Brèves de jurisprudence du Conseil d’État
Juillet - Septembre 2025
Actes administratifs et décisions
1 – Nomination dans un emploi fonctionnel de directeur d’un service départemental d’incendie et de secours (SDIS) – Refus du ministre de signer – Acte signé du seul président du CA du SDIS – Acte inexistant – Acte insusceptible de créer des droits.
Après que le ministre de l'intérieur avait formellement refusé de signer le projet d'arrêté détachant M. A. sur l'emploi fonctionnel de directeur du SDIS du Gard, le président du conseil d'administration du SDIS a signé seul cet arrêté. Ce faisant, il a délibérément empiété sur les compétences de l'État (art. L. 1424-9 et R. 1424-21 CGCT), sa décision est inexistante, et donc insusceptible de créer des droits. Ceci impose à son auteur d'en prononcer le retrait, à tout moment, s'il est demandé, et au juge d'en relever, au besoin d'office, l'inexistence. Par suite, le juge des référés de la CAA de Toulouse n'a pu sans erreur de droit, eu égard à l'office que lui attribuent l'article L. 554-1 du CJA et l'article L. 3132-1 du CGCT, rejeter la demande du préfet du Gard d’annuler cet arrêté au motif que l'arrêté dont il avait demandé le retrait au directeur du SDIS constituait un acte créateur de droits, devenu définitif à la date à laquelle le préfet avait adressé cette demande au président du conseil d'administration du SDIS, et que dès lors le refus opposé à cette demande n'apparaissait pas lui-même entaché d'illégalité.
CE, 3è et 8è, 24 juin 2025, Ministre de l’intérieur, n° 500605
2 – Mesures réglementaires d’exécution des lois – Obligation d’intervention dans un délai raisonnable – Absence.
Il résulte des dispositions des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 641-5 du code de la sécurité sociale - dans leur rédaction issue de la loi du 20 janvier 2014 - que le législateur a confié au pouvoir réglementaire l'approbation par décret des statuts types des sections professionnelles de l'Organisation autonome d'assurance vieillesse des professions libérales et a prévu que les statuts des sections professionnelles, lorsqu'ils sont conformes à ces statuts types et ont été soumis à l'approbation du conseil d'administration de la Caisse nationale, font l'objet d'une approbation tacite et non plus d'une approbation expresse par le ministre chargé de la sécurité sociale. Faute d'intervention du décret approuvant les statuts types des sections professionnelles, ces dispositions résultant de la loi du 20 janvier 2014 n'ont pu entrer en vigueur dans un délai raisonnable.
Annulation de la décision implicite refusant de prendre le décret, injonction de le faire sous neuf mois.
CE, 1ère et 4è, 30 juin 2025, M. A., n° 494056
Même solution à propos du décret d’application de l’art. 1er de la loi du 24 janvier 2022 visant à la création d'une plateforme de référencement et de prise en charge des malades chroniques de la covid-19 qui, à la date de la décision, soit plus de trois ans après, n’a toujours pas été pris. Injonction, sans astreinte, de le prendre sous douze mois.
CE, 1ère et 4è, 1er juillet 2025, Association Covid Long Solidarité, n° 498369
3 - Régime des décisions administratives – Indication des nom, prénom et qualité de l’auteur de la décision – Application aux décisions d'actualisation, de publication et de notification des tarifs, prises par l’administration fiscale sur le fondement du I de l’art. 1518ter du CGI.
Les décisions par lesquelles l'administration fiscale met à jour annuellement les tarifs de la valeur locative des locaux professionnels (cf. le 2 du B du II de l'art. 1498 du CGI auquel renvoie le I de l’art. 1518ter du CGI) doivent respecter les exigences du premier alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration et comporter, en conséquence, la signature de leur auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. En effet, les dispositions de l’art. 1518ter du CGI ne sauraient être regardées comme des dispositions spéciales au sens de l'article L. 100-1 du code des relations entre le public et l'administration, qui permettraient de dispenser de cette obligation légale.
CE, 8è et 3è, 15 juillet 2025, Société Aéroports de Paris, n° 491157
4 – Acte réglementaire – Notion – Acte à caractère général et impersonnel ou acte pris pour l’organisation du service public – Absence de ce caractère – Incompétence du Conseil d’État pour en connaître en premier et dernier ressort.
Si l'Union nationale du sport scolaire (UNSS) participe à l'exécution d'un service public administratif, l'acte par lequel le ministre chargé de l'éducation désigne ou refuse de désigner un syndicat comme l'un des deux syndicats les plus représentatifs en éducation physique et sportive au sens des statuts de l'UNSS, étant dépourvu de caractère général et impersonnel et n'ayant pas, par lui-même, pour objet l'organisation d'un service public ne saurait avoir un caractère réglementaire. La décision attaquée ne peut être déférée au Conseil d’État en premier et dernier ressort.
CE, 4è et 1ère, 19 septembre 2025, Syndicat des enseignants UNSA (SE-UNSA), n° 490883
Agriculture
1 – Agriculteur – Notion jurisprudentielle d’agriculteur – Définition de la CJUE.
Dans un litige en récupération d’aides financières indues en matière agricole, le CE fait application de la jurisprudence de la CJUE (14 octobre 2010, Landkreis Bad Dürkheim, C-61/09) et 7 avril 2022, SC Avio Lucos SRL, C-176/20) selon laquelle, pour prétendre à la qualité d’agriculteur, la personne concernée doit détenir un pouvoir de disposition suffisant sur les unités de son exploitation aux fins de l'exercice de son activité agricole, percevoir les bénéfices et assumer les risques financiers en ce qui concerne l'activité agricole sur les terres pour lesquelles la demande d'aide est formulée. Tel n’était pas le cas en l’espèce où les exploitations de Mme A... et d'autres membres de sa famille présentaient une gestion commune et un mélange des troupeaux et où les personnes concernées se représentaient mutuellement ; de plus, l'administration ayant demandé à Mme A. de lui fournir tous éléments utiles pour démontrer l'autonomie de gestion et de fonctionnement de son exploitation, celle-ci n'avait justifié ni de disposer de bâtiments et de matériels suffisants pour exercer son activité, ni de tenir une comptabilité relative aux dépenses et aux recettes de son activité professionnelle, ni pu produire de facture relative à des achats ou ventes, y compris des achats d'aliments pour bétail.
CE, 3ème, 4 juillet 2025, MM. A., venant aux droits de Mme A., n° 474172
(du même jour, concernant la même exploitation, solutions identiques sur ce point : n°s 474173, 474174)
Biens
1 – Mines et carrières – Nature juridique des extractions – Biens immobiliers.
Statuant en matière fiscale pour déterminer la qualité de société à prépondérance immobilière (a sexies-0 bis du I de l'article 219 du CGI), le CE estime que commet une erreur de droit une CAA jugeant que les gisements des carrières ne doivent pas, dès lors qu'ils ont vocation à être ultérieurement extraits des terrains sur lesquels il se trouvent, être regardés comme des immeubles au sens et pour l'application des dispositions précitées. Le CE considère que « les carrières constituent dans leur ensemble des biens immeubles de par leur nature même ».
CE, 8è et 3è, 17 septembre 2025, Société Eiffage, n° 494888
Compétence juridictionnelle entre les deux ordres
1 – Fédération sportive – Exercice de prérogatives de puissance publique - Compétence de la juridiction administrative.
Si la décision par laquelle l'association requérante s'est vu refuser par la Fédération française de sauvetage et de secourisme (FFSS) le renouvellement de son affiliation pour l'année 2016/2017 était fondée sur des manquements reprochés à cette association dans le cadre de ses missions de formation, cette décision, qui ne concerne pas le fonctionnement interne de la fédération, a pour effet de priver l’association requérante de la possibilité de participer aux compétitions sportives organisées par la FFSS, l’empêchant ainsi d’accéder au service public géré par la fédération, elle relève de l'exercice de prérogatives de puissance publique conférées à cette fédération pour assurer sa mission de service public. Par suite, le litige indemnitaire relatif au préjudice causé par cette décision ressortit à la compétence de la juridiction administrative.
TC, 07 juillet 2025, Association Breizh sauvetage côtier (BSC), C4341
2 – Décisions prises par une Agence régionale de santé (ARS) ou par une caisse de sécurité sociale.
Rendant compte d’un mécanisme contentieux complexe, la présente décision juge que si la juridiction administrative est compétente pour connaître de la contestation d'une mesure de suspension arrêtée par le directeur général d’une ARS à l'encontre d'un professionnel de santé ainsi que de la réparation des dommages qui en sont la conséquence (tel un défaut de mise à jour du fichier national des professionnels de santé), en revanche, la juridiction judiciaire est seule compétente pour trancher les litiges, en illégalité comme en réparation du préjudice, entre ce même professionnel et la caisse de sécurité sociale, nés de l’absence de mise à jour dudit fichier.
TC, 07 juillet 2025, Mme D. c/caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe, C4345
3 – Refus de l’État d’assujettir un contribuable à un impôt institué en faveur de la collectivité territoriale à laquelle ce refus est opposé – Contentieux de l’assiette – Compétence de la juridiction administrative.
Il faut saluer une solution simplificatrice selon laquelle le recours formé par une collectivité territoriale contre une décision de l'Etat, - auquel il appartient d'établir et de recouvrer les impôts, contributions, droits et taxes dont le produit revient à la collectivité territoriale -, refusant d'assujettir un contribuable à une telle imposition relève de la compétence de la juridiction administrative, quel que soit l'ordre de juridiction compétent pour connaître, sur recours du contribuable, du contentieux d'assiette de cette imposition.
TC, 07 juillet 2025, Commune de La Roquette-sur-Siagne c/ directeur départemental des territoires et de la mer des Alpes-Maritimes, C4347
4 – Juge administratif des référés – Litige pouvant relever, même pour partie, de son ordre de juridiction – Possibilité d’ordonner toute mesure d’instruction nonobstant le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.
Avant tout procès et avant même que puisse être déterminée, eu égard aux parties éventuellement appelées dans la cause principale, la compétence sur le fond du litige, et dès lors que ce dernier est de nature à relever, fût-ce pour partie, de l'ordre juridictionnel auquel il appartient, le juge administratif des référés a compétence pour ordonner une mesure d'instruction sans que puisse y faire obstacle le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires. Il n'en va autrement que lorsqu'il est demandé au juge des référés d'ordonner une mesure d'instruction qui porte à titre exclusif sur un litige dont la connaissance au fond n'appartient manifestement pas à son ordre de juridiction.
TC, 07 juillet 2025, Commune de Grand-Quevilly c/ divers, C4353
5 – Distinction entre organisation et fonctionnement de la justice judiciaire – Compétence du juge administratif limitée à sa seule organisation.
Rappel, ici par le juge des référés, de l’incompétence manifeste de la juridiction administrative pour connaître d’un litige tendant à ce qu’il soit fait injonction à la direction des services judiciaires de faire étudier par des juristes internes les documents et pièces justificatives du dossier concernant l'association « En quête de justice » afin de pouvoir apporter une réponse motivée pour chaque dysfonctionnement signalé dans le mémoire du plaignant, dans un délai de six semaines maximum, sous astreinte de 300 euros par jour de retard. Il s’agit là d’une question de fonctionnement de la justice judiciaire alors que seul un litige relatif à son organisation est susceptible de relever de la compétence du juge administratif.
CE, ord. réf. 10 septembre 2025, M. B., n° 507770
Même solution, à propos du recours d’un Syndicat contre des saisies de biens lui appartenant ordonnées par le juge judiciaire : CE, ord. réf., 16 septembre 2025, Syndicat anti-fraude, anti-corruption-justice (SAFAC-J) , n° 507958
6 – Domaine public routier – Répression des infractions - Compétence du juge judiciaire.
Un espace souterrain appartenant à une personne publique, accessible aux véhicules terrestres à moteur circulant sur la voie publique et abritant des places de stationnement temporaire ouvertes à tout automobiliste, même s'il comporte par ailleurs des places faisant l'objet d'une location de longue durée, doit être regardé, dans son ensemble, comme affecté aux besoins de la circulation terrestre. Un tel espace appartient donc, en totalité, au domaine public routier de la personne publique qui en est propriétaire.
Or il résulte des dispositions de l’art. L. 116-1 du code de la voirie routière que « La répression des infractions à la police de la conservation du domaine public routier est poursuivie devant la juridiction judiciaire sous réserve des questions préjudicielles relevant de la compétence de la juridiction administrative ». Compétence du juge judiciaire en l’espèce
CE, 8è et 3è, 1er septembre 2025, Société Parking Convention, n° 494428, Publié au Recueil Lebon
7 – Transmission d’une réclamation fiscale d’un défunt à un héritier - Défaut de signification - Contestation de la régularité en la forme – Compétence du juge judiciaire.
Selon l’art. 877 du Code civil « Le titre exécutoire contre le défunt l'est aussi contre l'héritier, huit jours après que la signification lui en a été faite ». Cette disposition est applicable aux titres exécutoires émis par l’administration fiscale. La contestation d'un acte de poursuite dirigé contre un héritier à raison du défaut de la signification, prévue à l'article 877 du code civil, du titre exécutoire émis à l'encontre du défunt initialement redevable porte sur la régularité en la forme de l'acte de poursuite et relève par suite, en vertu des dispositions de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales, de la compétence du juge judiciaire.
CE, 8è et 3è, 17 septembre 2025, M. B., n° 497769
Contrats et marchés – Responsabilité contractuelle
1 – Procédure d’attribution d’un lot d’une sous-concession de plage – Fautes – Régime indemnitaire.
Le litige portait sur une demande en réparation du dommage qu’aurait causé à la société demanderesse la renonciation par une commune à la conclusion d’un contrat que cette dernière a pris l’initiative d’engager.
Le CE procède à un raisonnement en trois points :
« 3. Une personne publique qui a engagé une procédure de passation d'un contrat de concession ne saurait être tenue de conclure le contrat. Elle peut décider, sous le contrôle du juge, de renoncer à le conclure pour un motif d'intérêt général. Cette décision n'est pas de nature à engager sa responsabilité pour faute.
4. Dans une telle hypothèse, la responsabilité de la personne publique peut toutefois être mise en cause lorsqu'elle a, au cours de la procédure de passation, commis des fautes, par exemple en incitant un ou des candidats à engager des dépenses en pure perte ou en leur donnant, à tort, l'assurance que le contrat serait signé. Dans ce cas, le candidat peut prétendre à la réparation des préjudices imputables à ces fautes, sous réserve du partage de responsabilité découlant le cas échéant de ses propres fautes.
5. En revanche, la perte du bénéfice que le partenaire pressenti, qui ne peut se prévaloir d'aucun droit à la conclusion du contrat, escomptait de l'opération ne saurait, en toute hypothèse, constituer un préjudice indemnisable. »
Voilà une décision qui justifie pleinement la prévention que les civilistes ont parfois à l’égard de la nature véritablement « contractuelle » du contrat administratif et il faut reconnaître que, face à de telles décisions, ils n’ont pas tort.
Sur le point 3, il n’est guère sérieux ni raisonnable et donc admissible de raisonner comme le fait le juge sans placer deux garde-fous : 1° le motif d’intérêt général devait être totalement inexistant au moment de l’engagement du processus contractuel, 2° ce motif devait être totalement imprévisible. Ces garde-fous ne sont jamais exigé par le juge.
Sur le point 4, relevons la contradiction qui consiste à admettre une indemnisation au cas où la personne publique aurait donné au(x) candidat(s) “l'assurance que le contrat serait signé” alors qu’au point 5 le juge écrit “que le partenaire pressenti, qui ne peut se prévaloir d'aucun droit à la conclusion du contrat”...
Sur le point 5, l’absence pure et simple d’indemnisation du bénéfice escompté par le partenaire pressenti fait totalement fi du statut juridique actuel tant en droit interne qu’en droit européen et international, de la phase contractuelle, de celui de l’avant-contrat comme de celui, également, de la négociation contractuelle.
CE, 7è et 2è, 15 juillet 2025, Société Ferry, n° 491624 ; Commune de Ramatuelle, n° 491676
2 - Contrat de la commande publique – Pénalités contractuelles – Régime de leur modulation par le juge.
L’intérêt de cette décision ne réside pas dans son fond mais dans sa rédaction et dans sa portée qui visent à fixer avec un maximum de complétude le régime applicable à la modulation juridictionnelle des pénalités contractuelles. Parti d’une position diamétralement opposée à celle du juge civil, le CE a fini par reconnaître au juge administratif le pouvoir général de moduler in concreto ces pénalités lorsqu’ « elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché ou aux recettes prévisionnelles de la concession. »
Il est ainsi jugé que :
1° les pénalités prévues par les clauses d'un contrat de la commande publique sont applicables dès lors qu'une inexécution des obligations contractuelles est constatée et alors même que la personne publique n'aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge de son cocontractant qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi.
2° Si le juge du contrat doit, en principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités, il peut, à titre exceptionnel, modérer ou augmenter les pénalités si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché ou aux recettes prévisionnelles de la concession, y inclus les subventions versées par l'autorité concédante, et compte tenu de la gravité de l'inexécution constatée.
3° Le titulaire du contrat qui saisit le juge de conclusions à fin de modulation ne saurait utilement soutenir que le pouvoir adjudicateur n'a subi aucun préjudice ou que le préjudice qu'il a subi est inférieur au montant des pénalités mises à sa charge. Il lui appartient de fournir au juge tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des contrats comparables ou aux caractéristiques particulières du contrat en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif. Au vu de l'argumentation des parties, il incombe au juge soit de rejeter les conclusions dont il est saisi en faisant application des clauses du contrat relatives aux pénalités, soit de rectifier le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du contrat dans la seule mesure qu'impose la correction de leur caractère manifestement excessif.
On peut toutefois s’interroger sur un certain illogisme qui ressort du point 2 de la décision où on lit successivement que : « Les pénalités prévues par les clauses d'un contrat de la commande publique ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu'est susceptible de causer à l'acheteur le non-respect, par son cocontractant, de ses obligations contractuelles ». Et ensuite, que ces pénalités sont applicables « alors même que la personne publique n'aurait subi aucun préjudice ». Comment peut-on soutenir que ces pénalités visent à réparer forfaitairement un préjudice et qu’elles s’appliquent en l’absence de préjudice ? Il y a là un évident faussement de la logique argumentative qui passerait difficilement le test de l’art. 1er du 1er protocole additionnel à la Convention EDH...
CE, 7è et 2è, 15 juillet 2025, Société Nouvelle Laiterie de la Montagne, n° 494073
3 - Référé précontractuel - Articles L. 551-4 et 551-14, al. 2 du CJA - Régime portant atteinte au droit à recours juridictionnel effectif - Interprétation latitudinaire de sauvetage de ce mécanisme - Absence d’atteinte au principe d’égalité – Rejet d’une QPC.
En premier lieu, au soutien d’une QPC, la requérante soutenait que les dispositions précitées seraient contraires au droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789, en ce qu'elles priveraient de tout recours utile le candidat évincé d'un marché public lorsque le contrat a été signé postérieurement à l'introduction de sa requête en référé précontractuel mais avant que cette requête ait été notifiée ou communiquée au pouvoir adjudicateur et avant que le juge des référés ait statué.
Le Conseil d’État, pour rejeter la QPC, décide que pour éviter que le contrat ne soit prématurément signé par le pouvoir adjudicateur resté dans l'ignorance de l'introduction de son recours, l'auteur d'un référé précontractuel, tenu par les dispositions de l'article R. 551-1 du code de justice administrative de notifier son recours au pouvoir adjudicateur, peut procéder à cette notification simultanément à l'introduction de son recours. Ainsi, lorsqu'il notifie son recours au service compétent du pouvoir adjudicateur par des moyens de communication permettant d'assurer la transmission d'un document en temps réel, la circonstance que la notification ait été faite en dehors des horaires d'ouverture de ce service est dépourvue d'incidence car, par une audacieuse construction prétorienne, le juge décide que le délai de suspension prévu par l'article L. 551-4 du CJA court à compter non de la prise de connaissance effective du recours par le pouvoir adjudicateur, mais de la réception de la notification qui lui a été faite.
Au surplus, les dispositions contestées ne font pas obstacle à ce qu'un candidat irrégulièrement évincé exerce un recours en contestation de la validité du contrat. Dans ces conditions, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, est dépourvue de caractère sérieux.
En second lieu, est rejeté l’argument de la requérante selon lequel ces dispositions porteraient atteinte au principe constitutionnel d'égalité car les candidats qui ont été privés de la possibilité de présenter utilement un recours précontractuel en raison du comportement du pouvoir adjudicateur ne sont pas dans la même situation que ceux qui, ayant exercé un tel recours, ont tardé à le notifier au pouvoir adjudicateur et ont ainsi, de leur propre fait, permis à celui-ci de signer le contrat alors qu'il était dans l'ignorance de l’existence de leur recours.
CE, 7è et 2è, 17 juillet 2025, Société Thingslog France, n° 504004
4 - Marché de travaux publics - Conclusion d’un accord transactionnel forfaitaire et définitif pour solde de tous comptes en principal et intérêts portant sur le montant total du nouveau marché - Retard de règlement des sommes - Applicabilité d’intérêts moratoires.
Commet une erreur de droit une CAA jugeant que l'accord transactionnel conclu dans les termes du Code civil (art. 1231-6 et 2044), constituait un contrat distinct du contrat de marché public de travaux ayant produit le différend résolu par la transaction et qu’il était donc régi par les dispositions du seul Code civil. Par suite, le retard de paiement, par la chambre de commerce requérante ne pouvait donner lieu, le cas échéant, qu'au versement des intérêts moratoires au taux légal prévus par les dispositions de ce code
En effet, la somme que devait verser la chambre de commerce à ses cocontractants, fût-ce au terme d'une transaction, intervenait en règlement du marché public de travaux, auquel devaient s'appliquer, jusqu'à son paiement effectif, les intérêts moratoires dus en raison de retards dans le règlement des marchés publics et sans que la signature de cette transaction puisse y faire obstacle, ainsi qu’il résulte de l'art. 67 de la loi du 8 août 1994 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, applicable à la date de la signature du marché litigieux et de l’art. L. 2192-14 du code de la commande publique, applicable à la date de signature de la transaction litigieuse.
CE, 7è et 2è, 22 juillet 2025, Chambre de commerce et d'industrie territoriale Seine Estuaire, n° 494323
Domanialité publique
1 – Espace souterrain accessible aux véhicules et abritant des places de stationnement – Appartenance au domaine public routier – Compétence du juge judiciaire.
Un espace souterrain appartenant à une personne publique, accessible aux véhicules terrestres à moteur circulant sur la voie publique et abritant des places de stationnement temporaire ouvertes à tout automobiliste, même s'il comporte par ailleurs des places faisant l'objet d'une location de longue durée, doit être regardé, dans son ensemble, comme affecté aux besoins de la circulation terrestre. Un tel espace appartient donc, en totalité, au domaine public routier de la personne publique qui en est propriétaire.
Or il résulte des dispositions de l’art. L. 116-1 du code de la voirie routière que « La répression des infractions à la police de la conservation du domaine public routier est poursuivie devant la juridiction judiciaire sous réserve des questions préjudicielles relevant de la compétence de la juridiction administrative ». Compétence du juge judiciaire en l’espèce
CE, 8è et 3è, 1er septembre 2025, Société Parking Convention, n° 494428, Publié au Recueil Lebon
2 – Constatation d’infractions aux règles d’occupation du domaine public – Domaine public fluvial – Portée du procès-verbal de contravention de grande voirie – Distinction selon que l’agent verbalisateur a lui-même constaté les faits ou n’en pas été témoin – Conséquences.
Les constatations de contravention de grande voirie par un agent (ici de VNF), commissionné par le directeur général de cet établissement public et assermenté font foi jusqu'à preuve contraire, dès lors que l'agent a personnellement constaté les faits en cause, si l'auteur du procès-verbal n'a pas été le témoin personnel des faits relatés, ce document ne peut servir de fondement aux poursuites que si ses énonciations sont confirmées par l'instruction ou ne sont pas contestées en défense3
En l’espèce, a commis une erreur de droit la CAA qui a estimé que le procès-verbal qui fonde le titre exécutoire en litige constituait une constatation personnelle des faits par l’agent verbalisateur et donc faisait foi jusqu’à preuve contraire, alors que ce document se borne, s'agissant des faits reprochés, à se référer à des faits constatés par un autre agent de l'établissement dans un acte qui, au demeurant, a été retiré.
CE, 8è et 3è, 17 septembre 2025, M. A. c/ Voies navigables de France (VNF), n° 498965
Droit public de l’économie
1 – Liberté d’entreprendre – Installation de super et d’hyper marchés – Aménagement commercial – Pouvoirs et obligations de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC).
V. à la rubrique Libertés fondamentales, point n° 6 : CE, 4è et 1ère, 19 septembre 2025, Société Montfort force unie, n° 470356
2 – Autorisation d’aménagement commercial – Projet visant à étendre la surface de vente d’un magasin au détail – Appréciation de la surface.
Il résulte des dispositions combinées du I de l'article L. 752-6 et du 2° de l’art. L. 752-1du code de commerce que lorsque le projet soumis à une commission d’aménagement commercial vise à étendre la surface de vente d'un magasin de commerce de détail il lui de s'assurer du respect des critères mentionnés aux a) et b) du 2° du I de l'article L. 752-6 de ce code par les bâtiments existants du magasin, lesquels s'entendent, pour l'application de ce texte, non seulement des immeubles bâtis du magasin mais également des installations et équipements nécessaires à son exploitation, y compris les espaces de stationnement qui lui sont associés et les voies de circulation au sein de ces espaces. Il en va ainsi même lorsque l'extension de la surface de vente ne requiert aucune modification extérieure de ces bâtiments.
L’interprétation des textes est ici maximaliste.
CE, 4è et 1ère, 19 septembre 2025, Commission nationale d'aménagement commercial c/ Sté Bourges Dis, n° 476185
Droit social
1 – Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) - Annulation par le juge de la décision homologuant le document unilatéral fixant le contenu du PSE – Obligation s’imposant à l’employeur en matière de consultation des organes représentatifs du personnel.
Rappel particulièrement ferme dans une rédaction de principe.
Lorsque la décision homologuant le document unilatéral fixant le contenu de son PSE a été annulée par une décision juridictionnelle, l'employeur peut soumettre à nouveau à la consultation des instances représentatives du personnel concernées un PSE correspondant à la même opération de restructuration qu'il a engagée, comportant, le cas échéant, des modifications pour répondre au motif d'annulation de la décision ayant homologué son plan initial. Si les membres des instances représentatives du personnel concernées doivent alors se voir communiquer tous les éléments d'information utiles dans un délai suffisant afin de leur permettre de formuler leur avis en toute connaissance de cause sur la nouvelle version du PSE, l'employeur n'est tenu de reprendre toutes les étapes de la procédure d'information et de consultation de ces instances dans les conditions prévues aux articles L. 1233-30 et L. 1233-36 du code du travail que dans le cas où les modifications apportées à la version initiale de son plan de sauvegarde de l'emploi revêtent un caractère substantiel.
CE, 4è et 1ère, 27 juin 2025, Sté Kuehne + Nagel SAS, n° 463870 et n° 471387
2 – Récoltes réalisées manuellement – Récoltes entrant dans la catégorie des « travaux ne pouvant être différés » – Situation constituant des « circonstances exceptionnelles » se produisant chaque année – Effet sur le repos hebdomadaire.
La loi (art. L. 714-1 code rural) a prévu la suspension pour une durée limitée du repos hebdomadaire « En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de travaux dont l'exécution ne peut être différée ». La requérante demandait l’annulation du décret n° 2024-780 du 9 juillet 2024 relatif aux procédures de suspension du repos hebdomadaire en agriculture.
Le recours est rejeté eu égard aux contraintes rigoureuses qui pèsent sur ces récoltes, lesquelles induisent des difficultés spécifiques d'organisation du travail et de recrutement de salariés saisonniers, ce qui constitue un cas de circonstances exceptionnelles du fait de travaux dont l'exécution ne peut être différée, quand bien même elles se produiraient chaque année.
CE, 1ère et 4è, 30 juin 2025, Union syndicale Solidaires, n° 497707
3 - Droit du travail et droit international - Détachement temporaire de salariés par des employeurs étrangers sur le territoire français - Hiérarchie des normes - Applicabilité du seul code français du travail - Compétence du juge administratif pour interpréter les stipulations d’un accord international controversées entre les États signataires.
Il résulte des stipulations de l'accord du 9 juillet 1968, qui définit les conditions d'établissement d'une réglementation commune entre la France et la Principauté de Monaco des activités de transport routier de voyageurs et de marchandises, que cet accord n'a ni pour objet ni pour effet de déroger aux règles prévues par le code du travail en matière de détachement temporaire de salariés par des employeurs étrangers sur le territoire national. Par suite, c'est sans commettre d'erreur de droit que la cour administrative d'appel de Marseille, qui était compétente pour interpréter les stipulations de cette convention internationale, peu important que leur portée fasse l'objet d'un différend diplomatique pendant entre les parties signataires, a jugé que les entreprises monégasques détachant temporairement des salariés sur le territoire français étaient soumises à l'obligation de déclaration préalable prévue par l'article L. 1262-2-1 du code du travail.
CE, 1ère et 4è, 18 juillet 2025, Société anonyme monégasque Compagnie de gestion de matériel (CO.GE.MAT), n° 493681 et ministre du travail, n° 493792
4 – Licenciement d’un salarié protégé – Motif du licenciement estimé infondé par l’autorité administrative – Impossibilité pour celle-ci de substituer un motif, même fondé, au motif primitivement invoqué.
Lorsque l'autorité administrative estime que le motif pour lequel un employeur lui demande l'autorisation de rompre le contrat de travail d'un salarié protégé n'est pas fondé, elle ne peut légalement accorder l'autorisation demandée en lui substituant un autre motif de rupture de ce contrat de travail, alors même que cet autre motif aurait été de nature, s'il avait été présenté par l'employeur, à justifier une telle rupture.
CE, 4è, 30 juillet 2025, Société Orano Projets, n° 494223
Voir aussi, précisant ce que sont les pouvoirs du juge de cassation saisi d’une demande de substitution de tels motifs d’un licenciement : CE, 4è, 30 juillet 2025, Société Orano Projets, n° 495234
5 – Responsabilité de l’État à raison du contrôle qu’il exerce sur les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) et matière d’homologation du document unilatéral en tenant lieu.
Voir à la rubrique Responsabilité civile extracontractuelle, point 4 : CE, 4è et 1ère, 19 septembre 2025, Société Tarkett Bois, n° 470918, Publié au Recueil Lebon
Environnement
1 - Autorisation d’installations classées (éoliennes) - Refus d’autorisation annulé par le juge - Nouveau refus préfectoral - Annulation du refus et autorisation délivrée par le juge - Conditions d’exercice du pourvoi en cassation d’un intervenant dans chacun des deux cas précédents.
En premier lieu, il est jugé que la personne qui est intervenue devant la CAA, que son intervention ait été admise ou non, a qualité pour se pourvoir en cassation contre l'arrêt rendu contre les conclusions de son intervention.Toutefois il convient de distinguer deux hypothèses : soit elle aurait eu qualité, à défaut d'intervention de sa part, pour former tierce-opposition, elle peut alors contester tant la régularité que le bien-fondé de l'arrêt attaqué, soit elle n’aurait pas eu qualité, à défaut d'intervention de sa part, pour former tierce-opposition, elle n'est alors recevable à invoquer que des moyens portant sur la régularité de l'arrêt attaqué relatifs à la recevabilité de son intervention ou à la prise en compte des moyens qu'elle comporte, tout autre moyen devant être écarté par le juge de cassation dans le cadre de son office, c’est-à-dire alors même que l’autre partie n’aurait point formulé une demande en ce sens.
En second lieu, lorsque le juge administratif annule un refus d'autoriser une installation classée et accorde lui-même l'autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant l'autorité préfectorale pour la fixation de ces conditions, la voie de la tierce opposition est ouverte contre cette décision. Afin de garantir le caractère effectif du droit au recours des tiers en matière d'environnement, la voie de la tierce opposition est, dans cette configuration particulière, ouverte aux tiers qui justifieraient d'un intérêt suffisant pour demander l'annulation de la décision administrative d'autorisation, sans qu'ils aient à justifier d'un droit lésé.
Logiques, ces différentes solutions n’en revêtent cependant pas moins un haut degré de complexité.
CE, 6è, 24 juillet 2025, Association « A contre vent » et autres, n° 489771
Fonctions politiques électives
1 – Conseiller régional ayant fait l’objet d’une condamnation pénale assortie d’inéligibilité – Arrêté préfectoral le déclarant démissionnaire d’office – Acte de pure constatation.
Dès lors que le juge pénal a condamné un élu en assortissant sa décision de la peine d’inéligibilité, le préfet est tenu d’en tirer les conséquences en le déclarant démissionnaire d’office. Cette déclaration ne constitue pas une sanction, elle n’est donc ni soumise au principe du contradictoire ni susceptible d’un recours pour excès de pouvoir.
Par ailleurs, la QPC dirigée contre les dispositions en cause du code électoral ne peut qu’être rejetée car le C.C. saisi de dispositions identiques concernant un conseiller municipal, les a jugées non contraires à la Constitution en ce qu’ils ne méconnaissent pas le droit d’éligibilité.
CE, 5è et 6è, 25 juin 2025, M. A., n° 503779
Solution identique du même jour relative à un conseiller régional d’Île-de-France : CE, 6è et 5è, 25 juin 2025, M. C., n° 503663
Solution voisine dans un cas comparable concernant un élu au conseil municipal de Caluire-et-Cuire et au conseil métropolitain de la métropole de Lyon : CE, 9è, 16 juillet 2025, M. A., n° 503578
N. B. :
En revanche, il est jugé que revêt un caractère sérieux justifiant son renvoi au C.C., la QPC fondée sur ce que le III de l'article 195 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie porte atteinte au principe d’égalité en ce qu’il ne prévoit pas que la déchéance du mandat des membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie ne peut intervenir qu'après que la condamnation qui la justifie, même assortie de l'exécution provisoire, a acquis un caractère définitif, instituant ainsi entre ces élus et les membres du Parlement une différence de traitement, eu égard à la situation particulière des membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie au sein des institutions de la Nouvelle-Calédonie et aux prérogatives qu'ils tiennent de la loi organique, notamment en participant à l'adoption des lois de pays qui ont force de loi dans le domaine défini à l'article 99 de la loi organique.
CE, 10è et 9è, 26 juin 2025, M. A., n° 499627
Fonctionnaires et agents publics
1 – « Majorations familiales » et « avantage familial » des personnels des établissements d'enseignement français à l'étranger – Différence de traitement par rapport aux agents servant en France – Caractère injustifié – Illégalité.
Il résulte des dispositions de l’arrêté attaqué du 8 novembre 2023 et des arrêtés subséquents des 11 octobre 2023 et 11 mars 2025 qui lui ont succédé, que « l'avantage familial » servi aux personnels occupant un emploi d'enseignement, d'éducation et d'administration en application de l'arrêté du 5 février 2008 est, pour chaque pays ou zone de référence, en moyenne, d'un montant nettement inférieur à celui des « majorations familiales » auxquelles peuvent prétendre les personnels occupant un emploi d'encadrement ou de formation des enseignants du réseau de l'enseignement français à l'étranger.
Or il résulte d’une jurisprudence constante qu’il ne peut être porté atteinte au principe d’égalité entre agents publics que si la différence de traitement qui en résulte est en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et n’est pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.
De plus, il est classiquement jugé que ces modalités de mise en œuvre du principe d'égalité sont applicables à l'édiction de normes régissant la situation d'agents publics qui, en raison de leur contenu, ne sont pas limitées à un même corps ou à un même cadre d'emplois de fonctionnaires.
En l’espèce, la différence de traitement contestée, qui n'est pas en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit, méconnaît le principe d'égalité, d’où son annulation.
CE, 3è et 8è, 24 juin 2025, Syndicat SGEN-CFDT de l'étranger, n° 491505
2 – Accident de trajet – Notion – cas d’un accident survenu dans le garage collectif de la résidence où habite l’agent.
C’est sans erreur de droit qu’une CAA qualifie d’accident de trajet celui survenu à un enseignant à l'intérieur d'un garage collectif situé dans l'enceinte de l'ensemble résidentiel dans lequel se trouvait son appartement qu’il avait quitté pour se rendre vers son lieu de travail.
CE, 4è et 1ère, 27 juin 2025, ministre de l’éducation nationale, n° 494081
N. B. : Même solution pour un infarctus du myocarde survenu durant le temps et sur les lieux de l’accomplissement du service et ce quels que soient les antécédents sanitaires de l’agent.
CE, 3è et 8è, 18 juillet 2025, ministre de l’éducation nationale, n° 476311
3 – Répétition de l’indu résultant d’une somme versée à tort à un agent public – Expiration du délai de retrait de la décision créatrice de droits – Régime législatif spécial.
Il résulte des dispositions spéciales de l’art. 37-1 de la loi du 12 avril 2000, dans sa rédaction issue du I de l'article 94 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 qu’une somme indûment versée par une personne publique à l'un de ses agents au titre de sa rémunération peut, en principe, être répétée dans un délai de deux ans à compter du premier jour du mois suivant celui de sa date de mise en paiement sans que puisse y faire obstacle la circonstance que la décision créatrice de droits qui en constitue le fondement ne peut plus être retirée.
CE, 4è, 30 juillet 2025, ministre de l’éducation nationale, n° 466212
4 – Concours professionnel pour l’accès au premier et au second grades de la hiérarchie judiciaire – Contrôle du juge – Contrôle plein et entier.
Le juge de l’excès de pouvoir exerce désormais un contrôle plein et entier sur l’appréciation par le ministre de la justice de la condition d’avoir effectué, pour être admis à concourir au concours professionnel pour le recrutement de magistrat, respectivement aux second et premier grades de la hiérarchie judiciaire, sept ou quinze ans d’exercice professionnel dans le domaine juridique, administratif, économique ou social qualifiant particulièrement le candidat pour exercer des fonctions judiciaires.
CE, 6è, 04 août 2025, Mme A., n° 502423
Voir, appliquant cette jurisprudence, l’annulation, pour erreur manifeste d’appréciation, d’un refus d’admission à concourir : CE, 6è, 04 août 2025, Mme B., n° 502472 mais toutes les autres décisions de ce même jour (9) sont des décisions de rejet.
Voir aussi, jugeant non satisfaite la condition de « bonne moralité » nécessaire pour se présenter aux concours d’accès à la magistrature dans le cas d’une candidate dont le compagnon, par ailleurs mis en cause dans diverses procédures pénales, avait formulé des menaces de mort à l'égard du maire de ..., commis des faits d'atteinte dangereuse aux biens et avait adressé au maire des appels téléphoniques malveillants de façon réitérée, faits pour lesquels il a été condamné à une peine d'emprisonnement avec sursis, et qui, lors de son audition du 20 juin 2024 par un officier de police judiciaire dans le cadre de l'enquête de moralité liée à sa candidature, n'a pas relevé la gravité de ces faits mais a cherché à en minorer la portée en faisant notamment état d'un différend antérieur avec le maire au sujet du loyer du logement qu'elle louait à la mairie, alors qu'elle en dirigeait les services. Le juge retient que, dans les circonstances de l'espèce, le manque de discernement dont Mme C. a fait preuve quant à la gravité des infractions pénales commises par son compagnon et le comportement qu'elle avait adopté à cet égard établissent la non satisfaction de la condition de « bonne moralité » : CE, 6è et 5è, 16 septembre 2025, Mme C., n° 498600
Hiérarchie des normes
1 – Régime dérogatoire de l’Alsace-Moselle (V. Professions réglementées, n° 1)
2 – Question prioritaire de constitutionnalité – Champ d’application – Normes non invocables.
Examinant une QPC dans le cadre d’un recours tendant notamment à l’annulation partielle de dispositions du décret du 8 avril 2024 relatif au développement de l'agrivoltaïsme et aux conditions d'implantation des installations photovoltaïques sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers, le Conseil d’État précise les normes qui ne sont pas invocables au soutien d’une QPC.
À cet égard ne peuvent être invoqués ni l’article 12 de la Déclaration de 1789 selon lequel l’État détient le monopole de la force publique, ni les dispositions du neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (selon lequel : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »), dont la méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, ni, non plus, et pour le même motif, l'article 6 de la Charte de l'environnement, qui n'institue pas de droit ou liberté que la Constitution garantit.
CE, 3è et 8è, 18 septembre 2025, Société par actions simplifiée (SAS) Verso Energy, n° 495025
Libertés fondamentales
1 – Liberté fondamentale – Liberté d’association – Interdiction faite aux organisations de producteurs de lait de se constituer sous forme associative et obligation d’exercer un certain temps – Inconstitutionnalité – Annulation de l’acte réglementaire attaqué.
Tout d’abord, aucune disposition du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013, ni aucune disposition législative, notamment du code rural et de la pêche maritime, n'ont pour objet ou pour effet d'exclure qu'une organisation de producteurs ou une association d'organisations de producteurs soit constituée sous la forme d'une association régie par la loi du 1er juillet 1901.
Le pouvoir réglementaire, s’agissant d’une liberté fondamentale, n’avait ainsi pas compétence pour prendre des dispositions qui portent atteinte à la liberté d'association en excluant la possibilité pour les requérantes de se constituer sous forme associative.
Pas davantage n’était-il compétent pour imposer un délai minimal d'adhésion à une organisation de producteurs ou à une association d'organisations de producteurs reconnues dans le secteur du lait et des produits laitiers, une telle exigence relevant des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice de la liberté d'association, laquelle figure au nombre des libertés publiques visées à l'article 34 de la Constitution. En effet, l'article 4 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association dispose que « Tout membre d'une association peut s'en retirer en tout temps, après paiement des cotisations échues et de l'année courante, nonobstant toute clause contraire ».
CE, 3è et 8è, 24 juin 2025, Société par actions simplifiée (SAS) Savencia Ressources Laitières et la société anonyme (SA) Savencia, n° 494853
2 - Dignité de la personne humaine – Conditions de détention – Préjudice - Indemnisation.
Le préjudice moral subi par un détenu à raison de conditions de détention attentatoires à la dignité humaine revêt un caractère continu et évolutif. Par ailleurs, rien ne fait obstacle à ce que ce préjudice soit mesuré dès qu'il a été subi. Il s'ensuit que la créance indemnitaire qui résulte de ce préjudice doit être rattachée, dans la mesure où il s'y rapporte, à chacune des années au cours desquelles il a été subi.
En revanche, l'interruption de la détention du fait de l’évasion du requérant d’un centre pénitentiaire interrompt l'aggravation du préjudice subi du fait de ses conditions de détention et il doit donc être tenu compte de cette interruption pour la détermination de la provision devant être versée à raison de la réparation de ce préjudice.
CE, 10è et 9è, 3 juillet 2025, M. B., n° 496907
3 – Expression des courants d’opinion à la radio et à la télévision – Pouvoir de contrôle de l’ARCOM – Rejet.
Les organisations requérantes avaient adressé plusieurs demandes identiques à l’ARCOM afin qu’elle adresse aux services télévisés France 2, France 3, France 4, France 5, France Info, Arte, TF1, M6, TMC et BFM et aux services radiophoniques France Inter, France Culture, RMC et RTL une mise en demeure de « modifier la liste [des] animateurs, chroniqueurs et invités autres que les personnalités politiques » intervenant dans les différentes émissions de ces services « de façon que les divers courants de pensée et d'opinion disposent d'un temps de parole proportionnel à leur poids dans la société française ». Le CE refuse d’annuler le refus opposé par l’ARCOM, résultant du silence qu’elle a gardé sur cette demande et qu’elle ne pouvait que rejeter car elle ne pouvait, dans l'exercice de ses compétences, donner suite à une demande tendant, d'une part, à ce que, hormis le cas des personnalités politiques, elle qualifie ou classe les participants aux programmes au regard de leur rattachement supposé à des courants de pensée et d'opinion, et, d'autre part, se prononce par voie de conséquence sur le temps de parole qui devrait leur être alloué en proportion du poids de ces courants de pensée et d'opinion dans la société française.
Dire que la réponse du juge – dominée par la tautologie - est « un peu courte » au plan argumentaire est un euphémisme.
CE, 5è et 6è, 4 juillet 2025, Association Cercle droit et liberté et autres, n° 494597, n° 494628, n° 498439
4 – Traitement de données à caractère personnel – Institution d’un fichier des infractions commises par les étrangers en situation régulière – Absence d’autorisation à cet effet – Annulation.
C’est sans erreur de droit qu’un juge des référés estime qu’est de nature à faire naître un doute sérieux sur sa légalité la note du directeur interdépartemental de la police nationale de Loire-Atlantique demandant, notamment, aux services interpellateurs placés sous son autorité de compléter et de transmettre hebdomadairement au service en charge des étrangers de la préfecture, par l'intermédiaire du service interdépartemental de la police aux frontières (SIPAF), une « fiche navette » comportant, pour chaque étranger en situation régulière placé en garde à vue, des données à caractère personnel se rapportant notamment à la situation administrative de cette personne au titre du droit au séjour, à son éventuel signalement dans le fichier relatif au traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) et aux éléments juridiques et factuels relatifs à cette garde à vue ainsi qu'aux suites judiciaires qui y ont été données. En effet cette note n’a pas été autorisée par un arrêté ministériel pris après avis de ce qui était alors la CNIL.
En revanche, il eut été possible à cette note, sans irrégularité, de se limiter à prévoir la consultation du fichier TAJ, lequel est un fichier permanent régulièrement autorisé.
CE, 10è et 9è, 4 juillet 2025, Syndicat de la magistrature et autres, n° 503717
5 - ARCOM – Obligation de décompter le temps de parole des personnalités politiques intervenant à la radio et à la télévision - Notion de personnalité politique.
C’est sans entacher sa décision d’une qualification juridique inexacte que l’ARCOM a estimé que M. Jean Messiha, compte tenu de ce qu'il a exercé d'importantes responsabilités au sein de diverses formations politiques, qu'il participe activement au débat politique national, notamment par ses prises de position publiques régulières sur divers sujets d'actualité, qu'il a déclaré son intention de peser sur les échéances électorales à venir, et qu'il préside un cercle de réflexion se donnant pour but de « préparer l'alternance politique », doit être regardé comme une personnalité politique.
CE, 5è et 6è, 10 juillet 2025, Jean Messiha, n° 490949
Même solution, du même jour (5è et 6è, 10 juillet 2025, Marc Warnod, n° 492265) - avec approbation de la nuance « divers droite » choisie par l’ARCOM comme par le ministère de l’intérieur pour son classement politique - en ce qui concerne un élu au conseil municipal de Neuilly-sur-Seine depuis 2020, qui exerce également depuis lors les fonctions d'adjoint au maire, en charge de la voirie et des espaces publics et qui intervient régulièrement à l'antenne, sur au moins un service de télévision, pour commenter l'actualité sur divers sujets politiques sans lien direct ni avec son activité professionnelle de chef d'entreprise ni d'ailleurs avec quelque expertise particulière dont il serait fait état.
Également, dans le même sens (5è et 6è, 10 juillet 2025, M. B., n° 493916), est à bon droit qualifiée de personnalité politique « divers droite », une personne qui a exercé de nombreux mandats électoraux aux niveaux local, national et européen, a présenté à deux reprises sa candidature à l'élection présidentielle, a rejoint en 2022 l'équipe de campagne d'un candidat à cette même élection et qui prend position de manière régulière à la télévision et dans la presse sur divers sujets politiques, participant ainsi activement au débat politique national.
Solution identique (5è et 6è, 10 juillet 2025, M. B., n° 494719) dans un cas qui semble limite : est qualifiée de personnalité politique « divers centre », un individu qui « a récemment exercé un mandat de député, entre 2017 et 2022 et (qui) prend régulièrement position sur divers sujets d'actualité dans les médias audiovisuels, faisant de lui un acteur du débat politique national ».
6 – Liberté d’entreprendre – Installation de super et d’hyper marchés – Aménagement commercial – Pouvoirs et obligations de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC).
Le CE interprète pour la première fois de manière aussi nette les dispositions de l’art. L. 752-21 du code de commerce comme permettant à CNAC de mentionner, dans sa décision ou son avis rejetant un projet soumis à autorisation d'exploitation commerciale, la faculté pour le pétitionnaire de la saisir directement d'une nouvelle demande ayant le même objet sur le fondement des dispositions du second alinéa de l'article L. 752-21 du code de commerce lorsqu'elle estime qu'il peut être répondu aux motifs sur lesquels elle a fondé cette décision ou avis de rejet par des améliorations n'emportant pas de modifications substantielles du projet au sens de l'article L. 752-15 du même code, une telle saisine directe de la Commission nationale ne saurait faire obstacle à ce que celle-ci procède au contrôle qui lui incombe du respect, par la nouvelle demande qui lui est ainsi soumise, de l'ensemble des exigences découlant du code de commerce, y compris, s'agissant des exigences de fond, de celles dont il n'avait pas été fait mention dans sa décision ou son avis.
CE, 4è et 1ère, 19 septembre 2025, Société Montfort force unir, n° 470356
Police
1 – Police de la sécurité et de l’ordre publics – Conciliation avec la liberté d’expression et la liberté de manifestation – Interdiction d’exhibition du drapeau palestinien – Confirmation de l’annulation.
C’est à bon droit que le juge du référé-liberté du TA de Dijon a suspendu l’exécution de l’arrêté municipal interdisant pour une durée de deux mois et sur l'ensemble du territoire de la commune, l'utilisation ostentatoire du drapeau palestinien dans l'espace public, l'affichage de ce drapeau en façade des immeubles et de manière visible de l'espace public et sa vente sur les marchés ambulants et indiquant que les contrevenants s'exposeraient à des poursuites et condamnations pénales. En effet, il ne résulte toutefois pas de l'instruction conduite devant le juge des référés du tribunal administratif, et notamment des éléments écrits et audiovisuels produits en défense relatifs aux circonstances dans lesquelles se sont déroulés les troubles à l'ordre public dont la commune a été le théâtre au cours de la nuit du 31 mai au 1er juin 2025, que des incidents auraient été signalés à l'occasion des manifestations qui se sont régulièrement déroulées, de manière pacifique, pendant l'année écoulée et au cours desquelles les participants arboraient le drapeau palestinien.
CE, ord. réf., 4 juillet 2025, Commune de Chalon-sur-Saône, n° 505445
2 – Police de la sécurité routière – Suspension du permis de conduire – Intervention d’une décision de justice – Suspension annulée quels que soient les motifs de la suspension et ceux du jugement.
Une mesure de suspension du permis de conduire prononcée par le préfet sur le fondement de l'article L. 224-2 du code de la route est considérée comme non avenue si la personne poursuivie fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu ou d'un jugement de relaxe, quels qu'en soient les motifs. La mesure de suspension cesse, en conséquence, nécessairement de produire tout effet à compter du prononcé d'une telle ordonnance ou d'un tel jugement. Le ministre de l'intérieur n'est, par suite, pas fondé à soutenir qu'en dépit du jugement de relaxe dont Mme B. avait bénéficié, et alors même que cette relaxe n'avait été motivée que par l'irrégularité du contrôle dont elle avait fait l'objet, la préfète des Landes était en droit de subordonner la remise de son permis de conduire à un contrôle médical, en application de l'article L. 224-14 du code de la route ou du 3° de l'article R. 221-14 du même code.
À supposer même que l'administration aurait disposé d'informations lui permettant d'estimer que l'état de santé de Mme B. pouvait être incompatible avec le maintien de son permis de conduire (cf. 1° de l’art. R. 221-14 c. route), ces dispositions n'auraient pu, en tout état de cause, que l'autoriser à prononcer, postérieurement à ce contrôle, une nouvelle mesure de suspension voire d'annulation de ce permis, mais non, antérieurement à ce contrôle, à maintenir les effets de la suspension déjà prononcée.
Décision logique et de facture très pédagogique.
CE, 5è et 6è, 10 juillet 2025, ministre de l’intérieur, n° 497049
3 - Police de la sécurité publique - Plan de prévention des risques d'inondation - Règlement silencieux sur la notion d’extension d’une construction existante - Détermination de l’extension possible.
Le règlement du plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) de la vallée de la Seine et de l'Oise, relatif aux dispositions applicables en zone rouge clair, dispose en particulier que « peuvent être autorisés : (…) 14° les travaux ayant pour effet l'extension de l'emprise au sol, la surélévation ou l'aménagement des constructions existantes… ». Le CE estime que dans le cas où le règlement d'un PPRI ne précise pas, comme il lui est loisible de le faire, si la notion d'extension d'une construction existante, lorsqu'il s'y réfère, comporte une limitation quant aux dimensions d'une telle extension, celle-ci doit, en principe, s'entendre d'un agrandissement de la construction existante présentant, outre un lien physique et fonctionnel avec elle, des dimensions inférieures à celle-ci.
Voilà un bel exemple de création purement prétorienne de la norme. La jurisprudence source du droit ?
CE, 6è et 5è, 18 juillet 2025, Mme D., n° 492241 et Commune de Croissy-sur-Seine, n° 492253
Procédure administrative contentieuse
1 – Référé expertise ou mesures utiles (art. R. 532-1 CJA) – Demande d’extension d’une expertise formulée par un expert – Qualité pour interjeter appel de l’ordonnance rejetant cette demande après expiration du délai ouvert pour demander cette extension.
Il se déduit des dispositions combinées des art. R. 533-1 et R. 811-1 du CJA que toute partie à une expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif a le droit de relever appel de l'ordonnance par laquelle ce dernier rejette une demande d'extension de l'expertise présentée par l'expert désigné. La circonstance que la partie concernée n'était, à la date à laquelle l'expert a présenté sa demande, plus recevable à demander elle-même une telle extension est sans incidence sur son droit de former appel de l'ordonnance refusant l'extension de l'expertise.
CE, 7è et 2è, 27 juin 2025, société L'Heude et associés architectes et autre, n° 500159
2 – Respect du délai de recours contentieux – Conservation de ce délai en cas de recours administratif gracieux ou hiérarchique – Date à prendre en considération en cas d’envoi postal – Date de l’envoi et non date de la réception.
Après avoir louvoyé en cette matière, la jurisprudence, suite à une décision de Section (13 mai 2024, Mme Caire-Tetauru, n° 466541) abandonnant une solution antérieure plus que trentenaire (27 mars 1991, Préfet de la Haute-Garonne, n° 114854, Rec. Lebon p. 107), est désormais fixé en ce sens que, d’une part, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux et d’autre part, pour apprécier si un recours administratif, gracieux ou hiérarchique, a pour effet de conserver ce délai, est celle de l'expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi. On saluera une jurisprudence simplificatrice et très logique.
La présente décision constitue une application de la jurisprudence inaugurée en 2024.
CE, 1ère et 4è, 30 juin 2025, Mme A., n° 494573
3 – Représentation de l’État devant le Conseil d’État – Litige relevant de plusieurs ministres intéressés.
Rappel d’une solution de bon sens : les recours présentés au nom de l'Etat devant le Conseil d'État statuant au contentieux doivent être formés par le ministre intéressé. Au cas où plusieurs ministres ont la qualité de ministre intéressé, le recours peut être présenté par l'un quelconque d'entre eux.
CE, 5è, 4 juillet 2025, ministre du travail, de la santé et des solidarités, n° 491701
4 – Principe du caractère contradictoire des instances contentieuses - Demande de la juridiction adressée à l’une des parties de produire certaines pièces – Exclusion du champ d’application du contradictoire.
Solution de bon sens adoptée, semble-t-il, pour la première fois : si le respect du caractère contradictoire de la procédure impose que les éléments et pièces produits en réponse à une demande formée sur le fondement des dispositions de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, s'ils contiennent des éléments nouveaux et si la décision est fondée sur ces éléments, soient communiqués aux parties, tel n'est pas le cas de la demande elle-même.
CE, 1ère, 8 juillet 2025, Mme A., n° 488076
5 – Dispense du prononcé de conclusions – Mention devant en être portée sur la minute du jugement –Absence – Annulation.
Est irrégulier le jugement prononcé sans conclusions du rapporteur public dès lors que ne figure pas sur ce jugement la mention que la rapporteure publique avait été dispensée par la présidente de la formation de jugement, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions.
CE, 1ère, 8 juillet 2025, M. B., n° 497878
6 – Dispositif d’un jugement d’annulation – Moyen d’annulation reconnu fondé par le juge de cassation – Impossibilité de censurer le jugement déclarant inopérants les autres moyens.
Dans un litige en matière d’urbanisme, il est jugé que dès lors que le moyen reconnu comme fondé par le tribunal justifie légalement le dispositif d'annulation de son jugement, il n'y a pas lieu pour le juge de cassation de censurer les motifs par lesquels le tribunal a écarté comme inopérants les autres moyens soulevés devant lui, motifs auxquels ne s'attache pas l'autorité de chose jugée.
CE, 2è et 7è, 10 juillet 2025, Mme B., n° 497619
7 – Art. L. 761-1 CJA – Frais de procès – Champ d’application.
Rappel que la demande du bénéfice de l’art. L. 761-1 CJA au titre des décisions du CE statuant sur une requête en vue de la transmission d’une QPC au C.C. est toujours irrecevable car de telles conclusions ne peuvent être portées que devant le juge saisi du litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée.
CE, 6è et 5è, 10 juillet 2025, M. B., n° 503767
8 – Décision confirmative – Notion - Décision ne rouvrant pas le délai du recours contentieux.
Les décisions qui, parce qu’elles sont purement et simplement confirmatives d’une (ou de) décision(s) antérieure(s) ayant le même objet, ne rouvrent pas le délai du recours contentieux à la double condition que ce délai soit déjà expiré contre le décision primitive et que ne se soit produit entretemps aucun changement dans les circonstances de droit ou de fait de nature à emporter des conséquences sur l'appréciation des droits ou des prétentions en litige.
CE, 8è et 3è, 1er juillet 2025, ministre des armées, n° 489656
9 – Référé précontractuel (V. Contrats et marchés, n° 3)
10 - Clôture de l’instruction à effet immédiat - Ordonnance de réouverture de l’instruction - Régime de la nouvelle ordonnance de clôture.
Lorsque, après avoir pris une ordonnance de clôture d'instruction à effet immédiat, le juge rouvre l'instruction, celle-ci ne peut plus être close à la date d'émission d'une nouvelle ordonnance qui prononce cette clôture ou à la date d'émission de l'avis d'audience sans nouvelle information préalable des parties dans les conditions prévues par l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative.
CE, 7è et 2è, 22 juillet 2025, Commune d’Antibes, n° 494744
11 – Saisine du juge avant la formation d’une décision implicite de rejet – Irrecevabilité de la requête couverte par la réponse au fond du préfet défendeur en cours d’instance.
Le juge rappelle une règle classique du contentieux administratif mais parfois ignorée. Si la saisine du juge avant que ne soit prise la décision contestée, explicite ou implicite, faute d’expiration du délai ouvert à l’administration pour se prononcer, entache d’irrecevabilité la requête prématurément formée, cette irrecevabilité est couverte si, en cours d’instance, le défendeur, sans soulever expressément cette irrecevabilité et sans déclarer faire défense à titre subsidiaire, répond au fond à la requête ce qui était le cas en l’espèce.
CE, 6è, 15 septembre 2025, Association Bretagne Vivante et association " Paré ! ", n° 498290
12 – Référé suspension – Appréciation de la condition d’urgence.
Il n’y a pas d’urgence pour le juge du référé suspension, à statuer le 18 septembre 2025 sur la juridicité d’un arrêté qui dispose lui-même entrer en vigueur le 25 octobre 2026. Élémentaire…
CE, ord. réf., 18 septembre 2025, Association DRAPO et autres, n° 508019
13 – Acte réglementaire – Notion – Absence – Incompétence du Conseil d’État pour statuer en premier et dernier ressort.
Rappel en premier lieu que pour avoir un caractère réglementaire, une décision administrative doit, d’une part, porter sur un service public administratif et d’autre part être à caractère général et impersonnel ou avoir, par elle-même, pour objet l'organisation d'un service public.
À défaut de satisfaire la première condition ou l’une des branches de la condition alternative, la décision ne saurait être de caractère réglementaire.
Rappel en second lieu que faute de revêtir un tel caractère réglementaire la décision, sauf disposition expresse, ne saurait être déférée au Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort.
CE, 4è et 1ère, 19 septembre 2025, Syndicat des enseignants UNSA (SE-UNSA), n° 490883 V. aussi, cette décision à la rubrique Actes administratifs et décisions, point 4.
Procédure administrative non contentieuse
1 – Circulaire relative aux chèques-vacances des agents de l’État – Défaut de consultation préalable de certaines organisations – Illégalité.
La circulaire du 2 août 2023 qui a supprimé l’avantage chèques-vacances pour les retraités de l’État devait être précédée, notamment, de la consultation du comité interministériel consultatif de l'action sociale et de celle de ses commissions permanentes. Faute de cette consultation, la circulaire est illégale alors même que les membres du comité interministériel consultatif de l'action sociale ainsi que les secrétaires généraux des organisations syndicales siégeant dans cette instance ont été informés de cette modification du champ des bénéficiaires des chèques-vacances par un courriel du 2 août 2023 de l'administration.
CE, 3è et 8è, 24 juin 2025, Fédération générale des fonctionnaires-Force ouvrière (FGF-FO) et autres, n° 490695
2 – Communication des documents administratifs – Rapport d’équivalence technique entre des produits biocides – Changement de la réglementation européenne – Risque d’atteinte aux intérêts commerciaux d’une entreprise ou au secret des affaires.
Dans cette décision très technique, il s’agissait de savoir si le produit biocide élaboré par la société demanderesse, auquel a été refusée une autorisation de mise sur le marché, est techniquement équivalent à un autre produit biocide bénéficiant de cette autorisation. La requérante demandait la communication du rapport de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) qui concluait à l’absence d’équivalence du produit litigieux.
Statuant après renvoi préjudiciel à la CJCE, le CE se livre à une analyse très précise et très détaillé des limites du droit à la communication du rapport de l’ANSES.
CE, 10è, 5 septembre 2025, Société Sumitomo Chemical Agro Europe, n° 469075
3 – Acte administratif constatant la péremption du permis de construire – Obligation de motivation.
La décision de constater la caducité d'une autorisation d'urbanisme manifeste l'opposition de l'autorité administrative à la réalisation du projet du pétitionnaire, motif pris de ce qu'elle considère qu'il est déchu du droit de construire attaché à l'autorisation d'urbanisme qui lui a été accordée. Elle doit dès lors être motivée en application du 5° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, comme toute décision de refus fondée sur la péremption de cette autorisation en l'absence de dispositions spéciales applicables, et, en application de l'article L. 121-1 du même code, elle doit être précédée d'une procédure contradictoire.
Lorsque cette décision procède du seul constat de l'expiration d'un délai, l'autorité administrative se trouve en situation de compétence liée et les moyens tirés de ce que sa décision serait insuffisamment motivée ou résulterait d'une procédure irrégulière sont, dès lors, inopérants.
CE, 2è et 7è, 1er juillet 2025, SCI Les 3 Lynx, n° 502802
Procédure disciplinaire
1 – Droit de se taire devant une instance ordinale dans le cadre d’une procédure disciplinaire ou devant une autorité administrative indépendante dotée d’un pouvoir de sanction – Absence d’information à ce sujet – Annulations ou transmission d’une QPC
Encore quatorze décisions (échantillons) sur ce sujet.
CE, 4è, 26 juin 2025, M. A., n° 489525 (ordre des médecins)
CE, 4è, 26 juin 2025, M. B., n° 490983 (ordre des chirurgiens-dentistes)
CE, 4è, 26 juin 2025, M. D., n° 493927(ordre des médecins)
CE, 4è, 26 juin 2025, M. C., n° 498012 (ordre des médecins)
CE, 4è, 30 juin 2025, M. B., n° 493306 (ordre des médecins)
CE, 4è, 30 juillet 2025, M. B., n° 493923 (ordre des médecins)
CE, 4è, 30 juin 2025, M. C., n° 497273 (ordre des chirurgiens-dentistes)
CE, 2è et 7è, 10 juillet 2025, Société Enter Air, n° 503940 (transmission au C.C. de la question de savoir si l’information sur le droit de se taire est obligatoire devant une autorité administrative indépendante investie d'un pouvoir de sanction telle que l’ Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA), alors que les manquements reprochés procèdent de constats factuels objectifs).
V. aussi, notamment, réitérant sur ce point des jurisprudences antérieures, selon lesquelles l’abstention d’informer sur le droit de se taire n’est pas une irrégularité quand la sanction prononcée ne se fonde pas de manière déterminante sur les déclarations faites lors ou à l'issue de l’entretien disciplinaire : CE, 7è, 11 juillet 2025, M. A., n° 492409 ; également, du même jour, avec même solution : CE, 7è, 11 juillet 2025, M. D., n° 493901 ; CE, 7è, 11 juillet 2025, M. A., n° 496653 ; CE, 7è, 11 juillet 2025, M. A., n° 497053 ; CE, 7è, 11 juillet 2025, M. A., n° 498661 ; CE, 6è et 5è, 24 juillet 2025, M. A. et société MTAS, n° 471654, etc.
Professions réglementées
1 - Notaire - Régime applicable en Alsace-Moselle - Maintien de la législation entrée en vigueur avant le retour à la France - Principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Le CE, rejette la requête tendant à l’annulation de l’application, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, des dispositions du livre IV du décret du 2 octobre 1967 pris pour l'application à la profession de notaire de la loi du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles, en tant qu’il fixe les dispositions applicables dans ces départements.
Selon le juge, la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 a consacré le principe selon lequel, tant qu'elles n'ont pas été remplacées par les dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles, des dispositions législatives et réglementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle peuvent demeurer en vigueur.
A défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et où leur champ d'application n'est pas élargi.
CE, 6è et 5è, 24 juillet 2025, M. A., n° 498227
Responsabilité civile extracontractuelle
1 – Droit de la réparation du dommage corporel – Indemnisation pour assistance d’une tierce personne, prise en charge médicale ou traitements ou matériels médicaux – Absence de contrôle sur l’utilisation de l’indemnisation allouée.
Rappel d’une solution aujourd’hui bien établie.
Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne ou de bénéficier d'une prise en charge médicale ou de traitements ou matériels médicaux, il détermine le montant de l'indemnité réparant ces préjudices en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Le principe de réparation intégrale du préjudice n'implique pas, en revanche, de contrôle de l'utilisation des fonds alloués à la victime, qui en conserve la libre disposition.
CE, 5è et 6è, 4 juillet 2025, Mme F., n° 498275
V. également, identique, dans le cas d’un accident médical imputable à une vaccination nécessitant ensuite l’assistance d’une tierce personne :
Malgré la réticence de certaines cours administratives d’appel, le Conseil d’État rappelle à nouveau que lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire permettant, dans les circonstances de l'espèce, le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat, sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime ou que celle-ci n'a, malgré son besoin, pas fait effectivement appel à une telle aide.
CE, 5è, 21 juillet 2025, M. C., n° 472382
2 - Responsabilité décennale des constructeurs - Condition d’engagement - Portée de la durée décennale.
Rappel d’une solution jurisprudentielle constante selon laquelle il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.
CE, 7è et 2è, 22 juillet 2025, Lille Métropole Habitat, n° 491997
Voir également, jugeant que s’il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que l'action, ouverte au maître de l'ouvrage à raison des dommages qui en compromettent la solidité ou le rendent impropre à sa destination, accompagne l'immeuble et se transmet aux acquéreurs avec la propriété de celui-ci, le maître de l'ouvrage ne perd cependant pas la faculté d'exercer cette action dans la mesure où elle présente pour lui un intérêt direct et certain.
CE, 7è, 31 juillet 2025, Société Artelia, n° 491997
3 - Dommage déjà indemnisé par une autre juridiction - Prohibition d’une double indemnisation - Mode de déduction par le juge administratif de l’indemnisation déjà accordé.
Lorsque la victime d'un dommage a déjà été indemnisée par une autre juridiction des préjudices qu'elle subit en raison de ce dommage, il appartient au juge administratif de prendre, en déterminant la quotité et la forme de l'indemnité par lui allouée, les mesures nécessaires en vue d'empêcher que sa décision ait pour effet de procurer à la victime une double indemnisation. Pour y procéder, il y a lieu de déduire, de manière globale, et non chef de préjudice par chef de préjudice, les indemnités précédemment allouées de la somme mise à la charge de la personne publique responsable.
Il nous semble que cette solution ne dispense pas le juge administratif de déterminer lui-même l’indemnisation poste par poste puis d’en calculer le total dont il déduira le montant global de l’indemnisation déjà allouée.
CE, 5è et 6è, 24 juillet 2025, Mme C., n° 476397
4 – Contrôle administratif sur le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) ou sur la demande d’homologation du document unilatéral en tenant lieu – Illégalité de la décision administrative pise – Responsabilité fondée sur la seule faute lourde.
Voilà une décision qui peut surprendre en ce qu’elle va à rebours d’une évolution vers la suppression de l’exigence de faute lourde pour pouvoir, en certaines matières, engager la responsabilité de l’administration à raison des conséquences dommageables de ses fautes.
Ici, le juge retient l’intention du législateur, lequel en droit social, a donné compétence à l'autorité administrative pour, d'une part, présenter toute observation ou proposition, ou formuler des injonctions, de nature à éclairer l'employeur en cours de procédure sur la régularité de celle-ci et le caractère suffisant des mesures contenues dans son plan de sauvegarde de l'emploi et, d'autre part, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'homologation d'un document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi, après avoir contrôlé le respect des exigences mentionnées à l'article L. 1233-57-3 du code du travail, homologuer le document ou, s'il y a lieu, refuser cette homologation aux fins que lui soit soumis un nouveau document conforme aux dispositions de cet article ou, le cas échéant, l'accord collectif mentionné à l'article L.1233-24-1 du même code. Il déduit de l'objet et de la finalité du contrôle opéré par l'administration et du rôle qui lui est conféré dans le processus d'élaboration des plans de sauvegarde de l'emploi, que la responsabilité de l'État à raison d'une illégalité entachant une décision d'homologation de document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi, ou de refus d'homologation d'un tel document, ne peut être engagée qu'en cas de faute lourde.
Il faut sans doute voir dans le motif d’une telle solution la combinaison du souci du juge de laisser sauve la part de responsabilité incombant aux dirigeants de l’entreprise dans la mesure où le contrôle du juge ne porte pas réellement sur le fond des documents qui lui sont soumis et la prise en compte des difficultés et limites inhérentes au contrôle du juge.
CE, 4è et 1ère, 19 septembre 2025, Société Tarkett Bois, n° 470918, Publié au Recueil Lebon
Solution confirmée le même jour : CE, 4è et 1ère, 19 septembre 2025, Société Solocal, n° 476305, Publié au Recueil Lebon
Services publics
1 - Apposition du drapeau palestinien sur des édifices publics - Manifestation d’une opinion incompatible avec le principe de neutralité des services publics - Suspension à bon droit de l’arrêté municipal contraire.
Le CE rappelle que le principe de neutralité des services publics s'oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques.
Il suit de là que si la commune de La Courneuve soutient que l'affichage d’une banderole et la distribution des fanions en litige auraient pour seul objet de manifester la solidarité de la commune et de ses habitants avec les populations civiles de la bande de Gaza, dans un but exclusivement humanitaire, il résulte du recours aux couleurs du drapeau palestinien et des termes mêmes inscrits sur cette banderole et ces fanions (« stop au génocide ») ainsi que des propos diffusés par le maire sur les réseaux sociaux pour expliquer l'objet de cette démarche que la commune a entendu exprimer, au moyen de ces outils de communication, une prise de position de nature politique au sujet d'un conflit en cours.
CE, ord. réf., 21 juillet 2025, Commune de la Courneuve, n° 506299
V. aussi à la rubrique Police au n° 1
Travaux et ouvrages publics
1 – Ouvrage n’appartenant pas à une personne publique – Ouvrage ayant un lien physique ou fonctionnel avec un ouvrage public en faisant un accessoire indispensable – Ouvrage public par assimilation.
Rappel d’une solution traditionnelle : La circonstance qu'un ouvrage n'appartienne pas à une personne publique ne fait pas obstacle à ce qu'il puisse être regardé comme un ouvrage public s'il présente, avec un ouvrage public, un lien physique ou fonctionnel tel qu'il doive être regardé comme un accessoire indispensable de celui-ci.
CE, 2è et 7è, 3 juillet 2025, M. et Mme C., n° 494622
2 - Riverain d’une voie publique - Riverain ayant subi des dommages de travaux publics - Qualité de tiers - Conditions de la réparation.
Il appartient au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués, et, d'autre part, le caractère grave et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter sans contrepartie les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général.
CE, 2è, 23 juillet 2025, Commune de Landudec, n° 494238
3 - Réalisation d’un tunnel international - Déclaration d’utilité publique - Refus d’abrogation - Régime du recours en annulation de ce refus.
A propos du rejet implicite de la demande d’abrogation du décret déclarant d’utilité publique le tunnel permettant la liaison Lyon-Turin, le CE rappelle que l'autorité administrative n'est tenue de faire droit à la demande d'abrogation d'une déclaration d'utilité publique que si, postérieurement à son adoption, l'opération concernée a, par suite d'un changement des circonstances de fait, perdu son caractère d'utilité publique ou si, en raison de l'évolution du droit applicable, cette opération n'est plus susceptible d'être légalement réalisée.
CE, 6è, 24 juillet 2025, Association La France insoumise et autres, n° 492095
Urbanisme
1 - Art. L. 480-1 et L. 81- 1 et s. du code de l’urbanisme (constatation des infractions aux dispositions de ce code) - Prescription civile de l’art. L. 480-14 c. urb. - Régime de prescription de l’action engagée sur son fondement.
Répondant à une demande d’avis de droit, le CE précise qu’en subordonnant l'exercice des pouvoirs dont les articles L. 481-1 et suivants du code de l'urbanisme investissent l'autorité administrative compétente au constat préalable d'une infraction pénale par un procès-verbal dressé en application de l'article L. 480-1 du même code, le législateur, dont il résulte des travaux préparatoires qu'il a entendu doter cette autorité de moyens propres d'action en présence d'infractions commises en matière d'urbanisme, sans préjudice de l'engagement de poursuites pénales à l'encontre de leurs auteurs, doit être regardé comme ayant exclu que ces pouvoirs puissent être mis en œuvre pour remédier à une méconnaissance des règles relatives à l'utilisation des sols ou des prescriptions d'une autorisation d'urbanisme au-delà du délai de prescription de l'action publique. Conformément à l'article 8 du code de procédure pénale, s'agissant de faits susceptibles de revêtir la qualification de délits, et sous réserve de l'intervention d'actes interruptifs de la prescription, ce délai est de six années révolues à compter du jour où l'infraction a été commise, c'est-à-dire, en règle générale, à compter de l'achèvement des travaux.
Il ajoute que dans le cas où des travaux ont été successivement réalisés de façon irrégulière, seuls les travaux à l'égard desquels l'action publique n'est pas prescrite peuvent ainsi donner lieu à la mise en demeure prévue par l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme.
Cette réponse, pure création prétorienne, est marquée au coin du bon sens et doit être entièrement approuvée.
CE, Avis, 5è et 6è, 24 juillet 2025, M. et Mme D., n° 503768 - Publié au Recueil Lebon
2 – Demande de permis de construire – Avis défavorable de l’architecte des bâtiments de France – Recours administratif préalable obligatoire auprès du préfet avant toute saisine du juge – Défaut d’information à cet égard – Conséquence.
Lorsque le destinataire d'une décision administrative individuelle n'a pas été informé, tout à la fois, de l'existence d'un recours administratif préalable obligatoire, du délai imparti pour le présenter et de l'autorité devant laquelle il doit être porté, et qu'ainsi le délai normalement applicable ne lui est pas opposable, l'exercice d'un recours juridictionnel contre cette décision, s'il est lui-même formé dans les délais, interrompt le cours du délai raisonnable, normalement d’un an, dont il disposait alors pour former un recours administratif préalable obligatoire. Le délai imparti par le texte applicable pour présenter un recours administratif préalable obligatoire commence à courir à compter de la notification de la première décision juridictionnelle qui rejette pour irrecevabilité le recours contentieux au motif qu'il n'a pas été précédé d'un tel recours.
CE, 10è et 9è, 31 juillet 2025, M. B., n° 499513
3 – Urbanisme et aménagement commercial – Pouvoirs de la CNAC – Combinaison avec les pouvoirs du juge administratif.
Le juge administratif peut, s'il annule la décision prise par l'autorité administrative sur une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale et en fonction des motifs qui fondent cette annulation, prononcer une injonction, sur le fondement de l'article L. 911-1 du CJA, tant à l'égard de l'autorité administrative compétente pour se prononcer sur la demande de permis qu'à l'égard de la Commission nationale d'aménagement commercial sans que, en ce second cas, puisse y faire obstacle la circonstance que celle-ci soit chargée (art. R. 752-36 du code de commerce) d'instruire les recours dont elle est saisie.
CE, 4è, 30 juillet 2025, Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), n° 455185 et association « En toute franchise - département de la Haute-Savoie », n° 455325
Dans le même sens, du même jour : CE, 4è, 30 juillet 2025, Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), n° 466014