecevables faute d’user de la voie de la QPC.

(1er avril 2019, Syndicat professionnel des carrières indépendantes du grand ouest (CIGO), n° 426413) Voir n° 1

 

42 - Dispositifs publicitaires – Loi du 29 décembre 1979 – Notion d’enseigne – Enseigne signalant une activité – Enseigne disposée sur un bâtiment ne servant pas à cette activité – Prise en considération de l’ensemble de la parcelle d’exercice de l’activité – Erreur de droit à juger différemment.

Le requérant a demandé et obtenu l’annulation d’un arrêté du préfet de l'Hérault le mettant en demeure d’assurer la conformité de l'enseigne qu'il avait installée sur une toiture avec les dispositions du code de l'environnement, ce sous quinzaine à peine d’astreinte. Ce jugement est confirmé en appel. Le ministre chargé de l’environnement se pourvoit.

La question de droit était de savoir si une enseigne située à l’entrée d’un parc de loisirs sur un bungalow ne servant pas à l’activité de ce parc constituait ou non une enseigne, au sens et pour l’application des art. L. 581-3 et R. 581-62 du code de l'environnement.

Le Conseil d’Etat, infirmant l’opinion des juges du fond, 1ère instance et appel, estime qu’il résulte des articles précités du code de l'environnement que doit être qualifié « enseigne », y compris en toiture, l'inscription, forme ou image, installée sur un immeuble où s'exerce l'activité signalée.

Il précise en outre, que « si la part du bâtiment où s'exerce l'activité est prise en compte pour déterminer, en application des dispositions de l'article R. 581-62 du code de l'environnement, les prescriptions applicables à l'enseigne est « sans incidence sur la qualification même d'enseigne la circonstance que cette activité ne s'exerce pas exclusivement dans cet immeuble mais dans l'ensemble de la parcelle sur laquelle il est situé ». C’est sur ce dernier point qu’il est jugé que la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit pour avoir dit que doit être regardé comme une publicité le dispositif implanté sur le bungalow à l'entrée du parc de loisirs de plein air au motif que ce bungalow, affecté à l'organisation des activités de loisir, n'a pas vocation à les accueillir matériellement.

(1er avril 2019, M. X., n° 416919)

 

43 - Déclaration d'utilité publique – Travaux tendant à la création d'une liaison électrique à 225 000 volts sous-marine et souterraine – Griefs de légalité interne – Principe de précaution – Principe de proportionnalité de l'utilité publique – Absence d'atteintes – Rejet.

Le requérant invoquait au soutien de sa demande d'annulation d'un arrêté ministériel déclarant d'utilité publique un ouvrage de transport d'électricité, avec mise en compatibilité des documents d'urbanisme de certaines communes, des moyens de légalité externe qui ne nous retiendrons pas et deux moyens de légalité interne. S'il s'agit de rappels de la jurisprudence bien établie sur ces questions, leur réitération, dans le contexte de cette affaire, est intéressante.

En premier lieu, était soulevée une atteinte au principe de précaution. Ceci donne l'occasion au Conseil d'Etat d'un rappel de principe : "Une opération qui méconnaît les exigences du principe de précaution ne peut légalement être déclarée d'utilité publique." Suit alors la description de la méthodologie s'imposant à la puissance publique en ce cas : 1) vérification de l'applicabilité au cas d'espèce de ce principe (ce qui se traduit ici par : "rechercher s'il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l'hypothèse d'un risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé, qui justifierait, en dépit des incertitudes subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l'état des connaissances scientifiques, l'application du principe de précaution".) ; 2) en cas de réponse positive, vérification de l'adéquation pertinente des mesures prises en conséquence (ce qui se traduit par : "Si cette condition est remplie, il lui incombe de veiller à ce que des procédures d'évaluation du risque identifié soient mises en oeuvre par les autorités publiques ou sous leur contrôle et de vérifier que, eu égard, d'une part, à la plausibilité et à la gravité du risque, d'autre part, à l'intérêt de l'opération, les mesures de précaution dont l'opération est assortie afin d'éviter la réalisation du dommage ne sont ni insuffisantes, ni excessives. Il appartient au juge, saisi de conclusions dirigées contre l'acte déclaratif d'utilité publique et au vu de l'argumentation dont il est saisi, de vérifier que l'application du principe de précaution est justifiée, puis de s'assurer de la réalité des procédures d'évaluation du risque mises en œuvre et de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation dans le choix des mesures de précaution".). Appliquant cette méthodologie le juge estime qu'en l'espèce il y a bien matière à appliquer ce principe et qu'ont été prises les mesures pertinentes nécessaires.

En second lieu, était invoquée la jurisprudence Ville nouvelle-Est de 1971 quelque peu "relookée" dans sa formulation selon laquelle, on le sait, "Une opération ne peut être légalement déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier, les inconvénients d'ordre social, la mise en cause de la protection et de la valorisation de l'environnement et l'atteinte éventuelle à d'autres intérêts publics qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente". Il résulte de l'analyse du juge que le projet satisfait bien l'intérêt général et que ses inconvénients, qui sont réels, ne revêtent pas un caractère tel qu'ils puissent être considérés comme retirant au projet contesté son caractère d'opération d'utilité publique.

(8 avril 2019, M. X., n° 411862)

 

État-civil et nationalité

 

44 - Acquisition de la nationalité française par mariage – Présomption d’innocence n’empêchant pas un refus d’acquisition de cette nationalité pour cause d’indignité ressortissant de faits non assortis d’une condamnation pénale définitive – Citation directe devant un tribunal correctionnel – Élément insuffisant pour justifier le refus – Annulation.

Le Conseil d’Etat rappelle que « Le principe de présomption d'innocence ne fait pas obstacle à ce que le Gouvernement s'oppose, pour indignité, à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger en se fondant sur des faits qui n'ont pas donné lieu à une condamnation pénale devenue définitive, dès lors que ces faits sont établis. » Ensuite, il juge qu’en l’espèce les faits ne sont pas suffisamment établis.

En effet, le Premier ministre, pour refuser l’octroi de la nationalité française à l’intéressé, s'est fondé sur ce qu’il devait faire l'objet d'une citation directe du Procureur de la République devant le tribunal correctionnel pour des faits d'infraction à la législation régissant l'embauche des salariés étrangers commis en 2016. Or le juge estime que la seule circonstance que l'intéressé fasse l'objet d'une citation directe devant le tribunal correctionnel n'est pas, par elle-même, de nature à le faire regarder comme indigne d'acquérir la nationalité française, d’autant plus que le Gouvernement n'a produit, dans le cadre de l'instruction diligentée par et devant le juge administratif, aucun élément de nature à établir les faits reprochés à M. X. dont celui-ci conteste s'être rendu auteur. Le refus primo-ministériel est annulé.

(1er avril 2019, M. X., n° 417822)

 

45 - Naturalisation – Perte postérieure de la nationalité française – Conditions – Perte concomitante du statut de citoyen de l’Union européenne – Obligation, pour la décision de perte de nationalité, de conformité aux conditions du droit de l’Union – Existence – Rejet.

Le Conseil relève tout d’abord que « la définition des conditions d'acquisition et de perte de la nationalité relève de la compétence de chaque Etat membre de l'Union européenne ».

Cependant, il juge ensuite que, « dans la mesure où la perte de la nationalité d'un Etat membre a pour conséquence la perte du statut de citoyen de l'Union, la perte de la nationalité d'un Etat membre doit, pour être conforme au droit de l'Union, répondre à des motifs d'intérêt général et être proportionnée à la gravité des faits qui la fondent, au délai écoulé depuis l'acquisition de la nationalité et prendre en compte la possibilité pour l'intéressé de recouvrer une autre nationalité ». 

On peut être surpris d’une solution qui fait de la citoyenneté européenne un élément constitutif de la nationalité française alors qu’elle n’en est qu’une conséquence, donc parfaitement détachable. C’est mélanger la cause et l’effet et introduire une obscurité conceptuelle d’un vilain effet.

(24 avril 2019, M. X., n° 424975)

 

Fonction publique et agents publics

 

46 - Pension civile ou militaire de retraite – Conditions de révision – Nombre de cas de révision limité par l’art. 55 du code des pensions – Exception lorsque la révision résulte d’une décision de justice.

Rappel d’une règle constante selon laquelle si, en principe, les dispositions de l’art. 55 du code des pensions civiles et militaires de retraite limitent les cas dans lesquels l'administration peut remettre en cause une décision liquidant une pension civile ou militaire de retraite, elles sont en revanche sans incidence sur la révision d'une telle décision lorsque celle-ci intervient en exécution d'une décision contentieuse. Ici se combinent le principe de bon ordre budgétaire qui fonde cet art. 55 et le souci du respect de la chose jugée.

(1er avril 2019, Ministre de l’enseignement supérieur, n° 425629)

 

47 - Détenu employé par une société concessionnaire – Existence d’une relation de droit public entre le détenu et cette société – Indifférence à cet égard, de la nature privée de la société concessionnaire – Relation de travail se rattachant à la mission de service public assurée par l’administration pénitentiaire – Compétence de la juridiction administrative – Droit du détenu à un salaire horaire minimum – Détermination de ce salaire.

Dans un litige portant sur la contestation, par un détenu, de la fixation de sa rémunération pour le travail effectué en prison, le juge apporte deux importantes réponses.

En premier lieu, il rappelle (réminiscence du célèbre arrêt Berkani) que : «  Eu égard tant à la nature particulière de la relation de travail, qui se rattache à l'accomplissement de la mission de service public de l'administration pénitentiaire, qu'à ses modalités de mise en œuvre, soumises au régime pénitentiaire du détenu et aux nécessités du bon fonctionnement de l'établissement, qui influent sur les conditions d'emploi et de rémunération, un détenu employé par une société concessionnaire, même de droit privé, se trouve à l'égard de cette société, dans une relation de droit public. »

En second lieu, s’agissant de la rémunération du travail du détenu, qui était en l’espèce, l’aspect principal du litige, il est jugé qu’il résulte des dispositions de l’art. 717-3 du code de procédure pénale que le législateur a entendu garantir aux détenus exerçant une activité professionnelle un salaire horaire minimum individuel, dont les modalités sont fixées, dans le respect des conditions définies par ce code, dans l'acte d'engagement signé entre un détenu et le chef de l'établissement pénitentiaire où il exerce cette activité. Ce salaire, dans le cas d’activités de production, ne peut être inférieur à 45% du SMIC. Pour vérifier si cette rémunération respecte le minimum légal il convient de tenir compte du nombre d'heures effectivement travaillées et de l’ensemble des sommes versées en contrepartie de ce travail, y compris les primes.

(24 avril 2019, Garde des sceaux, ministre de la justice, n° 423009)

 

48 - Liberté syndicale – Décharge d'activité de service – Élément de cette liberté – Autorité compétente pour accorder la décharge dans le cas d'agents relevant d'un ministre déterminé mais placés, du fait du poste occupé, sous l'autorité d'un autre ministre.

La question qui fait le fond de cette décision est celle du régime des décharges de service dans la fonction publique. Le syndicat requérant demandait l'annulation d'une décision du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt refusant une décharge syndicale à un agent public et de celle rejetant son recours gracieux contre ladite décision ainsi que l'annulation de la décision implicite de rejet par le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie de la demande de décharge syndicale présentée par ledit syndicat. Ayant obtenu gain de cause en première instance, le syndicat est débouté de toutes ses demandes sur appel du ministre de l'agriculture. Il se pourvoit en cassation.

Le Conseil d'Etat rappelle tout d'abord - sans surprise - que " les décharges d'activité de service constituent l'une des modalités d'exercice de la liberté syndicale dans la fonction publique (...)" et que la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit "en jugeant que le principe de liberté syndicale ne couvrait pas l'attribution aux syndicats de facilités pour l'exercice du droit syndical, dont l'octroi de décharges d'activités de service". La cassation est donc encourue.

Ensuite, est rappelé le principe que le crédit de temps syndical est déterminé, au niveau de chaque département ministériel, en fonction du nombre d'électeurs inscrits sur les listes électorales pour l'élection au comité technique ministériel, puis réparti, en fonction des résultats obtenus à cette élection, entre les organisations syndicales. Chaque syndicat communique au ministre en charge du département ministériel ou au chef de service intéressé la liste nominative des bénéficiaires des crédits sollicités sous forme de décharges d'activité de service.

Enfin, lorsque, comme en l'espèce, un agent relevant d'un ministre déterminé se trouve placé sous l'autorité d'un autre ministre, il peut bénéficier d'une décharge à ce titre, quand bien même il serait affecté dans un service placé sous l'autorité d'un autre ministre ou mis à sa disposition.

Simplement, en ce cas, il est nécessaire pour ce ministre de recueillir l'accord préalable de l'autre ministre ou chef de service sous l'autorité duquel l'agent concerné se trouve placé, afin qu'il se prononce sur la compatibilité de la décharge sollicitée avec la bonne marche de ce service.

(5 avril 2019, Syndicat des personnels du ministère de l'agriculture (SP Agri-CFDT), n° 410956)

 

49 - Fonctionnaires territoriaux – Congés de longue durée – Délai durant lequel doit être formée une demande tendant à ce qu'une maladie soit reconnue comme ayant été contractée en service – Délai de quatre ans institué pour les fonctionnaires d'Etat – Absence de délai dans le cas de la fonction publique territoriale.

Interrogé en ce sens par une cour administrative d'appel le Conseil d'Etat est d'avis que la règle instituée pour la fonction publique d'Etat, selon laquelle le fonctionnaire bénéficiant d'un congé de longue durée dispose d'un délai maximum de quatre ans suivant la date de la première constatation médicale de la maladie pour faire reconnaître l'imputabilité au service de l'affection ayant motivé l'octroi du congé de longue durée, n'est pas applicable aux fonctionnaires territoriaux, lesquels ne sont enfermés dans aucun délai pour effectuer une telle démarche. En effet, d'une part le délai de quatre ans a été fixé par l'art. 32 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986 pris pour l'application des art. 34 et 35 de la loi du 11 janvier 1984 qui ne concernent que la fonction publique d'Etat, d'autre part, les dispositions de l'art. 23 du décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ont été prises pour l'application des art. 57 et 58 de la même loi qui ne visent que les fonctionnaires territoriaux.

(Avis, 5 avril 2019, M. X., n° 426281)

 

50 - Orpheline majeure atteinte d'une infirmité – Demande d'octroi d'une pension de réversion – Conditions d'appréciation de la notion de "charge effective" – Revenus pris en considération – Exclusion des pensions ou allocations perçues du fait de l'infirmité – Annulation pour erreur de droit, du jugement de première instance.

La requérante avait demandé en vain au TA de Nice l'annulation de la décision du ministre de la défense refusant de lui octroyer, par suite du décès de son père, une pension de réversion en tant qu'orpheline majeure infirme.

Le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi, déduit des dispositions de l'art. 40 du code des pensions civiles et militaires de retraite que pour pouvoir prétendre à la pension de réversion qu'elle sollicite, l'intéressée, en sa qualité d'orpheline majeure infirme, doit remplir deux conditions : être à la charge effective de son parent, titulaire de la pension, au jour de son décès et être dans l'impossibilité de gagner sa vie. C'est sur ce second point que la décision apporte une précision importante qui justifie la cassation du jugement déféré. Le juge précise, d'une part, que pour apprécier si l'orphelin infirme est à la charge effective de son parent, il convient de prendre en compte l'ensemble de ses revenus, à l'exception des pensions ou allocations qu'il perçoit du fait de son infirmité, et, d'autre part, que pour déterminer si cette infirmité l'empêche d'exercer une activité professionnelle lui permettant de subvenir à ses besoins, il convient de ne retenir que les seuls revenus d'origine professionnelle de l'orphelin.

L'examen des pièces du dossier confirmant la réunion de ces deux conditions en l'espèce, le jugement est annulé tout comme le refus ministériel initial. 

(10 avril 2019, Mme X., n° 412651)

 

51 - Engagée volontaire dans la gendarmerie nationale – Titularisation dans la fonction publique territoriale – Demande de bonifications d'ancienneté militaire – Texte applicable à la date de la titularisation – Condition de conservation de la qualité de militaire à la date de la titularisation – Absence – Cassation partielle et renvoi.

Une personne qui a effectué de 1981 à 1997 des services dans la gendarmerie nationale, est recrutée par la suite par la communauté d'agglomération requérante en qualité d'agent administratif non titulaire, puis titularisée dans le grade d'agent administratif territorial à compter du 1er janvier 2003. Elle a demandé en 2010 la prise en compte, à compter de la date de sa titularisation, de bonifications d'ancienneté militaire. Cette demande ayant été rejetée par l'intercommunalité, l'intéressée a saisi en vain le tribunal administratif d'un recours contre ce refus mais, sur son appel, la cour a fait partiellement droit à sa requête. La communauté d'agglomération se pourvoit.

Le Conseil d'Etat rappelle ici deux règles essentielles gouvernant la matière.

Tout d'abord, le droit pour un agent public, ancien militaire, à la prise en compte de ses services militaires antérieurs pour le calcul de son ancienneté est régi par les dispositions en vigueur à la date de sa titularisation dans la fonction publique civile. Ainsi, bien que la loi du 24 mars 2005 portant statut général des militaires soit antérieure à la demande de la fonctionnaire, formée le 7 avril 2010, c'est cependant celle du 13 juillet 1972 qui doit être appliquée car c'est celle en vigueur au 1er janvier 2003, date de sa titularisation.

Ensuite, et cette seconde condition peut paraître sévère, le droit pour le militaire de bénéficier d'une reprise d'ancienneté est subordonné à l'obligation qu'il ait encore la qualité de militaire au moment où il a été nommé dans la fonction publique civile. Tel n'est pas le cas de la personne qui, à cette date, avait demandé sa radiation des cadres de l'armée et n'avait pas été placée en position de détachement durant la période précédant son intégration ou sa titularisation.

(10 avril 2019, Communauté d'agglomération du Puy-en-Velay, n° 413252)

 

Hiérarchie des normes

 

52 - Droit du travail – Modalités d’approbation des accords dans les très petites entreprises – Décret du 26 décembre 2017 – Juridicité de l’art. L. 2232-21 du code du travail – Contestation d’une ordonnance ratifiée – Incompétence du juge administratif – Invocations des conventions internationales n° 98 et 135 de l’OIT ainsi que de la convention EDH – Étendue du pouvoir réglementaire d’application d’une loi – Rejet.

Les quatre syndicats requérants attaquaient pour excès de pouvoir un décret du 26 décembre 2017 instituant des règles particulières d’approbation des accords collectifs d’entreprises, d’une part dans celles des entreprises dont l'effectif habituel est inférieur à onze salariés, d’autre part dans celles des entreprises dont l'effectif habituel est compris entre onze et vingt salariés, en l'absence de membre élu de la délégation du personnel du comité social et économique.

À cette fin, outre des arguments de forme (contreseing du décret et version du texte soumise à la consultation du Conseil d’Etat) étaient surtout développés des arguments tenant à la hiérarchie des normes. Ils sont tous rejetés par le juge.

En premier lieu, le Conseil d’Etat ne pouvait être saisi d’articles du code du travail, issus de l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective, car cette ordonnance ayant été ratifiée, ses dispositions revêtent désormais une nature législative ; elles ne peuvent donc plus être contestées qu’à travers une question prioritaire de constitutionnalité non soulevée en la présente espèce.

En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que ce décret porterait atteinte à l’art. 4  de la convention internationale du travail n° 98 concernant l'application des principes du droit d'organisation et de négociation collective ne peut être retenu car cette stipulation n’ayant pas d’effet direct suppose la prise d’actes complémentaires tout comme le point 6 de l’art. 19 de la constitution de l'Organisation internationale du travail, lequel ne constitue qu’une recommandation sans caractère contraignant ; il en va de même de la recommandation n° 91 du 29 juin 1951 de l'Organisation internationale du travail concernant les conventions collectives.

En troisième lieu, ne pouvait être davantage invoqué l'article 5 de la convention internationale du travail n° 135 concernant la protection des représentants des travailleurs dans l'entreprise et les facilités à leur accorder car les articles L. 2232-21 à L. 2232-23 du code du travail et celles du décret attaqué ne peuvent trouver à s'appliquer dans des entreprises comptant à la fois des représentants syndicaux et des représentants élus du personnel, d’où il suit que ces dispositions ne portent pas atteinte à la stipulation conventionnelle invoquée.

En quatrième lieu, loin de violer, comme le prétendent les requérants, les dispositions de l’art. 11 § 1 de la convention EDH, les articles attaqués s’efforcent au contraire de développer les accords dans les petites entreprises en palliant l'absence fréquente de représentants des salariés pouvant participer à leur négociation. C’est d’ailleurs pourquoi les dispositions attaquées ne prévoient, dans les entreprises de moins de onze salariés, auxquelles ne s'appliquent pas les obligations relatives aux institutions représentatives du personnel, la possibilité pour l'employeur de soumettre un projet d'accord à la consultation du personnel que si l'entreprise est dépourvue de délégué syndical. Pareillement, dans les entreprises de onze à vingt salariés, il résulte des dispositions combinées des articles L. 2232-23 et L. 2232-23-1 du même code que cette possibilité n'est ouverte qu'en l'absence tant de délégué syndical que de membre élu de la délégation du personnel du comité social et économique et qu'elle ne fait pas obstacle à la négociation et à la conclusion d'un accord d'entreprise avec un ou plusieurs salariés expressément mandatés par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans la branche ou, à défaut, au niveau national et interprofessionnel.

Enfin, ne saurait être non plus retenu le moyen tiré de ce que c’est à tort que le pouvoir réglementaire se serait vu confier le soin de fixer les conditions d'application de l’art. L. 2232-21 du code du travail, qui précise que la consultation du personnel est organisée à l'issue d'un délai minimum de quinze jours courant à compter de la communication à chaque salarié du projet d'accord, et en particulier les modalités d'organisation de cette consultation, car il résulte d’une décision du Conseil constitutionnel ( n° 2018-761 DC du 21 mars 2018) que s’impose à une telle consultation l’obligation de respecter les principes généraux du droit électoral ce qui est effectivement le cas des dispositions critiquées.

(1er avril 2019, Confédération générale du travail-Force ouvrière, n° 417652, Confédération générale du travail, n° 418525, Confédération française démocratique du travail, n° 418619 et Union syndicale Solidaires, n° 418673)

 

Libertés fondamentales

 

53 - Référé suspension – Décret du 30 janvier 2019 – Modalités d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille – Création d'un traitement de données à caractère personnel relatif à ces personnes – Rejet.

On signalera au lecteur cette importante ordonnance de référé dont la longueur et la diversité des moyens y abordés ne permettent pas qu’elle soit rapportée dans cette chronique de jurisprudence.

Le décret dont la suspension était sollicitée d’abord et l’annulation demandée ensuite régissent le traitement de personnes se disant mineures et sans attaches familiales à cet instant.

Les quatorze associations requérantes développaient dix moyens au soutien de leurs demandes tandis que le Conseil national des barreaux invoquait des moyens, de forme et de fond, propres. Tous sont rejetés en l’état du dossier par le juge du référé qui est, il faut le rappeler, un juge de l’urgence et un juge du provisoire. Ceci enserre donc étroitement ses pouvoirs de décision.

On remarquera le caractère fouillé des analyses menées pour chacun des moyens soulevés, les précautions prises pour exprimer parfois davantage des sentiments que des certitudes, une certaine confiance dans les administrations, d’Etat et locale, concernées.

L’ampleur de la question, son caractère récurrent, un certain sentiment relatif d’impuissance ainsi que l'aspect dramatique, au plan humain, de certaines situations constituent un tableau clinique sans doute assez troublant pour un exercice serein de la justice. C’est à cette aune qu’il faut mesurer et comprendre cette ordonnance.

(3 avril 2019, Unicef France et autres, n° 428477 et Conseil national des barreaux, n° 428831)

 

54 - Étranger – Demande d’asile – Palestinien – Étranger se trouvant sur un territoire où coexistent plusieurs autorités compétentes – Nécessité d’apprécier l’allégation de persécutions distinctement au regard de chacune des autorités – Omission – Annulation.

La Cour nationale du droit d’asile refuse à un ressortissant palestinien la protection asilaire motif pris de ce qu’il résulte de l'accord intérimaire israélo-palestinien " Oslo II " (septembre 1995) que la ville de Qalqilya, où résidait habituellement le requérant, fait partie de la zone A de la Cisjordanie. Or, observe la Cour, dans cette zone, " tous les pouvoirs et responsabilités du domaine civil ont été transférés à l'Autorité palestinienne ", qui est notamment " responsable de la sécurité interne et de l'ordre public ". Cette argumentation ne convainc pas le Conseil d’Etat qui reproche à la Cour d’avoir omis de relever que le même accord prévoit également que, dans la zone A de la Cisjordanie, " Israël restera responsable de la défense extérieure, (...), tout comme de la sécurité globale des Israéliens et des colonies, aux fins de protéger la sécurité intérieure et l'ordre public, et [qu'] à cette fin, elle aura tout pouvoir pour prendre les mesures qu'elle jugera nécessaires ".

Ainsi, en jugeant que les craintes du requérant devaient être examinées en prenant en compte, comme autorité exerçant effectivement les prérogatives liées au pouvoir, la seule Autorité palestinienne, alors que l'accord intérimaire Oslo II confie aussi, dans la zone A de la Cisjordanie, des prérogatives liées au pouvoir à Israël, la Cour nationale du droit d'asile a entaché sa décision d'erreur de droit. 

(24 avril, M. X., n° 408992)

 

55 - Étrangers – Demandeurs d’asile – Changement de législation – Date d’effet – Absence de rétroactivité – Décisions relatives à la suspension et au rétablissement de conditions matérielles d'accueil des demandeurs d’asile antérieures à la loi du 10 septembre 2018 – Application du régime institué par la loi du 29 juillet 2015.

Le Conseil d’Etat dit pour droit que les dispositions du I de l'article 13 de la loi du 10 septembre 2018 qui ont modifié l'art. L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction résultant de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, ne sont entrées en vigueur que le 1er janvier 2019. Il suit de là que le contentieux relatif aux modifications, suspensions ou abrogations de décisions initiales prises antérieurement à cette date continuent d’être régies par les seules dispositions de la loi de 2015 en ce qui concerne le bénéfice des conditions matérielles d’accueil.

(17 avril 2019, M. X., n° 428314 ; v., du même jour et avec même solution : M. X., n° 428358 ; M.X., n° 428749 ; v. aussi, du même jour, pour une décision de rejet compte tenu des circonstances et de leur chronologie :  M. X., n° 428359 ; pour une affaire portant sur une question voisine, voir : M. et Mme X., n° 429231)

 

56 - Droit au respect de la vie privée et familiale – Question de bioéthique – Refus d’autoriser l’exportation de gamètes – Demandeur n’étant plus, juridiquement, en âge de procréer – Atteinte justifiée par des raisons biologiques et sociales – Rejet.

Un couple se voit refuser par l’Agence de la biomédecine l’autorisation d’exporter vers l’Espagne des gamètes et des tissus germinaux congelés de l’homme du couple aux fins d'assistance médicale à la procréation, au motif qu’il n’est plus en âge de procréer. Le couple a contesté avec succès ce refus en première instance mais ce jugement a, sur appel de l’Agence de la biomédecine, était annulé ; il se pourvoit.

Le Conseil d’Etat juge que pour déterminer l'âge de procréer d'un homme, au sens et pour l'application de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, il y a lieu de se fonder, s'agissant de sa dimension strictement biologique, sur l'âge de l'intéressé à la date du recueil des gamètes et, s'agissant de sa dimension sociale, sur l'âge de celui-ci à la date du projet d'assistance médicale à la procréation. En conséquence, l’arrêt de la cour est annulé pour erreur de droit en tant qu’il se fonde, pour apprécier, du point de vue biologique, la limite d'âge de procréer, sur l'âge auquel le requérant a sollicité l'autorisation de transfert de ses gamètes et non sur celui qu'il avait à la date à laquelle il a été procédé à leur recueil.

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat observe tout d’abord qu’en raison du large consensus existant dans la communauté scientifique sur ce sujet, l’Agence de la biomédecine a pu raisonnablement fixer à 59 ans l’âge limite pour procréer en raison de la gravité des incidences pour l’enfant et pour la grossesse des conceptions au-delà de cet âge. Il constate ensuite que l’intéressé avait 61 et 63 ans au moment du prélèvement et de la congélation de ses gamètes. Le refus opposé par l’Agence n’était donc pas irrégulier de ce chef.

Examinant ensuite, le grief d’atteinte excessive à la vie privée et familiale du couple résultant de ce refus, le juge  relève qu’en raison des risques d'anomalies à la naissance et de maladies génétiques, le refus d'exportation de gamètes opposé à M. X., ne peut être regardé, eu égard aux finalités d'intérêt général que ces dispositions poursuivent et en l'absence de circonstances particulières propres au cas d'espèce, comme constituant une ingérence excessive dans l'exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale.

Le pourvoi est, logiquement, rejeté.

(17 avril 2019, M. et Mme X., n° 420468 ; du même jour et dans le même sens : M. et Mme X., n° 420469)

 

57 - Établissements pénitentiaires – Conditions de détention attentatoires à la dignité des personnes – Pouvoirs et office du juge des référés de l'art. L. 521-2 CJA – Nécessité de n'ordonner que des mesures pouvant être réalisées d'urgence ou à bref délai – Possibilité, par une mesure ultérieure prise à brève échéance, de prescrire des mesures complémentaires de celles figurant dans la première ordonnance – Prise en considération des efforts antérieurs de l'administration, des conditions actuelles, des moyens disponibles et de la proximité d'intervention d'autres mesures à venir.

L'association requérante avait sollicité du juge des référés du tribunal administratif de la Guyane que soient ordonnées diverses mesures d'hygiène, de respect de la dignité des personnes, de la prise en considération des mères emprisonnées avec leurs très jeunes enfants, de cessation de l'administration forcée de sédatifs, de lutte contre les nuisibles, etc.

Estimant n'avoir obtenu que partiellement satisfaction, elle saisit le Conseil d'Etat qui, tout à la fois, confirme nombre de mesures déjà ordonnées, en annule d'autres et prescrit, à son tour, de nouvelles mesures.

Sans entrer dans le détail de chacun des points examinés dans cette longue décision, doit être précisée la minutie avec laquelle les faits allégués sont examinés et appréciés in concreto ; semblablement, est poussée à son maximum l'extension de la notion d'office du juge "Eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis à vis de l'administration". C'est cette considération qui a déterminé le Conseil d'Etat, à partir de la décision d'assemblée Hardouin (17 février 1995, Rec. Lebon p. 82), à réduire à presque rien la catégorie des mesures d'ordre intérieur puisque, en prison, l'"intérieur" est toute la vie du détenu.

Le réalisme a aussi ses droits car le juge tient le plus grand compte des efforts antérieurs de l'administration pour remédier à certaines difficultés, des conditions actuelles de vie offertes aux détenus, des moyens notamment financiers dont peut bénéficier l'administration pour réaliser les travaux, aménagements et autres, jugés absolument nécessaires ainsi que de la proximité d'intervention d'autres mesures à venir déjà prises et réellement programmées.

C'est l'occasion de saluer la réussite qu'aura été la loi du 30 juin 2000 - sur les procédures d'urgence - pour un juge administratif souvent brocardé jusque-là pour sa faible réactivité et son inefficacité relative en matière de référé. Au contraire, la présente décision, qui n'est qu'une illustration parmi plusieurs centaines d'autres, montre l'aptitude remarquable de ce juge à combiner célérité, réalisme et efficacité, de surcroît dans un domaine où les choses ne sont pas toujours très faciles à réaliser.

(Ord. réf. 4 avril 2019, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 428747)

 

58 - Attroupements (art. L. 431-3 code pénal) – Dissipation d’attroupements – Régime (art. L. 211-9 code de la sécurité intérieure ou CSI) – Usage d’armes par les autorités et agents chargés de disperser les manifestants – Conditions légales très restrictives (art. L. 435-1 code pénal) – Exigence de proportionnalité – Conciliation entre maintien de l’ordre et respect des libertés – Refus de renvoyer une QPC – Rejet.

Les requérants sollicitaient l’annulation des décisions du ministre de l'intérieur refusant de mettre fin à l'utilisation du lanceur de balles de défense de 40 mm lors d’opérations de maintien de l'ordre et autorisant son usage lors des manifestations de janvier et février 2019. Ils demandaient également le renvoi d’une QPC concernant la constitutionnalité des art. 431-3 et 435-1 du code pénal et de l’art. L. 211-9 du CSI.

Ces dispositions définissent la notion d’attroupement et son régime juridique ainsi que les conditions du recours, par les forces de l’ordre, à l’usage des armes contestées par les requérants.

Le Conseil d’Etat, après avoir relevé la précision et la clarté de la définition, la subordination de l’usage de ces armes à la double condition de se trouver dans une situation « d’absolue nécessité » et de le faire « de manière strictement proportionnée », examine les griefs d’inconstitutionnalité : incompétence négative du législateur, atteinte excessive au droit d'expression collective des idées et des opinions ainsi qu’à la  liberté de manifester, illégalité d’un régime particulier aux attroupements.

Ces différents arguments sont rejetés dans la mesure où le législateur a pris des dispositions traduisant l’usage complet de ses prérogatives, du fait du caractère très strict des possibilités d’usage de ces armes par les forces de maintien de l’ordre ; enfin, les caractéristiques juridiques et de fait propres à tout attroupement, défini comme « un rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public », justifie le choix législatif d’un traitement spécifique.

La question de constitutionnalité n’est ni nouvelle ni de caractère sérieux, son renvoi est refusé.

(12 avril 2019, Ligue des droits de l'homme, n° 427638 ; CGT et autres, n° 428895)

 

59 - Patient en état pauci-relationnel – Patient hors d’état de manifester sa volonté et n’ayant pas donné d’instructions antérieurement à l’advenue de son état végétatif – Procédure collégiale préalable à l’arrêt des traitements – Majeur protégé – Obligation de consulter le tuteur subrogé – Dispositions du code de la santé publique (CSP) l’emportant sur celles du code civil en l’absence de besoin de représenter le patient – Invocation irrelevante des articles 454 et 459 du Code civil – Rejet.

Dans cet énième épisode de ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Vincent Lambert », était posée, entre autres, une importante question de droit. Alors qu’était engagée la procédure collégiale préalable à la décision d'arrêt des traitements, il est allégué, d’une part, que le tuteur subrogé du patient, majeur protégé, aurait dû être consulté à la place de la tutrice, en application de l'article 454 du code civil, compte tenu des positions prises par cette dernière en faveur de l'arrêt des traitements et, d'autre part, que le juge des tutelles aurait dû donner son autorisation en application de l'article 459 de ce code.

Pour rejeter cet argument, le Conseil d’Etat estime qu’il résulte de diverses dispositions du CSP que lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté et qu'il n'a pas rédigé de directives anticipées, la procédure collégiale vise à recueillir l'avis de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches, ainsi que, le cas échéant, de son ou ses tuteurs, préalablement à la décision éventuelle d'arrêt de traitement qui n'est prise que par le médecin. Dès lors cette procédure n’a pas pour objet d’entendre la personne qui, en droit, représente le patient en application des dispositions du code civil, mais seulement de recueillir l'avis des personnes les plus proches du patient pour aider le médecin à se forger une conviction. C’est pourquoi la tutrice a été entendue seulement en tant que parente du patient. Par suite, ne sauraient être invoqués en ce cas ni les art. 454 et 459 du Code civil, ni, par suite, le rôle dévolu au subrogé tuteur et la nnécessité d'une autorisation du juge des tutelles.

Le juge administratif évacue un peu prestement l’objection soulevée surtout alors que le patient n’avait exprimé aucune volonté, celle-ci ressortissant donc désormais du subrogé tuteur. À ce titre peut être discutée l’impartialité des conditions de déroulement de la procédure collégiale.

Enfin demeure l'inexactitude ici de l'expressoion "arrêt du traitement" dans la mesure où il ne s'agit pas d'interrompre des soins mais de cesser d'alimenter le patient.

(24 avril 2019, M. X., n° 427422 ; v. aussi, du même jour et avec même solution :  M. X., n° 428117)

 

 Police

 

60 – Police spéciale – Police des films – Film à caractère documentaire – Régime particulier applicable – Interdiction aux mineurs de dix-huit ans – Scènes de violence mais non de très grande violence - Annulation de l'arrêt d'appel sur ce point.

La ministre de la culture a délivré un visa d'exploitation au film documentaire intitulé "Salafistes ", assorti d'une interdiction de représentation publique aux mineurs de dix-huit ans et de l'avertissement suivant : " Ce film contient des propos et des images extrêmement violents et intolérants susceptibles de heurter le public ". La Sarl Margo cinéma, productrice du film, a demandé et obtenu l'annulation de la mesure d'interdiction aux mineurs de dix-huit ans. Sur appel de la ministre, la cour administrative d'appel a annulé ce jugement. L'arrêt est frappé de pourvoi par la Sarl Margo Cinéma. Le Conseil d'Etat donne raison à cette dernière.

Rappelant qu'en la matière le ministre de la culture détient un pouvoir de police spéciale pour la protection des mineurs et de la dignité de la personne humaine et que ce pouvoir est placé sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir qui prend essentiellement la forme d'un contrôle de proportionnalité de la mesure prise, le Conseil d'Etat indique aussi qu'en matière de scènes de violence il convient de distinguer film et documentaire car la manière dont elles sont filmées est importante. En particulier, seront retenus, d'une part, l'effet que les images cherchent à produire sur le spectateur, notamment si elles sont de nature à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser, et d'autre part, toute caractéristique permettant d'apprécier la mise à distance de la violence et d'en relativiser l'impact sur la jeunesse. Dans le cadre d'un documentaire retraçant la réalité et non une fiction, les considérations tirées de la liberté, constitutionnelle et conventionnelle, d'information doivent être privilégiées.

Se livrant à une micro-analyse particulièrement fouillée des scènes les plus dures par leur cruauté, le juge en conclut que si elles sont incontestablement "violentes", l'avertissement introductif du document et l'hommage final qu'il comporte, joints aux libertés en cause, excluent qu'elles puissent être qualifiées de "très grande violence" au sens et pour l'application du 4° de l'art. R. 211-12 du code du cinéma et de l'image animée.

Une décision qui devrait faire date par son équilibre, la finesse d'analyse et la justesse du raisonnement.

(5 avril 2019, Sarl Margo Cinéma, n° 417343)

 

61 – Police spéciale - Police de l’eau – Ouvrage d’eau (moulin) fondé en titre – Applicabilité des art.  L. 214-1 à L. 214-11 du code de l’environnement – Énergie hydraulique – Abrogation de l’autorisation d’usage de l’eau – Conditions – Force motrice d’un cours d’eau devenue inutilisable – Absence – Annulation de l’arrêt d’appel.

Les requérants, propriétaires-exploitants du moulin du Bœuf à Bellenod-sur-Seine, ont demandé en vain, en première instance et en appel, d’une part, l’annulation d’un arrêté préfectoral de 2013 abrogeant un arrêté de 1876 portant règlement d'eau du moulin du Bœuf et les obligeant à remettre le site en état et, d’autre part, la déclaration  d’existence qu’un droit de prise d'eau fondé en titre est attaché au moulin du Bœuf.

Ils saisissent le juge de cassation qui va accueillir leur demande en son principal.

Le Conseil d’Etat rappelle le cadre juridique du litige qui lui est soumis.

Tout d’abord, il résulte des dispositions de l'art. L. 211-1 du code de l'environnement « que la valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource constitue l'un des objectifs de la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau dont les autorités administratives chargées de la police de l'eau doivent assurer le respect ». En conséquence, il est jugé « qu’il appartient à l'autorité administrative compétente, lorsqu'elle autorise au titre de cette police de l'eau des installations ou ouvrages de production d'énergie hydraulique, de concilier ces différents objectifs dont la préservation du patrimoine hydraulique et en particulier des moulins aménagés pour l'utilisation de la force hydraulique des cours d'eau, compte tenu du potentiel de production électrique propre à chaque installation ou ouvrage ».

Ensuite, il se déduit du 4° du II de l'art. L. 214-4 du code de l'environnement que l'autorité compétente ne peut abroger une autorisation d'installation ou d'ouvrage de production d'énergie hydraulique sur ce fondement que si l'ouvrage ou l'installation en cause est abandonné ou présente un défaut d'entretien régulier, lequel doit être dûment caractérisé.

S’agissant d’une question de plein contentieux, le juge saisi du bien-fondé d'une telle abrogation statue au vu de la situation existante à la date de sa décision.

Enfin, du II et du VI combinés de l’art. L. 214-6 du code de l’environnement il découle qu’entrent dans leur champ d’application les installations hydrauliques qui, autorisées à la date du 18 octobre 1919 et dont la puissance ne dépasse pas 150 kilowatts, demeurent autorisées. Ceci implique donc ipso facto qu’elles sont soumises, pour leur exploitation, aux dispositions des articles L. 214-1 à L. 214-11 du code de l'environnement qui définissent le régime de la police de l'eau, notamment à celles qui fixent les conditions dans lesquelles, en vertu de l'article L. 214-4, l'autorisation peut être abrogée ou modifiée sans indemnisation. Cependant, le juge fait intervenir ici une distinction essentielle. Si les autorisations délivrées avant le 18 octobre 1919 réglementaient des droits à l'usage de l'eau qui avaient la nature de droits réels immobiliers antérieurement acquis par les propriétaires des installations hydrauliques, le droit à l'usage de l'eau, distinct de l'autorisation de fonctionnement de l'installation mais attaché à cette installation, ne se perd que lorsque la force motrice du cours d'eau n'est plus susceptible d'être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d'affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d'eau.

Par suite inéluctable, l'abrogation de l'autorisation susceptible d'être prononcée sur le fondement du II de l'article L. 214-4 précité du code de l'environnement est ainsi sans incidence sur le maintien du droit d'usage de l'eau attaché à l'installation. 

Procédant alors à l’examen des faits propres à l’espèce et constatant que la cour administrative d’appel a elle-même souverainement estimé « que si les dégradations ayant par le passé affecté le barrage et les vannes ont eu pour conséquence une modification ponctuelle du lit naturel du cours d'eau, des travaux ont été réalisés par les propriétaires du moulin afin de retirer les végétaux, alluvions, pierres et débris entravant le barrage et de nettoyer les chambres d'eau et la chute du moulin des pierres et débris qui les encombraient, permettant à l'eau d'y circuler librement avec une hauteur de chute de quarante-cinq centimètres entre l'amont et l'aval du moulin, où une roue et une vanne récentes ont été installées », le Conseil d'Etat juge que c’est par une qualification juridique erronée des faits que la cour a considéré que ces éléments caractérisaient un défaut d'entretien régulier des installations de ce moulin à la date de son arrêt, justifiant l'abrogation de l'autorisation d'exploitation du moulin distincte, ainsi que du droit d'usage de l'eau. Nous pensons qu’en réalité aurait pu être soulevée une véritable contradiction entre les motifs de l’arrêt.

Pour finir, c’est en commettant une erreur de droit que la cour a cru pouvoir rejeter  le moyen tiré de ce que le préfet, en abrogeant le règlement d'eau de 1876 du moulin des requérants, aurait méconnu l'objectif de valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable, en se fondant sur le fait qu’en raison de la faible puissance du moulin du Bœuf, évaluée à 49,2 kilowatts, la perte du potentiel théorique mobilisable de ce moulin était minime à l'échelle du bassin de la Seine. En effet, il ne résulte d’aucune disposition du droit positif ici applicable que celui-ci obligerait à apprécier le potentiel de production électrique d'une installation à l'échelle du bassin du cours d'eau concerné, alors surtout, qu’il est établi que la puissance potentielle du moulin du Bœuf correspond à la production électrique moyenne d'un moulin.

(11 avril 2019, M. X. et Mme Y., n° 414211 ; sur un aspect voisin, à propos du titre d’usage d’eau du moulin de Berdoues sur la Baïse : 24 avril 2019, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 430764)                              

 

Procédure contentieuse

 

62 - Jugement ordonnant la réintégration d’un agent public – Inexécution – Condamnation à astreinte – Liquidation de l’astreinte jusqu’à la date de la décision de justice – Majoration de son montant à compter de cette date.

Affaire exemplaire où l’on voit le ministre qui en est chargé s’obstiner à ne pas exécuter une décision du Conseil d’Etat ordonnant la réintégration d’un comptable public irrégulièrement évincé de son emploi. Est ici liquidée une astreinte de cent euros par jour, soit, au 1er avril 2019, 20 800 euros et, pour le futur, son montant est porté à cinq cents euros « compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment du mauvais vouloir persistant opposé par le ministre de l'action et des comptes publics » ainsi que le relève le juge quelque peu excédé. Pour faire bonne mesure, l’Etat doit aussi verser trois mille euros au titre de l’art. L. 761-1 CJA. Ce serait de bonne moralité et de saine justice que le ministre concerné solde cette dette au moyen de ses deniers propres et non de ceux des lecteurs et de l’auteur de cette chronique.

(1er avril 2019, M. X., n° 405532)

 

63 - Jurisprudence Czabaj – Application à un titre exécutoire – Titre assorti par la suite d’une lettre de rappel – Actes distincts au regard de la règle du délai raisonnable pour saisir le juge.

En vertu d’une jurisprudence désormais bien établie (Assemblée, 13 juillet 2016, M. Czabaj, Rec. Lebon p. 340), fondée sur le principe de sécurité juridique, les décisions notifiées aux administrés sans les mentions requises des voies et délais de recours qui jusqu’alors pouvaient être déférées au juge sans condition de délai, ne peuvent plus l’être que dans le « délai raisonnable » d’un an sauf circonstances particulières.

Cette règle prétorienne est étendue ici aux titres exécutoires.

Ce jugeant, la décision annule l’arrêt d’appel pour erreur de droit.

En effet, le titre exécutoire, du 12 septembre 2011, a fait l’objet d’une lettre de rappel le 2 novembre 2011, lettre contestée par la société destinataire. De là la cour avait conclu qu’en contestant cette lettre la société avait entendu contester le bien-fondé du titre exécutoire et son obligation de payer la redevance litigieuse d’autant qu’elle ne pouvait savoir avant le 1er décembre 2015 que ce recours serait rejeté comme irrecevable.

Le juge de cassation rappelle que le titre et la lettre sont deux actes distincts tendant à des fins différentes ; la contestation du second d’entre eux dans les deux mois de sa réception n’a pas pour effet de prolonger au-delà d’une année le délai du recours contentieux contre le titre exécutoire, premier de ces actes, sa contestation étant enfermée dans le strict délai d’un an (9 mars 2018, Communauté d'agglomération du pays ajaccien, n° 401386).

(16 avril 2019, Communauté d'agglomération de Saint-Quentin en Yvelines, n° 422004)

 

64 - Retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne – Ressortissants britanniques résidant régulièrement en France à la date du retrait du Royaume-Uni – Droit au séjour – Absence d’urgence justifiant le recours à un référé suspension.

Les requérants sollicitaient la suspension du décret n° 2019-264 du 2 avril 2019 pris pour l'application de l'ordonnance n° 2019-76 du 6 février 2019 portant diverses mesures relatives à l'entrée, au séjour, aux droits sociaux et à l'activité professionnelle applicables en cas d'absence d'accord sur le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Leur demande est rejetée faute d’urgence. En effet, d'une part, le deuxième alinéa de l'article 1er du décret attaqué dispose que les ressortissants britanniques résidant régulièrement en France à la date du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne conserveront leur droit au séjour pendant une durée d'un an à compter de l'entrée en vigueur du décret, soit jusqu’au 1er novembre 2020 et, d'autre part, les articles 21 de l'ordonnance n° 2019-76 du 6 février 2019 et 1er de la décision (UE) 2019-584 du 11 avril 2019, font que le décret n° 2019-264 n'entrera pas en vigueur avant le 1er novembre 2019.

(Ord. réf., 12 avril 2019, M. X. et autres, n° 429439)

 

65 - Intérêt pour agir en excès de pouvoir – Polynésie française – Membre du conseil économique et social de Polynésie française – Fonctionnaire de Polynésie française – Contestation de « lois de pays » – Absence d’intérêt pour agir – Irrecevabilité.

M. X. a saisi le Conseil d’Etat de requêtes tendant à faire déclarer non conformes à la loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française la " loi du pays " relative aux conditions d'échange d'informations dans le cadre de l'octroi d'aides légales et extralégales pour un meilleur suivi des populations, la " loi du pays " portant diverses mesures applicables aux personnels des autorités administratives indépendantes et la " loi du pays " portant suppression des droits à congés administratifs dans la fonction publique de la Polynésie française. Le requérant, qui ne se prévaut que de sa seule qualité de membre du conseil économique, social et culturel de Polynésie, n’a pas d’intérêt pour attaquer des textes qui, d’une part, ne portent que sur la fonction publique, d’autre part, ne supposent, à aucun titre, l’intervention, même à titre consultatif, de ce conseil.

Quant à Mme Y., elle ne saurait exciper de sa seule qualité de fonctionnaire de Polynésie pour prétendre contester en justice une « loi de pays » portant diverses mesures applicables aux personnels des autorités administratives indépendantes, alors qu’elle n’est pas membre de la seule AAI polynésienne existant à ce jour.

(12 avril 2019, M. X., n° 427062, n° 427063 et 427065, et Mme Y., n° 427200)

 

66 - Clôture de l’instruction (art. R. 613-1 CJA) – Possibilité de modification sous réserve d’une information suffisante – Respect du contradictoire – Absence en l’espèce – Cassation.

Doit être cassée pour non-respect du principe du caractère contradictoire de la procédure contentieuse, l’ordonnance d’appel qui, après information des parties, par une ordonnance du 20 juillet 2017 notifiée le même jour, que la clôture de l'instruction de l'appel avait été fixée au 7 septembre 2017 à 16 heures, rejette le 1er septembre 2017 l’appel formé.

(1er avril 2019, M. X., n° 417927 ; voisin et dans le même sens mutatis mutandis, voir : 1eravril 2019, M. X., n° 422807)

 

67 - Compétence matérielle de la juridiction administrative – Demande d’adoption par le Conseil constitutionnel, d’un règlement intérieur sur les lobbies intervenant auprès de lui – Décision implicite de rejet par le Conseil constitutionnel – Saisine du juge administratif – Incompétence pour connaître d’une telle demande.

L’association requérante, soucieuse de l’action de lobbying exercée par un certain nombre d’intérêts sur les décisions des juridictions suprêmes, a souhaité faire instaurer une certaine transparence en la matière. Elle a demandé que les documents relatifs à ces interventions lui soient fournis et que soit adopté par le Conseil constitutionnel un règlement intérieur en ce sens.

Le refus implicite de ce dernier, résultant du silence gardé sur cette demande, a conduit la requérante à emprunter audacieusement la voie de la saisine du juge administratif sur le fondement de l’excès de pouvoir ainsi commis.

L’action n’avait guère de chance de prospérer et c’est sans surprise que le Conseil d’Etat s’est déclaré incompétent pour en connaître ainsi qu’il en va, selon une jurisprudence constante, pour les archives ou le règlement intérieur du Conseil constitutionnel. D’où la formule bien connue selon laquelle « il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître des actes qui se rattachent à l'exercice par le Conseil constitutionnel des missions qui lui sont confiées par la Constitution ou par des lois organiques prises sur son fondement ».

Reste que ce recours pose une question fondamentale, déjà soulevée, on le sait par le poète satirique Juvénal, au Ier siècle de notre ère, avec son célèbre « Quid custodiet ipsos custodos » (Satires, VI, 48-49). Comment s’assurer qu’Etat de droit, hiérarchie des normes, impartialité du juge, etc. ne sont pas qu'un théâtre d’illusions destiné seulement à donner au peuple des raisons nobles d’obéir, selon la belle formule inspirée d’H. Arendt ?

(11 avril 2019, Association Les Amis de la Terre France, n° 425063)

 

68 - Principe d’impartialité des juridictions – Magistrat ayant rendu un jugement annulé par la suite par le Conseil d’Etat – Renvoi de l’affaire au même tribunal administratif – Magistrat ayant précédemment statué, statuant à nouveau en qualité de juge du référé – Absence de texte ou de principe général de procédure en sens contraire – Procédure régulière.

Dans une affaire qui, au principal, est relative à une demande d’annulation du permis de construire 7 bâtiments comportant au total 226 logements, le Conseil d’Etat aborde deux questions de procédure.

La première et la plus importante concerne la règle dite d’impartialité objective.

Il était reproché à un magistrat de tribunal administratif qui avait siégé dans une formation collégiale de ce tribunal dans le cadre d’un recours formé contre une décision de l’administration et dont le jugement avait été annulé, de statuer à nouveau dans cette affaire – renvoyée au tribunal par le Conseil d’Etat après qu’il l’a annulée – en qualité de juge du référé suspension.  L’argument est rejeté car «  en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires fixant les conditions dans lesquelles il doit être statué après l'annulation d'une décision de justice, ni le devoir d'impartialité qui s'impose à toute juridiction, ni aucune autre règle générale de procédure ne s'oppose » à ce qu’il soit procédé comme en l’espèce. Par suite, n’est pas irrégulière l’ordonnance ainsi rendue et, en particulier, elle ne méconnait pas les exigences découlant du principe d'impartialité.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat, qui avait annulé le premier jugement pour omission de répondre à un moyen qui n’était pas inopérant, rappelle que, ce jugeant, il ne s’était pas prononcé sur le mérite du moyen omis. Constater qu’un moyen n’est pas inopérant n’est donc pas équivalent à le reconnaitre comme fondé et justifiant ainsi une annulation.

(8 avril 2019, Association " Koenigshoffen Demain ", n° 426820)

 

69 - Cour administrative d’appel – Note en délibéré transmise après l’audience – Note non visée dans l’arrêt – Omission de réponse à moyen – Cassation avec renvoi.

Est cassé, sans grande surprise, l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, tout à la fois, omet de citer dans ses visas une note en délibéré régulièrement transmise après l’audience et omet de répondre au moyen tiré d’un détournement de pouvoir dans un litige portant sur la révocation d’un fonctionnaire de l’administration des douanes.

(24 avril 2019, M. X., n° 417658)

 

70 - Art. L. 761-1 CJA – Mise des frais non compris dans les dépens à la charge de la partie tenue aux dépens ou de la partie perdante – Cas où cet article est invoqué par une personne publique – Obligation d'établir la réalité et le montant des frais exposés – Absence – Rejet de la demande du bénéfice de cet article.

Cette décision rappelle une exigence souvent perdue de vue par les personnes publiques en matière d'allocation de la charge des frais non compris dans les dépens.

Si l'art. L. 761-1 CJA est d'application relativement aisée par les parties privées à un procès devant le juge administratif dans la mesure où elles ont constitué avocat ce qui permet d'établir le montant sollicité à ce titre, il n'en va pas de même pour les personnes publiques lorsqu'elles n'ont pas recours au ministère d'un avocat, ce qui est une situation beaucoup plus fréquente que pour les personnes privées. Il leur incombe d'établir les frais spécifiquement engagés par elles à l'occasion de l'instance. Pour ce faire, elles ne peuvent se borner à faire état d'un surcroît de travail de leurs services mais doivent indiquer de manière suffisamment précise les frais qu'a induits leur défense à l'instance. 

(8 avril 2019, M. X., n° 414179). V. aussi, du même jour, les solutions identiques : aux n°s 414181, 414182, 414183, 414184, 414185, 414186, 414188 et 414189.

 

71 - Recours pour excès de pouvoir – Principe d'indifférence du moyen d'annulation retenu – Effets de la chose jugée – Existence d'une demande principale et d'une demande subsidiaire – Hiérarchisation des demandes par le requérant – Effets sur l'office du juge – Jugement en dernier ressort faisant droit à la demande subsidiaire – Possibilité d'appel sur la demande principale.

A l'occasion d'un litige portant sur un refus de communication de documents administratifs, le Conseil d'Etat réitère mot pour mot les principes et règles contenus dans une toute récente et complexe décision de Section (cf. Section, 21 décembre 2018, Société Eden, n° 409678). Est donc rappelé ici - lorsque plusieurs motifs d'annulation sont invoqués - le principe d'indifférence du moyen d'annulation retenu par le juge puisque tout moyen invoqué par le requérant ou relevé d'office par le juge est susceptible, lorsqu'il est fondé, de conduire à l'annulation de la décision attaquée. Lorsque, cependant, la demande comportant plusieurs moyens d'annulation est assortie de conclusions à fin d'injonction, deux règles peuvent s'appliquer selon que le demandeur sollicite une injonction afin qu'il soit ordonné à l'administration de prendre une décision dans un certain délai ou dans un certain sens.

Dans le premier cas, joue le principe susrappelé : le juge choisit celui des motifs invoqués qui lui semble le plus propre à résoudre aussi complètement que possible le litige dont il a été saisi. Dans le second cas, le requérant, en sollicitant qu'il soit enjoint à l'autorité administrative de décider dans un sens déterminé, oblige par la même la juridiction saisie à examiner en premier lieu les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque les conclusions injonctoires à fin qu'il soit décidé dans un sens déterminé (art. L. 911-1 CJA) sont présentées à titre principal et les conclusions à fin qu'il soit décidé dans un certain délai (art. L. 911-2 CJA) sont présentées à titre subsidiaire.

Enfin, lorsqu'avant l'expiration du délai de recours le requérant fait choix de hiérarchiser ses demandes en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent, à titre principal, ses conclusions à fin d'annulation, il incombe au juge de l'excès de pouvoir de statuer en respectant cette hiérarchisation, c'est-à-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent à la cause juridique correspondant à la demande principale du requérant.

D'où cette double conséquence : 1°/ qu'en vertu du principe d'économie des moyens, si le juge n'estime fondé aucun des moyens assortissant la demande principale mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, il n'est tenu de se prononcer explicitement que sur ce moyen, cette solution rejetant par elle-même nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale ; 2°/  que si le tribunal administratif statuant en dernier ressort, n'a pas fait droit à sa demande principale, le requérant est recevable à se pourvoir en cassation de ce chef contre le jugement.

Naturellement, en cette hypothèse s'appliquent le principe susénoncé : le juge de cassation se prononce sur les moyens, soulevés devant lui, qui contestent les motifs, même implicites, du jugement en ce qu'il a refusé de faire droit à la demande principale.

(5 avril 2019, M. X. et autres, n° 420608)

 

72 - Référé suspension – Nécessité d’une audience publique – Intervention d’un désistement – Effet – Détermination du juge d’appel.

En principe, le juge du référé suspension, hormis le cas où il fait usage de la procédure de rejet immédiat (art. L. 522-3 CJA), doit, lorsqu’il engage la procédure contradictoire décrite à l’art. L. 522-1 CJA, la poursuivre jusqu’à son terme en tenant notamment une audience publique.

Toutefois, lorsque, postérieurement à l’engagement de cette procédure, intervient un désistement ou un évènement rendant sans objet la requête, il peut donner acte du désistement ou constater un non-lieu sans tenir d'audience. Il suit de là qu’une telle décision est susceptible d'appel devant le juge des référés du Conseil d'Etat, en application du deuxième alinéa de l'article L. 523-1 CJA.

(1er avril 2019, M. X., n° 426228)

 

73 - Requête en référé suspension d’un permis de construire – Ordonnance rendue en première instance – Saisine du Conseil d’Etat impossible lorsqu’il ne statue pas comme juge du fond.

Après que la présidente d’un tribunal administratif a rejeté sa demande d’annulation d’un permis de construire, le syndicat requérant a saisi le juge d’appel d’abord d’une demande d’annulation de ce jugement de rejet, ensuite d’une action en référé suspension de la décision d’octroi du permis querellé. Les deux requêtes du syndicat ont été transmises au Conseil d’Etat par la cour administrative d’appel. Le Conseil d’Etat rejette le recours pour un motif de procédure. En effet, il rappelle qu’il ne peut être saisi de conclusions tendant à la suspension de l’exécution d’une décision administrative que s’il peut connaitre de celle-ci en qualité de juge du fond. Or, en vertu de l’art. R. 811-1 CJA les jugements des tribunaux administratifs sur les recours dirigés contre un permis de construire sont rendus en premier et dernier ressort. D’où il suit que ne pouvant connaitre de tels jugement en qualité de juge du fond mais seulement comme juge de cassation, le Conseil d’Etat ne peut que rejeter la requête du syndicat selon la procédure expédiente de l’art. L. 522-3 CJA.

(4 avril 2019, Syndicat des copropriétaires du 39-41 avenue Faidherbe, n° 428544)

 

74 - Chirurgiens-dentistes – Inscription au tableau de l’ordre d’une  société d’exercice libéral   – Conformité des statuts de cette société d’exercice libéral ou de sa modification aux textes applicables – Contrôle ordinal - Refus d’inscription – Saisine des conseils départemental et national de l’ordre devant faire l’objet d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) – Saisine du juge de cassation avant la décision sur le RAPO – Validité – Réouverture de l’instruction en raison du caractère contradictoire de la procédure de référé.

(15 avril 2019, Société Cabinet de la Grand-Place, n° 424361) Voir n° 81

 

75 - Art. L. 4 du CJA – Caractère non suspensif des recours introduits devant le juge administratif – QPC – Existence d’un principe général du droit selon lequel  l'opposition du débiteur au titre exécutoire formée devant la juridiction compétente suspend son recouvrement forcé – Rejet.

La requérante estime contraires aux droits d’accéder à un juge et à obtenir justice, la disposition législative du CJA affirmant le caractère non suspensif des recours introduits devant une juridiction administrative et saisit le juge d’une QPC. Le Conseil d’Etat rejette cette demande au motif qu’il est toujours possible – en vertu d’un principe général du droit – de saisir le juge d’un recours contre une décision de recouvrement forcé et ce recours a toujours pour effet de suspendre ladite exécution.

(3 avril 2019, Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 425803 et n° 425804)

 

76 - Référé suspension – Demande de sursis à exécution d’un référé ordonnant la suspension d’une décision de l’autorité administrative – Risque de circulation de dispositifs médicaux non sûrs – Octroi du sursis.

Le directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a suspendu la mise sur le marché, la distribution et l'exportation des dispositifs médicaux I-Stop, I-Stop Toms, Pelvi-Stop et Parie-Stop, après le 23 novembre 2016, ou mis sur le marché sans certification de conformité CE, et ordonné le retrait de ces produits du marché.  La société fabricante a obtenu en référé la suspension partielle de cette décision.

L’Agence du médicament forme un pourvoi en cassation contre cette ordonnance ainsi qu’une demande de sursis à son exécution en raison des risques qu’elle comporte pour la santé publique.

Le Conseil d’Etat, sensible à cet argument, estime que la suspension, même si elle n’est que partielle, de la décision de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé par l'ordonnance attaquée a pour effet de maintenir à la disposition des praticiens et des acheteurs des implants chirurgicaux qui ont été fabriqués ou mis sur le marché sans disposer du marquage CE. De plus, la circonstance qu’ait été suspendu le rappel de ces dispositifs est susceptible d'entretenir la confusion sur leur licéité et expose par conséquent les patients au risque de se voir implantés de tels dispositifs non conformes. Compte tenu de la difficulté à procéder au retrait de ces implants chirurgicaux, l'exécution de l'ordonnance attaquée est ainsi susceptible d'entraîner des conséquences difficilement réparables pour la santé publique.  

L’on sait que le sursis à l’exécution d’une décision du juge administratif suppose la satisfaction d’une seconde condition, celle selon laquelle l’un au moins des moyens d’illégalité doit apparaître comme sérieux et susceptible de conduire à l’annulation du jugement. Tel est le cas en l’espèce où le juge a estimé, au prix d’une dénaturation des pièces du dossier, ne pas y avoir trouvé la justification de la décision de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Est prononcé le sursis à l’exécution de l’ordonnance attaquée

(17 avril 2019, Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, n° 427968)

 

77 - Décision de récupération d’une aide – Recours en annulation assorti d’un référé suspension – Recours en annulation du titre exécutoire émis en vue d’opérer cette récupération – Effet suspensif automatique du recours en annulation – Référé suspension irrecevable pour défaut d’objet.

(11 avril 2019, Mme X., n° 418039) Voir n° 26

 

78 - Amendes civiles en cas de rejet de certaines actions – Compétence du pouvoir réglementaire – Amendes n’étant pas des sanctions ayant le caractère de punition (art. 8 DDHC de 1789) – Mesures intervenant dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice – Mesures d’ordre public pouvant être décidées d’office par le juge civil - Rejet.

Était contestées, notamment, les dispositions du décret du 6 mai 2017 portant de 3000 à 10000 euros le montant maximum des amendes civiles en cas de rejet d’une procédure de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime.

Les requérants et une organisation professionnelle d’avocats intervenante contestaient la légalité du décret attaqué dont ils demandaient l’annulation. Leur action est rejetée en tous ses chefs d’argumentation.

C’est au pouvoir réglementaire que revient constitutionnellement la compétence pour réglementer la procédure civile comme, d’ailleurs aussi, la procédure administrative.

Ces amendes, instituées dans le souci d’une bonne administration de la justice, ne constituent aucunement des punitions ; mesures d’ordre public pour la bonne marche des procès, elles relèvent de l’office du juge.

Enfin, n’empêchant aucunement ou ne réduisant pas l’accès au juge, elles ne portent pas davantage atteinte au droit à un procès équitable.

Les requêtes sont, de manière très prévisible, rejetées.

(24 avril 2019, M. X., n° 412271 et M. X., n° 412310)

 

79 - Décisions de justice – Inexécution – Condamnation sous astreinte – Autres mesures ordonnées – Office du juge de l’exécution (art. L. 911-7, al. 1er CJA) – Possibilité pour lui seulement de revenir sur l’astreinte – Annulation de l’ordonnance.

Rappel d’un point parfois oublié des juges de l’exécution.

En l’espèce des syndicats avaient été condamnés, par ordonnance, d’une part, à libérer des locaux communaux qu’ils occupaient, d’autre part, le cas échéant, à payer une astreinte de 200 euros par jour au-delà d’un mois.

Les syndicats ne s’étant pas tout abord exécutés, la commune a saisi le juge de l’exécution sur le fondement des dispositions du 1er alinéa de l’art. L. 911-7 CJA. Ce dernier a mis purement et simplement fin à l’ordonnance dont exécution était demandée par la commune. Le Conseil d’Etat relève l’erreur de droit et le manquement du juge à son office car « Si le juge de l'exécution saisi, sur le fondement de ces dispositions (art. L. 911-7, al. 1er CJA), aux fins de liquidation d'une astreinte précédemment prononcée peut la modérer ou la supprimer, même en cas d'inexécution constatée, il n'a pas le pouvoir de remettre en cause les mesures décidées par le dispositif de la décision juridictionnelle dont l'exécution est demandée ».

(24 avril 2019, Commune de Villejuif, n° 421546)

 

80 - Référé liberté – Pouvoirs et office du juge des référés de l'art. L. 521-2 CJA – Établissements pénitentiaires – Conditions de détention attentatoires à la dignité des personnes – Nécessité de n'ordonner que des mesures pouvant être réalisées d'urgence ou à bref délai – Possibilité, par une mesure ultérieure prise à brève échéance, de prescrire des mesures complémentaires de celles figurant dans la première ordonnance – Prise en considération des efforts antérieurs de l'administration, des conditions actuelles, des moyens disponibles et de la proximité d'intervention d'autres mesures à venir.

(Ord. réf. 4 avril 2019, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 428747) Voir n°  57

 

Professions réglementées

 

81 - Chirurgiens-dentistes – Inscription au tableau de l’ordre d’une  société d’exercice libéral   – Conformité aux textes des statuts de cette société ou de leur modification– Contrôle ordinal - Refus d’inscription – Saisine des conseils départemental et national de l’ordre devant faire l’objet d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) – Saisine du juge de cassation avant la décision sur le RAPO – Validité – Réouverture de l’instruction en raison du caractère contradictoire de la procédure de référé.

La société d’exercice libéral de chirurgie dentaire requérante a demandé au tribunal administratif la suspension du refus par un conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes d’entériner ses modifications statutaires. Cette demande ayant été refusée, le Conseil d’Etat est saisi d’une demande d’annulation de cette ordonnance et d’injonction en vue que le conseil départemental reconnaisse, sous quinzaine et sous astreinte, à un praticien déterminé, la qualité d'associé professionnel exerçant et de président de la société requérante.

La décision d’un conseil ordinal se prononçant sur les modifications statutaires d’une société déjà inscrite au tableau de l’ordre est de même nature et de même portée que la décision autorisant l’inscription elle-même et elle en a les mêmes effets. 

Deux règles de procédure doivent être combinées entre elles en cas de recours contentieux.

1°/ Il résulte des art. L. 4112-4, R. 4112-5 et R. 4112-5-1 du code de la santé publique que la contestation contentieuse de la décision du conseil départemental de l’ordre refusant l’inscription au tableau de l’ordre doit d’abord être précédée d’un premier RAPO porté devant le conseil régional de l’ordre, puis, le cas échéant, d’un second RAPO devant le conseil national de l’ordre.

2°/ La décision de ce dernier conseil relève, au contentieux, de la compétence directe du Conseil d’Etat en premier et dernier ressort.

Il suit de là que le Conseil d'Etat peut être saisi d’un référé tendant à ce que l'exécution du refus d'inscription soit suspendue, alors même qu'il n'aurait pas encore été statué sur le recours administratif, sous réserve que le conseil régional soit saisi d'un tel recours, ou, s'il a statué, que sa décision ait été contestée devant le Conseil national. Lorsqu'intervient la décision du Conseil national, il appartient au requérant de présenter contre cette dernière décision, d'une part de nouvelles conclusions tendant à sa suspension, d'autre part une requête tendant à son annulation.

En l’espèce, d’une part, les conclusions par lesquelles la requérante a demandé au juge des référés du tribunal administratif de suspendre l'exécution de la décision du 28 juin 2018 du conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes relevaient de la compétence du juge des référés du Conseil d'Etat, d’autre part, par une décision du 13 décembre 2018, le Conseil national de l'ordre a rejeté le recours administratif formé par la société requérante contre la décision du conseil départemental.

Or cette dernière, qui a introduit devant le tribunal administratif de Paris une requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision, a saisi le Conseil d’Etat  de conclusions à fin de suspension. Nonobstant l’incompétence du tribunal, il appartient au Conseil d’Etat de surseoir à statuer pour rouvrir le débat contentieux afin d’assurer le respect du contradictoire sur la procédure de référé, laquelle n’est pas devenue sans objet.

 (15 avril 2019, Société Cabinet de la Grand-Place, n° 424361)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

82 - Élections relatives aux Français de l’étranger – Conseiller consulaire et conseiller à l’assemblée des Français de l’étranger – Démission d’office prononcée par le ministre – Question prioritaire de constitutionnalité – Irrégularité commise antérieurement à l’élection du démissionnaire d’office – Atteinte à l’égalité devant le suffrage – Rejet – Non renvoi de la QPC.

(1er avril 2019, M. X., n° 426806) Voir n° 40

 

83 - Sorties de détenus sous escortes (art. 148-5, 712-5 et 723-36 CPP) – Décisions autorisant ou refusant des sorties sous escortes – Absence de recours possible – Question de constitutionnalité présentant un caractère sérieux - Renvoi de la QPC.

L'association requérante sollicite l'annulation de la décision implicite de rejet par le premier ministre de sa demande d'abrogation de l'article D. 147 du code de procédure pénale, aux termes duquel : " À titre exceptionnel, l'autorisation de sortie sous escorte prévue par les articles 148-5 et 723-6 peut être accordée pour un temps déterminé à toute personne détenue (...) ". À cette fin, elle soulève une QPC tirée de ce que porteraient atteinte à des droits et libertés garantis par la Constitution les dispositions des articles 148-5, 712-5, 712-11, 712-12 et 723-6 du code de procédure pénale. 

Il résulte des art. 148-5, 712-5 et 723-36 du CPP, qui concernent les demandes d'autorisations de sortie sous escorte que tant les décisions explicites que le silence gardé sur une telle demande ne comportent pas l'organisation de voies de recours pour les personnes détenues ou mises en examen ou prévenues ou accusées.

Le Conseil d'Etat juge sérieuse la question de la constitutionnalité de ces dispositions au regard de droits ou libertés proclamés par la Constitution et décode son renvoi au juge constitutionnel.

En revanche, il rejette la demande de renvoi de la QPC en tant qu'elle est dirigée contre les art. 712-11 et 712-12 du même code. Il estime que le reproche d'incompétence négative du législateur - qui résulterait de ce que ces deux textes ne fixent pas de délai au président de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel pour statuer sur les recours formés contre les ordonnances mentionnées à l'article 712-5 du code de procédure pénale, lorsqu'elles se prononcent sur des demandes d'autorisation de sortie sous escorte formulées par des détenus condamnés - soulevé à l'appui de la QPC n'est pas fondé. En effet, il résulte selon lui "de la jurisprudence constante de la Cour de cassation qu'il appartient au juge saisi sur le fondement des dispositions mises en cause de statuer dans les plus brefs délais, en tenant compte de l'urgence qui s'attache à chaque situation. Dans ces conditions, alors même que les dispositions critiquées n'impartissent pas au président de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de statuer dans un délai déterminé, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux."

(5 avril 2019, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 427252)

 

84 - Établissements publics de santé – Praticiens de ces établissements – Exercice d’une activité libérale – Possibilité de dépassements de tarifs et de tarifs d’honoraires – Établissements de santé privés habilités à assurer le service public hospitalier  – Praticiens de ces établissements – Différences de traitement – Question sérieuse de constitutionnalité – Renvoi d’une QPC.

Le code la santé publique distingue entre les établissements publics de santé qui assurent le service public hospitalier et les établissements de santé privés ; parmi ces derniers certains peuvent être habilités à assurer le service public hospitalier. Cependant, il existe entre les établissements privés habilités et les établissements publics deux différences en faveur de ces derniers : 1°/ les praticiens de l’établissement public peuvent exercer, en sus de leur fonction publique, une activité libérale ; 2°/ ils sont seuls autorisés à pratiquer des dépassements de tarifs et de tarifs d’honoraires.

Estimant ces différences injustifiées entre entités participant toutes deux au service public hospitalier, les requérantes soulèvent une QPC, en invoquant notamment la violation du principe d’égalité. Le Conseil d’Etat y aperçoit une question sérieuse et transmet la question.

(12 avril 2019, SAS Clinique du Saint-Cœur et Fédération de l'hospitalisation privée et SAS Clinique des Grainetières et Fédération de l'hospitalisation privée, n° 427173)

 

Responsabilité

 

85 - Aérodromes – Accident à l’atterrissage – Pistes verglacées – Imputabilité du dommage à Aéroports de Paris (ADP) et au service de la circulation aérienne – Faute – Notion et étendue – Cassation partielle avec renvoi.

De graves dommages causés à un avion du fait de ses conditions d’atterrissage sont à l’origine de cette décision.

Étaient en jeu deux responsabilités, celle d’ADP et celle des services de navigation aérienne, et toute la question était de déterminer la part respective de responsabilité de chacun de ces deux services.

De mauvaises conditions météorologiques risquant de verglacer les pistes d’atterrissage, ADP, à réception du bulletin météo l’en informant, a procédé à un traitement préventif par épandage de formiate de potassium, produit destiné à empêcher la formation de verglas. Cette information a été transmise à la tour de contrôle. Cette dernière a donc donné ses instructions d’atterrissage aux avions s’y présentant. L’atterrissage d’un Airbus A321 s’est mal déroulé du fait de ces conditions météorologiques défavorables, avec des précipitations de neige à gros flocons et des températures négatives, sur la piste désignée à cet effet par les services de la circulation aérienne. Peu après le toucher des roues sur le sol, les pilotes ont constaté un manque d'adhérence de l'appareil et une diminution insuffisante de sa vitesse. Dans l'urgence, ils ont décidé d'emprunter, à une vitesse excessive, la dernière bretelle de sortie, de laquelle l'appareil est finalement sorti pour s'immobiliser dans la terre meuble. Du fait de l'ingestion par les deux moteurs d'une grande quantité de boue et de neige fondue et de l'enlisement des deux roues jusqu'aux essieux, l'avion immobilisé a dû être tracté jusqu'à une aire d'entretien. Les dégâts subis par l'aéronef ayant affecté sa structure, ses trains d'atterrissage et ses moteurs, il a dû être retiré de l'exploitation du 9 février au 11 juin 2009. La compagnie exploitante, la société Air Méditerranée et son assureur ont actionné en responsabilité l’Etat et la société ADP. Le tribunal administratif a estimé la demanderesse responsable à 50% du dommage qu’elle avait subi et partiellement fait droit à sa réclamation en partageant le reste de la responsabilité entre l’Etat et ADP. Sur appels, principal et incident, respectivement d’Air Méditerranée et d’ADP, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement en tant qu'il a statué sur les conclusions de la société Air Méditerranée, condamné la société ADP à verser à Me X., agissant en qualité de liquidateur de la société Air Méditerranée, la somme de 2 585 645 euros avec les intérêts, mis à la charge de la société ADP les frais d'expertise et rejeté le surplus des conclusions des parties. La société ADP et Me X. se sont pourvus en cassation.

Le Conseil d’Etat estime qu’il résulte des textes applicables tant à ADP (cahier des charges approuvé par décret et arrêté du 6 mars 2008 relatifs aux inspections de l'aire de mouvement d'un aérodrome) qu’au service de la navigation aérienne (décret du 28 février 2005 portant création de la direction des services de la navigation aérienne), qu’incombent :

- d’une part à ADP,  la mission de surveillance de l'état des pistes de l'aérodrome de Paris - Charles de Gaulle ce qui  implique la réalisation de visites techniques des aires de mouvement, notamment pour vérifier la présence de contaminants, et, le cas échéant, leur déneigement et la prévention de formation de verglas sur ces mêmes aires, l'obligation de réaliser régulièrement des mesures de contrôle d'adhérence et de taux de glissance et d'informer les services de la circulation aérienne de l'état des aires de mouvement,

- d’autre part, aux services de la circulation aérienne, la surveillance afférente à leurs missions et l’obligation de transmettre à l'équipage des aéronefs des informations sur l'état des pistes utiles à l'exécution sûre et efficace des vols et spécialement des atterrissages.

Ces services peuvent donc demander à ADP une nouvelle inspection des aires de manœuvre et de nouvelles mesures de contrôle d'adhérence et de taux de glissance de ces aires.

Appliquant ces éléments aux faits de l’espèce, le Conseil d'Etat juge que les services de navigation aérienne ont commis une faute en diffusant à l'équipage de l'aéronef des messages " ATIS " (" Automatic Terminal Information Service ") faisant seulement état d'une piste dégivrée chimiquement avec du formiate de potassium, correspondant au traitement préventif mis en œuvre par la société ADP à 21h30, heure UTC, et en laissant supposer une piste simplement mouillée. De plus, les messages " METAR " (" Meteorological Aerodrome Report ") établis par Météo France à partir de 20h30 et transmis par la tour de contrôle à l'équipage de l'aéronef comprenaient un code erroné signifiant un retour à la normale des pistes de l'aérodrome alors qu'étaient observés à 21h36 des précipitations de neige à gros flocons et à 22h30 des températures négatives et un verglas généralisé, soit postérieurement au traitement de la piste par la société ADP, dont l'inefficacité était ainsi méconnue, et avant l'atterrissage de l'aéronef. La faute a donc consisté pour les services de la circulation aérienne, malgré la dégradation des conditions météorologiques, à ne pas émettre de doute sur l'état de la piste d'atterrissage ni demandé d'inspection complémentaire à la société ADP de sorte qu'aucune actualisation des messages relatifs à son état réel adressés à l'équipage de l'aéronef n'a été opérée. Ainsi, l'équipage du vol d'Air Méditerranée n'a pas été informé par les services de la circulation aérienne de la glissance anormale de la piste d’atterrissage qui lui a été assignée à l'aérodrome de Paris - Charles de Gaulle. Ce fait, selon l’enquête réalisée par le bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile, n’était d’ailleurs pas isolé, s’étant produit à plusieurs reprises les années précédentes et ayant donné lieu à des préconisations précises de la part de ce bureau.

Il est, par suite, jugé que c’est à tort que la cour a estimé, après avoir relevé que les services de la circulation aérienne se sont abstenus de transmettre à l'équipage des informations pertinentes sur l'état de la piste, que cette abstention résultait exclusivement du défaut de surveillance de la société ADP qui n'a, faute de l'avoir constaté, pas informé les services de la navigation aérienne du changement de l'état de la piste intervenu postérieurement à son traitement préventif. Ce jugeant elle a entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique des faits, laquelle tombe sous le contrôle du juge de cassation. Les recours des deux demandeurs sont accueillis et l’affaire renvoyée en appel dans la mesure de cette cassation.

(10 avril 2019, Société ADP, n° 411839 et Me X., agissant en qualité de liquidateur de la société Air Méditerranée, n° 411863)

 

86 - Fonctionnement défectueux de la justice administrative – Dommages en résultant – Conditions de la réparation – Nécessité d’une faute lourde – Impossibilité d’invoquer le contenu même de la décision de justice comme cause du préjudice sauf mise en jeu des règles de l’UE créatrices au bénéfice des particuliers – Absence – Rejet.

La société requérante réclamait réparation du préjudice que lui aurait causé le contenu d’une décision du Conseil d’Etat prononcée à son égard.

Le juge rappelle qu’en vertu des principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique, une faute lourde commise dans l'exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative est susceptible d'ouvrir droit à indemnité.  Cette ligne générale comporte deux correctifs importants, l’un en moins, l’autre en plus.

Tout d’abord, l'autorité qui s'attache à la chose jugée s'oppose à la mise en jeu de cette responsabilité dans les cas où la faute lourde alléguée résulterait du contenu même de la décision juridictionnelle et où cette décision serait devenue définitive.

Ensuite, et à l’inverse, la responsabilité de l'Etat peut être engagée dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle est entaché d'une violation manifeste du droit de l'Union européenne ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

Tel n’était pas le cas en l’espèce, d’où le rejet du pourvoi.

(16 avril 2019, Société Fauba France, n° 423643)

 

87 - Projet de construction d’un centre spirituel et culturel – Opération réalisée sous l’égide de la Fédération de Russie - Éviction d’une entreprise candidate – Mise en cause de la responsabilité de l’Etat – Absence de causalité directe – Rejet.

La société demanderesse, société SADE, a été évincée du projet de construction d'un centre spirituel et culturel orthodoxe russe à Paris alors que la Fédération de Russie, maitre de l’ouvrage, lui en avait contractuellement confié la maîtrise d’œuvre. Un premier permis de construire a fait l’objet d’avis défavorables de la part de l’architecte des bâtiments de France et du préfet de région. La Fédération de Russie a retiré sa demande de permis de construire et résilié le contrat qu’elle avait conclu avec la société SADE. Le nouveau permis sollicité ayant été accordé par la suite à un autre cabinet d’architectes, la société SADE a recherché la responsabilité de l’Etat à raison du préjudice résultant d'agissements fautifs des autorités politiques et administratives françaises qui auraient conduit à son éviction de la maîtrise d'œuvre du projet. Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel confirmant le rejet en première instance de sa demande d’indemnisation.

Cette prétention est également rejetée en cassation par le même motif qu’en appel. Pour attraire une personne en responsabilité il convient, tout à la fois, d’une part, d’établir un lien direct de causalité entre une décision, un comportement ou une inaction de cette personne et le préjudice allégué, d’autre part de démontrer le caractère fautif de la cause du dommage.

En l’espèce, la Fédération de Russie, au vu des avis négatifs émis à son égard, a retiré la demande de permis de construire et résilié le contrat conclu avec la société SADE. Le préjudice dont pourrait se prévaloir SADE n’a sa cause que dans ces deux décisions dont aucune ne se relie, directement ou indirectement, à l’Etat français. Par suite, il était inutile de rechercher le caractère fautif d’un comportement qui n’existe pas…

Si la cour d’appel a cru pouvoir, en outre, juger que la prétendue opposition des autorités françaises au projet présenté par la société SADE, constituerait en tout état de cause un acte non détachable de l'action diplomatique de la France et échapperait dès lors à la compétence de la juridiction administrative, ce motif présente, dans le cadre d’une action à fins indemnitaires, un caractère surabondant et elle est, par suite, sans incidence sur l'issue du litige.

(17 avril 2019, Society of Architects and Developers (SADE), n° 418679)

 

88 - Dommages de travaux publics – Ouvrages publics – Barrages hydro-électriques - Détermination du caractère accidentel ou permanent des dommages – Contrôle de qualification juridique des faits – Compétence du juge de cassation – Notion de dommages permanents – Dommages causés à un tiers – Absence d’exigence d’un préjudice grave et spécial en cas de dommage accidentel.

(10 avril 2019, Compagnie nationale du Rhône, n° 411961) V. n° 92

 

Santé publique

 

89 - Santé publique – Consultation obligatoire de la commission de la transparence en cas de radiation d’un médicament de la liste des spécialités prises en charge par l’assurance maladie et de celle des médicaments agréés à l’usage des collectivités publiques – Avis émis antérieurement en vue du renouvellement de l’inscription de ce médicament – Possibilité conditionnée pour l’autorité compétente de se fonder sur cet avis pour décider une radiation.

(1er avril 2019, Société Laboratoires Expanscience, n° 416500) Voir n° 5 

 

90 - Santé publique – Conditions de prise en charge de « sièges coquilles de série » au titre des dispositifs remboursables par la sécurité sociale – Modification de ces conditions – Vices de forme entachant un avis consultatif – Absence – Sécurité juridique – Erreur manifeste d’appréciation.

En l'absence de littérature documentant l'intérêt clinique du recours aux sièges coquilles et à la suite des études confiées à un groupe de travail composé essentiellement de professionnels de santé, la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé, relevant que ces dispositifs sont susceptibles, en cas de mésusage, d'accélérer la " grabatisation " des patients, a préconisé que leur utilisation soit réservée, dans une indication gériatrique, aux personnes ayant perdu leur autonomie motrice, tandis que d'autres dispositifs ou aides techniques devaient être privilégiés pour les patients plus jeunes ou ayant conservé une certaine autonomie. 

À la suite de cet avis, un arrêté conjoint du ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'action et des comptes publics a modifié les modalités de prise en charge des " sièges coquilles de série " au titre Ier de la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale qui fixe les conditions de remboursement par l'assurance maladie des dispositifs médicaux à usage individuel. Les sociétés requérantes demandent l’annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté interministériel et invoquent en ce sens des moyens de forme tenant pour l’essentiel au déroulement de la procédure consultative, moyens qui sont tous rejetés, et deux moyens de fond. Un seul d’entre eux est retenu par le juge.

Sont écartés : le moyen tiré de ce que les membres du groupe de travail n'auraient pas été nommés par le bureau de la commission, que leur identité n'aurait pas été connue non plus que leur compétence et leurs éventuels liens d'intérêt car ce moyen manque en fait ; le moyen selon lequel la convocation et son ordre du jour n’auraient pas respecté le délai de cinq jours calendaires prévu par le règlement intérieur de la commission, dès lors que cette réunion, s'agissant des sièges coquilles de série, s'est bornée à adopter le procès-verbal de la séance précédente, formalisant l'avis alors émis, le caractère tardif de la convocation n'ayant pas été susceptible d'exercer une influence sur la teneur de cet avis et n'ayant privé les sociétés requérantes d'aucune garantie ; le moyen fondé sur le défaut de quorum, celui-ci manquant en fait ;  le moyen reprochant une insuffisante motivation de l’avis de la commission  n’est pas davantage fondé, la commission ayant motivé ses avis en définissant les indications précises et les groupes de population pour lesquels les sièges coquilles devaient être recommandés et en excluant, au contraire, les patients pour lesquels cette prescription était non seulement inutile mais pouvait même se révéler contre-indiquée.

Sur le fond est rejeté l’argument s’appuyant sur l’atteinte à la sécurité juridique que comporterait la décision attaqué alors que s’agissant de mesures entrées en vigueur au 1er janvier et au 1er juillet 2018 selon les cas, des indications précises ont été fournies aux sociétés concernées sur l’évolution future de la réglementation relative à la prise en charge de ces dispositifs par l’assurance maladie : l'avis de la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé a été rendu public le 8 septembre 2015, l'avis de projet de modification des modalités de prise en charge des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale a été publié au Journal officiel de la République française du 2 août 2016, enfin un avis de la commission a été rendu public le 22 novembre 2016. Ainsi, l'arrêté attaqué n'a pas méconnu le principe de sécurité juridique.

En revanche, est retenu l’argument des requérantes selon lequel les ministres défendeurs ne pouvaient, sans erreur manifeste d'appréciation, subordonner le remboursement de ces dispositifs par l'assurance maladie à l'évaluation du patient selon la grille AGGIR, qui repose sur de très nombreuses variables étrangères à la capacité à se déplacer, ni, eu égard à la diversité de situations, quant à leurs fonctions locomotrices, des personnes relevant d'un même groupe iso-ressources, à son classement en groupe iso-ressources 1 ou 2, alors qu'ils n'ont pas justifié, par les éléments versés au dossier, que cette condition n'excédait pas le but recherché, qui est d'exclure de la prise en charge par l'assurance maladie les sièges coquilles prescrits à des personnes ayant conservé une autonomie de déplacement. 

(1er avril 2019, Sociétés Innov'sa, Vermeiren France et Drive devilbiss, n° 416540). Dans le même sens mutatis mutandis :  1er avril 2019, Fédération des prestataires de santé à domicile, de l'Union nationale des prestataires de dispositifs médicaux et de l'Union des prestataires de santé à domicile indépendants, n° 416800.

 

Sports

 

91 - Rugby à XV – Décision du comité directeur de la Ligue nationale de rugby – Modification du règlement de la Ligue - Fixation de proportions maxima de joueurs issus des filières de formation et de joueurs non issus de celles-ci – Atteinte à la libre circulation intracommunautaire des travailleurs – Avantage certain pour les Français – Justification suffisante d’intérêt général nonobstant les principes du droit de l’UE – Rejet du recours en annulation.

Le comité directeur de la Ligue nationale de rugby décide de modifier le règlement de la Ligue s’agissant de la proportion de " joueurs issus des filières de formation " (dits JIFF) pouvant participer aux championnats professionnels organisés par la Ligue à compter de la saison 2018/2019. Tout en supprimant l'exigence d'une proportion de 55 % de ces joueurs dans l'effectif professionnel des clubs, elle a aussi diminué le nombre de " joueurs non issus des filières de formation " autorisés, par club professionnel, à participer aux championnats dits " TOP 14 " et " PRO D2". Le requérant demande pour divers motifs l’annulation de cette décision, ils sont tous rejetés mais l’un d’eux doit retenir l’attention du lecteur.

Il était allégué qu’ainsi il était porté atteinte à l’art. 45 TFUE relatif à la libre circulation, au sein de l’Union européenne, des travailleurs en ce que, de facto, les règles nouvelles  créeraient entre les joueurs des discriminations fondées sur la nationalité et porteraient donc une atteinte disproportionnée à la liberté de circulation des travailleurs résultant de cet article 45 ; plus précisément, il était avancé que les nouvelles conditions posées peuvent être plus facilement remplies par des joueurs de nationalité française que par des joueurs d'autres nationalités. Sans dénier la vérité de cette assertion, le Conseil d’Etat relève, pour sa justification au regard des exigences européennes, « que ces dispositions sont, en premier lieu, destinées à permettre aux joueurs formés sous l'égide de la Fédération française de rugby, notamment dans les centres de formation professionnelle des clubs, agréés par cette fédération, de développer leur pratique de haut niveau et d'améliorer leurs chances de recrutement dans les clubs professionnels. Elles visent en second lieu à favoriser le développement de la formation des jeunes joueurs aux différents postes de jeu du rugby à XV en vue d'assurer le développement de ce sport et, par là même, la création d'un vivier de joueurs pour une équipe nationale compétitive. Ainsi qu'il ressort notamment des données sur l'augmentation du nombre de joueurs en formation présentes dans l'étude produite par la Ligue nationale de rugby non sérieusement contestée sur ce point, les mesures du type de celles en litige sont de nature à permettre la réalisation de ces objectifs de formation et de promotion des jeunes joueurs qui constituent des raisons impérieuses d'intérêt général. Eu égard aux spécificités du rugby, qui n'est pratiqué que dans un nombre limité d'États et à titre professionnel dans un nombre restreint de clubs, aux caractéristiques des politiques de recrutement des clubs professionnels français et à leurs conséquences sur la formation des jeunes joueurs, le seuil maximal par club fixé par le règlement de la Ligue ne méconnaît pas le principe énoncé à l’art. 45 TFUE susrappelé."

La solution a sans doute sa logique mais son côté passablement latitudinaire devra convaincre la CJUE si elle devait être saisie de cette question.

(1er avril 2019, M. X., n°419623)

 

Travaux publics

 

92 - Dommages de travaux publics – Ouvrages publics – Barrages hydro-électriques – Détermination du caractère accidentel ou permanent des dommages – Contrôle de qualification juridique des faits – Compétence du juge de cassation – Notion de dommages permanents – Dommages causés à un tiers – Absence d’exigence d’un préjudice grave et spécial en cas de dommage accidentel.

En période de crue des fleuves ou rivières sur lesquels sont installés des barrages hydro-électriques, EDF procède à des « chasses » consistant à envoyer vers l’aval des sédiments, en les remobilisant par une forte impulsion provoquée par un flux d'eau subitement lâché, en montée de crue, au niveau de chaque barrage concerné. Ayant effectué plusieurs chasses en quelques années, les sédiments en résultant ont, en raison de leur masse considérable, contribué à l'envasement exceptionnel des aménagements de Bourg-lès-Valence, Beauchastel, Logis-Neuf et Montélimar qui appartiennent à la Compagnie nationale du Rhône (CNR), laquelle, en qualité de concessionnaire, exploite des usines hydroélectriques et des écluses sur le Rhône dont elle entretient également le chenal de navigation. Cette dernière a sollicité auprès d’EDF la réparation des dommages ainsi causés. Cette demande ayant été rejetée, le tribunal administratif a été saisi d’une demande d’expertise. Au vu du rapport d’expert, la CNR a adressé une nouvelle demande d’indemnisation à EDF et, par suite de son rejet, a saisi le tribunal d’une demande indemnitaire au titre de la responsabilité sans faute du propriétaire d'un ouvrage public à l'égard des tiers par rapport à cet ouvrage. Le tribunal a retenu la responsabilité d’EDF. Sur appels principal d’EDF, tendant à être déchargée de sa responsabilité, et incident de la CNR, tendant à ce que lui soit alloué l’entier montant de sa réclamation, la cour administrative d'appel a annulé le jugement du tribunal administratif de Grenoble, rejeté la demande de première instance de la CNR ainsi que son appel incident et mis à sa charge les frais d'expertise. La CNR se pourvoit.

Deux questions très liées devaient être tranchées, donnant l’occasion au Conseil d’Etat de rappeler, préciser et étendre sa jurisprudence antérieure. Elles sont précédées d’un rappel de principe ainsi libellé : « Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel. »

En premier lieu, la CNT était-elle tiers par rapport aux ouvrages à partir desquels ont été réalisées les « chasses » cause de l’afflux de sédiments ? La réponse est évidemment positive dans la mesure où cette société n’est pas usager des barrages d’EDF pour l’exercice de sa propre activité.

En second lieu, les dommages en cause doivent-ils être qualifiés de dommages permanents ou de dommages accidentels ? La nuance est importante : le tiers victime d’un dommage permanent doit établir, pour pouvoir prétendre à sa réparation, qu’il revêt un caractère grave et spécial, tandis que lorsqu’il est victime d’un dommage accidentel, la réparation de celui-ci a lieu quels que soient ses caractères. Ici, est relevée la circonstance que ces dommages ont revêtu un caractère accidentel puisqu’ils ne sont pas liés à l’existence même, au fonctionnement ou à l’entretien normal des ouvrages en cause. C’est donc en commettant une erreur de droit que la cour a rejeté l’action de la CNR au motif que les dommages invoqués ne présentaient pas de caractère accidentel et en en déduisant qu'il incombait à celle-ci de démontrer le caractère anormal et spécial du préjudice qu'elle invoquait. 

(10 avril 2019, Compagnie nationale du Rhône, n° 411961)

 

93 - Ouvrages publics – Aérodrome – Zones de bruit – Subvention en vue d’insonoriser des locaux et refus de l’accorder – Décisions de nature administrative – Immeubles situés dans une zone d’incertitudes concernant l’exposition au bruit – Conséquences – Financement de l’insonorisation légalement possible – Confirmation de l’arrêt d’appel et rejet du pourvoi.

L’Office public de l’habitat du Val-de-Marne a demandé à l'établissement public Aéroports de Paris (ADP) l’octroi d’une subvention au titre du fonds d'aide à l'insonorisation des logements des riverains d'aérodromes pour les trois immeubles de la résidence Painlevé, qu’il possède à Villeneuve-le-Roi (Val- de-Marne). ADP ayant refusé, l’Office a saisi le tribunal administratif qui n’a que très partiellement fait droit à sa requête. La cour administrative d’appel, après avoir annulé l’entier jugement de première instance, a enjoint à la société Aéroports de Paris de réexaminer la demande d'aide financière de l’Office dans un délai de trois mois. ADP se pourvoit.

Tout d’abord, la question de la compétence juridictionnelle pour connaitre de ce litige n’ayant pas été soulevée par les parties, elle est tranchée implicitement : la décision d’octroi ou de refus de cette sorte de subvention est de nature administrative en raison des prérogatives détenues par son auteur, son contentieux relève du juge administratif.

Ensuite, il est rappelé qu’il découle des dispositions combinées du code de l’environnement (notamment art. L. 571-14, L. 571-15 et R. 571-66) et du code de l’urbanisme (art. L. 147-1 et suiv.), que les constructions situées à la fois dans une des zones I, II ou III, définies par un plan de gêne sonore, existantes ou autorisées à la date de sa publication, et dans l'une des zones A, B ou C définies par un plan d'exposition au bruit, bénéficient d'une aide à l'insonorisation. Cependant, sont exclues d’une telle aide les constructions qui remplissent ces conditions mais ont été autorisées après l'entrée en vigueur du plan d'exposition au bruit.

En l’espèce, le plan d’exposition au bruit de l’aérodrome Paris-Orly – établi antérieurement au permis de construire les immeubles litigieux – dispose : « En raison des incertitudes sur les diverses hypothèses, des variations dans les conditions de propagation et de réception du son et des approximations inévitables dans une méthode de calcul intégrant des sons de nature très variée, le zonage ainsi déterminé est de plus en plus approximatif à mesure que l'on s'éloigne de l'aéroport. Cette approximation est traduite par des grisés représentant les incertitudes sur les limites des différentes zones (...) ». Les immeubles de l’Office se situent précisément dans cette zone grisée. La cour administrative d’appel en avait conclu que, compte tenu des imprécisions des limites de la zone C, les immeubles de la résidence Painlevé ne pouvaient être regardés comme inclus dans une " zone définie par le plan d'exposition au bruit ", au sens de l'article R. 571-86 du code de l'environnement, quand bien même deux des permis de construire qui ont été délivrés portaient la mention, sans aucune autre précision, que " la propriété étant susceptible d'être exposée au bruit résultant du trafic de l'aéroport d'Orly, la construction devra présenter une installation acoustique appropriée " ne permettait pas non plus de faire regarder les bâtiments concernés comme inclus dans une "zone définie par le plan d'exposition au bruit ".

Le Conseil d'Etat approuve le raisonnement de la cour et rejette le pourvoi d'ADP.

(11 avril 2019, Société Aéroports de Paris (ADP), n° 411903)

 

Urbanisme

 

94 - Projet d’aménagement routier – Mise en conformité des plans d’occupation des sols et des plans d’urbanisme des communes concernées – Demande d’annulation de l’arrêté préfectoral d’approbation – Évaluation économique et sociale jointe au dossier d’enquête publique – Annulation de l’arrêté pour insuffisante précision des conditions de financement du projet d’aménagement – Annulation de l’arrêt d’appel pour erreur de droit.

Pour annuler l’arrêté préfectoral d’approbation de modifications apportées aux plans d’occupation des sols ou d’urbanisme de communes concernées par un projet d’aménagement routier, la cour administrative d’appel s’était fondée sur ce que l’évaluation économique et sociale du projet jointe au dossier d’enquête publique était insuffisante car elle ne précisait ni le mode de financement, ni la répartition du coût entre collectivités, ni non plus sur quels crédits budgétaires le département allait financer une opération routière avec un budget déjà insuffisant en matière d’infrastructures routières.

Le Conseil d’Etat balaie cette argumentation, un peu trop prestement semble-t-il, en observant que l’obligation pour une évaluation économique et sociale de comporter, pour les grands projets d'infrastructures, une analyse de leurs conditions de financement, se trouve satisfaite lorsque, s'agissant d'un projet dont le financement est intégralement pris en charge par une collectivité publique sur fonds propres, l'évaluation économique et sociale mentionne, sans autre précision, l'identité de cette collectivité. La cassation est prononcée avec renvoi.

(1er avril 2019, Département de l’Hérault, n° 419165 et Ministre de l’Intérieur, n° 419984)

 

95 - Urbanisme - Procédure contentieuse spéciale – Caractère obligatoire de la notification des recours en droit de l’urbanisme (art. R. 600-1 c. urb.) – Champ d’application – Recours contre un jugement constatant l’existence d’un permis de construire, obligation de notification – Appel dirigé contre un jugement d’annulation d’un refus de permis et enjoignant la délivrance du permis, absence d’obligation de notification.

Dans un souci d’accélération et de moralisation du contentieux de l’urbanisme souvent instrumentalisé à des fins illicites, le législateur a fait choix d’appliquer un certain nombre de règles de procédure contentieuse spéciales à cette matière. Parmi elles figure l’obligation de notification par le demandeur au défendeur, à bref délai, de l’existence, de la nature et du contenu de son recours, à peine de déchéance du droit d’action. C’est précisément cette règle qui conduit en l’espèce une cour à interroger le Conseil d’Etat.

L’existence même de ces questions indique combien peu réalistes sont parfois les procédures de simplification…

En l’espèce étaient posées deux questions dans l’hypothèse où le pétitionnaire d’un permis auquel sa délivrance a été refusée, obtient du juge l’annulation du refus et l’injonction au maire de délivrer le permis dans un délai déterminé.

La première question était de savoir comment procéder en cas d’appel contre ce jugement : l’appelant est-il tenu par l’obligation de notification de recours en droit de l’urbanisme ? La réponse est positive en tant que le recours est exercé contre une décision juridictionnelle constatant l'existence d’une autorisation d’urbanisme.

La seconde question, que la cour ne pose que si la réponse à la question précédente est positive, était de déterminer si l’autorité administrative à laquelle il est fait injonction de délivrer le permis refusé doit être considérée comme étant l’auteur de cette nouvelle décision. Pour dire cette question sans objet le Conseil d’Etat relève de façon assez inattendue que le jugement qui annule un refus d'autorisation d'urbanisme et enjoint à l'autorité compétente de délivrer cette autorisation « n'a ni pour effet de constater l'existence d'une telle autorisation ni, par (lui)-même, de rendre le requérant bénéficiaire de cette décision, titulaire d'une telle autorisation. Par suite, le défendeur à l'instance initiale qui forme un appel ou se pourvoit en cassation contre cette décision juridictionnelle n'est pas tenu de notifier son recours (…) ». Solution qui s’avère plus complexe que convaincante.

(Avis, 8 avril 2019, Commune Le Grand Village Plage, n° 427729)

 

96 - Urbanisme commercial – Permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale – Procédure devant les commissions départementale, puis nationale (CNAC), d’aménagement commercial – Personnes ayant intérêt à contester au contentieux les décisions de ces commissions – Recours déclarés irrecevables par elle, erronément selon la cour d’appel – Suite à y donner.

Le Conseil d’Etat, interrogé pour avis, est amené ici à apporter d’utiles et intéressantes précisions sur la procédure du permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale. Son avis est un subtil balancement entre réalisme et efficacité d’une part et sauvegarde des principes juridiques essentiels ; l’exercice n’était pas facile dans un contentieux toujours complexe et connoté.

Trois points dans cette réponse retiendront l’attention.

Lorsqu’une  cour administrative d'appel est saisie d'une requête dirigée contre un permis de construire en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale elle doit s'assurer, au besoin d'office, au vu des pièces du dossier qui lui est soumis : 1°/ Que le requérant est au nombre de ceux qui ont intérêt pour agir devant le juge administratif et notamment, s'il s'agit d'un concurrent, que son activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise du projet, est susceptible d'être affectée par celui-ci ; 2°/  Si le projet  a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial, que le requérant a, préalablement à l'introduction de sa requête, déposé contre cet avis un recours devant la Commission nationale qui respecte les conditions de recevabilité fixées par le code de commerce.

Ensuite, si la CNAC a jugé irrecevable le recours pour non-respect de l’une des deux conditions précédentes, alors que la cour estime recevable la requête, le rejet pour irrecevabilité prononcé par la CNAC doit être regardé comme une irrégularité entachant la procédure de délivrance du permis de construire.

Enfin, en cette occurrence, la cour, saisie d'un moyen en ce sens, doit apprécier, au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et, notamment, de la teneur des autres recours le cas échéant examinés sur le fond par la CNAC, si cette irrégularité est susceptible d'avoir eu une incidence sur le sens de la décision attaquée, l'obligation de saisir préalablement la CNAC avant toute introduction d'un recours contentieux ne constituant pas, en tout état de cause, une garantie pour les personnes intéressées.

(Avis, 15 avril 2019, Société Difradis, n° 425854)

 

97 - Permis de construire – Ensemble immobilier unique – Notion – Permis de construire unique – Dérogations à cette règle – Divisibilité des éléments composants – Conséquences.

Cette décision rappelle des principes bien établis de droit et de contentieux administratifs.

En droit, il est rappelé que la construction d'un ensemble immobilier unique, même composé de plusieurs éléments, doit en principe faire l'objet d'une seule autorisation de construire. Il est à ce principe deux dérogations ou exceptions. En premier lieu, lorsque l'ampleur et la complexité du projet le justifient, des éléments de la construction ayant une vocation fonctionnelle autonome peuvent faire l'objet de permis distincts, sous réserve que l'autorité administrative vérifie, par une appréciation globale, que le respect des règles et la protection des intérêts généraux que garantirait un permis unique sont assurés par l'ensemble des permis délivrés. En second lieu, des constructions distinctes, ne comportant pas de liens physiques ou fonctionnels entre elles, doivent faire l'objet d'autorisations elles-mêmes distinctes, dont la conformité aux règles d'urbanisme est appréciée par l'autorité administrative pour chaque projet pris indépendamment.

Au plan contentieux, il est également rappelé que lorsque les éléments d'un projet auraient pu faire l'objet d'autorisations distinctes, le juge de l'excès de pouvoir peut prononcer l'annulation partielle de l'arrêté attaqué en raison de la divisibilité des éléments qui le composent. En revanche, en dehors de cette hypothèse, seules les dispositions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme lui permettent de procéder à l'annulation partielle d'une autorisation d'urbanisme, dans le cas où l'illégalité qui l'affecte peut être régularisée.

(24 avril 2019, Mme X., n° 403442)

 

98 - Permis de démolir et permis de construire – Nécessité soit de déposer deux demandes d’autorisation soit une demande portant à la fois sur les deux opérations – Inefficacité à cet égard, d’un document simplement joint à la demande de permis mais ne comportant point demande d’autorisation de démolir – Dossier incomplet.

Rappel d’une jurisprudence bien fixée.

Lorsque la construction d’un bâtiment suppose la démolition préalable totale de celui existant la demande de permis de construire doit, soit être accompagnée de la justification du dépôt de la demande de permis de démolir, soit porter à la fois sur la démolition et sur la construction. La décision statuant sur la demande de permis de construire ne peut valoir autorisation de démolir que si le dossier de demande mentionne explicitement que le pétitionnaire entend solliciter cette autorisation.

Il suit de là qu’est sans incidence à cet égard la circonstance que les plans joints à la demande de permis de construire montrent que la réalisation de la construction implique la démolition de bâtiments existants.

Il en va ainsi car même si le permis de construire et le permis de démolir peuvent être accordés par une même décision, au terme d'une instruction commune, ils constituent l’un et l’autre des actes distincts ayant des effets propres.

(24 avril 2019, Commune de Colombier-Saugnieu, n° 420965)

 

99 - Règles de procédure spéciales au droit de l’urbanisme – Ordonnance fixant la date limite pour soulever de nouveaux moyens (art. R. 600-4 c. urb.) – Portée de cette ordonnance en cas de renvoi après cassation – Régularisation d’un permis de construire illégal – Impossibilité d’un recours pour excès de pouvoir introduit postérieurement – Inopérance, en ce cas, des moyens dirigés contre le permis initial.

Le Conseil d’Etat précise opportunément le régime applicable à certaines nouveautés apportées au traitement contentieux des recours contre les autorisations d’urbanisme, en particulier contre les permis de construire.

En premier lieu, l'art. R. 600-4 du code de l'urbanisme permet au juge qui considère qu'une affaire est en état d'être jugée, de fixer par ordonnance, dans le cadre de l'instance et avant la clôture de l'instruction, une date à partir de laquelle les parties ne peuvent plus soulever de moyens nouveaux. Le Conseil d’Etat rappelle que cette faculté n’est ouverte au juge que dans le seul cadre de l'instance pendante devant la juridiction à laquelle il appartient d'en décider.

Il s’ensuit deux conséquences importantes.

1°/ Cette ordonnance perd son objet et cesse de produire ses effets avec la clôture de l'instruction dans le cadre de cette instance.

2°/ L'usage, avant cassation, de la faculté prévue par l'art. R. 600-4 précité, est sans incidence sur la recevabilité des moyens que peuvent soulever les parties, après cassation et renvoi, à l'appui de leurs conclusions devant le juge du fond.

En second lieu, il est possible de régulariser un permis de construire irrégulier par la délivrance d'un permis modificatif conforme aux règles de forme et de fond applicables et ne comportant plus les défauts entachant le permis initial. En ce cas, ne peuvent plus être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis initial les irrégularités qui l’affectaient et qui ont été régularisées par suite de la modification de son projet par le pétitionnaire et en l'absence de toute intervention du juge.

D’où il suit, en l’espèce, que le Conseil d'Etat ayant rejeté les pourvois des requérants dirigés contre le jugement attaqué en tant qu'il statue sur les permis de construire modificatifs délivrés à la demande de la société, les moyens soulevés contre le permis de construire initial et qui se rapportent aux dispositions modifiées sont devenus inopérants.

(24 avril 2019, Mme X. et M. Y. et autres, n° 417175)

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